Ennéades (trad. Bouillet)/IV/Livres 3 à 5/Notes

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Les Ennéades de Plotin,
Traduction de M. N. Bouillet
Ennéade IV, livres iii, iv, v :
Questions sur l’Âme, I, II, III | Notes


LIVRE III, IV, V.
QUESTIONS SUR L’ÂME.

Ces trois livres sont le vingt-septième, le vingt-huitième et le vingt-neuvième dans l’ordre chronologique. M. Kirchhoff les a réunis tous ensemble, et il a en conséquence changé les numéros que portent les paragraphes dans les éditions antérieures.

Taylor a traduit en anglais le livre iii : Select Works of Plotinus, p. 319-396, sous ce titre : A discussion of Doubts relative to the Soul.

M. Barthélemy-Saint-Hilaire a traduit en français les paragraphes 15, 16, 24, 32 du livre iii, dans son ouvrage De l’École d’Alexandrie, p. 233.

Quoique Plotin aborde et discute successivement dans les Ennéades toutes les questions que soulève l’étude de l’âme, il n’est cependant aucun livre où l’on trouve une exposition complète et suivie de sa psychologie. D’un autre côté, les Éclaircissements que nous avons donnés sur cette matière dans ces deux volumes sont nécessairement dispersés comme les textes mêmes auxquels ils se rapportent. Nous allons donc faire ici un résumé général qui permette au lecteur de saisir facilement l’ensemble de la psychologie de notre auteur et qui lui indique dans quels passages, soit des Ennéades, soit des Éclaircissements, il peut trouver la solution de chaque question. Nous indiquerons ensuite les rapprochements auxquels ces livres donnent lieu.

§ I. RÉSUMÉ GÉNÉRAL DE LA PSYCHOLOGIE DE PLOTIN.

L’homme est composé de deux parties, d’un corps et d’une âme. C’est l’âme qui constitue proprement l’homme (t. I, p. 365-366).

A. Le Corps.

Le corps auquel l’âme est unie n’est pas simplement une masse matérielle, c’est une matière disposée de telle façon, c’est-à-dire organisée (t. I, p. 366 et la note). Il doit la vie à l’âme, qui lui donne la forme et qui seule retient unies ensemble toutes les molécules qui le composent (t. II, p. 439).

Trois choses concourent à la génération de l’homme, les parents, l’influence des astres et des circonstances extérieures. l’action de l’Âme universelle. Quand l’âme entre dans le corps, elle en trouve les contours déjà ébauchés ; elle achève de l’organiser (t. I, p. 475-476).

La vie abandonne le corps aussitôt que l’âme cesse d’y être présente (t. Il, p. 377-379, 423).

B. L’Âme.
1. Essence de l’âme.

L’âme n’est ni un corps, ni une harmonie, ni une entéléchie. Elle est une essence véritable, distincte et séparable du corps, simple et indivisible, identique, principe de la vie et du mouvement, parce qu’elle est une force active, qu’elle possède une activité innée (t. I, p. 37 ; t. II, p. 433, 435-466). Il en résulte qu’elle est immortelle (t. II, p. 466-476).

2. Parties de l’âme.

Les parties de l’âme (μέρη, εἴδη, λόγοι), qu’il faut bien distinguer de ses facultés, sont les puissances qui diffèrent par leur genre[1].

Division platonicienne. — Pour classer et définir les vertus[2], Plotin divise l’âme, comme le fait Platon, en partie raisonnable, partie irascible et partie concupiscible (t. I, p. 52 ; t. II, p. 127).

Division péripatéticienne. — Pour classer et définir les diverses fonctions de l’âme[3], Plotin la divise, comme le fait Aristote[4], en intelligence ou âme intellectuelle, âme raisonnable, âme irraisonnable ou sensitive et végétative (t. II, p. 308-311, 463-465).

Voici les caractères qui distinguent ces parties :

1o L’intelligence ne descend pas dans le corps, parce que sa fonction est la pensée intuitive, qui n’a aucun rapport ni direct ni indirect avec l’exercice des organes. Elle est à la fois personnelle et impersonnelle (t. I. p. 44, 50 ; t. II, p. 492).

2o L’âme raisonnable n’est présente au corps que par son rapport avec la puissance sensitive et imaginative (t. II, p. 310) ; par elle-même, elle est indépendante du corps. En effet, elle n’a besoin d’aucun organe pour exercer sa fonction propre, la pensée discursive ; il faut même qu’elle se sépare du corps pour posséder les vertus intellectuelles (t. I, p. 46-48, 398-400).

C’est l’âme raisonnable qui constitue essentiellement l’homme (t. I, p. 43-44).

3o L’âme irraisonnable ou sensitive et végétative a besoin du corps pour exercer ses fonctions : aussi dit-on que celles-ci sont communes à l’âme et au corps (t. I, p. 46-47).

Par son union avec le corps, l’âme irraisonnable constitue l’animal (appelé aussi le composé, la partie commune), auquel appartiennent les vertus naturelles (t. I, p. 43-47, 69, 362-367, 398-400).

Rapport de l’âme et du corps. — L’âme ne forme pas un mixte avec le corps. Elle n’est pas dans le corps comme dans un lieu, ou dans un vase, ou dans un sujet, ou comme une partie dans un tout, ou comme une forme dans la matière. Elle est présente au corps comme la lumière est présente à l’air ; elle est présente tout entière dans tout le corps par les puissances dont l’exercice met en jeu les organes (t. I, p. 355-361 ; t. II. p. 302-311).

Indivisibilité et impassibilité de l’âme. — Le rapport de l’âme avec le corps explique l’indivisibilité et l’impassibilité de l’âme.

1o L’âme raisonnable est indivisible parce qu’elle n’a pas besoin du corps. L’âme irraisonnable est à la fois divisible et indivisible : elle est divisible en ce qu’elle fait participer chaque organe à la puissance propre à la fonction qu’il remplit ; elle est indivisible en ce que ses puissances sont distinctes sans être séparées, l’âme étant présente tout entière dans tout le corps, comme le prouve la sympathie des organes, et chaque puissance étant présente tout entière dans tout l’organe auquel elle se communique (t. II, p. 256, 275-279, 301, 308-311, 448-450). Il en résulte que l’âme irraisonnable elle-même est séparable du corps (t. II, p. 464-465).

2o L’âme raisonnable est impassible, parce que tous ses mouvements et ses changements sont des opérations et des modifications complètement immatérielles, telles que le passage de la puissance à l’acte (t. II, p. 123-132). Quant à la partie irraisonnable, elle est passive en ce sens qu’elle est le principe des passions, dire des faits qui sont accompagnés de peine ou de plaisir ; mais elle est impassible en ce sens qu’elle ne subit pas d’altération comme le corps, que les passions qu’on lui rapporte sont des passions sans passivité, c’est-à-dire des modifications auxquelles on ne donne le nom de passions que par métaphore (t. II, p. 126, 133).

Rendre l’âme impassible, la purifier, la séparer du corps, c’est l’empêcher de se représenter les images des choses sensibles et de produire dans le corps les mouvements qui accompagnent ces images, parce qu’il en résulte des plaisirs ou des douleurs qui troublent l’âme (t. II, p. 135-138).

Unité de l’âme. — L’âme est une, quoique l’on distingue en elle plusieurs parties, parce que ces parties sont des formes, des raisons : l’âme est une forme, une raison, qui contient des formes et des raisons (t. I, p. 365 ; t. II, p. 270, 379, 443-444).

D’ailleurs, l’âme irraisonnable, l’âme raisonnable et l’intelligence sont unies ensemble sous ce rapport qu’elles procèdent l’une de l’autre : l’âme irraisonnable est l’acte de l’âme raisonnable, et l’âme raisonnable est l’acte de l’intelligence (t. I, p. 364-366 ; t. II, p. 379). Chaque partie de l’âme reçoit ainsi sa forme de la partie qui est immédiatement au-dessus d’elle (t. II, p. 244).

Il en résulte qu’à la mort l’âme irraisonnable se sépare du corps avec l’âme raisonnable, mais elle ne subsiste plus qu’en puissance dans le principe dont elle était l’acte (t. II, p. 379, 423).

3. Facultés de l’âme.

Les facultés (δυνάμεις) sont les puissances qui diffèrent entre elles par leurs opérations[5].

Vie végétative. — Les facultés qui se rapportent à la vie végétative sont la Puissance nutritive et générative (appelée aussi Nature et Raison séminale), la Puissance passive, l’Appétit concupiscible et l’Appétit irascible. Ces facultés sont communes à l’âme et au corps, c’est-à-dire, elles sont par elles-mêmes des formes immatérielles, indivisibles et impassibles, mais elles ne peuvent s’exercer que dans l’animal (le composé du corps et de l’âme irraisonnable), où elles sont engagées dans la matière et ont pour siéges des organes qui sont divisés et qui pâtissent (t. II, p. 134-135).

1o Puissance nutritive et générative. — La Puissance nutritive ou végétative exerce son action dans tout le corps qu’elle administre et qu’elle façonne à l’image de l’âme. C’est une force providentielle, mais aveugle (t. I, p. 331, 371-373 ; t. II, p. 211-216, 310, 349-350, 356, 360).

L’Amour physique paraît avoir pour siége l’organe qui est destiné à le satisfaire. La génération est un acte de la Puissance naturelle ou Raison séminale qui produit une forme dans le but de perpétuer l’espèce (t. I, p. 143-144, 331-332, 475-477 ; t. II, p. 103, 213, 222, 373).

2o Puissance passive ou Sensibilité externe. — Pâtir, c’est éprouver une impression organique, une modification sensible. C’est le corps vivant qui éprouve la passion ; c’est la puissance sensitive de l’âme qui, par ses relations avec les organes, perçoit la passion sans l’éprouver elle-même (t. II, p. 357-359).

À la suite de la passion se produisent le plaisir et la douleur, qui sont accompagnés de connaissance. Ils indiquent à l’âme ce qui est favorable ou nuisible à la conservation du corps (t. I, p. 336 ; t. II, p. 358-359).

En résumé, la Passivité ou Sensibilité externe est la puissance à laquelle se rapportent les passions, c’est-à-dire les faits qui sont accompagnés de plaisir ou de douleur. Tantôt l’agitation sensible qui se produit dans le corps précède l’acte de l’âme appelé imagination ou opinion, tantôt elle suit cet acte (t. II, p. 132-135).

3o Appétit concupiscible, Appétit irascible. — Les Appétits dérivent de la puissance végétative, parce qu’ils se rapportent à la constitution du corps organisé et vivant (t. II, p. 359, 373, 376).

L’Appétit concupiscible se rapporte aux besoins du corps. Il a son origine, dans la puissance végétative qui, en organisant le corps, l’a rendu capable de rechercher ce qui est agréable et de fuir ce qui est pénible. D’un côté, le plaisir et la douleur engendrent le Désir et l’Aversion. D’un autre côté, la concupiscence étant accompagnée de connaissance, la sensation met en jeu l’imagination. et alors l’âme accorde ou refuse à l’organisme ce dont il a besoin (t. I, p. 336 ; t. II, p. 359-361). L’appétit concupiscible a pour siége le foie (t. II, p. 311. 373-374).

