Waverley/Chapitre XXVII

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Waverley ou Il y a soixante ans
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 5p. 232-240).


CHAPITRE XXVII.

CONTINUATION DU MÊME SUJET.


Fergus Mac-Ivor avait trop de tact et de délicatesse pour renouer la conversation qu’il venait d’interrompre. Il avait, ou du moins paraissait avoir la tête si remplie de fusils, sabres, bonnets et autres objets d’uniforme, que Waverley ne put pendant quelque temps attirer son attention sur un autre sujet.

« Allez-vous bientôt entrer en campagne, Fergus, que je vous vois faire tous ces préparatifs de guerre ? » — « Quand il sera décidé que vous m’y accompagnerez, vous saurez tout ; autrement cette confidence pourrait vous être nuisible. » — « Mais avez-vous sérieusement le projet de prendre les armes contre un gouvernement établi, avec des forces aussi inférieures ? c’est une véritable démence. » — « Laissez faire à don Antoine[1], j’aurai soin de moi. Dans tous les cas nous imiterons Conan, qui ne recevait pas un coup sans en donner deux. Je ne voudrais pas cependant, ajouta le chef, que vous me prissiez pour un fou qui ne sais pas attendre l’occasion favorable ; je ne lâcherai pas mes chiens que le gibier ne soit levé. Mais encore une fois, voulez-vous vous joindre à nous, et vous saurez tout ? »

« Comment le puis-je, dit Waverley, moi qui si récemment occupais un rang dans l’armée, et dont la démission est encore en route. En l’acceptant n’avais-je pas pris l’engagement de la fidélité, n’avais-je pas reconnu la légitimité du gouvernement ? »

« Un engagement téméraire, dit Fergus, ne nous lie pas par des chaînes de fer, surtout quand celui qui le contracta était la dupe d’une erreur, et qu’il fut récompensé par un outrage. Mais si vous ne pouvez vous décider immédiatement pour un parti qui vous offre une vengeance glorieuse, allez en Angleterre, et avant d’avoir traversé la Tweed, vous apprendrez des nouvelles dont le bruit retentira dans le monde entier ; et si votre oncle, sir Éverard, est encore ce brave et loyal chevalier dont le portrait m’a été fait par quelques-uns de nos braves gentilshommes de 1715, il vous trouvera un plus beau régiment, et surtout une meilleure cause que celle que vous venez de quitter. » — « Mais votre sœur, Fergus ? »

« Oh ! véritable latin femelle, s’écria le chef en riant, comment peux-tu tourmenter ainsi ce pauvre garçon ? Mais dites-moi, Édouard, n’avez-vous que les femmes dans la tête ? »

« Parlons sérieusement, je vous en prie, mon cher ami, dit Waverley ; je sens que le bonheur de ma vie entière dépend de la réponse que miss Mac-Ivor va faire à l’aveu que j’ai osé risquer ce matin ! »

« Et est-ce là ce que vous appelez parler sérieusement ? dit Fergus, ou sommes-nous encore dans les domaines de la fiction ou du roman ? » — « Je parle très-sérieusement : comment pourriez-vous supporter que je voulusse plaisanter sur un pareil sujet. »

« Alors, reprit son ami, je vous répondrai très-sérieusement aussi que je suis enchanté de ce que vous me dites, et je fais un tel cas de Flora, que vous êtes le seul Anglais auquel je puisse parler ainsi. Cependant, avant de me serrer la main avec tant d’ardeur, nous avons des réflexions à faire. Votre famille approuvera-t-elle votre union avec la sœur d’un montagnard de haute naissance, mais qui n’a pas le sou ? »

« La position de mon oncle, dit Waverley, ses opinions en général, et sa constante indulgence, m’autorisent à dire que la naissance et les qualités personnelles sont tout ce qu’il envisagerait dans une telle union. Et où puis-je les trouver réunies dans une plus grande perfection que dans votre sœur ? »

