Voyage de l’Océan Pacifique à l’Océan Atlantique, à travers l’Amérique du Sud/11

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VOYAGE DE L’OCÉAN PACIFIQUE À L’OCÉAN ATLANTIQUE,

À TRAVERS L’AMÉRIQUE DU SUD,


PAR M. PAUL MARCOY[1].
1848-1860. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.




PÉROU.




QUATRIÈME ÉTAPE.

D’ACOPIA À CUZCO.
Trois sorcières de Goya dans un bénitier. — Par quel chemin on arrive chez les descendants du Soleil. — Silhouette d’une capitale. — Dernier conseil de la Sagesse représentée par un Arriero. — D’une main l’auteur fait ses malles, de l’autre il écrit des mémoires. — Cuzco antique et moderne.

En regardant de près cette œuvre des païens, comme disent bêtement les niais du pays de tout monument d’une époque antérieure à la conquête espagnole, on ne sait qu’admirer le plus de la dureté métallique de la matière ou de la perfection du travail. Ces parois, ce plafond, ces siéges dont on peut à peine rayer la rigide surface avec la pointe d’un couteau, semblent avoir été rabotés, poncés, vernissés par le carrier-maçon. Un ébéniste, de nos jours, ne polirait pas avec plus de soin un meuble en jacaranda ou en bois de rose. C’est à donner de folles envies de mordre à même, ou de se briser le crâne dessus.

Comme une parodie à cette chambre monolithe, s’élève de l’autre côté du chemin, au milieu d’un taillis d’alerces et de capulis, — aunes et merisiers de la contrée, — une cahute à toit de chaume et à pans de torchis. Le signe du salut est placé à son faîte, et deux muchos[2], aux feuilles glauques, aux belles fleurs d’un pourpre vif, encadrent en se rejoignant, sa porte cintrée. Cette cahute est le beaterio ou béguinage de la Recoleta. Nous ignorons à quel jour de l’année les dévots de Cuzco s’y rendent en pèlerinage, et quelle antiphone est chantée à cette occasion ; mais ce dont nous sommes certain, c’est que l’endroit a pour gardiennes ou pour célébrer à triples têtes, trois vieilles duègnes qui faillirent un jour nous dévisager pour une fleur que nous avions cueillie dans leur domaine.

Ces béates, êtres amphibies, espèce de chauves-souris du catholicisme, moitié rat et moitié oiseau, tenant de la femme du monde par le reboe et la coiffure, de la nonne par la jupe de couleur sombre, la ceinture de cuir et le trousseau de chapelets, ont été constituées gardiennes du béguinage, à la charge par elles d’y tenir tout en ordre, de blanchir les nappes d’autel, de fourbir les cuivres et de chanter les louanges de l’Éternel dans l’idiome de Quechuas. Mais au lieu de laver, de fourbir, de chanter, comme elles s’y sont engagées, elles passent leur temps à boire de la chicha, à calomnier le prochain et à surveiller la marmite en terre où cuit, à la vue des passants, le brouet de maïs dont elles s’alimentent.

Béguinage de la Recoleta.

Ce beaterio de la Recoleta est le dernier point isolé des environs de Cuzco. À partir de là, les fermes, les chacaras et les vergers se multiplient, se rapprochent, se soudent par leurs murs d’enceinte et forment une manière de rue étroite, sinueuse et accidentée, qui porte le nom de faubourg de la Recoleta. Le lit d’un torrent presque toujours à sec et jonché de pierres, partage dans toute sa longueur ce quartier sordide, peu fréquenté, mal habité, mais pourvu néanmoins d’une vingtaine de cabarets à chicha, tant le besoin de boire est inhérent à la nature du peuple hispano-péruvien.

Çà et là une ampoule du sol due à l’alluvion, qu’il nous fallait gravir et redescendre ensuite, me permettait de jeter les yeux devant moi et d’entrevoir, comme par une échappée, les édifices de Cuzco. Tout en souriant par avance au repas substantiel que j’allais faire et au bon vieux lit espagnol, peint en blanc et semé de tulipes rouges, dans lequel je m’allongerais en sortant de table, je songeais, — que faire sur sa mule à moins que l’on n’y songe ? — Je songeais, dis-je, à l’accès du lyrisme que déterminent habituellement chez les voyageurs officiels, les abords du Cuzco, accès qui se traduit chez eux par une apostrophe pompeuse à la vieille ville. Des lambeaux de phrases, jadis lues par moi dans les œuvres de ces messieurs, me revenaient, à l’aspect des lieux qui les leur avaient inspirées.

« Salut, terre classique des Incas, berceau d’une civilisation rayonnante ! s’était écrié l’un.

— La voilà donc cette capitale d’un puissant empire conquis par Pizarre et dont la civilisation avancée et les richesses prodigieuses, frappèrent d’admiration le monde entier ! » avait exclamé l’autre.

J’en passe et des meilleurs.

Heureux, me disais-je, en ponctuant mon monologue par des soupirs, heureux, trois fois heureux, sont les voyageurs qui s’enthousiasment ainsi à froid ! Un gouvernement les protége, un institut les félicite, un éditeur survient et imprime leurs œuvres sur beau papier ; la foule des lecteurs les lit, les admire et chante leurs louanges, et peut-être bien que de leur côté ils se lisent, s’admirent et se chantent aussi !

Je ne sais si cet enthousiasme du voyageur, que je note en passant comme renseignement physiologique, était partagé par nos mules, mais en approchant de la ville sacrée, elles se démenaient se trémoussaient et déployaient une vigueur surnaturelle. Comme le divin Mercurius, les bonnes bêtes semblaient avoir une aile à chaque jambe. Aucun embarras du chemin ne ralentissait leur allure. Les trous, les ornières, les blocs de grés, les descentes et les montées, tous ces obstacles étaient franchis ou contournés par elles avec une impétuosité singulière. À les voir cheminer, les oreilles droites, les naseaux au vent, le jarret tendu, on n’eût pas cru qu’elles venaient de faire quatre vingt-dix-huit lieues à travers la chaîne des Andes. Si le voyageur dont nous parlions précédemment est parfois un être étonnant, la mule est un animal incroyable ! avec plus de raison et moins d’entêtement elle renouvellerait de nos jours les travaux d’Hercule.

Au train dont elles nous menaient, nous atteignîmes en quelques minutes l’endroit appelé la Cueva-honda (grotte profonde), continuation d’un ravin pierreux par lequel les sources du Sapi dégorgent leurs eaux dans la plaine. De ce point relativement élevé, on découvre en entier les édifices et les toitures de Cuzco. Maigre régal pour l’enthousiasme ! une masse lourde et compacte de pierres et de tuiles, peu ou point de détails, des contours empâtés, une localité rougeâtre, un jour terne et diffus, voilà tout ce qu’offre aux regards de l’artiste la vieille cité de Manco-Ccapac, revue, corrigée, augmentée mais fort peu embellie par Francisco Pizarre.