L’appétit irascible se rapporte à la disposition du corps et a également son origine dans la puissance végétative. Tantôt, quand le corps souffre, le sang bouillonne ainsi que la bile, et il se produit une sensation qui éveille l’imagination ; celle-ci instruit l’âme de l’état de l’organisme et la dispose à attaquer ce qui cause la souffrance. Tantôt, l’âme raisonnable, jugeant qu’on nous fait une injustice, s’émeut et communique son impulsion à l’appétit irascible qui a pour siége le cœur (t. II, p. 373-377).

Vie sensitive. — Les facultés qui se rapportent à la vie sensitive sont la Puissance sensitive, l’Imagination sensible et la Mémoire sensible. L’âme possède ces facultés par elle-même ; mais, d’un côté, la puissance sensitive ne peut s’exercer sans le concours des organes ; d’un autre côté, l’imagination sensible et la mémoire sensible, qui n’ont pas besoin du concours des organes, sont cependant liées à la sensation. Il en résulte que ces facultés sont irrationnelles (t. I, p. 338 ; t. II, p. 319).

1o Puissance sensitive ou Sensibilité interne. — Sentir, c’est percevoir les qualités des objets extérieurs et se représenter leurs formes sensibles.

La Sensation suppose trois choses : l’objet extérieur, l’organe qui pâtit et reçoit la forme sensible, l’âme qui connaît la passion et perçoit la forme sensible reçue par l’organe. De cette manière, l’organe joue le rôle d’intermédiaire entre l’objet extérieur et l’âme ; d’un côté, il pâtit comme l’objet extérieur, il éprouve la même passion ; d’un autre côté, cette passion est une forme qui a déjà quelque chose de la nature intelligible. Quant à la sensation qui est propre à l’âme, c’est une connaissance, un jugement ; par conséquent, ce n’est ni une empreinte, ni une passion, mais un acte : car, pour sentir, il faut que l’âme applique son attention aux objets extérieurs (t. I, p. 332-333 ; t. II, p. 123, 129, 316, 364-367, 369, 425-428).

C’est par le corps et pour le corps que l’âme sent, soit que toute passion doive, quand elle est vive, arriver jusqu’à l’âme, soit que les sens aient été faits afin que nous prenions garde à ce qu’aucun objet ne nuise à notre corps, soit qu’ils nous aient encore été donnés pour acquérir des connaissances (t. II, p. 367).

Chaque sens a un organe spécial, sauf le toucher qui est répandu dans tout le corps (t. II, p. 308). Pour le toucher, il faut qu’il y ait contact entre l’organe et l’objet, mais cela n’est point nécessaire pour la vue ni pour l’ouïe. La vue, au moyen de la lumière émanée de l’œil, atteint l’objet dans l’endroit où il est placé, comme si la perception s’opérait dans cet endroit même ; l’air est inutile pour l’acte de la vision et la production de la lumière (t. I, p. 250-253 ; t. II, p. 409-417, 419-427). L’ouïe perçoit la vibration du corps sonore ; et, les corps solides étant sonores aussi bien que l’air, l’air peut servir à la production et à la transmission du son, mais il n’est pas toujours nécessaire, puisque les corps solides remplissent encore mieux ce rôle (t. I, p. 251 ; t. II, p. 417-419, 427 428).

Comme les premiers nerfs, qui servent d’instruments au tact et qui possèdent aussi le pouvoir de mouvoir l’animal, ont leur origine dans le cerveau, on y a placé le siége de la Puissance sensitive et de l’Appétit (t. II, p. 308-310).

2o Imagination sensible, Mémoire sensible. — Ces deux facultés sont liées entre elles et se rapportent à la sensation.

La sensation vient aboutir à l’Imagination sensible, qui se la représente sous forme d’image. Le pouvoir de conserver et de reproduire cette image constitue la mémoire sensible (t. II, p. 324).

L’image que la Mémoire conserve et reproduit est une forme et non une empreinte (t. II, p. 317, 423). Il en résulte que le corps ne sert point pour la mémoire (t. II, p. 319). En effet, la mémoire est une puissance essentiellement active : si elle garde la notion d’un objet, c’est qu’elle a considéré cet objet avec toute la force de son attention ; si elle se rappelle une notion précédemment acquise, c’est qu’elle la fait passer de la puissance à l’acte. C’est pourquoi l’exercice accroît la force du souvenir, et certains indices dont nous avons l’habitude de nous servir nous font retrouver aisément [par l’association des idées] une foule de choses auxquelles nous n’avions pas réfléchi d’abord (t. II, p. 429-434).

Vie rationnelle. — Les facultés qui se rapportent à la vie rationnelle sont l’Opinion, la Raison discursive, l’Imagination intellectuelle, la Mémoire intellectuelle et la Volonté. Leur exercice constitue la vie propre de l’âme.

À ces facultés se rattache la Conscience, qui ne constitue pas une faculté spéciale (t. I, p. 352-356).

1o Opinion. — L’Opinion est le jugement que l’âme porte sur la passion et sur la sensation (t. I, p. 332, 337). L’opinion ne se borne pas à suivre la passion ; quelquefois elle la fait naître. Elle a ainsi beaucoup d’analogie avec l’imagination (t. II, p. 131-135).

2o Raison discursive. — La Raison discursive juge les représentations sensibles, les combine et les divise ; elle considère aussi sous forme d’images les conceptions qui lui viennent de l’intelligence, et opère sur ces images comme sur les images fournies par la sensation ; enfin, elle est encore la puissance de comprendre, puisqu’elle discerne les nouvelles images des anciennes et qu’elle les accorde en les rapprochant, d’où dérivent les réminiscences (t. I, p. 36, note 5, p. 326-328, 341).

La partie de la raison discursive qui s’exerce sur les images et les formes fournies par la sensation constitue le Raisonnement (t. I, p. 118, 333. 341). La partie supérieure qui reçoit les impressions et les conceptions de intelligence constitue la Raison pure ; mais, dans la raison pure, les idées sont développées et séparées, tandis que, dans l’intelligence, elles existent toutes ensemble (t. I, p. 44, 327 ; t. II, p. 299-300, 325). »

L’emploi méthodique de la Raison pure constitue la Dialectique, tandis que celui du Raisonnement constitue la simple Logique, qui est subordonnée à la première (t. I, p. 66-68).

3o Imagination intellectuelle. — L’Imagination intellectuelle se rattache à la raison discursive. La raison pure reçoit la pensée pure, qu’elle accompagne toujours, et la transmet à l’imagination intellectuelle. Dans l’intelligence, la pensée est indivisible. Dans l’imagination, elle se développe en passant à l’état d’image. C’est de cette manière qu’elle est perçue, qu’elle dure et devient un souvenir (t. I, p. 339-340 ; t. II, p. 325-326).

Quand l’imagination intellectuelle s’exerce en même temps que l’imagination sensible, elle l’éclipse par sa lumière et il n’y a qu’une image (t. II, p. 326-327).

4o Mémoire intellectuelle. — La Mémoire intellectuelle dépend de la raison discursive et de l’imagination intellectuelle : de la raison discursive, parce que, comme on ne se souvient que de ce qui passe, la mémoire ne peut s’appliquer qu’aux actes d’une faculté qui va sans cesse d’une conception à une autre (t. II, p. 332, 335, 337, 339), tandis que l’intelligence a une intuition immuable d’essences qui sont elles-mêmes immuables (t. II, p. 313, 332, 837) ; de l’imagination intellectuelle, parce que la mémoire ne reçoit et ne garde les pensées pures que sous forme d’images (t. II, p. 325-326).

Quand la mémoire intellectuelle s’exerce concurremment avec la mémoire sensible, elle la domine de manière à ce qu’il n’y ait qu’un souvenir, ou bien elle la fait rester dans l’obscurité (t. II, p.327-329, 338).

5o Volonté. — La Volonté est le pouvoir d’agir sans contrainte et avec la conscience de ce que l’on fait.

Elle diffère de la liberté en ce que celle-ci n’implique que la première condition : car, pour qu’un acte soit libre, il suffit qu’on soit maître de le faire.

La liberté dans l’homme n’est pas un pouvoir d’agir quelconque ; c’est le pouvoir de développer sans obstacle les facultés propres à son essence, de vivre conformément à sa nature. Pour remplir ces deux conditions, il faut que l’âme s’affranchisse des passions du corps et qu’elle suive le désir qui la porte naturellement vers le bien (car l’essence de la volonté est de vouloir le bien[6]). Par conséquent, lorsque l’âme prend une détermination et qu’elle l’exécute parce qu’elle y est poussée par les choses extérieures, qu’elle cède à la violence de ses appétits, sa détermination et son action ne doivent pas être regardées comme libres. Au contraire, quand elle suit son guide propre, la raison pure et impassible, la détermination qu’elle prend est vraiment volontaire, libre, indépendante, l’action, qu’elle fait est réellement son œuvre (t. II, p. 16-18. Voy. aussi, dans le volume suivant, l’Ennéade VI, livre VIII, § 1-7).

Ainsi, de même que les Appétits sont excités par l’imagination sensible, la Volonté est mise en mouvement par la raison pure. Puisque la volonté agit toujours en vue du bien, elle doit, toutes les fois qu’elle ne s’égare pas en poursuivant son but, se conformer aux conceptions que la raison pure reçoit de l’intelligence. Lorsque cette disposition devient une habitude solide, elle constitue la vertu. Sans elle, l’homme incline tantôt au bien, tantôt au mal, selon qu’il se laisse guider par l’imagination sensible ou par la raison pure (t. II, p. 81, 98, 47, 219). D’ailleurs, l’action est inférieure à la spéculation, la vertu active à la vertu contemplative (t. I, p. 50, 400 ; t. II, p. 829). Aussi n’est-ce que dans la vie parfaite de l’intelligence que se trouve le bonheur (t. I, p. 75, 416-418).

Vie intellectuelle. — Les facultés qui se rapportent à la vie intellectuelle sont l’Intelligence et l’Amour.

1o Intelligence. — L’Intelligence a pour fonction la pensée intuitive. Elle est la puissance qui pense l’intelligible en se pensant elle-même.

Le caractère fondamental de la pensée est que la chose pensante et la chose pensée sont une seule et même chose. Tandis que la sensation perçoit ce qui est hors d’elle, que la raison discursive, en concevant ce qu’elle possède intérieurement, le considère comme distinct d’elle, l’intelligence pense l’intelligible en se pensant elle-même (t. I, p. LXX-LXXIV, t. II, p. 220, 223-224).

L’intelligence étant un acte qui consiste à se penser soi-même, quand nous nous pensons nous-mêmes, nous pensons une nature pensante ; par conséquent, nous pensons une nature intellectuelle. Nous sommes donc l’intelligible par le fond véritable de notre être, et la pensée que nous en avons nous en donne l’image (t. II, p. 245).

L’intelligence perçoit l’objet intelligible comme la sensation perçoit l’objet sensible, par intuition. Mais, il y a cette différence que la sensation s’applique à ce qui est hors d’elle, tandis que l’intelligence se concentre en elle-même, parce qu’elle possède en elle-même les essences intelligibles qu’elle contemple et dont elle communique les notions à la raison discursive (t. I, p. 329-330 ; t. II, p. 284, 491. Voy. aussi, dans le tome III, les livres III, V, IX, de l’Ennéade V).