« Oh ! nulle part, cela va sans dire, reprit Fergus en souriant ; mais votre père a le droit d’être consulté. » — « Sans doute ; mais la disgrâce qu’il vient d’éprouver auprès des puissances du jour écarte toutes les craintes que j’aurais pu concevoir à ce sujet, et d’autant plus que mon oncle, j’en suis certain, plaidera chaudement ma cause. »

« La différence de religion, peut-être, dit Fergus, nous suscitera des obstacles, quoique nous ne soyons pas des catholiques intolérants ? » — « Ma grand’mère appartenait aussi à l’église romaine, et jamais sa religion ne fut un obstacle pour la famille. N’en cherchez donc pas du côté de mes parents, mon cher Fergus ; souffrez au contraire que j’invoque votre influence pour m’aider à les combattre là où ils me paraissent devoir être le plus puissants, je veux dire auprès de votre aimable sœur. »

« Mon aimable sœur, reprit Fergus, tout comme son aimable frère, est assez disposée à ne prendre conseil que de sa volonté, qui est passablement décidée. Cependant je vous servirai de tout mon crédit et de mes avis. Et pour commencer à vous mettre sur la voie, je vous dirai que la fidélité à la cause d’un roi malheureux est le sentiment qui la domine ; depuis qu’elle a su lire l’anglais, elle s’est éprise d’une belle passion pour la mémoire du brave capitaine Vogan, qui, après avoir renoncé au service de l’usurpateur Cromwell pour rejoindre les drapeaux de Charles II, marcha à la tête d’une poignée de cavaliers de Londres jusqu’aux hautes terres, afin de se réunir à Middleton, qui portait alors les armes en faveur du roi, et mourut glorieusement pour la cause à laquelle il s’était dévoué ; priez-la de vous montrer les vers qu’elle a composés sur ce sujet, ils ont été fort admirés, je vous assure. Le second point sera de… Mais il me semble que j’ai vu Flora, il y a un moment, se diriger du côté de la cascade ; suivez-la, mon cher, suivez-la. Ne donnez pas à la garnison le temps de se fortifier dans ses projets de résistance, alerte à la muraille ! Allez chercher Flora, et connaître sa décision le plus tôt possible, et que Cupidon vous accompagne ! pendant ce temps je vais m’occuper d’examiner des caisses de ceinturons et de cartouches. »

Waverley monta le petit vallon avec un cœur palpitant d’inquiétude. L’amour, et toutes les sensations diverses d’espoir, de désir et de crainte qui forment son cortège ordinaire, se mêlaient à des sentiments d’un genre moins facile à définir. Il ne pouvait s’empêcher de se rappeler à quel point cette matinée venait de changer son sort, et dans quelle complication d’embarras elle semblait devoir le jeter. Le matin même encore, il possédait un grade distingué dans l’honorable profession des armes ; son père, suivant toute apparence, s’élevait rapidement en faveur auprès de son souverain : et tout ceci s’était évanoui comme un rêve. Dans l’espace de quelques heures, il voyait son père disgracié, lui-même déshonoré et devenu le confident, sinon le complice involontaire, de complots coupables et dangereux qui devaient entraîner le renversement du gouvernement qu’il avait servi, on la perte de tous ceux qui y auraient participé. Et quand même Flora accueillerait favorablement ses vœux, quelle perspective avait-il de pouvoir réaliser des projets de bonheur, au milieu du tumulte de l’insurrection qui se préparait ? ou comment oserait-il lui proposer de quitter le frère qu’elle aimait si tendrement pour se retirer avec lui en Angleterre, et y rester spectatrice tranquille du succès de l’entreprise de ce frère ou de la ruine de toutes ses espérances ?

