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Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Échauguette

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ÉCHAUGUETTE, s. f. Eschauguette, eschargaite, escargaite, eschegaite, esgaritte, garite. Échauguette, au moyen âge, désignait la sentinelle.

« Servanz i mist è chevaliers,
Et eschargaites è portiers,
Puiz est repairiez à Danfront[1]. »


« Ses eschauguettes a li rois devisé[2]. »

Aussi la garde, le poste :

« Par l’escargaite Droom le Poitevin,
Le fil le roi en laissa fors issir[3]. »

On disait escargaiter pour garder, épier :

« L’ost escargaïte Salemon li Senés[4]. »

Pendant les XIVe, XVe et XVIe siècles, dans le nord de la France, les petites loges destinées aux sentinelles, sur les tours et les courtines, sont appelées indifféremment garites, escharguettes, pionnelles, esgarittes, maisoncelles, centinelles ou sentinelles, hobettes[5]. Ainsi le poste prend le nom de la qualité de ceux qu’il renferme.

Dans les plus anciennes fortifications du moyen âge, il y avait des échauguettes. Il est à croire que ces premières échauguettes étaient en bois, comme les hourds, et qu’on les posait en temps de guerre. Tous les couronnements de forteresses antérieures au XIIe siècle étant détruits, nous ne pouvons donner une idée de la forme exacte de ces échauguettes primitives ; lorsqu’elles ne consistaient pas seulement en petites loges de bois, mais si elles étaient construites en maçonnerie, ce n’étaient que de petits pavillons carrés ou cylindriques couronnant les angles des défenses principales, comme ceux que nous avons figurés au sommet du donjon du château d’Arques (voy. Donjon, fig. 7, 8 et 9). Les premières échauguettes permanentes dont nous trouvons des exemples ne sont pas antérieures au XIIe siècle ; alors on les prodiguait sur les défenses ; elles sont ou fermées, couvertes et munies même de cheminées, ou ne présentent qu’une saillie sur un angle, le long d’une courtine, de manière à offrir un petit flanquement destiné à faciliter la surveillance, à poser une sentinelle, une guette. C’était particulièrement dans le voisinage des portes, aux angles des gros ouvrages, au sommet des donjons, que l’on construisait des échauguettes.

Nous voyons quatre belles échauguettes couronnant le donjon de Provins (voy. Donjon, fig. 27 et suivantes) ; celles-ci étaient couvertes et ne pouvaient contenir chacune qu’un homme. Quelquefois l’échauguette est un petit poste clos capable de renfermer deux ou trois soldats, comme un corps de garde supérieur. Au sommet du donjon de Chambois (Orne), il existe encore une de ces échauguettes, du XIIIe siècle, au-dessus de la cage de l’escalier du XIIe.

Voici (1) l’aspect intérieur de ce poste, qui peut contenir quatre hommes. Il est voûté et surmonté d’un terrasson autrefois crénelé. Une petite fenêtre donnant sur la campagne l’éclaire ; une cheminée permet de le chauffer ; à droite de la cheminée est la tablette destinée à recevoir une lampe. Les gens du poste pouvaient facilement monter sur le terrasson supérieur pour voir ce qui se passait au loin. Ces grandes échauguettes à deux étages sont assez communes ; il est à croire qu’en temps de guerre les soldats abrités dans l’étage couvert étaient posés en faction, à tour de rôle, sur la terrasse supérieure. Des deux côtés de la tour du Trésau, à Carcassonne, nous voyons de même deux hautes échauguettes ainsi combinées ; seulement il fallait de l’étage fermé monter sur le terrasson par une échelle, en passant à travers un trou pratiqué dans le milieu de la petite voûte (voy. Construction, fig. 154).