L’Intelligence divine est au-dessus de nous. Elle est à la fois commune et particulière à tous les hommes : commune, parce qu’elle est indivisible, une et partout la même ; particulière, parce que chacun la possède tout entière dans la partie la plus élevée de son âme (t. I, p. 44). En effet, notre âme ne descend pas tout entière dans le corps (t. II, p. 499) ; notre intelligence reste toujours là-haut unie à l’Intelligence divine dans le monde intelligible, qui est le lieu de la pensée (t. II, p. 482-483). Notre intelligence pense toujours, mais nous n’en avons pas toujours conscience, parce que nous n’usons pas toujours de tout ce que nous possédons. Or, nous en usons quand nous tournons notre raison vers le monde supérieur, et que, par cette conversion, nous amenons à l’acte ce qui jusque-la n’était qu’en puissance, ce qui n’était qu’une simple disposition. C’est pour cela que notre intelligence est nôtre et n’est pas nôtre tout ensemble : elle est nôtre, en ce sens qu’elle est une partie de nous-mêmes ; elle n’est pas nôtre, en ce sens que c’est un principe supérieur auquel nous nous élevons (t. I, p. 47-48, 57, 344-350 ; t. II, p. 484).

2o Amour. — L’Amour est le désir du beau et du bien (t. II, p. 109).

L’âme possède naturellement ce désir général, qui lui inspire tous les désirs particuliers qu’elle doit éprouver : car, il prend des formes diverses en présence des diverses espèces de beautés et des biens particuliers qui s’offrent à nous. C’est pour cela qu’il y a en nous plusieurs amours (t. II, p. 116).

Tous les amours mis en nous par la nature sont bons et essentiels à l’âme ; seulement, ils sont inférieurs ou supérieurs selon qu’ils appartiennent à la partie inférieure ou à la partie supérieure de l’âme. L’amour qui domine dans chaque âme constitue son démon propre (t. II, p. 110, 116).

Sous sa forme inférieure, l’amour est le désir de s’unir à un bel objet et d’engendrer dans la beauté (t. II, p. 102-105).

Sous sa forme supérieure, c’est d’abord le désir de contempler la beauté intelligible, dont la vue est pour l’âme une source intarissable de plaisir (t. II, p. 105, 108). C’est ensuite l’amour du Bien absolu, auquel seul aspirent les sages, tandis que les hommes vulgaires s’attachent à des biens particuliers (t. II, p. 116). En effet, quand l’âme se détache des choses terrestres, elle s’élève d’abord de la beauté sensible à la beauté intelligible, dont elle trouve le type parfait dans l’Intelligence divine. Mais elle ne s’arrête pas là. La Beauté qui brille dans les idées de l’Intelligence vient d’un principe supérieur. L’amour aiguillonne l’âme jusqu’à ce que, s’étant élevée au-dessus de tout ce qui est étranger au Bien absolu, elle voie, seule à seul, dans toute sa simplicité, dans toute sa pureté, Celui dont tout dépend, auquel tout aspire, duquel tout tient l’existence, la vie et la pensée (t. I, p. 108-118).

4. Rapports de l’âme humaine avec les trois hypostases divines.

Notre être est l’image des trois hypostases divines :

1o de l’Un. — Par l’unité qui fait le fond de notre être, nous touchons à l’Un et nous subsistons en lui (t. I, p. 330).

2o de l’Intelligence. — Par notre intelligence, nous sommes en communication perpétuelle avec l’Intelligence divine, qui nous éclaire toutes les fois que nous nous tournons vers elle (t. I, p. 348). En effet, le monde intelligible, qui est le lieu de la pensée, contient non-seulement l’Intelligence universelle tout entière, mais encore les intelligences particulières : l’Intelligence universelle contient en puissance les autres intelligences ; et, de leur côté, les intelligences particulières ont chacune en acte ce que la première contient en puissance (t. II, p. 483).

3o de l’Âme universelle. — Par notre âme, nous sommes dans le même rapport avec l’Âme universelle que par notre intelligence avec l’Intelligence universelle. Puisqu’il y a une Intelligence une et une pluralité d’intelligences, il devait y avoir également une Âme une et une pluralité d’âmes, et il fallait que de l’Âme qui est une naquit la pluralité des âmes particulières et différentes, comme d’un seul et même genre proviennent des espèces qui sont les unes supérieures, les autres inférieures, les unes plus intellectuelles et les autres moins intellectuelles (t. I, p. 482).

La sympathie universelle prouve que toutes les âmes forment une unité générique. L’Âme universelle est une essence une et entière qui engendre toutes les âmes et se communique à elles en demeurant en elle-même, comme la science est tout entière dans chacune de ses parties et les engendre sans cesser d’être tout entière en elle-même (t. II, p. 498, 501).

D’un autre côté, les âmes ne forment pas une unité numérique : car, dans ce cas, les âmes particulières ne seraient que des fonctions diverses de l’Âme universelle, comme nos sens ne sont que des fonctions diverses de notre âme, en sorte que l’Âme universelle seule penserait. Or, il n’en est pas ainsi : la pensée est une fonction propre, indépendante ; chaque intelligence subsiste par elle-même. L’individualité n’est même pas anéantie par la mort, parce que, à l’identité qui constitue l’être, chaque intelligence joint un caractère propre qui la différencie perpétuellement des autres. Or ce qui est vrai des intelligences particulières est également vrai des âmes particulières qui en procèdent (t. II, p. 268-274).

5. L’âme avant la vie terrestre. Descente de l’âme dans le corps.

Les âmes ont une double vie, parce qu’elles vivent tour à tour dans le monde intelligible et dans le monde sensible.

Tant qu’elles demeurent dans le monde intelligible conjointement avec l’Âme universelle, elles contemplent l’Intelligence divine ; elles exercent en même temps le pouvoir qu’elles ont sur les choses inférieures, en partageant avec l’Âme universelle l’administration du monde, sans sortir du calme dont elles jouissent ni être exposées à aucune souffrance. Mais, quand le désir les prend de se faire chacune une vie particulière et indépendante, elles se séparent de l’Âme universelle et descendent dans les corps que celle-ci a préparés pour les recevoir (t. II, p. 484-486).

Les âmes viennent ici-bas dans le but de développer leurs facultés et d’orner ce qui est au-dessous d’elles. En effet, nos facultés seraient inutiles, nous les ignorerions nous-mêmes, si nous ne les manifestions pas en les faisant passer de la puissance à l’acte. La loi de la procession veut que chaque essence produise quelque chose au-dessous d’elle, jusqu’à ce que, de degré en degré, ce développement soit arrivé aux dernières limites du possible. Il fallait donc que les âmes n’existassent pas seulement, mais encore qu’elles révélassent ce qu’elles étaient capables d’engendrer (t. II, p. 488-490).

La descente des âmes n’est ni volontaire ni forcée : les âmes obéissent à une impulsion naturelle, en vertu de laquelle elles entrent dans les corps qui sont préparés pour les recevoir, et dont l’espèce est conforme à la disposition particulière de chacune d’elles (t. II, p. 289-293).

En descendant du monde intelligible, les âmes viennent d’abord dans le ciel. Elles y prennent un corps aérien ou igné, et y habitent l’astre qui est en harmonie avec leur caractère ; ou bien, au moyen de leur corps aérien, elles passent du ciel dans des corps d’une nature inférieure, ce qui constitue la métensomatose. Dans tous les cas, elles sont soumises à l’ordre providentiel qui régit tout l’univers (t. II, p. 99, 294).

6. L’âme pendant la vie terrestre. Purification.

Placée sur les confins du monde intelligible et du monde sensible, l’âme a pour destinée de faire passer quelque chose du premier dans le second, en développant ses puissances et en assistant ce qui est au-dessous d’elle. C’est donc pour remplir une mission divine qu’elle descend dans un corps. Si elle fuit promptement d’ici-bas, elle n’a pas à regretter d’avoir manifesté ses facultés, et d’avoir, par l’expérience des choses qu’elle a vues et souffertes sur la terre, appris à sentir combien on est heureux d’habiter là-haut (t. II, p. 488, 491).

1o Purification. — L’âme doit donc ici-bas faire tous ses efforts pour remonter au monde intelligible dont elle est descendue. Afin d’atteindre ce but, il faut qu’elle s’applique à se séparer du corps, non en quittant violemment cette vie (car elle passerait alors dans une autre toute semblable), mais en se purifiant et en se tournant vers l’Intelligence divine, dont elle n’est jamais complètement détachée (t. I, p. 57, 140).

Cette purification et cette conversion ne peuvent s’opérer que graduellement. Dans l’enfance, absorbés que nous sommes par le développement du corps, nous n’exerçons guère que les fonctions de la vie animale, et le principe supérieur nous illumine rarement d’en haut (t. I, p. 47 ; t. II, p. 98). Mais, quand la formation de l’organisme ne réclame plus toute notre activité, nous pouvons appliquer nos forces au développement des facultés supérieures. S’il est bien dirigé, nous nous efforcerons de devenir semblables à Dieu en nous élevant successivement de la vie végétative à la vie sensitive, de la vie sensitive à la vie rationnelle, de la vie rationnelle à la vie intellectuelle (t. II, p. 94). Les vertus politiques, les vertus purificatives, les vertus de l’âme purifiée et les vertus exemplaires, tels sont les divers degrés qui conduisent au terme suprême (t. I, p. 52-61). L’amour, la musique et la dialectique, tels sont les moyens qui nous aident à fuir d’ici-bas et à retourner dans la région qu’habite notre Père (t. I, p. 63-66, 111).

2o Métensomatose. — Une fois descendue dans le corps, l’âme peut s’y complaire, au lieu de chercher à s’en séparer ; elle peut, oubliant sa patrie intelligible, se donner au monde inférieur qu’elle est venue habiter. C’est là le mal véritable. Il a son origine dans la partie irraisonnable de l’âme qui nous trouble par les passions, nous égare par les illusions de l’imagination, et nous conduit à commettre des fautes (t. I, p. 45-49, 135-189). Aussi, cette partie irraisonnable est-elle punie après la mort par les souffrances qu’elle subit, quand nous sommes condamnés par la justice divine à passer dans un nouveau corps (t. I, p. 48). La nature de ce corps est toujours en harmonie avec la disposition que nous avons contractée dans l’existence antérieure, et la métempsycose (que notre auteur nomme toujours la métensomatose) est ainsi notre naturelle et nécessaire punition, jusqu’au terme de chacune des périodes de la vie du monde, où, affranchies de leurs corps, toutes les âmes reviennent, sans perdre leur nature propre et leur indépendance, habiter le monde intelligible avec l’Âme universelle (t. II, p. 290-291).

7. L’âme après la vie terrestre. Retour de l’âme et Dieu.

Tandis que les âmes qui ont commis d’injustes actions passent dans de nouveaux corps pour y subir la punition qu’elles méritent, les âmes qui se sont purifiées[7], c’est-à-dire qui, au sortir de la vie terrestre, n’entraînent avec elles rien de corporel, jouissent du privilège de n’être dans rien de corporel. Puisqu’elles n’ont pas de corps, elles vont nécessairement habiter là où résident les essences intelligibles, c’est-à-dire en Dieu (t. II, p. 312)[8].

Quel est l’état de l’âme qui est ainsi réunie à Dieu ?

En se séparant du corps, l’âme cesse d’exercer les facultés qui se rapportent à la vie végétative et à la vie sensitive.

Les facultés de la vie végétative ont pour fonction de donner au corps sa forme, de le nourrir et de satisfaire ses besoins. Elles ne sauraient donc survivre à la destruction du composé. D’ailleurs, elles ne périssent pas à proprement parler : elles cessent seulement d’être présentes au corps ; elles remontent au principe duquel elles procèdent[9] et elles continuent d’y subsister, mais seulement en puissance (t. II, p. 379, 423).

