Voyage de l’Océan Pacifique à l’Océan Atlantique, à travers l’Amérique du Sud/28

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Arrivée des néophytes sur la plage de Sarayacu.


VOYAGE DE L’OCÉAN PACIFIQUE À L’OCÉAN ATLANTIQUE, À TRAVERS L’AMÉRIQUE DU SUD


PAR M. PAUL MARCOY[1].


1848-1860. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS[2].




PÉROU.




NEUVIÈME ÉTAPE.

DE SARAYACU À TIERRA BLANCA.


Arrivée des néophytes à Sarayacu. — Explications à la clarté des torches. — Un Yankee mécanicien. — Départ des visiteurs. — Les membres des commissions-unies s’endorment pêle-mêle dans l’attente du lendemain. — Réveil sur la plage. — Où la supériorité du singe sur l’homme est suffisamment démontrée. — Départ précipité pour la Mission de Sarayacu. — Qui traite de la façon dont l’auteur de ces lignes perdit son soulier gauche et ce qui s’ensuivit. — Aspect des grands bois. — Belen. — Rencontre dans un sentier désert. — Que l’homme brave de la veille est quelquefois l’homme poltron du lendemain. — Arrivée à Sarayacu. — Présentation officielle. — Honneurs rendus au comte de la Blanche-Épine. — Banquet avec danse et musique. — Spécialité du comte de la Blanche-Épine pour les portraits à la manière noire. — Lamentations du capitaine de frégate. — Aux grands maux les grands remèdes. — Où l’auteur s’afflige du départ de ses compagnons, et se réjouit à l’idée de rester seul dans leur cellule.

De l’admiration à l’envie, il n’y a qu’un pas, dit l’adage. Après avoir admiré sans réserve le noble personnage qui, pareil à la chrysalide du sphinx, longtemps tapie dans son cocon obscur, venait d’en briser l’enveloppe et se produisait devant nous sous sa nouvelle forme de papillon nocturne, nous nous surprîmes à jalouser secrètement sa toilette diplomatique, que faisait ressortir avec plus d’avantages encore le triste état de nos costumes, salis par les ocres et les glaises, mis en lambeaux par les épines et souillés par la graisse des déjeuners et des dîners que nous avions faits sans serviette sous le chaume de cinq nations.

Ce n’est pas que la tenue du chef de la Commission française fût superlative et irréprochable, et sans le voisinage de nos guenilles qui lui servaient de repoussoir et la faisaient valoir, comme on dit en peinture, elle eût laissé peut-être à désirer. Ainsi, un dandy parisien n’eût pas manqué de remarquer que l’habit, court de basques et d’une coupe surannée, était déjà usé aux coudes ; que les jambes du pantalon remontaient à trois pouces au-dessus des chevilles ; que les souliers, rougis par l’eau et bleuis par la moisissure, appelaient en vain le cirage à l’œuf ; qu’enfin le chapeau gris, bosselé, aplati, déformé par les pluies et séché à rebrousse-poil par le soleil, n’allait pas de pair avec l’habit noir ; mais cette part faite à la critique, ou plutôt donnée en pâture au petit serpent de l’envie qui frétillait dans le cœur de chacun de nous, les défauts que nous venons de signaler disparaissaient dans l’ensemble, et l’effet général du costume restait satisfaisant.

Sa transformation opérée, le comte de la Blanche-Épine avait remis à l’esclave malgache, son cuisinier, des lettres dont il avait eu soin de se munir à Lima, et qui l’accréditaient auprès des religieux de Sarayacu. Malgré l’induité de l’heure et les rauquements des jaguars qu’on entendait sous bois, l’esclave reçut l’ordre de porter sur-le-champ ces lettres à leur adresse. Nous le vîmes partir et disparaître au seuil de la forêt qui sembla s’ouvrir et se refermer sur lui comme une gueule sombre. Les préparatifs du souper, un moment suspendus par ces incidents, se poursuivirent de nouveau. Chacun de nous, pour réparer le temps perdu, mit la main à la pâte, soufflant le feu, l’entretenant de combustible, écumant le potage ou vérifiant son degré de salure. Dédaigneux de ces soins vulgaires, le chef de la Commission française était allé s’asseoir près d’un foyer inoccupé, et examinait tour à tour, avec une satisfaction visible, sa toilette relativement irréprochable et ses ongles démesurés, auxquels un polissage continu avait donné le lustre des agates.

Vers dix heures, las de causer et de fumer des cigarettes, nous allions nous blottir sous nos moustiquaires et demander au sommeil la réhabilitation de nos forces, quand les sons d’une cloche fêlée retentirent dans le lointain. Nous ouvrîmes toutes grandes nos deux oreilles. La cloche cessa de tinter, et un chœur de voix étranges s’éleva dans le silence de la nuit. Dans le nocturne chanté à pleins poumons par ces voix inconnues, nous ne tardâmes pas à reconnaître un cantique à l’usage des Quecheus de la Sierra. Comme nous nous communiquions nos impressions diverses au sujet de ce chant pieux et inattendu, un brouhaha de cris féroces et d’appels discordants succéda à la mélopée liturgique. Le bruit, de plus en plus distinct, paraissait sortir des massifs de verdure qui nous cachaient la petite rivière de Sarayacu. Dans l’idée qu’on cherchait à se renseigner sur notre compte, tout en nous faisant savoir que des amis nous arrivaient, nous répondîmes aux cris sauvages que nous venions d’entendre par des cris à peu près pareil. Quelques minutes après, une grande pirogue éclairée par des torches et montée par des rameurs vêtus de blanc, sortait de l’ombre des verdures et, rasant la plage, venait s’arrêter par le travers de notre campement. Les hommes qui la conduisaient débarquèrent, et guidés par l’un d’eux, qu’à sa blancheur on pouvait prendre pour un Européen, s’avancèrent vers nous. D’abord il y eut de part et d’autre un peu d’appréhension et de défiance ; si ces individus, se produisant à l’improviste et la torche au point, nous firent un effet singulier, nous parûmes produire sur eux un effet semblable. Notre tenue, il est vrai, n’était pas de nature à nous attirer leur confiance. Certains d’entre nous eussent pu poser dans un atelier pour des bohémiens de Callot ou des mendiants de Murillo. Inutile d’ajouter que j’étais de ce nombre, et que ma robe rouge entrevue aux clartés du feu, mes cheveux pendants et ma barbe inculte, complétés par l’album que je feuilletais, me donnaient l’air d’un vrai sorcier épelant son grimoire. Mais dès que le comte de la Blanche-Épine eut fait quelques pas au-devant de ces inconnus, son costume, pareil au soleil vainqueur des nuages, dissipa sur-le-champ les soupçons fâcheux qu’ils avaient pu concevoir sur nous. Leurs fronts se déridèrent et leurs bouches nous sourirent à l’unisson.

Ces gens à peau brune, dont la venue inopinée nous avait surpris et presque alarmés, étaient des néophytes de la Mission, que leurs supérieurs, instruits de notre arrivée par le message et le messager du comte de la Blanche-Épine, envoyaient au-devant de nous avec du bouillon de volaille, de l’eau-de-vie et des œufs frais. L’homme blanc qui les commandait était un Yankee, que des affaires commerciales un peu embrouillées avaient conduit de Lima à Sarayacu, où les pères de propaganda fide, sans souci de sa qualité d’hérétique et de sectaire de Calvin, l’admettaient à leur table et utilisaient son talent comme mécanicien.