Il faut distinguer toutefois les échauguettes destinées uniquement à la surveillance au loin de celles qui servent en même temps de guette et de défense. Les donjons possédaient toujours une échauguette, au moins, au sommet de laquelle se tenait la sentinelle de jour et de nuit qui, sonnant du cor, avertissait la garnison en cas de surprise, de mouvement extraordinaire à l’extérieur, d’incendie ; qui annonçait le lever du soleil, le couvre-feu, la rentrée d’un corps de troupes, l’arrivée des étrangers, le départ ou le retour de la chasse : « La nuit dormi et fu aise et quant il oï le gaite corner le jour, si se leva et ala à l’église proijer Dieu, qu’il li aidast[6]. » Ces sortes de guettes consistent en une tourelle dominant les alentours par-dessus les crénelages et les combles. Certains donjons, par leur situation même, comme les donjons des châteaux Gaillard, de Coucy, n’avaient pas besoin de guette : leur défense supérieure en tenait lieu ; mais les donjons composés de plusieurs logis agglomérés, comme le donjon d’Arques et, beaucoup plus tard, celui de Pierrefonds par exemple, devaient nécessairement posséder une guette. Dans le château de Carcassonne, qui date du commencement du XIIe siècle, la guette est une tour spéciale sur plan barlong, contenant un escalier avec un terrasson crénelé au sommet. Cette tour domine toutes les défenses du château et même celles de la cité ; elle renfermait, vers les deux tiers de sa hauteur, un petit poste éclairé par une fenêtre donnant sur la campagne (voy. Architecture Militaire, fig. 12 et 13). Les échauguettes destinées seulement à l’observation n’offrent rien de particulier : ce sont des tourelles carrées, à pans, ou le plus souvent cylindriques, qui terminent les escaliers au-dessus des tours principales des châteaux, en dépassant de beaucoup le niveau de la crête des combles les plus élevés. Les échauguettes servant à contenir un poste ou même une sentinelle pouvant au besoin agir pour la défense d’une place sont, au contraire, fort intéressantes à étudier, leurs dispositions étant très-variées, suivant la place qu’elles occupent.

Vers la fin du XIIIe siècle, les portes sont habituellement munies d’échauguettes bâties en encorbellement aux angles du logis couronnant l’entrée (voy. Porte ). Ces échauguettes servent en même temps de guérites pour les sentinelles et de flanquement. La belle porte qui, à Prague en Bohême, défend l’entrée du vieux pont jeté sur la Moldau, du côté de la ville basse, est munie, sur les quatre angles, de charmantes échauguettes dont nous présentons ici l’aspect (2).


Elles prennent naissance sur une colonne surmontée d’un large chapiteau avec encorbellement sculpté ; sur ce premier plateau sont posées des colonnettes (voy. le plan A) laissant entre elles un ajour purement décoratif ; à la hauteur du crénelage supérieur est une guérite percée elle-même de créneaux[7]. Cet ouvrage date du milieu du XIVe siècle ; il est d’une conservation parfaite et bâti en grès. Mais ici les échauguettes sont autant une décoration qu’une défense ; tandis que celles qui flanquaient la porte de Notre-Dame à Sens (3), élevée vers le commencement du XIVe siècle, avaient un caractère purement défensif ; la guérite supérieure était à deux étages et présentait des meurtrières et créneaux bien disposés pour enfiler les faces de la porte et protéger les angles[8].
Si on plaçait des échauguettes flanquantes aux côtés des portes, à plus forte raison en mettait-on aux angles saillants formés par des courtines, lorsqu’une raison empêchait de munir ces angles d’une tour ronde. Il arrivait, par exemple, que la disposition du terrain ne permettait pas d’élever une tour d’un diamètre convenable, ou bien que les architectes militaires voulaient faire un redan soit pour masquer une poterne, soit pour flanquer un front, sans cependant encombrer la place par une tour qui eût pu nuire à l’ensemble de la défense. C’est ainsi, par exemple, que sur le front sud-est de l’enceinte extérieure de la cité de Carcassonne il existe un redan A (4), motivé par la présence d’un gros ouvrage cylindrique avancé K, dit la tour du Papegay, qui était élevé sur ce point, au sommet d’un angle très-ouvert, pour commander en même temps les dehors en G et l’intérieur des lices (espace laissé entre les deux enceintes) en L, par-dessus le redan. Il ne fallait pas, par conséquent, à l’angle de ce redan, en C, élever une tour qui eût défilé le chemin de ronde B ; cependant il fallait protéger le front B, le flanc A et l’angle saillant lui-même. On bâtit donc sur cet angle une large échauguette qui suffit pour protéger l’angle saillant, mais ne peut nuire au commandement de la grosse tour K.
La fig. 5 reproduit la vue extérieure de cette échauguette[9], dont le crénelage était un peu plus élevé que celui des courtines voisines. Cet ouvrage pouvait être, en temps de guerre, muni de hourds, ce qui en augmentait beaucoup la force.
Entre la porte Narbonnaise et la tour du Trésau de la même cité, on a ainsi pratiqué un redan qui enfile l’entrée de la barbacane élevée en avant de cette porte : ce redan est surmonté d’une belle échauguette.Une longue meurtrière flanquante est ouverte sur son flanc.