Quant aux facultés de la vie sensitive, dont le rôle est de faire connaître à l’âme le monde sensible, elles se trouvent, par le fait même de la mort, privées des conditions normales de leur exercice. En effet, pour que l’âme sente, il faut qu’il y ait un intermédiaire entre elle et l’objet sensible : sans organe, point de sensation. D’ailleurs, lors même que l’âme pure pourrait, sans le secours des organes, saisir encore les objets sensibles, elle les négligerait cependant pour s’appliquer à l’intuition des objets intelligibles : car, étant séparée du corps, elle n’aurait aucun intérêt à exercer ses sens puisqu’elle n’a plus besoin de veiller à la conservation du composé (t. II, p. 364-367). Elle n’exerce pas non plus imagination sensible, l’opinion, le raisonnement, non que ces facultés aient besoin du concours des organes, mais parce qu’elles opèrent sur les données de la sensation (t. I, p. 37 ; t. II, p. 299). Quant à la mémoire des choses sensibles, elle est également indépendante du corps, mais elle devient superflue dans cette nouvelle existence. Quand, étant encore ici-bas, l’âme désire vivre dans le monde intelligible, elle néglige tout ce qui est étranger à sa nature ; comment se rappellerait-elle encore les choses terrestres quand elle en est séparée ? Ce souvenir la ferait déchoir du haut rang auquel elle s’est élevée, en la rendant conforme aux objets inférieurs dont elle se représenterait les images (t. II, p. 329, 335). Il en résulte que, dans l’âme qui s’est élevée au monde intelligible, les facultés de la vie sensitive ne subsistent plus en acte, mais seulement en puissance (t. I, p. 364 ; t. II, p. 335-339).

Que fait donc l’âme pure qui est réunie à Dieu ? — Elle contemple les essences auxquelles elle est unie et y applique son attention. Elle n’a pas besoin du raisonnement ni du langage ; elle ne fait usage que de son intelligence et de sa raison : de son intelligence, pour saisir la totalité des intelligibles par une intuition également une et totale ; de sa raison, pour diviser et développer cette intuition une et totale, en considérant toutes les parties du spectacle multiple et varié dont elle jouit. Elle n’a pas besoin de la mémoire : car elle contemple un objet qui est toujours présent et qui ne change pas ; en outre, elle ne change pas elle-même. — Tout entière à la pensée, l’âme n’a pas non plus besoin de faire un retour sur elle-même pour se connaître. Elle se pense en pensant l’intelligible, dont elle a pris la forme et avec lequel elle s’est identifiée : d’un côté, par le regard qu’elle jette sur toutes choses, elle s’embrasse elle-même dans l’intuition de toutes choses ; d’un autre côté, par le regard qu’elle jette sur elle-même, elle embrasse toutes choses dans cette intuition. C’est de la même manière qu’elle connaît les autres âmes (t. II, p. 299-300. 330-339).

Dans cet état, l’âme jouit de la vraie béatitude. Elle possède en effet la vie parfaite et véritable qui consiste dans l’acte de l’intelligence (t. I, p. 75). Elle est complètement libre, puisque, désormais indépendante des choses étrangères à sa nature, elle s’appartient à elle-même et exerce son activité en elle-même. Elle jouit alors d’une vie véritablement conforme à sa volonté : car la volonté ne tend qu’au bien (t. I, p. 79, 97), et, par l’intelligence, l’âme reçoit du Bien absolu la forme qui la rend semblable à lui. Arrivée ainsi au but suprême auquel aspirait son amour, l’âme s’unit d’une manière ineffable à Celui dont tous les êtres reçoivent leur perfection, et cette union, qui l’absorbe et la ravit, comble tous ses vœux (t. I, p. 109 ; t. II, p. 234-235, 244, 468-470).

§ II. rapprochements entre plotin et les philosophes qui l’ont précédé.

Nous avons souvent eu occasion de signaler, soit dans les Notes qui accompagnent le texte, soit dans les Éclaircissements de ces deux volumes, de nombreux rapprochements entre la Psychologie de Plotin et celle des philosophes auxquels il a fait des emprunts, ou dont il a combattu certaines théories. Nous allons résumer ici ces indications éparses, afin que le lecteur, en en saisissant l’ensemble, puisse plus aisément apprécier les rapports de notre auteur avec ceux qui l’ont précédé.

Pour être complet sans sortir des limites étroites dans lesquelles nous devons nous renfermer ici, nous renverrons également, soit aux fragments de Porphyre qui, dans le volume précédent, servent d’introduction aux Ennéades, soit aux fragments de Jamblique qui se trouvent dans l’Appendice de ce volume, et qui, disposés comme ils le sont par le traducteur dans leur ordre naturel, forment une histoire abrégée de la psychologie chez les anciens[10].

1. Platon.

Dans sa Psychologie, Plotin s’est inspiré de Platon, principalement pour les questions qui se rapportent à la nature de l’âme, à son origine et à sa destinée[11] ;

Voyez Immatérialité et immortalité de l’âme (t. II, p. 466-468, 472, 474) ; essence indivisible et divisible (t. I, p. CXII, 367 ; t. II, p. 260) ;

Division de l’âme en partie raisonnable, partie irascible et partie concupiscible (t. I, p. 52, 397-398, t. II, p. 310-311, 375-3’76) ; nature animale (t. I, p. 40, 49, 368) ;

Théorie des vertus (t. I, p. 51, 52, 55, 59, 397-398) ; nature et origine du mal (t. I, p, 51, 427-431) ; séparation de l’âme et du corps (t. I, p. 381-384) ; bonheur (t. I, p. 90) ;

Descente de l’âme dans le corps (t. I, p. CXIII ; t. II, p. 478-481, 486) ; métempsycose (t. II, p. 90-93) ; condamnation du suicide (t. I, p. 439) ;

Rapports de l’âme humaine avec l’Âme universelle (t. I, p. 177, 469-470 ; t. II, p. 89, 264, 277), et avec les âmes des astres (t. I, p. 469-470) ;

Du Démon qui est propre à chacun de nous (t. I, page 186 ; t. II, p. 93, 97-99, 112) ; de l’Amour (t. II, p. 103, 106, 108, 111, 115).

Dans sa théorie des facultés de l’âme, Plotin doit beaucoup moins à Platon qu’à Aristote :

Voyez Unité du principe sentant (t. II, p. 269) ; sensation (t. II, p. 316) ; vue (t. II, p. 411) ; appétit (t. II, p. 357) ; mémoire (t. II, p. 315).

Enfin, Plotin transforme complètement la théorie platonicienne des idées (t. I, p. 321) et, par suite, explique la connaissance de l’intelligible par l’intuition intellectuelle, qui rend la réminiscence inutile (t. II, p. 289, 337, 429-430). Il rectifie aussi d’après les critiques d’Aristote la conception du mouvement que Platon attribue à l’âme humaine (t. I, p. 452). Il explique fort bien que le mouvement de l’âme est un acte immatériel, qui n’a rien de semblable à un mouvement local (t. I, p. 50 ; t. II, p. 131-132).

En Physiologie, Plotin s’éloigne également de Platon et suit la doctrine de Galien, comme nous l’avons indiqué dans les notes, p. 309, 311.

2. Aristote.

Plotin a emprunté à Aristote le fond de sa théorie des facultés de l’âme, comme on peut s’en convaincre par les nombreux rapprochements que nous avons faits entre ce philosophe et notre auteur, et auxquels nous renvoyons ici[12] :

Voyez Puissance nutritive et générative (t. I, p. 182, 381 ; t. II, p. 214 ;) appétits (t. I, p. 336) ;

Sensation (t. I, p. 334-338 ; t. II, p. 367) ; imagination (t. I, p. 838-341) ; opinion (t. I, p. 337) ; mémoire (t. II, p. 313-318, 323-326, 431) et association des idées (t. II, p. 432) ;

Raison discursive (t. I, p. 342-343) ;

Intelligence : son impossibilité (t. I, p. 344-346) ; identité de l’Intelligence et de l’intelligible (t. I, p. 260 ; t. II, p. 223, 239, 551) ;

Vertu active et vertu contemplative (t. I, p. 399-401) ; bonheur (t. I, p. 415-417).

C’est également à Aristote que Plotin a emprunté l’importante distinction de la puissance et de l’acte par rapport aux facultés (t. I, p. CXXVIII, 227).

Cependant, Plotin combat la doctrine péripatéticienne sur plusieurs points importants : il réfute la théorie de l’entéléchie (t. I, p. CX, CXXVIII, 38-42, 356-358, 369-371 ; t. II, p. 463-465) ; il démontre que l’âme est active dans la sensation et la mémoire (t. I, p. 40-42, 333 ; t. II, p. 122), et il explique d’une autre manière que les Péripatéticiens les perceptions de la vue et de l’ouïe (t. II, p. 409, 418-419, 425-426, 428) ; enfin, il complète la théorie d’Aristote sur l’intelligence en la rattachant d’un côté à l’âme raisonnable qu’elle éclaire, et d’un autre côté à l’intelligence divine par laquelle elle est éclairée elle-même (t. I, p. CX ; t. II, p. 223).

3. Stoïciens.

Plotin a emprunté aux Stoïciens deux conceptions qui jouent un rôle important dans sa Psychologie, celle de la raison séminale (t. I, p. 189, 371 ; t. II, p. 513-515), et celle de l’unité sympathique qui unit les membres de chaque être vivant (t. I, p. 173).

On a vu ailleurs qu’il s’est aussi inspiré d’eux dans la théorie des vertus pratiques (t. I, p. 418).

Cependant la polémique contre les Stoïciens occupe une grande place dans les Ennéades. Plotin réfute avec autant de force que de profondeur le panthéisme et le fatalisme de ces philosophes (t. II, p. 515-518), leur fausse théorie de la sensation et leur matérialisme (Voy. ci-après les Éclaircissements sur les livres vi et vii). Cette partie de l’œuvre de notre auteur, trop peu remarquée jusqu’ici, mérite d’attirer toute l’attention des historiens de la philosophie.

4. Nouveaux Pythagoriciens.

Dans le livre iii de l’Ennéade IV (§ 1-8, p. 263-282), Plotin combat avec beaucoup de force et de logique le panthéisme, comme il était professé par quelques-uns des nouveaux Pythagoriciens, tels qu’Apollonius de Tyane et Numénius. Ces philosophes, comme nous l’avons déjà dit ci-dessus (p. 263, note 1), pensaient que les âmes particulières ne sont que les parties entre lesquelles se divise et se distribue l’Âme totale du monde. Nous ajouterons seulement ici qu’on trouve sur ce point quelques indications dans le traité De L’Âme par Jamblique (Voy. l’Appendice de ce volume). Cet auteur affirme positivement que, selon Numénius, toutes les âmes forment une unité numérique, et que même cette doctrine fut protestée, avec peu de réflexion, par Amélius, qui passe pour avoir, à l’école même de Plotin, conservé quelques-unes des opinions de son premier maître.

5. Ammonius Saccas, fondateur du Néoplatonisme.

D’après le fragment d’Ammonius Saccas que nous avons donné dans le tome I (p. xcv-xcviii), Plotin a emprunté au fondateur du Néoplatonisme sa théorie sur les rapports de l’âme et du corps. Elle repose sur une conception qui est d’origine orientale (t. I, p. 361).