Pendant que nous faisions cercle autour des néophytes, Indiens d’origine Cumbaza, nés à Sarayacu et qui parlaient assez facilement l’idiome quechua, le comte de la Blanche-Épine, profitant de la distraction générale, avait entraîné le Yankee à l’écart et lui racontait les divers incidents de notre voyage, préalablement revus, corrigés et surtout amplifiés. Aux regards singuliers que l’homme nous jetait à la dérobée, à ses gestes d’étonnement, à ses haut-le-corps qui témoignaient d’une indignation véritable, il était facile de deviner que le chef de la Commission française lui faisait de nous un portrait hideux. Mais le témoignage de notre conscience nous mettait au-dessus de l’opinion de ce mécanicien et des calomnies qu’on lui débitait à l’oreille. Insensible à l’action des acides dont on nous arrosait de la tête aux pieds, nous continuâmes de dialoguer avec les mozos Cumbazas, que leur qualité de chrétiens n’empêchait pas de boire et de fraterniser avec nos rameurs infidèles.

Après deux heures de conversation, ces néophytes, sur l’ordre de leur chef, nous quittèrent pour retourner à la Mission. Le Yankee, accompagné jusqu’au rivage par le comte de la Blanche-Épine, qui lui serra la main et l’appela my dear, passa fièrement devant nous sans nous adresser un salut. Quand il eut pris place dans sa pirogue, l’équipage entonna un nouveau cantique avec accompagnement de houras et de coups de rame. Cinq minutes après, embarcation, maître et serviteurs avaient disparu.

Restés seuls, nous nous entretînmes un moment des mozos chrétiens de Sarayacu, de l’enjouement de leur humeur, de la gaieté de leurs propos et du parfum d’eau-de-vie qu’exhalait leur haleine ; puis, des qualités de ces braves gens, nous passâmes sans transition à l’impolitesse de leur prétendu capitaine, que le chef de la Commission péruvienne et son lieutenant traitaient de maroufle et de polisson — tunante y bribon, — et auquel ils se proposaient de dire son fait en arrivant à la Mission. Je laissai nos amis accabler le mécanicien de leur juste courroux et j’allai me coucher. Toutefois en posant ma tête sur le paquet de hardes qui me tenait lieu d’oreiller, je n’oubliai pas de pardonner son offense au Yankee, afin que Dieu me pardonnât quelque chose à mon tour ; puis, cette formalité chrétienne remplie et ma conscience allégée d’autant, je fermai les paupières et m’endormis dans l’attente du lendemain.

Une froide rosée qui pénétrait ma moustiquaire me réveilla de grand matin. Je soulevai les plis du cadre d’étoffe, et passant ma tête au dehors, j’examinai le campement. Tous nos compagnons sommeillaient encore à en juger par l’immobilité de leur abri. Seul, le capitaine de frégate avait pris comme moi congé de Morphée, et mettait en même temps que moi le nez à la fenêtre. Sa bouche, déformée par un immense bâillement, fut la première chose que j’aperçus. Après nous être salués réciproquement, nous nous levâmes ; et comme aucune agitation ne se manifestait encore sous la moustiquaire de l’Alferez, contiguë à la nôtre, le chef de la Commission péruvienne, usant de son autorité, la prit par ses traverses, et, la rejetant à trois pas, exposa brusquement à la clarté du jour le jeune homme et son singe roux, couchés dans les bras l’un de l’autre. L’apparition de la lumière fut saluée par chacun des dormeurs d’une façon distincte ; l’Ateles se mit sur son séant, fit une grimace comique et se frotta vivement le museau, tandis que le lieutenant se soulevait pesamment sur un coude, roulait autour de lui des yeux effarés, et, faisant craquer successivement toutes ses jointures, cherchait à se rendre compte de la situation. En cette circonstance comme en beaucoup d’autres, le quadrumane me parut supérieur au bimane.

Pendant que le jeune homme recouvrait ses esprits et mettait un peu d’ordre dans sa toilette, le capitaine me fit part de son intention de partir sur-le-champ pour Sarayacu, sans attendre le réveil de nos compagnons. L’idée de se produire devant le préfet apostolique des Missions de l’Ucayali, à côté d’un rival splendidement vêtu, quand lui n’était couvert que de tristes guenilles, cette idée, m’avoua-t-il ingénument, blessait à la fois son amour-propre d’homme et sa dignité de savant. En achevant sa confidence, il me demanda si je voulais l’accompagner, l’humilité de ma tenue s’harmonisant assez avec la sienne, ou si je préférais me joindre à mes compatriotes pour faire avec eux mon entrée à Sarayacu. Comme la chose en soi m’était indifférente, j’annonçai à mon interlocuteur que j’étais prêt à partir avec lui, détermination qui parut le charmer. Je ne pris que le temps de réunir mes bagages, laissant aux Cholos le soin de les transporter à la Mission ; puis, quand ce fut fait, Je rejoignis le capitaine et l’Alferez, et sans mot dire nous quittâmes le campement et prîmes à travers les halliers de la plage.

Jamais aurore ne m’avait paru répandre tant de pleurs sur un paysage. Chaque feuille fléchissant sous le poids des larmes de la déesse, se vidait sur nous ou nous aspergeait au passage. Après cinq minutes de marche, nous étions mouillés comme des éponges. À cet inconvénient s’ajoutait la rencontre de sources cristallines sorties de la forêt, lesquelles, descendant de talus en talus à la façon de cascatelles, détrempaient et noyaient la glaise des sentiers qui menaçaient d’engloutir nos chaussures. L’espoir d’arriver bientôt à Sarayacu nous rendait indifférents à ces obstacles ou nous prêtait des forces pour les vaincre. Comme la Lazzara du poëte : — J’avais levé ma robe et passais les ruisseaux, — serrant de près le capitaine dont les longues jambes, pareilles aux branches d’un compas, traçaient des pas géométriques d’une grandeur inusitée. L’Alferez, alourdi par le poids de son singe roux qu’il portait à califourchon comme Énée son père Anchise, parvenait à peine à nous suivre.

Au moment où d’un élan vigoureux j’enjambais le dernier talus qui nous séparait de la lisière de la forêt, mon soulier gauche, abandonnant le pied qu’il protégeait, décrivit une parabole et alla tomber à quelques pas dans les fourrés de faux maïs qui s’ouvrirent pour le recevoir et se refermèrent sur lui. Au cri que je poussai, le capitaine de frégate s’arrêta court, et l’Alferez, témoin du fait, se mit à rire. Cependant j’étais resté appuyé sur ma jambe droite, la gauche repliée sous mon corps, et dans cette posture d’échassier je cherchais des yeux parmi cet amas de verdures mon soulier disparu. Hélas ! autant eût valu chercher une aiguille dans un palier. En toute autre circonstance, la perte de ce soulier m’eût affecté médiocrement. Depuis longtemps son talon s’était décloué, la plupart de ses coutures étaient rompues, et ce n’est que par une contraction artificielle de l’orteil que je parvenais à le maintenir à son poste. Mais au moment d’entreprendre un trajet de deux lieues sous le couvert d’une forêt embarrassée de ronces et d’épines, cette savate de rebut acquérait une valeur réelle, et il ne fallut rien moins que les exhortations philosophiques du capitaine et les railleries amicales du lieutenant pour me décider à poursuivre ma marche un pied chaussé et l’autre nu.