La fig. 6 présente en A le plan du redan au niveau du sol de la ville, avec son petit poste E et la meurtrière F donnant vers la porte Narbonnaise. De ce poste E, par un escalier à vis, on arrive à l’échauguette (plan B), qui n’est que le crénelage de la courtine formant un flanquement oblique en encorbellement sur l’angle G. La coupe C faite sur la ligne OP du plan B explique la construction de cette échauguette, qui pouvait être munie de hourds comme les courtines ; en D, nous avons figuré le profil de l’encorbellement H.

Toutefois, jusqu’au XIVe siècle, les échauguettes flanquantes posées sur les courtines ne sont que des accidents et ne se rattachent pas à un système général défensif ; tandis qu’à dater de cette époque, nous voyons les échauguettes adoptées régulièrement, soit pour suppléer aux tours, soit pour défendre les courtines entre deux tours. Mais ce fait nous oblige à quelques explications.

Depuis l’époque romaine jusqu’au XIIe siècle, on admettait qu’une place était d’autant plus forte que ses tours étaient plus rapprochées, et nous avons vu qu’à la fin du XIIe siècle encore Richard Cœur-de-Lion, en bâtissant le château Gaillard, avait composé sa dernière défense d’une suite de tours ou de segments de cercle se touchant presque. Lorsqu’au XIIIe siècle les armes de jet eurent été perfectionnées et que l’on disposa d’arbalètes de main d’une plus longue portée, on dut, comme conséquence, laisser entre les tours une distance plus grande, et, en allongeant ainsi les fronts, mettre les flanquements en rapport avec leur étendue, c’est-à-dire donner aux tours un plus grand diamètre, afin d’y pouvoir placer un plus grand nombre de défenseurs. Si c’était un avantage d’allonger les fronts, il y avait un inconvénient à augmenter de beaucoup le diamètre des tours, car c’était donner des défilements à l’assaillant dans un grand nombre de cas, comme, par exemple, lorsqu’il parvenait à cheminer près des murailles entre deux tours et qu’il avait détruit leurs défenses supérieures. Tout système porte avec lui les défauts inhérents à ses qualités mêmes. Puisque les armes de jet avaient une plus longue portée, il fallait étendre autant que possible les fronts ; cependant on ne pouvait négliger les flanquements, car si l’assaillant s’attachait au pied de la courtine, ils devenaient nécessaires : or, plus ces flanquements étaient formidables, moins les fronts pouvaient rendre de services pour la défense éloignée.

Soit (7) un front AB muni de tours ; BC est la largeur du fossé ; le jet d’arbalète est EF. Si l’assaillant dispose son attaque conformément au tracé FGH, neuf embrasures le découvrent. Mais soit IK un front continu non flanqué de tours, l’attaque étant disposée de même que ci-dessus en FGH, les embrasures étant d’ailleurs percées à des distances égales à celles du front AB, treize de ces embrasures pourront découvrir l’assaillant. Que celui-ci traverse le fossé et vienne se poster en M, les assiégés ne peuvent se défendre que par les mâchicoulis directement placés au-dessus de ce point M ; mais ils voient sur une grande longueur la nature des opérations de l’ennemi, et l’inquiètent par des sorties dans le fond du fossé, où il ne trouve aucun défilement.

Quand on assiégeait régulièrement une place, à la fin du XIIIe siècle (voy. Siége), on attaquait ordinairement deux tours, seulement pour éteindre leur feu, comme on dirait aujourd’hui, en démantelant leurs défenses supérieures, et on faisait brèche au moyen de la sape dans la courtine comprise entre ces deux tours ; car, celles-ci réduites à l’impuissance, leur masse protégeait l’assaillant en couvrant ses flancs. Au moment de l’application définitive des mâchicoulis de pierre à la place des hourds, vers le commencement du XIVe siècle, il y eut évidemment une réaction contre le système défensif des fronts courts ; on espaça beaucoup plus les tours, on agrandit les fronts entre elles, et, pour protéger ces fronts, sans rien ôter à leurs qualités, on les munit d’échaugettes P, ainsi que l’indique le tracé NO, fig. 7. Ce nouveau système fut particulièrement appliqué dans les défenses de la ville d’Avignon, élevées à cette époque. Ces défenses ont toujours dû être assez faibles ; mais, eu égard au peu de relief des courtines, on a tiré un excellent parti de ce système d’échauguettes flanquantes, et la faiblesse de la défense ne résulte pas du nouveau parti adopté, qui avait pour résultat d’obliger l’assaillant à commencer ses travaux de siège à une plus grande distance de la place. Duguesclin, en brusquant les assauts toujours, donna tort au système des grands fronts flanqués seulement de tours très-espacées ; les échauguettes n’étaient pas assez fortes pour empêcher une échelade vigoureuse ; on y renonça donc vers la fin du XIVe siècle pour revenir aux tours rapprochées, et surtout pour augmenter singulièrement le relief des courtines. Examinons donc ces échauguettes des murailles papales d’Avignon.