§ III. rapprochements entre plotin et les philosophes qui l’ont suivi.
A. Philosophes néo-platoniciens.

Les principaux philosophes néoplatoniciens qui ont traité de la Psychologie après Plotin, et qui lui ont fait des emprunts, sont Porphyre, Jamblique, Proclus, Simplicius, Macrobe (Voy. le tome I, p. 322, 362, 368, 384, 386, 401, 440, 447, 454, 478), Priscien le philosophe (Voy. le tome I, p. 388-390).

Porphyre, dans six de ses écrits, avait traité de la psychologie. Malheureusement, il n’en reste que des fragments. Ils se trouvent tous dans ces deux volumes, savoir : dans le tome I, Principes de la théorie des intelligibles (p. LI-LXXXVI), Des Facultés de l’âme (p. LVII, note 3 ; p. LXXXVII-XCIII), De la Sensation (p. LXVII, note 1), Mélanges (p. LXXVII, note 1) ; dans l’Appendice du tome II, Traité sur le précepte Connais-toi toi-même, De l’Âme.

Jamblique a composé un traité De l’Âme, dont on trouvera également la traduction dans l’Appendice de ce volume.

Proclus a dispersé ses théories psychologiques dans ses commentaires (Voy. M. Vacherot, Histoire de l’École d’Alexandrie, t. II, p. 355-362 ; M. Berger, Exposition de la doctrine de Proclus, p. 77-106 ; M. Chauvet, Des théories de l’Entendement humain dans l’antiquité, p. 542-582). Voy. ci-après, p. 599.

Simplicius a composé un Commentaire du Traité d’Aristote sur l’Âme. Il y interprète la pensée d’Aristote dans le sens de la doctrine néoplatonicienne. Voy. ci-après, p. 599.

B. Auteurs chrétiens.
1. Saint Grégoire de Nysse, Némésius, Énée de Gaza, Nicéphore Chumnus.

Les auteurs chrétiens de l’Église grecque qui ont étudié et discuté la psychologie néoplatonicienne l’ont combattue sur trois points : l’éternité des âmes, qui est liée à celle du monde, la réminiscence et la métempsycose. Cette polémique, à laquelle est naturellement mêlée la critique de notre auteur, se trouve exposée principalement dans les écrits de saint Grégoire de Nysse, d’Énée de Gaza (Voy. l’Appendice de ce volume), de Nicéphore Chumnus.

Saint Grégoire de Nysse combat la préexistence de l’âme, la métempsycose et la réminiscence (De l’Âme et de la Résurrection, t. III, p. 232-239, éd. de Paris, 1638).

Nicéphore Chumnus, qui fut beau-père de l’empereur grec Jean Paléologue et se retira à la fin de sa vie dans un monastère où il prit le nom de Nathanaël, a composé un dialogue intitulé : Νιϰηφόρου Χούμνον τοῦ ϰαὶ Ναθαναὴλ τοῦ Ἀντιθετιϰὸς πρὸς Πλωτῖνον (Nikêphorou Khoumnon toû kai Nathanêl toû Antithetikos pros Plôtinon), que M. Creuzer a publié dans l’édition de Plotin qui a paru à Oxford, t. II, p. 1416-1430. Cet écrit, dirigé contre Platon aussi bien que contre Plotin, contient à peu près les mêmes idées que le Théophraste d’Énée de Gaza, dont on trouvera l’analyse et des extraits dans l’Appendice. C’est pourquoi nous devons nous borner ici à cette simple indication.

À la suite de cet écrit, M. Creuzer a publié (p. 1433-1447) un autre écrit du même genre, intitulé simplement Διάλογος περὶ ψυχῆς (Dialogos peri psychês), sans nom d’auteur. Ce dialogue paraît n’être qu’une imitation du précédent.

Malgré cette polémique, les auteurs chrétiens de l’Église grecque ont emprunté à la Psychologie néoplatonicienne certaines théories qui pouvaient servir à l’explication et à la démonstration des dogmes chrétiens. Saint Grégoire de Nysse, par exemple, professe sur l’union de l’âme et du corps la même doctrine que Plotin, et il s’en sert pour expliquer comment le Christ a pu unir en sa personne la nature divine à la nature humaine (Catechetica oratio, t. III, p. 65-66)[13]. Cette théorie, qui se retrouve aussi dans saint Augustin (Voy. ci-après, p. 591), est fort bien exposée par Némésius. Après avoir cité le fragment qu’il nous a conservé d’Ammonius Saccas sur l’union de l’âme et du corps (Voy. notre tome I, p. XCV-XCVIII), cet auteur ajoute ces mots : « Mais cette expression serait plus juste si on l’appliquait à l’union du Verbe divin avec l’homme, qui se fait sans que le Verbe soit confondu avec l’homme ni renfermé dans lui, etc. » (De la Nature de l’homme, ch. III, p. 71 de la trad. de M. Thibault.) Némésius invoque même à ce sujet le témoignage de Porphyre, qui n’est ici que l’écho de Plotin, et cite un passage de ce philosophe sur l’union de l’âme et du corps (Voy. notre tome I, p. LXXVII, note 1).

2. Synésius.

Cet évêque, dont nous avons déjà eu occasion de faire des citations ci-dessus (p. 521 et p. 579, note 2), a composé un Traité des rêves dans lequel on retrouve beaucoup des idées que Plotin professe sur l’âme et sur la Providence. Nous nous bornerons à en donner un passage très-intéressant dans lequel se trouve développée la doctrine psychologique de notre auteur sur la divination et la magie[14] :

« Toutes les choses sont des signes les unes des autres, parce qu’il y a de l’affinité entre tous les êtres qui sont contenus dans l’animal universel, c’est-à-dire dans le monde. Ce sont des lettres diverses, phéniciennes, égyptiennes, assyriennes, tracées dans le grand livre de l’univers[15]. Elles sont déchiffrées par le sage, c’est-à-dire par celui qui a étudié la nature. Or, l’un a étudié une chose, l’autre une autre chose ; l’un sait plus, l’autre moins ; celui-ci peut lire des syllabes, par exemple, celui-là des mots ; cet autre, des phrases entières. Ainsi les sages prévoient l’avenir, les uns par la connaissance des astres, soit des planètes, soit des étoiles fixes ; d’autres, par l’inspection des entrailles des victimes ; d’autres encore par les cris, la position ou le vol des oiseaux[16]. On peut aussi assimiler à des lettres qui indiquent l’avenir les faits qu’on appelle ordinairement des présages, tels que des paroles, des rencontres fortuites, parce que toutes les choses sont les signes les unes des autres[17]. Il en résulte que, si les oiseaux avaient aussi quelque sagesse, ils auraient trouvé l’art de prévoir l’avenir d’après les hommes, ainsi que nous le prévoyons d’après eux : car nous sommes pour les oiseaux, comme ils le sont pour nous, tout à la fois nouveaux et anciens, et de bon augure. Comme l’univers est sympathique à lui-même et conspire avec lui-même, il fallait, ce semble, que ses parties eussent de l’affinité, puisqu’elles sont les membres d’un seul tout[18]. Peut-être les enchantements des magiciens n’ont-ils pas d’autre principe[19]. En effet, toutes les choses ont de l’attrait les unes pour les autres, de même qu’elles sont les signes les unes des autres, et le sage est celui qui connaît l’affinité qui existe entre les parties du monde. Une chose attire l’autre, ayant ce qui est près d’elle pour gage de ce qui est éloigné, et agissant par des sons, des matières et des figures[20]. Ainsi, lorsque nos entrailles souffrent, leur souffrance est partagée par un autre organe ; le mal du doigt est ressenti par l’âme, sans que ce qui les sépare éprouve rien : car ce sont deux parties d’un seul animal, et elles sympathisent l’une avec l’autre plus qu’avec les autres[21]. Il en résulte qu’un des dieux [démons] contenus dans le monde a de l’affinité avec une pierre ou une plante qui, en vertu de cette communauté d’affections, l’attire naturellement et l’enchante[22]….. Le monde n’est pas une simple unité, mais une unité constituée par une multiplicité[23]. Il y a en lui des parties qui ont de l’affinité et d’autres qui sont en lutte[24] ; cependant, cette lutte concourt au concert que forme l’ensemble, comme la lyre est un système des sons dissonants et des sons consonants[25]. Or, l’unité qui résulte d’éléments opposés est appelée harmonie dans le monde comme dans la lyre[26]

Toute chose divine placée hors du monde sublunaire échappe aux enchantements. Car la nature de l’intelligence ne saurait être charmée ; il n’y a que ce qui pâtit qui puisse être charmé[27]. »

3. Saint Augustin, Cassiodore, Bossuet.

Saint Augustin. — Tout en combattant, comme les auteurs chrétiens de l’Église grecque, la doctrine de la métempsycose[28], saint Augustin a emprunté à Plotin le fond de sa psychologie. Ces emprunts, dont ce Père indique lui-même quelques-uns dans divers traités[29], sont faciles à reconnaître, parce qu’ils portent sur des théories qui sont propres à notre auteur.

Récapitulons en effet les citations que nous avons faites de saint Augustin dans ce volume, et nous allons y retrouver les idées fondamentales de la Psychologie de Plotin :

L’âme n’a point d’étendue (Voy. ci-dessus, p. 127, 255, 443, 444, 447) ; elle est présente tout entière dans le corps tout entier, comme le prouve la sympathie qui unit les organes (p. 257, 450) ; elle est présente au corps, sans être à proprement parler dans le corps (p. 305) ; elle est à la fois indivisible et divisible (p. 281)[30] ; elle est impassible (p. 125, 146). De là résulte qu’elle est immortelle (p. 440, 451, 452, 455, 458, 462, 463, 467, 469, 472). »

Voici pour la nature de l’âme et ses rapports avec le corps. Passons maintenant aux facultés :

La sensation n’est pas un fait passif, mais un acte, lequel consiste à percevoir la modification passive éprouvée par l’organe (p. 129 ; Voy., pour la vue en particulier, p. 416, 426, 427). Le plaisir et la douleur naissent de l’union de l’âme avec le corps (p. 133). Les passions sont liées à l’opinion et à l’imagination (p. 136). De là résulte la concupiscence (p. 138).

La mémoire ne dépend pas des organes (p. 316) ; elle est liée à l’imagination (p. 324, 431). C’est une puissance essentiellement active (p. 432). Il y a deux mémoires, la mémoire sensible et la mémoire intellectuelle ; la seconde est supérieure à la première, comme l’âme raisonnable l’est à l’âme irraisonnable (p. 328). La mémoire ne s’appliquant qu’aux choses qui passent, le sage n’a pas besoin de la mémoire parce que, contemplant toujours l’Intelligence divine, il possède toujours présentes toutes les choses qu’il y contemple (p. 314).

Le raisonnement est une faculté discursive, tandis que la raison est une faculté intuitive, dont l’exercice est lié à celui de l’intelligence (p. 299). L’âme connait ses opérations par le sens intérieur et par la raison[31].

L’Âme contemple les choses intelligibles par sa partie supérieure, c’est-à-dire par la raison et l’intelligence ; pour avoir l’intuition des choses intelligibles, il lui suffit de s’y appliquer (p. 337, 428, 553). L’intuition intellectuelle est analogue à l’intuition sensible (p. 430).

Les idées (ideœ, formœ, species, rationes, p. 352) sont identiques à l’Intelligence divine (p. 353)[32]. C’est leur contemplation qui éclaire l’intelligence humaine (p. 337) ; aussi cette contemplation est-elle commune à tous les hommes[33].

