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Waverley/Chapitre XXVI

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Waverley ou Il y a soixante ans
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 5p. 228-232).


CHAPITRE XXVI.

ÉCLAIRCISSEMENTS.


Ce n’était pas sans intention que le chef avait dit ce mot au sujet de Flora. Il avait remarqué avec une vive satisfaction l’attachement croissant de Waverley pour sa sœur, et il n’avait rien vu qui s’opposât à leur union, excepté le poste qu’occupait le père de Waverley au ministère, et le grade d’Édouard dans l’armée de George. Maintenant ces obstacles se trouvaient écartés, et d’une manière qui semblait promettre que le jeune Anglais pourrait se dévouer à une autre cause : sous tous les autres rapports ce mariage lui paraissait avantageux ; cette union semblait devoir faire le bonheur de la sœur qu’il chérissait, et lui assurer un sort honorable. Son cœur se gonflait d’orgueil et de joie quand il réfléchissait combien il gagnerait en considération auprès du monarque au service duquel il s’était dévoué, par une alliance avec une de ces anciennes et puissantes familles anglaises qui s’étaient fait remarquer par leur royalisme du temps de la république, et dont il était si important pour la cause des Stuarts de pouvoir réveiller l’attachement qu’elles avaient jadis professé pour cette famille. Fergus n’apercevait pas d’obstacle à ce projet : la passion de Waverley était évidente ; et comme il était d’un physique agréable, et que ses goûts paraissaient s’accorder avec ceux de sa sœur, il ne prévoyait aucune opposition du côté de Flora. D’ailleurs, avec ses idées de puissance patriarcale, et celles qu’il s’était formées en France sur la manière de disposer des femmes sans les consulter, malgré toute son affection pour sa sœur, un refus de celle-ci eût été le dernier obstacle auquel il eût pensé ou dont il se fût inquiété, dans le cas même où cette union lui eût présenté moins d’avantages.

Sous l’influence de ces idées, le chef conduisit Waverley chez miss Mac-Ivor, non sans quelque espoir que l’agitation qu’éprouvait son ami lui donnerait assez de courage pour abréger ce que lui, Fergus, appelait le roman, et brusquer le dénoûment. Ils trouvèrent Flora au milieu de ses deux fidèles suivantes, Una et Cathleen, qui s’occupaient à préparer des nœuds de rubans blancs, ; comme s’il se fût agi d’une noce. Déguisant de son mieux son émotion, Waverley demanda pour quelle fête miss Mac-Ivor faisait de semblables préparatifs.

« C’est pour la noce de mon frère, » dit-elle en souriant.

« Vraiment ? dit Édouard ; il faut convenir qu’il a bien gardé son secret. J’espère qu’il nie permettra de conduire la mariée. »

« Non, ce n’est pas à vous que cet honneur est réservé, » reprit Flora.

« Et puis-je demander, miss Mac-Ivor, quelle est la belle… ? »

« Ne vous ai-je pas dit depuis long-temps que Fergus n’avait d’autre fiancée que la gloire ? » répondit Flora.

« Me croyez-vous donc indigne de lui servir d’aide et de compagnon dans la route qui y conduit ? reprit notre héros, dont le front se couvrit d’une vive rougeur ; suis-je si mal dans votre opinion ? — « Bien loin de là, capitaine Waverley. Plût au ciel que vous fussiez de notre parti ! Je ne me suis servie de l’expression qui vous a blessé que parce que


À nos drapeaux, nos lois, vous n’êtes point soumis.
Et marchez dans les rangs de nos fiers ennemis.