La fig. 8 présente le plan d’une de ces échauguettes au-dessous des mâchicoulis ; elles ne consistent qu’en deux contre-forts extérieurs A, entre lesquels est pratiqué un talus dont nous allons reconnaître l’utilité ; un arc réunit ces deux contre-forts.


Voici (9) en A l’élévation extérieure de cet ouvrage, et en B sa coupe. L’échauguette s’élève beaucoup au-dessus de la courtine ; elle est munie, à son sommet, comme celle-ci, de beaux mâchicoulis de pierre sur sa face et ses deux retours ; de plus, ainsi que le fait voir la coupe, au droit du mur faisant fond entre les contre-forts, est pratiqué un second mâchicoulis C, comme une rainure de 0,25  c. de largeur environ. Si l’assaillant se présentait devant l’échauguette, il recevait d’aplomb les projectiles lancés par les mâchicoulis vus D et, obliquement, ceux qu’on laissait tomber par le second mâchicoulis masqué C ; car on observera que, grâce au talus E, les boulets de pierre qu’on laissait choir par ce second mâchicoulis devaient nécessairement ricocher sur ce talus E et aller frapper les assaillants à une certaine distance du pied de l’échauguette au fond du fossé. Les deux contre-forts, le vide entre eux et le talus étaient donc une défense de ricochet, faite pour forcer l’assaillant à s’éloigner du pied du rempart et, en s’éloignant, à se présenter aux coups des arbalétriers garnissant les chemins de ronde de la courtine. Ces échauguettes flanquent les courtines, ainsi que le font voir les plans supérieurs (10 et 10 bis). Elles permettaient encore à un petit poste de se tenir à couvert, à l’intérieur, sous la galerie G, et de se rendre instantanément sur le chemin de ronde supérieur H, au premier appel de la sentinelle[10].

La vue perspective intérieure (11) fait comprendre la disposition du petit poste couvert qui intercepte le passage au niveau du chemin de ronde de la courtine ; elle explique les degrés qui montent à la plate-forme de l’échauguette, et rend compte de la construction de l’ouvrage. N’oublions pas de mentionner la présence des corbeaux A qui étaient placés ainsi à l’intérieur du rempart pour recevoir une filière portant des solives et un plancher, dont l’autre extrémité reposait intérieurement sur des poteaux, afin d’augmenter la largeur du chemin de ronde en temps de guerre, soit pour faciliter les communications, soit pour déposer les projectiles ou établir des engins. Nous avons expliqué ailleurs l’utilité de ces chemins de ronde supplémentaires (voy. Architecture Militaire, fig. 32 et 33).
Ces sortes d’échauguettes interrompant la circulation sur les courtines avaient, comme les tours, l’avantage d’obliger les rondes à se faire reconnaître soit par la sentinelle placée au sommet de l’ouvrage, soit par le poste abrité sous la petite plate-forme supérieure. Quelquefois même ces échauguettes sont fermées, barrent complètement le chemin de ronde :ce sont de véritables corps de garde. Nous voyons encore une échauguette de ce genre sur la courtine occidentale de la forteresse de Villeneuve-lès-Avignon. Cette échauguette ne flanque pas la courtine et déborde à peine son parement extérieur ; elle est réservée pour le service de la garnison.
Voici son plan (12). En A est le chemin de ronde interrompu par l’échauguette et ses deux portes B ; un seul créneau C a vue sur l’extérieur ; en D est une petite cheminée.


Deux ou trois hommes au plus pouvaient se tenir dans ce poste dont nous présentons (13) l’aspect intérieur, en supposant le comble, tracé en E, enlevé. Cette partie des murs de la citadelle de Villeneuve-lès-Avignon date de la première moitié du XIVe siècle.