Les sept degrés de la vie de l’âme (que saint Augustin désigne sous différents noms, Voy. p.137) sont la vie végétative (animatio, p. 857), la vie sensitive (sensus, p. 359). l’art (ars), la vertu purificative (virtus), l’impassibilité qui résulte de la purification (tranquillitas), la conversion de l’âme vers l’Intelligence divine (ingressio)[34], enfin la contemplation ou la possession de Dieu (contemplatio vel mansio, p. 236), dont la vision ineffable élève l’âme au-dessus de la pensée même (p. 227, 228, 234). »

Il est impossible de ne pas reconnaître, d’après cet ensemble de rapprochements, une filiation d’idées incontestable. Aussi est-il indispensable, pour bien comprendre saint Augustin, de connaître la langue et la doctrine de Plotin. Nous en avons déjà donné plus d’une preuve (Voy. notamment ci-dessus, p. 547, note 1). En voici une autre qui est encore plus remarquable. Nous la tirons d’un passage où saint Augustin se sert, pour expliquer l’union de la nature divine et de la nature humaine dans la personne du Christ, de la théorie néoplatonicienne sur l’union de l’âme et du corps, comme le fait Némésius dans le passage que nous avons cité plus haut (p. 586) :

« Sic autem quidam reddi sibi rationem flagitant, quomodo Deus homini permixtus sit, ut una fieret persona Christi, quum hoc semel fieri oportuerit, quasi rationem ipsi reddant de re quæ quotidie fit, quomodo misceatur anima corpori, ut una persona fiat hominis. Nam, sicut in unitate personæ anima unitur corpori, ut homo sit ; ita in unitate personæ Deus unitur homini, ut Christus sit. In illa ergo persona mixtura est animæ et corporis ; in hac persona mixtura est Dei et hominis : si tamen recedat auditor a consuetudine corporum, qua solent duo liquores ita commisceri ut neuter servet integritatem suam, quanquam et in ipsis corporibus aeri lux incorrupta misceatur[35]. Ergo persona hominis mixtura est animæ et corporis ; persona autem Christi mixtura est Dei et hominis. Quum enim Verbum Dei permixtum est animæ habenti corpus, simul et animam suscepit et corpus. Illud quotidie fit ad procreandos homines ; hoc semel factum est ad liberandos homines. Verumtamen duarum, rerum incorporearum commixtio facilius credi dehuit, quam unius incorporeæ et alterius corporeæ. » (Lettre CXXXVII.)

Qu’on essaie de traduire ce passage sans connaître les phrases de Plotin que nous mettons en note, on ne saisira pas l’allusion qu’il renferme, par conséquent, on ne pourra pas bien rendre la véritable pensée de l’auteur. Les rapprochements que nous indiquons ici ont donc autant d’importance pour les œuvres de saint Augustin lui-même que pour celles de Plotin.

Nous terminerons ce résumé par l’indication des écrits de saint Augustin dont nous avons tiré des citations relatives à la psychologie. En voici la liste :

De Quantitate animæ (Voy. ci-dessus, p. 127, 236, 281, 299, 305, 357, 359, 426, 443, 447, 455, 588, 591) ;
De Immortalitate animæ (p. 125, 146, 255, 257, 440, 462, 463, 467, 469, 472) ;
De Musica (p. 129, 133, 136, 138, 544-547) ;
De Magistro (p. 337, 352) ;
Confessiones (p. 227, 228, 234, 324) ;
De Ordine (p. 314, 328) ;
De Libero arbitrio (p. 17, 589, 590) ;
De Trinitate (p. 427, 428, 430, 431, 432) ;
De diversis Quæstionibus (p. 314, 352, 353) ;
De Anima et ejus origine (p. 451, 458) ;
Epistolæ (p. 257, 444, 450, 541, 553, 591).

Cassiodore. — D’après ce que nous venons de dire sur les rapports de Plotin et de saint Augustin, il est facile de comprendre comment il se fait que l’on trouve dans les écrivains bien postérieurs des idées qui sont empruntées aux Ennéades, et dont ceux qui les reproduisent ne soupçonnaient même pas l’origine. Ces idées ont été puisées dans les œuvres de saint Augustin. C’est ainsi que Cassiodore, par exemple. dans son traité De l’Âme (§ 6, p. 287), écrit le passage suivant :

« Tota ergo est [anima] in partibus suis, nec alibi minor, alibi major est, sed alicubi intentius. alicubi remissius, ubique tamen vitali intentione porrigitur. Colligit se [lego corpus] in unum atque copulat ; membra non sinit fluere nec contabescere, quæ vitali vigore custodit ; alimenta competentia ubique dispergit, congruentiam in eis modumque conservans. »

La première phrase de ce passage est tirée d’une Lettre de saint Augustin que nous avons citée ci-dessus, p. 444. La seconde phrase est tirée des lignes du traité Sur la Quantité de l’âme que nous avons également citées ci-dessus, p. 356-357 ; c’est d’après elles que nous avons rectifié le texte de Cassiodore.

Bossuet. — On sait combien Bossuet avait étudié saint Augustin. Les rapprochements que nous avons indiqués entre les Ennéades et le traité De la Connaissance de Dieu et de soi-même s’expliquent donc d’eux-mêmes. Voici les points auxquels ils se rapportent :

Sens (t. I, p. 332-334 ; t. II, p. 364-365) ;
Passions (t. I, p. 336-337) ;
Imagination (t. I, p. 338, 340 ; t. II, p. 118) ;
Entendement (t. I, p. 327, 330, 341-343, 345-349).

Ce que nous venons de dire de Bossuet s’applique également à Fénelon. Voy. ci-dessus, p. 337-338.

4. Boëce.

Boëce a mis en vers la réfutation que Plotin a faite de la théorie protestée par les Stoïciens sur la sensation. Voy. ci-après, p. 600.

5. Saint Thomas d’Aquin.

Nous avons montré ci-dessus que Plotin a beaucoup emprunté à la psychologie d’Aristote, qu’il lui doit le fond de la théorie qu’il développe sur les facultés de l’âme humaine, tandis qu’il suit Platon sur les questions de la nature et de la destinée de l’âme. Il serait intéressant de comparer les modifications que Plotin, s’inspirant de Platon et d’Ammonius Saccas. a fait subir à la psychologie d’Aristote, avec celles que saint Thomas d’Aquin y a introduites au moyen âge. en prenant pour guide saint Augustin. On verrait saint Thomas poser un grand nombre des questions que Plotin pose dans les Ennéades, les traiter et les résoudre le plus souvent de la même manière. Pour ne citer ici que quelques exemples, saint Thomas[36] démontre par les mêmes raisons que Plotin[37] que l’âme ne saurait sentir hors du corps, qu’elle n’est pas avec le corps dans le même rapport que le pilote avec le navire parce qu’elle est présente dans le corps entier, qu’elle est une malgré la variété de ses facultés parce que les formes inférieures sont contenues dans les formes supérieures, etc.[38]. Mais cette étude nous conduirait trop loin, et nous ne pouvons que renvoyer le lecteur au remarquable ouvrage de M. Ch. Jourdain sur saint Thomas d’Aquin.

Nous insisterons du moins sur un fait important et qui n’a été signalé par aucun historien de la philosophie, c’est l’accord de Plotin et de saint Thomas sur deux grandes questions : 1o Les âmes humaines ne sont-elles que les parties entre lesquelles se divise et se distribue une Âme unique ? 2o Quel est l’état intellectuel de l’âme humaine après la mort ?

Pour la première question, nous avons déjà montré dans les notes (p. 271, 274) que saint Thomas avait combattu le panthéisme avec les mêmes arguments que Plotin.

Pour la seconde question, voici le résumé de la doctrine de saint Thomas. Nous l’empruntons à la thèse de M. G.-H. Bach : De l’état de l’âme depuis le jour de la mort jusqu’à celui du jugement dernier, d’après Dante et saint Thomas (p. 32, 53-58).

Selon saint Thomas, l’union de l’âme et du corps est naturelle ; il est même contraire à la nature de l’âme d’en être séparée ; mais saint Thomas n’en admet pas moins la possibilité d’une séparation temporaire…

Il est naturel de penser qu’au moment où l’âme se sépare du corps, elle subit de notables changements dans sa constitution intellectuelle. Si, pour quelques-unes de ses facultés, les organes physiques semblent un obstacle bien plutôt qu’au moyen de développement, il en est d’autres aussi dont on comprendrait difficilement l’exercice sans le concours de ces organes.

C’est ce qu’enseigne saint Thomas. Fidèle à la doctrine d’Aristote, il déclare l’âme séparée incapable d’éprouver toutes les affections qui dépendent des propriétés sensitives ; mais, pressé par l’autorité des dogmes chrétiens, il lui rend d’une main ce qu’il lui a ôté de l’autre.

Aucune des propriétés qui avaient le composé pour sujet ne peut subsister après la destruction de ce composé. Elles résident encore dans l’âme, mais elles y sont virtuellement et non actuellement : car elles ne peuvent se manifester que là où il y a des organes corporels. L’âme séparée n’est donc susceptible d’éprouver ni plaisir, ni douleur : car le plaisir et la douleur sont des modifications de la sensibilité. Cependant des textes positifs de l’Écriture et de saint Augustin affirment que l’homme, immédiatement après la mort, jouit ou souffre. Comment concilier ce qu’enseigne la philosophie avec ce que la foi ordonne de croire ? Saint Thomas résout la difficulté en disant : « Tristitia et gaudium sunt in anima separata, non secundum appetitum sensitivum, sed secundum appetitum intellectivum. » (Summa, pars I, quœst. 17, art. 8 ; Quodlib. quœst., de anima, art. 19.)

Cette modification dans les facultés amène nécessairement un changement dans le mode de connaissance. Et d’abord, on peut se demander si l’âme séparée conserve la science acquise avant la séparation et comment elle la conserve.

Nous laisserons saint Thomas répondre lui-même brièvement à cette double question :

Anima separata duobus modis cognoscit, uno modo per species sibi infusas in ipsa separatione, alio modo per species quas in corpore accepit. » (Quœst. quodl., de anima, art. 2.)

« Habitus scientiæ hic acquisitæ secundum quod est in intellectu manet in anima separate, quum intellect us sit incorruptibilis. — Manet in anima separata actus scientiæ hic acquisitæ, sed non secundum eumdem modum. Per species intelligibles hic acquisitas anima separata potest intelligere quaæ prius intellexit. — Habebunt etiam animæ separatæ determinatam cognitionem eorum quæ prius hic sciverunt, quorum species intelligibiles conservantur in eis. » (Summa, pars I, q. 19, art. 5 et 6.)

Passant ensuite à la science acquise depuis la séparation, le saint docteur nous dira en quoi elle consistait et comment il en concevait l’acquisition.

Il reconnaît que, dégagée des liens corporels, l’intelligence pourra s’exercer dans un champ en quelque sorte illimité ; qu’elle ne sera plus astreinte à former ses idées par la voie lente et pénible de l’abstraction travaillant sur les données sensibles ; elle n’aura pour les faire éclore qu’à s’exposer à l’action bienfaisante de la lumière divine[39]. Les obstacles qui l’empêchaient de recevoir l’influence des substances séparées auront disparu ; entre l’objet connu et le sujet connaissant, il n’y aura plus d’intermédiaire[40] ?

