Aller au contenu

Histoire critique de l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules/Texte entier/Tome 2

La bibliothèque libre.


HISTOIRE
CRITIQUE
DE L’ÉTABLISSEMENT
DE LA
MONARCHIE
FRANÇOISE
DANS LES GAULES.
Par M. L’Abbé DUBOS, l’un des Quarante, & Secretaire Perpetuel de l’Académie Françoise.
Nouvelle Edition, revûë, corrigée & augmentée.
TOME SECOND.


A PARIS,
Chez la Veuve GANEAU, ruë S. Jacques, aux Armes de Dombes, proche la ruë du Plâtre.
M. DCC. XLII.
avec approbation et privilège du roi.


TABLE
DES CHAPITRES
Contenus dans ce second Volume.


Chapitre Premier. Guerre entre les Visigots & les Bourguignons après la mort du Roi Euric. Clovis la cinquiéme année de son regne, se rend maître de la portion des Gaules que tenoit Syagrius, Page 1
Chap. II. Clovis tue de sa main un Franc, qui vouloit l’empecher de rendre un vase d’argent reclame par saint Remy. Ce qu'on put dire dans les Gaules concernant l’expedition de Clovis. Des Monnoyes d’or frappées par les ordres de ce Prince. Il fait la conquête de la Cite de Tongres,   21
Chap. III. Theodoric Roi des Ostrogots vient de l’aveu de Zenon Empereur des Romains d’Orient, chasser d'Italie Odoacer, qu'il bat en plusieurs rencontres, & qu'il fait enfin mourir. Réflexions que cet evenement aura fait faire aux Romains des Gaules,   32
Chap. IV. Histoire du Mariage de Clovis la Princesse Clotilde,   41
Chap. V. Les Provinces obeissantes se soumettent au pouvoir de Clovis. Les Provinces Conféderées ou les Armoriques refusent de s’y soumettre, & ce Prince leur fait la guerre,   52
Chap. VI. Guerre de Clovis contre les Allemands. Conversion & Baptême de ce Prince,   64
Chap. VII. De la joye que les Catholiques témoignerent en apprenant la conversion de Clovis, & de la Lettre que Saint Avitus lui écrivit pour l’en feliciter. Négociations des Barbares établis dans les Gaules, à Constantinople. Guerre des Bourguignons contre les Ostrogots d’Italie,   80
Chap. VIII. Reduction des Armoriques à l’obêissance de Clovis, & Capitulation des Troupes Romaines avec lui. Epoque tirée du Baptême de Clovis. Qu’il faut lire Armoriques & non pas Arboriques dans l’endroit de l’Histoire de Procope, où il est fait mention de ces évenems,   98
Chap. IX. Des établissemens que Clovis aura pû faire dans les Gaules apres la réduction des Armoriques, & de la jalousie que les Visigots conçurent contre lui. De l’époque tirée de l’année de la mort de Saint Martin,   116
Chap. X. Clovis s’allie avec Théodoric pour faire la guerre aux Bourguignons. Récit des évenemens de cette guerre, tel qu’il se trouve dans Gregoire de Tours,   116
Chap. XI. Récit des évenemens de la guerre de Clovis & de Theodoric contre Gondebaud Roi des Bourguignons, tel qu’il se trouve dans Procope. Que Clovis n’a point fait deux guerres differentes contre les Bourguignons. Que Theodoric garda plusieurs Cités des Gaules conquises dans la guerre qui se fit contre Gondebaud, en l’année cinq cens,   140
Chap. XII. De la part qu’eurent les interêts de la Religion aux disgraces & aux prospérités de Gondebaud durant le cours de la guerre qu’il soutint contre Clovis & Theodoric,   150
Chap. XIII. Theodoric s’érige en Pacificateur des Nations Barbares établies dans les Gaules. Ses négociations pour empêcher une rupture entre les Francs & les Visigots. Entrevue de Clovis & d'Alaric Second sous les murs d’Amboise,   162
Chap. XIV. Conduite d’Alaric second dans ses Etats. Il y altere la monnoye d’or. Clovis profite des conjonctures & il lui déclare la guerre, dès que les Visigots ont obligé Quintianus Evéque de Rodez, à se sauver de son Diocèse. Alliance de Clovis avec les Bourguignons, & marche de son Armée,   171
Chap. XV. Clovis entre dans le pays tenu par les Visigots. Bataille de Vouglé,   182
Chap. XVI. Progrès des Francs depuis la bataille de Vouglé jusques à l’année sept cens huit. Les Visigots proclament Roi Gésalic fils naturel d’Alaric second. Theodoric entre en guerre contre les Francs. Siege mis par les Francs & par les Bourguignons devant Arles en cinq cens huit. Ils levent ce Siége avec beaucoup de perte,   194
Chap. XVII. Campagne de cinq cens neuf. Gésalic est déposé, & Amalaric est proclamé Roi des Visigots en cinq cens dix. Theodoric Roi des Ostrogots fait la paix tant en son nom, qu’au nom d’Amalaric avec Clovis, qui demeure maître de la plus grande partie du Pays que les Visigots tenoient dans les Gaules. Clovis écrit une Lettre circulaire aux Evêques de ses Etats. En quelle année il vint à Tours, & des offrandes qu’il y fit à Saint Martin,   208
Chap. XVIII. Clovis est fait Consul, & il se met solemnellement en possession de cette Dignité. Des motifs qui avoient engagé Anastase Empereur d’Orient à la conferer au Roi des Francs, & du pouvoir qu’elle lui donna dans les Gaules. Clovis établit à Paris le Siege de la Monarchie, 219
Chap. XIX. Clovis, qui n’étoit encore Roi que de la Tribu des Francs, appellée la Tribu des Saliens, fait perir les Rois des autres Tribus des Francs, & il engage chacune d’elles à le choisir pour son Roi,   233
Chap. XX. Du Concile National assemblé à Orleans en cinq cens onze,   245


Chap. I. Mort de Clovis, & lieu de sa sepulture. Réflexions sur la rapidité de ses progrès,   255
Chap. II. Thierri, Clodomire, Childebert & Clotaire, tous quatre fils de Clovis, lui succédent. En quelle maniere ils partagerent les Etats dont il leur laissa la puissance. Quelques évenemens arrivés dans les Gaules les premieres années du regne de ces Princes,   261
Chap. III. Conquête du Royaume des Turingiens par les Rois Francs,   275
Chap. IV. Sigismond succédé à son pere Gondebaud Roi des Bourguignons. Lettres de Sigismond à l’Empereur d’Orient. Premiere guerre des Rois Francs contre les Bourguignons, dont le Roi est fait prisonnier. Mort de ce Prince. Clodomire est tué à la bataille de Véseronce, & Godemar frere de Sigismond demeure Roi des Bourguignons,   289
Chap. V. Meurtre des fils de Clodomire, & quelques autres évenemens arrivés entre les deux guerres des enfans de Clovis contre les Bourguignons. De la seconde de ces deux guerres. Histoire de Munderic, & celle d’un Romain devenu Esclave du Roi Thierri. Mort de ce Prince & Conquéte de la Bourgogne,   305
Chap. VI. Justinien Empereur des Romains d’Orient se rend maître de la Province d’Afrique en subjuguant les Vandales, qui l’avoient envahie. Il veut conquerir l’Italie sur les Ostrogots. Ses négociations avec les Rois des Francs, & son premier Traité avec eux,   330
Chap. VII. Premiers succès de Bélisaire, General de Justinien. Traité entre les Francs & les Ostrogots qui reçoivent des premiers quelque secours. Justinien fait ensuite son second Traité avec les Francs, & par ce Traité il leur céde la pleine Souveraineté de toutes les Gaules. Observations sur quelques points de ce Traité,   345
Chap. VIII. De l’exécution du second Traité de Justinien avec les Rois des Francs,   366


Chap. I. Idée générale de l’Etat des Gaules durant le sixiéme siécle, & les trois siécles suivans. Que les differentes Nations qui pour lors habitoient dans les Gaules, n’y étoient pas confondues. Ce qu’il faut entendre par Lex Mundana, ou la Loy du Monde,   373
Chap. II. De la Royauté de Clovis & de celle de ses Successeurs. Etablissement de la Loi de Succession. Que l’Article de cette Loi qui exclut les Filles de France de la Couronne, est contenu implicitement dans les Loix Saliques,   387
Chap. III. De la division du Peuple en plusieurs Nations, laquelle avoit lieu dans la Monarchie Françoise, sous la premiere Race & sous la seconde Race,
Du nom de Barbare donné aux Francs,   409
Chap. IV. Des Nations differentes qui composoient le Peuple de la Monarchie, & de la Nation des Francs en particulier. Que la peine pécuniaire reglée dans les Loix Nationales, n’étoit point la seule que les Criminels subissent,   413
Chap. V. Continuation de ce qui regarde la Nation des Francs en particulier. On reconnoît si les personnes, dont l’Histoire parle, étoient des Romains ou des Barbares, au nom propre qu’elles portoient. Que le Pouvoir Civil fut réuni au Pouvoir Militaire sous les Rois Mérovingiens. Quelle étoit sous ces Princes la Langue commune dans les Gaules,   436
Chap. VI. Des Bourguignons,   457
Chap. VII. Des Allemands, des Visigots, des Bavarois, des Teifales, des Saxons, & des Bretons Insulaires établis dans les Gaules,   463
Chap. VIII. Du Gouvernement général des Gaules, sous Clovis & sous ses premiers Successeurs. Du serment que prétoient les Rois à leur Inauguration,
Des Evéques & de leur Pouvoir,   474
Chap. IX. Que sous la domination des Rois Mérovingiens, les Romains des Gaules vivoient selon le Droit Romain, & que chacun d’eux y étoit demeuré en possession de son état. Des inconveniens qui résultoient de la diversité de Loix, suivant lesquelles vivoient les sujets de la Monarchie,   486
Chap. X. La division des Romains dans les Gaules en trois Ordres a subsisté sous nos Rois. Que les Romains avoient part à tous les Emplois de la Monarchie, & qu’ils s’allioient par mariage avec les Francs,   503
Chap. XI. Du Gouvernement particulier de chaque Cité, sous le Regne de Clovis, & sous le regne de ses premiers Successeurs. Que chaque Cité avoit conservé son Senat, & que ces Senats avoient été maintenus dans leurs principaux Droits. Que chaque Cité avoit aussi conservé sa Milice,   524
Chap. XII. Des Guerres que les Cités des Gaules faisoient quelquefois l’une contre l’autre sous les Rois Mérovingiens.
Quand Gregoire de Tours désigne ceux dont il fait mention par le nom propre de leur Pays, il entend parler des Romains de ce Pays-là, & non pas des Barbares qui s’y étoient établis,   537
Chap. XIII. Que les Francs n’en userent pas avec l’ancien Habitant des Gaules, ainsi que la plupart des autres Nations Barbares en avoient usé avec l’ancien Habitant des Provinces où elles s’étoient établies, & qu’ils ne lui prirent point une portion de ses Terres. Des Terres Saliques,   545
Chap. XIV. Que les Revenus de Clovis & des autres Rois Mérovingiens étoient les mêmes que ceux que les Empereurs avoient dans les Gaules lorsqu’ils en étoient les Souverains. Du produit des Terres Domaniales & du Tribut public. Que les Francs étoient assujettis à la derniere de ces impositions,   557
Chap. XV. Des Droits de Douane & de Péage qui se levoient au profit des Rois Mérovingiens. De la quatriéme branche de leur revenu. De quelques usages établis dans les Gaules par les Romains, & qui ont subsisté sous les Rois des deux premieres Races,   581
Chap. XVI. De l’autorité avec laquelle Clovis & les Rois ses Fils & ses Petits-Fils ont gouverné,   592
Chap. XVII. Du tems où a cessé la distinction qui étoit entre les differentes Nations qui composoient le Peuple de la Monarchie,   601


LETTRE DE M L’ABBE DU BOS,
A Monsieur JOURDAN
, au sujet de deux Dissertations de Monsieur le Professeur HOFFMANN, où ce dernier attaque plusieurs endroits de l’Histoire Critique de l’Etablissement de la Monarchie Françoise dans les Gaules,   611


Fin de la Table des Chapitres du second Tome.
HISTOIRE
CRITIQUE
DE L'ESTABLISSEMENT
de la Monarchie Françoise dans les Gaules.


LIVRE QUATRIÉME

LIVRE 4 CHAPITRE 1

CHAPITRE PREMIER.

Guerre entre les Visigots & les Bourguignons après la mort du roi Euric. Clovis la cinquiéme année de son regne, se rend maître de la portion des Gaules que tenoit Syagrius.


NOUS avons déja dit qu’Euric Roi des Visigots ne mourut que trois ans après l’avenement de Clovis à sa couronne, & environ sept ans après la paix ou la tréve qui se fit dans les Gaules vers l’année quatre cens soixante et dix-sept. Il est très-vraisemblable que cette cessation d’armes de quelque nature qu’elle pût être, aura duré jusqu’à la mort d’Euric. Tant que ce Prince aura vécu, les Gaules seront demeurées tranquilles. Si d’un côté, les autres Puissances de ce pays avoient assez de force pour se défendre, et pour faire perdre au Roi des Visigots l’esperance de les subjuguer ; d’un autre côté, elles n’étoient point en assez bonne intelligence pour faire une ligue offensive contre lui. La crainte d’Euric étoit même peut-être, la seule chose, qui empêchoit ces Puissances de faire la guerre l’une contre l’autre. Il ne reste du moins dans les monumens de l’antiquité aucun indice qu’il se soit donné des batailles, ni fait des sieges dans les Gaules depuis la pacification de quatre cens soixante & dix-sept, jusqu’à la mort d’Euric arrivée vers quatre cens quatre-vingt-quatre. La mort de ce Prince délivra tous ces Potentats de la crainte des Visigots, parce que son fils Alaric II qu’il laissoit pour successeur, étoit encore enfant, & hors d’état d’agir par lui-même. Ils furent donc en liberté après cette mort d’exécuter les projets de vengeance ou d’agrandissement qu’ils avoient formés, et dont une crainte commune leur avoit fait remettre l’exécution à d’autres tems.

Je crois pouvoir placer dans l’année de la mort d’Euric, ou dans l’année suivante, celle des guerres des Bourguignons contre les Visigots, durant laquelle les premiers conquirent sur les autres la Province Marseilloise. Cette Province n’est pas une des dix-sept qui se trouvent dans la Notice des Gaules ; au contraire Marseille, loin d’avoir une Province à qui elle donnât son nom dans le tems que cette Notice fut rédigée, étoit elle-même une des Cités de la Viennoise. Je crois donc que Gregoire De Tours, lorsqu’il dit que cette Province Marseilloise appartenoit aux Bourguignons en l’année cinq cens, parle le langage de son tems, et qu’en s’exprimant ainsi, il s’est conformé à la division de la Viennoise qui s’étoit faite sous les successeurs de Clovis.

Cette Province se trouva partagée sous le regne de ces Rois en plusieurs autres petites Provinces, dont une portoit le nom de Province Marseilloise. Elle comprenoit outre la cité de Marseille, Aix, & Avignon.

Il est certain, pour reprendre le fil de l’Histoire, qu’Euric roi des Visigots s’étoit emparé en l’année quatre cens soixante et dix d’Arles et de Marseille qu’il avoit unies à son Royaume, et qu’il mourut dans Arles. Les auteurs qui nous l’apprennent, et qui ont écrit environ un siecle après sa mort, ou n’auroient point parlé de l’acquisition de Marseille, ou bien ils auroient fait mention de la prise de Marseille par une autre puissance, si ce prince eût perdu Marseille avant que de mourir. Il est donc apparent qu’il avoit conservé Marseille jusqu’à sa mort, ainsi qu’il avoit certainement conservé Arles.

Nous trouvons cependant dans Gregoire De Tours, que lorsque Clovis fit la guerre aux bourguignons, ce qui arriva en l’année cinq cens, comme nous le dirons dans la suite, les Bourguignons étoient actuellement en possession de la Province Marseilloise. Notre Historien commence la relation qu’il nous donne de cette guerre par dire. « Dans ce tems-là le royaume de Gondebaud et de Godégisile son frère s’étendoit le long de la Saone & du Rhône, & il comprenait encore la Province Marseilloise. » Comme Gregoire De Tours ne fait ici aucune mention particuliere d’Arles, rien n’empêche de croire que les Bourguignons ne tenoient pas cette place en l’année cinq cens ; mais que les Visigots après avoir perdu la Province Marseilloise, n’avoient point laissé de conserver Arles, suivant l’apparence, à la faveur du Pont que cette Ville avoit sur le Rhône, & par lequel elle communiquoit librement avec la premiere Narbonnoise, & les autres contrées, où ils avoient leurs établissemens les plus solides. En effet Arles étoit encore soumise à leur roi Alaric II quand Césaire fut fait évêque d’Arles, ce qui arriva vers l’année cinq cens trois. Il est dit dans la Vie de ce Prélat qu’il fut accusé par un de ses Secretaires devant le roi Alaric, d’avoir voulu livrer Arles aux Bourguignons, et que ce Roi se prévint tellement contre lui, qu’il fut tiré de son Diocèse, et relegué à Bordeaux. Mais l’innocence de Césaire ayant été reconnuë à quelque tems de-là, il fut rappellé, et son calomniateur fut puni de mort par l’ordre du même prince, qui avoit exilé notre évêque. Or je ne crois pas pouvoir placer mieux la conquête de la province marseilloise faite certainement par les Bourguignons sur les Visigots entre l’année quatre cens quatre-vingt-quatre et l’année cinq cens, qu’en la plaçant durant la minorité d’Alaric II.

Je suis même persuadé que ce fut durant la guerre qui se fit alors entre les deux nations, qu’arriva un évenement dont il est parlé dans les opuscules de Gregoire De Tours. On y lit qu’un corps de Bourguignons s’étant avancé jusques dans l’Auvergne, qui pour lors étoit sous la domination des Visigots, il y pilla l’église de saint Julien martyr, bâtie à Brioude. Hellidius qui commandoit pour les Visigots dans le Velay, arriva comme par miracle à Brioude dans le tems que les ennemis y étoient encore, et il les défit. Ceux des Bourguignons qui purent se sauver, regagnerent leurs quartiers, emportant avec eux une partie du pillage qu’ils avoient fait dans l’église de saint Julien. Quand ils y furent arrivés, ils firent present d’une paténe et de quelques autres pieces de leur butin au roi Gondebaud, mais la reine sa femme se les fit donner, et elle les renvoya aussi-bien que tous les autres vases pris dans cette église, et qu’il lui fut possible de recouvrer, au lieu d’où ils avoient été enlevés. Elle joignit même des presens à cette restitution, disant au roi son mari, qu’il ne falloit point s’attirer l’indignation du ciel, à l’appetit de quelqu’argenterie .

Cet évenement doit être arrivé ou avant la paix faite entre Euric et les puissances des Gaules, ou bien dans la guerre durant laquelle les Bourguignons prirent sur les Visigots la province Marseilloise. En effet on ne sçauroit, suivant la vraisemblance, reculer l’évenement dont il s’agit jusqu’en cinq cens sept que les Bourguignons firent conjointement avec les Francs la guerre aux Visigots ; parce que les Francs conquirent l’Auvergne dès le commencement de cette guerre. S’il étoit bien prouvé que la reine dont il est parlé dans Gregoire de Tours, fût la reine Caretenès, il seroit hors de doute que l’exploit d’Hellidius auroit été fait avant cinq cens sept, puisque l’épitaphe de cette reine enterrée dans une église de saint Michel, qu’elle avoit bâtie à Lyon, nous apprend qu’elle mourut sous le consulat de Messala, c’est-à-dire, en cinq cens six.

Nous pouvons parler bien plus affirmativement sur la guerre de Clovis contre Syagrius, puisque les monumens de nos antiquités, nous en apprennent clairement la date, les principaux évenemens, et même les motifs. On a déja vû que la famille Afrania, dans laquelle il y avoit eu un consul[1], étoit l’une des plus considérables des Gaules, qu’Afranius Syagrius étoit fils d’Egidius, maître de la milice dans le département des Gaules, et mort en quatre cens soixante et quatre. En parlant de cette mort, nous avons dit encore que Syagrius n’avoit point succedé à son pere dans l’emploi de maître de la milice, et qu’apparemment Chilpéric un des rois des Bourguignons avoit été revêtu de cette dignité à la mort d’Egidius. En effet aucun auteur ancien n’en donne le titre à Syagrius. Mais Egidius outre la dignité de maître de la milice, avoit encore lorsqu’il mourut l’emploi de comte, ou le gouvernement particulier de la cité de Soissons, et son fils lui avoit succedé dans ce dernier emploi. On peut croire que Syagrius s’étoit rendu le maître absolu de cette cité durant l’anarchie qui eut lieu dans les Gaules après le renversement du thrône de l’empire d’Occident. » Clovis, dit Gregoire de Tours, marcha la cinquième année[2] de son regne contre Syagrius Roi des Romains & fils d’Egidius. Syagrius se tenoit à Soissons qui avoit été au » pouvoir de son pere Egidius dont je viens de parler. »

Suivant toutes les apparences, Gregoire De Tours donne le titre de roi à Syagrius, faute de trouver un titre dans la notice des dignités de l’empire, lequel pût convenir à cet officier, qui dans son district exerçoit l’un et l’autre pouvoir, sans être subordonné à aucun supérieur qui fût dans le pays. Il n’y avoit point alors ni de duc ni de proconsul dans la seconde Belgique, ou s’il y en avoit, Syagrius ne reconnoissoit point leur autorité. Il n’y avoit pas non plus alors de préfet du prétoire des Gaules ; et supposé qu’il y eut un maître de la milice dans ce département, cet officier étoit Clovis à qui nous allons voir que Syagrius n’obéïssoit pas. Autant qu’on peut conjecturer, Syagrius regnoit sur les Romains de son ressort, en la même maniere que les rois Francs établis sur le territoire de l’empire, regnoient sur les Francs leurs sujets. D’ailleurs on fera réflexion que le titre de roi autrefois si odieux aux Romains, étoit devenu parmi eux depuis le second siecle de l’ère chrétienne, un titre dont ils se servoient quelquefois pour désigner les personnes qui tenoient un rang supérieur dans l’Etat. La qualité de roi n’étoit plus, pour s’exprimer ainsi, incompatible avec celle de Romain. Monsieur De Valois rapporte un grand nombre d’exemples qui font voir que les auteurs latins du second siecle et ceux du siecle suivant, ont donné le titre de roi ou de reine à des impératrices, à des empereurs, et à des personnes sorties de leur sang. Nous observerons encore que le titre de roi des Romains que donne notre histoire à Syagrius, ne signifie pas plus que Syagrius fût roi de tous les Romains, ni même de tous les Romains des Gaules, que le titre de roi des Bourguignons qu’elle donne à Gondebaud, et celui de roi des Francs qu’elle donne à Clovis, signifient que Gondebaud fut roi de tous les Bourguignons, et Clovis roi de tous les Francs établis dans les Gaules. Ainsi le titre de roi que Gregoire De Tours donne à Syagrius, veut dire seulement que Syagrius regnoit sur une partie des Romains des Gaules, comme celui de roi des Bourguignons qu’il donne à Gondebaud, et celui de roi des Francs qu’il donne à Clovis, veulent dire uniquement que le premier regnoit sur une partie des Bourguignons, et le second sur une partie des Francs. La suite de l’histoire confirmera encore ce que nous disons ici concernant les bornes de la domination de Syagrius.

Un fait rapporté par l’abbreviateur, donne lieu de penser que Syagrius possedât outre la cité de Soissons, celle de Troyes ou du moins une partie de cette derniere. Nous verrons que Clovis durant le tems qui s’écoula entre la conquête des Etats de Syagrius faite en quatre cens quatre-vingt-six, et son mariage avec sainte Clotide fait en l’année quatre cens quatre-vingt-douze, ne fit point d’autre acquisition dans les Gaules, que celle de la cité de Tongres. Cependant l’abbreviateur dit que Clovis vint attendre à Villers ou Villery, lieu du diocèse de Troyes, cette princesse qui venoit de la cour du roi Gondebaud, et qui s’avançoit pour sortir du pays tenu par les Bourguignons, et entrer sur celui qui étoit tenu par les Francs[3]. Il semble donc que Clovis fût devenu le maître de la cité de Troyes, dès le tems qu’il s’étoit emparé des Etats tenus par Syagrius ; et par conséquent que cette cité fît partie du pays sur lequel Syagrius regnoit. Il est vrai que Gregoire De Tours ne dit point jusqu’où Clovis s’avança pour recevoir Clotilde, mais l’abbreviateur peut avoir appris cette circonstance de leur mariage, ou de la tradition, ou de quelqu’ouvrage que nous n’avons plus.

Il est toujours certain que l’autorité de Syagrius ne s’étendoit point sur toute la partie des Gaules qui étoit encore réellement soumise au pouvoir de l’empereur de Rome. Quelques écrivains modernes l’ont cru, mais le récit des évenemens de cette guerre montrera bien que l’opinion dont je parle est une erreur. On verra en premier lieu par ce récit, que des cités renfermées dans les provinces obéïssantes ne prirent aucune part à la guerre de Syagrius contre Clovis : elles ne tirerent point l’épée pour deffendre ce Romain. En second lieu on verra que les cités situées entre la Somme et la Seine, ne reconnurent le pouvoir de Clovis qu’en quatre cens quatre-vingt-douze, et que ce fut seulement en quatre cens quatre-vingt-dix-sept que les troupes Romaines prêterent serment de fidelité au roi des Francs, et qu’elles lui remirent la partie des provinces obéïssantes qui étoit sur la Loire. Cependant il est constant par l’histoire qu’immédiatement après la défaite et la mort de Syagrius, qui sont des évenemens appartenans à l’année quatre cens quatre-vingt-six, Clovis s’empara de tout le pays sur lequel regnoit Syagrius. Je crois trouver dans une des lettres écrites par Sidonius Apollinaris à Syagrius, le motif qui aura fait prendre les armes à Clovis contre le roi des romains en quatre cens quatre-vingt-six, c’est-à-dire, quatre ou cinq ans après que cette lettre eût été écrite. Le lecteur voudra bien se souvenir ici de ce que nous avons dit ci-dessus concernant la famille Syagria, et que dès l’année trois cens quatre-vingt-deux elle avoit eu un consul appellé dans les Fastes Afranius Syagrius.

» Etant arriere petit-fils en ligne masculine d’un Consul, comme vous l’êtes, & ce qui fait encore plus à notre sujet, étant descendu d’un Poëte, à qui ses Ouvrages chéris de tout le monde, auroient fait ériger des statuës, si ses dignités ne lui en eussent pas fait élever, comment avez-vous voulu devenir si sçavant dans la Langue Germanique ? J’étois bien informé que vous aviez étudié avec fruit les Lettres Latines, & que vous aviez donné plus d’une preuve du succès de votre applications mais comment avez-vous fait pour apprendre si parfaitement la prononciation, & pour prendre si bien l’accent d’une langue étrangere ? Comment s’est pû faire cette espece de métamorphose, qui a changé en un Germain, un Romain qui lisoit sans cesse Virgile & Ciceron. Vous ne sçauriez croire à quel point vos amis, au nombre desquels j’ose me mettre, se réjouissent quand ils entendent dire, que les Barbares craignent de faire des barbarismes, en parlant devant vous leur langue naturelle. Je vois les vieillards des Nations Germaniques vous regarder avec surprise quand vous leur rendez le sens des Lettres écrites en Latin. Ils vous prennent pour conciliateur dans leurs contestations, & pour arbitre dans leurs procès. Vous êtes le Solon des Bourguignons, lorsqu’il s’agit du veritable sens de leur Loi, Vous êtes l’Amphion qui accorde cette lyre mal montée. On vous aime, on vous souhaite, on vous recherche, on vous prend pour médiateur, pour juge, l’on en passe par votre avis, & l’on s’en tient à vos décisions. Quoique ces Peuples grossiers connoissent aussi peu les Arts qui forment l’esprit, que ceux qui dénouent le corps, vous ne laissez point en vous faisant admirer, de leur insinuer des sentimens de vénération pour la Nation Romaine ? Que peuvent-ils en effet penser de nous, quand c’est un Romain qui leur apprend à parler correctement leur propre langue. Je finis. Continuez à vous faire aimer & par eux & par nous. Continuez d’employer vos heures perduës à la lecture de nos bons Auteurs, afin de ne point vous exposer aux inconvéniens qui vous arriveroient, si vous alliez oublier votre langue naturelle ; mais aussi entretenez-vous toujours dans l’usage de la langue Germanique, afin d’en faire mieux accroire dans l’occasion. »

Avant que de faire mes observations sur cette lettre, il ne sera point hors de propos de dire que nous avons encore deux autres épîtres de Sidonius adressées à ce Syagrius, que toutes les convenances veulent être le même Romain contre qui Clovis eut affaire. Dans la premiere de ces deux épîtres, Sidonius recommande à Syagrius un citoyen distingué, nommé Projectus, qui vouloit épouser une fille de famille, et qui se trouvoit sous la dépendance de ce Syagrius, lequel étoit à la fois son patron et son tuteur. Dans la seconde de nos épîtres, Sidonius reproche à Syagrius un trop long séjour à la campagne, et il lui parle toujours comme à un homme de grande considération. Il l’appelle la fleur de la jeunesse des Gaules, il lui dit que la patrie attend de lui des services, et il le fait souvenir que ses ancêtres ont rempli les plus grandes dignités de l’Etat. Si la suscription de ces lettres Sidonius, Syagrio suo salutem, paroît un peu familiere, qu’on songe à l’usage des Romains, et qu’on pense que Sidonius étoit lui-même un homme de très-grande considération, et qu’il use de la même formule en écrivant à Riothame, qui avoit actuellement un commandement considérable. La lettre que Sidonius lui écrivit alors, a été rapportée ci-dessus. Il est donc faux qu’il y ait dans les lettres écrites par Sidonius à Syagrius, et qui ont été écrites en des tems differens, rien qui montre que ce Syagrius ne soit pas le Syagrius fils d’Egidius.

La fin de la lettre dont nous venons de donner la traduction et à laquelle je reviens, ne paroît qu’un badinage ; mais elle pouvoit bien renfermer un sens très-sérieux, et avoir rapport à quelque projet important que les Romains méditoient alors, pour chasser des Gaules toutes les nations barbares, en armant les unes contre les autres.

Comme les Bourguignons tenoient la cité de Langres, leurs quartiers touchoient à celle de Troyes, et ils s’avoisinoient du moins assez de la cité de Soissons où Syagrius faisoit sa résidence ordinaire, pour que ces barbares y vinssent le consulter ; mais comme Sidonius parle d’abord des Germains en général, on peut bien croire que les Francs du Tournaisis et ceux du Cambrésis étoient aussi du nombre des barbares qui prenoient Syagrius pour conciliateur et pour arbitre. On doit même le penser d’autant plus volontiers que son pere Egidius avoit gouverné durant un tems les sujets de Childéric devenus depuis ceux de Clovis. Les Etats de ce prince qui pouvoit bien tenir quelque canton du Vermandois, s’approchoient par conséquent de bien près des Etats de Syagrius, s’ils n’y confinoient pas. Il ne faut point croire que les rois barbares, quand ils avoient occupé une cité, respectassent beaucoup les bornes légales que les empereurs Romains avoient prescrites à son territoire, et que les convenances ne les portassent point souvent à envahir quelque canton des cités limitrophes. Childéric avoit bien pû non-seulement s’emparer de la partie du Vermandois qui est à la droite de la Somme, mais engager encore la tribu des Francs établie dans le Cambrésis, à lui céder une portion du Cambrésis, moyennant quelque compensation. Ainsi les sujets de Clovis n’avoient point un grand chemin à faire, lorsqu’ils vouloient aller porter leurs contestations devant Syagrius ; et ils y auront été d’autant plus volontiers, qu’outre qu’ils avoient été gouvernés autrefois par Egidius pere de ce Romain, leur roi sortoit à peine de l’enfance. Les hommes ne sont point prévenus en faveur des juges d’un pareil âge. Or Clovis ne pouvoit point avoir plus de seize ou dix-sept ans lorsque Sidonius écrivit la lettre que nous venons de rapporter. Ce prince qui, suivant Gregoire de Tours, avoit quarante-cinq ans lorsqu’il mourut en cinq cens onze, ne devoit pas avoir, comme on l’a vû, plus de quinze ans lorsqu’il succéda en quatre cens quatre-vingt-un à Childéric ; d’un autre côté, il faut que la lettre de Sidonius ait été écrite au plus tard en quatre cens quatre-vingt-deux ; Sidonius mourut cette année-là.

Dès qu’on expose à des hommes raisonnables, mais qui ne connoissent point encore les avantages des loix écrites et des tribunaux réglés, les bons effets de la jurisprudence qui prévient ou qui termine paisiblement des différends et des querelles qui sans elle ne finiroient que par des violences et par des combats, ils se préviennent naturellement en faveur de cette science, et ils conçoivent une espece de vénération pour ceux qui l’ont apprise. Aussi les Romains croyoient-ils que le moyen le plus efficace qu’ils pussent mettre en œuvre pour apprivoiser et pour accoutumer à l’obéïssance les barbares qu’ils subjuguoient, étoit celui de leur faire rendre la justice suivant une loi écrite et par des tribunaux reglés. En effet les barbares se prévenoient d’abord en faveur de ces nouveaux maîtres, qui faisoient regner l’équité, et une raison désinteressée à la place de la violence et des passions. Ce sentiment étoit si bien le sentiment général des barbares soumis de bonne foi à la domination de Rome, qu’Arminius voulant ébloüir et surprendre Varus qui commandoit pour Auguste dans une partie de la Germanie subjuguée depuis peu, commença par feindre, et par faire feindre à ses amis, ce sentiment de prévention et de respect pour les loix et pour les tribunaux romains. » Les Chérusques, die Paterculus, qu’on ne croiroit jamais, à les voir si féroces, pouvoir être aussi rusés qu’ils le sont en effet, feignoient sans cesse d’avoir des procès les uns contre les autres. Enfin soit en plaidant sur des contestations qu’ils n’avoient point, soit en remerciant Quintilius Varus de terminer paisiblement des differends qui n’auroient pas fini sans effussion de sang, s’il ne les eût pas décidés, soit en vantant l’équité des Loix Romaines si propres, disoient-ils, à civiliser les Nations les plussauvages, ils vinrent à bout de faire tomber le Général Romain dans une sécurité funeste. » Varus ne se tenoit pas mieux sur ses gardes dans un camp assis au milieu de la Germanie, que s’il eût été dans un tribunal dressé au milieu de Rome. Tout le monde sçait ce qui en arriva, et que l’armée d’Auguste fut surprise et taillée en pieces par les Chérusques, qui en avoient imposé à Varus, en témoignant pour la jurisprudence Romaine les sentimens de vénération que les barbares prenoient naturellement pour elle. On ne doit pas donc être surpris que les Francs et que les Bourguignons eussent recours si volontiers aux conseils et à l’arbitrage de Syagrius.

Les uns et les autres, il est vrai, avoient déja leurs loix nationales ; mais ces loix, autant que nous pouvons en être instruits, n’étoient encore que des coutumes non écrites. Leur loi n’étoit, comme le dit Sidonius, qu’une lyre mal montée. Nous avons rapporté ci-dessus un passage d’Isidore De Séville, qui dit positivement qu’avant le regne d’Euric, les Visigots n’avoient point de loi écrite, quoiqu’il y eut déja plus de soixante ans qu’ils étoient établis dans les Gaules, et que ce fut ce prince qui fit mettre le premier par écrit les anciens us et coutumes de sa nation. Il ne paroît point que la loi des Bourguignons ait été rédigée par écrit avant l’année cinq cens, où Gondebaud, comme nous le dirons, publia le code que nous avons encore, et qui porte son nom. Quant aux loix des Francs, je crois que la premiere de leurs compilations, qui ait été mise par écrit, fut celle qui se fit par les ordres et par les soins des fils de Clovis. Ce furent eux, autant qu’il est possible de le sçavoir, et c’est ce que nous exposerons plus au long dans la suite, qui réduisirent en forme de code la loi Salique et la loi Ripuaire. D’ailleurs les loix suivant lesquelles vivoient les Bourguignons et les Francs en quatre cens quatre-vingt, statuoient uniquement suivant les apparences, sur les contestations qui pouvoient naître parmi ces nations Germaniques dans le tems qu’elles habitoient encore au-delà du Rhin, où elles ne connoissoient gueres la proprieté des fonds ; en un mot, dans le tems que ces nations étoient encore sauvages à demi. Ainsi ces loix ne décidoient rien sur cent questions qui devoient naître tous les jours depuis que les nations dont je parle s’étoient transplantées dans la Gaule, et que les particuliers dont elles étoient composées y possedoient en proprieté des terres, des maisons, des meubles précieux, des esclaves à qui l’on avoit donné une éducation qui les rendoit d’un grand prix, et plusieurs autres effets de valeur arbitraire, et presqu’inconnus au-delà du Rhin. Les pactes des mariages que les Francs et les Bourguignons domiciliés dans les Gaules, y contractoient en épousant quelquefois des filles d’autre nation que la leur, et qui leur apportoient en dot des biens considérables dont elles étoient héritieres, ne pouvoient plus être des contrats aussi simples que l’avoient été ceux de leurs ancêtres, ceux dont parle Tacite. Les successions étoient devenuës plus difficiles à partager, principalement entre les héritiers en ligne collatérale. Enfin la loi des Francs et celle des Bourguignons, qui jusques-là avoient été comme les autres nations germaniques, des peuples parmi lesquels chaque particulier étoit son propre artisan dans la plûpart de ses besoins, et faisoit valoir lui-même son champ, ne pourvoyoit pas aux contestations qui, depuis que les uns et les autres ils s’étoient établis dans les Gaules, devoient y naître chaque jour, soit touchant le salaire des ouvriers de profession, et les honoraires dûs à ceux qui exerçoient les arts liberaux, quand on s’étoit servi de leur ministere, soit enfin concernant l’exécution des baux de quelque nature qu’ils fussent.

Ainsi le jurisconsulte Romain versé dans une loi qui statuoit sensément sur les contestations qui pouvoient s’émouvoir concernant toutes ces matieres, étoit un homme cher, un homme respectable pour tous nos barbares, principalement quand il pouvoit leur expliquer en leur propre langue les motifs de ses décisions, et leur en faire sentir toute l’équité. Il étoit pour eux un homme aussi admirable que l’a été pour les Chinois le premier astronome européen, qu’ils ont vû prédire les éclipses avec précision, et faire sur des principes démontrés, des calendriers justes et comprenans plusieurs années. Enfin un Romain tel que le jurisconsulte dont je parle, devoit faire souhaiter à nos barbares, d’être toujours conduits par un roi aussi juste et aussi éclairé que lui. Voilà en partie pourquoi les Francs Saliens avoient après la destitution de Childéric, choisi Egidius pour les gouverner.

Qui sçait si comme nous l’avons insinué déja, le dessein de ceux des Romains des Gaules, qui étoient bien intentionnés pour le Capitole, et qui ne désesperoient pas encore de sa destinée, n’étoit point alors de détacher les personnes d’entr’eux qui étoient les plus capables de s’acquerir l’amitié et la confiance des barbares pour la gagner, afin qu’elles pussent les engager ensuite à s’entredétruire. C’étoit le moyen de se défaire du Visigot par le Bourguignon, du Bourguignon par le Franc, et de renvoyer ensuite ce dernier vaincu pour ainsi dire, par ses propres victoires, au-delà du Rhin. Je sçai bien que les Romains du cinquiéme siécle de l’ère chrétienne, étoient bien inférieurs en courage et en prudence, aux Romains du cinquiéme siecle de l’ère de la fondation de Rome. Mais nous voyons par l’histoire, et la raison veut que cela fût ainsi, qu’il y avoit encore dans les Gaules à la fin du cinquiéme siecle de l’ère chrétienne plusieurs Romains capables d’affaires, et hommes de résolution. Auront-ils vû patiemment leur patrie en proye à des barbares, hérétiques ou payens, à qui la mauvaise administration des empereurs avoit donné le moyen d’y entrer, et le loisir de s’y cantonner ?

Comme il étoit évident que la paix ne seroit jamais solidement rétablie dans les Gaules, tant qu’il y auroit plus d’un souverain, tous nos Romains n’auront-ils pas songé aux moyens propres à faire passer leur pays sous la domination d’un seul maître. Si quelques Romains, comme Arvandus et comme Séronatus, ont cru que pour parvenir à ce but, il falloit livrer à Euric la partie des Gaules qui obéïssoit encore aux empereurs, d’autres Romains meilleurs compatriotes, auront pensé que l’expédient le plus sûr pour rétablir la paix dans les Gaules, étoit d’en chasser les barbares par le moyen des barbares mêmes. Le projet aura semblé possible à ces bons citoyens, qui auront fait toute sorte de tentatives pour l’exécuter. Il est vrai que les barbares demeurerent à la fin les maîtres des Gaules, mais cela prouve seulement que les menées, dont je parle, ne réussirent point, et non pas qu’elles n’ayent point été tramées, et que Sidonius n’entende point parler à la fin de sa lettre à Syagrius de quelque projet de pareille nature ; parce que depuis plus de deux cens trente années, divers peuples barbares ont toujours été successivement les maîtres des plus belles provinces de l’Italie, et le sont encore aujourd’hui : s’ensuit-il que ses habitans naturels dont j’emprunte ici les expressions, n’ayent point tâché de se défaire d’une nation étrangere par l’épée d’une autre, toutes les fois qu’ils ont cru les conjonctures favorables au projet de se délivrer de toutes ces nations ?

Je reviens à Clovis. Il dût craindre que s’il donnoit à Syagrius le loisir de s’accréditer davantage, ce Romain n’abusât de l’autorité qu’il s’acquéroit sur l’esprit des Saliens pour les engager à destituer leur roi. Il étoit naturel que le fils de Childéric craignît qu’on ne mît à sa place le fils d’Egidius, comme on avoit mis Egidius à la place de Childéric. Peut-être aussi la querelle vint-elle de ce que Syagrius se sera prétendu indépendant dans son gouvernement, et qu’il n’aura point voulu reconnoître Clovis comme maître de la milice romaine. Quoiqu’il en soit de cette derniere conjecture, la crainte des menées de Syagrius, et l’envie de s’aggrandir étoient des motifs suffisans pour déterminer un prince de vingt ans, c’est l’âge que pouvoit avoir Clovis la cinquiéme année de son regne, à entreprendre la guerre particuliere qu’il fit alors contre notre Romain. J’appelle cette guerre une guerre particuliere, parce qu’il n’y eut que Clovis et Syagrius, ou tout au plus leurs amis les plus intimes qui prirent les armes. On va voir par plusieurs circonstances de la querelle dont il s’agit, qu’elle ne fut point une guerre de nation à nation, ou une guerre générale entreprise d’un côté par toutes les tribus des Francs, et soutenue de l’autre par tous les Romains de la Gaule qui étoit encore libre ; c’est-à-dire, par tous ceux des Romains de cette grande province, qui étoient encore les maîtres dans leur patrie. Il est vrai que nos historiens ont cru que cette guerre avoit été véritablement une guerre de peuple à peuple, mais je crois qu’on doit regarder leur prévention, comme une des erreurs qui ont couvert d’épaisses ténébres l’histoire de l’établissement de la monarchie françoise. Je vais déduire mes raisons.

En premier lieu, Cararic roi de la tribu des Francs, dont les quartiers étoient dans la cité de Térouenne, refusa de prendre part à cette guerre. Clovis eut beau l’appeller à son secours, Cararic ne voulut pas le joindre. Quelle étoit son intention ? C’étoit, suivant Grégoire De Tours, de faire son allié de celui des deux champions qui demeureroit le maître du champ de bataille. Si Ragnacaire un autre roi des Francs se joignit avec Clovis, c’est qu’il étoit son allié.

En second lieu, les Romains dont le pays confinoit à celui que tenoit Syagrius, ne prirent point du tout l’allarme sur la nouvelle de la marche de Clovis, lorsqu’il se mit en mouvement pour aller attaquer son ennemi. Ils garderent la neutralité, sans vouloir prendre plus de part à cette guerre qu’en prendroit un Etat de l’empire d’Allemagne à celle qu’un autre Etat son voisin feroit de son propre mouvement contre un souverain étranger. C’est ce qui paroît manifestement par les circonstances de la marche de Clovis qui vont être rapportées.

Comme Ragnacaire qui secouroit Clovis dans la guerre contre Syagrius, étoit roi du Cambresis, nos deux princes auront joint leurs forces dans ce pays-là, et prenant le chemin du Soissonnois où Syagrius rassembloit son armée, ils auront effleuré le territoire de Laon, qui pour lors faisoit encore une portion du territoire de la cité de Reims. Ce ne fut que plusieurs années après l’évenement dont il s’agit ici, que saint Remy démembra la cité ou le diocèse de Reims, pour en annexer une partie au siége épiscopal qui fut alors érigé à Laon, et que Laon devint ainsi la capitale d’une cité particuliere. Clovis fit de son mieux pour épargner au plat pays de la cité de Reims, qu’on voit bien qu’il regardoit comme un pays ami, tous les désordres qu’une armée comme la sienne ne pouvoit gueres manquer de commettre. Il évita par ce motif de le traverser ; mais il ne lui fut pas possible de ne point effleurer du moins ce pays-là. D’un autre côté, le sénat de Reims prit si peu d’allarme à la nouvelle de l’approche de cette armée, qu’il ne daigna point faire prendre les armes à ses milices, pour leur faire cotoyer la marche des Francs, et cette sécurité fut même la principale cause qu’il s’y fit quelque pillage. » Clovis, dit Hincmar, en parlant de cette expédition, ne voulut point que son armée prît passage à travers la Citéde Reims, dans la crainte qu’elle n’y commît bien des desordres. Il la fit donc marcher le long du territoire de cette Cité, en lui faisant suivre la chaussée qu’on appelle encore aujourd’hui à cause de cela, le chemin des Barbares. Il arriva néanmoins sans que ce Prince en sçût rien, & même contre son intention, que des Maraudeurs qui se débanderent pour aller à la picorée, coururent le plat pays de la Cité de Reims, où ils pillerent plusieurs Eglises, parce qu’ils n’y rencontrerent point de gens de guerre qui leur fissent tête. » Le vase d’argent qui donna lieu à un incident des plus mémorables de la vie de Clovis, et dont nous parlerons dans la suite, fut pris en cette occasion.

Flodoard qui a écrit dans le dixiéme siecle l’histoire de l’église de Reims, semble dire que l’armée des Francs passa le long des murs de la ville de Reims. C’est ce qui a fait penser à quelques-uns de nos écrivains, que Clovis avoit traversé comme un pays ennemi, toute la cité de Reims, (nous prenons ici le mot de cité dans le sens où nous avons déclaré dès le commencement de cet ouvrage, que nous le prenions) et que ç’avoit été dans la ville de Reims uniquement, et non point dans le plat-pays de son district, qu’il avoit voulu que ses troupes ne missent pas le pied. Il s’ensuivroit, en adhérant à cette interprétation du texte de Flodoard, que les maraudeurs qui enleverent le vase d’argent dont nous parlerons bientôt, l’auroient pris dans une église de la ville de Reims, et non point dans une église de son plat-pays. A entendre le texte de cet historien à la rigueur, cet écrivain auroit même voulu dire que le vase en question eût été pris dans l’église de Reims absolument dite, dans la cathédrale. Le commentateur de Flodoard prétend que ce fut si bien le long des murs de Reims que passa l’armée de Clovis, qu’il veut que le chemin des Barbares dont il est parlé dans Hincmar, soit la ruë Barbastre [4]. C’est le nom que porte une des ruës de Reims, mais qui est dans le quartier de cette ville, qui n’a été renfermé dans l’enceinte de ses murailles, que long-tems après le regne de Clovis.

Pour plusieurs raisons, l’autorité de Flodoard ne sçauroit balancer ici celle d’Hincmar, qui dit que ce fut le long du territoire de Reims, et non pas le long des murs de la ville de Reims, que Clovis fit marcher son armée ; mais il est aisé de concilier ces deux écrivains, en supposant que Flodoard auroit écrit urbs pour civitas, ou la ville pour la cité. Cette supposition est appuyée de deux raisons, dont une seule suffiroit pour l’autoriser.

En premier lieu, dès le tems de Gregoire De Tours, on disoit déja quelquefois la ville, au lieu de dire la cité, en comprenant sous le nom de ville, tout ce qui se comprenoit ordinairement sous le nom de cité ; c’est-à-dire, la ville capitale de la cité et son territoire : on disoit une partie pour le tout. Comme je ne sçaurois ici renvoyer mon lecteur au glossaire latin de M. Du Cange, qui ne parle point ni sur l’un ni sur l’autre de l’acception abusive du mot d’Urbs, en usage dès le sixiéme siecle, il faut prouver au moins par deux ou trois passages ce que je viens d’avancer.

Gregoire de Tours parlant de Chinon à l’occasion du couvent que saint Meisme y avoit bâti, appelle Chinon, un château de la ville de Tours. On ne sçauroit dire que notre historien ait mal connu les lieux dont il parle ici, lui qui étoit évêque de Tours. Dans un autre endroit Gregoire De Tours dit que Couloumelle ou Coulmiers est un lieu de la ville d’Orleans. Ce même historien, lorsqu’il raconte la bataille donnée à Véseronce l’année cinq cens vingt-quatre entre les Francs et les Bourguignons, nomme Véseronce, un lieu de la ville de Vienne.

Quand notre historien parle du tombeau de saint Baudile qui avoit été inhumé auprès des murs de la ville de Nismes, et dans le lieu même où l’on bâtit dans la suite une église en l’honneur de ce martir, il appelle constamment Urbs, la cité ou le district de Nismes. Est apud Nemausensis urbis oppidum, Bandilii Beati Martyris gloriosum sepulchrum[5].

D’ailleurs est-il à croire, et c’est ma seconde raison, que le sénat de Reims n’eût pas fait monter la garde aux portes de la ville, si l’armée des Francs avoit coulé le long de ses murailles. Cette armée auroit-elle passé à la vûë de Reims, sans que les remparts et les toits des bâtimens élevés fussent couverts de curieux. Supposons que quelques pillards eussent trouvé moyen de se glisser dans la ville, sous un prétexte ou sous un autre, auroient-ils pû commettre les désordres qu’ils commirent dans plusieurs églises, au rapport des historiens, sans que les habitans, qui auroient été actuellement attroupés, s’y fussent opposés.

Ainsi je crois que ce fut le long de la cité, et non pas le long de la ville de Reims que passa Clovis, lorsqu’il alloit donner bataille à Syagrius, et que le chemin militaire que ce prince suivit, et à qui le nom de Chaussée des Barbares en étoit demeuré, n’est point la ruë Barbastre, mais bien quelque chaussée de l’extrémité de l’ancien territoire de Reims du côté de la cité de Noyon. Le nom que portoit cette chaussée du tems d’Hincmar aura été oublié, lorsqu’il lui sera arrivé, comme à tant d’autres voyes militaires, d’être détruite ? D’où peut donc venir le nom de la ruë Barbastre ? Je n’en sçais rien. J’ajoûterai même que les personnes qui ont eu la curiosité d’étudier l’analogie qui se trouve entre les mots de notre langue Françoise tirés du latin, et les mots latins dont ces mots françois sont dérivés, observent que la prononciation des mots dérivés est plus douce que celle des mots dont ils dérivent. La formation des mots françois s’est faite presque toujours en supprimant une partie des consonnes qui sont dans les mots latins, comme en y changeant ou inserant des voyelles qui rendent moins âpre la prononciation des consonnes demeurées. C’est ainsi, par exemple, que de magister, on a fait maître. Cependant il faudroit que pour faire barbastre de barbaricus, on eût mis à la place d’un c seul, trois autres consonnes, entre lesquelles encore on n’auroit inseré aucune voyelle. Voilà ce que ne sçauroient croire des personnes entenduës en fait d’étimologie, et que j’ai consultées.

Les autres circonstances de la guerre de Clovis contre Syagrius qui se lisent dans Gregoire de Tours, portent encore à penser qu’elle fut seulement la suite d’un démêlé particulier entre le roi des Francs et l’officier Romain, et que ces deux seigneurs qui se connoissoient depuis long-tems, ne terminerent leur differend par la voye des armes, que parce qu’il n’y avoit point alors dans les Gaules une personne assez autorisée pour les empêcher d’en venir jusques-là. « Clovis, dit cet historien, ayant été joint par Ragnacaire, qui étoit aussi-bien que lui un des rois des Francs, il marcha contre Syagrius, et il envoya lui demander journée  ». Qu’on me pardonne cette expression, qui est celle dont se servent communément les auteurs du quatorziéme siecle, pour dire qu’un parti avoit défié l’autre, et qu’il lui avoit fait sçavoir par ses héraults, qu’un tel jour il se trouveroit en un tel lieu, pour y livrer bataille. Cette expression rend avec justesse celle dont se sert Gregoire de Tours, qui traduite à la lettre, signifie que Clovis envoya dire à Syagrius, qu’il eût à préparer un champ où ils pussent combattre l’un contre l’autre. » Ce Romain, ajoûte notre Historien, accepta le défi, & il se rendit promptement sur le lieu où Clovis devoit venir l’attaquer. La bataille se donna. Syagrius voyant ses troupes rompues, se sauva, & après avoir pris la poste, il ne s’arrêta plus qu’il ne fût arrivé à Toulouse, où Alaric Roi des Visigots faisoit son séjour ordinaire. » Les expressions dont Gregoire de Tours se sert ici, signifient que Syagrius fit une course très-prompte pour se rendre à Toulouse, et nous verrons dans la suite de cet ouvrage, qu’il y avoit encore alors dans les Gaules une poste reglée, et servie suivant l’usage des Romains. Nous verrons même qu’elle y subsistoit encore sous le regne des petits-fils de Clovis.

Le lecteur fera de lui-même une observation sur ce qui vient d’être rapporté. C’est que Syagrius s’il eût commandé en chef dans toute la partie des Gaules, qui n’étoit pas encore occupée par les barbares, comme on le suppose ordinairement, n’auroit point été jusqu’à Toulouse pour trouver un azile. Si toute la partie des Gaules, qui étoit encore libre, lui eût obéï, au lieu de s’enfuir si loin après avoir perdu la bataille qu’il donna dans le Soissonnois, il se seroit retiré derriere la Seine, où il auroit pû avec le secours des Armoriques rassembler une nouvelle armée. Syagrius du moins se seroit jetté dans Orleans, dans Bourges, ou dans quelqu’une des places d’armes que les Romains avoient sur la Loire, et près desquelles la plûpart des troupes reglées qui leur restoient dans les Gaules, avoient leurs quartiers, comme nous le verrons bien-tôt. Ainsi puisque Syagrius se sauva d’abord à Toulouse, et qu’il ne sçut faire mieux que de se mettre au pouvoir d’un roi barbare au peril d’être bientôt livré à Clovis : on en peut conclure qu’il n’étoit le maître que dans son petit Etat, et que non-seulement, comme il a été dit ci-dessus, il ne commandoit point en chef dans la partie des Gaules qui étoit encore libre, mais qu’il n’étoit point même aussi accrédité que le roi des Francs dans les provinces obéïssantes et dans les provinces confédérées.

Dès que Clovis eût été informé du lieu où s’étoit réfugié Syagrius, il le fit demander par ses envoyés, qui menacerent Alaric des armes des Francs, s’il ne leur remettoit pas entre les mains l’ennemi de leur maître. Le roi des Visigots, nation qui suivant Gregoire de Tours étoit très-susceptible de crainte, appréhenda d’irriter contre lui les Francs, s’il s’obstinoit à proteger ce Romain infortuné, et il le livra aux ministres de Clovis. Dès que ce prince eut Syagrius en son pouvoir, il le fit garder étroitement jusqu’à ce qu’il se fût rendu maître des Etats du prisonnier, qu’il fit ensuite décapiter aussi secretement qu’il fut possible. La précaution même que prit Clovis de faire faire cette exécution en secret, est une nouvelle preuve des ménagemens qu’il avoit pour les Romains, et qu’alors il n’étoit rien moins que l’ennemi déclaré de leur nation.

Mais, dira-t’on, si Clovis ne conquit rien alors que le royaume de Syagrius, qui du côté du midi ne s’étendoit que jusqu’à la cité de Langres tenuë par les Bourguignons ; pourquoi Alaric eut-il tant de peur des armes de ce prince. Il y avoit encore bien loin des frontieres des Etats de Clovis, à celles des Etats du roi Visigot. Elles étoient séparées par les contrées qu’occupoient les Bourguignons, ou par celles des cités de la Gaule où les Romains étoient encore les maîtres. C’est qu’apparemment Clovis étoit allié pour lors de Gondebaud, qui peut-être faisoit actuellement cette guerre, dans le cours de laquelle il enleva la province de Marseille aux Visigots, et que ce roi des Francs avoit comme maître de la milice, une grande autorité dans les provinces obéissantes de la Gaule, et beaucoup de crédit dans les provinces conféderées.


LIVRE 4 CHAPITRE 2

CHAPITRE II.

Clovis tue de sa main un Franc, qui vouloit l’empêcher de rendre un vase d’argent réclamé par Saint Remy. Ce qu’on pût dire dans les Gaules concernant l’expédition de Clovis. Des Monnoyes d’or frappées par les ordres de ce Prince. Il fait la conquête de la Cité de Tongres.


Avant que de continuer l’Histoire des conquêtes de Clovis, voyons comment Grégoire de Tours raconte l’avanture celébre du Franc, qui avoit pris un vase d’argent dans une église, durant la marche que ce prince avoit faite le long du plat pays du district de Reims. Notre historien ne dit point, il est vrai, que ce vase eût été pris dans une église du diocèse de Reims, ni qu’il eût été pris avant la bataille de Soissons ; mais Hincmar dit positivement dans la vie de saint Remy, que ç’avoit été dans ce diocèse que le vase en question avoit été volé, et l’Abréviateur dit à ce sujet la même chose qu’Hincmar. Quant au tems où cet incident arriva, il paroît en lisant avec attention le texte de Grégoire de Tours, que ce fut avant la bataille de Soissons. Premierement, Clovis dit à ceux qui étoient chargés de le réclamer : Suivez-moi jusques à Soissons. En second lieu, Grégoire De Tours porte à le croire. Après avoir raconté le principal évenement, il revient sur ses pas suivant l’usage, pour parler de quelques incidens dont le récit auroit interrompu sa narration, et il dit : Durant le cours de cette guerre il se commit plusieurs désordres.

Saint Remy, qui, comme on l’a vû, étoit depuis long-tems en relation avec Clovis, lui envoya des députés pour le supplier de faire rendre le vase dont il s’agit. Il étoit d’un grand poids, et d’une grande beauté. Le roi des Francs après avoir entendu la commission de ces députés, leur dit de le suivre jusqu’à Soissons, où l’on feroit une masse de tout le butin qui seroit gagné, afin de le partager ensuite, et que là il se feroit donner le vase qu’ils réclamoient pour le leur rendre. Quand l’armée fut à Soissons, et quand on eut mis ensemble tout le butin, le roi dit à ses Francs, en leur montrant le vase dont il s’agissoit : braves soldats, trouvez bon qu’avant que de rien partager, je retire ce buire d’argent de la masse, afin d’en disposer à mon plaisir. Tous les gens sages répondirent à ce discours. » Grand Prince, vous êtes le maître de tout ce qui se voit ici, & même de nous ? Ne sommes-nous pas vos sujets ? Usez-en donc à votre bon plaisir, car personne n’est en droit de s’opposer à vos volontés : Cependant un Franc envieux, fantasque & d’humeur malfaisante, donna un grand coup de sa hache d’armes sur ce vase, en criant : Prince, vous n’avez rien à prétendre ici que ce qui vous échoira par le sort. L’assistance fut très-surprise, & le Roi même fut saisi de colere ; néanmoins dissimulant son émotion, il remit sa vengeance à un autre tems, & il se contenta pour l’heure qu’il ne fût plus parlé de tirer au sort, & qu’on lui permît de faire emporter le buire, qu’il rendit aux députés de saint Denis. » Si j’insére son nom dans la narration de Grégoire de Tours, quoiqu’elle ne le dise point, c’est pour la rendre plus claire, et je ne prête à cet historien que ce que j’emprunte d’Hincmar et de l’Abréviateur.

L’année suivante, Clovis ordonna que tous ses Francs eussent à se rendre armés de toutes leurs armes au champ de mars, afin qu’il pût examiner en faisant sa revûe, en quel état chacun d’eux tenoit les siennes. En allant de rang en rang, il se rencontra vis-à-vis l’insolent qui avoit donné un coup de sa francisque sur le vase réclamé par saint Remy, et il lui dit : personne n’a ses armes aussi mal tenues que le sont les vôtres. Votre javelot, votre épée, et votre hache d’armes ne sont point en état de servir ; et prenant cette hache, il la jetta par terre. Le Franc s’étant baissé pour ramasser sa hache d’armes, Clovis d’un coup de la sienne lui fendit la tête, en disant : je te rends le coup de francisque que tu donnas l’année derniere à Soissons sur le vase que je demandois. Clovis dès qu’il eut donné ce terrible exemple, congédia ses troupes. Quelle terreur ne devoit point inspirer aux mutins et aux factieux un roi de vingt ans, qui au sortir de sa premiere victoire avoit eu la force de commander à son ressentiment, et d’attendre afin de le satisfaire à propos, une occasion où il pût se venger non point en particulier, qui se livre aux mouvemens impétueux d’une passion subite, mais en souverain qui se fait justice d’un sujet insolent ? Nous avons déja observé, et nous aurons occasion de l’observer encore, que le gouvernement n’étoit pas le même dans toutes les tribus qui composoient la nation Germanique. Non-seulement il y avoit des tribus qui se gouvernoient en république, quand d’autres étoient gouvernées par un roi ; mais tous ces rois n’avoient point la même autorité dans leur Etat. Les uns étoient encore plus absolus dans leur royaume, tandis que les autres n’étoient dans le leur que simples chefs de la societé. Quel que fût originairement le pouvoir de Clovis sur la tribu dont il étoit roi, plusieurs actions pareilles à celle que nous venons de raconter, et trente années de prosperité, ont dû le rendre un souverain despotique. Son mérite personnel et ses succès lui auront donné le pouvoir que la loi ne lui donnoit point. Ainsi son crédit auprès de ses sujets sera devenu une autorité absolue qu’il aura transmise à ses enfans.

Quelle idée les Romains des Gaules n’auront-ils pas aussi conçue des grandes qualités du jeune roi des Saliens, en apprenant cet évenement où il fit voir si sensiblement qu’il avoit autant de justice que de courage, et autant de fermeté que de prudence ? Ne l’auront-ils pas destiné dès-lors à être un jour leur appui contre les ariens ? N’auront-ils pas songé dès-lors aux moyens qu’ils pourroient prendre, pour lui faire embrasser la religion catholique ?

S’il y a un fait constant dans notre histoire, c’est que Clovis nonobstant l’opposition du Franc qu’il châtia dans la suite, ne laissa pas de rendre sur le champ aux députés de saint Remy le vase d’argent qu’ils reclamoient. Grégoire de Tours, l’Abbréviateur, l’auteur des Gestes des Francs, Hincmar et Aimoin même le disent en termes précis. Nous avons rapporté les passages de ces écrivains. Cependant un auteur moderne, qui pour défendre le systême de l’ancien gouvernement de notre monarchie, qu’il avoit entrepris de soutenir, voit ou veut voir souvent dans tous les monumens litteraires de nos antiquités, le contraire de ce qu’on y a vû toujours, et de ce qui s’y trouve réellement, n’a pas laissé de raconter l’avanture dont il s’agit, dans les termes qu’on va lire[6]. » Je voudrois pouvoir me dispenser de rappeller ici l’Histoire si connue du vase de Soissons qu’un Franc refusa à Clovis au dessus de sa portion du butin, parce qu’il le vouloit rendre à l’Evêque qu’il destinoit d’engager dans les interêts de sa Nation. Car si d’un côté on y trouve un exemple de l’ancienne liberté des François, & de l’étendue de leurs droits, puisque l’opposition d’un seul mettroit obstacle à la volonté du Roi, on y trouve aussi-tôt après, celui d’une entreprise contre ce droit & cette liberté, ou plûtôt l’usage d’un faux prétexte, pour perdre un homme non coupable, mais odieux. Et plût au ciel que de tels exemples fussent oubliés pour jamais, ou que le principe qui les fournit fût effacé du cœur des Princes. On voit toutefois dans cet exemple les deux fonctions bien distinguées. Comme Roi, comme Chef de la Justice, Clovis acquiesce à un droit certain en laissant ce vase au soldat, parce que le partage étoit égal, qu’il étoit tombé dans son lot, & qu’il en avoit acquis la propriété absolue ; mais il demeure offensé contre celui qui use de son droit. » L’auteur ajoute à ce passage, où la vérité est bien alterée, un long raisonnement qui ne mérite point d’être transcrit, et dans lequel il suppose toujours que Clovis n’ait osé rendre à saint Remy le vase qu’il réclamoit. Une prévarication si hardie surprend, mais je me contenterai d’avertir le lecteur, que le livre où elle se trouve, est rempli de pareilles fautes.

Que dirent les romains des Gaules sur la hardiesse qu’avoit eue Clovis de s’emparer des états de Syagrius après l’avoir vaincu ? Comment prirent-ils cette nouvelle occupation d’une portion du territoire de l’empire faite par le roi des Saliens ? Je crois qu’il arriva pour lors, ce qui arrive ordinairement en de pareilles conjonctures. Les amis de Clovis, ceux qui souhaittoient qu’il s’aggrandît, auront justifié sa conduite. D’autres l’auront condamné, parce que le caractere de ce prince leur étoit suspect, et qu’ils craignoient de voir un roi payen trop puissant dans les Gaules. Les Visigots et les Bourguignons auront trouvé que le procédé de Clovis étoit injuste, et l’on croit bien que les Romains sujets de ces barbares en auront parlé comme leurs hôtes, du moins lorsqu’ils s’expliquoient publiquement. Voilà peut-être pourquoi l’invasion des Etats de Syagrius qui fut la premiere acquisition de Clovis, celle par laquelle il commença d’aggrandir le royaume que son pere lui avoit laissé, se trouve censurée dans la vie du bienheureux Jean, fondateur de l’abbaye du Monstiers S. Jean, ou de S. Jean de Réomay dans le diocèse de Langres. Le bienheureux Jean étoit contemporain de Clovis, qui comme nous aurons l’occasion de le dire dans la suite, fit même beaucoup de bien en considération de ce saint personnage au monastere dont nous venons de parler. Nous avons une vie de ce saint, qu’on doit regarder comme l’ouvrage d’un de ses contemporains, quoiqu’elle n’ait été rédigée que vers l’année six cens soixante, et par conséquent environ cent cinquante ans après la mort de Clovis. On en voit la raison en lisant un avertissement qui se trouve à la tête de cette vie dans le manuscrit même qui s’en est conservé au Monstiers saint Jean, et sur lequel le pere Rouyer l’a publiée. » Jonas disciple de saint Colomban ayant été envoyé à Châlons sur Saone par le Roi Clotaire III., ou par sa mere sainte Bathilde ; ce sçavant homme se reposa quelques jours au Monstiers Saint Jean, & à l’instance de Hunna Abbé de cette Maison, il y écrivit la vie du bienheureux Jean, sur le témoignage des disciples du Confesseur de Jesus-Christ ; ou sur celui de ceux qui avoient vû ses disciples. » Une partie de ces témoignages devoit être des témoignages par écrit, et il se peut bien faire aussi que les mémoires où ils se trouvoient eussent été rédigés avant la conquête du royaume des Bourguignons par les enfans de Clovis. Jonas qui composa à la hâte sa vie du confesseur Jean, ne se sera point apperçû qu’il lui auroit convenu de supprimer quelque chose dans les mémoires sur lesquels il écrivoit, attendu le tems où il avoit la plume à la main.

On trouve cette vie de Jonas à la tête de l’histoire de l’abbaye de saint Jean de Réomay, composée en latin par le Pere Rouyer jesuite, et publiée en mil six cens trente-sept. C’est ainsi du moins que je crois devoir traduire le nom latin de Roverius que l’auteur a pris à la tête de cet ouvrage et de plusieurs autres. Il est vrai que le pere Daniel dans la préface historique de son Histoire de France[7] l’appelle le pere Rovére ; mais le pere Ménestrier le nomme le pere Rouyer, et c’est le pere Ménestrier qui doit l’avoir le mieux connu. Or il est dit dans cette vie de saint Jean de Réomay[8]. » Ce fut aussi du vivant du Saint, que les Francs dont Clovis étoit Roi, commencerent, au mépris de l’Empire, à envahîr les Gaules, & que les armes à la main ils franchirent les bornes & les limites du territoire que les Romains y tenoient encore. »

Dès que Clovis se fut rendu maître des Etats de Syagrius, il transfera le siege de sa monarchie à Soissons, où il étoit bien plus à portée d’entretenir les liaisons qu’il avoit avec ceux des Romains de ses amis, qui demeuroient dans les provinces des Gaules occupées par les Visigots et par les Bourguignons, que s’il eût continué de faire son séjour à Tournay. Hincmar le dit dans la vie de saint Remy, et Flodoard dont le témoignage doit être ici de poids, quoiqu’il n’ait écrit que dans le dixiéme siecle, confirme la même chose dans son histoire de l’église de Reims.

En effet ce fut à l’occasion du séjour ordinaire que Clovis faisoit à Soissons, qu’il donna un domaine considérable à l’église de Reims, afin que l’évêque de Reims eût un domicile convenable à portée de la cour. » Avant Saint Remy, dit Hincmar, l’Eglise de Reims ne possedoir qu’une petite Métairie auprès de Soissons ; mais Clovis pour avoir plus souvent Saint Remy auprès de lui, donna à cette Eglise entr’autres biens, les mécairies de Juliacus & Codiciacus qu’elle possede encore aujourd’hui paisiblement. »

Comme Clovis avoit dès-lors de grands projets, quoiqu’il n’eût encore que des forces médiocres, on peut croire qu’il se sera conduit dans les Etats conquis sur Syagrius, d’une maniere qui pût lui faciliter de nouvelles acquisitions. Il s’y sera bien rendu maître du gouvernement, mais il aura usé du pouvoir civil et du pouvoir militaire en allié, qui ne s’en étoit saisi, que pour rétablir l’ordre dans toutes ces contrées, et pour y mettre le peuple en pleine liberté d’obéïr à l’empereur que Rome choisiroit dès que cette capitale de l’empire d’Occident seroit délivrée du joug que le tyran Odoacer lui avoit imposé par force. Tel aura été le langage de Clovis, quelqu’ait été son véritable projet.

Il ne faut donc pas être surpris que ce prince n’ait pas fait mettre son nom sur les monnoyes d’or qu’on croit qu’il fit frapper à Soissons dans le tems que cette ville étoit la capitale du royaume des Saliens. Clovis aura voulu en cela se conformer à l’usage, suivant lequel les rois barbares établis sur le territoire de l’empire ne faisoient point battre d’especes d’or à leur coin, c’est-à-dire, avec une légende contenante leur nom, et leur titre.

Nous verrons dans la suite que les successeurs de Clovis ne firent fabriquer à leur coin des especes de ce métail, qu’après que Justinien leur eût cédé la pleine et entiere souveraineté des Gaules. Voici ce qu’on trouve dans le traité historique des monnoyes de France, composé par Monsieur Le Blanc, concernant trois pieces de monnoye d’or qu’on croit avoir été frappées par les ordres de Clovis I. Il est vrai qu’on n’y voit point la tête, et qu’on n’y lit point le nom de ce prince ; mais en premier lieu, on les reconnoît à leur fabrique pour avoir été faites dans le cinquiéme ou dans le sixiéme siecle. En second lieu, on n’y lit point le nom, et l’on n’y reconnoît pas la tête d’aucun des empereurs Romains qui ont regné dans ces tems-là. Enfin on voit par le mot Soecionis, qui se lit sur deux de ces monnoyes, qu’elles ont été frappées à Soissons dont Clovis se rendit maître en quatre cens quatre-vingt-six, et comme on lit sur la troisiéme, Bettone monetario, et que d’un autre côté le nom de ce monetaire se trouve aussi sur les deux monnoyes dont il vient d’être parlé ; il est vraisemblable que notre troisiéme piece d’or, qui d’ailleurs est encore de même fabrique que les autres, a été frappée par l’ordre du même souverain qui avoit fait battre celles-là.

« On croit qu’on peut donner avec quelque probabilité les trois monnoyes d’or suivantes au grand Clovis, quoiqu’elles ne portent pas son nom. » Notre Auteur donne ensuite l’estampe de ces trois pieces d’or, après quoi il ajoûte : L’inscription qui est à côté de la tête de la premiere & de la troisiéme, marque qu’elles ont été fabriquées à Soissons. Clovis, suivant Flodoard, avoit choisi au commencement de son regne cette Ville pour sa demeure. Sur le revers de la premiere de ces monnoyes, qui est un tiers de sol d’or, paroît un homme qui tient de la main gauche une hache, & autour cette légende, Batto, qui est le nom du Monetaire. Personne n’ignore l’histoire du soldat que Clovis tua d’un coup de hache. Quoiqu’il en soit, il est certain suivant l’Auteur des Gestes des Francs, & suivant Aimoin, que Clovis portoit ordinairement une hache d’armes pour sceptre, & qu’on la nommoit alors Francisca. Si l’opinion de Bouterouë est vraie, on pourroit aussi assurer que les deux autres monnoyes ont été frappées sous le regne de Clovis, à cause que le nom du Monetaire qui est sur l’une & sur l’autre, est le même nom qui est sur la premiere. La couronne en pointe ou radiale dont la tête du Roi est couverte, est semblable à celle des Empereurs Romains. »

Je crois volontiers que toutes ces monnoyes ont bien été frappées à Soissons dans le tems que Clovis y résidoit ; mais non pas que la tête qu’elles portent, soit celle de ce prince. Voici ma raison : cette tête est représentée avec des cheveux fort courts, et Clovis devoit les porter aussi longs que le sont ceux que porte son pere Childéric dans son anneau d’or qui est à la bibliotheque du roi. Ainsi je croirois plûtôt qu’elle auroit été faite pour représenter un empereur, soit Zénon, soit un autre. Retournons au livre de Monsieur Le Blanc.

» Il y a bien encore d’autres monnoyes d’or où se trouve le nom de Clovis écrit en quelqu’une des manieres dont on l’écrivoit sous la premiere ou sous la seconde Race de nos Rois, & que quelques personnes ont cru pouvoir attribuer au grand Clovis. Il nous reste trois tiers de sol d’or qui portent le nom de Clovis ; mais comme il y a eu dans la premiere Race trois Rois de ce nom, il est bien difficile de sçavoir à qui les deux monnoyes suivantes appartiennent. Pour le troisiéme tiers de sol d’or, il est incontestablement de Clovis II. comme je le ferai voir dans la suite. »

Dès qu’il n’y a point de raison convainquante pour attribuer ces trois tiers de sols d’or, les trois dernieres médailles dont il vient d’être parlé à Clovis I on ne doit point les lui attribuer, parce que ce seroit donner le démenti à Procope, qui dit positivement que les rois des Francs ne firent fabriquer des especes d’or avec leur nom, et leur tête, qu’après qu’ils furent devenus pleinement souverains des Gaules par la cession que Justinien leur fit de tous les droits de l’empire sur cette grande province. Je conclus donc de tout ce qui vient d’être exposé, que Clovis aura fait fabriquer les seules especes d’or qui ayent été frappées suivant l’apparence par ses ordres, et qui sont celles qui furent battuës à Soissons, et les premieres dont il a été parlé, en se conformant aux usages de l’empire dont il se montroit par ce procedé, l’ami fidele et l’officier respectueux.

Reprenons le fil de l’histoire de ce prince, que nous avons laissé dans les états de Syagrius, dont il s’étoit rendu maître en quatre cens quatre-vingt-six. Gregoire de Tours renferme en quatre paroles tout ce qu’il juge à propos de dire concernant ce que fit Clovis depuis cette année-là, jusqu’à son mariage avec Clotilde qu’il épousa vers quatre cens quatre-vingt-treize. » Après la défaite de Syagrius, dit notre Historien, Clovis eut de grands succès, & il fit plusieurs autres guerres, du nombre desquelles fut la guerre qu’il déclara la dixiéme année de son regne[9] aux Turingiens qu’il subjugua dès-lors, & qu’il mit au nombre de ses Sujets. »

Une narration si breve ne sçauroit être regardée que comme un titre de chapitre. Elle est de même nature que les récits succints et tronqués qui, comme on l’a vû, composent les deux chapitres du second livre de l’histoire de notre auteur, lesquels renferment la vie de Childéric. Mais Gregoire de Tours a prétendu seulement rappeller dans la narration succinte dont il est ici question, le souvenir de tout ce que Clovis avoit fait depuis son avenement au thrône jusques à son mariage avec sainte Clotilde.

Les sieges, en un mot, tous les exploits que Clovis avoit faits durant les cinq ou six années écoulées depuis quatre cens quatre-vingt-six et quatre cens quatre-vingt-treize avoient été décrits par des auteurs dont nous n’avons plus les ouvrages ? Quelle lacune leur perte ne laisse-t’elle pas dans nos annales. Tâchons cependant de suppléer en quelque sorte, à la brieveté de Gregoire de Tours en ramassant dans les autres écrivains de quoi éclaircir le peu qu’il dit. Dans la suite nous tenterons de trouver dans ces mêmes auteurs quelque lumiere concernant les évenemens, dont il ne fait aucune mention.

Je me contenterai donc ici de remarquer qu’aucune acquisition n’étoit pour lors autant à la bienséance de Clovis, que celle de la Turingie Gauloise, ou de la cité de Tongres. Nous avons déja montré, et ce que nous allons rapporter, en sera une nouvelle preuve, que Procope[10] et Gregoire de Tours avoient donné le nom de Turingie à la cité de Tongres, et nous avons même rendu compte des raisons qui pouvoient les avoir engagés à en user ainsi. Or l’acquisition de la cité de Tongres dont le territoire a confiné avec le territoire ou le diocèse de Tournay jusques dans le seiziéme siecle que se fit l’érection du siége archiépiscopal de Malines, et celle de plusieurs autres évéchés des Pays-Bas, arondissoit les Etats de Clovis, et lui ouvroit une communication de plein-pied avec les Ripuaires établis entre le bas-Rhin et la basse-Meuse, et qui avoient pour roi Sigebert son allié. Sur qui Clovis fit-il la conquête de la cité de Tongres ? Fut-ce en obligeant le sénat de Tongres, qui s’étoit maintenu dans l’indépendance depuis que l’anarchie avoit lieu dans les Gaules, à se soumettre à lui ? Fut-ce en conquérant ce pays-là sur quelqu’essain de Francs qui s’y étoit cantonné précedemment ? Y fut-il appellé par les Francs, qui depuis long-tems y avoient des quartiers, et qui jusqu’à l’anarchie avoient été sujets de l’empire ? Les monumens qui nous restent, ne nous l’apprennent pas.

J’observerai en second lieu que le peu que Grégoire de Tours nous dit concernant cette conquête de Clovis, ne laisse point d’être une nouvelle preuve que cet auteur et Procope ont parlé quelquefois du pays de Tongres sous le nom de Turinge. En effet on ne sçauroit entendre des Turingiens d’au-delà du Rhin, ce que dit Gregoire de Tours des Turingiens qui furent soumis par Clovis la dixiéme année de son regne ; c’est-à-dire, en quatre cens quatre-vingt-dix. La raison veut qu’on l’entende des habitans anciens ou nouveaux de la cité de Tongres.

Premierement, il est hors d’apparence que Clovis dans un tems où il ne tenoit encore aucun poste sur la gauche du Rhin depuis Strasbourg jusqu’à Cologne, puisque ces contrées, comme on le verra, étoient alors sous la domination des Allemands et des Ripuaires, ait été conquérir le pays des Turingiens Germaniques, établis assez loin de la rive droite de ce fleuve. Les circonstances de la mort de Sigebert roi des Ripuaires feront foi, que Sigebert tenoit les contrées de la Germanie, qui sont vis-à-vis celles qu’il possedoit dans les Gaules, et qui n’en sont séparées que par le cours du Rhin. Comment Clovis auroit-il pû garder cette Turinge Germanique, quand même il l’eût conquise, puisqu’il n’auroit pû communiquer avec elle, qu’en prenant continuellement passage sur le territoire d’autrui. Secondement, les Turingiens dont parle Gregoire de Tours dans le passage que nous avons rapporté, furent soumis par Clovis, ils devinrent ses sujets dès la dixiéme année de son regne. Suo dominio subjugavit, dit cet historien. On ne sçauroit douter de la signification qu’il donne à ces paroles, puisque pour faire dire aux Francs Saliens dans les termes les plus forts qu’ils étoient sujets de Clovis, il leur fait dire[11] : Tuo sumus dominio subjugati ; nous sommes sous le joug de votre domination. Or cela ne sçauroit être entendu des Turingiens de la Germanie, puisque nous verrons qu’ils n’obéïrent jamais à Clovis, qu’ils eurent toujours leurs rois particuliers, et même que leur royaume fut très-florissant jusqu’à la conquête qu’en firent les enfans de ce prince vers l’année cinq cens trente et un. Je conclus donc que c’est des Turingiens des Gaules ; que c’est des Tongriens qu’il faut entendre ce qu’a dit Gregoire de Tours dans le vingt-septiéme chapitre du second livre de son histoire : qu’ils furent domptés et assujettis par Clovis la dixiéme année du regne de ce prince.

Cet évenement n’est qu’un de ceux que Gregoire de Tours dit être arrivé entre la conquête des Etats de Syagrius et la conversion de Clovis. En effet l’historien après avoir fini son vingt-septiéme chapitre par les paroles que j’ai rapportées, commence le chapitre suivant par la négociation faite pour marier Clovis avec sainte Clotilde qui, comme on sçait, contribua plus que personne à la conversion du roi son époux. Ainsi lorsque Grégoire de Tours a dit dans son vingt-septiéme chapitre que Clovis avoit fait plusieurs guerres, et qu’il s’étoit rendu maître de plusieurs pays dont la cité de Tongres étoit un, et cela dans le tems qui s’étoit écoulé depuis quatre cens quatre-vingt-six jusqu’à sa conversion : cet écrivain a eu en vûë des évenemens arrivés avant l’année quatre cens quatre-vingt-seize que Clovis fut baptisé. Nous avons déja dit que nous tâcherions de trouver dans les autres auteurs quelques traces des évenemens dont il fait une si legere mention. Mais avant que de l’entreprendre et de continuer l’histoire de Clovis, où nous placerons suivant l’ordre chronologique, tout ce qu’il est possible de sçavoir concernant les évenemens dont Gregoire De Tours se contente de faire une mention si générale et si succinte, je crois qu’il est à propos de raconter ce qui se passa en Italie depuis l’année quatre cens quatre-vingt-neuf jusqu’en quatre cens quatre-vingt-treize. Le changement de scene qui pour lors arriva dans cette grande province, aura facilité à Clovis les progrès que nous lui verrons faire dans les Gaules en ces tems-là.


LIVRE 4 CHAPITRE 3

CHAPITRE III.

Theodoric roi des Ostrogots vient de l’aveu de Zenon empereur des Romains d’Orient, chasser d’Italie Odoacer, qu’il bat en plusieurs rencontres, & qu’il fait enfin mourir. Réflexions que cet évenement aura fait faire aux Romains des Gaules.


Nous avons laissé Odoacer et les troupes révoltées qu’il commandoit, les maîtres de l’Italie, qu’ils avoient comme subjuguée en quatre cens soixante et seize, et nous avons dit que Zénon après avoir refusé l’offre des Romains des Gaules qui vouloient se joindre à lui pour en chasser nos barbares, avoit fait quelqu’espece de convention avec cette armée séditieuse. Soit qu’Odoacer n’eût pas tenu ce qu’il avoit promis par cette convention, soit que Zénon eût honte depuis qu’il se voyoit raffermi sur le trône d’Orient du parti lâche qu’il avoit pris, il donna en quatre-- cens quatre-vingt-neuf à Théodoric l’importante commission d’aller mettre à la raison les troupes auxiliaires qui s’étoient cantonnées en Italie, et qui composoient l’armée d’Odoacer.

Théodoric un des rois des Gots, étoit de la maison des Amales, la plus illustre qui fût dans cette nation. S’il avoit beaucoup de valeur et d’expérience, il avoit encore plus d’ambition. Elevé parmi les Romains il avoit cultivé son esprit de bonne heure, et avec tant de fruit, qu’il étoit le moins barbare de tous les barbares dont parle l’histoire de son tems. S’il n’eût point été arien, on l’auroit cru un Romain travesti en Got. La tribu des Ostrogots, dont il étoit le chef, et suivant la maniere de parler du cinquiéme siécle, le roi se trouvoit, lorsqu’il commença de regner, engagée au service de l’empire d’Orient, qui lui avoit donné des quartiers permanens dans la Thrace. Théodoric qui se sentoit tous les talens nécessaires pour faire une grande fortune parmi les Romains, s’attacha donc à eux encore plus étroitement que les autres chefs des troupes auxiliaires, et il mérita que l’empereur Zénon l’adoptât pour son fils, et qu’il le fist consul ordinaire en l’année quatre cens quatre-vingt-quatre. C’étoit la plus grande dignité que Zénon lui pût conferer.

Théodoric toujours peu content de la fortune qu’il avoit faite, aspiroit sans cesse à une plus grande. Ce fut ce qui lui avoit fait tirer l’épée contre son bienfaiteur. La brouillerie aïant été terminée par un accommodement, il dit à l’empereur Zénon : pourquoi laisser gémir plus longtems sous la tyrannie d’Odoacer l’empire d’Occident, dont vos prédecesseurs ont pris toujours tant de soin, et qu’ils ont si souvent gouverné ? Pourquoi laisser la ville de Rome, cette capitale de l’univers, au pouvoir d’une troupe de brigands ? Envoyez-moi donc en Italie à la tête de ma nation ? Je ne vous demande pas de contribuer aux frais de l’entreprise qui ne laissera point de vous faire beaucoup d’honneur si elle réussit. Ne sera-t-il point en effet plus glorieux pour votre regne, qu’on dise si je suis assez favorisé du ciel pour vaincre, que vous m’avez donné à moi qui suis votre créature, et qui porte le nom de votre fils, l’administration de l’Italie, que si l’on continue à dire : Zénon a laissé gémir dans les fers d’un barbare qu’il connoissoit à peine, une partie de son empire et une partie de son senat. Tout l’avantage sera de votre côté dans l’expedition que je propose. Si je suis battu, vous n’y perdrez que quelques soldats que vous ne payerez plus. Si je réussis, ce sera de votre liberalité que je tiendrai tout ce que je possederai. Ma grandeur paroîtra votre ouvrage. Quoique Zénon eût beaucoup de répugnance à voir partir Théodoric, il ne voulut pas néanmoins, crainte de lui faire trop de peine, le retenir, et il lui accorda ce qu’il demandoit. Enfin, après lui avoir fait de grands presens, il lui permit de partir, et il lui recommanda dans leurs derniers adieux, le sénat et le peuple Romain du partage d’Occident.

Voilà le compte que rend Jornandès de la convention qui se fit entre l’empereur Zenon et Théodoric, lorsque ce roi entreprit de chasser Odoacer d’Italie. Procope nous expose cette convention sous une forme un peu differente.

» Dans ce tems-là les Ostrogors à qui l’Empereur avoit donné des quartiers dans la Thrace, se révolcérent, ayant à leur tête Théodoric qui étoit Patrice, & qui même avoit été Consul. Zénon sçut tirer un avantage de ce désordre, il proposa donc à Théodoric le parti d’aller à la tête de ses Gots chasser Odoacer d’Italie, & de se rendre ensuite le maître de l’Empire d’Occident. Zénon lui répresenta si bien qu’il étoit plus séant à un Personnage Consulaire de faire la guerre à un Tyran, & de se faire le Chef d’une portion du Peuple Romain, que de porter les armes contre l’Empereur que ce Roi prit le parti d’entreprendre l’expédition qu’on lui proposoit de faire en Italie. Plusieurs essains des Gots qui n’étoient pas sujets de Théodoric, se joignirent à lui. Leur départ fut une véritable transmigration, car ils emmenerent avec eux sur un grand nombre de chariots, leurs femmes, leurs enfans, & tous les meubles qu’ils purent emporter. »

Suivant la narration de Procope, c’est donc l’empereur Zenon, qui pour se débarasser de Théodoric, qui lui faisoit actuellement la guerre, propose à ce roi d’aller conquerir au prix de son sang l’empire d’Occident sur Odoacer qui en étoit actuellement le maître. Zenon ne donne aucun secours à Théodoric, et il lui transporte seulement les droits que l’empire pouvoit conserver sur des provinces déja perdues. Ainsi le roi des Ostrogots et ses successeurs n’avoient point tant de tort de prétendre, qu’ils dussent être en Italie des princes aussi souverains que l’avoient été Anthémius, et ceux de ses successeurs nommés et établis empereurs d’Occident par les empereurs d’Orient. C’est aussi ce que dirent dans la suite les Ostrogots, lorsque Justinien qui leur avoit déclaré la guerre en cinq cens trente-cinq, les vouloit traiter d’usurpateurs. Voici le discours que fit un d’entr’eux dans une des conférences qui se tinrent pour la terminer par un traité.

» Zenon voulant punir l’injure faite à son Collégue Augustule par Odoacer & délivrer l’Italie du joug de ce Tyran, & ne pouvant point en venir à bout autrement, il engagea le Roi Théodoric, qui étoit prêt de l’assiéger dans Constantinople, à traiter avec lui. Cet Empereur sçut faire si bien valoir l’amitié, qui avoit été auparavant entre lui & notre Roi, qu’il avoir dans les tems précedens, fait Patrice & même Consul, qu’il vint à bout de l’amener au point, non seulement de faire la paix, mais de se charger encore d’aller venger les outrages faits à l’infortuné Augustule, à condition néanmoins que les Ostrogots jouiroient des Provinces, dont ils auroient chassé Odoacer, comme d’un bien légitimement acquis. Voilà le pacte en vertu duquel nous nous sommes rendus les maîtres de l’Italie, où nos Princes ont maintenu & les Loix & l’ancienne forme de gouvernement, aussi-bien qu’aucun des Empereurs qui ont regné dans ces pays-là avant eux, les ayent maintenues. »

Durant le cours de la guerre de Justinien contre les Ostrogots, ils dirent encore, suivant Agathias, à l’un des rois Francs successeurs de Clovis, et qu’ils vouloient persuader au monde sur la justice de leur cause, afin d’obtenir plus aisément du secours : » Théodoric n’a point usurpé l’Italie ; il s’en est rendu maître par une conquête faite dans une guerre juste, & entreprise de l’aveu de Zenon, qui pour lors étoit seul Empereur des Romains. L’Italie étoit déja perdue pour eux, quand notre Roi l’a occupée. C’est sur Odoacer qu’elle a été conquise par Théodoric, qui en vertu du droit que la victoire donne, devint légitime Seigneur des Etats que possédoit l’ennemi qu’il défit, en plusieurs rencontres, & qu’enfin, il fit mourir. »

Les raisonnemens que Procope et qu’Agathias font faire aux Ostrogots sans les réfuter, portent à croire que veritablement Zénon, qui craignoit d’être assiegé dans Constantinople par Théodoric, avoit cedé à ce roi barbare pour s’en débarasser, l’empire d’Occident ; c’est-à-dire, le droit de le conquerir. Les souverains ne sont point aussi difficiles, lorsqu’il s’agit de la cession de pareils droits, que s’il étoit question de délaisser la plus petite des provinces dont ils sont en pleine possession. Mais dès que Théodoric eût fait valoir les droits qu’on lui avoit transportés, dès qu’il eût conquis l’Italie, Anastase successeur de Zénon réclama en quelque sorte, comme nous le verrons, contre la convention faite par son prédecesseur, et dans la suite Justinien un des successeurs d’Anastase, fit encore davantage. Il entreprit la guerre contre les Ostrogots d’Italie, et après les avoir vaincus, il les traita d’usurpateurs.

On voit dans ce qui se passa entre Zénon et les Ostrogots, une image sensible de ce qui s’est passé entre les empereurs d’Occident et les nations barbares établies dans les Gaules. Ces princes perdirent à la fin entierement cette grande province, à force de ceder à diverses reprises aux barbares une contrée pour conserver les autres.

Ce fut l’année quatre cens quatre-vingt-neuf, que Théodoric se mit en marche pour son expédition d’Italie. Odoacer voulut lui disputer le passage de la riviere d’Isonzo, mais il fut battu, et Théodoric pénétra dans le pays ; néanmoins Odoacer ne se tint pas défait, et après avoir rassemblé ses troupes, il se campa près de Véronne pour empêcher son ennemi de s’avancer davantage. On en vint donc aux mains pour la seconde fois, et le sort des armes fut encore favorable à Théodoric.

L’année suivante, il se donna une troisiéme bataille auprès de l’Adda. Les troupes de chaque parti étoient aguerries, et les mauvais succès précedens n’avoient point découragé celles d’Odoacer. Cependant il y fut encore défait, et réduit à s’enfermer dans la ville de Ravenne, devant laquelle son ennemi vint camper.

Le sort des armes continua d’être favorable à Théodoric. L’année quatre cens quatre-vingt-onze, Odoacer étant sorti de Ravenne la nuit avec un corps de troupes, apparemment dans le dessein de rallier quelqu’un des siens, et de tenir la campagne, Théodoric le suivit, l’atteignit à trois milles de cette ville, et là il le défit pour la quatriéme fois. Ce fut la même année que Zénon empereur des Romains d’Orient mourut, et qu’Anastase dont il sera parlé plus d’une fois dans cette histoire, lui succeda.

Il se conclut l’année suivante une espece d’accord entre Odoacer et Théodoric, mais leur réconciliation ne dura pas long-tems. Un an après, c’est-à-dire, en quatre cens quatre-vingt-treize, Théodoric entra dans Ravenne, où il avoit été convenu que son rival se tiendroit. Le roi des Ostrogots y fit querelle de nouveau à Odoacer, qu’il accusa, soit à tort, soit avec raison, d’avoir tramé une conspiration contre lui, et il le fit mourir.

Cette mort dut faire poser les armes à tous les barbares du parti d’Odoacer. Aussi ne voit-on pas que Théodoric ait trouvé dans la suite aucune opposition, de leur part, à l’établissement de son autorité. Nous verrons que celles qu’il essuya, vinrent d’ailleurs. Il y avoit déja trois ans, dit Jornandès, que Théodoric se trouvoit en Italie, où il étoit entré en vertu d’un décret de l’empereur Zénon, lorsqu’il vint à bout de se défaire enfin d’Odoacer. Aussi-tôt après la mort de ce prince, ajoûte notre historien, Théodoric quitta le vêtement qu’il portoit comme Patrice, et il reprit avec l’habit ordinaire de sa nation, les marques de la royauté, comme pour donner à entendre qu’il vouloit regner sur les Romains, ainsi qu’il regnoit sur les Ostrogots, c’est-à-dire, gouverner les Romains en qualité de roi. On verra dans la suite de cet ouvrage plus en détail quelle fut la conduite de Théodoric, ainsi que sa broüillerie, et son racommodement avec l’empereur d’Orient. Ici nous nous contenterons de faire quelques réflexions sur l’effet que la nouvelle de la cession faite par l’empereur Zénon au roi des Ostrogots, et celle des heureux succès de ce dernier, durent produire dans les Gaules.

Cette cession y aura découragé la plûpart de ceux qui se flattoient encore de voir le partage d’Occident rétabli dans son ancienne splendeur, et gouverné par un empereur Romain de nation. Ils auront renoncé à cette esperance, jusques-là leur unique consolation, quand ils auront vû l’empereur d’Orient renoncer lui-même en faveur d’un peuple barbare aux droits qu’il avoit encore sur le partage d’Occident. Les progrès de Théodoric, et la fin heureuse de son entreprise auront fait faire de nouvelles réflexions à ceux des Romains des Gaules qui étoient encore libres. Le roi des Ostrogots, se seront-ils dit, et le roi des Visigots sont de la même nation, et de la même secte. Dès que Théodoric sera paisible possesseur de l’Italie, il aidera sans doute Alaric à faire valoir les droits de l’empire sur les Gaules, lesquels ont été déja délaissés aux Visigots par Odoacer, et dont lui-même il confirmera encore la cession en qualité de souverain de Rome. Par où finira l’anarchie dans laquelle vivent les peuples de la Gaule, il y a déja près de seize ans ? Par devenir les sujets des Visigots, qui s’approprieront une partie de nos terres : ils feront dans notre pays ce qu’ils ont fait dans les provinces où ils sont déja les maîtres ? Quelle est d’ailleurs, se seront dit encore les Romains des Gaules, la religion des Ostrogots et des Visigots ? Celle d’Arius. Dès que les uns et les autres ils se verront possesseurs tranquilles du partage d’Occident, ils voudront que leur communion y devienne la religion dominante, et ils mettront leurs prêtres en possession des temples et des biens de l’église catholique. Alaric fils d’Euric le persécuteur, imitera son pere ? Que faire dans cette extrémité dont nous ne sçaurions sortir sans l’aide de quelqu’une des nations barbares établies dans notre patrie ? Aurons-nous recours aux Bourguignons, ils sont ariens, et ils ont pris dans les provinces où ils sont les maîtres, la moitié des terres des Romains. Il faut donc faire notre protecteur, notre ange tutelaire du jeune roi des Saliens. Ce n’est point un barbare venu des extrémités du septentrion. Il est d’une nation polie, qui depuis plus de deux cens ans fraternise avec nous, et qui ne differe réellement des Romains que par les habits et par sa langue naturelle. Le pere de Clovis et son grand-pere ont servi l’empire. Véritablement il n’est pas bien puissant par lui-même, mais la tribu sur laquelle il regne, est composée des plus braves soldats qui soient dans les Gaules, et il a beaucoup de crédit sur toutes les autres tribus de sa nation, parce qu’il est aussi juste et aussi sage qu’il est vaillant. Si Clovis est encore payen, du moins, comme on l’a vû en plusieurs occasions, il n’est point ennemi de la religion chrétienne, et il a toujours montré beaucoup de respect pour les ministres de cette religion. D’ailleurs pourquoi désespérer de venir à bout de désabuser un prince qui naturellement a beaucoup d’esprit, des folles erreurs d’une religion que les lumieres seules de la raison doivent faire trouver si grossiere : traitons avec Clovis ; promettons-lui de nous soumettre à lui, et de lui obéïr non-seulement comme à un maître de la milice, mais encore comme à un préfet du prétoire des Gaules, et de le revêtir du pouvoir civil, ainsi qu’il l’est déja du pouvoir militaire, s’il veut bien se faire catholique ? Comment l’engagerons-nous à se convertir. Obtenons de lui qu’il épouse une femme catholique, et que ses enfans soient élevés dans la religion de leur mere. Il aura fait un grand pas dans la carriere dès qu’il aura pris ces engagemens, qui seuls mettront notre religion à l’abri.

Voilà quels auront été les sentimens de ceux des Romains des Gaules qui étoient encore libres ; c’est-à-dire, des citoyens des provinces obéïssantes, et des provinces confédérées. Ils les auront communiqués aux Romains des provinces occupées par les Visigots et par les Bourguignons. Ces Romains, généralement parlant, les auront approuvés, et tous les citoyens des Gaules auront conçu l’idée que le salut de leur patrie dépendoit de la conversion de Clovis. Comme il n’y avoit point alors dans cette grande province de l’empire une puissance qui pût traiter avec Clovis au nom de tout le pays, les sénateurs de plusieurs cités lui auront communiqué leurs vûës, et proposé leur projet séparément en l’assurant que la disposition générale des esprits étoit telle, qu’ils pouvoient répondre que leurs voisins pensoient comme eux. Clovis qui avoit de l’ambition, se sera prêté à leurs vûes, et suivant les personnes avec lesquelles il aura traité, il aura promis ou plus ou moins. Il aura promis volontiers d’épouser la princesse catholique que les romains des Gaules vouloient lui donner, parce qu’ils la croyoient la plus capable de convertir un mari. Pour se les attacher encore mieux, Clovis aura donné la même parole que donna notre roi Henry IV lorsqu’il voulut après la mort de Henry III[12] engager les catholiques demeurés fideles à la couronne, de le reconnoître pour roi. Clovis aura promis de se faire instruire, et il sera entré sans avoir pris une ferme résolution d’aller jusqu’au bout, dans la route choisie par la providence pour le conduire à la véritable église. Les faits que j’ai déja rapportés, et ceux que je rapporterai dans les chapitres suivans donneront un grand air de vraisemblance aux conjectures que je viens de hazarder. On y verra trois évêques chassés de leurs siéges par les Visigots qui ne reprochoient autre chose à ces prélats, que leur attachement aux interêts de Clovis. On a déja vû Aprunculus évêque de Langres en peril de la vie, et réduit à s’exiler lui-même, parce que les Bourguignons maîtres de son Diocèse, l’accusoient de vouloir le livrer aux Francs.


LIVRE 4 CHAPITRE 4

CHAPITRE IV.

Histoire du Mariage de Clovis avec la Princesse Clotilde.


Il ne pouvoit point y avoir alors dans les Gaules une personne plus propre à faire réussir le projet que les Romains de cette grande province avoient probablement formé, que la princesse Clotilde. On a vû qu’elle étoit fille de Chilpéric, cet infortuné roi des Bourguignons dont nous avons rapporté la fin tragique, et qui suivant toutes les apparences mourut dans la véritable religion. Nous avons aussi parlé de la femme de ce prince la protectrice des évêques, et dont Sidonius fait un éloge qui ne laisse pas lieu de douter qu’elle ne fût aussi catholique. Aussi sa fille Clotilde avoit-elle été élevée dans cette religion. Nos annales font foi qu’elle avoit autant d’élevation d’esprit et de prudence, que de pieté. Il n’étoit donc pas difficile de prévoir qu’elle auroit un grand crédit sur l’esprit du mari qu’elle épouseroit. Clotilde faisoit alors son séjour dans les Etats de ses oncles Gondebaud et Godégisile, et quoique ces princes fussent ariens, elle y faisoit publiquement profession de la religion catholique, ce qui montroit à la fois et son courage et son attachement à l’Eglise Romaine.

En effet, on verra par ce que disent d’anciens auteurs concernant son mariage avec Clovis, qu’elle n’y consentit qu’après qu’on lui eut donné satisfaction sur les difficultés qu’elle fit d’abord concernant la religion du mari qu’on lui proposoit. Mais je crois qu’il est à propos avant que de rapporter les endroits de nos auteurs, où il est parlé de ces détails, de donner l’histoire abrégée du mariage de Clotilde, telle qu’elle se trouve dans Grégoire de Tours. Après l’avoir lûe, on entendra mieux les auteurs qui nous ont donné un récit plus étendu et mieux circonstancié d’un évenement de si grande importance.

« Les ministres que Clovis envoyoit souvent en Bour- gogne, y eurent quelque relation avec Clotilde, & comme elle leur parut aussi sage qu’elle étoit aimable, ils firent à leur maître un rapport très-avantageux des bonnes qualités de certe Princesse. Ce rapport fit tant d’impression sur l’esprit du Roi des Francs, que peu de tems après il envoya des Ambassadeurs la demander en mariage à Gondébaud, qui l’accorda moins par inclination que par crainte. Le Roi des Bourguignons la remit donc entre les mains de ces Ambassadeurs, qui partirent sur le champ pour l’amener incessamment à son mari. Clovis fur d’abord épris de Clotilde, & il l’épousa avec une grande joye, quoiqu’il eût déja eu d’une concubine, un fils qui s’appelloit Thierri. »

On va voir par la suite même de l’histoire de Grégoire de Tours, et par ce que disent l’Abbréviateur, et l’auteur des Gestes des Francs, concernant le mariage de Clovis, qu’il ne fut point un évenement aussi simple qu’on pourroit le croire, en lisant le passage que nous venons de rapporter. Où, dira-t-on, l’Abbréviateur et l’auteur des Gestes ont-ils pris les circonstances et les détails de ce mariage qu’ils ont mis par écrit, et dont l’histoire de Grégoire de Tours ne parle point ? Je répondrai deux choses. La premiere, que ce mariage qui fut une des causes de la conversion de Clovis, et qui par consequent contribua plus à l’établissement de sa monarchie, qu’aucune des victoires de ce prince, étoit devenu par les suites qu’il avoit eues, un évenement d’une si grande importance, que la tradition a dû en conserver la mémoire plus long-tems, et plus fidélement que celle d’aucun fait d’armes. Ainsi quoiqu’on eût déja oublié bien des actions de guerres faites du tems de Mérovée et de Childéric, lorsque nos deux auteurs ont écrit, on ne pouvoit point encore avoir oublié de leurs tems, les principales circonstances du mariage de Clotilde, d’autant plus que cette princesse ayant été mise au nombre des saints, le culte qu’on lui rendoit, renouvelloit chaque année le souvenir des principaux évenemens de sa vie, et perpétuoit ainsi la tradition. En second lieu, nos deux auteurs ont pû voir bien des livres que nous n’avons plus, et un de ces livres a pû être une vie de sainte Clotilde, autre que la vie de cette sainte que nous avons aujourd’hui. Voici la narration de l’Abbréviateur.

» Clovis qui recherchoit Clotilde, envoyoit souvent des Ministres en Bourgogne ; mais comme ils ne pouvoient point approcher de la personne de cette Princesse, il prit enfin le parti de charger un Romain nommé Aurelien, de la commission de la voir, & d’apprendre d’elle-même ses sentimens sur le dessein qu’il avoit de l’épouser. Il donna donc à cet effet l’un de ses anneaux à son Agent, pour lui tenir lieu de lettres de créance. Aurelien se déguisa en pauvre mendiant, & il s’en fut à Geneve où Clotilde & sa sœur faisoient leur résidence. Ces Princesses qui pratiquoient l’hospitalité envers les pauvres, reçurent Aurelien dans le lieu destiné pour y exercer leur charité. Tandis qu’on lui lavoit les pieds, il trouva le moyen de dire à Clotilde, sans être entendu d’autre que d’elle : Princesse, j’ai des affaires importantes à vous communiquer, si vous pouvez me donner une audience secrete. Quand elle se fut tirée à l’écart, Aurelien lui dit : Clovis Roi des Francs, m’envoye vous prier d’agréer qu’il vous demande en mariage. En même tems il presenta comme un garent certain de la mission, l’anneau de son Maître. Clotilde prit cet anneau avec joye, & après avoir donné en échange le sien, & quelques sols d’or à Aurelien, dont elle ignoroit la condition, elle lui répondit : Retournez vers votre Maître, & dites-lui que s’il veut m’épouser, il faut qu’il me fasse demander incessamment en mariage à Gondebaud, & s’il se peut l’affaire se conclue avant qu’Aridius soit de retour de Constantinople, où mon oncle l’a envoyé. Si cet Aridius revient avant que l’affaire soit terminée, il ne manquera point de la faire échouer. » Aurelien s’en revint chez lui toujours déguisé en pauvre. Son dessein étoit apparemment d’y reprendre les habits ordinaires pour se rendre ensuite à la Cour de Clovis.

Il arriva une avanture assez plaisante à cet ambassadeur, dans le tems qu’il n’étoit pas éloigné de son château, bâti sur les confins du territoire d’Orleans. Dans la route il s’étoit acosté d’un mandiant, et tandis qu’il dormoit, ce mandiant lui déroba la besace où étoient, entr’autres choses, les sols d’or que Clotilde avoit donnés, et il s’enfuit. Aurelien fut très-fâché à son réveil de se trouver ainsi dévalisé, mais comme il n’étoit pas loin de chez lui, il gagna sa maison en diligence, d’où il envoya de tous côtés ses domestiques chercher le voleur qu’il leur désigna si-bien qu’ils le reconnurent, et qu’ils l’amenerent à leur maître. Il se contenta de lui faire essuyer durant trois jours le châtiment ordinaire des esclaves, et au bout de ce tems il lui permit de s’en aller. Peu de jours après Aurelien vint à Soissons y rendre compte à Clovis de ce qui s’étoit passé à Geneve et il lui redit exactement la réponse de Clotilde. Ce prince persuadé qu’il ne pouvoit faire mieux que de suivre l’avis qu’elle lui avoit donné, envoya sur le champ des ministres revêtus du caractere d’ambassadeurs, la demander en mariage à Gondebaud, l’aîné des rois des Bourguignons, qui l’accorda parce qu’il n’eut point la force de la refuser, et parce qu’il crut mériter par un prompt consentement l’amitié de Clovis. Les ambassadeurs fiancérent donc la princesse, en lui donnant suivant l’usage des Francs, un sol d’or et un denier, et ils demanderent ensuite qu’il leur fût permis de la conduire au lieu où étoit leur maître, afin qu’il s’y mariât avec elle. On leur accorda ce qu’ils demandoient, et l’on prépara en diligence à Châlons sur Saone le trousseau et tout ce qui étoit necessaire pour les nôces d’une princesse d’une si grande condition. Ce fut donc en cette ville qu’on remit Clotilde entre les mains des ambassadeurs de Clovis, qui la firent monter dans cette espece de voiture, que les Gaulois appelloient une Basterne, et ils partirent sans perdre de tems, emmenant aussi avec eux plusieurs chariots remplis des effets qui appartenoient à leur reine. Ils étoient déja en route quand Clotilde reçut un avis qui l’informoit qu’Aridius étoit de retour de Constantinople. Elle dit aussitôt aux Sénieurs des Francs ; c’est-à-dire ici, à ses conducteurs : si vous avez bien envie de me mener jusqu’à la cour de votre roi, il faut absolument que je monte à cheval afin de faire plus de diligence, car si je continue à voyager en voiture, je n’arriverai jamais jusques-là. Les Francs trouverent que leur reine avoit raison. Elle monta donc à cheval, et gagnant pays, elle arriva où Clovis l’attendoit. La suite fit voir que cette princesse avoit pris un bon parti. Dès qu’Aridius eut mit pied à terre à Marseille, et qu’il eut appris la nouvelle du mariage de Clotilde, il prit la poste, et se rendit en diligence à la cour de Gondebaud, qui lui dit d’abord : sçavez-vous, Aridius, que j’ai fait alliance avec les Francs, et que j’ai donné ma niece Clotilde en mariage à Clovis. Ce mariage, répondit Aridius, loin d’être le sceau d’une aliance durable, doit être la source de bien des guerres et de bien des malheurs. Vous deviez, seigneur, lorsqu’on vous l’a proposé, vous souvenir, que vous avez fait tuer Chilpéric pere de Clotilde, et votre frere, que vous avez fait jetter dans un puits une pierre au col la mere de cette princesse, et que vous avez fait le même traitement à ses deux freres, après qu’ils eurent eu la tête coupée par votre ordre. Clotilde est d’un caractere à venger cruellement ses parens, si jamais elle est en pouvoir de les venger. Envoyez incessamment un bon corps de cavalerie après elle, et qu’il la ramene ici. Il vaut mieux encore essuyer la bourasque que vous attirera cette espece de violence, que de laisser achever un mariage qui rendra les Francs vos ennemis, et les ennemis de vos descendans. Gondebaud crut son ministre, mais les troupes qu’il fit partir sur le champ ne purent pas atteindre Clotilde qui avoit pris les devans. Elles atteignirent seulement la voiture de cette princesse, et les chariots qui portoient son bagage dont elles s’emparerent. Quand Clotilde se vit sur la frontiere de la Bourgogne, elle pria ceux qui la conduisoient d’y faire le dégat, ce qu’ils voulurent bien avoir la complaisance d’exécuter, après en avoir eu la permission de Clovis qui étoit alors à Villers ou à Villori. C’étoit dans un de ces lieux qui sont tous les deux du territoire de la cité de Troyes qu’il attendoit cette princesse. Elle plut beaucoup au roi des Saliens, et après l’avoir épousée, il lui assigna un revenu considérable, et il l’aima tendrement tant qu’il vécut. Voyons présentement ce que dit l’auteur des Gestes des Francs, touchant le mariage dont il s’agit.

Sur le rapport avantageux que les ministres envoyés en Bourgogne dans plusieurs occasions par Clovis, lui firent de la beauté, de la sagesse, et de toutes les bonnes qualités de Clotilde, il y dépêcha Aurelien pour négocier le mariage de cette princesse, et pour la demander en forme, lorsqu’il en seroit tems, au roi Gondebaud. C’étoit l’oncle de Clotilde. Comme elle étoit catholique, elle ne manquoit point d’aller le dimanche à l’église. Aurelien qui vouloit commencer à exécuter sa commission par s’assurer du consentement de la princesse, se déguisa en pauvre un dimanche, et il se mit parmi les mendians qui se trouvoient à la porte de la cathédrale. Quand la messe fut dite, Clotilde en sortant de l’église, donna l’aumône à ces pauvres suivant sa coutume, et elle jetta un sol d’or à Aurelien, qui tendoit la main comme les autres. Aurelien en baisant par reconnoissance la main de sa bienfaictrice, lui tira la robe avec affectation, et d’une maniere à faire comprendre qu’il avoit quelque chose de fort important à lui communiquer. Elle envoya donc aussi-tôt qu’elle fut rentrée dans son appartement, chercher par un de ses domestiques, le pauvre qui vouloit lui parler en particulier. Aurelien fut introduit dans l’appartement de cette princesse, et après avoir mis derriere la premiere porte la besace qu’il portoit, et dans laquelle étoient les joyaux qu’il devoit donner pour présens de nôces, il cacha dans le creux de sa main l’anneau de Clovis, qui étoit le garant de sa commission. Dès qu’il fut entré dans la chambre où étoit Clotilde, elle lui dit : jeune homme, que je crois plûtôt une personne de considération déguisée en mendiant, qu’un véritable pauvre, pourquoi vous êtes-vous travesti, et pourquoi m’avez-vous tantôt tiré la robe avec affectation ? Puis-je compter, répondit Aurelien, que je vous parle sans que personne m’écoute. Clotilde l’ayant assuré que personne qu’elle ne pouvoit l’entendre, il lui dit : mon maître, le roi Clovis veut en vous épousant partager son thrône avec vous. Son anneau que voici doit vous persuader que c’est véritablement par son ordre que je vous parle, et je vais encore pour vous convaincre mieux que c’est lui qui m’envoye, vous présenter de sa part les joyaux qu’il vous donne pour présent de nôces. Il fut aussi-tôt chercher sa besace où il l’avoit laissée ; mais ce qui l’étonna beaucoup, il ne l’y trouva plus. Clotilde entra dans sa peine dès qu’elle en fut informée, et sur le champ elle donna de si bons ordres, qu’un moment après la besace fut rapportée. On y trouva dès qu’elle eut été ouverte, les pierreries que Clovis envoyoit à la princesse, qui voulut bien les recevoir, et qui accepta même l’anneau de ce prince. Sa réponse fut néanmoins : » Saluez votre Maître de ma part, Mais dites-lui en même tems qu’il n’est point permis à une Chrétienne d’épouser un Payen. Cependant que la volonté du Dieu que je confesse, & que j’adore publiquement, soit faite en toutes choses. Qu’il vous ait en sa garde durant le reste de votre voyage. Allez, & que personne n’apprenne rien de ce qui vient de se passer. »

En effet, le premier concile d’Arles tenu sous l’empereur Constantin Le Grand, avoit deffendu aux filles chrétiennes d’épouser des maris payens, sous peine d’être privées durant quelque tems de la communion. Aurelien vint rendre compte à Clovis de sa commission, et pendant ce tems-là Clotilde fit si bien qu’elle vint à bout de faire mettre l’anneau de ce prince parmi les joyaux du trésor de Gondebaud.

L’année suivante, Clovis envoya Aurélien revêtu du caractere d’ambassadeur faire au roi Gondebaud la demande en forme de sa niece Clotilde, comme s’il y avoit eu déja un engagement précedent, et comme s’il eût été question seulement de déclarer un mariage dont déja toutes les conditions auroient été arrêtées. Ce prince fut très-étonné d’une pareille démarche. Mes conseillers, dit-il, et mes Bourguignons verront bien que pour cette fois le roi des Francs cherche à me faire querelle. Il n’a jamais eu de relation avec ma niece. Enfin il répondit à Aurelien : il faut que vous ne veniez ici que pour épier ce qui s’y passe ; si vous n’avez pas d’autre motif de votre voyage à nous alléguer, que le dessein de faire une demande telle que l’est celle que je viens d’entendre. Pour toute réponse, vous direz à votre maître, qu’il n’y eut jamais aucun traité de mariage entre ma niece et lui. Aurelien répliqua sans changer de ton. Réflechissez à loisir, grand prince, sur ce que vous avez à faire. Le roi des Francs mon maître m’envoye donc vous demander en mariage Clotilde qui lui est déja promise. Les préparatifs convenables pour recevoir dignement une princesse d’un rang aussi grand, sont déja faits. Si vous refusez à Clovis son épouse, il viendra bien-tôt à la tête de son armée la chercher lui-même. Qu’il vienne donc, repartit Gondebaud, il me trouvera aussi à la tête de la mienne, et peut-être serai-je assez fortuné pour venger les malheureux du sang de qui ses mains sont encore teintes. Les principaux des Bourguignons informés de ce qui se passoit, et craignant d’avoir affaire à Clovis, conseillerent à Gondebaud d’approfondir avant toutes choses, s’il n’y avoit rien sur quoi le roi des Francs pût avec quelqu’apparence de raison, fonder les prétentions qu’il mettoit en avant ? N’auriez-vous point, ajoûterent-ils, accepté quelque présent qui vous auroit été offert de la part de Clovis, et qui seroit de telle nature que vous n’eussiez pas pû le recevoir sans prendre une espece d’engagement avec lui concernant le mariage de votre niece ? Interrogez là-dessus vos ministres et les officiers qui servent auprès de votre personne. Si Clovis est assez violent pour vous déclarer la guerre, vous en sortirez victorieux ; mais avant que de finir, elle coûtera bien du sang à votre peuple. Plus il vous est dévoüé, plus vous devez prendre soin de le conserver. Sur ces représentations, Gondebaud fit faire les recherches convenables, et il se trouva dans son trésor un anneau sur lequel la tête ou le nom de Clovis étoit gravé. Gondebaud en fut surpris, et manda sa niece pour éclaircir avec elle une telle avanture. Il me souvient, répondit cette princesse aux interrogations de son oncle, qu’il y a quelques années que vous donnâtes audiance à des ambassadeurs de Clovis, qui vous firent divers présens de la part de leur maître. Je m’y trouvai, et l’un de ces ministres me mit au doigt l’anneau dont vous êtes en peine. Je le reçus en votre presence, et je le remis incontinent entre les mains de ceux qui gardent vos trésors. Tout ce que je fis alors, fut fait sans dessein. Gondebaud comprit qu’il y en avoit assez pour donner à Clovis, s’il lui refusoit Clotilde en mariage, un prétexte plausible de faire la guerre aux Bourguignons. Il consentit donc à cette alliance pour ne pas donner lieu à une rupture, et il remit sa niece entre les mains d’Aurelien. Cet ambassadeur partit aussi-tôt emmenant la nouvelle reine avec lui, et il la conduisit jusqu’à Soissons où Clovis la reçut, et l’épousa solemnellement.

Il seroit bien à souhaiter que nous eussions les mémoires mêmes sur lesquels l’Abbréviateur et l’auteur qui a composé les Gestes des Francs, ont écrit leur récit du mariage de sainte Clotilde ; ces mémoires pouvoient bien avoir été compilés sur ce que disoit elle-même la reine touchant les particularités de son mariage, dans le tems qu’elle passoit sa vie aux pieds du tombeau de saint Martin où elle s’étoit retirée après la mort de Clovis qu’elle survécut d’un grand nombre d’années. Il seroit à désirer du moins, supposé que nos deux auteurs n’ayent fait que rédiger par écrit la tradition orale qui subsistoit encore de leur tems, qu’elle eût été recueillie par des historiens plus judicieux. Mais quoique nos deux auteurs ayent obmis plusieurs circonstances importantes, ce qui est très-sensible en lisant leurs narrations, et quoique chacun d’eux ait alteré dans son récit les faits de maniere qu’il semble que ces récits se contredisent, on ne laisse pas néanmoins d’y voir distinctement deux choses qui prouvent que les Romains eurent beaucoup de part au mariage dont il est question.