L’aspect des grands bois sous lesquels nous entrâmes parvint à me distraire de ma mésaventure, sans toutefois me la faire oublier. À travers un fouillis d’arbres corpulents enguirlandés de lianes, serpentait un sentier tracé depuis longtemps par les néophytes ; son sable frais et doux formait le plus moelleux tapis que je pusse souhaiter pour la plante de mon pied nu. Tout en cheminant, je relevais à droite et à gauche des végétations dont les fleurs exquises piquaient de points brillants le fond bleuâtre des fourrés ; des orobanchées, des orchis épiphytes, enroulés aux branches des arbres ou s’y suspendant par un simple fil, dressaient dans l’air leurs périanthes multicolores et capricieusement déchiquetés ; les tiges de ces fleurs bizarres, souvent longues de plus d’un mètre et si ténues qu’elles étaient invisibles à distance, donnaient à ces dernières l’apparence d’oiseaux-mouches ou de papillons arrêtés dans leur vol. Des sarmenteuses aux multiples faisceaux, des lianes aux nœuds inextricables, et dont le feuillage, rigide et lustré, rappelait vaguement le lierre d’Europe, revêtaient d’un épais manteau le tronc des arbres qu’elles devaient plus tard étouffer dans leurs replis. De loin en loin un groupe de ficus posés sur leur piédestal de racines et pareils aux colonnes accouplées de nos basiliques, filaient d’un jet puissant à travers les verdures et semblaient porter à eux seuls le poids de l’immense coupole étendue sur nos têtes. Une fraîche odeur de végétation et d’herbes mouillées à laquelle se mêlaient des aromes inconnus, flottait dans l’air ambiant. Chacun de nous dilatait ses narines et enflait ses poumons pour saisir au passage ces émanations embaumées, en attendant qu’il lui fût donné de flairer l’odeur plus substantielle des cuisines de la Mission.

Après une demi-heure de marche au pas gymnastique, nous débouchions dans une clairière, dont le sol dépouillé d’arbustes et de buissons était tapissé d’herbe rase. Quelques grands arbres que la hache avait épargnés à dessein voilaient d’une ombre protectrice cet espace à peu près circulaire où s’élevaient, inégalement espacées, une douzaine de chaumières à toiture de palmes. À l’humble grange surmontée d’une croix de bois et qui devait être une église ; au clocher, calotte de chaume posée sur quatre pieux, un peu à l’écart, et que, sans la cloche suspendue à une traverse, on eût pris pour un pigeonnier, nous reconnûmes un village ou une Mission ; peut-être était-ce l’un et l’autre. L’endroit, comme nous l’apprîmes plus tard, avait nom Belen (Bethléem) et servait d’avant-poste à Sarayacu. Au reste, les portes des chaumières étaient hermétiquement closes, et pendant la halte de quelques minutes que nous fîmes devant leur seuil, nul être humain ne s’étant montré à qui nous pussions demander des renseignements sur la localité, nous l’abandonnâmes pour reprendre le sentier qui, pareil au fil d’Ariane, guidait notre marche incertaine à travers le labyrinthe de la forêt.

Mission de Belen.

Bientôt les arbres s’espacèrent, la double ligne des fourrés se recula, le sentier s’élargit et devint une grande route, l’azur du ciel que nous avions perdu de vue au sortir de la plage se montra de nouveau, et des flots de soleil nous enveloppèrent ; la chaleur déjà brûlante de cet astre eut pour effet immédiat de faire fumer sur nos corps nos vêtements mouillés. Comme nous nous dilations sous sa bienfaisante influence, quelques néophytes parurent à l’extrémité du chemin et nous saluèrent par des exclamations bruyantes. À leur tête marchait le Yankee de la veille que le capitaine et son lieutenant se montrèrent du doigt ; aux épithètes caractéristiques, mais peu parlementaires dont ils le gratifièrent à distance, non moins qu’à leur façon d’allonger le pas pour se rapprocher de l’individu, je craignis qu’une altercation sérieuse ne s’élevât entre eux, et je me disposai à la prévenir. De son côté, le Yankee parut éprouver une crainte semblable, car quittant aussitôt la tête du détachement, il obliqua à gauche et entra dans la forêt où nous le vîmes se glisser d’arbre en arbre et s’effacer derrière leurs troncs avec une allure mystérieuse qui témoignait assez que si le courage du lion lui faisait défaut, il y suppléait par cette prudence que la littérature, en désaccord avec l’histoire naturelle, attribue au serpent. Les néophytes qui nous avaient rejoints et nous faisaient fête se rendaient sur la plage pour y recueillir les caisses, caissons et paquets de l’expédition franco-péruvienne, et les transporter sur leur dos à Sarayacu. Pendant qu’ils accomplissaient cette corvée, une douzaine de leurs compagnons, partis du village en même temps qu’eux, descendaient dans une pirogue ornée de feuillage la petite rivière de Sarayacu et se dirigeaient vers le campement que nous venions d’abandonner. Cette pirogue, espèce de yacht d’honneur décrété par le révérend prieur, et dont les rameurs avaient été choisis parmi les musiciens et les chanteurs les plus renommés de Sarayacu, devait ramener à la Mission au son du tambour, du flageolet et des cantiques, le comte de la Blanche-Épine et ses attachés. Je regrettai fort de m’être privé du spectacle curieux qu’allait offrir l’embarquement du chef de la Commission française. Le capitaine de frégate, au contraire, fut enchanté de n’être pas témoin des honneurs qu’on allait rendre à son rival, lesquels eussent de nouveau fait saigner l’incicatrisable blessure de son amour propre. Les néophytes nous quittèrent pour se rendre où leur devoir les appelait, et nous reprîmes notre course au clocher.

Après un temps de marche que nous ne songeâmes pas à calculer, le sentier, tantôt étroit et sinueux, tantôt large et d’une rectitude parfaite, nous conduisit à l’entrée d’une grande place défrichée, sarclée même et assez capricieusement bordée de constructions en lattes de palmier avec des toits de palmes. Ces demeures, ajustées sans le moindre parallélisme, offraient çà et là des angles rentrants et saillants, qui révélaient chez les architectes de la localité un mépris souverain ou une ignorance complète des lois de la géométrie. Deux bâtiments en torchis formant retour d’équerre bornaient cette place du côté du nord et de l’est. Le premier, aux murailles lisses et badigeonnées d’ocre jaune, était percé d’une seule ouverture ; le second, blanchi à la chaux, avait avec une immense porte carrée, cinq fenêtres carrées aussi et pourvues en manière de grilles de ces balustres à mollets, dont l’architecture rococo a tant abusé dans nos édifices d’Europe. Une croix de bois, couleur sang de bœuf, marquait le centre de la place à laquelle la ligne circulaire des forêts faisait une verte ceinture.

Vue de la Mission de Sarayacu.