Les formes données aux échauguettes, pendant les XIVe et XVe siècles, sont très-variées ; lorsqu’elles servent de flanquements, elles sont ou barlongues comme celles d’Avignon, ou semi-circulaires, ou à pans, portées sur des contre-forts, sur des encorbellements ou des corbeaux, suivant le besoin ou la nature des défenses ; elles sont ou couvertes ou découvertes, contenant un ou plusieurs étages de crénelages, avec ou sans mâchicoulis.

Il existait encore, en 1835, au sommet des remparts de l’abbaye du Mont-Saint-Michel-en-Mer, du côté du midi, une belle échauguette avec mâchicoulis sur la face et sur les côtés, interceptant, comme celle de Villeneuve-lès-Avignon, la communication sur le chemin de ronde de la courtine. Cette échauguette tenait aux constructions du XIVe siècle[11].

Le plan (14), pris au niveau du crénelage, fait voir les deux baies fermant l’échauguette, la petite cheminée qui servait à chauffer les gens de guet, l’ouverture du mâchicoulis de face en A et celles des mâchicoulis latéraux en B. Ces mâchicoulis se fermaient au moyen de planchettes munies de gonds.

La fig. 15 donne une vue perspective extérieure de ce poste avec sa couverture. Cette construction était en granit rouge.
La fig. 15 bis présente, en A, la coupe de l’échauguette sur la ligne EG, et, en B, sur la ligne CD du plan.

Dans la première de ces coupes est indiquée l’ouverture du mâchicoulis de face en H avec la saillie K, sur le parement du mur, pour empêcher les traits décochés d’en bas de remonter en glissant le long du parement jusqu’aux défenseurs. Dans la seconde coupe B, on voit l’ouverture du mâchicoulis de face en L, et, en M, celles des mâchicoulis latéraux avec les arrêts O pour les traits venant du dehors. Ces mâchicoulis latéraux servaient, avec les meurtrières P, à flanquer la courtine, car on remarquera que les défenseurs pouvaient non-seulement laisser tomber des pierres verticalement, mais aussi envoyer des traits d’arbalète obliquement, ainsi que l’indique le tracé ponctué MN. On trouve assez souvent, dans nos anciennes forteresses, beaucoup d’échauguettes disposées de cette manière, au moins quant au mâchicoulis de face ; mais il ne faut pas prendre pour telles des latrines qui souvent ont la même apparence extérieure, et ont leur vidange sur le dehors (voy. Latrines), quand ce dehors est un fossé ou un escarpement.

Ainsi que nous avons l’occasion de le constater bien des fois dans le Dictionnaire, les architectes des XIIIe, XIVe et XVe siècles, employaient les encorbellements toutes les fois que ce système de construction pouvait leur être utile ; il arrive souvent qu’on est obligé, dans les bâtisses, de donner aux parties supérieures plus de surface qu’aux parties inférieures des maçonneries. Les architectes du moyen âge s’étaient soumis à ces besoins ; ils n’hésitaient jamais à faire emploi du système des encorbellements, et se tiraient avec beaucoup d’adresse des difficultés qu’il présente, tout en obtenant des constructions parfaitement solides.

Sur l’un des fronts de l’enceinte du château de Véz (voy. le plan d’ensemble de ce château à l’article Donjon, fig. 45), il existe encore de belles échauguettes semi-circulaires flanquantes, dont nous donnons la vue perspective extérieure (16). Sur le talus de la courtine naît un contre-fort rectangulaire peu saillant, qui, au moyen de trois corbelets, porte un demi-cylindre inférieur sur lequel posent quatre assises profilées arrivant à former un puissant encorbellement portant l’échauguette. La bascule de cette masse est parfaitement maintenue par le massif de la courtine.


Sur l’autre front de la même enceinte, à l’intérieur de la cour du château, il existe des échauguettes rectangulaires cette fois, à doubles flanquements, c’est-à-dire formant deux redans de chaque côté (17), destinés à flanquer la courtine à droite et à gauche : le premier redan assez long pour permettre un tir parallèle aux parements de cette courtine ; le second plus court, mais suffisant pour le tir oblique, ainsi que l’indique le plan A. Ici encore, c’est un large contre-fort rectangulaire naissant sur le talus inférieur et portant l’encorbellement du premier redan ; puis un second contre-fort en encorbellement lui-même portant la saillie du second redan. Des larmiers abritent les profils et empêchent la pluie de baver sur les parements.

