Voyage en Espagne (Doré et Davillier)/17

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Ruines d’Italica, près Séville. — Dessin de Gustave Doré.


VOYAGE EN ESPAGNE,


PAR MM. GUSTAVE DORÉ ET CH. DAVILLIER[1].




SÉVILLE.


1862. — DESSINS INÉDITS DE GUSTAVE DORÉ. — TEXTE INÉDIT DE M. CH. DAVILLIER.


Les origines de Séville ; Hercule ; l’antique Hispalis ; Julia Romula. — Saint-Ferdinand. — La Cartuja. — La Feria de Santi Ponce. — Les ruines d’Italica. — L’amphithéâtre antique. — Les environs de Séville. — Alcalá de Guadaira, ou de los Panaderos ; — Le Castillo arabe. — Les Caños de Carmona. — Les Atahonas ou moulins arabes. — Moron. — Osuna. — Le chemin de fer de Cadiz à Séville. — Lebrija. — Utrera, la ville des taureaux et des toreros.

Les historiens espagnols sont unanimes pour représenter Séville comme une des plus anciennes cités non seulement de l’Espagne, mais de l’Europe ; selon les uns, elle fut fondée par Hercule en personne, deux mille deux cent vingt-huit ans, tout juste, après la création du monde ; d’autres veulent qu’elle ait été fondée par les Chaldéens, et d’autres encore par un roi nommé Hispan ou Hispal, qui aurait donné à la ville son ancien nom d’Hispalis, dont les Arabes auraient fait Isbilia, nom qui devint plus tard Sbilia, puis enfin Sevilla.

Quoi qu’il en soit de l’origine de Séville, que ses fondateurs soient des Phéniciens, des Ibères ou des Scythes, son ancienneté n’est pas douteuse ; elle était reconnue dès l’époque romaine : Ausone, Silius Italicus et d’autres poëtes latins l’ont célébrée dans leurs vers.

Les Sévillans sont si fiers de l’ancienneté de leur origine, que des vers ont été gravés sur plusieurs de leurs monuments pour en conserver le souvenir ; ainsi on a gravé ce distique au-dessus de la puerta de la Carne :

Condidit Alcides, renovavit Julius urbem,
Restituit Christo Fernandus tertius Heros.

« Alcide (Hercule) fonda la ville, Jules-César la reconstruisit, et Ferdinand trois, le Héros, la rendit au Christ. »

Et sur la puerta de Jerez, reconstruite en 1561, on grava cette autre inscription en vers espagnols, dont le sens est à peu près le même :

Hercules me edificó,
Julio Cesar me cercó
De muros, y torres altas ;
El Santo Rey me ganó
Con Garci Perez de Vargas.

« Hercule m’édifia, Jules-César m’entoura de murailles et de tours élevées ; et le Saint Roi (saint Ferdinand) me conquit avec l’aide de Garci Perez de Vargas. »

Hercule joue un rôle très-important dans l’histoire fabuleuse des origines de la nation espagnole, et le nom du plus célèbre des héros de l’antiquité est tellement populaire à Séville qu’on a donné son nom à une des principales promenades : la Alameda de Hercules.

Prise par les légions romaines sous le commandement de Jules-César, quarante-cinq ans avant Jésus-Christ, Hispalis reçut le nom de Julia Romula, — la petite Rome ; — mais ce nom ne lui fut pas conservé sous la domination des Vandales, qui classèrent les Romains en 411, et furent eux-mêmes bientôt chassés par les Wisigoths, qui s’établirent dans l’Hispanie. Lorsque, vers le commencement du huitième siècle, les Arabes envahirent la Péninsule, et, après la fameuse bataille du Guadalete, refoulèrent les Wisigoths jusque dans le nord, Séville devint une dépendance du califat de Cordoue, après qu’Abderrahman Ier, qui n’était lui-même que vice-roi des califes de Damas, eut choisi cette ville pour capitale de ses États.

Lorsqu’au onzième siècle le califat de Cordoue fut démembré à la suite des divisions qui avaient bouleversé l’Espagne arabe, Séville fut gouvernée par quelques princes particuliers qui la possédèrent pendant plus de cent ans ; elle fit ensuite partie des empires almoravide et almohade. Après la chute des Almohades, Motawakkel-ben-Houd la posséda quelque temps, et peu après, en 1236, elle devint la capitale d’une république moresque.

C’est douze ans plus tard, le 23 novembre 1248, que Séville, dont le siége n’avait pas duré moins de quinze mois, ouvrit ses portes à Ferdinand III, roi de Castille, après être restée 536 ans sous la domination musulmane.

La prise de Séville est un des événements les plus importants des annales de l’Espagne, et elle a été célébrée sur tous les tons par les chroniqueurs et les poëtes nationaux, qui ont souvent ajouté la légende à l’histoire. Plus tard, Séville fut la capitale d’Alphonse el Sabio, — le savant (et non pas le sage), et de Pierre de Castille, le Cruel, appelé par quelques historiens espagnols el Justiciero, — le justicier. L’importance de Séville grandit encore sous Ferdinand et Isabelle, après la découverte de l’Amérique, et plus tard sous le règne de Philippe II ; et si aujourd’hui elle est quelque peu déchue de sa splendeur passée, elle est encore une des premières villes d’Espagne et mérite toujours le titre de reine de l’Andalousie.

Avant de commencer nos courses dans Séville, nous voulûmes faire quelques excursions à Italica et dans les environs, autant pour visiter les ruines de l’antique rivale de Séville, que pour assister à la célèbre fête populaire de Santi-Ponce, — tel est Le nom du village qui a remplacé l’ancienne ville romaine. Italica était aussi nommée, à l’époque romaine, Divi Trajani civitas, la ville de Trajan, parce qu’elle donna naissance au célèbre empereur. Italica fut fondée à peu de distance d’Hispalis, par Scipion l’Africain, qui lui donna pour premiers habitants des vétérans des légions romaines ; plus tard l’empereur Adrien, qui était aussi né à Italica, orna la ville de splendides édifices. Italica fut également la patrie de Théodose ; sous les rois wisigoths, elle ne fut pas moins florissante. Léovigilde reconstruisit ses murs vers la fin du sixième siècle, quand il fit le siége d’Hispalis, où son fils Hermenigilde, en révolte contre lui, s’était fortifié. Quand l’Espagne devint musulmane, Italica, abandonnée pour Séville, décrut rapidement, et son nom même, dont les Arabes avaient fait Talikah ou Talkah, ne tarda pas à être complétement oublié.

Comme nous l’avons dit, l’ancienne Italica est aujourd’hui remplacée par un village qu’on appelle Santi-Ponce : c’est dans ce village, fort misérable du reste, et qui n’a rien de remarquable en lui-même, que se donne tous les ans, dans les premiers jours d’octobre, la fameuse Feria de Santi-Ponce, une des fêtes les plus fréquentées des environs de Séville.

Nous partîmes de Séville de grand matin, pour nous rendre à la Feria ; la route était déjà encombrée de calesas de toutes couleurs, non moins antiques et non moins enluminées que la nôtre ; d’autres véhicules de tous genres, carros, carretas, birlochos, galeras, étaient chargés de gens du peuple et de femmes dans leurs plus brillants costumes, qui faisaient bourdonner les panderetas, grincer les guitares et claquer les castagnettes ; de temps en temps un majo à cheval, portant sa maja en croupe, dépassait la file des équipages ; chaque côté de la route était garni de piétons qui échangeaient mille quolibets avec les gens à cheval et en voiture, déployant ce brio et cet entrain qui n’appartiennent qu’aux Andalous.