Comme la construction blanche aux fenêtres carrées était la plus somptueuse du lieu, nous mîmes immédiatement le cap sur elle, coupant la place en diagonale et marchant de front comme les trois Horaces de feu M. David. Jusque-là nous n’avions aperçu d’autres êtres animés que cinq gros canards Huananas marchant gravement à la file, et nous commencions à nous étonner d’une pareille solitude, lorsque, parvenus aux deux tiers de la place, des femmes et des enfants que nous ne pouvions voir et qui nous aperçurent à travers les parois treillissées de leur logis, se mirent à courir après nous en poussant des clameurs dont le diapason témoignait d’une vive allégresse. En un clin d’œil nous fûmes entourés, pressés, circonvenus par la bande joyeuse qui nous souhaitait la bienvenue dans l’idiome de Cervantes et de Manco-Campac. Nous répondîmes de notre mieux à ces démonstrations polies ; puis, comme elles devenaient assourdissantes, nous fîmes volte-face et doublâmes le pas ; mais les mères de famille qui désiraient nous voir de près prirent aussitôt leurs marmots par la main, et, les traînant après elles, réglèrent leur marche sur la nôtre avec une vigueur de jarret dont nous fûmes surpris. Ainsi escortés, nous arrivâmes devant le bâtiment aux cinq fenêtres, au seuil duquel se montra tout à coup un vénérable moine, gras, rose, frais, et le chef ceint d’une couronne de cheveux blancs.

En nous apercevant, il ne put retenir un cri de surprise ; puis, comme nous nous étions arrêtés, il fit trois pas à notre rencontre et nous ouvrit paternellement ses bras dans lesquels nous nous précipitâmes à tour de rôle.

« Ah ! pauvres enfants, nous dit-il, j’ai appris que vous aviez bien souffert ; mais ici, près de moi, vous ne souffrirez plus. »

Trop émus ou trop essoufflés pour répondre, nous nous contentâmes de serrer d’un air pénétré les mains du beau vieillard, qui n’était autre que le P. Manuel José Plaza, préfet apostolique des Missions de l’Ucayali et prieur du couvent de Sarayacu.

Durant cet échange de civilités affectueuses, les femmes et les enfants qui nous suivaient s’étaient rapprochés de nous et nous examinaient bouche béante. Déjà quelques mains s’attachaient à nos vêtements pour en palper l’étoffe, quand le révérend Plaza, qui surprit cette manœuvre indiscrète, étendit sa main vers le groupe : Fuera de aqui — hors d’ici — dit-il simplement. À ce geste et à ces paroles, femmes et enfants sautèrent à dix pas en arrière, comme si un fer rouge les eût touchés. Admirable discipline ! pensai-je à part moi.

Cependant le digne prieur nous avait introduits dans la pièce d’entrée, vaste salle percée de quatre baies sans vantaux par où les vents du ciel pouvaient entrer et sortir librement. En un instant tous les habitants et les commensaux du couvent y furent réunis. Chacun d’eux eut à cœur de nous présenter ses devoirs.

Nous eûmes à répondre au majordome en titre, à la cuisinière et à son époux le fendeur de bûches, à la blanchisseuse, au charpentier de la Mission donnant le bras à sa moitié la couturière, braves gens qui nous regardaient d’un air aussi étonné que si nous fussions tombés de la lune. Mais sous leur étonnement provoqué d’ailleurs par l’excentricité de notre allure et le piteux état de notre mise, nous devinions un intérêt et une sympathie réels pour nos personnes. De quelque côté que se portassent nos regards, nous n’apercevions que des yeux humides et des bouches qu’un franc sourire agrandissait jusqu’aux oreilles.

Rose la blanchisseuse ; Eustache, le majordome.

Après force questions sur les lieux que nous avions visités et les dangers que nous avions courus, questions auxquelles le capitaine de frégate et son lieutenant satisfirent d’un air modeste et de façon à donner d’eux une bonne opinion, nous fûmes conduits par ordre du prieur dans une grande cellule dont les murs récemment passés à la chaux étaient d’une propreté scrupuleuse. Cette pièce était meublée d’une table longue, assemblage de planches posées sur deux tréteaux et d’un fauteuil taillé à coups de hache dans le tronc d’un mahogani par le charpentier de Sarayacu. Une claie posée sur huit pieux fichés en terre et qui occupait toute une paroi de la cellule nous parut destinée à servir, selon l’heure, de divan ou de lit. Le majordome, petit homme obséquieux, souriant, jeune encore, mais déjà plus ridé qu’une fraise de veau, mit incontinent à notre disposition, un rasoir ébréché, des ciseaux, du savon noir dans une assiette, une cruche d’eau et une terrine. Restés seuls, nous fermâmes la porte de la cellule et commençâmes à préparer la métamorphose de nos individus en attendant que l’arrivée des bagages nous permît de la compléter.

Zéphyrin, charpentier et organiste de Sarayacu.

Nos ablutions étaient finies et nos barbes convenablement alignées, quand les néophytes envoyés sur la plage en rapportèrent nos bagages. Parmi les divers objets que j’avais sauvés des naufrages se trouvaient quelques mouchoirs de cotonnade, primitivement destinés aux sauvages, mais que dans le triste état de ma garde robe je consacrai à mon usage personnel. Le capitaine de frégate à qui je montrai ces mouchoirs s’éprit si fort de l’un d’eux, à fond bleu et blanc, bariolé de tulipes rouges, que je le lui donnai pour qu’il s’en fît une cravate. Le lieutenant en reçut un aussi, mais noir et jonquille et quelque peu déteint. À l’exemple de son patron il le mit à son cou et y fit un nœud triomphant. Ainsi cravatés, ces messieurs n’eurent plus qu’à boutonner très-haut leur spencer ou leur veste pour des raisons qu’il est facile d’apprécier ; puis, cela fait, ils complétèrent leur toilette en se donnant un coup de peigne.

Le femme de Zéphyrin.

Comme j’étais en train de les complimenter sur leur bonne mine, les sons d’une cloche et la détonation d’un camareto[3] retentirent simultanément au dehors et furent suivis de clameurs d’hommes, de cris de femmes et d’enfants. Ne comprenant rien à ces démonstrations bruyantes, nous quittâmes notre cellule et allâmes jusqu’au seuil du couvent pour voir ce dont il s’agissait. Un groupe compacte s’avançait vers nous du fond de la place. En tête, marchait le vénérable prieur de Sarayacu et le comte de la Blanche-Épine dont la cloche et le camareto avaient salué le débarquement dans la petite crique qui tenait lieu de port. Le révérend Plaza, qui était allé recevoir le noble personnage, élevait au-dessus de sa tête, en guise d’Achiua ou de pallium, un parasol de cotonnade rouge emmanché d’une longue canne. Sous ce dais improvisé qui jetait sur sa face un reflet de pourpre, le chef de la Commission française, vêtu de l’habit noir et coiffé du feutre gris aux ailes pendantes que le lecteur connaît déjà, s’avançait avec la lenteur majestueuse d’un Olympien. Les sourires protecteurs et les inclinations de tête qu’il distribuait aux néophytes des deux sexes rangés sur son passage, témoignaient clairement qu’il prenait au sérieux les honneurs qu’on lui décernait. L’aide-naturaliste, vêtu de blanc comme une rosière, marchait à sa gauche. Derrière eux, venaient les Cholos interprètes, Antonio et Anaya, conduisant par la main le petit esclave Impétiniri. Nos rameurs conibos, fraîchement barbouillés de rouge et de noir et portant sur l’épaule leur rame ou leur pagaye, fermaient dignement le cortége.

Honneurs rendus au comte de la Blanche-Épine.