Et d’un autre côté, s’engager sans aucun autre secours que celui de son bras dans le parti dangereux et irréfléchi que lui proposait le chef, se laisser entraîner par lui dans ses tentatives les plus désespérées en lui abandonnant le droit de juger et de décider de la prudence de ses actions, c’était une perspective qui n’était pas très-flatteuse pour l’amour-propre de Waverley, quoiqu’il ne pût s’arrêter à aucune autre conclusion, excepté dans le cas où Flora rejetterait ses vœux ; et dans l’état d’angoisses auquel le livrait l’effervescence de son esprit, il ne pouvait supporter l’amertume que renfermait pour lui une telle pensée. Tout en méditant sur ce que l’avenir lui offrait d’incertitude et de dangers, il arriva à la cascade, et, comme Fergus l’avait prévu, il y trouva Flora. Elle était assise, et se leva pour aller au-devant de lui. Édouard essaya de commencer la conversation par quelques-uns de ces compliments, ou quelques-unes de ces phrases banales que l’usage autorise, mais ce fut sans succès. Flora avait d’abord paru éprouver le même embarras ; mais elle se remit plus promptement (présage peu favorable aux espérances de Waverley), et ce fut elle qui reprit la première le sujet de leur dernière entrevue. « Il m’est de la plus grande importance, monsieur Waverley, dit-elle, et sous tous les rapports possibles, de ne pas vous laisser le moindre doute sur mes sentiments. »

« Ne vous hâtez pas de les exprimer, dit Waverley fort agité ; s’ils sont tels que votre manière me le fait pressentir, je dois craindre de vous entendre. Mais permettez-moi d’espérer que le temps, ma conduite future et l’influence de votre frère… »

« Non, monsieur Waverley, dit Flora dont le teint s’était animé d’une légère rougeur, quoique sa voix restât ferme et calme ; je m’exposerais aux plus sévères reproches de ma conscience, si je différais d’un seul moment à vous déclarer la conviction intime où je suis que je ne pourrai jamais vous regarder autrement que comme un ami, un ami justement apprécié. Je vois que je vous afflige, et j’en souffre moi-même, mais il vaut mieux que ce soit maintenant que plus tard ; oh ! oui, monsieur Waverley, il vaut mieux mille fois que vous éprouviez à présent cette peine passagère, que les longs et flétrissants chagrins qui accompagnent une union inconsidérée et mal assortie. »

« Grand Dieu ! s’écria Waverley, et comment pourriez-vous prévoir qu’ils seraient la conséquence d’une union où la naissance est égale, que la fortune favorise, dans laquelle, si j’ose le dire, il y a rapport de goûts, lorsque vous déclarez n’avoir aucune préférence pour un autre, et que vous daignez même exprimer une opinion favorable de celui que vous rejetez ? » — « Oui, monsieur Waverley, je l’éprouve cette opinion favorable, et à un tel point que, quoique j’eusse préféré garder le silence sur les motifs de ma résolution, je suis prête à vous les découvrir, si vous exigez cette marque de mon estime et de ma confiance. »

Elle s’assit sur un fragment de roc, et Waverley se plaçant auprès d’elle, la supplia de lui accorder l’explication qu’elle venait de lui promettre.

« J’ose à peine, dit-elle, vous faire connaître mes sentiments, tant ils sont différents de ceux qu’on attribue généralement aux jeunes personnes de mon âge, et je n’ose pas davantage parler de ceux que je vous suppose, dans la crainte de vous blesser en cherchant à vous offrir quelque consolation. Quant à moi, depuis mon enfance jusqu’à ce jour, je n’ai eu qu’un vœu, c’est de voir les souverains qui furent mes bienfaiteurs replacés sur leur trône légitime. Il est impossible de vous exprimer à quel point je porte le dévouement sur ce sujet ; j’avouerai franchement qu’il a absorbé toutes mes pensées, au point que je n’en eus jamais une seule à donner à ce qu’on appelle mon établissement dans le monde. Que je vive assez pour voir cette heureuse restauration, et peu m’importe que j’habite une chaumière dans les montagnes, un couvent en France, ou un palais en Angleterre. » — « Mais, chère Flora, comment l’enthousiasme de votre zèle pour la famille exilée serait-il incompatible avec mon bonheur ? » — « Parce que vous cherchez, ou devez chercher dans l’objet de votre attachement, un cœur qui ne se plaise qu’à augmenter votre bonheur domestique et à vous rendre votre affection avec toute l’ardeur qui puisse réaliser l’exaltation de vos idées. Un homme d’une sensibilité moins vive, avec une tête plus froide, une âme moins tendre, pourrait peut-être se contenter des sentiments de Flora Mac-Ivor ; car une fois engagée par des serments irrévocables, elle ne s’écarterait jamais des devoirs qu’elle aurait juré de remplir. » — « Et pourquoi, pourquoi, miss Mac-Ivor, croiriez-vous devoir faire plutôt le bonheur d’un homme qui serait moins capable de vous aimer et de vous apprécier que moi ? » — « Seulement parce que nos sentiments seraient plus en harmonie, et que sa sensibilité, moins exigeante, n’attendrait pas de moi une passion que je ne pourrais lui accorder. Mais vous, monsieur Waverley, vous auriez toujours devant les yeux le tableau du bonheur domestique tel qu’une imagination comme la vôtre a pu le tracer, et tout ce qui ne réaliserait pas l’idéal que vous vous en êtes fait, serait pris par vous pour de la froideur et de l’indifférence ; et vous pourriez considérer l’attachement que je porte à la famille royale comme un vol fait aux affections que vous auriez droit d’attendre de moi. »