Après avoir longé quelque temps les bords du Guadalquivir, nous laissâmes de côté la Cartuja, un ancien couvent de Chartreux, occupé aujourd’hui par une fabrique de terres de pipe et de porcelaine appartenant à un Anglais, M. Pickman. Cette fabrique doit inonder l’Espagne de ses produits, si nous en jugeons par la vaisselle, invariablement la même, que nous avons retrouvée dans toutes les fondas de la Péninsule.

En suivant les bords du fleuve, nous arrivâmes enfin à Santi-Ponce, qui est bâti à quelques centaines de mètres ; les danses avaient déjà commencé, au son des guitares et des castagnettes ; les gitanas disaient la bonne aventure ; les ciegos (aveugles) chantaient leurs complaintes en s’accompagnant sur la guitare ou le violon ; les aguadores distribuaient à droite et à gauche une eau plus ou moins fraîche, et des serranas, descendues de la montagne, vendaient leurs alfajores, ces gâteaux qui remplacent dans les fêtes andalouses le pain d’épice de nos foires.

Comme nous devions voir plus tard la foire de Séville, celle de Mayrena et encore d’autres ferias d’Andalousie, nous laissâmes celle de Santi-Ponce pour aller visiter les ruines d’Italica : elles se réduisent, hélas ! à bien peu de chose aujourd’hui ; quelques gradins d’un amphithéâtre, des tronçons de colonnes et des fragments d’entablements, voilà ce qui reste de l’ancienne cité qui donna le jour à trois empereurs romains. L’amphithéâtre d’Italica, dont le P. Florez et Montfaucon ont donné les dimensions, ne différait en rien des édifices semblables construits par les Romains ; au commencement de ce siècle il était relativement assez bien conservé, comme le montre une des planches de l’ouvrage d’Alexandre de Laborde ; on pourra voir, par le dessin de Doré, dans quel état il se trouve aujourd’hui. Il y a une soixantaine d’années, on découvrit sous les ruines d’Italica une remarquable mosaïque romaine représentant une course de chars, qui fut portée à Séville avec quelques marbres antiques de peu de valeur artistique ; du reste, nous l’avons déjà dit, la plupart des sculptures romaines trouvées en Espagne sont d’un style assez médiocre.

Après avoir quitté Santi-Ponce, nous commençâmes notre excursion dans les environs de Séville par Alcalá de Guadaira. Un assez grand nombre de villes d’Espagne portent le nom d’Alcalá, qui, en Arabe, signifie château fortifié ; celle qui nous occupe a également reçu le nom d’Alcalá de los Panaderos, c’est-à-dire des Boulangers, parce qu’elle a le privilége de fournir de pain la métropole de l’Andalousie. Presque toute la population d’Alcalá est occupée à la fabrication de ces roscas, hogazas, et autres pains à la pâte compacte et d’un blanc laiteux, qui se débitent dans presque toutes les rues de Séville.

Alcalá de los Panaderos est dominée par une colline au sommet de laquelle s’élève le Castillo arabe, ensemble de fortifications arabes d’un aspect majestueux et pittoresque ; ce château, composé de tours carrées et massives surmontées de créneaux et de moncharabys, était autrefois une position très-importante, et les Arabes la regardaient comme la clef de Séville ; aussi, quand saint Ferdinand en fit le siége, il commença par s’emparer d’Alcalá de Guadaira, où il établit son quartier général. Ces murailles solides et imposantes, dorées pendant tant de siècles par un soleil ardent, nous rappelèrent celles de l’Alhambra, et nous ne croyons pas qu’il existe en Espagne des constructions militaires arabes d’une égale importance.

Alcalá ne fournit pas Séville de pain seulement, elle lui envoie de plus son eau ; il n’est peut-être pas de ville au monde aussi riche en sources et en ruisseaux limpides ; la colline sur laquelle s’élève le château arabe est percée en tous sens et l’eau s’en échappe de tous côtés, pour former un ruisseau assez important qui va aboutir à des réservoirs voûtés et éclairés par en haut ; de là elle passe dans un canal à ciel ouvert qui alimente de nombreux moulins, et ensuite dans un long aqueduc de plus de quatre cents arches, qui arrive jusqu’aux portes de Séville, et qu’on appelle los caños de Carmona (les conduits de Carmona), parce qu’ils sont parallèles, pendant une certaine distance, à la route qui mène à cette ville. L’eau des caños de Carmona, aussi pure et aussi transparente que le cristal de roche, se distribue ensuite dans les édifices publics, les fontaines et les patios de Séville.

Les moulins d’Alcalá de los Panaderos sont restés, sans changement aucun, tels qu’ils étaient sous la domination musulmane, et ont conservé leur nom arabe de tahonas ou atahonas, du moins ceux qui sont mus par des mules ou par des chevaux ; on nous assura que la ville comptait au moins deux cents moulins tant de ces derniers que de ceux mus par l’eau, auxquels on donne le nom de molinos. Nous allâmes visiter le molino de la Mina, qui passe pour le plus curieux de la ville : son nom, qui en espagnol est synonyme de source, lui vient d’un cours d’eau limpide qui jaillit de l’intérieur de la montagne et qui met en mouvement un mécanisme très-grossier, à la vérité, mais d’une simplicité très ingénieuse : on sait que les Arabes étaient passés maîtres en fait de travaux hydrauliques.

Le molino de la Mina se compose de plusieurs grandes salles creusées dans le roc, et dont les voûtes sont soutenues soit par de solides piliers en maçonnerie, soit par de massives colonnes ménagées dans le roc même. Dans ces vastes cavernes, qui servent également de cuisine et d’habitation à plusieurs familles, travaillent en grand nombre des hommes, des femmes et des enfants ; la lumière, qui arrive d’en haut par d’étroites ouvertures, donne à tout ce monde un aspect fantastique, et éclaire des arcs cintrés en fer à cheval et construits en brique, ouvrage arabe antérieur de plusieurs siècles, suivant toute apparence, à la prise de Séville.

Alcalá compte, parmi ses habitants, un nombre de gitanos relativement assez considérable ; la plupart habitent des grottes ou cavernes surmontées de cactus et d’aloès, et creusées dans le roc au pied de la colline sur laquelle s’élève le Castillo arabe. En voyant ces misérables habitations, nous nous crûmes transportés au Sacro Monte de Grenade ; elles ne reçoivent le jour et l’air que par la porte d’entrée, et n’ont pour clôture que de vieilles planches mal jointes, Les gitanos d’Alcalá, ressemblent, du reste, à ceux des autres parties de l’Andalousie. Voici le portrait peu flatté que fait de cette tribu un auteur espagnol : « Voleuse par instinct ni plus ni moins que la pie, peureuse comme le cerf, rusée comme le renard, paresseuse et sale comme un autre animal qu’il est plus convenable de ne pas nommer, mais plaisante, spirituellement bavarde, tenace dans ses idées, heureuse de sa misère, opposée à toute réforme, consolée et même vaine de son avilissement. »

La route d’Alcala à Moron, couverte d’une poussière blanche et épaisse, ressemble aux autres routes d’Andalousie : d’énormes aloès, longs et acérés, que les paysans appellent, dans leur langage pittoresque, munda-dientes del diablo, — les cure-dents du diable, — s’élèvent à droite et à gauche pour garantir les champs des ravages des bestiaux. La ville, fortifiée dès le temps des Romains, remonte, dit-on, à une époque plus ancienne ; nous y achetâmes d’un albañil (maçon) qui nous assura l’avoir trouvée en creusant des fondations, une superbe médaille d’Athènes apportée anciennement, sans aucun doute, par les Phéniciens.