À mesure qu’on s’éloigne de la Cueva-honda, le panorama de la ville devient sinon plus riant et plus gai, du moins plus net et plus distinct. Quelques dômes, quelques clochers se détachent de la foule des toits ; des murs blanchis à la chaux tranchent çà et là sur le fond rouge-brun des cerros et des constructions antiques ; puis le faubourg de la Recoleta, ou ce qu’ainsi l’on nomme, s’interrompt tout à coup, coupé à droite par l’escarpement de San Blas, un des huit faubourgs de Cuzco[3], à gauche par un étroit conduit bordé de murs bâtis dans l’appareil cyclopéen. Ce conduit c’est la rue du Triomphe. Les mules surexcitées par les émanations de la luzerne et du corral s’y précipitent tête baissée. Après trois minutes de marche et sans que rien ait préparé l’œil et l’esprit du voyageur à ce changement brusque, il débouche sur la plaza Mayor de Cuzco, en face de la cathédrale.

Faubourg de la Recoleta, à Cuzco.

Comme nous émergions de la pénombre qui règne en tout temps dans cette rue du Triomphe dont les antiques murs semblent absorber la lumière, Ñor Medina qui me précédait depuis un instant, arrêta sa monture pour me demander dans quel tampu de la cite je comptais descendre.

« Je descendrai chez moi, lui répondis-je.

— Le chez soi de monsieur, s’il plaît à monsieur ?

— Galerie du Vieux-Linge, 17. »

La rue du Triomphe, à Cuzco.

Nous coupâmes la place en diagonale, et, arrivés à l’endroit indiqué, nous mîmes pied à terre. Ñor Medina. attacha les mules à une des colonnes de grès trachytique qui bordent trois côtés de cette place désignés par les noms de galeries du Pain, des Confitures et du Vieux-Linge. Après avoir dessellé ma monture et transporté chez moi, où je l’avais précédé, les diverses pièces de l’équipement de la bête[4], il attendit chapeau bas que je le soldasse. Comme au prix convenu entre nous j’ajoutai quelques réaux de llapa (pourboire), cette générosité, à laquelle il ne s’attendait pas, dissipa le nuage amassé sur son front et émut doucement son cœur.

« Si j’osais parler à monsieur ! me dit-il après avoir vérifié la somme que je venais de lui remettre et l’avoir glissée dans une bourse en peau de rat, qu’il portait suspendue au cou en mode de scapulaire.

— À votre aise, Ñor Medina.

— Eh bien ! que monsieur réfléchisse encore avant de faire ce qu’il m’a dit, car c’est non-seulement une imprudence de sa part, mais un gros péché dont il chargera sa conscience. Les Chunchos sont des mécréants et des hérétiques et la sainte religion de Jésus-Christ nous défend tout commerce avec eux.

— Est-ce là tout ce que vous aviez à me dire ?

— Mais oui, monsieur…

— En ce cas, bonjour mon ami et que Dieu vous ramène sans accident à l’endroit où je vous ai pris. Mes compliments à votre épouse, quand vous reverrez les toits en dos d’âne d’Arequipa. »

L’arriero s’en alla en levant les épaules et je n’entendis plus parler de lui.

Après un repas copieux, je pris possession de mon lit et jusqu’au lendemain je ne fis qu’un somme. La nuit, dit-on, porte conseil. En m’éveillant je pus juger de la valeur de ce dicton. Le soir, en posant ma tête sur l’oreiller, je m’étais demandé à plusieurs reprises de quelle vallée je ferais choix pour entrer en pays sauvage, mais le soleil m’avait surpris avant que j’eusse décidé quelque chose à cet égard. En me levant, et sans que je parvinsse à m’expliquer ce travail occulte de ma volonté, il se trouva que mon choix était fait et que ce choix était tombé sur la vallée d’Occobamba, que les géographes ont négligé d’indiquer sur leurs cartes, mais que la nature a placée entre les deux vallées de Larès et de Santa Ana.

Pendant les quarante-huit heures que je passai à Cuzco, je consacrai mes journées à l’achat d’articles divers, destinés à me concilier les bonnes grâces des sauvages que je pourrais trouver en route. La nuit venue, au lieu d’accepter la cacharpari, ou fête d’adieux, que, selon l’usage, on m’avait offerte, je me barricadai chez moi, laissant mes connaissances s’étonner et même s’indigner un peu de mon dédain subit à l’endroit des choses locales. Mais j’avais un devoir à remplir ou plutôt un compte à régler avec le lecteur. Ce compte, c’était une description, sous le double aspect antique et moderne, de la ville inconnue, où je l’avais amené en croupe et d’où nous devions bientôt repartir ensemble. Donc au lieu de passer ces deux nuits à boire de l’eau-de-vie et à caqueter avec des personnes du sexe, ainsi que chacun l’eût voulut et que l’exigeait l’étiquette, je les employai tout entières à prendre les notes suivantes. Si le lecteur n’accorde aucun éloge à leur rédaction, il doit au moins me savoir gré d’avoir sacrifié à sa convenance les plaisirs de tout genre que me promettait un cacharpari à Cuzco.

La ville du Cuzco fut fondée vers le milieu du onzième siècle par Manco-Ccapac, chef de la dynastie des Incas. L’apparition de ce législateur dans les punas du Collao est encadrée dans une légende mystérieuse que les historiographes espagnols se sont plu a reproduire de diverses façons. Nous écarterons de leur récit la partie merveilleuse pour ne nous attacher qu’à la partie vraisemblable, et au lieu de faire émerger à leur exemple Mauco-Ccapac et sa compagne Mama Ocllo, du lac de Titicaca comme des dieux marins, ou de les tirer du trou d’un cerro de Paucartampu comme des hiboux, nous ne verrons en eux que ce qu’ils sont réellement, c’est-à-dire une fraction infime et le dernier débris de ces colonnes voyageuses qui, descendues jadis des plateaux asiatiques, leur berceau primitif, s’épandirent et rayonnèrent dans tous les sens sur le monde antique.

TYPES D’INCAS
Tirés de l’Arbre généalogique ou Descendance impériale. (Document inédit.)

Dans l’état actuel de nos connaissances, s’il est à peu près impossible de préciser l’époque du premier déplacement de cette civilisation voyageuse, et la durée des haltes qu’elle fit en différents lieux avant d’atteindre le continent américain, on a du moins pour se renseigner sur son origine, son point de départ et la route qu’elle dut suivre, le type de ses représentants indigènes, leurs mœurs, leurs lois, leurs institutions religieuses, leur système de chronologie, leurs fables cosmogoniques et la configuration de leurs édifices encore debout sur le sol.

Il est probable que les premières communications entre l’Asie et’Amérique’eurent lieu par le détroit de Behring.

L’étude anthropologique de la population américaine dont les variétés de type peuvent être ramenées à deux types fixes et primordiaux, le type indigène que nous appellerons volontiers américano-mongol et le type irano-arien, soulève naturellement la question suivante : La race américaine est-elle autochtone ou doit-on la considérer comme une race d’émigrants de souche asiatique ? Sans préjuger cette question que nous posons en passant, laissant à d’autres le soin de la résoudre, nous remarquerons toutefois que si la race américaine est réellement autochtone, comme l’ont prétendu Morton, Pritchard, Robertson, Blumenbach, elle a avec la race mongole une analogie singulière qu’on ne sait comment expliquer ; mais si sa présence sur le nouveau continent résulte d’un déplacement des hordes asiatiques, sa parfaite ressemblance avec celles-ci, dont on a lieu de s’étonner, se trouve alors naturellement expliquée.