La premiere est qu’il fallut tromper Gondebaud, pour l’engager à conclure un mariage dont il lui étoit facile de prévoir les suites, même avant qu’Aridius les lui eût prédites. Croira-t’on que ce prince se fût déterminé sur l’incident de l’anneau trouvé dans son trésor, et qu’il eût agi alors contre ses interêts aussi sensiblement qu’il le fit, s’il n’y avoit point eu à sa cour des ministres gagnés par ceux qui vouloient, quoiqu’il en pût coûter aux Bourguignons, faire épouser Clotilde à Clovis ? Or qui étoient alors les principaux ministres des rois barbares établis dans les Gaules ? Des Romains un peu plus versés en matiere d’affaires que ne l’étoient encore les Visigots, les Bourguignons et les Francs mêmes. Nous avons vû que Leon étoit un des principaux ministres d’Euric. Aurelien étoit l’homme de confiance de Clovis. Aridius dont nous aurons encore occasion de parler quand nous ferons l’histoire de la guerre des Francs contre les Bourguignons, étoit le ministre confident de Gondebaud. Laconius un autre Romain faisoit sous ce prince les fonctions de chancelier.

Voici une seconde preuve de la part que les Romains des Gaules eurent au mariage de sainte Clotilde. Quoique, comme on vient de le voir, l’abbréviateur et l’auteur des Gestes ne soient pas bien d’accord sur toutes les circonstances des allées et venuës d’Aurelien, soit parce que l’un de ces deux écrivains aura jugé à propos d’obmettre quelques incidens qui ne lui paroissoient point assez importans, ou assez bien attestés pour les rapporter, au lieu que l’autre les aura trouvés dignes d’être inserés dans son récit, soit parce que la tradition ne s’accordoit point sur ces détails, il résulte cependant de leurs narrations : qu’Aurelien fit deux voyages en Bourgogne : que lorsqu’il fit le premier où il alla déguisé en mendiant, il eut une audiance secrete de Clotilde, dans laquelle cette princesse lui objecta une difficulté importante sur son mariage, en alleguant quand il lui fut proposé : qu’une chrétienne ne devoit point épouser un payen : que lorsqu’Aurelien revint l’année suivante en Bourgogne avec le caractere d’ambassadeur, cette difficulté avoit été levée, puisqu’il n’en est plus parlé dans le récit de cette seconde négociation. Par qui et à quelle condition fut donc levée la difficulté que Clotilde avoit faite d’abord, d’épouser un payen ? C’est ce que l’abbréviateur et l’auteur des Gestes auroient bien dû nous apprendre expressément, eux qui ont fait entrer dans leur narration des circonstances bien moins importantes ; mais ils n’en ont rien dit. Voici donc ma conjecture sur l’expédient dont on se sera servi pour lever l’obstacle. Les Romains auront profité de l’année qui s’écoula entre les deux voyages d’Aurelien en Bourgogne, pour engager Clovis en lui représentant les suites heureuses qu’auroit l’alliance proposée, à promettre deux choses. L’une, que tous les enfans qui naîtroient de son mariage avec Clotilde seroient élevés dans la religion chrétienne ; l’autre que lui-même il se feroit instruire incessamment. D’un autre côté ils auront engagé Clotilde et ceux qui la dirigoient, à se contenter de ces deux conditions. Montrons dès-à-présent qu’il est très-probable que Clovis ait promis avant son mariage la premiere de ces deux conditions. La suite de l’histoire montrera qu’il n’est gueres moins apparent, que dès-lors il eût aussi promis la seconde.

L’histoire des premiers siecles de l’Eglise est remplie d’exemples de mariages, soit entre des payens et des chrétiennes, soit entre des chrétiens et des payennes. On peut juger par le canon du concile d’Arles qui vient d’être rapporté, que l’Eglise les regardoit comme légitimement contractés. Que statuoient les loix ou les coutumes des Romains et des barbares concernant la religion des enfans qui naissoient de ces mariages ? Je n’en sçais rien. Dans cette ignorance je puis supposer qu’elles étoient à peu près pareilles à celles qui sont aujourd’hui en vigueur dans plusieurs Etats de la Chrétienté, où il est commun que des personnes de religion differente s’allient ensemble par mariage. Les loix civiles y ordonnent en général que des enfans à naître de ces mariages bigarrés  ; c’est ainsi qu’on les nomme vulgairement, les garçons seront élevés dans la religion du pere, et les filles dans celle de la mere ; mais elles tolerent les conventions particulieres qui peuvent être faites entre les parties sur ce point-là, et qui reglent souvent que les enfans seront tous élevés de quelque sexe qu’ils soient, dans la religion d’un des deux époux. Ainsi supposé que l’usage commun qui paroît fondé sur le droit naturel eût lieu parmi les Francs, Clovis aura pû y déroger, d’autant plus qu’il étoit roi : il aura pû promettre de laisser élever dans la religion de Clotilde tous les enfans qui naîtroient de son mariage avec cette princesse.

Il n’y avoit donc aucune impossibilité dans cette convention, et voici des faits attestés par Grégoire De Tours qui portent à croire qu’elle a eu lieu. Cet historien après avoir dit que Clovis épousa Clotilde, et après avoir rapporté les raisons qu’elle employoit sans fruit, pour engager son mari à se faire chrétien, ajoute : « Quoique toutes les raisons que Clotilde alléguoit à Clovis, ne pussent point le convertir, cette pieuse servante de Dieu ne laissa point de faire baptiser le garçon dont elle accoucha, & l’enfant fut nommé Ingomer, mais ce Prince mourut peu de tems après son Baptême, & quand il avoit encore sur lui les vêtemens blancs qu’il y avoit reçûs. Sa mort mit le Roi dans une extrême colere. Si cet enfant, disoit-il à la Reine, eût été offert aux dieux de mes peres, il vivroit encore, il n’est mort que pour avoir été baptisé au nom de votre Dieu. A quelque tems de-là Clotilde mit au monde un second fils. Nonobstant les reproches qu’elle avoit essuyés, elle ne laissa point de faire baptiser cet enfant, qui fut nommé Clodomire. Malheureusement il tomba malade quelques jours après, ce qui fit entrer Clovis dans une nouvelle colere, & lui fit faire de nouveaux reproches à la Reine. Il va mourir, disoit-il, comme est mort son frere aîné, puisqu’il a été baptisé comme lui. Les prieres de la Reine obtinrent la guérison de Clodomire. »

Y a-t’il apparence que Clovis aussi attaché au culte des dieux de ses peres que Grégoire de Tours le dépeint ici, eût permis en premier lieu qu’on baptisât Ingomer, et qu’il eût souffert qu’on eût baptisé ensuite Clodomire, quand il étoit persuadé que le baptême avoit été funeste à Ingomer, si ce roi n’eut point en faisant son mariage, contracté l’obligation expresse de permettre que les enfans qui en naîtroient, fussent tous élevés dans la religion chrétienne.


LIVRE 4 CHAPITRE 5

CHAPITRE V.

Les Provinces obéïssantes se soumettent au pouvoir de Clovis. Les Provinces Confederées ou les Armoriques refusent de s’y soumettre, & ce Prince leur fait la guerre.


L’auteur des gestes écrit immédiatement après avoir fini l’histoire du mariage de sainte Clotilde. » Dans ce tems-là même Clovis augmenta considerablement son Royaume, qu’il étendit jusques sur les bords de la Seine, & il donna pour lors le commandement du Château de Melun & des pays voisins à son Ministre Aurelien. Dans les tems suivans Clovis érendit sa domination jusqu’à la Loire. »

Pour peu qu’on se souvienne de ce que nous avons déja dit, on verra bien que par le pays qui s’étendoit depuis Soissons jusqu’à la Seine, il faut entendre la plus grande partie des provinces obéïssantes, et par le pays qui s’étendoit jusqu’à la Loire, les provinces confédérées ou les Armoriques. Hincmar après avoir rapporté qu’Aurelien le ministre et l’ambassadeur de Clovis étoit venu à bout, comme par miracle de faire épouser Clotilde à son maître, ajoute : » Ce fut dans ces entrefaites que Clovis étendit jusqu’à la Seine les bornes de sa domination, qu’il ne porra néanmoins jusqu’à la Loire, que dans les tems suivans ; mais dès lors il donna au même Aurelien le Château de Melun avec le titre de Duc ou de General ; c’est-à-dire, qu’il con- fera à cet Aurelien le commandement de Melun sa frontiere du côté des Armoriques, & qu’il lui donna en même tems plusieurs fonds de terre situés auprès de Melun, & dont la proprieté appartenoit à l’Etat. »

L’endroit de leurs ouvrages où l’auteur des gestes, et Hincmar placent ce qu’ils racontent de la soumission de la plus grande partie des provinces obéïssantes à Clovis, l’attention qu’ils ont l’un et l’autre à dire, que ce fut dans le tems du mariage de ce prince, qu’arriva cet événement, suffiroient pour montrer que ce fut alors que les cités dont il est ici question, promirent de lui obéïr dans toutes les affaires qui étoient du ressort du gouvernement civil, comme s’il eût été préfet du prétoire des Gaules. Elles obéïssoient déja à Clovis dans ce qui concernoit la guerre, comme au maître de la milice. Mais nous avons encore d’autres preuves pour montrer que ce fut dans le tems du mariage de Clovis, que les cités dont il s’agit, c’est-à-dire, les pays qui sont entre l’Aisne, la Seine et la Somme se soûmirent à tous égards au gouvernement de ce prince. Exposons ces preuves.

Grégoire de Tours ramassant tout ce qu’il juge à propos de dire concernant les victoires que Clovis remporta, et les acquisitions qu’il fit avant son mariage, finit la narration succinte qu’il donne de ces exploits, en disant : « Clovis subjugua les Tongriens la dixiéme année de son regne, » c’est-à-dire, en quatre cens quatre-vingt-onze. Or comme cet auteur ne commence qu’après avoir dit ces paroles, l’histoire du mariage de Clotilde, il paroît qu’on ne commença de le traiter qu’après cette année-là. Nous avons vû que la négociation dura plus d’un an, puisqu’Aurelien n’alla en Bourgogne en qualité d’ambassadeur que l’année d’après celle où il y avoit fait son premier voyage étant travesti en pauvre. Ainsi le mariage de Clovis ne sçauroit avoir été terminé avant la fin de l’année quatre cens quatre-vingt-douze. D’un autre côté, il ne sçauroit avoir été terminé beaucoup plus tard. Lorsque Clovis promit dans la bataille de Tolbiac qu’il se feroit baptiser incessamment, ce qui arriva, comme nous le verrons, durant l’été de l’année quatre cens quatre-vingt-seize, il y avoit déja quelque tems que son second fils Clodomire étoit né. Ce que dit Gregoire de Tours concernant les sentimens de Clovis sur la maladie de cet enfant, suffit pour convaincre que cette maladie lui vint quand Clovis étoit encore payen. Clodomire néanmoins avoit eu un aîné, Ingomer ; Clotilde étoit donc accouchée deux fois entre son mariage et la campagne de quatre cens quatre-vingt-seize, ce qui suppose que cette princesse eût été mariée plusieurs années avant que Clovis partît pour cette campagne. Ainsi on ne sçauroit gueres placer le mariage de ce prince avant la fin de l’année quatre cens quatre-vingt-douze, ni le reculer beaucoup plus loin que l’année quatre cens quatre-vingt-treize. Cela est d’autant plus plausible, que dans tous nos monumens litteraires on ne trouve rien sur quoi l’on puisse se fonder pour placer le mariage de Clovis ou plûtôt ou plus tard que je l’ai placé. Au contraire on lit dans l’histoire du rétablissement du monastere de saint Martin de Tournay, écrite par Hérimannus un de ses abbés qui vivoit dans le douziéme siécle, que ce fut la douziéme année de son regne, que Clovis épousa Clotilde. La douziéme année du regne de Clovis tombe en quatre cens quatre-vingt-douze, ou en quatre cens quatre-vingt-treize.

Nous voyons d’un autre côté que dans deux des cités qui étoient des provinces obéïssantes lors de l’avénement de Clovis à la couronne, et qui sont dans le pays dont il s’agit ici, dans le pays compris entre la Somme, la Seine et le Soissonnois ; on datoit le commencement du regne de Clovis de l’année quatre cens quatre-vingt-douze, ou de la suivante.

Dom Thierri Ruinart dit dans la préface de son édition des œuvres de Grégoire De Tours, qu’il s’est servi pour donner correct le texte de son auteur, de plusieurs manuscrits, et entr’autres de deux manuscrits de l’histoire des francs, qui sont d’une antiquité respectable, et qui suivant le sentiment de toutes les personnes intelligentes dans la diplomatique, doivent avoir été transcrits peu de tems après que Grégoire De Tours eut publié son ouvrage. On voit, ajoute Dom Thierri, par cette inscription, J’appartiens à l’église de saint Pierre de Beauvais, qui se trouve écrite en plus d’un endroit sur la marge du premier de ces deux manuscrits, qu’il appartenoit anciennement à l’église cathédrale de Beauvais, et nous le sçavons encore d’ailleurs. Le chapitre de cette église ayant bien voulu le prêter à Maître Antoine Loisel Beauvaisin, et l’un des celebres avocats du parlement de Paris, il arriva que ce sçavant homme mourut avant que d’avoir rendu le livre, qui passa entre les mains de ses héritiers. Monsieur Joly chantre de Notre-dame de Paris et petit-fils de maître Antoine Loisel ayant laissé sa bibliothéque dont étoit le manuscrit en question, au chapitre de son église, ce chapitre le garde encore aujourd’hui. Voilà l’histoire de notre premier manuscrit. Quant au second qui n’est pas moins ancien que l’autre, il vient de la celebre abbaye de Corbie située dans le diocèse d’Amiens. C’est ce dont fait foi une inscription mise sur ce précieux livre.

Or on lit dans l’un et dans l’autre manuscrit, que ce fut la quinziéme année de son regne que Clovis alla faire la guerre contre Alaric second roi des visigots. Ces mots, ce fut la quinziéme année de son regne, qui ne se lisent point dans les autres manuscrits se trouvent dans celui de Beauvais et dans celui de Corbie, non point à la marge, mais dans le corps du texte. Ce texte d’ailleurs n’a point été interpolé. Les mots dont il est question y sont écrits de la même main que ceux qui les précedent et que ceux qui les suivent. Il me paroît que la singularité et la conformité de ces deux manuscrits sont d’un grand secours pour connoître en quelle année les pays qui sont entre la Somme et la Seine, passerent sous la domination de Clovis.

En effet, comme l’observe très-bien Dom Thierri Ruinart, ce ne fut point la quinziéme année de son regne, mais la vingt-sixiéme année de son regne, à compter du jour de son avenement à la couronne, que Clovis fit la guerre contre Alaric, et qu’il le défit à la bataille de Vouglé, donnée dès la premiere campagne. Clovis qui succeda au roi Childéric son pere, en quatre cens quatre-vingt-un, étoit déja du moins dans la vingt-sixiéme année de son regne, lorsqu’il déclara la guerre au roi des Visigots, ce qui arriva comme nous le verrons en cinq cens sept. Pourquoi donc nos deux manuscrits disent-ils, que ce fut la quinziéme année de son regne que Clovis entreprit cette expédition ? Je ne vois pas qu’on en puisse alleguer d’autre raison, si ce n’est que dans le diocèse de Beauvais, et dans celui d’Amiens, on comptoit encore la quinziéme année du regne de Clovis, en cinq cens sept, parce qu’on n’y avoit compté la premiere année de son regne que lorsque le pays avoit été soumis à la domination de ce prince, ce qui n’étoit arrivé qu’à la fin de l’année quatre cens quatre-vingt-douze, ou plutôt au commencement de l’année suivante. Jusques-là, l’on avoit dû y compter par les années du regne des empereurs. Si nous avions des manuscrits de l’histoire de Gregoire de Tours, qui fussent aussi anciens que ceux de Beauvais et de Corbie, et qui eussent été copiés dans le diocèse de Reims, et dans les autres diocèses qui reconnurent le pouvoir de Clovis lorsqu’il étendit sa domination jusqu’à la Seine, peut-être y verrions-nous encore comme dans les deux qui viennent d’être cités : que ce fut la quinziéme année de son regne que Clovis fit sa guerre Gothique.

On est d’autant mieux fondé à le présumer que nous sçavons positivement que dans le diocèse de Cambray on comptoit l’année cinq cens sept pour la vingt-cinquiéme année du regne de Clovis. Il y a dans la bibliothéque du chapitre de Cambray un manuscrit de l’histoire de Gregoire de Tours, dont les premiers livres ont été transcrits à peu près dans le même tems que le manuscrit de Corbie et le manuscrit de Beauvais. Or on lit dans le manuscrit de Cambray, que Clovis entreprit la guerre Gothique la vingt-cinquiéme année de son regne. Le regne de Clovis ayant commencé en quatre cens quatre-vingt-un pour les habitans de Cambray, qui suivant Gregoire de Tours avoit été soumis aux Francs par Clodion, la vingt-cinquiéme année de ce regne, tomboit en l’année de Jesus-Christ cinq cens sept.

Je sçais bien que Cambray ne fut soumis à Clovis, et nous le dirons quand il sera tems de le dire, qu’en l’année cinq cens dix ; mais comme il étoit dès quatre cens quatre-vingt-un sous la domination de Ragnacaire ou de quelqu’autre roi des Francs, on y devoit toujours compter les années du regne de Clovis allié de ce prince, du jour que Clovis avoit été élevé sur le pavois à Tournay ville si voisine du Cambrésis. Si le copiste du manuscrit de Cambray eut voulu dater la guerre de Clovis contre Alaric, en prenant pour époque l’année où Clovis soumit cette ville à son pouvoir, il auroit fallu la dater en écrivant que cet évenement étoit arrivé trois ou quatre années avant le regne de Clovis. Il ne s’empara de Cambray, comme nous l’avons dit, qu’en cinq cens dix, et il fit sa guerre contre Alaric en cinq cens sept. Il étoit donc plus commode de s’en tenir à l’époque déja établie à Cambray. Tous ceux qui ont fait quelqu’étude de notre histoire, sçavent bien qu’il est arrivé souvent que les années du regne du même prince fussent comptées differemment par les sujets. En une certaine province on faisoit commencer le regne d’un prince à une année, et dans d’autres provinces on le faisoit commencer à une année differente ; c’est de-là que provenoit la varieté d’époques qui avoit lieu même dans la chancellerie des princes. Quand on y expédioit une chartre, on la dattoit suivant la maniere de compter les années du prince, laquelle étoit en usage dans le pays où la chartre devoit valoir. Voici ce qu’on trouve au sujet de cette varieté d’époques dans un factum publié en mil sept cens vingt-six, par les Peres Benedictins de Compiegne, contre les prétentions de l’évêque de Soissons.

» La difficulté de concilier ces époques a exercé nos plus grands Critiques. Ils conviennent tous que ce seroit une témerité de tirer de-là un moyen de faux. Le Pere Chifler Jesuite, dans son Histoire de Tournus, parle en ces termes des années du Roi Conrart. Il n’y a bonnement aucun des anciens Rois & Empereurs qui n’ait divers commencemens de son regne, comme sçavent ceux qui sont versés en Histoire, & qu’il est très-necessaire d’y prendre garde pour raison des dates apposées aux chartres par les Notaires & les Chanceliers, pour les ajuster avec la vraie Chronologie. Le Pere Papebrock & le Pere Viltheims Jesuites, établissent le même principe. On peut encore consulter le Pere Mabillon à la page 202. de sa Diplomatique, où il fait voir par la varieté qui se trouve dans les chartres du Roi Henry premier, qu’il falloit qu’il y eût diverses manieres de compter les époques. C’est ce qu’il prouve encore ailleurs dans la Diplomatique. En un mot, tout ce qu’il y a d’habiles Critiques, conviennent de ce principe. »

J’ajoûterai encore une raison pour appuyer mon sentiment ; que dans tous les Etats de Clovis les sujets ne comptoient point la même année pour la premiere année de son regne, mais que chacun d’eux comptoit pour premiere année de ce regne, l’année où son pays étoit passé sous la domination de ce prince. Ma nouvelle preuve sera tirée de ce qu’écrit Gregoire de Tours après avoir rapporté la mort de Clovis. Cet historien avant que de dire en quelle année, à compter de la mort de saint Martin, époque assez en usage dans les Gaules durant le sixiéme siecle, Clovis étoit mort, écrit « Clovis mourut cinq ans après la bataille de Vouglé, et il regna en tout trente années. » Pourquoi Gregoire de Tours donne-t’il ici pour une époque particuliere, la premiere année de la guerre Gothique où se donna la bataille de Vouglé ; pourquoi en fait-il mention même avant que de faire mention de celle dont il étoit naturel de se servir ; je veux dire, de l’époque tirée de la premiere élevation de Clovis qui avoit été son avenement à la couronne de son pere Childéric, mort en quatre cens quatre-vingt-un ? N’est-ce point parce que notre historien né dans la cité d’Auvergne, étoit de plus évêque de Tours, lorsqu’il composa son ouvrage, et que dans ces deux cités on comptoit pour la premiere année du regne de Clovis, l’année cinq cens sept, parce que c’étoit dans cette année-là que Clovis, après la bataille de Vouglé, avoit soumis la cité de Tours, celle d’Auvergne et plusieurs autres de celles dont les Visigots avoient été les maîtres jusques-là. Enfin on verra dans le chapitre douziéme du livre suivant, que bien que Theodoric roi des Ostrogots regnât sur toute l’Italie dès l’année quatre cens quatre-vingt-treize, cependant les Romains d’Espagne ne comptoient après qu’ils furent devenus sujets de Theodoric, les années du regne de ce prince, qu’en commençant à l’année cinq cens dix, parce que c’étoit cette année-là que l’Espagne avoit passé sous la domination de Theodoric. On comptoit encore en Espagne l’année sixiéme de Theodoric, quand en Italie on comptoit déja la vingt-troisiéme année du regne du même prince.

Je conclus donc de tout ce qui vient d’être exposé, que le mariage de Clovis avec Clotilde, et la soumission volontaire des cités situées entre la Somme et la Seine, sont deux évenemens arrivés dans l’espace de douze mois, et qu’on peut par conséquent regarder le premier comme ayant été une des causes du dernier. L’auteur des Gestes et Hincmar ne parlent point de cette soumission comme d’une conquête. Il y a plus ; Theodoric roi d’Italie, dit positivement dans une lettre écrite à Clovis immediatement après que le dernier eut défait les Allemands à Tolbiac en quatre cens quatre-vingt-seize : « Qu’il voit avec plaisir la nouvelle gloire que les Francs viennent d’acquerir, après avoir été si long-tems sans faire parler d’eux. » Nous rapporterons cette lettre dans le chapitre suivant. Quelle apparence que Theodoric eût écrit au roi des Francs en quatre cens quatre-vingt-seize ce qu’on vient de lire, si ces Francs eussent conquis à force d’armes en quatre cens quatre-vingt-douze, ou l’année précedente, la plus grande partie de la seconde Belgique ? Ainsi l’on peut croire que saint Remi, dont le diocèse fut un de ceux qui se soumirent alors à Clovis, aura si bien fait valoir les esperances fondées qu’on avoit de la conversion de Clovis, et la raison, que du moins ses enfans seroient élevés dans la religion chrétienne, qu’enfin il n’y avoit qu’un seul moyen humain de faire cesser les maux d’une anarchie funeste, qui étoit celui de reconnoître Clovis pour chef du gouvernement civil, que l’évêque de Reims aura persuadé aux cités des provinces obéïssantes, dont il étoit le métropolitain, de se soumettre au jeune héros qui regnoit sur les saliens. Ce fut ainsi que la parole que Henri IV donna en 1589 de se faire instruire dans la véritable religion, engagea plusieurs catholiques à le reconnoître pour roi, long-tems avant sa conversion.

Mais comme il y eut plusieurs seigneurs et plusieurs villes catholiques qui differerent à reconnoître Henri IV jusqu’à ce qu’il eût fait publiquement profession de leur religion en 1593 il y eut aussi dans le cinquiéme siécle plusieurs Romains des Gaules du nombre de ceux qui étoient demeurés libres, qui refuserent de se soumettre au gouvernement de Clovis, jusqu’à ce qu’il eût abjuré publiquement l’idolatrie. Telle aura été la résolution des provinces confederées ou des Armoriques qui auront mis dans leur parti ce qui restoit à l’empire de troupes de campagne dans les Gaules. Nous avons vû qu’elles étoient rassemblées entre le Loir et la Loire, qu’elles gardoient contre les Visigots, et que peut-être elles tenoient encore le Berri. Quant aux Armoriques le lecteur se souviendra bien qu’ils étoient alors réduits aux pays qui sont entre la Seine, l’océan, la basse-Loire, le Loir, et une ligne tirée des environs de Paris jusqu’au Loir.

Je crois donc que ce fut immédiatement après la réduction des provinces obéïssantes que Clovis fit aux Armoriques la guerre, qui les punit de n’avoir pas eu assez de déference pour la médiation de saint Germain évêque d’Auxerre ; la guerre que suivant Procope, les Francs leur firent pour les obliger à se joindre à eux. Cet historien après avoir dit que les Armoriques dont, comme nous le montrerons ci-dessous, un copiste mal-habile a changé le nom en celui d’Arboriques, confinoient vers l’année quatre cens soixante et dix, avec les Francs, et que ces Armoriques avoient été dans les tems precedens soumis à l’empire Romain, ainsi que les autres peuples de la Gaule et de l’Espagne, ajoute à quelques lignes de là. » Dans la suite les Visigors envahirent le territoire de l’Empire, & sous Euric ils se rendirent Souverains de ce qui appartenoit encore aux Romains en Espagne, & de celles des Provinces des Gaules qui sont entre le Rhône & l’Océan. Les Armoriques fournissoient alors des Troupes aux Romains, dont ils avoient été autrefois Sujets. Les Francs qui confinoient avec les Armoriques, voullurent se prévaloir pour les soumettre, des troubles ordinaires dans un Etat où l’on a introduit une nouvelle forme de gouvernement. D’abord le Franc se contenta de vexer les Armoriques par des courses pour les amener à son but ; mais voyant bien que toutes ses incursions ne suffiroient point pour cela, il leur fit la guerre dans toutes les formes. Tant qu’elle dura les Armoriques montrérent beaucoup de courage, & ils firent voir un grand attachement aux interêts de l’Empire. Enfin les Francs bien convaincus qu’ils ne pouvoient pas en venir à leur but par la voye des armes, eurent recours à celle de la négociation, & ils proposerent aux Armoriques d’unir les deux Nations par une alliance qui n’en fît qu’un seul Peuple. » Procope raconte que dans la suite et lorsque les Francs furent chrétiens, les Armoriques donnerent leur consentement à l’alliance proposée et que cette union fut suivie d’un traité, par lequel ce qui restoit de troupes reglées aux Romains dans les Gaules passa au service de Clovis. C’est ce que nous rapporterons plus au long dans la suite de cette histoire.

Après tout ce que nous avons écrit concernant les conquêtes d’Euric et le tems où il les fit, le sens du passage de Procope qu’on vient de lire, est très-clair, et tout ce qu’il contient paroît très-vraisemblable, soit par la nature même des faits, soit parce que son récit s’accorde avec toutes les lumieres que les autres monumens du cinquiéme et du sixiéme siécle peuvent nous prêter pour débrouiller les événemens dont il s’agit.

En premier lieu, rien n’est plus vraisemblable dès qu’on a quelque idée du caractere de Clovis, que de lui voir entreprendre la guerre contre les Armoriques en quatre cens quatre-vingt-treize, quoique jusques-là les Francs eussent vêcu en bons alliés avec ces peuples. Les interêts presens de Clovis vouloient cette année-là qu’il obligeât les Armoriques à se soumettre à lui ; il falloit qu’il les assujettît, s’il vouloit continuer à étendre sa domination, et celle des dignités de l’empire de laquelle il se trouvoit revêtu, lui donnoit un droit apparent d’exiger d’eux qu’ils se soumissent à son obéissance, comme les cités qui sont entre la Somme et la Loire s’y étoient soumises.

En second lieu, on trouve dans les monumens litteraires de nos antiquités, deux évenemens arrivés sous le regne de Clovis, qui ne peuvent être arrivés que dans un tems où ce prince aura été en guerre contre les Armoriques, et qui probablement appartiennent à l’année quatre cens quatre-vingt-treize.

Nous avons vû dans le vingt-cinquiéme chapitre de la vie de sainte Geneviéve, que le roi Childéric avoit une extrême consideration pour cette vertueuse fille. Voici ce qui se trouve dans le trente-quatriéme chapitre de cet ouvrage. » Dans le tems que les Francs tinrent Paris bloqué, & qui dura cinq ans, la Ville & ses environs furent réduits à une si grande famine que plusieurs personnes y mouroient journellement de faim. » La sainte en sortit pour aller chercher des vivres, et puis elle y rentra amenant avec elle un grand convoi. Or une des principales circonstances de ce blocus, porte à croire qu’il a été l’un des évenemens de la guerre commencée par Clovis contre les Armoriques à la fin de l’année quatre cens quatre-vingt-douze, ou au commencement de l’année suivante, et finie, ainsi que nous le dirons en son lieu, l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept, quelques mois après la conversion de Clovis, qui fut baptisé aux fêtes de Noël de l’année quatre cens quatre-vingt-seize. Le blocus dont il s’agit, et la guerre dont il est question, ont duré également quatre ou cinq ans. Clovis dont la domination s’étendoit presque jusques aux portes de Paris, depuis qu’il étoit maître des provinces obéïssantes, aura donc commencé à lui couper les vivres dès l’année quatre cens quatre-vingt-treize, et il n’aura r’ouvert les passages qu’après le traité par lequel la république des Armoriques passa sous sa domination dans le cours de l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept.

L’autre évenement que je crois pouvoir placer dans le tems de la guerre des Francs contre les provinces confederées, est le siége mis devant Nantes par l’armée de Clovis. Voyons ce qu’on en lit dans les opuscules de Gregoire de Tours. Cet auteur après y avoir parlé de la grande venération des habitans de Nantes pour trois saints, les protecteurs de cette ville, et dont les corps reposoient en deux églises differentes, s’explique ainsi : « Au tems du roi Clovis, la ville de Nantes assiegée par l’armée des barbares depuis deux mois, commençoit à souffrir beaucoup, lorsque sur le milieu de la nuit, le Peuple y vit distinctement des hommes vêtus de blanc & portant des cierges allumés, sortir de l’Eglise des Martyrs saint Rogatien & saint Donatien. Bientôt ce Chœur céleste fur joint par une troupe semblable, sortie de l’Eglise de saint Sambin Evêque & Confesseur. Ces deux Chœurs de Bienheureux après s’être entre-salués, firent ensemble leurs prieres, & dès qu’elles furent finies, chacun rentra dans l’Eglise dont il étoit sorti. Dans le tems même que nos Saints étoient en prieres, une terreur panique saisit les assiégeans, qui se retirerent avec tant de précipitation, que les Habitans de Nantes qui sortirent de leur Ville dès que le jour fut venu, n’en purent joindre aucun. Chillon le Genéral de l’Armée qui faisoit le siége de Nantes, connut bien, tout Payen qu’il étoit encore, que cet évenement devoit être miraculeux ; il se convertit donc, & il fut regeneré dans les eaux du Baptême, en reconnoissant à haute voix Jesus-Christ pour le Fils du Dieu vivant. »

il est vrai que la plûpart des auteurs modernes ne placent le siége de Nantes par Chillon, qu’en l’année cinq cens dix. Mais ils n’appuyent leur sentiment d’aucune raison, et j’en ai d’assez bonnes pour croire que c’est avant la conversion de Clovis qu’il faut placer la guerre qu’il fit contre les Armoriques, et dont il est très-probable que notre siége de Nantes a été un évenement. C’est que, comme nous le verrons dans la suite, les Armoriques dans le pays de qui étoit la ville de Nantes, se soumirent à Clovis dès l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept. C’est qu’une des circonstances du siége de Nantes, dont parle Gregoire de Tours, confirme encore mon opinion. Gregoire de Tours dit positivement que Chillon qui commandoit l’armée des Francs, les seuls barbares qui fussent alors à portée de tenir le siége devant Nantes durant deux mois, étoit encore payen. Or nous avons déja vû en parlant du petit nombre de sujets qu’avoit Clovis à son avenement à la couronne, que ceux de ses Francs qui ne voulurent point se faire baptiser avec lui, le quitterent et qu’ils se donnerent à Ragnacaire. Il n’y a donc point d’apparence que Clovis fût déja chrétien lorsqu’il envoya Chillon qui étoit encore payen, faire le siége de Nantes, et par consequent il paroît que ce siége a été fait avant l’année quatre cens seize.

Il ne me reste plus qu’à répondre à une objection qui se presente si naturellement, qu’il est impossible qu’elle ne vienne point dans l’esprit à quelqu’un de mes lecteurs : comment, dira-t-on, l’armée de Clovis a-t-elle pû s’avancer jusqu’à Nantes, et faire le siége de cette ville dans un tems, où suivant les apparences, ce prince ne tenoit encore aucune place sur la rive gauche de la Seine depuis Paris jusqu’à la mer ? Aussi je ne crois point que l’armée de Chillon fût venue par terre devant Nantes. Je crois qu’elle s’y étoit rendue par mer et comme les armées d’Audouagrius roi des Saxons étoient venues plusieurs fois devant Angers. On a lû dès le commencement de cet ouvrage, que les Francs étoient bons hommes de mer, et on a vû dans le troisiéme livre que sous le regne de Childéric, ils avoient pris et pillé les Isles des Saxons situées au nord de l’embouchure de l’Elbe. D’ailleurs, ce que dit Gregoire de Tours sur la promptitude avec laquelle les assiegeans de Nantes disparurent, et qui fut si grande, qu’on ne pût prendre aucun traîneur, induit à croire que ce fut en se rembarquant sur leurs bâtimens pendant le reflux, qu’ils se retirerent. On a vû encore que ces bâtimens étoient très-legers, et qu’ils abordoient par tout. L’entreprise étoit toujours bien hardie : j’en tombe d’accord ; mais Clovis qui la tentoit n’avoit encore que trente ans, et si l’expedition eût réussi, elle auroit obligé les Armoriques à capituler incessamment avec lui.


LIVRE 4 CHAPITRE 6

CHAPITRE VI.

Guerre de Clovis contre les Allemands. Conversion & Baptême de ce Prince.


Nous sommes arrivés au plus considerable des évenemens de la vie de Clovis, à l’évenement qui fut la cause de la conversion de ce prince, que les représentations, ni les prieres de sainte Clotilde n’avoient pû encore opérer. On a vû dès le premier livre de cet ouvrage, que les Allemands étoient une nation des plus nombreuses de la Germanie, et que son berceau étoit sur le Danube. On y a vû aussi que dès le commencement du cinquiéme siécle, quelques essains de cette nation s’étoient établis dans le pays, qui est au nord du lac de Genéve, et qui s’étend jusqu’au mont Jura. Cette colonie y devoit être toujours, lorsque Clovis eut la guerre contre la nation dont elle étoit, puisque notre peuplade se trouvoit encore dans la contrée qui vient d’être désignée au tems que Grégoire de Tours écrivoit, c’est-à-dire, à la fin du sixiéme siécle. Cet historien voulant désigner les lieux où Lupicinus et Romanus deux saints personnages dont nous avons déja parlé, et qui vivoient vers le milieu du cinquiéme siecle, s’étoient retirés et où ils avoient bâti le monastere connu aujourd’hui sous le nom de l’abbaye de saint Claude : dit, que ce lieu est situé assez près d’Avanches et entre le pays habité par les Bourguignons et le pays habité par des Allemands.

Nous avons vû aussi dans le second livre de cet ouvrage que d’autres essains d’Allemands habitoient sur la droite du Rhin, et qu’après la mort de Valentinien troisiéme, ils avoient passé le Rhin pour s’établir dans le pays appellé aujourd’hui l’Alsace, mais qu’ils avoient repassé ce fleuve, dès que l’empereur Petronius Maximus eut fait Avitus maître de la milice dans le dé- partement de la préfecture des Gaules. Il a encore été parlé des incursions que ces Allemands faisoient souvent en Italie. Or il est apparent qu’avant l’année quatre cens quatre-vingt, nos Allemands avoient passé le Rhin de nouveau et qu’ils s’étoient rétablis dans l’Alsace. En effet Procope dans l’exposition de l’état où étoient les Gaules immédiatement avant le renversement de l’empire d’Occident arrivé en quatre cens soixante et seize, et que nous avons rapportée en son lieu, place les Allemands et les Suéves dans une contrée qui étoit entre le pays habité par les Tongriens et le pays que tenoient les Bourguignons. C’est assez la situation de l’Alsace, et l’on ne doit point être surpris qu’un auteur grec ne l’ait pas désignée avec plus de précision. Procope ajoute que les Allemands et les Suéves établis dans les Gaules, et dont il parle en cet endroit de son histoire, étoient des peuples libres, et qui ne reconnoissoient en aucune maniere l’autorité de l’empire.

Nos Allemands joints avec les Suéves et fortifiés sans doute par le secours de ceux qui étoient demeurés dans la Germanie, et par le secours de ceux qui habitoient entre le mont-Jura et le lac Léman, car on verra par la suite de l’histoire, que toute la nation des Allemands prit part à cette guerre ; entrérent hostilement en quatre cens quatre-vingt-seize, dans la seconde des Germaniques occupée alors par les Francs Ripuaires dont Sigibert étoit roi. Ce prince se mit à la tête de son armée pour les repousser et il appella Clovis à son secours. Clovis le joignit et ils donnerent bataille à l’ennemi auprès de la ville de Tolbiac, qu’on croit avec fondement être aujourd’hui Zulpick, lieu situé en deçà du Rhin, et distant de quatre ou cinq lieuës de Cologne. L’action fut très-vive et le combat fort opiniâtré. Sigibert lui-même y reçut à la cuisse une blessure dont il demeura boiteux le reste de sa vie. Enfin l’armée des Francs étoit sur le point d’être battue quand le fidele Aurelien qui remarquoit apparemment que les Romains qui servoient dans l’armée de Clovis faisoient mal leur devoir, parce qu’ils s’ennuyoient d’attendre la conversion de ce prince, lui dit : » Seigneur, croyez en ce Dieu que Clotilde vous annonce, & ce Maître du Ciel & de la Terre vous fera remporter la victoire sur vos ennemis. Aussi-tôt le Roi des Saliens leva au Ciel ses yeux baignés de larmes & s’écria : Christ, vous que Clotilde annonce comme le fils du Dieu vivant, comme un Dieu qui donne du secours à ceux qui l’implorent dans leur affliction, & la victoire à ceux qui mettent en lui leur confiance, j’ai recours avec soumission à votre pouvoir suprême : Si vous me faites gagner la bataille, si je ressens des effets de votre protection tels que ceux qui croyent en vous disent qu’ils en ressentent chaque jour, je vous adorerai à l’avenir, & je me ferai baptiser en votre saint nom. Mes dieux que j’ai invoqués inutilement sont des dieux sans pouvoir, puisqu’ils ne m’aident pas. C’est donc vous Jesus-Christ que j’invoque à present. J’ai un veritable désir de pouvoir croire en vous. Donnez-moi donc la foi en me tirant des mains de mes ennemis. » Dès que Clovis eut prononcé ce vœu, ses troupes battirent les Suéves et les Allemands. Avant que de parler du baptême de Clovis, racontons les autres suites de la bataille de Tolbiac.

Le chef ou le roi des Allemands ayant été tué sur la place, ils demanderent à Clovis d’être reçus au nombre de ses sujets : » Nous nous soumettons, grand Prince, lui dirent-ils, àvotre domination. Ne nous faites donc plus la guerre, puisque nous sommes une portion de votre Peuple. » Clovis leur accorda ce qu’ils demandoient, et après les avoir obligés à se renfermer dans leurs anciennes limites, il revint dans ses Etats jouir de la paix qu’il venoit de rétablir. Voilà ce que dit Grégoire de Tours concernant le succès de cette guerre.

Suivant sa coutume, cet auteur abrege si fort le récit de ce grand évenement, qu’on peut l’accuser d’en donner une fausse idée. En effet, il semble en le lisant que la nation entiere des Allemands se soit soumise dans ce tems-là au roi des Saliens, et que ce prince n’ait eu pour lors à faire qu’avec une seule nation. Voilà néanmoins ce qui n’est pas. Tous les Allemands ne se soumirent point alors à Clovis, et dans cette guerre ils avoient les Sueves pour alliés. Tâchons donc à trouver ailleurs de quoi éclaircir la narration tronquée de notre historien.

Cassiodore nous apprend que tous les Allemands ne se soumirent point à Clovis en quatre cens quatre-vingt-seize. Il n’y eut que ceux d’entr’eux qui voulurent continuer à demeurer dans les pays qu’ils avoient occupés, qui le reconnurent pour souverain. Plusieurs autres essains de cette nation eurent recours à la protection de Theodoric roi d’Italie ; et quelques-uns d’entr’eux se réfugierent dans des pays de l’obéissance de ce prince ; c’est-à-dire dans la Rhètie et dans la Norique. Il les accueillit et il leur accorda sa protection. Nous avons encore la lettre qu’il écrivit aux habitans de la province Norique située entre les Alpes et le Danube, pour leur enjoindre d’échanger contre des bœufs frais et en état de tirer, les bœufs harrassés des Allemands qui voudroient passer outre. Il y a bien loin des environs de Cologne à la hauteur d’Ulm, et les bœufs qui tiroient les chariots des Allemands devoient être d’autant plus fatigués lorsqu’ils arriverent auprès du lieu où cette derniere ville a dans la suite été bâtie, que la crainte d’être atteints par les Francs qui suivoient toujours ces Allemands, les avoit obligés à marcher sans discontinuation. Theodoric écrivit même à Clovis, pour l’engager à ne poursuivre plus ces fugitifs, une lettre que Cassiodore nous a conservée, et dont voici la teneur.

» L’alliance qui est entre nous, me fait prendre beaucoup de part à la nouvelle gloire que les Francs, qui avoient été si long-tems sans faire parler d’eux, viennent d’acquerir en terrassant les Allemands qu’un Pouvoir superieur a humiliés devant vous… Ne poursuivez plus les restes malheureux de cette Nation, & faites graces à des infortunés qui ont pris leur azile dans des Pays qui sont sous l’obéissance de vos Prens : N’est-ce pas une assez belle victoire que d’avoir réduit un Peuple aussi nombreux & aussi courageux que celui-là, à vous demander quartier, après avoir vû son Roi tué dans le combat, & la plupart de les Citoyens morts ou devenus les Sujets d’un Prince étranger. Nous vous envoyons donc tels & tels, qui sont chargés de vous demander expressément de cesser toute hostilité contre les Allemands, & qui ont encore commission de vous communiquer de bouche plusieurs affaires importantes, comme de vous reveler des secrets que vous avez un grand interêt de sçavoir. Notre prospérité est liée avec la vôtre, & nous apprenons avec joye vos succès, persuadés que nous sommes qu’ils sont avantageux au Royaume d’Italie. » La Lettre de Theodoric finit par ce qu’il dit à Clovis concernant un habile musicien qu’il lui envoyoit.

Il me semble à propos d’interrompre l’histoire des Allemands, pour faire deux observations sur la lettre de Theodoric. La premiere sera, qu’il paroît que lorsque ce prince l’écrivit, il avoit déja épousé Audéfléde sœur de Clovis. Quand s’étoit fait ce mariage, dont j’aurai encore occasion de parler dans la suite ? Peut-être que ç’aura été avant que Theodoric vînt en Italie. Theodoric qui étoit chrétien avoit-il épousé Audéfléde quand elle étoit encore payenne aussi-bien que Clovis ? Cela s’est pû faire. Mais les apparences sont que cette princesse s’étoit faite arienne avant que son frere se convertît à la religion catholique. En effet nous verrons que Lantildis, une autre sœur de Clovis, avoit embrassé l’arianisme avant que son frere se fît chrétien, puisqu’elle abjura cette hérésie le jour même que ce prince se fit baptiser. Ma seconde observation roulera sur les choses importantes que les ambassadeurs de Théodoric étoient chargés de communiquer de bouche à Clovis. Autant qu’on peut le deviner, c’étoit des avis sur quelque traité d’alliance que les Bourguignons négocioient alors avec l’empereur Anastase, et dont les conditions interessoient les autres puissances de la Gaule. Comme Theodoric étoit alors brouillé avec cet empereur, ainsi que nous le dirons bientôt, il lui convenoit de faire une contre-ligue avec Clovis, et peut-être lui fit-il proposer dès-lors l’alliance offensive contre les Bourguignons, laquelle nous leur verrons conclure dans trois ans. Je reviens aux Allemands pour qui Theodoric intercédoit.

Il paroît qu’il obtint ce qu’il demandoit en leur faveur, et que Clovis cessa de poursuivre les vaincus. La suite de l’histoire apprend, que Theodoric en transplanta une partie en Italie et qu’il laissa l’autre dans les provinces qu’il tenoit entre les Alpes et le Danube ou dans les gorges septentrionales de ces montagnes. Ennodius parle des premiers, lorsqu’il dit dans son panegyrique de Theodoric. » Vous avez, sans rien aliéner du territoire de l’empire établi un corps d’Allemands en Italie. Vous nous faites garder aujourd’hui par ceux mêmes qui nous pilloient auparavant. D’un autre côté ces Allemands ne se trouvent pas moins bien que nous de cette transmigration, puisqu’après avoir perdu leur Roi, & après avoir vû leur Nation prête d’être dissipée par leur faute, ils sont devenus les Sujets d’un Prince aussi débonnaire que vous, & qui même a bien voulu les conserver en corps de Nation. Il leur tourne à bonheur d’avoir été réduits à se bannir de leur Patrie, puisqu’ils ont trouvé dans vos Etats un meilleur pays que celui qu’ils ont été forcés d’abandonner. » Il faut que le roi des Allemands tué à Tolbiac se fût opposé autant qu’il lui avoit été possible, à leur derniere invasion dans les Gaules.

Cependant, comme nous l’avons déja dit, tous les Allemands qui se retirerent dans les états de Theodoric après la bataille de Tolbiac, ne passerent point les Alpes pour aller s’établir en Italie. Il en resta quelques essains dans les provinces que ce prince tenoit au de-là des monts par rapport à l’Italie, et même ces essains furent toujours soumis aux rois d’Italie, et ils ne passerent sous la domination des francs, que lorsque les ostrogots cederent tout ce qu’ils possedoient hors de l’Italie aux enfans de Clovis. C’est de quoi nous parlerons un peu plus au long, lorsqu’il en sera tems.

Quant aux Suéves, que l’auteur des Gestes et la vie de saint Remy donnent aux Allemands pour alliés dans la guerre dont il est ici question, je vais dire ce que j’en pense. On lit dans Jornandés, que le pere de Theodoric roi d’Italie, Theodémir qui vivoit long-tems avant la bataille de Tolbiac, et sous le regne de l’empereur Leon, fit durant l’hyver une expedition contre les barbares qui habitoient sur le haut du Danube. » Il prit son tems, dit l’Historien des Gots, que le Danube étoit gelé, & passant à l’imprévû ce Fleuve sur la glace, il entra dans le pays des Suéves par l’endroit où ils ne l’attendoient pas. Cette peuplade de Suéves a presentement du côté de l’Orient le pays des Boïens, du côté de l’Occident celui des Francs, au Midi le pays des Bourguignons, & au Septentrion celui des Turingiens. Les Allemands étoient alors joints avec les Suéves. Cela n’empêcha point Theodémir de les défaire ; il les battit eux & leurs Alliés, il ravagea leur pays, & peu s’en falut qu’il ne les subjuguât. Après cette victoire, il revint dans la Pannonie où étoient ses quartiers. » En effet, comme Theodémir venoit de la Pannonie, c’est-à-dire, du côté de l’orient par rapport au pays des Suéves, il sembloit aux Suéves qu’il ne pût point tomber sur eux qu’en traversant la contrée ou habitoit le Boïen, laquelle les couvroit du côté du levant, mais Theodémir ayant remonté le Danube jusqu’au dessus de la hauteur du pays des Suéves, et puis ayant passé le fleuve sur la glace, il entra dans ce pays du côté du couchant, et il attaqua ainsi ses ennemis par où ils ne s’attendoient point d’être attaqués. Venons à l’usage que je prétends faire de l’endroit de Jornandès que j’ai rapporté, et dans lequel on trouve les confins du pays des Suéves marqués tels qu’ils étoient quand cet historien avoit la plume à la main vers le milieu du sixiéme siécle.

Je crois donc qu’une partie des Suéves dont on vient de parler, s’étoient joints quelque tems après l’avantage que Theodémir avoit remporté sur eux, avec les Allemands pour venir se cantonner dans le pays connu aujourd’hui sous le nom d’Alsace. Nous avons vû que Procope y plaçoit dès l’année quatre cens soixante et seize, une peuplade de Suéves et d’Allemands, laquelle ne reconnoissoit en aucune maniere l’autorité de l’empire. Cette colonie fortifiée des secours que lui auront envoyés les allemands et les suéves qui étoient demeurés dans leur ancienne patrie, aura voulu s’étendre du côté du bas-Rhin, et c’est ce qui aura donné lieu à la bataille de Tolbiac. Comme les Suéves étoient déja les alliés des Allemands sous le regne de l’empereur Leon, c’est-à-dire, vers l’année quatre cens soixante et dix ; rien n’est plus probable que de supposer qu’ils l’étoient encore en quatre cens quatre-vingt-seize. Voilà donc quels étoient les Suéves qui combattirent dans l’armée que Clovis défit à Tolbiac, et même il est apparent qu’ils avoient amené les Boïens ou les Bavarois avec lesquels ils confinoient du côté du levant. Je crois encore que Clovis qui, comme il est sensible en lisant la lettre de Theodoric, passa le Rhin après cette journée, sera entré hostilement dans le pays que ces nations possédoient depuis long-tems dans la Germanie, quand ce n’auroit été que pour suivre les Allemands qui gagnoient les contrées d’en deçà les monts à notre égard, lesquelles étoient de l’obéïssance de Theodoric. Ces contrées étoient, comme nous l’avons déja observé, les provinces que les Romains possedoient entre les Alpes et le Danube, ou du moins la partie de ces provinces que les barbares établis il y avoit long-tems, sur la rive gauche de ce fleuve, ne leur avoient point encore enlevées.

En effet je trouve dans les Annales des Boïens ou Bavarois, qu’après la bataille de Tolbiac ils se soumirent à Clovis par un traité qui les obligeoit à servir ce roi dans toutes ses guerres, et à ne donner que le titre de prince et de duc à leur chef, pour marquer qu’il étoit dépendant du roi des Francs, mais qui d’ailleurs les laissoit à tous autres égards un peuple libre et en droit de se gouverner suivant ses anciennes loix et ses anciens usages. Il est vrai que l’auteur de ces annales, Jean Thurmeir, si connu sous le nom d’Aventinus, ne sçauroit avoir écrit avant le quinziéme siécle. Ce qu’il dit cependant ne laisse point de mériter quelque croyance, principalement, s’il est vrai qu’il ait tiré tout ce qu’il avance concernant l’alliance des Francs et des Boïens, d’une lettre de Hatto archevêque de Mayence au pape Jean neuviéme, élû en neuf cens un, et de laquelle on gardoit encore du tems de cet historien, dans differentes archives d’Allemagne, des copies autentiques. D’ailleurs il est certain que les Bavarois ont été sujets des rois de la premiere race.

Clovis bien qu’il ne fût entré que comme auxiliaire dans la guerre que les Allemands faisoient à Sigebert, n’aura pas donc laissé d’y gagner beaucoup. Comme il avoit plus de forces que Sigebert, ç’aura été lui, qui aura fait sur l’ennemi commun les conquêtes les plus grandes. En obligeant les Bavarois, et par conséquent les Suéves plus voisins de ses Etats que les premiers, à lui fournir des soldats lorsqu’il auroit la guerre, il aura fort augmenté le nombre des combattans, qu’il pouvoit avoir sous ses enseignes. Ce prince en second lieu se sera rendu le maître du pays occupé dans les Gaules depuis quatre-vingt années, par ceux des Allemands, qui s’y étoient établis et ce pays s’étendoit du lac Leman jusques au Rhin. Il aura encore soumis à son pouvoir la partie de la Germanie que les Allemands tenoient encore pour lors, c’est-à-dire, celle qui est entre la rive droite du Rhin et la Montagne Noire.

Comment, dira-t-on, Clovis pouvoit-il communiquer avec ce pays-là, puisque nous ne lui avons point vû étendre son royaume du côté de l’orient, au de-là de la cité de Troyes ? Je réponds que Clovis avoit pû avant l’année quatre cens quatre-vingt-seize, se rendre le maître de la cité de Toul, dont on sçait la grande étendue. Il avoit pû l’occuper lorsque les provinces obéïssantes se soumirent à lui en quatre cens quatre-vingt-treize. Toul devoit être une des cités de ces Provinces-là. D’ailleurs Clovis durant le cours de la guerre avoit repris sur les Allemands qu’il reserra, suivant Gregoire de Tours, dans leurs anciennes habitations, une grande partie du pays qui se nomme aujourd’hui l’Alsace et très-certainement la cité de Bâle. Ainsi par cette cité il communiquoit avec le pays des Allemands qui l’avoient reconnu pour roi, et cette même cité donnoit encore à Clovis sur le Rhin un passage capable de faire respecter l’alliance des Francs Saliens par les Suéves et par les Boïens. Que Clovis ait été maître de Bâle c’est ce qui est certain par les souscriptions des évêques qui assisterent au premier concile d’Orleans tenu en cinq cens onze, sous la protection et par les soins de ce prince ; on trouve parmi ces souscriptions la signature d’Adelphius évêque de Bâle ; et il passe pour certain entre les sçavans, que les évêques n’alloient point alors aux conciles convoqués dans un lieu qui n’étoit pas de l’obéïssance de leur souverain. Or je ne vois pas où placer mieux l’acquisition de la cité de Bâle, et celle des pays qui étoient entre cette cité et les cités qui s’étoient soumises à Clovis dès l’année quatre cens quatre vingt-treize, qu’en la plaçant dans le cours de la guerre que ce prince fit aux Allemands en quatre cens quatre-vingt-seize. Clovis depuis ce tems jusqu’à sa mort arrivée cette année-là, ne porta plus la guerre qu’une fois dans ces contrées. Ce fut lorsqu’il attaqua en l’année cinq cens les Bourguignons qui tenoient veritablement la plus grande partie de la province Sequanoise dont Bâle étoit une cité. Mais on ne sçauroit prétendre que ce soit dans le cours de cette guerre-là que Clovis ait pris la cité de Bâle. En voici la raison. Clovis possédoit encore cette cité en cinq cens onze, et Gregoire de Tours dit positivement, comme on le verra, que le roi des Bourguignons recouvra avant la fin de la guerre tout ce qu’il avoit perdu depuis qu’elle avoit été déclarée. Ainsi je crois que la cité de Bâle aura été soumise par Clovis dès l’année quatre cens quatre-vingt-seize, et que de ce côté-là, Vindisch étoit alors la frontiére de la Bourgogne. On sçait bien que cette ville, qui est ruinée aujourd’hui, étoit auprès de celle de Baden en Suisse. Que Vindisch appartint encore aux Bourguignons en cinq cens dix-sept, on n’en sçauroit douter, puisque son évêque souscrivit au concile tenu à Epaone cette année-là, sous le bon plaisir de Sigismond leur roi.

Nous n’avons vû jusqu’ici que les moindres avantages que Clovis tira du gain de la bataille de Tolbiac. Voici donc l’histoire du baptême de ce prince, qui lui en procura de bien plus grands, telle qu’elle se lit dans Gregoire de Tours. » La Reine fit prier saint Remy de se rendre auprès du Roi pour l’instruire en secret. Il apprit de cet Evêque dans plusieurs conferences qu’ils eurent à l’insçu de la Cour, qu’il falloit pour être Chrétien renoncer au culte des Idoles incapables de s’aider » elles-mêmes, & à plus forte raison d’aider les autres, & adorer ensuite le Dieu Créateur du Ciel & de la Terre. Je me rendrois volontiers à vos instructions, disoit le Roi ; la seule chose qui me retient, c’est que ceux des Francs qui me font attachés, ne veulent point abandonner la religion de leurs peres. Donnez-moi le tems de leur faire comprendre vos raisons. Lorsque Clovis eut assemblé dans cette intention-là, les Francs ses Sujets, ils s’écriérent tous, comme par inspiration, dès qu’il eût commencé de leur parler : Nous renonçons au culte des Dieux périssables, & nous voilà prêts à reconnoître le Dieu qu’annonce l’Evêque de Reims. Aussi-tôt que saint Remy eut appris un évenement si heureux, il donna ordre de préparer les Fonts. On disposa tout dans le Baptistére, on y alluma un grand nombre de cierges ; on y fit brûler les encens les plus odoriferans, l’on tapissa les murs de la cour qui étoit devant cet édifice, & pour la mettre à couvert, on tendit au dessus des toiles enrichies de toute sorte de broderies. Dès que tout eût été préparé, notre nouveau Constantin se presenta & demanda au saint Évêque d’être régéneré dans les eaux du Baptême. Remy lui accorda la demande, & dès que le Roi proselite fut entré dans le bassin où il devoit être baptisé, il lui dit à haute voix avant que de verser l’eau : Sicambre baissez la tête & humiliez votre cœur. Brûlez désormais ce que vous adoriez, & adorez ce que vous brûliez. La sainteté de Remy, ajoute Grégoire de Tours, le rendoit respectable à tous ses Contemporains, & il est même dit dans sa Vie, qu’il avoit ressuscité un mort. »

Nous avons déja parlé fort au long de cette vie de l’apôtre des Francs : quant aux baptistéres, personne n’ignore que c’étoient des édifices construits exprès pour y administrer le sacrement de baptême, suivant le rit qui s’observoit alors en conferant ce sacrement, soit aux enfans, soit aux adultes. Il y avoit des baptistéres dans l’enceinte des bâtimens qui accompagnoient les églises cathédrales.

Quelques-unes ont même conservé leurs baptistéres. Grégoire De Tours finit ce qu’il a jugé à propos d’écrire concernant la conversion de Clovis, en disant : » Le Roi des Francs ayant confessé un seul Dieu en trois Personnes, il fut baptisé au Nom du Pere, du Fils & du Saint-Esprit, & il fut oint ensuite avec le saint Crême appliqué en forme de Croix. Trois mille de ses sujets en âge de porter les armes reçûrent le Baptême avec lui. Lantildis une de ses Sœurs qui s’étoit faite Arienne, abjura en même tems son hérésie, & fut reconciliée à l’Eglise par l’Onction. Une autre Sœur de Clovis qui se nommoit Albofléde, fut aussi baptisée avec lui. Cette Princesse étant morte peu de jours après, Clovis fut sensiblement touché de sa perte & son affliction donna lieu à saint Remy d’écrire à ce Prince une lettre de consolation que nous avons encore, & qui commence par ces paroles. La mort de votre Sœur Albofléde d’heureuse mémoire, m’afflige autant qu’elle vous afflige vous-même. Nous avons tort néanmoins de ne pas nous consoler en faisant une reflexion ; c’est qu’elle est sortie de ce monde ayant encore la grace du Baptême, & qu’après tout sa destinée est digne d’envie. » On ne trouve point dans Gregoire de Tours la suite de cette lettre, mais comme elle est un des monumens antiques de notre histoire, parvenus jusqu’à nous, je crois à propos d’en donner quelques autres fragmens, quand ce ne seroit que pour montrer que saint Remy, qui avoit parlé en égal à Clovis dans la lettre qu’il écrivit à ce roi, peu de tems après son avénement à la couronne, c’est-à-dire vers l’année quatre cens quatre-vingt deux, lui parloit l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept le langage d’un inférieur, parce que dès l’année quatre cens quatre-vingt-treize la cité de Reims s’étoit pleinement soumise au gouvernement du roi des Saliens.

» Je vous conjure, Seigneur, de chasser la tristesse de votre cœur, afin qu’ayant l’esprit tranquille vous puissiez manier les rênes du gouvernement avec plus de dextérité…… Vous avez un grand Etat à conduire, & si la Providence le permet, à rétablir. Vous êtes le chef de plus d’une Nation…… Je crois à propos d’interrompre ici l’extrait de notre lettre, pour faire deux observations. La premiere sera, qu’il est sensible en lisant les auteurs du sixiéme siécle, que par le mot regnum, qui se trouve dans le texte latin, on n’entendoit point toujours un regne, un royaume, ni regner par regnare, mais que souvent on entendoit simplement gouvernement et gouverner. La seconde sera, que quoiqu’il fallût entendre Royaume par Regnum dans la lettre de saint Remy, on ne devroit point être surpris de lui voir traiter ailleurs le gouvernement de Clovis, d’administration, de gestion faite pour un autre. Jusqu’à la cession des Gaules que Justinien fit aux rois Francs, saint Remy et les autres Romains n’ont dû regarder ces princes que comme officiers de l’empire. » Après avoir fait des veux pour un Prince si glorieux, j’oserai lui recommander le Prêtre Maccolus qui m’est fort attaché & que je lui envoye. Il ne me reste plus qu’à vous demander pardon de vous avoir écrit tout ce que mon devoir m’obligeoit à vous aller dire de bouche. Ainsi, supposé que vous me fassiez dire par celui qui vous remettra ma Lettre, que votre volonté est que je me rende auprès de votre Personne, je me mettrai incessamment en chemin, sans que la rigueur de l’hyver me retienne. »

Comme Albofléde mourut peu de jours après son baptême, les dernieres lignes de la lettre de saint Remy montrent sensiblement que cette princesse et son frere Clovis avoient été baptisés en hyver, et par consequent elles disposent à croire que cette cérémonie se fit, non pas le samedi saint, comme l’ont écrit Hincmar et Flodoard, mais aux fêtes de Noël, comme le dit positivement Alcimus Avitus, évêque de Vienne dans la lettre qu’il écrivit à ce prince pour le féliciter sur sa conversion, et dont nous rapporterons incessamment le contenu. D’ailleurs le témoignage d’un contemporain tel qu’Avitus, est si décisif, sur la question concernant le jour où Clovis fut baptisé, qu’il ne nous reste qu’une chose à faire ; c’est de découvrir, s’il est possible, ce qui peut avoir induit Hincmar et Flodoard dans l’erreur où ils sont tombés. Je dis s’il est possible, parce que je ne trouve point moi-même que les fondemens de ma conjecture soient trop solides.

L’Abbréviateur est le seul des historiens qui ont écrit sous la premiere race de nos rois, qui dise le jour où Clovis fut baptisé. Ainsi Hincmar et Flodoard peuvent bien avoir été reduits, quand ils auront voulu donner la date du baptême de Clovis, à recourir au récit de l’Abbréviateur. Voici ce qui se lit dans l’épitome de Frédegaire : Clovis reçut le baptême, et six mille francs le reçurent avec lui à la fête de la pâque du seigneur. Suivant les apparences, l’Abbréviateur a entendu ici par la Fête de la pâque du seigneur, non point les grandes pâques, comme on le disoit autrefois, mais la fête de la Nativité de Notre-Seigneur, qu’on appelloit pour lors apparemment dans les Gaules Pâques de Noël  ; ainsi qu’elle s’appelle encore aujourd’hui à Rome. Or, comme on dit encore aujourd’hui en Italie, Pâques de la Resurrection pour dire les grandes Pâques, et Pâques de la nativité de Notre-Seigneur, pour dire Noël ; on pouvoit bien aussi dire la même chose dans les Gaules du tems de Frédegaire. Je puis alleguer un fait notoire pour appuyer cette conjecture ; le voici. On trouve, dit le dictionnaire de l’Academie[13], dans tous les livres françois imprimés au dessus de soixante ans, faire ses Pâques, pour dire simplement faire ses dévotions et communier, soit à Noël, ou à la Pentecôte, ou à quelque autre jour que ce soit, indépendamment de la fête de Pâques. L’usage dont parle le dictionnaire de l’Academie me paroît le vestige d’un autre usage plus ancien, qui étoit celui de donner le nom de Pâques, en y ajoutant une épithéte distinctive aux principales fêtes de l’année. L’usage dont nous avons parlé en dernier lieu ayant cessé en France sous la premiere race, Hincmar et Flodoard qui n’auront pas eu ce qu’ils en avoient entendu dire assez present à l’esprit, se seront trompés lorsqu’ils consultérent l’Abbréviateur, en croyant qu’il fallût entendre de Pâques de la Resurrection, ce qu’il avoit dit de Pâques de la Nativité de Jesus-Christ. Celui des cahiers de l’ancienne vie de saint Remy, sur lequel l’histoire du baptême de Clovis étoit écrite, et qui auroit redressé Hincmar, et par conséquent Flodoard, se trouvoit être du nombre des cahiers déja perdus, quand Hincmar écrivit sa vie de saint Remy. Il se peut bien faire encore que par ces paroles in Pascha domini consecratus est, Frédegaire ait voulu dire simplement en prenant à la lettre le mot de Pâques, dont la signification propre est celle de passage  : que c’étoit par le ministére de saint Remy que Clovis avoit été consacré au Seigneur et qu’il est passé au service du véritable Dieu.

Ce que l’Abbréviateur dit dans la suite de sa narration pourra bien avoir encore contribué à induire en erreur Hincmar et Flodoard. Le voici. » Dans le tems que Clovis & ceux qui s’étoient faits Chrétiens avec lui portoient encore les habits blancs dont ils avoient été revêtus à leur Baptême, saint Remy leur prêcha un jour la Passion : Ou étions-nous alors, s’écria ce Prince, mes Francs & moi, les choses ne se seroient point passées ainsi ? » Je crois donc qu’Hincmar et Flodoard auront imaginé faute d’attention, que Clovis avoit eu cette saillie de zéle le premier dimanche d’après celui de Pâques de la Résurrection, et qui dans le calendrier ecclésiastique est appellé Dominica in albis. Mais le texte de l’Abbréviateur dit seulement que cet incident arriva lorsque Clovis et les siens portoient encore les habits blancs dont ils avoient été revêtus quand ils avoient été baptisés, et l’on sçait que l’usage de la primitive église étoit que les nouveaux chrétiens portassent ces habits durant quelques jours, en quelque tems que ce fût qu’ils eussent reçû le baptême. Quant à l’année où Clovis se fit chrétien, nous montrerons dans le huitiéme chapitre de ce quatriéme livre, que ce fut l’année quatre cens quatre-vingt-seize.

Il nous reste encore à parler du lieu où Clovis reçut le baptême, et de la phiole pleine d’huile qu’une colombe apporta du ciel pour servir aux onctions qui sont en usage dans l’administration de ce sacrement.

La narration de Gregoire de Tours et celle de l’Abbréviateur ne laisse pas lieu de douter que Clovis n’ait été baptisé dans le baptistére de l’église métropolitaine de Reims. Il fut baptisé par saint Remy qui étoit évêque de Reims, et ce saint, qui, suivant Gregoire de Tours, administra le baptême au roi des Francs dans un baptistére, le lui aura administré dans celui de sa cathédrale, dédiée à la Vierge. Si saint Remy eût baptisé Clovis dans un autre diocèse que celui de Reims, l’historien ecclésiastique des Francs l’auroit remarqué. Il est vrai que Nicetius évêque de Tréves, et auteur du sixiéme siécle, semble dire dans une lettre qu’il écrivoit à Clodesinde, petite fille de Clovis, que ce roi avoit été baptisé dans l’église de saint Martin, et comme il n’y avoit point d’apparence que ce prince eût voulu se faire baptiser dans l’église de saint Martin de Tours, parce que Tours étoit alors au pouvoir des Visigots, et n’est venu au pouvoir des Francs qu’environ douze ans après la conversion de Clovis, on a crû qu’il avoit reçû le baptême dans une église de S. Martin, bâtie dans la ville de Reims. Mais cela ne s’accorde point avec la narration de Gregoire de Tours, qui dit positivement, que Clovis reçût le baptême dans un baptistére, et il n’y avoit que les églises cathédrales qui en eussent. Ainsi j’aime mieux croire qu’un copiste qui vouloit dépêcher sa tâche, aura mis en transcrivant la lettre de Nicetius un grand D, et une grande M, pour signifier Divae Mariae, et qu’un autre copiste qui aura voulu mettre ces deux mots tout au long, aura écrit, Domini Martini. Je conclus donc que le roi des Francs doit avoir été baptisé dans le baptistére construit auprès de l’église cathédrale de Reims dédiée à la vierge, Divae Mariae. En effet l’empereur Louis Le Debonnaire dit positivement dans sa chartre octroyée en faveur de l’église cathédrale de Reims, et qui est rapportée dans l’histoire de Flodoard ; » Que c’étoit dans cette Eglise-là, que le Fondateur de notre Monarchie, lequel portoit le même nom que nous, avoit reçû le Baptême par les mains de saint Remy. Personne n’ignore que Clovis & Louis, sont le même nom. Qu’alleguer contre un pareil témoignage ? »

Quant à la sainte ampoule dont on se sert encore au sacre de nos rois : voici ce qu’en dit Hincmar :

» Dès que Clovis & saint Remy furent entrés dans le Baptistére, la foule remplit si bien toutes les avenues, que l’Ecclésiastique qui apportoit le saint Crême, & qui n’étoit point venu en même tems qu’eux, ne put jamais arriver jusqu’aux Fonts. Le saint Pontife quand il lui fallut faire les Onctions, tourna donc les yeux vers le Ciel, comme pour le prier de vouloir bien lui suggerer quelque moyen de sortir de la peine où il se trouvoit. Dans l’instant on vit une Colombe plus blanche que la neige, apporter à Remy une Ampoule pleine d’Huile, & disparoître aussi-tột qu’elle l’eût remise entre ses mains. Il se servit donc de cette Huile pour faire les Onctions accoutumées, & l’odeur qu’elle repandit étoit si suave, que tous les Assistans dirent qu’ils n’en avoient jamais senti une pareille. »

Il est vrai que Gregoire de Tours ne parle point de ce miracle, mais nous avons déja remarqué dans la préface de cet ouvrage, qu’on ne pouvoit gueres fonder aucun argument négatif sur le silence de cet historien. D’ailleurs Hincmar s’est servi, pour composer la vie de saint Remy, de plusieurs livres anciens que nous n’avons plus, et il se peut bien faire que ce soit dans un de ces écrits, qu’Hincmar ait trouvé ce qu’il dit concernant la sainte ampoule.

Nous avons exposé en parlant du nombre des sujets qu’avoit Clovis à son avenement à la couronne, ce qu’il y avoit à remarquer touchant le nombre des Francs qui reçurent le baptême avec lui.


LIVRE 4 CHAPITRE 7

CHAPITRE VII.

De la joye que les Catholiques témoignerent en apprenant la conversion de Clovis, & de la Lettre que Saint Avitus lui écrivit pour l’en feliciter. Négociations des Barbares établis dans les Gaules, à Constantinople. Guerre des Bourguignons contre les Ostrogots d’Italie.


Hincmar nous donne en peu de mots l’idée de la joye que la conversion de Clovis causa parmi tous les catholiques. Les anges, dit-il, s’en réjoüirent dans le ciel, et toutes les personnes qui aimoient Dieu veritablement, s’en réjoüirent sur la Terre.

On n’a point de peine à le croire, dès qu’on fait reflexion à l’état où se trouvoit alors la religion catholique. La foi d’Anastase empereur des Romains d’Orient étoit déja plus que suspecte. Quant à l’empire d’Occident, il n’y avoit dans son territoire aucun roi puissant qui fût catholique le jour que Clovis se convertit. Theodoric roi des Ostrogots qui regnoit en Italie, et Alaric roi des Visigots qui tenoit presque toute l’Espagne et le tiers des Gaules, étoient ariens. Les rois des Bourguignons et le roi des Vandales d’Afrique étoient de la même communion. Enfin les rois des Francs établis dans les Gaules, professoient encore la religion payenne. Il n’y avoit donc dans le monde Romain, le lendemain de la conversion de Clovis, d’autre souverain que lui, qui fût orthodoxe, et de qui les catholiques dussent esperer une protection capable d’empêcher les princes ariens de les persécuter. Non-seulement les évêques de la partie des Gaules qui reconnoissoit le pouvoir de Clovis, mais aussi les évêques qui avoient leurs diocèses dans les provinces occupées par les Visigots ou par les Bourguignons ; en un mot, tous les évêques du partage d’Occident auront regardé ce prince comme un nouveau Machabée suscité par la Providence pour être leur consolation, et même pour être leur liberateur. Enfin, bien que le tems ait détruit la plus grande partie des monumens litteraires du cinquiéme siecle, il en reste encore assez pour montrer que Clovis devint après son baptême, le héros de tous les catholiques d’Occident.

Le premier de ces monumens, est la lettre que le pape Anastase II qui avoit été élevé sur la chaire de saint Pierre, peu de tems avant la conversion de Clovis, lui adressa pour l’en féliciter. Elle lui devoit être rendue par Eumenius, prêtre de l’église de Rome. Anastase dit dans cette lettre : » J’espere que vous remplirez nos esperances, que vous deviendrez la plus précieuse des pierreries de notre Tiare, & que vous serez la plus grande consolation de l’Eglise qui vient de vous enfanter à Jesus-Christ. Notre cher, notre glorieux Fils, continuez à donner des sujets de joye à votre Mere ; soyez pour elle un soutien aussi solide qu'une colomne de fer, afin que ses prieres obtiennent du Ciel que vous cheminiez toujours dans la voye du salut , & qu'il fasse tomber à vos pieds les ennemis qui sont autour de vous. » On voit bien que les ennemis dont parle ici Anastase, sont principalement les Visigots et les Bourguignons : les uns et les autres étoient ariens.

C’est même des circonstances du tems où Clovis se convertit, que ses successeurs tiennent le glorieux nom de fils aîné de l’Eglise qu’ils portent encore aujourd’hui comme un titre d’honneur qui leur est particulier. Quand le roi des Saliens se fit baptiser, il n’y avoit alors en Occident, et nous venons de le dire, d’autre roi qui fût catholique que lui. Il étoit alors parmi les rois, non pas le fils aîné, mais le fils unique de l’Eglise. Quand la Providence a eu donné dans la suite aux successeurs de Clovis des têtes couronnées pour freres en Jesus-Christ, ces successeurs ont toujours conservé leur droit de primogeniture, et l’Eglise a toujours continué de les reconnoître pour ses fils aînés.

Un autre monument du nombre de ceux dont nous avons à parler, est la lettre qu’Alcimus Ecdicius Avitus évêque de Vienne et sujet de Gondebaud, l’un des rois des Bourguignons, écrivit à Clovis pour le féliciter sur son baptême. A en juger par la conduite que tinrent dans la suite les évêques des Gaules, il y eut bien d’autres qu’Avitus qui écrivirent alors à Clovis, mais leurs lettres se seront perduës. Quoiqu’il en ait été, Avitus qui eut lui-même tant de part, comme nous le verrons, dans les événemens de la guerre que Clovis, trois ans après son baptême, fit aux Bourguignons, ne se ménage point en écrivant à Clovis au sujet de sa conversion. Avitus parle à Clovis non pas comme à un prince étranger, mais comme à son souverain. On voit d’un autre côté dans la lettre d’Avitus que Clovis lorsqu’il eut enfin pris le parti de se faire chrétien, avoit donné part de sa résolution à l’évêque de Vienne, quoique ce prélat ne fut pas son sujet, et qu’il l’avoit même informé du jour qu’il seroit baptisé. Nous rapporterons donc le contenu de cette lettre et nous l’insérerons ici d’autant plus volontiers qu’elle met encore au fait de ce qui se passoit alors dans les Gaules, et qu’elle montre évidemment que les rois barbares qui s’y étoient établis, entretenoient des relations suivies avec l’empereur d’Orient ; enfin, qu’ils témoignoient une entiere déference pour la cour de Constantinople.

» Il semble que la Providence vienne d’envoyer un arbitre pour décider les questions qui s’agitent entre les Communions Chrétiennes. Un Prince aussi éclairé que vous, apprend aux autres hommes en choisissant un parti, quel est celui qu’ils doivent prendre. Votre conversion à la foi Catholique fera donc triompher l’Eglise de ses adversaires, d’autant plus certainement que cette conversion enseigne encore qu’il ne faut point avoir de répugnance à abjurer les erreurs de ses Peres. Si vous avez l’obligation à vos ancêtres de vous avoir laissé un Etat périssable & une Puissance passagere, vos descendans vous auront une obligation bien plus grande, puisque vous leur transmettez un trésor tout autrement précieux, je veux dire, l’avantage de naître dans le sein de l’Eglise : Que l’Empire d’Orient continuë, j’y consens, à se vanter d’avoir un Souverain Catholique ; mais cet Empire ne joüira plus seul d’un pareil bonheur. L’Empire d’Occident le partage maintenant. Un Roi qui regne depuis long-tems, est devenu un nouvel astre, dont les rayons vont éclairer aussi ce dernier Empire. Quel heureux augure que cet astre se soit levé le propre jour de la Naissance du Sauveur du monde, & que vous ayez été régéneré dans les eaux du Baptême, au tems même où l’Eglise celebroit la Nativité de Jesus-Christ. Le jour de Noël déja si cher aux Fideles, va leur devenir encore plus précieux, parce qu’il a été celui où vous vous êtes donné à Dieu & à vos Freres ! Quel sujet pour exercer l’éloquence de nos Orateurs, que l’auguste cérémonie dans laquelle on vous administra le Baptême ! Si je n’y ai point été present corporellement, j’y ai du moins assisté en esprit, quand le jour auquel vous aviez eu la bonté de m’avertir d’avance qu’elle devoit se faire, a été arrivé ; ainsi dans le moment qu’on répandoit sur vous les eaux salutaires, je m’occupois entierement de l’idée que je me formoisd’un spectacle si saint, où je me figurois voir plusieurs Evêques employer leurs mains consacrées au Seigneur à servir un Roi redourable aux Nations, qui s’humilioit devant le Dieu Tout-puissant. Nous voyons un de ces Prélats vous oindre à la tête, & un autre vous ôter votre cotte-d’armes & votre cuirasse pour vous revêtir des habits des nouveaux Chrétiens. Ces habits, quoique faits d’une étoffe sans résistance), vous rendront plus de service dans toutes vos guerres, que ne feroient des armes de la meilleure trempe. Croyez-moi, grand Prince, votre destinée ne vous a jamais fait avoir autant d’heureux succès que votre pieté va bientôt vous en procurer. Vos lumieres naturelles & votre sagesse me dispensent de vous donner ici les avis que je donnerois à un autre Prosélite. Irois-je vous dire qu’il faut avoir de la foi, quand vous croyez déja ? Vous dirois-je qu’il faut avoir de l’humilité, quand vous avez daigne vous recommander à mes prieres, même avant que vous eussiez promis en recevant le Baptême d’être humble de cœur ? Puis-je vous prêcher la compassion pour les affligés, quand un peuple de captifs dont vous avez brisé les chaînes, entretient sans cesse les Nations sur votre débonnaireté, & demande continuellement à Dieu qu’il veuille bien récompenser votre charité ? Il ne me reste donc qu’une chose à vous proposer. Le Seigneur aura bientôt achevé par votre moyen la conversion de route la Nation des Francs. Disposez-vous dès aujourd’hui à faire connoître son saint nom aux Peuples qui sont au-delà des pays où cette Nation habite maintenant, & qui ne sont pas encore infectés du venin de l’hérésie. Employez tous vos soins à faire connoître aux Peuples dont je parle, le Dieu qui vous a comblé de tant de benedictions ; & passant par-dessus la délicatesse ordinaire des Souverains, envoyez-leur des Ambassadeurs qui les pressent d’entrer dans le bercail de l’Eglise. Que les Nations idolâtres qui vous regardoient comme le plus grand Roi de leur Religion & comme leur Chef, en quelque sorte, soient converties par vos soins. Qu’elles se réunissent toutes dans le même sentiment de respect pour vos volontés, quelque differentes qu’elles restent dans les autres choses. Vous êtes un soleil qui se leve pour tout le monde, & dont aucun pays particulier, n’a droit, pour ainsi dire, de s’approprier la lumiere. Les pays qui ont le bonheur d’en être plus voisins, jouiront, il est vrai, d’une plus grande splendeur, mais ceux qui en sont le plus éloignés ne laisseront pas d’en être éclairés. Vos bienfaits se répandent déja dans tous les lieux, & déja vos Ministres rendent service à tout l’Empire. Continuez à faire les délices des Provinces où brille votre Couronne, & la consolation du reste du monde. Toutes les Gaules retentissent du bruit des heureux évenemens qui arrivent aux habitans de ses Provinces, par votre moyen. Nous-mêmes nous prenons une part très grande à vos succès ; & toutes les fois que vous triomphez, nous croyons avoir remporté une victoire. Votre bonheur n’a point changé la bonté naturelle de votre ame, & vous aimez toujours à faire les œuvres de miséricorde que la Religion nous recommande. C’est en exerçant votre charité que vous donnez les plus grandes preuves de votre puissance. Voilà sans doute le motif qui vous a engagé à demander qu’on remît entre vos mains le fils de l’illustre Laurentius qui vous est si dévoué, & qu’on exécutât promptement l’ordre que l’Empereur Anastafe avoit donné à ce sujet-là. J’ose me vanter d’avoir obtenu de mon Maître Gondebaud, qu’il fît en cela votre volonté. Il est Roi de la Nation, mais cela n’empêchera point que dans les occasions, vous ne trouviez en lui toute sorte de déference. Je vous recommande ce fils de Laurentius qu’on vous envoye, & que je félicite sur son bonheur, quoique je le lui envie. Il est moins heureux à mon sentiment d’être rendu à son pere, que d’être remis entre les mains de notre pere commun. »

Avant que de rapporter ce qui se trouve dans d’autres lettres d’Avitus concernant ce jeune homme, et de montrer que le Pere Sirmond a eu grande raison d’entendre par principale oraculum , un ordre de l’empereur Anastase, il est à propos de faire ici quelques autres observations sur la dépêche de cet évêque à Clovis. Ce ne sera point pour remarquer l’esprit dans lequel elle est écrite. Il y est trop sensible. Ce sera seulement pour en commenter l’endroit qui a rapport à un évenement dont nous n’avons point encore dû parler, et pour en expliquer un terme que quelques-uns de nos auteurs modernes ont, à ce qu’il me paroît, mal interprété.

Je dirai donc en premier lieu, que tout ce qui se trouve vers la fin de cette dépêche concernant les heureux évenemens qui arrivoient aux habitans des provinces des Gaules déja soumises à Clovis, et dans lesquels Avitus prend tant de part, regarde la réduction des Armoriques à l’obéissance de ce prince, suivie immédiatement de la capitulation que firent avec lui les troupes Romaines qui étoient encore dans les Gaules. Nous rapporterons dans le chapitre suivant ces deux évenemens arrivés peu de mois, et peut-être peu de jours après le baptême du roi des Saliens, mais qu’il fut aisé de prévoir, dès que ce prince eût déclaré qu’il alloit se faire catholique. En second lieu, j’observerai que l’épithete de votre soldat de miles vester , qu’Avitus donne au roi Gondebaud, ne doit pas être prise absolument dans son sens litteral, et qu’elle ne signifie pas nécessairement que le roi des Bourguignons fût le soldat de Clovis, ou pour parler le langage des siecles suivans, son feudataire : Gondebaud étoit un roi bien plus puissant sans comparaison que Clovis, lorsque ce dernier parvint à la couronne en quatre cens quatre-vingt-un, et nous ne voyons point que Clovis ait fait la guerre à Gondebaud, ni qu’il ait acquis aucun avantage sur lui, avant l’année cinq cens, qu’il l’attaqua et qu’il l’obligea de se rendre son tributaire. Suivant l’apparence cette expression de votre soldat a rapport à ce qui se traitoit dès-lors à Constantinople par Laurentius[14]. On peut bien croire que lorsque Anastase conféra la dignité de consul à Clovis, ce ne fut point en conséquence d’une négociation momentanée. L’empereur d’Orient n’aura point pris un parti aussi délicat que celui-là, sans avoir traité long-tems sur une pareille affaire, et sans avoir voulu être informé du sentiment des serviteurs qu’il avoit dans les Gaules. Ainsi quoiqu’Anastase n’ait conféré la dignité de consul à Clovis que dix ou douze années après sa conversion, il se peut bien faire que long-tems auparavant, cette affaire importante fût déja sur le tapis, et peut-être, que l’empereur eût laissé entendre qu’il revêtiroit le roi des Saliens de cette dignité aussi-tôt qu’il se seroit fait baptiser. Avitus qui étoit de l’intrigue, et que la situation où il se trouvoit, obligeoit à ne s’expliquer qu’en termes ambigus, aura donc fait allusion à l’état present de la négociation, lorsqu’il aura écrit à Clovis : « Gondebaud est à vos ordres, il est déja votre soldat. » C’étoit lui dire, puisque vous voilà chrétien, vous allez recevoir bientôt de Constantinople le diplome du consulat, et vous pouvez déja regarder Gondebaud comme un officier qui vous sera bientôt subordonné. En effet Gondebaud n’étoit que Patrice, et nous avons vû que suivant la constitution de l’empire dont les rois barbares établis sur son territoire, affectoient de paroître respecter les reglemens, le patriciat étoit une dignité subordonnée au consulat.

Qu’Avitus se soit servi des termes de Miles vester , pour exprimer la subordination de Gondebaud à Clovis, laquelle Avitus croyoit déja voir, il n’en faut point être surpris. Dès qu’on est médiocrement versé dans la connoissance des usages du quatriéme siecle et des deux siecles suivans, on n’ignore plus que les Romains de ces tems-là donnoient abusivement le nom de Miles , ou de Soldat , à tous ceux qui étoient au service des empereurs, en quelque qualité que ce fût, même à ceux qui exerçoient les emplois les plus éloignés de la profession des armes. En un mot, on comprenoit alors sous le nom de soldat, ceux mêmes des officiers du souverain qui sont désignés par le nom de Gens de plume , dans quelques-uns de nos auteurs François. Le lecteur peut consulter sur ce point-là, le Glossaire de la moyenne et de la basse latinité, de M Ducange. Cet usage étoit même cause qu’il y avoit dès le quatriéme siecle deux milices distinctes, l’une désignée par le titre de Milice armée , et l’autre par celui de Milice du Palais . Sevére Sulpice dit dans la Vie de saint Martin, que ce saint avoit servi étant encore fort jeune dans la milice armée . Cette distinction des deux milices, étoit comme une suite nécessaire de la nouvelle forme de gouvernement que Constantin Le Grand avoit établie, et dont nous avons parlé suffisamment dans le premier livre de cet ouvrage.

Il se peut bien faire encore qu’il n’y ait point dans la lettre d’Avitus à Clovis autant de mystére que je viens de le supposer. Peut-être que lorsqu’elle fut écrite, l’usage avoit donné une si grande extension à la signification du mot Miles, qu’il étoit permis de l’employer pour dire simplement, un homme qui fait profession d’avoir beaucoup de déference pour un autre,, et comme nous le disons familierement, qui est son serviteur : peut-être qu’alors le terme de Soldat, n’emportoit pas plus l’idée d’une personne subordonnée et obligée par son emploi à obéir à une autre, que le terme de servus, emportoit l’idée d’esclave, quoique servus signifie proprement un esclave. Ainsi notre évêque aura dit à Clovis que Gondebaud étoit son soldat, dans le même sens qu’il dit à Clovis que Laurentius est son esclave, quoique ce Romain, comme nous l’allons voir, ne fût en aucune façon l’esclave de Clovis, et qu’il fût seulement une personne attachée aux interêts de ce prince.

Ce qui fortifie cette derniere conjecture, c’est qu’Avitus dans une lettre dont nous allons rapporter le contenu, qualifie ce même Laurentius de Soldat du senateur Vitalianus à qui elle est écrite, quoique Laurentius ne servît en aucune maniere sous ce Vitalianus. Laurentius étoit seulement un homme attaché aux interêts de Vitalianus, un homme qui faisoit sa cour à Vitalianus. C’est ce que nous tenons d’Avitus lui-même, qui dans cette lettre, et dans la lettre suivante qu’il écrivit dans le même tems à un autre senateur de Constantinople nommé Celer, traite Laurentius de personnage illustre. Avitus lui donne encore le même titre dans une lettre écrite au patriarche de Constantinople, et il le lui avoit donné dans sa lettre à Clovis. L’évêque de Vienne n’auroit pas qualifié ainsi un homme aux gages d’un sénateur. Tous les jours l’usage autorise des acceptions de mots encore plus abusives que la signification dans laquelle je conjecture qu’Avitus aura employé le terme de Soldat en écrivant à Clovis.

Voyons presentement quel étoit ce Laurentius, et quels services il étoit à portée de rendre à Clovis ; aidons nous pour cela de ce qui en est dit dans les lettres d’Avitus. Nous n’avons aucunes lumieres d’ailleurs concernant ce romain. Je rapporterai donc en premier lieu la lettre écrite par Avitus sous le nom du comte Sigismond fils, et dans la suite successeur du roy Gondebaud, et adressée à Vitalianus un des sénateurs de l’empire d’Orient. Suivant les apparences, c’est le même Vitalianus qui joua depuis un si grand rolle dans cet empire[15], et qui après avoir pris les armes contre Anastase, et puis fait sa paix avec lui, fut assassiné sous le regne de Justin par les menées de Justinien, le même qui fut dans la suite empereur. Justinien craignoit que notre Vitalianus qui devoit être un homme de mérite et fort ambitieux, ne le traversât dans le dessein de succéder sur le thrône d’Orient, à l’empereur Justin frere de sa mere. Notre lettre est une de celles que nous venons de citer, et voici son contenu. » Pour juger sainement, vous devez tenir ceux que vous avez revêtus des Dignités de l’Empire, & vous ne devez point regarder avec l’indifference qu’on a d’ordinaire pour les absens, ceux que le service de notre commun Maître oblige à faire leur résidence dans des pays éloignés. Aux visites près que je ne suis point à portée de vous rendre, je ne manque à rien de tout ce qui peut vous donner des marques de mon amitié. Aujourd’hui il est question de me rendre un bon office auprès de l’Empereur Anastase le meilleur de tous les Princes, celui que vous & moi nous servons. Vous l’assurerez donc de mon attachement à ses interêts, que je cherche sans cesse l’occasion de lui en donner des preuves, & vous lui direz que je viens d’être assez heureux pour contenter cette envie, puisque c’est par mon entremise que mon pere Gondebaud, ce Roi qui vous aime si tendrement, a obéïà l’ordre Impérial qui enjoignoit de mettre en liberté le fils de votre client Laurentius. Nous vous avions déja envoyé un bon Serviteur en vous envoyant le pere, & quand nous vous envoyons aussi le fils, nous augmentons encore le nombre de vos créatures. Lorsque nous voulons bien vous rendre ce fils-là, vous pouvez juger si nous faisons un bon traitement à son frere qui reste ici. J’espere donc que Laurentius votre Soldat, & que je vous ai recommandé autrefois, voudra bien à son tour me recommander à vous quand je vous rends un de ses fils, afin que vous puissiez l’avancer. La satisfaction qu’aura leur pere en revoyant l’un de ses enfans & en apprenant les bons traitemens qu’on fait à l’autre dans sa Patrie, & que je me propose même de lui mener lorsque j’irai à Constantinople, méritera bien qu’il m’accorde la faveur que j’attends de lui. » Nous parlerons dans la suite du voyage de Sigismond à la cour de l’empereur d’Orient.

Il est sensible par cette lettre que Laurentius étoit né dans les Gaules, qu’il y avoit laissé deux fils lorsque Gondebaud l’avoit envoyé à Constantinople, où il s’étoit acquis une grande consideration, parce qu’il y étoit apparemment consulté sur les affaires de sa patrie. Il paroît encore qu’il falloit que Laurentius depuis qu’il étoit en faveur à la cour d’Anastase, ne s’y fût pas toujours conduit au gré de Gondebaud, puisque Gondebaud retenoit les fils de ce Romain malgré leur pere, et qu’il n’obéïssoit pas même à l’ordre impérial qui lui enjoignoit d’envoyer à Constantinople un de ces fils. Quelle intrigue Laurentius y tramoit-il, au préjudice de Gondebaud ? Il seroit curieux de le sçavoir positivement ; mais il paroît par l’interêt que prit Clovis dans les affaires de Laurentius, auquel il fit rendre son fils par la médiation de Sigismond, qu’Avitus sçut faire agir à propos, que l’intrigue dont se mêloit ou s’étoit mêlé Laurentius, se tramoit, ou s’étoit tramée en faveur de Clovis.

Voici encore une seconde lettre écrite comme la premiere, au nom de Sigismond par Avitus, et qui concerne le fils de Laurentius. Elle est adressée à Celer qui étoit comme Vitalianus, un des senateurs de Constantinople, et qui remplit dans la suite les dignités les plus importantes de l’empire d’Orient[16].

« Mon devoir et mon inclination ne me permettent pas de laisser passer, sans m’en prévaloir, aucune occasion de donner des marques de mon dévouement au Prince que le monde entier respecte. Je profite donc de celle qui s’offre pour lui témoigner mon attachement comme ma reconnoissance, & il ne me reste plus qu’à vous recommander ce fils de Laurentius qu’un ordre respectable appelle dans l’Empire d’Orient. Que ce fils qui va chercher son Pere dans des Pays si éloignés, retrouve sa Patrie dans votre maison ? Quant à vos Sujets fideles qui sont dans nos quartiers, nous attendons toujours la commission que vous devez nous envoyer & que nous souhaitons de recevoir, dans le dessein où nous sommes de la bien faire valoir. Dieu veuille qu’un mot sorti de la bouche auguste de notre Empereur, & dont nous aurions la preuve dans une Lettre écrite par une personne constituée en une Dignité aussi éminente que l’est la vôtre, puisse faire jouir la famille dont je suis le Fils aîné, de la gloire attachée à l’exercice des grands emplois de l’Empire Romain. »

Quelle étoit cette dignité dont la famille royale parmi les Bourguignons, attendoit le diplome de Constantinople ? Y avoit-on fait esperer à Gondebaud le consulat d’Occident que l’accommodement de Theodoric et d’Anastase, dont nous parlerons dans la suite, aura empêché Gondebaud d’obtenir ? S’agit-il seulement dans cette lettre du patriciat que Sigismond obtint pour lui à quelque tems de-là, et qu’il pouvoit demander dès-lors ? Qui peut le dire ?

Il me vient une idée dans l’esprit, c’est qu’après avoir fait voir comment Sigismond le fils aîné et le successeur de Gondebaud, parloit dans les lettres qu’il écrivoit à Constantinople aux ministres de l’empereur d’Orient, il convient de faire voir aussi, en quels termes s’énonçoit ce prince Bourguignon, lorsqu’il écrivoit à l’empereur même. Voici donc le contenu d’une lettre que Sigismond écrivit après qu’il eût été fait patrice, à l’empereur Anastase, et qui fut composée ainsi que les precedentes par Avitus.

» Si la distance des lieux & les circonstances presentes ne nous permettent point encore d’aller en personne vous assurer du dévouement que nous avons pour vous & comme votre Soldat, & par inclination, nous tâchons au moins de montrer des effets que nous sommes penétrés des sentimens qu’il ne nous est pas possible de vous exprimer de bouche. Nous nous imaginons d’ailleurs que toutes les fois que nous vous faisons rendre une Lettre, nous avons le bonheur d’être admis à votre audience & de vous feliciter sur la prospérité de votre regne. Quoique votre gloire éclate de l’un à l’autre bout du monde Romain, & qu’elle fasse par-tout l’entretien des Peuples & le motif de leur consolation, vous devez voir néanmoins avec quelque contentement que les personnes entre les mains de qui vous avez déposé une portion de votre pouvoir en leur conferant des Dignités qui leur communiquent le droit de faire porter les faisceaux devant elles, qui leur donnent, tout éloignées qu’elles sont de Constantinople, un rang dans votre Cour & le glorieux avantage de pouvoir se dire Romains ; que ces personnes-là, dis-je, ayent encore plus de joye que les autres des prosperités de votre regne, dont vos vertus semblent mériter que la durée soit éternelle. Rien ne fait mieux connoître la grandeur de votre Empire que la distance où sont de votre Capitalc, les lieux dans lesquels commandent vos Officiers. Il ne me reste plus qu’une grace à vous demander, c’est de ne point oublier ceux que vous avez comblés de vos bienfaits, & de n’en point perdre le souvenir, parce qu’ils habitent très-loin de votre Cour. Je me fatte donc que vous m’accorderez cette priere, qu’en con sequence vous recevrez avec bonté le Porteur de cette dépêche, & que vous daignerez même y faire une prompte réponse. »

Il ne faut point dire qu’on ne doit pas se faire sur cette lettre une idée du respect et de la déference, du moins apparente, que les rois barbares établis dans les Gaules avoient pour l’empereur d’Orient, parce qu’elle est écrite par Sigismond, quand il n’étoit pas encore roi des Bourguignons, mais seulement le fils de leur roi. Je rapporterai dans la suite de cet ouvrage deux lettres écrites au même Anastase[17] en cinq cens dix-sept, par le même Sigismond après qu’il fut devenu par la mort de son pere Gondebaud, le seul roy des Bourguignons, et l’on verra dans ces deux lettres autant de respect et de soumission pour l’empereur des romains d’Orient, qu’on en a vû dans celle qui vient d’être traduite.

J’ajouterai ici pour finir ce que j’ai à dire concernant la relation que les Bourguignons entretenoient avec la cour de Constantinople, dans le tems de la conversion de Clovis, que Sigismond y fit le voyage qu’il avoit déja projetté d’y faire, lorsqu’il écrivoit au senateur Celer, la lettre dont nous avons donné la substance. C’est ce que nous apprenons de la septiéme lettre d’Avitus, écrite au patriarche de Constantinople. On pourroit trouver étrange que cette lettre où il est parlé du voyage dont la lettre à Celer marque seulement le projet, fut la septiéme dans l’ordre où sont rangées les épîtres d’Avitus, quand celle qui est écrite à Celer ne s’y trouve que la quarante-troisiéme ; si les sçavans n’avoient déja remarqué que nous n’avons point ces épîtres non plus que celles de Sidonius, arrangées suivant leur date.

Avitus dit dans sa lettre au patriarche de Constantinople. » Je profite pour vous assurer de mon respect, du voyage de mon Patron & de votre fils le Patrice Sigismond, qui, chargé d’une commission importante, se rend auprès de notre glorieux Empereur. Il y a déja longtems que j’avois l’envie de rendre ce devoir à l’un des plus grands Prélats de la Chrétienté, & j’y ai été confirmé encore par une Lettre que m’écrit Laurentius, personne illustre, & dans laquelle il me mande que tous les troubles dont l’Eglise d’Orient étoit agitée, sont calmés, & qu’elle est enfin d’accord avec le Saint Siege. » Le reste roule sur la nécessité où est un patriarche de Constantinople, d’être en communion avec le pape.

Je dois avertir ici que la nouvelle écrite à l’évêque de Vienne par Laurentius étoit fausse, c’est-à-dire, qu’elle étoit prématurée. Il arrive tous les jours dans les affaires de cette nature, d’en écrire de pareilles. L’accommodement dont il s’agit, ne fut terminé que plusieurs années après le tems où le Personnage illustre avoit crû que tout étoit ajusté. La preuve de ce que je viens de dire, est que la lettre d’Avitus fut écrite avant l’avénement de Sigismond à la couronne des Bourguignons, et l’accommodement en question ne fut entierement achevé que sous le regne de Justin, qui parvint à l’empire en cinq cens dix-huit[18], et un an après que Sigismond eut succédé à son pere.

On ne sçauroit douter que la lettre d’Avitus rapportée en dernier lieu, ne soit écrite dans le tems que Gondebaud vivoit encore. En premier lieu, Avitus n’y traite Sigismond que de patrice, et il l’auroit traité probablement de patrice et de roi, si quand il écrivoit, ce prince eût été actuellement roi des Bourguignons. Cette raison pourroit, je le sçais bien, recevoir quelque difficulté, mais celle dont je vais l’appuyer me paroît sans réplique. C’est qu’il est contre toute vraisemblance que Sigismond ait fait un voyage aussi long que celui de Constantinople, depuis qu’il eut monté sur le trône, et dans un tems où il devoit craindre déja la guerre que les Francs lui firent quelques années après son avenement à la couronne.

Enfin nous voyons par la lettre même d’Avitus qu’il est plus plausible que Laurentius lui avoit mandé seulement que l’accommodement s’alloit conclure, qu’il n’est plausible qu’il lui eût écrit positivement que l’accommodement étoit entierement terminé. Si Laurentius eût écrit en termes clairs et précis, l’accommodement est consommé, Avitus n’auroit pas dit dans sa lettre au patriarche de Constantinople : » Confirmez-nous par un mot de votre main la nouvelle qui nous a été mandée par un Correspondant, qui certainement n’a point envie de nous tromper. » Mais, ce qui arrive tous les jours, quelque nouvel incident aura fait traîner en longueur la négociation qu’on avoit crue terminée heureusement. La paix n’est pas moins difficile à moyenner entre les puissances ecclésiastiques, qu’entre les puissances temporelles.

Ce sont les relations que Gondebaud eut avec Clovis immédiatement après le baptême du dernier, qui nous ont engagé à parler de celles que les Bourguignons entretenoient avec la cour de Constantinople, et nous l’avons fait d’autant plus volontiers, qu’il est impossible de bien éclaircir l’histoire de France, sans dire plusieurs choses qui ne sont pas de l’histoire de France. Il est très-probable d’ailleurs, à en juger par les évenemens, que les Francs avoient de pareilles liaisons avec cette même cour. C’est ce que nous sçaurions avec détail si nous avions autant de lettres de saint Remy ou d’Aurelien, que nous en avons d’Alcimus Avitus.

Je reviens aux rélations que Gondebaud eut avec Clovis, dès que ce dernier fut converti. Si le roi des Bourguignons affecta de témoigner pour lors, comme nous l’avons vû, toute sorte de déference pour Clovis, s’il lui fit mander qu’il étoit son Soldat , ce n’est point qu’il eût sincérement aucune amitié pour le roi des Francs, son neveu, puisqu’il devoit le regarder comme son rival de grandeur, et comme un rival très-dangereux. C’est que Gondebaud craignoit Clovis.

En premier lieu, Clovis, comme nous l’avons déja dit, et comme nous aurons encore plusieurs occasions de le faire voir, étoit devenu depuis son baptême, le héros des Romains des Gaules. En second lieu, Gondebaud avoit alors la guerre avec Théodoric roi d’Italie, et il pouvoit craindre que les Francs, s’il les mécontentoit ne s’alliassent contre lui avec les Ostrogots, et que les Visigots mêmes n’entrassent aussi dans la ligue qui se formeroit alors. Les Visigots devoient chercher à rentrer dans la province Marseilloise, dont après la mort d’Euric leur roi, ils avoient été dépouillés par les Bourguignons.

Il est vrai que plusieurs de nos historiens modernes prétendent qu’il n’y ait point eu de guerre entre les Ostrogots et les Bourguignons, jusques à celle qu’ils se firent en l’année cinq cens, et dans laquelle Théodoric fut allié avec Clovis contre Gondebaud. Mais je vais prouver le contraire, et faire voir qu’avant l’année cinq cens, les Bourguignons avoient été déja en guerre avec les Ostrogots. Ce qui rend très-probable que ces deux nations fussent actuellement ennemies en l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept.

On peut voir dans les Vies des saints[19] par Monsieur Baillet, comme dans les commentaires publiés sur les ouvrages d’Ennodius évêque de Pavie, dans le sixiéme siecle, et qui a écrit la vie de saint Epiphane un de ses prédecesseurs, que saint Epiphane fait évêque de Pavie en quatre cens soixante et six, mourut après trente ans d’épiscopat, c’est-à-dire, en quatre cens quatre-vingt-dix-sept. Cependant Ennodius rapporte que ce saint avant que de mourir fit dans les Gaules, la rédemption génerale des captifs sujets de Théodoric, et que les Bourguignons avoient faits esclaves dans le cours d’une guerre qui duroit encore quand ce rachat fut fait. Donc il y avoit eu une guerre entre Théodoric et Gondebaud avant celle qui commença l’année cinq cens. En second lieu, une des circonstances de cette rédemption qu’Ennodius rapporte, c’est, comme on va le lire, que Godégisile frere de Gondebaud et l’un des rois des Bourguignons vivoit encore quand elle se fit, et que même ces deux princes étoient alors en bonne intelligence. Or dans la guerre commencée en cinq cens, entre les Francs et les Ostrogots d’une part, et les Bourguignons de l’autre, et qui se termina en une campagne, Godégisile fut jusques à sa mort, l’allié des ennemis de son frere. Voyons à present ce que dit Ennodius concernant la rédemption dont il s’agit.

» Saint Epiphane ayant été envoyé dans les Gaules par Théodoric pour y traițer du rachat des Prisonniers de guerre que les Bourguignons avoient faits en Italie, il demanda une audience au Roi Gondebaud, & il lui dit : Voici grand Prince, une conjoncture bien singuliere. Un ennemi ne peut être victorieux que son ennemi ne soit vaincu, cependant vous pouvez aujourd’hui, vous & Théodoric, être vainqueurs également. Il veut racheter les Captifs que vous avez faits. Mettez-les en liberté sans rançon, Gondebaud & Théodoric triompheront ainsi sur le même Char. Le Roi des Bourguignons répondit d’abord à Saint Epiphane. Vous parlez bien comme un Pacificateur qui voudroit que les droitsacquis par les armes fussent comptés pour rien, & qu’on regardât comme des loix injustes, les loix de la guerre qui condamnent celui qui s’est rendu à être l’esclave du vainqueur qui lui a laissé la vie. » Cependant le respect de Gondebaud pour Saint Epiphane, et peut-être la crainte que ce prince avoit de Clovis, l’engagerent à tomber d’accord peu de tems après, de deux choses ; la premiere, de faire mettre gratuitement en liberté tous les habitans de l’Italie que la famine, d’autres malheurs, ou la crainte des évenemens avoient engagés à venir se rendre prisonniers de guerre, et même ceux de ces habitans qui se trouveroient avoir été vendus aux Bourguignons pendant le gouvernement tyrannique d’Odoacer. La seconde, étoit de faire relâcher moyennant une rançon modique ceux des sujets de Théodoric qui avoient été pris les armes à la main dans les actions de guerre, où les bourguignons avoient eu de l’avantage. « Je ne veux point, ajouta Gondebaud, dégouter mon peuple de la profession de soldat en lui ôtant son butin. » Ce prince fit ensuite expédier en bonne forme un acte de ce qu’il venoit d’octroyer, et il se servit pour cela du ministere de Laconius, un Romain sorti d’une famille dans laquelle il y avoit eu plusieurs dignités curules, et qui faisoit auprès de ce prince les fonctions d’un chancelier. L’acte fut remis à saint Epiphane qui le fit encore souscrire à Généve par Godégisile, l’autre roi des bourguignons, et il fut ensuite exécuté suivant sa teneur. Une pareille convention est un grand acheminement à un traité de paix, mais comme Ennodius ne dit point précisement que saint Epiphane eût terminé pour lors la guerre des Bourguignons contre les Ostrogots, il est à croire qu’il ne la termina point. Si S. Epiphane eût moyenné cette paix, son panegyriste n’auroit point manqué de l’en louer avec autant d’emphase, qu’il l’avoit loué à l’occasion du traité conclu vingt ans auparavant, entre Euric roi des Visigots et l’empereur Julius Népos. Ainsi je crois que la guerre entre les Bourguignons et les Ostrogots duroit encore lorsque, comme nous le verrons, les Ostrogots se liguerent avec les Francs contre les Bourguignons, en l’année quatre cens quatre-vingt-dix-neuf.

LIVRE 4 CHAPITRE 8

CHAPITRE VIII.

Reduction des Armoriques à l’obéïssance de Clovis, & Capitulation des Troupes Romaines avec lui. Epoque tirée du Baptême de Clovis. Qu’il faut lire Armoriques, & non pas Arboriques, dans l’endroit de l’Histoire de Procope, où il est fait mention de ces évenemens.


Il est tems de reprendre le fil de l’histoire de Clovis, et de rapporter ce que nous pouvons sçavoir encore concernant les progrès qu’il fit dans les Gaules, immédiatement après son baptême. Ce fut durant l’année qui le suivit que les provinces confédérées se soumirent à la domination de ce prince.

Ce fut aussi dans cette même année que les troupes reglées qui restoient à l’empire dans les Gaules, passerent au service du roi des Saliens, et qu’elles remirent à ce prince en lui prêtant le serment de fidelité, les pays qu’elles avoient jusques là gardés au nom de Rome, c’est-à-dire les pays qui sont entre la Loire et le Loir, ainsi que quelques contrées adjacentes, et peut-être le Berry ; je dis peut-être le Berry, parce qu’il paroît qu’en l’année cinq cens six le Berry, ou du moins une partie de cette cité, étoit sous la domination des Visigots. Tétradius son évêque est un de ceux qui ont souscrit les actes du concile[20] tenu dans Agde cette année-là, sous le bon plaisir d’Alaric second. Il se peut faire aussi que le Berry ayant été remis aux Francs dès l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept, Alaric leur en eût enlevé du moins une partie au commencement du sixiéme siecle, et avant l’année cinq cens six. Cette occupation aura peut-être été l’une des causes qui fit prendre les armes à Clovis en l’année cinq cens sept contre les Visigots.

Nous avons vû que c’étoit dans tous ces païs-là que les troupes romaines s’étoient comme concentrées, parce qu’ils étoient la frontiere des provinces obéïssantes et des provinces confédérées du côté des visigots et du côté des bourguignons. Mais avant que de faire lire ce que Procope a écrit des deux grands évenemens dont je parle, je crois qu’il est à propos de faire souvenir le lecteur de la maniere dont est amenée la digression dans laquelle cet auteur nous donne l’histoire abregée de l’établissement de la monarchie Françoise dans les Gaules.

Procope ayant omis d’expliquer dès le commencement de son histoire de la guerre commencée par Justinien en l’année cinq cens trente-cinq contre les Ostrogots d’Italie, en quel état l’Europe se trouvoit alors, cet écrivain se voit obligé lorsqu’il lui faut parler de la part que les Francs prirent à cette guerre, à faire une digression pour exposer qui étoient ces Francs, de quel pays ils étoient sortis, de quelle maniere ils s’étoient rendus maîtres des Gaules, et de quelle maniere enfin ils s’étoient établis dans le voisinage de l’Italie. Ainsi la digression de Procope contient un récit abbregé de tout ce que les Francs avoient fait depuis qu’ils eurent commencé à s’établir sur la rive gauche du Rhin qui étoit du territoire de l’empire, jusqu’à l’année cinq cens trente-six, qu’ils prirent part à la guerre que Justinien faisoit en Italie contre les Ostrogots.

On peut diviser la digression de Procope en deux chapitres ou en deux parties, et cela en composant la premiere du récit de tout ce que firent les Francs depuis leur premier établissement dans les Gaules jusques à l’année cinq cens qu’ils s’allierent avec les Ostrogots contre les Bourguignons ; et la seconde partie, de tout ce qu’ils firent depuis cette alliance jusqu’à l’année cinq cens trente-six qu’ils s’interesserent dans la querelle de Justinien avec les Ostrogots.

La premiere partie de la digression de Procope se subdivise naturellement en deux sections, dont la premiere contient le récit de ce que les Francs avoient fait depuis leur premier établissement dans les Gaules jusqu’à la réduction des Armoriques. La seconde section de ce premier chapitre contient et le récit de cette réduction, qui, comme le remarque Procope, fut la principale cause de l’agrandissement de Clovis, et le récit de ce qui se passa depuis jusqu’à l’alliance de ce prince avec les Ostrogots en l’année cinq cens.

Quoique j’aye déja rapporté par fragmens la premiere section du premier chapitre de la digression de Procope, je crois cependant devoir transcrire ici tout ce premier chapitre en entier. Le lecteur voyant ainsi d’un seul coup d’œil l’idée génerale que Procope donne des progrès des Francs depuis leur premier établissement dans les Gaules, jusques-à l’exécution pleine et entiere de la capitulation que firent les troupes Romaines avec eux, il en sera mieux en état de juger si le plan de mon ouvrage quadre avec l’idée que nous donne de la fondation de la monarchie Françoise, un historien qui avoit de la capacité, et qui avoit vû en Italie, où il étoit secretaire de Bélisaire le géneral de Justinien, plusieurs Francs et plusieurs Romains contemporains de Clovis.

» Je vais expliquer quelle étoit la premiere habitation de ces Francs connus autrefois sous le nom de Germains, de quelle maniere ils s’étoient rendus maîtres des Gaules, & ce qui les avoit fait devenir ennemis des Ostrogots. » Procope commence ensuite cette exposition par donner une notion generale de la Partie Occidentale de l’Europe, & dès qu’il l’a donnée, il continuë ainsi : » Le Rhin avant que de se jetter dans l’Ocean forme plusieurs marécages, où habitoient autrefois les Germains connus aujourd’hui sous le nom de Francs. Cette Nation étoit encore peu célebre dans ces tems-là. Elle confinoit d’un côté avec les Armoriques, qui de même que tous les autres Peuples des Gaules & de l’Espagne, avoient été dans les tems précedens Sujets de l’Empire Romain. A l’Orient des Armoriques habitoient les Turingiens, Nation Barbare, à qui Octavius Cesar, le premier des Empereurs qui ait porté le nom d’Auguste, avoit permis de s’établir dans cette Contrée. En marchant du côté du Midi, on trouvoit à quelque distance du Pays des Turingiens, les Provinces que tenoient les Bourguignons. Plus avant dans les Gaules, c’est-à-dire, plus près de la rive gauche du Rhin que ne l’est le Pays des Turingiens, étoit la contrée tenuë par les Suéves & par les Allemands, Nations libres, puissantes & qui ne reconnoissoient point l’Empire. Il étoit encore arrivé que les Visigots avoient envahi le territoire de l’Empire Romain & qu’après plusieurs hostilités, ils s’étoient rendus ses Maîtres & même Souverains de l’Espagne, & de celles des Provinces des Gaules qui sont au Couchant du Rhône. Les Armoriques néan » moins étoient demeurés tes Alliés des Romains ausquels ils fournissoient des troupes auxiliaires. Les Francs qui confinoient avec les Armoriques, voulaient se prévaloir des troubles qui surviennent ordinairement dans un Etat où l’on a introduit une nouvelle forme de gouvernement, afin de les soumettre à leur domination. D’abord les Francs se contenterent de vexer les Armoriques par des courses, afin de les amener au but ; mais voyant bien que ces incursions ne suffiroient point pour cela, ils leur firent la guerre dans toutes les formes. Tant qu’elle dura, les Armoriques montrerent beaucoup de courage & d’attachement aux interêts de l’Empire : Enfin les Francs s’étant convaincus qu’ils ne pouvoient point exécuter leur projet par la voie des armes, ils eurent recours à celle de la négociation ; & ils leur proposerent d’unir leurs deux Nations par une alliance qui les rendît en quelque sorte un seul & même Peuple. La proposition fut acceptée, parce que les Francs qui la faisoient étoient Chrétiens, & que les Armoriques à qui on la faisoit étoient aussi Chrétiens, & la puissance où cette Nation jumelle se trouve parvenuë aujourd’hui, est le fruit de l’union dont je parle. Les troupes Romaines qui étoient postées sur la frontiere du pays que l’Empire tenoit encore dans les Gaules, se voyant ainsi coupées & ne pouvant pas d’un autre côté se résoudre à se jetter entre les bras des Ariens à qui elles faisoient tête, elles prirent le parti de capituler avec les Francs & les Armoriques, au service de qui elles passerent, & à qui elles remirent le Pays confié à leur garde. Les Soldats de ces troupes conserverent la maniere de faire le service en usage dans la Milice Romaine, & même ceux qui les ont remplacés, observent encore aujourd’hui cette discipline. Lorsqu’ils sont commandés, c’est toujours selon l’ordre reglé dans l’ancienne Matricule[21], & ils ne marchent que dans les cas où ceux à la place desquels ils sont enrollés, auroient été en tour de marcher. Quand ces légions se mettent en bataille, c’est sous des enseignes subordonnées les unes aux autres, & pareilles en cela aux enseignes qu’elles avoient avant leur capitulation avec les Francs & les Armoriques. Enfin elles observent en tout leur ancienne discipline. Elles sont toujours armées comme vêtuës à la Romaine, & même le simple Soldat y porte encore cette espece de chaussure particuliere au simple Soldat Romain, & connuë sous le nom de Caliga. Pour mettre mieux le Lecteur au fait de ma narration ; il faut le faire souvenir que tant que la Ville de Rome se maintint dans son ancien état, l’autorité de ses Empereurs fut toujours reconnuë dans une partie des Gaules, laquelle s’étendoit même jusques au Rhin ; mais après qu’Odoacer se fut rendu maître par force de cette Capitale de l’Occident, il ceda les droits de l’Empire sur les Gaules aux Visigots, qui s’étoient emparés de toutes celles des Provinces de cette vaste Contrée qu’ils avoient pû occuper, de maniere qu’ils avoient étendu leurs quartiers jusques aux Alpes, qui la séparent de la Ligurie. » Procope a raison d’ajouter cet éclaircissement à sa narration. En effet, comme nous l’avons vû, ce fut cette cession faite d’abord par Julius Nepos, puis confirmée un an après par Odoacer, et contre laquelle tous les Romains des Gaules se révolterent, qui donna lieu à la confusion où tomba leur patrie vers l’année quatre cens soixante et seize, et les progrès des Francs, dont notre historien rend compte, furent une suite de cette confusion.

Si Procope ne parle que de la cession faite par Odoacer, et s’il ne dit rien de celle que Julius Népos avoit faite un an auparavant, c’est parce qu’il écrit un abregé, ou peut-être pour rejetter entierement sur un roi barbare la faute qu’un empereur partageoit du moins avec lui. Les détails que cet historien rapporte concernant le service des troupes Romaines qui prêterent serment de fidelité à Clovis, semble marquer qu’il y avoit parmi elles et des troupes de campagne et des troupes de frontiere. Comme il a écrit soixante ans après l’évenement dont il s’agit, et comme il avoit pû voir, lorsqu’il étoit encore en Italie, des Francs et des Romains qui en avoient été témoins oculaires, les moindres circonstances dont il rend compte, sont dignes d’une grande attention, d’autant plus que c’est lui seul qui peut nous instruire aujourd’hui de ce point de l’histoire de l’établissement du royaume des Francs, dans laquelle il n’y en a pas de plus important. Ces évenemens arriverent, comme on le va voir, en l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept, et quand Clovis avoit déja regné seize ans.

Procope ne dit point, il est vrai, en quelle année les Armoriques et les troupes Romaines qui gardoient les frontieres des Gaules contre les ariens, c’est-à-dire, contre les Visigots et contre les Bourguignons, se soumirent au roi des Francs. Il se contente de nous apprendre que les Francs étoient déja chrétiens lorsque cet évenement arriva. Heureusement il nous est resté une chartre de Clovis qui nous instruit de deux choses. La premiere, est que Clovis comptoit en même-tems la seiziéme année de son regne, et la premiere année d’après son baptême. La seconde, c’est que Clovis comptoit aussi en même-tems et la premiere année d’après son baptême et la premiere année d’après la soumission des Gaulois  : ainsi cette chartre précieuse nous enseigne que la soumission des Gaules à ce prince, est un évenement qui appartient à l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept. Entrons en preuve et commençons par rapporter les endroits de cette chartre qui font foi sans avoir besoin d’aucun commentaire, que la premiere année du christianisme de Clovis, se rencontroit avec la seiziéme année de son regne.

J’ai déja parlé de l’autenticité de la vie de S. Jean De Reomay, écrite par Jonas, et que le Pere Rouyer jesuite nous a donnée dans son histoire de l’abbaye du Moutier-Saint-Jean. Or nous lisons dans cette vie : » On ne sçauroit douter de l’extrême considération que les Rois des Francs contemporains de saint Jean de Reomay avoient pour lui, quand on jette seulement les yeux sur leurs Chartres qui se gardent dans le Trésor de son Abbaye, & par lesquelles ces Princes accordent tant de bienfaits au Serviteur de Dieu. » Cela dispose à croire sans peine que parmi ces chartres il y en avoit une octroyée par Clovis, qui, comme on l’a vû, fut un des rois Francs contemporains du saint personnage Jean. Aussi le Pere Rouyer en raporte-t-il une qu’il dit être tirée du cartulaire de l’abbaye du Moustier-Saint-Jean, et qui est intitulée Ordonnance de Clovis. On peut voir cette chartre dans son livre imprimé en mil six cens trente-sept. Quand bien même nous n’aurions pas une expedition plus autentique de cette chartre, nous ne laisserions pas d’être en droit de la citer avec quelque confiance, mais nous l’avons en original. C’est la premiere piece d’un livre imprimé en mil six cens soixante et quatre, intitulé : Recueil de plusieurs pieces curieuses pour l’histoire de Bourgogne, par Monsieur Perard doyen de la chambre des comptes de Dijon ; et l’auteur nous assure qu’il a fait la copie de la chartre de Clovis qu’il nous donne, sur l’original même de cette chartre conservée dans les archives, dont la garde est confiée à la compagnie, de laquelle il se trouvoit alors le doyen. Voici les endroits essentiels de cette piece.