Moron ne renferme, du reste, rien de remarquable ; seulement cette ville était, naguère encore, assez mal famée sous le rapport du brigandage, et on lui appliquait, ainsi qu’à Malaga, à Utrera et à quelques autres villes d’Andalousie, ce dicton significatif : Mata á un hombre, y vete á Moron. — Tue un homme et va-t’en à Moron !

Un couplet populaire, qui s’adresse à une jeune Andalouse, montre encore combien la réputation de Moron est proverbiale en ce qui touche les ladrones :

Una porcion de civiles
Han salido de Moron
En busca unos ladrones ;
Mi niña, tus ojos son.

« Une escouade de civiles (gendarmes) est partie de Moron à la recherche de brigands ; ces brigands, ma petite, ce sont tes yeux. »

Citons encore une locution proverbiale qui figure sur une faïence populaire du temps de Charles III, que nous avons rapportée d’Espagne : El gallo de Moron, sin pico ni plumas, y cacareando. Il s’agit du « coq de Moron, qui n’a plus ni bec ni plumes, et qui chante toujours. » Nous ignorons, du reste, l’origine de ce dicton ; tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’il est très-connu d’un bout à l’autre de l’Espagne.

C’est à quelques lieues de Moron que s’élève, sur une colline, la petite ville d’Osuna, illustrée par une des plus célèbres familles d’Espagne, qui existe encore, et dont le membre le plus célèbre fut Pedro Giron, duc d’Osuna, qui joua un si grand rôle sous le règne de Philippe III. Bien que la noblesse des Giron ne date que du quinzième siècle, les anciens généalogistes espagnols, toujours passionnés pour le fabuleux, ont voulu faire remonter cette famille à Geryon, ce géant qui nourrissait ses bœufs de chair humaine, et qui fut tué par Hercule.

À égale distance de Moron, mais dans la direction de l’ouest, se trouve Utrera, une des plus charmantes villes d’Andalousie ; Utrera, célèbre par ses taureaux, est la patrie de plusieurs toreros estimés ; c’est dans les environs de la ville que paissent les ganaderias ; ces troupeaux sont très-estimés par les aficionados et fournissent les bichos, pour parler leur langage, aux plus belles corridas de Séville et des environs.

Les courses de taureaux d’Utrera se donnent sur la plaza de la Constitucion, dont les maisons sont garnies de balcons et de miradores ; c’est ainsi qu’elles se donnaient autrefois, de même que les auto-da-fe, — deux funciones nationales, — sur la plaza Mayor de Madrid, et qu’on donne encore les corridas sur la grande place de Salamanque.

Nous montâmes en wagon à Utrera, qui est une des principales stations du chemin de fer de Séville à Jerez et à Cadiz ; après avoir traversé celles de la Venta de las Alcantarillas et de las Cabezas de San Juan, nous descendîmes à celle de Lebrija, qui précède, sauf une station de peu d’importance, celle de Jerez. Ensuite le chemin de fer passe au Puerto Santa-Maria, d’où il se dirige sur le Puerto Real, San Fernando et Cadiz, en contournant la baie et en décrivant à peu près un fer à cheval.

Lebrija est une assez jolie ville bâtie sur une éminence, à une lieue environ du Guadalquivir, au milieu d’une plaine sujette aux inondations ; quand nous eûmes visité la principale curiosité de Lebrija, son église, dont les habitants sont très-fiers parce qu’elle a été bâtie sur le modèle de la Giralda de Séville, nous retournâmes à la station pour prendre le train qui venait de Cadiz, et deux heures après nous étions dans la gare de Séville.


La calle de las Sierpes. — Un patio. — La mantilla de tira. — Le Correo ; les noms de femme. — La casa de Avuntamiento. — Les armes et les devises de Séville ; la Empresa des Rois catholiques. — La calle de los Abades. — La maison de don Juan. — La calle de la Feria ; les Ferias de Murillo. — La Macarena. — La tahona et le tahonero. — L’hôpital de la Sangre. — La Plaza de la Magdalena. — Les Puertos de agua ; los bebidas ou rafraîchissements populaires. — Le Mercado. — L’Alameda de Hercules et les Delicias de Cristina.

Nous étions descendus à la fonda de Europa, dans la calle de las Sierpes ; nos chambres étaient au rez-de-chaussée et donnaient sur un grand patio, vaste cour entourée de portiques aux belles colonnes de marbre blanc avec des chapiteaux arabes. Au centre de notre patio, un vrai modèle du genre, s’élevait un jet d’eau qui retombait en gerbe dans une grande vasque, et arrosait un jardin planté en pleine terre d’arbres et d’arbustes des pays méridionaux ; or, y voyait des latanos ou bananiers aux larges feuilles déchiquetées, des orangers et des citronniers chargés à la fois de fleurs et de fruits, et une jolie plante aux fleurs jaunes qu’on appelle, en Andalousie, dama de noche, — dame de nuit, — parce que les fleurs, qui restent fermées toute la journée, s’ouvrent le soir et répandent toute la nuit une odeur des plus suaves.

La calle de las Sierpes, c’est-à-dire la rue des Serpents, ainsi nommée nous ne savons trop pourquoi, est située au cœur de Séville, à proximité de la plaza de la Constitucion, de l’Ayuntamiento, de la cathédrale et de la nouvelle promenade, la Alameda del Duque. La calle de las Sierpes est le véritable centre du mouvement, de la pétulance et de l’activité réelle ou apparente des Sévillans. Les voitures, fort rares du reste dans les autres parties de la ville, ne peuvent y circuler, ce qui laisse aux piétons toute liberté d’y flâner à leur aise. Le soir surtout c’est un va-et-vient, un mouvement continuel de promeneurs qui rappelle, avec plus de pittoresque à Séville. - Dessin ne Gustave Dore. Palais de 1’Ayuntamiento, cependant, notre boulevard des Italiens. Les hommes, il est vrai, sont habillés suivant le dernier ou l’avant-dernier numéro du Journal des Modes, — al estilo de Paris, comme on dit ici ; fort heureusement les femmes ont conservé, en partie du moins, le costume national ; elles préfèrent les fleurs naturelles, qui abondent en toute saison sous ce beau climat, aux fleurs artificielles et à tous ces colifichets sans nom que nos modistes inventent chaque jour. Les crêpes de Chine groseille, jaune soufre ou jaune citron, qui seraient ridicules chez nous, sont toujours à la mode en Andalousie et vont à ravir aux dames de Séville, qui les recouvrent de la mantille de dentelle noire qu’elles savent porter avec une grâce particulière ; on sent qu’elles sont fières d’être Sévillanes, et qu’elles préfèrent quand même la mantille nationale à ces toilettes banales qui sont de tous les pays et n’appartiennent à aucun. La Sévillane, dit un quatrain andalou, a dans sa mantille deux mots qui disent : Vive Séville !

Tiene la Sevillana
En su mantilla
Un letrero que dice :
Viva Sevilla !