« C’est-à-dire, miss Mac-Ivor, qu’il vous est impossible de m’aimer ? » reprit le jeune homme avec une profonde tristesse. — « Je puis vous estimer, monsieur Waverley, autant et plus peut-être qu’aucun homme que j’aie jamais connu. Mais je ne puis vous aimer comme vous méritez de l’être… Ah ! ne regrettez pas, je vous en conjure, dans votre propre intérêt, une épreuve si dangereuse ! la femme que vous épouserez doit partager vos sentiments et vos opinions ; vos goûts et vos occupations doivent être les mêmes : le désir, la crainte, les espérances, en un mot toutes les émotions du cœur doivent être communes entre vous : elle doit augmenter vos plaisirs, partager vos chagrins, adoucir votre mélancolie. » — « Et pourquoi, vous qui savez si bien décrire les douceurs d’une heureuse union, n’en réaliseriez-vous pas pour moi l’image délicieuse ? »

« Je vois que vous ne voulez pas me comprendre, répondit Flora ; ne vous ai-je pas dit que toute la sensibilité dont mon âme est capable est concentrée dans un événement au succès duquel je ne puis contribuer, hélas ! que par mes ardentes prières ? »

« Et si vous daigniez exaucer les miennes, dit Waverley trop emporté par ses sentiments pour réfléchir à ce qu’il allait dire, ne serviriez-vous pas les intérêts de la cause à laquelle vous vous êtes dévouée ? ma famille est riche et puissante, portée par principes pour la famille des Stuarts ; et si une occasion favorable… »

« Une occasion favorable ! dit Flora d’un air un peu dédaigneux… portée par principes… ! Et croyez-vous qu’une adhérence aussi tiède puisse être honorable pour elle, et flatteuse pour votre légitime souverain ? Pensez, d’après ma manière de sentir, ce que j’éprouverais en entrant dans une famille qui soumettrait aux plus froides discussions les droits qui sont à mes yeux les plus sacrés, et qui ne les jugerait dignes d’être soutenus que lorsqu’ils seraient sur le point de triompher sans son appui. »

« Vos craintes sont injustes en ce qui me concerne, reprit vivement Waverley ; je saurai soutenir la cause que j’aurai embrassée, quels que soient les dangers qu’elle présente, avec autant d’intrépidité que le plus hardi qui ait tiré l’épée en sa faveur. » — « C’est ce dont je ne puis douter un moment. Mais consultez votre bon sens et votre raison plutôt qu’une inclination irréfléchie et qui n’est due peut-être qu’au hasard qui vous a fait rencontrer dans une retraite écartée et romantique une jeune personne dont les talents fort ordinaires ne vous auraient pas frappé partout ailleurs ; que ce soit donc la conviction qui vous fasse prendre un rôle dans ce grand et dangereux drame, et non un sentiment soudain et passager. »

Waverley voulut essayer de répondre, mais les paroles lui manquèrent. Flora n’avait pas prononcé un mot qui ne justifiât son attachement ; car même dans l’exaltation et l’enthousiasme de ses principes de loyauté, il y avait une générosité et une noblesse qui lui faisaient dédaigner de servir la cause à laquelle elle s’était dévouée, par des moyens que la délicatesse la plus susceptible n’approuverait pas.