Son regard ne se dirigera plus vers les objets inférieurs auxquels elle était réduite ici-bas à demander la lumière et le perfectionnement. Désormais, elle n’a plus rien à recevoir d’eux : soumise à l’action des substances supérieures, elle se développera sans contrainte. Par la contemplation de sa propre essence, elle se connaîtra directement et immédiatement, tandis que, sur la terre, elle n’avait d’elle-même qu’une connaissance médiate et indirecte. C’est aussi par cette contemplation qu’elle connaît les autres substances séparées, à cause de la ressemblance qui existe entre elle et ces substances[41]. Mais, occupant parmi elles le dernier rang, elle ne connaîtra parfaitement que celles qui sont ses égales, c’est-à-dire les autres âmes séparées ; quant à celles qui occupent les degrés supérieurs de la hiérarchie, elle n’en aura qu’une connaissance imparfaite.

Pour ce qui est des objets naturels, elle les connaîtra dans leurs genres, mais elle ne s’en formera des notions particulières qu’autant qu’elle y aura été prédisposée par une cause spéciale[42].

En parlant de la science acquise par l’influence qu’exercent sur l’âme séparée les autres substances séparées, il observe quelques idées individuelles de l’âme séparée sont inférieures en clarté et en précision, même à celles que nous nous formons ici-bas à l’aide des sens.

Cette connaissance un peu vague et un peu confuse ne s’étend pas à l’avenir[43].

Ainsi la science de l’âme séparée comprend :

1o Les idées qu’elle avait acquises pendant la durée de son union avec le corps ;

2o Les idées qu’elle a pu acquérir depuis la séparation : ces dernières germent, pour ainsi dire, sous l’influence des autres substances séparées et par l’action de la lumière divine. L’âme se contemple directement ; elle se connaît, et, en se connaissant, elle connaît toutes les autres substances séparées, quoique d’une manière imparfaite. Elle connaît toutes les choses naturelles, mais cette connaissance est générale, indéterminée et restreinte au présent. Elle possède toutes ses facultés rationnelles, et leur développement est même plus énergique ; la sensibilité n’existe plus chez elle que virtuellement.

Tel est, en résumé, le tableau de l’état intellectuel de l’âme séparée ; ou plutôt, tel serait cet état si l’âme obéissait alors aux lois de sa nature. Mais Dieu, dans sa toute-puissance et son infinie bonté, l’améliore considérablement en faveur de ses élus. Aussi, chaque fois que saint Thomas a l’occasion d’y signaler quelque imperfection, il a grand soin d’ajouter aussitôt qu’il ne parle que des connaissances qui appartiennent aux âmes séparées, en vertu de leur nature, et que, par la grâce divine, leur intelligence devient égale à celle des anges[44]. »

Si maintenant l’on veut bien se reporter aux indications que nous avons données p. 579-580 sur l’état de l’âme après la mort selon Plotin, on reconnaîtra facilement que la doctrine de notre auteur est identique à celle de saint Thomas, pourvu qu’on ne considère dans cette dernière que la partie purement philosophique. Cet accord remarquable sur une question spéculative si élevée nous paraît s’expliquer par ce fait que Plotin et saint Thomas sont partis des mêmes principes pour la résoudre, en s’appuyant l’un sur Platon et Aristote, l’autre sur Aristote et saint Augustin.

D. Auteurs arabes.

On trouve dans les philosophes arabes du moyen âge, tels que Maïmonide (que nous avons déjà cité, p. 170) et Ibn-Gébirol (Avicébron), des idées qu’ils ont sans doute empruntées à Plotin par des intermédiaires. Voici deux passages d’Ibn-Gébirol qui sont remarquables sous ce rapport :

Sensation. — « Si nous disons que toutes les formes sensibles subsistent dans la forme de l’âme, on doit entendre par là que toutes les formes se réunissent dans la sienne, c’est-à-dire que l’âme, par sa nature et son être, est une essence qui renferme essentiellement l’essence de toute forme[45]… Ces formes, dans la substance de l’âme, sont intermédiaires entre les formes corporelles portées par la substance composée et les formes spirituelles qui existent dans la substance de l’intellect… Les formes ne passent pas dans l’âme comme la lumière passe dans l’air, et sans y être essentielles, comme plusieurs l’ont cru : car, si les formes n’étaient pas essentielles dans l’âme, elles ne s’uniraient pas avec elle et ne passeraient pas [de la puissance] à l’acte[46]. » (La Source de la Vie, liv. III ; trad. de M. S. Munk, Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 52.)

Rapports de l’âme avec le corps. — « Les substances simples ne se communiquent pas elles-mêmes, mais ce sont leurs forces et leurs rayons qui se communiquent et s’étendent : car les essences de toutes les substances sont retenues dans des limites et ne s’étendent pas à l’infini, mais ce sont leurs rayons qui se communiquent et qui dépassent leurs limites parce qu’ils sont sous la dépendance de l’émanation première qui vient de la Volonté divine. Il en est comme de la lumière qui se communique du soleil il l’air (car cette lumière dépasse la limite du soleil et s’étend avec l’air, tandis que le soleil lui-même ne sort pas de sa limite), et comme de la faculté de l’âme vitale (vis animalis), qui se communique de la faculté rationnelle, dont le siége est dans le cerveau, aux nerfs et aux muscles : car cette faculté pénètre dans toutes les parties du corps et s’y répand, quoique la substance de l’âme en elle-même ne s’étende pas et ne se répande pas. C’est ainsi que s’étendent les rayons et la lumière de chacune des substances simples, qui par là pénètre ce qui est au-dessous d’elle, et malgré cela la substance reste à sa place et ne dépasse pas sa limite[47]. » (Ibid., liv. III, p. 41.)

§ IV. auteurs qui ont cité ou mentionné ces livres.

Saint Augustin a cité le livre iii à diverses reprises, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, p. 290, 305.

Proclus, dans son Commentaire sur le Timée de Platon[48], cite divers passages de ces livres, savoir :

P. 314 : « Par là, Platon établit que les âmes diffèrent entre elles par leur essence, et non pas seulement par leur acte, comme l’affirme le divin Plotin. » (Enn. IV, liv. iii, § 8 ; t. II, p. 279, ligne 7.)

P. 323 : « L’âme vicieuse et l’âme vertueuse contiennent chacune une loi fatale et se portent où l’ordonne cette loi, comme le dit Plotin. » (Enn. IV, liv. iii, § 12 ; p. 291.)

P. 187 : « Ceux qui ont expliqué ce point d’une manière plus philosophique disent, comme le fait Plotin, que l’âme tient le milieu entre l’intelligence qui est indivisible et la sensation qui est divisible dans les corps. » (Enn. IV, liv. iv, § 19 ; p. 301.)

P. 93 : « Le philosophe Plotin admet deux Démiurges : l’un est dans le monde intelligible ; l’autre est le principe qui gouverne l’univers. » (Enn. IV. liv. iv, § 10 ; p. 344.)

En outre, plusieurs auteurs ont fait des emprunts considérables à ces livres sans nommer cependant Plotin. Nous plaçons en première ligne Priscien le philosophe, qui, dans son Commentaire du Traité de Théophraste sur la Sensation, a résumé la théorie exposée par Plotin dans le livre v sur la lumière et sur le son (Voy. ci-après, p. 663-664). Nous mentionnerons également Damascius, qui, dans ses Questions sur les Principes, a développé plusieurs des théories psychologiques de notre auteur[49].


  1. Sur la différence des parties et des facultés de l’âme, Voy. les fragments de Porphyre dans notre tome I, p. XCI.
  2. Ibid., p. XC, et note 1.
  3. Ibid., p. XCI-XCIII.
  4. Aristote dit, il est vrai, que l’âme n’a pas de parties (Voy. notre tome I, p. XCII, note 2), mais il n’en sépare pas moins l’intelligence et l’âme (ibid., p. 346), et il distingue l’âme raisonnable, l’âme sensitive et l’âme végétative.
  5. Voy. Porphyre, Des Facultés de l’âme, dans le tome I, p. XCI.
  6. ἑ βούλησις θέλει τὸ ἀγαθόν (Enn. VI, liv. VIII, § 6). Voy. aussi ci-dessus, p. 31, 45. C’est un principe emprunté à Aristote : διὸ ἀεί μὲν ϰινεί τὸ ὀρεϰτὸν, ἀλλὰ τοῦτ’ ἔστιν ἢ τὸ ἀγαθὸν, ἢ τὸ φαινόμενον ἀγαθόν (De l’Âme, III, 9).
  7. Voy. le passage de Porphyre cité dans le tome I, p. LVII, note 4 : « Il faut se purifier au moment de la mort, comme lorsqu’on est initié aux mystères, affranchir son âme de toute mauvaise passion, en calmer les emportemens, en bannir l’envie, la haine et la colère, afin de posséder la sagesse quand on sort du corps, etc.
  8. « Élève ce qu’il y a de divin en toi vers ce qui est divin au premier degré (εἰς τὸ πρωτόγονον θεῖον). Il est beau que dans toutes mes lettres je le rappelle, conformément aux bonnes dispositions de ton âme, ce que Plotin dit à ceux qui l’entouraient, au moment où il séparait son âme de son corps. » (Synesius, Lettre 138 ; p. 276, éd. Petau.) Voy. Vie de Plotin, § 2, Enn. I, p. 3 ; et Enn. VI, liv. V, § I.
  9. Les âmes qui sont dans le monde intelligible y ramènent avec elles-mêmes cette partie de leur essence qui est désireuse d’engendrer [c’est-à-dire la puissance végétative et générative] et qu’on peut avec raison regarder comme l’essence qui est divisible dans les corps. » (Enn. III, liv. IV, § 6 ; t. II, p. 100.)
  10. Nous résumons ici en note quelques rapprochements moins importants :

    École ionienne. Réfutation du matérialisme d’Anaximène, d’Archélaüs, etc. (t. II, p. 6, 9, 437) ; critique de la théorie d’Anaxagore sur l’intelligence (t. I, p. 203).

    École atomistique. Réfutation du matérialisme et du fatalisme de Démocrite et d’Épicure (t. I, p. 70, 87, 92, 205 ; t. II, p. 8, 19-20, 437-438). Empédocle est cité avec Héraclite au sujet de la descente de l’âme dans le corps (t. II, p. 470, 477-478, 487).