La mantilla de tira, si souvent chantée dans les poésies populaires andalouses, diffère de la mantille ordinaire en ce que le fond, tantôt de soie, tantôt de laine, est bordé d’une large bande de velours ou de laine, tira, découpée en dentelures ou en zigzag. La mantilla de tira est réservée aux majas, aux cigarreras, qui savent la porter avec une crânerie et une désinvolture particulière, avec la soltura andalouse : « Avec une grossière étoffe de Malaga, dit la maja de la chanson en dialecte populaire, je fais plus d’effet dans Séville qu’une grande dame avec son chapeau ou son bonnet. Quand je vais par les rues avec ma mantille de tira, il n’y a pas d’yeux qui ne m’admirent ni de cœur qui résiste, et si je rencontre quelque Français qui s’approche de moi le cœur enflammé, je lui fais perdre la tête et chanter ses litanies :

Con la sarga malagueña
Mas gorpe doy en Seviya
Que toita una señora
Con sombrero y papaliua ;
Cuando voy por esas cayes
Con la mantiya é tira
No hay ojos que no me miren
Ni corazon que resista ;
Y si encuentro argun Franchute
Y a enamorarme se arrima,
Le jago perder el pesquis
Y cantar las Letanias.

C’est encore dans la calle de las Sierpes, où se trouvent les boutiques les plus élégantes de Séville, que vont chercher fortune les industriels ambulants aux costumes pittoresques ; ici un florero, son long panier à la main, vante avec une voix de fausset ses dahlias, ses œillets et ses roses :

« Tengo dalia, clarel y rosa ! »

Ou bien un aveugle, qu’un gamin débraillé conduit par la main, et qui offre des billets de loterie, en promettant le gros lot à chacun :

« El premio gordo ! Quien se lo lleva ? » — Le gros lot ! Qui le prend ?

À un des angles de la calle de las Sierpes se trouve le Correo, c’est-à-dire le courrier ou la poste restante. Le service des postes, en Espagne, diffère du nôtre en quelques points ; ainsi l’affranchissement est obligatoire et les lettres non revêtues d’un timbre restent dans les bureaux. Les murs du vestibule ce la poste restante sont garnis de tableaux contenant les listas del correo, longues listes où les employés écrivent chaque jour le nom des personnes qui ont des lettres à réclamer ; ces listes sont rédigées avec un ordre parfait : il y a celle des nationaux, celle des militaires, celle des étrangers, celle des femmes, etc. D’autres listes sont destinées aux lettres atrasadas (en retard) et à celles retenues pour manque d’affranchissement : por falta de franqueo ; à chaque nom correspond un numéro, au moyen duquel chacun va réclamer au bureau les lettres qui lui sont destinées.

Une particularité que nous avons observée, c’est que ces listes sont conçues non pas dans l’ordre alphabétique des noms de famille, comme cela se pratique généralement chez nous, mais dans celui des noms de baptême. À propos des noms de baptême, disons quelques mots de ceux des femmes espagnoles qui diffèrent beaucoup des nôtres et sont souvent pleins d’originalité.

La plupart des noms qu’on donne aux femmes, principalement en Andalousie, sont empruntés à des idées de mysticisme ou de religion ; tels sont, pour ne citer que ceux qu’on rencontre le plus fréquemment, ceux de Carmen (du Mont-Carmel), — Dolorès (de Notre-Dame des sept douleurs), — Trinidad, — Concepcion, — Encarnacion, — Rosario (de Notre-Dame du saint Rosaire), — Pilar (littéralement : Pilier, de la célèbre Notre-Dame del Pilar de Saragosse), — Belen (c’est-à-dire, en espagnol, Bethléem), — Reyes (des trois Rois Mages), — Asuncion (Assomption), — Amparo (de Notre-Dame de Bon-Secours), — Alegria (Allégresse), etc., etc.

D’autres noms de femmes sont simplement empruntés au martyrologe, comme Pepa, Pepita ou Pepiya (Joséphine), — Inès (Agnès), — Rafaela, — Ramona (Raymonde), — Paca ou Paquita (Françoise), — Manuela, — Angela, — Hermenigilda, — Rita (Marguerite), etc.

Les noms d’hommes offrent, en général, moins d’originalité ; citons cependant Vargas, — Ramirez, — Rodriguez, — Macias, — Machuca, comme des noms de famille qui appartiennent à un assez grand nombre de gitanos ; comme noms de baptême, les gitanos d’Andalousie affectionnent particulièrement Cristóbal (Christophe), — Lázaro, — Juan de Dios (Jean de Dieu), — Angel, — Ignacio, — Alonzo et Fernando ; ce qui, du reste, ne prouve pas qu’ils soient toujours de parfaits chrétiens.

Quant aux noms de baptême des gitanos, — car on les baptise aussi, ceux qu’on leur donne le plus communément sont fort singuliers ; il nous suffira de citer Portail de la cathédrale de Séville. Dessin de Gustave Doré. Rocio (de la Virgen del Rocio, pèlerinage très-connu des environs de Séville), — Soledad (Solitude, qu’on prononce tantôt Soléda, tantôt Soléa), — Salud (prononcez Salou, de Nuestra Señora de la Salud, c’est-à-dire de la Santé), — Candelaria (du Candelario, ou cierge pascal), — Aurora (un nom illustré par une des plus célèbres danseuses gitanas de Séville : Aurora, surnommée la Cujiñi, mot qui, dans le langage des gitanos, signifie la Rose), — Milagros (miracles), — Geltrudis (Gertrude), etc., etc.

L’autre extrémité de la calle de las Sierpes aboutit à la plaza de la Constitucion, dont un des côtés est occupé par l’hôtel de ville ou Ayuntamiento. La Casa del Ayuntamiento, construite dans la première moitié du seizième siècle, est un des plus beaux spécimens de l’architecture plateresque en Espagne ; le mot plateresco, employé par les Espagnols pour désigner le style de la renaissance, est emprunté à l’orfévrerie : les riches détails d’ornementation prodigués par les artistes de ce temps sur les monuments ont presque la finesse des ciselures sur or ou argent.

On ignore à quel artiste sont dues les belles sculptures de la Casa del Ayuntamiento ; elles portent l’empreinte du goût de la renaissance italienne, et sont peut-être l’ouvrage de quelqu’un des nombreux artistes italiens qui vinrent s’établir à Séville dès les premières années du seizième siècle, à moins qu’elles ne soient l’œuvre de quelque sculpteur espagnol comme le Berraguete ou Becerra, qui allèrent, ainsi que beaucoup de leurs compatriotes, se former en Italie à l’école de Michel-Ange.

Au premier étage est une belle galerie qu’on ouvre le jour de la fête de la reine, dont on expose le portrait avec accompagnement de musique militaire.

Malheureusement, ce beau monument n’a pas été achevé ; parmi ses ornements, qui ont été récemment réparés avec goût et intelligence, figurent les armes et devises de Séville ; il va sans dire que la capitale de l’Andalousie a, comme toutes les autres villes d’Espagne, ses titres de noblesse et ses armes particulières : celles-ci datent, dit-on, de l’année 1311 ; elles représentent saint Ferdinand assis sur son trône, une large épée dans la main droite, accompagné de saint Isidore et de saint Léandre, les deux patrons de la ville, qui se tiennent debout à ses côtés ; on y lit cette inscription :

Sello de la muy noble ciudad de Sevilla.

« Sceau de la très-noble ville de Séville. »

Et au-dessous la devise :

NO 8 DO

Cette devise, que les Espagnols appellent empresa et qui est l’équivalent des imprese italiennes, se retrouve à chaque instant sur tous les monuments de Séville ; elle forme une espèce de rébus, peu intelligible au premier abord, qui demande une explication particulière.