À la vue du comte de la Blanche-Épine, épanoui dans son triomphe, le capitaine de frégate fut saisi d’un accès de colère froide qui le rendit blême comme un citron, Hors d’état de se maîtriser, il prit par le bras l’Alferez qui bayait ingénument à ce spectacle et le poussa rudement dans notre cellule dont il referma la porte derrière lui. Je compris que les honneurs rendus à son rival dans une mission péruvienne lui semblaient un non-sens et comme un vol fait à son préjudice. Le dais-parasol, ce dais qu’on accorde à peine à un président du Pérou le jour de sa nomination, paraissait surtout avoir exaspéré le capitaine et produit sur lui l’effet d’une loque rouge sur un taureau. Pendant que je philosophais sur la chose, le cortége avait traversé la place. En touchant le seuil du couvent, le révérend prieur remit le parasol aux mains d’un des suivants et invita gracieusement son hôte à entrer le premier. Là se borna le cérémonial de l’introduction. Le comte de la Blanche-Épine et l’aide-naturaliste furent conduits dans une cellule exactement pareille à la nôtre, où jusqu’à l’heure du dîner on les laissa se reposer des fatigues physiques et morales de la matinée.

Le dîner servi à midi précis nous fut annoncé par le son d’une cloche et l’avertissement verbal du majordome. Le capitaine de frégate, un peu remis de l’émotion bilieuse que lui avait occasionnée la réception faite à son rival, vint prendre place à la table banale, où le prieur, le chef de la Commission française et l’aide-naturaliste nous avaient précédés. En remarquant l’ordre hiérarchique qui avait présidé à l’arrangement des couverts, le capitaine fit une grimace significative ; il est vrai que sa place était la dernière. Comme il ouvrait la bouche pour en toucher deux mots au majordome, je le tirai violemment par son spencer de flanelle. Il me regarda, étouffa un soupir, et levant les yeux au ciel, il parut offrir à Dieu ce nouvel affront en expiation de ses vieux péchés.

Néophyte de Sarayacu (homme).

Le repas se composait de tortue bouillie, de poules grillées, de riz à l’eau et de racines de manioc cuites sous la cendre. Ces différents mets étaient contenus dans des jattes et des soupières en terre brune. Aux cuillers de bois ou d’étain, à la rareté des fourchettes, à l’absence de nappe et de serviettes, on devinait le vœu de pauvreté et le renoncement au confort de ce monde fait par les disciples de saint François. Deux ou trois pots à large panse contenaient de l’eau de rivière destinée à étancher la soif des convives. Après un court bénédicité, le prieur nous engagea a nous servir nous-mêmes, et prêchant d’exemple, emplit aussitôt son assiette de chacun des mets dont se composait le menu.

Cela fait, il amalgama ces diverses substances, et quand sa macédoine lui parut à point, il en absorba de volumineuses bouchées, se servant indifféremment de ses doigts et d’une cuiller de corne en forme de spatule. La façon dont le révérend en usait nous mit parfaitement à l’aise. Chacun s’affranchissant du droit de l’étiquette, se servit à sa guise, et bientôt toutes les mandibules furent en mouvement.

Pendant le repas, le vénérable amphitryon, malgré l’activité toute juvénile qu’il employait dans la mastication et la déglutition des aliments, trouva moyen d’adresser à chaque convive un mot gracieux ou une remarque flatteuse, dont l’à-propos décelait chez lui certaine finesse d’esprit en même temps qu’une connaissance assez exacte du cœur humain.

Au dessert, et comme le majordome venait de placer devant nous, à titre de pruneaux et de confitures, un peu de mélasse dans une soucoupe, six néophytes mâles firent irruption dans la salle, suivis d’une foule nombreuse qui s’aligna le long des murs afin de laisser libre le centre de la pièce. Une danse de caractère fut exécutée par ces hommes, aux sons du flageolet et du tambour dont jouaient quatre musiciens. La tâche des flûtistes consistait à donner un sol unique et indéfiniment répété, sur lequel les tambours plaquaient un boum caverneux. Involontairement je me rappelai Bilboquet de picaresque mémoire. Les amateurs de cette note devaient être contents.

Joueurs d’instruments.

À la chemise et au pantalon blancs du néophyte, les danseurs avaient ajouté un colback de plumes de perroquet surmonté de trois rectrices d’ara bleu et rouge. Un chapelet à plusieurs fils, formé de capsules de cédrèle et de drupes de styrax, ceignait leur poitrine et leur dos en manière d’écharpe. Leurs jambes, depuis la cheville jusqu’au genou, étaient entourées, comme de cnémides, de rangs de grelots fabriqués par eux[4] et dont le bruissement sec rappelait celui des serpents à sonnettes.

Danseur de Sarayacu.

Une longue plume d’ara, ornée à son extrémité d’un duvet d’aigrette et que chaque danseur tenait à la main, lui servait à diriger les musiciens. Selon que la plume fendait l’air de gauche à droite et vice versa, ou que le chorége exécutant l’agitait au-dessus de sa tête, comme un chef d’orchestre fait de son archet, les flûtes précipitaient ou ralentissaient leur sol et le boum des tambours se modelait sur elles.

La danse locale exécutée en notre honneur se composait d’une suite de passes et de voltes, de balancez et de chassez-croisez qui n’offrait absolument rien de neuf ou de pittoresque comme dessin chorégraphique, mais que chaque danseur avait la faculté d’embellir à son gré, par des flic-flac, des déhanchements, des trémoussements et des pirouettes, qui brodaient comme de capricieuses arabesques sur le fond terne et monotone du tableau. Inutile de dire que la troupe des ballerines stimulée par notre présence fit merveille et dansa comme un seul homme.

Bien qu’après quelques minutes d’audition de cette musique chacun de nous sentît déjà ses nerfs prodigieusement agacés, nul n’abandonna la partie, et sourire aux lèvres, subit jusqu’à la fin ce martyre d’un nouveau genre. En quittant la table, le capitaine de frégate m’avoua que les piqûres des moustiques dont il avait tant souffert durant le voyage lui semblaient encore préférables au trio de tambour, de flageolet et de grelots qu’on l’avait forcé d’écouter pendant trois quarts d’heure.

Femme de Sarayacu.

Pour chasser le bourdonnement de l’orchestre local qu’il nous semblait toujours avoir dans les oreilles, nous allâmes pousser une reconnaissance dans le village, réunion de chaumières, capricieusement dispersées et que des touffes d’arbres isolaient entre elles. Des néophytes groupés sur leur seuil nous firent force cajoleries et nous convièrent à vider avec eux quelques coupes de mazato dont leur cellier paraissait assez bien approvisionné. Nous nous laissâmes cajoler, mais nous refusâmes de boire. Nos rameurs conibos, les Cholos, les interprètes et le jeune Impétiniri commis à leur garde, avaient reçu l’hospitalité sous le toit de ces bonnes gens, et s’y trouvaient aussi à l’aise que s’ils eussent été dans leur propre logis. Leur teint animé, l’éclat de leurs yeux, leur langue un peu épaisse, témoignaient qu’ils avaient convenablement fêté leur arrivée à la Mission.

Tous nous entourèrent et nous pressèrent dans leurs bras avec cette tendresse expansive que l’ivresse donne aux hommes quand elle ne les rend pas maussades ou furieux. Certain Conibo à figure joviale, que j’avais eu dans ma pirogue depuis Paruitcha jusqu’à Sarayacu vint passer son bras autour de mon cou, et tout en inspectant ma nouvelle tenue, s’enquit avec intérêt de la Bichi-hui qu’il ne voyait plus sur mon corps. L’objet que l’innocent sauvage désignait par ce nom était ma robe de bayeta pourpre quiil avait convoitée durant le voyage et qu’à cause des longs poils de l’étoffe il prenait pour la dépouille d’un animal. De là le nom de Bichi-hui — peau de bête rouge — qu’il lui donnait.

