Waverley/Chapitre XXXIV

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Waverley ou Il y a soixante ans
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 5p. 283-286).


CHAPITRE XXXIV.

LES AFFAIRES PRENNENT UNE MEILLEURE TOURNURE.


Vers midi, M. Morton revint. Il apportait à Waverley une invitation à dîner de la part du major Melville. Le major espérait que M. Waverley lui accorderait l’honneur de sa compagnie, malgré la fâcheuse affaire pour laquelle il était retenu à Cairnvreckan, et de laquelle le major le verrait avec la joie la plus sincère entièrement débarrassé. La vérité était que le récit que Morton avait fait de sa conférence avec Édouard, son opinion favorable à celui-ci, avaient un peu ébranlé l’opinion du vieux militaire touchant la part qu’aurait prise Waverley à la mutinerie de la compagnie. Dans la malheureuse situation du pays, la désaffection présumée, l’inclination à se joindre aux jacobites insurgés, pouvaient bien être criminelles, mais n’étaient point déshonorantes. D’ailleurs une personne en qui le major avait confiance avait démenti (quoique à tort, comme on le verra dans la suite) les fâcheuses nouvelles qu’on avait apportées la veille au soir. D’après cette seconde édition des nouvelles, les Highlandais s’étaient éloignés de la frontière des basses terres pour suivre l’armée dans sa marche vers Inverness. Le major avait de la peine à concilier ce mouvement avec l’habileté bien connue de certains chefs de l’armée des Highlandais, quoiqu’il dût obtenir l’approbation de certains autres chefs. Il se rappelait qu’une politique semblable les avait retenus dans le nord en 1715, et il en concluait que l’insurrection se terminerait de la même manière qu’à cette époque.

Ces nouvelles le mirent de si bonne humeur, que M. Morton lui ayant proposé de donner quelques marques de bienveillance à son malheureux hôte, il y consentit avec empressement, et ajouta même qu’il espérait que son affaire ne serait considérée que comme une escapade de jeunesse, et qu’elle se terminerait par une petite correction, par quelques jours de prison. Le généreux médiateur ne parvint pas aisément à faire accepter à son jeune ami l’invitation du major. Il n’osait lui faire connaître le véritable motif de son instance : c’était d’obtenir du major qu’il ferait sur l’affaire de Waverley un rapport favorable au gouverneur Blakeney. Il comprenait qu’avec le caractère un peu romanesque de notre héros, le meilleur moyen de lui faire refuser l’invitation, c’eût été de lui dire un seul mot de cela. Il se borna donc à lui représenter que la politesse du major était une preuve qu’il n’ajoutait pas foi à cette partie des charges qui portaient atteinte à l’honneur de Waverley comme gentilhomme et comme militaire ; que ne pas répondre à cette politesse, ce serait reconnaître qu’il ne méritait pas la bonne opinion du major. En un mot, il démontra si bien à Édouard la nécessité, dans l’intérêt de son savoir-vivre et de sa fermeté, de se présenter devant le major avec des manières libres et assurées, qu’il surmonta la répugnance que lui inspirait la civilité froide et pointilleuse du major, et consentit à suivre son nouvel ami.

La réception fut froide et cérémonieuse. Mais Édouard, ayant accepté l’invitation, et se sentant l’âme calmée et raffermie par la bienveillance de Morton, se crut obligé de montrer de l’aisance, quoiqu’il lui fût impossible de témoigner de la cordialité ; le major était un assez bon vivant, et son vin de première qualité. Il raconta l’histoire de ses vieilles campagnes, et fit paraître une grande connaissance des hommes et du monde. M. Morton avait un fond de gaieté douce et tranquille, qui manquait rarement d’animer une société peu nombreuse où il se trouvait à son aise. Waverley, dont la vie était un rêve, s’abandonna à l’impression du moment et devint le plus gai des trois. Il avait en tout temps un talent remarquable pour la conversation, mais le découragement le rendait aisément silencieux. En cette occasion, il se piqua de se montrer à ses compagnons comme un homme qui, au milieu des circonstances les plus inquiétantes, supportait son infortune avec calme et enjouement. Son esprit, qui manquait peut-être de force, était prompt et fécond ; il lui fournit les moyens de briller. Les trois convives étaient engagés dans une conversation animée, chacun paraissait content des deux autres, et l’hôte, qui n’était pas le moins aimable, demandait une troisième bouteille de Bourgogne, quand on entendit à quelque distance le bruit d’un tambour. Le major, à qui la gaieté naturelle à un vieux soldat avait fait oublier ses devoirs de magistrat, maudit avec un juron militaire le contre-temps qui le rappelait à ses fonctions judiciaires. Il se leva, et s’approcha de sa fenêtre qui donnait sur la grande route : ses deux hôtes le suivirent.

Le tambour approchait : ce n’était pas le son régulier d’une marche militaire, mais une espèce de roulement semblable à celui du tambour pour les incendies, lorsqu’il éveille les artisans endormis d’un bourg d’Écosse. L’auteur de cette histoire se fait un devoir de rendre justice à tout le monde : il doit donc déclarer pour la justification du musicien, supposé qu’on puisse donner ce nom à un tambour, qu’il n’avait point caché qu’il ne pouvait exécuter aucune marche ou air militaire, comme dans l’armée anglaise ; en conséquence, il avait commencé celui des tambours de Dumbarton. Mais il lui fut imposé silence par Gifted Gilfillan, le commandant de la troupe, qui ne voulut pas permettre à ses gens de marcher au bruit de son air profane, et même, comme il le disait, persécuteur ; et il enjoignit au tambour de battre le cxixe psaume. Comme cela était au-dessus de la capacité de l’artiste qui frappait sur une peau de mouton, il fut réduit à se rabattre sur un ranplan-plan, faible mais innocente compensation de la musique sacrée que son talent ou son instrument ne lui permettait pas d’exécuter. Ceci pourra paraître une particularité sans importance, néanmoins le tambour dont il s’agit n’était rien moins que le tambour de la ville d’Anderton. Il me rappelle encore son successeur dans cet office, membre de cette corporation illustre, la Convention britannique. Que sa mémoire soit donc entourée du respect qui lui est dû !