» Clovis Roi des Francs & Personnage illustre : Qu’il soit notoire à tous les Evêques, &c. Que le saint Homme Jean si connu par ses bonnes œuvres, étant venu la premiere année que nous avons fait profession du Christianisme & que les Gaulois ont reconnu notre autorité, mettre sous notre protection son Monastere situé dans le lieu dit Tornatrinse, afin qu’il fût désormais sous notre sauvegarde & sous celle des Rois nos Successeurs, nous croyons devoir pour meriter de plus en plus les faveurs célestes, lui octroyer sa demande. » Clovis dit ensuite, qu’il a fait expédier les presentes lettres signées de sa main, afin qu’il fût notoire à tous presens et à venir qu’il a octroyé au saint homme Jean sa demande, qu’il lui a donné encore differens droits et franchises, et qu’il entend que le monastére de Reomay demeure toujours sous la protection et sauvegarde des rois ses successeurs. La date de la chartre est : « Donné à Reims le vingt-neuviéme decembre en la cinquiéme indiction. » On y lit ensuite. Moi, Anachalus, j’ai remis cette chartre la seiziéme année du regne du grand Clovis. » En voilà suffisamment pour montrer que la premiere année du christianisme de Clovis, et la seiziéme année de son regne, se rencontrerent. Or cette année est la même que l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept. Clovis est mort en cinq cens onze[22], la trentiéme année de son regne, comme le dit Grégoire de Tours, à la fin du second livre de son Histoire. Ainsi Clovis a dû commencer son regne en quatre cens quatre-vingt-un, et supposé qu’il l’ait commencé le premier janvier de cette année-là, car nous n’avons aucune notion ni du jour ni du mois qu’il parvint à la couronne, la seiziéme année de son regne, se rencontrera parfaitement avec l’année de Jesus-Christ, quatre-cens quatre-vingt-dix-sept. Ainsi cette année et celle de la date de la chartre, quadrent très-bien. Ce calcul est encore confirmé par une circonstance décisive, et qui se trouve dans notre chartre. Il y est dit que l’année où l’on se trouvoit quand elle fut expediée, étoit la cinquiéme de l’indiction courante, et l’on peut voir dans le glossaire latin de Monsieur Du Cange[23], que l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept, a été réellement la cinquiéme année d’une indiction. On sçait de quel poids doit être une pareille preuve dans le cas dont il est ici question. Enfin, j’ajouterai que plusieurs manuscrits de Gregoire de Tours portent, que ce fut l’année quinziéme de son regne que Clovis eut contre les Allemands la guerre dans laquelle se donna la bataille de Tolbiac, et par consequent que ce fut à la fin de cette année-là, que se fit la cérémonie du baptême de ce prince. L’auteur des Gestes dit encore dans tous ses manuscrits, que la bataille de Tolbiac et la conversion de Clovis sont deux évenemens qui appartiennent à la quinziéme année du regne de ce prince ; c’est-à-dire, à l’année de Jesus-Christ quatre cens quatre-vingt-seize. Or puisque la quinziéme année de Clovis quadre avec l’année quatre cens quatre-vingt-seize, comme nous l’avons vû, il s’ensuit que sa seiziéme année quadre avec l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept de Jesus-Christ.

Dès qu’il est constaté que la seiziéme année de Clovis revient à l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept de l’ère chrétienne, il est clair que ce fut dans cette derniere année que les Armoriques et les troupes Romaines qui gardoient la Loire se soumirent à Clovis. En effet la chartre associe la date du baptême de Clovis, ainsi que la date de ces deux autres évenemens, avec la seiziéme année du regne de Clovis, en énonçant que la supplication du S. Homme Jean, laquelle donnoit lieu à l’expedition de cet acte, avoit été faite l’année premiere d’après le baptême de Clovis, et d’après la soumission des Gaulois. Suivant la narration de Procope, la capitulation des troupes Romaines avec Clovis, a dû suivre de près la réduction des Armoriques à l’obéïssance de ce prince.

Il est vrai qu’on pourroit faire sur ce point-là une difficulté en disant ; selon la date apposée à la chartre, elle est du vingt-neuviéme decembre de l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept. Or ce jour-là l’on ne devoit plus compter la premiere, mais la seconde année d’après le baptême de Clovis, puisque Clovis reçut ce sacrement le vingt-cinquiéme decembre de l’année quatre cens quatre-vingt-seize. On pourroit faire plusieurs réponses à cette difficulté, mais je me contenterai d’en alleguer une. C’est qu’il y a si peu de tems entre le vingt-cinquiéme et le vingt-neuviéme de decembre, qu’il se peut très-bien faire que saint Jean De Reomay eût mis son monastére sous la protection du roi des Francs quelques jours avant Noël, et que cependant l’acte qu’il demandoit ne lui ait été expedié que le premier jour ouvrable après Noël ; c’est-à-dire, le vingt-neuviéme decembre.

En attribuant ce que dit notre chartre de la soumission des Gaulois, à la soumission des Armoriques, et des troupes Romaines, deux évenemens assez importans pour en faire une espece d’époque, puisque Procope dit formellement que ce fut au premier que les Francs eurent la principale obligation de leur agrandissement, notre chartre n’est plus exposée à aucune contradiction, elle n’est plus sujette aux soupçons qui tombent sur les actes anciens qu’on ne sçauroit expliquer que par des interprétations ou forcées ou purement arbitraires. Aussi toutes les contradictions que la chartre dont il s’agit peut avoir reçûës venoient-elles de ce que ce diplome avoit été mal expliqué, parce qu’on avoit supposé que la phrase, la soumission des Gaulois, fût rélative à des évenemens qui certainement ne sont point arrivés la premiere année après le baptême de Clovis, ni par consequent la seiziéme année après son avenement à la couronne des Saliens.

En effet, les notes dont le Pere Rouyer, qui autant que je puis le sçavoir, est le premier éditeur de cette chartre, a bien voulu l’accompagner, se trouvent plus propres à faire douter de son autenticité qu’à la prouver, parce que cet auteur faute d’avoir connu à quels événemens de la vie de Clovis, il falloit appliquer la phrase la premiere année d’après la soumission des Gaulois, en fait une application qui n’est point soutenable d’autant qu’elle est contredite par la chronologie. Or une chartre mal expliquée passe aisément pour une chartre fausse.

Le Pere Rouyer donc, après avoir allegué que dans plusieurs auteurs les Gaulois dits absolument, signifient les Gaulois de celles des provinces des Gaules qui portoient le nom de Lyonnoises, ajoute : » Je ne doute point que la soumission des Gaulois que la Chartre place dans la même année que le Baptême de Clovis, ne doive s’entendre de ce qui arriva immédiatement après la conversion de ce Prince, lorsqu’il défit Gondebaud & qu’il le contraignit à se rendre son Tributaire. Clovis qui n’étoit maître auparavant que d’une partie de la Gaule Lyonnoise, la subjugua en entier alors, &’il s’empara même de la Ville de Lyon. » Comme il est aisé de convaincre de fausseté une telle supposition par les Fastes seuls de Marius Aventicensis, où l’on voit clairement que ce ne fut qu’en l’année cinq cens, c’est-à-dire, trois ou quatre ans après le baptême de Clovis, que ce prince fit la guerre à Gondebaud, il a dû résulter d’une pareille explication, plusieurs soupçons contre l’acte mal expliqué. L’autenticité de la chartre en question aura donc paru suspecte à plusieurs sçavans, parce qu’elle contenoit, suivant cette interprétation, des faits qui ne pouvoient être conciliés avec les faits certains de notre histoire. Comme on vient de le voir ; ce fut la quatriéme année et non la premiere année d’après son baptême que Clovis fit la guerre à Gondebaud. Je ne sçais point si quelques-uns de ces sçavans ont mis leurs doutes par écrit, ou s’ils se sont contentés de les expliquer de vive voix. Ce que je sçais, c’est que leurs doutes ont donné lieu à Monsieur Pérard de dire dans une note qu’il a fait imprimer immédiatement après notre chartre : Quelques personnes dont j’estime la censure, ont eu de la peine à confeniir à la verité de cette Chartre sur des conjectures d’Histoire assez plausibles. Mais outre qu’elle se trouve originale dans la chambre des Comptes de Dijon, en la maniere qu’elle est ici rapportée, c’est qu’il y a titre pour justifier qu’on s’en est servi il y a plus de trois cens ans, & qu’elle a été reconnue en justice. Cet auteur cite ensuite quelques occasions où la chartre de Clovis a été reconnue pour autentique dans les tribunaux, et il rapporte encore une chartre de Clotaire Premier, où il est énoncé qu’il confirme le contenu dans celle de son pere Clovis.

Notre explication est propre à dissiper toutes ces difficultés. En admettant cette explication très-plausible par elle-même, les faits que la chartre contient servent autant que le lieu même où cet instrument se trouve déposé et que les autres preuves d’autenticité qu’il porte avec lui, à montrer qu’il est une piece dont la verité est incontestable.

Je ne vois qu’une difficulté qu’on puisse faire désormais avec quelque fondement sur ce sujet-là. C’est que le lieu où l’abbaye du Moustiers-Saint-Jean est bâtie, n’a point été sous la domination de Clovis. Ce lieu est dans la cité ou diocèse de Langres, et le diocèse de Langres appartenoit aux Bourguignons six ans après la mort de Clovis, puisque Grégoire évêque de Langres souscrivit au concile tenu à Epaone en cinq cens dix-sept, sous la protection et par les soins de leur roi Sigismond.

Il est vrai que tant que Clovis a vécu, le diocése de Langres a toujours été sous la domination des Bourguignons ; mais l’abbaye du Moustiers-Saint-Jean qui est bâtie à l’extrêmité septentrionale de ce diocèse, comme l’observe le Pere Daniel[24], pouvoit bien être sur le territoire de Clovis. Quoique les Bourguignons tinssent la ville capitale de la cité de Langres et la plus grande partie du plat-pays de cette cité, il pouvoit bien se faire que les Francs en eussent occupé quelque canton après le désastre de Syagrius. Nous l’avons observé déja, dans des revolutions pareilles à celle qui arriva pour lors, les bornes légales des provinces et des autres districts, ne sont pas toujours respectées : elles ne sont pas toujours celles qui limitent les acquisitions des conquerans. Ils les étendent jusques aux fleuves, aux montagnes et aux autres bornes naturelles, capables par elles-mêmes d’arrêter les progrès d’un vainqueur. Quoiqu’il en ait été, il sera toujours certain que l’abbaye du Moustiers-Saint-Jean étoit du moins voisine de la frontiere des Francs. Ainsi elle pouvoit très-bien tenir des terres et d’autres possessions dans les pays de l’obéïssance de Clovis. On sçait d’ailleurs qu’une abbaye bâtie sur les liziéres d’un Etat, a presque autant de besoin de la protection du prince avec le territoire de qui elle confine, que de celle du souverain du lieu où elle est assise.

Après avoir constaté la date de la réduction des Armoriques et des troupes Romaines à l’obéissance de Clovis, il me reste encore à faire deux observations sur ces évenemens. La premiere, sera pour en montrer la vraisemblance : et la seconde, pour rendre raison de la correction qu’on fait ordinairement dans le texte de Procope, en y lisant les Armoriques, au lieu des Arboriques.

Quant à l’union des Armoriques avec les Francs, je me flatte qu’après avoir fait quelques réflexions sur l’histoire de la confédération Maritime, on trouvera probable que les peuples qui étoient entrés dans cette ligue, se soient enfin unis avec les Francs dans les circonstances où l’on a vû que les uns et les autres ils associerent leurs fortunes. On pourra peut-être avoir plus de peine à concevoir que des troupes Romaines ayent pû se résoudre à passer au service d’un roi barbare. Les trois réflexions que je vais faire à ce sujet, rendront l’évenement très-vraisemblable.

Clovis étoit véritablement un roi barbare ; mais quoiqu’il n’eût point encore été fait consul, il ne laissoit point d’avoir déja une commission de l’empire, telle qu’elle pût être. Ainsi l’on peut conjecturer que les troupes Romaines qui gardoient la Loire, lui auront prêté serment en cette qualité.

En second lieu, les troupes Romaines qui servoient dans les Gaules durant le cinquiéme siecle, n’étoient pas des légions composées de citoyens nés au-delà des Alpes, ni de soldats élevés à l’ombre du Capitole, dans le sein des pénates de la république, et qui lui fussent aussi dévoués que l’étoient les légionaires, qui durant les sept premiers siecles de l’Etat, fondé par Romulus, avoient porté les armes pour son service, et qui presque tous avoient leurs domiciles dans les environs de Rome ou même dans Rome. La plûpart des soldats des troupes qui servoient encore sous ses enseignes ; et principalement ceux des troupes de frontieres, étoient nés dans les Gaules, dans l’Illyrie, dans la Germanie, dans l’Espagne, et dans d’autres provinces où leurs peres tenoient des bénefices militaires, et le plus grand nombre d’entr’eux n’avoit jamais vû, ni le Tibre, ni le Capitole. Nous avons remarqué dès le premier livre de cet ouvrage, que depuis Caracalla tous les citoyens des Etats soumis à l’empire, joüissoient du droit de bourgeoisie romaine, et qu’ils pouvoient par conséquent entrer dans les légions. D’ailleurs le nom de Rome avoit cessé à la fin du cinquiéme siecle, d’être un nom si respectable. Rome autrefois la reine du monde, n’étoit plus qu’une ville conquise et assujettie par les Ostrogots. Est-il donc si surprenant après ce qui vient d’être exposé, que les troupes Romaines qui servoient dans les Gaules en l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept, et dont les soldats nés la plûpart dans cette heureuse contrée, ne vouloient ni quitter leur profession, ni abandonner les établissemens qu’ils avoient dans leur patrie, ayent prêté à un prince victorieux un serment qui ne faisoit encore que les attacher à lui un peu plus étroitement qu’ils ne l’avoient été jusques-là. On a vû encore dans notre premier livre que long-tems avant Clovis les troupes Romaines qui étoient destinées à la deffense des Gaules, et dont les quartiers étoient dans ce pays-là, avoient déja la réputation d’être peu affectionnées au Capitole, et de chercher les occasions de se cantonner.

En effet, et c’est ma troisiéme réflexion, long-tems avant Clovis, et quand la monarchie Romaine étoit encore très-florissante, des légions du nombre de celles qui servoient dans les Gaules, ont prêté serment de fidelité à une puissance qui s’élevoit, je ne dis pas contre l’empereur regnant, mais contre l’empire. Durant la guerre que Civilis fit à l’empire sous le regne de Vespasien, plusieurs légions Romaines prêterent le serment militaire à l’empire des Gaules ; vain titre qu’une bande de rebelles attroupés donnoit à son phantôme de monarchie. Mais sans nous engager davantage dans ces discussions, citons deux exemples qui seuls rendroient très-croyable le fait dont il s’agit d’établir la vraisemblance.

Procope rapporte que lorsque Théodoric roi des Ostrogots se fût rendu maître de Rome, il y conserva les cohortes qui servoient de gardes aux empereurs, et qui faisoient à-peu-près le même service que faisoient les anciens prétoriens. Le roi des Ostrogots fit donner aux soldats dont il est question, la même subsistance qu’ils avoient sous les derniers Cesars : Croira-t’on que ce prince ne se fût point fait prêter serment de fidelité par les troupes qu’il voulut bien continuer d’entretenir. Passons au second exemple.

Isidore De Séville auteur né dans le sixiéme siecle, dit en parlant de Sisébutus qui monta sur le trône des Visigots en six cens douze, et dont le pouvoir fut reconnu dans toute l’Espagne. » C’est sous le regne de Sisébutus que les Visigots parvinrent au comble de leur fortune, car ce fur alors qu’après avoir soumis la terre, ils firent encore respecter leur Pavillon sur la mer, & qu’ils réduisirent à porter les armes pour leur service, ces Soldats Romains qui avoient donné autrefois la loi aux Nations, & de qui les Peuples de l’Espagne l’avoient eux-mêmes reçûë. »

Rendons compte maintenant des raisons que nous avons eûës pour lire dans le texte de Procope les Armoriques, au lieu des Arboriques. Comme M De Valois et la plûpart des sçavans qui ont eu l’occasion de parler de ce peuple-là, ont fait dans le texte de Procope la même correction que nous, et qu’ils y ont lû Armorici, au lieu d’Arborici, je ne serois point entré en aucune explication sur ce point-là, si le Pere Daniel qui a écrit depuis eux[25], n’avoit pas épousé le sentiment opposé au leur, et soutenu qu’il y avoit dans les Gaules sous le regne de Clovis, une nation nommée réellement les Arboriques.

Je dirai donc en premier lieu, qu’aucun auteur ancien, si l’on en excepte Procope, ne dit qu’il y ait eu jamais dans les Gaules non plus qu’ailleurs un peuple nommé Arborique. Cluvier, qui nous a donné tant d’excellens livres sur la géographie ancienne, s’explique en ces termes : » Personne n’a pû découvrir encore où étoient ces Arboriques, que Procope dit avoir été Sujets de l’Empire Romain en des tems antérieurs à ceux dont il écrivoit l’Histoire. Ce qui est certain, ajoûte notre Géographe, c’est que Procope entend parler dans cet endroit de son Livre, de quelque Peuple des Gaules. «  Si Cluvier n’a pas porté plus loin ses recherches sur les Arboriques, c’est qu’il ne faisoit point la description de la Gaule dans celui de ces ouvrages, où il dit ce qu’on vient de lire, mais bien la description de la Germanie.

Le Pere Daniel, il est vrai, assigne à ses Arboriques un territoire dans la Gaule, et il les place entre la Meuse, l’ocean, et l’Escault, dans la carte géographique qu’il a mise à la tête de son histoire. Mais cette position n’est pas soutenable. Nous avons huit ou dix notices ou recensemens des Gaules, composées sous les derniers empereurs. Quoiqu’il y soit fait un dénombrement assez exact des peuples qui habitoient la seconde Belgique, où devoit être le pays que le Pere Daniel assigne aux Arboriques pour leur demeure, il n’y est fait aucune mention de ces Arboriques, qui devoient néanmoins être un peuple nombreux. Enfin, si dans le cours du cinquiéme siecle il se fût établi dans les Gaules quelque peuple étranger appellé Arborique, et qui eût été aussi puissant que l’étoient les Armoriques lorsqu’ils s’associerent avec les Francs sous le regne de Clovis : pourquoi Sidonius Apollinaris n’en auroit-il point parlé, lui qui s’est plû tant de fois à faire, soit en prose, soit en vers, l’énumération de tous les barbares qui se cantonnoient dans cette grande province ? Pourquoi n’en trouveroit-on rien dans Salvien, ni dans Avitus, ni dans aucun autre auteur que Procope ? Enfin, pourquoi si les Arboriques eussent été placés à l’extrémité de la seconde Belgique, leur association avec les Francs, auroit-elle mis dans la nécessité de capituler avec Clovis, les troupes Romaines postées sur la Loire qui étoit la frontiere du territoire de l’empire du côté où il confinoit au pays tenu par les ariens, c’est-à-dire, par les Visigots et par les Bourguignons.

Aussi voyons-nous que les auteurs étrangers ou François qui ont écrit depuis que le Pere Daniel a eu publié le premier volume de son histoire, et qui ont eu occasion de parler des Arboriques, n’ont pas laissé de suivre la correction presque géneralement reçûë, et qu’ils ont écrit les Armoriques.

L’illustre M Leibnits dit dans son traité sur l’origine des Francs. » Les Arboriques, qui comme nous l’apprenons de Procope se soumirent aux Francs, n’étoient point une Nation particuliere, quoique le Pere Daniel & d’autres Ecrivains l’ayent cru. Ces Arboriques étoient les Peuples des Gaules lesquels habitoient sur la rive droite de la Loire & sur la côte de la mer dans laquelle se jette ce Fleuve, & qui avoient vécu autrefois sous la domination des Romains. A cet égard, je suis du sentiment de M. de Valois ; d’ailleurs Zosime tranche la difficulté, lorsque dans son sixiéme Livre, il désigne par le nom d’Armoriques, les Peuples dont il s’agit. C’est là probablement que Procope a pris son nom d’Arboriques, en alterant un peu celui d’Armoriques. »

Monsieur Hertius un des jurisconsultes du droit public les plus estimés en Allemagne, dit positivement dans sa notice de l’ancien royaume des francs, qui fut publiée par son fils en mil sept cens treize, qu’il est de l’avis de M De Valois et qu’il faut lire dans Procope, les Armoriques.

Un autre sçavant de la même nation, M Eccard qui nous donna en mil sept cens vingt, une nouvelle édition de la loi Salique et de la loi des Ripuaires, les deux loix suivant lesquelles la nation des Francs a été gouvernée sous les deux premieres races de nos rois, dit à propos d’une faute du Pere Daniel, qui fait venir les Ripuaires des Arboriques. » Les Arboriques ont été sans aucun doute, le même Peuple que les Ecrivains de l’antiquité nomment les Armoriques, dont le Pays étoit le long de la Loire, & s’étendoit jusqu’à l’Ocean. Si le Pere Daniel qui a tant de lumiere avoit lû Procope avec plus d’attention, & s’il eût ensuite conferé ce qu’écrit l’Historien Grec, avec ce qui se trouve dans Gregoire de Tours, il n’auroit pas manqué d’appercevoir la verité. »

Le pere Lobineau dit dans le second volume de son Histoire de Bretagne imprimé en mil sept cens sept. » Il y aura peut » être bien des gens qui ne voudront pas se persuader que les Arboriques de Procope soient les mêmes que les Armoriques, mais en verité la difference des noms n’est point assez grande pour imaginer sur un fondement si leger je ne sçais quelle Nation d’Arboriques ou d’Arbouches dans l’Allemagne & dans le Brabant. Ce que dit Procope, que ces Arboriques étoient à l’extrémité des Gaules, qu’ils étoient Chrétiens, qu’ils étoient à craindre aux Francs, & qu’il y avoit auprès d’eux des Ariens, ne peut convenir à aucune Nation du Brabant & de l’Allemagne, & convient parfaitement aux Armoriques. Il reste à répondre sur la difference des noms, mais quand elle seroit plus grande, l’éloignement des lieux, la diversité des Langues, & peut-être un manque d’exactitude, ont pû faire tomber Procope dans cette surprise. Au reste ce changement de l’M en B, est fort naturel comme on peut le voir par ce passage d’Aeschile, &c. »

Je ne crois pas néanmoins que Procope ait écrit lui-même Arborici pour Armorici, et je pense que cette faute doit être imputée à quelque copiste, qui l’aura commise d’autant plus aisément que les lettres courantes, dont les Grecs se sont servis long-tems encore après Procope, pour l’m et pour le b, étoient deux caracteres qui se ressembloient si fort qu’il étoit facile de s’y tromper et de prendre l’un pour l’autre dans le manuscrit que l’on transcrivoit. On peut voir dans la paléographie grecque du sçavant Dom Bernard De Montfaucon, que l’m ne differoit du b, figuré à peu près comme un u, que parce qu’elle avoit un jambage. Un copiste pressé aura omis ce jambage, et il aura fait d’Armorici, Arborici. C’est donc à l’aide d’un changement si leger qu’il mérite à peine le titre de correction, qu’on rend très-clair le passage de Procope, qui ne sçauroit être bien expliqué autrement. Nous sçavons par ce moyen quelle fut la fin de cette république des Armoriques, dont Zosime nous a raconté l’origine, dont Salvien nous parle comme d’un Etat subsistant encore en quatre cens cinquante, dont l’auteur de la vie de saint Germain-L’Auxerrois, nous apprend les malheurs, et dont Sidonius et Prosper disent aussi quelque chose. Enfin ce passage de Procope entendu, comme on vient de l’expliquer, nous met au fait de ce qu’ont voulu dire l’auteur des Gestes et Hincmar, lorsqu’immédiatement après avoir parlé du mariage de Clovis, fait vers l’année quatre cens quatre-vingt-treize, ils ont écrit l’un et l’autre. « Dans ce tems-là Clovis étendit son royaume jusques à la Seine, mais ce ne fut que dans les tems posterieurs qu’il l’étendit jusques à la Loire. » En effet, Clovis dont le pouvoir avoit été reconnu par les provinces obéissantes dès quatre cens quatre-vingt-treize, comme nous l’avons exposé, ne soumit qu’après son baptême, suivant Procope, et les Armoriques et les soldats Romains qui gardoient contre les Visigots plusieurs pays voisins de la Loire. Ainsi ce ne fut qu’en quatre cens quatre-vingt-dix-sept qu’il étendit son royaume jusques à ce fleuve.

Il me reste encore une chose à dire en faveur de notre correction, si petite quant au changement qu’elle fait dans la leçon de Procope, et d’une si grande importance quant à notre histoire ; c’est qu’il se trouve dans le texte de cet historien beaucoup d’autres noms propres mal écrits, et qu’il est nécessaire du consentement de tout le monde, de rétablir. Nous n’irons pas bien loin pour en chercher des preuves. Dans le même passage dont il est ici question, on lit le Po, où certainement Procope avoit mis le Rhône. Cet auteur qui avoit été long-tems en Italie sçavoit trop bien que le Po étoit un fleuve de ce pays-là, et non point un fleuve des Gaules. Si la faute de mettre Arborici pour Armorici, est faite plus d’une fois dans notre passage, celle d’avoir écrit Eridani pour Rhodani, et d’avoir ainsi fait du Rhône le Po, s’y trouve aussi repetée plusieurs fois.

Nous parlerons encore dans la suite de cet ouvrage, d’autres noms propres défigurés par les copistes de Procope. Ces copistes Grecs ayant vécu dans les derniers tems de l’empire de Constantinople, il n’est pas étonnant qu’ils ayent eu assez peu de connoissance de la géographie des Gaules, pour estropier le nom des villes, des fleuves et des nations de cette vaste contrée.

Je finirai ce chapitre par une conjecture que Vigner fait sur la réduction des Armoriques à l’obéissance de Clovis. La voici : » Ils avoient été incités par leurs Evêques à se ranger sous la loi des François plûtôt que des Visigots par les causes alleguées ci-dessus. En confirmation de quoi plusieurs ont écrit que S. Mélaine Evêque de Rennes[26] fut fort familier, voire un des Conseillers, du Roi Clovis, ce qui ne pouvoit être vrai s’il avoit été Sujet d’un autre Roi & non de lui. » Il seroit bien inutile après tout ce que j’ai dit des Armoriques, d’avertir le lecteur qu’il ne faut point les confondre comme l’ont fait quelques auteurs modernes, avec les Bretons Insulaires qui vinrent s’établir dans les Gaules, un petit nombre d’années après la réduction des premiers à l’obéissance de Clovis. Nous parlerons plus au long de ces Bretons Insulaires, qui n’ont rien eu de commun avec les Armoriques, si ce n’est d’avoir occupé une portion de la patrie des derniers.


LIVRE 4 CHAPITRE 9

CHAPITRE IX.

Des établissemens que Clovis aura pû faire dans les Gaules après la réduction des Armoriques, & de la jalousie que les Visigots conçurent contre lui. De l’époque tirée de l’année de la mort de Saint Martin.


Les deux évenemens importans dont nous venons de faire l’histoire, et qui rendirent Clovis maître de tous les pays qui sont entre la Seine et la Loire, ainsi que du Berri et des autres contrées que pouvoient encore tenir les troupes Romaines qui capitulerent avec lui, le rendirent en même-tems un prince puissant, et en état de faire beaucoup de graces à ceux qui s’attacheroient à lui. En effet les revenus de tant de riches provinces donnoient au roi de la tribu des Saliens le moyen de faire toucher régulierement une grosse solde à ses troupes et le moyen de pourvoir avantageusement les soldats mariés ou ceux qui voudroient se retirer. Ainsi l’on croira sans peine que dès-lors plusieurs Francs des autres tribus s’en séparerent pour s’incorporer dans celle des Saliens, et même que des tribus entieres s’attacherent à Clovis, afin d’obtenir de ce prince qu’il leur donnât dans les Gaules des quartiers tels que les Romains y en avoient donné dans les tems précedens aux confédérés. C’est apparemment ce que fit alors la tribu qui avoit pour son chef Regno- mer, frere de Ragnacaire roi des Francs du Cambresis. Comme nous trouverons que ce Regnomer étoit établi dans le Maine, lorsque nous viendrons à parler du traitement que Clovis fit aux autres rois des Francs vers l’année cinq cens dix, on peut croire que Clovis lui avoit donné des quartiers dans cette contrée, ou qu’il l’avoit maintenu dans ceux qu’il y avoit déja. Le roi des Saliens aura eu, en se conduisant ainsi, la même vûe et le même motif qui soixante ans auparavant avoient engagé Aetius à donner des quartiers sur la Loire aux Alains ; c’est-à-dire, le dessein de contenir les Armoriques. Nous avons déja parlé plus d’une fois du caractere de ces peuples-là.

La vénération que tous les Romains des Gaules avoient pour Clovis depuis sa conversion, aussi-bien que la réduction des Armoriques et des troupes Romaines à l’obéissance de ce prince, réveillerent contre lui la jalousie des Visigots, dont les états depuis ces évenemens étoient devenus frontieres des siens. Aussi l’histoire de ce tems-là, toute imparfaite qu’elle est, nous apprend-elle que ces barbares regardoient alors les Romains leurs sujets, et principalement les ecclésiastiques, comme des partisans secrets de Clovis, et qu’ils sacrifierent à leurs défiances bien ou mal fondées, plusieurs évêques. Je rapporterai ici la disgrace de deux de nos prélats qui furent persécutés et chassés de leur siége par ces hérétiques, qui ne leur reprochoient autre chose que d’être les créatures du prince qui venoit d’embrasser à Reims la religion catholique. Ce fut peu de tems après cet évenement que le premier de nos deux évêques souffrit persécution.

On peut voir par le catalogue des évêques de Tours qui se trouve à la fin du dixiéme livre de l’Histoire ecclésiastique des Francs, que Perpetuus, troisiéme successeur de saint Martin, sur le siége de l’église de cette ville, mourut vers l’année quatre cens quatre-vingt-onze : voici ce qu’on lit dans le second livre de cette histoire concernant le successeur de Perpetuus. » On mit à sa place Volusianus un des Sénateurs. Il devint suspect aux Visigots, qui, la septiéme année de son Episcopat, l’emmenerent comme un captif en Espagne, c’est-à-dire, dans la partie des Gaules, qui, comme nous l’expliquerons ailleurs, s’appelloit dans le tems où écrivoit Gregoire de Tours, l’Espagne Citérieure. Voici ce qu’il dit encore dans son catalogue des évêques de Tours, concernant Volusianus.

» Volusianus fut élu le septiéme Evêque de Tours à compter depuis Saint Gatien premier Evêque de cette Ville. Volusianus étoit pieux, riche, sorti d’une famille Sénatoriale, & même parent de Perpetuus son prédecesseur. Dans le tems que Volusianus étoit Evêque, Clovis regnoit déja sur plusieurs Contrées de la Gaule. Ce fut ce qui donna lieu aux soupçons que les Visigots conçurent contre notre Prélat qu’ils accuserent d’avoir formé le dessein de mettre son Diocèse sous le pouvoir des Francs. Ayant été traduit à Toulouse, il y fut condamné à être relegué, & il mourut dans le lieu de son exil. Son Episcopar fur de sept ans & deux mois. »

Le Pere Ruinart observe dans ses notes sur Gregoire de Tours, que le martyrologe romain fait mention de Volusianus sur le dix-huitiéme janvier, comme d’un martyr, et qu’il dit que notre saint est en grande vénération dans le pays de Foix, qui suivant les apparences fut le lieu de son exil et celui de sa mort.

En supposant comme Gregoire De Tours le dit positivement, que saint Martin soit mort sous le consulat de Flavius Caesarius et de Nonius Atticus[27], marqué dans les Fastes sur l’année trois cens quatre-vingt-dix-sept de l’ère chrétienne, et en supputant relativement à cette année-là, les années d’épiscopat que notre historien donne à chacun des successeurs de l’apôtre des Gaules, on trouvera que Volusianus quatriéme successeur de S. Martin a été élevé sur le siége de Tours[28] vers la fin de l’année quatre cens quatre-vingt-onze, et par conséquent que la sixiéme année révolue de son pontificat qui me paroît celle où il fut traduit à Toulouse, tombe en quatre cens quatre-vingt-dix-sept, tems où la conversion de Clovis devoit faire l’entretien de tous les Romains des Gaules. Voyons donc ce qu’on peut sçavoir avec certitude sur l’année de la mort de saint Martin qui souvent a servi d’époque dans notre histoire.

On ne sçauroit établir une date et fixer la premiere année d’une époque plus distinctement ni plus affirmativement, que Gregoire de Tours établit et fixe celle de l’époque tirée de la mort de saint Martin ; et cela, soit dans l’Histoire ecclésiastique des Francs, soit dans l’histoire des miracles de notre saint.

Gregoire De Tours dit dans l’Histoire ecclésiastique des Francs. » La seconde année du regne d’Arcadius & d’Honorius, mourut Saint Martin Evêque de Tours à l’âge de quatre-vingt-un an, & après vingt-six ans d’Episcopat. Il déceda dans le lieu de Candes qui est de son Diocèse, sous le Consulat d’Atticus & de Cæsarius, & ce fut un Dimanche sur le minuit. » Nous avons déja observé que ce consulat tomboit en l’année trois cens quatre-vingt-dix-sept de Jesus-Christ, et l’on pouvoit dire que cette même année Arcadius et Honorius étoient encore dans la seconde année de leur regne, en comptant par années révoluës, puisque leur pere Théodose Le Grand n’étoit mort que le dix-septiéme janvier trois cens quatre-vingt-quinze, et qu’ainsi la troisiéme année de leur regne ne devoit être révoluë que le dix-septiéme janvier de l’année trois cens quatre-vingt-dix-huit. On ne sçauroit donc établir une date plus distinctement et plus positivement que Gregoire de Tours établit dans son histoire la date de la mort de saint Martin.

Le pere de nos annales dit encore dans son premier livre des miracles de notre saint. » L’Apôtre des Gaules après vingt-cinq ans, quatre mois & dix jours d’Episcopat, mourut étant âgé de quatre-vingt-un an, sous le Consulat d’Atticus & de Cæsarius. Ce fut très-certainement un Dimanche vers le matin qu’expira le serviteur de Dieu. Nous en avons, ainsi qu’on va le voir dans le Chapitre suivant, des preuves positives. »

En effet, dans ce chapitre suivant, Gregoire de Tours raconte la vision que Sévérinus évêque de Cologne eut le même jour que mourut saint Martin, et il écrit. » Un Dimanche que Sévérinus faisoit ses stations, il entendit à l’heure même que Saint Martin expiroit, un chæur céleste qui chantoit dans les airs. » Sévérinus s’étant mis en priere, il apprit par révelation, que les chants qu’il entendoit étoient ceux des puissances célestes qui venoient recevoir l’ame de saint Martin.

Notre historien dit encore en parlant de la naissance de saint Martin qu’il vint au monde la onziéme année de l’empire de Constantin, laquelle tombe en l’année trois cens seize de Jesus-Christ. Or en ajoutant à cette année les quatre-vingt-un an que s Martin a vécu suivant Gregoire De Tours, on trouvera que ce saint doit être mort en trois cens quatre-vingt-dix-sept.

Enfin une hymne qui se chante le dixiéme novembre veille du jour de la fête de saint Martin dans l’église bâtie sur son tombeau, dit : « Le saint qui venoit de rétablir la paix parmi les ecclésiastiques de Candes, y mourut le jour du seigneur sur le minuit. » Tout le monde sçait que dans le style de la religion chrétienne, le jour du seigneur veut dire le dimanche.

Il est donc hors de doute que saint Martin est mort un dimanche. Quant à l’année de cette mort, comment est-il possible que notre historien s’y soit trompé, lui qui étoit évêque de Tours, et qui par conséquent avoit à sa disposition les diptiques de son église et je ne sçais combien de Chartres datées par consulat, et dans lesquelles il devoit souvent être fait mention de l’année de la mort de saint Martin le plus illustre de ses prédecesseurs. On observera encore qu’il n’y avoit pas deux cens ans que l’apôtre des Gaules étoit mort lorsque Gregoire De Tours écrivoit, et la tradition soutenue par les fêtes anniversaires qui furent instituées en l’honneur de notre saint soixante ans après sa mort, devoit avoir conservé dans la Touraine la mémoire de l’année où il étoit décedé[29]. Supposé que Gregoire de Tours se fût trompé sur la date de la mort de saint Martin, en écrivant celui de ses deux ouvrages que nous avons cités lequel fut publié le premier, ses propres diocésains se seroient soulevés contre l’erreur ; ils lui auroient indiqué des monumens, ils lui auroient allegué des faits capables de l’éclairer. Notre auteur auroit corrigé sa faute, et il se seroit bien gardé d’y retomber dans celui de ses deux ouvrages, qui fut publié le dernier.

Il faut dire cependant, ou qu’il n’y a pas de faute dans Gregoire de Tours, ou qu’il y a fait deux fois et en differens tems une faute grossiere, en donnant la date de la mort du plus illustre de ses prédecesseurs. La faute seroit de telle nature, qu’elle ne pourroit être imputée qu’à lui ? Comment la rejetter sur les copistes ? C’est de la négligence qu’on leur reproche ordinairement, et non pas de la mauvaise foi. Or l’inattention peut bien faire mettre quelquefois un chiffre numéral pour un autre chiffre numéral, mais elle ne sçauroit faire écrire en deux endroits differens, le nom de deux consuls pour celui de deux autres consuls, ni marquer avec précision, le rapport de la date de l’évenement principal, avec la date des années du regne d’Arcadius et d’Honorius.

Plusieurs sçavans néanmoins se sont inscrits en faux contre cette date. Monsieur Gervaïse prévôt de l’église de saint Martin de Tours prétend que ce saint est mort, non pas en quatre cens quatre-vingt-dix-sept, mais dès l’année quatre cens quatre-vingt-seize. Il écrit dans sa vie de saint Martin[30]. » La premiere année du regne d’Arcadius & d’Honorius ayant commencé le seiziéme Janvier de l’année trois cens quatre-vingt-quinze, jour de la mort de Théodose le Grand, leur pere, la seconde a dû aussi commencer au seiziéme Janvier de l’année trois cens quatre-vingt-seize, & Saint Martin decedé en Novembre a dû être mort cette même année ? » Il n’est pas possible néanmoins de transporter à l’année trois cens quatre-vingt-seize le consulat d’Atticus et de Caesarius, qui suivant le rapport que toutes les tables des Fastes consulaires qui nous sont restées, ont avec l’ère chrétienne, ne furent consuls qu’en l’an de grace trois cens quatre-vingt-dix-sept.

Aussi n’est-il pas nécessaire de faire une pareille transposition, pour trouver que saint Martin est mort la seconde année du regne d’Arcadius et d’Honorius. Il suffit de supposer que Gregoire de Tours a compté les années du regne de ces princes par années révolues, et non point par années courantes. C’est ainsi qu’il calcule les années de l’épiscopat de saint Martin dans le passage qui vient d’être cité[31]. Alors on trouvera, comme nous l’avons déja dit, que saint Martin sera mort dans le mois de novembre de l’année trois cens quatre-vingt-dix-sept. Il sera mort quand ces princes, qui ne monterent sur le thrône que le seiziéme janvier de l’année trois cens quatre-vingt-quinze, comptoient encore la deuxiéme année de leur regne en calculant par années révolues.

Le Pere Pétau, dont le nom seul prévient en faveur du sentiment qu’il veut établir, fait deux objections contre la date dont il est ici question, et la premiere paroît d’autant plus solide, qu’elle émane de l’astronomie. Il est certain, dit ce sçavant homme, que saint Martin est mort un dimanche, et que ce dimanche étoit un onziéme jour de novembre, puisque c’est l’onziéme jour de novembre que l’église de Tours et les autres églises célebrent la fête de saint Martin absolument dite, ou le jour de sa mort. Or en l’année de Jesus-Christ trois cens quatre-vingt-dix-sept, l’onziéme jour de novembre n’échéoit pas en dimanche, mais en mercredi. L’apôtre des Gaules étant donc mort certainement un dimanche, il faut qu’il soit mort en une autre année qu’en trois cens quatre-vingt-dix-sept. Ainsi saint Martin doit être mort en l’année quatre cens, la nuit du samedi au dimanche, qui cette année-là étoit un onziéme de novembre, ou bien il doit être mort en quatre cens-un, la nuit du dimanche au lundi, qui cette année-là étoit l’onziéme jour de novembre. Le texte de Gregoire De Tours laisse la liberté d’opter entre ces deux nuits-là.

La seconde des objections qui se trouvent dans les ouvrages du Pere Pétau, est que Sévere Sulpice qui a vécu long-tems sous la direction de S. Martin, a écrit que ce saint avoit survécu seize ans au concile tenu à Tréves sous l’empire du tyran Maximus, pour juger Ithacius sur la conduite qu’il avoit tenue dans l’affaire des Priscillianistes. Or comme ce concile fut assemblé sous le consulat d’Evodius qui remplit cette dignité en l’année trois cens quatre-vingt-six, il s’ensuit que saint Martin ne sçauroit être mort plûtôt qu’en l’année quatre cens-un.

Il se trouve encore dans Sévere Sulpice, et même dans Gregoire de Tours quelques autres dates de faits particuliers, lesquelles ne quadrent pas avec la date de la mort de notre saint, telle qu’elle se trouve dans les deux passages de ce dernier auteur qui ont été rapportés. Ces contradictions ont été recueillies par les sçavans qui ont discuté le plus exactement la matiere dont il s’agit.

Je dirai en répondant à la premiere objection, qu’elle n’est point aussi solide qu’elle le paroît d’abord, et cela, parce qu’elle est fondée sur la fausse supposition, que l’église célebre le jour de la mort de saint Martin l’onziéme de novembre. Cela n’est point. La fête que l’église celebre ce jour-là, n’est point la fête anniversaire du passage de saint Martin à une meilleure vie, mais bien la fête anniversaire de son inhumation. Elle est in depositione, et non pas in transitu beati martini. Entrons en preuve.

Il est dit dans le préambule des actes du premier concile de Tours qui commença ses séances le dix-huitiéme novembre de l’année quatre cens soixante et un. « Plusieurs évêques s’étant assemblés à Tours pour y assister à la fête qui s’y célebre en mémoire de la réception du corps de saint Martin. » Ce saint étant mort à Candes le dimanche huitiéme novembre de l’année trois cens quatre-vingt-dix-sept ; et il est très-vraisemblable que son corps n’ait été apporté à Tours que trois ou quatre jours après son décès, et qu’il ait été inhumé le même jour qu’il y arriva, dans la crainte des inconvéniens qui seroient arrivés, si l’on eût tardé à l’inhumer. Cette crainte aura été d’autant mieux fondée, que les Poitevins prétendoient que les reliques de l’apôtre des Gaules leur dussent appartenir, qu’on ne les avoit enlevées que par surprise, et que dans ce tems-là on inhumoit encore en France les morts à visage découvert et hors des villes.

D’ailleurs, ce qui suffiroit seul à prouver ce que nous avons avancé, Gregoire De Tours lui-même dit positivement que la fête anniversaire que l’église fait l’onziéme novembre en l’honneur de s Martin, se célebre en mémoire de la déposition ou de l’inhumation de notre saint. On va lire les propres paroles dont se sert cet auteur dans l’endroit de son Histoire, où il fait mention de l’église bâtie sur le tombeau de l’apôtre des Gaules par saint Perpéte l’un de ses successeurs. C’est le même évêque de Tours dont nous avons souvent fait mention dans cet ouvrage, sous le nom de Perpetuus, et qui est connu en Touraine sous ce nom François.

» La fête solemnelle de cette Eglise rassemble en un seul jour trois fêtes anniversaires ; celle qui se fait en mémoire de la Dédicace de l’Eglise, celle qui se fait en mémoire de la Translation du Saint, & enfin celle qui se fait en mémoire de son Sacre. Toutes ces fêtes réunies se célebrent le quatriéme Juillet[32]. » Aussi célebroit-on autrefois trois messes solemnelles le quatriéme jour de juillet. On peut lire dans Gregoire de Tours ce qui fut cause que ces trois solemnités se trouverent réunies. Cet auteur va reprendre la parole. » Quant à la déposition de Saint Martin, la mémoire de cer évenement se celebre l’onziéme jour de Novembre. » Cela n’empêchoit que le jour de la mort du saint arrivée le dimanche huitiéme de novembre, il ne se fît suivant les apparences, une vigile à son tombeau.

Le religieux de l’abbaye de Marmoustier Lez-Tours, auteur de l’écrit intitulé Louanges de la Touraine, et abregé de la vie de ses archevêques, et qui a vêcu dans le treiziéme siecle, dit mot pour mot la même chose que l’historien ecclesiastique des Francs. On trouve l’ouvrage de ce religieux dans l’édition de l’histoire de Gregoire de Tours, que Bouchel nous a donnée.

Quant à la seconde objection que plusieurs sçavans ont faite contre la date de la mort de saint Martin donnée par Gregoire de Tours dans les deux passages qui ont été rapportés au commencement de cette discussion, et qui consiste à dire que cette date ne quadre point avec les dates de plusieurs faits particuliers lesquelles se trouvent dans Sévere Sulpice et dans Gregoire de Tours lui-même, je suis pleinement de l’avis du Pere Le Cointe. Il faut corriger toutes ces dates, de maniere qu’en les rétablissant on les concilie avec la date de la mort de saint Martin que Gregoire de Tours certifie dans les deux endroits de son ouvrage où il en parle expressément. En effet, s’il est constant que Severe Sulpice a été disciple de saint Martin, il est aussi très-vrai que lors qu’il nous indique la date de quelques évenemens particuliers de la vie de saint Martin, ce n’est, pour ainsi dire, que par occasion qu’il parle du tems de la mort de cet évêque, et moins pour nous apprendre en quelle année elle arriva, que pour nous dire que saint Martin ne voulut pas depuis le concile de Tréves assister à aucune assemblée d’évêques, quoiqu’après ce concile il eut encore vêcu un grand nombre d’années. Sévere Sulpice quand il écrivoit dans cette intention, n’aura point calculé bien exactement les années qui pouvoient s’être écoulées depuis le concile de Tréves, jusques à la mort de saint Martin. Pour ce qui regarde Grégoire de Tours, n’est-il pas mille fois plus probable que les copistes ayent alteré les chiffres numeraux des dates qui ne quadrent point avec celle qu’il a lui-même établie expressément et en comptant par consuls, qu’il ne l’est que cet historien se soit trompé sur les consuls ? Car, comme nous l’avons observé déja, s’il y a faute dans ces deux endroits, elle retombe nécessairement sur lui, elle ne sçauroit être rejettée sur ses copistes. Ces dates rebelles, si j’ose m’exprimer ainsi, auront été alterées, comme la date de la mort d’Euric l’a été du consentement de tous les critiques, et comme l’a été encore, de leur consentement unanime, la date de l’élévation de Licinius à l’épiscopat de Tours. C’est ce que nous exposerons plus bas. Comme notre discussion n’est déja que trop longue, je supplie le lecteur de trouver bon, que pour la conciliation de toutes ces dates particulieres, je le renvoye au livre du Pere Le Cointe, à celui de Monsieur Anthelmi, enfin à celui de Monsieur Gervaise.

Ce fut donc vers l’année quatre cens quatre-vingt-dix-huit que Volusianus mourut dans le pays de Foix, où il étoit relegué. Verus son successeur eut la même destinée que lui. » Verus, dit notre historien, fut le huitiéme évêque de Tours, & le cinquiéme successeur de saint Martin. La réputation d’être attaché aux interêts des Francs, laquelle avoit rendu Volusianus son predécesseur suspect aux Visigots, leur rendit aussi Verus très-suspect. Ils le releguerent, & il mourut dans le lieu de son exil après un Pontificat de onze ans & huit jours. » Ainsi Verus ayant été élû en quatre cens quatre-vingt-dix-huit, il sera mort en cinq cens neuf, et avant que Clovis, qui étoit encore en guerre avec les Visigots cette année-là, les eût obligés à mettre en liberté ce prélat qu’ils avoient relégué dans quelque lieu éloigné de son diocèse. Suivant le récit de Gregoire de Tours, il paroît que Verus fut exilé peu de tems après son élection, ainsi j’ai cru devoir placer son histoire immédiatement après celle de Volusianus. On verra encore dans la suite d’autres évêques persecutés par les Gots pour le même sujet qui leur avoit fait releguer les deux prélats dont nous venons de parler, et qui n’étoient point, suivant les apparences, les seuls de leur parti.


LIVRE 4 CHAPITRE 10

CHAPITRE X.

Clovis s’allie avec Theodoric pour faire la guerre aux Bourguignons. Recit des évenemens de cette guerre, tel qu’il se trouve dans Gregoire de Tours.


Ce ne fut pas neanmoins contre les Visigots que Clovis fit la premiere des guerres qu’il entreprit après la réduction des Armoriques et la soumission des troupes Romaines à son obéissance ; ce fut contre les Bourguignons. Comme il se ligua dans cette guerre avec Theodoric roi des Ostrogots, je trouve à propos de dire avant toutes choses, comment Théodoric étoit parvenu à regner enfin paisiblement sur toute l’Italie et sur quelques pays adjacens.

On a vû que ce prince étoit descendu en Italie de l’aveu de l’empereur Zénon, et qu’il avoit achevé deux ou trois ans avant le baptême de Clovis, de se rendre maître de cette belle portion du partage d’Occident, en faisant mourir Odoacer. Comme on l’a déja vû encore, Anastase qui avoit succedé à Zénon en quatre cens quatre-vingt-onze, voyoit avec beaucoup de regret la cession faite à Theodoric qui se conduisoit en Italie comme un souverain indépendant. Soit qu’Anastase ait contredit le titre de Theodoric en soutenant que Zenon n’avoit donné au roi des Ostrogots d’autre pouvoir que celui d’un lieutenant, et qu’il ne lui avoit point par consequent cedé ni transporté les droits des empereurs d’Orient sur aucune portion du partage d’Occident ; soit qu’Anastase ait cherché querelle à Theodoric sur la maniere dont il gouvernoit en Italie, la guerre s’alluma entre ces deux princes[33]. Il y a même apparence que la guerre que les Bourguignons faisoient aux Ostrogots dans le tems de la conversion de Clovis et dont nous avons parlé, fut une suite de celle que les Romains d’Orient avoient alors contre ces mêmes Ostrogots.

Theodoric qui vouloit être tranquille en Italie afin de pouvoir exécuter le projet d’étendre son pouvoir au-de-là des Alpes[34], et d’assujettir, s’il étoit possible, toutes les Gaules au nouveau thrône qu’il venoit d’élever dans Rome, comprit bientôt qu’il ne regneroit jamais paisiblement en Italie, tant qu’il seroit en rupture avec l’empereur d’Orient. Ce dernier y avoit des creatures, et d’ailleurs il n’étoit pas bien facile d’accoutumer les Romains, qui presque tous étoient catholiques, à se reconnoître sujets d’un roi barbare, et qui faisoit encore profession de l’arianisme. Il fallut donc que le roi des Ostrogots prît le parti de rechercher l’amitié de la cour de Constantinople, afin que, pour ainsi dire, elle le présentât de sa main aux peuples de l’Italie, comme celui qu’ils devoient reconnoître pour leur chef. Quelles furent les conditions du traité qui se conclut alors entre les deux puissances ? La suite de l’histoire porte à croire que le fondement et la base du traité, fut la cession ou absolue, ou conditionnée, que fit l’empereur en faveur de Theodoric, premierement de l’Italie entiere, la Sicile y comprise, secondement de celle des cités des Gaules que l’empereur Nepos s’étoit reservées par sa convention avec Euric en l’année quatre cens soixante et quinze, et dont les Bourguignons ou les Visigots ne s’étoient point emparés depuis ; enfin la cession de la partie des provinces Romaines situées entre les Alpes et le Danube, laquelle étoit encore sous la domination de l’empire d’Occident, lorsque son trône fut renversé en quatre cens soixante et seize, et qu’Odoacer se mit en possession des pays qui obéïssoient actuellement aux officiers de l’empereur de Rome. Comme nous n’avons point le traité d’Anastase et de Theodoric, et même comme nous n’en avons aucun extrait, nous n’en sçavons certainement que deux conditions. La premiere est, que Theodoric ne nommeroit point de son autorité le consul d’Occident, mais qu’il presenteroit chaque année à l’empereur d’Orient un sujet pour remplir l’une des deux places de consul de la republique Romaine, et que le sujet que Theodoric auroit presenté pour cet effet, seroit nommé consul d’Occident par l’empereur qui le feroit inscrire dans les Fastes[35]. Cassiodore de qui je tire cette particularité, nous a même conservé la formule du diplome ou du brevet que Theodoric faisoit expédier à celui qu’il presentoit pour être nommé consul, et une dépêche particuliere que ce prince écrivit à l’empereur d’Orient, pour lui donner avis qu’il venoit de désigner Felix pour être nommé consul en l’année cinq cens onze. Dès qu’Anastase laissoit ainsi à Théodoric le droit de disposer réellement de la premiere des dignités de l’empire d’Occident, on peut bien croire aussi qu’il abandonnoit à ce roi barbare l’administration de la portion du partage d’Occident désignée ci-dessus, non point comme à un lieutenant ou bien à un representant révocable et comptable de sa gestion, mais comme à un souverain, comme à un collegue.

Quant à la seconde de celles des conditions du traité entre Anastase et Theodoric, qu’il nous est permis de sçavoir, elle étoit, qu’aucun Ostrogot ne pourroit être pourvû des magistratures et des autres emplois civils dans les provinces gouvernées par Theodoric, mais que ces emplois seroient tous exercés par des citoyens Romains. Voici où je prends ce fait-là. Procope nous a conservé une harangue faite à Bélisaire au nom des Ostrogots dans le tems que ce capitaine commandoit en Italie l’armée de Justinien, laquelle y faisoit la guerre contre cette nation, environ quarante ans après la paix concluë entre Anastase et Theodoric. Les ambassadeurs des Ostrogots après y avoir dit plusieurs choses concernant la modération avec laquelle ils avoient toujours vêcu en Italie, ajoutent. » Les Romains ont exercé seuls tous les Emplois civils, & jamais aucun de ces Emplois n’a été conferé à un Ostrogot. N’a-ce point été un Romain qui a toujours été déclaré Consul d’Occident chaque année par l’Empereur d’Orient ? » Or il n’est pas vraisemblable que Theodoric qui avoit tant de gens à récompenser, et qui devoit se fier à ses compatriotes plus qu’aux Romains, en eût usé avec tant d’égards pour ces derniers, s’il n’eût point été obligé par quelque convention à garder des ménagemens qui lui étoient à charge. Il est donc apparent que lorsqu’Anastase lui avoit abandonné l’administration civile et militaire de la portion de l’empire d’Occident dont il s’agit, il avoit exigé de lui qu’il n’employeroit que des Romains dans le gouvernement civil, qu’il ne confieroit qu’à eux tous les emplois subordonnés à la prefecture du prétoire d’Italie, et qu’il ne confereroit à ses Ostrogots que les emplois qui étoient originairement subordonnés au maître de l’une et de l’autre milice dans le département de cette préfecture. Il y aura eu dans le traité d’Anastase et de Theodoric quelque stipulation de même nature, que celle que nous avons conjecturé avoir été faite la premiere ou la seconde année du regne de Clovis entre ce prince et les provinces Romaines qui le reconnurent dès-lors comme maître de la milice.

En quelle année fut conclu l’accord de Theodoric avec Anastase ? Je ne puis le dire precisément. Il paroît seulement que cet accommodement fut fait avant l’année cinq cens. On trouve dans les fastes de Cassiodore sur cette année-là. » Sous le Consulat de Patricius & d’Hypatius le Roi Theodoric notre Prince fit son entrée à Rome, où sa presence étoit ardemment souhaitée par tout le monde. Il y traita avec beaucoup d’affabilité son Senat, & il y fit au Peuple les largesses accoutumées. Il assigna même une somme considerable à prendre chaque année sur ses revenus, pour être employée à la réparation des murs de la Ville. «  Ce passage donne à croire deux choses : la premiere est, que jusques à l’année cinq cens, Theodoric, quoiqu’il fut depuis quatre ans le maître par la force en Italie, n’avoit pas laissé d’avoir des raisons pour ne point aller à Rome. La seconde, c’est que ces raisons cesserent en l’année cinq cens ou dans l’année precedente. Ces raisons me paroissent avoir été la guerre que lui faisoit Anastase. Si tandis qu’elle duroit encore, Theodoric fût venu à Rome, le senat s’y seroit prêté peu volontiers à la démarche de le reconnoître pour souverain. Il auroit fallu ou que le roi des Ostrogots eût souffert que plusieurs de ses nouveaux sujets lui désobéïssent, ou qu’il eût employé la violence pour se faire obéir. Enfin les princes qui sçavent regner, étudient le tems favorable lorsqu’ils veulent donner des ordres d’une extrême importance, autant que leurs courtisans habiles étudient le moment favorable pour demander les graces qu’ils veulent obtenir. La prudence de Theodoric est connue de tous ceux qui sçavent l’histoire. D’ailleurs on voit dans tout ce qui se passa à Rome lorsqu’il y fit son entrée l’année cinq cens, un roi qui fait un usage de ses finances, en prince qui jouit de la paix. Je crois donc que son traité avec l’empereur Anastase fut conclu ou cette année-là, ou qu’il l’avoit été l’année précedente.

Il peut bien aussi se faire encore que ce soit en vertu de quelque condition inserée dans le traité d’Anastase et de Theodoric que le roi des Ostrogots s’abstint de se faire appeller empereur, quoiqu’il fût le maître dans Rome et qu’il y exerçât, ou peu s’en falloit, l’autorité impériale dans toute son étendue. C’est l’idée que les auteurs du tems et Procope nous donnent du gouvernement du roi des ostrogots. » Theodoric, dit le dernier, après avoir mis dans son parti tous les Barbares venus en Italie sous les enseignes d’Odoacer, soumit entierement ce Pays sur lequel il regna paisiblement gouvernant les Romains & les Ostrogots en Prince à qui aucune des qualités qui font un bon Empereur, ne manquoit. Il ne prit pas neanmoins le titre d’Empereur, & il ne porta jamais les marques de cette Dignité, mais il se contenta toujours du nom de Roi, qui est celui que les Peuples Barbares ont coutume de donner à leur Chef suprême. »

On voit par une lettre de Sigismond fils du roi Gondebaud et écrite à l’empereur Anastase, que cet empereur n’avoit cedé à Theodoric que la portion du partage d’Occident, dont Theodoric étoit déja souverain de fait, quand cette cession fut convenue. Nous avons dit en quoi consistoit cette portion. Les autres provinces du partage d’Occident, et sur tout les Gaules, n’avoient point été comprises dans ce délaissement . En effet Sigismond qui n’écrivit la lettre dont il est question, que long-tems après l’année cinq cens, n’y traite Theodoric que de recteur , ou de gouverneur de l’Italie. Sigismond auroit qualifié autrement Theodoric, du moins en écrivant à l’empereur, si ce prince eût attribué à Theodoric quelque superiorité sur les Gaules, où étoit l’établissement de Sigismond. Nous rapporterons cette lettre de Sigismond quand nous en serons aux tems où elle fut écrite.

Theodoric en suivant ses nobles inclinations songea dès qu’il vit son pouvoir affermi, à faire des conquêtes à la fois avantageuses à sa réputation et profitables à l’Italie, où il vouloit être aimé. Il est vrai que celle de l’Afrique, dont les pirates saccageoient continuellement les côtes de l’Italie, et osoient même faire des descentes sur la plage Romaine, étoit la plus utile des conquêtes que Theodoric pût entreprendre. Mais les Ostrogots n’entendoient encore rien à la guerre navale, et les ports d’Italie devoient être dénués de vaisseaux depuis que les Vandales d’Afrique croisoient sans cesse dans la Mediterranée. Ainsi Theodoric tourna ses vûës du côté des Gaules. Si l’on excepte la conquête de l’Afrique, rien ne pouvoit donner plus de satisfaction aux Romains d’Italie où étoit, pour parler ainsi, le cœur du corps d’Etat qui composoit l’empire, que de voir une province de la Gaule réduite sous l’obeissance de leur prince, et l’autorité du Capitole rétablie au de-là des Alpes. En même tems rien n’étoit plus utile aux interêts de Theodoric qu’une telle acquisition, qui le mettroit en état de communiquer de plain pied avec les Visigots, peuple originairement de la même nation que ses Ostrogots et ariens comme eux. Il convenoit aux uns et aux autres de resserrer les anciens liens, en s’unissant aussi étroitement qu’ils l’eussent jamais été, et Theodoric en étoit si persuadé, qu’il donna dans ce tems-là sa fille Theodegote en mariage au roi des Visigots Alaric second.

Il auroit mieux valu pour Theodoric de s’agrandir seul et sans donner en même-tems à d’autres princes le moyen de s’agrandir aussi, mais il ne pouvoit point réussir dans son projet sans avoir les Francs pour alliés. Les Bourguignons unis étroitement à l’empereur d’Orient étoient en possession de la partie des Gaules qui confine avec l’Italie, et par laquelle Theodoric devoit commencer ses conquêtes ; leur nation étoit nombreuse et aguerrie. D’ailleurs elle étoit maîtresse des passages des Alpes les plus importans qui sont bien plus faciles à défendre contre les armées qui viennent d’Italie dans les Gaules, que contre celles qui descendent des Gaules en Italie. Ainsi Theodoric ne pouvoit pas réussir dans son projet à moins que d’avoir un allié qui fît une puissante diversion dans les Gaules. D’un autre côté il est apparent que la guerre entre Theodoric et Gondebaud durant laquelle saint Epiphane fit la rédemption des captifs dont nous avons parlé ci-dessus, duroit encore, et il paroît même que Gondebaud la faisoit avec avantage. En effet, dès que Theodoric étoit obligé de racheter à prix d’argent ses sujets que les Bourguignons avoient faits prisonniers de guerre, il faut que Theodoric eût pris un nombre des sujets de Gondebaud moindre que le nombre des sujets de Theodoric que Gondebaud avoit pris. Si le nombre des uns et des autres avoit été égal, Theodoric eût proposé un échange, et non point un rachat.

Theodoric avoit donc besoin, s’il vouloit réussir dans ses nouveaux projets, d’avoir un allié qui portât la guerre dans le centre de celles des provinces de la Gaule qui étoient occupées par les Bourguignons, et qui fît ainsi une diversion capable de les obliger à dégarnir leur frontiere du côté de l’Italie, ce qui devoit faciliter aux Ostrogots le moyen de la franchir. Proposer aux Visigots de se charger de faire cette diversion sans les assurer en même-tems que Clovis seroit de la partie, c’étoit faire une démarche inutile. Les esprits des Romains des Gaules étant aussi mal disposés en faveur des ariens qu’ils l’étoient, les Visigots devoient craindre que Clovis ne les attaquât dès qu’il les verroit embarassés dans une guerre contre Gondebaud. Nous avons vû quelle étoit la jalousie des Visigots contre le roi des Francs, dont les Etats touchoient aux leurs, ou n’en étoient séparés que par la Loire, le plus guayable de tous les fleuves. Le roi des Ostrogots prit donc le parti de s’allier avec Clovis dont il avoit déja comme nous l’avons dit, épousé la sœur Audéflede ou Angoflede. Quant aux motifs qui auront fait entrer le roi des Francs dans cette ligue, et peut-être la proposer le premier, il est facile de les deviner. L’envie de s’agrandir, et de faire quelque chose d’agreable à la reine Clotilde, qui, comme le dit Gregoire de Tours[36], gardoit un vif ressentiment du traitement inhumain fait à ses parens par Gondebaud. D’un autre côté Clovis n’avoit rien à craindre des Visigots tant qu’il seroit l’allié de Theodoric. Voyons ce que dit Procope de ce traité de ligue offensive contre les Bourguignons, et quelles furent les conjonctures qui donnerent lieu à sa conclusion.

Cet historien contemporain, après avoir raconté tout ce qu’on a lû ci-dessus concernant la cession des Gaules faite aux Visigots par Odoacer, parle de l’agrandissement des Turingiens de la Germanie qui s’emparerent de l’ancienne France, et s’étendirent jusques au Moein dans le même tems que Theodoric s’établissoit en Italie. Il écrit ensuite que dès-lors, c’est-à-dire, vers l’année quatre cens quatre-vingt-dix-huit, les Visigots craignoient déja le pouvoir des Francs qui étoient la nation la plus guerriere, comme la plus inquiéte, et qu’elle leur étoit d’autant plus suspecte qu’elle venoit d’augmenter considérablement ses forces. En effet elle venoit de s’unir avec les Armoriques et d’attacher à son service, comme nous l’avons vû, ce qui restoit de troupes Romaines dans les Gaules. Procope ajoute que les Turingiens et les Visigots à qui la puissance des Francs étoit également suspecte, firent proposer à Theodoric de se liguer avec eux contre cette nation entreprenante, mais que Theodoric se fit alors une loi de ne point signer aucune ligue particuliere avec aucune nation. Il se contenta, suivant Procope, de noüer avec elles des liaisons generales de bonne correspondance, et à tout évenement, de fortifier ces liaisons par des mariages. Voilà ce qui lui fit donner dans ce tems-là sa fille Theodegote au roi Alaric second, et ce qui lui fit donner encore Amalberge fille de sa sœur Amalafride, à Hermanfroy roi des Turingiens. Ces alliances obligerent donc Clovis à laisser en paix les Visigots et les Turingiens, et le réduisirent à chercher l’occasion d’employer ses forces contre quelqu’autre nation. Voilà ce qui fut cause enfin que le roi des Francs tira l’épée contre les Bourguignons.

Le traité de ligue qui fut fait avant la guerre entre Clovis et Theodoric contre Gondebaud, portoit : » Que les Alliés entreroient dans le même tems en campagne pour attaquer chacun de son côté les Bourguignons : Que si l’un des Alliés manquoit à se mettre en campagne au jour convenu, de maniere que faute de la diversion qu’il auroit dû operer, l’autre Allié eût affaire à toutes les forces des Bourguignons, alors celui des deux Alliés qui n’auroit pas rempli son engagement, seroit tenu de compter à l’autre qui auroit combattu seul contre l’ennemi commun, une certaine somme. Que l’Allié qui devroit ce dédommagement en deniers, ne pourroit pas jouir du Benefice du Traité avant que d’avoir satisfait l’Allié auquel il seroit dû, & il étoit énoncé dans ce Traité que les Francs & les Ostrogots partageroient entr’eux les Pays que les Bourguignons tenoient alors. »

On peut bien croire que le traité dont Procope ne nous donne qu’une notion generale, contenoit des articles qui énonçoient distinctement quelle partie du pays tenu par les Bourguignons devoit demeurer aux Francs, et quelle partie devoit appartenir aux Ostrogots. Suivant les apparences chacun des deux peuples ligués devoit avoir la partie de ce pays-là, qui étoit le plus à sa bienséance. Theodoric devoit avoir pour sa part la Viennoise, la seconde Narbonnoise et la province des Alpes. Clovis aura eu pour la sienne la premiere Lyonnoise, la Sequanoise et quelques cités adjacentes.

Gregoire de Tours a jugé à propos en parlant de la guerre des Francs et des Ostrogots contre les Bourguignons, de se renfermer dans ce qui regardoit particulierement les Francs. Ce qui concerne les Ostrogots dans l’histoire de cette guerre-là, lui a paru étranger au sujet qui lui avoit fait mettre la main à la plume. Il va parler.

» Gondebaud & son frere Godégisile, étoient alors Rois des Bourguignons qui occupoient les contrées assises sur le Rhône & sur la Saone, & même la Province Marseilloise. L’un & l’autre ils étoient Ariens aussi-bien que les Barbares leurs Sujets. Il y avoit entre ces deux freres des brouilleries qui furent cause que Godégisile rechercha l’alliance de Clovis, dont les Troupes étoient en grande réputation. Ce Roi des Bourguignons fit donc proposer au Roi des Francs de conclure un Traité de Ligue offensive contre Gondebaud, aux conditions suivantes. Que premierement on se déferoit de Gondebaud par les voyes les plus convenables. Secondement, que lui Godegisile, dès qu’il seroit défait de son frere, payeroit annuellement au Roi des Francs un tribut tel qu’il plairoit à ce Prince de l’arbitrer. «  Il faut que Godégisile pour proposer une pareille convention se crut à la veille d’être traité par Gondebaud d’une maniere aussi cruelle que l’avoient été leurs freres Chilperic et Gondomar. Clovis agréa les conditions qui lui étoient offertes par Godégisile, et bientôt il se mit en campagne pour satisfaire aux engagemens qu’il avoit pris. » Gondebaud mal informé de tout ce qui s’étoit traité à son préjudice, n’eut pas plûtôt eu nouvelle que les Francs entroient hostilement dans son Pays, qu’il manda à son frere de venir le joindre pour l’aider à les repousser. Deffendons-nous de concert, écrivit-il à Godégisile, afin de ne tomber point dans l’inconvénient funeste où nous avons vû tomber tant de Nations, détruites parce que leurs Chefs n’ayant pas sçu se réunir à tems pour faire face à leur ennemi commun, ils ne l’ont combattu que l’un après l’autre. La réponse de Godégisile à l’invitation de son frere, fut qu’il alloit rassembler incessamment ses Troupes, & qu’à leur tête il marcheroit à son secours. Bientôt après l’armée des Francs & celle des Bourguignons furent en presence auprès de Dijon, Château bâti sur la riviere d’Ousche, & là elles en vinrent aux mains. Dès qu’on eut commencé à se charger, Godégisile au lieu de donner sur les troupes de Clovis, attaqua celles de Gondebaud, qui se voyant ainsi prises en têre & en queue, à quoi elles ne s’attendoient point, se rompirent & furent défaites. Pour Gondebaud, dès qu’il eût vû la trahison de son frere, il ne songea plus qu’à se sauver, & prenant sa route le long du Rhône, il gagna la Ville d’Avignon où il se jetta. »

Il est aisé de remarquer, en lisant la narration de Gregoire de Tours, que la bataille de Dijon se donna peu de jours après que les Francs eurent commencé la guerre contre Gondebaud, et que ce ne fut qu’après cette bataille qu’ils firent des conquêtes sur lui. D’un autre côté il est certain par le témoignage de Marius Aventicensis, que cette bataille se donna en l’année cinq cens. Voici ce qu’il en dit : » Sous le consulat de Patritius et d’Hypatius, il se donna auprès de Dijon entre les Bourguignons & les Francs, une bataille. Godégisile qui avoit prémedité de trahir son frere, se joignit lui & les siens aux Francs dans le tems que commençoit la mêlée. Après la déroute de Gondebaud, Godégisile fut maître pour un tems des Etats de ce Prince infortune, qui s’étoit jetté dans Avignon. » Ainsi l’on voit combien le pere Rouyer a eu tort de croire que ce fut dans l’année d’après le baptême de Clovis, c’est-à-dire en l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept, que ce prince fit les conquêtes qu’il dit dans sa chartre octroyée à saint Jean De Reomay, avoir faites la premiere année de son christianisme. Reprenons la narration de Gregoire de Tours.

» Godégisile se mit en possession des Etats de son frere, & comptant la guerre finie, il se fit reconnoître pour Roi dans la Ville de Vienne, qui en étoit la Capitale. Il promit de nouveau d’accomplir sincérement son traité avec Clovis, & de lui remettre une partie du Pays tenu par les Bourguignons. Clovis de son côté poursuivit Gondebaud dans le dessein de le faire prisonnier, & d’en disposer ensuite comme il le trouveroit à propos. Ainsi la crainte qu’avoit le Roi des Bourguignons de perdre la vie de la même maniere que Syagrius l’avoit perdue, li jamais il tomboit entre les mains des Francs, devint extrême lorsqu’il vit leurs Pavillons tendus devant la Ville d’Avignon où il s’étoit renfermé. Il s’adressa pour être tiré d’embarras à un de ses Ministres nommé Arédius ou Aridius, personnage d’une prudence rare & capable neanmoins des actions les plus hardíes. Vous voyez, lui dit Gondebaud, à quelle extrêmité me voilà réduit par ces Barbares qui en veulent également à ma Couronne & à ma vie : Conseillez-moi ? Quel parti prendre. Je ne vois, répondit Arédius, qu’un moyen de nous sauver du naufrage, c’est de calmer Clovis. Je vais donc, si vous approuvez mon projet, feindre d’abandonner votre service pour m’attacher au sien, & j’espere venir à bout de l’amener au point de vous laisser la vie & même la Couronne. Il faudra seulement que vous acceptiez toutes les conditions dont je conviendrai avec lui, & vous les tiendrez jusqu’aux tems où la Providence vous sera plus favorable qu’aujourd’hui. Gondebaud agréa le projet d’Aridius, qui, bientôt après se fit presenter à Clovis comme un transfuge. Roy débonnaire, lui dit ce fidéle déserteur, je quitte le Prince infortuné que je servois pour m’attacher à vous, & si vous daignez me recevoir au nombre de vos Sujets, vous & vos enfans vous trouverez toujours en moi un Serviteur parfaitement dévoué aux interêts de votre Maison. Clovis accueillit Aridius avec bonté & il retint auprès de lui ce Romain qui étoit aussi aimable dans la societé, que capable en affaires. Il prit son tems durant le siége d’Avignon pour dire à Clovis, Grand Prince, si vous daignez entendre un homme aussi peu important que moi, vous qui avez tant de Personnages éclairés dans votre Conseil, je vous donnerai avec sincerité un avis, que peut-être ne vous repentirez vous pas d’avoir écouté, & que tous les Pays exposés aujourd’hui aux malheurs de la guerre vous loueroient certainement d’avoir suivi ? Pourquoi ruiner vos Troupes en les faisant camper plus long-tems devant la Place imprenable où votre ennemi se tient enfermé ? Que peuvent faire ici vos Soldats, si ce n’est dévaster le plat Pays des environs ? Ils ne prendront point Avignon. Faites donc dire à Gondebaud que vous voulez bien faire cesser les hostilités, & même lui accorder la paix, à condition qu’il s’engage à vous payer un tribut annuel. Par-là vous le rendrez votre créature. Supposé que Gondebaud refuse d’accepter vos propositions, vous n’en serez pas moins après les avoir faites, le maître d’en user comme il vous plaira. Clovis prit le parti que lui suggeroit Aridius, & après avoir donné ordre à tous les détachemens qui faisoient le dégât dans le plat-pays de rentrer dans le camp, il fit proposer la paix à Gondebaud aux conditions qui viennent d’être exposées. Le Roy des Bourguignons les accepta, & promit d’acquitter ponctuellement la redevance annuelle à laquelle il s’obligeoit. Il en avança même la premiere année. » On ne sçauroit douter que Clovis n’ait compris son allié Godégisile dans le traité dont nous parlons, bien que Gregoire De Tours ne le dise pas. Je reprens sa narration.

« Aussi-tôt que Clovis se fût retiré, Gondebaud se tint dégagé du Traité qu’il venoit de signer avec ce Prince. Le Roi Bourguignon rassembla donc une armée, & marchant précipitamment, il vint assieger Vienne, où Godégisile se tenoit. Godégisile qui ne s’étoit point préparé à soutenir un siege, craignoit principalement que la Ville ne fût affamée, ce qui lui fit avoir recours à l’expedient de mettre dehors les bouches inutiles. Malheureusement pour lui, il compris dans leur nombre un des Fonteniers de la Ville. Cet ouvrier indigné du peu de cas qu’on avoit fait de lui, vint trouver Gondebaud, & il lui enseigna le moyen de surprendre Vienne, en y entrant par un aquéduc lequel y portoit de l’eau, & qu’il indiqua. On fit usage de cet avis. Un corps de troupes à qui le Fontenier servoit de guide, défila par le conduit de cet aquéduc qui entroit fort avant dans la Ville, & lorsqu’il fut par venu jusqu’à un regard que cet ouvrier ne connoissoit que trop bien, on écarta avec des leviers la pierre qui en fermoit l’ouverture. Les Soldats déboucherent ensuite par cette issuë, & ils se mirent en bataille dans les derrieres des troupes ennemies qui gardoient les remparts. Dès que le corps de troupes qui étoit entré dans Vienne se fût formé, il fit connoître à son armée par des signaux, qu’il avoit pris poste dans la Ville, & il s’avança jusqu’aux portes dont il ne lui fut pas bien difficile de se rendre maître. En même tems celles des troupes de Gondebaud qui étoient demeurées dans son camp, s’aprocherent de la Place comme pour l’insulter, & les assiegés qui se virent attaqués dans le même tems en tête & en queuë ne songerent plus qu’à se sauver dans les aziles des Temples. Godégisile lui-même se réfugia dans une Eglise Arienne, & c’est-là qu’il fut tué avec un Evêque de cette Communion. Quelques Francs qui s’étoient attachés au service de ce Prince malheureux, prirent leur parti en gens de guerre, ils se jetterent dans une Tour pour s’y défendre le plus longtems qu’ils le pourroient. Quand ils furent enfin réduits à se rendre, Gondebaud ne permit pas qu’on leur fît d’autre déplaisir que celui de les désarmer, après quoi il les envoya à Toulouse, pour y être remis entre les mains d’Alaric Roi des Visigots. Il ne traita point avec la même clémence les Senateurs des Cités qui l’avoient abandonné, ni ceux des Bourguignons qui s’étoient déclarés pour Godégisile. Gondebaud les fit mourir, & il remit ensuite sous son obéissance tout le pays connu aujourd’hui sous le nom du Royaume de Bourgogne, où il publia un nouveau Code, dans lequel il y avoit plusieurs loix faites exprès pour empêcher que les Romains ses Sujets ne fussent opprimés par les Bourguignons leurs Hôtes. » On verra par un passage de Marius Aventicensis qui sera rapporté plus bas, que ce fut dès l’année cinq cens que se fit le rétablissement de Gondebaud.

Avant que de rapporter ce qu’on trouve dans Procope concernant les évenemens de la guerre des Francs contre les Bourguignons, je ferai deux observations sur la narration que nous en a donné Gregoire de Tours, et qui est celle qu’on vient de lire. La premiere, est que cet auteur remarque que Gondebaud se remit en possession de tout ce qu’on appelloit le royaume de Bourgogne, à la fin du sixiéme siecle, et cela en recouvrant le royaume qu’il avoit perdu, et en se mettant en possession des Etats de Godégisile. Or à la fin du sixiéme siecle[37], Langres et les autres cités que les Bourguignons tenoient au nord du pays qu’ils avoient occupé dans les Gaules, et qui leur servoient de frontiere contre les Francs dans le tems de l’avenement de Clovis à la couronne des Saliens, étoient encore réputées du royaume de Bourgogne. Ainsi, il faut que Clovis n’ait point gardé aucune des conquêtes qu’il avoit faites en l’année cinq cens sur Gondebaud. Au contraire, nous observerons quand nous aurons à parler de la conquête de Marseille et de quelques autres cités adjacentes, que Theodoric fit alors, que Theodoric les conserva. Aussi toutes ces cités-là n’étoient-elles pas comprises dans le royaume de Bourgogne : elles n’étoient plus censées en faire une partie dans le tems que Gregoire de Tours écrivoit, bien qu’elles eussent appartenu durant un tems à Gondebaud.

Ma seconde observation, sera que nous avons encore le nouveau code publié par ce prince, et dont il est fait mention dans Gregoire de Tours. Nous en parlerons amplement dans la suite. Ici nous nous contenterons de dire qu’il est souvent appellé la loi Gombette, du nom de son auteur, et qu’il a été en vigueur dans les Gaules jusqu’au regne de l’empereur Louis Le Débonnaire, qui l’abrogea.

LIVRE 4 CHAPITRE 11

CHAPITRE XI.

Récit des évenemens de la guerre de Clovis & de Theodoric contre Gondebaud Roi des Bourguignons, tel qu’il se trouve dans Procope. Que Clovis n’a point fait deux guerres differentes contre les Bourguignons. Que Theodoric garda plusieurs cités des Gaules conquises durant la guerre qui se fit contre Gondebaud, en l’année cinq cens.


Si Gregoire de Tours n’a point jugé à propos de rapporter ceux des évenemens de la guerre de Clovis et de Theodoric contre Gondebaud, qui concernoient particulierement les Ostrogots, Procope de son côté a jugé à propos de ne faire qu’une mention très-superficielle de ceux de ces évenemens qui concernoient les Francs en particulier. Il se contente d’en raconter avec quelque détail les évenemens qui faisoient une partie des annales de la nation des Ostrogots, parce qu’ils avoient profité de ces évenemens-là, pour s’emparer de plusieurs cités des Gaules qu’ils tenoient encore actuellement lorsque l’empereur Justinien leur fit la guerre dont notre auteur écrivoit l’histoire. Voilà pourquoi j’ai cru devoir faire lire séparément le récit de Gregoire de Tours et le récit de Procope, afin de montrer mieux ensuite, que bien que nos deux historiens ne se rencontrent gueres, ils ont néanmoins parlé de la même guerre dans les endroits de leurs ouvrages que j’employe ici.

Procope immédiatement après avoir donné l’extrait du traité de ligue conclu entre les Francs et les Ostrogots contre les Bourguignons, ajoute : » En conséquence de ce Traité, le Roi des Francs se mit en campagne avec de nombreuses troupes, & il entra hostilement dans le Pays des Bourguignons. Theodoric au contraire se contenta de hâter en apparence les préparatifs de la campagne qu’il devoir faire de son côté, tandis qu’il donnoit des ordres secrets d’agir lentement, afin d’avoir le loisir de voir quels feroient les premiers succès de l’expédition de son Allié. Ce ne fut donc qu’à l’extrémité qu’il mit ses troupes en marche : Il ordonna même à ceux qui les commandoient de ne s’avancer qu’à petites journées, jusqu’à ce qu’ils eussent été informés du succés des armes des Francs. Voilà quels furent les premiers ordres que reçurent les Generaux de Theodoric. Leurs seconds ordres étoient de faire des marches forcées, s’ils apprenoient en route que les Francs eussent défait les Bourguignons ; mais que s’ils apprenoient que les Bourguignons eussent défait les Francs, ils s’arrêtassent au lieu même où ils se trouveroient, quand ils en recevroient la nouvelle. Les Generaux de Theodoric étoient donc encore en marche lorsque les Francs livrerent seuls bataille aux Bourguignons. Le combat fut opiniâtré, & ce ne fur qu’après beaucoup de résistance que les Bourguignons furent défaits. Les Francs poursuivirent leur ennemi jusqu’à l’extrémité du Pays qu’il occupoir. C’étoit là qu’il avoit ses meilleures Places, & lorsqu’il s’y fut jetté, les Vainqueurs s’emparerent du reste de ses Etats. Dès que les Ostrogots eurent appris que les Francs étoient victorieux, ils se hâterent de les joindre. Les Francs ne manquerent pas de reprocher aux Ostrogots la lenteur de leur marche. Votre peu de diligence, dirent-ils, a été cause que nous avons eu affaire à toutes les forces de l’ennemi commun. Les Ostrogors après s’être excusés sur le vilain tems qu’ils avoient eu, & sur les mauvais chemins qu’ils avoient trouvés dans la route, offrirent de payer le dédomagement ou l’espece d’amende que la teneur du Traité les condamnoit à payer. Les Francs accepterent l’offre, & après avoir touché l’argent des Ostrogots, ils les mirent en possession du Pays, qui suivant ce même Traité devoit leur demeurer. Dans toute cette entreprise Theodoric fit bien connoître sa prudence, puisque moyennant une somme d’argent assez modique, il conquit sans exposer la vie de ses Sujets, une portion considérable du territoire de son ennemi. C’est ainsi, dit Procope, en parlant relativement à ce qu’il venoit d’écrire touchant les Ostrogots, & à ce qu’il avoir déja écrit précedemment concernant les progrès des Francs & ceux des Visigots : » Que les Francs & les Gots s’emparerent d’une partie des Gaules. »

Quels furent les pays dont Theodoric se mit alors en possession. Ce fut la ville de Marseille et la province Marseilloise prises sur les Visigots par les Bourguignons après la mort du roi Euric. Ce fut à l’exception de la ville d’Arles, qui, comme on l’a déja vû, demeura au pouvoir des Visigots, et qui appartenoit encore à leur roi Alaric second en cinq cens trois, et qui suivant la vie de S. Césaire, passa immédiatement des mains des Visigots en celles des Ostrogots, tout le pays renfermé entre la Durance, les Alpes, la Mediterranée et le bas-Rhône. En effet, on verra lorsque nous en serons à l’année cinq cens sept, que Marseille et les places voisines étoient déja cette année-là au pouvoir des Ostrogots. Or comme aucun auteur ancien ne dit en quelle année précisément Theodoric conquit sur Gondebaud Marseille et les cités adjacentes, on ne sçauroit mieux placer cette conquête qu’en l’année cinq cens, et cela d’autant plus que Procope écrit positivement que dans la guerre qui se fit cette année-là entre Theodoric et Gondebaud, Theodoric se rendit maître d’une portion considérable des Etats de Gondebaud. Ainsi ç’aura été durant cette guerre que Theodoric se sera fait dans les Gaules une petite province, dont nous le verrons dans la suite étendre encore les limites, à la faveur d’autres conjonctures.

Il est vrai que le Pere Laccary et plusieurs autres historiens ont cru que Theodoric n’avoit jamais été souverain de son chef dans la partie des Gaules dont il s’agit. Ils soutiennent qu’elle faisoit encore une portion de la monarchie des Visigots, la cinquiéme année du sixiéme siecle, et que Theodoric n’y fut le maître durant plusieurs années qu’au nom et en qualité de tuteur de son petit-fils Amalaric roi des Visigots, lorsque cet enfant eût perdu son pere Alaric second tué par Clovis dans la bataille donnée à Vouglé en cinq cens sept. Ils alleguent pour appuyer leur sentiment que parmi les évêques qui ont souscrit les actes du concile tenu dans Agde en cinq cens six sous le bon plaisir d’Alaric second, il y en a plusieurs qu’on sçait avoir eû leurs sieges en Provence, et qui n’y auroient point assisté si ces sieges n’avoient pas été encore dans ce tems-là sous la domination d’Alaric.

Cette raison ne me paroît pas bien fondée. La regle qu’on suppose generale, et qui vouloit que les évêques n’assistassent point aux conciles nationaux tenus dans un autre Etat que celui dont ils se trouvoient sujets, n’étoit pas, comme nous le dirons ailleurs, une regle sans exception. Or si elle a pû en souffrir une, ç’a été à l’occasion du concile tenu dans Agde en sept cens six sous le bon plaisir d’Alaric souverain de cette ville-là. Theodoric étoit originairement de même nation qu’Alaric. Theodoric étoit beau-pere de ce prince, et comme nous le verrons, son fidele confederé. Ainsi le roi des Ostrogots aura bien pû permettre aux évêques de cinq ou six diocèses qu’il tenoit alors dans les Gaules et qui n’étoient point en assez grand nombre pour tenir un concile national en leur particulier, de se rendre au concile d’Agde pour y conferer et statuer conjointement avec leurs collegues, sujets d’Alaric, sur les besoins communs de leurs églises.

D’un autre côté l’on trouve dans les lettres de Cassiodore plusieurs choses qui font voir que ce n’a point été comme tuteur d’Amalaric, mais à titre de conquerant que Theodoric a agi en maître dans la province Marseilloise et dans la partie des Gaules dont il est ici question. Rapportons quelques-unes de ces lettres, et commençons par celle que Theodoric lui-même adresse à tous les citoyens de la province qu’il tenoit dans les Gaules, et dans laquelle il leur donne part de la nomination qu’il venoit de faire du senateur Gemellus, pour exercer par interim l’emploi de préfet du prétoire d’Arles, et leur enjoint d’obéir à ce magistrat. On verra dans la suite que Gemellus, ce qui est important ici, étoit déja en place dès cinq cens huit, quand les Francs firent le siege d’Arles sur les Ostrogots, qui s’étoient saisis de cette ville immédiatement après la mort d’Alaric second, mais pour la conserver au fils de ce prince.

» Il faut, dic Theodoric, vous soumettre sans répugnance à la forme du gouvernement en usage dans l’Empire Romain dont, après en avoir été séparés long-tems, vous voilà enfin redevenus une portion. Puisque la Providence a daigne vous affranchir du joug que vous portiez, il convient que vous re » preniez les mœurs des Citoyens Romains, & que vous vous défassiez des mauvaises habitudes que vous avez prises tandis que vous étiez sous les Barbares. Oubliez donc entierement la ferocité que vous pourriez avoir contractée avec eux, à present que vous voilà Sujets d’un Prince aussi respectueux envers les loix que nous le sommes. Pour concourir de notre côté à cet heureux changement autant qu’il nous l’est possible, nous avons jugé à propos de nommer pour régir votre Province en qualité de Vicaire de la Préfecture des Gaules, Gemellus, personnage considerable, & dont la fidelité & la capacité nous sont suffisamment connues. Vous obéirez donc sans y faire faute, à tous les ordres que vous recevrez par son canal »

Nous avons plusieurs lettres adressés par Theodoric à notre Gemellus, qui, comme on le verra, étoit certainement vicaire de la préfecture des Gaules dès l’année cinq cens huit, mais qui peut l’avoir été dès l’année cinq cens. Elles contiennent des ordres, soit à l’occasion du siege que Clovis mit devant Arles en cinq cens huit, soit à l’occasion des besoins de la ville de Marseille, soit à l’occasion des incidens arrivés dans les Gaules tandis qu’il y exerçoit la préfecture du prétoire par interim Nous en ferons usage dans la suite. Ici nous nous contenterons de rapporter le contenu de la dépêche que ce prince lui écrivit lorsqu’il lui confera un emploi si délicat.

« Suivez si fidellement vos instructions, c’est Theodoric qui parle : Que votre Province reconnoisse que vous êtes le Lieutenant d’un Prince dont les sentimens sont vraiment Romains. Après les maux qu’elle a soufferts, elle a besoin d’une administration également ferme & prudente. Faites donc en sorte qu’elle se sçache bon gré d’avoir été conquise, & pour cet effet, qu’elle n’endure plus rien de tout ce qu’elle a souffert dans les tems où elle étoit réduite à souhaiter inutilement de vivre sous la domination Romaine. »

Si Theodoric n’eut commandé dans cette partie des Gaules que comme tuteur d’Amalaric, si, comme on l’a cru, il n’eut été le maître dans ce pays-là, que parce que les Visigots y auroient reçû ses troupes après la bataille de Vouglé, afin qu’elles le gardassent contre les Francs, les Visigots en seroient toujours demeurés les veritables proprietaires. Theodoric auroit-il donc pû dire dans cette conjoncture, comme nous venons de voir qu’il le dit dans deux lettres : que cette province avoit changé depuis peu de domination ; qu’après avoir gemi long-tems sous le joug des barbares, elle étoit retournée sous le gouvernail de Rome, en un mot, qu’elle avoit été conquise les armes à la main ? Est-il même à croire que ce prince, s’il n’eut été qu’administrateur du pays dont il s’agit, y eût changé la forme du gouvernement établi par Euric, et qu’il y eut destitué les officiers Visigots pour installer des officiers Romains en leur place ?

Enfin, si Theodoric n’eut été que l’administrateur de la province des Gaules dont il est ici question, si son petit-fils Amalaric, le fils et le successeur d’Alaric second tué à Vouglé par Clovis en cinq cens sept, en fut toujours demeuré le souverain proprietaire, cette province après la mort de Theodoric seroit retournée sous le gouvernement d’Amalaric, elle auroit suivi le sort de l’Espagne comme de la partie de la premiere Narbonnoise que les Gots sauverent des mains des Francs après le désastre de Vouglé. L’administration perpetuelle de ces pays-là qui avoit été déferée à Theodoric, ayant pris fin à sa mort, ils passerent immédiatement après cette mort sous le pouvoir d’Amalaric. Nous verrons cependant, qu’à la mort de Theodoric[38], la province que ce prince tenoit dans les Gaules entre les Alpes, la Méditerranée, et le Rhône, ne passa point sous la domination d’Amalaric, ainsi que l’Espagne et la premiere Narbonnoise y passerent. Au contraire, la province que Theodoric tenoit entre les Alpes, la Méditerrannée, et le Rhône, eut à la mort de Theodoric la même destinée que les autres états où Theodoric regnoit de son chef. Elle passa ainsi que l’Italie sous la domination d’Athalaric son petit-fils et l’héritier de ses Etats.

Je conclus donc que la province des Gaules que nous venons de désigner, étoit, comme le dit Gregoire De Tours, au pouvoir des Bourguignons, lorsque Theodoric et Clovis leur firent la guerre l’année cinq cens, et qu’elle fut l’acquisition que le roi des Ostrogots fit alors sans effusion de sang, et de la maniere que le raconte Procope.

Quelques historiens ont cru que Clovis avoit fait deux fois la guerre aux Bourguignons, et que la narration de Grégoire de Tours et la narration de Procope, lesquelles nous venons de rapporter, ne sont pas le récit de la même guerre, mais bien les récits de deux guerres differentes. Suivant ces auteurs modernes, Clovis eut pour allié dans la premiere de ces deux guerres, qui est celle dont parle Gregoire de Tours, le roi Godégisile, frere de Gondebaud ; et dans la seconde qui est celle, dont parle Procope, il eut pour allié Theodoric roi des Ostrogots. Les auteurs dont je parle, placent, mais sans marquer précisément en quelle année, la guerre où Clovis eut Theodoric pour allié, après celle où ce prince avoit eu Godégisile pour allié, et qui se fit constamment en l’année cinq cens. C’est déja une espece de préjugé contre la verité de cette seconde guerre, qu’on ne puisse point en trouver l’année. D’ailleurs leur supposition est démentie par le témoignage de l’évêque d’Avanches, dont on ne sçauroit contester la validité, attendu le tems et le lieu où a vêcu celui qui le rend. » L’année même, dit cet Auteur, que Gondebaud avoit été défait auprès de Dijon, c’est-à-dire, l’année cinq cens, il remit une armée sur pied, & vint assieger Vienne où son frere Godégisile se tenoit. Gondebaud après avoir pris la Place, fit tuer son frere, & il fit mourir dans les supplices les plus cruels, un grand nombre de Senateurs & de Bourguignons qui s’étoient déclarés contre lui. Il recouvra donc les Etats qu’il avoit perdus, & il se mit encore en possession de ceux qui avoient appartenu à Godégisile. Gondebaud regna ensuite heureusement jusques à sa mort. » L’évêque d’Avanches ne se seroit point expliqué de cette maniere, si Gondebaud eût essuyé après son rétablissement arrivé l’année cinq cens, une guerre aussi désavantageuse que celle dont parle Procope.

Il est vrai qu’il paroît étrange dès que Procope et Gregoire de Tours ont voulu parler tous deux de la guerre faite en cinq cens aux Bourguignons, que d’un côté Procope n’ait rien dit des liaisons des Francs avec Godégisile, et que d’un autre côté Gregoire de Tours n’ait pas fait mention de l’alliance des Francs avec Theodoric. Mais sans redire ici les raisons que ces historiens auront euës d’en user comme ils ont fait, et que nous avons touchées ci-dessus, ne leur fait-on point commettre une omission bien plus blâmable, quand on veut supposer qu’ils ont entendu parler de deux guerres differentes ? Procope seroit-il excusable de n’avoir rien dit de la premiere guerre des Francs contre les Bourguignons ? Et Gregoire de Tours le seroit-il de n’avoir rien dit de la seconde ?

Enfin je répondrai, que le silence de Gregoire de Tours sur le traité de ligue offensive conclu entre Clovis et Theodoric contre Gondebaud vers l’année cinq cens, ne doit pas plus faire douter de la verité de cette alliance, que ce silence de cet historien sur un pareil traité conclu entre Clovis et Gondebaud l’année cinq cens six contre les Visigots, doit faire douter de la verité de ce second traité[39]. Or l’on verra quand il sera question de la guerre de Clovis contre Alaric, qu’il y eut certainement dans ce tems-là un traité de ligue offensive, conclu entre Clovis et Gondebaud contre les Visigots, quoique Gregoire De Tours ne dise rien de cette alliance.

Nous observerons encore qu’en conferant la narration de Procope avec celle de Gregoire De Tours, on ne laisse pas, nonobstant leurs omissions, de voir que l’un et l’autre ils ont voulu parler de la même guerre. Procope et Gregoire de Tours s’accordent à dire que dès le commencement de la guerre dont ils parlent, il se donna une bataille décisive, dans laquelle les Francs défirent à platte-couture les Bourguignons. Si Gregoire De Tours raconte que Gondebaud après la perte de la bataille de Dijon, ne put faire mieux que de se jetter dans Avignon, qui étoit à l’autre bout de son royaume, et que Clovis ayant mis le siege devant cette place, il fut obligé à le lever ; Procope rapporte aussi que les Bourguignons se sauverent dans les places qui étoient à l’extrêmité de leur pays, après qu’ils eurent perdu la bataille, et que ces places furent leur salut.

Enfin nous sçavons par les actes d’une conference tenue à Lyon sur les matieres de religion en quatre cens quatre-vingt-dix-neuf, et dont nous allons parler, que Clovis qui pour lors se disposoit actuellement à faire sa premiere guerre contre les Bourguignons, s’étoit joint publiquement à un allié qui étoit déja en guerre avec eux[40]. Gondebaud le dit positivement en parlant aux évêques qui étoient de la conference : certainement l’allié qu’il reprochoit à Clovis, n’étoit point Godégisile. Il pouvoit bien veritablement être dès-lors ligué avec Clovis, mais leur union étoit si secrette que Gondebaud qui parle lui-même dans les actes de notre conference de cet allié, déclaré qu’avoit Clovis, ne sçut les liaisons de son frere avec le roi des Francs, qu’après le commencement de la bataille de Dijon. D’ailleurs, quand on fait réflexion à la situation où les Gaules étoient en l’année cinq cens, on voit bien que cet allié de Clovis déclaré dès l’année quatre cens quatre-vingt-dix-neuf, ne pouvoit être autre que Theodoric qui depuis quelques années étoit déja en guerre contre Gondebaud. En effet, Alaric roi des Visigots entroit si peu dans cette querelle, que Gondebaud mit comme en dépôt entre les mains de ce prince, les Francs que les Bourguignons firent prisonniers de guerre à la prise de Vienne. Dès qu’il paroît que Theodoric a été l’allié de Clovis dans la guerre que celui-ci fit aux Bourguignons l’année cinq cens, il est inutile d’imaginer une seconde guerre des Francs contre ces barbares, pour appliquer à cette guerre, l’endroit de Procope que nous expliquons.

Le Pere Le Cointe[41] embarrassé par les difficultés que nous avons tâché d’éclaircir, a cru que Procope avoit voulu parler dans cet endroit-là, de la guerre que les fils de Clovis firent aux Bourguignons en cinq cens vingt-trois et quand Theodoric vivoit encore. Mais les circonstances de la guerre que les Francs firent aux Bourguignons en cinq cens vingt-trois, et que nous rapporterons quand il en sera tems, ne quadrent point avec celles qu’on lit dans le passage de Procope dont il est ici question. D’ailleurs, il est sensible par le tissu de la narration de cet historien, que dans le passage qui vient d’être rapporté, il veut parler d’un évenement antérieur à la guerre que Clovis fit contre les Visigots en cinq cens sept, et non pas d’un évenement qui n’est arrivé qu’en cinq cens vingt-trois, et seize ans après la guerre de cinq cens sept.

En effet, Procope dans la digression qu’il fait pour instruire son lecteur de la maniere dont la monarchie des Francs avoit été établie dans les Gaules[42], dit immédiatement après avoir parlé de leur association avec les Armoriques, et du serment prêté par les troupes Romaines, que les Visigots et les Turingiens proposerent à Theodoric de se liguer avec lui pour faire la guerre à Clovis. L’historien ajoute que Theodoric n’écouta point cette proposition, et qu’il aima mieux faire une alliance offensive avec les Francs contre les Bourguignons. Il raconte ensuite l’histoire de la guerre que les Francs et les Ostrogots firent en consequence de cette alliance contre les Bourguignons, et comment il arriva que les Francs combattirent seuls contre l’ennemi commun. Enfin Procope après avoir parlé de la somme d’argent que Theodoric donna aux Francs, conformément aux stipulations du traité qu’il avoit fait avec eux, et après avoir écrit : Voilà comment les Francs et les Gots occuperent une partie des Gaules, ajoute immédiatement ce qu’on va lire. » Dans la suite les Francs dont les forces avoient été considerablement accrues, ne tinrent plus grand compte de Theodoric, & enhardis contre la crainte de ses armes qui les retenoit auparavant, ils oserent bien attaquer Alaric Roi des Visigots. Dès qu’Alaric se vit attaqué, il pria Theodoric de venir à son secours. » Ce qui suit ces paroles dans Procope, est le récit de la bataille de Vouglé, et des autres évenemens de la guerre que Clovis déclara aux Visigots en cinq cens sept. Cette date est certaine, comme nous le verrons dans la suite. Ainsi l’ordre où Procope range les faits qu’il narre, prouveroit seul, s’il en étoit besoin, que la guerre que les Francs et les Ostrogots ont faite conjointement aux Bourguignons, est un évenement antérieur de quelques années à l’an cinq cens sept.

LIVRE 4 CHAPITRE 12

CHAPITRE XII.

De la part qu’eurent les interêts de la Religion aux disgraces & aux prospérités de Gondebaud, durant le cours de la guerre qu’il soutint contre Clovis et Theodoric.


On vient de lire dans les chapitres précedens deux révolutions des plus surprenantes dont l’histoire fasse mention, l’une et l’autre arrivées en moins d’un an. On y voit d’abord un roi établi sur le trône il y avoit vingt-cinq ans, et dont les Etats s’étendoient depuis les confins du diocèse de Troyes jusqu’à la Méditerranée, réduit après avoir perdu une bataille sur l’Ousche, à s’aller jetter dans Avignon. Non-seulement il se trouve hors d’état de mettre une nouvelle armée sur pied, mais ce prince que l’histoire ne represente point comme un homme timide, n’ose entreprendre la défense des villes qui sont sur la Saone ; il n’ose même s’enfermer dans l’ancien Lyon, que son assiette sur une montagne presqu’entourée par la Saone, rendoit si propre pour arrêter une invasion. Enfin Gondebaud n’a point la hardiesse de défendre Vienne qui étoit sa capitale, ni aucune des villes qui sont au-dessus d’Avignon, où il se jette, peut-être par l’impossibilité d’aller plus loin. Tout d’un coup la fortune change de face. Celui qui n’avoit osé défendre Lyon et tant d’autres villes, défend Avignon avec tant de succès, que Clovis est intimidé à son tour. Il désespere de prendre jamais la place, et levant le siége après un accord dont il ne reçoit d’autre garant que la parole de son ennemi, il se retire dans son propre pays. A peine a-t-il évacué les Etats de Gondebaud, qui sans doute avoit promis de laisser en paix Godégisile l’allié de Clovis, que Gondebaud abandonné de tout le monde quelques mois auparavant se remet en campagne. Tout le monde le rejoint, et bientôt il se trouve à la tête d’une nombreuse armée. Il assiége sans aucun ménagement pour les Francs, Vienne, où Godégisile que tout le monde abandonnoit à son tour, avoit été réduit à s’enfermer. La place est prise, Godégisile est tué dans l’azile où il s’étoit sauvé, Gondebaud est rétabli dans tous ses Etats, et même il se rend maître du partage de ce frere. Clovis, on sçait si ce prince étoit endurant ou timide, ne reprend point les armes pour tirer raison du manquement de parole de Gondebaud. Il souffre tranquillement cette injure, et autant qu’on en peut juger par son caractere qui nous est assez connu, uniquement par l’impossibilité d’en tirer raison. Quel tort ne devoit pas faire à sa réputation l’impunité de Gondebaud ? Il y a plus : il semble que ces deux princes soient devenus amis bientôt après. Ce qui est de certain, c’est que comme nous le verrons, ils étoient ligués ensemble contre les Visigots en l’année cinq cens sept, c’est-à-dire six ans après les évenemens dont il s’agit ici. Deux pareilles révolutions ne sçauroient être arrivées en Bourgogne dans le cours d’une année ; comme Marius Aventicensis dit positivement qu’elles arriverent, sans qu’il fût arrivé de grandes révolutions dans les esprits des sujets de Gondebaud. Il faut que la premiere de ces révolutions ait été l’effet de l’envie qu’avoient alors les romains de son royaume de changer de maître, et que la seconde révolution ait été l’effet du changement subit de ces mêmes romains dont Gondebaud avoit regagné pour lors l’inclination, en donnant des assurances positives de faire incessamment tout ce qu’ils pouvoient souhaiter de lui, et de remédier incontinent à tous les désordres qui lui avoient attiré leur aversion.

Quoique nous n’ayons l’histoire du cinquiéme siecle que très-imparfaitement, elle ne laisse pas néanmoins de fournir plusieurs faits très-propres à bien appuyer les conjectures que nous faisons pour expliquer les causes des malheurs surprenans et des succès inesperés de Gondebaud durant le cours de l’année cinq cens.

Deux choses donnoient envie aux Romains, sujets du roi Gondebaud, de changer de maître. La premiere, étoit la religion de ce prince qui faisoit profession publique de l’arianisme. La seconde, le mauvais traitement que les Bourguignons faisoient aux Romains dont ils étoient les hôtes. Or nous allons raporter deux faits qui font ajouter foi à ces deux motifs. Le premier fera voir que quelques mois avant la bataille de Dijon, ce prince avoit ôté à ses sujets catholiques l’esperance de sa conversion, qui jusques-là, pour user de la phrase vulgaire, leur avoit fait prendre patience, et les avoit retenus sous l’obéissance d’un prince hérétique. Nous ferons voir aussi que lorsque Gondebaud fut rétabli, il donnoit, corrigé qu’il avoit été par ses disgraces, toute l’esperance d’une conversion très-prochaine. Le second fait que nous rapporterons, c’est que Gondebaud dès qu’il fût rentré en possession de ses Etats, publia un nouveau code qui mettoit les Romains ses sujets à couvert de la vexation des Bourguignons. N’est-il pas très-probable qu’il avoit promis ce nouveau code aux Romains, afin de les faire rentrer dans ses interêts. Exposons ces faits-là plus au long.

Vers le mois de septembre de l’année quatre cens quatre-vingt-dix-neuf, c’est-à-dire, sept ou huit mois avant la bataille de Dijon, il se tint à Lyon en presence du roi Gondebaud, une conference entre les catholiques et les ariens. Nous en avons encore les actes, que Dom Luc D’Achéri a publiés dans son Spicilége, et que Dom Thierry Ruinart a inserés comme une piece également autentique et curieuse, dans son édition des œuvres de Gregoire De Tours. Voici le commencement de ces actes dans le livre de l’éditeur. » Il est arrivé par un effet de la Providence, qu’à la sollicitation de Remy Evêque de Reims, Apôtre des Francs, & sous le bon plaisir du Roi Gondebaud, plusieurs Evêques se sont assemblés pour aviser aux moyens de faire cesser la division de l’Eglise universelle, en y ramenant les Ariens. Afin qu’il parût, continuent nos actes, que ces Prélats se seroient trouvés ensemble comme par hazard, Stephanus écrivit à plusieurs d’entr’eux, pour les inviter de venir à la Fête de Saint Juste, qui attire toujours un grand monde. » Cette circonstance nous apprend le lieu et nous donne la date du mois où se tint la conférence en question, parce que dire la fête d’un saint absolument, c’est dire la fête qui se fait le jour de son passage à la vie éternelle. Or saint Juste, évêque de Lyon dans le quatriéme siecle, étoit mort au mois de septembre, en visitant les saints lieux, et son corps avoit été dans la suite rapporté et inhumé dans cette ville, ainsi que nous avons eu occasion de le dire, en parlant de la famille dont étoit Egidius. On verra encore par un incident rapporté ci-après, que la conférence se tint dans la ville même où saint Juste étoit enterré, et sur laquelle regnoit Gondebaud au commencement du sixiéme siecle. D’autres circonstances rapportées dans les actes dont il s’agit, montreront que cette conférence fut tenuë, comme je l’ai dit, en l’année quatre cens quatre-vingt-dix-neuf.

» Sur l’invitation de Stephanus, évêque de Vienne, le même dont on a vû ci-dessus une Lettre écrite à Clovis pour le féliciter sur son Baptême, Æonius Evêque d’Arles, l’Evêque de Valence, celui de Marseille, & plusieurs autres Prelats Catholiques se rendirent à Lyon, d’où Stephanus les mena saluer le Roi Gondebaud qui étoit à Sabiniacum avec sa Cour. Etdicius Avitus, Evêque de Vienne, pour qui ses Confreres avoient une grande déference, bien qu’il ne fût pas plus âgé ni plus ancien qu’eux dans l’Episcopat, dit à Gondebaud : Vous avez ici auprès de vous vos Docteurs les plus éclairés ; si vous voulez bien le permettre, nous allons les convaincre devant vous par le témoignage de l’Ecriture Sainte, que les Ariens sont dans l’erreur. Voici quelle fut la réponse de Gondebaud. Si votre Communion est la bonne, pourquoi les Evêques qui en sont, ne désarment-ils pas le Roi des Francs qui m’a déclaré la guerre, & qui pour me perdre, s’est allié à mes ennemis ? La veritable foi peut-elle se trouver avec la convoitise du bien d’autrui & la soif du sang des Nations ? Que Clovis justifie par ses œuvres la croyance qu’il professe. Avitus répliqua doucement avec l’air & l’éloquence d’un Ange : Nous ignorons, grand Prince, à quel dessein & par quel motif le Roi des Francs fait tout ce que vous venez de dire ; mais l’Ecriture nous enseigne que l’abandon de la Loi de Dieu est souvent cause de la subversion des Etats. Soumettez-vous, vous & votre Peuple à cette Loi, & le Tout-Puissant vous accordera des jours tranquilles. Dès que vous serez en paix avec lui, vous aurez bien-tôt la paix avec les hommes, & vos ennemis ne prévaudront point contre vous. »

Nous observerons deux choses sur cet endroit des actes de la conférence de Lyon. La premiere, c’est que nous y trouverons la date de l’année où elle se tint, comme nous avons trouvé par la fête de saint Juste, la date du mois où elle fut tenuë. Gondebaud dit que le roi des Francs s’étoit ligué avec ses ennemis, et qu’il lui avoit déclaré la guerre. Cependant comme Gondebaud, lorsqu’il dit cela, est encore paisible auprès de Lyon, le mois de septembre où il parle ne sçauroit être celui de l’année cinq cens. Cette année, comme nous l’avons vû, fut si remplie d’évenemens, qu’il faut que la bataille de Dijon qui en fut le premier ait été donnée long-tems avant le mois de septembre. Ainsi le mois de septembre dans lequel Gondebaud parle, est celui de l’année quatre cens-quatre-vingt-dix-neuf. Après avoir vû qu’il ne sçauroit avoir été le mois de septembre de l’année cinq cens, voyons aussi qu’il ne sçauroit avoir été le mois de septembre des années posterieures à l’année cinq cens. Depuis cette année-là jusqu’à la mort de Clovis, il n’y a point eu de guerre entre les Francs et les Bourguignons.

Clovis pouvoit bien avoir fait avec Theodoric son traité de ligue contre les Bourguignons dès le mois d’août de l’année quatre cens quatre-vingt-dix-neuf. Il pouvoit leur avoir déclaré la guerre dès cette année-là, quoiqu’il n’ait mis une armée en campagne contr’eux que l’année suivante. Quand il la déclara, la saison se sera trouvée être trop avancée, pour qu’il lui fût possible de rassembler ses milices avant que le tems d’entrer en campagne fût passé ; ou ce qui est plus probable, il se sera noué quelque négociation pour rétablir la paix, et cette négociation aura suspendu les hostilités, ou du moins la marche des armées royales. Qui auront été les médiateurs ? Saint Remy et saint Avitus. En effet, l’évêque de Vienne ; et c’est ma seconde observation, auroit-il dit à Gondebaud d’une maniere aussi intelligible qu’il le lui dit : Faites-vous catholique aujourd’hui, et demain votre paix sera faite avec les Francs ? s’il n’eût pas sçû tous les ressorts secrets de cette affaire, s’il n’eût pas été informé que ceux des Romains sujets de Gondebaud qui avoit promis de favoriser les armes des Francs, ne s’étoient engagés qu’au cas que la derniere tentative qu’on alloit faire pour convertir leur hôte, demeurât sans effet, et s’il n’eût pas été informé aussi d’un autre côté, que saint Remy qui étoit, comme on l’a vû, le promoteur de la conférence de Lyon, se faisoit fort d’engager le roi Clovis son prosélite, à désarmer, si Gondebaud prenoit enfin la résolution de se convertir. Il se peut faire que le traité de ligue offensive entre le roi des Francs et le roi des Ostrogots ne fût point encore ratifié, et que saint Remy eût promis positivement d’en empêcher la ratification, au cas que Gondebaud se fît catholique. Saint Remy auroit alors representé à Clovis que c’étoit agir contre les interêts de la religion, que de se liguer avec Theodoric arien déclaré, contre un prince qui venoit d’abjurer l’hérésie, et qu’on seroit mal servi dans la guerre qu’on oseroit entreprendre contre lui.

L’audience que Gondebaud donna aux évêques catholiques dans Sabiniacum, finit par la proposition d’une dispute de controverse. » Dès le lendemain le Roi descendit par la Saone à Lyon, & il envoya chercher Avitus & Stephanus, auxquels il dit : Les Evêques de ma Communion sont prêts à entrer en dispute avec vous, mais il est à propos que cette dispute ne soit pas publique, & qu’elle se faire seulement en presence de personnes dont vous & moi nous conviendrons. Aussi-tôt nos deux Prélats vinrent rendre compte des intentions du Roi à leurs Confreres, qui résolurent de se rendre à cette Conférence, non pas veritablement sans quelque répugnance, parce que le jour marqué pour la tenir se trouvoit être celui de la Fête de Saint Juste. Ils y allerent donc après avoir passé la nuit en prieres aux pieds du tombeau de ce Saint, & ils furent accompagnés de plusieurs Ecclésiastiques, & même de Placidius & de Lucanus, deux des principaux Officiers de Gondebaud. » La conférence se termina ainsi que toutes les disputes de controverse ont coutume de finir. Chacun se flatta d’avoir répondu solidement aux argumens de son adversaire, et la partie fut remise au lendemain. Comme les évêques orthodoxes alloient rentrer dans le lieu de la conférence, Aridius, ministre de Gondebaud vint leur dire qu’il ne leur conseilloit point de la tenir ; elle se tint cependant, et même avec quelque fruit ; car si Gondebaud ne se laissa point persuader, il y eut des ariens que la force de la verité convainquit, et qui se déclarerent catholiques. Suivant les apparences, Gondebaud qui avoit beaucoup de confiance dans la sagesse d’Aridius, ne lui avoit point caché le parti qu’il prenoit, et ce ministre qui étoit Romain, eût été bien-aise d’épargner aux prélats de sa communion une tentative infructueuse.

On peut bien juger que les évêques catholiques auront pris aussi un parti de leur côté, et que peu soigneux après cela d’aider Gondebaud à trouver de l’argent et des soldats, ils auront du moins laissé agir Clovis. Ils auront seulement engagé Aridius, qui restoit auprès de Gondebaud, à profiter des bons mouvemens, que les disgraces que ce prince alloit essuyer, exciteroient en lui, pour tâcher de l’amener à la véritable religion. Qu’arrive-t-il dans la suite ? Gondebaud abandonné de tout le monde et renfermé dans Avignon, s’y sera repenti du parti qu’il avoit pris à Lyon. Il aura pour ramener les Romains ses sujets, promis deux choses : l’une de se faire instruire, l’autre de publier sa loi Gombette, ou son nouveau code. Là-dessus Aridius aura été trouver Clovis, et après lui avoir expliqué les suites de la révolution qui alloit arriver dans les esprits, il lui aura fait comprendre que l’armée des Francs étant engagée aussi avant dans le pays ennemi qu’elle l’étoit, elle alloit se trouver incessamment affamée et coupée, parce que ceux qui avoient été jusques-là leurs amis secrets, alloient devenir leurs ennemis déclarés. Clovis informé de plus d’un endroit qu’Aridius ne lui disoit que la verité, aura pris le parti que nous avons vû qu’il prit, quoiqu’il jugeât bien que Gondebaud ne lui payeroit pas long-tems le tribut annuel qu’il lui faisoit offrir. Mais la promesse seule de ce tribut mettoit à couvert l’honneur des armes de Clovis. Dans la suite des tems, Gregoire de Tours, soit parce qu’il ne sçavoit point le secret de la négociation d’Aridius, soit parce qu’il n’a voulu rapporter que celles des circonstances de la retraite de Clovis, qui pouvoient faire honneur à la mémoire de ce prince, n’aura parlé que des conditions du traité, et il n’aura rien dit de ses motifs veritables qui furent la nécessité de le signer, à laquelle le roi des Francs se voyoit réduit par le changement des esprits.

Il est vrai que je n’ai pas trouvé dans aucun écrivain ancien que Gondebaud eût promis dans le tems qu’il étoit enfermé dans Avignon, de publier son nouveau code, et de se faire instruire ; mais je me fonde sur deux raisons pour le supposer. La premiere, est que Gondebaud se conduisit, aussi-tôt qu’il eût été rétabli, comme un prince qui auroit pris dans sa disgrace les deux engagemens dont nous venons de parler. Il se fit instruire et il publia sa loi Gombette. La seconde, c’est qu’il lui est très-utile de promettre durant son infortune, tout ce qu’il executa si-tôt qu’elle fut cessée. Il est donc question seulement de bien prouver les deux faits qui viennent d’être avancés.

Gregoire de Tours immédiatement après avoir raconté le rétablissement de Gondebaud, rapporte la publication de la loi Gombette, et la demande que fit ce prince d’être réconcilié secretement à l’Eglise catholique, comme les deux premieres choses qu’il avoit faites dés qu’il fût rentré en possession de ses Etats. » Gondebaud, dit notre Historien, recouvra toute la Bourgogne, & il publia une nouvelle rédaction des Loix des Bourguignons, faite afin de garantir les Romains ses Sujets, des vexations de ces Barbares. Ce Prince ayant aussi reconnu que les dogmes des Ariens étoient faux, il voulut les abjurer secretement entre les mains de Saint Avitus, Evêque de Vienne. »

Cet évêque dont le crédit étoit si grand dans les Gaules et même en Orient, devint donc le catéchiste de Gondebaud, et nous avons encore les lettres qu’il écrivit à ce prince pour le convaincre de la verité, mais ce saint évêque ne voulut point réconcilier le roi des Bourguignons à l’Eglise à moins que ce prince ne fît une abjuration publique de ses erreurs. Il eut beau alleguer qu’il lui convenoit de garder des ménagemens avec sa nation, Avitus traita tous les égards que Gondebaud vouloit avoir pour les hommes au préjudice de ce qu’il devoit à Dieu, de foiblesse, et de foiblesse dont un roi devroit être incapable. « C’est à vous, lui disoit-il, à faire la loi à vos Bourguignons et non pas à la recevoir d’eux. » Ces raisons terrassoient bien Gondebaud, mais elles ne le gagnoient pas, et il mourut enfin sans avoir pû se résoudre à faire une abjuration de l’arianisme telle qu’on l’exigeoit de lui, avant que de le réconcilier à l’Eglise.