Dans l’architecture militaire, les échauguettes n’ont été abandonnées qu’après Vauban. On les regardait comme utiles, même avec l’artillerie à feu, pendant les XVIe et XVIIe siècles ; les angles saillants des bastions portaient encore des échauguettes, il y a deux cents ans, destinées uniquement à abriter les sentinelles. Il va sans dire qu’en cas de siège c’était la première chose qu’abattait l’assaillant. Cette persistance de l’échauguette constate seulement son importance dans les ouvrages militaires du moyen âge, puisqu’on eut tant de peine à l’abandonner, même après que tout le système de la défense s’était transformé. Les dernières échauguettes sont en forme de poivrière, très-étroites, portées sur un cul-de-lampe et n’ayant que la valeur d’une guérite, c’est-à-dire bonnes seulement pour surveiller les dehors, mais ne pouvant servir à la défense. Cependant, au commencement du XVIe siècle, et au moment où l’on établit déjà des boulevards revêtus, en dehors des anciennes enceintes, lorsque ces boulevards présentent un angle saillant (ce qui est rare, la forme circulaire étant alors admise), cet angle saillant est garni quelquefois d’une assez large échauguette quadrangulaire, posée la face sur l’angle du boulevard, ainsi que l’indique la fig. 18.
Ces échauguettes pouvaient recevoir un fauconneau ; elles étaient ordinairement revêtues de combles en dalles posées sur une voûte, décorées d’armoiries et d’autres ornements qui donnaient aux saillants des boulevards un certain air monumental. Le temps et les boulets ont laissé peu de traces de ces petits ouvrages que nous ne retrouvons plus que dans d’anciennes gravures ; et c’est à peine si, aujourd’hui, sur nos vieux bastions français, on aperçoit quelques assises des encorbellements qui portaient ces sortes d’échauguettes. Sur les boulevards en terre et clayonnages dont on fit un grand usage pendant les guerres du XVIe siècle pour couvrir d’anciennes fortifications, on établissait des échauguettes en bois en dehors de l’angle saillant des bastions et au milieu des courtines (18 bis), afin de permettre aux sentinelles de voir ce qui se passait au fond des fossés. Ces sortes d’échauguettes sont employées jusqu’au XVIIe siècle.

On établissait aussi des échauguettes transitoires en bois sur les chemins de ronde des fortifications du moyen âge ; ces échauguettes se reliaient aux hourds et formaient des sortes de bretèches (voy. ce mot). Quant aux échauguettes à demeure en charpente, nous les avons scrupuleusement détruites en France. À peine si nous en apercevons les traces sur quelques tours ou clochers. Pour trouver de ces sortes d’ouvrages encore entiers, il faut se décider à passer le Rhin et parcourir l’Allemagne conservatrice.

Sur le bord oriental du lac de Constance est une charmante petite ville qui a nom Lindau ; c’est une tête du chemin de fer bavarois. Lindau a respecté ses murailles du moyen âge, avec quelques-unes des anciennes tours flanquantes. L’une de ces tours, dont la construction remonte au XIVe siècle, est couronnée de quatre échauguettes du XVe siècle, en bois, posant sur des encorbellements de pierre.


Voici (19) l’ensemble de cette construction. Les combles sont couverts en tuiles vernissées, avec boules et girouettes en cuivre doré. Depuis le XVe siècle, pas une main profane n’a touché cette innocente défense que pour l’entretenir ; aucun Conseil municipal n’a prétendu que les bois du comble fussent pourris ou que la tour gênât les promeneurs.
Nous donnons (20) le détail de l’une de ces quatre échauguettes, dont les pans-de-bois sont hourdés en maçonnerie, avec meurtrières sur chacune des faces. Il suffit de jeter les yeux sur les gravures d’Israël Sylvestre, de Mérian, de Chastillon, pour constater qu’en France toutes les villes du Nord et de l’Est renfermaient quantité de ces tours couronnées d’échauguettes qui se découpaient si heureusement sur le ciel et donnaient aux cités une physionomie pittoresque. Aujourd’hui nous en sommes réduits à admirer ces restes du passé en Allemagne, en Belgique ou en Angleterre. Dans la campagne, et surtout dans les pays de plaines, les combles des tours des châteaux se garnissaient d’échauguettes qui permettaient de découvrir au loin ce qui se passait ; la Picardie et les Flandres surmontaient les combles de leurs donjons d’échauguettes de bois recouvertes de plomb ou d’ardoises. Les gravures nous ont conservé quelques-unes de ces guettes de charpenterie.
Nous donnons ici l’une d’elles (21) en A[12]. À la base du pignon se voient deux autres échauguettes de pierre B, à deux étages, flanquant le chemin de ronde des mâchicoulis.