De ces deux types précités, le type indigène ou américain-mongol, selon qu’on voudra l’appeler, est celui qui domine dans les deux Amériques et caractérise la majeure partie de leur population. Toutefois on ne doit voir dans la race autochtone ou asiatique à laquelle il s’applique, que le simple élément colonisateur. L’élément civilisateur est représenté par la race irano-arienne dont le type s’est conservé jusqu’à nous à travers les siècles, sinon dans sa pureté originelle, du moins assez caractérisé encore pour qu’il ne soit pas permis de le méconnaître. Ce type est celui des premières nations qui s’établirent dans la Nouvelle-Espagne, d’où elles passèrent dans le Canada, la Louisiane, les Florides et le Yucatan, et pénétrèrent dans l’hémisphère sud par les plaines du Popayan et de la Guyane. Les sculptures des Tlascaltèques, des Chichimèques et des Toltèques, les peintures hiéroglyphiques des manuscrits aztèques, nous ont fidèlement transmis ce type qu’on retrouve encore aujourd’hui chez quelques tribus nomades de l’Amérique du Nord, et dans l’Amérique du Sud, chez les Aymaras et les Quechuas et chez un grand nombre d’Antis et de Chontaquiros, tribus sauvages qui vivent sur la rive gauche du Quillabamba Santa Ana, à l’est de la chaîne des Andes.

Bien que de prime abord il puisse sembler surprenant de retrouver au cœur de l’Amérique le type, les institutions et les monuments des anciens peuples de l’Asie, la chose cessera de paraître extraordinaire si l’on examine les divers territoires de ces peuples, situés sur les versants des grandes chaînes, commandant les contrées environnantes du nord, du sud, de l’est et de l’ouest, reliés les uns aux autres de façon à former un tout homogène et compacte, ceux du Zend à ceux des anciens États libres de l’Inde, — les pays des peuples sans rois, — ceux-ci au Bramavartha et à l’Aaryavartha, — pays de Brahma et des Ariens nobles, — ces derniers touchant au Madhya-Desa, pays du centre au delà duquel commençait la population primitive non arienne, tous pouvant communiquer par les provinces de la Perse avec la Chaldée et l’Égypte, par les provinces du Thibet avec l’Indo-Chine et les contrées septentrionales de l’Asie. Jamais, comme on voit, pente géographique ne fut plus naturellement tracée à l’écoulement des peuples. Ces plateaux de l’Iran, du Zend, de l’Aria, réservoirs anthropologiques, sont comme les lacs des régions alpestres dont l’eau peut dormir longtemps immobile, jusqu’à ce qu’une crue subite, phénomène mystérieux, la chasse de son lit et la répande en mille sources.

Des témoignages historiques confirment l’établissement dés Indous dans des contrées situées à l’est de leur territoire, et cela dès l’antiquité la plus reculée. On les voit traverser avec la mousson du nord-est[5] le golfe d’Oman et s’établir dans la partie méridionale de l’Arabie et l’île de Socotora pour y faire le commerce de l’or avec les Égyptiens. Nulle part au contraire il n’est fait mention d’établissements fondés par eux dans les contrées du nord de l’Asie. Il est vrai que, de ce côté, rien n’attirait leur attention ni ne sollicitait leurs instincts commerciaux. Depuis la migration inconnue et contemporaine peut-être des premiers âges du monde, qui conduisit les Misraïtes (fils du Soleil) du cœur de l’Asie dans la vallée du Nil, l’Égypte était restée en possession des traditions et des idées, elle était le centre d’une grande culture intellectuelle et l’entrepôt commercial du monde connu ; sa prépondérance sur les contrées voisines était solidement établie, et les regards des peuples étaient attirés par le rayonnement qu’elle projetait autour d’elle. Ce n’est donc pas à des besoins de civilisation ou de commerce, ou même d’agrandissement territorial qu’on peut raisonnablement attribuer le déplacement des populations ariennes vers les parties septentrionales de l’Asie. Aucun schisme religieux, aucune persécution systématique dont l’histoire fasse mention[6], ne motiva non plus chez elles l’abandon de leurs foyers primitifs. Or, en l’absence de certitudes historiques qui jettent quelque clarté sur les causes de ce déplacement, ne peut-on pas supposer que la pression exercée sur ces populations par les premières conquêtes des pharaons thébains[7], antérieures de neuf siècles à celles de Rhamsès-Meïamoun, conquêtes limitées d’abord aux rives de l’Indus, mais qui s’étendirent ensuite au delà du Gange, et que l’invasion macédonienne compléta plus tard en mettant face à face la civilisation des Hellènes et celle des Indous, ne peut-on pas supposer, disons-nous, que ces graves événements qui changèrent la face du monde, durent agir puissamment sur l’esprit des populations ariennes et déterminer chez elles ces migrations qui nous étonnent et que nous ne pouvons expliquer ?

En abandonnant les plateaux asiatiques où elles avaient pris naissance, ces populations emportèrent, avec l’idée d’un culte primitif, leurs mythes cosmogoniques, leurs cycles de régénération, leurs mœurs, leurs arts, leur industrie et leur langage. Mais les régions nouvelles qu’elles eurent à traverser, les haltes séculaires qu’elles firent en divers lieux, leur contact immédiat avec d’autres peuples, le mélange des races qui dut s’ensuivre, enfin les modifications successives apportées dans leur constitution par l’influence des climats et des lieux où elles séjournèrent, toutes ces causes démoralisatrices, si elles n’effacèrent pas chez ces populations la notion pure du passé, en altérèrent sensiblement la forme. Empruntant aux milieux qu’elles traversaient des formules de langage et des idées nouvelles, elles y laissèrent aussi d’elles-mêmes quelque chose en passant. De là ces analogies et ces dissemblances que nous remarquons aujourd’hui dans la langue et les mœurs des peuples de leur descendance.