Si les Romains sujets du roi des Bourguignons n’étoient rentrés dans ses interêts que par l’esperance de le voir bien-tôt catholique ; comment, dira-t’on, ne s’en séparerent-ils point de nouveau quand ils se virent frustrés de leur attente ? Comment ne rappellerent-ils point les Francs ? Je réponds que jusqu’à la mort de Gondebaud, nos Romains n’auront point désesperé de sa conversion. L’évêque de Vienne qui se faisoit un merite d’être l’apôtre des Bourguignons, comme l’évêque de Reims étoit celui des Francs, se sera toujours flatté qu’avec l’aide du ciel il ameneroit enfin son prosélite à faire une profession publique de la veritable religion, et il aura fait esperer la même chose aux Romains durant un grand nombre d’années. D’ailleurs et cela devoit leur faire souffrir avec patience les délais et les incertitudes de Gondebaud ; Sigismond le fils et le successeur nécessaire de ce prince avoit fait publiquement profession de la religion catholique. Il paroît par plusieurs lettres écrites à Sigismond du vivant de son pere par Avitus, que dès-lors Sigismond s’étoit réuni publiquement à l’Eglise. Nous avons même parmi les lettres de ce prélat, celle qu’il écrivit au nom de Sigismond au pape Symmaque mort plusieurs années avant Gondebaud, et dans cette lettre Sigismond après avoir rendu l’obédience à sa Sainteté et l’avoir remerciée des reliques qu’elle lui avoit envoyées, lui en demande encore de nouvelles. Ainsi les Romains sujets de Gondebaud étant contens de son administration, Clovis qui sans eux ne pouvoit rien contre lui, aura dissimulé l’infraction du traité d’Avignon. Il l’aura soufferte d’autant plus patiemment que ces mêmes Romains lui auront dès-lors proposé peut-être, la ligue qu’il fit en cinq cens six avec Gondebaud contre Alaric hérétique endurci et fils d’Euric le persécuteur.

Voilà donc comment Gondebaud aura été rétabli dans son royaume et comment il s’y sera maintenu en paix. Ce qu’il sera arrivé de plus, c’est que ceux des Romains ses sujets qui s’étoient déclarés en l’année cinq cens, les chefs du parti formé en faveur des Francs, ou qui étoient notés pour avoir fait de ces démarches que les souverains ne pardonnent point et qui sont toujours exceptées dans les amnisties génerales, se seront bannis de leur patrie pour chercher un azile dans les pays de l’obéissance de Clovis. Suivant les apparences Theodore, Proculus et Dinifius trois Romains qui après avoir été chassés de leurs évêchés dont le siege étoit dans les limites de la Bourgogne, se réfugierent dans les Etats de Clovis, étoient tous trois de ce nombre. L’historien ecclesiastique des Francs en parlant de la vocation de ces prélats à l’évêché de Tours où ils furent promus les deux premiers vers l’année cinq cens dix-neuf, et le dernier vers l’année cinq cens vingt et un, dit qu’ils étoient fort âgés dans le tems de leur élection, qu’ils avoient auparavant eu des évêchés dans le pays possedé par les Bourguignons, mais qu’ayant été expulsés de leurs sieges en haine de la guerre, ils s’étoient réfugiés auprès de la reine Clotilde, qui par un motif de reconnoissance contribua beaucoup à les faire choisir. Comme les Francs n’ont point eu la guerre avec les Bourguignons depuis la paix d’Avignon faite en cinq cens, jusqu’en l’année cinq cens vingt-trois, il faut que ces trois évêques installés sur le siege de Tours en cinq cens dix-neuf et en cinq cens vingt-un, et qui avoient été précedemment chassés de leurs diocèses en haine de la guerre, en eussent été chassés à l’occasion de la guerre commencée et terminée dans le cours de l’année cinq cens. Que sainte Clotilde ait procuré par un motif de reconnoissance, l’élevation de nos trois prélats sur le siege épiscopal de Tours, c’est une nouvelle preuve de tout ce que nous avons avancé. Nous avons déja parlé des justes sujets que cette princesse avoit de vouloir la perte de Gondebaud, et nous verrons dans le livre suivant que ce fut elle qui porta en cinq cens vingt-trois les rois ses enfans à faire la guerre aux Bourguignons. Ainsi l’on doit penser qu’ayant la confiance de Clovis, elle contribua beaucoup à lui faire entreprendre de déthroner Gondebaud en l’année cinq cens, et qu’elle eut alors beaucoup de part aux progrès des Francs par l’usage qu’elle aura sçû faire de son crédit sur l’esprit des Romains sujets du roi des Bourguignons. Suivant toutes les apparences, nos trois évêques auront été de ceux que Clotilde avoit pour lors engagés dans le parti des Francs, et ils se seront déclarés si violemment, qu’après la révolution qui remit Gondebaud sur le thrône, ils n’auront osé rester dans ses Etats.

On peut conjecturer encore qu’Eptadius, prêtre de l’église d’Autun, étoit aussi un des Romains, sujets de Gondebaud, qui furent après son rétablissement réduits à s’exiler de ses Etats, parce qu’ils s’étoient déclarés avec trop de chaleur pour les Francs, et qu’ils avoient commis contre leur souverain naturel de ces attentats, dont les coupables sont toujours exceptés des amnisties generales que les princes accordent à la fin des guerres, qui sont à la fois guerre civile et guerre étrangere. On peut voir dans le Pere Le Cointe[43] que lorsqu’il fut question d’élire cet Eptadius évêque d’Auxerre, dont le diocèse qui appartenoit aux Francs confinoit avec le pays des Bourguignons, et se trouvoit par conséquent exposé à leurs insultes, Clovis qui les ménageoit dans ce tems-là, ne voulut point consentir à l’élection proposée, avant que d’avoir fait trouver bon à Gondebaud qu’on y procedât.

Enfin pour confirmer nos conjectures sur les causes des deux révolutions qui arriverent en cinq cens dans le royaume de Bourgogne, nous rapporterons le contenu d’une lettre d’Avitus à Aurelien, personnage illustre. On a vû que ce ministre de Clovis avoit fait plusieurs voyages en Bourgogne pour y négocier le mariage de son maître avec Clotilde. Or la lettre d’Avitus paroît être la réponse à une lettre qu’Aurelien qui ne sçavoit point encore tout ce qu’Avitus sçavoit déja, lui avoit écrite pendant le siege d’Avignon, et dans le tems que Gondebaud paroissoit terrassé de maniere qu’on ne devoit pas croire à moins que d’être du secret, que ce prince dût si-tôt se relever.

» C’est un heureux présage que nos amis profitent de la sérenité passagere qui nous luit, pour nous donner de leurs nouvelles. Néanmoins les flots excités par la tempête que vous comparez si bien avec les orages ordinaires, ne sont pas entierement calmés. Il ne faut point prendre la bonace où nous sommes pour une preuve que le vent soit entierement tombé, mais plûtôt comme une marque qui montre qu’il veut varier. Que le calme, s’il continuë, que le vent s’il vous devient contraire, n’alterent point vorre amitié, & que vos sentimens pour nous ne dépendent jamais des tems que vous aurez. Aimez toujours vos amis : si les conjonctures le permettent donnez-leur de vos nouvelles ; si cela se peut point conservez-leur au moins votre amitié, rien ne sçauroit l’empêcher. Nous sommes dans un siecle où vous devez esperer que le vaisseau après avoir passé sur le bord des abîmes que vous décrivez si bien dans votre Lettre, entrera enfin dans un port où il n’aura plus à craindre le naufrage. »

Toutes les phrases de cette lettre dans laquelle Avitus affecte de s’expliquer en langage figuré, parce que le style métaphorique épargne à celui qui s’en sert, la nécessité de nommer par leur nom et les choses et les personnes dont il entend parler, conviennent bien aux ménagemens que l’évêque de Vienne devoit garder, pendant qu’on ajustoit et qu’on se disposoit à faire jouer tous les ressorts de la révolution qui remît le roi Gondebaud en possession de ses Etats. On y apperçoit l’embarras d’un homme qui se doit du respect à lui-même, et qui dans la situation où il se trouve, ne sçait ce qu’il convient d’écrire à d’anciens amis, dont il veut en tous évenemens conserver l’affection, et dont il va quitter le parti. Si d’un côté il n’ose dire clairement les faits dont ses nouveaux amis lui ont fait confidence, parce qu’il ne veut point les trahir, d’un autre côté il est bien aise de faire deux choses. La premiere, pour s’expliquer ainsi, c’est de prendre date en mandant à ses anciens amis des choses telles, qu’il puisse en les expliquant un jour, se faire auprès d’eux le mérite de leur avoir du moins donné avant l’évenement, des lumieres sur tout ce qui alloit arriver. La seconde est de preparer ses anciens amis à n’imputer sa conduite, lorsqu’ils le verront changer de parti, qu’à la destinée qui s’est plû à le mettre dans une situation telle, qu’il ne pouvoit s’empêcher de se laisser entraîner au torrent. On voit enfin dans la dépêche d’Avitus, que quoiqu’il arrive, il veut toujours conserver des liaisons particulieres avec une personne en grand crédit dans le parti qu’il est prêt d’abandonner, et même, s’il est possible, entretenir avec elle une correspondance reglée.

Pour reprendre le fil de l’histoire, je conclurai de tout ce qui vient d’être exposé, que Clovis désesperant de faire des conquêtes sur Gondebaud nouvellement réconcilié avec ses sujets Romains, aura fait la paix avec lui, à condition que chacun demeureroit en possession des pays qu’il tenoit avant la rupture. Quant à Theodoric, ce prince se voyant abandonné de Clovis, aura fait aussi sa paix avec Gondebaud, à condition que ce dernier lui cederoit la cité de Marseille et quelques cités adjacentes. Il seroit inutile de rechercher quelles étoient ces cités par une raison ; c’est que Theodoric qui affectionnoit beaucoup la province qu’il avoit acquise dans les Gaules, travailla sans cesse à l’agrandir, et qu’en effet dans les tems posterieurs à l’année cinq cens, il l’agrandit à plusieurs reprises. Ainsi l’on ne sçauroit sçavoir positivement tout ce qu’il acquit cette année-là. Le mariage d’Ostrogothe, l’une des filles de Theodoric avec Sigismond fils de Gondebaud, aura été une des conditions du traité dont nous venons de parler, ou du moins il en fut une suite. Voilà donc la tranquillité rétablie dans les Gaules pour quelque tems.


LIVRE 4 CHAPITRE 13

CHAPITRE XIII.

Theodoric s’érige en pacificateur des Nations Barbares établies dans les Gaules. Ses négociations pour empêcher une rupture entre les Francs et les Visigots. Entrevûe de Clovis & d’Alaric sous les murs d’Amboise.


Dès que Theodoric se vit maître d’une espece d’Etat dans les Gaules, il ne négligea rien pour maintenir la paix dans cette grande province. Il avoit deux raisons de tenir cette conduite. En premier lieu, la conservation de la paix étoit le moyen le plus assuré d’empêcher les Francs, la nation que les autres barbares craignoient davantage à cause de sa valeur et de son inquiétude, d’augmenter son territoire par de nouvelles conquêtes. En second lieu, Theodoric ne pouvoit faire valoir qu’en tems de paix, l’autorité qu’il croyoit lui appartenir sur tous les Romains, sujets de l’empire d’Occident, parce qu’il étoit maître de la capitale de ce partage, où son pouvoir étoit reconnu par le senat et par le peuple. En effet, on croit volontiers, en lisant les lettres de Cassiodore et les édits du roi des Ostrogots, qu’il n’étoit pas sans esperance que les Romains des provinces tenuës par les Visigots, par les Bourguignons et par les Francs, s’accoûtumassent insensiblement à recourir aux consuls et aux préfets du prétoire, comme aux autres officiers de l’empire, que ce prince instituoit. Mais il ne falloit point pour cela qu’il y eût aucune guerre dans les Gaules, parce que Theodoric ne pouvant plus se dispenser de prendre part à celles qui s’y allumeroient à l’avenir, ceux des barbares dont il se déclareroit ennemi, ne manqueroient pas de défendre à leurs sujets Romains toute sorte de relation avec ses officiers. Les alliances de famille que Theodoric avoit faites en épousant la sœur de Clovis, et en donnant ses filles en mariage, l’une au roi des Visigots, et l’autre au fils aîné du roi des Bourguignons, favorisoient encore le projet de s’acquerir une grande considération dans les Gaules. On peut dire la même chose d’un autre mariage qu’il avoit fait, en donnant Amalberge la fille de sa sœur Amalafréde à Hermanfroy, un des rois des Turingiens de la Germanie. Ces Turingiens après avoir uni avec eux plusieurs autres nations, avoient, comme il a été déja dit, occupé une partie de l’ancienne France. Mais d’autant que nous ignorons le tems précis de la fondation de ce royaume, nous remettrons à en parler, que nous soyons à l’endroit de notre ouvrage, où nous raconterons le succès de la guerre que les enfans de Clovis firent contre nos Turingiens.

La dureté dont Alaric avoit usé contre les amis du roi des Francs, suffisoit pour le brouiller avec le dernier, quand bien même ce dernier n’auroit point eu autant d’ambition qu’il en avoit. On croira donc sans peine que Clovis n’eut pas plûtôt perdu l’esperance de se rendre maître de la partie des Gaules tenuë par les Bourguignons, qu’il forma le projet de faire la guerre aux Visigots, et de s’allier contr’eux avec Gondebaud, comme il le fit au plus tard en cinq cens six. Un souverain peut-il avoir une pareille intention, sans faire de tems en tems contre un voisin, qu’il regarde déja comme son ennemi, des entreprises qui ressemblent à des hostilités, ou du moins sans laisser échapper quelques menaces.

Dès que Theodoric vit que les démêlés qui étoient entre Alaric et Clovis pourroient bien dégenerer en une rupture, il s’entremit pour la prévenir, et nous avons encore les lettres qu’il écrivit à nos deux princes en cette occasion. Elles se trouvent dans les ouvrages de Cassiodore qui les avoit composées. Voici la substance de celle qui fut envoyée au roi des Visigots.

Quoique vos ancêtres vous ayent transmis leur courage, & que vous soyez à la tête de la Nation qui défit Attila, n’allez point cependant l’exposer inconsidérement aux hazards des combats après une paix aussi longue que celle dont elle a joui. Remettre en haleine des Soldats qui ont passé plusieurs années sans essuyer les fatigues, & sans s’exposer aux perils de la guerre, ce n’est pas l’ouvrage d’un jour. D’ailleurs la passion est un mauvais Conseiller ; non-seulement elle fait prendre de méchans partis, mais elle aveugle encore les hommes dans le choix des moyens propres à les conduire au but où ils se proposent de parvenir. La guerre est enfin le dernier moyen auquel les Princes doivent avoir recours, pour se faire donner les satisfactions qui peuvent leur être dûës. Differez donc à commencer des hostilités contre le Roi des Francs, jusqu’à ce que vous soyez informés de la réponse qu’il aura faite aux Ambassadeurs que j’envoye lui offrir ma médiation, dans le dessein d’empêcher que de deux Princes qui me sont’alliés de si près, l’un augmente les Etats aux dépens des Etats de l’autre. Vos démêlés n’ont point pour origine le meurtre du pere de l’un de vous deux, égorgé par le pere de l’autre, qui auroit encore après ce meurtre envahi les Provinces du mort. Vos démêlés ne viennent que de quelques paroles, & bien-tôt ils seront terminés, si vous ne les envenimez point par des hostilités prématurées. Donnez-moi donc le loisir de faire sçavoir à Clovis qu’il m’aura en tête, quoique son beau-frere, s’il agit offensivement contre vous, & qu’ainsi il aura plus d’u » ne Nation belliqueuse à combattre, s’il vous attaque. Quand la Justice parle aux Princes une épée redoutable à la main ils entendent volontiers sa voix. Nous vous envoyons donc en qualité de nos ambassadeurs Tel & Tel, qui vous exposeront plus au long nos intentions, & qui ont ordre de se rendre en » suite auprès du Roi des Bourguignons & des autres Princes que vous leur direz d’aller trouver, pour y agir conformément aux instructions particulieres qu’ils recevront de vous à ce sujet là. Sur-tout évitons de rompre les premiers, & ne nous exposons point à l’aversion universelle qu’encourent les infracteurs des Traités de paix. Du reste soyez convaincu que nous sommes tellement éloignés du sentiment de ceux qui ne cherchent qu’à semer la discorde, pour tirer de l’avantage du malheur des autres, que nous réputerons votre agresseur, pour l’ennemi de tout le monde, & que nous nous déclarerons contre quelque Puissance que ce soit qui se déclarera contre vous. »

La lettre que Theodoric écrivit à Clovis concernant ses démêlés avec Alaric, débute par faire au roi des Francs une espece de reproche sur ce qu’étant oncle de Theodégote femme d’Alaric, il est néanmoins si mal avec ce prince pour un sujet bien leger. Theodoric ajoute ensuite qu’ils ne sçauroient l’un et l’autre donner une plus grande satisfaction à leurs ennemis communs, que celle de voir aux mains les Francs et les Visigots. » Chacun de vous, continue Theodoric, est Roi d’une puissante Nation, & vous êtes l’un & l’autre dans la force de l’âge. Si vous prêtez l’oreille à ceux qui ne cherchent qu’à vous mettre aux mains, vous ferez l’un contre l’autre de tels efforts, que vous ébranlerez réciproquement vos Trônes. N’allez point donner à vos Peuples, un sujet de faire des imprécations contre votre valeur ; ce qui ne manqueroit pas d’arriver, si pour des interêts peu importans, vous allumiez une guerre qui leur seroit funeste. A vous dire mon sentiment avec franchise ; c’est montrer trop d’impatience que de rompre la paix, parce que les premiers Ambassadeurs que vous avez en voyez demander satisfaction, ne vous ont point rapporté celle que vous croyez vous être dûe. Dans un differend qui est entre parens, on prend des Arbitres. Vous-même n’avez-vous pas quelque scrupule sur la justice de vos prétentions, quand vous voyez que nous doutons qu’elles soient bien fondées, & que nous ne serons point de votre parti ? Mais si nous sommes résolus de nous déclarer contre vous, nous & tous nos amis, au cas que vous ne déferiez point à nos representations ; nous sommes aussi résolus de nous déclarer contre Alaric, s’il passoit outre nonobstant les remontrances que nous lui avons faites. Nous envoyons donc Tel et tel en qualité de nos Ambassadeurs auprès de votre personne, & auprès de celle du Roi notre gendre afin qu’ils travaillent à vous réconcilier, & que les Francs & les Visigots, dont les affaires ont si bien prosperé à la faveur d’une paix durable entre les deux Nations, ne s’entredétruisent point dans une guerre entreprise inconsiderément. Nos Ambassadeurs sont aussi chargez de vous dire de bouche plusieurs choses. Au reste, soyez persuadé que les avis que je vous donne, partent uniquement de l’amitié que j’ai pour vous. On ne conseille pas, comme je vous conseille, les personnes dont on voit avec peine la prosperité.

Dans la lettre écrite sur le même sujet au roi des Bourguignons par Theodoric, on démêle un peu plus distinctement les veritables sentimens de ce dernier, qu’on ne les démêle dans les deux lettres précedentes. L’on y apperçoit donc sensiblement, que celui qui l’écrivoit, avoit envie de s’arroger une espece de supériorité sur tous les rois barbares qui avoient des quartiers dans les Gaules. Voici la substance de cette lettre.

» Il est triste de voir sans oser trop se déclarer, deux Princes à qui l’on prend beaucoup d’interêt, prêts à en venir aux mains, & à s’entredétruire. Il n’y a point de Roi dans les Gaules qui n’ait reçû de moi plusieurs témoignages d’une veritable affection. Vous m’êtes tous également chers, & vous ne pouvez vous entre-nuire, que je ne ressente les maux que vous vous faites. C’est donc à moi de temperer le courage boüillant de deux jeunes Rois qui ne sçauroient se moderer, tout instruits qu’ils sont que leur emportement est condamné par les personnes d’âge & d’experience. Qu’ils apprennent à se laisser conduire aux vieillards, & qu’ils sçachent que nous nous déclarerons contre l’agresseur. Il vaut encore mieux manquer à la décence en ne ménageant point assez les termes, que de laisser deux Princes nos Alliés s’entr’égorger. En exécution de cette résolution, nous vous envoyons Tel & Tel en qualité de nos Ambassadeurs, & nous vous informons qu’ils ont ordre, si notre fils Alaric le juge à propos, de se rendre avec les Ministres que les Princes nos Alliés voudront bien leur associer, à la Cour du Roi des Francs, pour y terminer par la voye de la négociation, tous les démêlés dont il est question aujourd’hui. Vous n’hésiterez point à rendre justice aux sentimens d’équité qui servent de regle à ma conduite. Il ne me reste plus qu’à vous conjurer de joindre vos bons offices à ma médiation, afin de prévenir une guerre que le monde ne voudra jamais croire avoir été allumée sans notre connivence, à moins qu’avant la rupture il ne nous ait vû distinctement vous & moi, faire tout notre possible pour la prévenir. Vous serez encore informé de plusieurs autres choses par mes Ambassadeurs, qui ont ordre de vous les dire de bouche. »

Comme Theodoric pouvoit craindre que Gondebaud n’eût déja fait son traité avec les Francs, et qu’il ne leur communiquât sa lettre, il y affecte de paroître entierement neutre entre Alaric et Clovis. Si l’on veut bien le croire, il n’a pris encore d’autre résolution que celle de se déclarer contre celui des deux princes qui attaqueroit, et en faveur de celui qui seroit attaqué. Mais la lettre de Theodoric écrite dans les mêmes circonstances à Hermanfroy, à Badéric et à Berthier, qui regnoient alors conjointement sur les Turingiens de la Germanie, laisse voir bien à découvert une partialité entiere en faveur d’Alaric. Nous observerons avant que de rapporter le contenu de cette lettre, qu’il semble à en juger par sa suscription, que chacun de ces trois princes qui étoient freres, et dont il sera parlé plus au long dans l’histoire des rois enfans de Clovis, prit en particulier le titre de roi d’un des trois peuples, qui après s’être joints ensemble, avoient fondé la monarchie connue dans le moyen âge sous le nom de royaume des Turingiens. En effet, la lettre est adressée au roi des Herules, au roi des Varnes, et au roi des Turingiens. En voici la teneur : » Le Ciel hait les superbes, & tout le monde a interêt de s’unir pour reprimer leur orgueil. En effet, celui qui veut opprimer un Peuple, j’ose dire, si commode, qu’il n’y a point de Nation qui ne souhaitât de l’avoir pour son voisin, donne à penser qu’il ne lui manque qu’une occasion pour faire passer sous son joug tous les autres Peuples. Un Prince qui méprise l’équité, le croit tout permis dès qu’il a réussi dans une entreprise injuste, & il doit par conséquent devenir l’objet de l’aversion de tout le monde. Soulevez-vous donc contre des projets iniques, vous que votre valeur destine à être le frein de l’ambition démesurée. Commencez par joindre des Ambassadeurs à ceux que le Roi Gondebaud & moi nous envoyons à Clovis, pour le détourner d’attaquer les Visigots, & pour l’obliger à respecter l’équité & le droit des Gens. S’il ose refuser de prendre pour Arbitres tant de Rois si puissans, qu’il soit en but à toute la terre. En effet, que peut demander de plus un Souverain qui a des principes de justice, que l’offre que d’aussi bons garans que vous & moi lui font conjointement, de lui faire donner une satisfaction raisonnable sur tous ses griefs. A dire sincerement ce que je pense, un Souverain qui ne veut point reconnoître l’autorité des Loix du droit des Gens, roule dans la tête le projet d’ébranler les fondemens de tous les autres Etats. Arrêtons un pareil torrent dès le commencement de son cours, afin d’épargner aux Pays exposés à ses ravages, les efforts qu’il lui faudroit faire pour lui opposer des digues qu’il lui fût impossible d’entraîner. Enfin souvenez-vous des marques d’amitié qu’Euric le pere d’Alaric, vous a données en tant d’occasions, des presens magnifiques qu’il vous a envoyés, & des démarches utiles qu’il a faites si souvent, pour empêcher les incursions que vos voisins étoient prêts de faire dans les Contrées que vous occupez. Voici le tems de témoigner au fils la reconnoissance des bons offices du pere, laquelle vous vous faites un mérite de conserver. Si le superbe édifice qu’Euric a construit, vient une fois à être renversé, la Puissance qui se sera accruë de ses débris, ne manquera point de vous faire la guerre. Voilà les motifs qui nous ont fait vous écrire cette Lettre qui vous sera renduë par Tel & Tel, qui ont commission de vous dire encore de vive voix plusieurs choses ausquelles vous ajouterez foi en vertu de leur créance. Entrez donc dans les mesures que nous avons prises pour assurer le repos de la societé des Nations, & prenez part à ce qui se passe chez vos voisins, afin de n’avoir point la guerre chez vous. »

Quel dommage que Theodoric n’ait point écrit dans ses dépêches tout ce qu’il chargeoit ses ambassadeurs de dire de bouche aux princes auprès desquels ils avoient charge de se rendre. Nous sçaurions par-là bien des particularités de l’histoire de l’établissement de la monarchie françoise, que nous ignorerons toujours. Mais avec quelque réserve que ces dépêches soient écrites, on voit bien que Clovis étoit en Europe dans le commencement du sixiéme siecle, ce qu’y étoit l’empereur Charles-Quint au commencement du seiziéme. Quant à la date de ces lettres, je les crois écrites vers l’année cinq cens deux, et avant l’entrevûë de Clovis et d’Alaric, de laquelle nous allons parler. Je sçais bien que quelques auteurs modernes ont cru qu’elles avoient été écrites immédiatement avant la guerre des Francs contre les Visigots commencée en cinq cens sept, mais j’ai deux raisons pour ne pas suivre leur opinion, qu’ils n’appuyent d’aucune preuve. La premiere est que ce qui s’y trouve concernant l’âge où Clovis étoit encore, lorsqu’elles furent écrites, porte à avancer leur date, autant qu’il est possible de l’avancer ; car ce prince avoit déja trente-cinq ou trente-six ans en cinq cens deux. La seconde, est que Theodoric étoit sur ses gardes contre les Francs, lorsqu’il écrivit les lettres que nous venons de rapporter. Il éclairoit alors de près les démarches de Clovis. Or quand la guerre de cinq cens sept commença, Theodoric rassuré par l’entrevûë et par la réconciliation apparente d’Alaric et de Clovis, ne s’attendoit plus à une rupture entre ces princes. Il fut si bien surpris lorsqu’elle éclata, qu’il ne put point, comme on le verra, faire marcher l’armée qui devoit secourir son gendre, assez-tôt, pour qu’elle joignît les Visigots avant qu’ils eussent été forcés à livrer bataille à l’armée des Francs.

Je crois donc que les dépêches de Theodoric, dont il est ici question, sont antérieures à l’entrevûë d’Alaric et de Clovis, et que cette entrevûë fut même le fruit des négociations que le roi des Ostrogots avoit faites, pour empêcher que le roi des Francs osât attaquer le roi des Visigots.

Gregoire de Tours après avoir fini tout ce qu’il avoit à dire au sujet de l’obstination avec laquelle Gondebaud refusoit toujours d’abjurer publiquement l’arianisme, ajoute ce qui suit concernant cette entrevûë d’Alaric et de Clovis. » Alaric voyant que Clovis soumettoit chaque jour quelque Peuple à son obéissance, il lui fit dire par des Ambassadeurs qu’il lui envoya : Si mon frere l’avoit pour agréable, nous nous aboucherions. Clovis accepta cette proposition, & il se rendit dans l’Isle appellée d’Entre-les-Ponts & que la Loire forme vis-à vis d’Amboise, lieu de la Cité de Tours[44]. Là, les deux Rois confererent ensemble, & aprés avoir mangé l’un avec l’autre, ils se séparerent en se promettant d’entretenir la paix & de vivre en bonne intelligence[45]. » Voilà tout ce que dit Gregoire de Tours concernant cette entrevûë, dont les historiens venus après lui ont rapporté plusieurs particularités démenties d’avance par son récit. Telles sont les embuches dressées à Clovis par Alaric. Je ne ferai donc aucune mention de tous ces détails qui paroissent des faits inventés à plaisir pour justifier la guerre que Clovis fit aux Visigots trois ou quatre années après l’entrevûë d’Amboise. J’ajouterai seulement une observation à tout ce que je viens de dire au sujet de cet évenement : c’est qu’il paroît par ce que fait dire Gregoire De Tours au roi des Visigots quand il propose un abouchement à Clovis, si mon frere l’avoit pour agréable, que dès-lors les têtes couronnées se traitoient de freres, comme elles le pratiquent encore aujourd’hui, quoiqu’elles ne fussent point freres ni par le sang ni par alliance. En effet Alaric n’étoit pas même parent de Clovis. Il est vrai qu’Alaric étoit allié de Clovis, mais s’il eût voulu donner à Clovis par tendresse, le nom qu’il devoit donner à ce prince comme au frere de sa belle-mere ; il l’auroit appellé non pas mon frere, mais mon oncle. Alaric avoit épousé Theodégote fille de Theodoric et d’Audefléde sœur de Clovis.

Cette observation sur le traitement que les têtes couronnées se faisoient dès-lors, est bien confirmée par les Formules de Marculphe. On y trouve le protocole, qui de son tems étoit en usage dans la chancellerie de France, pour les lettres de cérémonie que nos rois écrivent aux autres souverains ; et ce protocole fait foi que nos rois les traitoient de freres.


LIVRE 4 CHAPITRE 14

CHAPITRE XIV.

Conduite d’Alaric second dans ses Etats. Il y altere la monnoye d’or. Clovis profite des conjonctures & il lui déclare la guerre, dès que les Visigots ont obligé Quintianus Evêque de Rodez, à se sauver de son Diocèse. Alliance de Clovis avec les Bourguignons, & marche de son Armée.


Nous ignorons pleinement tout ce que Clovis peut avoir fait depuis l’entrevûë d’Amboise jusqu’à son expédition contre les Visigots en cinq cens sept. Les affaires que ce prince avoit dans des Etats où il n’étoit bien le maître que depuis peu de tems, l’auront occupé suffisamment. Je commencerois donc ici l’histoire de cette expédition, s’il ne convenoit point de rapporter auparavant le peu que nous sçavons concernant la conduite qu’Alaric avoit tenuë dans son royaume immédiatement avant le tems où la guerre commença. En effet, la conduite que ce prince tint en quelques occasions, contribua beaucoup à la rupture, comme aux succès de l’expédition dont nous avons à parler.

On a vû que son pere Euric avoit quelque-tems avant que de mourir, fait rédiger par écrit la loi nationale des Visigots. Alaric fit en l’année cinq cens cinq quelque chose de plus et qui marquoit encore davantage la pleine et entiere souveraineté qu’il croyoit avoir sur les Gaules en vertu des cessions faites aux Visigots par l’empereur Julius Nepos et par Odoacer. Les loix qu’Euric avoit publiées, ne regardoient directement que sa nation, mais Alaric fit faire une nouvelle rédaction du code Theodosien, laquelle nous avons encore aujourd’hui, et qu’il publia pour être la loi des Romains mêmes qui vivoient sous son obéissance. Nous parlerons encore ailleurs de ce code d’Alaric connu aussi quelquefois sous le nom du code d’Anien, parce qu’Anien étoit chancelier d’Alaric, lorsque le code dont il s’agit fut rédigé, et parce que ce fut lui qui signa les copies autentiques des nouvelles tables qui furent envoyées aux tribunaux.

Alaric permit aussi en cinq cens six aux évêques catholiques qui avoient leurs sieges dans l’étenduë des pays de la Gaule où il étoit le maître, de tenir un concile national dans la ville d’Agde, et saint Cesaire y présida.

La ville d’Arles dont il étoit évêque, étoit encore alors, comme on l’a vû, du royaume d’Alaric. Il est vrai qu’on prouve que quelques évêques qui assisterent à ce concile, étoient du royaume des Ostrogots, et non pas de celui des Visigots ; mais, comme nous l’avons observé déja, Theodoric étoit tellement uni pour lors avec Alaric son gendre, qu’il aura permis volontiers aux évêques de la partie des Gaules soumise à sa domination, de se trouver à un concile convoqué dans une ville soumise à la domination d’Alaric. Dès que saint Césaire se trouvoit à ce concile, la préeminence de son siege établi dans la même ville où étoit alors celui de la préfecture du prétoire des Gaules, et où étoit d’ancienneté le siege du vicaire particulier des dix-sept provinces des Gaules, aura beaucoup contribué à faire déferer au saint que nous venons de nommer, la présidence de l’assemblée.

La permission qu’Alaric donna de tenir le concile d’Agde, et la nouvelle rédaction des loix romaines qui en avoient besoin, devoient lui concilier en quelque façon les esprits des Romains ses sujets ; mais il fit en même tems un changement dans la monnoye, qui leur déplut infiniment, et d’ailleurs le traitement qu’il faisoit aux évêques catholiques, qu’il soupçonnoit d’être dans les interêts des Francs, rendoit de jour en jour le fils d’Euric le persécuteur, encore plus odieux aux orthodoxes.

Quant au changement qu’Alaric fit dans les monnoyes, voici ce que nous en apprend Alcimus Avitus, évêque de Vienne, et dont nous avons déja parlé tant de fois. Ce prélat en informant Apollinaris, évêque de Valence, qui lui faisoit faire un cachet en forme d’anneau, de la quantité d’alliage d’argent qu’il falloit mêler avec l’or qu’on employeroit dans cette bague, mande donc à son ami : » Qu’il ne faut point que l’alliage y soit en même proportion qu’il l’est dans ses monnoyes d’or d’un titre alteré, que le Roi des Visigots avoit fait frapper il n’y avoit guéres, & qui avoient été le présage de sa perte arrivée peu de tems après leur fabrication. » On voit encore dans les cabinets quelques-unes de ces médailles d’or, où il paroît qu’il est entré plus d’une moitié d’alliage composé à l’ordinaire en partie de cuivre et en partie d’argent. Il en est même parlé dans une des additions faites à la loi nationale des Bourguignons postérieurement à l’année cinq cens. La loi sixiéme de la seconde de ces additions dit : » On ne pourra point rebuter dans les payemens aucun sol d’or de poids, à quelque coin qu’il soit frappé, à l’exception des sols d’or de Valentinien troisiéme, de ceux qui ont été fabriqués dans la monnoye de Geneve, où Godégisile faisoit son séjour, de ceux des Armoriques & enfin de ceux des Gots où l’on a mis trop d’alliage sous le regne d’Alaric second. » Nous avons déja cité et éclairci cette loi à l’occasion des especes, qu’il est probable que la confédération Armorique avoit fait battre.

D’un autre côté, bien que la crainte qu’Alaric avoit des armes des Francs, l’obligeât à témoigner quelque bonté aux évêques catholiques de ses Etats, la prudence vouloit qu’ils profitassent des conjonctures, pour secouer le joug des Visigots, afin de ne pas demeurer toujours exposés à un traitement pareil à celui qu’ils avoient fait aux deux évêques de Tours, dont nous avons raconté l’infortune. Clovis pouvoit mourir, ou cesser d’être heureux, et le mécontentement des peuples causé par l’altération de la monnoye d’or, devoit avoir la destinée de tous les mécontentemens populaires, qui cessent au bout de quelques tems d’être capables de produire aucun effet considérable. Enfin le lecteur jugera par les circonstances de la guerre de Clovis contre Alaric, qui se lisent dans des auteurs contemporains et dans Gregoire de Tours, si les évêques catholiques dont les diocèses étoient dans les Etats de ce dernier, n’eurent point beaucoup de part à la révolution qui fit passer en cinq cens sept et les années suivantes sous la domination des Francs, la plus grande portion de la partie des Gaules, qui avoit été jusques-là sous la domination des Visigots.

Quoiqu’ayent fait alors ces prélats, on ne sçauroit, comme nous l’avons déja précedemment observé, reprocher rien à leur mémoire. La cession de Julius Nepos faite comme nous avons vû qu’elle l’avoit été, et celle d’Odoacer encore moins valide, n’avoient pas pû transporter aux Visigots les droits de l’empire sur les Gaules. Ainsi ces droits étoient toujours demeurés aux empereurs des Romains ; et après le renversement du trône d’Occident, ils avoient passé à l’empereur des Romains d’Orient. Ce prince jusqu’à la cession des Gaules faite aux Francs vers l’année cinq cens trente-sept par l’empereur Justinien, étoit demeuré toujours le véritable souverain des Gaules. C’étoit donc Anastase qui en cinq cens sept étoit le souverain legitime des évêques, qui nonobstant que leurs diocèses se trouvassent sous la domination d’Alaric, ne laisserent pas de favoriser les armes de Clovis. Or si nous ne sçavons pas que cet empereur eut ordonné d’avance à ces prélats de se conduire, ainsi qu’ils se conduisirent durant la guerre dont nous allons parler, nous sçavons du moins certainement qu’il approuva leur conduite, en conférant, quand elle duroit encore, le consulat au roi des Francs, à celui qu’ils avoient en quelque façon choisi pour les gouverner.

Voyons ce qu’on lit dans Gregoire de Tours, concernant la cause prochaine d’une guerre aussi memorable que celle dont il est ici question. Notre historien écrit immédiatement après avoir parlé de l’entrevûe d’Amboise. » Les Gaules étoient alors remplies de personnes qui souhaitoient avec une extrême passion de se voir sous la domination des Francs ; & même Quintianus Evêque de Rodez fut chassé de son Siege, comme étant de leurs partisans. En effet, les ennemis ne lui reprochoient autre chose que l’envie qu’il avoir de voir les Francs maîtres de son Diocèse. Une brouillerie qu’il eut dans ce tems-là avec ses Concitoyens, donna lieu à des rapports qui firent croire aux Visigots qui se tenoient dans la Cité de Rodez, que Quintianus vouloit effectivement la livrer à Clovis. Ils prirent là-dessus la résolution de se défaire de cet Evêque ; mais le Serviteur de Dieu en ayant été averti à tems, il sortit de la Ville pendant la nuit avec ses créatures & ses domestiques les plus affidés, pour se retirer en Auvergne, où il fut accueilli-avec amitié par Eufrasius, le successeur de l’Evêque Aprunculus, qui, comme on l’a dit, avoir été lui-même obligé de se sauver de Dijon, dans la crainte d’être mis à mort par les Bourguignons qui le haïssoient, parce qu’ils le croyoient bien intentionné pour les Francs. » Eufrasius assigna donc à Quintianus pour sa subsistance des maisons, des champs & des vignes. Les revenus de l’Evêché d’Auvergne, disoit Eufrasius, sont suffisans pour faire fubsister décemment deux Evêques, pourvû que cette charité que Saint Paul a tant recommandée, ne leur manque point. Il arriva même dans la fuite que Quintianus ayant été chassé du Diocèse de Rodez pour la seconde fois, il se retira encore en Auvergne. Durant ce second exil du Saint, l’Evêque de Lyon, dont le Siege avoir des biens dans certe Cité, lui abandonna la jouissance de ces biens-là. Quant aux autres évenemens de la vie de Quintianus, & aux miracles que le Seigneur voulut bien operer par son moyen, on peut les lire dans son Histoire. »

L’histoire particuliere à laquelle Gregoire De Tours nous renvoye dans son Histoire generale, est probablement la vie de Quintianus qui fait le quatriéme chapitre de la vie des Peres, un des opuscules de notre auteur. Je crois devoir rapporter ici ce qu’on y trouve, et tout ce que nous sçavons d’ailleurs concernant les autres évenemens de la vie de Quintianus, occasionnés par son zele pour la cause des Francs, bien qu’ils ne soient arrivés qu’après la mort de Clovis. Ce qui m’engage à les raconter prématurément, c’est que je suis actuellement dans l’obligation de justifier quelques mots que j’ai prêtés à Gregoire de Tours dans la traduction du passage qu’on vient de lire, pour lui faire dire distinctement que Quintianus avoit été chassé deux fois de son siége. Je ne crois pas avoir eu tort en cela. Premierement, les deux exils de Quintianus sont rendus constans par la suite de l’histoire. On y verra distinctement que ce prélat fut obligé à s’exiler lui-même avant que Clovis eût commencé ses hostilités contre les Visigots, et qu’il fut chassé de son siége après la mort de Clovis et sous le regne de Thierri le fils aîné de ce prince. D’ailleurs en mettant au commencement de la narration des événemens de la guerre de Clovis contre Alaric, un récit suivi de toutes les differentes avantures de Quintianus, on rend l’histoire de cette guerre et celle des évenemens qui en furent la suite, beaucoup plus facile à entendre.

Aussi-tôt que Clovis eut été informé de la retraite forcée de Quintianus[46], il monta à cheval, comme nous le dirons bientôt, et dès l’entrée de la campagne, il donna la bataille de Vouglé, après laquelle il envoya son fils Thierri soumettre la cité d’Albi, le Rouergue et l’Auvergne. On peut donc bien croire que Quintianus, pour ainsi dire le martyr des Francs, fut dès l’année cinq cens sept rétabli dans son siege. Ainsi pour cette fois-là Quintianus ne sera demeuré en Auvergne que durant quelques mois, et il n’aura point joui long-tems des revenus que l’évêque de ce diocèse lui avoit assignés pour sa subsistance. Quintianus sera donc revenu dès-lors dans son diocèse, où il étoit encore en possession de la crosse, lorsqu’en l’année cinq cens onze il assista au concile tenu dans Orleans sous le bon plaisir de Clovis et qu’il signa les actes de cette assemblée. Qu’arriva-t-il dans la suite ?

» Les Visigort, dit Gregoire de Tours, ayant reconquis après la mort de Clovis une partie des Pays qu’il avoit conquis sur eux, le Roi Thierri envoya son fils Théodebert, & le Roi Clotaire envoya en même tems Gonthier son fils aîné, pour reprendre ces Pays-là ; mais Gonthier se contenta de s’avancer jusqu’au Rouergue, & sans qu’on pénetrât le motif de sa conduite, il rebroussa chemin brusquement. » Clovis mourut en cinq cens onze, et l’expédition de Theodebert ne se fit, comme nous le verrons, que très-peu de tems avant la mort de Thierri fils de Clovis, c’est-à-dire, vers l’année cinq cens trente-trois.

Il paroit donc que très-peu de tems après la mort de Clovis arrivée en cinq cens onze, les Visigots avoient repris Rodez, et qu’ils la tenoient encore malgré les Francs en cinq cens trente-trois. La ville de Rodez est voisine des cités de la métropole de Narbonne, que les Visigots avoient conservée durant la guerre que Clovis leur fit en cinq cens sept, et dont nous allons donner l’histoire.

Dès que les Visigots auront été rentrés dans Rodez, ce qui arriva vers cinq cens douze, Quintianus en sera sorti une seconde fois pour se réfugier encore dans l’Auvergne, qui n’étoit point du nombre des cités que les Visigots avoient reconquises après la mort de Clovis, et où notre prélat avoit été si bien reçû dans le tems de son premier exil. Ce second exil de Quintianus est même rendu constant par une très-ancienne vie de ce saint, laquelle se garde dans la bibliotheque de l’église de Rodez. M Dominici qui la cite dans son histoire de la famille d’Ansbert, rapporte qu’on y lit : que sous le regne de Thierri, Quintianus fut chassé de son siege par les Visigots, qui l’accusoient de vouloir livrer le Rouergue à ce prince. ç’aura été durant ce second exil, que l’évêque de Lyon aura donné à Quintianus, la jouissance des biens que l’église de Lyon avoit en Auvergne. Ce fut durant ce second exil que Quintianus fut fait lui-même évêque d’Auvergne, quatre ou cinq après la mort de Clovis, c’est-à-dire, vers l’année cinq cens seize.

Voici comment Gregoire de Tours raconte ce dernier évenement dans ses opuscules et dans son histoire. » Eufrasius Evêque de l’Auvergne, mourut quatre ans après Clovis Dès-lors la plûpart des Citoyens de la Province, voulurent nommer Quintianus pour son Successeur, mais la brigue d’Apollinaris l’emporta. Apollinaris fut donc installé, & il mourut ensuite le quatriéme mois de son Episcopat. Dès que le Roi Thierri eut appris cette mort, il fit entendre que son intention étoit, que cette fois-là, l’Eglise d’Auvergne eût à élire Quintianus pour son Chef. C’est un homme, disoit-il, à qui nous avons obligation & qui n’a été chassé de son Siege, qu’à cause de son attachement aux interêts de notre Nation. Àussi-tôt les Evêques qui s’étoient rendus en Auvergne, & le Peuple, élurent Quintianus, & ils l’installerent sur le Siege vacant par la mort d’Apollinaris[47]. » La mémoire de saint Quintianus est encore précieuse aujourd’hui aux peuples de Clermont, où ses reliques y sont exposées à la vénération des fidéles dans l’église de saint Symphorien et de saint Genest.

Nous en sçaurions probablement davantage concernant l’attachement de Quintianus pour les princes Francs, si nous avions encore la lettre qui lui avoit été écrite par Avitus évêque de Vienne. Mais, comme l’observe le Pere Sirmond, il ne nous est demeuré que la suscription de cette lettre. Le corps de la lettre est perdu. L’écrit qu’on trouve aujourd’hui placé sous le titre de Lettre d’Avitus évêque de Vienne à Quintianus évêque, est une des copies de la lettre circulaire qu’Avitus adressa aux évêques suffragans de la métropole de Vienne pour les inviter au concile qui se tint en cinq cens dix-sept à Epaone, dans le royaume des Bourguignons. Or Avitus ne sçauroit avoir adressé une de ces lettres à Quintianus, évêque d’Auvergne. Cette cité étoit sous la métropole de Bourges, et non pas sous celle de Vienne. D’ailleurs l’Auvergne n’étoit point du royaume des Bourguignons dans le tems du concile d’Epaone. Elle étoit dans le royaume des Francs. Ainsi la veritable lettre adressée à Quintianus par Avitus, est perdue. En quel tems l’a-t-elle été ? Quelles ont été les vûes de ceux qui peuvent l’avoir supprimée ? Nous l’ignorons. M Dominici de Toulouse, sçavant jurisconsulte du dix-septiéme siécle, dit dans un livre qu’il fit imprimer en 1645 touchant la prérogative des aleuds. » Nous avons une Vie de saint Amant Evêque de Rodez écrite il y a plus de cinq cens ans en langue Romance & en vers mesurés & rimés, & l’on y trouve plusieurs particularités concernant Quintianus, un des predecesseurs de saint Amant. L’Auteur de cette Vie dit entr’autres choses : Que Clovis dès qu’il eut appris la disgrace de Quintianus, monta à cheval attaquer les Visigots. L’importance du fait que ces Vers nous apprennent, ajoute M. Dominici, me fait prendre la hardiesse de les rapporter ici, bien qu’ils soient composés dans l’ancien patois de notre pays. » En effet, ces vers qu’on peut lire au bas de la page, font voir que Clovis commença son expédition contre les Visigots avant le tems où il avoit résolu de la commencer, mais qu’il se pressa, et qu’il la commença prématurément, parce qu’il apprit que le projet de ses amis étoit découvert, et qu’ils étoient en danger. Voici, suivant Gregoire de Tours, ce que fit Clovis avant que de partir.

Cet auteur après avoir employé tout le trente-sixiéme chapitre du second livre de son Histoire, à raconter la retraite forcée de Quintianus, et l’accueil qui lui fut fait en Auvergne, commence ainsi le chapitre suivant. » Le Roi Clovis dit donc aux siens : Je ne puis souffrir que ces Ariens tiennent plus long-tems une si grande partie des Gaules. Marchons contr’eux, & réduisons à l’aide du Ciel sous notre obéissance, le beau Pays qu’ils occupent. Tout le monde applaudit à la proposition de ce Prince, qui mit aussi-tôt en mouvement ses troupes, à la tête desquelles il s’achemina vers Poitiers où le trouvoit pour lors Alaric.

Avant que de continuer à rapporter la narration de Gregoire de Tours, il convient de dire ici une chose qu’il a oublié d’écrire. Comme il a omis de dire que Clovis avoit pour allié Theodoric dans la guerre faite en l’année cinq cens contre les Bourguignons ; il omet aussi de dire que Clovis dans la guerre qu’il fit en cinq cens sept aux Visigots, avoit Gondebaud pour son allié. Mais la chose n’en est pas moins certaine, puisque nous la tenons d’auteurs, dont le témoignage ne sçauroit être rejetté ni reproché.

Le premier de ces témoignages est celui des trois disciples de saint Césaire évêque d’Arles, qui ont écrit sa vie en commun peu de tems après sa mort, et qui l’ont adressée à sa sœur l’abbesse Césaria. On y lit que saint Césaire se trouva enfermé dans Arles, lorsque Clovis en fit le siege, et nos auteurs disent, en parlant de cet évenement. » Après que le Roi Alaric eût été tué dans la bataille qu’il perdit contre le Roi Clovis, les Francs & les Bourguignons vinrent assiéger la Ville d’Arles. Theodoric avoit pris parti dans cette querelle. Il avoit envoyé quelques-uns de les Generaux au secours des Visigots ; & lui-même il s’étoit rendu en personne dans la Province Viennoise. » Nous renvoyons à un autre endroit la suite de ce passage.

Isidore De Seville qui est un autre de nos témoins, dit positivement, que dès le commencement de la guerre dont il est ici question, et avant que la bataille de Vouglé se donnât, les Bourguignons étoient les alliés des Francs. Je rapporterai d’autant plus volontiers cet endroit de son Histoire des Gots, qu’il aide à constater la date de la bataille qui se donna près de Vouglé, la premiere campagne de la guerre de Clovis contre Alaric. » L’an de Jesus-Christ quatre cens quatre-vingt-quatre, & la dixiéme année du regne de Zenon, parvenu à l’Empire en quatre cens soixante & quatorze : Euric étant mort, son fils Alaric second fut proclamé dans Toulouse Roi des Visigots. » Alaric mourut la vingt-troisiéme année de son regne. Ce fut à lui que Clovis Roi des Francs, qui vouloit se rendre maître de toutes les Gaules, & qui avoit les Bourguignons pour alliés, déclara la guerre. Alaric fut donc tué dans une bataille qu’il perdit en Poitou. Theodoric Roi d’Italie ayant appris la malheureuse destinée de ce Prince qui étoit son Gendre, passa les Alpes incontinent & vint dans les Gaules. » Nous renvoyons à un autre endroit la fuite du passage d’Isidore.

Dès qu’Alaric qui étoit monté sur le trône en quatre cens quatre-vingt-quatre, a regné vingt-trois ans, il s’ensuit que ç’a été en cinq cens sept qu’il est mort à la bataille de Vouglé. Il est vrai que Grégoire de Tours, lui donne une année de regne de moins qu’Isidore De Seville, mais on voit bien que cette difference vient de ce que l’on a compté les années révolues, et l’autre les années courantes. Quand Gregoire De Tours dit qu’Alaric avoit regné vingt-deux ans, lorsqu’il fut tué à Vouglé, il entend dire que ce prince avoit fini la vingt-deuxiéme année de son regne. D’un autre côté, quand Isidore écrit qu’Alaric a regné vingt-trois ans, il entend dire qu’Alaric a commencé la vingt-troisiéme année de son regne. Du moins cette supposition ne sçauroit être contredite, parce que nous ne sçavons point précisément ni le jour de l’avenement d’Alaric à la couronne, ni le jour où se donna la bataille de Vouglé dans laquelle il fut tué.

J’ajouterai encore ici un autre passage d’Isidore De Séville très-propre à confirmer que ce fut en cinq cens sept que se donna la bataille de Vouglé. Isidore ayant dit tout ce qu’il avoit à dire concernant Alaric Second, il écrit : » Après la mort d’Alaric, dont nous venons de parler, Gésalic qu’il avoit eu d’une Concubine, fut proclamé dans Narbonne Roi des Visigots la dix-septiéme année de l’Empire d’Anastase. » Comme Anastase avoit été fait empereur en quatre cens quatre-vingt-onze, la dix-septiéme année de son regne a dû se rencontrer avec l’année cinq cens sept. Enfin l’auteur du supplément à la chronique de Victor Tununensis, dit positivement que la bataille de Vouglé se donna en cinq cens sept sous le troisiéme consulat d’Anastase, et sous le premier de Venantius.

Nous verrons que les Bourguignons ne furent pas les seuls alliés qu’eut Clovis, lorsqu’il marcha cette année-là contre les Visigots, et qu’il avoit encore dans son armée un corps de Ripuaires commandé par Clodéric fils aîné de Sigebert roi de cette tribu. Reprenons la narration de Gregoire de Tours, où nous l’avons quittée pour faire les digressions qu’on vient de lire, et qui m’ont paru propres à la faire mieux entendre.


LIVRE 4 CHAPITRE 15

CHAPITRE XV.

Clovis entre dans le pays tenu par les Visigots. Bataille de Vouglé.


Clovis informé que les Visigots se mettoient en mouvement, et qu’ils marchoient vers celles de leurs provinces qui étoient frontieres de son territoire, prit le parti le plus usité dans ce tems-là, celui d’aller droit au lieu où l’armée ennemie devoit s’assembler, afin de la combattre avant qu’elle eût encore reçû toutes les troupes qui la devoient joindre. On sçavoit que c’étoit dans le Poitou qu’Alaric avoit donné le rendez-vous à ses troupes, ainsi Clovis y marcha. Comme il étoit le maître d’Orleans, on ne doit pas être en peine du lieu où il passa la Loire. Il prit ensuite sa route par la Touraine qui étoit alors sous la domination des Visigots, et par consequent un pays ennemi. Clovis ne laissa pas néanmoins de faire publier en y entrant[48], un ban par lequel il étoit défendu sous peine de la vie, d’y prendre aucune autre chose que de l’herbe et de l’eau. Il crut devoir cette marque de respect à la mémoire de saint Martin évêque de Tours, et l’apôtre des Gaules. Il arriva cependant qu’un soldat eut la hardiesse d’enlever quelques bottes de foin appartenantes à une pauvre femme. » Le Roi, dit-il, comme pour s'excuser, nous a du moins permis de prendre ici de l'herbe. Qu'est-ce que du foin ? une herbe coupée, fanée & mise en bottes. Sa plaisanterie ne lui réussit point: Clovis informé du fait, condamna à mort le Soldat qui avoit enfreint le ban , & il le fit exécuter. Quel succès pouvons nous attendre de notre entreprise, dit alors ce Prince, si nous manquons au respect dû à saint Martin ? » Cet exemple contint les Troupes, Durant la marche, Clovis qui passoit à une petite distance de la ville de Tours, eut la curiosité de consulter le Dieu des Armées, dans l’église bâtie sur le tombeau de saint Martin, pour apprendre, s’il étoit possible, quel seroit l’évenement de l’expédition que les Francs avoient entreprise. Dans ce dessein, il envoya secretement des hommes de confiance porter ses offrandes au tombeau de l’apôtre des Gaules, et il leur enjoignit de lui rendre à leur retour un compte exact, de tout ce qu’ils auroient vû ou entendu de plus propre à servir de présage, et à pronostiquer le succès de la campagne. Il s’adressa ensuite à Dieu, et il lui dit : » Seigneur, s’il est vrai que vous daigniez me proteger, & si vous avez résolu de vous servir d’un bras aussi foible que le mien pour renverser le Trône élevé par une Nation hérétique, & toujours opposée aux interêts de la Religion que vous-même vous avez enseignée, daignez manifester votre volonté à mes Serviteurs, & qu’ils en puissent appercevoir quelque signe sensible, lorsqu’ils entreront dans l’Eglise de Saint Martin. »

Les personnes chargées de la commission de Clovis, s’en acquittérent sans se découvrir, et en mettant le pied dans l’église de saint Martin, qui n’étoit point encore renfermée dans l’enceinte de Tours, elles entendirent le chantre entonner le quarantiéme verset du pseaume dix-septiéme : Seigneur, vous m’avez armé de courage dans les combats, & vous avez fait tomber fous mes coups ceux qui s’étoient levés sur leurs pieds pour me frapper. Vous avez contraint mes ennemis à tourner le dos devant moi, de vous avez confondu ceux qui me haïssoient. Cette consultation faite par Clovis, étoit-elle une action religieuse, ou bien un effet blâmable de la curiosité effrenée de pénétrer dans l’avenir, que les hommes ont toujours eue, et qui fit souvent chercher aux premiers Chrétiens dans les livres sacrés, et sur les tombeaux des saints, des présages pareils à ceux que leurs peres avoient cherchés, quand ils étoient encore payens, dans les ouvrages de Virgile, et dans les antres d’Apollon ? Que ceux ausquels il appartient de prononcer sur cette question, la décident.

Il est vrai que le concile qui s’étoit tenu dans Agde une année avant que Clovis consultât le ciel dans l’église de S. Martin, défend sous peine d’excommunication, aux clercs et aux laïques de chercher, soit dans l’écriture sainte, soit en faisant de leur autorité privée des cérémonies mystérieuses sur les tombeaux des saints, aucun augure de l’avenir. Il est encore vrai que le concile, qui quatre années après le tems dont nous écrivons ici l’histoire, s’assembla dans Orleans par les soins de Clovis, fait sous les mêmes peines, prohibition tant aux ecclésiastiques qu’aux laïques, de recourir à aucune sorte de divination, tant à celles qui avoient été en usage parmi les payens, qu’à celles qui se faisoient en abusant des livres saints et du culte pratiqué dans l’église chrétienne. Un des capitulaires de Charlemagne défend aussi aux fideles de chercher des prédictions de l’avenir, soit dans le psautier, soit dans les évangiles, et d’exercer aucune sorte de divination. Mais la maniere dont s’y prit Clovis, pour sçavoir ce qui étoit déterminé par la providence sur la guerre qu’il avoit entreprise, est-elle bien une des manieres de découvrir l’avenir, qui sont condamnées dans les loix que je viens de rapporter ? Voilà ce que je n’oserois décider. Reprenons le fil de la narration de Gregoire de Tours.

Les hommes de confiance que Clovis avoit envoyés porter ses offrandes au tombeau de saint Martin, revinrent après avoir remercié le ciel d’un augure si heureux, rendre compte à leur maître du présage qu’ils avoient eu. Il se mit en marche aussi-tôt, mais lorsqu’il fut arrivé sur le bord de la Vienne dont le lit couvroit le camp des ennemis, qui s’assembloient entre Poitiers et cette riviere, il la trouva si grossie par des pluyes abondantes, qu’il ne lui étoit pas possible de la guayer, comme il se l’étoit promis. Ainsi l’armée des Francs qui avoit été obligée à passer la Loire au-dessus de la Touraine, que les Visigots tenoient, et par consequent fort au dessus de l’embouchure de la Vienne dans ce fleuve, se trouvoit arrêtée par la riviere dont nous parlons. Il étoit même impossible à Clovis d’y jetter des ponts, ou de la faire traverser à ses troupes dans des barques, parce qu’Alaric dont il paroît que le principal quartier étoit alors sous Poitiers, éloigné seulement de trois ou quatre lieues de la rive de la Vienne, y avoit des postes. Alaric n’auroit donc pas manqué de s’opposer à ce passage, et de profiter d’une telle occasion pour combattre les Francs avec tant d’avantage, qu’il les eut battu sans rien risquer. Il falloit ou surprendre le passage de la Vienne, ou s’exposer, en tentant de la passer malgré l’opposition des Visigots, à une défaite presque certaine. Avant que de parler de l’évenement miraculeux qui tira Clovis de l’embarras où nous le voyons, il est bon de fermer un moment Gregoire de Tours, pour ouvrir Procope, et pour apprendre de cet historien, quel étoit le projet de campagne qu’Alaric avoit fait de son côté. On en concevra mieux et l’importance dont il étoit aux Francs de passer la Vienne au plûtôt, et comment le passage de cette riviere, fut cause de la bataille de Vouglé.

Procope après avoir parlé de la guerre que Clovis et Theodoric firent conjointement aux Bourguignons en cinq cens, ajoute : » Les Francs ayant augmenté considerablement leurs forces, ils cesserent d’avoir des égards pour Theodoric, & libres de la crainte qui les avoit retenus jusqu’alors, ils se mirent en campagne pour attaquer Alaric Roi des Visigots. Aussitôt que ce Prince eur connoissance de ce qui s’entreprenoit contre lui, il eut recours à Theodoric qui se mit incontinent à la tête d’une armée pour aller secourir son gendre. Cependant les Visigots apprenant que l’ennemi campoit dans le Poitou, ils vinrent se poster sous la ville de Poitiers, & durant quelques jours, ils demeurerent derriere les retranchemens de leur camp. » Notre historien raconte ensuite comment les Visigots livrerent bataille aux Francs.

Je ne puis sans prévarication omettre d’avertir ici le lecteur, que j’ai pris la liberté de faire une correction importante dans le texte de Procope, en mettant le nom de Poitiers au lieu de celui de Carcassonne, qui se lit dans l’édition du Louvre. Voici les raisons que j’ai eues de faire un tel changement. En premier lieu, il est impossible que Procope qui doit avoir vû en Italie plusieurs Francs et plusieurs Visigots, qui s’étoient trouvés à la bataille de Vouglé, n’ait pas sçû que c’étoit sous Poitiers et non pas sous Carcassonne qu’Alaric étoit campé la veille du jour où il perdit cette bataille mémorable, dans laquelle il fut tué. Ainsi, quand bien même les manuscrits de cet historien ne fourniroient rien qui autorisât notre correction, il ne faudroit point laisser de la faire, par la raison qu’il est impossible que Procope se soit trompé au point d’avoir écrit Carcassonne pour Poitiers, et qu’ainsi une telle faute devroit toujours être traitée de vice de clerc, et mise sur le compte des copistes. En second lieu, nous trouvons dans le texte d’un manuscrit de Procope de quoi autoriser la restitution que nous osons faire. Voici le fait. Dans le douziéme chapitre du premier livre de l’histoire de la guerre des Gots par Procope, Carcassonne se trouve nommée trois fois. La premiere fois qu’il en est fait mention, c’est dans le passage qui vient d’être rapporté ; et c’est pour dire qu’Alaric campa quelque tems sous cette place, et qu’il ne décampa de-là que pour donner la bataille où il perdit la vie. Les deux autres fois qu’il est fait mention de Carcassonne dans ce chapitre, c’est à l’occasion du siege que Clovis mit devant cette ville-là, quelque tems après la bataille de Vouglé, et qu’il fut obligé de lever[49]. Or le manuscrit de la bibliothéque de Joseph Scaliger, dont Hoëschelius s’est servi pour nous donner son édition du texte grec de Procope, appelle Carcassonne, Carcassiané dans les deux endroits où il s’agit du siége de cette place, et où réellement Procope a voulu parler de Carcassonne. En cela il est semblable aux autres manuscrits. Au contraire, dans l’endroit de ce manuscrit grec de Scaliger où il est parlé de Carcassonne pour la premiere fois, et à l’occasion du campement d’Alaric sous cette place avant la bataille de Vouglé, Carcassonne s’y trouve appellée Ou Carcassona. Quelle apparence que Procope ait nommé au commencement d’une page Ou Carcassona, la même ville qu’il appelle deux fois Carcassiané dans la suite de la même page. Je crois donc que Procope avoit écrit dans l’endroit que nous rétablissons, Augoustoritona, en traduisant en grec le nom latin de la ville de Poitiers qui est Augustoritum, et que la leçon Ou Carcassona n’est autre chose que le mot Augoustoritona alteré et défiguré par quelques copistes grecs qui sçavoient mal la carte des Gaules. Il est aisé de deviner comment se sera faite par degré la restitution téméraire qu’il a mis à la place du nom corrompu Ou Carcassona, le nom de Carcassiané qui se trouvoit deux fois dans la suite de la même page.

Sans redire ici pour autoriser notre hardiesse, ce que l’on a déja lû concernant l’altération des noms propres des lieux et des fleuves de la Gaule, que l’ignorance des copistes de Procope, leur a fait faire en transcrivant le texte de cet historien, nous nous contenterons d’observer que dans l’endroit même que nous restituons, ces copistes ont commis une faute bien plus considerable que celle que nous corrigeons. Ils y font dire à Procope qu’Amalaric roi des Visigots, étoit fils d’une fille d’Alaric Second, au lieu que Procope avoit certainement écrit conformément à la verité, et à ce que lui-même il dit ailleurs, qu’Amalaric étoit fils d’Alaric Second, et d’une fille de Theodoric roi des Ostrogots. Je reprends le fil de l’histoire.

Alaric dont le projet de ne point combattre, qu’il n’eût été joint par le renfort que Theodoric lui envoyoit, ne pouvoit pas se poster mieux qu’il l’avoit fait, en prenant un camp où il avoit la Vienne devant lui, et Poitiers dans ses derrieres. Il étoit difficile qu’il fût forcé dans un campement si bien assis, d’où il ne laissoit pas d’empêcher que les Francs s’avançassent dans son pays, puisqu’ils ne pouvoient pas y entrer sans s’exposer à perdre aussi-tôt toute la communication avec le leur. Ainsi l’embarras de Clovis qui se voyoit arrêté dès le commencement de sa carriere, ne devoit point être médiocre. Il perdoit un tems précieux pour lui, et dont les Visigots alloient profiter, soit pour se fortifier par les secours qui leur venoient, soit pour achever de découvrir le parti qu’il avoit dans leurs provinces, et pour le dissiper.

» Clovis, dit Gregoire de Tours (a), fur toute la nuit en prieres, demandant au Dieu des Armées qu’il daignât donner connoissance aux Francs d’un gué où ils pûssent passer la riviere qui les empêchoit de combattre leurs ennemis. Le lendemain l’armée des Francs vit distinctement une biche d’une grandeur extraordinaire entrer dans le lit de la Vienne, & la traverser sans perdre pied, comme si elle eût été envoyée du Ciel, pour enseigner l’endroit où cette riviére étoit guayable nonobstant la crue de ses eaux. L’armée des Francs passa donc la Vienne au gué que la biche lui avoit indiqué, & vint camper sur un terrain qui étoit en vûë de Poitiers. Ce fut de-là que Clovis apperçut une lumiere miraculeuse, qui s’élevant de dessus l’Eglise de Saint Hilaire bâtie dans cette Ville, paroissoit darder des rayons du côté de son camp, comme si ce grand Serviteur de Dieu eût voulu par-là exhorter les Francs à faire sentir le poids de leurs armes aux Ariens sur lesquels il avoit lui-même remporté tant de victoires avec le glaive de la parole. A l’aspect de cette nouvelle colomne de feu, Clovis remit son armée en marche après avoir défendu qu’on fît la moindre violence à ceux qui ne seroient point trouvés portant actuellement les armes pour le service de l’ennemi. » Le Ciel même se déclara le vengeur des infractions de ce ban. Un maraudeur qui avoit levé la main sur saint Maixant abbé d’un monastere du diocèse de Poitiers, devint paralytique du bras dont il avoit voulu frapper le serviteur de Dieu.

On pourroit soupçonner que la colomne de feu que Clovis apperçut sur l’église de saint Hilaire, n’étoit qu’un signal convenu entre ce prince et quelque Poitevin de ses partisans qui avoit promis de lui faire connoître par des fanaux les mouvemens des ennemis, et qui l’avertissoit par les flambeaux qu’il avoit allumés sur le haut de cette église, et que de tems en tems l’on pouvoit bien changer de place, que les Visigots avoient décampé pour se retirer, aussi-tôt qu’ils avoient sçû que l’armée des Francs étoit en-deçà de la Vienne. En effet, on rendoit un grand service à Clovis en l’informant que ses ennemis faisoient actuellement un mouvement durant lequel il étoit facile de les défaire et qui d’un autre côté les alloit mettre en sûreté si l’on leur permettoit de l’achever sans trouble. D’ailleurs on sçait que les Anciens se servoient souvent de flambeaux allumés, pour donner les signaux de guerre. Mais les auteurs du tems disent positivement que l’apparition de cette lumiere fut un évenement miraculeux. On a vû comment Gregoire de Tours s’en explique, et voici ce qu’en dit Venantius Fortunatus auteur du sixiéme siécle, et l’un des successeurs de saint Hilaire sur le siege épiscopal de Poitiers. » Lorsque le roi Clovis étoit armé contre un Peuple heretique, il mérita qu’il lui apparut sur la Basilique de Saint Hilaire, une colomne de feu laquelle en s’avançant vers ce Prince, l’avertissoit quil n’y avoit pas de tems à perdre, & qu’il lui falloit mettre la principale confiance dans l’intercession de ce Saint. Ce fut dans ces sentimens que Clovis marcha avec tant de diligence aux ennemis qui se retiroient, qu’il les atteignit sur les neuf heures du matin, & qu’il remporta sur eux par la bencdiction du Dieu des Armées, une victoire plus entiere qu’il ne l’eût osé esperer, une victoire si complette que la colline qui servit de champ de bataille fut jonchée de morts en si grand nombre, que son terrain en parut haussé. » C’étoit ainsi que la colomne de feu avoit autrefois servi de guide aux enfans d’Israël.

Ce fut, comme nous l’apprend encore Fortunat dans l’abrégé de la vie de saint Remy, à dix mille de Poitiers, et dans la campagne qui est auprès de Vouglé ou Vouillé, non loin des bords du Clain, que Clovis défit Alaric. Je comprens donc sur ce qui a déja été emprunté, sur ce qui va l’être encore de la narration de Gregoire de Tours, comme sur ce qu’en dit Fortunat qui devoit connoître les lieux ; que Clovis après avoir guayé la Vienne à l’endroit qui s’est appellé depuis cet évenement le Pas de la biche, avoit dessein de passer la nuit dans le camp qu’il avoit pris en vûe de Poitiers, lorsqu’il fut averti par les signaux qu’il vit sur l’église de saint Hilaire, qu’Alaric se retiroit, et que les Visigots après avoir passé le Clain à Poitiers, marchoient sur la gauche de cette riviere. Clovis aura décampé sur le champ, quoiqu’il fut encore nuit, et passant aussi le Clain qui n’est pas une grosse riviere, aux gués que les gens du pays lui auront enseignés, il aura atteint après une marche forcée de neuf ou dix heures, les Visigots qui faisoient diligence pour prendre le nouveau poste qu’ils avoient dessein d’occuper. Cependant Procope semble dire qu’Alaric pouvoit bien encore gagner pays, mais que les Visigots indignés de la manœuvre qu’il leur faisoit faire, l’obligerent à tourner tête, et à livrer bataille à Clovis qu’ils se vantoient de défaire eux seuls, et sans le secours des Ostrogots.

Le récit que Gregoire de Tours nous fait de la journée de Vouglé contient plus de détails que celui de Fortunat. L’évêque de Tours après avoir fini le récit du miracle arrivé à l’occasion de l’abbé Maixant, dit : » Cependant l’armée d’Alaric & celle de Clovis en vinrent aux mains dans les champs de Vouglé & à la distance d’environ dix milles de la Ville de Poitiers. Les Visigots auroient bien voulu ne point engager une action décisive, mais l’ennemi les joignit & il les chargea si vivement, que suivant leur coutume, ils ne tinrent pas. Clovis protege visiblement par le Ciel, demeura donc maître du champ de bataille. Cloderic eut part à la gloire de cette journée. Il étoit fils du Roi Sigebert surnommé le Boiteux, parce qu’il étoit demeuré estropié de la blessure qu’il avoit reçuë à un genouil en combattant contre les Allemands à la journée de Tolbiac. » Clovis après avoir mis les Visigots en fuite, et après avoir tué leur roi Alaric, tous les auteurs semblent dire qu’il ait tué de sa propre main ce prince, ne laissa point de courir encore un très-grand danger. Il fut assailli dans le même tems par deux Visigots qui lui porterent chacun un coup d’espieu d’armes au milieu du corps. Heureusement la trempe de sa cuirasse étoit si bonne qu’elle résista, et l’agilité de son cheval le tira d’entre ces assaillans.

Comme Gregoire de Tours et Fortunat ont vêcu dans le siécle même où cette bataille mémorable s’est donnée, et comme Fortunat étoit lui-même évêque de Poitiers, et l’autre évêque d’un diocèse limitrophe de celui de Poitiers, ce qu’ils disent soit concernant la distance où les campagnes de Voglade étoient du Clain, soit sur la marche des deux armées ennemies, et l’heure du combat, a fait penser à nos meilleurs écrivains, que les champs du lieu qui s’appelle aujourd’hui Vouglé ou Vouillé, avoient été le theatre du grand évenement dont il est ici question. En effet, Vouglé est à trois lieuës de Poitiers. Il n’est qu’à trois lieues du lit du Clain. D’ailleurs le nom françois de Vouglé ou Vouillé, c’est ainsi que plusieurs auteurs l’écrivent, paroît dérivé du nom latin Voglade, ou Vogladum, ou Vlloiacum. Le lieu dont il s’agit a porté ces trois noms-là.

Un critique éclairé vient neanmoins d’attaquer ce sentiment, et il se fonde principalement sur deux raisons. La premiere est, que dans les anciennes chartres, Vouglé est nommé Villiacum, et non pas Vogladum, et que par consequent, Campus Vogladensis, ou les Champs vogladiens, ne sçauroient être les campagnes des environs de Vouglé. La seconde est, que Vogladum étoit assis sur le Clain, au rapport de Gregoire De Tours, et que Vouglé est à trois lieuës du Clain qui n’en approche qu’à cette distance.

Je réponds à la premiere de ces deux raisons : que rien n’étoit plus commun dans le sixiéme siécle que d’ortographier differemment le même nom propre. C’est de quoi nous rapportons plusieurs exemples dans cet ouvrage. Nous y avons fait voir qu’on écrivoit de cinq ou six manieres differentes, le nom de Clovis et le nom de Clotilde.

Le critique nous fournit lui-même un exemple en nous aprenant que Vouglé est appellé dans les anciennes chartres, Villiacum et Volliacum. Gregoire de Tours a bien pû en ortographiant le même nom, écrire Voglade ou Vogladum  ; en moüillant la prononciation du g, Vogladum sonne assez comme Volliacum, dont on peut supposer que les deux l étoient aussi mouillées. Il n’y aura pas eu entre ces deux noms latins une difference plus grande que celle qui est en françois entre Vouglé et Vouillé.

Quant à la seconde des raisons que je réfute, je dirai que Gregoire De Tours n’a point écrit que la bataille dont il s’agit, ait été donnée sous les murs de Vouglé, mais bien dans les champs de Vouglé, in campo Vogladensi. Qui empêche de croire que ces champs ne s’étendissent pas jusques au bord du Clain qui n’est éloigné que de dix mille de Vouglé. ç’aura été sur le terrein qui est entre Vouglé et le Clain que les deux armées se seront mises en bataille. Combien y a-t-il de batailles, qui portent le nom d’une ville ou d’un bourg à deux lieuës duquel elles se sont données ? Sans sortir du Poitou, n’appelle-t-on point la bataille donnée à Maupertuis l’an mil trois cens cinquante-six entre le roi Jean et le prince de Galles, la journée de Poitiers, quoique Maupertuis soit à deux lieues de Poitiers ? Dans la supposition que l’armée de Clovis eut une lieue de front, la pointe de sa droite n’aura été qu’à une lieue du Clain, et la pointe de sa gauche à une lieue de Vouglé. N’est-ce point assez pour dire que la bataille se sera donnée dans les champs de Vouglé et sur les bords du Clain, quand même les champs de Vouglé ne se seroient pas étendus jusques sur le bord de cette riviere ?

Les détails de la bataille de Vouglé qu’on lit dans Gregoire de Tours ne vont point jusqu’à nous apprendre le nombre des morts et des blessés. Il se contente de nous dire à ce sujet : que les citoyens de l’Auvergne qu’Apollinaris avoit amenés au secours d’Alaric, demeurerent la plûpart sur le champ de bataille, et qu’il y eut parmi les morts un grand nombre de sénateurs. Quoique Gregoire de Tours ne semble faire ici mention, que des Auvergnats ses compatriotes, on peut croire cependant qu’il y avoit bien d’autres Romains qu’eux dans l’armée des Visigots. Un article de la loi nationale de ce peuple ordonnoit à tous les ducs, comtes et autres officiers obligés par leurs emplois d’aller à la guerre, soit qu’ils fussent Visigots, soit qu’ils fussent Romains, de se trouver le jour marqué au lieu du rendez-vous donné aux milices qui devoient composer l’armée, à la tête de laquelle le roi alloit se mettre. Cette loi enjoignoit même à toutes les personnes désignées ci-dessus, d’amener avec elles la dixiéme partie de leurs esclaves, et de les armer convenablement. D’ailleurs les Gaulois n’ont jamais été de ces peuples pacifiques qui ont la patience de voir cinq ou six ans durant, des armées étrangeres s’entrebattre dans le pays qu’ils habitent, sans se mêler de la querelle.

Quant à l’Apollinaris qui commandoit les Auvergnats à la journée de Vouglé, il étoit fils du celébre Sidonius Apollinaris, dont nous avons parlé tant de fois, et de Papianilla fille de l’empereur Avitus. Apollinaris n’avoit point pour les Visigots la même aversion que son pere Sidonius avoit eûe, et nous voyons que dès le regne d’Euric, il s’étoit lié d’amitié avec Victorius ; que ce roi, comme nous l’avons dit en son lieu, avoit fait président de la premiere Aquitaine. Il avoit même été avec ce Victorius à Rome, et quand Victorius y eut été assommé, Apollinaris y fut retenu comme captif, mis à une grosse rançon, et envoyé à Milan pour y être gardé jusqu’à ce qu’il l’eût payée. Mais, et c’est ce qui peut servir à donner une idée plus complette de la maniere dont les hommes pensoient sur les augures, dans les tems dont nous écrivons l’histoire : Apollinaris ayant entendu dire par hazard à un mendiant la veille de la fête de saint Victor martyr, Tous les captifs qui se sauvent cette nuit ne sont jamais ratrapez, il réputa ce discours un présage heureux, et partant sur le soir avec un valet de confiance, il prit hardiment le chemin de l’Auvergne, où il arriva sain et sauf. Il paroît cependant que les facilités qu’il avoit trouvées à s’évader, l’eussent rendu suspect à Alaric, mais on voit par deux lettres d’Avitus[50] qu’Apollinaris avoit regagné la confiance de ce prince.

Gregoire de Tours ne dit point que notre Apollinaris ait été du nombre des Auvergnats morts à Vouglé. Aussi n’y fut-il point tué. Il fut même quelques années après élû évêque de l’Auvergne, mais il ne vêcut que trois mois après son exaltation, ainsi que nous l’avons déja dit dans le chapitre précedent en parlant de saint Quintianus.

Le peu que Procope dit concernant la bataille de Vouglé, sert à rendre encore plus vraisemblable l’idée que nous avons donnée de cette action de guerre. Après avoir rapporté qu’Alaric s’étoit posté sous Poitiers pour n’être point obligé à combattre avant que d’avoir été joint par les Ostrogots, il ajoûte que cette manœuvre déplaisoit fort aux Visigots qui se croyoient capables de battre seuls les Francs, et que ce fut par complaisance pour sa nation que ce prince donna la bataille de Vouglé. » Alaric, écrit notre Historien, fut donc forcé à livrer bataille aux ennemis, avant qu’il eût été joint par les Ostrogots. Tout l’avantage de l’action fut pour les Francs. Les Visigots furent défaits, un grand nombre des vaincus resta sur la place ; leur Roi fut du nombre des morts, & les Francs après s’être emparés d’une partie des Gaules, firent le siege de Carcassone qu’ils presserent avec beaucoup d’ardeur. »

LIVRE 4 CHAPITRE 16

CHAPITRE XVI.

Progrès des Francs depuis la bataille de Vouglé jusques à l’année sept cens huit. Les Visigots proclament Roi Gésalic fils naturel d’Alaric second. Theodoric entre en guerre contre les Francs. Siége mis par les Francs & par les Bourguignons devant Arles en cinq cens huit. Ils levent ce Siége avec beaucoup de perte.


Clovis, dit Gregoire De Tours après qu’il a fini le recit de la journée de Vouglé, envoya son fils Thierri à la tête d’un corps de troupes, s’emparer de l’Albigeois, du Rouergue & de l’Auvergne. Ce jeune Prince exécuta ses ordres, & il soumit au pouvoir de son pere tout le pays qui étoit en-deçà des limites du territoire des Bourguignons. » Voilà tout ce qu’écrit notre historien concernant les exploits que Clovis fit le reste de la campagne de cinq cens sept ; car la premiere fois qu’il le nomme après avoir parlé de l’expédition de Thierri, c’est pour dire que Clovis passa le quartier d’hyver à Bordeaux. Nous rapportons plus bas cet endroit de notre historien. On conçoit bien néanmoins qu’un conquerant aussi actif que Clovis ne se tint pas à rien faire après le gain d’une bataille aussi décisive que celle de Vouglé. S’il sçavoit vaincre, il sçavoit aussi profiter de ses victoires, et la saison qui permettoit au fils de soumettre des provinces, permettoit bien aussi au pere de tenir la campagne. Mais Procope nous apprend ce que Gregoire De Tours ne nous dit point.

Cet historien ayant écrit que Clovis avoit assiegé Carcassone après la bataille de Vouglé, ajoute cette parenthese. » La marche de Theodoric qui s’avançoit à la tête de ses Os- trogots, intimida les Francs qui leverent leur siege, mais ils ne laissérent point malgré cette disgrace de se rendre maîtres d’une grande portion de la partie des Gaules qui est entre le Rhône & l’Ocean » ; C’est-à-dire, que Clovis après avoir levé le siege de Carcassone, se rendit maître de celles des cités des deux Aquitaines, qu’il avoit laissées derriére lui pour s’avancer jusqu’à Carcassone. Voyons à present ce qui se passa dans le pays tenu par les Visigots, et pour en donner une notion plus distincte, commençons par rapporter de suite les avantures de Gésalic le successeur immédiat d’Alaric II. Il est vrai que c’est anticiper sur les quatre années suivantes, mais la narration non interrompuë des avantures de ce Gésalic servira beaucoup à éclaircir l’histoire de sa nation, et celle de la guerre que les Francs lui faisoient.

» La dix-septiéme année de l’Empire d’Anastase, dit Isidore de Seville, c’est-à-dire, l’an de Jesus-Christ cinq cens sept, Gésalic, fils du Roi Alaric, mais né d’une Concubine, fut proclamé à Narbonne Souverain des Visigots, & ce Prince regna quatre ans en tout. Quant à son administration, elle fut aussi peu honorable que sa naissance. Enfin Gondebaud Roi des Bourguignons étant venu saccager le district de la Cité de Narbonne, Gésalic se sauva dans Barcelonne, & une retraite si honteuse & dans laquelle il perdit encore beaucoup de monde, acheva de le couvrir d’infamie. Cependant il le tint renfermé dans Barceloene, jusqu’à ce que Theodoric l’eût fait déposer comme un homme indigne de porter le sceptre. Gésalic se sauva ensuite comme il put de cette Ville-là pour se retirer en Afrique, où il tâcha d’engager les Vandales à le rétablir, mais ils lui refuserent de l’entreprendre. Ce Prince infortuné eut même sujet d’appréhender qu’ils ne le livrassent à Theodoric qui regnoit dès lors sur les Visigots. Il partit donc d’Afrique pour se réfugier dans l’Aquitaine, où il demeura caché pendant une année. Au bout de ce tems il rentra en Espagne à la tête de quelques gens ramassés, mais il fut défait & pris à quatre lieues de Barcelonne par Hibba qui commandoit alors les Troupes de Theodoric dans ces quartiers-là. On transfera le Prisonnier dans la partie des Gaules qui est entre la Durance & les Alpes, & là il mourut. Ce fut ainsi que Gésalic perdit d’abord son rang, & dans la suite la vie. »

J’ai donc cru qu’il falloit rapporter ce passage entier, quoiqu’il semble qu’une partie de ce qu’il contient dût être renvoyé à l’histoire des années suivantes. En effet, nous sommes encore en cinq cens sept, et le passage que nous rapportons fait mention de la déposition de Gésalic arrivée la quatriéme année de son regne, c’est-à-dire au plûtôt en cinq cens dix, et même il est parlé dans notre passage de la mort de ce prince infortuné arrivée plusieurs années après son détrônement. Mais, comme je l’ai déja insinué, j’ai une raison décisive d’en user ainsi : c’est que cet endroit d’Isidore fournit des époques, sans lesquelles on ne sçauroit arranger tous les évenemens de la guerre de Clovis contre la nation gothique, lesquels sont rapportés sans date, et souvent sans égard à l’ordre des tems par Cassiodore, par Procope, par Jornandés, et par Gregoire de Tours. Peut-être est-ce pour n’avoir pas fait ce que je fais ici, que les auteurs modernes qui ont voulu mettre dans leur ordre naturel, les événemens dont il s’agit, les ont mal arrangés. Mais en suivant la chronologie d’Isidore, né dans le siécle même où tous ces évenemens sont arrivés, on voit clairement dans quel ordre ils doivent être placés. En effet on apperçoit d’abord en quel tems Théodoric roi des Ostrogots a pû commencer à commander souverainement dans le royaume des Visigots. Theodoric n’ayant pû commencer son regne sur les Visigots, qu’après qu’il eut fait reconnoître et proclamer son petit-fils Amalaric pour souverain naturel des Visigots, et pour l’héritier légitime d’Alaric II : Theodoric n’a pû commencer son regne sur les Visigots, qu’après que Gésalic eut été deposé. Or comme Isidore nous apprend que Gésalic qui avoit été proclamé en cinq cens sept ne fut déposé qu’après un regne de quatre ans, c’est-à-dire en sept cens dix au plûtôt : Isidore nous apprend aussi par conséquent que la domination de Theodoric sur les Visigots, ne commença qu’en l’année cinq cens dix ; ce qui est confirmé par les dates de deux Conciles tenus en Espagne sous le regne de ce prince, et desquelles nous ferons usage dans le chapitre suivant.

En second lieu, comme il est constant, ainsi qu’on le verra dans la suite, que lorsque Theodoric fit la paix avec les Francs, il la fit au nom des Visigots, aussi-bien qu’au nom des Ostrogots, il s’ensuit que Theodoric ne la conclut que lorsqu’il regnoit déja sur les Visigots, et par conséquent que Theodoric n’a point pû faire cette paix avant l’année cinq cens dix que Gésalic fut déposé, quoique nos auteurs modernes la lui fassent faire beaucoup plutôt. Il s’ensuit encore de-là, que la venue de Clovis à Tours, et plusieurs autres évenemens de notre histoire qu’on a placés dans nos annales avant l’année cinq cens neuf, sont des faits posterieurs à cette année-là.

Pour revenir à l’année cinq cens sept, voici quelle étoit, lorsqu’elle finit, la situation des affaires de la Gaule. Clovis allié des Bourguignons faisoit conjointement avec eux la guerre aux Visigots et à Theodoric qui s’étoit déclaré pour eux, et qui même étoit alors en personne en deçà des Alpes. On a vû les motifs qui lui avoient fait prendre les armes en faveur des Visigots, peuple de même nation, de même religion que lui, et dont il vouloit mettre la couronne sur la tête d’Amalaric son petit-fils. Cependant les conjonctures obligeoient encore Theodoric à souffrir que Gésalic continuât de regner sur les Visigots, et même elles le réduisoient à la nécessité d’agir de concert avec lui contre leurs ennemis communs. Quelles contrées les Bourguignons avoient-ils conquises sur les Visigots à la fin de l’année cinq cens sept, je n’en sçai rien ? Mais du moins il est bien certain que les suites de la bataille de Vouglé les affranchirent de l’espece de dépendance à laquelle on a vû qu’Euric les avoit assujettis. Quant aux Francs, il paroît, et par tout ce qu’on a déja vû, et par l’histoire des tems postérieurs, qu’ils s’étoient rendus maîtres des deux Aquitaines, de la Novempopulanie, et même de quelque partie de la premiere Narbonnoise, dont les Visigots avoient cependant conservé la métropole, et quelques autres cités.

Ce ne fut apparemment qu’après avoir fait la plus grande partie de ces conquêtes, que les Francs assiegerent Carcassonne. Gregoire De Tours auroit bien pû dire quelque chose de ce siege, mais comme l’évenement n’avoit point été heureux pour Clovis, l’historien ecclésiastique des Francs a jugé à propos de n’en faire aucune mention. Il passe donc tout d’un coup de la mort d’Alaric à ce que fit Clovis quand la campagne de cinq cens sept fut finie. » Le Roi des Francs, dit Gregoire de Tours, passa l’hyver de cinq cens sept à cinq cens huit, dans Bordeaux, où il se fit apporter de Toulouse une partie des trésors d’Alaric qu’on gardoit dans cette Ville-là. Il se presenta ensuite devant Engoulême, & il fut si bien servi par la Providence, que dès qu’il se trouva en vûë de la place, un pan de ses murailles s’éboula. Cet accident contraignit les Visigots d’abandonner Engoulême, dont les habitans prêterent serment de fidelité à Clovis. » On voit bien que cet évenement qui arriva après le quartier d’hyver qui avoit terminé la campagne de cinq cens sept, appartient à l’année cinq cens huit.

De quelque maniere que soit tombé le pan de muraille qui ouvrit la place, il est certain qu’elle étoit d’une extrême importance à Clovis, puisque tant que les Visigots l’auroient conservée, les Francs n’auroient jamais été possesseurs assurés de la premiere Aquitaine, quoiqu’ils la tinssent en entier.

De tous les évenemens de cette guerre, celui dont nous sçavons le plus de particularités, est le siege mis devant Arles par les Francs et par les Bourguignons, qui furent enfin obligés à le lever avec beaucoup de perte. Cependant aucune de ces particularités ne nous apprend positivement en quelle année Arles fut assiegé. Quelques historiens modernes ont cru que Clovis avoit assiegé Arles dès cinq cens sept, mais il n’y a point d’apparence que ce prince au sortir de la levée du siege de Carcassone ait été attaquer Arles. Je crois donc avec le Pere Daniel que ce fut après s’être assuré des deux Aquitaines par la prise d’Engoulême, que Clovis fit ce siege mémorable, auquel il se sera préparé dès l’hyver de cinq cens sept à cinq cens huit. En effet, ce qu’on lit dans les Fastes de Cassiodore sur l’année cinq cens huit, semble indiquer que ce fut cette année-là que les ennemis de Theodoric assiegerent Arles, et qu’ils furent contraints à lever le siege avec beaucoup de perte. Il y est dit : » Sous le consulat de Venantius le jeune et de Celer, notre prince Theodoric fit passer dans les Gaules, que l’invasion des Francs avoit mises en confusion, une armée qui battit ses ennemis, les mir en fuite, & le rendit maître du Pays. » On verra que toutes ces circonstances conviennent à ce que nous sçavons concernant la levée du siege d’Arles, et ceux qui connoissent les exagérations de Cassiodore ne seront pas surpris qu’il ait parlé si magnifiquement des suites de cet évenement, qui aboutirent à faire prendre aux Ostrogots quelques villes sur les Bourguignons, à la faveur de la déroute de l’armée des assiegeans.

Rien n’étoit plus important pour les Francs et pour leurs alliés, que de se rendre maître d’Arles, afin de couper en la prenant, toute communication entre la province que les Ostrogots tenoient dans les Gaules, et la partie de la premiere Narbonnoise que les Visigots avoient conservée. Arles le dernier siege de la préfecture du prétoire des Gaules est bâti sur la gauche du Rhône, vis-à-vis la pointe de l’isle que forme ce fleuve partagé en deux bras, et laquelle se nomme la Camargue. Ainsi la ville dont je parle étoit maîtresse des ponts sur lesquels on passoit les deux bras du Rhône, parce qu’elle défendoit le premier de dessus ses murailles, et qu’elle s’étoit apparemment assurée du second par un fort dont il lui étoit facile de rafraîchir et d’augmenter la garnison. Les Francs et les Bourguignons avoient donc autant d’interêt à se rendre maîtres de la ville d’Arles, qu’en avoient les Visigots à la prendre lorsqu’ils firent sur elle les differentes entreprises dont nous avons parlé dans plusieurs endroits de cet ouvrage.

Quoique nous sçachions plusieurs particularités du siege que les Francs et les Bourguignons mirent en cinq cens huit devant cette place, cependant nous n’en avons point une relation suivie. L’idée generale qu’on s’en forme après avoir réfléchi sur les détails de cet évenement qui nous sont connus, et que nous allons rapporter, est que les Francs qui venoient des Aquitaines et qui arrivoient devant Arles par la droite du Rhône, tâcherent d’abord de s’emparer du pont qui leur auroit donné entrée dans la Camargue, mais qu’ayant été repoussés, ils passerent ce fleuve sur des bateaux, et que s’étant joints aux Bourguignons ils investirent la ville du côté de terre, qu’ils l’affamerent, et qu’ils l’avoient même réduite à l’extrêmité, lorsque l’approche de l’armée de Theodoric les obligea de lever le siege. Rapportons presentement les circonstances que nous en apprennent les auteurs contemporains, mais après avoir averti le lecteur que saint Césaire évêque d’Arles étoit déja suspect aux Gots.

Les auteurs de sa vie que nous avons citée ci-dessus, écrivent : » Après qu’Alaric eut été tué par Clovis dans une bataille, les Francs & les Bourguignons assiegerent Arles : Théodoric Roi d’Italie avoit pris parti dans cette querelle en faisant marcher ses Géneraux au secours des Visigots, & même la premiere année de la guerre il s’étoit rendu en personne dans la Province Viennoise. Le Monastére que Saint Césaire avoit fait bâtir pour être la retraite de sa sœur & de plusieurs autres Vierges, fut pendant ce siége, détruit en grande partie par les Barbares qui démolirent plusieurs édifices, afin d’en faire servir les matériaux à differens usages. On peut se figurer aisément quelle fut la douleur que ressentit ce pieux Evêque, en voyant ruiner des bâtimens à la construction desquels il avoit daigné mettre lui-même la main. Peu de jours après qu’il eût reçû cette mortification, un jeune Ecclésiastique de la Ville, qui étoit même de ses parens, fut troublé à un tel point par la crainte d’être fait captif, si la place venoit à être prise, qu’il résolut assez legerement, & peut-être à l’instigation du Diable attentif à nuire à notre Saint, de se faire descendre durant la nuit du haut en bas des murailles, & de s’aller rendre aux Assiegeans. Cer homme inconsideré exécuta sa résolution. Dès que la nouvelle de la désertion eût été sçûe dans la Ville, les Habitans & les Gots de la garnison accuserent l’Evêque d’en être l’Auteur, disant que c’étoit lui qui avoit envoyé ce transfuge son parent & son inférieur dans le camp des Francs, pour leur donner des avis. Les Juifs sur-tout se distinguerent par leur animosité contre Césaire, qui sans aucune forme de procès fut tiré par force de l’Evêché, & renfermé dans le Palais du Préfet du Prétoire. Il n’étoit plus question que de sçavoir si la nuit suivante on le noyeroit, ou si l’on l’enfermeroit dans quelque cour pour y être gardé prisonnier. » Nous reprendrons la suite de la persécution faite à saint Césaire, lorsque nous aurons parlé de quelques évenemens du siege d’Arles, arrivés tandis que cet évêque étoit en prison.

Nous avons dans Cassiodore une lettre écrite par Athalaric petit-fils et successeur de Theodoric, pour informer le senat de Rome des raisons qu’il avoit eues de conferer la dignité de Patrice à un Got nommé Tulum. Tous les services que cet officier avoit rendus à l’état dans les tems précedens y sont rapportés avec éloge. Entr’autres choses il y est dit : » Le moyen d’oublier combien il montra de prudence & de courage la premiere campagne qu’il fit dans les Gaules en qualité d’Officier Géneral. Les plus braves des ennemis l’eurent toujours en tête. Arles est bâti sur le lit du Rhône, & le Soleil levant découvre aussi-tôt qu’il s’est élevé plus haut que le sommet des tours de cette Ville, un pont de bois, sur lequel on passe les deux bras que forme là notre fleuve. Comme la premiere chose qu’il convenoit à l’ennemi d’exécuter, étoit de se rendre maître de ces ponts, le premier soin de nos troupes devoit être celui de les bien défendre. Aussi fut-ce dans les tentatives que firent les Francs pour se saisir des ponts, qu’ils combattirent avec le plus d’audace, & que les nôtres leur resisterent avec le plus de fermeté. Tulum fit voir dans les actions de guerre dont ce champ de bataille fut le théatre, & qui souvent paroissoient devoir tourner mal pour nous, toute la valeur d’un jeune guerrier qui n’a point encore d’emploi, & qui veut faire fortune. Il s’y mêla souvent avec les ennemis qui furent toujours repoussés, & les blessures honorables qu’il reçut dans ces combats, font encore ressouvenir aujourd’hui des faits d’armes qui le distinguerent alors. » Nous verrons dans la suite de notre histoire, ce Tulum loué encore de ce qu’il fit durant la guerre des enfans de Clovis contre la nation des Bourguignons.

Après que les Francs eurent renoncé au dessein de se rendre les maîtres des ponts d’Arles, ils prirent le parti de passer le Rhône sur des barques, et d’autres bâtimens de trajet. La famine à laquelle la ville se trouva réduite, montre qu’elle fut enveloppée par des lignes de circonvallation, et que les Francs après avoir traversé le Rhône, firent encore sur ce fleuve un pont de bateaux, pour communiquer avec les pays qu’ils avoient deja subjugués, et pour empêcher en même tems qu’il n’entrât des vivres et des troupes par eau dans la place. Dès que les assiégans furent venus à bout de leur travail, Arles se trouva dans un péril éminent. Aussi ce fut alors très-probablement que les ennemis de saint Césaire, qui commencerent à craindre d’avoir bientôt à répondre devant un roi catholique, du traitement qu’ils auroient fait à cet évêque, voulurent se reconcilier avec lui. Ils le ramenerent donc dans son palais épiscopal, mais comme leurs défiances n’étoient pas finies, ils l’y tinrent enfermé si étroitement, que personne ne sçavoit pas qu’il y fût rentré. » Les Gots, disent les Auteurs de la vie de ce Saint, n’ayant jamais pû venir à bout avec les machines de guerre qu’ils avoient placées sur les rives du Rhône d’enlever & de submerger ensuite les pontons, les barques & les autres bâtimens plats que l’Assiegeant y avoit jettés & rassemblés pour en construire son pont, ils ramenerent Saint Césaire à l’Evêché. »

Suivant les apparences les machines de guerre avec lesquelles les Gots vouloient enlever les ponts volans et les bateaux de l’ennemi pour les submerger ensuite, étoient pareilles à celles dont Archimede s’étoit servi durant le siege de Syracuse pour enlever et pour submerger les bâtimens des Romains qui s’approchoient par mer de cette place. Tite-Live après avoir parlé des secours que les Romains tiroient des bâtimens de leur flotte pendant le siege de Syracuse, ajoute qu’Archimede qui servoit d’ingenieur aux assiegés, plaça sur la partie des remparts de cette ville qui donnoit sur la mer, diverses machines qui défendoient en plusieurs manieres les approches. Notre historien décrit d’abord les effets de celles de ces machines qui lançoient des pierres, ou qui décochoient des flêches d’une grosseur énorme contre les vaisseaux Romains mouillés à la portée de ces traits, et puis il dit : » Quant aux petits bâtimens qui s’approchoient si près des remparts qu’ils y étoient à couvert des coups des Balistes & des Catapultes, qui ne pouvoient jamais plonger assez pour les atteindre, Archimede leur faisoit la guerre avec une machine d’une autre espece. Cette machine jettoit sur nos bâtimens un grapin qui tenoit à une bonne chaîne de fer attachée au bout d’une grosse poutre, à l’autre bout de laquelle étoit aussi attachée une masse de plomb, dont le poids étoit très-lourd. Dès que le grapin avoit bien mordu, on laissoit aller le contrepoids. Alors le levier enlevoit le bâtiment accroché, & lorsqu’il étoit comme suspendu en l’air, on le laissoit retomber tout d’un coup, & s’il ne couloit point à fond, du moins prenoit-il beaucoup d’eau. » Voila suivant l’apparence, quelles étoient les machines avec lesquelles les Romains et les Gots qui défendoient Arles, prétendoient submerger les bateaux, les ponts volans, et les autres bâtimens legers dont les Francs s’étoient servis pour passer le Rhône, et qu’ils avoient ensuite employés à la construction de leur pont. On peut bien croire que les officiers Romains n’avoient pas manqué après la prise de Syracuse, de bien examiner les machines qu’ils avoient vû faire des effets si prodigieux durant le siege. Ils les auront même dessinées, et l’art de les construire aura passé d’ingenieur en ingénieur, jusqu’à ceux qui servoient dans les armées de Théodoric roi d’Italie. Je trouve dans Tacite un fait très-propre à rendre encore plus probable la conjecture que je viens de hazarder, et il se rencontre dans un endroit de son histoire où cet écrivain raconte des évenemens arrivés de son tems. Notre auteur dit donc, que durant la guerre que Civilis et les Germains firent contre l’empereur Vitellius, ces barbares attaquerent un des camps fortifiés que les Romains avoient sur les bords du Rhin. Les troupes Romaines mirent en usage avec succès toutes leurs machines de guerre pour se défendre ; mais dit Tacite, celle qui faisoit le plus d’effet et qui épouvantoit davantage l’ennemi, étoit une espece de grue, laquelle jettoit sur lui des grapins qui acrochoient un homme et souvent plusieurs à la fois. On la retournoit ensuite de maniere qu’elle laissoit tomber dans le camp les hommes qu’elle avoit ainsi enlevés. Revenons devant Arles.

Après que les assiegeans eurent passé le Rhône, et tandis qu’ils campoient déja devant les murailles d’Arles, il arriva un incident qui tira son évêque d’affaire, et qui le fit mettre en pleine liberté. On découvrit que les juifs, ceux de ses ennemis qui crioient le plus haut contre lui, vouloient livrer la ville aux assiégeans. Voyons comment les auteurs de la vie de saint Césaire racontent le fait. » Un Juif qui étoit en faction sur l’endroit des murailles dont la garde pour ce jour-là étoit échûe par le sort à ceux de sa Nation, attacha une lettre à une pierre qu’il lança ensuite dans les approches des ennemis, comme s’il avoit le dessein de la jetter à quelqu’un. Cette lettre signée de lui, & dans laquelle il avoit même marqué de quelle Religion il étoit, exhortoit les Alliegeans à escalader sur l’heure la partie de la muraille que la Nation Juive avoit alors à garder ; & de plus elle assuroit nos Barbares, que rien ne les empêcheroit d’emporter la place d’emblée. Ce traître demandoit pour toute recompense du service qu’il rendoit aux ennemis, qu’aucun Juif ne fût fait captif lorsque la Ville auroit été prise, & qu’il ne fût rien ôté à ceux de la Nation. La lettre ne fut point vûe par les Assiégeans, & il arriva même que le lendemain ils abandonnerent les approches qu’ils avoient commencées à l’endroit où elle étoit tombée. Quelques-uns des Assiégés que la curiosité fit sortir d’un des ouvrages de la Ville pour examiner le terrein, trouverent donc cette lettre, la ramasserent, l’ouvrirent & la lurent. Ils ne manquereot pas de l’apporter aussi-tôt dans le Palais où elle fut vûë de tout le monde. Incontinent on fit venir le Juif qui l’avoit signée, on le convainquit de l’avoir écrice, & on l’envoya au supplice. » La trahison des Juifs qui avoient été les délateurs les plus échauffés de saint Césaire, fit pour l’heure sa justification.

On voit néanmoins par la vie de saint Césaire et par une lettre qu’Ennodius qui pour lors étoit sujet de Theodoric aussi-bien que l’évêque d’Arles, écrivit à notre prélat, que notre saint fut obligé quelque tems après la levée du siege d’aller trouver son souverain pour se justifier du crime qu’on lui avoit imputé. » Les ennemis que les démons suscitoient à saint Césaire, disent les Auteurs de sa Vie, répandirent tant de calomnies contre lui, que ceux qui commandoient dans Arles, l’envoyerent sous une bonne escorte & süre garde à la Cour de Theodoric qui faisoit son séjour à Ravenne. Ce Prince l’accueillit néanmoins avec bonté, & même il se découvrit la tête en lui rendant le salut. Enfin Theodoric dit devant toute sa Cour, après qu’il eut entretenu le Serviteur du Très-Haut sur ce qui s’étoit passé dans Arles : Dieu ne pardonnera jamais à ceux qui ont obligé une personne aussi sainte & aussi innocente, à faire un si long voyage pour venir ici se justifier. »

Ennodius écrit à S. Césaire. » Votre lettre m’apprend que tout ce que j’avois prévû est arrivé, quand elle m’informe de ce que Dieu, qui est aujourd’hui notre veritable Empereur, a obligé le Roi de faire à votre égard. Je connois trop bien vos talens, pour avoir douté un moment que soutenus comme ils le sont par la dignité Episcopale, ils ne fissent fléchir les Puissances du siécle, & que vous ne vinssiez à bout de comvaincre si bien le Roi de votre innocence, qu’il cesseroit de faire des menaces contre vous. »

Enfin l’approche de l’armée que Theodoric envoyoit au secours d’Arles obligea les Francs et les Bourguignons à lever le siege qu’ils avoient mis devant cette place. On voit par la vie de saint Césaire qu’ils perdirent beaucoup de monde dans la retraite, durant laquelle ils furent suivis par Ostrogots. » Au reste, disent les Auteurs de cette Vie, lorsque les Gots furent de retour à Arles amenant avec eux une multitude inombrable de prisonniers de guerre, ils les renfermerent dans les Eglises & dans la maison ou le cloître de la Cathédrale, qui se trouverent ainsi remplies d’Infideles. Saint Césaire employa l’argent qu’Eonius son prédécesseur avoit laissé dans la caisse de son Eglise & le prix des ornemens dont il vendit la plus grande partie, à fournir à ces Captifs des habits & des vivres dont ils avoient un extrême besoin. Il ne discontinua point ses charités jusqu’à ce qu’il les eût enfin rachetés tous. Aussi sommes-nous persuadés que ce fut par une volonté particuliere de la Providence qui vouloir mettre en un plus grand jour les vertus de ce saint Personnage de Dieu, que durant son Episcopat, Arles fur assiegé, & qu’il fut garanti d’être pris & saccagé. Voilà encore, afin de finir ce qui nous reste à dire, pourquoi cette Ville avoit passé des mains des Visigots à qui elle appartenoit auparavant dans celle des Ostrogots, pour venir dans la suite au pouvoir des Francs, où elle est encore aujourd’hui, reconnoissant pour son Roi Childebert fils de Clovis. Le Seigneur a voulu qu’on pût dire : Elle a passé de dessous le pouvoir d’une Nation sous le pouvoir d’une autre ; elle a successivement appartenu à differens Peuples, sans que Dieu ait permis qu’aucune Puissance humaine l’ait saccagée, tant qu’elle a été soumise à la conduite d’un Pasteur tel que Saint Césaire. »

Si Theodoric ne fut point trop satisfait de la conduite que saint Césaire avoit tenue durant le siege d’Arles, il fut du moins très-content de celle que tinrent dans cette occasion les autres citoyens de cette ville. Les deux lettres que nous allons rapporter en font foi. Nous avons déja observé que les sçavans étoient convaincus que les épîtres de Cassiodore, ainsi que celles de Sidonius et celles d’Avitus n’étoient point rangées suivant l’ordre des tems où elles avoient été écrites.

Celle de ces deux lettres que je crois avoir été écrite la premiere, bien qu’elle ne vienne qu’après l’autre dans l’ordre où les épîtres de Cassiodore sont rangées aujourd’hui, est la lettre de Theodoric aux habitans de la cité d’Arles. Il y est dit : » Comme le premier objet d’un Souverain doit être celui de remedier avant toutes choses, aux maux que les hommes souffrent, ceux d’entre vous qui se sont trouvés dans la misere ont été le premier objet de nos soins. Nous croyons donc aujourd’hui pouvoir partager notre attention. Ainsi dans le tems même que nous faisons sentir encore les effets de notre liberalité à vos Citoyens qui sont dans le besoin, nous envoyons les sommes necessaires pour la réparation des murailles de votre Ville. »

L’autre lettre de Theodoric est adressée à Gemellus préfet des Gaules par interim, et dont nous avons déja parlé plus d’une fois. » Nous remettons, y dit le Roi des Ostrogots, aux Habitans d’Arles qui par attachement à notre service ont souffert la famine durant un siege si glorieux pour eux, la somme qu’ils devroient porter dans nos caisses pour la quatrieme Indiction ou pour le quatriéme terme des impositions faites au profit du Fisc, mais à condition qu’ils acquitteront ponctuellement les termes suivans. »

Cette quatriéme indiction n’écheoit qu’en l’année de Jesus-Christ cinq cens onze. Ainsi l’on pourroit dire que Theodoric auroit attendu bien tard à soulager les habitans d’Arles si le siége de leur ville eût été fait dès l’année cinq cens huit. Il seroit aisé de répondre que la remise dont il s’agit n’est point apparemment la premiere que Theodoric leur eut faite, quoique nous n’ayons point aucun monument de ces remises précedentes, soit parce que les lettres écrites par Cassiodore au nom de ce prince à ce sujet-là, sont perdues, soit parce que ce même prince se sera peut-être servi d’un autre ministre que Cassiodore pour donner à Gemellus ses ordres concernant les remises antérieures. D’ailleurs la guerre entre les Francs et les Ostrogots ne finit, comme nous le verrons, qu’en l’année cinq cens dix, et il se peut bien faire que tant qu’elle aura duré, l’état des finances de Theodoric ne lui ait point permis de se priver d’une partie considerable du revenu qu’il avoit dans les Gaules où il tenoit beaucoup de troupes qu’il falloit faire subsister, et qu’il ait été obligé par ces raisons d’attendre la paix pour soulager les habitans d’Arles en general. Jusques-là il se sera contenté de faire quelques largesses aux plus malheureux.

Il est apparent que Théodoric a crû, à la faveur du désordre où la levée du siege d’Arles devoit avoir mis les affaires des Bourguignons, agrandir la province qu’il tenoit dans les Gaules. Ce fut donc alors qu’il se rendit maître d’Avignon que les Bourguignons avoient conservé dans la guerre précédente, et de quelques autres places dont nous trouverons dans la suite de notre histoire, les Ostrogots en possession. Ce prince, dans une lettre qui se trouve parmi les épîtres de Cassiodore, et dans le même livre que les deux qu’on vient de lire, mande à Uvendil un de ses officiers. » Nous vous enjoignons par ces présentes, d’empêcher que dans Avignon où vous faites votre séjour, il soit commis aucun désordre. Que nos troupes y vivent conformément aux Ordonnances, & que les Romains qu’elles sont chargées de défendre n’ayent point à souffrir d’elles aucune des violences contre lesquelles ces troupes doivent les proteger. »

LIVRE 4 CHAPITRE 17

CHAPITRE XVII.

Campagne de cinq cens neuf. Gésalic est déposé, & Amalaric est proclamé roi des Visigots en cinq cens dix. Theodoric roi des Ostrogots fait la paix tant en son nom, qu’au nom d’Amalaric avec Clovis, qui demeure maître de la plus grande partie du pays que les Visigots tenoient dans les Gaules. Clovis écrit une Lettre circulaire aux Evêques de ses Etats. En quelle année il vint à Tours, & des offrandes qu’il y fit à Saint Martin.


Suivant les apparences Clovis aura passé l’hyver de cinq cens huit à cinq cens neuf, soit dans Bordeaux où il avoit déja passé l’hyver précedent, soit dans quelqu’autre ville de ses nouvelles conquêtes afin de pouvoir recommencer la guerre dès le printems. On croit sans peine aussitôt qu’on a connu le caractere de Clovis, que tant que la guerre aura duré il ne se sera guéres éloigné des lieux où elle se faisoit. Malheureusement tout ce que nous sçavons de positif touchant les évenemens de l’année cinq cens neuf, c’est que la guerre duroit encore cette année-là. Marius Aventicensis rend ce fait certain. Il est dit dans sa cronique sur le consulat d’Importunus qui remplit cette dignité en cinq cens neuf. « Mammo l’un des generaux des Gots saccagea une partie des Gaules. »

Ce n’est donc que par conjecture que nous rapportons à l’année cinq cens neuf ce qui va suivre, et qu’on lit dans l’endroit de l’histoire de Jornandès, où il fait l’éloge de Theodoric roi des Ostrogots. » Ce Prince remporta encore un avantage considerable sur les Francs. Hibba l’un de ses Généraux, gagna contre ces ennemis une bataille mémorable. Trente mille hommes de l’armée des Francs furent tués dans cette action. » Si la bataille dont il est ici parlé se fut donnée l’année précedente à la levée du siege d’Arles, il est sans apparence que Jornandès n’eût point rapporté quelque circonstance, qu’il n’eût dit quelque chose qui nous l’enseigneroit. Ce fut apparemment la perte de cette bataille dont nous ignorons le lieu, qui obligea Clovis à entrer en traité. La paix ne fut concluë néanmoins que l’année suivante, puisqu’il est certain que la guerre qu’elle termina, se continuoit encore en l’année cinq cens dix.

En effet, et comme on l’a déja exposé dans le chapitre précedent, Gésalic proclamé roi des Visigots en cinq cens sept ne fut déposé qu’après avoir commencé la quatriéme année de son regne, c’est-à-dire, en cinq cens dix. Or Isidore, de qui nous tenons cette date, nous apprend une circonstance de la déposition de Gésalic, qui seule nous détermineroit à croire que la guerre duroit encore quand ce prince fut détrôné. Notre historien écrit dans le passage qui a été rapporté, que ce fut le peu de courage que Gésalic montra lorsque les Bourguignons firent une course jusques dans le territoire de Narbonne, qui fut la cause prochaine de sa déposition arrivée peu de tems après qu’il eut donné ces marques de lâcheté.

Il est sensible d’un autre côté, en lisant le passage de Procope que nous allons transcrire, que ce fut Theodoric qui fit entre la nation des Gots et celle des Francs la paix dont nous parlons, et par laquelle les pays nouvellement conquis sur les Visigots par les Francs demeurerent aux Francs. Or Theodoric, comme nous l’avons déja remarqué, n’a pû faire un pareil traité dans lequel il stipuloit pour les Visigots des conditions qui leur devoient être bien douloureuses, qu’après la déposition de Gésalic, et l’installation d’Amalaric fils d’Alaric II et de la fille de Theodoric qui étoit grand-pere d’Amalaric, et qui fut toujours son tuteur despotique. Ainsi la paix dont il est question ne sçauroit avoir été faite avant l’année cinq cens dix.

J’ajouterai même une nouvelle raison pour confirmer ce qui vient d’être avancé. La matiere est importante pour l’intelligence des anciens auteurs, et d’un autre côté les auteurs modernes en avançant de quelques années la date de la paix dont il est question, se sont mis dans l’impossibilité de bien expliquer les anciens, et ils ont embrouillé l’histoire des dernieres années du regne de Clovis. Voici ma nouvelle preuve.

Theodoric, comme on vient de le voir, ne sçauroit avoir fait cette paix, avant qu’il eût été reconnu par les Visigots pour tuteur d’Amalaric et pour administrateur des Etats de ce prince son petit-fils. Cependant ce ne fut qu’en cinq cens dix que les Visigots reconnurent Theodoric en cette qualité. Comme nous aurons occasion de le dire plus au long dans la suite ; la regence de Theodoric étant un véritable regne, plûtôt qu’une administration, tant qu’il vêcut, Amalaric jusques-là ne fut roi des Visigots que de nom. Theodoric regnoit si bien sur eux réellement, qu’on datoit alors en Espagne, Du regne de Theodoric, et non pas, Du regne d’Amalaric. C’étoit Théodoric qu’on y regardoit comme le successeur de Gésalic. Or l’époque du regne de Théodoric ne commençoit en Espagne qu’à l’année cinq cens dix. Il est dit dans les actes du concile de Terragone ; qu’il fut tenu sous le consulat de Petrus, consul en cinq cens seize, et la sixiéme année du regne de Théodoric. Dans les actes du concile de Gironne, nous lisons qu’il fut tenu sous le consulat d’Agapetus consul en cinq cens dix-sept, et la septiéme année du regne de Theodoric. Il est clair que ces deux dates supposent que le regne de Theodoric en Espagne n’ait commencé qu’en cinq cens dix. Voyons maintenant ce qu’on trouve dans Procope concernant tous les évenemens dont il est ici question, et particulierement concernant la paix que Theodoric fit en son nom et au nom des Visigots avec Clovis.

Cet historien après avoir parlé de la bataille de Vouglé et du siege mis par Clovis devant Carcassone, continue ainsi : » Les Visigots qui s’étoient sauvés de la bataille de Vouglé proclamerent Roi Gésalic, fils d’Alaric II. & d’une Concubine, parce qu’Amalaric fils légitime de ce Prince qui l’avoit eu de la fille de Théodoric, n’étoit encore qu’un enfant. Cependant les Francs intimidés par l’approche de Theodoric qui s’avançoit pour les combattre à la tête de l’armée des Ostrogots, leverent le siege de Carcassone. Nonobstant cet échec les Francs ne laisserent pas de se rendre maîtres de la plus grande partie des Cités de la Gaule qui sont entre le Rhône & l’Ocean. Theodoric après avoir enfin reconnu qu’il n’étoit pas possible de les en chasser, traita avec eux à condition de les leur laisser, & il se fit reconnoître pour maître dans celles des Cités de la Gaule qui étoient demeurées aux Visigots. En effet Theodoric après avoir engagé les Visigots à déposer Gésalic, & à mettre Amalaric en la place, obtint encore d’eux, que lui Théodoric il auroit en qualité de Tuteur d’Amalaric son petit-fils, l’administration souveraine de tous les Etats de ce Prince encore enfant. Dès que cet arrangement eut été fait, Théodoric reprit le chemin de Ravenne emportant avec lui le Trésor des Rois Visigots qui se gardoit à Carcassone, mais quoiqu’il eût repassé les Alpes, son éloignement ne l’empêcha point de continuer à nommer les Officiers civils & les Officiers militaires, qui devoient commander en Espagne & dans la partie des Gaules demeurée aux Visigots, de maniere que tant qu’il vêcut, son autorité fut toujours reconnue dans tous ces pays-là. Il obligeoit même les Officiers civils à lui envoyer chaque année ce qui restoit des revenus publics, les charges acquittées. Véritablement, afin qu’on ne l’accusât point de s’approprier le bien du Roi son petit-fils, il employoit ce fonds en entier, à donner chaque année aux Gots qui servoient des gratifications. Il arriva, dans la suite du tems même que les Visigots & les Ostrogots s’accoutumerent par l’habitude où ils étoient de vivre dans les mêmes pays, & d’obéir au même Maître, à se regarder comme étant redevenus une seule Nation, de sorte que les uns & les autres ils marioient leurs enfans ensemble. » On vient de voir que les Pays que Theodoric cedoit aux Francs par la paix, étoient du Royaume des Visigots, tel que l’avoit tenu Alaric second.

Quel parti Theodoric aura-t-il fait aux Bourguignons ? Les auteurs anciens n’en disent rien. On sçait un peu mieux ce que la nation gothique garda dans les Gaules en consequence de la paix faite entre Theodoric et Clovis. La suite de l’histoire nous apprend donc, que les Ostrogots conserverent alors, c’est-à-dire en cinq cens dix, la province qu’ils avoient dans les Gaules entre les Alpes, la Méditerranée et le bas Rhône, laquelle étoit bornée du côté du nord au moins en partie, par la Durance, et qu’ils s’approprierent Arles, soit à titre d’indemnité des frais de la guerre, soit par échange. Quant aux Visigots, ils conserverent Narbonne, et cinq ou six autres cités du district qu’avoit en cinq cens dix cette métropole. C’est de quoi nous parlerons plus amplement dans la suite.

Ce fut suivant les apparences immédiatement après la conclusion de la paix, dont nous venons de parler, que Clovis écrivit aux évêques des Gaules la lettre suivante, qui s’est sauvée du naufrage où tant d’autres monumens de nos antiquités ont péri. Voici le contenu de cette lettre circulaire.