Comme il eût été trop long d’expliquer à mon ex-rameur que ce qu’il avait pris jusqu’alors pour la fourrure d’un quadrupède, était un morceau de laine de Castille, coupé à la pièce par un respectable marchand de Cuzco et façonné en sac-tunique par une beauté de la ville, qu’en outre mon intention était de conserver ce vêtement qui pouvait m’être utile, je répondis à l’individu que j’avais donné la peau en question à mon ami le capitaine. Cette nouvelle parut le contrarier fort, et pour l’oublier, il vida d’un trait une écuelle de boisson fermentée.

Durant cette promenade à travers le village, nous eûmes la curiosité d’entrer dans quelques huttes, afin de juger par l’élégance ou le confort de leur mobilier n’y vîmes que des meubles et des ustensiles de première nécessité, barbacoas, hamacs, jarres et cruches, lesquels nous parurent très-inférieurs comme exécution aux objets de même nature façonnés par les indigènes de l’Ucayali. Sous le rapport des arts manuels, la civilisation était restée au-dessous de la barbarie.

La cuisinière de Sarayacu et son mari le fendeur de bûches[5].

En rentrant au couvent, le majordome nous fit part de la décision prise en notre absence par le chef apostolique de la Mission, à l’égard de nos logements respectifs. Le comte de la Blanche-Épine et l’aide-naturaliste avaient chacun une cellule, tandis que le capitaine, l’Alferez et moi nous devions habiter en commun celle où nous nous étions débarbouillés en arrivant. Pareille décision n’avait rien que de simple ; mais le ton mélangé de froideur et de suffisance que prit le majordorme pour nous la notifier, et qui contrastait avec son obséquiosité du matin, me fit dresser l’oreille. Je crus sentir flotter dans l’air du réfectoire, où l’homme nous avait arrêtés, comme une vapeur délétère qu’un poëte classique eût appelée : — le souffle empoisonné de la calomnie. — Néanmoins je renfermai mes impressions au dedans de moi, et sans dire un mot à mes compagnons des mauvaises pensées qui me venaient en foule, j’attendis qu’une occasion me permît de juger si mes soupçons portaient à faux.

Cette occasion me fut offerte le soir même. Pendant le souper où le prieur, affectant de ne pas regarder de notre côté, ne me parut occupé que du comte de la Blanche-Épine et de son attaché, envers lesquels il déployait une amabilité charmante, le capitaine ayant eu l’idée de questionner notre hôte sur certaines particularités qui l’avaient frappé, reçut de lui une de ces réponses étourdissantes qui démontent un homme et le réduisent à létat de zéro. Sous ce coup de massue auquel il ne s’attendait pas, le chef de la Commission péruvienne baissa la tête, tandis que son rival, que je ne perdais pas de vue, laissait errer sur ses lèvres un sourire narquois. Le repas fini et les grâces dites, maître et serviteurs tournèrent le dos au capitaine que l’étonnement semblait avoir changé en statue. En entrant dans notre logement commun, l’infortuné me demanda si je savais à quel motif attribuer la froideur qu’on lui témoignait.

« Je ne puis le savoir au juste, lui répondis-je, mais je l’attribue à la conversation qu’auront eue ensemble cette après-dînée le comte de la Blanche-Épine et le vénérable prieur. Ce dernier nous ayant vu arriver ici dans un accoutrement de mardi gras, se sera probablement informé à votre compétiteur de nos noms, prénoms, qualités, et le noble monsieur, en répondant aux questions du saint homme, n’aura pas manqué de nous habiller de la tête aux pieds. Avez-vous oublié la soirée d’hier et le Yankee mécanicien ? »

Ici le capitaine de frégate, pour épancher le flot de bile qui lui vint à la gorge, accumula sur la tête de son rival toutes les épithètes caractéristiques que le vocabulaire espagnol, si riche en ce genre, put lui fournir.

« Si je le tuais un peu pour lui apprendre à vivre ! » exclama-t-il en manière de conclusion.

Comme je savais mon compagnon trop catholique et trop bien élevé pour charger sa conscience d’un homicide, je souris à son innocente fanfaronnade et l’engageai puisque nous n’avions ni jeu d’échecs, ni dominos pour occuper notre soirée, à tendre notre moustiquaire, à nous coucher et à dormir de notre mieux. Il dédaigna de me répondre ; mais je le vis faire aussitôt sa toilette de nuit, qui consistait à défaire trois boutons de son spencer et à retirer sa chaussure. Un moment après, l’immobilité de son corps et la régularité de son souffle m’annonçaient qu’il voyageait en esprit dans l’empire des songes.

Le lendemain deux religieux franciscains arrivèrent à la Mission. Partis du collége d’Ocopa, ils avaient traversé la Sierra, s’étaient embarqués au Pozuzo où les attendaient une pirogue et des rameurs envoyés par le révérend Plaza ; et descendant la rivière Pachitea jusqu’à sa jonction avec l’Hucayali, ils avaient suivi celle-ci jusqu’à Sarayacu[6]. Tous deux étaient Italiens. Ils racontèrent leur odyssée où les piqûres des moustiques jouaient le plus grand rôle.

Quelques minutes de conversation avec les nouveaux venus nous suffirent pour comprendre que nous avions à faire à des cœurs simples et à des cerveaux primitifs. Après le dîner, le prieur eut avec eux une conférence secrète. Tout en les instruisant de ce qui nous était relatif, il dut leur tracer une règle de conduite vis-à-vis du chef de la Commission péruvienne, car dans la même journée, celui-ci les ayant abordés pour les féliciter sur leur arrivée, ils lui tournèrent impoliment le dos. Le capitaine rentra dans sa cellule exaspéré par ce nouvel affront.

L’énumération des avanies que le malheureux essuya pendant son séjour à Sarayacu ferait longueur dans ce récit et ne pourrait que réveiller en lui des souvenirs amers si ces lignes venaient à tomber sous ses yeux. Aussi la passerons-nous sous silence. Contentons-nous de dire que le dédain glacial des religieux à l’égard de notre compagnon fut dépassé par la morgue des serviteurs, qui, pour faire preuve de zèle, s’abstinrent de lui rendre les légers services qu’il put réclamer d’eux. Écrasé par l’attitude superbe qu’avait pris son rival, rudoyé par les moines, raillé par leurs valets, tourné en ridicule par les femmes de la Mission qui, en raison de sa maigreur phénoménale, l’avaient surnommé Isiato iquipo — singe écorché, — le capitaine souffrit comme Mummol, et sa situation eût attendri des pierres s’il s’en fût trouvé à Sarayacu ; mais les rochers et les menus cailloux sont inconnus à ce sol d’alluvion.

Pendant trois jours que dura son martyre, le chef de la Commission péruvienne ne quitta sa cellule que pour passer au réfectoire où la cloche nous appelait à l’heure des repas. Disons à sa louange qu’à table, malgré les ricanements du comte de la Blanche-Épine, les façons hostiles des religieux et l’affectation du majordome à ne pas le changer d’assiette, il sut composer sa physionomie et feindre une sérénité qui était loin de son esprit. Pour narguer l’ennemi et lui montrer qu’il était insensible à ses outrages, il se servit copieusement de chaque mets et mit les morceaux doubles avec un appétit stoïque auquel Zénon lui-même eût applaudi.