Il serait donc peu rationnel de rechercher ailleurs que dans les réions asiatiques la source des grands courants civilisateurs qui ont fécondé l’Amérique pour la première fois ; mais il serait en même temps peu sensé de prétendre que ces courants ont afflué sur le nouveau continent à une seule époque et sous un volume égal. Tout fait croire, au contraire, que la civilisation américaine a eu des temps d’arrêt, longues phases de torpeur et d’engourdissement, où, repliée sur elle-même, elle est restée stationnaire, jusqu’à ce qu’une impulsion nouvelle lui fut donnée par la mère patrie, dont les navigateurs phéniciens, étrusques, arabes étaient alors les plus actifs mandataires. S’il en avait été autrement, on retrouverait chez tous les descendants des premiers colons asiatiques les formules exactes d’un même dogme, des mœurs identiques, une architecture absolument semblable. Or, entre les nations de la Nouvelle-Espagne et celles du continent méridional, si l’idée fondamentale du culte est toujours la même, chez les uns sous sa figure abstraite, chez les autres sous sa forme concrète ; si les traits généraux dans l’ordre physique et dans l’ordre moral sont communs aux deux groupes de nations, de façon à prouver la communauté de leur origine et de leur point de départ, il existe en même temps chez elles des différences assez tranchées pour les séparer hiérarchiquement et établir la suprématie des premières sur les secondes. Cette suprématie n’a d’autre cause que la scission qui dut s’opérer au principe entre ces nations et qui, nous l’avons dit plus haut, laissa les premières en communication avec les idées qui continuaient d’affluer du sud de l’Asie, tandis que les secondes, par leur éloignement progressif, cessèrent d’en ressentir l’influence ou ne la ressentirent que faiblement. On voit, en effet, après la séparation des deux groupes de peuples sur les plateaux du haut Mexique, les premiers se constituer gardiens et dépositaires de la tradition du passé, des mythes religieux et des idées cosmogoniques de l’Inde et de l’Égypte. Leur facies, la nuance de leur teint, leur chevelure lisse et nattée, leurs vêtements blancs ou bariolés de couleurs vives, tout en eux rappelle les races namou et rot-enne-rôme et le double rameau sémitique et japétique dont elles sont issues. Les chefs pontifes qui gouvernent ces peuples et régissent leur culte, les rois législateurs qui leur donnent des lois, sont des hommes à longue barbe, aux vêtements amples et flottants, qui semblent continuer en Amérique les castes théocratique et guerrière de l’Orient. Des siècles s’écoulent depuis le départ de ces peuples des régions ou ils ont pris naissance. Établis sur un continent nouveau, ils continuent de recevoir de la vieille Asie, l’alma parens, les germes d’une civilisation progressive. L’écriture hiéroglyphique est naturalisée chez eux. L’usage du papyrus (maguey) y est introduit. Leur architecture, qui s’était bornée à copier de mémoire les lourdes maçonneries primitives de l’Inde et de la haute Égypte, entre dans une voie nouvelle ; tout en conservant aux temples, aux palais, aux monuments les formes hiératiques et immuables des anciens édifices, cette architecture, renaissance de l’art, couvre leurs murs d’une ornementation élégante et compliquée où se retrouvent les délicates fantaisies du style grec de l’époque macédonienne. Les monuments deTéotihuacan dans l’État de Mexico, ceux de Culhuacan, de Guatusco et de Papantla dans l’État de Chiapa, le temple de Chichen-Itza dans le Yucatan, nous sont restés comme de magnifiques spécimens de l’art américain différentes époques[8].

Sous la dynastie des empereurs aztèques, la civilisation américaine atteint son apogée. Cérémonies du culte, pompes extérieures, lois somptuaires, tout y revêt ce luxe insensé des satrapies persanes, auquel¢ Fernand Cortès va mettre un terme, comme, dix-neuf siècles avant lui, l’avait fait Alexandre le Grand à l’égard des provinces de la Médie, de la Babylonie et de la Perse.

Si des premiers peuples nous passons aux seconds, nous les verrons après leur séparation du groupe primitif et leur introduction sur le continent sud, errer à travers les régions boisées du Vénézuela et de la Guyane, laissant sur les rochers de l’Orénoque et du Cassiquiare, sur les bords du rio Cauca, comme une attestation figurée de leur passage. Parmi ces hordes voyageuses, il en est qui font une halte de plusieurs siècles sur les plateaux de Bogota ; d’autres stationnent sous l’équateur et fondent dans le pays de Lican la dynastie des Conchocandos ; d’autres enfin poursuivent le cours de leurs migrations jusqu’au lac de Chucuytu et couvrent les alentours de Tiahuanacu de temples et de monuments. Observons en passant, qu’à mesure que ces peuples s’éloignent du foyer de culture intellectuelle dont la Nouvelle-Espagne est restée le centre, la notion pure du passé s’use et s’oblitère de plus en plus chez eux. Livrés à leurs propres forces, sans communications avec le reste du monde, se dérobant par leur éloignement à toute influence civilisatrice, ils retombent par degrés dans un état de décadence relative.

Le flambeau du progrès fut rallumé au Pérou par cette dynastie des Incas qui y importa le culte et les traditions déjà presque effacés de l’antique Orient.

La tradition locale dégagée des nuages qui l’enveloppent, fait sortir Manco-Ccapac et sa sœur Mama Ocllo, des vallées chaudes situées au delà de la Cordillère, à l’est du lac de Titicaca. Ces vallées comprises entre Apolobamba et les sources du rio Beni, appartiennent aujourd’hui à la Bolivie et sont communément désignées par le nom de Yungas de la Paz.

Porteur d’une verge d’or, emblème du pouvoir[9], le nouvel Horus, pasteur des peuples à venir, s’avance à travers les punas du Collao, suivi de sa compagne, et après une marche de quatre-vingts lieues dans la direction du nord-ouest, arrive sur les hauteurs de Huanacoté (aujourd’hui Huanacori) d’où il découvre une vaste quebrada circulaire entourée de montagnes, qu’il choisit pour lieu de résidence. La ville qu’il bâtira plus tard au centre de cette quebrada, portera le nom de Ccozcco, qui signifie point d’attache ou nombril.

Bientôt les peuplades des environs accourent à la voix de l’Inca, et subjuguées par le charme de sa parole et la douceur de ses enseignements qui leur rappelle peut-être un état primitif dont elles sont déchues, ces peuplades se rangent sous ses lois et passent de la vie de chasseur à la vie agricole. Pendant que Manco enseigne aux hommes à défricher la terre, à l’ensemencer, à creuser des canaux d’irrigation, Mama Ocllo apprend aux femmes à filer la laine des vigognes et des alpacas, à tisser les étoffes nécessaires aux vêtements de la famille et les initie à leurs devoirs d’épouse et de ménagère. Le plan d’une ville est tracée ; c’est un parallélogramme irrégulier, de peu d’étendue, développé du nord-est au sud-ouest, et qu’aucun mur d’enceinte ne clôt encore. Un ruisseau descendu de la Cordillère baigne en passant le côté sud de cette ville, que plus tard il coupera par le milieu, quand les règnes successifs de treize empereurs auront reculé dans le nord jusqu’à Huancarro et dans le sud jusqu’à Sapi, les bornes de l’acropole primitive.

L’inégalité du sol oblige à diviser la ville en deux faubourgs. Le faubourg Hurin (faubourg d’en haut) aujourd’hui quartier de San Grisloval et le faubourg Hanau (faubourg d’en bas) aujourd’hui quartier de la Cathédrale. Après la construction du palais de Manco dans le faubourg Hurin et celle des chaumières destinées au peuple, les premiers édifices qui s’élèvent dans le faubourg Hanan sont le temple du Dieu-Soleil et l’Accllhuaci ou palais des vierges consacrées son culte. Ces deux édifices, commencés par Manco, ne sont achevés que cinquante ans après la fondation de Gcozçco, par les soins de son fils aîné Sinchi Roca. Pendant un demi siècle, le temple du Soleil n’est qu’un enclos (chimpu) formé de pierres brutes, au milieu duquel un pilier carré, à peine dégrossi, qui rappelle l’hyrmensul ou pierre du soleil des druides, à la fois lettre de symbole, forme d’autel et le simulacre de la divinité.

Le temple du Soleil.

Après quelques années données à l’organisation de la ville naissante, Manco se met en quête des peuplades qui bornaient Ccozçco dans les quatre aires de vent. Sa recherche entreprise au nom du Soleil dont il se dit le fils et l’envoyé, a un double but religieux et politique, celui de répandre chez les infidèles le culte d’Hélios-Churi et d’augmenter en même temps le nombre de ses sujets et de ses possessions. Cette croisade apostolique qui dure plusieurs années, a pour résultat la réduction d’une vingtaine de peuplades disséminées dans un périmètre de dix lieues et l’annexion de leur territoire à l’empire. Sous Manco, cet empire a pour limites Quiquijana au sud, Ollantay-Tampu au nord, Paucartampu à l’est, Limatampu à l’ouest.