» le roi Clovis, aux saints évêques les dignes successeurs des Apôtres. Vous aurez appris du moins par la Renommée, quels ont été les ordres que nous avons donnés à nos troupes quand elles étoient sur le point d’entrer dans les Provinces détenues par les Visigots, & avec quelle exactitude nous les avons fait observer. Vous ne sauriez donc ignorer que nous défendîmes alors à ces troupes de prendre rien de tout ce qui appartenoit aux Eglises, ou aux Communautés des Vierges, Epouses de Jesus-Christ, & de toucher aux biens des Veuves & des Clercs qui se sont voués au service des Autels, ni même aux biens de ceux de leurs enfans qui se sont retirés avec eux. Nous ordonnâmes aussi dès-lors qu’il ne fut fait aucune violence ou aucun tort aux personnes attachées au service de quelque Eglise, & que ces personnes fussent remises en liberté si elles étoient en captivité, dès que l’Evêque Diocésain voudroit bien affirmer qu’elles auroient été tirées par force de l’enceinte des Temples du Seigneur, & nous avons même octroyé dans la fuite aux personnes qualifiées, ainsi qu’il vient de l’être exposé, d’être remises en liberté, quand bien même ce seroit hors de l’enceinte de ces Temples, qu’elles auroient été faites prisonnieres de guerre. Pour ce qui regarde les Captifs laïques qui auroient été pris portant les armes contre nous, & qui pour cela auroient été déclarés être de bonne prise, nous avons consenti que vous accordassiez à ceux d’entr’eux à qui vous trouveriez bon d’en accorder, des lettres de protection, afin qu’à votre considération les maîtres de ces Esclaves les traitent avec plus de douceur. Car pour ce qui regarde les Captifs laïques qui ne sont pas de bonne prise, notre intention a toujours été qu’ils fussent mis au plûtôt en liberté, & de la même maniere que nous avons reglé que les gens appartenans aux Eglises y seroient mis. Ainsi vous avez pû, & vous pouvez reclamer tous les Captifs laïques faits prisonniers de guerre contre le Droit des Gens, & nous promettons de déferer aux lettres que vous nous écrirez pour nous demander la liberté des Esclaves qui feront dans ce cas là, dès que ces lettres nous seront remises, & que nous y aurons reconnu l’impression du cachet de votre anneau Pastoral. Au reste, mes Officiers & mes Soldats vous supplient par mon entremise, de vouloir bien ne reclamer que ceux des Captifs laïques, dont l’accident vous sera si bien connu, que serez toujours prêts à en attester la verité, en prenant à témoin le Nom de Dieu, & en jurant par l’imposition des mains que vous avez reçûë lorsque l’Eglise vous à sacrés. C’est le moyen de prévenir les inconvéniens qui dans le cours d’une enquête, naîtroient de la diversité des rapports, laquelle, comme le dit l’Ecriture, a souvent été cause que le Juste a souffert avec l’Impie. Vénérables Papes & dignes Successeurs des Apôtres, je me recommande à vos saintes prieres. »

Il suffit d’avoir une médiocre connoissance du droit Romain, suivant lequel vivoient les Romains des Gaules, pour comprendre l’importance de tout ce que Clovis avoit fait, et ce qu’il faisoit encore actuellement en faveur des évêques. Quelques vœux qu’ils eussent faits pour lui, quelques services qu’ils lui eussent rendus, ils ne pouvoient pas se plaindre de sa reconnoissance. Non-seulement il avoit exempté de toute contribution et même de tout pillage les biens appartenans aux églises, non-seulement il avoit ordonné qu’on mettroit en liberté tous les ecclesiastiques et généralement tous ceux qui étoient dans quelque dépendance temporelle des églises, ce qui étoit déja beaucoup, mais il rend encore, par sa lettre circulaire, les évêques maîtres de juger en quelque sorte, quels prisonniers de guerre devoient demeurer captifs, et quels devoient être jugés de mauvaise prise. Certes la lettre que nous venons de rapporter n’est pas celle d’un prince qui réduisît en une espece de servitude les anciens citoyens des provinces des Gaules qu’il soumettoit, ainsi qu’il a plû à des Quarts de sçavans de l’écrire. Nous parlerons ailleurs plus au long de cette opinion extravagante. Ici je me contenterai de remarquer que Clovis se tint tellement assuré du cœur des peuples dont il venoit de conquerir le pays, que bien que le Visigot leur ancien maître, eût conservé une portion de ce pays-là, ce prince y laissa néanmoins les Romains, ou ses anciens habitans, sur leur bonne foi. On voit en effet par la suite de notre histoire qu’il falloit que Clovis n’eût laissé aucun quartier des Francs dans les Aquitaines comme dans la Novempopulanie, et qu’il ne leur y eût donné aucun établissement. Sous la seconde race de nos rois, et quand la partie des Gaules qui est au nord de la Loire s’appelloit déja Francia par excellence, d’autant qu’il y avoit plusieurs peuplades de Francs, celle qui est au midi de ce fleuve, se nommoit par distinction le pays des Romains, parce qu’il n’y avoit point encore géneralement parlant, d’autres habitans que des Romains. La chronique, qui porte le nom de Frédegaire en parlant d’une expédition que Carloman et Pepin, enfans de Charles Martel, firent en sept cens quarante-deux contre Hunaud duc d’Aquitaine, dit : « Les Gascons ayant repris les armes conjointement avec Hunaud Duc d’Aquitaine & fils d’Eudes son prédécesseur, Carloman & Pepin assemblerent leurs troupes, & après avoir passé la Loire à Orleans & défait l’armée des Romains, ils allerent attaquer la Ville de Bourges. »

j’ajouterai même pour confirmer ce que je viens de dire, que les rois de la seconde race étant enfin venus à bout de soumettre le peuple de l’Aquitaine, c’est-à-dire, des provinces qui s’appelloient les deux Aquitaines, et de celle qui se nommoit la Novempopulanie dans les derniers tems de l’empire Romain, ils crurent que pour s’assurer de cette vaste contrée, ils y devoient établir des gouverneurs et d’autres officiers de tout grade, qui fussent Francs de nation. Charlemagne, dit un auteur contemporain qui a écrit la vie de Louis Débonnaire fils de cet empereur, mit dans toute l’Aquitaine des comtes, des anciens et plusieurs autres officiers de ceux qu’on nomme subalternes, qui étoient de la nation des Francs, et ausquels il donna les forces necessaires pour faire respecter leur autorité. Il leur attribua en grande partie l’administration des affaires civiles dans cette portion de son royaume, mais il leur confia entierement, et la garde de la frontiere, et l’intendance des biens dont la proprieté appartenoit à la couronne. Ainsi l’on peut croire que les Francs qui, suivant l’auteur des Gestes resterent dans la Saintonge et dans la cité de Bordeaux pour y exterminer les Visigots qui en furent tous chassés, évacuerent le pays sitôt qu’ils eurent exécuté leur ordre. C’est une matiere que nous traiterons plus amplement dans la suite. Quant à present, nous nous contenterons de faire une seconde fois la reflexion, que le peu de précaution que Clovis prit pour tenir les Romains de l’Aquitaine dans la sujettion, est une preuve du bon traitement qu’il leur avoit fait. Si ce prince, dit-on, ne donna point des quartiers aux Francs dans cette contrée, qu’y devinrent les terres dont les Visigots s’étoient emparés sur les Romains, c’est-à-dire, sur les anciens habitans du pays ? Je ne le sçais point certainement, mais suivant l’apparence une partie de ces terres aura été renduë aux familles à qui les Visigots les avoient ôtées, une autre partie aura été donnée aux églises, et une troisiéme aura été réunie au domaine du prince. En effet on va voir par les actes du concile tenu à Orleans en cinq cens onze, que Clovis avoit donné beaucoup de fonds de terre à l’Eglise, et il paroît en lisant l’histoire des rois de la premiere race, que ces princes avoient un grand nombre de métairies dans les provinces qui sont situées au midi de la Loire.

Dès que la guerre eût été terminée, Clovis vint à Tours, non pour soumettre cette ville, qui, suivant l’apparence, lui avoit prêté serment de fidelité dès cinq cens sept, et immédiatement après la bataille de Vouglé, mais pour y faire ses offrandes au tombeau de saint Martin, et rendre graces à la providence dans le lieu même où il avoit eu un augure si favorable. Il n’y sera point venu plutôt, parce qu’il n’aura point voulu s’éloigner de la frontiere de ses ennemis tant que la guerre aura duré. Ce que dit Gregoire de Tours concernant la date de la venuë de Clovis dans cette ville, confirme encore tout ce que nous avons avancé, quand nous avons écrit que la paix qui termina la guerre des Francs contre les Gots, ne fut concluë qu’en cinq cens dix.

Notre historien après avoir parlé des conquêtes des Francs sur les Visigots, dit en parlant de l’arrivée de Clovis à Tours : « Clovis ayant achevé son expédition victorieuse, il passa en s’en retournant par la Ville de Tours, & il y fit plusieurs presens à l’Eglise bâtie sur le tombeau de Saint Martin. »

Lorsque Clovis vint à Tours la guerre étoit donc déja finie. Aussi allons-nous voir par ce qui suit, que Clovis ne vint à Tours qu’après l’année cinq cens neuf. L’historien ecclesiastique des Francs quelques lignes après avoir rapporté le passage que nous venons de citer, écrit : » Licinius fut fait Evêque de Tours. Ce fut sous son Episcopat que les Francs firent aux Visigots, la guerre dont nous venons de parler, & que le Roi Clovis vint à Tours. »

Ce même auteur dit dans le catalogue des évêques ses prédecesseurs, qu’il a placé à la fin du dixiéme livre de son histoire. » Licinius Citoyen d’Angers fut fait Evêque de Tours, & tandis qu’il remplissoit ce Siége, Clovis qui sortoit victorieux de son expédition contre les Gots, vint à Tours. » D’un autre côté, nous avons fait voir en parlant des deux évêques de Tours persécutés par les Visigots, que Verus prédecesseur immédiat de Licinius et le dernier de ces deux prélats infortunés, n’avoit été élu évêque de Tours que l’année quatre cens quatre-vingt-dix-huit. Ainsi comme Verus avoit siégé onze ans et huit jours, il ne peut être mort et Licinius son successeur ne sçauroit avoir été élu qu’en cinq cens neuf. Or comme Gregoire de Tours suppose dans son récit que la guerre entre les Francs et les Visigots ait duré encore quelque tems sous l’épiscopat de Licinius, il seroit très-probable quand même on n’en sçauroit rien d’ailleurs, que la paix n’auroit été faite qu’un an après l’élection de Licinius, c’est-à-dire, en cinq cens dix, et par conséquent que ce fut cette année-là que Clovis vint à Tours. En suivant ce sentiment on trouvera que Gregoire de Tours et Isidore De Seville seront parfaitement d’accord.

Il est vrai qu’on lit dans l’endroit de l’Histoire ecclésiastique des Francs, où il est parlé de la mort de Clovis, une chose sur laquelle on peut fonder une objection specieuse contre notre sentiment. Il y est dit que Clovis mourut la onziéme année de l’épiscopat de Licinius. Or comme Clovis est mort certainement en cinq cens onze, il faudroit que l’épiscopat de Licinius eût commencé dès l’année cinq cens. Mais comme l’a remarqué Dom Thierri Ruinart, dont nous avons déja rapporté l’observation, on ne sçauroit soutenir que Licinius ait été fait évêque de Tours dès l’année cinq cens. En premier lieu, le diacre Leon souscrivit encore au nom de Verus prédecesseur de Licinius, les actes du concile tenu dans Agde en l’année cinq cens six. En second lieu, il est clair par la distribution des années du sixiéme siecle faite par Gregoire De Tours entre les évêques ses prédecesseurs, que Licinius n’a pû commencer son épiscopat en l’année cinq cens[51], et qu’il ne sçauroit avoir été élû avant l’année cinq cens neuf. Ainsi comme nous l’avons déja insinué en parlant du rétablissement de Childeric, il faut que l’endroit de l’histoire de Gregoire De Tours, où l’on lit que Clovis mourut la onziéme année de l’épiscopat de Licinius ait été alteré, et que les copistes ayent fait d’une seconde année une onziéme année, soit en changeant le premier point du chiffre ii, en un x, soit en faisant quelqu’autre faute pareille, quand ils ont copié les chiffres servans à marquer le nombre des années. Je n’ai point connoissance d’aucun manuscrit de l’histoire de Gregoire De Tours copié du tems des rois de la premiere race, où le nombre des années soit écrit tout au long. Dans tous les manuscrits dont il vient d’être parlé, le nombre des années est toujours marqué en chiffres romains.

Gregoire de Tours se contente de dire en géneral, que Clovis étant venu à Tours, il y fit des presens magnifiques à l’église bâtie sur le tombeau de saint Martin ; mais on trouve dans l’auteur des gestes une particularité concernant ces presens, qui merite bien que nous la fassions lire. Cet écrivain raconte que Clovis après avoir envoyé ses offrandes à l’apôtre des Gaules, voulut ensuite racheter un de ses chevaux dont il avoit fait present à l’église de ce saint. Suivant toutes les apparences, c’étoit le cheval de bataille, qui, comme nous l’avons dit, avoit tant contribué à sauver la vie au roi des francs à la journée de Vouglé. Clovis envoya donc cent sols d’or aux domestiques de saint Martin qui avoient soin de ce cheval, et croyant l’avoir bien payé, il leur manda de le remettre à ceux qui avoient ordre de le lui ramener ; mais les palefreniers de l’église de saint Martin qui sçavoient sans doute quelques-uns de ces secrets naturels qui ont fait passer tant de bergers pour être sorciers, en firent usage dans cette occasion, et le cheval ne voulut jamais passer le seuil de la porte de l’écurie. Au lieu de cent sols d’or, Clovis en envoya deux cens, et aussi-tôt qu’ils eurent été comptés, le cheval suivit de lui-même ceux qui étoient venus le racheter. Ce prince qui se doutoit bien du tour d’adresse que les palefreniers lui avoient joüé, dit en souriant, le bon mot dont on a fait depuis tant d’applications : « Saint Martin sert bien ses amis, mais il se fait bien payer de sa peine. »


LIVRE 4 CHAPITRE 18

CHAPITRE XVIII.

Clovis est fait Consul & il se met solemnellement en possession de cette Dignité. Des motifs qui avoient engagé Anastase Empereur d’Orient à la conferer au roi des Francs, & du pouvoir qu’elle lui donna dans les Gaules. Clovis établit à Paris le Siege de sa Monarchie.


Nous voici arrivés à un évenement de la vie de Clovis, qui fut peut-être après son baptême, celui qui contribua le plus à l’établissement de la monarchie Françoise. Le roi des Francs fut fait consul par l’empereur d’Orient, et il fut reconnu pour consul par les Romains des Gaules. Il les gouverna dans la suite en cette qualité avec autant de pouvoir qu’il en avoit sur les Francs en qualité de leur roi. Commençons ce que nous avons à dire sur un aussi grand évenement, par rapporter ce qu’on en trouve dans l’histoire de Gregoire de Tours.

» ce fut dans ce tems-là que Clovis reçut le diplome ou les provisions du Consulat, que l’Empereur Anastase lui envoyoit. Quand il les eut reçûes, il se revêtit dans l’Eglise de Saint Martin de la robe de pourpre & du manteau d’écarlate. Ensuite il mit le diadême sur la tête, & montant à cheval au sortir du portique de cette Eglise, il se rendit en grand appareil à la Cathedrale de Tours. Pendant la marche il fut toujours environné d’une foule de peuple, auquel il jettoit lui-même avec un air de bonté, des pieces de monnoye d’or & d’argent : Dès ce jour-là, tout le monde appella & s’adressa à Clovis comme au Consul, & même comme à l’Empereur. » Il est important de remarquer ici que la narration que l’auteur des Gestes, Hincmar, et Flodoard nous ont laissée de ce mémorable évenement, sont conformes à celle de Gregoire de Tours. Tous ces auteurs disent en termes exprès, que Clovis fut fait consul. Leurs passages sont ici rapportés.

On sçait, qu’appeller à l’empereur, c’étoit déclarer qu’on portoit sa cause devant l’empereur. Vous avez, dit Festus, à saint Paul, appellé à l’empereur, on vous envoyera à l’empereur.

Véritablement, c’étoit être, de fait, empereur dans les Gaules, que d’y être reconnu en qualité de consul dans les circonstances où Clovis prit possession du consulat. Il étoit déja maître de presque tout ce qu’il y avoit de gens de guerre dans cette vaste contrée, lorsqu’il fut promû à cette auguste dignité, qui lui donnoit dans les affaires civiles le même pouvoir qu’il avoit auparavant dans les affaires de la guerre. Cette dignité le rendoit le superieur de tous les officiers civils des Gaules, comme il y étoit déja le chef des officiers militaires. En un mot, la nouvelle dignité de Clovis lui conferoit le droit de commander en vertu des loix à tous les Romains des Gaules qui se disoient encore sujets de l’empire, et ce prince avoit en main la force necessaire pour se faire obéir. S’il est permis de s’expliquer ainsi, Clovis tenoit déja le sceptre dans la main droite, et l’empereur Anastase en le faisant consul, lui mit la main de justice dans la main gauche. Enfin, le prince dont Clovis se reconnoissoit de nouveau l’officier, en acceptant la dignité qui venoit de lui être conferée, faisoit son séjour à Constantinople. éloigné des Gaules à une si grande distance, il ne pouvoit pas y avoir d’autre autorité que celle dont il plairoit au roi des Francs de l’y faire jouir. Ainsi l’on avoit raison de s’adresser à Clovis, non-seulement comme au consul, mais comme à l’empereur lui-même.

Autant qu’on peut le conjecturer en se fondant sur ce qu’on sçait des maximes politiques des Romains et de la situation où l’empire étoit alors, Clovis après avoir exercé le consulat durant l’année cinq cens dix, devoit continuer à gouverner toujours les Gaules, du moins en qualité de Patrice ou de proconsul. Il auroit été trop difficile de mettre en possession son successeur au consulat. Pourquoi donc le nom de Clovis n’est-il pas écrit dans les Fastes sur l’année cinq cens dix, puisqu’il étoit cette année-là consul ? Pourquoi ne trouve-t-on sur cette année dans les Fastes de Cassiodore, dans ceux de Marius Aventicensis et dans les autres qui passent pour autentiques, qu’un seul consul, le celebre Boéce, alors un des ministres de Theodoric, et si connu par ses écrits et par ses malheurs ?

Je réponds. L’objection seroit d’un grand poids, si nous avions encore les fastes publics qui se rédigeoient alors dans les Gaules, et sur lesquels on écrivoit jour par jour, ainsi qu’il le paroît quand on lit la mention qu’en fait Grégoire De Tours les évenemens qui interessoient particulierement cette province de l’empire ; mais nous n’avons plus ce journal, et pour parler comme Tacite[52] le Diurna Actorum scriptura du prétoire des Gaules. Les Fastes autentiques du sixiéme siécle qui nous sont demeurés, et qui nous apprennent nûement le nom des consuls, sont encore, ou des Fastes redigés par des particuliers, ou tout au plus des fastes publics rédigés dans Rome ou dans Arles. Theodoric étoit le maître dans ces deux villes, et ce prince n’aura pas voulu qu’on inscrivît le nom de Clovis dans nos monumens, parce qu’il devoit être mécontent que les Romains d’Orient eussent conferé au roi des Francs une dignité dont il pourroit bien se prévaloir un jour contre les Ostrogots. Ils devoient apprehender que Clovis n’entreprît de faire valoir son autorité de consul dans la partie du partage d’occident dont ils étoient maîtres. Enfin il paroît qu’Anastase avoit en conferant la dignité de consul d’occident à Clovis, donné atteinte au concordat qu’il avoit fait avec Theodoric, puisque suivant cette convention dont nous avons déja parlé, le consulat d’occident ne devoit être rempli que par le sujet que le roi des Ostrogots presenteroit à l’empereur d’orient pour être nommé consul.

Dès que l’on a quelque connoissance des usages de l’ancienne Rome, on reconnoît dans la ceremonie que Clovis fit à Tours pour prendre solemnellement possession du consulat, la marche de ceremonie que faisoient ceux qui entroient en exercice des fonctions de cette dignité, et qui s’appelloit Entrée consulaire, ou Processus consularis.

Quelques-uns de nos meilleurs historiens, fondés sur le témoignage d’auteurs, qui n’ont écrit que sous la troisiéme race de nos rois, ou sur leurs propres conjectures, ont prétendu qu’Anastase n’avoit point conferé le consulat à Clovis, mais seulement le patriciat. Je ne serai pas long à les réfuter.

Gregoire De Tours qui a vêcu dans un siecle où il y a eu encore des consuls et des patrices, et qui a vû tant de personnes qui avoient vû Clovis, n’a point pû si méprendre, ni dire que Clovis avoit été fait consul s’il eût été vrai que ce prince avoit été fait seulement patrice. Notre historien[53] sçavoit trop bien pour cela la difference qui étoit entre ces deux dignités, et que le patriciat, quoiqu’il fût une dignité superieure à celle de préfet d’un prétoire, étoit néanmoins subordonné au consulat, ainsi que nous l’avons montré dans le dix-neuviéme chapitre du second livre de cet ouvrage.

D’ailleurs, aucun des deux premiers auteurs qui ont écrit sur l’histoire de France après Gregoire De Tours, et qui ont écrit sous la premiere race, ne dit que Clovis ait alors été fait seulement patrice. Frédégaire ne parle ni du patriciat ni du consulat de Clovis ; l’auteur des Gestes des Francs dit au contraire, que ce fut le consulat que l’empereur Anastase confera au roi Clovis ; que ce dernier, qui étoit à Tours lorsqu’il reçut les lettres de provision de la dignité de consul, y en prit solemnellement possession, et que dès-lors chacun eut recours à lui comme étant consul ; et même, comme s’il avoit été empereur. Hincmar écrit aussi dans la vie de saint Remy, que Clovis fut fait consul et non point patrice. Nous venons de rapporter le passage où cet historien le dit positivement. Flodoard qui a écrit sous la seconde race, dit aussi qu’Anastase confera le consulat à Clovis. Nous venons de rapporter le passage de cet auteur.

Aimoin qui n’a écrit que sous les rois de la troisiéme race, est le premier qui ait dit qu’Anastase n’avoit conferé à Clovis que le patriciat. Selon lui, les envoyés de l’empereur Anastase ne remirent à Clovis dans la ville de Tours que les provisions du patriciat ? Peut-on mettre en balance l’autorité de cet historien avec celle des quatre auteurs qui ont écrit sous la premiere ou sous la seconde race, et qui disent tous unanimement, et sans être contredits par aucun de leurs contemporains, que Clovis fut fait consul. Aimoin d’ailleurs se réfute lui-même, car après avoir dit ce qu’on vient de lire, il ajoute que Clovis se para des vêtemens consulaires, et il termine son récit par ces paroles. « Depuis ce tems-là Clovis se trouva digne d’être appellé consul et empereur. » tout ce que peut prouver la narration d’Aimoin, c’est que ce religieux prévenu de l’idée que les Francs s’étoient rendus maîtres des Gaules par voye de conquête, n’aura pas pû croire que l’empereur eût voulu conferer la puissance consulaire à l’ennemi du nom Romain. Aimoin aura donc changé, de son autorité, le consulat en patriciat, qui souvent n’étoit plus qu’une dignité honoraire. Ce qui a trompé Aimoin, peut bien aussi avoir trompé les auteurs modernes qui ont suivi son sentiment.

Non-seulement Clovis prit possession solemnellement de sa nouvelle dignité, mais il en porta encore ordinairement les marques. Du moins c’est ce qu’un des plus précieux monumens des antiquités françoises donne lieu de présumer. J’entends parler de la statue de ce prince, qui se voit avec sept autres representantes un évêque, quatre rois et deux reines, au grand portail de l’église de saint Germain des Prez à Paris.

Dom Thierri Ruinart nous a donné dans son édition des œuvres de Gregoire de Tours l’estampe de ce portail, ainsi que l’explication des huit figures qui s’y trouvent, et que les antiquaires croyent du tems où l’on bâtit l’église, ce qui fut fait sous le regne de Childebert un des fils du roi Clovis. Voici ce que notre auteur dit concernant la statuë de ce prince, qui est la seconde de celles qui sont à main droite quand on sort de l’église. » La statuë qui est après celle de l’Evêque Saint Remy, represente un Roi revêtu d’habillemens magnifiques & qui ont beaucoup d’ampleur. Il porte une couronne sur la tête, & il tient de la main gauche un rouleau de papier, sur lequel cependant on n’apperçoit aucun caractere, soit qu’il n’y en ait jamais eu, soit que le tems ait effacé ceux qu’on y avoit écrits. Dans la main gauche, notre statue tient un sceptre terminé par un aigle & semblable à celui que les Consuls portoient en plusieurs occasions comme une des marques de leur dignité. Cela doit empêcher de douter que la figure dont nous parlons ne soit la statuë de Clovis, le pere des autres Rois qu’on voit à ce Portail, & que le Sculpteur n’ait affecté de le representer avec les marques du Consulat qu’il avoit reçûës de l’Empereur Anastale avec le Diplome qui lui conferoit cette dignité, & lesquelles il porta lorsqu’il partit de l’Eglise bâtie sur le tombeau de Saint Martin pour faire la cavalcade que décrit Gregoire de Tours. »

Quoique le sentiment de Dom Thierri Ruinart[54] soit très-plausible de lui-même, et qu’il soit encore appuyé sur l’autorité de Dom Jean Mabillon, cependant il n’a pas laissé d’être combattu par un auteur anonime. Mais la réponse que Dom Jacques Bouillart[55] a faite à ce critique, satisfait si bien à ses difficultés, qu’il seroit inutile d’employer d’autres raisons à les détruire : ainsi je me contenterai d’une nouvelle observation pour confirmer le sentiment des sçavans benedictins que je viens de citer. C’est que des cinq figures de rois qui sont au portail de saint Germain des Prez, celle qui represente Clovis est la seule qui porte à ses pieds de ces souliers à lune[56], qui chez les Romains étoient une espece de chaussure particuliere aux personnes principales de l’Etat. On remarque donc en observant la statuë dont je parle, que chaque soulier est recouvert d’un second soulier, ou d’une espece de galoche coupée en forme de croissant un peu plus bas que le cou du pied, comme pour laisser voir la peau ou l’étoffe du premier soulier, du soulier interieur, laquelle étoit d’une couleur differente. J’ajouterai encore que la statuë de Clovis placée sur son tombeau dans l’église de sainte Genevieve du Mont à Paris, et qui peut bien avoir été copiée d’après une autre fort ancienne, lorsqu’on restaura le mausolée, represente aussi le prince chaussé avec des souliers à lune.

Ces souliers particuliers étoient même suivant l’apparence, encore en usage parmi les Romains dans le neuviéme siecle de l’ère chrétienne. Eghinard après avoir dit que Charlemagne affectoit d’aller toujours vêtu à la maniere des Francs, et qu’il ne porta même que deux fois l’habit Romain, nous apprend que lorsque cet empereur voulut bien par complaisance pour le pape Adrien et dans la suite pour le pape Leon, s’en revêtir, il prit outre la tunique et la robe, des souliers de la forme en usage parmi ceux ausquels il voulut bien ressembler ces jours-là.

Je crois néanmoins qu’en faveur de ceux qui n’ont pas fait une étude particuliere des antiquités Romaines, je dois encore ajouter un éclaircissement à ce qu’on vient de lire concernant la statuë de Clovis ; c’est qu’il étoit d’usage à Rome que les consuls y portassent un sceptre ou un bâton d’yvoire surmonté d’un aigle, comme une des marques de leur autorité. C’est même par le moyen du sceptre dont nous parlons, que les antiquaires distinguent celles des médailles imperiales qui representent le triomphe d’un empereur, d’avec celles qui representent la Marche consulaire, d’un empereur qui prenoit possession du consulat. Dans toutes ces médailles, le prince est également representé monté sur un char tiré par quatre chevaux attelés de front : mais dans les médailles qui representent une marche consulaire, l’empereur tient en main un sceptre terminé par un aigle, au lieu qu’il tient une branche de laurier dans celles qui representent un triomphe.

Nous avons déja parlé trop de fois de l’honneur que les rois barbares se faisoient d’obtenir les grandes dignités de l’empire Romain, et de l’avantage qu’ils trouvoient à les exercer, pour discourir ici bien au long sur les motifs qui engagerent Clovis d’accepter le consulat ? Combien de cités qui n’avoient donné des quartiers aux Francs qu’à condition qu’ils ne se mêleroient en rien du gouvernement civil, devinrent suivant les loix, soumises à l’autorité de Clovis dès qu’il eut pris possession de sa nouvelle dignité ? Elle le rendoit encore le vicaire d’Anastase dans tout le partage d’Occident où il n’y avoit point alors d’empereur, et par conséquent elle mettoit ce roi des Francs en droit d’entrer en connoissance de ce qui se passoit dans les provinces de ce partage tenuës par les Gots ou par les Bourguignons. Clovis en devenant consul, n’étoit-il pas devenu en quelque sorte le chef, et par conséquent le protecteur de tous les citoyens Romains qui habitoient dans ces provinces ? Voilà ce qui fait dire à Gregoire de Tours, que l’autorité de Clovis avoit été reconnuë generalement dans toutes les Gaules, quoique ce prince n’ait jamais assujetti les Bourguignons, qui en tenoient presque un tiers, et quoiqu’à sa mort, les Gots y possedassent encore les pays appellés aujourd’hui la Provence et le bas-Languedoc. Si nous ne voyons pas que Clovis ait fait beaucoup d’usage du pouvoir que la dignité de consul lui donnoit sur les Romains des provinces de la Gaule, tenuës par les Bourguignons et par les Gots, c’est qu’il mourut environ dix-huit mois après avoir pris possession de cette dignité, et qu’il employa presque tout ce tems-là à l’exécution d’un projet plus important pour lui, j’entends parler du projet de détrôner les rois des autres tribus des Francs, et de les obliger toutes à le reconnoître pour souverain.

Quant à l’empereur Anastase, que pouvoit-il faire de mieux lorsque les provinces du partage d’Occident étoient occupées par differentes nations barbares, et lorsque les Romains ne pouvoient plus esperer de les en faire sortir par force, que de traiter avec une de ces nations afin de l’armer contre les autres, et de l’engager à les en chasser, dans l’esperance qu’après cela elle deviendroit elle-même une portion du peuple Romain avec qui elle se confondroit ? C’étoit le seul moyen de rétablir l’empire d’Occident dans sa premiere splendeur, comme de donner à l’empereur d’Orient un collegue qui eût les mêmes interêts que lui, un collegue dont il pût se flatter de recueillir la succession au cas qu’un jour elle devînt vacante. Les Romains d’Occident dont on écoutoit les representations à Constantinople, devoient avoir de leur côté de pareilles vûës. Dès qu’il n’étoit plus question que de choisir le peuple que la nation Romaine adopteroit, pour ainsi dire, la nation Romaine devoit donner la preference aux Francs les moins barbares de tous les barbares et les plus anciens alliés de l’empire. D’ailleurs, les Francs étoient le seul de ces peuples qui fît profession de la religion catholique, et qui fût de même communion que les Romains d’Occident. Il est vrai qu’Anastase lui-même n’étoit pas trop bon catholique ; mais son erreur n’étoit point la même que celle des Gots et des Bourguignons, et les sectaires haïssent plus les sectaires dont la confession de foi est differente de la leur, qu’ils ne haïssent les catholiques. L’esprit humain si sujet à l’orgueil, s’irrite plus contre les hommes, qui voulant bien sortir de la route ordinaire, refusent cependant d’entrer dans la voye qu’on leur enseigne, et qui osent en choisir d’autres, qu’il ne s’irrite contre ceux qui malgré ces raisonnemens, veulent continuer à marcher dans la route que leurs ancêtres ont tenuë. L’homme se contente de regarder ces derniers comme des personnes qu’un fol entêtement rend à plaindre ; mais il hait les premiers comme des personnes qui lui refusent la justice qu’il croit mériter.

Enfin Theodoric roi des Ostrogots étoit suspect par bien des raisons, à la cour de Constantinople ; et l’empereur d’Orient, qui avoit alors des affaires fâcheuses, faisoit un coup d’Etat en lui donnant en Occident un rival aussi capable de le contenir, que l’étoit le roi des Francs, qui promettoit sans doute tout ce qu’on vouloit.

Nous serions au fait des engagemens que Clovis peut avoir pris alors avec Anastase, si nous avions l’acte de la convention qu’ils firent, et même si nous avions seulement la lettre que l’empereur Justinien, un des successeurs d’Anastase écrivit vers l’année cinq cens trente-quatre au roi Theodebert fils du roi Thierry, le fils aîné de Clovis, pour féliciter Theodebert sur son avenement à la couronne. Malheureusement cette lettre de Justinien est encore perduë, et nous n’avons plus que la réponse qu’y fit Theodebert. On ne laisse pas néanmoins de voir par cette réponse que Justinien accusoit dans sa lettre Clovis, de n’avoir pas tenu plusieurs promesses qu’il avoit faites aux empereurs. Voici la substance de cette réponse.

Theodebert après avoir dit à Justinien qu’il a donné audience à ses ambassadeurs, et qu’il a reçû ses presens, continuë ainsi. » Nous ne sçaurions vous remercier assez de la magnificence de vos dons, ni vous témoigner trop de reconnoissance pour la joye que vous daignez nous assurer avoir ressentie, en apprenant que la Providence nous avoir fait monter sur le Trône du Prince dont nous descendons. Cependant nous voyons, & nous voyons avec peine que la suite de votre lettre attaque la mémoire d’un Souverain, si grand, si renommé, & si fidele à tous les engagemens qu’il prenoit, soit avec les Empereurs, soit avec les Rois, soit avec les Nations : Il n’a point, comme votre lettre le suppose, ni ruiné ni dépouillé les Eglises, au contraire il les a enrichies aux dépens des Temples des Idoles. Tant de victoires que le Dieu des Armées lui a fait remporter, seront à jamais les monumens de la fidelité avec laquelle il accomplissoit les sermens qu’il avoit faits en prenant le seul Dieu veritable à témoin. Fasse le Ciel que vous daigniez avoir toujours autant d’attention à conserver notre amitié, que vous avez aujourd’hui d’empressement à la rechercher. »

Comme Thierri le pere de Theodebert n’eut jamais rien à démêler avec les prédecesseurs de Justinien, on voit bien que ce n’est point de Thierri, mais de Clovis qui doit avoir souvent traité avec eux, que cet empereur parloit dans sa lettre à Theodebert. Le mot de genitor, par lequel Theodebert désigne dans sa réponse le roi dont Justinien flétrissoit la mémoire, signifie non-seulement pere, mais encore un des ayeuls. Il convient donc aussi-bien dans la bouche de Theodebert à Clovis ayeul de ce prince, qu’à Thierri pere de ce même prince.

Il est vrai que M. de Valois explique autrement que nous cette lettre de Theodebert. Après avoir observé, comme nous l’avons fait, que le prince qui s’y trouve, et désigné et justifié sans y être nommé, ne sçauroit être le roi Thierri premier ; il conclut qu’elle est écrite, aussi-bien que deux autres dont nous parlerons dans la suite, par le roi Theodebert second fils de Childebert roi d’Austrasie, et monté sur le trône en cinq cens quatre-vingt-quinze, à l’empereur Maurice, monté de son côté sur le trône de Constantinople en cinq cens quatre-vingt-deux, et qui l’occupa jusqu’à l’année six cens deux.

Mais comme les conjectures sur lesquelles M De Valois appuye son opinion, ne sont rien moins que décisives, et comme d’un autre côté, il n’y a rien dans la lettre dont il est question, que Theodebert Premier n’ait pû écrire à Justinien, je m’en tiens à la suscription de cette lettre, et cette suscription, qui est la même dans tous les manuscrits, dit positivement qu’elle est écrite à l’empereur Justinien par le roi Theodebert. D’ailleurs toutes les apparences favorisent ce sentiment. On verra dans le chapitre sixiéme du cinquiéme livre de notre histoire, que l’année même de la mort de Thierri fils de Clovis ; c’est-à-dire en cinq cens trente-quatre, Justinien voulut traiter, et qu’il traita réellement avec Theodebert et les autres rois des Francs, pour les obliger à ne point le troubler dans son entreprise contre les Ostrogots, dont il étoit sur le point de commencer l’exécution. Il est donc très-probable que Justinien aura commencé à entrer alors en négociation avec les rois Francs, en écrivant à Theodebert, qui comme fils et successeur de Thierri, l’aîné des enfans de Clovis, étoit le chef de la maison royale, une lettre de conjoüissance sur son avenement à la couronne. C’est à cette lettre, que nous n’avons plus, que Theodebert aura fait la réponse dont on vient de lire le contenu. Il n’est pas difficile après cela de concevoir que Justinien, qui jettoit dans sa lettre quelques propositions du traité qu’il fit bien-tôt avec les rois Francs, y avoit fait entendre qu’il se flattoit que ces princes exécuteroient plus fidelement les conventions qu’ils feroient avec lui, que Clovis n’avoit exécuté ses conventions avec l’empereur Anastase. Ce reproche fait à la mémoire de Clovis, aura obligé Theodebert à inserer dans sa réponse la justification de son ayeul, qu’on vient de lire. Il est vrai qu’il n’y est pas dit positivement que les engagemens qu’on accusoit Clovis d’avoir mal observés, eussent été des promesses qu’il avoit faites à l’empereur Anastase pour obtenir de lui le consulat. Mais si Clovis a jamais dû prendre des engagemens positifs et précis avec les empereurs d’Orient, ç’a été pour obtenir d’eux cette dignité. En effet, les sçavans qui ont le mieux étudié les commencemens de l’histoire de notre monarchie, sont persuadés, que non-seulement le consulat ne fut conferé à Clovis, qu’en vertu d’un traité en forme fait entre lui et l’empereur Anastase ; mais que c’est de ce traité-là, qui consommoit l’ouvrage de l’établissement des Francs dans les Gaules, qu’il est fait mention dans le préambule de la loi salique, sous le nom de Traité de paix, dit absolument, et par excellence.

Ce préambule de la loi Salique, rédigée par écrit pour la premiere fois sous le regne de Thierri fils de Clovis, commence par ces paroles. L’illustre Nation des Francs, dont l’assemblage est l’æuvre de la Providence, Nation de qui la valeur est si célébre, qui se trouve affermie dans ses établissemens par le Traité de Paix, & qui s’est convertie il n’y a pas encore long-tems à la Foi Catholique. Or, comme le dit M Eccard dans ses notes sur la loi Salique : » Il faut que le Traité de paix, absolument dit, soit le premier Traité de paix & d’alliance que la Nation des Francs ait conclu postérieurement aux révolutions arrivées dans les Gaules ; en un mot, le Traité qui fut fait dans ces tems-là entre Anastase & Clovis. En consequence de ce Traité, Clovis qui venoit de vaincre les Visigots, & qui les avoit relegués aux pieds des Monts-Pyrenées, fut solemnellement déclaré Consul, après quoi il le mit en possession du Gouvernement des Gaules, de l’aveu même des Empereurs, qui craignoient l’ambition de la Nation Gothique, & qui la haïssoient, parce qu’elle faisoit profession de l’Arianisme. »

Ainsi Clovis, et c’est une distinction que nous avons déja faite plusieurs fois, quoiqu’il demeurât toujours en qualité de roi des Francs un souverain indépendant, et qui, pour me servir de l’expression si fort usitée dans les siécles postérieurs, ne relevoit que de Dieu et de l’épée que lui-même il portoit, sera devenu en qualité de consul subordonné en quelque sorte à l’empereur des Romains : mais outre que cette subordination ne subsistoit que de nom, attendu les conjonctures et l’éloignement où sont les Gaules de Constantinople, elle n’aura point paru extraordinaire. Sans répeter ce que nous avons dit des rois des Bourguignons et de ceux des Visigots, on a vû dès le premier livre de cet ouvrage, des rois Francs exercer les grandes dignités de l’empire Romain. Enfin dans le commencement du sixiéme siécle, et dans les siecles précedens, toutes les nations de l’Occident avoient encore tant de vénération pour un empire qui leur avoit donné des rois en plusieurs occasions, qu’elles ne pensoient pas que leurs chefs dérogeassent à la dignité royale, lorsqu’ils entroient, pour ainsi dire, au service de la république Romaine.

Aujourd’hui que les princes sont bien plus délicats qu’ils ne l’étoient alors sur les droits de la souveraineté, n’est-il pas ordinaire d’en voir plusieurs qui ne dépendans dans une partie de leurs Etats d’aucun autre pouvoir que de celui de Dieu, veulent bien tenir d’autres Etats où ils sont dépendans d’un pouvoir humain supérieur au leur, et à qui même ils doivent compte de leur administration en plusieurs rencontres. Le roi de Suede et le roi de Dannemarc ne tiennent leur couronne que de Dieu, et ils ne sont en qualité des rois subordonnés à aucun autre potentat ; cependant le roi de Suede en qualité de duc de Poméranie, et le roi de Dannemarc en qualité de duc de Holstein, sont feudataires de l’empereur et de l’empire d’Allemagne. Le roi de Pologne et le roi de Prusse ne sont-ils pas aussi feudataires de la même monarchie, le premier en qualité d’électeur de Saxe, et le second en qualité d’électeur de Brandebourg ? Charles Second roi d’Espagne, lui qui étoit seigneur suprême de tant d’Etats, n’étoit-il pas feudataire de l’empire d’Allemagne, comme duc de Milan, et Feudataire du Saint Siege, comme roi de Naples. Louis Douze et François Premier ne se sont-ils pas avoués feudataires de l’empire, tandis qu’ils tenoient son fief de Milan ? Enfin a-t-on vû Guillaume Troisiéme roi d’Angleterre, renoncer, après qu’il fut monté sur le trône, à la charge de capitaine et d’amiral général de la république des sept Provinces-Unies des Païs-Bas, et à celle de Statholder ou de gouverneur particulier de cinq de ces provinces, quoiqu’en qualité de capitaine et d’amiral général, il lui fallût obéir aux ordres des Etats Généraux, et qu’en qualité de Statholder, il ne fût que le premier officier des Etats de chacune des cinq provinces dont il étoit Statholder. Dans tous les siécles, comme dans toutes les conditions, l’orgueil du rang a toujours fléchi sous la passion de dominer. Nous parlerons du tems que devoit durer l’autorité consulaire de Clovis, et de la réunion de cette autorité à la couronne des Francs, dans le second chapitre du sixiéme livre de cet ouvrage.

Au sortir de Tours, Clovis vint à Paris, où suivant le pere de notre Histoire, il plaça le siége de sa royauté, et fixa le trône de la monarchie ; c’est-à-dire, qu’il établit dans Paris le tribunal où il rendoit justice aux Francs Saliens, en qualité de leur roi, comme le prétoire où il rendoit justice aux Romains, en qualité de consul, et qu’il en fit le lieu de sa résidence ordinaire et de celle des personnes de l’une et de l’autre nation qui avoient part à l’administration de l’Etat, ou qui vouloient y avoir part. Voilà pourquoi Gregoire de Tours, pour nous donner une idée de l’esprit de retraite dans lequel vêcut sainte Clotilde, dès qu’elle se fut confinée à Tours quelque tems après la mort de Clovis, dit qu’après la mort de ce prince, on la vit rarement à Paris, c’est-à-dire, à la Cour.

Voilà pourquoi la ville de Paris ne fut point mise dans aucun lot quand les enfans de Clovis partagerent entr’eux son royaume, et qu’au contraire il fut alors convenu, qu’ils la possederoient en commun, et comme on le dit, par indivis. Ainsi quoique Childebert fils, et l’un des quatre successeurs de Clovis, tînt ordinairement sa cour à Paris, et que Paris fût le lieu de sa résidence ordinaire, il n’avoit cependant que sa part et portion dans la souveraineté de cette ville qui continua d’être le lieu de rendez-vous où se traitoient les affaires communes à tous les sujets de la monarchie, quoique depuis la division de cette monarchie en plusieurs partages, elle eût apparemment cessé d’être le lieu où l’on rendoit aux particuliers la justice en dernier ressort. En effet, nous verrons dans le second chapitre du cinquiéme livre, que quoique Charibert petit-fils de Clovis eût eu le même partage qu’avoit eu Childebert son oncle, celui des partages dont Paris étoit comme la capitale, Charibert cependant, n’avoit à sa mort qu’un tiers dans la ville de Paris.

Enfin voilà pourquoi les rois petits-fils de Clovis, à qui l’experience avoit enseigné de quelle importance il étoit qu’aucun d’entr’eux ne s’appropriât la ville capitale de toute la monarchie, avoient stipulé en faisant quelque nouveau pacte de famille ; que celui des compartageans qui mettroit le pied dans Paris sans le consentement exprès des autres, seroit déchû de la part et portion qu’il y auroit, et voilà pourquoi chacun d’eux avoit promis d’observer cette condition, en faisant des imprécations contre lui-même s’il étoit assez malheureux pour y manquer[57].

Le siege de la monarchie françoise est encore dans le lieu où Clovis le plaça en cinq cens dix. Les royaumes sur lesquels regnoient ses enfans après qu’ils eurent partagé la monarchie Françoise, ont bien eu chacune une espece de capitale particuliere, mais Paris est toujours demeuré la capitale de la monarchie Françoise.


LIVRE 4 CHAPITRE 19

CHAPITRE XIX.

Clovis, qui n’étoit encore Roi que de la Tribu des Francs, appellée la Tribu des Saliens, fait perir les Rois des autres Tribus des Francs, & il engage chacune d’elles à le choisir pour son Roi.


Nous voici arrivés à un évenement, qui par les circonstances odieuses dont il fut accompagné, et par les suites heureuses qu’il eut, paroît tenir dans l’histoire de France, une place semblable à celle que le meurtre de Remus par Romulus son frere, tient dans l’histoire Romaine. Le même esprit d’ambition qui fit penser à Romulus que le royaume qu’il avoit fondé ne pouvoit prosperer, ni même subsister, s’il falloit qu’il demeurât plus long-tems partagé entre son frere et lui, aura fait croire à Clovis que la monarchie qu’il avoit établie dans les Gaules, et qu’il prétendoit laisser à ses fils, seroit toujours mal affermie tant qu’il ne regneroit que sur la tribu des Saliens, & tant que chacune des autres tribus des Francs auroit un roi particulier et indépendant de lui. En effet, il étoit à craindre que ces princes, mortifiés de voir une puissance n’agueres aussi médiocre que la leur, lui être devenuë tellement superieure, qu’elle pouvoit les assujettir, ne se liguassent pour la détruire, soit avec ses sujets mécontens, soit avec les étrangers. En effet ils n’avoient plus d’autre ressource contre les entreprises d’un roi qui avoit une grande partie des richesses des Gaules à sa disposition, que de se réunir pour l’abbattre : chacun de nos princes étoit trop foible pour résister avec ses seules forces. Ce que Clovis ne craignoit pas pour lui, il pouvoit le craindre pour sa posterité. Je crois donc qu’il ne fit que prévenir les autres rois des Francs. Clovis n’a paru criminel à la posterité que parce qu’il fut plus habile qu’eux. On voit en effet par l’histoire, que la plûpart des chefs des tribus dont Clovis se défit, étoient des hommes souverainement corrompus et sanguinaires, et l’on sçait à quels excès la jalousie d’ambition, encore plus ardente dans le cœur des souverains que dans celui des autres hommes, a coutume de porter les princes les moins violens. Le motif d’abbatre une puissance dont le pouvoir semble exhorbitant, engage souvent dans des entreprises injustes, les potentats qui se piquent le plus d’équité, et lorsqu’ils s’y trouvent une fois engagés, ils ne rougissent point d’entrer dans les complots les plus iniques et les plus odieux, afin de se tirer des embarras où ils se sont mis.

Il se peut donc bien faire que Clovis en exécutant contre les autres rois ses parens tout ce que nous allons rapporter, n’ait ôté les Etats et la vie qu’à des princes qui avoient attenté les premiers à sa vie et sur ses Etats. En verité il est difficile de penser autrement quand on entend Gregoire de Tours, qui sçavoit sur ce sujet-là beaucoup plus qu’il n’en dit, parler de la destinée funeste de quelques-uns des rois Francs que Clovis fit mourir, comme ce saint auroit pû parler d’un avantage remporté par Clovis dans le cours d’une guerre juste, et sur des ennemis déclarés. C’est même en imitant le style de l’Ecriture sainte que s’explique notre pieux évêque, lorsqu’il écrit ces évenemens. Il dit donc après avoir raconté le meurtre de Sigebert roi des Ripuaires et celui de Clodéric fils de ce prince : » La Providence livroit chaque jour entre les mains de Clovis les ennemis de ce Roi, dont elle se plaisoit à étendre la domination, parce qu’il avoit le cœur droit, & parce qu’il tenoit une conduite qu’elle approuvoit. » Saint Gregoire de Tours n’eût point parlé en ces termes des évenemens qu’on va lire, si le procedé de Clovis, n’eût point été justifié, ou du moins excusé par les menées de ses ennemis. Pourquoi cet historien, dira-t’on, n’a-t’il point rapporté les faits qui disculpoient en quelque sorte Clovis ? C’est que des considérations, qu’il est impossible de deviner aujourd’hui, l’auront engagé à passer ces faits sous silence. Puisque nous n’avons plus, pour s’expliquer ainsi, les pieces du procès, nous ne sçaurions faire mieux que de nous en rapporter au jugement qu’a prononcé le prélat vertueux qui les avoit vûës. Transcrivons presentement le récit qu’il fait de la catastrophe des ennemis de Clovis. Ce récit est la seule relation autentique de ce grand évenement que nous ayons aujourd’hui.

» Tandis que Clovis faisoit son séjour à Paris, il fit representer par ses Emissaires à Clodéric fils de Sigebert, que Sigebere étoit déja fort âgé, & d’ailleurs estropié de la blessure qu’il avoit reçûë à la journée de Tolbiac. Clovis faisoit assurer Clodéric en même tems, que son intention étoit de le favoriser en tour & de le maintenir sur le Trone des Ripuaires après la mort de Sigebert. Aussi-tôt que Clodéric se vit assuré d’un tel apui, il se laissa aveugler par l’ambition au point de commettre un parricide. Un jour que Sigebert, qui étoit sorti de Cologne, & qui avoit passé le Rhin pour prendre l’air dans les environs de la forêt Buchovia, dormoit après le dîner, des assassins subornés par le fils, ôterent la vie au pere. La Providence permit qu’à quelques jours de-là, Clodéric trébucha lui-même dans une fosse semblable à celle où ce malheureux fils avoit précipité son pere. Dès que Sigebert eut cessé de vivre, son fils donna part de cette mort à Clovis, & il lui manda : J’ai en ma possession les Etats & les trésors que mon pere a laissés : Envoyez-moi des personnes affidées à qui je puisse remettre ce que vous pourrez souhaiter des richesses qui sont à present à ma disposition. Clovis lui répondit : Je vous remercie de votre bonne volonté, & je vous prie seulement de faire voir à ceux que je vous envoye, les trésors de votre pere, qui, pour le present, ne sçauroient être mieux qu’entre vos mains. Dès que les personnes envoyées par Clovis furent arrivées, Clodéric leur fitc voir ces trésors & leur dit en leur montrant un coffre ; voilà où le Roi mon pere serroit les especes d’or. Nous vous prions, lui répondirent les autres, de fouiller jusqu’au fond de ce coffre, afin que nous puissions en voyant sa profondeur, juger un peu mieux de la somme qu’il contient. Clodéric se mit en devoir de les contenter ; mais dans le tems qu’il étoit courbé, l’un de nos émissaires lui fendit, la tête d’un coup de hache d’armes. Dès que Clovis eut été informé de la mort de ce fils dénaturé, il se rendit sur les lieux où le meurtre étoit arrivé ; il y fit assembler les Sujets de Sigebert, & il leur dit : Voici le motif qui m’ameine ici. Clodéric, à l’occasion d’un voyage que j’ai fait sur l’Escaut a mechamment repandu le bruit que j’avois dessein d’attenter à la vie de son pere mon bon parent, quoique véritablement ce fut Clodéric lui-même qui en vouloit à la vie de ce Prince. En effet ce sont des satellites envoyés par Clodéric qui ont tué son pere dans la forêt Buchovia, où il s’étoit retiré pour être à une plus grande distance des lieux où je me trouvois. Ce fils dénaturé n’a pas survêcu long-tems à son parricide, & il a été tué par des personnes que je ne connois pas, lorsqu’il fouilloir dans un des coffres du trésor de son pere. Je n’ai point trempé dans ces meurtres, & suis trop incapable de souiller jamais mes mains dans le sang de mes parens. Mais comme le mal qui est arrivé, est un mal sans remede, je crois vous donner un avis salutaire en vous conseillant de jetter les yeux sur moi, & de m’engager en me choisisant pour votre Roi, à vous défendre envers & contre tous, an péril de ma propre vie. Aussitôt les Sujets de Sigebert témoignerent par des cris de joye, » & en frappant sur leurs boucliers, qu’ils agréoient la proposition de Clovis. Ils éleverent donc incontinent ce Prince sur un pavois & ils le proclamerent Roi de leur Tribu. Ce fut ainsi que Clovis vint à bout de se rendre maître des trésors de Sigebert, & de réunir aux Sujets qu’il avoit dēja, les Sujets de ce Prince malheureux.

Nous avons rapporté dès le commencement du chapitre, la réflexion que Gregoire De Tours fait sur la réussite de ce projet de Clovis.

Nous avons aussi exposé déja en plusieurs occasions que la tribu des Francs, sur laquelle regnoit Sigebert, étoit celle des Ripuaires, qui avoit fait son établissement dans les Gaules avant l’invasion d’Attila. Après ce que nous avons dit touchant les bornes de cet établissement, nous nous contenterons d’observer, que ces Ripuaires avoient aussi dans la Germanie un territoire qui s’étendoit jusques à la Fuld, riviere près de laquelle étoit la forêt de Buchovia, où Sigebert fut tué. Ce territoire étoit une portion de l’ancienne France, et les Francs l’avoient apparemment deffenduë contre les efforts que les Turingiens avoient faits pour s’en saisir, et peut-être a-t’il été la premiere possession que la monarchie Françoise ait euë au-delà du Rhin. Ce qu’on va lire, montre que d’un autre côté le royaume de Sigebert s’étendoit dans le tems où le roi des Saliens s’en rendit maître, ce qui arriva peu de tems après la mort de Sigebert, jusques aux confins de la cité de Châlons Sur Marne.

Un des plus anciens monumens de notre histoire, est la vie de saint Mesmin, second abbé de Mici dans le diocèse d’Orleans. Elle a été écrite peu de tems après la mort de ce pieux personnage, contemporain du grand Clovis. Il y est fait mention fort au long de la prise de Verdun par ce prince. Il est vrai que nos meilleurs historiens rapportent cet évenement à l’année quatre cens quatre-vingt-dix-sept, fondés sur ce qu’Aimoin en fait mention immédiatement après avoir raconté le baptême de Clovis[58] ; je crois néanmoins pouvoir le placer en cinq cens dix comme une suite de l’élection que la plûpart des Ripuaires firent de ce prince pour leur roi, après la mort de Sigebert.

Voici ma raison. Le pere Labbe nous a donné dans le premier volume de sa Bibliotheque, la chronique écrite par un Hugues qui vivoit dans le douziéme siecle, et qui après avoir été religieux du monastere de saint Vannes de Verdun, fut abbé de Flavigny en Bourgogne. Cette chronique est même aussi connuë des sçavans, sous le nom de la chronique de Verdun, que sous celui de la chronique de Flavigny. Il y est dit. Immédiatement après le récit du meurtre de Sigebert et de celui de Clodéric. » Dès que Clovis eut appris cet évenement, il se rendit sur les lieux, & après avoir appaisé les Peuples, en leur disant qu’il étoit innocent du meurtre de ses parens, il fut élû Roi. Les habitans de quelque Ville indignés contre lui, résolurent néanmoins de faire tout ce qui dépendroit d’eux pour se deffendre de lui obéir. Ceux de Verdun furent du nombre, & ils se préparerent même, à ce qu’on prétendit, à lui faire la guerre. Clovis, dès qu’il eut été instruit de ce qu’ils machinoient, jugea qu’il n’y avoit point de tems à perdre, & rassemblant une armée, il vint mettre le siege devant Verdun. Ce fut précisément dans ce tems-là que mourut Saint Firmin Evêque de cette Ville. » Cette derniere circonstance prouve que la chronique de Flavigny que nous venons d’extraire, et la vie de saint Mesmin, dont nous allons rapporter le passage qui concerne la prise de la ville de Verdun par Clovis, entendent parler du même évenement. On verra qu’il est dit dans notre passage que Firmin évêque de Verdun mourut durant le siege dont il contient l’histoire.

J’en tombe d’accord, le tems où a vêcu Hugues de Flavigny, est si fort éloigné du tems où regnoit Clovis, qu’il semble que l’autorité de cet écrivain ne doive point être bien d’un grand poids ; mais on observera deux choses. La premiere, que cet Hugues étoit de Verdun, ou que du moins il avoit demeuré long-tems dans cette ville, et que plusieurs actes particuliers à Verdun, et la tradition soutenuë par quelque procession ou autre cérémonie religieuse, instituée en mémoire du siege dont il s’agit ici, devoient y conserver encore six cens ans après la mémoire du tems où s’étoit fait ce siege. La seconde, c’est qu’on ne sçauroit opposer au témoignage de notre chroniqueur, le témoignage d’aucun auteur qui ait vêcu sous les deux premieres races de nos rois, et qui dise que le siege de Verdun ait été fait plûtôt ou plus tard que cinq cens dix.

Je ne prendrai dans la chronique de Verdun que la datte du siege de cette ville par Clovis, qui est constatée par la mort de saint Firmin arrivée durant le siege dont parlent et notre chronique et la vie de ce saint. Ce sera de la vie même de saint Mesmin que je tirerai ce que j’ai à rapporter concernant les autres circonstances de cet évenement. On lit donc dans cette Vie. » Clovis a été un des grands Rois des Francs. Cependant il eut plusieurs affaires fâcheuses dans les lieux où il établit sa domination. Il se trouve toujours assez de gens inquiets & remuans, qui, lorsqu’un pays change de maître, tâchent par route sorte de voyes, de perpétuer les troubles, soit en empêchant l’autorité du nouveau Souverain de s’établir, soit en tâchant de l’ébranler lorsqu’elle commence à s’affermir. Clovis trouva plusieurs personnes de ce caractere dans tous les pays qu’il soumit à son pouvoir. Entr’autres, les Citoyens de Verdun furent accusés de vouloir non-seulement résister à ce Prince, mais de vouloir encore exciter la guerre contre lui. Aussi-tôt le Roi des Francs voyant bien qu’il seroit dangereux de laisser au mal le tems de s’enraciner, met une armée sur pied, investit la place, commence les approches, ordonne qu’on applanisse le terrain où il vouloir faire agir ses machines de guerre, & fait toutes les dispositions nécessaires pour la prendre : surtout il place des corps-de-garde vis-à-vis chaque porte pour empêcher que personne ne puisse s’évader. Ce fut précisément dans ce tems que le grand Saint Firmin Evêque de Verdun vint à mourir. Les alliegés désesperant de pouvoir résister après que les béliers eurent fait bréche à leurs murailles ; & n’ayant plus d’Evêque qui pût interceder pour eux, ils choisirent unanimement Euspicius, un saint Prêtre pour leur médiateur auprès du Roi des Francs. Euspicius voulut bien faire ce qu’ils souhaitoient de lui, & il fut trouver Clovis qui l’écouta avec bienveillance, & répondit avec une bonté que le Ciel sembloit lui inspirer. La capitulation fut donc concluë, & l’on ouvrit les portes de la Ville aux alliegeans, qui furent reçûs avec toutes les démonstrations de soumission qu’ils pouvoient attendre. Deux jours après, Clovis qui avoit dessein de mener son armée, laquelle s’étoit rafraîchie, à quelqu’autre expédition de même nature, dit à Saint Euspicius qu’il vouloit qu’on l’élût Evêque de la Ville qu’il venoit de sauver. Le serviteur de Dieu ayant refusé l’Episcopat avec une fermeté inébranlable, Clovis lui dit : suivez-moi donc, & m’accompagnez jusqu’à Orleans. »

L’auteur de la vie de saint Mesmin rapporte ensuite, qu’Euspicius suivit Clovis, et que ce prince fonda en considération de ce saint personnage, l’abbaye de Mici, dont saint Mesmin, neveu d’Euspicius fut le superieur après son oncle. J’ajouterai que nous avons encore la chartre de la fondation de l’abbaye de Mici, par Clovis.

Pour revenir à mon sujet, il paroît donc que Verdun et quelques autres villes qui étoient renfermées dans les pays occupés en differens tems par la tribu des Ripuaires, n’auront pas voulu d’abord devenir sujettes de Clovis, bien qu’il eût été élû roi par cette tribu, et qu’il aura fallu que le roi des Saliens employât la force pour réduire ces villes sous sa domination. D’ailleurs le peu que nous sçavons concernant le royaume des Ripuaires, nous porte à penser qu’il étoit près le royaume des Saliens, la plus considérable des monarchies, que les tribus des Francs avoient établies dans les Gaules, et par conséquent, qu’il pouvoit bien s’étendre depuis Nimegue jusqu’à Verdun. En effet, nous verrons que les Ripuaires ne laisserent point après qu’ils eurent reconnu Clovis pour leur roi, de subsister toujours en forme d’une tribu distincte et séparée de celle des Saliens. Comme nous le dirons plus au long dans la suite : la tribu des Ripuaires avoit encore son code particulier, et vivoit encore suivant cette loi, sous nos rois de la seconde race. Au contraire, les autres tribus des Francs, que nous allons voir passer sous la domination de Clovis, furent incorporées avec celles des Saliens, aussi-tôt qu’elles eurent reconnu ce prince pour leur roi. Il n’est plus fait mention dans l’histoire des tems postérieurs au regne de Clovis, ni des Chattes, ni des Chamaves, ni des Ampsivariens, ni des autres tribus des Francs dont il est parlé dans l’histoire des tems antérieurs à leur réduction sous l’obéissance de ce prince. On ne voit plus paroître dans l’histoire des successeurs de Clovis, que les Francs, absolument dits ; c’est-à-dire, la tribu formée par la réunion de cinq ou six autres à celle des Saliens qui devoit être la principale, et les Francs Ripuaires. Je ne me souviens pas même d’avoir lû le nom de Sicambres dans les écrivains en prose, posterieurs au regne de Clovis. S’il se trouve encore dans quelques auteurs de ces tems-là, c’est dans les poëtes qui ont eu plus d’attention à la construction de leurs vers, qu’à l’usage present des noms propres.

Reprenons la narration de Gregoire de Tours. Cet historien, immédiatement après avoir raconté l’union des Etats de Sigebert à ceux de Clovis, rapporte la fin tragique de Cararic[59], un autre roi des Francs, et qui suivant toutes les apparences s’étoit cantonné dans le pays partagé aujourd’hui entre les diocèses de Boulogne, de Saint Omer, de Bruges et de Gand.

» Clovis, die Gregoire de Tours, entreprit ensuite de se faire raison enfin, de Cararic, qui avoit refusé de se joindre à lui contre Syagrius, & qui avoit voulu demeurer neutre alors, afin d’être le maître de s’allier à celui des deux rivaux de grandeur qui seroit victorieux. Cararic & son fils furent bien-tôt livrés à Clovis, qui leur fit couper les cheveux, & les obligea de prendre les Ordres Sacrés. Le pere fut ordonné Prêtre, & le fils Diacre. Un jour que Cararic déploroit les larmes aux yeux sa destinée, son fils lui dit : consolez-vous, mon pere ; quand on nous a dépouillés de notre dignité, & quand on nous en a ôté les marques, on n’a fait autre chose que de couper le feuillage d’un arbre plein de séve. Bien-tôt il en aura repoussé un nouveau. Que nous serions heureux si celui qui nous a fait tondre pouvoit périr dans aussi peu de tems qu’il en faut à nos cheveux pour revenir. Clovis informé de tout ce discours, ne douta point que les Princes dégradés ne fussent résolus à laisser croître leurs cheveux, & à l’assassiner. Il leur fit donc le même traitement qu’ils vouloient lui faire. Après leur mort, il s’empara de leur trésor, il se mit en possession du pays où ils s’étoient cantonnés, & il obligea les Francs & les Romains, Sujets de ces Princes, à le reconnoître pour Souverain. »

Comme la distinction la plus sensible, qui fût alors entre les Francs & les Romains, venoit de ce que les premiers portoient de longs cheveux, au lieu que les Romains les portoient extrémement courts ; on conçoit bien, que couper à un Franc sa chevelure, c’étoit le retrancher de la Nation, & le rendre & déclarer incapable de toutes les places & dignités, qu’on ne pouvoit pas posseder à moins qu’on ne fût Franc. La Royauté devoit être une de ces Dignités. C’est de quoi nous parlerons encore dans d’autres endroics de notre Ouvrage.

Gregoire de Tours reprend la parole. » La dissolution où vivoit le Roi Ragnacaire, qui avoit son établissement à Cambray, étoit si grande, que la crainte de faire tort à l’honneur de ses parens, ne le recenoit point dans ses débauches. Faron son principal Ministre n’avoit point plus de vertu que son Maître, qu’il gouvernoit néanmoins si absolument, que ce Prince parloit toujours de ce serviteur, comme d’un égal, comme d’un homme associé à la Royauté. Les Francs Sujets de Ragnacaire souffroient donc avec indignation la faveur excessive de ce Faron, & Clovis qui étoit bien informé, entreprit de les gagner par des liberalités. Entr’autres présens, il leur distribua un grand nombre de bracelets de cuivre doré, en laissant entendre qu’ils étoient d’or fin. Quand ce Prince se fut assuré d’eux, il entra brusquement à la tête d’une armée dans les Etats de Ragnacaire, qui sur le champ manda sa milice, & puis envoya reconnoître les ennemis qui venoient à lui. Lorsqu’ils furent à une petite distance du lieu où il se trouvoit alors, ceux à qui Ragnacaire avoit donné la derniere commission, le trahirent, en lui rapportant, que les troupes qu’on voyoit s’avancer, étoient une partie de sa Milice qui se rendoit à ses ordres & à ceux de Faron. Cependant Clovis arriva, & chargeant brusquement le peu de monde que Ragnacaire avoit děja rassemblé, il le mit en déroute. Notre malheureux Prince voulut se sauver, mais les traîtres qui étoient auprès de sa personne le firent leur prisonnier, & après lui avoir lié les mains derriere le dos, & après avoir traité de même Richarius son frere, ils presenterent l’un & l’autre à Clovis. Comment avez-vous pû souffrir, dit-il d’abord à Ragnacaire, qu’on fît au sang dont vous sortez l’affront qu’on lui a fait, quand on vous a garotté comme vous l’êtes ? Il falloit vous faire tuer plûtôt que d’endurer un pareil traitement. Ce reproche fut suivi d’un coup de hache d’armes, dont Clovis fendit la tête à Ragnacaire. Aussi-tôt après Clovis se tournant vers Richarius, il lui dit : Si vous eussiez défendu votre frere comme vous le deviez, on ne l’auroit pas garotté comme on l’a fait, & sur le champ il lui fendit la tête d’un autre coup de hache. Quelque tems après les traîtres dont nous avons parlé, s’étant apperçûs que leurs bracelets n’étoient que de cuivre doré, ils s’en plaignirent à Clovis, & l’on prétend qu’il leur répondit : Ceux qui vendent leur Maître, ne doivent point être payés en une meilleure monnoye. Ne m’importunez plus : N’êtes-vous pas encore trop heureux que je vous laisse vivre après ce qui s’est passé. Une telle réponse les fit taire, & ils regarderent comme une grace de n’être point recherchés. Au reste, Clovis étoit parent de Ragnacaire & de Richarius, qui avoient encore un frere nommé Regnomer, Roi de la Tribu des Francs, dont les quartiers étoient dans le Maine. Après la mort de ces trois Princes, Clovis se rendit maître de toutes leurs forces, & il s’empara de leurs trésors. » Gregoire de Tours ajoute immédiatement après ce qu’on vient de lire. » Ce fut par le meurtre de tous ces Princes infortunés, & de plusieurs autres Rois ses parens, dont Clovis craignoit les entreprises sur ses Etats & peut-être sur sa vie, qu’il vint à bout de faire reconnoître son autorité dans toutes les Gaules. Néanmoins un jour il lui échapa de dire devant beaucoup de monde : Malheureux que je suis, j’ai perdu tous mes parens, & je me trouve en quelque maniere étranger dans mes propres Etats. S’il m’arrivoit une disgrace, je ne pourrois plus avoir recours à ces personnes que les liens du sang obligent à prendre notre parti en tout tems & dans toutes les occasions. Mais ce Prince ne parloit pas de bonne foi, lorsqu’il s’expliquoit ainsi, c’étoit dans la vûe de donner envie à ceux de ses parens, qui s’étoient cachés, de se découvrir, & avec l’intention de leur faire le même traitement qu’il avoit fait à ceux qu’il feignoit de regretter. » On verra par la suite de l’Histoire, que quelques-uns des parens collateraux de Clovis, étoient échapés à ses recherches.

Clovis étoit un Prince trop habile pour ne se tenir pas plus assuré de tous les Francs, qui portoient alors, s’il est permis de s’expliquer ainsi, l’épée de la Gaule, lorsqu’ils seroient commandés par des Officiers militaires qu’il instituoit & destituoit à son gré, que s’ils demeuroient sous les ordres de plusieurs Rois ses parens & ses amis autant qu’on le voudra, mais indépendans de lui au point, qu’il ne pouvoir les engager à le servir, qu’en négociant avec eux, & qui d’ailleurs avoient toujours le pouvoir de lui nuire.

On voit sensiblement par la narration de Gregoire de Tours, que Clovis, qui craignoit tous les autres Rois des Francs, ne craignoit en même tems que ses parens collateraux ; & c’est ce qui confirme la remarque faite par plusieurs de nos Ecrivains modernes : Que toutes les Tribus des Francs, lorsqu’elles avoient un Roi à élire, choisissoient toujours un Souverain entre les Princes de la même Maison. Il n’y avoit dans la Nation des Francs bien qu’elle fût divisée en plusieurs Tribus, qu’une seule Maison Royale.

Suivant les apparences, Clovis employa les dix-huit mois qu’il vêcut encore après avoir pris possession de la Dignité de Consul, à se défaire des Rois des autres Tribus des Francs, & à s’emparer de leurs Etats. Du moins nous ne sçavons point qu’il ait fait autre chose pendant ce tems-là, si ce n’est de procurer l’Assemblée du premier Concile National tenu à Orleans depuis l’établissement de la Monarchie Françoise dans les Gaules.

LIVRE 4 CHAPITRE 20

CHAPITRE XX.

Du Concile National assemblé à Orleans en cinq cens onze.


Nous avons déja observé que Gregoire de Tours ne disoit rien de ce concile, et nous avons même allégué le silence qu’il garde à ce sujet, comme une des preuves qui montrent qu’on ne sçauroit contredire la vérité d’aucun fait particulier, arrivé dans les tems dont il a écrit l’Histoire, en se fondant sur la raison ; que l’historien ecclésiastique des Francs, n’en a point parlé. En effet, il est si vrai, que le concile dont notre historien ne dit pas un mot, a été assemblé, que nous en avons les actes, où nous apprenons, qu’il fut tenu sous le consulat de Félix, c’est-à-dire, l’année cinq cens onze de l’ère chrétienne. On peut les voir dans le premier volume des conciles des Gaules, par le Pere Sirmond. Voici la substance de la lettre que les évêques qui se trouverent à cette assemblée, écrivirent à Clovis.

» Tous les Evêques ausquels le Roi Clovis a ordonné de s’assembler dans Orleans, à Clovis leur Seigneur, & le Fils de l’Eglise Catholique : Votre zéle pour la Religion déja si connu, & qui vous fait souhaiter avec ardeur d’en voir fleurir le culte, vous ayant engagé d’enjoindre aux Evêques de s’assembler ; nous nous trouvons de notre côté dans l’obligation de vous envoyer les Canons que nous avons rédigés, après avoir, en exécution de vos ordres, discuté tous les points sur lesquels vous souhaitiez que nous statuassions. Si vous approuvez nos Decrets, ils recevront une nouvelle force par le jugement favorable qu’en aura porté un Roi si digne de gouverner. »

Les évêques qui intervinrent au concile dont nous parlons, se trouverent au nombre de trente ; ce qui paroît par leurs signatures mises au bas des actes de cette assemblée. Du nombre de ces prélats étoient les métropolitains, et, pour parler le langage des siecles suivans, les archevêques de Bordeaux, de Bourges, de Rouen, et d’Euse. Si tous les évêques, dont les sieges étoient dans des cités soumises à l’obéissance de Clovis, se fussent trouvés au concile d’Orleans, nous ferions l’énumération des vingt-six autres prélats qui en souscrivirent les actes. Ce seroit un moyen de donner à connoître avec plus de certitude, quelles étoient alors précisément les cités comprises dans le royaume de Clovis. Mais les évêques de plusieurs cités, qui constamment étoient dans ce tems-là du royaume de Clovis, ne vinrent pas à notre concile. Saint Remy, par exemple, ne s’y trouva point. Ainsi, comme l’on ne peut inferer de l’absence d’un évêque, que sa cité ne fût point alors sous la domination de Clovis, on ne sçauroit connoître précisément par les souscriptions du concile d’Orleans, quelles étoient, quand il fut tenu, les cités renfermées dans les limites du royaume de ce prince.

Quoique nous nous soyons interdit de traiter les matieres ecclésiastiques, nous ne laisserons pas de rapporter ici quelques-uns des canons du concile d’Orleans, parce qu’ils sont très-propres à montrer quel étoit alors l’état politique des Gaules, et principalement à faire voir que Clovis laissoit vivre les Romains des Gaules suivant le droit romain, et que ce prince entendoit que les évêques qui étoient encore alors presque tous de cette nation, jouîssent paisiblement de tous les droits, distinctions, et prérogatives dont ils étoient en possession sous le regne des derniers empereurs. Voici le premier canon de notre concile.

» Conformément aux Saints Canons & aux Loix Impériales concernant les homicides, les adulteres, & les voleurs, qui se seront réfugiés dans les aziles des Eglises, ou dans la maison d’un Evêque, il fera deffendu de les en tirer par force, & de les livrer au bas séculier. On ne pourra même les remettre entre les mains de quelque personne que ce soit, avant que préalablement elle ait promis à l’Eglise en jurant sur les Saints Evangiles, que les coupables ne seront point punis ni de mort, ni par mutilation de membres, ni d’aucune autre peine afflictive, & avant que leur partie ait transigé avec eux. Si quelqu’un viole le serment qu’il aura fait à l’Eglise dans les circonstances ci-dessus énoncées, qu’il soit tenu pour excommunié, & que les Clercs, & même les Laïques s’abstiennent d’avoir aucune communication avec lui. Que si quelque coupable intimidé par le refus que feroit sa partie de composer avec lui, vient à se sauver de l’Eglise où il se seroit réfugié, & à disparoître, la susdite partie ne pourra intenter aucune action contre les Clercs de l’Eglise à raison de cette évasion. »

Il ne faut pas méditer long-tems sur ce canon, pour voir qu’il donnoit une grande considération à l’épiscopat dans un pays, où la plûpart des habitans vivoient suivant le droit Romain, qui attribuoit au simple citoyen le droit de demander et de poursuivre la mort de ceux qui étoient coupables d’un crime capital commis contre lui ou contre les siens, et qui autorisoit ainsi le particulier à requerir que le criminel fût condamné au dernier supplice ; ce qui n’est permis aujourd’hui qu’au ministere public. Il étoit encore bien aisé de faire évader le coupable de l’église où il avoit pris son azile, quand la partie refusoit d’entendre à une transaction que l’évêque jugeoit équitable.

Le second canon du concile d’Orleans dit : » Tout ravisseur qui se sera réfugié dans les aziles de l’Eglise, y amenant avec lui la personne qu’il aura ravie, sera tenu, s’il paroît qu’elle ait été enlevée contre son gré, de la mettre incontinent en pleine liberté ; & après qu’on aura pris les suretés convenables pour empêcher que le ravisseur ne soit puni de mort, ni d’aucune peine afflictive, il sera remis entre les mains de celui qui aura été lezé par le rapt, pour être son esclave. Mais si la personne ravie a été enlevée de son bon gré, elle ne sera remise au pouvoir de son pere, qu’après qu’il lui aura pardonné ; & le ravisseur, s’il n’est pas d’un état égal à celui de ce pere, sera tenu de lui donner une satisfaction. »

» L’Esclave[60], qui pour quelque sujer que ce soit, se sera retiré dans les aziles de l’Eglise, ne sera remis entre les mains de son maître, qu’après que ce maître aura juré de lui pardonner. Si dans la suite le maître châtie son esclave en haine du délit pardonné, que l’infracteur de son serment soit répuré excommunié, & qu’on l’évite comme tel. Que d’un autre côté il soit permis au maître, qui aura fait entre les mains des Ecclésiastiques, le serment de pardonner à son esclave, de tirer par force de l’Eglise cer esclave, s’il refusoit après cela de suivre volontairement son maître. » Nonobstant l’abus énorme qu’on faisoit tous les jours du droit de donner azile aux criminels contre la justice, ce droit n’a pas laissé d’être exercé jusques dans le seiziéme siecle. Les predecesseurs de François Premier avoient été obligé à se contenter de le restraindre autant qu’il avoit été possible, mais ce prince vint enfin à bout d’abolir dans son royaume le droit de pouvoir donner aucun azile contre les ministres de la justice, aux personnes qu’ils poursuivent.

Quelle considération la derniere loi que nous avons rapportée, ne devoit-elle pas, dans une societé politique où la servitude avoit lieu, donner à ceux qui étoient les dispensateurs de cette loi ? Il n’est donc pas étonnant que les ecclésiastiques eussent alors un si grand crédit. Les laïques étoient tous les jours obligés d’avoir recours à eux, même pour des interêts temporels : et d’un autre côté, les immunités et les privileges des ecclésiastiques se trouvoient être en si grand nombre, que le prince étoit réputé perdre en quelque façon celui de ses sujets qui se faisoit d’Eglise. Voilà pourquoi un laïque ne pouvoit, sans la permission expresse de son souverain, entrer dans l’état ecclésiastique. Le quatriéme canon de notre concile d’Orleans statue sur ce point-là, ce qu’on va lire.

» Quant à l’entrée dans la cléricature, nous ordonnons qu’aucun Citoyen laique ne pourra être admis à cet état, sans un ordre du Roi, ou sans le consentement du Juge du district dont sera l’Ordinant ; bien entendu néanmoins, que ceux dont les peres, les ayeuls, & les bilayeuls ont toujours » vêcu dans la cléricature, continueront d’être sous la puissan » ce des Evêques, à la jurisdiction desquels ils demeureront soumis. »

Suivant l’apparence, ce qui est dit dans ce canon : que personne ne puisse être admis à la cléricature, sans un ordre du roi, ou sans le consentement du juge, signifie que les Francs ne pourront point y être admis, sans un ordre exprès du roi, mais que les Romains y pourront être admis sur la simple permission du sénateur qui faisoit la fonction de premier magistrat dans leur cité. On voit bien que le motif qui avoit engagé les peres du concile d’Orleans à statuer concernant les Francs, ce qui étoit statué dès le tems des empereurs concernant les soldats, étoit l’interêt general de la patrie, et le respect dû au souverain. Cette loi ne regardoit-elle pas aussi les soldats Romains qui servoient sous Clovis ? Je le crois ; c’est tout ce que j’en puis dire. Ce qui est certain, c’est que dans le tems que Marculphe a compilé ses formules, c’est-à-dire, sous les derniers rois de la premiere race : l’usage general du royaume étoit encore, qu’aucun Franc ne pût s’engager dans la cléricature, sans une permission que le prince se réservoit à lui seul de pouvoir accorder. Quant à la derniere sanction de notre Canon, celle qui ordonne que les fils, les petits-fils, et les arriere-petits-fils de ceux qui avoient vêcu dans la cléricature, demeureront sous le pouvoir et sous la jurisdiction des évêques, elle s’explique suffisamment par l’usage pratiqué en France jusques à l’ordonnance renduë par le roi François Premier sur les representations du chancelier Guillaume Poyet, et qu’on appella dans le tems l’Ordonnance Guillemine. Personne n’ignore qu’avant cette ordonnance, non-seulement les juges d’Eglise connoissoient de plusieurs procès entre personnes laïques desquels ils ne connoissent plus aujourd’hui, mais que tous les clercs, dont la plûpart étoient mariés, et exerçoient plusieurs professions, même celle des armes, ne pouvoient être cités dans leurs causes personnelles que devant les tribunaux ecclésiastiques. Ces clercs solus, c’est ainsi qu’on les nommoit, pouvoient donc, sans perdre leur privilege de cléricature, se marier une fois, pourvû qu’ils épousassent une fille. Ils pouvoient encore s’habiller de toutes sortes de couleurs, pourvû qu’ils ne se bigarassent point, c’est-à-dire, pourvû qu’il n’entrât point d’étoffes de differentes couleurs dans une des pieces de leur vêtement. Un clerc solu, par exemple, pouvoit à son choix porter une robbe ou verte ou rouge, mais il ne pouvoit point, sans décheoir de son état, se vêtir d’une robbe faite en partie d’étoffe verte, et en partie d’étoffe rouge.

Je reviens au concile d’Orleans. Il paroît bien par le cinquiéme de ces Canons que Clovis n’avoit point été ingrat des services que les ecclésiastiques lui avoient rendus, et qu’il avoit employé d’autres moyens que la force et la violence pour faire reconnoître son autorité dans la partie des Gaules qui lui étoit soumise. Ce cinquiéme canon dit : » Quant aux redevances & aux fonds de terre, dont le Roi notre Souverain a fait don à des Eglises déja dotées, ou à celles, que par l’inspiration du Ciel, il a voulu doter, en daignant même octroyer que les biens qu’il donnoit fussent quittes de la taxe à laquelle ils sont cotisés dans le Canon ou Cadraste public, & que les Clercs attachés au service de ces Eglises, fussent exempts de toutes charges personnelles ; nous ordonnons qu’on prendra préférablement à toute autre dépense, sur ces biens-là, de quoi entretenir & réparer les Temples du Seigneur, & pourvoir à la subsistance des Ecclésiastiques qui les desservent, comme à la nourriture des pauvres. Si quelqu’Evêque néglige à faire son devoir sur ce point-là, ou s’il néglige d’obliger ses inferieurs à faire le leur, que ses Comprovinciaux lui en fassent confusion. L’Evêque qui ne se fera point corrigé sur leurs remontrances, sera regardé comme excommunié ; & les coupables d’un Ordre inferieur à l’Episcopat, feront destitués en la maniere la plus convenable. »

Le Canon suivant dit : » Si quelqu’un ose intenter un procès contre un Evêque ou contre une Église, il ne sera point pour cela séparé de la Communion des Fideles, pourvû qu’il s’abstienne durant le cours du procès, de dire des injures & de semer des calomnies. »

Le septiéme Canon montre bien quelle étoit pour lors l’autorité des Evêques sur tout le Clergé séculier & régulier. » Les Abbés, les Prêtres, & les Clercs, ni aucune autre personne de celles qui sont vouées au service des Eglises, ne pourront aller demander aucune sorte de bénéfices aux Souverains temporels, avant que d’avoir rendu compte à leur Evêque, du motif de leur voyage, & obtenu de lui des lettres de recommandation. Les contrevenans à ce Decret feront déchûs de leurs dignités, telles qu’elles puissent être, & ils resteront privés de la Communion jusqu’à ce qu’ils ayent fait pénitence, & donné à leurs Evêques une entiere satisfaction. »

Comme il y avoit des maîtres qui n’auroient pas voulu donner certain esclave pour le quadruple du prix que valoit au marché un esclave de même âge et de mêmes talens que le leur, soit parce que cet esclave leur avoit servi de secretaire dans des affaires délicates, soit par d’autres motifs, on jugera si le canon suivant devoit donner de la considération aux évêques lorsqu’il leur attribue en quelque façon, le pouvoir d’ordonner, et par conséquent d’affranchir, moyennant une somme modique, tous les esclaves qu’ils voudroient. » Si quelqu’Evêque confere la Prêtrise ou le Diaconat à un esclave qu’il connoît pour tel, & cela durant l’absence ou à l’insçû du Maître de l’esclave, que l’Evêque soit tenu de payer au Maître, une indemnité qui sera le double de la valeur de l’esclave ordonné, lequel demeurera en possession de son nouvel état. Si l’Evêque a ignoré la condition de l’esclave qu’il ordonnoit, qu’alors l’indemnité énoncée ci-dessus, soit payée au maître de l’esclave par ceux qui l’ont presenté aux Ordres, & par ceux qui ont déposé qu’il étoit de condition libre. » Nous pourrons voir un jour que sous la troisiéme race, les seigneurs temporels prétendoient heriter du serf qui avoit été ordonné sans leur participation, même lorsqu’il étoit parvenu à l’épiscopat, tant le droit des maîtres sur leurs esclaves, ausquels le concile d’Orleans donne une si forte atteinte, étoit alors generalement respecté.

Le neuviéme canon statue, que les prêtres convaincus de crimes capitaux, seront privés de leurs fonctions, ainsi que de la communion des fidéles ; et le neuviéme, que les clercs héretiques, qui après une conversion sincere, auront été reçus dans le giron de l’Eglise, seront habilités à faire les fonctions ecclésiastiques, en recevant d’un évêque catholique l’imposition des mains. Il statue encore, que les églises, où les Visigots ariens avoient exercé leur culte, seroient bénites de nouveau, avant qu’on y pût celebrer le service divin. Le onziéme défend aux fideles qui s’étoient mis en penitence, de quitter leur état ; et il déclare excommuniés ceux qui le quitteroient avant que d’avoir reçû l’absolution.

Il est défendu dans le treiziéme canon, aux femmes que les prêtres et les diacres avoient épousées avant que d’être engagés dans l’état ecclesiastique, et dont ensuite ils se seroient séparés pour prendre les ordres, de contracter du vivant de leur premier mari un second mariage. Le quatorziéme ordonne, que le revenu des fonds appartenans à une église, demeureront entierement à la disposition de l’évêque ; mais qu’il n’aura que la moitié des oblations, et que l’autre moitié sera partagée entre les ecclesiastiques du second ordre.

Comme je ne vois rien dans la plûpart des autres canons du concile d’Orleans qui répande aucune lumiere sur l’objet principal de mes recherches, je n’en donnerai point une notion particuliere, et je me contenterai de rapporter la substance de ceux de ces canons qui peuvent servir à l’éclaircir.

Le dix-huitiéme défend au frere d’épouser la veuve de son frere, et au mari d’épouser la sœur de la femme dont il est veuf. Le vingt-troisiéme canon dit : » Au cas que par un motif humain, quelqu’Evêque ait donné des familles serves, ou un nombre d’arpens, soit de vignes, soit de terres labourables à des Clercs ou bien à des Religieux pour en tirer le profit ; quelque reculée que soit l’année dans laquelle une pareille donation se trouvera avoir été faite, le laps de tems ne pourra porter aucun préjudice aux droits de l’Eglise à laquelle ces familles serves, & ces vignes, ces terres labourables appartenoient, & les détenteurs de ces biens ne seront pas reçûs à faire valoir contr’elle la prescription établie par le Droit Civil. » On sçait la force que le droit Romain donne à la prescription. Ainsi pour ne point penser que ce canon si hardi attentoit à l’autorité du prince, il faut se souvenir que les prelats qui composoient le concile d’Orleans, disent dans leur lettre à Clovis : que les decrets qu’ils lui communiquent ont besoin de son approbation et de son consentement. On observera encore qu’autant qu’il est possible de le sçavoir, Clovis est le premier des princes chrétiens, qui ait exempté les droits temporels appartenans aux églises de pouvoir être prescrits conformément aux loix civiles par le laps de trente années. Ce ne fut que pendant le regne des enfans de Clovis, que Justinien fit une loi pour ordonner dans les pays qui étoient encore soumis à l’autorité des empereurs ; qu’on ne pourroit plus opposer aux prétentions des églises en affaires temporelles, la prescription de trente années, et qu’on ne pourroit à l’avenir alleguer contre ces droits aucune prescription moindre que la centenaire. Procope qui nous informe de l’édit de Justinien, en fait même un sujet de reproche contre ce prince, qu’il accuse d’avoir agi par interêt dans cette occasion.

Quant au trentiéme canon de ce concile, qui défend plusieurs sortes de divinations, nous en avons déja parlé à l’occasion du présage que Clovis, lorsqu’il marchoit contre Alaric, voulut tirer de ce que verroient et entendroient ceux qu’il envoyoit porter ses offrandes au tombeau de saint Martin, dans le moment qu’ils entreroient dans l’église bâtie sur ce tombeau.

Un roi qui auroit porté une couronne héreditaire dans sa maison depuis plusieurs siécles, n’auroit pas laissé d’être obligé à de grandes déferences pour les prélats qui gouvernoient alors l’Eglise des Gaules, soit à cause du pouvoir que leur dignité leur donnoit, soit à cause du crédit que procuroit à la plûpart d’entr’eux leur mérite personnel. Comme nous l’avons déja remarqué, il n’y eut jamais en même tems parmi les évêques de ce pays-là, autant de saints et de grands personnages qu’il y en avoit durant le cinquiéme siecle et dans le commencement du sixiéme. Ainsi Clovis assis sur un trône nouvellement établi, ne pouvoit pas mieux faire que d’attacher les évêques à ses interêts, en leur donnant toutes les marques possibles d’estime et d’amitié. Voici en quels termes ce prince s’explique lui-même sur l’importance, dont il lui étoit de gagner l’affection des personnages, illustres par leur mérite et par leur sainteté. » Quand nous recherchons l’amitié des serviteurs de Dieu, dont les vertus font l’honneur de notre regne, & dont les prieres attirent sur nous la benediction du Ciel, soit en leur témoignant notre vénération, soit en relevant l’éclat de leurs dignités, nous sommes persuadés que nous travaillons à la fois à notre salut & à notre prospérité temporelle. » C’est de la chartre donnée par Clovis en faveur de l’abbé du Moustier-Saint-Jean, et dont nous avons déja rapporté plusieurs fragmens, que les paroles qu’on vient de lire sont tirées.

L’histoire de Clovis contient plusieurs marques de sa deference pour saint Remy, et l’on a tout lieu de penser, que notre prince s’étoit si bien trouvé d’avoir suivi les conseils qu’il avoit reçûs étant encore payen, de cet évêque, qu’il les suivit toute sa vie. Le lecteur n’aura point oublié que saint Remy avoit écrit dès-lors à Clovis, qu’il l’exhortoit à vivre en bonne intelligence avec les évêques dont les sieges étoient dans la province du roi des Saliens, afin de trouver plus de facilité dans l’exercice des fonctions de ses dignités. La vie de saint Vast évêque d’Arras, fait foi, que Clovis avoit beaucoup d’amitié pour lui. Nous voyons dans celle de saint Mesmin, l’affection qu’il avoit pour Euspicius premier abbé de Mici, et la vie de saint Melaine évêque de Rennes, nous apprend encore, que ce prélat fut un des conseillers les plus accredités de notre premier roi chrétien. Nous sçaurions bien d’autres faits concernant la vénération de Clovis pour les saints personnages de son tems, si nous sçavions un peu mieux l’histoire du cinquiéme et du sixiéme siécle.


LIVRE CINQUIÉME

LIVRE 5 CHAPITRE 1

CHAPITRE PREMIER.

Mort de Clovis, & lieu de sa sépulture. Réflexions sur la rapidité de ses progrès.


Voici tout ce que Gregoire de Tours écrit sur la mort de Clovis. » Peu de tems après que Clovis se fut défait des autres Rois des Francs, il mourut à Paris, & il y fut enterré dans la Basilique de Saint Pierre & de Saint Paul que la Reine Clotilde & lui ils avoient fait bâtir. Ce Prince mourut âgé de quarante-cinq ans, la cinquième année d’après la bataille de Vouglé, & son regne fut en tout de trente ans. Quant à la Reine Clotilde, après avoir perdu le Roi son mari, elle se retira en Touraine, où elle passa ses jours aux pieds du tombeau de Saint Martin, menant une vie exemplaire, & n’allant à Paris que très-rarement. » Comme la bataille de Vouglé fut donnée en cinq cens sept, ainsi que nous l’avons vû, il est facile de trouver que la mort de Clovis arriva en cinq cens onze. Cela doit suffire : et après ce que nous avons dit ailleurs concernant l’alteration des chiffres numeraux faite par les copistes qui ont transcrit l’histoire de Gregoire de Tours, il seroit inutile d’entrer dans une discussion ennuyeuse, pour concilier la date certaine de la mort de Clovis, avec ce qu’on lit aujourd’hui dans notre Historien, où l’on trouve que ce prince mourut cent douze ans après S. Martin, et la onziéme année de l’épiscopat de Licinius évêque de Tours.

On fait encore toutes les années l’anniversaire de Clovis le vingt-septiéme jour de novembre dans la basilique des Saints Apôtres connue aujourd’hui sous le nom de l’église de sainte Geneviéve du Mont ; mais je n’oserois assurer pour cela que ce jour-là soit précisément celui de la mort de ce prince. Voici pourquoi. Les oraisons qui se chantent à ce service, ne disent point que ce soit l’anniversaire du jour de la mort de Clovis qui se célébre, mais bien l’anniversaire du jour où le corps de ce roi, celui de la reine Blanche, et ceux d’autres serviteurs de Dieu, furent déposés dans le lieu de leur sépulture. Or suivant les apparences, cette cérémonie ne se sera faite qu’après que l’église dont Clovis avoit commencé la construction, eut été achevé de bâtir, et quand le mausolée où le fondateur et sa famille devoient reposer, eut été fini. Un édifice tel que celui-là n’est point l’ouvrage d’une seule année, quand même les conjonctures n’y apporteroient pas aucun retardement. D’ailleurs la vie de sainte Geneviéve dit positivement, que l’église de saint Pierre et de saint Paul, laquelle porte aujourd’hui le nom de cette sainte, fut bien commencée par Clovis, mais qu’elle ne fut achevée qu’après sa mort, et par les soins de sa veuve la reine Clotilde. Ainsi, supposé que Clovis, comme le dit l’auteur des Gestes, ait fait commencer la basilique des Saints Apôtres, lorsqu’il partit en cinq cens sept pour aller faire la guerre aux Ariens, il sera toujours vrai qu’elle n’étoit pas encore finie quand ce prince mourut en cinq cens onze. Son corps sera resté en dépôt dans quelque chapelle, jusqu’au tems où tout le bâtiment aura été achevé, et c’est la cérémonie de l’anniversaire du jour où ce corps et ceux des autres princes furent portés solemnellement dans le tombeau qu’on leur avoit fait, laquelle se célébre aujourd’hui. Quoiqu’il en soit, la sépulture donnée à Clovis dans l’église des Saints Apôtres, n’étoit pas un violement de la loi qui défendoit d’enterrer dans les villes, et dont nous avons fait mention à l’occasion du lieu où Childéric son pere avoit été inhumé. On sçait bien que l’église de sainte Geneviéve ne fut enclose dans l’enceinte de Paris que long-tems après le sixiéme siécle.

Quant à la reine Blanche dont il est fait mention dans les trois oraisons qui se chantent à l’anniversaire de Clovis, elle est suivant mon opinion, la même personne que la reine Albofléde sœur de ce prince, qui, comme nous l’avons vû, se fit chrétienne en même tems que lui, et mourut peu de jours après avoir reçû le batême. Elle s’appelloit Blanche en langue des Francs, et les Romains des Gaules en traduisant son nom en latin celtique l’auront appellée Albofléde du nom composé de deux mots dont l’un étoit latin, et l’autre germanique. M Blount dans son dictionnaire[61] des termes de loi en usage en Angleterre, et dont la plûpart sont tirés du langage des anciens Saxons qui parloient la langue Germanique, dit que Fleet signifioit un courant d’eau. Ainsi le nom donné à notre princesse, peut se traduire en françois par celui de Blanc ruisseau. Le sens de cette expression figurée étoit apparemment alors une espece de louange. Ce qui est de certain, c’est que notre reine Blanche concernant laquelle il n’y a aucune tradition dans l’abbaye de sainte Geneviéve, ne sçauroit être la reine Clotilde. Il est bien vrai que cette princesse a été inhumée à côté du roi son mari, mais comme depuis elle a été mise au nombre des saints, et que l’église célébre sa fête le troisiéme jour du mois de juin, elle ne sçauroit être la même personne pour qui l’église prie encore aujourd’hui le vingt-septiéme jour de novembre.

En quel lieu le corps d’Albofléde aura-t’il été déposé jusques au tems qu’il fut apporté à Paris, pour être inhumé dans le tombeau du chef de sa maison ? Dans quelqu’église voisine de Soissons ville où Clovis faisoit encore son séjour ordinaire quand cette princesse mourut. On aura transporté de-là son corps à Paris, lorsque le mausolée dont nous venons de parler eut été achevé, comme on y transporta depuis le corps de la princesse Clotilde fille de Clovis, et femme d’Amalaric roi des Visigots, laquelle mourut, comme nous le dirons plus bas, en revenant d’Espagne ; enfin le corps de sainte Clotilde morte à Tours.

Pour les autres personnes dont il est parlé dans les oraisons que nous avons rapportées, il est très-vraisemblable que ces princes sont les deux fils de Clodomire le fils aîné de Clovis et de la reine Clotilde, et que Childebert et Clotaire oncles de ces deux enfans infortunés, massacrerent à Paris vers l’année cinq cens vingt-cinq, comme nous le raconterons quand il en sera tems. Gregoire de Tours nous apprend que Clotilde fit enterrer à sainte Geneviéve ces deux princes ses petits-fils. Mais comme leur meurtre étoit une action des plus odieuses, on n’aura point voulu rappeller le souvenir de ce crime en les nommant expressément dans les trois oraisons qui doivent avoir été composées sous le regne de Childebert. On aura toujours continué depuis à les réciter, sans y faire d’autre changement, que d’en ôter le nom de Clotilde quand on eut commencé à célébrer sa fête.

Je reviens à Clovis, que la mauvaise destinée des Gaules leur enleva dans le tems qu’il alloit les rétablir dans le même état où elles étoient quand les Vandales y firent en l’année quatre cens sept la grande invasion dont nous avons tant parlé au commencement de cet ouvrage. L’âge de ce prince, qui n’avoit encore que quarante-cinq ans, laissoit esperer un long regne, et que ses fils qui étoient déja grands, ne lui succéderoient qu’après être parvenus en âge de gouverner ; mais sa mort prématurée fit évanouir toutes ces esperances. Il mourut quand il pouvoit encore vivre quarante ans, et avant que d’avoir fait toutes les dispositions nécessaires pour la conservation et pour la tranquilité de la monarchie qu’il avoit fondée.

Quoique ce prince ait mérité de tenir un rang parmi les plus grands hommes de l’Antiquité, cependant il est vrai de dire, qu’il dut moins ses prospérités à son courage, à sa fermeté, à son activité et à ses autres vertus morales, qu’à sa conversion au christianisme, et au choix qu’il fit de la communion catholique, lorsqu’il embrassa la religion de Jesus-Christ. Il est impossible que le lecteur n’ait pas fait déja plusieurs fois cette réflexion en lisant l’histoire de notre premier roi chrétien. C’est donc uniquement pour le mieux convaincre encore de la verité de ce qu’il doit avoir pensé de lui-même sur ce sujet-là, que je vais rapporter quelques passages d’auteurs qui ont vêcu sous le regne des fils et des petits-fils de Clovis, et qui ont écrit positivement que ce prince devoit à sa conversion ses plus grandes prospérités.

Gregoire de Tours commence ainsi le préambule du troisiéme livre de son histoire : » Qu’il me soit permis de rapporter les évenemens heureux arrivés en faveur des Chrétiens qui ont crû le Mystere de la Trinité, & les malheurs arrivés aux Hérétiques qui l’ont attaqué. Qui ne sçait qu’Arius, l’Auteur de leur Secte, mourut dans des latrines publiques, où les intestins lui sortirent du corps. Ce ne fut qu’après être revenu triomphant du lieu de son exil, qu’Hilaire, le grand deffenseur du Dogme Catholique sur la Trinité, passa de la patrie dans la patrie céleste. Ce fut par le moyen de la Religion que prêchoit ce grand Saint, que Clovis après en avoir fait profession, terrassa les Hérétiques, & qu’il obligea toutes les Gaules à reconnoître son pouvoir. Au contraire Alaric II. qui étoit Arien, perdit le Royaume dont il étoit en possession, & ce qui est encore plus funeste, le partage des Elus. Les Fidels ont toujours une consolation ; c’est que Dieu leur rend le centuple de ce que leurs ennemis peuvent leur ôter. Mais c’est sans en être récompensés en aucune maniere, que les Hérétiques perdent des États, dont la possession leur sembloit assurée. Nous en voyons un exemple dans Godégisile, Gondebaud, & Gondomar Rois des Bourguignons. Deux de ces Princes sont morts malheureusement, & dans la suite tous les Etats que leur Maison possedoit, ont été conquis par une autre Nation qui en jouit à present. » Quand Gregoire De Tours écrivoit, le royaume des Bourguignons avoit été déja conquis par les rois Francs.

Le second témoignage que nous rapporterons concernant les avantages que la conversion de Clovis lui procura dès ce monde, sera celui que Nicetius l’évêque de Tréves rend à la vérité dans sa lettre à Clodesuinde, fille de Clotaire Premier, l’un des fils de Clovis, et que notre prélat écrivit à cette princesse, pour l’engager à travailler sérieusement à la conversion d’Alboin roi des Lombards qu’elle avoit épousé. » Vous devez avoir appris, lui dit Nicetius, de la Reine Sainte Clotilde votre ayeule, comment s’étoit fait son mariage avec le Roi des Francs, & comment elle étoit venuë à bout de le convertir à la foi Catholique. Ce Prince qui avoit l’esprit pénétrant, ne voulut point faire une telle démarche, avant que d’avoir bien étudié notre Religion. Ainsi ce ne fut qu’après en avoir reconnu la vérité, qu’il s’humilia dans l’Eglise de Notre-Dame de Reims, & qu’il y reçut le Baptême. Vous devez avoir appris en même tems quels glorieux succès vinrent à la suite de cette humiliation, & quels avantages votre ayeul remporta sur le Roi Gondebaud & sur le Roi Alaric qui étoient Ariens. Enfin vous ne sçauriez ignorer que Clovis jouit, dès ce monde d’une grande prospérité, & qu’en mourant il laissa à ses fils un magnifique établissement. »

Avant que d’exposer quelle étoit sous le regne de Clovis la condition des Romains, et celle des autres peuples qui le reconnoissoient pour chef ; avant que d’expliquer, autant qu’il est possible de l’expliquer, quelle étoit alors la constitution de la monarchie Françoise ; je crois qu’il est à propos de dire comment elle acquit sous le regne des premiers successeurs de ce prince, toute la partie des Gaules qui à sa mort étoit encore possedée par les Bourguignons et par les Ostrogots, et la partie de la Germanie tenuë dans ce tems-là par les Turingiens. J’ai deux raisons pour en user ainsi. En premier lieu, il y a eu dans tous ces évenemens-là plusieurs incidens qui doivent servir de preuve à ce que j’ai à dire touchant la constitution de la monarchie des Francs. Or il vaut beaucoup mieux qu’on les lise d’abord dans l’endroit de l’histoire de France dont ils font partie, que de les lire rapportés en forme d’extraits qui laisseroient souvent souhaiter de voir ce qui les précéde et ce qui les suit. En second lieu, ce ne fut que sous le regne des fils de Clovis, et vers l’année cinq cens quarante, que la constitution de la monarchie Françoise reçut, s’il est permis de s’énoncer ainsi, la derniere main, par la pleine et entiere cession que l’empereur Justinien fit à nos princes de tous les droits et prétentions que les Romains pouvoient encore avoir sur les Gaules. Ainsi c’est relativement à cette année-là qu’il convient de faire l’exposition de la constitution de la monarchie, d’autant plus que cette constitution n’ayant presque point changé depuis cinq cens onze jusques à cinq cens quarante, on sçaura quelle elle étoit en cinq cens onze, lorsqu’on sçaura bien quelle elle étoit en cinq cens quarante.


LIVRE 5 CHAPITRE 2

CHAPITRE II.


Thierri, Clodomire, Childebert & Clotaire, tous quatre fils de Clovis, lui succedent. En quelle maniere ils partagerent les Etats dont il leur laissa la puissance. Quelques évenemens arrivés dans les Gaules les premieres années du regne de ces Princes.


CLovis étant mort, dit Gregoire de Tours, ses quatre fils, Thierri, Clodomire, Childebert & Clotaire lui succederent, & ils partagerent son Royaume entr’eux, par égales porcions. Thierri dès lors avoir un fils nommé Theodebert, très-aimable de la personne, & qui étoit déja en âge de servir l’Etat. »

On a vû ci-dessus que Thierri n’étoit pas fils de la reine Clotilde, mais d’une concubine, et qu’il étoit né avant le mariage de son pere. Pour les trois autres, ils étoient les fruits du mariage que Clovis avoit contracté avec cette princesse vers l’année quatre cens quatre-vingt-douze. Quant à l’âge de nos trois princes, tout ce qu’on en sçait, c’est que Clodomire l’aîné d’entr’eux, et qui étoit venu au monde, comme on l’a vû, avant la bataille de Tolbiac donnée en quatre cens quatre-vingt-seize, devoit avoir environ dix-sept ans en cinq cens onze, quand Clovis mourut.

Agathias le scholastique, auteur du sixiéme siécle, et qui a laissé une continuation de l’Histoire de la guerre Gothique de Procope, nous donne dans l’endroit de son ouvrage où il fait une disgression concernant les Francs, une juste idée du partage que les enfans de Clovis firent de son royaume, et il n’y a rien dans Gregoire de Tours qui la contredise. » Thierri, dit l’Ecrivain Grec, Clodomire, Childebert & Clotaire étoient freres. Après la mort de leur pere Clovis, ils partagerent ses Etats entr’eux. Ce partage, ajoute Agathias, se fit en attribuant à chacun de ces Princes un certain nombre de Cités, & un certain nombre de Sujets de chacune des Nations établies dans la partie des Gaules, qui reconnoissoit l’autorité de Clovis. A ce que j’ai oui dire, les partages furent si bien faits, que les lots se trouverent égaux : C’est-à-dire, que chacun des quatre freres eut dans son lot autant de territoire & autant de Francs, que ses compartageans. » En effet, comme les Francs étoient, pour ainsi dire, le bras droit de la monarchie, il seroit arrivé, si quelqu’un de nos quatre princes avoit eu dans son partage un plus grand nombre de Francs que ses freres, qu’il auroit été en état de leur faire la loi, et même de les dépouiller. Ce fut donc pour éviter cet inconvénient, sans donner atteinte néanmoins à l’égalité des parts et portions, qu’on aura commencé par mettre d’abord dans chaque partage une certaine quantité de celles des cités des Gaules où les Francs étoient habitués en plus grand nombre. Dans le premier lot on n’aura mis, par exemple, que quatre de ces cités-là, parce qu’il y avoit dix mille Francs de domiciliés dans leurs districts. Il aura fallu au contraire mettre huit de nos cités dans le second lot, parce qu’il n’y avoit dans toutes ces cités que le même nombre de Francs de domiciliés. On en aura usé de même en composant le troisiéme lot et le quatriéme. Qu’il y ait eu des cités où les Francs étoient domiciliés en plus grand nombre que dans d’autres, on n’en sçauroit douter. L’histoire de l’établissement des Francs dans les Gaules porte à croire que cela soit arrivé ainsi. D’ailleurs, comme nous le dirons un jour : pourquoi une partie des Gaules également soumises à nos rois, s’appelloit-elle à la fin de la premiere race Francia, ou le pays des Francs par excellence ? Si ce n’est parce que les Francs s’y étoient établis en plus grand nombre que dans toutes les autres contrées des Gaules.

Il n’y avoit pas d’autre moyen que celui-là pour répartir également les Francs entre les fils de Clovis, et pour donner à chacun d’eux le même nombre de combattans de cette nation-là. Les Francs ne composoient pas plusieurs corps de troupes reglées, dont les soldats et les officiers fussent toujours au drapeau. Ils ne s’assembloient que lorsqu’il étoit question de marcher en campagne, et le reste du tems ils demeuroient dans leurs domiciles ordinaires. Ainsi l’on ne pouvoit partager également cette espece de milice, qu’en partageant les pays où ceux qui la composoient se trouverent domiciliés, et cela en faisant cette division par rapport au nombre des Francs domiciliés en chaque pays. Qu’aura-t’il résulté de ce partage des cités où les Francs étoient habitués, lorsqu’il eut été fait uniquement avec égard au nombre des Francs qui se trouvoient dans chaque cité ? C’est que les quatre lots se seront trouvés fort inégaux par raport à l’étendue du territoire, et par raport au revenu. Il aura donc fallu pour compenser cette inégalité, attribuer, quand on en sera venu à la division des cités où géneralement parlant il n’y avoit point de Francs domiciliés, un plus grand nombre de ces dernieres cités au partage qui avoit eu moins de cités que les autres, lorsqu’on avoit divisé d’abord les cités par raport au peuple, par raport aux quartiers des Francs qui s’y pouvoient trouver.

Voilà probablement ce qu’a voulu dire Agathias, lorsqu’il a écrit qu’après la mort de Clovis ses enfans partagerent son royaume entr’eux par rapport aux nations et par rapport aux cités. Ce que nous trouvons concernant ce partage, soit dans Grégoire de Tours, soit dans les autres écrivains qui ont vêcu dans les Gaules, confirme encore l’idée que nous venons d’en donner. En effet on y voit que le partage dont il s’agit, fut fait d’une maniere très-singuliere, et qui marque sensiblement qu’en le reglant, on avoit eu en vûe quelque dessein particulier. Entrons en preuve.

Dès qu’il s’agissoit de partager en quatre lots égaux le royaume de Clovis, le bon sens et la raison d’état vouloient qu’on composât chaque lot des cités contigues, afin de faire de chaque lot un corps d’Etat arrondi et dont tous les membres fussent unis et tinssent ensemble. Cependant voilà ce qui ne se fit point. Au contraire, et c’est ce qui paroît extrêmement bizarre, quand on ne fait point de reflexion au motif qui, suivant mon opinion, détermina les compartageans à prendre le parti qu’ils prirent, la division du royaume de Clovis se fit en attribuant à chacun de ses quatre fils un certain nombre de cités separées l’une de l’autre, et, pour ainsi dire, éparpillées dans toutes les provinces des Gaules. On verra par plusieurs passages de Gregoire de Tours et d’autres anciens écrivains, qui seront raportés dans la suite ; que Thierri qui avoit dans son lot des villes situées sur le Rhin, et tout ce que les Francs tenoient au de-là de ce fleuve, jouissoit en même tems de plusieurs cités dans les deux Aquitaines. Il jouissoit, par exemple, de l’Auvergne, où nous avons déja vû qu’il fit élire évêque Quintianus. Nous sçavons un peu plus de détails concernant le partage de Childebert, et ces détails prouvent encore mieux que les cités de son partage étoient éparses et comme emboitées entre les cités des autres partages. Pour mettre au fait de ces détails, il faut ici dire d’avance, que Clotaire fils de Clovis avoit réuni sur sa tête lorsqu’il mourut en cinq cens soixante et un tous les partages de ses freres, parce qu’il avoit survêcu à ces princes et à leur postérité masculine.

Or voici, suivant Gregoire de Tours, ce qui arriva quand Clotaire fut decedé, et qu’il fallut diviser son royaume entre Charibert, Gontran, Chilpéric et Sigebert ses quatre garçons et ses successeurs : » Clotaire avoit laissé un riche trésor dans son Palais de Braine. Dès qu’il fut inhumé, Chilperic l’un de ses fils s’en saisit. Il l’employa pour mettre dans ses interêts ceux d’entre les Francs qui avoient le plus de crédit, après quoi il entra dans Paris, & s’assit sur le Trône du Roi Childebert premier, frere du Roi Clotaire. Chilperic ne fut pas long-tems en possession de cette Ville, car ses trois freres s’étant ligués contre lui, ils l’obligerent d’en sortir. Enfin les quatre freres Charibert, Gontran, Chilperic & Sigebert convinrent de faire entr’eux un partage légal de toute la Monarchie Françoise que leur pere Clotaire possédoit en entier à sa mort. En consequence le sort donna à Charibert le Partage qu’avoit eu Childebert premier, & dont le Siege étoit à Paris. Le lot de Gontran, ce fut le Partage dont Orleans écoit la Capitale particuliere, & qui avoit appartenu à Clodomire. Chilperic eut pour le sien, les Etats que son pere Clotaire avoit eus à la mort de Clovis, & dont la Capitale étoit Soissons. Le Partage qu’avoit eu Thierri à cette mort, & dont Mers étoit la Capitale, échut à Sigebert le dernier des fils du Roi Clotaire. » Quand Gregoire De Tours dit ici que Childebert eut le partage dont le trône étoit à Paris, il n’entend point dire que la ville de Paris apartînt à Childebert, quoiqu’il y fît sa résidence, mais seulement que le domaine du plat-pays de la cité de Paris étoit dans le lot de ce prince ; ce qui emportoit en quelque façon, le droit d’y faire son séjour. On a vû déja que la souveraineté de la ville de Paris ne fut point mise dans aucun lot, et qu’il fut convenu que les compartageans, la posséderoient par indivis.

Le passage qui vient d’être rapporté nous apprend donc que le partage qui échût en cinq cens soixante et un à Charibert, étoit le même que le partage échû à Childebert à la mort de Clovis en cinq cens onze. Or cette connoissance nous conduit jusques à sçavoir à peu près en quoi consistoit le partage de Childebert fils de Clovis. En voici la raison : Charibert étant mort sans garçon en cinq cens soixante et sept, il y eut dispute concernant la répartition de son partage entre ses trois freres. Sigebert et Gontran eurent à ce sujet des contestations qui ne finirent qu’après la mort de Sigebert. Après cette mort, le jeune Childebert son fils et son successeur, assisté de la reine Brunehaut sa mere, transigea sur toutes ces contestations avec Gontran dans le traité fait à Andlau, et dont nous avons déja parlé. Il y est dit : » Le Roi Gontran gardera toute la part & portion de la succession de Charibert, laquelle, lui Gontran a possedée du vivant du Roi Sigebert ; & en outre, il aura encore le tiers de la Ville de Paris, lequel apartenoit à Charibert, & qui depuis, en vertu d’un Pacte de famille, avoit appartenu à Sigebert. Gontran aura encore de plus les lieux de Châteaudun, de Vendôme, & tout ce que le susdit Charibert possédoit dans le canton d’Estampes & dans la Cité de Chartres. De son côté le Roi Childebert le jeune aura la Cité de Meaux, la moitié dans celle de Senlis, la Touraine, le Poitou, Avranches, Aire, Conserans, Bayonne & l’Albigeois[62]. »

Grégoire de Tours nous apprend encore dans un autre endroit, que Bourges étoit dans ce même lot. On voit par-là combien les cités du partage de Childebert Premier qui étoit de même nature que celui de Thierri, de Clodomire et de Clotaire ses freres, étoient entrecoupées par celles des autres partages.

Je ferai donc observer, pour tenir la promesse que j’ai faite dans le dix-huitiéme chapitre du quatriéme livre, que Charibert qui, comme on vient de le voir une page plus haut, avoit eu le partage de Childebert le fils de Clovis, ce partage dont Paris étoit la capitale particuliere, n’avoit cependant lors qu’il mourut, qu’un tiers dans la souveraineté de la ville de Paris, et que cela suffit pour montrer qu’à la mort de Clovis, et quand le royaume qu’il laissoit fut partagé entre Childebert et ses freres, on n’avoit pas mis la ville de Paris dans aucun lot, mais qu’il avoit été convenu entre ces princes, que les compartageans la possederoient par ndivis.

On m’objectera peut-être, que suivant mon systême, Childebert ne devoit avoir qu’un quart, et non pas un tiers dans la souveraineté de la ville de Paris, puisque le royaume de Clovis fut partagé entre les quatre fils qu’il laissoit. La réponse est facile. Childebert, il est vrai, n’aura eu qu’un quart dans cette souveraineté à la mort de son pere, mais après la mort de Clodomire, Childebert son frere aura partagé avec ses freres survivans le quart de Clodomire. Ainsi Childebert se trouva quand il mourut, avoir non plus un quart, mais un tiers dans la souveraineté de Paris.

Dans la suite, et lorsque l’expérience eut enseigné de quelle consequence il étoit pour tous les rois Francs, qu’aucun d’eux ne s’appropriât la ville de Paris, les rois petit-fils de Clovis, en vinrent jusques à stipuler dans quelque nouveau pacte de famille ; que celui d’entr’eux qui mettroit le pied dans Paris sans le consentement des autres, perdroit la part et portion qu’il y auroit, et chacun d’eux fit, en promettant d’observer cet engagement des imprécations contre lui-même, si jamais il étoit assez témeraire pour l’enfreindre. Aussi Chilperic petit-fils de Clovis, et l’une des parties contractantes voulant entrer dans la ville de Paris, sans en avoir encore obtenu la permission des autres, et sans encourir néanmoins les peines portées dans le pacte de famille, imagina-t-il un expédient bien conforme au génie du sixiéme siécle. Il entra dans Paris la veille de Pâques, à la suite d’une procession où l’on portoit plusieurs reliques.

Qu’une ville fut partagée entre plusieurs rois, on n’en sçauroit douter après ce qu’on vient de lire. Néanmoins je rapporterai encore ici un passage de Gregoire de Tours qui fait mention d’une de ces divisions. » Après que Childebert le jeune eut fait la paix avec son oncle Chilperic, il envoya des Ambassadeurs à Gontran qui étoit aussi son oncle, & ces Ambassadeurs avoient charge de lui dire : Notre Roi vous prie de lui délaisser la moitié dans la Ville de Marseille, laquelle moitié vous lui aviez remise à la mort de Sigebert son pere, & dont neanmoins vous vous êtes remis depuis en possession. Si vous refusez de lui restituer cette partie de son bien, il usera de represailles, & il vous enlevera plus que vous ne lui retiendrez. Gontran qui ne vouloit pas rendre ce qu’on lui redemandoit, coupa toute communication entre les autres Etats de Childebert & Marseille, en ordonnant dans les pays de son obéissance qu’on n’y laissac point passer aucune personne suspecte. » Ce démêlé aura été un de ceux qui furent assoupis par le traité d’Andlau.

Les inconvéniens d’un partage tel que celui dont nous avons rapporté le plan, sont trop sensibles pour croire que les quatre enfans de Clovis ne les eussent pas prévûs, dans le tems même qu’ils en convinrent : pouvoient-ils, par exemple, ne pas voir qu’après un pareil partage, chacun d’eux ne pouvoit communiquer avec plusieurs des cités qui seroient dans son lot, qu’en prenant passage sur le territoire d’autrui, où elles étoient comme enclavées, et que Thierri, par exemple, ne pouvoit dans un tems où le royaume des Bourguignons subsistoit encore, aller de Rheims, ou de Mets qu’il destinoit pour être le lieu de son séjour ordinaire, dans l’Auvergne, qu’en traversant une partie des Etats de Clodomire, et une partie des Etats de Clotaire. Mais nos princes s’étoient soumis à cet inconvenient pour en éviter un plus grand : celui qu’un ou deux des quatre freres devinssent les maîtres de faire la loi aux autres ; et c’est ce qui seroit arrivé, si deux d’entr’eux avoient eu dans leurs partages toutes les cités qui sont entre le Rhin et la Loire, parce que c’étoit-là que la plûpart des Francs absolument dits, et la plûpart des Francs Ripuaires s’étoient habitués.

Cet inconvénient paroissoit si fort à craindre à nos princes, que Childebert, Clotaire Premier son frere, et Theodebert le fils de Thierri, suivirent le plan de partage fait à la mort de Clovis, lorsqu’ils diviserent entr’eux vers cinq cens trente-quatre le pays tenu par les Bourguignons, qu’ils venoient de subjuguer. Chacun de ces trois princes y eut sa portion qu’il garda sans l’échanger contre aucun des Etats que ses compartageans possedoient déja, quoique cela dût être convenable. Mais comme ils avoient pour principe dans leur premier partage d’attribuer à chacun une portion de la milice des Francs égale à la portion des autres, ils eurent aussi pour principe, en partageant le païs des Bourguignons après l’avoir conquis, de diviser également entr’eux la milice des Bourguignons qui, de même que les Francs n’étoient pas domiciliés en nombre égal dans des cités qu’ils n’avoient occupées qu’en des tems differens.

Nos trois princes, Childebert, Clotaire Premier, et Theodebert en userent encore de la même maniere, lorsqu’il fut question de partager entr’eux la portion des Gaules que les Ostrogots leur cederent vers cinq cens trente-six. On vient de voir plusieurs faits qui le prouvent, et entr’autres, que Childebert le jeune avoit dans son partage une portion de la ville de Marseille, l’une des villes délaissées aux Francs par les Ostrogots, tandis qu’une autre portion de cette ville étoit dans le partage du roi Gontran. C’est ce que nous exposerons plus au long quand il en sera tems.