Vers la fin du treizième siècle, le roi Alfonso el Sábio, le Savant, ayant été détrône par son fils Don Sancho presque toutes les provinces et la plupart des villes de son royaume s’insurgèrent contre lui ; Séville seule lui resta fidèle, et, en récompense de sa loyauté, le roi lui octroya cette empresa qu’on appelle el Nodo, le nœud ; entre les deux syllabes du mot NO-DO se trouve un signe qui a la forme d’un 8 et qui représente un nœud, nodo, ou un écheveau, en ancien espagnol : madexa ; or ce mot, intercalé entre les deux syllabes ci-dessus, forme la phase : No-madexa-do, ou no m’ha dexado, ce qui signifie, littéralement : Elle ne m’a pas abandonné ; le nœud, nodo, pris isolément, sert en outre d’emblème et fait allusion au lien de fidélité qui unissait Séville à son roi.

Disons également quelques mots de la devise des rois catholiques Ferdinand et Isabelle, qu’on rencontre si fréquemment sur les monuments espagnols, mais à Séville plus que partout ailleurs. Cette empresa ou emblema est ordinairement renfermée dans deux écussons, l’un représentant un faisceau de flèches, — flechas — ; l’autre un joug, — yugo ; — au-dessous des flèches se voit une F gothique, qui est en même temps la première lettre du mot flechas et l’initiale du nom de Fernando ; de même que, dans l’autre écusson, l’Y commence également le mot yugo et le nom d’Ysabel.

Sous le règne des rois catholiques l’F et l’Y furent très-souvent employés non-seulement dans l’ornementation des monuments, mais même dans la décoration d’objets usuels ; ainsi nous avons vu plusieurs fois ces deux lettres figurer sur d’anciennes armes espagnoles et sur ces beaux plats ornés de brillants reflets métalliques qui figurent dans toutes les collections d’amateurs sous le nom de faïences hispano moresques, et qui se fabriquèrent dans plusieurs provinces d’Espagne aux quinzième et seizième siècles.

En outre, le joug qui figure dans la devise de Ferdinand et d’Isabelle est accompagné des deux mots TANTO MONTA, qu’on a interprétés de différentes manières, mais dont le sens le plus vraisemblable est : Tanto monta Fernando como Ysabel, c’est-à-dire que les deux princes s’élèvent autant l’un que l’autre et exercent la même autorité. Les espèces de rébus que nous venons de citer étaient anciennement très à la mode en Espagne ; ainsi l’on imprimait sur les épaules des esclaves, au moyen d’un fer chaud, une S et un clou (clavo), ce qui se lisait, en espagnol, esclavo, c’est-à-dire esclave.

Les rues les plus fréquentées de Séville, après la calle de las Sierpes, sont celles de Dados et de Francos, qu’on pourrait comparer à la rue Saint-Denis ; elles sont occupées par les magasins d’étoffes, les sombrereros à la porte desquels s’étalent les chapeaux andalous du dernier genre, les merciers et les marchands d’habits tout faits, — ropa hecha.

Comme dans la plupart des anciennes villes, chaque rue est, pour ainsi dire, réservée à certains marchands ; ainsi, dans la calle de Genoa demeurent la plupart des libraires ; la calle de Genoa est aussi le théâtre ordinaire des fameuses processions ou pasos de Séville, dont nous La Giralda, à Séville. - Dessin de Gustave Doré aurons bientôt l’occasion de parler ; les orfévres ont leurs boutiques dans la calle de Chicarreros, et la calle de Mar est presque entièrement occupée par les fabricants de bottines ou guêtres andalouses ouvertes sur le côté et ornées de broderies en soie aux couleurs éclatantes.

Beaucoup d’autres rues de Séville ont leurs souvenirs historiques, leurs légendes ou leurs dictons populaires ; il est un de ces dictons assez curieux, qui détermine d’une manière très-pittoresque la situation des divers quartiers de la ville sous le triple rapport de la richesse, de l’aisance et de la misère :

« Depuis la cathédrale jusqu’à la Magdalena, dit le sixain en question, on déjeune, on dîne et on soupe.

« Depuis la Magdalena jusqu’à San Vicente, on dîne seulement.

« Depuis San Vicente jusqu’à la Macarena, on ne déjeune, ni ne dîne, ni ne soupe. »

Desde la catedral hasta la Magdalena,
Se almuerza, se come y se cena ;
Desde la Magdalena hasta San Vicente,
Se come solamente ;
Desde San Vicente hasta la Macarena,
Ni se almuerza, ni se come, ni se cena.

Citons encore le dicton populaire sur la calle de los Abades, la rue des Abbés, située à peu de distance de la cathédrale, et dans laquelle « tous ont des oncles, mais personne n’a de père. »

En la calle de los Abades
Todos han tios, ningunos padres.
Los canonigos ne tienen hijos :
Los que tienen en casa, son sobrinicos.

La calle del Candilejo est célèbre par un buste du roi don Pedro, — Pierre le cruel, — qui se voit au fond d’une espèce de niche pratiquée dans le mur d’une maison et garnie d’un grillage de fil de fer. C’est dans cette rue, dit-on, que le roi Justicier — el Justiciero — poignarda de sa main le mari d’une femme qu’il poursuivait ; après avoir commis ce crime, il se condamna lui-même à être exécuté, mais en effigie seulement.

C’est dans la calle de San Leandro qu’était la demeure du fameux don Juan, dont le nom de famille était Tenorio, et qui servit de modèle à Tirsa de Molina pour sa pièce intitulée el Burlador de Sevilla, o el Convidado de Piedra, d’où Thomas Corneille tira le sujet de son Festin de Pierre. La famille des Tenorio avait sa chapelle dans le couvent des Franciscains de Séville, où fut enterré, suivant la tradition, le corps du commandeur — el comendador — tué par don Juan.

La rue habitée par le grand peintre de Séville a reçu le nom de calle de Murillo, et on nous y fit voir la maison qu’il habitait. C’est dans une maison de la calle de los Taveras que siégeait autrefois le Tribunal de l’Inquisition, — el Santo Tribunal, comme on l’appelait. Les historiens de Séville revendiquent pour leur pays la gloire d’avoir été le berceau de cette institution : Esta Santa Inquisicion obo su comienzo en Sevilla.

Le Quemadero, c’est-à-dire, littéralement, l’endroil où l’on brûle, était situé hors des portes, dans une plaine appelée Le pré de Saint-Sébastien, — el Prado de San Sebastian ; c’est là qu’avaient encore lieu, au commencement du dix-neuvième siècle, les auto-da-fé : on sait qua le tribunal du Saint-Office ne fut définitivement aboli par les Cortes qu’en 1820.

La calle de la Feria tire son nom d’une foire ou marché très-pittoresque qui se tient dans cette rue depuis un temps immémorial. « C’est là, dit M. de la Escosura, qu’ont été vendues publiquement les premières productions de notre grand peintre sévillan, Bartolome Murillo. Cette place donna même son nom à ses premières toiles, destinées pour la plupart au commerce avec l’Amérique, et qui, comme personne ne l’ignore, étaient appelées Ferias (marchés), pour avoir été vendues sur la place du Marché.