Après un règne d’une cinquantaine d’années, Manco meurt laissant le pouvoir aux mains de Sinchi Roca son fils aîné. Déjà l’empire est organisé ; la religion du Soleil est fondée, son pouvoir établi, son culte extérieur assuré, la voie politique à suivre nettement tracée ; Manco a tout prévu. Ses successeurs n’eurent qu’à continuer son œuvre. Et ils ne faillirent pas à cette mission, jusqu’à l’apparition des aventuriers de l’Europe sur les côtes du Pérou, c’est-à-dire pendant douze générations de rois[10].

Un temps viendra, nous l’espérons, où le concours actif des intelligences et l’application de moyens nouveaux aux recherches ethnographiques, amèneront la solution de bien des problèmes encore insolubles aujourd’hui. L’analyse archéologique des monuments américains restés debout sur le sol, éclaircira des points obscurs de la théogonie des peuples auxquels on les attribue, en même temps qu’elle nous apprendra les schismes religieux qui les divisèrent. L’anthropologie et la philologie, ces fils conducteurs des recherches antéhistoriques, aideront à ramener à un type primitif et à un langage primordial, les traits épars de la physionomie de ces peuples et leurs divers idiomes. On retrouvera la filiation de chacun d’eux ; on établira d’irrécusables preuves de leur fraternité native avec les peuples du groupe primitif ; enfin, on déterminera l’ordre chronologique de leurs déplacements, à partir des âges légendaires où la race humaine, comme un fleuve à sa source, s’épandit à travers le monde et en prit possession.

En attendant cette heure, laissons dormir dans la poussière du passé, le Cuzco antique et les Incas qui le fondèrent, et occupons-nous du Cuzco moderne, que nous retrouvons aujourd’hui, à peu près tel que le réédifia Pizarre après la conquête, et qu’en 1824 le laissa la Serna, dernier vice-roi du Pérou.

Vue générale de Cuzco.

À en juger par les pans de murailles qui, de San Juan de Dios aux hauteurs de San Blas, marquent les limites de l’ancienne ville et la protégent en même temps contre les éboulements du cerros, la ville moderne a peu gagné en étendue. Ce qu’elle a pu perdre comme caractère architectural est compensé par ce qu’elle a conquis sous le rapport de l’ordonnance symétrique, compensation médiocre aux yeux des voyageurs artistes, mais plus que suffisante pour les individus du genre positif.

L’aire de la ville actuelle, dont la figure est celle d’un parallélogramme irrégulier, développé du nord-ouest au sud-est, occupe une superficie d’environ trente mille mètres carrés, si on la mesure de l’Almudena à San Blas et de Santa Ana à la Recoleta. Un ruisseau torrent, le Huatanay, né dans la Cordillère de Sapi et courant du nord-est au sud-ouest, traverse la ville qu’il divise en deux parties inégales. Ce ruisseau, profondément encaissé, presque à sec en hiver, à courant vif dans les crues d’été occasionnées par la fonte des neiges de la Cordillère, est comme l’égout collecteur de Cuzco, qu’il débarrasse de ses eaux ménagères et de ses immondices.

Dans la partie ouest de la cité, les berges de ce ruisseau cloaque, reliées de loin en loin par des ponceaux, sont coupées à pic et revêtues de murailles d’un travail grossier. Disons bien vite que ces murs bruts sont historiques. Ils datent du règne des Incas, et, par égard pour leur ancienneté, les voyageurs archéologues qui chaque demi-siècle arrivent à Cuzco, ne manquent pas d’aller les étudier de près, malgré la puanteur des eaux squalides qui verdissent leur base, puanteur qu’au reste ces savants peuvent conjurer, en se bouchant le nez ou en le garnissant de tabac d’Espagne.

Le Ccozçco des Incas, divisé simplement en ville haute et basse, ne comprenait que deux quartiers appelés Hurin et Hanan. Le Cuzco des Espagnols comprend sept districts : la Cathédrale, Belen, Santiago, l’Hôpital, Santa Ana, San Cristoval et San Blas, lesquels sont divisés tant bien que mal en carrés ou cuadras, et donnent un total de trois mille maisons pour une population que les derniers recensements font monter à vingt mille trois cent soixante-dix âmes. Sur ces trois mille maisons, mille environ ne sont que d’affreux bouges dont cinq cents au moins sont des cabarets à chicha. Une rue tout entière, la rue de las Heladerias, est affectée au commerce des sorbets et des glaces. C’est dans cette rue que naquit vers le milieu du seizième siècle, d’une famille de sang illustre et d’une nuance de peau assez foncée, l’historiographe Garcilaso de la Vega. La maison paternelle de l’auteur de Los Commentarios Reales avait pour locataires, à l’époque où je la visitai, une blanchisseuse en fin, Sémiramis au petit pied, qui occupait le rez-de-chaussée et le premier étage où elle s’était créé, sur le rebord d’une fenêtre, un jardin suspendu avec des pots d’œillets et des cages d’oiseaux. Le second étage, habituellement décoré de ficelles tendues et de loques mouillées, était habité par un Indien borgne, qui dressait des chiens à faire l’exercice.

Cuzco, jadis capitale d’un vaste empire, aujourd’hui simple chef-lieu de département et siége d’évêché, possède avec sa cathédrale et quinze églises dont sept appartiennent à des communautés religieuses, quatre couvents d’hommes, San Francisco, la Merced, Santo Domingo et la Recoleta, trois couvents de femmes, Santa Teresa, Santa Catalina et Santa Clara, six béguinages, las Nazarenas, Santa Rosa, Santo Domingo, las Carmelitas de San Blas, las Franciscanas de Belen et San Francisco, sans préjudice de quelques maisons d’exercices spirituels, où, pendant les soirées de la semaine sainte, les deux sexes se renferment séparément, éteignent les lumières et s’étrillent à tour de bras, en expiation des péchés qu’ils ont pu commettre dans le cours de l’année.

Les églises et les couvents de Cuzco sont généralement construits en pierre dure, grès carbonifère, trachyte porphyroïde, granit feldspathique, au lieu d’être bâtis en bois, en torchis et en plâtre, comme ceux des villes du littoral. Cette différence dans le choix et la nature des matériaux, est motivée par la situation des derniers édifices au pied de la chaîne des Andes dans le voisinage de quelque volcan, et la fréquence des tremblements de terre auxquels ils sont exposés. De là l’emploi du badigeon sur leurs façades et ces nuances gris de perle, rose paille, cuisse de nymphe, dont l’architecte les empâte pour dissimuler la charpente du monument. Les édifices de Cuzco n’ont pas besoin de recourir à ces artifices vulgaires. Ils étalent dans sa couleur et sa nudité primitives la pierre dont ils sont bâtis, et sur laquelle le temps, la pluie et le soleil ont passé comme un vernis sombre. Leur physionomie a je ne sais quelle grandeur morne, quelle majesté taciturne, qui s’harmonise avec la tristesse du ciel, la rigidité du climat et les lourdes gibbosités des montagnes voisines.