Le partage de la monarchie françoise fait à la mort de Clotaire Premier, aura été, à ce que je crois, le dernier partage de ceux qui furent faits par des enfans du roi défunt, où l’on ait suivi le plan que nous avons expliqué. Dans les partages de cette nature qui se firent ensuite, la monarchie fut divisée en corps d’Etats moins réguliers, c’est-à-dire, composés de cités contigues.

Je reviens au partage fait entre les enfans de Clovis. Bien que les quatre royaumes fussent plûtôt les membres d’une même monarchie, que quatre monarchies differentes et étrangeres, l’une à l’égard de l’autre, il n’y avoit néanmoins, et nous l’avons vû déja en parlant de l’indépendance où les rois des Francs contemporains de Clovis, étoient de lui, aucune subordination entre les quatre fils de ce prince. Chacun d’eux regnoit à son gré sur les cités comprises dans son partage. Chacun d’eux gouvernoit son royaume en souverain indépendant. Quoique Childebert eût dans son lot apparemment le plat-pays de la cité de Paris, et qu’il tînt sa cour dans la capitale de la monarchie, on ne voit pas qu’il eût aucune autorité sur ses freres, ni aucune inspection sur leur administration. En effet, comme il n’étoit, suivant l’ordre de la naissance, que le troisiéme d’entr’eux, on n’auroit pas mis le plat-pays de Paris dans son lot, si la possession du domaine de Paris qui emportoit le droit d’y faire son séjour, eut attribué à celui qui en avoit la jouissance, quelque droit de superiorité sur ses freres. Il est à croire néanmoins, comme nous l’avons insinué déja, que la jouissance des domaines de la cité de Paris aura fait penser à Childebert qu’il étoit en droit de s’arroger quelque direction ou inspection particuliere sur les conseils et sur les assemblées qui se tenoient à Paris, pour y traiter des affaires et des interêts géneraux de la monarchie. Il est même probable que cette prétention aura été cause de la précaution que les rois fils de Clotaire Premier, et neveu de Childebert, prirent dans la suite, en interdisant à tous les rois de faire leur séjour dans la ville de Paris, et même d’y entrer sans le consentement exprès de leurs compartageans.

Quoique les cohéritiers survivans, ou leurs fils eussent droit d’hériter du partage qui devenoit vacant par faute de postérité masculine dans la ligne directe du dernier possesseur, ils n’avoient pas plus de droit d’entrer en connoissance de la gestion du possesseur actuel, qu’en a un neveu d’entrer en connoissance de la maniere dont un oncle, duquel il est l’héritier présomptif, administre ses biens libres.

L’âge même ne donnoit aucun genre de supériorité à un roi sur un autre roi. Il ne paroît pas non plus que le frere qui survivoit à son frere, fut, suivant le droit public de la monarchie, réputé devoir être le tuteur des enfans mineurs que le frere mort avoit laissés. S’il se trouve qu’après la mort de Chilpéric et de Sigebert fils de Clotaire Premier, les serviteurs de Gontran leur frere soutenoient que la tutelle des enfans que nos deux rois avoient laissés, devoit appartenir à Gontran, et qu’il devoit gouverner toute la monarchie, ainsi que Clotaire Premier la gouvernoit en cinq cens soixante et un, qu’il mourut ; ces serviteurs ne s’appuyoient point sur la raison que Charibert étant mort dès cinq cens soixante et sept, les neveux de Gontran n’avoient plus d’autre oncle paternel que Gontran, qui devoit être ainsi tuteur naturel de ses neveux. Les partisans de Gontran alléguoient une autre raison : c’est que Gontran ayant adopté ses neveux les fils de Chilpéric et les fils de Sigebert, il devoit avoir en qualité de leur pere, l’administration de leur bien pendant leur minorité.

Enfin nous avons montré dans l’endroit de cet ouvrage où il s’agissoit d’établir que les rois Francs contemporains de Clovis étoient indépendans de lui, que les sujets d’un des partages de ses enfans, n’étoient réputés regnicoles dans un autre de ces partages, qu’en vertu des conventions expresses et positives faites à ce sujet, et inserées dans les traités conclus entre les princes à qui ces partages appartenoient.

Dès qu’ils n’étoient, dira-t’on, que les membres de la même monarchie, et que le partage où il avenoit faute du Partagé et de sa posterité masculine, étoit de droit réversible aux autres, pourquoi le droit public de la monarchie, qui devoit avoir le salut du peuple pour premier fondement de toutes ses loix, ne statuoit-il pas le contraire, et ne rendoit-il pas tous les sujets de la monarchie regnicoles dans tous et chacun des partages ? Pourquoi laisser un point d’une si grande importance pour l’union et la conservation de la monarchie, à la discretion des rois ? Je tombe d’accord que cela aura dû être ainsi ; mais il ne s’agit point de ce qui auroit dû être : il s’agit de ce qui étoit. La jurisprudence qui regle les droits des souverains et les droits des sujets pour le plus grand avantage d’une monarchie en géneral, n’étoit alors gueres connue des Francs. D’ailleurs, et c’est ce que nous exposerons encore plus au long dans la suite, la premiere constitution de la monarchie Françoise n’a point reçû sa forme en vertu d’aucun plan conçu dans de bonnes têtes, et arrêté après de profondes reflexions. Ce furent les convenances et le hazard qui déciderent de la premiere conformation de cette monarchie. Nous trouverons encore dans sa premiere constitution bien d’autres vices que celui dont nous venons de parler.

Il se presente ici naturellement une question. On a vû que lorsque Clovis mourut, Clodomire, l’aîné des trois fils qu’il avoit de la reine Clotilde, et qui étoient actuellement vivans, ne pouvoit avoir gueres plus de dix-sept ans. Par consequent Childebert n’avoit au plus que seize ans, et Clotaire n’en avoit que quinze. Qui aura gouverné les Etats de ces trois princes jusqu’à leur majorité ? Avant l’édit de Charles V qui déclare nos rois majeurs dès qu’ils ont atteint la quatorziéme année de leur âge, ces princes, ainsi que leurs grands feudataires, n’étoient majeurs qu’à vingt et un an, et l’on peut croire que ce premier usage, dont on ne connoît point l’origine, est aussi ancien que la monarchie.

Les monumens de notre Histoire ne contiennent rien qui fournisse de quoi répondre à la question. Autant qu’on peut conjecturer, la reine Clotilde, qui avoit et tant de sagesse et tant de credit, aura gouverné les Etats de ses fils jusqu’à leur majorité. Ce qui peut fortifier cette conjecture, c’est, comme nous le verrons, qu’après la mort de son fils Clodomire, elle éleva auprès d’elle les princes ses petits-fils, que leur pere avoit laissés encore enfans, et que durant ce tems-là elle avoit l’administration du royaume sur lequel ils devoient regner. Elle a bien pû faire pour ses fils la même chose qu’elle fit dans la suite pour ses petits-fils. Il est vrai que Gregoire de Tours dit que cette princesse se retira au tombeau de saint Martin après la mort de Clovis, et qu’elle alloit rarement à Paris ; mais on peut interpréter ce récit, et entendre qu’elle s’y retira seulement après qu’elle eut remis ses fils, devenus majeurs, le gouvernement des Etats qui leur appartenoient, et que depuis elle ne quitta jamais sa retraite que malgré elle. En effet, on voit par plusieurs endroits de l’histoire de Gregoire de Tours, dont nous rapporterons quelques-uns, que cette princesse, toute détachée du monde qu’elle étoit, ne laissa point d’avoir la principale part dans la guerre que ses fils entreprirent contre les Bourguignons, et dans d’autres évenemens considerables. On voit encore dans l’Histoire de Gregoire de Tours, que lorsque les enfans de Clodomire furent massacrés, cette princesse se trouvoit actuellement à Paris.

La sagesse et la capacité de la reine Clotilde auront donc maintenu la tranquillité dans les Etats de Clovis après sa mort. Si quelques parens des rois Francs dont ce prince avoit occupé le trône, ou si quelques Romains mécontens, y exciterent des troubles, on peut croire que du moins, ces troubles n’eurent pas de grandes suites, puisque l’histoire n’en fait aucune mention. Quant aux puissances voisines de la monarchie de Clovis, il paroît que les Bourguignons et les Turingiens n’entreprirent rien à l’occasion de la mort de ce prince ; car, ainsi que nous le verrons, c’étoit avant cette mort que les derniers s’étoient emparés d’une partie de l’ancienne France.

Il n’en fut pas ainsi des Gots, qui se mirent certainement en devoir de tirer avantage de la mort de Clovis, et qui recouvrerent réellement quelque portion du pays que ce prince avoit conquis sur eux après la bataille de Vouglé. Suivant les apparences, ç’aura été dans ce tems-là que les Visigots seront rentrés dans Rodez, et qu’ils auront, comme on l’a dit, obligé Quintinianus à s’exiler de son diocèse pour la seconde fois. Mais il seroit trop difficile, et même ayant l’objet que nous avons, il seroit inutile d’entrer dans la discussion de ce que les Visigots recouvrerent alors et de ce que les Francs reconquirent sur eux en cinq cens trente et un, en cinq cens trente-trois, et dans des tems postérieurs à ces années-là. Ainsi, sans entrer dans le détail de ces vicissitudes, je me contenterai de donner à connoître quelles étoient enfin dans le septiéme siécle, les bornes de la monarchie Françoise du côté du territoire des Visigots, en donnant l’état de toutes les cités des Gaules, qui pour lors étoient encore en leur pouvoir, et qu’ils garderent jusqu’à ce que les Sarrasins les conquirent. Comme tout ce que les Visigots ne tenoient point dans la partie des Gaules comprise entre la Loire, l’océan, les Pyrenées, la Mediterranée et le Rhône, étoit tenu par les Francs ; dire ce que les Visigots y occupoient, c’est dire suffisamment ce que les Francs y possedoient.

Voici donc ce qu’on trouve concernant le sujet dont il s’agit dans un manuscrit autentique, et qui contient l’état present de la monarchie des Visigots, dressé par ordre de leur roi Vamba, qui parvint à la couronne l’année six cens soixante et six de l’ère chrétienne.

» Vamba après avoir défait plusieurs armées des Francs, contraignit la Province des Gaules qui lui appartenoit, & qui s’appelle l’Espagne Citérieure, à porter avec patience le joug qu’elle avoit tâché de secouer. Dès qu’il fut revenu triomphant à Toléde, il se mit en devoir d’accommoder les differends des Evêques, qui s’accusoient réciproquement d’avoir usurpé des Paroisses appartenantes à d’autres Diocèses que le leur. Pour connoître donc exactement quelles devoient être les bornes du district de chaque Siége, Vamba fe fit lire les Annales des Rois ses prédecesseurs, & il s’instruisit par-là de ce qui appartenoit d’ancienneté à chacune de ces Eglises. » Le manuscrit rapporte après cet exposé, l’état particulier de chaque diocèse ; mais nous nous contenterons de marquer ici que les cités des Gaules dont il y est fait mention, comme appartenantes actuellement aux Visigots, sont Narbonne, Beziers, Agde, Montpellier, Nîmes, Lodéve, Carcassonne et Perpignan. Nous supprimerons encore comme inutile ce que notre manuscrit, dont Monsieur Duchesne a donné un fragment, dit, concernant les bornes particulieres de ces huit diocèses. Nous avons déja vû que les Visigots les conserverent jusqu’à l’invasion de l’Espagne par les Maures, et tout le monde sçait que ce fut sur ces derniers que les princes de la seconde race de nos rois, les conquirent.

Peut-être que ce fut aussi dans l’esperance de profiter de la confusion dont la mort de Clovis sembloit menacer les Gaules, que le roi des Danois y vint faire une descente. Gregoire de Tours qui finit le second livre de son histoire à la mort de Clovis, écrit dans le troisiéme chapitre de son troisiéme livre. » Cochiliac s’étant embarqué avec les Danois ses sujets, aborda fur les côtes des Gaules. Il y mit pied à terre, & il fac » cagea ensuite un canton du Royaume de Thierri. Déja ces » Barbares après avoir embarqué les Esclaves qu’ils avoient faits & le reste du butin, étoient prêts à mettre à la voile pour regagner leur Patrie. Il n’y avoit plus du moins à terre que leur arriere-garde, commandée par le Roi, qui vouloit aller à bord le dernier. Mais Thierri, dès qu’il eut été informé de cette descente, avoit envoyé une armée de cerre & une flote nombreuse pour attaquer nos Pirates, & il avoit donné le commandement de toutes ces forces à son fils Theodebert. Ce jeune Prince arriva précisément dans le tems qu’une partie on des Danois étoit encore à terre & que l’autre étoit déja rembarquée. Il défit d’abord les Danois qui étoient à terre & leur Roi Cochiliac fut tué dans l’action. Theodebert fut aussi heureux sur mer qu’il l’avoit été sur terre ; sa flote prit les vaisseaux des Danois, & il fit ensuite rendre le butin dont ils étoient chargés à ceux des Sujets de son pere sur lesquels il avoit été fait. »

Il est vrai que Theodebert ne pouvoit avoir gueres plus de douze ou treize ans à la mort du roi son ayeul. Dès que Clovis, comme on l’a vû, n’étoit né qu’en quatre cens soixante et six, le fils de Thierri son fils aîné, n’en pouvoit point avoir beaucoup davantage en l’année cinq cens douze. Mais on sçait bien que les rois envoyent souvent à la guerre leurs enfans, quoiqu’ils ne soient point capables d’y commander. Alors on nomme pour être leurs lieutenans, des officiers experimentés, et qui donnent tous les ordres sous le nom de ces princes. Ainsi Théodebert aura bien pû, quoiqu’il n’eût encore que douze ans, être le chef des armées de son pere ; c’est-à-dire, prêter son nom et ses auspices à ceux qui les commandoient véritablement, et qui ne se disoient que ses lieutenans.

LIVRE 5 CHAPITRE 3

CHAPITRE III.

Conquête du Royaume des Turingiens par les Rois des Francs.


Ma premiere intention étoit d’observer toujours l’ordre des tems, comme je l’ai suivi jusqu’ici, et de rapporter tous les évenemens dont je dois parler en écrivant l’histoire des acquisitions faites par les successeurs de Clovis jusqu’en cinq cens quarante, sur l’année où les évenemens sont arrivés. J’ai déja dit que ces acquisitions consistoient dans la conquête du royaume des Turingiens, dans celle du royaume des Bourguignons, et dans l’occupation de toutes les contrées que les Ostrogots tenoient dans la Germanie et dans les Gaules, faite en vertu de la cession de ces barbares, confirmée par Justinien. Mais deux réflexions m’ont fait changer d’avis, et m’ont déterminé à faire de chacune de ces trois acquisitions une histoire particuliere, et qui ne fût point interrompue par le recit d’aucun évenement qui appartienne à l’histoire d’une des deux autres conquêtes.

La premiere a été, que le lecteur se feroit une idée plus claire et plus distincte de ces acquisitions, lorsqu’il en liroit une histoire suivie et écrite sans aucune interruption. La seconde, c’est que la date de la plûpart des évenemens qui entrent dans l’histoire de ces acquisitions, est incertaine, et qu’il auroit fallu, si j’avois voulu suivre l’ordre des tems, entrer, pour tâcher à fixer cette date, dans plusieurs discussions ennuyeuses et assez inutiles par rapport à mon objet principal. Il est de rechercher comment les Francs se sont introduits dans les Gaules, et comment ils y ont gouverné les provinces où ils se sont rendus les maîtres ; mais non de discuter, comme le feroit un auteur qui auroit la chronologie pour son objet principal, en quelle année précisément ils ont occupé une telle ou une telle cité. J’ai donc toujours crû que mon projet me dispensoit de cette discussion, à moins que la date d’un évenement ne dût donner des lumieres sur quelqu’une de ses circonstances, qui dans les vûes que nous avons, deviendroit par sa date même, digne d’une attention particuliere. Ainsi je vais faire une histoire suivie de chacune des trois acquisitions dont il s’agit, et je ne l’interromprai point en la coupant par le récit des évenemens qui lui sont étrangers, et qui peuvent être arrivés entre le tems où elle a été entreprise, et le tems où elle a été consommée. Commençons par l’histoire de la conquête du royaume des Turingiens.

Nous avons vû[63] que les Turingiens de la Germanie, étoient une nation qui avoit eu anciennement sa demeure au de-là de l’Elbe. Dans le cinquiéme siecle, et lorsque les peuples qui habitoient sur la frontiere de l’empire Romain, eurent franchi ses barrieres et deserté leurs propres pays pour occuper son territoire, les nations dont la partie étoit au de-là du pays habité precédemment par les peuples conquérans, s’avancerent dans ce pays abandonné, ou reduit du moins à un petit nombre d’habitans. Elles s’en mirent en possession. Si ce pays abandonné étoit moins cultivé, s’il étoit moins riche en bâtimens, et moins abondant en toute sorte de commodités, que le territoire de l’empire, du moins étoit-il un peu mieux en valeur, et plus rempli de logemens commodes, que les anciennes patries des nations qui s’y transplantoient, parce que ses habitans avoient été long-tems en commerce avec les Romains établis dans le voisinage. Ce fut donc sans doute à la faveur de la transmigration arrivée quand la plûpart des Francs quitterent la Germanie pour venir s’établir dans les Gaules, que nos Turingiens passerent l’Elbe, et qu’ils vinrent de leur côté s’établir sur la gauche de ce fleuve. Suivant les apparences, ce fut aussi pour lors qu’ils s’associerent avec les Varnes et avec les Herules. Nous avons vû que dès les premieres années du sixiéme siecle, ces trois nations étoient déja unies, et qu’elles ne faisoient qu’une même societé.

Le peuple composé de ces trois nations s’empara donc d’une partie de l’ancienne France, que ses habitans réduits à un petit nombre d’hommes par le départ de leurs compatriotes qui étoient allés s’établir dans les Gaules, n’étoient plus en état de bien défendre. ç’aura été dans cette occasion que le peuple mêlé, dont nous parlons, aura commis contre les Francs tous les excès de cruauté et de barbarie que lui reproche le roi Thierri dans un discours que nous rapporterons en sa place. Les Turingiens occuperent encore plusieurs pays de la Germanie intérieure, qui d’un côté étoient contigus à l’ancienne France, et de l’autre s’étendoient au de-là de l’Unstrut. Quelles que fussent les bornes de leur monarchie, elle s’étoit accrue aussi promtement dans la Germanie, que la monarchie Françoise s’étoit accrue dans les Gaules ; enfin elle étoit devenue si considerable, que Theodoric, qui en Occident tenoit alors le premier rang dans la societé des nations, avoit donné une de ses nieces à Hermanfroy l’un des rois des Turingiens, et frere des deux autres, qui se nommoient l’un Badéric, et l’autre Berthier. La lettre de Theodoric à ces rois, que nous avons rapportée, et la connoissance que nous avons des interêts des princes qui regnoient au commencement du sixiéme siecle, suffisent pour persuader que les Turingiens devoient avoir beaucoup de jalousie de la puissance des Francs, et que les Francs de leur côté devoient regarder les Turingiens comme le premier obstacle qu’ils trouveroient dès qu’ils feroient une démarche pour s’aggrandir davantage. Il n’est donc pas étonnant que les fils de Clovis ayent fait leur premiere expedition contre une puissance qui ne pouvoit pas manquer d’être bientôt un ennemi déclaré. Voici, suivant Gregoire de Tours, ce qui arriva vers l’année cinq cens seize entre les Turingiens et Thierri, qui avoit dans son partage les Etats de Sigebert roi de Cologne, dont une partie étoit au-delà du Rhin.

» Le Royaume des Turingiens avoir d’abord été partagé entre trois freres, Badéric, Hermanfroy & Berthier. Mais quelque tems après Hermanfroy se défit de Berthier, qui laissa des fils & une fille nommée Radegonde. Nous raconterons dans la suite les avantures de ces Orphelins. Amalberge niece de Theodoric Roi des Ostrogots, & femme d’Hermanfroy, étoit injuste & cruelle. Après avoir engagé son mari à se défaire de Berthier, elle vint encore à bout de le porter à faire le même traitement à Badéric. Un jour elle ne fit couvrir que la moitié de la table d’Hermanfroy, & lorsqu’il demanda la raison de cette bizarerie, elle lui répondit que la table d’un Roi qui n’avoir que la moitié d’un Royaume, ne devoit point être autrement servie. Ce trait & plusieurs autres semblables firent prendre enfin à Hermanfroy la résolution de se défaire du frere qui lui restoit. Pour l’exécuter plus sûrement, il fit proposer à Thierry une ligue offensive contre Badéric. Les conditions qu’Hermanfroy faisoit offrir, étoient, qu’après qu’on se seroit défait de Badéric, on partageroit par égales portions les Etats de ce prince. Le Roi des Francs agréa le Traité proposé, & s’écant mis à la tête de son armée, il joignit Hermanfroy. Les deux Alliés, après avoir juré l’observation du Traité conclu en leur nom, marcherent aussi-tôt contre Baderic, qui fut défait & tué dans une Action de guerre. Thierri revint aussi-tôt dans ses Etats, comptant qu’Hermanfroy, dès qu’il seroit tranquille possesseur du Royaume des Turingiens, lui en livreroit la moitié. Mais Hermanfroy aussi méchant allié que mauvais frere, ne vit pas plûtôt les Francs éloignés, qu’il ne voulut plus entendre parler de l’accomplissement de les promesses. Cette perfidie alluma une haine violente entre nos deux Princes. »

Nous insererons ici à ce sujet, une réflexion dont il est à propos de rappeller de tems en tems le souvenir en lisant l’histoire du sixiéme siecle, et celle des siecles suivans. C’est que la guerre ne se faisoit point alors entre les barbares avec des troupes réglées, comme elle se fait aujourd’hui entre nos princes. Si cela eut été, les choses ne se seroient point passées comme on vient de voir qu’elles se passerent. Thierri seroit resté dans le pays conquis jusques à ce que la portion qu’il en devoit avoir, eût été reglée, supposé qu’elle ne le fût point déja par le traité ; et il s’en seroit mis incontinent en possession. Mais comme nos rois n’avoient alors qu’un petit nombre de troupes soudoyées, et que le gros de leurs armées étoit composé de cette espece de troupes, que nous appellons des milices, le camp de Thierry qu’Hermanfroy amusoit de belles paroles, se sera séparé, dès qu’il aura vû la guerre terminée. à quelque tems de-là Hermanfroy qui avoit pris ses mesures avec les sujets de son frere, aura déclaré que les Turingiens, dont il n’étoit pas le maître, ne vouloient point absolument que leur royaume fût démembré, et qu’il lui étoit impossible, quelqu’envie qu’il eût d’accomplir ses traités, d’en remettre aucune province au roi des Francs. Thierri qui avoit été assez fort pour battre étant joint avec la moitié des Turingiens, l’autre moitié de cette nation, n’aura pas trouvé que seul il le fût assez pour attaquer toute la nation réunie désormais sous un seul et même chef. Ainsi quelque vif que pût être son ressentiment, il lui aura fallu, pour le satisfaire, attendre d’autres tems. Voilà pourquoi ce prince aura été plusieurs années sans tirer raison du manquement de parole d’Hermanfroy. Il n’aura pû s’en faire raison, qu’après avoir engagé quelqu’un des rois ses freres dans sa querelle. Que Thierri ait fait avec ses seules forces sa premiere expédition dans le pays des Turingiens, on n’en sçauroit douter. Grégoire de Tours ne dit point que dans cette expédition-là Thierri ait été secouru par aucun de ses freres ; et ce qui le prouve encore davantage, c’est que ce prince, ainsi que nous le verrons, ne parla du manquement de parole d’Hermanfroy, que comme d’un outrage particulier, et fait à lui seul, lorsqu’il voulut engager Clotaire et les Francs du partage de ce prince, à joindre leurs armes aux siennes pour tirer raison de la perfidie du roi des Turingiens. Quant à Childebert, il prit si peu de part, même à la seconde expédition de Thierri dans le pays des Turingiens, qu’on voit bien qu’il n’en avoit pas eu dans tout ce qui s’étoit passé à l’occasion de la premiere.

Procope, dont nous rapportons ci-dessous le passage, dit positivement que les Francs n’entreprirent leur seconde expédition contre les Turingiens, celle qui finit par la conquête de leur pays, et la même dont nous avons désormais à parler, qu’après la mort de Theodoric roi des Ostrogots, arrivée en cinq cens vingt-six. Suivant ce qui paroît, en lisant avec réflexion la narration de Gregoire De Tours, et suivant le sentiment de nos annalistes modernes les plus exacts[64], ce ne fut même qu’en cinq cens vingt-neuf que Thierri fit sa seconde guerre contre les Turingiens. Je crois encore qu’on pourroit ne placer cet évenement que dans l’année cinq cens trente. En effet, cette guerre qu’on voit bien par la nature des évenemens qui la terminerent, n’avoit pas été bien longue, duroit encore quand Childebert fit dans l’Auvergne, qui appartenoit au roi Thierri son frere, l’invasion dont nous parlerons dans la suite. Or Childebert qui ne resta que quelques jours en Auvergne, fut au sortir de cette contrée faire la guerre à Amalaric roi des Visigots, qui survêcut peu de tems à la rupture, et qui neanmoins, comme on le rapportera, ne mourut qu’en cinq cens trente et un. Voici le récit que fait l’Historien ecclesiastique des Francs de leur seconde expédition dans le pays des Turingiens. Il suit dans cet auteur la narration de la premiere entreprise des fils de Clovis contre les Bourguignons, faite en cinq cens vingt-trois.

» Thierri ayant toujours conservé un vif ressentiment du manquement de parole de Hermanfroy, il engagea Clotaire son frere dans le dessein qu’il avoit formé d’en tirer raison, en promettant à ce frere la moitié de tout ce qu’on prendroit sur les Turingiens. Quand les Francs Sujets des deux freres furent assemblés, Thierri leur dit : Mes amis, allons venger à la fois l’affront que j’ai reçû d’Hermanfroy, & le traitement inhumain que les Turingiens ont fait à nos Peres. » J’interromprai pour un moment Gregoire De Tours, afin de faire observer que, suivant le discours de Thierri, les cruautés exercées sur la nation des Francs par les Turingiens, avoient été commises sur les peres des Francs ausquels il adressoit la parole, c’est-à-dire, sur la genération qui les avoit précedés. Ainsi je n’ai point eu tort, lorsque j’ai supposé que c’étoit sous le regne de Childéric, ou durant les premieres années de celui de Clovis, que les Turingiens avoient envahi une grande partie de l’ancienne France. Gregoire de Tours, ou plûtôt le roi Thierri, reprend la parole :

» Auriez-vous oublié que le Turingien les ayant attaqués quand ils ne s’y attendoient pas, il exerça contr’eux toutes les cruautés imaginables. Ce fut inutilement qu’ils demanderent la paix, & qu’ils envoyerent des ôtages. Le Turingien fit mourir les ôtages mêmes par divers genres de tourmens effroyables. Ensuite il entra dans notre patrie où il mit tout à feu & à sang, poussant la barbarie jusqu’à fendre les jambes des enfans pour les acrocher aux branches des arbres. Ce cruel ennemi n’attacha-t’il pas encore plus de deux cens jeunes filles sur des Chevaux, sous le flanc desquels il avoit lié des éperons qui les piquoient sans cesse, de maniere que ces animaux devenus furieux, s’emportoient à travers les bois les plus fourés, qui bientôt avoient mis en piece nos malheureuses victimes. Plusieurs Francs furent liés aux jantes des roues de leurs propres chariots que notre ennemi surchargeoit encore, & qu’il faisoit ensuite rouler par des chemins où il avoit mis auparavant des solives en travers. Après que ces infortunés avoient eu les os rompus, on les exposoit tout vivans aux chiens & aux vautours, afin qu’ils devinssene la proye de ces animaux, contre qui leurs bras ne pouvoient plus les défendre. D’ailleurs vous n’ignorez pas qu’Hermanfroy a manqué à ce qu’il m’avoit solemnellement promis, & qu’il n’a point voulu accomplir ce qu’il étoit obligé d’effectuer. Marchons sous les auspices du Dieu des Armées, du Dieu de la Justice, pour tirer raison de tant d’outrages & de tant d’iniquités. » Les Francs échauffés par ce qu’ils venoient d’entendre, répondirent tous d’une voix, qu’ils étoient prêts à suivre Thierri, s’il vouloit les mener dans la Turinge. Il se mit donc en campagne, ayant avec lui Theodebert son fils, et Clotaire son frere. Quand les Turingiens eurent appris que les Francs venoient les attaquer, ils eurent recours, pour se défendre, à tous les stratagêmes de la guerre. Voici une des ruses qu’ils mirent en œuvre. Ils creuserent d’espace en espace, dans le terrain qui étoit à la tête de leur camp, des fosses assez profondes, dont ils recouvrirent si bien les ouvertures avec du gazon et des branchages, qu’il étoit difficile de s’appercevoir qu’on eût remué la terre dans ces endroits-là. En effet, lorsque les Francs marcherent pour charger leur ennemi, il y en eut plusieurs dont les chevaux mirent les pieds dans ces trous, et s’abbatirent ; ce qui d’abord causa quelque désordre. Mais les Francs apprirent bientôt à reconnoître les endroits où l’on avoit tendu des pieges de cette espece, et l’attention qu’ils apporterent à les éviter, ne les empêcha point de charger l’ennemi avec tant d’impétuosité, que bientôt ils l’eurent mis en fuite. Hermanfroy abandonna le champ de bataille des premiers, et suivi de quelques-uns des siens, il se retira, marchant toujours sans s’arrêter, jusques à ce qu’il fût arrivé sur la rive gauche de l’Unstrut. C’est une riviere qui traverse le canton de l’Allemagne, qui s’apelle encore aujourd’hui le Land-Graviat de Turinge ; et laquelle se jette dans la Sale, dont l’Elbe reçoit les eaux. Les Turingiens se rallierent bien sur les bords de l’Unstrut, mais ils y furent défaits une seconde fois par les Francs qui les avoient suivis. Il arriva même qu’il se noya un si grand nombre des vaincus dans l’Unstrut qu’ils vouloient traverser pour se sauver, que leurs corps servirent de pont aux Francs pour la passer. Après une victoire si complette, ils soumirent tout le royaume des Turingiens.

Clotaire ramena avec lui Radegonde fille de Berthier, et même il épousa cette princesse. Mais Clotaire ayant fait tuer à quelque tems de-là le frere de cette reine, elle se sépara d’avec lui, et se consacra au service de Dieu en prenant l’habit de religieuse dans le monastere de Sainte Croix de Poitiers qu’elle avoit fait bâtir, et où elle mourut en odeur de sainteté.

Tandis que les deux rois Francs étoient encore dans le pays des Turingiens, continue Gregoire de Tours, Thierri voulut se défaire de son frere. Les embuches qu’il lui dressa furent découvertes, et ne réussirent point. Mais Hermanfroy tomba dans le piege que le roi Thierri lui avoit tendu. Le roi des Turingiens s’étoit sauvé de la déroute de l’Unstrut, et Thierri qui craignoit toujours ce prince, lui fit proposer une entrevûë, pour laquelle il lui envoya même un sauf-conduit en bonne forme. Hermanfroy qui se flatoit d’obtenir quelque chose de Thierri, vint le trouver, et il en fut reçû avec bonté. On lui fit même de riches presens. » Il arriva cependant, un jour que ces deux Princes s’entretenoient ensemble, en se promenant sur les remparts de la Ville de Tolbiac, qu’un inconnu poussa si rudement Hermanfroy, qu’il le fit tomber du haut en bas, & que ce Prince mourut de sa chute dans l’instant. Je ne sçais point, ajoute à ce récit Gregoire de Tours, le nom de celui qui le poussa, mais bien des gens accuserent Thierri d’avoir fait faire le coup. »

Je le croirois d’autant plus volontiers, qu’il semble en lisant notre histoire, que Clovis eût transmis à chacun de ses fils l’envie d’être le seul maître des Gaules, et sa jalousie contre les autres princes ses plus proches parens. Nous venons de voir Thierri attenter sur la personne de son frere Clotaire, et nous allons voir bientôt une autre marque du peu d’intelligence qui étoit entre les fils de Clovis. Ce qu’il y eut de plus funeste pour les Gaules, ce fut que ces princes transmirent à leurs descendans les sentimens qu’ils avoient hérités de leur pere. Voilà ce qui fut la cause de tant de guerres civiles qui affligerent cette contrée dans le sixiéme, le septiéme et le huitiéme siécles, et qui la mirent en un état pire que celui où les invasions des barbares, et les autres fleaux du cinquiéme siecle l’avoient réduite. En effet, en lisant avec attention nos annales, on est bientôt persuadé que Charlemagne trouva les Gaules plus dévastées, et leurs habitans bien plus grossiers et bien plus féroces que Clovis ne les avoit trouvés.

Avant que de raconter l’entreprise que Childebert fit sur les états de Thierri, durant que le dernier se rendoit maître de la Turinge, il est bon de rapporter ce que Procope dit concernant cette conquête. » Theodoric Roi des Ostrogots étant mort en l’année cinq cens vingt-six, les Francs persuadés que désormais personne ne pourroit plus traverser leurs entreprises, attaquerent les Turingiens, & après s’être défaits d’Hermanfroy le Roi de ce Peuple, ils se l’assujettirent. La Reine Amalberge femme de ce Prince infortuné, se sauva avec ses enfans, & se retira avec eux auprès de son frere Theodat qui étoit déja l’un des principaux Chefs de la Nation des Ostrogots. »

Venons presentement à ce que dit Gregoire de Tours immédiatement après avoir parlé de la mort d’Hermanfroy. » Tandis que Thierri étoit encore dans la Turinge, le bruit qu’il y avoit été tué se répandit en Auvergne. Aussi-tôt Arcadius l’un des Sénateurs de cette Ciré, invita Childebert à venir s’en rendre maître. Childebert entra donc dans le pays ; mais le jour qu’il descendit dans la Basse Auvergne, il fit un brouillard si épais, qu’un homme ne voyoit pas cinquante pas devant lui. Cela fut pris à mauvais augure, parce que ce Prince s’étoit d’avance fait un plaisir du beau coup d’æil qu’offre la Limagne à ceux qui descendent de la Montagne, & qu’il paroistoit que la Providence voulât lui refuser la satisfaction qu’il s’étoit promise. » Arcadius trouva néanmoins le moyen d’introduire Childebert dans Clermont, en rompant la serrure d’une des portes de la ville qu’on avoit fermées. Mais ce prince n’y resta point long-tems, car à peine y étoit-il entré, qu’on apprit que Thierri se portoit bien, et même qu’il revenoit victorieux. Aussitôt Childebert évacua l’Auvergne, et il s’en alla en Espagne pour tirer leur sœur Clotilde de l’état malheureux où elle gémissoit. Cette princesse qui avoit épousé Amalaric, fils d’Alaric Second roi des Visigots, étoit cruellement persécutée par son mari en haine de la religion catholique qu’elle professoit. Il n’y avoit point de mauvais traitemens qu’elle n’essuïât. Quand Clotilde alloit à l’église, Amalaric faisoit jetter sur elle du fumier, et toute sorte d’ordure. Enfin il la battit un jour si cruellement, qu’il la fit saigner, et qu’elle envoya à Childebert un linge teint du sang que firent sortir les coups qu’elle avoit reçus. Voilà ce qui acheva de le déterminer à faire la premiere des deux expéditions qu’il fit en Espagne. Il marcha donc à la tête de la même armée qui l’avoit suivi dans son entreprise sur l’Auvergne. Amalaric fuit toujours devant ses ennemis ; cependant il ne laissa pas d’être tué. Il se sauvoit de Barcelonne à l’approche des Francs, qui le suivoient toujours ; et déja il étoit prêt de monter sur un vaisseau, lorsqu’il se souvint qu’il avoit laissé dans le palais où il avoit logé une partie de ses pierreries. Aussitôt il y retourna pour les prendre ; mais quand il voulut regagner le port, ses propres troupes soulevées lui barrerent le chemin. Cette funeste avanture lui fit prendre le parti de se refugier dans une église ; et il étoit prêt d’y entrer, quand il fut tué d’un coup de javelot lancé par un des mutins. Ce fut ainsi que périt le roi Amalaric environ cinq ans après qu’il eut commencé à regner sur les Visigots, ce qui n’arriva qu’après la mort du grand Theodoric son ayeul, qui comme nous avons eu déja l’occasion de le dire, décéda l’année de Jesus-Christ cinq cens vingt-six. Nous rapporterons ci-dessous un passage d’Isidore De Séville, où ces dates sont constatées.

Childebert après avoir fait un riche butin, et délivré sa sœur, se mit en chemin avec elle pour la ramener dans leur patrie ; mais cette princesse mourut durant le voyage, je ne sçais par quel accident. Son corps fut apporté à Paris, où il fut inhumé auprès de celui de Clovis son pere. Parmi les thrésors que Childebert rapportoit de son expédition, il y avoit plusieurs piéces d’orfévrerie à l’usage des églises, et entr’autres vingt boëtes à mettre les livres des évangiles, quinze paténes et soixante calices. Toutes ces pieces étoient d’or massif et enrichies de pierreries. Il eut une grande attention à les faire bien tenir et bien garder, et dans la suite il en fit present aux églises de son royaume. Nous observerons ici que Gregoire de Tours obmet de dire qu’Amalaric, avant que de s’enfuir à Barcelonne, avoit, comme on le va voir, perdu une bataille, et que cette bataille s’étoit donnée auprès de Narbonne.

Voici comment Procope raconte le détail de la guerre dont nous parlons. » Amalaric fut la victime du ressentiment de ses beaux-freres. Il étoit Arien, & il maltraitoit la Reine sa femme qui faisoit profession de la Religion Catholique, & qui ne vouloit point apostasier, non-seulement en l’empêchant d’exercer le culte de la Religion, mais encore en lui faisant bien d’autres outrages. Enfin cette Princesse poussée à bout, en porta ses plaintes à Theodebert son frere. Voilà donc la guerre allumée entre les Francs & les Visigots. Il se donna entr’eux une bataille très-opiniâtrée, qui coûta la vie à un grand nombre de Visigots & à leur Roi Amalaric. Les Francs se rendirent maîtres dans la suite de la plus gran » de partie de la portion des Gaules que les Visigois avoient recouvrée. Ceux d’entre ces derniers qui échaperent à l’épée des Vainqueurs, se retirerent en Espagne auprès de Theudis, qui avoit déja levé l’étendart de la révolte, & ils y emmenerent avec eux leurs femmes & leurs enfans. Voilà comment les Gaules vinrent au pouvoir des Francs & des Gots.

Il y a deux ou trois observations à faire sur cet endroit de Procope. La premiere est, que ses copistes, déja tant de fois repris, ont fait encore ici une lourde faute, en écrivant Theodebert au lieu de Childebert. Procope qui pouvoit être encore en Italie lorsque Theodebert y fit l’expédition dont nous parlerons dans la suite, a sçu certainement que ce prince n’étoit pas fils de Clovis, mais son petit-fils, et par consequent qu’il étoit neveu de Clotilde fille de Clovis, et non pas frere de cette Clotilde. Notre historien ne pouvoit pas ignorer non plus que ce n’étoit pas Theodebert, qui sept ou huit années avant que de venir en Italie, avoit fait dans l’Espagne citérieure la guerre où Amalaric avoit été tué ; mais que c’étoit Childebert oncle de Theodebert et frere de Clotilde. Ainsi l’on ne sçauroit sans injustice mettre cette faute sur le compte de notre historien, et l’on doit l’attribuer à ses copistes, avec d’autant plus de confiance, qu’il ne faut pas changer beaucoup de lettres pour faire Theodebert de Childebert.

Ma seconde observation roulera, sur ce que Procope n’a point eu l’intention de dire que ce fut l’année même de la mort d’Amalaric, que les Francs recouvrerent ce que les Visigots avoient repris sur eux après la mort de Clovis ; mais seulement que ce fut durant le cours de la guerre commencée pour venger les outrages faits à la reine Clotilde, qu’arriva cet évenement. En effet, ce fut dès l’année cinq cens trente et un, que Childebert fit sa premiere campagne contre les Visigots, et qu’Amalaric fut tué, comme on le voit par un passage d’Isidore que voici : » L’année de Jesus-Christ cinq cens vingt-six, & la neuvième année de l’Empereur Justin premier, qui étoit monté sur le throne de Constantinople en cinq cens dix-huit, Theodoric Roi d’Italie y mourut. Après la mort de ce Prince, Amalaric son petit-fils regna sur ses Visigots durant cinq ans. Amalaric ayant au bout de ce tems-là perdu une bataille auprès de Narbonne contre les Francs commandés par leur Roi Childebert, il se sauva honteusement à Barcelonne, où il fut regardé par ses Sujets comme leur opprobre, & tué par un soldat de ses propres Troupes qui s’étoient revoltées. » Dès qu’Amalaric a été tué la cinquiéme année de son regne, il est clair que ce fut en l’année cinq cens trente-un, ou en cinq cens trente-deux qu’il mourut. Or nous verrons par la suite de l’histoire, que les rois Francs faisoient encore la guerre aux Visigots en cinq cens quarante-deux, et que ce ne fut qu’alors, suivant les apparences, qu’ils reprirent, ou qu’ils acheverent de reprendre ce que cette nation avoit recouvré après la mort de Clovis, et qu’ils la réduisirent à n’avoir plus dans les Gaules que les huit cités qu’elle désignoit, comme on l’a vû déjà par le nom d’Espagne citérieure. Ce n’aura donc été qu’en cinq cens quarante-deux que les Visigots, qui avoient été chassés pour la seconde fois du Rouergue et de quelques autres cités, se seront, comme dit Procope, retirés auprès de Theudis, qui regnoit sur l’Espagne citérieure, aussi-bien que sur l’Espagne ultérieure. En effet, ce prince qui étoit monté sur le thrône en cinq cens trente et un ou l’année suivante, regna jusques à l’année cinq cens quarante-huit ou cinq cens quarante-neuf. D’ailleurs nous voyons par Isidore de Séville, que Theudis eut à soutenir la guerre contre les rois des Francs, depuis qu’il fut monté sur le trône. » L’an de Jesus-Christ cinq cens trente & un ou trente-deux, » dit cet Auteur, & la sixiéme année du regne de Justinien, qui avoir été fait Empereur d’Orient en cinq cens vingt-sept, Theudis fut proclamé Roi en Espagne à la place d’Amalaric. Theudis regna dix-sept ans ; & quoiqu’il fut Arien, il traita bien les Catholiques, laissant aux Evêques de notre Communion la liberté de tenir un Concile à Toléde, & d’y faire concernant la discipline Ecclésiastique, les Canons qu’ils jugeroient à propos. Sous son regne les Rois des Francs passerent les Pyrenées à la tête d’une puissante armée, qui fit beaucoup de désordre dans l’Espagne Tarragonoise. Les Visigots sous la conduite de Theudisclus, prirent les derrieres de cette armée, ils se saisirent des cols par lesquels elle avoit passé, & ils porterent ensuite sur elle de grands avantages. Mais le Général s’étant laissé gagner par argent & par priéres, il retira pour vingt-quatre heures les troupes qui gardoient les cols, & il donna ce tems-là aux ennemis pour le sauver. Cependant il y eut plusieurs d’entr’eux qui ne purent point profiter de la complaisance de Theudisclus, & qui furent passés au fil de l’épée par les Visigots. »

Ainsi l’on voit bien que le seul reproche qu’on puisse faire ici à Procope, c’est de s’être énoncé de maniere que son lecteur pût penser que tout ce qu’il dit du succès des Francs contre les Visigots, et de la retraite de ces derniers auprès de Theudis, fut arrivé en une seule année, c’est-à-dire, en cinq cens trente et un. Je ne ferai point d’excuse de cette digression, bien qu’elle paroisse un peu étrangere à l’histoire de la conquête de la Turinge, et qu’elle roule sur une matiere à laquelle je semblois avoir promis de ne plus toucher, je veux dire, sur la question : quels étoient les pays que les Visigots reprirent sur les Francs immédiatement après la mort de Clovis, et dans quel tems les Francs reconquirent ce pays-là. Mais Gregoire de Tours en racontant l’expedition de Childebert dans les Espagnes comme un évenement auquel la seconde guerre de Turinge avoit en quelque façon donné lieu, m’engageoit si naturellement à faire ma digression, que je ne pouvois m’en dispenser, d’autant plus encore qu’elle concilie la narration de Procope avec differens endroits de l’histoire de Gregoire de Tours. En effet, il résulte de tout ce que j’ai ramassé dans l’historien grec, que quelques années après la mort de Théodoric roi des Ostrogots arrivée en cinq cens vingt-six, Thierri se ligua avec Clotaire, pour venger l’injure qu’Hermanfroy avoit faite à l’aîné de ces deux freres : que vers l’année cinq cens trente ils conquirent la Turinge, et que Childebert ayant crû mal-à-propos que Thierri étoit mort dans son expédition, il voulut se rendre maître de l’Auvergne ; mais qu’ayant sçû que ce prince étoit vivant, il évacua l’Auvergne pour marcher contre Amalaric, qui fut tué en cinq cens trente et un, et qu’après sa mort, la guerre qui s’étoit allumée, ou la derniere, ou la pénultiéme année de son regne, entre les Francs et les Visigots, donna lieu aux Francs de conquerir pour la seconde fois ce que les Visigots avoient repris sur les Francs immédiatement après la mort de Clovis. Or il n’y a rien dans notre exposé, très-conforme au récit de Procope, qui ne s’allie très-bien avec ce que Gregoire de Tours dit dans le troisiéme livre de son histoire, et dans les livres suivans, concernant les guerres que les Francs eurent contre les Visigots depuis la mort de Clovis jusques au milieu du sixiéme siécle. Nous dirons ailleurs que Thierri flatté par le courage que Childebert avoit montré en vengeant leur sœur Clotilde, s’adoucit ; et que quelque tems aprés la conquête de la Turinge germanique les deux freres se reconcilierent.


LIVRE 5 CHAPITRE 4

CHAPITRE IV.

Sigismond succede à son pere Gondebaud Roi des Bourguignons. Lettres de Sigismond à l’Empereur d’Orient. Premiere guerre des Rois des Francs contre les Bourguignons, dont le Roi est fait prisonnier. Mort de ce Prince. Clodomire est tué à la bataille de Véséronce, & Godemar frere de Sigismond demeure Roi des Bourguignons.


Ce fut dans l’intervalle de tems qui s’écoula entre l’expédition que Thierri fit dans le pays des Turingiens vers cinq cens seize, et l’expédition dans laquelle il subjugua cette nation en l’année cinq cens trente, que les rois des Francs, enfans de Clovis firent leur premiere guerre contre les Bourguignons. Avant que de parler de cette guerre-là, qui comme nous l’exposerons, commença en cinq cens vingt-trois, il est à propos de dire quelque chose concernant l’état où étoient les Bourguignons quand les rois successeurs de Clovis les attaquerent pour la premiere fois.

Le roi Gondebaud nonobstant toutes les esperances de conversion qu’il avoit données à Ecdicius Avitus évêque de Vienne, mourut arien en cinq cens seize. Son fils Sigismond lui succeda. Depuis long-tems Sigismond faisoit profession de la religion catholique, et même il avoit fondé un an avant la mort de son pere, le célébre monastere d’Agaune ou de saint Maurice, situé sur les confins du Valais et du Chablais. Il faut, comme nous l’avons promis, rapporter encore ici quelques fragmens des lettres que Sigismond après son avénement au thrône, écrivit à l’empereur Anastase, qui survêcut de deux ans le roi Gondebaud. Rien n’est plus propre à faire voir que les rois barbares, qui regnoient dans les Gaules, reconnoissoient que les provinces qu’ils avoient occupées, ne laissoient pas d’être toujours une portion du territoire de la monarchie Romaine. Voici donc ce que dit Sigismond dans une des lettres dont nous parlons, et que les lecteurs sçavent déja avoir été composées sous le nom de ce prince, par Avitus évêque de Vienne.

» Il est à la connoissance de tout le monde, que Votre Hautesse qui connoît les sentimens de ses serviteurs ne leur impute point les contre-tems dont ils ne sont pas la cause. Dans cette confiance qui fait notre consolation, nous nous presentons bien qu’éloignés, aux pieds du thrône de notre très-glorieux Prince ; & quoique le respect pour sa personne soit dans la Maison dont nous sortons, un sentiment héréditaire, qu’elle a toujours tâché de vous témoigner par un sincere attachement, nous confessons neanmoins de nouveau, que nous sommes vos redevables, tant pour les bienfaits qu’elle a reçus de vous, que pour ceux que nous-mêmes nous en avons reçûs en notre particulier. Ma Nation fait une partie du Peuple qui vous reconnoît pour son Souverain, & je me tiens plus honoré de servir sous vos ordres, de regner sur elle. C’est un sentiment que j’ai hérité de mes ancêtres, qui ont toujours eu un cœur véritablement Romain, & qui toujours ont été attachés si sincerement à vous & à vos predecesseurs, qu’ils ont crû que l’illustration provenante des grades & des emplois où Vos Hautesses les élevoient, faisoit leur plus grande gloire. Qui, mes ayeux ont toujours fait moins de cas des Dignités qu’ils devoient au sang dont ils sortoient, que de celles qu’ils ont tenues de la collation des Empereurs. Quand les Princes de ma Maison deviennent Rois de leur Nation, ce qu’ils s’imaginent de plus flateur, c’est que par-là ils deviennent vos Officiers. Comme tels nous goûtons aujourd’hui les fruits de vos prospérités, à dont le bruit rend notre administration plus aisée. En effet, nos mains ne font que tenir le timon par lequel vous gouvernez les Contrées où nous habitons, toutes éloignées qu’elles sont de votre Capitale : A quelque distance qu’elles soientde votre thrône, elles n’en font pas moins une partie du monde soumis à cet auguste thrône…… La lumiere de l’Orient éclaire les Gaules. Elles profitent des rayons de l’astre qui paroît se lever pour lui : vous gouvernez par vous-même l’Empire d’Orient, & l’Empire d’Occident est gouverné sous vos auspices. J’offre donc par cette lettre mes services au plus grand des Princes ; d’un autre côté je me flatte qu’il daignera faire quelques vœux pour moi, & j’attends avec soumission ses ordres augustes. Toute la lettre dont ces deux fragmens sont tirés, est écrite dans le même esprit. »

Voici encore quelques fragmens d’une autre épitre du roi Sigismond à l’empereur Anastase ; elle est en réponse à une lettre qu’Anastase avoit écrite avant qu’il eût encore reçû la dépêche précedente, et avant qu’il eût été informé que Sigismond demandoit le patriciat dont Gondebaud étoit mort revêtu. Mais l’empereur avoit adressé déja au nouveau roi cette lettre pour le feliciter sur son avenement à la couronne, et pour lui conferer la dignité de l’empire dont il souhaitoit d’être pourvû. La seconde épitre de Sigismond rend aussi compte des obstacles qui avoient empêché celui qu’il avoit chargé de porter à Constantinople sa premiere dépêche, d’y arriver avant que l’empereur lui eût écrit et l’eût ainsi prévenu.

» Votre Serénité ne pouvoit pas mieux donner à connoître qu’elle rendoit justice aux sentimens de ses serviteurs, & qu’elle ne leur imputoit pas les contre-tems, qu’elle vient de le faire voir en nous prévenant par une lettre dont les caracteres sacrés satisfont des veux qui ne lui étoient pas encore connus, quand sa main a tracé ces caracteres. Quoique vous m’ayez prévenu en m’écrivant quand vous n’aviez pas encore reçû la lettre où je vous rends les hommages qui vous sont dûs. Je ne suis point coupable pour cela, ni de manque d’attachement, ni de négligence. Si les obstacles qui sont sur la route d’ici à Constantinople, n’eussent point traversé mon dessein, ces caracteres respectables au monde entier, auroient été employés à écrire une réponse à ma lettre, & non point à écrire un oracle dicté par votre seule bonté, & qui satisfait à tout ce que vous avez deviné que je souhaitois. La jalousie de mon rival ne m’a point fait autant de mal qu’elle se promettoit de m’en faire. Si je n’ai point eu le plaisir d’obtenir une demande, j’ai eu le bonheur d’être prévenu aussi agreablement que je l’ai été, quand de votre propre mouvement vous m’avez conferé la Dignité qui faisoit l’objet de mon ambition. Qu’importe que l’Empereur prévienne nos demandes, ou qu’il nous les accorde : Est-il plus glorieux d’avoir obtenu une grace de lui, que d’avoir attiré son attention ? Pour en venir à ce qui s’est passé, dès que mon pere, l’un de vos principaux Oficiers, & dont vous avez connu le dévouement & la fidelité, fur expiré, avec la consolation d’avoir vû avant que de mourir l’accomplissement de ses désirs les plus ardens, je veux dire la République heureuse sous le regne d’Anastase, & cet Empereur reconnu & obéi par les Nations Confederées, mon premier soin sur alors de vous donner part de cette mort & de ses circonstances. Je voulus aussi faire valoir auprès de vous mes services dans les emplois que vous m’aviez confiés du vivant de mon pere, & vous porter à m’en donner, comme vous l’avez fait, de plus importans. Dans ce dessein je jettai les yeux sur un de mes Conseillers, qui est une personne fort intelligente, du moins à ce qu’on croit dans les Gaules, & je l’adressai à vos Ministres. Comme celui qui gouverne aujourd’hui l’Italie se vantoit d’avoir fait sa paix avec vous, & qu’il affectoit de publier que l’Orient lui avoit rendu ses bonnes graces, je crus que la personne que je vous envoyois n’avoit pas besoin d’autre passeport que de la mission même, pour traverser avec sureté cette Province du monde Romain. Néanmoins celui qui vous portoit ma lettre, & qui devoit me rapporter votre réponse, n’a pû achever son voyage, parce que Theodoric lui a fermé les passages. Jugez, grand Prince, de ce procedé. Il me semble, que c’est avoir bien peu d’égards pour un Souverain, que de ne vouloir pas que les autres lui rendent les mêmes devoirs que nous lui rendons. Ces sentimens sont bien éloignés des nôtres & de ceux de tout bon Serviteur. » Le reste de la réponse de Sigismond, qui est assez longue, ne fait que repéter en phrases differentes les assurances d’un dévouëment parfait. Je ne crois pas que les prefets du prétoire des Gaules, et les maîtres de la milice dans ce département, ayent jamais écrit aux successeurs de Constantin Le Grand en des termes plus soumis, et qui fissent mieux sentir que les lettres de ceux qui s’en servoient, étoient des lettres d’un sujet à son souverain. Au reste il est facile de deviner les motifs qui avoient engagé Theodoric, dès qu’il eut pénétré le sujet du voyage de l’envoyé de Sigismond, à fermer à ce ministre les passages de Constantinople. Théodoric croyoit qu’il étoit contre ses droits que l’empereur d’Orient conferât de son propre mouvement les dignités de l’empire d’Occident, et comme la guerre pouvoit se ralumer d’un jour à l’autre entre les Bourguignons et les Ostrogots, il ne voyoit qu’avec peine tout ce qui contribuoit à former une liaison étroite entre les Bourguignons et les Romains d’Orient.

La protection qu’Anastase pouvoit donner à Sigismond auroit peut-être empêché les Francs de lui faire la guerre ; mais cet empereur qui ne survécut Gondebaud que de deux ans, mourut en cinq cens dix-huit, et Justin son successeur, ou se soucia peu des Bourguignons, ou bien il n’eut pas dans les Gaules le même crédit que son prédecesseur, dont l’autorité avoit été reconnue par Clovis lui-même. D’ailleurs saint Avitus évêque de Vienne, dont Sigismond étoit le prosélyte, et qui l’année cinq cens avoit rendu de si grands services aux Bourguignons, étoit mort dès l’année cinq cens vingt-deux. Ce qui me le fait présumer ainsi, c’est que nos meilleurs critiques, après avoir discuté en quelle année mourut ce grand homme, disent, que ce qu’il est possible d’établir de plus précis sur l’année de sa mort ; c’est qu’elle doit être arrivée au plutôt en cinq cens vingt-deux, et au plûtard en cinq cens vingt-huit. Or j’ai deux raisons de convenance pour croire qu’elle soit arrivée dès cinq cens vingt-deux. La premiere est, que ce prélat auroit empêché, s’il eût encore été en vie, Sigismond de traiter son propre fils, comme nous allons voir qu’il le traita cette année-là. La seconde est, que si Avitus ne fut pas mort avant cinq cens vingt-trois que commença la guerre des enfans de Clovis contre les Bourguignons, il en seroit dit quelque chose dans ses ouvrages, il seroit fait du moins quelque mention de lui dans les auteurs qui ont parlé de cette guerre.

Quoiqu’il en ait été, la mort la plus funeste aux affaires de Sigismond, fut celle de son fils Sigéric qu’il fit périr en cinq cens vingt-deux. Voici comment Gregoire de Tours raconte cette tragique avanture. » Sigismond avoit épousé en premieres noces Ostrogothe la fille de Theodoric Roi d’Italie, & il en avoir eu un fils nommé Sigéric. Après la mort de cette Princesse, Sigismond épousa une femme qui avoit été à elle. Il étoit naturel que la nouvelle Reine eût pour Sigéric les sentimens ordinaires des marâtres, & ce Prince les aigrissoit encore par la conduite. Un jour qu’il la vit revêtue d’une robbe précieuse que la feue Reine avoit portée, & qu’il la reconnut, il lui reprocha qu’elle osoit se parer des vêtemens d’une Princesse dont elle avoit été la domestique. La belle-mere résolut de se venger de cette insulte, & pour cet effet elle irrita le Roi son mari contre Sigéric : Votre fils, lui dit-elle, a dessein de se défaire de vous pour se rendre maître de vos Etats, & les joindre un jour à ceux que son grand-pere Theodoric possede en Italie. Il est si connu que vous êtes aimé tendrement de vos Sujets, que Sigéric ne sçauroit avoir formé le projet d’une usurpation, qu’il n’ait conçu en même tems le dessein d’un parricide. Sigismond fut aveuglé par les artifices que la Reine mit en œuvre pour lui faire ajouter foi à les rapports & lui-même il commit un crime qui n’étoit gueres moindre que le crime dont on lui faisoit craindre d’être la victime. Le fils tandis qu’il dormoit après le dîner fut étranglé par les ordres de son pere. Sigéric avoit à peine rendu les derniers soupirs, que Sigismond se repentit de son crime. Il se jetta sur le corps de son fils, & l’embrassant tendrement, il le mouilloit de ses larmes, comme pour lui demander pardon. On assure qu’un des vieux serviteurs de ce pere infortuné lui dit en le trouvant dans ce transport de douleur : Ne pleurez point Sigéric, il est mort innocent. C’est sur vous-même que vous devez pleurer. » Sigismond se retira quelques jours après à saint Maurice en Valais pour y faire penitence de son crime, et il y fonda un service divin célébré successivement par differens chœurs de chantres, qui se relevoient les uns les autres, de maniere que le service ne cessoit jamais, parce qu’il se faisoit toujours quelque office dans l’église. Je dirai par occasion, qu’il y avoit alors dans les Gaules plusieurs monasteres où le service divin étoit celébré sans aucune discontinuation. Le relâchement des ecclésiastiques a depuis plusieurs siecles aboli cet usage. Il paroissoit si beau au pape Sixte-Quint, dont l’ame étoit élevée et les sentimens pleins de grandeur, qu’il étoit prêt lorsqu’il mourut, à faire une fondation pareille à celle de Sigismond. Ce pape le plus noble de tous les papes des deux derniers siécles, vouloit faire édifier au milieu de l’arêne, ou de la place du Colisée, lieu du martyre d’un si grand nombre de chrétiens, une église, où les religieux de quatre couvens qu’on devoit bâtir sous les portiques et dans les autres dégagemens de ce superbe amphitheatre, auroient célébré successivement un office divin qui n’eût jamais discontinué.

Après que Sigismond eut demeuré quelque tems dans le monastere de saint Maurice, il revint à Lyon, et une fille qui lui restoit de son mariage avec Ostrogothe, épousa le roi Thierri le fils aîné de Clovis. On peut juger à quel point le roi des Ostrogots dût être aigri contre Sigismond, lorsqu’il apprit le traitement fait à Sigéric. Ainsi les Francs ne pouvoient pas prendre une conjoncture plus favorable pour attaquer le roi des Bourguignons.

Quoiqu’il y eut déja en cinq cens vingt-trois où nous sommes, près de quarante ans que Gondebaud avoit fait mourir Chilperic pere de sainte Clotilde, et fait jetter dans un puits la mere et les freres de cette princesse, elle conservoit encore néanmoins un vif ressentiment de toutes ces cruautés, dont elle n’avoit point pû jusques-là tirer vengeance. Mais lorsqu’elle vit l’évêque de Vienne mort, et Sigismond odieux également à ses sujets, et à Theodoric, elle crut que le tems de se montrer fidelle à ses devoirs et de tirer raison de ses injures par les voyes permises aux souverains, étoit enfin arrivé, et qu’il falloit, puisque Gondebaud n’étoit plus, s’en prendre à sa postérité.

Elle assembla donc ses trois fils, Clodomire, Childebert et Clotaire, à qui elle dit : que je n’aye pas sujet, mes chers enfans, de me repentir d’avoir toujours été la plus tendre des meres. Montrez donc que vous vous souvenez de la maniere inhumaine, dont mon pere et ma mere, qui m’avoient élevée comme je vous ai élevés, ont été traités. Allez les venger par les voyes les plus promptes et les plus sûres. Comme l’ambition conseilloit encore à ces princes l’entreprise à laquelle une mere respectable les excitoit, ils se mirent bientôt en campagne, dans la résolution d’accroître leurs partages des débris du royaume des Bourguignons, et de faire sentir à la posterité de Gondebaud, que le pere et la mere de Clotilde avoient des petits-fils dignes d’eux. Nos trois princes firent bien à Thierri leur frere de pere, la proposition de joindre ses armes aux leurs ; mais Thierri qui n’avoit point à venger Chilpéric, ni la reine femme de Chilpéric dont il ne descendoit pas, et qui d’ailleurs avoit épousé une fille de Sigismond, n’accepta point cette proposition, et il demeura neutre dans la guerre de ses freres contre son beau-pere.

Nous avons déja observé qu’on se gouvernoit alors dans les guerres par des maximes bien differentes de celles qu’on y suit aujourd’hui. Aujourd’hui tout l’honneur d’une campagne est pour le parti qui peut se vanter avec justice, quand elle est finie, d’avoir fait réussir ses projets, et d’avoir fait avorter ceux de l’ennemi. Ce parti-là est réputé avoir eu la supériorité sur ses ennemis, quand bien même il n’auroit remporté d’autre avantage sur eux, que celui de les avoir empêchés par ses campemens d’assieger la place qu’ils vouloient prendre. Quelles qu’ayent été les manœuvres de guerre qu’il a faites pour arriver à son but, dès qu’il l’atteint, elles tournent à sa gloire. Un general est quelquefois autant loué pour avoir sçû éviter en certaines circonstances de donner bataille, qu’il le seroit pour en avoir gagné une. L’axiome qu’un grand capitaine se bat quand il lui plaît, et non quand il plaît à l’ennemi, est devenu la maxime de tous les camps ; et Fabius le Cunctateur trouveroit autant de justice dans notre siecle, qu’il en trouva peu la premiere année de son commandement. Mais les barbares établis dans les Gaules n’étoient point encore assez éclairés dans le sixiéme siecle de l’ère chrétienne, pour assigner aux qualités morales leur véritable rang, et pour faire plus de cas du capitaine courageux et prudent, que du guerrier fougeux et témeraire. Refuser alors d’accepter une bataille que l’ennemi présentoit, c’étoit la perdre ; et qui faisoit un mouvement en arriere, étoit réputé vaincu. Voilà pourquoi tant de guerres qui semblent d’abord avoir dû être très-longues à cause des interêts, des forces et des ressources de ceux qui les avoient à soutenir, ont été néanmoins terminées en une campagne.

Sigismond qui ne pouvoit que gagner en temporisant, puisqu’il s’agissoit de défendre son propre pays, et qu’il avoit affaire à une ligue, se crut néanmoins obligé, dès que les Francs furent entrés dans ses Etats, à tenir la campagne, et même à donner une bataille. Il la perdit, et désesperant de pouvoir faire tête aux vainqueurs, il prit le parti de se réfugier dans le monastére de saint Maurice, où, suivant ce qu’on peut conjecturer, il vouloit renoncer au monde. Pour exécuter cette résolution, il commença par se couper les cheveux, et s’habiller en religieux, et puis il se retira seul dans un hameau, où il se tint caché, en attendant qu’il pût trouver une occasion favorable de gagner son monastere de saint Maurice en Valais. Malheureusement pour lui, ses propres sujets le trahirent, et ils enseignerent aux Francs le lieu où il se tenoit caché. Il y fut fait prisonnier de guerre, et on convint de le donner en garde à Clodomire, qui avoit déja en sa puissance la femme et les enfans de Sigismond. Clodomire envoya toute cette famille infortunée dans un lieu de la cité d’Orleans, où il la fit garder étroitement. Dès que le roi des Bourguignons eut été pris, la plus grande partie du pays qu’ils tenoient, se soumit aux Francs. Nous ignorons le lieu où se donna la bataille que perdit Sigismond.

Suivant la chronique de l’évêque d’Avanches, cet évenement arriva en l’année cinq cens vingt-trois. On y lit : » Sous le Consulat de Maxime, Sigismond fut livré aux Francs par les Bourguignons. Les Francs l’emmenerent dans leur pays habillé en Religieux, comme il l’étoit quand ils le prirent, & dans la suite ils jetterent au fond d’un puits ce Prince infortuné, aussi bien que la femme & ses enfans. » J’ajoute ici dans la suite au texte de Marius, parce qu’il est constant par un passage de Gregoire de Tours qui va être rapporté, que Sigismond ne fut jetté dans un puits qu’après que les Bourguignons se furent révoltés, et qu’ils eurent proclamé roi son frere Godemar ; ce qui n’arriva qu’en cinq cens vingt-quatre, comme la chronique même de l’auteur que j’ai interpolé, en fait foi.

Aussi-tôt que les Francs se furent retirés, après avoir pourvû suffisamment, du moins à ce qu’ils croyoient, à la conservation de leur nouvelle conquête, les Bourguignons songérent à reprendre les armes. Ils proclamerent roi Godemar, frere de Sigismond, et pour obtenir des Ostrogots du moins des secours cachés, ils leur cederent quatre cités frontieres de cette province que Theodoric se sçavoit si bon gré d’avoir acquise dans les Gaules. Les cités cedées furent celles de Carpentras, de Cavaillon, de Saint-Paul-Trois-Châteaux et d’Apt. En voici la preuve.

Dans le concile tenu à Epaone en l’année cinq cens dix-sept, sous le bon plaisir du roi Sigismond, Florentius évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux, Julien évêque de Carpentras, Philagrius évêque de Cavaillon, trois cités de la province viennoise, et Prétextatus évêque d’Apt dans la seconde des narbonoises, souscrivirent les actes de l’assemblée ; ce qui montre que ces quatre diocèses étoient encore cette année-là sous la domination des Bourguignons. Cependant, comme le remarque le pere Le Cointe, ces quatre diocèses se trouvoient sous la domination des Ostrogots, sept ans après, c’est-à-dire, en cinq cens vingt-quatre, puisque leurs évêques souscrivirent les actes du quatriéme concile d’Arles tenu cette année-là sous le bon plaisir du roi Theodoric. On lit parmi les souscriptions de ce quatriéme concile d’Arles, celle de Philagrius évêque de Cavaillon, celle de Prétextatus évêque d’Apt, celle de Julianus évêque de Carpentras, et enfin celle de Florentius évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux. Ainsi ces quatre cités étant passées certainement de dessous la domination des Bourguignons sous celle des Ostrogots dans le tems écoulé depuis le concile d’Epaone jusqu’au quatriéme concile d’Arles, c’est-à-dire, depuis l’année cinq cens dix-sept, jusques à l’année cinq cens vingt-quatre, je puis supposer que ce fut à la fin de l’année cinq cens vingt-trois, que Godemar les remit au roi des Ostrogots, pour l’engager à lui donner contre les Francs, au moins des secours secrets.

Je crois même que c’est de l’acquisition dont il s’agit, qu’il est parlé dans une lettre écrite au Sénat de Rome par Athalaric roi des Ostrogots après Theodoric, au sujet de la dignité de patrice qu’il avoit conferée à un officier de la nation des Ostrogots nommé Tulum, le même qui fut un de ceux qui défendirent si bien Arles, lorsque Clovis en fit le siége vers l’année cinq cens huit. Aussi avons-nous déja rapporté une partie de cette lettre. Pour en venir à l’autre partie, à celle dont il est question à present ; Cassiodore après qu’il a fait dire par Athalaric, au nom de qui elle est écrite, que Tulum avoit beaucoup contribué par sa bravoure à la conservation de la province des Gaules tenue par les Ostrogots, fait ajouter à ce prince, » S’il faut avoir d’autres talens que l’intelligence de l’Art des combats pour être réputé digne de gouverner les hommes : voyons ausi ce que Tulum a fait dans la suite. Il est envoyé une seconde fois dans les Gaules pour veiller à leur conservation, dans un tems où les Francs & les Bourguignons étoient en guerre les uns contre les autres. On craignoit alors avec raison, que celui des deux Peuples dont le courage seroit enflé par la victoire, ne se jettât sur un Pays que nos armes avoient eu tant de peine à recouvrer. Tulum fit mieux que de conserver la partie des Gaules confiée à ses soins, non-seulement il la garentit de tout dommage, mais il sçut encore le conduire avec tant de prudence, que sans s’exposer aux périls de la guerre, il acquit à la République Romaine une nouvelle Province ; il lui fit remporter une victoire qui ne lui coûta point le sang d’aucun de ses enfans, il lui fit cueillir des palmes sans l’exposer. Enfin il la fit triompher sans lui avoir fait courir les hazards des combats. »

Si l’on ne connoissoit pas le langage de Cassiodore, on croiroit que Tulum se seroit fait céder par les Bourguignons quelque chose de bien plus grande importance, que les quatre cités dont nous avons parlé. En effet, Cassiodore dit que Tulum acquit une province à la République Romaine. Mais on connoît le style plus qu’oratoire de cet auteur ; et comme dans sa lettre il ose bien appeller les Gaules absolument, la petite portion des Gaules que tenoient alors les Ostrogots, il a bien pû qualifier du nom magnifique de province les quatre cités que les Bourguignons avoient remises à Tulum.

On ne sçauroit douter que Theodoric, en consequence de la cession dont nous venons de parler, n’eût promis aux Bourguignons tous les secours qu’il pouvoit leur donner sans se déclarer. On ne sçauroit même douter, qu’il ne les ait donnés, puisqu’il étoit de son interêt de s’opposer à l’agrandissement des Francs, et qu’il n’avoit rien à reprocher sur le meurtre de Sigéric fils de Sigismond et son petit-fils, à Godemar qu’il s’agissoit de favoriser. Ce fut, comme on l’a déja dit, ce prince frere de Sigismond, que les Bourguignons proclamerent roi, quand ils reprirent les armes contre les Francs en l’année cinq cens vingt quatre. Voici le récit que Gregoire De Tours fait de la rébellion des Bourguignons et de ses suites.

» Dès que Clodomire, Childebert & Clotaire s’en furent retournés au lieu de leur séjour ordinaire, Godemar rassembla les Bourguignons ; & s’étant mis à leur têre, il se fit reconnoître pour Souverain dans tous les Pays dont ces trois Princes s’étoient rendus maîtres. Clodomire avant que de marcher contre les rebelles, résolut de se défaire de Sigismond frere de Godemar, & dont apparemment il appréhendoit les menées. Saint Avitus l’Abbé de Mici, l’un des grands Personnages que l’Eglise eût alors, tâcha de détourner Clodomire d’exécuter son dessein. Si la crainte de Dieu, dit-il à son Prince, vous fait renoncer à ce projet sanguinaire, & si vous épargnez par respect pour lui ceux dont la vie est entre vos mains, il sera toujours avec vous durant votre expédition, & il vous donnera la victoire. D’un autre côté, si vous vous obstinez à répandre le sang de ces infortunés, vous tomberez dans les pieges de votre ennemi, & comme eux, vous mourrez de mort violente. Dieu permettra même que le traitement que vous aurez fait à Sigismond, à sa femme & à ses enfans, soit un jour rendu à vous, à votre femme & à vos enfans. Clodomire aussi peu touché des remontrances que des prédictions de Saint Avitus, lui répondit : Voudriez-vous que je laissasse une partie de mes ennemis dans le sein de mes Etats, quand il faut que j’en sorte pour aller combattre l’autre partie ? Ne seroit-ce pas m’exposer à être attaqué où je serai & où je ne serai plus ? Le moyen sûr de triompher de mes ennemis, c’est de mettre les uns hors d’état de nuire, avant que de marcher contre les autres. Quand je serai débarassé de ceux qui sont ici, j’en viendrai plus aisément à bout de ceux qui sont en Bourgogne. Clodomire donna donc ordre de tuer Sigismond, la femme de Sigismond & Gisclade & Gondebaud leurs enfans, & de jetter leurs corps dans un puits, qui est auprès de Coulmiers ou de Couloumelle[65] » lieu de la Cité d’Orleans. Dès que ces Princes infortunés eurent été traités comme l’avoient été le pere, la mere, & les freres de Clotilde, son fils Clodomire partit pour aller combattre les Bourguignons. » Ce Prince avoit prié son frere Thierri de venir à son secours, et Thierri qui ne se soucioit pas de venger la mort de Sigismond son beau-pere, avoit promis de joindre l’armée ; ce qu’il paroît néanmoins qu’il ne fit pas. Quoiqu’il en soit, dès qu’elle fut assemblée, elle marcha droit aux Bourguignons[66], et la bataille se donna près de Véséronce, lieu de la cité de Vienne, et non éloigné de la ville de Belley.

Godemar fut battu, mais Clodomire s’avança si loin en poursuivant les fuyards avec trop d’ardeur, qu’il ne se trouva plus personne des siens auprès de lui. Les Bourguignons, qui le reconnurent pour un des ennemis, se mirent aussi-tôt la marque à laquelle les Francs devoient s’entrereconnoître dans la mêlée ? Quelle étoit cette marque, et quel signe tenoit lieu pour lors, ou de l’écharpe blanche que les François ont portée long-tems pour s’entrereconnoître dans les actions de guerre, ou du blanc qu’ils portent aujourd’hui pour cela sur le chapeau, il seroit très-curieux de le sçavoir, mais où l’apprendre ? Reprenons le fil de la narration. » Les Bourguignons déguisés en Francs crierent à Clodomire : Ralliez-vous à nous, nous sommes de vos gens. Ce Prince qui le crut, les joignit, & il fut enveloppé. Aussi-tôt les Bourguignons lui couperent la tête, qu’ils mirent au bout d’une lance. Les Francs qui la reconnurent, au lieu de perdre courage, continuerent à pousser les ennemis, qu’ils dissiperent ; & tout le Pays se soumit aux Vainqueurs. Mais bientôc Godemar qui s’étoit sauvé de la déroute, mit sur pied une nouvelle armée, avec laquelle il recouvra le Royaume de ses peres. Quant à la famille de Clodomire, Gontuca sa veuve épousa le Roi Clotaire, & les trois fils orphelins qu’il avoit laissés, dont l’aîné s’appelloit Theobald, le puîné Gonthier, & le troisiéme Clodoaldus ou Cloud, trouverent un pere dans la Reine Clotilde leur ayeule. Elle les prit auprès d’elle, dès qu’ils eurent achevé de rendre les derniers devoirs au Roi leur pere. Godemar se remit en posseslion de son Roïaume. »

Agathias qui a écrit son histoire dans le siecle même que la bataille de Véséronce se donna, rapporte des particularités de la mort de Clodomire, qui méritent de trouver place ici. Notre auteur ayant dit, qu’après la mort de Clovis, ses fils partagerent entr’eux son royaume, il ajoute : » A quelque tems de-là Clodomire fut tué d’un coup de javelot dans la poitrine, qu’il reçut en combattant contre les Bourguignons, une des Nations Barbares, qui avoient envahi le territoire de l’Empire, & qui est aussi connuë par son inclination au travail, qualité rare parmi ces Peuples, que par ses faits d’armes. Les ennemis reconnurent d’abord aux cheveux de Clodomire qui lui flottoient sur les épaules, que c’étoit un Chef des Francs qui venoit d’être tué. Les Princes de la Maison Royale de cette Nation-là ne se font point couper les Cheveux au sortir de l’enfance, ainsi que les Romains le pratiquent. Au contraire ces Princes portent toute leur vie une chevelure longue, qu’ils partagent sur le haut du front, & qu’ils laissent tomber ensuite sur les épaules, ce qui leur donne bonne grace, d’autant plus que leurs cheveux ne sont point crasseux ni mal peignés comme le sont ceux des Turcomans & de quelques autres Barbares, ni tressés en forme de petites nattes, comme le sont ceux des Gots. Au contraire les Princes Francs ont grand soin de leur tête, & même ils frisent leurs cheveux par boucles. Au reste cette longue chevelure est parmi les Francs la marque à laquelle on reconnoît les Princes de la Maison Royale, & l’on ne permet point à ceux qui n’en pas issus, d’en porter une semblable. L’usage est, que les Sujets portent tous les cheveux coupés en rond, & il ne leur est pas permis de les laisser croître plus longs. Les Bourguignons après avoir mis la tête de Clodomire au haut d’une lance, la firent voir à ses Troupes, qui furent tellement consternées par la mort de leur Chef, qu’elles ne voulurent plus s’exposer. Enfin leur découragement fut si grand, qu’il donna moyen aux Bourguignons de sortir d’embarras, en terminant la guerre par une paix avantageuse, & dont les conditions furent à-peu-près les mêmes que celles qu’ils jugerent à propos de proposer. Dès qu’elle eut été conclue, les Francs évacuerent le Pays tenu par les Bourguignons. »

Suivant la Chronique de l’évêque d’Avanches la bataille de Véséronce où Clodomire fut tué, se donna la même année que Godemar avoit été proclamé roi, c’est-à-dire, en cinq cens vingt-quatre.

Il est facile de concilier l’opposition qui paroît d’abord entre le récit de Gregoire de Tours et celui d’Agathias ; quand le premier dit, que la mort de Clodomire n’empêcha point les Francs de gagner la bataille de Véséronce, et quand le second écrit que cette mort les découragea tellement, qu’ils ne voulurent plus s’exposer. Grégoire de Tours a entendu parler seulement de l’action de guerre, qui étoit engagée déja lorsque Clodomire fut tué ; et l’auteur grec entend parler en général des évenemens qui arriverent après la bataille de Véséronce. La mort de Clodomire aura fait dans son armée le même effet que fit la mort de Gaston De Foix dans la sienne. La mort de Gaston n’empêcha point son armée d’achever de gagner la bataille[67], et de prendre la ville de Ravenne ; mais elle y éteignit si bien l’audace et l’esperance, que cette armée devint bientôt semblable à une armée vaincue. La mort de son général la découragea de maniere, qu’elle ne songea plus qu’à repasser les monts.

Ce que disent nos deux historiens, le latin sur le rétablissement de Godemar, et le grec sur la paix faite entre les Francs et les Bourguignons, n’a pas besoin d’aucune conciliation pour s’accorder. Godemar profitant du découragement où les Francs étoient tombés après la mort de Clodomire, aura recouvré ses Etats, et les Francs, qui n’esperoient plus de l’en dépouiller, auront fait la paix avec lui. Il y a véritablement dans Agathias une chose que je n’entreprendrai point d’accorder avec le récit de Gregoire de Tours. La voici : l’historien grec après avoir parlé de la mort de Clodomire et des suites qu’elle eut, ajoute que ce prince ne laissa point d’enfans, et qu’après sa mort Childebert et Clotaire ses freres partagerent ses Etats entr’eux. Il est certain par le témoignage de tous nos historiens, que Clodomire laissa, comme nous l’avons déja vû, trois fils, et que ce ne fut qu’après s’être défait de ces enfans, que les freres de Clodomire partagerent entr’eux son royaume. Ce qui peut avoir trompé Agathias, c’est qu’il y eut peu de tems entre la mort de Clodomire et celle de ses enfans, et qu’aussi-tôt après leur mort, Childebert et Clotaire s’approprierent les Etats de Clodomire, et les partagerent entr’eux. En effet, il est probable qu’il y eut à peine un an entre la mort de Clodomire et l’occupation de ses Etats par ses freres. Or deux évenemens arrivés si près l’un de l’autre, paroissent se toucher, à des étrangers, qui cinquante ans après ont à en parler en general, et comme on le dit, par occasion.


LIVRE 5 CHAPITRE 5

CHAPITRE V.

Meurtre des fils de Clodomire, & quelques autres évenemens arrivés entre les deux guerres des enfans de Clovis contre les Bourguignons. De la seconde de ces deux guerres. Histoire de Munderic, & celle d’un Romain devenu Esclave du roi Thierri. Mort de ce Prince, & Conquête de la Bourgogne.


On ne trouve point dans Grégoire de Tours quelle fut precisément l’année dans laquelle les freres de Clodomire se défirent de ses enfans ; mais cet auteur donne à connoître par les circonstances de sa narration, que l’évenement tragique dont il est question, doit être arrivé tout au plutard en l’année cinq cens trente. Il dit que Theobalde l’aîné des fils de Clodomire avoit dix ans, et que Gonthier le second de ces fils avoit sept ans, lorsque l’un et l’autre ils furent égorgés en un même jour. Or Gontier ne sçauroit être né plutard qu’en l’année cinq cens vingt-trois. En voici la preuve. Il faut que Gontier fût né du moins un an avant la mort de Clodomire son pere, puisque ce Gontier avoit un frere cadet, sçavoir Clodoaldus, né certainement du vivant de Clodomire son pere. Gregoire de Tours[68] le dit positivement dans le passage que nous avons cité. Ainsi Clodomire ayant été tué en cinq cens vingt-quatre, il s’ensuit que Gontier fut né au plutard en cinq cens vingt-trois. Donc Gontier ayant été tué à l’âge de sept ans, il faut qu’il ait été tué tout au plûtard en cinq cens trente.

Il est vrai qu’à s’en rapporter à l’ordre dans lequel Gregoire de Tours raconte les évenemens qu’il écrit, l’évenement dont nous recherchons la date, ne seroit arrivé qu’après cinq cens trente-trois. Notre historien avant que de le narrer, parle de l’installation d’un évêque de Tours élû seulement cette année-là. Mais on sçait bien que l’historien ecclésiastique des Francs n’a pas toujours suivi l’ordre des tems. C’est sur quoi nos meilleurs historiens modernes n’ont point fait assez de réflexion, lorsqu’ils placent en cinq cens trente-trois l’évenement tragique dont il est ici question. Mais Dom Thierri Ruinart[69] n’a point fait la même faute qu’eux. Il s’est même si peu assujetti dans la question dont il s’agit ici, à suivre la chronologie que Gregoire de Tours semble supposer, que notre sçavant Benedictin place dans ses annales des Francs le meurtre des enfans de Clodomire sur l’année cinq cens vingt-six. J’adopte ce sentiment d’autant plus volontiers, qu’il doit y avoir eu très-peu d’intervalle entre la mort de Clodomire et celle de ses fils, puisqu’Agathias a crû, comme nous venons de le voir, que ce prince étoit mort sans enfans. D’ailleurs on prouve bien par l’histoire de Gregoire de Tours, que ce meurtre ne sçauroit avoir été commis plûtard que l’année cinq cens trente, mais il n’y a rien dans cet auteur qui empêche de croire, qu’il l’ait été trois ou quatre ans plûtôt.

Suivant l’apparence, le meurtre des enfans de Clodomire fut commis, lorsque la reine Clotilde, qui certainement se trouva pour lors à Paris, étoit encore dans cette ville, où la mort de Clodomire l’avoit engagée à venir, et à y faire quelque séjour. Le projet de ce meurtre aura été formé peu de tems après la mort de Clodomire tué en cinq cens vingt-quatre, et il aura été l’une des causes qui auront porté Childebert et Clotaire à faire avec le nouveau roi des Bourguignons une paix si avantageuse pour lui. Rapportons enfin ce que dit Gregoire de Tours sur ce tragique évenement que tous les bons François souhaiteroient de ne point lire dans notre histoire, à laquelle il ne fait pas plus d’honneur que le massacre de la saint Barthelemi. J’aimerois mieux qu’il y eût dix victoires de moins dans nos Fastes, et que ces deux évenemens là ne s’y trouvassent point.

» Durant que la Reine Clotilde faisoit son séjour à Paris, Childebert observa qu’elle avoit une grande prédilection pour les fils de Clodomire. Il craignit donc que la tendresse qu’elle sentoit pour eux, ne l’induisît à les mettre incessamment en pleine possession des Etats compris dans le Partage de leur pere. Prévenu de cette appréhension, Childebert envoya des personnes affidées à Clotaire son frere, pour lui représenter que certainement leur mere feroit regner les enfans de leur frere qu’elle élevoit auprès d’elle, & pour l’engager à se rendre incessamment à Paris, afin qu’ils y pussent déliberer ensemble sur leurs interêts communs ; c’est-à-dire, pour résoudre s’il ne leur convenoit pas de réduire leurs neveux à la condition de Sujets, en leur coupant les cheveux, ou s’il ne leur conviendroit pas encore mieux, dans le dessein où ils étoient, de partager également entr’eux le Royaume de leur frere, de se défaire par le fer de ses enfans. La proposition de Childebert fut bien reçûë de Clotaire, qui le rendit à Paris. Quelques jours après les deux freres firent courir le bruit que le sujet de leur entrevûë étoit le dessein de faire proclamer Rois les trois Princes leurs neveux ; & même ils envoyerent les demander à Clotilde, pour les faire élever sur le Pavois. La Reine qui ne sçavoit rien de la mauvaise intention de Childebert & de Clotaire, fit venir dans son appartement les fils de Clodomire, & après avoir eu l’attention de les faire manger, elle leur dit en les embrassant : Si je puis vous voir assis sur le trône de votre pere, j’oublierai que j’ai perdu ce cher fils. Aussi-tôt elle les envoya aux Rois leurs oncles. Les trois jeunes Princes furent à peine entrés dans le Palais, qu’on les renferma dans une chambre, & qu’on s’assura de leurs Gouverneurs & du reste de leur suite, en les faisant passer dans une autre. Quand Childebert & Clotaire se virent les maîtres absolus de la destinée de leurs neveux, ils firent porter à Clotilde par Arcadius, Sénateur de la Cité d’Auvergne, une paire de ciseaux & une épée nuë. Ce Sénateur, suivant la commission, dit à la Reine, en lui présentant les ciseaux & l’épée : Princesse, vos fils remettent à votre décision la destinée des enfans de Clodomire. Voulez-vous qu’on les laisse vivre après leur avoir coupé les cheveux, ou aimez-vous mieux qu’on les fasse mourir. Sainte Clotilde fut saisie d’horreur à ce message, auquel elle ne s’attendoit en aucune maniere, & la vûë de l’épée nuë & des ciseaux acheverent de la mettre hors d’elle-même. Elle répondit donc dans un premier mouvement, qui, ne lui laissant pas l’usage de la raison, l’empêchoit d’appercevoir les conséquences des paroles qui lui échappoient : J’aime mieux voir mes petits-fils poignardés que de les voir tondus & déchus de la Couronne. Qu’ils meurent ou qu’ils regnent. Arcadius, au lieu de faire réflexion que le discours de la Reine étoit l’effet d’un premier transport, & au lieu d’attendre qu’elle fût en état de penser à ce qu’elle avoit à répondre, vint au plus vîte dire à ceux qui l’employoient : Vous pouvez maintenant consommer votre ouvrage avec l’aveu de votre mere. Voici sa réponse, & il la leur rendit mot pour mot. Aussi-tôt Clotaire saisit par le bras Theobald l’aîné des trois freres ; & l’ayant jetté par terre, il le tua d’un coup d’épée dans la poitrine. Gonthier cadet du Prince mort, se jetta incontinent aux pieds de Childebert, & serrant entre ses bras les genoux de son oncle, il lui dit en pleurant : Mon pere, mon pere, ayez pitié de moi, & ne me laissez pas tuer comme mon frere. Childebert fut attendri véritablement, & ayant lui-même les larmes aux yeux, il dit à Clotaire : Mon cher frere, au nom de Dieu, accordez-moi la vie de cet enfant ; je consens à tout moyennant cela ; mais ne le tuons pas. La fureur de Clotaire étoit si grande, que loin de se laisser toucher, il répliqua au Roi Childebert : écartez de vous cet enfant, ou je vais vous percer vous & lui du même coup. C’est vous qui avez lié la partie, & vous voulez la rompre, quand elle n’est encore jouée qu’à moitié. A ces mots, Childebert se dégagea des bras de son neveu, qu’il poussa même à Clotaire, comme pour lui dire : Vous êtes le maître d’en user ainsi qu’il vous plaira. Clotaire saisit cet enfant, qui eut la même destinée que son frere aîné. On égorgea ensuite les Gouverneurs des fils de Clodomire, & la plupart de ceux qui étoient venus à la suite de ces Princes infortunés. Dès que la tragédie fut terminée, Cloraire monta à cheval, & sortit de Paris, se mettant peu en peine de tout ce qu’on y diroit du meurtre de ses neveux. Pour Childebert, il se renferma dans un Palais qu’il avoit aux portes de la Ville. La Reine Clotilde fit mettre les corps de ses deux petits-fils dans un même cercueil ; & suivie d’un Convoi nombreux, elle les conduisit elle-même à la Basilique de Saint Pierre, où ils furent inhumés. L’aîné de ces Princes avoit dix ans, & son cadet en avoit sept. Quant à Clodoaldus le troisiéme des fils de Clodomire, il ne périt pas dans cette catastrophe, mais il fut sauvé par des personnes qui eurent assez de courage, pour l’enlever du Palais de Childebert. Dans la suite Clodoaldus ouvrant les yeux, renonça au siecle ; & après s’être coupé les cheveux de la propre main, il entra dans l’état Ecclésiastique, où il est mort Prêtre du Seigneur, & en odeur de sainteté. » C’est la même personne qui est connuë présentement et honorée sous le nom de Saint Cloud. L’idée, qu’un prince à qui l’on avoit coupé les cheveux avoit été par cette espece de dégradation rendu inhabile à regner, et dont nous avons parlé déja plus d’une fois, subsistoit encore sous la seconde race. Lothaire pour rendre Charles-Le-Chauve incapable d’être roi, tâcha de se saisir de la personne de ce prince son frere, pour lui couper les cheveux. Les Visigots pensoient même sur ce sujet-là comme les Francs. Le dix-septiéme canon du concile de l’Eglise d’Espagne, tenu à Tolede l’année six cens trente-huit, ordonne qu’on ne pourra point choisir pour roi celui qui se sera fait couper les cheveux, ou à qui les cheveux auront été coupés par forme de punition. Gregoire de Tours reprend la parole.

» Childebert & Clotaire partagerent aussi-tôt entr’eux par égale portion, les Etats qui avoient appartenu à Clodomire. Quant à la Reine Clotilde, elle continua depuis ce malheur à vivre d’une maniere qui lui attiroit un respect sincere de tout le monde. Il n’y avoit gueres de jour qu’elle ne fît quelque aumône. Elle passoit la nuit en prieres, & on vivoit dans son Palais avec une sagesse & une modestie exemplaire. En un grand nombre d’occasions elle donna des fonds de son domaine à des Eglises & à des Monasteres. qui avoient besoin d’être dotés. Dans de semblables occasions, Clotilde se défaisoit si volontiers de ses Forêts & de ses Métairies, qu’on auroit cru plûtôr quelle ne faisoit que remettre aux Eglises enrichies par ses dons, des biens dont elle étoit Censiere, qu’on n’auroit pensé que c’étoit en se dépouillant de biens donc la proprieté lui appartenoit, qu’elle faisoit de si grandes largesses. Ainsi sa grandeur, au lieu d’être un obstacle à son salut, servit à sa sanctification. » Cette grande reine survêcut environ vingt ans au malheur de ses petits-fils, puisqu’elle ne mourut qu’en cinq cens quarante-cinq[70]. Quoique Gregoire de Tours semble dire qu’il n’y eût que Childebert et Clotaire qui eurent part à la dépouille des fils de Clodomire, il me semble néanmoins que suivant les loix de la monarchie, Thierri aura eu une portion du royaume qu’on partageoit. En effet on voit par la Vie de Saint Maur écrite par un de ses disciples, que Theodebert fils du roi Thierri, et qui mourut avant ses deux oncles Childebert et Clotaire, étoit maître dans la cité du Mans et sur-tout dans celle d’Angers, et ces cités avoient fait partie du partage de Clodomire. Ce fut par permission du roi Theodebert et sous sa protection que Saint Maur fit son établissement dans l’Anjou, et qu’il y bâtit l’abbaye de Glanfeuil. Florus bienfaicteur de ce saint religieux étoit vicomte ou gouverneur de la cité d’Angers pour le roi Theodebert, auprès duquel il étoit tout-puissant. Je reprends le fil de l’histoire.

La mort de Theodoric roi des Ostrogots arrivée en cinq cens vingt-six, ébranla un peu la puissance de cette nation qui, comme nous l’avons vû, s’étoit alliée avec les Bourguignons durant leur derniere guerre contre les Francs[71]. Nous parlerons ailleurs du partage des Etats que ce prince avoit gouvernés jusqu’à sa mort. Néanmoins, soit que les Ostrogots ne laissassent point d’être encore redoutables, bien qu’ils n’eussent plus Theodoric à leur tête, soit que les rois Francs ne fussent point en un assez bonne intelligence pour faire une grande entreprise de concert, ils ne recommencerent la guerre contre les Bourguignons que vers l’année cinq cens trente-deux, et huit ans après la derniere paix. Mon sentiment est fondé sur la chronique de l’évêque d’Avanches qui a écrit dans le sixiéme siecle, et dans une cité qui jusqu’à la fin de la monarchie des Bourguignons, a toujours été sous leur domination. Cet auteur, après avoir raconté le rétablissement de Godemar sur l’année cinq cens vingt-quatre, ne parle plus des Francs et des Bourguignons jusqu’à ce qu’il soit arrivé à l’année cinq cens trente-quatre. Il dit alors, que cette année-là, Childebert, Clotaire, et Theodebert rois des Francs, s’emparerent de la Bourgogne, et qu’après avoir obligé Godemar roi de ce pays, à se sauver, ils la partagerent entre eux. Mais comme le roi Thierri pere de Theodebert, et mort en cinq cens trente-trois, vivoit encore lorsque Childebert et Clotaire commencerent leur seconde guerre contre les Bourguignons, et qu’il eut même le loisir de faire quelques expéditions après qu’elle eut commencé et pendant sa durée. Je crois que cette seconde guerre fut entreprise dès cinq cens trente-deux, bien qu’elle n’ait été terminée qu’en cinq cens trente-quatre.

Quel fut en cinq cens trente-deux le sujet de la rupture de la paix que les Francs et les Bourguignons avoient faite en cinq cens vingt-quatre, je l’ignore. On peut croire que le motif qui fit entrer de nouveau les fils de Clovis à main armée en Bourgogne, fut uniquement le désir de s’emparer d’un pays qui étoit autant à leur bienseance que celui-là. Du moins trouve-t’on dans Procope de quoi appuyer ce sentiment. Notre historien rapporte, que quelques années après la conquête de la Bourgogne, un ministre de l’empereur Justinien dit aux Ostrogots, à qui les Francs proposoient alors une association entre les deux peuples. » Les Francs se vantent d’être fideles à leurs engagemens, mais sans se rappeller ici la maniere dont ils ont gardé la foi des Traités qu’ils avoient faits, soit avec les Turingiens, soit avec les Bourguignons, je me contenterai de dire que vous ne sçauriez avoir oublié comment ils ont observé les conventions qu’ils avoient faites avec vous. »

Voyons d’abord ce qui se trouve dans Gregoire de Tours concernant la seconde guerre des enfans de Clovis contre les Bourguignons, après avoir observé néanmoins que cet historien n’a point suivi l’ordre des tems en rapportant les évenemens. Par exemple, nous avons vû que le meurtre des enfans de Clodomire ne sçauroit jamais être arrivé plûtard qu’en cinq cens trente, et l’on vient de voir par la chronique de l’évêque d’Avanches, que les rois Francs ne conquirent la Bourgogne qu’en cinq cens trente-quatre. Gregoire De Tours cependant rapporte dès l’onziéme chapitre de son troisiéme livre la conquête de la Bourgogne, et ce n’est que dans le dix-huitiéme chapitre du même livre qu’il raconte le meurtre des enfans de Clodomire. Aussi, comme je l’ai dit plus d’une fois, nos meilleurs annalistes modernes se sont bien donné de garde de se conformer toujours à l’ordre dans lequel Gregoire de Tours narre les évenemens dont il n’enseigne point positivement la date.

Le lecteur se souviendra bien que c’est en finissant le sixiéme chapitre du troisiéme livre de son histoire que Gregoire de Tours dit que Godemar recouvra son royaume en cinq cens vingt-quatre. Voici ce qu’on trouve dans l’onziéme chapitre du même livre, et immédiatement après le récit de l’expédition que Childebert fit dans les Espagnes en cinq cens trente, ainsi que nous l’avons exposé.

» A quelque tems de-là, Childebert & Clotaire se préparerent à envahir le Pays des Bourguignons. Thierri auquel ils avoient proposé de joindre ses armes aux leurs, refusa de prendre part à l’entreprise, ce qui déplût beaucoup aux Francs qui le reconnoissoient pour Roy, Ils en vinrent même jusqu’à lui dire : Si vous ne voulez point être de l’expédition à laquelle vos freres se disposené, nous vous abandonnerons pour nous donner à ces Princes. Thierri qui regardoit les Auvergnats comme de mauvais Sujets, depuis ce qu’ils avoient fait durant la derniere campagne en Turinge, dit aux Francs domiciliés dans son Partage : Suivez-moi, & je vous menerai dans un Pays où il ne tiendra qu’à vous de faire un riche butin en bestiaux, en esclaves, en autres bons effets, & en argent comptant. Je ne vous demande qu’une chose, c’est d’attendre tranquillement dans vos foyers, que mes freres soient entrés en campagne. Les Francs Sujets de Thierri furent gagnés par ses promesses, & ils s’engagerent à ne faire que sa volonté, d’autant plus aisément qu’il les assuroit encore qu’il leur seroit permis d’emmener chez eux les esclaves qu’ils feroient, & d’y conduire aussi le bétail ; en un mot d’y transporter tout le butin qu’ils pourroient ramasser. Voilà donc Childebert & Clotaire qui se mettent en campagne & qui entrent en Bourgogne. Ils y firent le siege d’Autun, & enfin après avoir réduit Godemar à se sauver, ils se rendirent maîtres de tout son Royaume. » On voit bien que c’est par anticipation que Gregoire de Tours dit ici, que Childebert et Clotaire soumirent enfin toute la Bourgogne. Il est certain par la chronique de l’évêque d’Avanches, que les Bourguignons ne furent soumis que long-tems après le commencement de la guerre, et même qu’ils ne furent subjugués qu’après la mort de Thierri arrivée vers cinq cens trente-quatre : c’est ce qu’on va voir bien-tôt. Mais Gregoire de Tours s’est hâté de rapporter la conclusion de la guerre, afin de n’avoir plus à en parler et de pouvoir raconter ensuite sans interruption tout ce qu’il avoit à dire concernant ce que fit le roi Thierri tandis qu’elle duroit encore. En effet, notre historien ne parle plus de la conquête de la Bourgogne dans le reste de ses annales. Tite-Live, j’en tombe d’accord, en auroit usé autrement ; mais on connoît la capacité de Gregoire de Tours, qui, dans cette occasion comme dans bien d’autres, a fait du principal l’accessoire, et de l’accessoire le principal, parce que cet accessoire regardoit l’Auvergne sa patrie. Néanmoins avant que de rapporter ce que nous sçavons par d’autres auteurs touchant la conquête de la Bourgogne, voyons ce que fit Thierri en Auvergne et ailleurs, pendant la premiere campagne de la seconde guerre, que ses deux freres firent contre les Bourguignons. Les faits que nous allons déduire à cette occasion, paroîtront en quelque sorte étrangers à l’histoire de la conquête de la Bourgogne, dont il s’agit dans ce chapitre ; mais d’un autre côté, ils sont très-propres à donner l’idée de la maniere dont les rois Francs se conduisoient les uns à l’égard des autres, et principalement à faire voir combien il est faux que les Romains des Gaules fussent alors désarmés et réduits à une condition approchante de l’esclavage.

Gregoire de Tours, immédiatement après le passage que nous venons de transcrire, ajoute ce qui suit : » Thierri tint parole aux Francs ses sujets, & s’étant mis à leur tête, il les conduisit dans l’Auvergne, qu’ils saccagerent comme ils auroient pû faire un Pays ennemi. Arcadius qui étoit la premiere cause du malheur, parce que deux ans auparavant il avoit appellé Childebert dans cette contrée, se sauva à Bourges, qui pour lors étoit du Partage de ce Prince. Placidina mere d’Arcadius, & Alcima tante de ce Sénateur, furent arrêtées à Cahors, & condamnées à l’exil, comme à la confiscation de leurs biens. Cependant Thierri s’approcha de Clermont, dont Quintianus ou Saint Quintien étoit pour lors Evêque, & il vint se loger dans un Village voisin des Fauxbourgs. Durant ce campement ses troupes coururent tout le pays, où elles firent des maux infinis. Quand les Francs sujets de Thierri furent assez gorgés de butin, il sortit de l’Auvergne, emmenant avec lui les Citoyens les plus capables de remuer. Il y laissa pour Commandant un de ses de ses parens nommé Sigivaldus qui continua de maltraiter ce pauvre Pays. » Les pillards trouverent neanmoins de la résistance en attaquant quelques lieux de défense, qui étoient gardés par les Auvergnats mêmes ; ce qui fait voir que Thierri les laissoit assez sur leur bonne foi, et par conséquent, qu’il ne leur avoit pas fait un traitement qui dût leur donner envie de changer de maître.

Ce fut, autant que je puis juger, dans ce tems-là que Munderic qui prétendoit être de la maison royale, et qui peut-être étoit le fils d’un des rois Francs que Clovis avoit sacrifié à sa sureté, fit un parti dans l’Etat. » Je ne suis pas de condition, dit ce Munderic, à vivre Sujet de Thierri, étant né ce que je suis ; je dois aussi-bien que lui porter une Couronne. Il faut donc que je me fasse reconnoître pour ce que je suis par une partie des Francs, dont je formerai une Tribu, laquelle me proclamera Roi, & qu’ainsi je donne à connoître à Thierri que je suis du Sang Royal aussi-bien que lui. Munderic se mit donc en devoir de séduire le Peuple, en disant : Je suis Prince de la Maison Royale, attachez-vous à moi, & je ferai votre fortune. » Plusieurs personnes le reconnurent et lui prêterent serment de fidelité. Il est sensible que le procédé et le discours de Munderic supposent qu’une des loix du droit public des Francs étoit ; que tous les princes issus des rois devoient avoir un partage, et qu’aucun d’eux ne dût être sujet d’un autre roi que de son pere, et ne devoit être réduit à un simple apanage. Ainsi quelque nombre d’enfans qu’un roi laissât, il falloit que chacun d’eux eût son royaume, ce qui ne pouvoit se faire qu’en divisant les Etats du pere, quelque petits qu’ils pussent être, en autant de partages qu’il laissoit de garçons. Voilà pourquoi il y avoit durant le regne de Clovis tant de rois Francs, quoique la nation fût peu nombreuse, et voilà l’origine de la divisibilité de notre monarchie sous la premiere et sous la seconde race. En effet, Munderic ne s’adresse point particulierement à certains Francs, à ceux qui auroient été sujets de son pere. Il s’adresse generalement à tous ceux qu’il peut séduire, et la raison qu’il employe pour les gagner, c’est qu’étant sorti de la maison royale, il a droit d’avoir un thrône et des sujets.

Je reviens à l’histoire de Munderic. Thierri informé de ses pratiques, lui manda de venir le trouver : si vous avez quelque droit, lui fit-il dire, nous sommes très-disposés à vous rendre justice sur vos prétentions. On se doute bien quelles étoient les intentions du fils de Clovis ; aussi Munderic ne jugea-t-il point à propos de se rendre auprès de Thierri et il répondit à ceux qui lui avoient parlé de la part de ce prince : faites souvenir votre maître que je suis roi aussi-bien que lui. Thierri résolut donc d’employer la force ouverte pour étouffer la révolte. Il envoya une armée contre Munderic, qui ne se trouvant point assez fort avec ceux qu’il avoit attroupés pour tenir la campagne, se jetta dans Vitri[72]. Il y fut investi et attaqué, mais le siege tiroit en longueur : Arégisilus un des ministres de Thierri trouva moyen de l’abréger, conformément aux instructions de son maître. Il entra dans la place sur parole, et il representa si bien à Munderic que du moins les troupes de Thierri affameroient Vitri avant peu, qu’il persuada au rebelle de capituler. L’accord se fit. L’on y stipula une amnistie en faveur de Munderic, et Arégisilus en jura l’observation en mettant la main sur l’autel. Néanmoins Munderic n’eut pas plutôt mis le pied hors de la ville, que les assiégeans se jetterent sur lui ; il fut mis en pieces après avoir fait toute la résistance que peut faire un brave homme en une telle conjoncture. Tous ses effets furent ensuite confisqués. Cette révolte et les mouvemens que les Visigots faisoient en faveur des Bourguignons qui se défendoient encore, auront engagé Childebert et Clotaire à se racommoder avec Thierri : les deux premiers étoient unis alors si étroitement, qu’on peut bien croire qu’ils firent de concert toutes les démarches que Gregoire de Tours fait faire à l’un des deux. Thierri de son côté avoit un égal interêt à se reunir avec eux, quelques démêles qu’ils eussent ensemble. Aussi les trois freres se liguerent-ils dès la seconde campagne de la guerre nouvellement entreprise contre les Bourguignons. Du moins cette alliance étoit-elle déja formée lorsque Thierri qui ne vit point la fin de la guerre, mourut les derniers jours de l’année cinq cens trente-trois, ou bien au commencement de l’année suivante. Ainsi Thierri après avoir refusé en cinq cens trente-deux, comme on vient de le dire, de se liguer avec ses deux freres, aura probablement recherché leur alliance lui-même, dès qu’il aura vû qu’ils avoient la fortune favorable. Rien n’est plus ordinaire que de voir des souverains tenir une pareille conduite.

Je vais rapporter tout au long le chapitre de Gregoire de Tours, où il est fait mention de cette alliance de Thierri avec les rois ses freres, et qui dans cet auteur suit immédiatement le chapitre où il raconte l’histoire de Munderic. Il est vrai que le chapitre que je vais transcrire est un peu long, et qu’il est employé presque tout entier à narrer les avantures d’un Romain qui avoit été donné pour otage de l’exécution du traité dont il s’agit ; mais comme d’un autre côté ce chapitre est très-propre à donner une idée de la condition des Romains des Gaules sous nos premiers rois, j’ai crû que les lecteurs le trouveroient ici avec plaisir. Au reste je dois observer d’avance que les avantures de notre ôtage, c’est-à-dire sa captivité et son évasion, sont des évenemens qui ne doivent être arrivés que long-tems après le traité d’alliance dont nous venons de parler. Cet ôtage aura été déclaré esclave quelque tems après l’année cinq cens trente-quatre, et à l’occasion des brouilleries qui, après la mort de Thierri, survinrent, comme nous le dirons dans la suite, entre Theodebert son fils et son successeur, et les deux oncles de Theodebert.

» Vers ce tems-là Thierri & Childebert firent un Traité par lequel ils se promettoienr de ne rien entreprendre au préjudice l’un de l’autre ; & pour sureté de l’exécution de leur engagement, ils s’entredonnerent des ôtages, du nombre desquels furent plusieurs enfans de Sénateurs. Une brouillerie qui survint à quelque tems, de-là entre les Rois Francs, fut cause que part & d’autre on déclara les personnes de ces otages confisquées au profit de l’Etat. Ceux des nouveaux serfs qui ne trouverent pas moyen de se sauver, furent donnés en garde à differens particuliers qui les employerent aux travaux ordinaires des Esclaves. Attalus neveu de Gregorius Evêque de Langres, étoit un de nos ôtages, & sa garde fut confiée à un Franc établi dans la Cité de Tréves qui étoit du Partage de Thierri. Ce Barbare traita notre Romain comme un serf appartenant à l’Etat, & il lui donna pour sa tâche, l’emploi d’avoir soin d’un Haras. L’Evêque de Langres mit en campagne plusieurs de ses Esclaves pour avoir des nouvelles de son neveu ; & quand il eut appris par leur moyen où ce neveu étoit détenu, il les envoya traiter de la rançon d’Attalus avec le Franc qui l’avoit dans sa maison ; le Barbare refusa toutes les offres qui lui furent faites. Ce jeune homme, dit-il, est de de bonne famille, qu’il ne racheteroit pas trop chérement sa liberté, en donnant son pesant d’or. Dès qu’ils furent de retour à Langres, & qu’on y sçut qu’ils avoient fait un voyage infructueux, un autre Esclave nommé Leon qui servoit dans la cuisine de l’Evêque, demanda d’être envoyé à Tréves d’où peut-être, disoit-il, je serai assez heureux pour ramener Attalus. L’Evêque agréa la proposition de Leon, qui prit aussi-tôt le chemin de ce pays-là, où d’abord il fit plusieurs tentatives pour tirer d’esclavage le neveu de son Maître ; elles furent toutes inutiles ; mais Leon loin de se rebuter, imagina un nouvel expédient. Ce fut de se faire vendre lui-même à notre Franc par un homme aposté, qu’il avoit gagné, en lui offrant de lui laisser tout l’argent qui proviendroit du marché. Dès que Leon & son Maître supposé, se furent promis par serment d’exécuter fidelement leur convention, ce Maître prétendu vendit Leon au Barbare pour le prix de dix sols d’or. A quoi es-tu le plus propre, demanda le Franc à son nouvel Esclave ? A quoi ? répondit Leon, je sçais faire la cuisine en perfection, & personne n’apprête mieux que moi tous les plats qui peuvent se servir sur la table d’un Maître qui veut faire bonne chere ; dans l’occasion je ferois le dîner d’un Roi, sans qu’on trouvât rien à redire à mon repas : Tant mieux, répliqua le Franc, il est demain le jour du Soleil, c’est le nom que les Barbares donnent au Dimanche, & mes parens & mes voisins ont coutume de venir dîner chez moi ce jour-là ; apprêtes-nous un si bon repas que mes convives disent en s’en allant, on ne fait pas meilleure chere à la table de nos Rois. Tout ira bien, répartit Leon, donnez ordre seulement qu’on me fournisse des poulets en quantité. Le Dimanche tout le monde loua excessivement le dîner, & le Franc prit tant d’inclination pour le nouvel esclave qu’il le fit son pourvoyeur, & qu’il lui donna encore la commission de distribuer journellement la pitance aux autres serfs. Cependant il se passa une année entiere avant que Léon pût trouver l’occasion d’exécuter son grand projet ; mais voyant qu’il avoit enfin acquis toute la confiance de son Maître, il crut qu’il étoit tems de prendre son parti & de tenter l’avanture. Un jour qu’Attalus étoit dans le pré où ses chevaux paissoient, notre fidele esclave s’assit sur l’herbe, comme pour se reposer, & il dit assez haut pour être entendu de celui qu’il vouloit sauver, quoiqu’il eût affecté de lui tourner le dos ; le tems de prendre le chemin de notre Patrie est arrivé, ainsi quand vous aurez fait rentrer vos chevaux dans l’écurie, ne vous mettez point à dormir ; attendez bien éveillé que je vous appelle. Ce qui déterminoit Léon à prendre cette nuit-là pour le sauver, c’est que son Maître avoit chez lui une grande compagnie dont étoit le gendre de la maison. Sur le minuit, & quand chacun voulut se retirer, Léon accompagna ce gendre jusques à sa chambre, & là il lui presenta encore à boire. Le Barbare lui dit en plaisantant & en buvant un coup : Mon ami, le Fac-totum du beau-pere, tu as bien la mine d’être un éveillé qui par un beau matin enfourchera sans mot dire à personne, le meilleur cheval de l’écurie de la maison, dans l’intention, innocente au fond, d’aller faire admirer ta belle monture aux gens de ton Pays. Parlons plus sérieusement, quel jour t’enfuiras-tu ? Léon répondit sans s’émouvoir, bon, je pars cette nuit. L’avis est important, repartit le Franc, & vaut bien qu’on y fasse attention. Après vous en avoir remercié, je vais donner ordre à mes gens d’avoir l’œil au guet, afin qu’un aussi grand homme de bien, que tu me parois l’être, ne soit pas exposé au malheur de fourrer, en faisant sa malle sans lumiere, quelques hardes à moi, parmi les siennes. La conversation finit, comme elle avoit commencé, en plaisantant. Tout le monde étant endormi, Léon appella son compagnon de fortune, & les chevaux étant sellés, il lui demanda s’il ne s’étoit point pourvû de quelques armes qui servissent à empêcher le monde qui les rencontreroit, de les reconnoître pour des esclaves fugitifs. Si je me suis pourvû d’armes, répondit Attalus, je n’en ai pas d’autres que ma demi-pique ; Léon eut dans cette conjoncture, assez de courage & de résolution pour entrer dans la chambre de son Maître, afin de lui prendre son bouclier & sa pertuisane. Le Barbare se réveillant en sursaut, s’écria : qui va là ? C’est moi, répondit Leon, il est déja heure de mener les chevaux à la pâture, & Attalus que je veux faire lever pour les y conduire, est encore si endormi, pour avoir trop bû hier, que je ne puis tirer aucune raison de lui. Fais, comme tu voudras, répondit notre Barbare en se rendormant. Léon emporta donc avec lui les armes qu’il étoit venu chercher, & après les avoir données à Attalus, l’un & l’autre ils se mirent en devoir d’ouvrir la grande porte de la maison, qu’on avoit coutume de bien fermer tous les soirs, & à laquelle eux-mêmes ils avoient aidé à mettre les verroux à l’entrée de la nuit. Cependant elle se trouva ouverte comme par miracle. Nos fugitifs après avoir remercié le Ciel d’un présage si favorable, monterent chacun sur un bon cheval, & ils en prirent encore un troisiéme qu’ils menoient en main & qui portoit le bagage. Ils ne tinrent pas le droit chemin de Langres, dans la crainte d’être poursuivis. Lorsqu’ils furent arrivés au gué, où ils avoient compté de passer la Moselle, ils le trouverent gardé, & ils se virent ainsi contraints d’abandonner leurs chevaux & la plus grande partie de leurs hardes afin de se sauver. Le parti qu’ils prirent, fut donc celui de traverser cette riviere à la nage en s’aidant du bouclier qu’ils emportoient, & qui, comme le sont communément ceux des Barbares, étoit un simple tissu d’ozier recouvert de cuir, Dès qu’Attalus & Léon furent arrivés à l’autre bord, ils entrerent dans un bois pour y passer la nuit : là ils trouverent heureusement un prunier chargé de fruits, qui leur fut d’un grand secours, car il y avoit déja deux jours qu’ils n’avoient rien mangé. Après s’être reposés & repus, ils prirent leur chemin par la Champagne ; & précisément dans le tems qu’ils y traversoient une plaine, ils entendirent le bruit que faisoient plusieurs chevaux qui alloient un grand train & qui venoient à eux : ce bruit les obligea de se coucher par terre, afin de n’être point apperçus par les Cavaliers qui alloient passer. Il se trouva là tout-à-propos un buisson fort large & fort épais, derriere lequel nos fugitifs se mirent ventre contre terre, ayant leurs armes auprès d’eux, & bien résolus à se défendre du mieux qu’ils pourroient, s’ils étoient attaqués. Cependant les Cavaliers qui faisoient diligence, se trouverent bientôt vis-à-vis le buisson, & le hazard voulut encore que le le cheval d’un d’entr’eux pressé par un besoin qu’il est facile de deviner, s’arrêta précisément dans cet endroit-là : toute la troupe fit bride en main pour attendre celui dont le cheval s’étoit arrêté, & qui prit justement ce tems-là pour dire : Ne suis-je pas bien malheureux de ne pouvoir pas joindre nos deux coquins ; si nous les rattrappons il faudra attacher l’un au gibet & mettre l’autre en quatre quartiers. C’étoit le Maître de nos deux esclaves lui-même, qui, sans les sçavoir près de lui, expliquoit si nettement ses intentions. Il revenoit de Reims qui étoit, aussi-bien que Treves, du Partage de Thierri, & il les y avoit cherchés fort inutilement : mais le hasard les lui eût livrés si la nuit ne l’eût point empêché de les appercevoir. Aussi-tôt que la troupe qui s’étoit arrêtée eut recommencé à marcher & qu’elle fut à quelque distance du buisson, Attalus & Léon se remirent en chemin, & sur le point du jour ils entrerent dans Reims, où ils prierent la premiere personne qu’ils rencontrerent, de leur enseigner la maison de Paulellus, un Prêtre de cette Ville. On la leur indiqua, & comme pour s’y rendre ils passoient par le marché, ils entendirent sonner Matines, parce qu’il étoit Dimanche ce jour-là. Ainsi Paulellus étoit déja éveillé lorsqu’ils frapperent à sa porte qui leur fut ouverte sur le champ : Léon exposa d’abord à Paulellus en quelle situation Attalus se trouvoit. Le songe que j’ai eu cette nuit, s’écria le Saint Prêtre, n’étoit donc pas un simple rêve, c’étoit une vision véritable : en effet, j’ai songé que deux colombes, dont l’une étoit blanche & l’autre noire, se perchoient sur mon bras : mais nos voyageurs affamés lui dirent, sans vouloir raisonner sur un augure si heureux : nous croyons que le Seigneur voudra bien nous pardonner d’avoir, affamés comme nous le sommes, déjeûné avant que d’assister au service divin, quoiqu’il soit aujourd’hui Dimanche. Faites-nous donc donner à manger, car il y a quatre jours que nous n’avons vû ni pain, ni vin, ni viande. Paulellus fit manger à ses hôtes du pain trempé dans du vin, & après les avoir cachés, il s’en fut chanter Matines. Cependant le Maître d’Attalus & de Léon revint à Reims sur quelque nouvelle de ses esclaves qu’on lui avoit données, & il demanda à Paulellus qu’il eût à les lui livrer ; mais comme depuis long-tems cet Ecclésiastique avoir de grandes liaisons avec l’Evêque de Langres, il se garda bien de les lui remettre, & il fit au Franc une réponse qui le dépaïsa. Enfin nos fugitifs, après s’être reposés quelques jours dans la maison de leur protecteur, se mirent en chemin, & ils arriverent sains & saufs dans Langres. Gregorius répandit des larmes de joye quand il embrassa son neveu ; & pour récompenser le courage & la fidelité de Léon, il affranchit cet esclave, ainsi que toute sa famille, & il lui donna encore la pleine proprieté de la terre, à la culture de laquelle ils étoient attachés. »

Nous avons dit qu’un des motifs qui obligea Thierri vers l’année cinq cens trente-trois de se raccommoder avec ses freres, fut la nécessité de faire tête aux Visigots qui tentoient quelque diversion en faveur de Godemar, en un tems où il se défendoit encore, et le dessein de profiter de cette occasion pour reprendre sur ces mêmes Visigots quelque partie du pays qu’ils avoient enlevé aux Francs après la mort de Clovis, et que les Francs n’avoient point encore reconquis. Les suites qu’eut l’alliance de Thierri avec ses freres, empêchent de douter qu’elle ne contînt les conditions ordinaires de pareils traités ; de faire conjointement la guerre aux ennemis communs, et de partager tout ce qui sera conquis sur eux. Ainsi en vertu de cette alliance, les fils de Clovis firent la guerre conjointement en cinq cens trente-trois contre les Bourguignons et contre les Visigots. Nous ignorons ce que firent les rois Francs contre les Bourguignons cette campagne-là ; mais nous sçavons quelque chose de ce qu’ils firent alors contre les Visigots. Voici donc ce qu’on trouve dans Gregoire de Tours concernant les entreprises des Francs sur le pays tenu par les Visigots en cinq cens trente-trois.