Après avoir suivi le sentier pendant quelques moments en silence, Flora reprit la conversation. « Encore un mot, M. Waverley, avant que nous abandonnions pour jamais ce sujet ; et pardonnez, je vous prie, ma hardiesse, si ce mot ressemble à un conseil. Mon frère Fergus désire ardemment que vous vous joigniez à l’entreprise qui se prépare. Mais, je vous en conjure, n’y consentez point. Vos efforts seuls ne suffiraient pas pour en assurer le succès, et vous partageriez inévitablement sa perte si la volonté de Dieu est qu’il y doive succomber. Laissez-moi vous prier de retourner dans votre pays ; et, vous étant affranchi de tous les liens qui vous attachaient au gouvernement usurpateur, j’espère que vous profiterez de la première occasion de servir utilement votre souverain légitime et si long-temps outragé, et qu’ainsi que vos fidèles ancêtres vous vous montrerez, à la tête de vos vassaux et de vos adhérents, comme un digne représentant de la famille de Waverley. » — « Et si j’avais le bonheur de me distinguer en pareil cas, pourrais-je espérer… ? »

« Excusez-moi de vous interrompre, dit Flora : il n’y a que le moment présent qui soit à nous, et je ne puis que vous exposer avec franchise les sentiments qui m’animent maintenant. Il serait inutile de faire des conjectures sur le changement que pourrait y apporter un concours d’événements trop favorables pour oser même en concevoir l’espérance. Croyez seulement, M. Waverley, qu’après mon frère, il n’y a pas d’homme pour le bonheur et la gloire duquel je formerai des vœux plus sincères. »

Elle le quitta en achevant ces mots, car ils étaient arrivés à l’endroit où le sentier était croisé par un autre. Waverley rentra au château, en proie à mille passions tumultueuses. Il évita de se trouver seul avec Fergus, ne se sentant disposé ni à soutenir ses railleries, ni à répondre à ses sollicitations. La gaieté bruyante du festin (car Mac-Ivor tenait table ouverte pour son clan) servit en quelque sorte à étourdir la réflexion. Quand la fête fut terminée, il commença à réfléchir de quelle manière il reverrait désormais miss Mac-Ivor après la pénible et intéressante entrevue qu’ils avaient eue le matin, mais Flora ne parut pas. Fergus, dont les yeux étincelèrent lorsque Cathleen lui dit que sa maîtresse avait l’intention de garder sa chambre ce soir-là, alla lui-même la chercher ; mais apparemment ses représentations furent inutiles, car il revint bientôt après, le teint animé et avec toutes les marques d’un profond mécontentement. Le reste de la soirée se passa, tant de la part de Fergus que de celle de Waverley sans aucune allusion au sujet qui absorbait toutes les pensées de ce dernier et peut-être de tous les deux. »

Lorsqu’il se fut retiré dans son appartement, Édouard essaya de récapituler tous les événements de la journée. Il ne pouvait douter que pour le moment Flora ne persistât dans ses refus, mais il pouvait peut-être espérer que le temps la lui rendrait plus favorable, si les circonstances lui permettaient de lui exprimer de nouveau ses vœux. Cet enthousiasme de loyauté qui, en ce moment d’exaltation, ne laissait pas de place à une passion plus tendre, ne survivrait peut-être pas dans toute sa force et aussi exclusivement au succès ou à la ruine des complots politiques auxquels elle prenait une si grande part ; et dans ce cas ne pouvait-il pas se flatter que l’intérêt qu’elle avait avoué prendre à son sort pourrait devenir un sentiment plus tendre ? En vain il interrogeait sa mémoire, et cherchait à se rappeler chaque mot qu’elle avait prononcé, avec le regard et le geste qui l’avaient accompagné ; il finissait toujours par se retrouver dans la même incertitude. Aussi, malgré les fatigantes agitations de la journée, ce ne fut que très-tard que le sommeil vint apaiser le trouble de son esprit.


  1. Phrase du texte. a. m.