  11. Pour la psychologie de Platon, Voy. l’extrait de M. H. Martin que nous avons donné dans les Éclaircissements du tome I (p. 470, note 1 ; et l’ouvrage de M. Chauvet, Des théories de l’entendement humain dans l’antiquité, p. 150-252.
  12. Pour la psychologie d’Aristote, Voy. M. Ravaisson, Essai sur la Métaphysique d’Aristote, t. I, liv. III, chap. 2 ; M. Waddington Kastus, Psychologie d’Aristote ; M. Rontoux, Examen du traité d’Aristote sur l’Âme ; M. Chauvet, Des théories de l’Entendement humain dans l’antiquité, p. 253 ; M. Ch. Lévêque, Le Premier Moteur et la Nature d’après Aristote.
  13. Voy. aussi le passage de saint Basile qui est cité dans notre tome I, p. XCVII, note 2.
  14. Voy. les Œuvres de Synésius, p. 133. éd. Petau. Nicéphore Grégoras a composé sur ce traité de Synésius un Commentaire qui se trouve dans l’édition à laquelle nous renvoyons.
  15. Voy. Plotin : Enn. II, liv. III, § 7, t. I, p. 174 ; Enn. III, liv. I, § 6, fin ; t. II, p. 12-13.
  16. Voy. Enn. III, liv. I, § 5 ; t. II, p. 12.
  17. Voy. Enn. IV, liv. IV, § 39 ; t. II, p. 395-397.
  18. Ibid., § 32, p. 381-386.
  19. Ibid., § 40, p. 397.
  20. Ibid., § 40. p. 398.
  21. Ibid., § 32. p. 385.
  22. Autre chose est la goëtie (γοητεία (goêteia)), autre chose la magie (μαγεία (mageia)), autre chose la pharmacie (φαρμαϰεία (pharmakeia)). La goëtie invoque certains démons matériels, impurs et méchants ; son nom vient de γόει (goei), gémissements, parce qu’elle fait des choses lamentables. La magie opère par des démons intermédiaires, matériels et immatériels. La pharmacie emploie des aliments ou des boissons. » (Nic. Grégoras.)
  23. Voy. Plotin, Enn. IV, liv. IV, § 35 ; t. II, p. 390.
  24. Voy. Enn. IV, liv. IV. § 32, p.385.
  25. On appelle sons dissonants l’aigu et grave. Comme exemple de consonance, on peut citer la quarte, ἡ ἐπιτρίτη (hê épitritê ?), composée de deux tons et d’un limma, etc. (Nic. Grégoras.) Voy. M. H. Martin, Études sur le Timée de Platon, t. I, p. 400.
  26. Voy. Enn. IV, liv. IV, § 41 ; t. II, p. 399.
  27. Ibid., § 43, 44 ; p. 401-404.
  28. Voy. ci-dessus, p. 535.
  29. Voy. ci-dessus, p. 305, note 1, p. 546, et la note ci-dessous.
  30. Après la phrase que nous avons citée ci-dessus, p. 281, saint Augustin ajoute, en parlant de la propriété qu’a l’âme d’être à la fois indivisible et divisible : « Quæ autem subtilissime de hoc disputari possunt, ita ut non similitudinibus, quæ plerumque fallunt, sed rebus ipsis salis flat, ne in præsentia expectes : nam et concludendus est tam longus sermo, et multis aliis, quæ tibi desunt, animus ad hœc intuenda et dispicienda præcolendus est, ut possis intelligere liquidissime utrum, quod a quibusdam doctissimis viris dicitur, ita sese habeat, animam per seipsam nullo modo, sed tamen per corpus posse partiri. » (S. Augustin, De Quantitate animœ, 32.) Voilà bien le principe développé par Plotin dans le livre II de l’Ennéade IV. Par doctissimis viris, saint Augustin entend évidemment Plotin et Porphyre, comme nous l’avons dit ci-dessus (p. 305 et 546).
  31. « Arbitror etiam illud esse manifestum sensum illum interiorem non ea tantum sentire quæ acceperit a quinque sensibus corporis, sed etiam ipsos ab eo sentiri… Manifesta enim sunt sensu corporis sentiri corporalia ; eumdem autem sensum hoc eodem sensu non posse non sentiri ; sensu autem interiore et corporalia per sensum corporis sentiri et ipsum corporis sensum ; ratione vero et illa omnia et eamdem ipsam notam fieri, et scientia contineri. » (S. Augustin, De Libero arbitrio, II, 4.) Pour la doctrine de Plotin sur la conscience, Voy. notre tome I, p. 353-355.
  32. Plotin a le premier démontré l’identité de l’Intelligence divine et des idées, comme l’atteste Porphyre (Voy. notre tome I, p. 19). C’est le sujet du livre V de l’Ennéade V : Les intelligibles ne sont pas hors de l’Intelligence.
  33. « Quapropter nullo modo negaveris esse incommutabilem veritatem, hæc omnia quæ incommutabiliter vera sunt continemtem, quam non possis dicere tuam, vel meam, vel cujusquam hominum, sed omnibus incommutabilia vera cernentibus, tanquam miris modis secretum et publicum lumen præsto esse ac se præbere communiter : omne autem quod communiter omnibus ratiocinantibus atque intelligentibus præsto est, ad nullius eorum proprie naturam pertinere quis dixerit ? » (S. Augustin, « De Libero arbitrio, II, 12) Voy. aussi le passage du traité Du Maître qui est cité ci-dessus, p. 337. Dans l’Enn. I, liv. I, 58 (t. I, p. 44), Plotin dit : « Dans quel rapport sommes-nous avec l’Intelligence absolue ? Elle est au-dessus de nous&hellip ; Elle est commune et particulière à la fois à tous les hommes : commune, parce qu’elle est indivisible, une et partout la même ; particulière, parce que chacun la possède tout entière dans l’âme raisonnable. »
  34. Voici comment saint Augustin s’exprime au sujet de la vertu purificative, de l’impassibilité qui résulte de la purification, et de la conversion de l’âme vers l’intelligence divine : « 1o Suspice igitur atque insili quarto gradui, ex quo bonitas incipit atque omnis vera laudatio. Hinc anima se non solum suo, si quam universi partem agit, sed ipsi etiam universo corpori audet præponere, bonaque ejus bona sua non putare, atque potentiæ pulchritudinique suæ comparata discernere atque contemnere ; et inde, quo magis se delectat, eo magis sese abstrahere a sordibus, totamque emaculare ac mundissimam reddere et comptissimam, etc&hellip ;&hellip ; 2o Quod quum effectum erit, id est quum fuerit ab omni tabe anima libera maculisque diluta, tum se denique lætissime tenet, nec omnino aliquid metuit sibi, aut ulla sua causa quidquam angitur. Est ergo iste quintus gradus : aliud est enim efficere, aliud tenere puritatem ; et alia prorsus actio qua se inquinatam redintegrat, alia qua non patitur se inquinari. In hoc gradu omnifariam concipit quanta sit : quod quum conceperit, tunc vero ingenti quadam et incredibili fiducia pergit in Deum, id est in ipsam contemplationem veritatis et illud propter quod tantum laboratum est, altissimum et secretissimum præmium. 3o Sed hæc actio, id est appetitio intelligendi ea quæ vere summeque sunt, summus aspectus est animæ, quo perfectiorem, meliorem rectioremque non habet. Sextus ergo erit iste gradus actionis : aliud est enim mundari oculum ipsum animæ, ne frustra et temere aspiciat et prave videat ; aliud custodire atque firmare sanitatem ; aliud jam serenum atque rectum aspectum in id quod videndum est dirigere (De Quantitate animœ, 33.) Toutes les idées que saint Augustin développe dans ce morceau sont empruntées à l’Enn. I, liv. II, § 4 et 5. Les dernières lignes, par exemple, rappellent cette pensée de Plotin (t. I, p. 57) : « il faut, après avoir purifié l’âme, l’unir à Dieu ; il faut la tourner vers lui. Qu’obtient l’âme par cette conversion ? l’intuition de l’objet intelligible, etc. » De même, dans ces lignes : « Aliud est efficere, aliud est tenere puritatem ; et alia prorsus actio qua se inquinatam redintegrat, alia qua non patitur se inquinari, » il est facile de reconnaître cette phrase de Plotin (p. 56) : « Se purifier est inférieur à s’être déjà purifié : car la pureté est le but que l’âme a besoin d’atteindre, etc. » Nous avons déjà cité ci-dessus (p. 544-547) un passage d’un autre écrit de saint Augustin dans lequel on retrouve toute la théorie des vertus purificatives et des vertus intellectuelles telle qu’elle est exposée dans le livre II de l’Ennéade I.
  35. Saint Augustin fait allusion ici à la différence que Plotin établit entre le mélange et la mixtion. Selon ce philosophe, l’âme ne saurait former un mixte avec le corps, comme l’enseignaient les Stoïciens, parce que dans la mixtion les éléments perdent chacun leurs qualités pour se combiner en constituant un tout homogène (Voy. t. I, p. 213-214). L’âme cependant peut se mélanger avec le corps, c’est-à-dire lui être unie, mais en conservant sa nature : « En admettant le mélange de l’âme et du corps, si toutefois ce mélange n’est pas impossible, comme le serait par exemple celui d’une ligne et de la couleur blanche, c’est-à-dire de deux natures hétérogènes, il faut encore rechercher quel est le mode de ce mélange… L’âme, tout en pénétrant le corps, peut être étrangère à ses passions, comme la lumière, partout répandue, n’en demeure pas moins impassible (t. I, p. 39-40)… L’âme est présente au corps, comme la lumière est présente à l’air. La lumière est présente à l’air sans s’y mêler, etc. (t. II, p. 307). »
  36. Voy. la Philosophie de saint Thomas d’Aquin, par M. Ch. Jourdain, t. I, p. 290-297.
  37. Voy. Plotin, t. II, p. 306, 365, etc.
  38. Nous avons indiqué en note, p. 307, une comparaison remarquable que saint Thomas a évidemment empruntée à notre auteur par un intermédiaire, peut-être par celui de Proclus, dont il connaissait fort bien les Éléments de Théologie, comme le prouve M. Jourdain dans l’ouvrage cité.
  39. « Distautia localis nullo modo impedit animæ separatæ cognitionem : potentiæ enim sensitivæ in anima separata non manent, neque cognoscit abstrahendo a sensibilibus, sed per influxum specierum ex divine lumine. » (Summa, pars I, q. 89, art. 7.)
  40. Non dubium est quin, per motus corporeos et occupationem sensuum, anima impediatur a receptione influxus substantiarum separatarum ; unde dormientibus et alienatis a sensibus quædam revelationes fiunt, quæ non accidunt sensu utentibus. Quando ergo anima erit a corpore totaliter separata, plenius percipere poterit influentiam a superioribus substantiis, quantum ad hoc quod per hujusmodi influxum intelligere poterit absque phantasmate quod modo non potest. » (Quœst. quodl., de anima, art. 15.)
  41. Voy. Quodl. quœst., de anima, art. 17.
  42. Voy. Summa, pars 1, q. 89, art. 2.
  43. Voy. Quodl. quœst., de anima, art. 15, 18.
  44. Quodl. Quœst., de anima, art. 17.
  45. Voy. Plotin, Enn. IV, liv. VI, § 3, t. II, p. 429.
  46. Ibid., p. 430.
  47. Voy. Enn. IV, liv. III, § 22, 23 ; t. II, p. 307-311.
  48. Nous ajoutons ici quelques citations que Proclus fait de Plotin sur d’autres sujets et qui nous avaient échappé dans le premier volume :

    Commentaire sur Alcibiade, t. II, p. 288 (éd. Cousin) : « La vertu naturelle n’a qu’une vue imparfaite et des mœurs également imparfaites, comme le dit le divin Plotin. » (Enn. I, liv. III, § 6 ; t. I, p. 69.)

    Ibid., p. 93 : « La pénétration d’esprit en se dégradant constitue la ruse, comme le dit Plotin, etc. » (Enn. II, liv. III, § 11 ; t. I, p. 181. — Proclus reproduit cette citation dans son Comm. sur le Timée, p. 335.)

    Comm. sur le Timée, p. 112 : « Sans la vertu, Dieu n’est qu’un mot, comme le dit Plotin. » (Enn. II, liv. IX, § 15 ; t. I, p. 300.)

  49. Damascius nomme Plotin en citant un passage de l’Enn. II, liv. II, § 1 : « Le mouvement circulaire imite le mouvement de l’intelligence, comme le dit Plotin. » (Questions sur les Principes, p. 322, éd. Kopp.)