« La calle de la Feria, ajoute le même écrivain, sert aujourd’hui (il écrivait en 1844) à une espèce de marché d’antiquités bien connu des amateurs et surtout fréquenté par les spéculateurs étrangers, qui y trouvent à vil prix des objets très-curieux qu’ils revendent à Paris et à Londres à leur juste valeur, c’est-à-dire à peu près au centuple de ce qu’ils les ont payés. »

Alléchés par l’espoir de quelque merveilleuse découverte, nous ne manquions jamais d’aller chaque jeudi, de très-grand matin, exploiter le marché de la Feria ; nous y fûmes témoins des scènes les plus pittoresques ; Doré y dessina des paysans superbes, qui étaient venus vendre leurs lapins et leur gibier, des racines de palmier nain, — un mets assez singulier dont se délectent les gens du peuple ; d’autres vantaient à gorge déployée leurs pommes de pin, excellentes et grosses comme des melons : Pinoñes como melones, gordos y valientes ! Les marchands d’eau et les marchands de cerillas criaient leur eau et leur feu : agua ! fuego ! Enfin nous pûmes faire à la Feria une étude complète des cris de Séville. Quant aux curiosités et aux antiquités, il nous fut impossible d’en apercevoir aucune, malgré les recherches les plus consciencieuses ; au lieu de porcelaines de Sèvres ou de Saxe, nous ne trouvâmes que les vulgaires produits de la Cartuja et des piles d’aljofainas, énormes jattes de grossière faïence à dessins verts, qui se fabriquent dans le faubourg de Triana. En fait de bronze, quelques vieilles lampes hors d’usage ; en fait d’armes, quelques navajas de Santa Cruz de Mudela et des sabres du temps de l’Empire.

Nous eûmes un instant l’espoir de nous dédommager en dénichant quelques vieux livres ; derrière des étalages de ferraille rouillée, nous avions entrevu des monceaux de vieux livres couverts en parchemin, étalés sur le pavé à deux pas du ruisseau. Qui sait, nous disions-nous, si dans ce fumier nous n’allons pas découvrir quelque perle : une de ces belles et rares éditions imprimées à Valence, à Séville, à Salamanque et à Madrid ; quelque roman de chevalerie épargné par la nièce du chevalier de la Manche ? Nous nous serions, au besoin, contentés d’El ingeniozo hidalgo D. Quixote, imprimée en 1605, à Madrid, par Juan de la Cuesta.

Puerta del Pardon à la cathédrale de Sévitle. - Dessin de Gustave Doré, Malheureusement nous ne trouvâmes dans le tas que ce que les bibliophiles peuvent trouver aujourd’hui en Espagne, c’est-à-dire de ces livres de théologie et de dévotion — obras de devocion — imprimés en si grand nombre en Espagne, tels que la Somme de saint Thomas, les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, etc. Les rares éditions espagnoles ne se trouvent plus qu’à Paris ou à Londres, ou dans les bibliothèques de D. José de Salamanca et de notre savant ami Pascol de Gayangus.

Le quartier de la Macarena, dont nous avons parlé plus haut à propos d’un sixain populaire, est comme le faubourg Saint-Antoine ou la place Maubert de Séville, situé à l’une des extrémités de la ville ; il n’est guère habité que par des gens du peuple, qui ont peu de contact avec les autres quartiers, et conservent avec soin les mœurs et les costumes andalous ; aussi, quand on veut parler d’une jeune fille qui n’a rien perdu de la désinvolture propre aux Sévillanes de la basse classe, dit-on una Moza ou una jembra Macarena.

Nous allions souvent errer dans les rues pittoresques de la Macarena ; les habitants, qui vivent presque toujours en dehors, nous offraient de curieux sujets d’observation. Un jour nous entrâmes dans une tahona ou moulin a farine mû par des mules, et dont le mécanisme nous parut arabe comme son nom ; le tahonero nous accueillit très-bien et nous fit asseoir un instant, après avoir mis, suivant l’usage espagnol, sa maison à notre disposition ; le brave meunier, coiffé d’un foulard a la mode andalouse, se mit à fumer tranquillement sa cigarette pendant que nous dessinions ; la tahonera, une jeune femme d’une vingtaine d’années, était debout à côté de lui, tenant dans ses bras un charmant bambin à peine vêtu, qui nous regardait d’un air quelque peu effaré. La tahonera, avec ses bras nus et ses beaux cheveux noirs en désordre, était superbe à dessiner : elle offrait le type le plus fin et le plus élégant de la beauté sévillane ; aussi Doré s’empressa-t-il de faire un croquis de cette charmante scène andalouse pendant que nous nous amusions à causer avec le tahonero.

C’est dans le quartier de la Macarena, à peu de distance des anciens murs arabes de Séville, que se trouve le fameux hôpital de la Sangre (du sang), aussi appelé de las Cinco Llagas, à cause des cinq plaies de Notre-Seigneur, qui sont sculptées sur la façade. La Sangre, le principal hôpital de la ville, est un bel et vaste édifice de la seconde moitié du seizième siècle, d’un assez bon style architectural et orné de sculptures qui ne manquent pas de mérite.

Après cette revue des rues les plus curieuses de Séville, il nous reste à dire quelques mots des places, qui ont aussi leur physionomie à part : la plus grande de toutes et la plus récente est la plaza Nueva ou de la Infanta Isabel ; c’est un vaste parallélogramme planté d’orangers en pleine terre et garni de bancs de marbre ; ces orangers, plantés depuis quelques années seulement, ne donnent encore que peu d’ombre, aussi la promenade est-elle peu fréquentée aux heures de soleil ; au milieu s’élève une estrade destinée à la musique du soir ; tout cela est trop symétrique, et les maisons neuves qui entourent la place de trois côtés lui donnent un aspect encore plus monotone.

Nous préférons, malgré son irrégularité, la plaza del Duque, située à une des extrémités de la calle de las Sierpes. Cette place, qui doit son nom au duc de Medina Sidonia, est le point de départ d’un grand nombre de diligences, et nous y observâmes plus d’une fois de curieux détails de mœurs, tant à l’embarquement qu’au débarquement des voyageurs.

La plaza de la Magdalena, avec ses puestos de agua, est une des plus pittoresques et des plus animées de Séville ; les puestos de agua sont de petites boutiques dans le genre de celles des acquaiuoli napolitains, ou se débitent toutes sortes de rafraîchissements à bon marché ; ces boissons, auxquelles la neige donne une fraîcheur très-agréable, sont des plus variées : ainsi il y a l’agraz, qui se fait avec le verjus et qu’on mélange avec une espèce de sirop, — almibar ; la zarzaparilla, infusion de salsepareille ; la cidra et la naranja, qui se font avec le jus du citron et de l’orange ; l’orchatu de almendra, qui n’est autre que notre orgeat ; le malvabisco, boisson à la mauve, et autres rafraîchissements qui peuvent paraître quelque peu anodins, mais qui, sous un climat brûlant, sont infiniment préférables à l’absinthe et aux autres liqueurs du même genre.

N’oublions pas le Mercado, où nous faisions le matin de fréquentes promenades ; rien ne donne mieux l’idée de la fertilité de l’Andalousie, qu’une promenade au marché de Séville : les melons verts aux dimensions énormes sont empilés avec symétrie, comme les boulets dans un arsenal, sous les grands tendidos aux raies bleues et blanches qui abritent les acheteurs de l’ardeur du soleil ; les oranges, les citrons, les grenades aux brillantes couleurs s’entassent à côté d’ognons gigantesques, de tomates et de piments rouges comme le vermillon, et d’énormes grappes de raisin à la couleur ambrée font penser et la terre promise ; aussi a-t-on appliqué à la capitale de l’Andalousie le même refran populaire qu’à Grenade : « Quand Dieu aime bien quelqu’un, il lui permet de vivre à Séville. »

A qui en Dios quiero bien,
En Sevilla le da de comer.