La disposition, intérieure des églises est presque toujours celle d’une croix latine. Quelques-unes n’ont qu’une nef sans bas côtés, comme l’église des Pères de Jésus ; d’autres ont une nef principale et deux nefs secondaires, comme l’église de la Merced, ou trois maîtresses nefs et deux collatéraux, comme la cathédrale. Leurs voûtes en berceau, plus élevées du double que celles des églises du littoral, sont quelquefois lisses, quelquefois renforcées par des arcs-doubleaux et supportées par des colonnes engagées ou de simples pilastres. La décoration architecturale de ces églises est généralement très-simple à l’intérieur. Parfois cette simplicité s’étend à l’extérieur de l’édifice, dont toute l’ornementation se borne alors à un fronton triangulaire, engagé entre deux tours en saillie, supporté par des colonnes accouplées, et surmonté d’un étage percé de fenêtres carrées et décoré de colonnettes, comme la façade de la cathédrale. Parfois encore, cette ornementation emprunte au goût hispano-lusitanien des dix-septième et dix-huitième siècles son matériel de pinacles et d’acrotères, de pyramidions et de boules, auxquels elle ajoute le luxe des enroulements, des oves, des volutes, des pompons et des chicorées de cette bienheureuse époque. L’église des Pères de Jésus et celle de la Merced offrent sur leurs façades un assortiment assez complet de ces fantaisies. Remarquons toutefois que les diverses pièces de ce bric-à-brac architectural, au lieu d’être moulées en plâtre et rapportées après coup, comme sur les façades des églises du littoral, sont laborieusement taillées dans le trachyte ou le granit des Andes, circonstance qui fait gagner par le maçon la cause perdue par l’architecte.

Ce que nous avons dit déjà du luxe si complaisamment étalé par les églises d’Aréquipa, peut s’appliquer à celles de Cuzco. C’est la même profusion de richesses, amalgamées, combinées, selon tous les logarithmes de la piété naïve et du goût inintelligent. À voir, dans un jour de solennité religieuse, resplendir, sous le feu des bougies, les magnificences de ces églises aux autels bosselés d’une croûte d’or et de pierreries, on dirait que sachant tout ce qui leur manque du côté de l’art et du style, elles se sont flattées d’y suppléer par un grand étalage de richesses, comme certaines femmes se flattent de faire oublier leur laideur en exagérant leur parure.

La cathédrale de Cuzco, dont le maître-autel est en argent massif, ainsi que le retable et tous les ornements qui le couronnent, a dans les armoires de sa sacristie des richesses fabuleuses, reliquaires, ostensoirs, ciboires, calices, patènes, constellés de diamants, de rubis, de topazes et d’émeraudes, à rendre jaloux un pape de la chrétienté du temps où les papes armaient des galères. Il est vrai que l’architecture du monument, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, est peu digne du coffre-fort de tant de richesses. Bâtie sur un terre-plein à l’endroit où s’élevait au quatorzième siècle le palais de l’Inca Viracocha, elle présente, comme nous l’avons dit, la disposition d’un carré long, aux deux tiers duquel deux tours font saillie. Des colonnes accouplées séparent les trois portes de sa façade, décorée d’un fronton quelconque. Des fenêtres carrées, flanquées de colonnettes, couronnent l’architrave et font comme un premier étage à l’édifice. Ajoutons que le grès trachytique dont il est bâti a pris en vieillissant une teinte de suie, qui contraste fort avec la blancheur calcaire des coupoles de ses cinq nefs et de ses deux clochers.

L’intérieur du vaisseau se compose d’un pronaos ou narthex ouvrant sur trois maîtresses nefs et deux collatéraux pourvus de chapelles. La plus célèbre de ces chapelles, la seconde à droite en entrant, est celle du Señor de los Temblores ou Christ des tremblements de terre. Nous y reviendrons en détail en parlant des fêtes religieuses et des processions de Cuzco. Les rares ouvertures ménagées dans les parois de l’édifice, permettent à peine à la lumière d’en éclairer l’intérieur ; les retombées des voûtes de ses trois nefs et les piliers qui les supportent, ajoutent encore à cette obscurité, que l’air du dehors rend glaciale. Le seul rayon, le seul flambeau, qui éclaire et réchauffe un peu ces ténèbres, le seul joyau inestimable parmi tous les joyaux sans prix que possède cette lugubre basilique, c’est un Christ en croix qui décore sa sacristie, splendide peinture de la seconde manière de Murillo.

Autour de la cathédrale s’étend un atrium ou parvis, bordé d’une muraille à hauteur d’homme, coupée de distance en distance par des socles surmontés de pyramidions. Le long de ce mur, et comme pour rompre l’uniformité de sa ligne droite, règne un pittoresque cordon de bannes de toile et de grands parapluies, sous lesquels des industriels des deux sexes étalent à la vue des passants des guenilles sordides et d’épais souliers à six rangs de clous, comme en usent les gouverneurs et les alcades fashionables des villages de la Sierra.

Une tradition que les Nestors indigènes à peau brune et à longues tresses ont répandue parmi le peuple, place un lac sous la cathédrale. Ce lac, dont l’onde est calme et comme endormie pendant toute l’année, s’enfle, bouillonne et bat sourdement les dalles du chœur, le jour anniversaire de l’entrée à Cuzco des conquérants espagnols (13 novembre 1532). Ce jour-là, jour de deuil pour les indigènes, il n’est pas rare, en traversant la place du parvis, de voir quelques âmes crédules agenouillées dans la poussière et l’oreille au niveau du sol, écouter de l’air le plus sérieux du monde si l’onde fatidique ne murmure pas.

Place et cathédrale de Cuzco.

Une église en pisé, bâtie par Francisco Pizarre et consacrée par Vicente Valverde son aumônier, occupa pendant trente-six ans l’emplacement actuel de la cathédrale. En 1572, le vice-roi Francesco Toledo fit jeter bas cette bicoque et creuser les fondements d’une nouvelle église. Une somme de trois cent soixante mille francs fut d’abord affectée à sa construction ; puis cinquante ans s’écoulèrent, et comme cette église, pareille à la toile de Pénélope, se poursuivait toujours sans jamais s’achever, que de nouvelles sommes, incessamment votées, venaient s’ajouter aux premières, Philippe IV, impatienté, demanda un jour si on comptait la faire en argent massif. Le mot royal eut du succès ; après avoir fait le tour de l’Espagne, il arriva en Amérique. On ne sait s’il stimula le zèle de l’entrepreneur, mais après quatre-vingt-deux ans de travaux, la cathédrale était achevée. Elle avait coûté soixante-cinq millions de francs. La chose paraît incroyable, quand on considère aujourd’hui ce triste édifice[11] !

Sa dédicace eut lieu le 15 août 1654 ; mais auparavant il fallut déblayer les abords de l’église, rendus impraticables par l’alluvion due aux travaux de près d’un siècle. Tous les chanoines, enflammés d’un saint zèle, passèrent à leur bras un cabas de jonc et se mirent à enlever la terre, les moellons, les gravats, qui formaient autour du lieu saint des montagnes et des vallées[12]. L’exemple des chanoines fut suivi par le corrégidor et par quatre chevaliers de Calatrava ; puis les curés de la ville et ceux des environs arrivèrent en foule suivis de leurs vicaires, les moines de quatre ordres vinrent également donner un coup de main, les dames de la ville imitèrent les moines, et bientôt la population tout entière se mit de la partie et travailla comme un seul homme, jusqu’à achèvement de la besogne qui dura cinq jours et cinq nuits.