Comme j’étais le confident de ses pensées secrètes, le troisième jour il m’avoua que sa force morale était à bout, et que son estomac commençait à se révolter contre le dur labeur auquel il le soumettait par bravade. Déjà ses digestions étaient troublées, son chyme tournait au vinaigre, et cet état de choses persistant, une gastro-entérite allait se déclarer chez lui. Un seul moyen lui restait de conjurer le mal, c’était de faire signer son exeat par le vénérable prieur et de quitter la Mission de Sarayacu. L’idée du capitaine s’accordait assez avec mon envie d’occuper seul la cellule que nous habitions en commun et je l’engageai à hâter son exécution. Il ne prit que le temps de se donner un coup de peigne et passa chez le révérend. Cinq minutes après, il était de retour et me faisait part du résultat de sa visite. Le prieur, me dit-il, l’avait reçu comme un nègre, et tout en approuvant son projet de départ, n’avait voulu lui donner ni rameurs, ni pirogues, sous prétexte que les uns et les autres lui étaient nécessaires. Pour atténuer la dureté de ce refus, il avait offert au capitaine quelques vivres pour son voyage. En achevant, notre compagnon avait l’air perplexe et ne savait à quoi se décider. Il est vrai que le trajet qu’il avait à faire pour atteindre Lima était de nature à refroidir l’humeur la plus aventureuse. Au sortir de Sarayacu, il lui fallait longer le canal de Santa Catalina jusqu’à la Mission de ce nom, puis abandonner sa pirogue et marcher tout un jour à travers la plaine du Sacrement pour gagner Chazuta. Là, il s’embarquerait sur la rivière Yanayacu, la descendrait jusqu’à sa jonction avec le Huallaga, traverserait ce dernier cours d’eau, toucherait successivement à Moyobamba, à Chachapoyas, à Cajamarca, et franchissant deux fois la Cordillère, atteindrait enfin le port de Payta, d’où un navire le conduirait à Callao et un omnibus à Lima. C’était un voyage d’environ quatre cents lieues, et pour l’entreprendre il eût fallu quelques ressources. Or, depuis la catastrophe de Sintulini, le capitaine logeait le diable dans sa bourse, et sa garde-robe se bornait à ce qu’il avait sur le corps ; de là son trouble et sa perplexité au moment de se mettre en route.

Toutefois son hésitation fut de courte durée. Examen fait avec le lieutenant, de leur situation mutuelle et des chances qu’ils avaient de trouver en chemin des cœurs compatissants, le chef de la Commission péruvienne fixa le départ au sur lendemain. La pirogue qui les avait conduits à Sarayacu servirait à les transporter à Santa Catalina, et les deux Cholos interprètes, qu’aux termes du traité de Coribeni le capitaine devait ramener à Lima et recommander à la bienveillance du Président, ces deux Cholos seraient utilisés par lui comme rameurs. Rien ne calme l’esprit comme une décision bien arrêtée. À partir de ce moment le capitaine recouvra son ancienne verve, l’Alferez sa gaieté, et jusqu’à l’heure du coucher leur conversation ne roula que sur le bonheur de revoir la ville des Rois et de trouver en arrivant bon souper, bon gîte et le reste.

Le lendemain, pendant que le jeune homme faisait radouber la pirogue, le chef de la Commission péruvienne, resté seul avec moi, me prenait les mains d’un air attendri, et après quelques circonlocutions oratoires, me priait de lui rendre un service qui devait, disait-il, combler tous ses vœux. Comme on a rien à refuser à des compagnons qui vont vous quitter pour toujours, je priai le capitaine de s’expliquer, prêt à partager avec lui, si besoin était, les quelques chemises que le destin m’avait laissées. À ma grande surprise, le service qu’il réclamait était une copie d’un dessin que j’avais fait de lui après son naufrage à Sintulini, et qui le représentait avec son chapeau retroussé, son poncho drapé en peplum et ses pieds chaussés de savates. Non-seulement j’acquiesçai à sa demande, mais au lieu d’un croquis, je voulus faire une aquarelle ou la couleur passée des vêtements, en s’harmonisant au ton blême de la figure, devait ajouter à son expression lamentable. Pendant que je m’escrimais du pinceau, le capitaine m’apprenait que ce portrait auquel je donnais tous mes soins, serait mis par lui sous les yeux d’une beauté de sa connaissance, afin d’éveiller dans son cœur jusque-là insensible, une affectueuse pitié pour l’original. Au lieu de rire au nez de mon modèle comme c’était le cas, je le félicitai du moyen qu’il allait mettre en œuvre, et pour exciter plus sûrement dans un cœur de femme cette pitié sur laquelle il comptait, j’exagérai les cavités de la figure, j’outrai le relief des os, je mis des rides au front et j’allongeai les membres. À ce portrait, véritablement élégiaque et qu’une nature un peu tendre n’eût pu regarder sans pleurer, je joignis un couple d’Antis, de Chontaquiros et de Conibos, pour que notre ami pût offrir à la dame de ses pensées, avec son image altérée par les maux qu’il avait soufferts, le type des peuples barbares qu’il avait visités. Cette idée qui satisfaisait à la fois son amour et son amour-propre, lui parut ingénieuse, ainsi qu’il eut l’obligeance de me le dire quand je lui remis mon travail.

L’heure du départ arriva. Le capitaine, suivi de l’Alferez son fidèle Achate, se rendit au port de la Mission où je les accompagnai. Leur pirogue convenablement calfatée, était pourvue d’un pamacari neuf[7]. Les provisions de route données par le prieur y étaient entassées ; elles se composaient de poisson sec et de bananes vertes, le strict nécessaire. Les deux Cholos chargés de la manœuvre de l’embarcation parurent bientôt, poussant devant eux le petit Impétiniri dont les bras étaient liés par une ficelle. Comme je m’indignais de leur façon de traiter cet enfant, le Cholo Antonio qui s’était constitué son gardien et le dressait à des tours de caniche, me dit que c’était par mesure de précaution qu’il en agissait de la sorte, les néophytes ayant tenté de voler l’Infieltlo, pour le garder avec eux à Sarayacu. Le capitaine débarrassa l’enfant de ses ficelles et l’envoya coucher comme un jeune chien sous le pamacari de sa pirogue. Charmé de la sollicitude qu’il témoignait à son protégé, je lui demandai ce qu’il comptait en faire en arrivant à Lima. Il me répondit qu’à défaut de cartes, d’herbiers, de documents scientifiques qu’il pût offrir au Président, il mettrait sous les yeux de Son Excellence le petit Chuncho, comme un échantillon vivant des richesses zoologiques, que possédait la République. Après sa présentation officielle au chef de l’État, l’infidèle serait régénéré dans les eaux du baptême, puis re vêtu d’une livrée de fantaisie, et sous le nom de Jean, Pierre ou Joseph, il brosserait les habits et cirerait les bottes de son propriétaire. Si l’avenir promis à l’Impétirini n’avait rien de brillant il était du moins clairement tracé, et sauf les rebuffades et les coups de canne attachés à sa condition et qu’il lui faudrait subir comme autant d’épreuves, son bonheur en ce monde me parut assuré.