L’Alameda de Hercules, une des plus anciennes promenades de Séville, peu fréquentée aujourd’hui, doit son nom à une statue d’Hercule placée au sommet d’une haute colonne et faisant pendant à celle de Jules César ; une autre Alameda, celle de las Delicias, qu’on appelle aussi la Cristina, étend ses ombrages jusqu’aux bords du Guadalquivir, à peu de distance de la Torre del Oro et de la Puerta de Jerez, ou, pour mieux dire, de l’emplacement qu’elle occupait, car les maçons étaient occupés à la démolir quand nous la visitâmes.

Non loin de la Cristina s’élèvent la cathédrale et sa tour, la fameuse Giralda, la gloire et l’orgueil des Sévillans.

Intérieur de la cathédrale de Séville. - Dessin de Gustave Doré.


La Giralda. — La statue de la Foi, ou Giraldillo. — Le Caballero del Bosque et la Giralda. — Les cloches. — Le Patio de los Naranjos. — Les portes et les marteaux arabes. — La Puerta del Perdon ; la Puerta del Lagarto. — Les chanoines de Séville. — La cathédrale : le Monumento. — La Custodia de Juan de Aife. — Le Cirio pascual. — Le saint Christophe. — La Capilla mayor. — Tombeau de Ferdinand le Catholique et de Maria Padila. — La salle capitulaire et la sacristie. — Le saint Antoine de Murillo. — Les peintures sur verre.

La Giralda, cette merveille qui fait battre le cœur de tous les enfants de Séville, mérite, sous bien des rapports, la réputation qui lui a été faite ; on peut dire que cette haute et magnifique tour est unique en Europe ; le beau Campanile de Saint-Marc, à Venise, construit à peu près à la même époque, est peut-être le seul monument qu’on puisse lui comparer. Les Sévillans, dans leur enthousiasme, vont jusqu’à mettre leur tour en parallèle avec les pyramides d’Égypte, et ils l’appellent la huitième merveille du monde, la mettant au-dessus des sept autres merveilles :

Tu, mara villa octava, maravillas
A las pasadas siete maravillas.

« Le meilleur pays de l’Espagne, dit un ancien auteur sévillan, c’est celui que baigne le Bétis (Guadalquivir), et parmi les pays que parcourt le Bétis, le meilleur est celui que domine la Giralda. »

La mejor tierra de España
Aquella que el Betis baña.
De la que el Betis rodea
La que la Giralda ojea.

Les Sévillans se plaisent à raconter la répartie d’un de leurs compatriotes au sujet de la Giralda : il s’agit d’un étranger, Français ou Anglais, qui venait de la voir pour la première fois et qui ne trouvait pas de termes assez expressifs pour traduire son admiration :

« Puez zeño, s’écria l’Andalou dans son dialecte et avec son accent aussi prononcé que celui des Marseillais, no crea uzté que la han traido de Paris ni de Londrez, que tal cual uzté la vé, la hemoz hecho acá en Zeviya ! »

« Eh bien ! monsieur, ne croyez pas qu’on l’ait apportée de Paris ni de Londres ; telle que vous la voyez, c’est nous qui l’avons faite ici, à Séville. »

La tradition attribue la construction de la fameuse tour à un Arabe de Séville nommé Geber ou Gueber, le même qu’on a donné à tort comme l’inventeur de l’algèbre ; suivant une autre version, elle aurait été bâtie par un architecte du nom d’Abou Yousouf-Yacoub, vers la fin du douzième siècle. Ce qui est certain, c’est que la Giralda est d’une architecture à la fois gracieuse et imposante ; la Giralda, construite en briques d’un ton rosé qui prennent au soleil une couleur charmante, est carrée et ses murs sont d’une grande épaisseur ; l’intérieur est formé par une espèce de massif de maçonnerie, également carré, qui n’a pas moins de vingt-trois pieds d’épaisseur, pilier colossal qui s’élève jusqu’au sommet de la construction arabe, c’est-à-dire à deux cent cinquante pieds de hauteur. Entre ce massif et les quatre murs extérieurs, est ménagé un vide éclairé par de petites fenêtres à doubles arceaux en fer à cheval, — ajimeces — que séparent au milieu de minces colonnettes. C’est dans ce vide que se trouve, non pas l’escalier, mais une rampe ou plan incliné en pente tellement douce, qu’un homme à cheval pourrait facilement monter jusqu’au sommet ; on assure même que deux hommes de front peuvent ainsi monter jusqu’à la moitié de la tour.

L’architecte arabe avait couronné la Giralda de quatre énormes globes de métal doré tellement brillants, dit la Cronica general de San Fernando, qu’on les apercevait de huit lieues quand ils étaient éclairés par le soleil, et la même chronique ajoute qu’il fallut élargir une des portes de la ville pour les faire entrer.

Les globes furent renversés, en 1395, par un tremblement de terre ; en 1568, Hernan Ruiz, de Burgos, exhaussa la tour de cent pieds, en y ajoutant un clocher dans le goût de l’époque. Cette construction est d’un très-bel effet ; autour du second corps se lit, en énormes lettres au gustales, ce passage du Livre des Proverbes :

NOMEN DOMINI FORTISSIMA TURRIS.

« Le nom du Seigneur est la plus forte tour. »

Le clocher est couronné d’une statue de bronze représentant la Foi, fondue par Bartolomé Morel vers 1570 ; bien que cette statue soit de proportions colossales, elle est placée sur un pivot, de manière à tourner au moindre vent ; c’est ce qui l’a fait appeler la Giralda, du verbe girar, qui signifie tourner. On donna plus tard ce nom à la tour elle-même, et pour désigner la statue on se servait du diminutif Giraldilla ou Giraldillo, qui signifie littéralement girouette, nom assez singulier pour une statue représentant la Foi, qui, de son essence, est fixe et immuable.

Cervantès, qui connaissait bien Séville, n’a pas oublié la Giralda dans son Don Quichotte ; quand le caballero del Bosque fait le récit des merveilleuses prouesses qu’il fit en l’honneur de la belle Casildea de Vandalia :

« Une fois, dit-il, elle m’ordonna d’aller défier cette fameuse géante de Séville nommée la Giralda, aussi vaillante et aussi forte que si elle était de bronze, et qui, sans jamais changer de place, est la femme la plus mobile et la plus inconstante du monde. Je vins, je la vis, je la vainquis, et je la forçai à rester immobile comme un Terme, car, pendant plus d’une semaine, il ne souffla pas d’autre vent que celui du nord. »

Pendant que nous étions au sommet de la Giralda et que nous admirions le merveilleux panorama qui se développe sur le Guadalquivir, la campagne de Séville et les hautes sierras aux teintes d’azur, on se mit à sonner, avec un vacarme effroyable, quelques-unes des cloches du Campanile, qui sont au nombre de vingt-quatre ; les deux plus grosses s’appellent Santa Maria et San Miguel ; les autres portent également des noms de saints et de saintes, comme San Cristobal, San Fernando, Santa Barbara, Santa Inès, etc.

L’art de la sonnerie nous a paru beaucoup plus cultivé en Espagne que chez nous ; les campaneros de Séville se livrèrent devant nous à de prodigieux exercices de gymnastique pour mettre leurs cloches en mouvement ; tantôt ils se suspendaient à la corde pour mettre la cloche en branle, en se laissant enlever à une hauteur effrayante ; tantôt ils sonnaient à badajadas ou à golpe de badajo, c’est-à-dire en agitant le battant au moyen d’une corde, soit lentement, soit à repique, ou à coups secs et précipités.