À la droite de la cathédrale, objet d’un si vif enthousiasme, et se rattachant à la masse de l’édifice, s’élève la chapelle dite du Triomphe, qui n’était au principe qu’une cahute en terre, humble dépendance de la première église construite en terre aussi. Pendant une émeute excitée par les partisans de l’Inca Manco, frère de Huascar, un parti d’Espagnols s’étant réfugié dans cette chapelle pour échapper à l’incendie que les Indiens avaient allumé sur plusieurs points de la cité, fut miraculeusement préservé des flammes par l’intercession de la Mère de Dieu. C’est là cette chapelle en pierre à coupole de chaux qu’on éleva depuis pour perpétuer le souvenir du miracle, chapelle au seuil de laquelle, le jour de l’Assomption de chaque année, les Indiens des deux sexes dressent un reposoir, chantent, dansent, mangent, boivent, s’enivrent et se gourment très-dévotement en l’honneur de celle qu’ils appellent Jesu mamachay, la chère mère de Jésus.

Depuis l’an de grâce 1538, où fray Vicente Valverde, ce moine doublé d’un bourreau, fut nommé second évêque[13] de l’édifice en terre à toiture de paille, qu’une bulle papale de Paul III avait élevé dès 1537 au rang d’église épiscopale ; depuis cette époque, disons-nous, jusqu’en 1843, où don Eugenio Mendoza y Jara fut nommé évêque par Sa Sainteté le pape Grégoire XVI, vingt-huit évêques y compris ce dernier, se sont succédé dans le gouvernement spirituel de Cuzco.

À droite de la plaza Mayor dont la cathédrale occupe le côté sud-est, s’élève sur l’emplacement du palais de Capac Yupanqui et de la ménagerie de serpents que cet Inca y avait annexée, l’église de la compagnie des Pères de Jésus. Cet édifice bâti en grès carbonifère est d’une assez fière tournure, malgré le goût hispano-lusitanien des sculptures de sa façade dont les détails baroques sont traités néanmoins avec beaucoup de soin. Depuis l’expulsion des Jésuites, cette église était restée fermée au culte, lorsqu’en 1824 les patriotes, à leur retour d’Ayacucho, enfoncèrent ses portes au nom de la liberté sainte et la transformèrent en corps de garde. Après la proclamation de l’indépendance, elle fut fermée de nouveau jusqu’au jour où l’idée nous étant venue d’en demander les clefs au sous-préfet de Cuzco, don José Grégorio Llanos, nous la fîmes rouvrir au grand ébahissement de quelques indigènes qui traversaient la place en ce moment et qui accoururent à toutes jambes dans l’espoir d’entrer à notre suite. Mais le pongo qui nous accompagnait, ferma lestement la porte bâtarde pratiquée dans un des ventaux de la porta regia et trompa la curiosité des badauds.

Église des Jésuites, à Cuzco.

Cette église dont les habitants de la ville ne connaissent guère que l’extérieur, se compose à l’intérieur d’une seule nef dont la voûte en berceau repose sur un entablement porté par des pilastres cannelés d’ordre corinthien composite. À l’entrée, une vaste tribune supportée par des piliers carrés, forme comme un vestibule ou pronaos à l’édifice. Aucune chapelle n’interrompt les grandes lignes de la nef qui se développent dans une majestueuse sévérité jusqu’au sanctuaire arrondi en hémicycle et séparé de la nef par une balustrade en pierre. L’église, au reste, était complétement dépourvue des objets relatifs au culte. Son unique autel avait disparu. Nul tableau, nulle croix, nul ex-voto pieux n’était resté cloué à ses murailles, dont la pierre d’un ton de rose sèche était d’une propreté remarquable.

En allant et venant sur les larges dalles où nos pas éveillaient un écho sonore, nous ramassâmes quelques fragments de sculptures détachées d’une chaire dont la place indiquée par des crampons de fer était encore visible sur le mur de droite. Parmi ces débris, se trouvait une tête d’ange cravatée de ses ailes, grosse comme le poing, d’une expression charmante et d’une délicatesse d’exécution qui faisait honneur au ciseau du Berruguète indigène auquel elle était due.

Dans la tribune où nous montâmes par un escalier en pierre bordé d’une rampe en bois sculpté, d’un joli travail, les orgues étalaient encore leurs batteries de tubes de différents calibres, mais descellés et visiblement penchés les uns sur les autres, comme les arbres d’une forêt dans un coup de vent. Les touches du clavier étaient décollées ; les vers avaient rongé le buffle des marteaux et de grandes toiles d’araignées enveloppaient comme d’un linceul ce pauvre corps harmonieux dont l’âme était partie.

Devant la balustrade qui séparait le sanctuaire de la nef, bâillait une ouverture de quatre pieds carrés, pourvue d’un escalier dont on n’apercevait que les premières marches : le reste se perdait dans une ombre noire. Suivi de l’Indien porte-clefs, que cette église vide et ce trou ténébreux impressionnaient visiblement, je tentai la descente. Une vingtaine de degrés nous conduisirent dans la crypte de l’église, divisée en cellules carrées dont les murs, d’une propreté singulière, semblaient avoir été récemment blanchis. Ces cellules avaient servi autrefois de caveaux funéraires. Quelques cercueils ouverts et vides s’y trouvaient encore. La forme des cadavres qu’ils avaient renfermés était indiquée sur la planche du fond par une silhouette couleur de sépia. Des lambeaux de suaire en coton du pays (tocuyo) pendaient accrochés aux clous de ces bières. La nuit, à la lueur d’une torche, ce spectacle eût été fort peu rassurant ; mais il était midi, la crypte était inondée d’air pur et de soleil, entrant par des fenêtres grillées, une mauve en fleur se courbait et se redressait au souffle du vent, et les détails lugubres que je relevais un à un, n’éveillèrent en moi qu’un sentiment de paisible mélancolie. Il n’en fut pas de même de mon compagnon, qui, en se retrouvant dans la rue, m’assura que la vue de ces cercueils et leur odeur de pourriture humaine lui avaient si fort soulevé le cœur, qu’il se voyait contraint d’aller boire un flacon d’eau-de-vie chez un pulpero de sa connaissance. J’approuvai son idée, et en lui mettant deux réaux dans la main, je le chargeai d’offrir mes remercîments à son maître.

Après l’église des Pères de Jésus viennent les églises de San Augustin et de l’Almudena, toutes les deux élégamment construites, toutes les deux fermées au culte, ce qui implique une certaine indifférence en matière de religion chez les Cusquéniens de notre époque. Toutefois ces deux églises, bien que sans prêtres et sans autels, ne sont pas vouées à une entière solitude. Le positivisme, en les dépouillant de leur prestige sacré, a su tirer parti des avantages qu’elles pouvaient offrir. Un cellége avec tout son matériel de bancs, de tables et de pupitres s’est installé dans la première et y est à l’aise. Dans la seconde, desservie autrefois par des religieux bethléémites, une société de philanthropes a transféré l’hospice dit de Saint-André, fondé à l’intention de pauvres femmes, — action qu’on ne peut trop louer, mais en ayant soin de s’approprier la vaste maison primitivement affectée à cet usage par le fondateur du susdit hospice, de la faire vendre aux enchères et de s’en partager le prix, — dol qu’on ne saurait trop flétrir.