Cependant les Cholos avaient pris place à l’avant de la pirogue et n’attendaient que le signal de pousser au large. Le moment de la séparation était venu ; le capitaine de frégate me serra vigoureusement la main, et quand l’Alferez eut accompli à mon égard la même formalité, il voulut que son singe roux me donnât la patte, ce que l’animal fit sans hésiter. Alors les deux hommes entrèrent dans l’embarcation qui au cri de Vamos Hijos — allons enfants — proféré par le capitaine, tourna sa proue à l’est et gagna le fil du courant. Tant que nous restâmes en vue, j’agitai mon mouchoir en réponse aux hourras des Cholos et aux cris d’adieu de nos compagnons. Lorsqu’ils eurent disparu, je regardai autour de moi. La rive était déserte, pas un curieux ne se montrait sur le talus ; l’embarquement des voyageurs n’avait eu d’autres témoins que Dieu et moi. Involontairement. je comparai ce départ furtif du chef de la Commission péruvienne à sa sortie pompeuse de Chahuaris, au bruit de la mousqueterie, aux vivat et aux encouragements de l’assistance.

Départ du capitaine de frégate.

Que d’événements, que de désillusions, que de souffrances morales et physiques signalaient le temps écoulé entre ces deux départs et jalonnaient la distance qui sépare Chahuaris de Sarayacu.

En rentrant dans la cellule que nos compagnons avaient abandonnée avec la joie de prisonniers qui voient tomber leurs fers, je trouvai le majordome occupé à la balayer. Depuis notre arrivée à Sarayacu, c’était la première fois qu’il se livrait à de pareils soins, et j’en fis tout haut la remarque. Loin de se formaliser de mon observation ou plutôt du ton aigre-doux dont je la lui fis, il me répondit gracieusement qu’il en serait de même chaque jour, maintenant que j’étais seul à l’habiter. Ces paroles, jointes à une tasse de café que l’individu me servit peu de temps après, en m’engageant à ne pas le laisser refroidir, signifiaient clairement que la réprobation dont le chef de la commission péruvienne et son lieutenant avaient été l’objet de la part des moines, ne s’étendaient pas jusqu’à moi.

Au reste, je l’avais déjà reconnu à d’imperceptibles nuances dans le ton et dans les manières de ces derniers, et si je n’en avais rien dit à mes camarades de chambre, c’était par pure humanité et pour ne pas retourner le couteau dans leurs plaies.

Cette indifférence ou cette mansuétude des religieux à mon égard, après m’avoir paru étrange, avait fini par piquer ma curiosité. Vingt fois je m’étais demandé d’où me provenait l’avantage d’être exempté des coups d’épingle dont ils criblaient à tout propos le capitaine et l’Alferez. Était-ce que le comte de la Blanche-Épine en faisant de nous au prieur des portraits à la manière noire, avait jugé convenable à sa politique ultérieure d’indiquer vaguement le mien, tandis qu’au contraire il avait donné tous ses soins à ceux de mes compagnons ? — ce point resta toujours obscur pour moi — mais l’exception faite en ma faveur me semblait d’autant plus inexplicable, que mon rapprochement immédiat des malheureux excommuniés, la vie à trois que nous menions, les promenades que nous faisions ensemble, devaient me signaler à l’autorité comme un partisan de leur opinion et même un fauteur de leurs hérésies.

D’un autre côté, la facilité du prieur à ajouter foi aux imputations du comte de la Blanche-Épine ne m’avait pas moins étonné que ses procédés agressifs envers les membres de la Commission péruvienne. De la part du vieillard, c’était plus qu’un manque de cœur, plus qu’une violation brutale des préceptes de l’Évangile, c’était une faute contre ses intérêts. N’avait-il pas à craindre qu’en arrivant à Lima le capitaine de frégate, outré du traitement dont il avait été l’objet à Sarayacu, ne s’en plaignît au Président, et que celui-ci ne vengeât sur les Missionnaires et sur la Mission l’insulte faite à son délégué ?

Ces idées que je viens de grouper méthodiquement et que j’ai tâché d’exprimer clairement, se présentaient alors à mon esprit, vagues, confuses, sans liaison entre elles et comme noyées dans un brouillard qui les dérobait en partie. Toutefois à travers ce brouillard et malgré son opacité, dans le plan de conduite adopté par le prieur à l’égard de certains d’entre nous et qu’il suivait avec une inflexibilité despotique, je subodorais un mystère que le temps et l’occasion me permettraient peut-être d’éclaircir.

Resté seul possesseur de la cellule que nous avions habitée à trois, mon premier soin fut d’étaler mes dessins et mes cartes, d’exposer à l’air mes plantes sèches et d’assigner un poste fixe aux commensaux de ma ménagerie. Mes aras eurent pour perchoir les montants de la barbacoa ou reposait sa moustiquaire. Mon atelem niger, attaché par le milieu du corps, fit vis-à-vis à ma tortue matamata, captive comme lui. Seul mon caurale ou paon des roses eut la faculté d’aller et de venir à travers la chambre. Des clous plantés dans des murailles et des ficelles tendues dans tous les sens servirent à suspendre des échantillons des trois règnes, des babioles de toute espèce et des colifichets de toutes sortes.

Traversée de l’Amérique du Sud par Paul Marcoy. — Carte no 7


Paul Marcoy.

(La suite à la prochaine livraison.)



  1. Suite. — Voy. t. VI, p. 81, 97, 241, 257, 273 ; t. VII, p. 225, 241, 257, 273, 289 ; t. VIII, p. 97, 113, 129 ; t. IX, p. 129, 145, 161, 177, 193, 209 ; t. X, p. 129, 145, 161 et 177.
  2. Les gravures qui accompagnent le texte de M. Marcoy ont été exécutées d’après ses albums et sous ses yeux par M. Riou.
  3. Petits obusiers qu’on enterre et dont la mèche seule pointe à l’extérieur. Nous en avons parlé dans notre revue des fêtes et cérémonies de Cuzco moderne.
  4. Ces grelots sont empruntés au noyau triangulaire du fruit de l’Ahuetia, cerbera (fam. des Apocynées). — À ce noyau, de la grosseur de celui d’un abricot et coupé en deux de façon à figurer une clochette, les indigènes suspendent intérieurement, au moyen d’un fil, un petit battant en os qui se meut au moindre mouvement et fait entendre, en frôlant les parois internes du noyau, un bruissement plutôt qu’un son distinct.
  5. Ce couple, appartenant à la tribu des Orejones de la rivière Napo, fut échangé par le R. Plaza contre une hache neuve dans un voyage qu’il fit à Quito en 1828. Les Orejones, encore enfants, suivirent le missionnaire à Sarayacu, furent baptisés à leur arrivée, et, de frère et sœur qu’ils étaient, devinrent époux quand l’âge fut venu pour eux de s’établir. Une telle union, que le R. Plaza ne put prévoir ni empêcher, ces Orejones étant les seuls de leur race qui existassent à Sarayacu et les néophytes de la Mission ayant repoussé toute alliance avec eux, une telle union fut loin d’être heureuse. Les luttes à coups de tête et à coups de poing des monstrueux conjoints scandalisèrent plus d’une fois la population de Sarayacu.
  6. C’est, comme nous l’avons dit ailleurs, la voie que suivent d’habitude les religieux qui vont et viennent du couvent d’Ocopa à la Mission de Sarayacu.
  7. Sorte de roufle ou de dais en feuillage qu’on place à l’arrière de l’embarcation, et qui sert à abriter les voyageurs du soleil et de la pluie.