« Ce temps est passé, ma sœur, dit Fergus, et vous pouvez complimenter, non plus le capitaine, mais Édouard Waverley, d’être affranchi du joug de l’usurpateur, dont il va cesser de porter la couleur sinistre. »

« Oui, dit Waverley en détachant la cocarde de son chapeau, il a plu au roi qui m’avait accordé cette distinction de me la retirer d’une manière qui me donne peu de regret de quitter son service. »

« Le ciel en soit loué ! s’écria la belle enthousiaste. Oh ! puissent-ils être toujours assez aveugles pour traiter avec la même indignité tous les hommes d’honneur qui se seraient dévoués à leur service, afin qu’au jour de la lutte décisive j’aie moins de sujets de regret ! »

« Maintenant, ma sœur, dit le chef, il vous faut remplacer cette cocarde par une autre d’une couleur plus riante. Je crois qu’au temps jadis il était d’usage pour les dames d’armer les chevaliers et de les parer de leurs couleurs, lorsqu’ils se préparaient à accomplir quelque fameux exploit. »

« Mais non avant que le chevalier eût bien pesé la justice et le danger de l’aventure qu’il allait tenter, mon cher Fergus, reprit miss Mac-Ivor. M. Waverley est en ce moment trop agité par l’émotion qu’il vient d’éprouver, pour que nous le pressions de prendre une résolution aussi importante. »

Waverley, quoique un peu alarmé par la pensée de prendre des couleurs qui étaient un signe de rébellion pour la majorité du royaume, ne put cependant cacher le chagrin qu’il éprouvait de la froideur avec laquelle Flora avait accueilli les paroles de son frère. « Je m’aperçois, dit-il avec un peu d’amertume, que miss Mac-Ivor trouve le chevalier indigne de ses encouragements et de ses bontés. »

« Non pas, monsieur Waverley, dit-elle avec une grande douceur ; et pourquoi refuserais-je au digne ami de mon frère un don que j’ai distribué à tout son clan ? Je me trouverais heureuse d’enrôler tous les gens d’honneur sous les bannières auxquelles mon frère s’est dévoué. Mais Fergus a pris son parti avec connaissance de cause ; depuis le berceau son existence a été consacrée à son roi ; l’appel qu’il fait à son cœur est tellement sacré pour lui, qu’il y obéirait, dût-il le conduire au tombeau. Mais comment puis-je désirer que vous, monsieur Waverley, avec si peu d’expérience du monde, éloigné comme vous l’êtes des parents et des amis dont vous devez respecter l’influence et les conseils, vous vous laissiez emporter, par un premier mouvement de ressentiment et d’indignation, à vous plonger dans une entreprise aussi désespérée ? »

Fergus, qui ne comprenait rien à de pareils scrupules, parcourait l’appartement à grands pas en se mordant les lèvres ; puis il dit en sortant, avec un sourire forcé : « Fort bien, ma sœur, continuez ; je vous laisse remplir votre nouveau rôle de médiatrice entre l’électeur de Hanovre et les sujets de votre souverain légitime, de votre bienfaiteur. »

Il y eut quelques moments d’un silence pénible, qui fut rompu par miss Mac-Ivor. « Mon frère est injuste, dit-elle, et cela vient de ce qu’il ne peut rien supporter de ce qui lui semble contraire à la loyauté de son zèle. »

« Mais ne partagez-vous pas son ardeur ? » demanda Waverley.

« Si je la partage ! répondit Flora ; Dieu sait que la mienne la surpasse encore, s’il est possible. Mais n’étant pas entraînée comme lui dans le tumulte des préparatifs militaires et de tous les détails infinis de l’entreprise actuelle, je ne perds pas de vue une minute les grands principes de justice et de vérité qui doivent lui servir de base, et dont l’observation doit assurer son triomphe. Or, si je ne me trompe, monsieur Waverley, ce serait mal m’y conformer que de profiter de votre exaltation passagère pour vous engager dans une démarche irrévocable, dont vous n’avez examiné ni la justice ni le danger. »

« Incomparable Flora ! dit Édouard en lui pressant la main ; combien j’ai besoin d’un pareil guide ! »