Cette revue architecturale des églises de Cuzco nous conduit naturellement à parler du clergé, chanoines, curés et vicaires qui desservent ces mêmes églises et chantent sous leurs voûtes les louanges de Dieu dans un latin auquel l’usage de l’idiome quechua donne un accent traînard et une prononciation gutturale qui choquent l’oreille des partisans de l’euphonie.

Prêtres et séminariste indigènes.

Ces respectables prêtres, gens du monde par leurs manières et gais vivants par leurs propos, joignent habituellement à l’instruction générale qu’ils peuvent posséder, une science spéciale qui leur fut toujours sympathique et dont ils ont puisé les premières notions dans des recueils et dans des livres qui leur sont tombés sous la main. Chacun d’eux a choisi selon les circonstances ou la pente de son esprit, qui la géographie, qui la physique, qui la chimie ou les mathématiques transcendantes. Cette science qu’ils professent publiquement, afin que le fruit de leurs veilles et de leurs études soit profitable à la jeunesse, est contenue en substance dans un manuel par demandes et réponses, qu’ils ont laborieusement rédigé et que leurs élèves, dont l’âge varie entre seize ans et vingt-quatre, sont tenus d’apprendre par cœur après l’avoir écrit sous leur dictée. Ceux de ces prêtres qu’aucune science spéciale ne recommande à l’attention, se contentent de professer, par amour du professorat, la théologie scolastique, la théologie canonique on la théologie mystique, trois sciences comprises dans le programme d’études d’une éducation libérale à Cuzco. Le costume de ces chanoines et de ces curés indigènes est à peu près celui du clergé espagnol, moins la qualité de la dentelle des manchettes, plus les doubles boutons en or qui les attachent aux poignets et le vaste parapluie en taffetas rouge, complément obligé d’une toilette ecclésiastique au pays des Incas.

Les mœurs du clergé cusquénien sont douces et paisibles, et rappellent un peu celles des temps bibliques et des âges patriarcaux. La plupart d’entre eux ont des nièces dont la mère, qu’ils n’appellent jamais leur sœur, par égard pour la bienséance, remplit habituellement dans la maison l’office de ama de llaves ou de gouvernante. Quelques-uns recueillent une orpheline ou une pauvre jeune veuve dont ils adoptent les enfants. Ces œuvres pies, chez les bons prêtres de Cuzco, sont dictées par un pur amour du prochain, par l’horreur de l’isolement et par ce besoin inhérent aux belles natures de s’entourer d’affections vraies.

La sollicitude de ces ecclésiastiques pour les êtres qui les entourent est paternelle et tendre, et leur dévouement absolu. Non-seulement ils partagent avec eux tout ce qu’ils possèdent et pourvoient à tous leurs besoins, mais même à l’occasion ils s’imposent des privations et font des sacrifices pour leur donner le superflu. Un négociant a-t-il reçu de la côte du Pacifique quelque article de mode ou de nouveauté, bien vite le chanoine, si c’est un chanoine, ou le curé, si c’est un curé, fait part de la bonne nouvelle à sa famille d’adoption, et convient avec elle du jour où l’on ira voir l’article en question. Ce jour venu, la famille se met en marche. On arrive à la tienda du négociant, où le révérend entre seul pour examiner les étoffes et en débattre le prix. La veuve et ses enfants se tiennent l’écart ; il arrive parfois que le chanoine ou le curé, indécis dans le choix de deux étoffes de qualités distinctes et partant de prix diiférents, fait un signe de tête à sa protégée, qui s’avance timidement.

Un chanoine de mes amis, professeur de physique expérimentale.

« Que le parece a Ud. — Que vous en semble ? lui demande le révérend.

— Je suis en tout de l’avis de mon señor padre, » répond invariablement la veuve en montrant du doigt la plus belle et la plus chère des deux étoffes.

L’homme de Dieu fixe définitivement son choix, fait couper l’étoffe et confectionner le paquet, et le mettant sous son bras, dit gracieusement au marchand : « Je vous enverrai l’argent dans quelques minutes. » Presque, toujours ces minutes canoniales ou cléricales durent un an ou dix-huit mois ; il en est qui sont éternelles.

Paul Marcoy.

(La suite à la prochaine livraison.)



  1. Suite. — Voy. t. VI, p. 81, 97, 241, 257, 273 ; t. VII, p. 225 et la note 2, et 241.
  2. Salvia splendens peruviana.
  3. C’est dix qu’il faudrait dire, car les statisticiens du pays considèrent comme faubourgs de Cuzco les villages de San Sebastian et de San Jeronimo, bien qu’ils soient séparés de la ville par une plaine d’environ douze kilomètres carrés (voy. p. 252 et 253).
  4. Dans un voyage sur la côte ou dans la Sierra, où l’on se sert habituellement de mules de louage, le harnais de la bête est toujours fourni par le voyageur et jamais par le muletier qui la loue.
  5. En malais mussim. Celle du nord-est est désignée par le nom de mussim de Malabar, celle du sud-ouest par celui de mussim d’Aden. Les navigateurs arabes la nommaient maussim, et les Grecs hippalos.
  6. L’établissement du bouddhisme dans l’Inde ne remonte guère qu’à six siècles avant notre ère. Quant aux persécutions dont il fut l’objet de la part des brahmes, persécutions qui déterminèrent les prêtres et les sectateurs de Bouddha à émigrer vers le nord de l’Asie, les historiens leur assignent pour date les premières années de l’ère chrétienne.
  7. Environ deux mille deux cents ans avant l’ère chrétienne.
  8. Voy. tome V, premier semestre de 1862.
  9. Quelques modernes ont parlé, mais a tort, d’un coin d’or. — Les textes espagnols concordants à l’égard de — una vara de dos pies de large y un dedo de grueso — ne comportent pas d’équivoque.
  10. Au grand regret de la rédaction du Tour du Monde, le cadre de ce recueil n’a pu admettre le curieux et savant mémoire que l’histoire indigène du Pérou et les antiquités de Cuzco ont inspiré à M. P. Marcoy. Heureusement le public scientifique retrouvera ce beau travail tout entier et inédit, illustré par l’arbre généalogique des Incas, dans la relation complète que cet écrivain érudit prépare de ses longs voyages.
  11. Les auteurs espagnols ont relaté comme un chiffre exorbitant les cinquante ans de travail qu’avait nécessités l’édification de la forteresse du Sacsahuaman ; mais aucun d’eux n’a fait mention des quatre-vingt-deux ans employés à la construction de la cathédrale, ou s’est contenté de les indiquer par deux dates. — Ajoutons que de pareils chiffres, qui, partout ailleurs qu’au Pérou, auraient une valeur significative, ne prouvent ici qu’une chose : c’est que l’Indien du continent sud, très-nonchalant de sa nature, met à ce qu’il fait vingt fois plus de temps qu’il n’en faut.
  12. Alturas empinadas y hondos valles, dit le manuscrit du docteur Carrascon auquel nous empruntons ces détails.
  13. Le premier évêque de Cuzco fut don Fernand de Luque y Olivera. Fray Vicente Valverde ne resta que trois ans en possession de son évêché. Il fut assassiné ou assommé, on ne sait au juste, par des Indiens de la province de Ouispicanchi.