Au pied de la Giralda se trouve le patio de los Naranjos, vaste cour plantée d’orangers plusieurs fois séculaires, et au milieu de laquelle on voit encore une fontaine arabe contemporaine de l’ancienne mosquée sur l’emplacement de laquelle a été élevée la cathédrale. Le patio de los Naranjos est entouré de constructions arabes dont quelques parties ont été modifiées à l’époque de la Renaissance ; les portes sont encore ornées d’énormes aldabones (heurtoirs) de bronze qui datent au moins du treizième siècle. Non loin de là est la Lonja (Bourse), bâtiment assez majestueux fréquenté autrefois par les marchands de Séville, et qu’Andrea Navagero appelle il piu bel ridotto di Siviglia.

La cathédrale est entourée de quelques marches qu’on appelle las gradas, et sur lesquelles on a placé des colonnes de marbre provenant de l’ancienne Hispalis. On pénètre dans l’édifice par plusieurs portes, parmi lesquelles il faut citer la puerta del Perdon, ou du Pardon, qui a conservé ses chapas ou plaques de bronze du temps des Arabes ; la puerto del Lagarto, ou du Lézard, ainsi appelée à cause d’un crocodile de bois suspendu au-dessus de l’entrée, et qui remplace celui qui fut envoyé à Alonzo el Sabio par le soudan d’Égypte quand il lui demanda la main de sa fille, l’infante Doña Berenguela.

La cathédrale est la merveille de Séville et a probablement donné naissance au dicton si connu :

Quien no ha visto à Sevilla
No ha visto a maravilla.

« Qui n’a pas vu Séville, n’a jamais vu de merveille. »

Rien ne saurait donner une idée de l’impression qu’on éprouve en pénétrant dans l’immense nef de la cathédrale de Séville ; il n’existe pas au monde, que nous sachions, une église gothique aussi vaste, aussi grandiose, aussi imposante. L’annaliste Zuñiga raconte que, lorsqu’en 1401 la construction du monument fut arrêtée, on convint d’élever un monument tellement beau, qu’il n’eût pas son pareil ; un des chanoines s’écria, en plein chapitre :

« Fagamos una Iglesia tan grande, que los que la vieren acabada nos tengan por locos ! »

« Faisons une église assez grande pour que ceux qui la verront achevée nous tiennent pour fous ! »

Vous n’étiez pas des fous, bons chanoines de Séville, mais des sages, car vous avez doté votre pays d’une des plus merveilleuses églises qu’on puisse voir !

La cathédrale de Séville est divisée en cinq nefs, dont la hauteur prodigieuse donne le vertige ; les piliers qui supportent la voûte, bien qu’en réalité d’un diamètre énorme, sont tellement élevés qu’ils font, au premier abord, l’effet de frêles colonnes ; le chœur, placé au milieu de la nef principale, a les dimensions d’une église ordinaire. Les accessoires même, par leurs proportions colossales, sont en harmonie avec le reste de l’édifice : ainsi le monumento, énorme temple de bois qu’on élève à l’intérieur pendant la semaine sainte, et qu’on illumine en y exposant le saint-sacrement, n’a pas moins de cent trente pieds de haut ; la fameuse custodia d’argent est probablement la plus grande pièce d’orfévrerie qui ait jamais été exécutée ; cette custodia est l’œuvre d’un des plus célèbres orfévres espagnols, Juan de Arfe y Villafañe, qui en a lui-même donné la description dans un curieux in-folio imprimé à Séville en 1589. Le cierge pascal, — cirio pascual, — qu’on prendrait pour une colonne de marbre blanc, a vingt-quatre pieds de haut et pèse, dit-on, plus de deux mille livres de cire.

N’oublions pas un saint Christophe colossal peint sur une des parois par un artiste italien du seizième siècle, que les Espagnols appellent Mateo Perez de Alesio ; le saint, dont la hauteur atteint trente-deux pieds, a pour bâton un arbre de grandeur ordinaire, et l’Enfant-Jésus qu’il porte sur son épaule a la taille d’un géant. Bien que cette peinture, achevée en 1584, ne soit pas sans mérite, il paraît que l’auteur faisait assez bon marché de son talent ; un artiste espagnol avait peint pour la cathédrale un tableau représentant Adam et Ève ; on rapporte que Perez de Alesio admirait tellement la jambe d’Adam, qu’il s’écria un jour :

« Vale più la tua gamba che tutto il mio Cristoforo ! »

« Ta jambe vaut mieux que tout mon saint Christophe ! »

De même qu’en Tyrol et que dans certaines parties de l’Allemagne, on voit assez souvent en Espagne la représentation de saint Christophe. Suivant une croyance populaire que rappelle un ancien distique en assez mauvais latin du moyen âge, on est assuré de ne pas mourir de male mort dans la journée où l’on a vu l’image du saint :

Christophori sancti speciem quicumque tuetur,
Ista nempe die non morte mala morietur.

Le tombeau du conquérant de Séville, saint Ferdinand, est placé dans la Capilla Mayor ; nous eûmes la permission de voir son corps, renfermé dans un cercueil d’argent ; on lit à côté l’épitaphe du saint roi ; elle est en quatre langues et fut composée, dit-on, par Alphonse le Savant, son fils. On nous fit voir aussi, dans la même chapelle, le tombeau de la célèbre Maria Padilla, la maîtresse de Pierre le Cruel.

La Sala Capitular et la Sacristia Mayor renferment quelques bons tableaux de Murillo ; nous y remarquâmes aussi quelques objets d’art du moyen âge et de la Renaissance, dignes d’exciter l’envie des collectionneurs les plus difficiles.

Outre un bon nombre de remarquables tableaux de l’école espagnole, la cathédrale possède le fameux saint Antoine de Padoue, de Murillo, une des plus grandes et des meilleures toiles du peintre de Séville. La peinture sur verre est moins bien représentée dans la cathédrale : sur les quatre-vingt-treize immenses fenêtres qui l’éclairent, un bon nombre, il est vrai, sont ornées de grands vitraux, mais la plupart appartiennent à l’époque de la décadence ; les plus remarquables sont l’œuvre de peintres-verriers français et flamands qui vinrent s’établir en Espagne dans la première moitié du seizième siècle.

Le rôle des artistes français en Espagne ne fut pas sans importance : dès le quinzième siècle, nous trouvons le nom de Pedro Norman, Pierre le Normand, maestro de obras, c’est-à-dire chef des travaux de la


Habitants du faubourg de la Macarena, à Séville. — Dessin de Gustave Doré.


cathédrale de Séville. Nous aurons encore à citer les noms de plusieurs de nos compatriotes.

Nous n’en finirions pas si nous voulions énumérer toutes les richesses de la cathédrale de Séville ; dix visites ne nous suffirent pas pour en étudier toutes les parties, et chaque fois que nous la revoyions, quelques détails restés inaperçus frappaient nos yeux éblouis. Disons cependant adieu aux merveilles sans nombre du grand temple catholique : à quelques pas seulement s’elève l’Alcazar, le plus remarquable, après l’Alhambra, des palais légués à l’Espagne par les musulmans.

Ch. Davillier.

(La suite à une autre livraison.)



  1. Suite. — Voy. t. VI, p. 289, 305, 321, 337 ; t. VIII, p. 353 ; t. X, p. 1, 17, 353, 369, 385 ; t. XII, p. 353, 369, 385 et 401.