« Monsieur Waverley en trouvera un bien meilleur en lui-même, dit Flora en retirant doucement sa main, quand il voudra écouter la voix de sa conscience. » — « Non, miss Mac-Ivor, je ne puis m’en flatter ; gâté par le concours de mille circonstances, je suis devenu l’esclave de mon imagination, plus que celui de la raison. Si j’osais espérer, si je pouvais penser qu’un jour vous daigneriez être pour moi une amie indulgente et sensible, qui m’aiderait à racheter mes erreurs passées ! dès lors, ma vie entière… » — « Chut ! chut ! mon cher monsieur ! maintenant je trouve que, dans la joie de vous être tiré des mains d’un recruteur jacobite, vous vous livrez à un excès de joie qui va beaucoup trop loin. » — « Chère Flora ! je vous en conjure, cessez cette plaisanterie ! vous ne pouvez vous méprendre sur la nature d’un sentiment dont l’expression m’est échappée presque involontairement ; et, puisque enfin j’ai rompu le silence, permettez que je profite de mon audace, ou souffrez du moins que je m’adresse à votre frère. » — « Pour rien au monde, monsieur Waverley… »

« Qu’entends-je ! dit Édouard : existe-t-il quelque fatal obstacle ? Peut-être une autre inclination… »

« Aucune, monsieur, répondit Flora ; je crois me devoir à moi-même de vous assurer que je n’ai jamais vu personne qui m’eût inspiré des idées de ce genre. » — « Il y a si peu de temps que nous nous connaissons… Si miss Mac-Ivor daignait m’accorder du temps, peut-être… » — « Je ne chercherai pas cette excuse ; le capitaine Waverley a un caractère si franc, si ouvert, si naturel en un mot, qu’il est impossible de ne pas en connaître immédiatement la force et la faiblesse. »

« Et sa faiblesse est cause que vous me méprisez ? » dit Édouard. — « Pardon, monsieur Waverley ; mais rappelez-vous qu’il y a une demi-heure il existait encore entre nous une barrière insurmontable pour moi, puisque je n’aurais jamais pu regarder un officier au service de l’électeur de Hanovre autrement que comme une simple connaissance. Permettez-moi donc de recueillir mes idées sur un sujet aussi inopiné, et dans une heure au plus tard je crois pouvoir expliquer ma résolution par des raisons qui, si elles ne flattent pas vos désirs, satisferont du moins votre jugement. » En parlant ainsi, Flora se retira, laissant Waverley réfléchir à son aise sur la manière dont elle avait reçu sa déclaration.

Avant qu’il se fût précisément expliqué si ses vœux avaient été tout à fait rejetés ou non, Fergus entra dans l’appartement. « Eh quoi, je vous trouve pâle comme la mort, Waverley ! s’écria-t-il : allons, descendez un moment avec moi, et vous verrez un spectacle qui vaut mieux que les plus belles tirades de tous vos romans. Cent arquebuses, mon ami, et cent bons sabres qui viennent de nous être envoyés par des amis, avec deux ou trois cents gaillards prêts à combattre entre eux à qui s’en saisira le premier ! Mais laissez-moi vous examiner de plus près ? Comment donc ! un vrai montagnard dirait que l’esprit malin a jeté sur vous quelque charme. Serait-ce cette petite fille qui vous plongerait dans un tel abattement ? N’y pensez pas, mon cher Édouard : la plus sage de son sexe n’est encore qu’une folle quand il s’agit des intérêts essentiels de la vie. »

« Je vous avouerai, mon cher ami, reprit Waverley, que si je pouvais faire un reproche à votre sœur, ce serait d’être au contraire trop raisonnable et trop sensée. » — « Si ce n’est que cela, je vous parie un louis d’or que ce caprice ne durera pas vingt-quatre heures. Il n’y a pas de femme qui puisse continuer d’être raisonnable pendant cet espace de temps, et si cela vous fait plaisir, je vous garantis que demain vous trouverez Flora aussi folle qu’aucune de son sexe. Il vous faut apprendre, mon cher Édouard, à traiter les femmes en mousquetaire. » Et finissant ces mots il prit Waverley par le bras et l’entraîna avec lui pour être témoin de ses préparatifs militaires.