Nous retrouvons encore la tradition de ces guettes couronnant les combles des tours dans la plupart des châteaux de la Renaissance, comme à Chambord, à Tanlay, à Ancy-le-Franc, et, plus tard, au château de Richelieu en Poitou, de Blérancourt en Picardie, etc. Ce ne fut que sous le règne de Louis XIV, et lorsque les combles ne furent plus de mise sur les édifices publics ou privés, que disparurent ces derniers restes de la guette du château féodal.

Les combles des beffrois de ville étaient souvent munies d’échauguettes de bois. Comme les combles des donjons, on a eu grand soin de les détruire chez nous, et il nous faut sans cesse avoir recours aux anciennes gravures si nous voulons prendre une idée de leur disposition. La plupart des tours de beffrois des villes du nord en France, élevées pendant les XIIIe et XIVe siècles, étaient carrées[13] ; elles se terminaient par une galerie fermée ou à ciel ouvert, avec échauguettes aux angles ; de plus, le comble en charpente, très-élevé et très-orné généralement (car les villes attachaient une sorte de gloire à posséder un beffroi magnifique), était percé de lanternes ou d’échauguettes, servant de guérites au guetteur. Il nous faut bien, cette fois encore, emprunter aux pays d’outre-Rhin, pour appuyer nos descriptions sur des monuments. Retournons donc à Prague, la ville des échauguettes, et celle dont l’architecture gothique se rapproche le plus de notre école picarde.

La cathédrale de cette ville possède deux tours sur sa façade occidentale dont les couronnements affectent bien plutôt la forme de nos beffrois municipaux du Nord que celle d’un clocher d’église. Ces tours, à défaut d’autres renseignements existants, vont nous servir à reconstituer les échauguettes des tours de ville des XIVe et XVe siècles.

Sur un dernier étage carré (22) s’épanouit un large encorbellement décoré d’écussons armoyés aux quatre angles ; cet encorbellement arrive à former des portions d’octogones, ainsi que l’indique le plan A. Une balustrade de pierre pourtourne le couronnement et est surmontée aux angles de logettes également en pierre couvertes de pavillons aigus en charpente. En retraite, sur le parement intérieur de la tour, s’élève un grand comble à huit pans sur quatre faces duquel sont posées des échauguettes en bois couvertes aussi de pyramides à huit pans. Tous ces combles sont revêtus d’ardoises et de plomb, avec épis, boules, girouettes. Quatre petits combles diagonaux permettent de passer à couvert de la base de la charpente dans chacune des échauguettes d’angle.
La fig. 23 donne le détail de l’une des quatre échauguettes supérieures du comble. C’était un couronnement de ce genre, mais plus somptueux probablement, qui devait terminer le beffroi de la ville d’Amiens construit vers 1410 et brûlé en 1562. Un guetteur avait charge, du haut de ce beffroi, de sonner les cloches pour annoncer le bannissement de quelque malfaiteur, les incendies qui se déclaraient dans la ville ou la banlieue, pour donner l’alarme s’il voyait s’avancer vers la cité une troupe d’hommes d’armes, pour prévenir les sentinelles posées aux portes. Le son différent des cloches mises en branle faisait connaître aux habitants le motif pour lequel on les réunissait. Ce guetteur, au XVe siècle, recevait pour traitement un écu quarante sols par an, plus une cotte en drap moitié rouge moitié bleu qu’il portait à cause des « grans vans et froidures estant au hault dudict beffroi. » Il logeait dans la tour, devait jouer de sa « pipette » à la sonnerie du matin ; il cornait pour annoncer aux bourgeois rassemblés hors la ville, à l’occasion de quelque fête ou cérémonie, qu’ils pouvaient être en paix et que rien de fâcheux ne survenait dans la cité. Il lui fallait aussi jouer certains airs lorsque des processions circulaient dans la ville[14]. C’était, on en conviendra, un homme qui gagnait bien un écu quarante sols et un habit rouge et bleu par an.