» Thierri conclut le mariage de son fils Theodebert avec Visigarda fille de Wacco Roi des Lombards. Après la mort de Clovis, les Visigots avoient repris une partie de ce qu’il avoit conquis sur eux. Voilà pourquoi Thierri dans le tems dont je parle, envoya son fils Theodebert, & pourquoi Clotaire envoya son fils Gunthier pour recouvrer cette partie des acquisitions de Clovis. Gunthier s’avança jusqu’en Rouergue, mais il revint brusquement sur ses pas, sans qu’on en sçût le sujet. Pour Theodebert il entra dans la Cité de Béziers, où il prit Diou. Ensuite il envoya sommer un autre Château nommé Cabrieres, qu’il menaçoit de brûler & d’y faire tout le monde esclave, si l’on tardoit à lui en ouvrir les portes. Il y avoir dans ce Château une Matrone Romaine nommée Deuteria femme de beaucoup d’esprit & d’une grande prudence. Son mari s’étoit retiré à Béziers. Elle envoya des Députés au Roi[73]. » On sçait qu’alors les fils de roi étoient souvent traités de roi du vivant de leur pere, et avant qu’ils portassent encore la couronne. » Ces Députés dirent, suivant leur instruction, à Theodebert : On n’ignore pas, Prince débonnaire, que rien ne sçauroit résister à vos armes. Nous nous rendons à vous. Entrez dans Cabrieres, & soyez-y le maître. Theodebert prit donc paisiblement possession de la Place ; & comme il y trouva une soumission entiere à ses ordres, il n’y fit mal à personne. Il arriva même que Deuteria lui parut si belle lorsqu’elle vint au-devant de lui, qu’il en devint amoureux, & qu’il la fit entrer dans son lit. Ce Prince, au mépris des engagemens qu’il avoit pris avec Visigarda, épousa même cette Deuteria dans la suite, & quand Thierri fut mort. Mais le bruit que les Francs firent à ce sujet-là, l’obligea de répudier Deuteria avec laquelle il avoit déja vêcu durant sept ans, & donc il avoit eu Théodebal, afin de se mettre en état d’exécuter l’engagement d’épouser Visigarda, lequel il accomplit. » Je reviens à l’année cinq cens trente-trois.

Tandis que Théodebert prenoit Cabrieres, Thierri se défit de Sigivaldus son parent, le même qu’il avoit laissé pour commander en Auvergne, et il écrivit incontinent à Théodebert de se défaire aussi de Givaldus fils de ce Sigivaldus. Mais Théodebert n’en voulut rien faire, parce que Givaldus étoit son filleul. Au contraire Théodebert donna à lire la lettre de son pere à Givaldus, en lui disant : « Sauvez-vous. Voilà l’ordre de vous faire mourir que mon pere m’envoye. Quand il ne sera plus, revenez auprès de moi, et vous n’y aurez rien à craindre. » Givaldus après avoir remercié Théodebert, se réfugia dans Arles, qui bien qu’elle fût sous l’obéissance des Ostrogots, avoit donné des ôtages à ce prince pour sureté qu’elle observeroit une exacte neutralité durant la guerre, mais dans laquelle cependant les Ostrogots n’avoient point laissé de jetter des troupes. Givaldus ne s’y tint pas en sureté, et passant les Alpes, il se réfugia dans les environs de Rome où regnoit alors Athalaric roi des Ostrogots. En effet, en lisant avec réflexion la narration de Gregoire de Tours, il paroît que Théodebert étoit convenu avec le sénat d’Arles dès le commencement de cinq cens trente-trois, que cette ville demeureroit neutre durant la guerre des Francs contre les Bourguignons et les Visigots, quoiqu’elle appartînt aux Ostrogots, qui pour lors avoient pris le parti des ennemis des Francs. Les Ostrogots, bien qu’ils n’eussent plus alors, comme du vivant de Théodoric, le même souverain que les Visigots, s’étoient néanmoins déclarés pour les Visigots. Il paroît encore que, bien que les Ostrogots eussent introduit une garnison dans Arles, le sénat y étoit encore dans la volonté de tenir tout ce qu’il avoit promis aux Francs. Un article de cette convention étoit apparemment : que les transfuges seroient rendus de part et d’autre. Ainsi Givaldus, qui d’abord aura cru être en sureté dans Arles, parce qu’il étoit dans une ville occupée par les ennemis de ses ennemis, n’aura point jugé à propos, après avoir reconnu la disposition d’esprit où étoient les habitans, de continuer à y faire son séjour. Il aura cru que le parti le plus sur étoit celui de passer les Alpes, et de se réfugier dans les environs de Rome, où Athalaric roi des Ostrogots étoit plus le maître, qu’il ne l’étoit dans Arles. Reprenons la narration de Gregoire De Tours.

Il ajoute immédiatement après avoir dit que Givaldus se retira en Italie : » Tandis que toutes ces choses se palloient, Thierri tomba malade dangereusement. Aussi-tôt les serviteurs de Théodebert l’avertirent de se rendre en diligence auprès de son pere, & de prévenir à la fois les mesures que Childebert & Clotaire pourroient prendre pour lui barrer les chemins, & les menées qu’ils ne manqueroient pas de faire, pour s’emparer du Partage qui lui devoit appartenir. Théodebert abandonna donc toutes ses autres affaires pour celle-là, & laissant Deuteria en Auvergne, il se rendit auprès de Thierri qui mourut peu de jours après l’arrivée de son fils, & la vingt-troisiéme année de son regne commencé en sept cens onze. Les deux oncles de Théodebert eurent bien envie de se mettre en possession de son héritage ; mais il se conduisit avec tant de souplesse à leur égard, & les Sujets se montrerent tellement attachés à leur Roi légitime, que ces Princes se désisterent de leur projet. Dès que Théodebert se vit affermi sur le Trône, il fit venir de l’Auvergne Deuteria qu’il épousa solemnellement. »

Ce fut donc à la fin de l’année cinq cens trente-trois, ou au commencement de l’année suivante, que mourut Thierri décedé après vingt-trois ans d’un regne qu’il avoit commencé en cinq cens onze, et ce fut alors que ses freres voyant bien qu’il falloit renoncer à l’esperance de détrôner Théodebert, auront voulu l’avoir pour ami, et qu’ils auront renouvellé avec lui l’alliance qu’ils avoient contractée environ un an auparavant avec Thierri son pere. » Dès que Théodebert eut été affermi sur le Trône, dit Gregoire de Tours, il se montra & Grand Prince & bon Roi. Il faisoit regner la justice dans ses Etats. Il donnoit avec profusion aux Églises, il soulageoit volontiers les indigens, & dans toutes occasions il étoit débonnaire & bienfaisant. Il remit même aux Eglises d’Auvergne les redevances dont les biens qu’elles possedoient, étoient tenus envers le Fisc. »

Si nous en croyons Cassiodore, le roi Thierri mourut du déplaisir qu’il ressentit du peu de succès qu’avoit eu son fils Théodebert dans une campagne faite contre les Ostrogots. Nous avons déja dit qu’ils s’étoient déclarés ennemis des Francs, sans doute par les mêmes motifs qui avoient engagé les Visigots à prendre parti en faveur des Bourguignons dans la guerre dont nous faisons ici l’histoire. Voici comment s’explique cet auteur dans une lettre qu’il écrit, après avoir été fait préfet du prétoire d’Italie, au Sénat Romain, et où il fait un pompeux éloge d’Athalaric roi des Ostrogots, aussi-bien que d’Amalasonthe mere de ce prince, laquelle gouvernoit durant la minorité de son fils. » Dans quelle consternation l’armée que nos Princes ont envoyée contre les Francs, n’a-t’elle point jetté cette Nation devenuë si puissante par ses conquêtes sur les autres Peuples Barbares. Ces Francs qui dans les tems précedens avoient toujours cherché leur ennemi par tout où il se trouvoit pour le charger, n’ont point voulu accepter le combat quand nos Troupes leur ont presenté la bataille. Mais ces Guerriers audacieux en devenant si circonspects, qu’ils n’étoient plus reconnoissables, n’ont point laissé d’essuyer de grandes disgraces. Ils ont perdu leur Roi. Ce Thierri, dont le nom s’étoit rendu si célebre, est mort de douleur, en voyant notre supériorité sur les Francs. Bien qu’il ne soit pas mort les armes à la main, mais dans son lit, nous pouvons néanmoins le regarder comme un ennemi vaincu, dont la défaite honore le triomphe de nos Souverains. Le genre de sa mort est un effet particulier de la Providence, qui d’un côté n’a point voulu que notre armée, qui s’étoit mise en campagne, pour défendre une bonne cause, rentrât dans ses quartiers sans avoir cueilli quelque fruit de ses travaux, & qui d’un autre côté n’a point ausi jugé à propos de permettre que l’armée d’Amalasonthe fille d’Audeflede sœur de Clovis, répandît le sang des peuples sujets aux fils de ce Prince. Heureuse campagne pour les Gots, puisqu’ils y ont sacrifié à leur gloire une Tête couronnée, sans qu’on puisse cependant leur reprocher d’avoir trempé leurs armes dans son sang. D’ailleurs le Bourguignon, pour recouvrer ce qu’il avoit perdu, a bien voulu s’avouer dépendant de nos Maîtres. Moyennant quelques Villes qu’on lui a renduës, il a soumis à leur Empire tout le territoire dont il étoit en possession. Il a mieux aimé devenir leur Sujet sans rien perdre de ses Etats, que d’en perdre une partie en s’obstinant à demeurer dans l’indépendance. Depuis qu’il a mis bas les armes, après nous avoir pris pour Arbitres, il n’en a été que plus assuré de la possession de son pays. Sa soumission au pouvoir de nos Rois lui a même valu la restitution de plusieurs Contrées qu’il n’avoit pas pû défendre l’épée à la main. »

Il faut que la campagne de cinq cens trente-trois, à la fin de laquelle Thierri mourut probablement, ait fini par un accord, en vertu duquel les Francs auront rendu au roi Godemar quelque portion de ce qu’ils avoient déja conquis sur lui, et que cet accord se soit fait par la médiation des Ostrogots, qui pour obtenir cette restitution, auront bien voulu de leur côté remettre quelques cantons qu’ils pouvoient tenir sur la droite du Rhône, entre les mains des Francs, par quelqu’accord qui fut bien-tôt rompu.

En effet on ne sçauroit douter que sous le regne d’Athalaric, qui mourut en cinq cens trente-quatre, la nation des Ostrogots n’ait fait aux Francs une cession assez considérable, soit en leur délaissant quelque portion de territoire, soit en leur transportant les droits qu’elle prétendoit avoir sur la partie des Gaules, que les Francs tenoient déja. J’ai pour garant Jornandès ; qui a écrit environ cinquante ans après l’année cinq cens trente-trois. Voici ce que dit cet historien dans les deux ouvrages qu’il nous a laissés. Il écrit dans son Histoire des Gots : » Les Francs qui ne craignoient point un Roi enfant, & qui même le méprisoient, prirent les armes contre Athalaric, pour lui enlever quelques Contrées que son ayeul & son pere avoient acquises dans les Gaules. Ce Roi les appaisa par une cession. » Le même auteur dit dans son Histoire générale des révolutions arrivées dans les siecles et dans les Etats : » Theodoric Roi d’Italie étant mort, il eut pour successeur, conformément à la disposition qu’il avoit faite, son petit-fils Athalaric. Ce Prince quoique très-jeune par son âge & par ses inclinations, ne laissa point de regner huit ans. C’étoit sa mere Amalasonthe, qui gouvernoit. Elle céda aux Francs qui poursuivoient leurs prétentions avec chaleur, les Gaules qui depuis longtems étoient en dispute entr’eux & les Ostrogots. » Peut-on croire que Jornandés qui écrivoit dans un tems si voisin des évenemens dont il s’agit, se soit trompé assez lourdement pour écrire que la cession de la province que les Ostrogots tenoient entre le bas-Rhône et les Alpes, ainsi que la remise actuelle de cette province aux Francs, qui, comme nous le verrons, ne furent faites que plus de deux ans après la mort d’Athalaric, et même après la mort d’Amalasonthe qui survêcut son fils, ayent été faites du vivant et sur les ordres expédiés au nom de ce prince. Il n’y a point d’apparence. Il faut donc qu’Athalaric eût fait aux Francs quelqu’autre cession, soit de droits, soit de territoire, la derniere année de son regne, et que ce soit de cette cession-là que Jornandès ait voulu parler.

Nous avons encore dans le douziéme livre des Epitres de Cassiodore qui contient celles que ce grand homme écrivit au nom des successeurs de Theodoric, et par consequent après l’année cinq cens vingt-six que ce roi mourut, un acte qui fait foi que les Ostrogots étoient alliés aux Bourguignons durant la derniere guerre des Francs contre les Bourguignons ; guerre qui finit par la conquête du pays de ces derniers. C’est un édit par lequel le roi des Ostrogots informe les peuples de la Ligurie d’un avantage que les Bourguignons venoient de remporter sur les Allemands, et où il déclare à ces mêmes peuples, qu’attendu la disette où ils étoient, il leur remet la moitié des impositions annuelles, et veut bien leur permettre d’acheter du bled dans les greniers royaux. On a vû déja qu’après la bataille de Tolbiac, une partie des Allemands s’étoit soumise aux Francs, et que l’autre s’étoit soumise aux Ostrogots. Certainement ce n’est point une victoire remportée par les Bourguignons sur les Allemands soumis aux Ostrogots, que l’édit annonce comme une bonne nouvelle aux peuples de la Ligurie. Il faut donc qu’il s’agisse dans cet édit de la défaite des Allemands sujets de la monarchie Françoise, qui pour faire diversion, avoient attaqué de leur côté, c’est-à-dire, vers le Mont-Jura, les Bourguignons alliés pour lors aux Ostrogots.

Quoique Cassiodore crut encore à la fin de l’année cinq cens trente-trois, le royaume des Bourguignons en état de subsister long-tems, son terme fatal étoit néanmoins arrivé. Il fut conquis par les Francs l’année suivante. Soit qu’ils ayent pensé que la convention faite avec Athalaric ne les obligeoit plus après la mort de ce prince arrivée pour lors, soit qu’ils ayent eu d’autres raisons de ne point observer cette convention, ils acheverent en cinq cens trente-quatre la conquête de la Bourgogne, dont ils avoient déja conquis, depuis la rupture, une partie ; et ils se rendirent si bien les maîtres du pays qu’ils n’en furent plus chassés. C’est à l’évêque d’Avanches que nous avons l’obligation de sçavoir précisément cette date, qui est d’un si grand usage dans l’histoire des enfans de Clovis. Ainsi nous transcrirons encore ici le passage de la chronique de cet évêque, où il nous l’a donnée, quoique nous l’ayons déja rapporté. » Sous le Consulat de Paulin le jeune, les Rois des Francs, Childebert, Clotaire, & Theodebert se rendirent maîtres de la Bourgogne ; & après avoir réduit Le Roi Godemar à se sauver, ils partagerent entr’eux ses Etats. »

Ceux qui connoissent les monumens dont on peut se servir en écrivant notre histoire, n’attendront pas de moi une relation exacte de ce grand évenement, qui finit probablement par la prise d’Autun, dont Gregoire de Tours fait mention dans l’endroit que nous avons rapporté. Ils sçavent trop bien que la plûpart des circonstances de la conquête dont il s’agit, nous sont inconnuës, et qu’il faut se contenter de ce que nous avons vû déja, et de ce que nous en apprend un historien grec. Procope écrit donc : » Les Francs qui croyoient qu’après la mort de Theodoric Roi d’Italie, rien ne fût plus capable de leur résister, attaquerent la Turinge, & ils le défirent du Roi de cette Contrée qu’ils conquirent. Quelque tems après ils assaillirent très-vivement les Bourguignons, dont le nombre étoit fort diminué par la quantité d’hommes qu’ils avoient perdus dans les guerres précédentes. Les Francs eurent l’avantage sur leur ennemi. Le Roi des Bourguignons tomba même enfin au pouvoir des vainqueurs, qui l’enfermerent dans un Château, où ils le tinrent prisonnier. Les Francs accorderent ensuite une espece de capitulation aux vaincus. Elle portoit : que les Bourguignons continueroient à jouir des Terres dont ils étoient en possession en qualité d’Hôtes de l’Empire ; mais à condition qu’ils payeroient à l’avenir aux Rois Francs les redevances dont elles étoient chargées, & qu’ils serviroient ces Princes dans leurs guerres. » En effet dès que les Bourguignons reconnoissoient les rois Francs pour leurs souverains, c’étoit à ces princes qu’ils devoient payer les redevances qu’ils payoient auparavant à Godemar, et aux autres rois de leur nation ses prédécesseurs. Nous verrons dans la suite les Bourguignons accomplir le second article de la capitulation qu’on avoit bien voulu leur accorder, et porter les armes en Italie pour le service des rois des Francs. Nous y verrons aussi que quoique Procope n’en fasse aucune mention, il devoit se trouver dans la capitulation des Bourguignons un article, qui leur assurât le privilege de vivre selon leur loi nationale qui étoit la loi Gombette. Ils continuerent à vivre suivant cette loi jusques sous le regne de Louis Le Débonnaire.


LIVRE 5 CHAPITRE 6

CHAPITRE VI.

Justinien Empereur des Romains d’Orient se rend maître de la Province d’Afrique, en subjuguant les Vandales, qui l’avoient envahie. Il veut conquerir l’Italie sur les Ostrogots. Ses négociations avec les Rois des Francs, & son premier traité avec eux.


Nous sommes enfin parvenus à la derniere des trois grandes acquisitions faites par les rois enfans de Clovis ; à celle des pays que les Ostrogots tenoient dans les Gaules et dans la Germanie, et qui fut suivie de la cession entiere des Gaules faite à ces princes par l’empereur Romain.

Les troubles qui suivirent de près la mort d’Athalaric, leur avoient déja facilité la conquête de la Bourgogne ; et ce fut la continuation de ces mêmes troubles, et les guerres ausquelles ils donnerent lieu, qui rendirent les Francs maîtres de tout ce que les Ostrogots possedoient hors des limites de l’Italie. Ainsi je dois commencer l’histoire de cette espece de conquête, par exposer en quel état se trouvoient, lorsqu’elle se fit, les puissances dont les dissensions, les querelles, et les guerres, procurerent à nos rois Francs les moyens de la faire.

L’empereur Anastase étant mort en l’année cinq cens dix-huit, il eut pour son successeur Justin Premier, qui après un regne de neuf ans, laissa le trône des Romains d’Orient à Justinien, prince si célébre par ses victoires, et si renommé pour être l’auteur de celle des rédactions du droit Romain, laquelle encore aujourd’hui, a pouvoir de loi dans la plus grande partie de l’Europe, et qui dans l’autre est regardée avec le respect dû à la raison écrite. Dès la premiere année de son regne, cet empereur avoit formé le vaste projet de chasser des provinces du partage d’Occident les barbares qui les avoient envahies, sous pretexte de les défendre contre d’autres barbares. Comme l’Afrique et l’Italie étoient celles de ces provinces qui étoient les plus voisines du partage d’Orient, c’étoit en les recouvrant que Justinien devoit commencer l’exécution de son projet. Mais soit que les grands préparatifs qu’il convenoit de faire avant que de l’entreprendre, n’eussent point été achevés plutôt, soit que Justinien eût attendu, pour commencer la guerre en Afrique, qu’il fût débarassé de celle qu’il eut les premieres années de son regne contre les Perses, ce ne fut qu’en cinq cens trente-quatre qu’il envoya Bélisaire subjuguer les Vandales qui s’étoient emparés de l’Afrique. » Sous le Consulat de Paulin le jeune, die l’Evêque d’Avanches, le Patrice Belisaire reconquit au nom de l’Empire Romain la Province d’Afrique sur les Vandales, qui la tenoient depuis quatre-vingt-douze ans ; & il presenta dans Constantinople à l’Empereur Justinien, Gélimer Roi de ce Peuple, avec toute la famille & tous les thrésors de ce Roi Barbare. »

J’ai rapporté dans le tems, comment les Vandales s’étoient emparés de la province d’Afrique, et les differentes tentatives que les empereurs avoient faites pour les en chasser. J’ai dit que Zénon empereur d’Orient, et qui mourut en quatre cens quatre-vingt-onze, désesperant de pouvoir venir à bout de reconquérir sur eux cette province, avoit fait enfin la paix avec leur roi Genséric, le même qui les y avoit établis. » Zénon, écrit Procope, traita avec Genséric, & ils conclurent ensemble une paix durable, aux conditions que les Vandales s’abstiendroient de porter aucun préjudice aux Romains, & que les Romains de leur côté n’entreprendroient plus rien contre les Vandales. Tant que Zénon & ses deux premiers successeurs Anastase & Justin vêcurent, ce Traité fut exécuté de bonne foi de part & d’autre ; & il n’a été enfreint que par l’Empereur Justinien. Ce fut lui qui le rompit en faisant aux Vandales dont nous allons écrire l’Histoire. Genséric n’avoit pas survêcu long-tems à son Traité avec l’Empereur Zénon & il étoit mort fort âgé, trente-neuf ans après avoir pris Carthage, c’est-à-dire, en quatre cens soixante & dix huit. Son testament contenoit une disposition singuliere. Il y ordonnoit que la Couronne du Royaume dont il étoit le Fondateur, ne passeroit point toujours à l’héritier en ligne directe du dernier possesseur, mais qu’indépendemment de la prérogative des lignes & de la proximité du dégré, elle seroit toujours déferée à la mort du Prince qui la portoit, à celui des descendans de mâle en mâle de lui Genséric, qui se trouveroit être le plus âgé de la famille Royale dans le tems que le Trône viendroit à vacquer. » Il devoit donc souvent arriver que ce fût un cousin du roi dernier mort qui montât sur le trône, à l’exclusion des fils mêmes de ce roi. Aussi cette disposition de Genséric a-t’elle été souvent citée par les auteurs qui ont écrit sur le droit public des nations, comme une loi de succession des plus singulieres. Cependant nous allons voir qu’elle fut observée.

» Honoric le fils aîné & le successeur de Genséric mourut de maladie en quatre cens quatre-vingt-six, après un regne de huit ans. Son Sceptre passa entre les mains de Gundamund. Il étoit fils de Genso, un des fils de Genséric, & non pas d’Honoric ; mais la disposition de Genféric lui déferoit la Couronne, comme au plus âgé des Princes de la Famille Royale. Gundamund mourut de maladie au milieu de la douziéme année de son regne, dans le cours de l’année de Jesus-Christ quatre cens quatre-vingt-dix-huit, & il eut pour successeur son frere Trasamund, qui regna vingt-sept ans. A la mort, arrivée en cinq cens vingt-cinq, Ildéric fils d’Honoric le fils & le premier successeur de Genséric, monta sur le Trône, où suivant les loix ordinaires de succession, il aui roit dû monter dès l’année quatre cens quatre-vingt-six. » Ildéric regna sept ans. Au bout de ce tems-là, c’est-à-dire, en cinq cens trente et un, Gélimer fils de Gélaridus, qui fut fils de Genso, l’un des enfans de Genséric, étoit après Ildéric le plus âgé de la maison royale, et par conséquent tout le monde le regardoit comme le successeur présomptif d’Ildéric. Il profita de la considération qu’on avoit pour lui ; et après s’être fait un parti, il déposa Ildéric, qu’il fit enfermer. Gélimer commit encore des cruautés infinies contre les partisans du roi détrôné.

Justinien ne pouvoit donc pas entreprendre la guerre contre les Vandales dans une conjoncture plus favorable que celle où il l’entreprit en cinq cens trente-quatre. Il avoit affaire à un usurpateur odieux, et d’un autre côté les Ostrogots d’Italie n’étoient point en état, comme nous allons l’expliquer, de secourir un roi, dont ils devoient cependant croire que la chûte entraîneroit leur Etat. Aussi la guerre Vandalique fut-elle bientôt terminée. Mais comme elle ne fait point une partie de l’histoire de notre monarchie, je m’en tiens à ce que j’en ai déja dit, et je renvoye ceux qui voudroient en sçavoir davantage à Procope qui l’a si bien écrite.

Ainsi la conquête de la province d’Afrique fut à peine achevée, que les conjonctures parurent favorables à Justinien pour chasser aussi d’Italie les Ostrogots. Il faut remonter jusques à la mort de leur roi Theodoric, pour bien donner à connoître en quelle situation ils se trouvoient au commencement de l’année cinq cens trente-cinq, qu’ils furent attaqués par l’armée Romaine, qui venoit de triompher des Vandales.

Ce grand prince, qui aussi-bien que Genséric, fut le fondateur d’une puissante monarchie, ne laissa point de garçon lorsqu’il mourut en cinq cens vingt-six. Il avoit eu d’Audéfléde sœur de Clovis trois filles. Une de ces princesses nommée Ostrogothe, avoit été mariée avec Sigismond roi des Bourguignons, dont elle avoit eu Sigéric. Mais, comme nous l’avons déja dit, Ostrogothe étoit déja morte, lorsque Sigismond fit tuer leur fils Sigéric en l’année cinq cens vingt-deux. Ainsi lorsque Théodoric mourut, il ne restoit point de garçon descendant de cette princesse. Quant aux deux autres filles de Theodoric, Théodegote qui étoit l’aînée, avoit été mariée avec Alaric Second roi des Visigots, tué à la bataille donnée à Vouglé en cinq cens sept. Comme l’histoire ne fait aucune mention d’elle après la mort de son mari, on peut juger qu’elle étoit décédée avant lui. Mais elle avoit laissé un fils, Amalaric roi des Visigots, celui dont Théodoric avoit jusques à sa mort gouverné les Etats. La troisiéme des princesses filles du roi des Ostrogots, étoit la célébre Amalasonthe, qui devoit être la cadette de sa sœur Théodegote, puisqu’elle ne fut mariée avec Eutharic Cillica de la maison des Amales, qu’en l’année cinq cens quinze. Eutharic mourut avant Théodoric, mais il laissa de son mariage avec Amalasonthe une fille nommée Mathasonthe, et un fils nommé Athalaric, qui avoit environ dix ans lorsque son grand-pere Théodoric mourut en cinq cens vingt-six. Ainsi lorsque le fondateur de la monarchie des Ostrogots cessa de vivre, il avoit pour héritiers naturels deux petits-fils, Amalaric roi des Visigots, et Athalaric fils d’Amalasonthe.

Amalaric étoit bien fils de l’aînée des filles de Théodoric, mais il n’étoit pas, du côté de son pere Alaric Second, de la nation des Ostrogots ; et, comme on l’a déja vû, et ainsi qu’on va le voir encore, ces deux nations quoiqu’elles fussent originairement deux essains du même peuple, se regardoient néanmoins comme des nations étrangeres. Le fils de Théodegote ne devoit donc pas prétendre suivant les coutumes et les usages observés alors parmi les barbares, jouir en son nom de la couronne des Ostrogots. D’ailleurs Amalaric avoit recueilli en vertu de sa naissance, un assez bel héritage. Il étoit roi des Visigots. Le roi des Ostrogots nomma donc pour successeur de ses Etats, le fils d’Amalasonthe ; et il se contenta de remettre au fils de Théodegote les Etats qui composoient la monarchie des Visigots, et dont il avoit toujours gardé l’administration depuis la mort d’Alaric Second. » Théodoric, dit Jornandès, se voyant avancé en âge, & près de la fin, il fir assembler ceux des Ostrogots qui avoient des emplois, & les principaux Citoyens de cette Nation, & il déclara devant eux Athalaric, qui n’avoit encore que dix ans, son successeur dans ceux des differens Etats qu’il gouvernoit, desquels il étoit Proprietaire. Il ajouta que cette déclaration auroit la même force qu’un testament fait dans toutes les formes, qu’il enjoignoit au surplus à ceux qui l’écoutoient, de bien servir leur jeune Roi, d’aimer le Sénat & le Peuple Romain, & d’entretenir toujours une bonne correspondance avec l’Empereur d’Orient. »

On voit par la lettre qu’Athalaric, dès qu’il fut monté sur le trône, écrivit à Justinien, que le nouveau roi des Ostrogots accomplit exactement les dernieres volontés de son ayeul. En voici un extrait : » Vous avez autrefois élevé au Consulat mon ayeul Théodoric. Vous avez daigné envoyer à mon pere jusques dans l’Italie, la robe triomphale ; & pour vous l’attacher encore plus étroitement, vous l’avez déclaré votre fils d’armes, & vous avez bien voulu ainsi adopter un Prince qui étoit presque de votre âge. Etant aussi jeune que je le suis, vous m’adopterez avec encore plus de convenance. Daignez donc acquérir par vos bienfaits quelque supériorité sur mes Etats. Ma reconnoissance vous y rendra maître encore, plus que vous ne l’êtes dans les vôtres. Voilà pourquoi j’ai nommé tel & tel mes Ambassadeurs auprès de votre Sérénité, & je les charge par » leur instruction de vous prier de m’accorder votre amitié aux » mêmes conditions que les Princes vos prédécesseurs ont ac » cordé la leur à mon ayeul de glorieuse mémoire. »

Il est clair par cette lettre, et c’est une observation qu’on ne sçauroit s’empêcher de faire plus d’une fois, que les rois Ostrogots vouloient bien reconnoître dans les empereurs d’Orient une supériorité de rang, mais non pas une supériorité de jurisdiction, et qu’ils se croyoient en droit de traiter avec ces empereurs de couronne à couronne. C’est ce qui peut confirmer dans l’opinion que Zénon avoit cédé purement et simplement tous les droits de l’empire d’orient sur l’Italie à Théodoric, et qu’il n’y avoit point envoyé ce prince en qualité de son lieutenant, lorsqu’il l’y envoya pour délivrer Rome de la tyrannie d’Odoacer. C’est de quoi nous avons parlé assez au long sur l’année quatre cens quatre-vingt-neuf. Je reviens à l’avenement d’Athalaric à la couronne.

Ce prince eut donc l’Italie, et Amalaric l’Espagne. Quant aux provinces des Gaules qui obéissoient à la nation Gothique, voici comment elles furent partagées en suivant la disposition de Théodoric. » Les Gots, on sçait bien que dans le style de Procope, les Gots dits absolument, sont les Ostrogots, eurent la partie de ces Provinces, qui par rapport à l’Italie, est en-deçà du Rhône ; & les Visigots curent la partie qui est au » delà de ce Fleuve. » Le lecteur se souviendra bien que la partie des Gaules qui échut à Athalaric, étoit celle que Théodoric avoit possedée de son chef, l’ayant conquise en differens tems sur les Bourguignons, et que le lot d’Amalaric fut précisément la partie des Gaules, qui avoit été de la monarchie des Visigots. Ils l’avoient conservée après la mort d’Alaric Second, comme on l’a vû, et Théodoric y avoit été le maître à titre de tuteur et d’administrateur des biens de son petit-fils encore pupille. Il est vrai qu’Athalaric garda la ville d’Arles, quoiqu’elle eût été du royaume d’Alaric Second, et qu’elle dût par cette raison être du royaume d’Amalaric. Mais les convenances demandoient absolument que les Ostrogots gardassent cette ville dont ils étoient actuellement en possession. En premier lieu, elle étoit assise à leur égard en-deçà du Rhône, qui étoit une séparation naturelle des contrées qu’eux et les Visigots tiendroient dans les Gaules. En second lieu, elle étoit dès le tems des empereurs le siége de la préfecture des Gaules, qu’il importoit tant au roi des Ostrogots de maintenir en crédit. Nous en avons dit ci-dessus les raisons. Athalaric donna-t’il ou non à son cousin une compensation pour Arles ? Quel fut cet équivalent ? J’ignore tout cela.

Procope reprend la parole : » Du consentement d’Athalaric, les Viligots furent dispensés de lui payer les redevances annuelles, que Théodoric leur avoit imposées. Il fut même convenu qu’Athalaric restitueroit à son cousin Amalaric, le tresor des Rois Visigots, que Théodoric avoit autrefois emporté de Carcassonne, pour le porter à Ravenne. Enfin il fut stipulé que ceux des Ostrogots qui s’étoient mariés dans les Pays qui dėvoient demeurer aux Visigots, & réciproquement que ceux des Visigots qui s’étoient mariés dans les Pays qui devoient demeurer aux Ostrogots, auroient les uns & les autres, à leur choix, la faculté de demeurer dans le Pays où ils s’étoient domiciliés, ou celle d’emmener leur famille avec eux, s’ils jugeoient à propos d’en sortir, pour se retirer dans les Pays de l’obéissance du Roi de la Nation dont ils étoient. » On voit par-là que, comme nous venons de le dire, les les Visigots et les Ostrogots, qui n’étoient originairement que deux tribus ou deux essains d’une même nation, n’avoient pas été confondus les uns avec les autres, quoiqu’ils habitassent pêle-mêle dans les mêmes contrées depuis vingt ans. Il faut une convention spéciale, afin que les Visigots qui s’étoient mariés dans le pays des Ostrogots, et que les Ostrogots qui s’étoient mariés dans le pays des Visigots, puissent être citoyens de la tribu dont ils n’étoient pas issus, au cas qu’ils veuillent rester dans la patrie de leurs femmes. Qu’on juge après cela combien les usages et les mœurs de ces tems-là s’opposoient à ce que les nations, qui étoient étrangeres en quelque sorte les unes à l’égard des autres, ne vinssent à s’incorporer et à se confondre.

Nous avons déja dit quelle fut la destinée d’Amalaric, comment il fut tué à Barcelonne vers l’année cinq cens trente et un, et à qui ses Etats passerent après lui. Pour Athalaric, il resta jusques à sa mort arrivée en cinq cens trente-quatre, sous la conduite de sa mere Amalasonthe. Quoique la coutume observée parmi les Ostrogots ne permît point qu’une femme regnât en son nom, elle permettoit néanmoins qu’une femme regnât sous le nom d’autrui. Athalaric avoit à peine atteint l’âge de dix-huit ans qu’il mourut. Dès qu’il fut mort, Amalasonthe devint aussi célébre par ses malheurs, qu’elle l’avoit été jusques-là par son élévation et par ses vertus. La coutume des Ostrogots ne lui permettant pas de regner sous son nom, elle crut qu’elle devoit associer un homme à son trône, et qu’elle pourroit regner aussi glorieusement sous le nom d’un mari, qu’elle avoit regné jusques-là sous le nom d’un fils. Dans cette idée elle associa à son trône et probablement à son lit Théodat, un de ses cousins, et celui des grands de la nation des Ostrogots, qu’elle crut le plus propre à bien observer les conditions ausquelles cette princesse vouloit assujettir son époux ou son collegue, et qu’elle exigea de lui. On se doute bien qu’une des premieres conditions étoit, que Théodat ne se prévaudroit point de son titre, quel qu’il fût, pour lui ôter l’administration de l’Etat, et pour lui ravir une autorité, plus chere que la vie à celles qui l’ont exercée durant un tems. En effet, l’histoire est remplie de princes qui ont abdiqué la couronne, mais on y trouve un très-petit nombre de princesses qui se soient dépouillées volontairement du pouvoir souverain.

On va voir par un fragment de la lettre qu’Amalasonthe écrivit au sujet de son choix à Justinien, qu’elle ne vouloit point trop avoüer que son sexe la rendît incapable de porter seule la couronne, et qu’elle prétendoit tenir de sa naissance, du moins, le droit d’associer au pouvoir suprême la personne qu’il lui plairoit de choisir. » Nous avons, dit-elle, fait monter sur le Trône un Prince notre cousin, afin qu’il nous aide par la fermeté de ses conseils, à soutenir le poids du Sceptre. » Amalasonthe ajoute à quelques lignes de-là : » Rien ne fait tant d’honneur aux Princes, que de vivre en bonne intelligence les uns avec les autres, mais l’union qui regnera entre l’Empereur d’Orient & nous, me fera toujours un honneur singulier, puisqu’il n’y a point de Souverain, si grand qu’il puisse être, dont la splendeur ne soit encore augmentée par l’établissement de l’unanimité entre Justinien & lui. »

Nous observerons encore, à l’occasion de ces dernieres paroles, qu’elles font voir aussi-bien que le contenu de la lettre d’Athalaric à Justinien, laquelle nous venons de rapporter, que les rois des Ostrogots se prétendoient absolument indépendans de l’empire d’Orient. Ces princes prétendoient être à cet égard dans tous les droits des empereurs d’Occident prédécesseurs d’Augustule. En effet le terme d’unanimité, dont Amalasonthe se sert ici, étoit, comme je l’ai déja remarqué à l’occasion de l’avenement d’Avitus à l’empire d’Occident en quatre cens cinquante-cinq, le terme consacré, dont les empereurs d’Occident se servoient pour exprimer la nature de la liaison qui étoit entre eux et les empereurs d’Orient : ainsi Amalasonthe traitoit d’égal à égal avec Justinien, quand elle lui demandoit l’unanimité.

Théodat écrivit aussi de son côté à Justinien une lettre qui se trouve parmi les ouvrages de Cassiodore, qui l’avoit composée. Ce prince y dit à l’empereur : » Dès qu’un Roi est monté sur le Trône, l’usage veut qu’il fasse part de son avenement à la Couronne aux autres Souverains, afin qu’ils lui accordent l’amitié qu’ils doivent avoir pour les personnes revêtuës de la même dignité qu’eux. »

Une Histoire Critique permet d’interrompre la narration toutes les fois qu’il se présente une occasion de faire des remarques propres à prouver quelque chose de ce qu’on y peut avoir avancé. J’observerai donc, en usant de cette liberté, que les nouveaux souverains avoient coutume dès-lors, comme je l’ai supposé en plusieurs endroits, de donner part de leur avenement au trône aux autres princes. Cassiodore le dit expressément ; et nous pouvons encore appuyer son autorité de celle de Menander Protector. Cet auteur écrit que Justin Second, qui succeda en cinq cens soixante et cinq à son oncle Justinien, envoya Johannes en Perse. Quel que fut le véritable sujet de sa mission, ajoute notre Auteur, elle avoit pour prétexte, la nécessité de donner part au Roi des Perses de l’avenement de Justin à l’Empire, & de remplir le devoir dont ces Rois & les Empereurs Romains s’acquittent réciproquement en pareilles occasions. »

Théodat fut ou plus ambitieux, ou moins reconnoissant, qu’Amalasonthe ne se l’étoit promis. Quelques mois après son élevation, il dépouilla sa bienfaitrice de l’autorité souveraine ; et les soupçons qu’il conçut en voyant l’impatience avec laquelle cette princesse portoit sa dégradation, l’engagerent à la confiner dans une isle du lac de Bolséne. Amalasonthe de son côté eut recours à Justinien, qu’elle promettoit d’aider de son crédit et de ses amis, pour le rendre maître de l’Italie, sans exiger d’autre récompense de ses services, qu’un établissement et une retraite convenables à une reine, fille de roi, et mere de roi. Justinien promit plus qu’on ne vouloit ; mais les menées d’Amalasonthe furent découvertes, et Theodat la fit mourir. Je me conforme dans ce récit aux Histoires de Procope[74], quoique Gregoire de Tours raconte bien différemment la catastrophe d’Amalasonthe. Mais tous les sçavans sont convenus d’abandonner ici l’historien latin, pour suivre l’historien grec, qui avoit plus de capacité que l’autre, et qui avoit déja part aux affaires dans le tems que les évenemens dont il est question, arriverent.

Le meurtre d’Amalasonthe rendit Théodat si odieux aux Ostrogots, qui respectoient en elle le sang du fondateur de leur monarchie, et aux Romains, à qui elle étoit chere, parce qu’elle avoit reçu une éducation semblable à la leur, que Justinien crut qu’il étoit tems de recouvrer l’Italie. Il entreprit d’autant plus volontiers ce projet, qu’il avoit déja dans la province d’Afrique une armée victorieuse, celle qui venoit de subjuguer les Vandales. Bélisaire qui la commandoit eut donc ordre de passer en Sicile : c’étoit par la conquête de cette isle qu’il falloit commencer l’entreprise. Il y passa, et il la conquit en l’année cinq cens trente-cinq.

Ce fut alors que Justinien voulut négocier avec les rois des Francs, un traité qui obligeât ces princes à ne le point traverser dans le recouvrement de l’Italie sur les Ostrogots. Il n’étoit pas de leur interêt de souffrir que l’empereur des Romains d’Orient se rendît maître de cette province ; mais il se flattoit que le parti qu’il leur offriroit, et le ressentiment qu’ils devoient avoir contre le meurtrier d’une niece de Clovis, les engageroient à laisser détrôner Théodat sans tirer l’épée en sa faveur. Voici ce qu’on trouve dans Procope concernant la premiere négociation de l’empereur Justinien avec nos rois.

Cet historien, avant que de faire la digression sur l’origine et sur les premiers progrès des Francs, de laquelle nous nous sommes servis tant de fois, dit : » Justinien envoya aussi pour lors des Ambassadeurs presenter aux Rois Francs une lettre dont la teneur étoit : Les Ostrogots non contens de s’être emparés par force de l’Italie qui nous appartient, & de refuser de l’évacuer, nous ont fait encore, sans que nous y eussions donné lieu, plusieurs injures des plus graves, l’honneur ne nous permet pas de les dissimuler. Voilà ce qui nous oblige à faire marcher une armée contr’eux ; il est juste que vous nous donniez du secours dans la guerre où nous nous engageons contre un ennemi qui doit être aussi le vôtre, principalement, parce qu’étant vous & moi de la même Communion, vous détestez les erreurs d’Arius qu’il fait profession de suivre. »

Il n’y a point d’apparence qu’une lettre, dans laquelle l’empereur d’Orient explique si clairement ses projets, soit la premiere qu’il ait écrite à Théodebert, qui étoit regardé comme le chef de la maison de France, parce qu’il étoit fils de Thierri l’aîné des enfans de Clovis. Je crois donc que la lettre qui vient d’être rapportée, n’aura été écrite que plusieurs mois après celle où Justinien félicitoit Théodebert sur son avenement à la couronne, et dont nous avons parlé à l’occasion du consulat de Clovis. La réponse que Théodebert fit à cette premiere lettre de Justinien, et dont nous avons donné un assez long extrait, dans l’endroit de notre ouvrage que nous venons de citer, aura noué une correspondance entre les princes Francs, et la cour de Constantinople, et dans la suite Justinien aura écrit la lettre que Procope nous a conservée, celle qu’on vient de lire, et dans laquelle notre empereur, pour me servir de l’expression ordinaire, s’avance en homme qui a déja sondé le gué.

La négociation réussit. » L’Empereur, dit Procope, joignit à sa lettre aux Princes Francs, un présent en argent comptant, & la promesse d’un subside considerable qui leur seroit payé dès qu’ils auroient commencé la guerre. Les Francs furent si satisfaits de ce qui leur étoit donné & de ce qui leur étoit promis, qu’ils s’engagerent à faire la guerre conjointement avec les Romains d’Orient. »

Cette alliance des rois Francs avec Justinien faite avant que la guerre eût commencé, est encore prouvée et rendue plus certaine, par ce que dit Procope dans le quatriéme livre de l’histoire de la guerre gothique. Pour mettre mieux le lecteur au fait de ce que contient l’endroit de cet écrivain dont je vais faire usage, il faut anticipant sur l’avenir, parler de ce qui arriva long-tems après l’année cinq cens trente-cinq, où nous sommes encore, et quand on étoit déja dans le fort de la guerre, du prélude de laquelle nous rendons compte ici. Theodebert se déclara à deux reprises contre les Romains d’Orient durant cette guerre, et dans plusieurs rencontres il les attaqua comme leur ennemi. C’est ce dont il s’agit dans le passage de Procope, que nous allons rapporter comme une nouvelle preuve qu’il y eut une alliance faite entre Justinien et les Francs dès l’année cinq cens trente-cinq, ou du moins l’année suivante.

» Aussitôt que Theodebald eut succedé à Theodebert son pere, mort en cinq cens quarante-huit, l’Empereur Justinien envoya au nouveau Roi le Senateur Léontius, pour lui persuader de joindre de nouveau ses armes à celles des Romains contre les Ostrogots, & d’évacuer les contrées de l’Italie, dont les Francs, au mépris des Traités, s’étoient emparés sous le regne précedent, & dont ils étoient encore en possession. Leontius dit donc à Theodebald dans l’audience qu’il eut de ce Prince. Il n’y a gueres de Souverain à qui plus d’une fois il ne soit arrivé des disgraces ausquelles il ne s’attendoit point ; mais il n’est jamais arrivé à aucun d’eux rien qui ait dû le surprendre autant que Justinien mon Souverain a dû l’être de la conduite que les Francs ont tenue à son égard. Tout le monde sçait que ce Prince n’eut pas si-tôt conçû le dessein de faire la guerre aux Ostrogots, qu’il voulut avant toutes choses s’assurer de l’alliance de votre Nation, & qu’il n’attaqua son ennemi qu’après qu’elle se fut obligée, moyennant une grosse somme d’argent, qu’elle toucha, d’agir de concert avec lui ; cependant non-seulement les Francs ne tinrent pas compte alors d’accomplir les engagemens où ils étoient entrés, mais il n’y a sorte d’outrage que votre pere n’ait fait essuyer aux Romains d’Orient. Il a envahi plusieurs contrées du territoire de l’Empire sur lesquelles il n’avoit pas la moindre ombre de droit. Je ne viens pas ici, ajouta Leontius, pour vous faire des reproches sur le passé, mais pour faire en sorte que vous soyez véritablement de nos amis à l’avenir. » Le reste du discours de l’ambassadeur ne regarde pas le sujet dont il est ici question, je veux dire, l’alliance conclue entre Justinien et les enfans de Clovis, avant que Bélisaire fît sa descente en Italie, et qui fait ici notre principal objet.

On peut regarder deux autres lettres de Theodebert à Justinien, qui sont échappées aux injures du tems, et dont je n’ai point encore parlé, comme deux réponses que ce prince aura faites à deux dépêches que l’empereur lui avoit écrites quelque tems après la conclusion du traité dont il s’agit. Le lecteur quand il aura vû le contenu de ces réponses, jugera, si je me trompe. Dans la premiere, Theodebert dit qu’il a bien reçu la dépêche par laquelle Justinien le prioit d’envoyer incessamment trois mille hommes au secours du patrice Brigantinus ; mais que par des raisons dont Andreas, qui la lui avoit rendue, est bien informé, il n’avoit pas pû être assez heureux pour rendre le service qu’on lui demandoit. Ce prince finit par des protestations d’attachement, sa lettre, dont la suscription est : Le roi Theodebert au très-excellent et très-illustre seigneur notre pere l’empereur Justinien.

La seconde de celles des lettres de Théodebert à Justinien, desquelles il s’agit ici, contient la réponse à des questions que cet empereur avoit faites au petit-fils de Clovis, touchant l’étenduë de la domination des Francs dans la Germanie, et touchant les différens peuples de ces contrées qui reconnoissoient cette domination. Théodebert y parle comme un homme qui communique l’état de ses affaires à un ami qui s’en est informé par affection. Il y dit donc qu’après la défaite des Turingiens, la conquête de leurs Etats, et la mort de leurs princes, les Francs avoient étendu leur domination des rivages de l’océan jusqu’aux rives du Danube. » Je rends compte de ces prosperités à votre Auguste Hautesse avec quelque plaisir, ajoute Théodebert, parce que je suis bien informé de son zéle pour la propagation de la Foi Catholique qu’elle & moi nous professons, & qui devient la Religion dominante dans tous les Pays dont les Francs se rendent maîtres. »

Ainsi lorsqu’en l’année cinq cens trente-six, Bélisaire fit sa descente dans le continent de l’Italie pour en chasser les Ostrogots, les Romains d’Orient étoient alliés de notre nation, et ils devoient même compter sur son secours. Comme les divers évenemens de la guerre qui commença cette année-là, ne sont point de notre sujet, nous n’en parlerons que succinctement, bien qu’ils fassent, grace aux historiens grecs, la partie de l’histoire du sixiéme siecle que nous sçavons avec le plus de détail. Nous avons donc résolu de n’en faire mention qu’autant qu’il le sera nécessaire pour conduire le lecteur par des routes connuës, jusques à la remise des provinces que les Ostrogots tenoient en-deçà des Alpes, par rapport aux Gaules, faite par eux aux enfans de Clovis et à la cession des droits de l’empire sur toutes les Gaules faite en premier lieu à ces mêmes princes par les Ostrogots, et validée en second lieu par l’empereur Justinien.

LIVRE 5 CHAPITRE 7

CHAPITRE VII.

Premiers succès de Bélisaire, Général de Justinien. Traité entre les Francs & les Ostrogots qui reçoivent des premiers quelque secours. Justinien fait ensuite son second Traité avec les Francs, & par ce Traité il leur cede la pleine souveraineté de toutes les Gaules. Observations sur quelques points de ce Traité.


A juger de la durée de la guerre que Bélisaire commença en Italie contre les Ostrogots en l’année cinq cens trente-six, par les premiers évenemens, on croiroit qu’elle auroit dû être terminée dès la troisiéme campagne. D’abord les armes de Justinien furent heureuses par tout, mais bientôt la fortune parut se repentir de la constance qu’elle avoit euë ; et tantôt favorable à un parti, et tantôt favorable à l’autre, elle fit durer vingt ans une guerre qui sembloit devoir être terminée en trois années.

Bélisaire étoit encore en Sicile lorsque Théodat roi des Ostrogots offrit aux Francs pour les détacher de l’alliance des Romains d’Orient, de leur compter une grosse somme d’argent et de leur délaisser tout ce qu’il tenoit au-delà des Alpes par rapport à l’Italie, moyennant qu’ils s’obligeassent de leur côté à lui donner du secours : mais le traité n’ayant pas été conclu, et Bélisaire ayant mis le pied dans le continent de l’Italie, Théodat épouvanté en vint jusques à capituler secrettement avec lui : Théodat offrit donc aux Romains d’Orient de leur livrer ses propres Etats à certaines conditions. Enfin l’accord étoit prêt d’être conclu quand les Ostrogots indignés de la foiblesse de leur roi, le massacrerent et mirent Vitigès en sa place au commencement de l’année cinq cens trente-sept. On ne sera point fâché de trouver ici un fragment de la lettre que Cassiodore écrivit au nom de Vitigès à tous les Ostrogots pour leur donner part de son élection. Rien de ce qui peut donner quelque notion des usages et de la maniere de penser des nations barbares qui avoient envahi n’est étranger dans un ouvrage de la nature de celui que je compose : voici cette lettre Le Roi Vitigès à tous les Ostrogots, Salut. Nous vous donnons, part après en avoir rendu grace à Jesus-Christ Auteur de tout bien, que l’armée des Ostrogots campée en front de Bandiere, nous a élevé suivant la coutume de nos ancêtres sur un Pavois, & que par l’effet de la Providence, elle nous a proclamé Roi, nous regardant comme une personne capable de faire la guerre avec succès, parce que nous y avons acquis déja quelque sorte de réputation. Ce n’a donc point été dans une chambre, mais en rase campagne que nous avons été fait Roi. » Voilà une censure de la maniere dont Theodat avoit été élevé.

Vitigès aussi-tôt qu’il eut été élû, tâcha de faire la paix avec Justinien, mais les démarches qu’il hasarda dans ce dessein ayant été infructueuses, et ce prince voyant bien d’ailleurs qu’il lui étoit impossible de faire tête en même tems aux Romains et aux Francs, il prit le parti de rechercher les derniers et de leur offrir de nouveau ce que Théodat leur avoit offert déja. Les Francs écouterent cette fois-là, les propositions de Vitigès au préjudice de leur traité avec Justinien. La promptitude des progrès de Bélisaire avoit ouvert les yeux aux successeurs de Clovis. Elle avoit fait comprendre à ces princes qu’ils étoient perdus, si loin de mettre des obstacles à la rapidité du torrent, ils continuoient à en hâter le cours. Voyons ce que Procope écrit concernant le traité que les Ostrogots et les Francs firent en cette conjoncture. » Dans le tems que Vitigès fut élû, il y avoit dans la partie des Gaules qui étoit sous la domination des Ostrogots, un corps de troupes considérable, composé des meilleurs Soldats de cette Nation & commandé par Martias, qui avoit charge de veiller à la conservation de ce Pays-là & de le défendre contre les Francs. Qu’arriva-t’il ? Bélisaire étant entré dans Rome, à la fin de la premiere année de la guerre, Vitigès résolut au commencement de l’année suivante, de marcher à Rome avec les plus grandes forces qu’il lui seroit possible de rassembler, pour reprendre au plûtôt une Ville dont la perte décréditoit les armes des Ostrogots. En faisant réflexion sur les suites de son expédition, ce Roi comprit aisément que Martias, lorsqu’il ne pourroit plus être soutenu de proche en proche, ne conserveroit pas long-tems le Pays qu’il gardoit. Vitigės craignoit encore avec raison que les Francs, après avoir conquis en quelques mois ce Pays-là, ne se livrassent à leur impétuosité naturelle, & que se trouvant tout assemblés, ils ne descendissent en Italie pour y attaquer encore les Ostrogots d’un côté, tandis que les Romains les attaqueroient de l’autre. Dans ces conjonctures, le Roi des Ostrogots assembla les principaux de la Nation pour déliberer avec eux sur le parti qu’il convenoit de prendre, & voici le discours qu’il leur tint.

» Je ne vous ai point assemblés ici, vous qui m’êtes tous attachés par les liens les plus étroits, pour avoir vos avis sur plusieurs projets de campagne, & choisir avec vous celui qui seroit le plus avantageux à la gloire de notre Nation : C’est au contraire pour voir ce que nous pouvons faire de moins mal dans les tristes conjonctures où nous sommes. Ne nous laissons pas éblouir par l’état où se trouvent actuellement nos troupes campées sous Ravenne. J’en tombe d’accord, nous voilà en état d’entrer en campagne & de faire tête aux Romains d’Orient : Mais les Francs ne feront-ils pas diversion en faveur de nos ennemis ? La Nation des Francs n’aime point les Ostrogots. Vous sçavez combien il nous a fallu répandre de sang pour arrêter les progrès, & qu’encore ce n’a été qu’à grand peine que nous lui avons résisté en des tems où nous n’avions point à combattre d’autre ennemi qu’elle. Il est donc nécessaire, si nous voulons marcher avec confiance contre les Romains, de terminer auparavant la guerre que nous avons avec la Nation des Francs, qui sans cette sage précaution uniroit bientôt ses enseignes à celles de Bélisaire. La raison naturelle apprend aux hommes qui ont le même ennemi, qu’il leur faut l’attaquer de concert. Si pour nous opposer à la jonction des Francs & des Romains, nous séparons nos forces, en les partageant en deux corps, les Francs, battront une de ces armées tandis que les Romains déferont l’autre. Par-tout nous serons vaincus. Ne vaut-il donc pas mieux céder une petite portion de nos domaines pour nous mettre en état de bien défendre l’autre, que de tout perdre en nous efforçant de tout conserver ? Ainsi mon avis est, que nous cédions aux Francs la partie des Gaules que nous tenons, laquelle il nous est si difficile de défendre contre eux, & que nous leur donnions les deux mille livres pesant d’or qui ont été déja offertes par Theodat, mais à condition qu’ils signeront avec nous un traité de paix & d’alliance. Il seroit inutile de raisonner à present sur ce que nous pourrons faire un jour, pour recouvrer la Province que nous céderons aujourd’hui. A chaque jour suffit la peine.

» Tout le monde fut de l’avis de Vitigės & sur le champ on fit partir des Ambassadeurs avec commission d’offrir aux Francs la cession des Gaules, & de leur promettre encore cent mille sols d’or en argent comptant, moyennant qu’ils s’engageassent par un traité à secourir les Ostrogots. Theodebert, Childebert, & Clotaire, qui regnoient alors sur les Francs, agréerent ces propositions & ils conclurent le traité. Aussitôt les Ostrogots en exécuterent les conditions. (comme il est justifié par la suite de l’Histoire.) Ils firent donc une cession des Gaules aux Francs, ils leur remirent les Cités qu’ils y tenoient encore, & ils leur compterent la somme promise. Les trois Princes que je viens de nommer, partagerent également entr’eux & l’argent qu’ils avoient reçû, & le pays qui leur avoit été remis. Cependant dès qu’il fut question d’exécuter les conditions d’un traité si avantageux, ils dirent que lers engagemens précédens avec Justinien, à qui depuis peu ils avoiens promis de favoriser les armes, ne leur permettoit pas de se déclarer hautement contre lui, & d’envoyer un corps composé de Francs naturels, joindre l’armée des Ostrogots, mais qu’ils leur alloient envoyer un puissant secours composé de Soldats des Nations que les Francs avoient subjuguées.

Procope ne dit point comment les ambassadeurs Ostrogots prirent la restriction que les princes Francs voulurent mettre au traité dont ils venoient de recueillir le fruit. Cet historien finit le récit de ce mémorable événement, en disant : que les ambassadeurs des ostrogots partirent pour revenir en Italie, où ils ramenerent avec eux le corps de troupes commandé par Martias, et qui venoit d’évacuer la province des Gaules remise aux successeurs de Clovis.

Il est facile d’imaginer les raisons dont les ambassadeurs de Vitigès s’étoient servis pour faire valoir leurs offres et pour engager les rois des Francs à signer le traité dont nous venons de parler. Je crois néanmoins à propos de rapporter ici ce que dirent aux Francs en une occasion à peu près semblable d’autres ambassadeurs des Ostrogots. On y verra encore plus distinctement et plus précisément qu’il n’est possible de l’imaginer, quelles étoient les maximes politiques des nations barbares dans le tems que l’empire Romain dont elles avoient envahi les provinces subsistoit encore, et qu’elles pouvoient craindre qu’il ne les chassât de leur nouvelle patrie.

Agathias rapporte, que vers l’année cinq cens cinquante, tems où les Ostrogots vivement pressés par les troupes Romaines, en étoient aux abois, quelques-uns d’entr’eux qui s’étoient liés par une conféderation particuliere, envoyerent des ambassadeurs à la cour de Theodebald le fils et le successeur de Theodebert, pour tâcher de faire entrer dans leur querelle ce prince qui étoit encore fort jeune. Notre historien ajoute, que ces ministres s’adresserent à tous les grands de cette cour-là pour les engager à leur tendre une main secourable et qui les tirât de l’état malheureux où l’empereur Romain les avoit réduits. » Ils ne cessoient de representer à ces Seigneurs l’interêt que les Francs avoient de ne point souffrir que la puissance des Romains d’Orient s’augmentât autant qu’elle étoit sur le point de s’acroître. Dès qu’ils auront subjugué la Nation Gothique, disoient nos Ministres, ils attaqueront la vôtre. Les Ambassadeurs, les Rhéteurs de Justinien se déchaîneront par tout contre vous, ses Officiers réveilleront toutes les anciennes querelles, & ses Généraux entreront à main armée dans votre Pays : La violence des Romains manque-t’elle jamais de prétexte ? Vous les verrez alleguer pour justifier leurs armes jusqu’aux droits que les Camilles, les Marius & ceux des Césars qui ont fait des conquêtes au-delà du Rhin, leur ont acquis, à ce qu’ils s’imaginent, sur les Nations Germaniques. Enfin les Romains diront, qu’en se rendant maîtres des Pays que vous occupez, ils ne font que se remettre en possession de leur ancien patrimoine, & que du moins on ne sçauroit les accuser d’envahir le bien d’autrui : Quelle autre raison ont-ils alleguée du traitement qu’ils nous ont fait, quand ils nous ont chassés de nos maisons, quand ils ont égorgé la plus grande partie de notre Nation, & quand ils ont vendu à l’encan les femmes & les enfans de nos principaux Citoyens, si ce n’est celle-ci ? Que le Roi Theodoric, qui nous avoit établis en Italie, s’étoit emparé de ce Pays-là sans avoir un titre suffisant. Cependant Theodoric ne se rendit le maître de l’Italie, que de l’aveu de l’Empereur Zenon, qui regnoit pour lors sur les Romains d’Orient. » On a déja rapporté à l’occasion de cet évenement même, la suite de ces représentations des ambassadeurs Ostrogots auprès de Theodebald. Elles finissent par cette exhortation aux Francs. « Ne laissez donc point passer sans en profiter, la belle occasion que vous avez aujourd’hui de mettre obstacle à l’agrandissement des Romains en les empêchant de nous subjuguer. Il en est encore tems. Envoyez-nous des troupes à qui nous donnerons de bons guides, & bientôt elles auront chassé de notre Terre vos véritables ennemis. »

Retournons à la cession faite aux Francs par les Ostrogots, l’année cinq cens trente-sept. Comme on le verra, non-seulement elle contenoit le délaissement de toutes les cités que les Ostrogots tenoient encore dans les Gaules, ou dans la Germanie, mais aussi le transport et l’abandonnement total de tous les droits que les Ostrogots pouvoient, comme seigneurs de la ville de Rome, prétendre sur les autres pays de ces deux grandes provinces de l’empire d’Occident. Entrons en discussion de ces deux points-là.

Quant au premier point, le lecteur se souviendra bien de ce qui a été dit en parlant des suites de la bataille de Tolbiac : qu’une partie des Allemands lesquels y avoient été défaits, se soumit à Clovis ; que l’autre se retira dans les pays que les Ostrogots tenoient entre les Alpes et le Danube, et que là cette partie fut encore séparée en deux portions ; dont l’une resta en deça des Alpes, et l’autre fut transplantée en Italie. Or, nous voyons qu’à la fin du sixiéme siécle, le gros de la nation des Allemands étoit aussi-bien que le pays situé entre les Alpes et le Danube, sous la domination de nos rois, sans que nous apprenions en quel tems ils y étoient passés. Ainsi je conclus que ce fut en vertu de la cession faite aux Francs par les Ostrogots, en cinq cens trente-sept, que les Allemands et le pays désigné ci-dessus, devinrent sujets à notre monarchie. Cette conjecture se change en certitude, lorsqu’on lit dans Agathias que Théodebert, peu de tems aprés avoir succedé à son pere, assujettit les Allemands et quelques nations voisines. En effet, suivant nous, Theodebert se sera mis en possession des contrées dont il s’agit vers la fin de l’année cinq cens trente-sept, et quand il n’y avoit qu’environ trois ans qu’il avoit succédé au roi Thierri. D’un autre côté Theodebert aura trouvé quelque résistance de la part des Allemands, qui peut-être n’étoient pas contens d’avoir été cédés sans leur participation ; et cette resistance aura fait dire à l’historien grec, que Theodebert avoit soumis par force les Allemands.

Quant à la cession de tous les droits que les Ostrogots prétendoient avoir sur les Gaules, et que suivit la remise actuelle qu’ils firent de la province qu’ils y tenoient encore, elle sera suffisamment prouvée par le texte de Procope, et par tout ce que nous dirons bientôt concernant la confirmation que Justinien fit de cette cession. Je vais reprendre le fil de l’histoire.

Le corps de troupes commandé par Martias, joignit Vitigès, après avoir évacué la province des Gaules délaissée aux Francs par les Ostrogots, et mit le roi de ces derniers en état d’assieger durant la campagne de cinq cens trente-sept, la ville de Rome, que l’armée de Justinien avoit prise l’année précédente ; mais ce roi fut obligé de lever son siege à la fin du mois de mars de l’année cinq cens trente-huit, et quand ce siege avoit déja duré douze mois et neuf jours. Une si grande disgrace ne fut point la seule que les Ostrogots essuyerent cette campagne-là. Les Romains d’Orient surprirent Milan ; et par-là ils porterent la guerre dans celles des provinces de l’ennemi, qui pouvoient, si elles fussent demeurées tranquilles, l’aider à la soutenir. Les Ostrogots comprirent donc d’abord la nécessité de reprendre Milan, et ils demanderent à nos rois le secours qu’ils étoient obligés de leur donner. Voyons ce que dit Procope à ce sujet.

» Vitigès étant informé de ce qui venoit d’arriver, fit incontinent filer du côté de Milan beaucoup de troupes, dont il donna le commandement à un de ses neveux nommé Vraïa. Le Roi des Ostrogots demanda en même tems du secours à Théodebert, qui pour lors étoit comme le Chef de la Nation des Francs. Théodebert envoya bien un corps de dix mille hommes joindre l’armée des Ostrogots, mais ce corps n’étoit point composé de Francs naturels, parce que Théodebert craignoit, s’il faisoit passer des Soldats de la Nation au secours de Vitigès, qu’on ne lui reprochất d’avoir enfreint le traité qu’il avoit conclu avec Justinien, & qui subsistoit encore. Le corps de troupes que le Roi des Francs envoya aux Ostrogots ne fut donc composé que de Bourguignons, qui devoient dès qu’ils seroient arrivés en Italie, y publier que ce n’étoit point par ordre de Théodebert, dont ils ne se soucioient gueres, qu’ils venoient faire la guerre contre les Romains d’Orient, mais que c’étoit de leur plein gré & de leur propre inclination qu’ils avoient pris ce parti-là. »

L’armée des Ostrogots accruë par ce secours, reprit Milan dans la même année. » En cinq cens trente-huit, dit l’Evêque d’Avanches, les Ostrogots & les Bourguignons emporterent d’assaut la Ville de Milan, où ils passerent au fil de l’épée les Habitans, sans épargner même les Sénateurs & les Prêtres. »

La conduite que les rois des Francs tinrent en cette occasion, étoit du moins conforme aux regles de la politique ordinaire des souverains. Si nos princes eussent envoyé des Francs au secours de Vitigès, ils auroient eux-mêmes, comme on l’a déja dit, trahi leur secret. D’un autre côté, s’ils y eussent envoyé des Romains du nombre de leurs sujets, ç’auroit été envoyer des soldats à Bélisaire. Au contraire, en faisant passer des Bourguignons au service de Vitigès, ils lui envoyoient des soldats que leur qualité de barbares devoit lui attacher. D’ailleurs on pouvoit désavouer ces Bourguignons en gardant quelqu’apparence de bonne foi. On aura écrit à Bélisaire, qu’il ne devoit pas imputer aux rois des Francs, le parti qu’avoient pris quelques Bourguignons, qui s’en alloient servir Vitigès : qu’il étoit bien vrai que ces Bourguignons étoient de leurs sujets ; mais qu’ils n’étoient subjugués que depuis quatre ans, et qu’ils n’étoient pas encore bien soumis : qu’ainsi le corps de troupes dont il s’agissoit n’étoit composé que d’hommes inquiets et de brouillons, qui après s’être évadés de leurs quartiers, malgré toutes les précautions qu’on avoit prises pour l’empêcher, s’étoient attroupés dans les gorges des Alpes, pour aller chercher fortune sous des chefs qu’ils s’étoient eux-mêmes choisis : que tous ces gens-là n’avoient aucune commission de leur souverain, et que Bélisaire, s’il le jugeoit à propos, seroit le maître, lorsqu’ils tomberoient entre ses mains, de les faire tous pendre comme gens sans aveu ; qu’on lui conseilloit cependant de ne point user de ce droit, parce qu’au fond ces Bourguignons étoient de braves gens, et que d’ailleurs ils étoient assez brutaux pour user de représailles sur les prisonniers de guerre qu’ils ne manqueroient pas de faire.

Enfin les rois Francs, en faisant passer au-delà des Alpes dix mille Bourguignons, se défaisoient d’un grand nombre de sujets audacieux, ennuyés de leur condition presente, et par conséquent toujours disposés à s’attacher au premier brouillon qui voudroit remuer. Ces princes firent dans le sixiéme siécle la même chose que fit dans le dernier siecle Charles Second roi de la Grande-Bretagne, lorsqu’immédiatement après l’heureuse restauration de la royauté dans sa monarchie, il eut la politique d’envoyer au secours du roi de Portugal Don Alphonse Le Victorieux, les vieilles bandes angloises qui avoient servi sous Olivier Cromwel.

Quoique nos rois désavoüassent les Bourguignons qui avoient joint l’armée de Vitigès, il étoit impossible que Justinien ne vît bien que ces barbares n’avoient rien fait que par ordre de leurs souverains, d’autant plus que l’exécution du traité de cession, qui n’avoit pû être cachée, mettoit en évidence qu’il y avoit une secrete et très-intime liaison entre les Francs et les Ostrogots. Mais supposé que l’empereur attendît quelque preuve encore plus claire, pour se convaincre que les Francs ne se croyoient plus obligés, par des raisons que ses historiens auront supprimées, de tenir le premier traité qu’ils avoient fait avec lui, il ne l’attendit pas long-tems. L’année suivante, c’est-à-dire, en cinq cens trente-neuf, Théodebert descendit en personne en Italie. Il s’y empara de la Ligurie, et pénétra même dans le Plaisantin, où la température de l’air et la mauvaise qualité des eaux firent beaucoup souffrir son armée.

On peut voir dans Procope un récit beaucoup plus long de cette premiere expédition de Théodebert, laquelle il ne faut pas confondre avec l’expédition que Buccellinus fit plusieurs années après en Italie, sous les auspices de ce prince.

Gregoire de Tours fait mention de ces deux expéditions différentes des Francs en Italie, sous le regne de Théodebert, et il dit positivement, que dans la premiere ce prince commandoit en personne son armée, au lieu que dans la seconde, elle étoit commandée sous ses auspices, par Buccellinus. Notre historien, après avoir raconté, à sa maniere, la fin tragique d’Amalasonthe, et après avoir parlé de l’accommodement des Francs et des Ostrogots, écrit : » Theodebert passa en Italie, où d’abord y il fit de grands progrès ; mais comme le Pays est malsain, son armée y fut attaquée de fiévres de toutes especes ; ce qui lui fit prendre le parti de s’en revenir dans les Gaules, où lui & ses troupes ils arriverent gorgés de butin. On prétend que dans cette expédition, Théodebert se soit avancé jusques à la Cité de Pavie. Dans la suite il renvoya en Italie Buccellinus, qui après avoir subjugué plusieurs Contrées en-deçà des Appennins, passa ces montagnes, & pénétra dans l’Italie proprement dite. » Cette seconde expédition, celle dans laquelle Buccellinus commandoit en chef l’armée des Francs, ne se fit, autant qu’il est possible d’en juger par l’endroit de son histoire, où Procope en place le récit[75], que vers l’année cinq cens quarante-sept, c’est-à-dire, après le second traité de Justinien avec les Francs, qui est le traité dont nous allons parler, et peu de tems avant la mort de Théodebert arrivée en cinq cens quarante-huit.

On ne sçauroit presque douter, que ce n’ait été entre ces deux expéditions des Francs en Italie, c’est-à-dire, entre l’année cinq cens trente-neuf et l’année cinq cens quarante-sept, que Justinien fit avec eux ce second traité, dont l’explication doit être le dernier chapitre de la partie historique de mon ouvrage. Il est probable que ce fut peu de mois après la premiere des deux expéditions de Théodebert, que Justinien persuadé qu’il ne pourroit point venir à bout des Ostrogots tant qu’il auroit la guerre contre les Francs, voulut profiter, pour faire un second traité avec eux, du dégoût qu’ils devoient avoir en cinq cens quarante pour les entreprises en Italie, qui venoient d’être le cimétiere des plus braves soldats de leur nation. Dans ce dessein Justinien se sera adressé à quelqu’un des Romains qui étoient dans la confiance des rois Francs, et par leur entremise il aura conclu son second traité avec ces princes. Peut-être le traité dont il est question aura-t’il été négocié par un Secundinus, qui, suivant Gregoire de Tours avoit beaucoup de crédit sur l’esprit de Théodebert, et qui se glorifioit beaucoup d’avoir été plusieurs fois l’ambassadeur de ce prince auprès de Justinien.

Si Procope avoit rapporté ce qu’il nous apprend concernant le traité dont il s’agit, dans la narration des évenemens de la guerre dont il écrit l’histoire. En un mot, s’il avoit parlé de ce traité en suivant l’ordre des faits, on pourroit peut-être en trouver la date précise. On pourroit la découvrir, en examinant quand seroient arrivés les évenemens qu’il auroit placés immédiatement avant ce qu’il écrit sur ce traité, ainsi qu’en examinant quand seroient arrivés les évenemens qu’il n’auroit placés qu’après ce récit ; mais ce que Procope dit concernant notre traité, il le dit dans des réflexions générales sur les suites funestes qu’avoit eues la guerre entreprise contre les Ostrogots. Ainsi on ne sçauroit asseoir aucune conjecture chronologique sur l’endroit de son histoire, où Procope a placé ce qu’il nous apprend touchant la cession absoluë des Gaules faite aux rois Francs par Justinien. Tout ce qu’il m’est possible de dire de plus précis ou plûtôt de moins vague sur la date de cet évenement[76], c’est qu’il est arrivé peu de tems après, ou peu de tems avant que Totila fut proclamé roi des Ostrogots, ce qui se fit en l’année cinq cens quarante-un. Ma raison, c’est que Procope dit dans le passage qu’on va lire, que cette cession n’empêcha point les Francs, sitôt qu’ils virent que Totila donnoit beaucoup d’affaires à Justinien, de l’attaquer de nouveau, et de pousser leurs conquêtes jusques sur les bords de la mer Adriatique. Ainsi comme les progrès de Totila suivirent de près son élevation au trône, comme les Francs attaquerent les Romains d’Orient dès qu’ils les virent mal menés par Totila, et comme la cession dont il s’agit, étoit déja faite quand les Francs sous le regne de Totila, attaquerent les Romains, il paroît qu’elle a été faite en l’année cinq cens trente-neuf, ou dans l’une des deux années suivantes. écoutons enfin Procope. » Ce fut à la faveur de la guerre entreprise par Justinien contre les Ostrogots, que les Barbares qui avoient des quartiers dans les Provinces de l’Empire d’Occident s’en rendirent les véritables maîtres, & que levant le masque, ils s’en firent reconnoître Souverains. Tandis que les Romains qui avoient eu un si grand air de supériorité dans les commencemens de cette guerre, s’épuisoient sans aucun fruit d’hommes & d’argent pour la soutenir & pour ravager l’Italie, les Francs s’assuroient la possession des Gaules ; & d’un autre côté, les Barbares qui s’étoient établis sur la frontiere de la Thrace & de l’Illyrie, dévastoient ces Provinces : Voici comment tout cela se fit. Dès la premiere année de la guerre Gothique, l’Ostrogot, comme nous l’avons dit dans le premier Livre de notre Histoire, voyant bien qu’il ne pouvoit point faire têre à la fois aux Romains d’Orient & aux Francs, céda les Gaules entieres qui étoient de sa dépendance, à ces derniers. (Le texte original dit positivement les Gaules entieres.) Non-seulement les Romains ne se trouverene point alors en état de traverser cette cession, mais il fallut encore que Justinien, qui ne vouloit pas donner aux Francs aucun sujet de lui déclarer la guerre, confirmât par un acte autentique la cession dont je viens de parler. Les Francs exigeoient cette confirmation, persuadés qu’ils étoient, que les Gaules ne pouvoient devenir une possession permanente entre les mains de leur Nation, que par le moyen d’un Diplome de l’Empereur expedié en bonne forme. En effet, dès que les Rois Francs l’eurent obtenu, ils furent reconnus pour Souverains dans Marseille, qui est une Colonie de nos Phocéens, ainsi que dans les Cités adjacentes, & par-là ils devinrent encore les maîtres de la mer des Gaules. Aussi ces Princes ont-ils donné depuis dans Arles des jeux à la Troyenne, & ont-ils même fait frapper avec l’or qui se tire des mines de cette grande Province, des monnoyes où ils ont mis leur effigie, au lieu d’y mettre, comme il le pratiquoit, celle de l’Empereur. On sçait bien que le Roi des Perses, quoiqu’il puisse faire fabriquer des especes d’argent à son coin, ne peut pas non plus les autres Rois Barbares, mettre la tête & son nom sur les especes d’or qu’ils font frapper, quand bien même on auroit fouillé dans leur Pays les mines dont le mécail a été ciré. » Dumoins s’ils en usoient autrement, leurs especes n’auroient aucun cours, même parmi les Barbares. Voilà les avantages que tirerent les Francs de la situation où se trouvoit Justinien pour s’être engagé dans la guerre Gothique. Cependant dès que les Ostrogots eurent sous le regne de Totila, repris quelque supériorité sur les Romains, les Francs firent de nouveau la guerre aux Romains, & ils s’emparerent sans beaucoup de peine, d’une partie considérable du Pays des Vénétes. » J’interromprai ici pour un moment la narration de Procope, afin de faire souvenir le lecteur de ce qu’il a vû dans le chapitre précédent : que Justinien avoit fait demander par Léontius son ambassadeur auprès de Théodebald fils de Théodebert, la restitution d’un canton de l’Italie, que Théodebert avoit occupé contre la teneur des traités faits entre les Francs d’une part, et les Romains d’Orient de l’autre. Suivant les apparences, ce canton fit redemander aux Francs sous le regne de Théodebald, étoit le pays des Vénétes, dont ils s’étoient emparés sous le regne de Théodebert, et à la faveur du désordre où les succès de Totila mettoient les affaires des Romains d’Orient. Procope reprend la parole. » Les Romains n’étoient point en situation de se défendre contre les Francs quand cette invasion fut faite, & les Ostrogots qui partageoient alors l’Italie avec les Romains, ne pouvoient point faire face à la fois à deux ennemis. Dans le même tems les Gépides à qui Justinien avoit donné des quartiers auprès de Sirmich & dans toute la Dace dès qu’il en avoir eu chassé les Ostrogors, s’érigerent en Tyrans dans ces Contrées. Ils y réduisirent en servitude les Romains qui les habitoient, & ils coururent ensuite & saccagerent les Provinces voisines. »

On concevra facilement que les successeurs de Clovis avoient un grand interêt à exiger de Justinien, qu’il ratifiât et qu’il validât, en la confirmant, la cession que les Ostrogots leur avoient faite en cinq cens trente-sept ; parce qu’elle n’étoit pas un titre valable contre l’empire, qui ne reconnoissoit point ces barbares pour possesseurs légitimes des pays et des droits qu’ils avoient cédés ou transportés aux Francs : mais quelque caduque que fût la cession faite aux Francs par les Ostrogots, elle devint bonne et valable par le consentement positif qu’y donna Justinien. D’ailleurs, cette confirmation qui étoit une véritable rénonciation aux droits de l’empire sur les Gaules faite en faveur des Francs, les autorisoit à exiger des Romains de cette grande province, ce qu’ils n’avoient pas encore pû leur demander, je veux dire un serment de fidélité absolu et sans aucune restriction. Jusques-là les Romains des Gaules avoient pû se regarder comme étant toujours sujets de l’empire, et comme n’étant tenus d’obéir aux rois Francs, qu’à cause du pouvoir que Clovis avoit reçû de l’empereur Anastase, et qu’il avoit transmis à ses enfans. Or ce pouvoir n’étoit, si j’ose m’expliquer ainsi, qu’un pouvoir administratif, un pouvoir précaire, un pouvoir emprunté et émané d’un autre souverain, et sujet par conséquent à inspection dans son exercice, comme à révocation dans sa durée. Mais après que Justinien eut cédé pleinement les Gaules aux enfans de Clovis, les habitans de cette vaste contrée durent reconnoître nos rois pour leurs seuls et légitimes maîtres. La pleine souveraineté des Gaules appartint dès-lors à ces princes en toute propriété. Il paroît même que Justinien se sçut gré en quelque sorte d’avoir donné aux Francs cette riche contrée. Procope rapporte qu’un ambassadeur de ces Gépides, à qui Justinien avoit, comme on vient de le dire, donné des quartiers auprès de Sirmich, et qui avoient abusé de cette concession, dit dans son audience à cet empereur : qu’il se flate que quelques contrées occupées par sa nation sur le territoire Romain, ne seront pas un sujet de guerre sous le regne d’un prince qui sent si bien qu’il a plus besoin d’amis que de terres, qu’il vient de céder aux Francs, et à d’autres peuples des provinces entieres.

Avant que de perdre de vûë le passage de Procope, dans lequel la cession des Gaules aux Francs est rapportée, il est à propos de réflechir sur quelques détails qu’il contient, et de dire pourquoi cet historien affecte de les écrire.

Dès qu’on est au fait des coutumes et des usages des Romains, on n’est pas surpris que Procope observe que les princes Francs voulurent aussitôt qu’ils eurent été reconnus souverains des Gaules par l’empereur, donner dans Arles des jeux à la troyenne. En effet, ces jeux qui ressembloient en plusieurs choses à nos carouzels, avoient été inventés par les Troyens, de qui les Romains se faisoient honneur de descendre, et ce spectacle national, s’il est permis de le dire, leur étoit d’autant plus agreable, qu’il étoit en quelque maniere une preuve de leur origine. C’étoit celui des jeux du cirque à qui cette nation si éprise des spectacles, étoit le plus affectionnée. Dans les autres, on voyoit ordinairement des esclaves, ou tout au plus des personnes à gages qui divertissoient le peuple, au lieu que dans les jeux à la troyenne, c’étoit les enfans des meilleures maisons, qui, pour ainsi dire, donnoient eux-mêmes cette fête domestique. D’ailleurs, les magistrats, les simples citoyens pouvoient bien donner au peuple à leurs dépens, des combats de gladiateurs, des representations de tragédie ou de comédie, et d’autres fêtes, mais il n’y avoit que l’empereur qui pût le faire jouir du plaisir de voir les Jeux équestres dont nous parlons. Auguste, suivant le conseil de Mecenas, avoit reservé au prince seul le droit de donner ce spectacle. Il est vrai que Mécenas avoit aussi conseillé à Auguste de ne point celebrer ces jeux si distingués ailleurs que dans la capitale. Les Romains étant aussi épris des spectacles qu’ils le furent toujours, c’étoit les mettre en quelque façon dans la nécessité de venir de tems en tems dans une ville, où le souverain devoit être encore plus le maître qu’ailleurs. C’étoit donner un lustre particulier à la capitale. Mais les rois Francs devenus souverains indépendans des Gaules, ne se seront point tenus obligés à l’observation de cette loi. Au contraire ils auront été bien aises d’attacher à la ville d’Arles qui leur appartenoit, les droits et les prérogatives de Rome. Ainsi nos rois, en présidant à ce spectacle dans Arles, qui sous les derniers empereurs, avoit été comme la capitale des Gaules, faisoient connoître qu’ils étoient revêtus de tous les droits des césars, et que c’étoit le pouvoir impérial qu’ils exerçoient sur cette grande province de la monarchie Romaine.

Notre seconde observation roulera sur ce qu’écrit Procope, que les rois Francs ne commencerent qu’après cette cession à faire fabriquer des especes d’or à leur coin. Nous remarquerons pour confirmer ce qu’avance Procope, que comme il a été observé déja[77], nous n’avons aucunes médailles d’or des prédecesseurs de Clovis Premier, et qu’il est très-incertain que les monnoyes d’or qu’on voudroit lui attribuer, ainsi que celles qu’on veut attribuer à Thierri son fils, portent sa tête, et qu’elles appartiennent à ces princes morts avant que Justinien eût cédé la pleine souveraineté des Gaules aux Francs ; mais au contraire nous avons plusieurs monnoyes d’or[78] qui portent le nom et la tête de Theodebert, de Childebert et des autres princes qui regnoient quand cette cession fut faite, ou qui ont regné depuis. Je crois donc conformément au récit de Procope, que tous les princes qui avoient regné sur les Francs avant la cession dont il s’agit, n’avoient point fait frapper aucune espece d’or à leur coin, c’est-à-dire, avec leur nom et leur tête. Ils auront laissé les monétaires des villes où leur autorité étoit reconnue, en liberté de fabriquer les especes d’or au coin de l’empereur regnant qui étoit toujours réputé le seigneur suprême du territoire où ils s’étoient établis. Voilà pourquoi toutes les médailles d’or qu’on trouva en grand nombre dans le cercueil de Childeric lorsqu’il fut découvert à Tournai au milieu du dernier siecle, sont des monnoyes frappées au coin des empereurs romains. Si Childeric eut fait fabriquer des especes d’or avec son nom et son effigie, on auroit plûtôt enterré avec lui de ces especes-là, que des monnoyes sur lesquelles il n’y avoit rien qui pût servir à perpétuer sa mémoire.

Pourquoi les rois barbares s’abstenoient-ils de faire battre dans les pays où ils étoient les maîtres, des monnoyes d’or à leur coin ? Procope nous le dit. Les barbares eux-mêmes les eussent rebutées, parce qu’ils auroient douté de la bonté de semblables especes. A plus forte raison, les Romains qui habitoient avec eux, auroient-ils refusé de recevoir ces monnoyes. Comment venir à bout de la repugnance que les uns et les autres ils auroient eue à les prendre pour bonnes ? Les remedes propres à la vaincre n’étoient gueres connus de nos premiers Francs peu instruits dans cette partie du gouvernement civil qu’on appelle la Police des marchés. Ainsi les premiers rois Francs élevés dans une sorte de vénération pour le nom Romain, auront mieux aimé tolerer que les monnoyes des villes, où ils étoient les maîtres, et dont les officiers étoient probablement Romains, continuassent à frapper au coin des empereurs les especes d’or qu’ils fabriquoient, que de se jetter dans un embarras dont ils n’étoient pas assurés de sortir à leur honneur.

Monsieur Le Blanc croit que Procope a tort quand il écrit que les autres rois barbares, et même celui des Perses n’osoient faire frapper de la monnoye d’or à leur coin.

» Quelque peu vraisemblable, dit cet Auteur dans son Traité historique des Monnoyes de France[79], que soit ce que Procope dit du Roi de Perse, dont la puissance étoit si redoutable aux Empereurs d’Orient, que Justinien même fut obligé de lui demander la paix, & de lui payer un tribut annuel, les Sçavans n’ont pas laisse de croire cer Historien sur sa parole….. Pour moi l’avantage que Procope donne à nos Rois au dessus de celui des Perses, qui en écrivant aux Empereurs Romains, prenoit le titre de Grand Roi & de Roi des Rois, ne sçauroit m’empêcher d’être d’un sentiment contraire, & d’assurer que » ce qu’il dit, est un effet de la vanité Grecque, & qu’il a voulu dans cet endroit flatter les Empereurs aux dépens de la verité. Il n’en faut pas aller chercher des preuves plus loin que dans le Cabinet de Sa Majesté, où il y a vingt-quatre sols d’or très-fins & très-conservés, qui portent le nom & l’image de plusieurs Rois Visigots qui ont regné en Espagne. »

Il ne me paroît point difficile de justifier la sincerité de Procope contre les reproches fondés sur les deux faits allegués par l’auteur moderne qui vient d’être cité. Quant au premier, je dirai que l’historien grec n’entend point parler du roi qui regnoit sur la monarchie des Perses, du prince qui s’intituloit le Roi des rois ou le Grand roi, mais bien du chef de quelque peuplade de sujets de la monarchie des Perses sortis de leur pays par differens motifs, et qui s’étoient ensuite établis dans un certain canton du territoire de l’empire d’Orient, où ils vivoient sur le même pied que les barbares hôtes de l’empire d’Occident vivoient sur le territoire de cet empire avant son renversement arrivé sous Augustule. Qu’il n’y eut plusieurs peuplades de sujets du roi des Perses, qui fussent alors établies sur le territoire de l’empire d’Orient, c’est de quoi il n’est pas permis de douter. On voit en lisant le panégyrique de Maximilien Hercule, que dans les pays situés au-delà de l’Euphrate et qui après avoir été long-tems une partie du royaume des Perses se donnerent volontairement à l’empereur Diocletien, il étoit demeuré un nombre de Perses qui avoient reconnu volontairement son pouvoir, à condition qu’on les laissât vivre sous le gouvernement de chefs de leur nation, qui, conformément à l’usage de ces tems-là, avoient pris le titre de roi. C’est ce qu’il me paroît que signifie Regna Persarum dans le passage que je rapporte. Priscus Rhétor auteur du cinquiéme siecle dit, que de son tems, l’empereur Léon reçut des ambassadeurs que le roi des Perses lui envoyoit pour se plaindre que ses sujets, qui se réfugioient sur le territoire de l’empire d’Orient, y fussent reçus, et que les romains lui débauchassent même tous les jours ceux qui habitoient sur la frontiere de ses Etats. Il paroît en lisant une des lettres de Sigismond roi des Bourguignons à l’empereur Anastase, que le chef ou le roi particulier de la nation des Parthes, qui pour lors étoit un des peuples soumis à la monarchie des Perses, traitoit actuellement pour se retirer à certaines conditions sur le territoire de l’empire d’Orient.

Il se peut faire encore que ce roi des Perses, dont parle Procope, fut un des descendans d’Hormisdas frere aîné de Sapor le roi des Perses, contre qui l’empereur Julien fit la guerre où il fut tué. Cet Hormisdas qui s’étoit établi dans l’empire, laissa certainement un fils qui s’appelloit Hormisdas comme lui, et de qui Ammien Marcellin et Zosime parlent dans leurs histoires[80].

Ce qui acheve de prouver que Justinien avoit des Perses, quels qu’ils fussent, au nombre de ses sujets, c’est qu’il employa un grand nombre de soldats et d’officiers de cette nation dans la guerre contre les Ostrogots. Procope parle en plusieurs endroits des Perses qui portoient les armes pour le service de ce prince en Italie. Il dit dans un de ces endroits : « Cabadés fils de Zamis et petit-fils de Cabadés roi de Perse, s’étoit réfugié depuis long-tems sur le territoire de l’empire, pour éviter les embuches de son oncle Chosroés, et il commandoit un corps composé de Perses transfuges. Comme on appelloit en Occident roi des Francs absolument un des rois qui regnoit sur les Francs, comme on y appelloit absolument roi des Bourguignons un des rois qui regnoient sur les Bourguignons, on aura de même appellé dans l’Orient roi des Perses tous les rois qui regnoient sur les Perses. Ainsi l’on aura nommé abusivement si l’on veut, rois des Perses, les chefs des peuplades de Perses établies sur le territoire de ce partage. C’est de ces chefs que Procope aura dit, qu’ils ne pouvoient point faire battre de la monnoye d’or à leur coin.

Quant aux rois des Visigots, les vingt-quatre monnoyes d’or de ces princes, lesquelles M. Le Blanc cite, et dont même il donne l’estampe, ne prouvent en aucune façon que les rois Visigots ayent fait fabriquer des monnoyes d’or à leur coin, dans les tems où de leur aveu, ils n’étoient encore que les Hôtes de l’empire d’Occident, et que par conséquent Procope ait tort d’avancer ce qu’il avance. La plus ancienne de ces vingt-quatre médailles d’or est du roi de Liuva, qui commença son regne en cinq cens soixante et sept, et quand il y avoit déja près d’un siecle que les Visigots possedoient en toute souveraineté la portion du territoire de l’empire dont ils s’étoient rendus les maîtres. M. Le Blanc pouvoit alleguer quelque chose de plus plausible contre Procope. ç’auroit été de dire que long-tems avant que les rois Francs fissent fabriquer des especes d’or avec leur nom et leur effigie, Alaric Second roi des Visigots qui monta sur le trône en quatre cens quatre-vingt-quatre, et qui fut tué à la bataille de Vouglé en cinq cens sept, avoit fait battre des especes d’or d’un titre plus bas que le titre en usage dans l’empire, et qui devoient être marquées à son coin, puisque les auteurs du tems les désignent par l’appellation d’especes gothiques ou de sols d’or Alaricains . On peut voir dans l’endroit de notre ouvrage où il est parlé des motifs qu’eut le roi Clovis de faire la guerre contre Alaric, ce que disent concernant ces especes, les lettres d’Avitus et la loi nationale des Bourguignons. Mais cela ne prouveroit rien contre Procope, qui n’a entendu parler que des rois barbares établis dans un territoire dont les empereurs étoient encore reconnus souverains par les barbares mêmes qui s’y étoient cantonnés. Or nous avons vû que dès l’année quatre cens soixante et quinze Julius Népos avoit cédé les Gaules à Euric le pere et le prédecesseur d’Alaric. Après cette cession quelle qu’en fut la validité, les rois des Visigots se seront regardés comme pleinement souverains des Gaules, et ils y auront dès-lors fait frapper des especes d’or à leur coin, comme le pratiquerent les rois Francs après leur second traité avec Justinien. Alaric Second, comme on l’a vû, ne s’érigea-t’il point en législateur, je ne dis pas des Visigots, mais des Romains habitans dans son territoire ? On peut dire la même chose des especes d’or frappées au coin des rois Ostrogots qui prétendoient avoir la pleine souveraineté de l’Italie.

Procope n’est pas le seul historien du sixiéme siecle qui parle de la cession de Marseille, qui fut faite aux premiers successeurs de Clovis par Vitigès. Il est encore fait mention de cette cession dans l’histoire d’Agathias. Je vais rapporter l’endroit de son ouvrage où il en est parlé. D’ailleurs il se trouve encore très-propre à donner une idée du caractere géneral des Francs et de ce qu’ils étoient durant le sixiéme siecle, et par conséquent à disposer le lecteur à croire plus aisément ce que nous allons exposer concernant l’état et le gouvernement des Gaules sous Clovis et sous ses premiers successeurs.

Les Franċs[81], dont le territoire confine avec l’Italie, étoient autrefois connus sous le nom de Germains, & ce n’est que depuis quelques années qu’ils se sont rendus maîtres de presque toutes les Gaules. Ils sont même présentement en possession de la Ville de Marseille bâtie par les loniens. Cette Colonie Grecque qui s’est long-tems gouvernée suivant les coutumes & les usages de ses Fondateurs, obéit donc aujourd’hui à des Princes Barbares, sans qu’on puisse dire néanmoins que ses Citoyens soient devenus pour cela de pire condition. En effet les Francs ne ressemblent point aux autres Barbares qui ne veulent habiter que les campagnes, & qui ont en horreur le séjour des Villes. Au contraire les Francs qui sont tous Catholiques, pratiquent non-seulement le culte de la Religion en la même maniere que les Romains, non-seulement ils ont des Loix & des usages semblables aux nôtres concernant les ventes, les achats, & la maniere de rendre la Justice ; mais il y a encore plusieurs d’entr’eux qui exercent dans les Villes les Charges Municipales, & qui se sont engagés dans l’état Ecclésiastique. Les Francs chomment aussi les Fêtes comme nous. Enfin pour des Barbares, ils sont très-soumis aux loix, très-polis, & ils ne different guéres des Romains, que par la Langue qu’ils parlent, & par l’habillement qu’ils portent. »

Il seroit superflu de faire ici un long raisonnement pour montrer que l’Ostrogot dans sa cession validée par Justinien, et dont il s’agit ici, délaissa aux Francs non-seulement la province qu’il tenoit encore dans les Gaules, et qui ne faisoit pas la dixiéme partie de cette vaste contrée, mais aussi ses droits et prétentions sur toutes les Gaules. Si la cession faite par l’Ostrogot eut été aussi peu considerable, Procope n’eut point dit comme il l’a dit : que l’ostrogot avoit cedé les Gaules entieres qui étoient de sa dépendance. Il auroit écrit simplement : Que l’Ostrogot avoit cedé les Gaules, ou la partie des Gaules qu’il possedoit. L’Ostrogot remit donc aux Francs les pays qu’il tenoit actuellement, et il leur transporta ses droits, sur ce qu’il ne tenoit pas.

LIVRE 5 CHAPITRE 8

CHAPITRE VIII.

De l’exécution du second Traité de Justinien avec les Rois des Francs.


Tous les Romains des cités des Gaules remises par les Ostrogots aux Francs, dûrent passer volontiers sous la domination de ces derniers qui étoient catholiques, et des hôtes très-commodes, au rapport de Salvien et d’Agathias. " tandis que Saint Césaire, disent les Auteurs de la Vie, faisoit paître avec sollicitude la partie du troupeau de Jesus-Christ, confiée à ses soins, son Diocèse eut la consolation de passer sous la domination d’un Souverain Catholique, sous celle du très-glorieux Roi Childebert. Ce ne fut pas néanmoins Césaire qui livra le Pays à un Maître orthodoxe, comme les Ariens l’avoient accusé tant de fois de l’avoir voulu livrer. De ce jour-là notre Saint Evêque n’eut plus rien à craindre de ces Hérétiques, & il lui fut permis de le rire de leurs menaces. » Il semble néanmoins que parmi les Romains de ces cités il y en ait eu qui par des motifs particuliers ne virent point avec joie les Francs maîtres des pays que l’Ostrogot leur avoit remis, et ce qui devoit les mortifier encore plus, que l’empire eut cédé à nos rois le domaine suprême des Gaules. Nous avons encore une lettre d’Aurelianus l’un des successeurs de Césaire, et qui fut élû évêque d’Arles vers cinq cens quarante-cinq, laquelle est écrite à Théodebert pour le reconnoître. Dans cette lettre Aurelianus s’excuse de n’avoir point rempli ce devoir aussi-tôt qu’il l’auroit fallu, et il y donne quelque lieu de penser qu’il avoit hésité lorsqu’il s’étoit agi de prêter son serment de fidélité. » Quoique ce ne soit point sans une crainte bien fondée, dit ce Prélat, que je m’acquitte de mon devoir en vous adressant cette lettre, j’ai néanmoins la confiance, & je ne l’ai pas sans sujet, que si vous daignez avoir égard à la droiture de mes intentions, vous ne vous tiendrez point offensé ni par mon silence passé, ni parce que je prends le parti de vous écrire. Quand tout le monde étoit si empressé à faire la cour à Votre Hautesse, elle n’a point dû soupçonner personne d’indifference, & je ne dois pas craindre d’être rebuté pour être venu un peu tard. Le dégré d’élevation où vous êtes monté, rend votre personne précieuse même aux hommes de la condition la plus abjecte. Elle est devenue le premier objet de la véneration de ceux-là même de ses Sujets qui ne la connoissent pas bien encore. Nous nous préparons donc avec ardeur à obéir aux ordres d’un Prince débonnaire, & nous lui rendons nos devoirs avec une parfaite soumission. Recevez aussi avec bonté les premiers hommages de vos Sujets, & renvoyez-les satisfaits de votre clémence. » Le reste de la lettre, où l’on ne trouve point certainement la clarté des écrivains du siecle d’Auguste, est rempli, ou des mêmes sentimens rendus avec d’autres tours ou des enseignemens qu’un évêque d’Arles se croyoit en droit de donner, écrits dans le style du sixiéme siécle.

En conséquence du traité dont nous venons de parler, Justinien s’abstint de nommer des préfets du prétoire des Gaules, quoiqu’il se conduisît en Italie, comme étant aux droits des empereurs d’Occident. Le pere La Carri croit que Martias qui commandoit les troupes dans la province des Gaules tenuë par les Ostrogots, dans le tems qu’ils la remirent aux Francs en cinq cens trente-sept, ait été le dernier de ces préfets. Mais suivant mon sentiment, cet auteur se trompe, et Martias lui-même, n’a point été préfet du prétoire des Gaules. Aucun auteur ne lui donne cette qualité : d’ailleurs Théodoric roi des Ostrogots et ses successeurs gouvernoient les provinces de l’empire lesquelles ils occupoient ainsi que les derniers empereurs les avoient gouvernées, c’est-à-dire, suivant la forme d’administration introduite par l’empereur Constantin Le Grand ; ainsi Martias qui, selon Procope exerçoit le pouvoir militaire dans cette province, ne devoit point y exercer en même tems le pouvoir civil, et par conséquent y être préfet du prétoire. Enfin, suivant Procope, les Ostrogots se vantoient qu’aucune personne de leur nation n’étoit entrée dans les emplois civils, et qu’ils les avoient laissés tous aux Romains. Nous avons rapporté le passage où Procope le dit, quand nous avons parlé de la maniere dont Théodoric Le Grand s’étoit conduit en Italie, après qu’il s’en fut rendu le maître, et le même historien écrit que notre Martias étoit Ostrogot de naissance. Ainsi le Romain qui exerçoit la préfecture des Gaules dans le tems que Martias commandoit les troupes en-deçà des Alpes par rapport à la ville d’Arles, aura été le dernier préfet des Gaules.

Le second traité que les rois Francs avoient fait avec Justinien ne fut point plus durable que le premier. Qui viola ce second traité ? Fut-ce le Franc ? Fut-ce le Romain d’Orient ? Comment le dire ? Comment oser le décider, quand nous ne pouvons entendre qu’une des parties, et quand nous ne sommes informés du détail de ce qui se passoit pour lors en Italie, que par deux auteurs, sujets de l’empereur d’Orient, Procope et Agathias ? Est-il facile même aujourd’hui que les souverains n’entrent pas en guerre les uns contre les autres, sans que chaque parti publie son manifeste, et je ne sçai combien d’autres écrits, pour montrer que ce n’est point lui qui a manqué le premier à l’observation des traités subsistans, de juger quel potentat est véritablement l’aggresseur. Je me contenterai donc de redire ici que peu d’années après le second traité conclu entre l’empereur Justinien et les rois Francs, Théodebert envoya en Italie une armée commandée par Buccellinus qui avoit ordre d’agir contre les Romains d’Orient, ce qu’il ne manqua point d’exécuter : car ce fut alors que les Francs firent en Italie la seconde des expéditions que nous avons déja remarqué qu’ils y avoient faites sous le regne de Théodebert. Après la mort de ce prince, son fils Théodebald y fit encore la guerre contre les Romains d’Orient ; mais comme ces expéditions dans lesquelles les Francs ne conquirent rien qui leur soit demeuré, ne font point une partie de l’histoire que j’écris présentement, je n’en parlerai point. Je vais donc finir par deux observations.

La premiere, c’est qu’il paroît que peu d’années après les expéditions de Théodebert et de Théodebald en Italie, nos rois entretenoient commerce avec la cour de Constantinople. Il s’étoit donc fait des traités de paix entre les Francs et les Romains d’Orient, pour terminer la guerre que ces expéditions avoient allumée : et suivant l’usage ordinaire, ces traités auront remis en vigueur les articles essentiels du traité précedent, du second traité des enfans de Clovis avec Justinien, et les Romains de Constantinople ne se seront plus portés pour seigneurs suzerains des Gaules après cela, et même ils auront cessé d’y exercer aucun acte de souveraineté. Du moins s’ils ont tenté d’en exercer, ç’aura été secretement, et ils auront désavoué eux-mêmes leur entreprise, dès qu’on s’en sera plaint, comme d’une infraction des traités. Le Roi Gontran fils de Clotaire premier & petit-fils de Clovis, envoya la vingt-septiéme année de son regne, dit Frédegaire, le Comte Syagrius en Ambassade à Constantinople. Syagrius y fut créé Patrice par une prévarication de l’Empereur Maurice. La trame fut bien ourdie, mais ayant été découverte, elle demeura sans effet. » C’est-à-dire, que Maurice révoqua le diplome, en vertu duquel Syagrius vouloit se faire reconnoître dans les Gaules pour un officier de l’empire, ou que ce Romain n’osa le publier ni tenter de s’en prévaloir. Ce Syagrius descendoit-il d’Egidius maître de la milice sous l’empire de Majorien, et qui regna un tems sur la tribu des Saliens ? Où l’apprendre ?

Je crois pouvoir rapporter comme une suite du complot dont je viens de parler, une médaille d’or de l’empereur Maurice qui regnoit en Orient la vingt-septiéme année du regne de Gontran. Cette médaille a été gravée plusieurs fois : l’on peut la voir dans Bouteroue et dans l’édition de Joinville donnée par M. Du Cange. On y trouvera d’un côté la tête de Maurice avec la légende : D. N. MAURITIUS P. P. AUGUSTUS, et de l’autre côté le Labarum, avec la légende : VIENNA DE OFFICINA LAURENTI  ? Qu’il me soit permis de conjecturer que dans le tems où se tramoit le complot de Syagrius, quelques-uns de ses adhérans firent frapper dans Vienne cette monnoye pour marquer que cette ville se réputoit encore sous la suprême puissance des empereurs Romains, nonobstant la cession faite aux rois Francs par Justinien, de tous les droits de l’empire, dont le droit de faire frapper des especes d’or à leur coin, étoit un des principaux. La narration de Frédegaire est si tronquée qu’elle ne me semble pas pouvoir donner lieu à des conjectures plus satisfaisantes. On peut encore appuyer la conjecture que je hasarde, sur ce qu’il y a dans la médaille une S, laquelle coupe les lettres qui composent le nom de Maurice, et que cette lettre est la premiere du nom de Syagrius.

Il est vrai néanmoins que bien que nos rois ayent été indépendans à tous égards des empereurs d’Orient dès l’année cinq cens quarante, ils n’en ont été reconnus comme empereurs d’Occident, que deux cens cinquante ans aprés. Eghinard après avoir dit que Charlemagne ayant joint à ses titres celui d’Auguste et d’empereur, ajoute : » Ce grand Prince vit sans s’émouvoir que les Empereurs de Constantinople fissent beaucoup de bruit des nouvelles qualités qu’il se donnoit. Il vint même à bout de la répugnance qu’ils avoient à les lui donner, & il la surmonta en leur envoyant de fréquentes Ambassades, & en leur écrivant des lettres où il les traitoit toujours de freres. » Nous avons observé à l’occasion de l’entrevûe de Clovis & d’Alaric sous Amboise, qu’il étoit déja établi par l’usage au commencement du sixiéme siécle, que les Têtes Couronnées qui traitoient d’égal à égal, s’appellassent freres, quoiqu’ils ne le fussent point. Jusques à Charlemagne on n’avoir donné à nos Rois d’autre titre, comme nous l’allons dire, que celui de Roi des Francs simplement, ou tout au plus de Roi des Francs & Prince des Romains.

Ma seconde observation sera, que le royaume de France, que la monarchie, dont le fondateur a placé le trône dans Paris, a sur les contrées de sa dépendance non-seulement le droit que les autres monarchies qui composent aujourd’hui la societé des Nations, ont sur les contrées de leur obéissance, je veux dire le droit acquis par la soumission des anciens habitans, et par la prescription ; mais que cette monarchie a encore sur les contrées de sa dépendance, un droit que les autres monarchies n’ont pas sur les contrées de leur domination. Ce droit sur les provinces de son obéissance, qui est particulier à la monarchie Françoise, est la cession authentique qui lui a été faite de ces provinces par l’empire Romain, qui depuis près de six siecles les possedoit à titre de conquête. Elles ont été cédées à la monarchie Françoise par un des successeurs de Jules César et d’Auguste, par un des successeurs de Tibere que Jesus-Christ lui même reconnut pour souverain légitime de la Judée, sur laquelle cependant cet empereur n’avoit pas d’autres droits que ceux qu’il avoit sur les Gaules et sur une portion de la Germanie. La monarchie Françoise est donc de tous les Etats subsistans, le seul qui puisse se vanter de tenir ses droits immédiatement de l’ancien empire Romain. Aussi les auteurs les plus intelligens dans les droits de nos rois, et dans nos annales ont-ils dit que ces princes étoient les successeurs des empereurs, et que c’étoit l’autorité impériale qu’ils exerçoient dans leur royaume. On trouve cette proposition en termes exprès dans le discours que Monsieur Jacques-Auguste De Thou fit à l’université de Paris, lorsqu’il la réforma en qualité de commissaire du roi Henry Quatre, la premiere année du siecle dernier.

Personne n’ignore que l’empire moderne ou l’empire Romano-Germanique, comme le nomment ses jurisconsultes, n’est point, et même qu’il ne prétend en aucune maniere être la même monarchie que l’empire Romain, fondé en premier lieu par Romulus. Les chefs de l’empire d’Allemagne ne se donnent point pour successeurs des Césars, ni pour héritiers des droits d’Auguste et de Théodose Le Grand. L’erreur seroit puérile.

Tous les sçavans connoissent le traité Des limites de l’Empire d’Allemagne, qu’Hermannus Conringius, un de ses plus célebres jurisconsultes, publia en mil six cens cinquante-quatre, et qui a depuis été réimprimé plusieurs fois. Conringius dit dans cet ouvrage, qui est regardé avec une grande déférence par les compatriotes de l’auteur. » Il est évident par tout ce qui vient d’être exposé, que les droits de l’Empire Germanique sur les Provinces renfermées dans ses limites, ne lui viennent point de l’Empire Romain, dont les droits sont proscrits de puis long-tems. C’est d’une autre source qu’émanent les droits de l’Empire Germanique, & c’est à cette source qu’il faut remonter pour trouver leur origine. » Monsieur Pufendorf si connu dans la république des Lettres par son Traité du droit de la nature et des gens, et par ses histoires, écrit la même chose que son compatriote. On lit dans l’Etat de l’empire d’Allemagne que Monsieur Pufendorf fit imprimer d’abord sous le nom supposé de Severinus de Mozambano Veronensis, et qui depuis a été réimprimé plusieurs fois sous le nom véritable de son auteur ; » Ce seroit commettre une faute d’écolier, que d’imaginer que l’Empire d’Allemagne fût aux droits de l’Empire des Césars, & que la Monarchie Germanique ne soit qu’une continuation de la Monarchie Romaine. » Monsieur Vander Muelen d’Utrecht, le même qui nous a donné un long et docte commentaire sur le livre du Droit de la guerre et de la paix par Grotius, prouve fort au long cette vérité dans son traité De ortu et interitu imperii romani. Elle est enfin reconnuë par les auteurs sans nombre qui ont écrit sur le droit public d’Allemagne. En effet, comme l’observe Pufendorf, il s’est écoulé trop de siecles entre le renversement de l’empire Romain en Occident, et l’érection de l’empire Romano-Germanique en forme d’une monarchie particuliere, pour penser que la seconde de ces monarchies soit la continuation de la premiere, et que la premiere ait pû transmettre ses droits à la seconde. C’est Charlemagne que les empereurs modernes regardent comme le fondateur de l’Etat dont ils sont les chefs.


LIVRE SIXIÉME

LIVRE 6 CHAPITRE 1

CHAPITRE PREMIER.

Idée générale de l’Etat des Gaules durant le sixiéme siécle, & les trois siécles suivans. Que les differentes Nations qui pour lors habitoient dans les Gaules, n’y étoient pas confondues. Ce qu’il faut entendre par Lex Mundana, ou la Loy du Monde.


Avant que de continuer l’histoire de la monarchie Françoise, il est nécessaire d’exposer aux lecteurs, du moins autant qu’il est possible de le pouvoir faire, quelle fut la forme de sa premiere constitution.

Quoique les monarchies naissantes prennent ordinairement une forme d’Etat simple et facile à concevoir, il est arrivé neanmoins que la monarchie Françoise a eu dès le tems de son origine, une forme d’Etat très-composée et même assez bizarre. Sa premiere conformation a été monstrueuse en quelque maniere. La forme de la constitution de l’empire d’Allemagne, et la forme de la constitution de la république des Provinces-Unies du Pays-Bas, ne sont pas plus difficiles à comprendre, que l’est celle de la premiere constitution de la monarchie que les Francs fonderent dans les Gaules, au milieu du cinquiéme siecle.

En second lieu, aucun auteur de ceux qui ont écrit dans les tems où cette premiere forme de gouvernement subsistoit encore, c’est-à-dire, sous nos rois des deux premieres races, n’a songé à nous l’expliquer méthodiquement. Lorsqu’il arrive à ces auteurs d’en dire quelque chose, c’est toujours par occasion. Aucun d’eux n’a entrepris de nous donner dans un écrit fait exprès, le plan de la constitution de la monarchie, et de composer sur ce sujet un ouvrage de même nature que celui où le chevalier Temple nous a tracé le plan de la constitution de la république des Provinces-Unies du Pays-Bas, et que ceux dont les auteurs ont voulu nous donner le plan de la constitution presente de l’empire d’Allemagne.

Il faut donc pour avoir une idée de la premiere conformation de notre monarchie faire exprès un travail particulier. Il faut après avoir ramassé ce qu’on trouve dans les auteurs contemporains de ses premiers fondateurs concernant la forme de la constitution du royaume des Francs, l’éclaircir autant qu’il est possible, par ce qu’on trouve sur le même sujet dans les monumens litteraires des tems postérieurs, et arranger ensuite tous ces matériaux, en les disposant suivant l’ordre dans lequel les écrivains modernes qui donnent l’état present d’une monarchie ou d’une république, ont coutume de ranger les leurs : il y a peu de lecteurs assez affectionnés à notre histoire pour vouloir en achetter l’intelligence par un semblable travail. Ainsi un ouvrage qui en dispense, je veux dire un plan de la premiere constitution de la monarchie Françoise levé méthodiquement et régulierement tracé, est aussi nécessaire à la tête de ses annales, que le peut être une carte geographique à la tête de la relation d’un voyage fait dans des pays nouvellement découverts : n’est-il pas vrai qu’on lit sans fruit et même sans beaucoup de plaisir, les annales d’un Etat quand on ne connoît point la forme de son gouvernement ? Comment juger alors du merveilleux et de l’importance des évenemens ? Comment rendre justice à ceux qui en ont été les mobiles ? Et d’un autre côté, comment ne s’ennuyer pas bientôt dans une lecture qui laisse l’esprit dans l’inaction, et qui n’exerce pas le jugement ? D’ailleurs, comme nous l’avons déja dit dans notre préface, l’intelligence du droit public en usage sous nos rois de la troisiéme race, dépend en grande partie de la connoissance de la premiere constitution de la monarchie Françoise. Tâchons donc de bien développer la forme compliquée de cette premiere constitution.

Il paroît, en lisant les auteurs du cinquiéme et du sixiéme siecle, que generalement parlant, la division des Gaules en dix-sept provinces, laquelle sous les derniers empereurs Romains, avoit lieu dans l’ordre politique et dans l’ordre ecclesiastique, cessa dès la fin du regne de Clovis d’avoir lieu dans l’ordre politique, quoiqu’elle continuât d’avoir toujours lieu dans l’ordre ecclesiastique. Chacun des évêques des dix-sept capitales de ces provinces, ou pour parler le langage des siecles suivans, chacun des dix-sept archevêques, conserva bien le pouvoir qui lui appartenoit sur tous les évêchés qui avoient été suffragans de sa métropole, aux tems où les empereurs regnoient encore sur les Gaules, mais les dix-sept provinces cesserent de composer chacune une espece de corps politique distinct, gouverné par des officiers particuliers, et renfermé dans des bornes certaines. Cette confusion des anciennes provinces fut apparemment l’effet du partage des enfans de Clovis, dans lequel, comme je l’ai dit, la même province des Gaules fut divisée entre plusieurs rois. D’ailleurs les nouveaux rois établirent leur trône particulier et leurs conseils, non point dans des villes métropoles, mais dans de simples capitales de cités. Thierri établit à Metz le siege de sa domination, c’est-à-dire, le siege de son sénat ou de son conseil. Clodomire établit son trône à Orleans, Childebert à Paris, et Clotaire à Soissons. Une ville qui est devenue la capitale d’un royaume et le séjour du conseil du souverain, a bientôt acquis par le séjour du prince et de son sénat, une espece de supériorité et d’empire sur les autres villes de cet Etat. Il sera donc arrivé que toutes les cités qui appartenoient au même roi, auront, de quelque province qu’elles fussent, et quelque rang qu’elles tinssent auparavant, regardé la ville, où leur souverain faisoit son séjour ordinaire, comme leur véritable capitale, et l’ordre ancien aura du moins à cet égard, été pleinement perverti. Non-seulement Orleans et Paris n’auront plus regardé Sens comme leur capitale dans l’ordre civil, mais elles-mêmes, elles auront été regardées comme villes capitales et dominantes en quelque sorte, l’une par les sujets de Clodomire, et l’autre par tous les Francs en general et par les sujets de Childebert en particulier. Metz aura cessé d’avoir recours à Tréves comme à sa métropole dans l’ordre politique, et Soissons d’avoir recours à Reims comme à la sienne. Au contraire, Metz sera devenu la capitale du partage de Thierri, et Soissons la capitale du partage de Clotaire. Il semble neanmoins que les deux Aquitaines ayent conservé long-tems leur forme de province. Nous parlerons un jour des nouvelles divisions des Gaules, qui s’introduisirent dans la suite, et qui dans l’ordre civil furent substituées à la division en usage sous les derniers empereurs.

Quant à la subdivision des Gaules, suivant laquelle les Gaules étoient partagées en plusieurs citées, elle continua d’avoir lieu dans l’ordre civil, aussi bien que dans l’ordre ecclésiastique.

Chaque cité subsista en forme de corps politique, et elle continua d’être divisée en cantons, ainsi qu’elle l’étoit avant que les Francs fussent les maîtres des Gaules. C’est de quoi nous parlerons plus au long, en expliquant quel étoit sous nos premiers rois le gouvernement civil dans chaque cité. Mais avant que d’entrer dans cette discussion, il convient d’exposer quel étoit le peuple par qui les Gaules étoient alors habitées, et quelle y étoit la condition des sujets ; point d’une si grande importance dans le droit public des Etats.

Le peuple des Gaules, ainsi que celui de l’Espagne, de l’Italie et des autres provinces de l’empire Romain, dont les barbares venoient de se rendre maîtres, étoit bien different de ce qu’il est aujourd’hui. Aujourd’hui par exemple, tous les habitans de la France qui sont nés dans le royaume, sont réputés être de la même nation. Ils sont tous François ; mais dans le sixiéme siecle et dans les siecles suivans, les Gaules étoient habitées par des nations differentes, qui étoient mêlées ensemble sans être pour cela confonduës. Ces nations, bien qu’elles cohabitassent dans le même pays, étoient alors, et même elles sont demeurées pendant plusieurs générations, des nations distinctes et differentes les unes des autres par les mœurs, par les habits, par le langage, et ce qui est de plus essentiel, par la loy particuliere suivant laquelle elles vivoient. Durant plusieurs générations et même jusques aux derniers rois de la seconde race, les habitans des Gaules étoient compatriotes sans être pour cela concitoyens. Ils ont été tous durant long-tems également regnicoles, sans être pour cela de la même nation. Voici la peinture que fait Agobard, archevêque de Lyon dans le neuviéme siecle, de la constitution de la societé, telle qu’elle étoit de son tems dans la monarchie Françoise, et nous avons eu déja plusieurs fois occasion de dire que la constitution du royaume a été la même sous les rois Mérovingiens et sous les rois Carlovingiens. Agobard dit donc dans un mémoire qu’il présenta à Louis Le Débonnaire, pour l’engager à abroger la loi des bourguignons. » Je laisse à votre bonté à juger si la Religion & si la Justice n’ont pas beaucoup à souffrir de cette diversité de Loix qui est si grande, qu’il est commun de voir dans le même Pays, dans la même Ciré, que dis-je, dans la même maison, des personnes qui vivent suivant des Loix differentes. Il arrive souvent que de cinq personnes qui conversent ou qui se promenent ensemble, il n’y en a point deux qui suivent la même Loi temporelle, quoiqu’elles soient toutes de la même Religion, la Religion Chrétienne. »

Aujourd’hui c’est le lieu de la naissance qui décide de quelle nation est un homme. Tout homme qui est né d’un pere habitué en France est réputé François, de quelque contrée que ce soit que son pere ait été originaire. Dans le cinquiéme siecle et dans les siecles suivans, c’étoit la filiation et non pas le lieu de la naissance qui décidoit de quelle nation on devoit être. En quelque province des Gaules, par exemple, que fût né un Bourguignon, il étoit toujours réputé Bourguignon. Les descendans de ce fils étoient encore de même nation que lui, en quelque lieu du royaume que ce fût que le pere eût été domicilié. Il en étoit de même en général, et nous l’avons déja dit, des habitans de l’Espagne et de ceux de l’Italie. Voilà pourquoi un peuple habitoit alors durant plusieurs années dans un pays sans en prendre le nom, et sans lui donner le sien. On étoit accoutumé en Europe durant le sixiéme siecle et les deux siecles suivans, à ce qui paroît aujourd’hui extraordinaire. Tous les écrivains ne remarquent-ils pas comme une chose singuliere que les habitans de l’Ukraine ne s’appellent point les Ukraniens, mais les Cosaques. Il est vrai cependant que l’usage de désigner les hommes par le nom de la nation dont ils sont issus, et non point par un nom dérivé du nom de la contrée où ils sont nés, subsiste encore dans plusieurs provinces de l’Asie et de l’Amérique, et même dans quelques provinces de l’Europe qui sont sous la domination du grand-seigneur. Un homme issu de la nation turque, et né dans la Gréce ou dans la Hongrie, ne s’appelle point un Grec ou un Hongrois absolument. Si pour nous exprimer plus promptement, nous avons donné le nom collectif de Turquie à l’assemblage des Etats qui obéissent au sultan des Turcs, c’est de notre propre autorité que nous le lui avons donné, ce prince et ses officiers ne s’en servent pas. Il en est de même dans les colonies que les Européans ont fondées en Amérique. Mais les hommes issus du sang François, sont toujours des François en Canada. Il en est de même des Sauvages, et c’est pour nous une nouvelle preuve : cela vient de ce que la distinction des nations cohabitantes dans une même contrée s’est conservée dans les pays dont il a été fait mention en dernier lieu. C’est de quoi nous parlerons bientôt un peu plus au long.