Certains moustiers, certaines églises étaient fortifiées pendant le moyen âge, et ces églises étant habituellement entourées de contre-forts, on surmontait ceux-ci d’échauguettes. On voit encore, sur la façade occidentale de l’église abbatiale de Saint-Denis, des traces d’échauguettes circulaires bâties au XVe siècle sur les contre-forts du XIIe. Pendant les guerres avec les Anglais, sous Charles VI et Charles VII, en Normandie, sur les frontières de la Bretagne, sur les bords de la Loire, beaucoup d’églises abbatiales furent ainsi munies d’échauguettes. Dans les contrées exposées aux courses d’aventuriers, dans les montagnes et les lieux déserts, presque toujours les églises furent remaniées, à l’extérieur, de manière à pouvoir se défendre contre une troupe de brigands. Les échauguettes alors servaient non-seulement à poster des guetteurs de jour et de nuit, mais encore elles flanquaient les murs et en commandaient les approches. L’église abbatiale de Saint-Claude, dans le Jura, aujourd’hui cathédrale, bâtie vers la fin du XIVe siècle, porte sur ses contre-forts des échauguettes bien fermées et commandant parfaitement les dehors. Ces échauguettes (24) sont à un étage couvert sur les contre-forts latéraux,


et à deux étages (25) sur les contre-forts d’angle. On communique d’un de ces étages à l’autre par une trappe réservée dans le plancher et une petite échelle de meunier. Dans le midi de la France, on remarque, sur des églises romanes, des échauguettes construites à la hâte au XIVe siècle, pour mettre ces édifices en état de résister aux courses des troupes du Prince Noir. On éleva encore des échauguettes sur les édifices religieux pendant les guerres de religion du XVIe siècle, et quelquefois même des échauguettes furent disposées pour recevoir de petites bouches à feu.

Du jour où chacun n’eut plus à songer à sa défense personnelle, l’échauguette disparut de nos édifices civils ou religieux ; et il faut reconnaître que la gendarmerie de notre temps remplace avec avantage ces petits postes de surveillance.

  1. Le Roman de Rou, vers 9 519 et suiv.
  2. Roman de Garin le Loherain. La leçon eschargaite est préférable ; elle est employée dans le même roman :

    « De l’échargaite, por Dieu, qu’en sera-t-il ? »

    Ce mot est formé de scara, interprété dans les monuments du VIIIe siècle par turma, acies, et de wachte, garde. Scaraguayta.

  3. Roman d'Ogier l’Ardenois, vers 1122 et suiv.
  4. Ibid., vers 10736.
  5. Archiv. de Béthune, de Péronne, de Noyon. Voy. Les artistes du nord de la France aux XIVe, XVe et XVIe siècles, par Al. de la Fons, baron de Mélicocq. Béthune, 1848. Répar. des fortif. de Béthune, d’Arras, de Guise, de Noyon, de Péronne, etc. Registre des comptes, p. 185 et suiv.
  6. La Chronique de Rains, chap. VIII.
  7. Si nous donnons ici cet exemple, c’est qu’il nous semble être l’œuvre d’un architecte picard. En effet, en Bohême, pendant le XIVe siècle, on avait eu recours à des architectes de notre pays. Ainsi le chœur de la cathédrale de Prague est bâtie en 1344 par un Français, Mathieu d’Arras, appelé en Bohême par le roi Jean et son fils Charles, margrave de Moravie. Parmi les écussons armoyés qui décorent la porte, sur le vieux pont, on trouve l’écu de France semé de fleurs de lis sans nombre, par conséquent antérieur à Charles V.
  8. Cette porte, qui conservait encore la trace des boulets des armées alliées lors de l’invasion de 1814, a été détruite, sans motif sérieux, il y a quelques années. C’était une charmante ruine.
  9. Cette échauguette date du XIIIe siècle.
  10. Le plan 10 est pris au niveau du parapet du chemin de ronde de la courtine ; le plan 10 bis, au niveau du parapet de l’échauguette.
  11. Depuis cette époque, la portion du rempart dont il est ici question a été restaurée et l’échauguette détruite ; depuis longtemps elle servait de latrines.
  12. Du château de Beersel en Brabant. (Voy. Castella et prætoria nobilium Brabantiæ, ex mus. Jac. baronis Le Roy, etc. Anvers, 1696.)
  13. Les beffrois d’Amiens, de Béthune, de Valenciennes, qui existent ou existaient encore il y a peu d’années, sont bâtis sur plan carré (voy. Beffroi).
  14. Voy. Descript. du beffroi et de l’hôtel de ville d’Amiens, par M. Dusevel. Amiens, 1847.