On ne doit donc pas être étonné que les Francs ayent habité long-tems dans la Gaule, sans prendre le nom de Gaulois et sans donner le leur à la Gaule. Quand même dans la suite ils ont donné leur nom à cette contrée, ce n’a été que peu à peu et successivement, comme nous le dirons dans la suite ; le nom de France ne fut donné d’abord qu’à une petite portion des Gaules, et il fut long-tems sans devenir le nom collectif de tous les pays de cette vaste contrée, soumis à la domination des rois Francs.

Ainsi le mot de peuple ne signifioit point dans les Gaules, durant les siecles dont je parle, la même chose que le mot de nation, et je supplie le lecteur de se souvenir de l’acception particuliere qu’avoient alors ces deux mots-là, qui dans le langage ordinaire, signifient aujourd’hui la même chose. Quoique les écrivains qui ont vécu sous nos premiers rois, n’ayent point été toujours assez exacts à n’employer le mot de Peuple, et le mot de Nation que dans l’acception propre à chaque mot, il est sensible néanmoins en lisant leurs ouvrages, qu’on entendoit alors par nation, une societé composée d’un certain nombre de citoyens, et qui avoit ses mœurs, ses usages, et même sa loi particuliere. On entendoit au contraire par le mot de peuple, l’assemblage de toutes les differentes nations qui habitoient sur le territoire d’une même monarchie. On comprenoit sous le nom de peuple, tous les sujets du prince qui la gouvernoit, de quelque nation qu’ils fussent citoyens. Ce que je dirai dans la suite, servira de preuve suffisante à ce que je viens d’avancer. Néanmoins je ne laisserai pas de citer ici un passage de la loi des Bourguignons qui le dit bien positivement. En pareilles questions, le texte d’une loi est ce qu’il y a de plus décisif. On lit dans le code des Bourguignons, publié par Gondebaud, dont les sujets ainsi que ceux de Clovis, étoient de differentes nations : » Si quelqu’un tue de guet-à-pens un homme libre de notre peuple, le meurtrier ne sera pas reçu à faire aucune composition, & il sera mis à mort, de quelque Nation que fut celui qu’il aura tué. »

Comme chacune des nations qui habitoient dans les Gaules durant le sixiéme siecle et les siecles suivans, formoit une societé politique complette, on voit bien qu’il falloit que suivant les usages de ces tems-là, chaque nation fut divisée en hommes libres et en esclaves. Ainsi lorsqu’un homme libre devenoit esclave, ce qui arrivoit pour lors assez souvent, il devenoit esclave de la nation dont étoit sa partie, ou son créancier, ou celui qui l’avoit fait prisonnier de guerre. D’un autre côté, suivant le droit commun, l’esclave affranchi étoit réputé être de la nation dont étoit le maître qui lui avoit donné la liberté. Toutes les nations avoient adopté la loi du Digeste, qui ordonnoit que la posterité des affranchis seroit réputée être originaire du même lieu, et descendre de la même tribu dont étoit le maître qui les avoit affranchis.

Si les loix Romaines vouloient que les esclaves, qui avoient été mis en liberté avec de certaines formalités, fussent citoyens Romains, les barbares regardoient aussi comme un citoyen de leur nation, l’esclave qu’un citoyen de leur nation avoit affranchi de même. Nous avons encore un rescript de Theodoric roi d’Italie, par lequel ce prince enjoint à un de ses officiers, qui vouloit soumettre deux esclaves affranchis par des Ostrogots, à des corvées que les citoyens de cette nation ne devoient pas, de ne les point exiger de nos affranchis, parce qu’ils devoient être regardés comme étant en possession de l’état d’Ostrogot.

L’exception que la loi des Ripuaires apporte à cet usage général, suffiroit seule pour montrer qu’il étoit en vigueur dans le tems qu’elle fut rédigée. Elle permet au citoyen Ripuaire d’affranchir son esclave, de maniere qu’il devienne simplement citoyen Romain, ou de maniere qu’il devienne un citoyen de la nation des Ripuaires. Le titre de cette loi porte : » Si quelqu’un a affranchi son esclave par un billet, où il a déclaré que les portes lui étoient ouvertes, & s’il en a fait ainsi un Citoyen Romain, & que cet affranchi vienne à mourir sans enfans, notre domaine héritera de lui. Si un tel affranchi commet quelque délit, il sera jugé suivant le Droit Romain, & si quelqu’un le tuë, son meurtrier sera condamné à payer cent sols d’or. » C’étoit la peine à laquelle la loi des Ripuaires condamnoit le Ripuaire qui avoit tué un citoyen Romain, nouvellement venu dans le pays qu’ils occupoient, et qui n’étoit pas descendu des Romains qui habitoient ce pays-là quand les Francs étoient venus s’y établir, et avec qui ces Francs avoient fait probablement une convention[82], qui rendoit les uns et les autres de même état et d’égale condition : c’est de quoi nous avons déja parlé.

D’un autre côté, le titre soixante et uniéme de la loi des Ripuaires, qu’on va lire au bas de cette page, laisse expressément aux citoyens de cette nation, la liberté d’affranchir leur esclave, suivant la forme pratiquée par les barbares. Elle étoit que le maître reçût de son esclave en présence du roi, une piece de monnoye, laquelle étoit réputée le prix de la rançon de cet esclave ; et l’esclave qui avoit été affranchi en cette forme-là, étoit réputé de la nation de celui qui l’avoit mis en liberté. Aussi la loi des Ripuaires dit-elle positivement : » Si quelqu’un, ou par lui-même, ou par Procureur, a affranchi un esclave, en recevant de lui une piece de monnoye en présence du Roi, suivant l’usage des Ripuaires, cet esclave ne pourra en aucune maniere être réduit à retourner en servitude, mais il sera de même condition que les autres Ripuaires. » Dans un autre endroit, cette même loi condamne le meurtrier d’un de ces esclaves affranchis, suivant l’usage national, à payer deux cens sols d’or. C’étoit la même peine qu’elle imposoit au citoyen Ripuaire qui avoit tué un autre citoyen Ripuaire.

Cette disposition des loix Romaines et des loix nationnales des barbares concernant l’état des affranchis, est si conforme au droit naturel, qu’encore aujourd’hui elle a lieu dans les contrées où il y a des esclaves. Il est dit dans le Code noir ou dans l’édit fait en mil six cens quatre-vingt-cinq par le roi Louis Quatorze, afin de servir de reglement pour le gouvernement et pour l’administration de la justice et de la police dans les isles françoises de l’Amérique[83]. « Déclarons les affranchissemens des esclaves, faits dans nos Illes, leur tenir lieu de naissance dans nos Illes, & les esclaves affranchis n’avoir besoin de nos Lettres de Naturalité, pour jouir des avantages de nos Sujets naturels dans notre Royaume, Terres & Pays de notre obéissance, encore qu’ils soient nés dans les Pays étrangers. » Le cinquante-deuxiéme article de l’édit du roi Louis Quinze, servant de reglement pour le gouvernement et pour l’administration de la justice dans la Loüisiane, statue la même chose, qui s’observe aussi dans les colonies que les autres Europeans ont établies dans le Nouveau Monde.

Enfin dans le sixiéme siecle, chaque nation faisoit si bien une societé complette, qu’elles avoient toutes un code de loix particulier, suivant lequel elles vivoient. Les six ou sept nations differentes qui habitoient les Gaules, sous la premiere et même sous la seconde race de nos rois, avoient chacune leur loi nationnale, suivant laquelle tous les particuliers de cette nation-là, traduits en justice, devoient être jugés. Le Franc Salien ou le Franc absolument dit, poursuivi en justice par un Romain, ne pouvoit être jugé que suivant la loi Salique ; et le Romain poursuivi en justice par un de ces Francs ou par un autre barbare, ne pouvoit être jugé que suivant le droit Romain[84].

On trouve dans tous ces codes que nous avons encore aujourd’hui, plusieurs choses qui montrent évidemment que chaque particulier devoit être jugé suivant sa loi nationnale. On trouve, par exemple, dans la loi des Ripuaires, » Tous les habitans de la Contrée des Ripuaires, soit qu’ils soient Francs, Bourguignons, Allemands, ou d’aucune autre Nation, seront cités & jugés conformément à la Loi particuliere de leur Nation, & ceux qui seront trouvés coupables seront condamnés à la peine infligée à leur délit par leur Loi Nationnale, & non point à la peine prononcée dans la Loi Ripuaire, contre le délit dont ils seront trouvés coupables. »

Il semble que cette sanction des loix Ripuaires, et ce qu’on lira bien-tôt concernant le serment que nos rois prêtoient à leur avénement à la couronne, dût me dispenser de chercher d’autres preuves pour montrer que chaque citoyen étoit jugé suivant la loi particuliere de la nation dont il étoit. Je ne laisserai pas néanmoins de rapporter un article inséré dans la loi des Lombards, lorsqu’ils eurent été subjugués par nos rois de la seconde race, parce que ce point du droit public en usage dans la societé des nations durant le sixiéme siecle, et les siecles suivans, s’y trouve exposé très-clairement. Nous ordonnons, conformement à l’usage de notre Royaume, que lorsqu’un Lombard intentera une action contre un Romain, on juge suivant les Loix Romaines les prétentions du Lombard contre le Romain ; que toutes les procédures se fassent suivant ces mêmes Loix, & que le Romain fasse les sermens qu’il conviendra d’exiger de lui, selon la forme prescrite par les susdites Loix. Nous ordonnons réciproquement la même chose en faveur du Lombard & de la Loi. Mais le Romain, lorsqu’il sera convaincu d’avoir fait tort à un Lombard, sera tenu de lui donner satisfaction suivant la Loi du Lombard, & il en sera de même du Lombard qui aura fait tort à un Romain. » Quelle raison particuliere ce législateur avoit-il eûë de statuer sur ce dernier point, autrement que la plûpart des autres loix nationales ? Je l’ignore. Le texte de cette loi n’a-t-il pas été corrompu par la transposition des mots Lombard et Romain  ?

Les princes à leur avenement à la couronne promettoient solemnellement dans le serment qu’ils prêtoient avant leur inauguration, de se conformer à l’ancien usage en faisant rendre justice à chacun de leurs sujets, de quelque condition qu’il pût être, conformément à la loi de la nation dont chaque sujet étoit citoyen. Il est vrai que ce serment qui contient les paroles que je viens de rapporter est celui de Charles-Le-Chauve, et que les autres sermens de même teneur que nous avons encore, sont des rois de la seconde race ; mais comme nous n’avons plus les sermens des rois de la premiere race, et qu’il est prouvé néanmoins qu’ils en prêtoient un au peuple à leur avenement à la couronne, on peut bien supposer avec fondement que la formule du serment des rois Mérovingiens étoit semblable à celle du serment des rois Carliens. En effet, Grégoire de Tours dit positivement que Charibert, en recevant après la mort de Clotaire fils de Clovis, le serment de fidélité des Tourangeaux, il leur en avoit fait un de son côté, par lequel il promettoit de ne leur point imposer aucune nouvelle charge, et de les laisser vivre suivant leur loi et coutumes. D’ailleurs la constitution de la monarchie Françoise ayant été la même sous la premiere et sous la seconde race, on peut alleguer les monumens litteraires des tems, où regnoit la seconde pour éclaircir quelle étoit cette constitution sous la premiere, quand ces monumens ne contiennent rien qui soit contredit par ceux des tems où regnoit la premiere.

La perte de la formule du serment que prêtoient à cet égard les rois de la premiere race, est encore réparée par ce qu’on trouve dans Marculphe qui a fait son recueil sous le regne de ces princes. Une des formules de son recueil, celle des lettres de provision des ducs et des comtes, laquelle nous rapportons ci-dessous, oblige ces officiers à rendre justice aux Francs, aux Bourguignons, aux Romains comme aux autres sujets de la monarchie, suivant la loi de la nation dont ils étoient.

Lorsque je parlerai en particulier de chacune des nations qui habitoient les Gaules, j’entrerai dans quelque détail concernant la loi nationale qui la régissoit. Ici je me contenterai de dire que le corps de droit civil, suivant lequel tout le peuple des Gaules étoit gouverné, et qui étoit composé du code Theodosien, et des codes nationaux des barbares dont je viens de faire mention, s’appelloit collectivement Lex mundana, la loy temporelle, ou la loy du monde, par opposition à la loy spirituelle, ou au droit canonique sur lequel on se regloit dans les affaires spirituelles et les matieres ecclesiastiques. Gregoire de Tours dit en parlant de Salvius évêque d’Alby, lequel avant que d’embrasser l’état ecclesiastique avoit servi dans les cours de judicature laïques : qu’il avoit été vêtu long-tems comme les personnes du siecle, et qu’il avoit travaillé avec les juges du monde aux procès qui doivent être terminées suivant la loi du Monde.

Il est encore dit dans le serment de Charles Le Chauve. » Nous promettons à tous nos Sujets, de quelqu’Ordre qu’ils puissent être de faire rendre justice à chacun d’eux, suivant les décisions des Loix Ecclésiastiques, comme suivant les décisions des Loix du Monde, qui seront applicables à la cause. » Il est si clair que ce n’est point la loi civile d’aucune nation particuliere, qui sous le nom de loi du Monde, est opposée au droit canonique dans le serment de Charles Le Chauve, mais bien la collection des loix civiles de toutes les nations soumises à Charles Le Chauve ; qu’il me paroît surprenant que des auteurs modernes ayent crû que par la loi du Monde il fallut entendre seulement le droit Romain.

Il est dit encore dans un capitulaire de Carloman fils de Louis Le Begue : » Le Comte enjoindra à son Vicomte, à seș Centeniers, & aux autres Officiers de la République, aussi bien qu’aux Citoyens habiles dans l’intelligence de la Loi du Monde, de prêter leur ministere aux Evêques & aux pauvres toutes les fois qu’ils en seront requis par les uns & par les autres. » Si la loi du monde eût voulu dire seulement le code Theodosien, Carloman eut ajouté, et dans les autres loix civiles. Il devoit être question tous les jours d’agir et de juger suivant toutes ces loix-là.

Un des plus précieux monumens litteraires de nos antiquités, c’est la lettre écrite par Hincmar archevêque de Reims, à Charles Le Gras, pour l’instruire en détail de la maniere dont Charlemagne avoit gouverné la monarchie Françoise. Hincmar avoit vû Charlemagne, et nous avons déja dit plusieurs fois, que le gouvernement de cette monarchie avoit été sous les rois Carlovingiens, le même à peu-près qu’il avoit été sous les rois Mérovingiens. Notre prélat écrit donc à son prince : » Un des principaux soins du Comte du Palais, étoit, que tous les procès mûs ailleurs, & qui étoient portés devant le Roi, soit par voye d’appel ou autrement, y fussent terminés de maniere, que Dieu & le monde approuvassent le Jugement. S’il arrivoit que le cas fût tel, qu’il ne se trouvât rien de statué à son sujet dans les Loix Mondaines, ou bien que le cas dont il s’agissoit y fût décidé trop rigoureusement, parce que le Code qu’on devoit suivre, avoit été redigé quand la Nation à laquelle il servoit de Loi, étoit encore Payenne, & ne connoissoit point l’esprit de douceur que respire le Christianisme, pour lors le Procès s’examinoit en presence du Roi, afin que ce Prince en ordonnât par l’avis de ceux de ses Conseillers qui (sçachant la Loy Mondaine & la Loy de l’Evangile ; » avoient encore plus de respect pour la derniere que pour l’autre. Alors on metroit d’accord ces deux Loix s’il étoit possible, & s’il ne l’étoit pas, il falloit que la Loi du siècle, se tût devant la Loy de Dieu. »

On voudra bien observer, qu’Hincmar en disant au pluriel les loix Mondaines, enseigne évidemment que la loi Mondaine étoit non pas un seul code, mais un recueil de plusieurs. Ce passage ne me paroît point avoir besoin d’aucun autre commentaire. Enfin le lecteur peut voir dans les notes de Monsieur Baluze sur les Capitulaires[85], plusieurs autres passages qui font foi, qu’on opposoit la loi mondaine aux saints canons.

Cette division du peuple d’une monarchie en plusieurs nations distinctes ne paroît plus aussi extraordinaire qu’on la trouve d’abord, après qu’on a fait réflexion qu’encore aujourd’hui il y a même en Europe, plusieurs contrées où deux nations differentes habitent ensemble depuis plusieurs générations, sans être pour cela confondues. Les descendans des Anglois qui s’établirent en Irlande il y a déja plusieurs siécles n’y sont point encore confondus avec les anciens habitans de cette isle. Les Turcs établis dans la Grece depuis trois siecles, y font toujours une nation differente de celle des Grecs. Les Armeniens, les Juifs, les Egyptiens, les Syriens et les autres Chrétiens sujets du Grand Seigneur, ne sont pas plus confondus avec les Turcs que le sont les Grecs. Il y a plus, toutes ces nations ne se confondent pas ensemble dans Constantinople ni dans les autres lieux de l’empire Ottoman où elles habitent pesle mesle depuis plusieurs siecles. La difference de religion ou de secte qui est entre toutes ces nations contribue beaucoup, dira-t-on, à faire subsister la distinction dont il s’agit, j’en tombe d’accord. Mais la prévention de nos barbares en faveur de leur nation, leur estime pour la loi et pour les usages de leurs peres, et d’un autre côté l’attachement des Romains à leur droit et à leurs mœurs, auront operé dans la Chrétienté, ce qu’opere la difference de religion dans les Etats du Grand Seigneur. Si la politique des sultans entretient avec soin cette difference nationale, qui empêche que tous les sujets d’une province n’entreprennent rien de concert contre le gouvernement, pourquoi nos premiers rois n’auront-ils point aussi pensé que leur autorité seroit mieux affermie si leur peuple demeuroit divisé en plusieurs nations, toujours jalouses l’une de l’autre, que si ce peuple venoit à n’être plus composé que d’une seule et même nation ?

On voit encore le peuple d’une même contrée divisé en plusieurs nations dans les colonies que les Européans ont fondées en Asie, en Afrique ou en Amérique, et principalement dans celles que les Castillans ont établies dans cette derniere partie du monde. Je dis quelque chose de semblable, car il s’en faut beaucoup que la difference qui étoit entre les diverses nations qui habitoient ensemble dans les Gaules, dans l’Italie et dans l’Espagne durant le sixiéme et le septiéme siécles, fût aussi grande et pour ainsi dire, aussi marquée, que l’est par exemple la difference qui se trouve entre les diverses nations dont le Mexique est habité, soit par rapport aux usages et aux inclinations, soit par rapport à la condition de chacune d’elles, comme au traitement qu’elles reçoivent du souverain. Les Espagnols, les Indiens et les Negres libres dont est composé le peuple du Mexique, sont originairement des nations bien plus differentes par l’exterieur et par les inclinations que ne l’étoient les habitans de la Germanie et ceux des Gaules, lorsque les premiers Germains s’établirent dans les Gaules. D’ailleurs les Espagnols se sont établis dans le Mexique, en subjuguant les armes à la main les anciens habitans du pays, et les Negres qui s’y trouvent, y ont été transportés comme esclaves achetés à prix d’argent, ou bien ils descendent d’ayeux qui ont eu cette destinée. Au contraire les Francs et les autres Germains qui s’établirent dans les Gaules, s’y établirent non pas sur le pied de conquerans, mais sur celui d’Hostes et de Confederés  ; c’est-à-dire, pour y vivre suivant les conventions qu’ils faisoient avec les anciens habitans du pays.


LIVRE 6 CHAPITRE 2

CHAPITRE II.

De la royauté de Clovis & de celle de ses successeurs. Etablissement de la Loi de Succession. Que l’Article de cette Loi qui exclut les Filles de France de la Couronne, est contenu implicitement dans les Loix Saliques.


Le pouvoir de Clovis et celui des rois ses successeurs consistoit en ce que ces princes étoient non-seulement souverains et rois des Francs, mais aussi en ce qu’ils étoient en même tems les rois ou les chefs suprêmes de chacune des nations dont le peuple de leur monarchie étoit composé. Par exemple, Theodebert étoit non-seulement roi des Francs Saliens et des Francs Ripuaires établis dans son partage, mais il étoit encore roi des Bourguignons, roi des Allemands, roi des Romains, en un mot, roi particulier de chacune des nations établies dans ce partage. C’est ce qui fut dit à ce prince même par Aurelianus évêque d’Arles dans la lettre dont nous nous sommes servis à la fin de notre cinquiéme livre. » Je ne parlerai point, écrit ce Prélat à Theodebert, de la gran deur de votre Maison. Je ne m’amuserai point à faire valoir que vous gouvernez avec le même Sceptre plusieurs Societés differentes, que votre Royaume renferme diverses Nations unies sous un seul Maître, & que d’un Trône solidement établi vous donnez des ordres également respectés dans des Pays éloignés les uns des autres ; mais je ne puis me re- fuser de parler de vos vertus encore plus grandes que votre élevation. On a vû que Saint Remi écrivoit à Clovis peu de tems après le Baptême de ce Prince. Vous avez un grand État à conduire, & si la Providence le permet, à rétablir : Vous êtes le chef & le conducteur de plus d’une Nation. »

Comme nous voyons aujourd’hui que plusieurs Etats indépendans les uns des autres, n’ont tous cependant qu’un seul et même chef politique, et qu’ils composent ainsi cette espece d’assemblage de souverainetés que les jurisconsultes du droit public des nations, appellent un systême d’Etat  : comme nous voyons, par exemple, que le royaume de Hongrie, le royaume de Bohême, le duché de Brabant, et les autres souverainetés qui composent le patrimoine ou le Mayorasque de l’aîné de la maison d’Autriche, n’ont toutes qu’un seul et même chef politique, l’empereur Charles Sixiéme ; quoiqu’elles ne soient point incorporées ensemble ; quoiqu’elles ayent chacune son sceau particulier, et qu’elles soient même indépendantes l’une de l’autre : de même on voyoit dans les Gaules durant le sixiéme siecle et durant les siecles suivans, les differentes nations qui les habitoient, n’avoir toutes, quoiqu’elles fussent distinctes l’une de l’autre, qu’un seul et même chef ou prince qui s’intituloit simplement suivant l’usage de ce tems-là, roi des Francs, parce que ce titre étoit le plus ancien titre dans la maison dont il sortoit. Voilà même pourquoi, lorsqu’il arrivoit qu’il y eût plusieurs rois de cette maison, parce que la monarchie étoit partagée en plusieurs royaumes, tous ces princes portoient alors le même titre. J’ajouterai encore, que comme les Bohêmiens n’obéïssent point à Charles VI parce qu’il est roi de Hongrie, mais parce qu’il est roi de Bohême ; de même les Romains des Gaules n’obéïssoient point à Dagobert I par exemple, parce qu’il étoit roi des Francs ; mais parce qu’il étoit leur souverain, leur chef suprême, ou si l’on veut, le prince des Romains des Gaules. C’est le titre que donne à Dagobert un auteur son contemporain qui le qualifie expressément de roi des Francs et de prince des Romains. Dès le tems du haut empire la dénomination de Princeps ou de prince, étoit celle par laquelle on désignoit dans l’usage du monde, le souverain, et pour parler notre style, l’empereur, celui qui réunissoit sur sa tête toutes les dignités dont l’on a pû voir dès le premier livre de cet ouvrage que le diadême impérial, étoit pour ainsi dire composé. Quand l’empereur Othon veut faire entendre à ses soldats qu’ils doivent respecter le Sénat, l’ouvrage des dieux et de Romulus le fondateur de Rome, et qui après avoir subsisté avec splendeur sous les autres rois ainsi que dans les tems que Rome se gouvernoit en République, avoit encore continué de subsister dans son éclat sous les empereurs : Othon dit que le sénat a continué de fleurir sous les princes. Enfin prince signifioit la même chose que le nom d’Auguste absolument dit. Aussi voyons-nous, que si la vie de saint Martin de Vertou donne à Dagobert le titre de prince des Romains, quelques médailles de Theodebert, donnent aux enfans de Clovis le nom d’Auguste. Quelqu’avantage qu’ils avoient remporté, s’y trouve désigné par la légende, Victoria Augustorum. Si l’empereur d’Orient trouva mauvais à deux cens ans de-là, que Charlemagne prît aussi-bien que lui le titre d’Auguste et d’empereur, c’est que nos rois n’avoient point encore pris ces titres dans les lettres qu’ils avoient écrites à l’empereur d’Orient.

On ne sçauroit dire que l’appellation de Princeps n’eût pas conservé sous le Bas empire la même acception qu’il avoit sous les premiers Césars. On seroit démenti par Severe Sulpice qui a vêcu dans le cinquiéme siecle de l’ère commune. Cet auteur voulant dire que Constantin Le Grand a été le premier empereur chrétien, il écrit que Constantin a été le premier prince des Romains qui ait professé la religion chrétienne.

Comme la réunion du droit de succéder à plusieurs Etats indépendans l’un de l’autre, laquelle se fait sur une seule et même tête, ne les incorpore point ; comme elle ne fait, pour user de l’expression usitée en cette occasion, que les vincoler en leur donnant toujours le même maître à chaque mutation de souverain, de même la réunion du droit de regner sur plusieurs nations, faite sur la tête des rois de la premiere race, n’incorporoit point ces nations. Ce droit laissoit subsister chacune d’elles en forme de societé distincte. Par exemple, si la loi de succession obligeoit les Romains des Gaules à reconnoître pour souverain le prince, qui étoit appellé à la couronne des Francs, ce n’étoit point parce qu’il devenoit roi des Francs, mais c’étoit parce qu’il se trouvoit en même tems appellé à la principauté des Romains en vertu des conventions qu’ils avoient faites avec Clovis, et en vertu des diplomes des empereurs.

Personne n’ignore que dans les monarchies héréditaires on appelle Loi de succession absolument, la loi qui regle la succession à la couronne, et qu’on y regarde avec raison comme leur plus ferme soutien, parce qu’empêchant les interregnes, et dispensant des élections, elle prévient la plus dangereuse des contestations qui puissent naître dans un Etat ; celle de sçavoir, qui doit y succeder. Elle est d’autant plus funeste, qu’il est ordinaire qu’elle dégenere en guerres civiles, durables et fatales souvent à l’Etat même : en effet la loi de succession oblige non-seulement le peuple à reconnoître pour souverain celui des princes de la famille regnante, que l’ordre de succeder tel qu’il est établi dans l’Etat, appelle à remplir le trône dès qu’il est devenu vacant ; mais elle oblige aussi le prince dont le rang pour monter au trône est venu, à se charger du poids du gouvernement, sans qu’il puisse se refuser à sa vocation, ni même abdiquer la couronne, qu’avec le consentement du peuple. Dès que le pacte qui engage réciproquement un certain peuple à une certaine famille, et une certaine famille à un certain peuple, a été fait, dès que la loi de succession dont ce pacte est la baze a été une fois établie : d’un côté le mort saisit le vif, qui n’est point obligé à demander le consentement de personne pour exercer un droit qu’il ne tient plus que de Dieu seul, qui par une providence particuliere l’a fait naître dans le rang où il est né, et dont par consequent il n’y a point de pouvoir sur la terre qui puisse le dépouiller malgré lui : d’un autre côté les sujets ont droit de proclamer ce successeur sans attendre son consentement, et de le déclarer chargé de tous les soins attachés à la royauté. Si ceux qui composent le peuple sont nés pour être ses sujets, il est né pour être leur pere.

La monarchie Françoise ayant été héreditaire dès son commencement, il doit y avoir eu une loi de succession dès le regne de Clovis qu’on peut regarder en quelque maniere comme son fondateur. Tâchons donc d’expliquer en premier lieu comment cette loi y a été établie par la réunion de tous les droits acquis par son fondateur, et faite par lui à la couronne des Francs Saliens qui étoit héréditaire. Nous examinerons ensuite de quels articles elle pouvoit être composée.

On a pû observer déja que la nation des Francs tandis qu’elle habitoit encore dans la Germanie, étoit divisée en differentes tribus, dont chacune avoit son chef ou son roi particulier, et qu’il est très probable que toutes elles choisissoient leurs rois entre les princes d’une même famille, dans la famille qu’on avoit nommée à cause de cela la maison royale, lorsqu’il arrivoit un interregne. On voit encore plus distinctement en lisant le commencement de nos Annales, que les couronnes des diverses tribus des Francs étoient héréditaires, du moins en ligne directe, et que les fils des princes qui avoient été une fois élûs, succedoient à leur pere, sans avoir besoin pour cela d’une élection personnelle. Ils étoient réputés avoir été compris dans la vocation de leur pere. En effet, lorsque Clovis proposa aux Ripuaires de le prendre pour roi, il appuya sa demande de la raison : que la posterité de Sigebert qu’ils avoient élû pour regner sur eux étoit éteinte. Le discours de Clovis à cette tribu suppose qu’elle n’auroit point été en droit d’élire Clovis, s’il fût resté quelque descendant mâle de Sigebert. Quand Gregoire de Tours fait mention de l’avenement de Clovis à la couronne des Saliens, il se sert d’expressions qui donnent l’idée d’une succession et non point d’une élection. Childeric étant mort, dit cet historien, son fils Clovis regna en sa place. Si ces preuves ne paroissent point décisives, qu’on fasse attention, qu’elles deviennent telles par la nouvelle force qu’elles tirent de l’usage observé dans la monarchie depuis la mort de Clovis ; et cette force est d’autant plus grande, qu’il ne se trouve rien dans les monumens de notre histoire qui les contredise.

Lorsque Clovis réunit un an avant sa mort à la couronne des Saliens, les couronnes des autres tribus de la nation des Francs, ce fut des couronnes héréditaires qu’il réunit à une couronne héréditaire. Le nouveau diadême se trouva donc être pleinement héréditaire par sa nature. Il étoit composé d’Etats déja héreditaires avant leur reunion.

Il est vrai que la couronne de la monarchie Françoise n’étoit pas formée uniquement des couronnes de toutes les tribus des Francs. Elle étoit composée de ces couronnes, et, pour user de cette expression, du diadême consulaire que l’empereur Anastase avoit mis sur la tête de Clovis, et qui rendoit ce dernier le chef des Romains des Gaules, non-seulement pendant la durée de cette magistrature, qui, comme on le sçait, étoit annuelle, mais pendant un tems indéfini ; car il est vrai-semblable, comme nous l’avons déja insinué, qu’Anastase en conferant à Clovis le consulat pour une année, lui avoit conferé en même tems la puissance consulaire pour les tems postérieurs à cette année-là. Clovis devoit très-probablement continuer après que cette année auroit été expirée, à jouir de l’autorité consulaire, quoiqu’il ne fût plus consul. C’est ce qu’on peut inferer de la narration de Gregoire de Tours, dans laquelle on lit, qu’on s’adressoit à Clovis, après qu’il eut été revêtu de cette dignité, comme on s’adressoit au consul, comme on s’adressoit à l’empereur. En effet, ces derniers mots paroissent se rapporter aux tems posterieurs à l’année du consulat de Clovis, après laquelle on ne se sera plus adressé à lui comme au consul, mais comme à celui qui exerçoit toujours l’autorité impériale. Dans cette supposition, Anastase n’aura fait pour Clovis qu’une chose à peu près semblable à celle que l’empereur Arcadius avoit faite pour Eutrope, qui après avoir été consul en l’année trois cens quatre-vingt dix-neuf, et après être sorti de charge en l’année quatre cens, puisque Stilicon et Aurelianus, se trouvent inscrits sur les Fastes consulaires de cette derniere année, conserva encore long-tems le pouvoir consulaire. Zosime ne dit-il pas positivement : que le consulat d’Eutrope étant expiré, on ne laissa point de s’adresser toujours à lui, comme à un consul, et qu’il fut dans la suite revêtu de la dignité de patrice. Si mon opinion ne justifie point quelques auteurs d’avoir supposé, que Clovis n’eût point été consul, du moins elle les justifiera d’avoir écrit que Clovis avoit été patrice.

Il semble que ce pouvoir confié à Clovis personnellement, ne dût point être hereditaire. J’en tombe d’accord. Mais il se peut faire que le diplome de l’empereur Anastase n’eût point nommé Clovis personnellement consul, et qu’attendu l’état où étoient les Gaules en cinq cens neuf, il eût conferé cette dignité au roi des Francs Saliens absolument, et quel qu’il fût. Il se peut faire qu’Anastase eût uni le pouvoir consulaire sur les Gaules à la couronne des Francs, ainsi que l’empereur Gallien avoit uni l’administration d’une portion de l’Asie à la couronne des Palmireniens. Du moins est-on porté à croire, qu’il s’étoit fait dès-lors quelque chose d’approchant, quand on observe qu’après la mort d’Odénat roi des Palmireniens, à qui Gallien avoit conferé ce pouvoir, Ermias Vabalatus fils d’Odénat s’en mit en possession, et même que Zenobie femme d’Odénat et mere de Vabalatus, l’exerça durant le bas âge de son fils.

Dans la supposition que nous hazardons ici, concernant le contenu au diplome, par lequel le consulat fut conferé à Clovis, les enfans de ce prince auroient eu droit de succeder au pouvoir consulaire, parce qu’ils avoient droit de succeder à la couronne de leur pere. C’est ainsi que les princes qui ont droit de succeder à l’électorat de Baviere, ont droit de succeder en même tems à la dignité de Grand maître de l’empire, attachée à cet électorat. Il en est de même des princes appellés aux autres électorats par rapport aux grandes charges de l’empire, réunies aux bonnets de ces principautés.

Quoi qu’il ait été statué dans le diplome de l’empereur Anastase, la question à laquelle il aura pû donner lieu, fut pleinement décidée par la cession des Gaules, que Justinien fit aux rois des Francs. Après la cession dont je viens de parler, les Romains de cette grande province devinrent pleinement sujets de nos rois, et le droit de souveraineté sur ces Romains fut totalement réuni à la couronne des Francs, et la portion du diadême imperial à laquelle les Gaules étoient, pour parler ainsi, annexées, furent joints indissolublement. Il en fut de même du droit de souveraineté sur les Bourguignons et sur les Turingiens, dès que les enfans de Clovis eurent subjugué ces nations. Je reviens à Clovis.

Si l’on pouvoit douter que ce prince et ses prédecesseurs eussent été des rois héreditaires, on ne sçauroit douter du moins que ses successeurs ne l’ayent été. Il est évident par l’histoire, que ces princes monterent sur le trône par voye de succession, et non point par voye d’élection.

En premier lieu, Gregoire de Tours ne fait aucune mention d’élection dans les endroits de son ouvrage, où il parle de vingt mutations de souverains des Francs, arrivées dans les tems dont il écrit l’histoire. Combien de fois cependant, auroit-il eu occasion de parler des assemblées tenues pour l’élection d’un roi, si l’on en avoit tenu à chaque mutation de souverain ? Nos assemblées se seroient-elles passées si tranquillement, qu’elles n’eussent jamais fourni aucun de ces évenemens, tels qu’un historien sous les yeux de qui ils sont arrivés ne peut les passer sous silence ? Ne sçait-on pas bien que les plus tumultueuses de toutes les assemblées, sont celles où se rendent les citoyens d’une nation belliqueuse pour nommer leur roi ? Aucun des prélats dont Grégoire de Tours écrit la vie avec tant de complaisance, n’auroit-il jamais eu assez de part à quelqu’une de ces élections, pour engager notre historien à en parler ? Il est vrai, et nous l’avons dit, on ne sçauroit fonder aucune objection solide sur le silence de Gregoire de Tours : on ne sçauroit nier en s’appuyant sur ce silence, la vérité d’aucun fait particulier dont on a quelque connoissance tirée d’ailleurs. Mais pour faire usage ici de ce principe, il faudroit que Gregoire De Tours n’eut eu à parler que de deux ou de trois mutations de souverain, et il a eu à parler de vingt mutations. Ainsi son silence profond, quand il a eu tant d’occasions de parler, prouve beaucoup dans la circonstance où nous l’alleguons comme une bonne raison, quoiqu’il ne prouve rien lorsqu’il s’agit seulement de la verité d’un seul fait.

En un mot, quoique nous ne sçachions point parfaitement l’histoire du sixiéme siécle, neanmoins nous la sçavons assez bien pour ne pas ignorer, que de tems en tems, il s’y seroit fait des assemblées pour l’élection d’un roi, si pour lors il s’en fût fait de telles. Il nous reste trop de monumens litteraires de ce tems-là, pour n’être pas instruits de quelques circonstances de ces élections. Gregoire de Tours n’est pas le seul auteur qui auroit dû parler de ces élections. Fredegaire l’auteur des Gestes, les Legendaires, Marculphe même, en auroient dû dire quelque chose ; cependant ils n’en disent rien. En verité, plus on réflechit sur le silence de Gregoire de Tours, et sur le silence de tous les auteurs ses contemporains, concernant les élections, plus on se persuade que ce silence suffiroit seul pour montrer que dès l’origine de la monarchie Françoise, sa couronne a été hereditaire.

J’observerai en second lieu, qu’un peuple qui élit son souverain à chaque vacance du trône, se choisit ordinairement pour maître un prince en âge de gouverner, et non point un enfant. Les sujets ne veulent pas au sortir d’un interregne, essuyer encore une minorité. Or en faisant attention sur toutes les mutations de souverain, arrivées dans la monarchie Françoise durant le sixiéme siecle, on trouve que les enfans du dernier decédé n’ont jamais été exclus de la couronne de leur pere, parce qu’ils n’étoient point en âge de regner. En quelque bas âge que fussent ces enfans, ils ont toujours succedé à leur pere. Lorsque Clovis mourut, Clodomire l’aîné des trois garçons qu’il avoit eus de la reine Clotilde, n’avoit gueres que dix-sept ans, et l’on peut juger par-là, de l’ âge de Childebert, et de l’ âge de Clotaire, freres puînés de Clodomire. Cependant ces trois princes furent reconnus pour rois immediatement après leur pere. Ils s’assirent sur le trône dans un âge où les particuliers n’avoient point encore l’administration de leur patrimoine. Il ne paroît point en lisant ceux des écrits du cinquiéme siecle et des deux siecles suivans, que l’injure des tems a épargnés, qu’il y ait eu pour lors aucune loy qui déclarât les souverains majeurs, plûtôt que leurs sujets. La loi en vigueur aujourd’hui, et qui déclare nos rois majeurs à quatorze ans commencés, et par consequent beaucoup plûtôt que ne le sont leurs sujets, n’a été faite que sous la troisiéme race. Elle est le fruit d’une longue experience et de la prudence de notre roi Charles V[86]. Il est même certain que dans le tems où ce prince publia sa loy, nos rois n’étoient réputés majeurs qu’à vingt ans révolus, âge prescrit en plusieurs provinces pour être celui de la majorité des sujets.

On voit par le récit que Gregoire de Tours fait du meurtre des fils de Clodomire, et qui a été rapporté en son lieu, que le troisiéme de ces fils ne pouvoit avoir à la mort de son pere que cinq ou six ans. Cependant, quoiqu’ils n’administrassent point encore par eux mêmes les Etats de leur pere, ils étoient regardés comme successeurs de leur pere. Leurs oncles ne crurent pas qu’il leur fût possible de s’emparer des Etats de Clodomire, avant que de s’être défait de ses fils. Ce ne fut qu’après le meurtre de ces enfans, que Childebert et Clotaire partagerent entr’eux les Etats de Clodomire. Il paroît seulement en lisant dans Grégoire de Tours, la catastrophe des enfans de ce prince, qu’ils n’avoient point encore été proclamés, et même que ce fut sous prétexte de les inaugurer, que leurs oncles les demanderent à sainte Clotilde qui les avoit en sa garde. En effet, on voit par le contenu en l’édit[87] de notre roi Charles VI. où ce prince ordonne : que tous ses successeurs rois, en quelque petit âge qu’ils soient, soient appellés, leurs peres decédés, rois de France, et soient couronnés et sacrés ; que l’ancien usage de la monarchie n’étoit point que les successeurs, bien que reconnus pour tels, fussent proclamés et inaugurés, suivant le cérémonial en usage de leur tems, avant qu’ils eussent atteint un certain âge. Mais ces successeurs ne laissoient pas d’être rois de fait et de droit dès l’instant de la mort de leur prédécesseur, quoiqu’avant Charles VI celui qui étoit regent durant la minorité d’un roi, gouvernât l’Etat non pas au nom du roi mineur, mais en son nom. Ce regent scelloit avec un sceau où étoit son nom et ses armes, et non point avec le sceau du roi pupille, et il faisoit les fruits siens. Je remonte au sixiéme siecle.

Theodebalde n’avoit que treize ans lorsqu’il succeda à son pere le roi Theodebert. Childebert II n’avoit que quatre ans lorsqu’il succeda au roi Sigebert son pere. Clotaire II étoit encore moins âgé, lorsqu’il succeda à son pere Chilperic. Quand Thierri II commença son regne, il n’avoit encore que huit ans. Je supprime bien d’autres exemples.

Enfin Agathias auteur du sixiéme siecle, dit positivement en parlant de la constitution de la monarchie des Francs : Le fils y succede à la couronne de son pere. En rapportant l’avenement de Theodebert au trône, cet historien dit encore : » Peu de tems après, Thierri fut attaqué de la maladie dont il mourut, & laissa tous ses biens & tous ses Etats à son fils Theodebert. »

Le passage suivant est encore bien plus positif. » Theodebert étant mort, Theodebalde son fils qui étoit si jeune qu’il avoit encore son Gouverneur, ne laissa point de monter sur le Trône, parce que tout enfant qu’il étoit, il s’y trouvoit appellé par la Loi de la Nation. »

Agathias nous apprend même que la couronne de la monarchie Françoise, étoit héreditaire non-seulement en ligne directe, mais qu’elle l’étoit aussi en ligne collaterale. Or une couronne qui passe de droit non-seulement aux descendans du dernier possesseur, mais aussi à ses parens collateraux, est du genre de celles qu’on appelle pleinement héreditaires. Notre historien dit donc, en parlant de la mort de Clodomire, que dès qu’elle fut arrivée, ses freres partagerent ses Etats entr’eux, parce que ce prince n’avoit pas laissé de fils. Il est vrai que notre auteur se trompe sur le tems de ce partage, qui n’eut lieu qu’aprés la mort ou l’abdication des enfans de Clodomire, ainsi que nous l’avons expliqué. Mais cette erreur n’empêche point qu’on ne voye qu’il raisonne sur le principe : que suivant le droit public de la monarchie Françoise, la couronne y étoit pleinement héreditaire. » Après la mort de Théodebalde, écrit Agathias, la Loi de la Monarchie appelloit à la succession de ce jeune Prince qui ne laissoit pas d’enfans, Childebert & Clotaire ses grands Oncles, en qualité de ses plus proches parens. »

Enfin l’autorité du pape saint Gregoire le Grand qui a pû voir des hommes qui avoient vû Clovis, suffiroit seule à prouver que la succession à la couronne de France a été héreditaire dès le tems de ses premiers rois. Une homélie prononcée par ce pape un jour de l’Epiphanie, dit : combien dans le royaume des Perses et dans le royaume des Francs, où les rois parviennent à la couronne par le droit du sang, naît-il d’enfans destinés à l’esclavage, au même instant que ces princes destinés à regner, viennent au monde ?

L’exhéredation des filles est un autre article de la loi de succession en usage dès l’origine de la monarchie. Il est vrai que nous n’avons point cette loi, qui peut-être ne fut jamais redigée expressement par écrit ; mais en pareil cas, un usage suivi constamment et sans aucune variation, suffit pour prouver l’existence de la loi qu’il suppose. Or non-seulement les filles de nos rois morts durant le sixiéme siecle, n’ont point partagé la monarchie avec leurs freres, quoiqu’elle fût alors divisible, mais ces princesses ont même toujours été excluses du trône, quoique leurs peres n’eussent point laissé d’autres enfans qu’elles. Les rois qui n’ont laissé que des filles, ont été reputés morts sans descendans, et leur succession a été deferée à ceux de leurs parens collateraux, qui étoient issus de mâle en mâle de l’auteur de la ligne commune.

Après la mort de Clovis, sa fille Clotilde ne partagea point avec ses freres le royaume de son pere. Quand Childebert, le fils de ce prince mourut, les filles que Childebert laissa, ne lui succederent point, et sa couronne passa sur la tête de Clotaire son frere. Charibert fils de Clotaire étant mort sans garçons, ce ne furent point les filles de Charibert qui lui succederent, ce furent ses parens mâles collatéraux. à la mort du roi Gontran frere de Charibert, Clodielde fille de Gontran, et qui lui survêcut, n’hérita point de la couronne de son pere, cette couronne passa sur la tête de Childebert II neveu de Gontran. Enfin tout le monde sçait que notre histoire fait mention fréquemment de princesses excluses de la succession de leur auteur par des parens collatéraux, et qu’on n’y trouve pas l’exemple d’une fille qui ait succedé, ni même prétendu succeder au roi son pere. En voilà suffisamment pour rendre constant l’article de notre loi de succession, lequel exclut les filles de la couronne. Ainsi ce sera par un simple motif de curiosité que nous examinerons ici, s’il est vrai, que suivant l’opinion commune, le texte des Loix Saliques contienne implicitement l’article de notre loi de succession, qui jusqu’ici a toujours exclu les femelles de la couronne. C’est dans le titre soixante et deuxiéme de ces loix, lequel statue sur les biens allodiaux ou sur les biens appartenans en toute proprieté au particulier leur possesseur, que se lit le paragraphe, où l’on croit trouver la sanction qui exclut de la couronne les filles de la maison de France. Il ne sera point hors de propos de faire d’abord une observation, c’est que la plûpart des Francs possedoient alors, comme il le sera expliqué plus au long dans la suite, des biens-fonds de deux natures differentes ; les uns étoient des terres Saliques, ou des terres dont la proprieté appartenoit à l’Etat, et dont la jouissance avoit été donnée par le prince à un particulier, à condition d’aller servir à la guerre quand il seroit commandé. On a vû que ces Benefices militaires, dont il y en avoit un grand nombre dans les Gaules, dès le tems qu’elles obéïssoient encore aux empereurs Romains, passoient aux descendans du gratifié, lorsqu’ils pouvoient et qu’ils vouloient bien remplir les mêmes fonctions que lui. La seconde espece de biens-fonds que les Francs possedoient, étoient des terres dont ils avoient acquis la pleine et entiere proprieté par achat, par échange, par succession ou autrement. Voici donc enfin le contenu du titre de notre loi.

» Si le mort ne laisse point d’enfant, & que son pere ou sa mere le survivent, que son pere ou fa mere héritent de lui. »

» Si le mort n’a point de tante maternelle, qu’alors sa succession passe à sa tante paternelle. Au défaut d’héritiers dans les degrés énoncés ci-dessus, que les plus proches parens paternels du défunt héritent de lui. Mais pour ce qui regarde la terre Salique qui se trouvera dans les successions, il n’en sçauroit jamais appartenir aux femmes aucune portion ; ces terres doivent en toute sorte de cas passer aux mâles comme étant un héritage acquis spécialement à leur sexe, » Voilà le contenu de l’article des Loix Saliques, devenu si celebre par l’application qu’on en a faite à la couronne de France, qu’il s’imprime en lettres majuscules dans les éditions de ces loix, même dans celles qui se font en pays étranger. Au reste, cet article se trouve dans la premiere rédaction que nous ayons des Loix Saliques, celle qui fut faite par les ordres des rois fils de Clovis, ainsi que dans les rédactions faites postérieurement au regne de ces princes.

De quoi est-il question dans le titre que nous venons de rapporter ? De deux choses. Quels sont les cas où les femmes héritent de leurs parens autres que leurs ascendans ? Et quels sont les biens dont les femmes ne sçauroient hériter en aucun cas ? Ainsi le législateur, après avoir exposé quels sont les cas où les femmes héritent de leurs parens collatéraux, statue que néanmoins dans les cas allegués spécialement, et dans tous autres, elles ne pourront hériter des terres Saliques, appartenantes à celui dont elles sont héritieres, parce que ces terres ne sçauroient jamais appartenir qu’à des mâles. En effet, les possesseurs des terres Saliques, qui, comme nous le dirons, étoient des biens de même nature que les benefices militaires établis dans les Gaules par l’empereur, étant tenus en conséquence de leur possession, de servir à la guerre ; et les femmes étant incapables de remplir ce devoir, elles étoient excluses de tenir des terres Saliques, par la nature même de ces terres-là ; ce n’a été qu’après que les désordres arrivés, sous les derniers rois de la seconde race, eurent donné atteinte à la premiere constitution de la monarchie, et que les terres saliques furent devenues des fiefs, qu’on trouva l’expédient de les faire passer aux femmes, en introduisant l’usage qui leur permettoit de faire, par le ministere d’autrui, le service dont ces benefices militaires étoient tenus envers l’Etat, qui étoit le véritable proprietaire de ces sortes de biens. En un mot, les Loix Saliques ne font que statuer sur les terres Saliques, ce qu’avoit statué l’empereur Alexandre Severe concernant les benefices militaires qu’il avoit fondés ; sçavoir, que les héritiers de celui auquel un de ces benefices auroit été conferé, n’y pourroient point succeder, à moins qu’ils ne fissent profession des armes. C’est de quoi nous avons parlé dans notre premier livre.

Cela posé, est-ce mal raisonner que de dire ? Si la loi de la monarchie a voulu affecter les terres Saliques, ou pour parler abusivement le langage des siecles postérieurs, les fiefs servans aux mâles, comme étant seuls capables des fonctions, dont seroient tenus les possesseurs de ces fiefs, à plus forte raison la loi de la monarchie aura-t’elle voulu affecter aux mâles, le fief dominant, celui de qui tous les autres releveroient, soit médiatement, soit immédiatement, et qui ne devoit relever que de Dieu et de l’épée du prince qui le tiendroit. Ainsi l’on ne sçauroit gueres douter que l’article des Loix Saliques dont il s’agit, ne regarde la couronne. Les Castillans disent, que leur couronne est le premier majorasque de leur royaume. Qui nous empêche de dire aussi qu’en France, la couronne est le premier benefice militaire, le premier fief du royaume, et partant, qu’il doit être reputé compris dans la disposition que la loi nationale des Francs fait, concernant les benefices militaires. Monsieur le Bret qui avoit fait une étude particuliere de notre droit public, et qui a exercé les premieres charges de la robe, ne dit-il pas[88] : Que la couronne de France est un fief masculin, et non pas un fief feminin  ? Maître Antoine Loysel, un autre de nos plus celebres jurisconsulies, dit dans ses institutes coutumieres : Le roi ne tient que de Dieu et de l’épée. Si dans l’article dont il est question[89], les Loix Saliques n’avoient pas statué sur la masculinité de notre couronne, point cependant incontestable dans notre droit public, il se trouveroit qu’elles n’auroient rien statué à cet égard, parce qu’aucun autre de leurs articles, n’est applicable à l’exhéredation des filles de France. Or il n’est pas vrai-semblable que les Loix Saliques n’ayent rien voulu statuer sur un point d’une si grande importance, ni qu’il eût toûjours été exécuté sans aucune opposition, ainsi qu’il l’a été, si ces loix n’eussent rien statué à cet égard.

On ne voit pas, dira-t-on, que sous la premiere et sous la seconde race, on ait jamais appliqué à la succession à la couronne, l’article des Loix Saliques dont il est question. Voilà ce que je puis nier. Il est vrai que les historiens qui ont écrit dans les tems où plusieurs princesses ont été excluses de la couronne par des mâles, parens plus éloignés qu’elles du dernier possesseur, n’ont pas dit expressément qu’elles eussent été excluses en vertu de la disposition contenue dans le soixante et deuxiéme titre des Loix Saliques ; mais le silence de ces historiens, prouve-t-il qu’on n’ait point appliqué cette disposition aux princesses dont il s’agit pour les exclure de la couronne ? Un historien s’avise-t-il de citer la loi toutes les fois qu’il raconte un évenement arrivé en conséquence de la loi, quand cet évenement n’a causé aucun trouble ? Tous les historiens qui ont écrit que Charles IX n’ayant laissé qu’une fille à sa mort, arrivée en mil cinq cens soixante et quatorze, il eut pour son successeur Henri III son frere : se sont-ils amusés à expliquer que ce fut en vertu d’un article de notre loi de succession, qui statue que la couronne de France ne tombe point de lance en quenouille, que cette princesse avoit été excluse de la succession de son pere ? Lorsque nos auteurs rapportent qu’un certain fief fut confisqué à cause de la félonie de son possesseur, se donnent-ils la peine de nous apprendre que la confiscation eut lieu en conséquence d’une loi, qui ordonnoit que les fiefs des vassaux qui tomberoient en félonie, seroient confisqués ? Quand un évenement qui arrive en exécution d’une loi, ne souffre pas de contradiction, les historiens ne s’avisent donc gueres de citer la loi en vertu de laquelle il a lieu. D’ailleurs, il faudroit afin que l’objection, à laquelle je réponds, pût avoir quelque force, que nous eussions l’histoire des regnes des rois des deux premieres races, écrite aussi au long que nous avons celle de Charles VI dans l’Anonime de saint Denis. Qu’il s’en faut que cela ne soit ainsi ! Mais dès que l’exécution de la loi d’exclusion dont il s’agit, a donné lieu à des contestations, on a eu recours à l’article des Loix Saliques, lequel nous venons de rapporter, comme à la sanction, qui contenoit cette loi d’exclusion. Par exemple, lorsqu’il fut question après la mort du roi Charles Le Bel, arrivée en mil trois cens vingt-huit, de sçavoir si le mâle fils d’une fille de France, pouvoit en vertu du sexe dont il étoit, prétendre à la couronne nonobstant l’exclusion que la loi donnoit à sa mere, on eut recours aussi-tôt au titre soixante et deuxiéme des Loix Saliques. La partie interessée à nier que le sixiéme article de ce titre fut applicable en aucune façon à la succession à la couronne, n’osa point le nier. Elle tâcha seulement d’éluder par une interprétation forcée le sens qui se presente d’abord en lisant cet article-là.

Quand Charles Le Bel mourut, il n’avoit point de garçons, mais il laissoit la reine enceinte. Il fut donc question de nommer un régent, en choisissant selon l’usage, celui des princes du sang que la loi appelloit à la couronne, supposé que la reine n’accouchât que d’une fille. Edouard III roi d’Angleterre, et Philippe De Valois, prétendirent chacun être le prince à qui la couronne devoit appartenir, au cas que la veuve de Charles Le Bel mît au monde une princesse, et par consequent qu’il étoit le prince à qui la régence devoit être déferée.

Voici les moyens, ou le fondement de la prétention de chacun des deux princes. Edouard étoit neveu du dernier possesseur, et son plus proche parent, mais il ne sortoit de la maison de France, que par une fille sœur de Charles Le Bel. Philippe De Valois n’étoit que cousin du dernier possesseur, mais il étoit issu de la maison de France par mâle[90]. Il étoit fils d’un frere du pere de Charles Le Bel. On voit l’interêt sensible qu’avoit le roi Edouard, à soutenir que la Loi Salique n’étoit point applicable aux questions concernant la succession à la couronne. Cette loi étoit le seul obstacle qui l’empêchoit d’exclure, et par la prérogative de sa ligne, et par la proximité du degré, son compétiteur, Philippe De Valois. Edouard se crut obligé néanmoins de convenir que l’article des Loix Saliques qui fait le sujet de notre discussion, étoit applicable à ces questions-là, et il se retrancha seulement sur la raison, que cet article excluoit bien les femelles, mais non pas les mâles issus de ces femelles. Voici ce qu’on trouve sur ce point-là dans un auteur anonime, qui a écrit sous le regne de Louis XI. L’origine des differens qui étoient entre les rois de France et les rois d’Angleterre, et qui fait voir bien plus de capacité et bien plus d’intelligence du droit public, qu’on ne se promet d’en trouver dans un ouvrage composé vers mil quatre cens soixante.

» Au contraire, disoit le Roi Edouard[91], que nonobstant toutes les raisons alleguées par ledit Philippe de Valois, la Couronne devoit lui appartenir, tant par la Loi Salique qu’autrement. Premierement par la Loi Salique, parce qu’elle met toit, plus prochain hoir mâle doit succeder à la Couronne. Or, disoit-il, qu’il étoit mâle & étoit le plus prochain du Roi Charles ; car étoit son neveu, & ledit Philippe de Valois n’étoit que son cousin germain, & par conséquent qu’il devoit être prefere audit Philippe de Valois. Et si tant vouloit dire qu’il venoit par fille, ce disoit-il, qu’il ne servoit de rien ; car a la Loi Salique ne disoit point d’où doivent descendre les hoirs mâles, mais seulement dit, le plus prochain hoir mâle doit venir à succession. »

Comme la couronne n’étoit plus divisible en mil trois cens vingt-huit, qu’eut lieu la contestation entre Philippe De Valois et le roi Edouard, ce dernier appliquoit au seul plus proche parent mâle, la disposition faite dans les Loix Saliques, en faveur de tous les mâles qui se trouveroient parens au même degré du dernier possesseur.

Sur le simple exposé du droit des deux princes contendans, on se doutera bien qu’Edouard perdit sa cause, et qu’il fut jugé que les princesses de la maison de France ne pourroient pas transmettre à leurs fils le droit de succeder à la couronne, puisque la Loi Salique leur ôtoit ce droit-là, et qu’ainsi le roi d’Angleterre n’y avoit pas plus de droit qu’Isabelle De France sa mere. Mais plus la Loi Salique étoit opposée aux prétentions d’Edouard, plus il avoit interêt à nier qu’elle fût applicable aux questions de succession à la couronne, ce qu’il n’osa faire neanmoins.

D’autant que Monsieur Leibnitz, qui a fait imprimer dans son Code diplomatique du droit public des nations, l’ouvrage dont j’ai rapporté un passage, ne dit rien concernant l’autenticité de cet ouvrage ; on pourroit le croire supposé par un sçavant du dernier siecle, qui auroit mis sous le nom d’un contemporain de Louis XI un écrit qu’il auroit composé lui-même à plaisir. Ainsi pour lever tout scrupule, je dirai qu’il se trouve dans la bibliotheque du roi plusieurs copies manuscrites de l’ouvrage dont il s’agit ; et qu’il est marqué à la fin d’une de ces copies[92], qu’elle a été transcrite en mil quatre cens soixante et huit, et qu’elle appartient à Madame De Beaujeu fille du roi Louis XI. Cette apostille est aussi ancienne que le manuscrit. Ainsi l’on peut regarder l’ouvrage dont nous parlons comme ayant été composé dans un tems où la tradition conservoit la mémoire des raisons qu’Edouard et Philippe De Valois avoient alléguées pour soutenir leurs prétentions, et où l’on avoit encore communément entre les mains des pieces concernant la contestation de ces deux princes, lesquelles nous n’avons plus, ou qui du moins ne nous sont pas connues.

Il y a plus. Nous avons encore la lettre qu’Edouard III écrivit au pape le seiziéme juillet mil trois cens trente-neuf pour informer Sa Sainteté du droit sur la couronne de France, et des raisons qu’il avoit aussi de faire la guerre à Philippe De Valois qui la lui retenoit. Cette lettre nous a été conservée par Robert de Aversbury, qui vivoit sous le regne de ce roi dont il a écrit l’histoire. Monsieur Hearn la fit imprimer à Oxford en mil sept cens vingt. Or Edouard dit dans cette lettre : qu’il sçait bien que les femmes sont excluses de la couronne par la loi du royaume de France, mais que la raison qui en a fait exclure les filles, ne doit point en faire exclure les mâles issus des filles : qu’on ne sçauroit reprocher à un pareil mâle qui se trouve être le parent le plus proche du roi dernier mort, l’exclusion de sa mere, ni alleguer qu’une fille de France ne sçauroit lui avoir transmis un droit qu’elle n’avoit pas, d’autant que le parent dont il s’agit ne tire point son droit de sa mere. Il le tire immédiatement du roi son grand-pere. Veritablement la Loi Salique n’est pas nommée dans ce passage, mais il est clair que c’est de cette loi qu’Edouard entend parler.

Je ne vois pas qu’on ait jamais révoqué en doute que l’article des Loix Saliques dont il s’agit ici, fut applicable à la couronne, avant les tems de la Ligue. On sçait qu’après la mort d’Henri III les plus factieux de ceux qui étoient entrés dans la sainte-union, vouloient de concert avec le roi d’Espagne Philippe II faire passer la couronne de France sur la tête de l’infante d’Espagne Isabelle Claire Eugenie, née de sa majesté catholique et d’Isabelle De France, fille aînée de Henri II. Roi très-chrétien, et par consequent sœur des trois derniers rois morts sans garçons. Il falloit pour préparer le peuple à voir tranquillement cette usurpation, le tromper, en lui donnant à entendre qu’il étoit faux que les filles de France fussent excluses de la couronne, par une loi écrite et aussi ancienne que la monarchie. Ainsi les auteurs de ce complot s’imaginant qu’il seroit possible de venir à bout d’énerver la force des preuves résultantes des exemples des filles de France excluses de la couronne, et qui sont en grand nombre dans notre histoire, s’ils pouvoient une fois dépouiller de son autorité la loi qui rend incontestable l’induction tirée de ces exemples, ils attaquerent l’autorité de cette loi par toutes les raisons que l’esprit de parti est capable de suggerer. Le docteur Inigo Mendoze, l’un des ambassadeurs de Philippe II auprès des Etats de France durant l’interregne qui eut lieu dans le parti de la Ligue quelque tems après la mort de Henri III. composa même contre l’autorité de la Loy Salique un discours que l’on a encore, et où il se trouve autant de connoissance du droit Romain, que d’ignorance de notre histoire. Il semble donc que l’opinion qui veut que la Loy Salique ne soit point applicable à la succession à la couronne, dût disparoître avec la Ligue.

Je ne crois pas que dans le sixiéme siecle notre loi de succession contînt d’autre article qui fût de droit positif, que celui qui donnoit l’exclusion aux femmes, en ordonnant que la couronne ne tomberoit point de lance en quenouille. La preference des descendans du dernier possesseur à ses parens collatéraux, et la préference des parens collatéraux les plus proches aux plus éloignés, lorsque le dernier possesseur n’avoit point laissé de garçons, sont des préceptes du droit naturel.

Certainement l’article de notre loi de succession qui rend la couronne indivisible, n’a été mis en vigueur que sous les rois de la troisiéme race. Tant que les deux premieres ont regné, la monarchie a toujours été partagée entre les enfans mâles du roi décédé. L’article de cette même loi qui statue que les mâles issus des filles de France n’ont pas plus de droit à la couronne que leur mere, étoit bien contenu implicitement dans la disposition qui en exclut les femelles ; mais comme il ne s’étoit pas encore élevé de question sur ce point-là avant la mort de Charles Le Bel, on peut dire que cet article ne fut bien et parfaitement développé qu’alors. On peut dire la même chose d’un autre article de droit positif qui se trouve dans notre loi de succession, et qui ordonne que lorsque la couronne passe aux parens collatéraux du dernier possesseur, elle soit déferée suivant l’ordre des lignes, et non pas suivant la proximité du degré. Cet article qui préfere le neveu à un oncle frere cadet du pere de ce neveu, ne fut aussi clairement et pleinement développé que lorsqu’il y eut contestation entre Henri IV fils d’Antoine roi de Navarre, et le cardinal de Bourbon, oncle de Henri, et frere puîné d’Antoine, concernant le droit de succeder au roi Henri III. Cette question-là ne s’étoit pas presentée avant la fin du seiziéme siécle. On ne doit pas douter neanmoins que si l’une et l’autre question eussent été agitées dès les premiers tems de la monarchie, elles n’eussent été decidées, ainsi qu’elles le furent en mil trois cens vingt-huit et en mil cinq cens quatre-vingt-neuf.

C’est le tems, c’est l’expérience, qui ont porté les loix de succession jusques à la perfection qu’elles ont atteinte dans les monarchies héreditaires de la chrétienté. Si les fils puînés des derniers possesseurs sont réduits à des apanages ; s’il ne sçauroit plus y naître aucun doute concernant la succession à quelque degré que ce soit que l’heritier présomptif se trouve parent de son predecesseur ; enfin si le successeur en ligne collaterale se trouve toujours aujourd’hui désigné aussi positivement que peut l’être un successeur en ligne directe, c’est que la durée de ces royaumes a déja été assez longue pour donner lieu à differens évenemens qui ont developpé et mis en évidence tous les articles contenus implicitement dans les loix de succession. Il faut que tout le monde tombe d’accord de ce que je vais dire : le genre humain a l’obligation de l’établissement et de la perfection de ces loix qui préviennent tant de malheurs, au Christianisme, dont la morale est si favorable à la conservation comme à la durée des Etats, parce qu’il fait de tous les devoirs d’un bon citoyen, des devoirs de religion.

L’on ne doit point être surpris que notre loi de succession ne fût point plus parfaite dans le sixiéme siecle, qu’elle l’étoit. L’empire Romain, la mieux reglée de toutes les monarchies dont les fondateurs de la nôtre eussent pleine connoissance, n’avoit point lui-même, lorsqu’il finit en Occident, une loi de succession encore bien établie et bien constante. En effet, lorsqu’on examine le titre en vertu duquel ceux des successeurs d’Auguste dont l’avenement au trône a paru l’ouvrage des loix et non pas celui d’un corps de troupes revolté, sont parvenus à l’empire, on voit qu’en quelques occasions la couronne impériale a été déferée comme étant patrimoniale, qu’en d’autres occasions elle a été déferée comme étant une couronne héreditaire, et qu’en d’autres enfin elle a été déferée comme étant une couronne élective.

On sçait qu’en style de droit public on appelle couronnes patrimoniales, celles dont le prince qui les porte peut disposer à son gré, et de la même maniere qu’un particulier peut disposer de ses biens libres. Les couronnes de ce genre si rares dans le siecle où nous sommes, étoient très-communes dans la societé des nations avant l’établissement des monarchies Gothiques. C’est le nom que quelques peuples donnent communément aux royaumes qui doivent leur origine aux nations qui envahirent les domaines de l’empire d’Occident, et qui formerent de ses débris des Etats héreditaires dès leur origine. On a vû que les Gots furent long-tems la principale de ces nations.

Pour revenir à la couronne de l’empire Romain, on croit qu’elle étoit une couronne patrimoniale, quand on voit les empereurs s’arroger le droit d’appeller à leur succession les enfans qu’il leur avoit plû d’adopter ; quand on voit Auguste l’ôter au jeune Agrippa son petit-fils pour la laisser à Tibére ; ce même Tibére exclure de sa succession son propre petit-fils, pour la faire passer à Caligula son neveu, et Claudius la déferer au préjudice de son fils Britannicus à Neron, qu’il n’avoit adopté que plusieurs années après la naissance de Britannicus. On voit encore dans l’histoire Romaine des associations à l’empire, qui montrent que plusieurs empereurs se sont crûs en droit de disposer à leur plaisir de la couronne qu’ils portoient. Enfin, lorsqu’après la mort d’Aurelien, le Sénat reconnut Tacite pour empereur, il n’exigea point de lui qu’il ne disposât jamais de l’empire, mais qu’il n’en disposât jamais, même quand il auroit des enfans, qu’en faveur d’une personne capable de bien gouverner ; enfin qu’il imitât Nerva, Trajan et Adrien, qui dans le choix de leur successeur, n’avoient consulté d’autre interêt, que celui de la république.

Nous voyons d’un autre côté des enfans encore très-jeunes succeder à leur pere, sans qu’il y eût eu aucune disposition faite en leur faveur par le peuple, mais comme les fils des particuliers succédent à l’héritage de leur pere : on voit même des freres succeder de plein droit à la couronne de leurs freres. Ce fut ainsi que Domitien monta sur le trône après la mort de Titus. Quand on fait attention à ces évenemens, il semble que la couronne imperiale ait été héreditaire.

Enfin d’autres évenemens semblent prouver que cette couronne fut élective. Je n’entends point parler des proclamations d’empereur faites dans des camps révoltés. Ce qui se passe durant une rébellion, ne fait point loi dans le droit public d’une monarchie, j’entends parler de ce qui s’est passé dans plusieurs mutations paisibles de souverains, de ce qui s’est fait dans Rome par le concours de tous les citoyens. Nerva après la mort de Domitien, et Pertinax après la mort de Commode, furent élus et instalés comme le sont les souverains électifs. Quand le Sénat eut appris la mort des Gordiens Afriquains, il ne proclama point empereur Gordien Pie, qui auroit été leur successeur de droit, si la couronne impériale eût été pleinement héreditaire. Le Sénat élut pour regner en leur place, Balbin et Pupien. Ce ne fut que quelques jours après leur installation que le jeune Gordien fut proclamé César, et qu’il fut ainsi déclaré leur successeur, sans égard aux enfans que ces deux empereurs pouvoient laisser.

Enfin je crois qu’un jurisconsulté interrogé sous le regne d’Augustule touchant le genre dont étoit la couronne impériale, n’auroit pû donner une réponse bien positive. L’usage ne prouvoit rien, parce qu’il n’avoit jamais été uniforme ni constant ; et d’un autre côté, il n’y avoit point de loi génerale écrite, qui statuât sur ce point de droit public. Il y a bien dans le droit Romain plusieurs loix qui statuent sur l’étendue du pouvoir donné à chaque empereur par la Loy royale, par la loy particuliere qui se faisoit pour instaler le nouveau prince ; mais je n’y en ai point vû qui décide en général et positivement, si la couronne étoit patrimoniale, héreditaire ou élective. Dès qu’alors il n’y avoit point encore de loi de succession certaine dans l’empire Romain qui subsistoit depuis quatre siécles, on ne doit pas être surpris que celle du royaume des Francs n’ait point été parfaite dès l’origine de la monarchie.

LIVRE 6 CHAPITRE 3

CHAPITRE III.

De la division du Peuple en plusieurs Nations, laquelle avoit lieu dans la Monarchie Françoise, sous la premiere Race & sous la seconde Race.
Du nom de Barbare donné aux Francs.


La premiere division des sujets regnicoles de la monarchie, étoit la division qui se faisoit en Romains et en Barbares, ou Chevelus. C’étoit le nom par lequel on désignoit souvent les nations barbares prises collectivement et par opposition à la nation Romaine. En effet, la difference la plus sensible qui fût entre un Romain et un Barbare, consistoit en ce que le Romain portoit les cheveux si courts, que ses oreilles paroissoient à découvert, au lieu que le Barbare portoit ses cheveux longs, ils lui venoient jusqu’aux épaules. En cela les Barbares se ressembloient tous, et ils étoient tous visiblement differens des Romains. Cela étoit si vrai, que comme nous l’avons déja observé, et comme nous l’observerons encore, le Barbare qui se faisoit couper les cheveux à la maniere des Romains, étoit réputé renoncer à la nation, dont il avoit été jusques-là, pour se faire de celle des Romains.

Childebert II a supposé sensiblement cette premiere division de ses sujets, dans l’ordonnance qu’il fit pour défendre aux Francs et aux autres Barbares qui lui obéïssoient, de contracter mariage dans certains dégrés d’affinité, où les loix Romaines défendoient déja aux Romains de se marier. Ce prince, dit : » Qu’aucun des Chevelus ne pourra épouser la veuve de son frere, la sœur de sa femme, la veuve de son oncle paternel, ni celle de son cousin. »

On appelloit en Italie Capillati, les Barbares qui s’y étoient établis, ceux, en un mot, qu’on nommoit dans les Gaules Crinosi. Ces deux noms ont en latin la même signification. » Si quelque barbare, dit dans son édit Theodoric roi des Ostrogots, refuse de comparoître à l’audience d’un Juge competent, devant lequel il aura été cité par trois fois, & qu’il soit dûment prouvé que les trois citations ayent été faites dans les formes à ce Chevelu, qu’il soit déclaré contumace & jugé par defaut. » Dans une des formules de lettres adressées generalement à tous les sujets des rois des ostrogots établis en Italie, Capillati est un terme opposé à Provinciales, qui étoit l’ancien nom sous lequel les empereurs comprenoient dans les ordres adressés à quelque province en particulier, tous les simples citoyens romains qui étoient domiciliés dans cette province-là.

Comme en écrivant sur la matiere que je traite, j’aurai souvent à désigner par le nom de Barbares, les Francs et les autres nations Germaniques établies dans les Gaules, je crois devoir avertir le lecteur, que dans le sixiéme siecle et dans le septiéme, ce nom n’avoit rien d’odieux, qu’il se prenoit dans la signification d’Etranger, et que les Barbares eux-mêmes se le donnoient souvent dans les occasions où ils vouloient se distinguer des Romains. Voici ce que dit Monsieur De Valois concernant cet usage.

» Il est bon que le Lecteur pour n’être point surpris de m’entendre dire, qu’on donnoit dans le sixiéme siecle le nom de Romains aux Gaulois & aux Espagnols, observe que lorsque les Barbares s’établirent dans les Provinces de l’Empire d’Occident les anciens Habitans n’y changerent point de nom en changeant de Maîtres, & que les nouveaux Seigneurs continuerent eux-mêmes à leur donner le même nom qu’auparavant, je veux dire, à les appeller Romains. D’un autre côté, ces nouveaux Seigneurs, loin de regarder le nom de Barbare comme un nom odieux, se tinrent honorés de le porter comme un nom devenu illustre. Ainsi Theodoric Roi des Ostrogots, dit dans le préambule de son Edit, que les reglemens qu’il contient, doivent être observés également par les Romains & par les Barbares, entendant parler des anciens habitans de l’Italie sous le nom de Romain, & sous le nom de Barbare, des Ostrogots. » Dans les Gaules, les francs étoient aussi désignés par le nom de Barbares, et les Gaulois par celui de Romains. On lit dans l’histoire de Gregoire de Tours, que les religieux d’un couvent qu’une troupe de Francs vouloit saccager, lui parlerent en ces termes : « Abstenez-vous, barbares, de commettre aucune violence dans cette maison, elle appartient à saint Martin. » Fortunat évêque de Poitiers, pour donner à entendre que Vilithuta, une dame de la nation des Francs, étoit polie et bienfaisante, dit : » Elle étoit né dans la Ville de Paris, & issue de parens Barbares, mais elle avoit toutes les inclinations d’une Romaine. » Le même poëte écrit en louant un Lunébodès, qui dans Toulouse, avoit fait bâtir une église sur le lieu même où saint Saturnin premier évêque de cette ville avoit été détenu et gardé avant son martyre. » Jusques à nos jours, on n’avoit point encore bâti d’Eglise à l’endroit où ce grand Serviteur de Dieu avoit été mis aux fers. Ce qu’aucun Romain n’avoit fait, un Barbare l’a entrepris, & il l’a achevé, secondé dans son dessein par sa femme Berthrude, si célébre par la Noblesse de son origine & par la noblesse de ses inclinations. » Fortunat dit encore que les Barbares et les Romains louoient également leur roi Charibert, petit-fils de Clovis ; et dans l’éloge de Chilpéric frere de Charibert, on lit : « Chilpéric nom qu’un Traducteur Barbare rendroit par celui de défenseur courageux. » on voit bien qu’un Traducteur de la langue Barbare est mis dans le texte de Fortunat, pour dire un Interpréte franc.

Il semble que sous le regne des enfans de Clovis, il se fit encore une division du peuple de la monarchie pris en general, autre que la division dont nous venons de parler. Suivant la premiere division, tout le peuple de la monarchie se partageoit en Romains et en Barbares ; et suivant celle dont je vais parler, ce même peuple se partageoit en Francs et en hommes d’autres nations qu’on désignoit tous par le nom general de Neustrasiens. Ainsi suivant cette derniere division, on aura partagé tout le peuple de la monarchie en nation des Francs et en nations Occidentales, en comprenant sous le nom d’Occidentaux ou de Neustrasiens : premierement, la nation Romaine et puis toutes les nations Barbares établies dans les Gaules, autres que la nation des Francs, et cela parce qu’elles habitoient dans les Gaules, qui sont à l’Occident de la Germanie et de l’Italie, où étoit la premiere patrie de toutes ces nations-là. Ce qui me donne cette opinion, est la chartre de la fondation de l’abbaye de saint Germain-Des-Prez, par le roi Childebert fils de Clovis. Ce prince y dit : Du consentement et de l’approbation des Francs et des Neustrasiens, et sur les représentations de saint Germain. Cette mention des Neustrasiens faite après avoir nommé les Francs, suppose que les Francs ne fussent pas compris alors sous le nom de Neustrasiens. Dans la suite des tems, les partages de la monarchie auront occasionné la division de la plus grande partie des Gaules en Neustrie et en Austrasie, et l’opposition qui aura eu lieu, entre Sujet du royaume de Neustrie, et Sujet du royaume d’Austrasie aura fait oublier la premiere acception du mot neustrasien, et l’opposition, qui sous le regne de Childebert I étoit entre Franc et Neustrasien. Ainsi les Francs auront été, suivant la partie des Gaules où ils habitoient, nommés, ou Francs Neustrasiens ou Francs Austrasiens ; c’est-à-dire, Francs Occidentaux ou Francs Orientaux.

LIVRE 6 CHAPITRE 4

CHAPITRE IV.

Des Nations differentes qui composoient le Peuple de la Monarchie, & de la Nation des Francs en particulier. Que la peine pécuniaire reglée dans les Loix Nationales, n’étoit point la seule que les Criminels subissent.


Aprés avoir vû que le peuple de la monarchie se divisoit d’abord en Barbares et en Romains, il faut exposer quel étoit l’état de chacune de ces nations sous les premiers successeurs de Clovis.

La nation Barbare, pour user de ce terme, se subdivisoit en plusieurs autres, dont les principales étoient celle des Francs Saliens, ou des Francs proprement dits, celle des Francs Ripuaires, celle des Bourguignons et celle des Allemands.

Nous avons déja vû que les Saliens n’étoient d’abord qu’une des tribus des Francs, mais que toutes les autres tribus, à l’exception de celle des Ripuaires, y furent réunies après que Clovis se fut fait reconnoître roi par chacun de ces essains. En effet, je ne me souviens pas que dans les historiens qui ont écrit postérieurement au regne de Clovis, il soit fait mention d’Ampsivariens, de Chamaves, ni d’aucune tribu des Francs autre que celle des Francs absolument dits, et celle des Ripuaires. Il n’est plus parlé dans cette histoire que des deux tribus qui viennent d’être nommées. Eghinard dit même que sous Charlemagne tous les Francs vivoient suivant deux loix, dont l’une, apparamment étoit la loi Ripuaire, et l’autre la loi Salique. Du moins il n’y a plus eu que les poëtes, comme Fortunat, qui ayent encore donné le nom de Sicambre aux Francs leurs contemporains, et l’on sçait que les poëtes désignent souvent les nations dont ils ont occasion de parler, par des noms que ces nations ne portent plus dans le tems qu’ils écrivent.

La loi Salique et la loi Ripuaire étoient-elles rédigées par écrit avant que les Francs se fussent établis dans les Gaules, ou bien étoient-elles simplement une tradition orale qui se transmettoit par les peres aux enfans, une tradition de même nature que l’étoient les coutumes qui ont force de loi dans la France, avant que l’édit de Charles VII qui ordonne qu’elles soient rédigées par écrit, eût été mis en exécution ? C’est ce que j’ignore. Je ne puis dire non plus, si la rédaction de la loi Salique faite par Clovis dans le tems qu’il étoit encore payen, et de laquelle il est parlé dans un passage du préambule de cette loi, qui va être rapporté, est sa premiere rédaction. Nos deux loix ont-elles été rédigées d’abord en langue latine ou en langue germanique ? C’est une seconde question qui dépend de la premiere. Si elles ont été mises par écrit dans le tems que toutes les tribus de la nation des Francs habitoient encore au-delà du Rhin, il semble qu’elles ayent dû être rédigées d’abord en langue germanique. Si leur premiere compilation ne s’est faite que dans les Gaules, il est probable qu’elles auront été d’abord écrites en latin, et telles que nous les avons aujourd’hui, c’est-à-dire, en un latin mêlé de plusieurs mots germaniques, qu’on aura regardés comme des termes de droit qu’il étoit bon de conserver en leur propre langue, dans la crainte d’en alterer le sens en les rendant par des termes latins qui ne pourroient pas toujours être parfaitement équivalens. Nous avons déja dit que les Francs, sujets de Clovis, entendoient le latin, et il n’y a point d’apparence que les Romains, concernant les interêts de qui nos deux loix statuent assez souvent, entendissent communément la langue germanique. Ainsi la convenance demandant que les loix dont il est question, fussent rédigées dans la langue la plus en usage parmi les habitans du pays où elles devoient avoir lieu, elles auront été rédigées en latin.

Quant au nom de Loi Salique que ce code a toujours porté, bien qu’au fond il fut la loi commune de toutes les tribus des Francs, à l’exception des Ripuaires, il est apparent qu’il lui venoit de ce que Clovis qui avoit réuni ces tribus à celle des Saliens ses premiers sujets, aura voulu qu’elles fussent régies selon la loi des Saliens avec qui elles devenoient incorporées. La plus ancienne rédaction de cette loi que nous ayons aujourd’hui, est celle qui fut faite par les soins du roi Clovis, et retouchée ensuite par les soins de Childebert et de Clotaire ses enfans. Il est dit dans le préambule de cette rédaction. » Avant que la Nation des Francs, dont l’assemblage est un effet de la Providence, & qui est stable aujourd’hui dans ses établissemens, en vertu de la convention qu’elle vient de faire avec les Empereurs, eût encore, ce qu’elle a fait depuis peu, embrassé la Religion Catholique : elle avoir déja par amour pour la Justice, fait rédiger la Loi Salique, laquelle fut compilée par les principaux de ses Citoyens, qui tinrent à ce sujet trois assemblées du Peuple. Mais étant arrivé heureusement que son Roi Clovis ait reçû le Baptême, ce Prince, & puis Childebert & Clotaire ont changé plusieurs choses dans cette Loi qu’ils ont renduë plus parfaite, & qu’ils ont mise dans l’état où elle est maintenant. »

La Loi Salique a eu la destinée de tous les codes nationaux, c’est-à-dire, que de tems en tems on y a fait quelque changement. En l’année sept cens quatre-vingt-dix-huit, Charlemagne en fit une nouvelle rédaction, dans laquelle il ajouta beaucoup de sanctions. C’est sur quoi, ainsi que sur plusieurs autres questions, concernant le lieu où la Loi Salique fut publiée, et qui furent ses premiers compilateurs, je renvoyerai le lecteur au livre que Monsieur Vendelin, official de Tournay a écrit sur le berceau de cette loi, et aux sçavantes notes de Monsieur Eccard sur la Loi Salique et sur celle des Ripuaires.

Quant à la loi des Ripuaires, je crois avec Monsieur Eccard, que ce fut Thierri fils de Clovis, qui la fit rédiger, ou qui la mit du moins dans un état approchant de celui où nous l’avons. Ce sçavant homme dit dans ses notes sur cette loi : » Clovis s’étant fait élire Roi des Ripuaires, il les aura maintenus dans leurs anciens usages & dans leurs anciennes Coutumes, & il les aura laissés subsifter en forme de Societé particuliere, & séparée gros de la Nation des Francs. Son fils Thierri dans le Partage de qui les Ripuaires entrerent, aura fait quelques changemens à ces usages & coutumes, après quoi il les aura rédigées en forme de Loi, & les tables de cette Loi sont celles que nous avons encore aujourd’hui. » Monsieur Eccard cite pour appuyer son sentiment concernant la Loi Ripuaire, une des notes qu’il avoit déja faites sur la Loi Salique. La note à laquelle il nous renvoye ici, est écrite à l’occasion d’un endroit de la préface ancienne, qui se trouve à la tête de la Loi Salique dans quelques manuscrits, et où l’on lit : Que le roi Thierri étant à Châlons, y avoit de son côté, fait travailler des personnages doctes, à mettre la loi des Francs dans une plus grande perfection. Or suivant la note que fait Monsieur Eccard sur ce passage, il faut y entendre par la Loi des Francs, non pas la Loi Salique, mais bien la loi des Ripuaires, laquelle étoit un des codes, suivant lesquels les Francs vivoient. « Thierri, ajoute-t’il, aura donné ses soins à la perfection de la loi des Ripuaires qui se trouvoient dans son partage, tandis que ses freres Childebert et Clotaire faisoient travailler sur la loi des Saliens. »

En effet, ce qui est dit concernant les soins du roi Thierri, dans cette préface des Loix Saliques, laquelle a donné lieu à la derniere des deux notes de Monsieur Eccard, dont nous avons rapporté le contenu, se trouve clairement expliqué dans le préambule même de la nouvelle rédaction de la loi des Ripuaires, faite par les ordres du roi Dagobert I. On y lit : » Le Roi Thierri étant à Châlons, il fit choix d’hommes sages & instruits dans les anciennes Loix de son Royaume, & ce Prince leur enjoignit ensuite de rédiger la Loi des Francs, ainsi que la Loi des Allemands & la Loi des Bavarois, afin de donner à chacune de ces Nations, qui toutes étoient sous son obéissance, un Code conforme à leurs anciens us & Coutumes, ausquels il ne fit que les additions & les changemens nécessaires, pour regler sur les principes de la Religion Chrétienne, plusieurs points qui n’avoient encore été reglés que suivant les principes de la Religion Payenne. Childebert perfectionna encore à cet égard, les Codes réformés par Thierri ; & dans la suite, Clotaire ajouta aussi quelque chose à l’Ouvrage de Childebert. Le Roi Dagobert a fait revoir de nouveau toutes ces Loix, par les très-illustres personnes, Claudius, Chaudus, Indomagnus & Agilusus, & il en a fait une nouvelle rédaction, après quoi il a délivré à chaque Nation les tables de la Loi, & c’est la rédaction dont on doit se servir aujourd’hui dans les Tribunaux. » Dès que cette préface se trouve à la tête de la rédaction de la Loi Ripuaire faite par Dagobert, il est évident que c’est de cette loi qu’il y est parlé sous la dénomination générale de Loi des Francs, ainsi que l’a pensé Monsieur Eccard.

On a encore vû par le passage d’Eghinard, qui vient d’être rapporté, que les Francs vivoient selon deux loix, la Loi Salique et la Loi Ripuaire. Ainsi l’une et l’autre loi pouvoit, quoique par abus, s’appeller également la Loi des Francs, et l’on peut suivant que les circonstances en décident, appliquer ce qui est dit de la loi des Francs en général, ou bien à la Loi Salique en particulier, ou bien à la Loi Ripuaire en particulier. Les loix des Francs, c’est-à-dire, la Loisalique et la Loi Ripuaire, ayant été imprimées plusieurs fois, je n’en donnerai point un abregé suivi : d’ailleurs je ne me suis point proposé d’expliquer ici le droit des particuliers, mais le droit public, le droit qui regloit la constitution de l’Etat sous les rois de la premiere race. Ainsi je rapporterai seulement ceux des articles de nos deux Loix, que les matieres que j’aurai à traiter me mettront dans l’obligation de rapporter.

La premiere division de la nation des Francs, ainsi que la premiere division de toutes les nations qui subsistoient alors, étoit celle qui se faisoit en hommes libres et en esclaves. La servitude de ces esclaves, ainsi que celle des esclaves qui appartenoient aux citoyens de toutes les nations Germaniques, étoit de differens genres. Quelques-uns de ces serfs étoient nés dans les foyers de leurs maîtres. D’autres étoient de véritables captifs, je veux dire, des prisonniers de guerre, que l’usage du tems condamnoit à l’esclavage. D’autres avoient été achetés. D’autres étoient des hommes nés libres, mais condamnés à la servitude par jugement porté contre eux, à cause qu’ils s’étoient rendus coupables des délits, dont la peine étoit, que l’offenseur fut adjugé comme esclave à l’offensé, ou bien, parce qu’ils n’avoient pas pû payer de certaines dettes. D’autres enfin, étoient des hommes libres qui s’étoient dégradés volontairement, soit en se vendant eux-mêmes, soit en se donnant gratuitement à un maître, qui s’obligeoit de son côté à fournir à leur subsistance et à leur entretien. On a remarqué ailleurs, qu’au tems où les francs s’établirent dans les Gaules, le nombre des esclaves étoit beaucoup plus grand dans tous les pays et parmi toutes les nations, que le nombre des citoyens ou des personnes libres. Ainsi lorsqu’on trouve que sous nos premiers rois de la troisiéme race, les deux tiers des hommes qui habitoient la France, étoient esclaves, ou du moins de condition serve, il ne faut point imputer ce grand nombre de personnes serves qui s’y trouvoient alors, à la dureté des francs, ni supposer qu’ils eussent réduit les anciens habitans des Gaules dans une espece d’esclavage. Cela procédoit de la constitution générale de toutes les societés politiques, dans le tems où les francs s’établirent dans les Gaules.

Nous avons déja dit qu’il y avoit plusieurs manieres de donner la liberté aux serfs, et que suivant le droit commun, l’affranchi devenoit citoyen de la nation dont étoit le maître qui l’avoit fait sortir d’esclavage. Venons au traitement que les peuples germaniques faisoient à leurs serfs. " les germains, dit Tacite, ne tiennent pas dans leurs maisons, ainsi que nous, leurs esclaves,… etc. " [...] lorsque les peuples germaniques furent une fois établis dans les Gaules, ils n’auront pas manqué d’y prendre l’usage de tenir chez soi des esclaves, pour les employer aux services domestiques. Ces nations ne furent que trop éprises de toutes les commodités et de toutes les délices que le luxe des Romains y avoit fait connoître. Mais il est aussi à croire que les Francs, les Bourguignons, et les autres nations Germaniques auront continué à donner des domiciles particuliers à une partie de leurs esclaves, comme à leur abandonner une certaine quantité d’arpens de terre pour les faire valoir, à la charge d’en payer une redevance annuelle, soit en denrées, soit en autres choses. Les Romains des Gaules auront eux-mêmes imité leurs Hôtes dans cette oeconomie politique, soit parce que, tout calculé, ils l’auront trouvée encore plus profitable que l’ancien usage, soit pour empêcher que la plûpart de leurs esclaves ne se réfugiassent chez ces Hôtes, afin de changer leurs fers contre des fers moins pésans. L’amour de l’indépendance si naturel à l’homme, fait préférer à ceux dont le sentiment n’est point entierement perverti, le séjour d’une cabane, où il n’y a personne qui soit en droit de leur commander, à une demeure commode dans un palais, où sans cesse ils ont un maître devant les yeux. La loi du monde ordonnoit bien que les esclaves fugitifs qui se seroient sauvés dans les métairies du roi, et même dans les aziles des églises, seroient rendus à leurs maîtres ; mais croit-on que la loi fût toujours exécutée ? Le Romain étoit-il toujours assuré d’obtenir justice des officiers du prince, qui certainement ne devoient rendre qu’à regret les esclaves qui s’étoient donnés à eux, et dont ils pouvoient souvent passer le prix dans les comptes qu’ils rendoient à ce prince, en y supposant qu’ils les avoient achetés ? Ce qui est de certain, c’est que les églises dont les ministres étoient presque tous alors de la nation Romaine, avoient imité l’usage des Germains dès le tems des empereurs, et qu’elles donnoient à leurs esclaves des domiciles particuliers et des terres à faire valoir, à charge d’une simple redevance. On voit enfin par une infinité de faits, qu’avant Clovis, l’usage dont il s’agit, étoit établi dans plusieurs provinces des Gaules ; il devint seulement plus général et plus à la mode quand les nations Germaniques s’en furent emparées.

On peut donc regarder l’introduction de l’esclavage Germanique dans les Gaules, en quelque tems qu’elle y ait été faite, comme l’origine de ce grand nombre de chefs de familles, ou de personnes domiciliées dans un manoir particulier et qu’on voit néanmoins avoir été dans le septiéme siecle et dans les siecles suivans, serves de corps et de biens. En effet, il paroît en lisant les monumens de nos antiquités, que sous les premiers rois Capétiens, les deux tiers des habitans du royaume étoient du moins serfs de biens. Personne n’ignore qu’on appelloit alors serfs de biens ou d’héritages, ceux qui tenoient de quelque seigneur une portion de terre qu’il ne pouvoit pas leur ôter arbitrairement, à condition de la bien faire valoir, et de payer à ce seigneur une redevance fixée, comme de lui rendre en certaines occasions plusieurs services, mais qui pouvoient, dès qu’ils en avoient envie, recouvrer leur indépendance, en délaissant la portion de terre dont il s’agit, au maître à qui la proprieté en appartenoit. Il est vrai que les serfs de corps étoient en quelque sorte de véritables esclaves, puisqu’ils ne pouvoient devenir libres que moyennant une manumission accordée volontairement par leur maître.

Quant à la servitude Romaine, il paroît qu’elle ait été abrogée sous les rois de la seconde race, et que dès lors on ait cessé d’acheter des esclaves pour les tenir dans sa maison soumis à toutes les volontés et à tous les caprices d’un maître despotique qui les employoit, les nourissoit, les châtioit ou recompensoit à son gré. On comprit dès-lors, qu’il étoit contre la religion, et même contre l’humanité, d’assujettir des hommes aux malheurs d’une condition aussi dure. Il est même si bien établi en France depuis plusieurs siécles, qu’il ne doit plus y avoir de serfs domestiques, ou de la condition dont étoient les esclaves des Grecs et des Romains, que tout esclave qui met le pied sur le territoire du royaume, devient libre de fait. Les exceptions faites à cette loi generale en faveur des François établis sur les domaines du roi en Amérique, suffiroient seules à prouver son existence. Mais lorsque les rois de la troisiéme race monterent sur le trône, il y avoit en France un si grand nombre de mains-mortables ou d’hommes de pote, c’est-à-dire, de serfs germaniques de tout genre et de toute espece, que nonobstant ce qu’ont fait ces princes pour les affranchir, il en reste encore dans plusieurs provinces. Il est vrai que lors de la tenue des derniers Etats Genéraux, faite à Paris en mil six cens quinze, sous le regne de Louis XIII le Tiers-état inséra dans son cahier une supplication, par laquelle il prioit le roi d’ordonner que les seigneurs seroient tenus d’affranchir dans leurs fiefs tous les serfs, moyennant une composition, mais cette demande du Tiers-état n’a point eu son effet. Je remonte au sixiéme siecle.

La condition de serfs n’empêchoit pas les esclaves des nations Germaniques, d’être capables du maniement des armes. Si ces serfs étoient nés dans l’esclavage, ils n’avoient point été élevés sous le bâton d’un maître, mais sous la discipline d’un pere. La loi des Visigots ordonne que le Barbare et le Romain, lorsqu’ils se trouveront mandés pour quelque expédition, seront obligés d’amener au camp avec eux, la dixiéme partie de leurs serfs, et de les y amener bien armés. C’est, comme on le dira dans la suite, de ces serfs armés, qu’il faut entendre plusieurs articles des capitulaires des premiers rois de la seconde race, dans lesquels il est fait mention des Hommes des seigneurs particuliers, soit ecclésiastiques, soit laïques. Ces hommes n’étoient point comme quelques auteurs se le sont imaginés, des sujets du roi de condition libre, qui reconnussent déja ces ecclésiastiques ou ces laïques pour leurs seigneurs naturels, ainsi que plusieurs sujets du roi et de condition libre, ont reconnu sous la troisiéme race, et reconnoissent encore aujourd’hui d’autres sujets du roi pour leurs seigneurs. Au commencement du huitiéme siécle, tous les citoyens de notre monarchie ne reconnoissoient d’autre jurisdiction et d’autre pouvoir, que la jurisdiction et le pouvoir du roi et celui des officiers qu’il avoit choisis personnellement, pour être à son bon plaisir, et durant un tems, les dépositaires de son autorité sur les autres citoyens. Les particuliers n’avoient point encore usurpé alors les droits de l’Etat, et personne ne pouvoit mener à la guerre, comme des Hommes à lui, que ses propres serfs.

L’usage de conduire ses serfs à la guerre, ou de les y envoyer, a même continué d’avoir lieu sous la troisiéme race de nos rois. On voit dans la relation que fait Guillaume Breton, de la bataille donnée à Bouvines par Philippe Auguste, que trois cens cavaliers armés de lances, et qui étoient serfs de l’abbaye de saint Médard de Soissons y enfoncerent un gros de noblesse Flamande, qui par mépris pour leur condition, n’avoit pas daigné s’ébranler, ni faire prendre carriere à ses chevaux, afin de mieux recevoir l’assaillant. C’est ainsi qu’en usoient les cavaliers armés de lances avant le milieu du seiziéme siécle, tems où ils prirent l’usage de combattre en escadrons.

Les combats en champclos, étant devenus sous les derniers rois de la seconde race, une des voyes juridiques de terminer les procès, plusieurs églises obtinrent du prince, que leurs serfs seroient reçûs à rendre le témoignage contre des personnes de toute sorte de condition, et que nul ne pourroit, sans être réputé convaincu du fait dont il étoit accusé, et sans perdre sa cause, refuser de combattre contre ces serfs, sous prétexte qu’ils ne seroient point des champions recevables. Cette loi est contenue expressément dans les chartres octroyées pour ce sujet, par le roi Louis Le Gros, à l’église de Chartres, comme à l’abbaye de saint Maur-Des-Fossés, et par plusieurs de nos rois à l’abbaye de saint Denis.

Venons aux Francs de condition libre. Ils étoient tous laïques. Ce n’est point que plusieurs Francs n’embrassassent tous les jours l’état ecclésiastique ; mais dès qu’un Franc ou un autre Barbare embrassoit cette profession, il étoit réputé avoir renoncé à être de la nation, dont il avoit été jusques-là, et avoit passé, pour ainsi dire, dans la nation Romaine[93]. Comme on a déja pû le remarquer, un Barbare qui se faisoit d’Eglise, commençoit par se faire couper les cheveux ; et comme nous le verrons dans la suite, durant le cinquiéme siécle et les quatre siecles suivans, tous les ecclésiastiques des Gaules, de quelque nation qu’ils fussent sortis, étoient tenus de vivre suivant le droit Romain.

Ainsi les Francs ne composoient tous qu’un seul et même ordre de citoyens, car on a déja vû que les princes de la maison royale n’étoient point citoyens en un sens, parce qu’ils partageoient tous entr’eux le royaume de leur pere, et qu’ainsi chacun d’eux devenoit un souverain. Il n’y avoit donc point alors de prince de la maison royale, qui ne fût fils de roi et héritier présomptif, au moins en partie de la couronne de son pere. Le reste des citoyens n’étoit point partagé en deux ordres, comme le sont aujourd’hui les sujets laïques de nos rois, qui se divisent en nobles et en non-nobles. Quoique les familles anciennes et connues depuis long-tems dans la nation, eussent plus de considération que celles dont l’illustration ne faisoit que de commencer ; cependant les premieres n’avoient point de droits qui leur fussent particuliers, ni de privilege spécial qui en fissent un ordre supérieur à un autre ordre de citoyens. Enfin la loi n’établissoit aucunes distinctions décidées entre les enfans qui naissoient dans certaines familles et les enfans nés dans les autres. Il ne faut point être bien versé dans le droit public des nations, pour sçavoir qu’il est bien different, d’avoir seulement de la consideration et des égards pour les citoyens des anciennes familles, ou d’attribuer par une loi positive des droits certains et des avantages particuliers aux citoyens nés dans ces familles, de maniere qu’ils jouissent en vertu de leur seule naissance, de plusieurs priviléges déniés aux citoyens nés dans les autres familles.

La consideration, ni même le respect volontaire du concitoyen, ne font point des familles qui en jouissent, un ordre de sujets, distinct et séparé. Ce sont les prérogatives et les droits attribués à certaines familles par les loix, qui font de ces familles un ordre particulier. Il y a bien, par exemple, parmi les Turcs quelques familles illustrées, pour lesquelles les autres ont beaucoup de considération ; mais comme ces familles ne jouissent point en vertu des ordonnances ou des statuts, d’aucun droit réel, et qui leur soit acquis par la loi, elles ne font pas dans l’empire Ottoman un ordre particulier de citoyens, et l’on dit avec raison, qu’il n’y a point un ordre de la noblesse parmi les Turcs. Quoiqu’on fasse à Venise, dans ce qui s’appelle le monde, une grande difference des nobles issus des anciennes familles, et des nobles issus des familles annoblies depuis peu par argent ; neanmoins la considération et les égards qu’on a pour les premiers et qu’on n’a point pour les seconds, n’étant pas fondés sur aucune loi ou Parté, qui établisse quelque difference légale entre les uns et les autres, personne ne dira que les nobles vénitiens soient divisés en deux ordres. Ils sont tous du même ordre, tant anciens nobles que nouveaux nobles. Ainsi quoiqu’on voye dès le sixiéme siecle parmi les Francs, des familles plus honorées et plus respectées que les autres, il ne s’ensuit point qu’il y eût parmi eux, deux ordres de citoyens. Ce n’étoit point une loi du droit public, c’étoient les dignités qui avoient été long-tems dans ces familles, c’étoient les sujets d’un mérite rare qu’elles avoient fournis à l’Etat, qui leur avoient attiré l’espece de distinction dont elles joüissoient. Prouvons ce que nous venons d’avancer, concernant la nation des Francs.

Suivant la loi naturelle, les hommes naissent tous égaux, et l’on ne doit pas supposer sans preuve, qu’une nation ait donné atteinte à cette loi, en attribuant aux citoyens, qui auroient le bonheur de naître dans de certaines familles, des distinctions et des prérogatives particulieres et onéreuses aux citoyens nés dans les autres familles. Si nous croyons avec certitude, que dans les tems dont il s’agit, une partie des Francs naissoit libre, et que l’autre partie naissoit esclave, c’est que la loi de cette nation nous le dit clairement et positivement. Nous y voyons plusieurs sanctions, qui prouvent manifestement qu’à cet égard, la loi des Francs avoit dérogé à la loi naturelle. Or il n’y a rien dans la loi nationale des Francs, qui montre qu’ils fussent divisés en deux ordres, et que les uns naquissent nobles, et les autres roturiers. Les distinctions que fait cette loi en faveur de quelques citoyens, y sont faites en faveur de leurs dignités, et non pas en faveur de leur naissance. Ces distinctions sont accordées à des emplois qui n’étoient point héreditaires, et non point comme on le dit en droit public, à une priorité d’ordre.

Au contraire, la loi nationale des Francs suppose manifestement en plusieurs endroits, que tous les Francs de condition libre, fussent du même ordre, parce que dans les occasions où elle auroit dû statuer différemment par rapport aux diverses conditions dans lesquelles chacun des citoyens seroit né, elle statue uniformément. Citons quelques exemples tirés de la Loi Salique et de la Loi Ripuaire, qui comme nous l’avons dit, sont en quelque maniere deux tables de la loi nationale des Francs.

Le quarante-quatriéme titre des Loix Saliques statue sur les interêts civils, ou sur la peine pécuniaire à laquelle doit être condamné le meurtrier de condition libre qui aura tué une personne de même condition que lui. Il est dit dans ce titre dont la substance est la même que dans toutes les rédactions de la Loi Salique. » Le Franc qui aura tué un Romain de condition à manger à la table du Roi (c’est de quoi nous parlerons plus bas) sera condamné à trois cens sols d’or. Celui qui aura tué un Romain de l’ordre de ceux qu’on appelle Possesseurs, c’est-à-dire, qui possedent des biens fonds dans le Canton où ils sont domiciliés, payera cent sols d’or. Celui qui aura tué un Romain tributairc, payera quarante-cinq sols d’or. » Les Loix Saliques ayant ainsi arbitré la peine pécuniaire du meurtrier d’un Romain libre par rapport à l’ordre dont le Romain étoit, parce que la nation Romaine étoit divisée en plusieurs ordres, il est évident qu’elles auroient de même arbitré la peine pécuniaire du meurtrier d’un Franc libre, par rapport à l’ordre dont auroit été le Franc mis à mort, supposé que les Francs eussent été divisés comme les Romains en differens ordres. Cependant les loix Saliques ne font point cette distinction. Dans le titre que je rapporte il est dit simplement : « Celui qui aura tué un Franc, un autre Barbare, ou un homme qui vit selon la Loi Salique, sera condamné à payer deux cens sols d’or. »

On trouve aussi dans la loi des Ripuaires, deux titres, où il est statué expressément sur le meurtre d’une personne libre. Il est dit simplement dans le premier : « L’homme libre qui tuëra un Ripuaire libre, sera condamné à deux cens sols d’or. » Ce titre ne contient rien de plus. Au contraire, le trente-sixiéme qui statue sur le meurtre commis par le Ripuaire, qui auroit tué une personne d’une autre nation, condamne le meurtrier à une somme plus ou moins forte, suivant la condition dont étoit le mort. Le Ripuaire qui auroit tué un Franc Salien, y est condamné à deux cens sols d’or. Celui qui auroit tué un Bourguignon, à cent soixante. Celui qui auroit tué un Romain citoyen d’un autre pays que celui que tenoient les Ripuaires, à cent sols d’or. Enfin le Ripuaire qui auroit trempé ses mains dans le sang d’un soûdiacre, doit payer quatre cens sols d’or ; celui qui les auroit trempées dans le sang d’un diacre, cinq cens sols d’or, et celui qui les auroit trempées dans le sang d’un prêtre, six cens sols d’or. Qui ne voit qu’une loi si jalouse de proportionner la peine d’un meurtrier à la qualité de la personne tuée, auroit infligé des peines plus ou moins fortes aux meurtriers des Ripuaires de differente condition, si les Ripuaires eussent été divisés en plusieurs ordres.

Ce qui démontre, à mon sentiment, que le silence de la loi des Francs, et celui des historiens sur la division des Francs libres en differens ordres, prouve contre cette division, c’est que les loix des nations, dont les citoyens ont été véritablement divisés en nobles et en non-nobles, dans les siecles dont il est ici question, parlent de cette division ; c’est que les historiens en font mention. Citons quelques exemples.

On trouve dans le recueil de Lindembrog la loi des Frisons, une des nations Germaniques, dont les citoyens étoient partagés en deux ordres ; celui des nobles, et celui des Frisons qui ne l’étoient pas. Il y est dit, au titre des Homicides  : » Le Noble qui aura tué un autre Noble, payera quatre-vinge sols d’or. Le Noble qui aura tué un simple Citoyen, payera cinquante-quatre sols d’or, & celui qui aura tué un affranchi, payera vingt-sept fols d’or au Patron de l’Affranchi, & neuf sols d’or aux parens de l’affranchi. Le simple Citoyen qui aura tué un Noble, sera condamné à quatre-vingt sols d’or, & à cinquante-trois sols d’or s’il a tué un Ciroyen du même Ordre que lui. L’affranchi qui aura tué un Noble, payera quatre vingt sols d’or, & cinquante-trois sols, s’il a tué un simple Citoyen. »

Le lecteur fera de lui-même toutes les réflexions qui sont à faire, sur les dispositions énoncées dans cette loi.

Il sera bon cependant d’observer ici, qu’il est contre toute sorte d’apparence, bien que des auteurs modernes ayent affecté de le croire, que les meurtriers et les voleurs en fussent quittes pour payer la somme à laquelle ils sont condamnés par nos loix nationales. Une societé où les voleurs et les meurtriers n’eussent point été punis plus séverement, n’auroit pas subsisté long-tems. Il faut donc regarder ces sortes d’amendes, comme des interêts civils, comme une satisfaction à laquelle le voleur ou le meurtrier étoit condamné envers ceux qui avoient souffert par son vol ou par son meurtre. Au cas que le délinquant fût exécuté à mort, la somme à laquelle se montoit cette satisfaction, se prélevoit sur tous les biens qu’il avoit laissés ; et dans les cas où la confiscation avoit lieu, les officiers du fisc ne pouvoient pas mettre la main sur ces biens-là, avant que l’homme qui avoit été volé, et que le maître ou les parens du mort eussent reçû la somme que la loi leur adjugeoit. » Si quelqu’un, dit la Loi des Ripuaires[94], a été traduit en Justice pour vol, & qu’après avoir été dûëment atteint & convaincu, il soit par Jugement du Prince pendu ou exécuté à quelque gibet que ce puisse être, ses héritiers entreront en possession de tous ses biens, dès qu’ils auront satisfait pour le vol, & payé tous les frais & dépens du Procès. » Au cas que le prince voulût faire grace de la vie au coupable, il ne pouvoit point apparemment l’accorder, que le coupable n’eût satisfait les personnes lezées. Ainsi qu’il se pratique encore aujourd’hui dans plusieurs Etats chrétiens, la grace du prince ne pouvoit valoir, que le criminel n’eût satisfait sa partie civile, c’est-à-dire ici, qu’il ne lui eût payé la somme à laquelle il étoit condamné par la loi.

Nous rapporterons ci-dessous une loi de Childebert le jeune, laquelle fait foi que les voleurs étoient exécutés à mort. Il est dit dans la loi des Bourguignons : » Si quelqu’un de notre Peuple, de quelque Nation qu’il soit, vient à tuer une personne de condition libre, ou même un de ceux des esclaves du Roi, à qui l’on a donné la même éducation que les Romains donnent à leurs Esclaves, que le sang du meurtrier soit versé. Si uni Esclave, ajoute cette même Loi, tuë sans que son Maître soit complice du crime, un homme de condition libre, que l’Esclave seul soit mis à mort ; mais si le Maître est complice, qu’on envoye au supplice & le Maître & l’Esclave. » Enfin un des capitulaires de Charlemagne, statuë positivement, que les homicides et les autres criminels, qui suivant la loi, doivent être punis de mort, ne recevront aucun aliment lorsqu’ils se seront réfugiés dans les églises, et que cet azile ne doit pas leur sauver la vie. Si nos loix nationales n’ordonnent pas la peine de mort dans tous les articles où elles arbitrent les interêts civils dûs pour chaque crime aux particuliers lézés par le crime, c’est qu’elles laissent au roi, qui comme nous le dirons, jugeoit souvent lui-même les accusés qui étoient de condition libre, le droit de décider si les circonstances du crime exigeoient ou non, que pour l’interêt de la societé on fît mourir le coupable et de quel genre de mort il devoit être puni.

Je reviens à mon sujet, qu’il n’y avoit point deux ordres dans la nation des Francs. Si les citoyens de la nation des Saxons étoient divisés en plusieurs ordres, les historiens anciens et les loix ont fait une mention expresse de la distribution des Saxons libres en differens ordres. Nithard, petit-fils de Charlemagne, dit en parlant des Saxons, que son ayeul avoit engagés à se faire chrétiens ; que les citoyens de cette nation étoient divisés en trois ordres ; celui des nobles, celui des hommes nés libres, et celui des esclaves. Adam De Bréme qui vivoit dans l’onziéme siecle, parle même de la constitution de la société, qui avoit lieu parmi les Saxons, comme d’un usage opposé à l’usage le plus ordinaire parmi les peuples germaniques. Voici ce qu’il en dit : » La Nation des Saxons prise en general, comprend quatre Ordres differens ; celui des Nobles, celui des hommes nés libres, celui des affranchis, & celui des serfs. Leur Loi deffend même à ceux d’un Ordre d’épouser des personnes d’un autre Ordre. Elle veut qu’un Noble épouse une fille de l’Ordre des Nobles ; que l’homme libre épouse une fille de son Ordre ; que l’affranchi se marie avec une affranchie, & le serf avec une esclave. » Enfin la loi nationale des Saxons condamnoit à mort l’homme qui auroit épousé une fille née dans un des ordres supérieurs à celui où il seroit né. On voit bien que toute la difference qui est entre nos deux auteurs, vient de ce que Nithard n’a point fait mention des affranchis, et qu’Adam De Bréme les compte pour un quatriéme ordre.

Venons aux loix. Nous n’avons plus, il est vrai, l’ancienne loi des Saxons ; ainsi nous ne sçaurions nous en servir pour confirmer ce que disent Nithard et Adam De Bréme, sur la condition des citoyens de cette nation en trois ordres, et sur la division des esclaves qui composoient en quelque maniere un quatriéme ordre. Mais nous avons encore un capitulaire fait du tems de Charlemagne, qui rend toute autre recherche inutile. Il est dit dans ce capitulaire, fait dans l’assemblée tenuë à Aix-La-Chapelle en sept cens quatre-vingt-dix-sept. » Les Saxons sont demeurés d’accord que dans les cas où la peine pécuniaire d’un Franc doit être de douze sols d’or, celle du Saxon Noble sera de douze fols d’or, celle du Saxon né libre de cinq sols d’or, & celle du Saxon affranchi de quatre sols d’or. » Ce passage à mon sens, prouve également et que les Saxons citoyens étoient divisés en differens ordres, et que les Francs ne l’étoient pas. Si les Francs l’eussent été notre statut auroit égalé chaque ordre de Saxons à un ordre de Francs.

Enfin mon sentiment sur la constitution de la societé parmi les Francs durant les premiers siecles de notre monarchie, est conforme à celui des écrivains françois ou étrangers, qui ont passé pour être les plus sçavans dans l’histoire des premiers tems de cette monarchie. Monsieur De Valois après avoir dit que les saxons et les frisons étoient divisés en plusieurs ordres, ajoute : » Il y avoit aussi trois Ordres differens dans la Nation des Anglois & dans celle des Verins, qui étoient des Peuples Germaniques ; celui des Nobles, celui des hommes nés libres, & celui des Serfs. Au contraire la Loi Salique ne fait aucune mention des Nobles, non point qu’il n’y eût parmi les Francs des familles illustres & pour lesquelles on avoit une considération particuliere, mais parce qu’il n’y avoit point dans cette Nation un Ordre de Nobles, distinct & séparé du reste des Citoyens. La seule division qui eût lieu parmi les Francs, étoit celle suivant laquelle ils étoient partagés en Ecclésiastiques & en Laïques. » A une page de là, Monsieur De Valois dit en parlant de ce qui s’est passé dans la monarchie Françoise, après que les differentes nations dont son peuple étoit composé, eurent été confonduës sous les derniers rois de la seconde race, et sous les premiers rois de la troisiéme. » Dans la suite des tems, les Nobles commencerent à faire un Ordre distinct & séparé du reste du Peuple, de maniere qu’il se trouva enfin trois Ordres dans le Royaume ; celui du Clergé, celui de la Noblesse, & celui des Communautés ou Communes des Bonnes Villes. C’est ce qu’on peut voir dans la continuation des Annales de Guillaume de Nangis, sur l’année mil trois cens trois. Gerson qui vivoir dans le même siecle, les nomme les trois principaux Ordres, ou les trois Etats de France. »

Il n’y a point de sçavant qui ne connoisse les ouvrages de Monsieur Hertius le pere, un des plus célébres jurisconsultes d’Allemagne en matiere de droit public. Voici ce qu’il écrit dans sa notice de l’ancien royaume des Francs, concernant l’état des citoyens de cette nation. » Les Francs n’étoient point divisés, ainsi que quelques autres Nations Germaniques, en Nobles & en hommes nés Libres & en Affranchis. En effet, il n’est fait dans la Loi Salique aucune mention de Nobles, non point parce qu’il n’y eût pas dans la Nation des personnes Nobles & Honorables, mais parce que ces personnes ne composoient point un Ordre séparé du reste des Citoyens, parce qu’il n’y avoit point dans la Nation des Francs, comme l’observe trés-bíen Adrien de Valois, un Ordre de la Noblesse distingué de celui du Peuple. L’Auteur de la Dissertation sur les Droits des Fiefs, publiée depuis peu, ose attaquer ces Observations de Monsieur de Valois, si dignes d’un homme profondément sçavant dans l’Histoire de France. Notre Critique reproche à cet Auteur, d’avoir avancé faussement que tous les Francs Libres, fussent du même Ordre, en se fondant mal-à-propos sur ce que dans les Assemblées représentatives de la Nation, ils n’étoient pas divisés en des Ordres differens. Or suivant le même Critique, cela ne prouve point que les Francs ne fussent point partagés en differens Ordres, ainsi que l’étoient les Citoyens d’autres Nations Germaniques. Mais ce Critique ne fait point reflexion que rien ne donne mieux à connoître, quelle est la condition des Sujets dans un Etat, que l’ordre qui s’observe dans les Assemblées générales du Peuple de cet Etat. D’ailleurs, que notre Critique montre par quelque preuve positive, que la distinction d’Ordres, ait jamais eu lieu dans la Nation des Francs, qui est celle dont parle Monsieur de Valois. Il seroit inutile de prouver contre cet Ecrivain célébre, que les Sénieurs & les Mayeurs étoient Nobles, à prendre ce mot dans le sens d’illustre, de relevé, d’homme qui est au-dessus des hommes du commun. M. de Valois en tombe d’accord. Ce qu’il nie, & ce qu’on ne sçauroit lui montrer, c’est que les personnes Nobles fissent parmi la Nation des Francs, une Classe à part, & un Ordre séparé de l’Ordre du simple peuple, ainsi qu’elles en faisoient un parmi d’autres Nations Germaniques. En cela, l’usage des Francs étoit different de l’usage de ces Nations, comme le fait voir Monsieur de Valois. Parmi les Francs, tous les Citoyens nés libres, quoique de la lie du Peuple, pouvoient par la valeur & par une bonne conduite, parvenir au grade de Sénieur & de Mayeur. Que les Francs ne missent une grande difference entre ceux de leurs Concitoyens, qui étoient nés Libres, & ceux qui étant nés Esclaves, avoient eu besoin d’être Affranchis pour devenir Citoyens, on n’en sçauroit douter ; il paroît même en lisant Théganus, que les Citoyens nés libres, étoient qualifiés de Nobles dans l’usage du monde. Cet Auteur qui a écrit l’Histoire de Louis le Débonnaire, dont il étoit contemporain, y fait dire ses Acteurs qui entend parler du Roi : il vous a rendu libre, mais il ne sçauroit vous faire Noble, parce qu’on ne sçauroit jamais faire un Noble d’un homme qui a été Serf. Grégoire de Tours fait même une grande distinction dans le neuvième Chapitre de sa vie des Peres, entre les Citoyens, qui n’avoient point d’autre avantage que celui d’être nés libres, & les Citoyens illustres par leur Noblesse. »

Il est bon de rapporter les deux passages que cite Monsieur Hertius, et d’examiner en quoi ils peuvent être appliqués à notre question. Commençons par celui de Theganus. Cet auteur parlant de la déposition de Louis Le Débonnaire, mis en pénitence par le conciliabule tenu à Compiegne, en huit cens trente-trois, dit : » Les évêques prirent parti contre Louis, & principalement ceux qu’il avoit éleves en ce rang honorable, après les avoir tirés de l’état de servitude, ainsi que ceux de ces Prélats qui étant nés dans une des Nations Barbares qui habitent les Gaules, n’avoient pas laissé de parvenir à l’Episcopat. Leur Chef étoit Heblés Archevêque de Reims, né, je ne dis point dans une famille tombée par quelque malheur dans la captivité, mais issu de parens Esclaves de père en fils depuis un tems immémorial. Il fut le principal instrument de la déposition & de l’humiliation du Prince son bienfaicteur. On peut bien appliquer à cet évenement la Prophétie de Jérémie ; nos Esclaves sont devenus nos Maîtres. Quelle reconnoissance Heblés témoignez-vous à votre Maître ? Il a fait pour vous tout ce qu’il a pû. Il vous a rendu libre. S’il ne vous a point rendu Noble, c’est qu’il est impossible de faire jamais un homme Noble d’un homme qui est né Serf. Il vous a fait Evêque, &c. »

Quant à ce passage, il est certainement applicable à la question présente, et il fortifie les raisons que nous avons rapportées pour montrer que les Francs laïques n’étoient point divisés en deux ordres dans le neuviéme siecle. En effet, il ne veut point dire que Louis Le Débonnaire n’eût pas pû faire entrer Héblés dans l’ordre des nobles. Héblés, comme archevêque de Reims, eût été membre du premier ordre, d’un ordre supérieur à celui de la noblesse, si la nation des Francs eut été divisée en plusieurs ordres. Ce passage énonce donc seulement que les citoyens nés libres, étoient qualifiés de nobles Hommes dans l’usage du monde. Noble homme, et homme né libre, ont signifié long-tems la même chose ; et comme nous pourrons le faire voir un jour, ils la signifioient encore du tems de notre roi Henri Trois. Peut-être aussi qu’Héblés n’avoit point été esclave dans la nation des Francs, mais dans la nation Saxonne ou dans une autre nation Germanique, dont les citoyens étoient divisés en plusieurs ordres. Théganus ne dit point de quelle nation étoit Héblés.

Pour ce qui regarde le passage de Gregoire De Tours, qui met de la difference entre un homme né libre et un homme illustre par la noblesse ; il paroît d’abord contredire le sentiment que Monsieur Hertius deffend, et je ne sçais pourquoi il a voulu s’en servir. Quoiqu’il en soit, il ne doit point embarasser, parce qu’au fond, il n’est applicable en aucune maniere à la question, Si la nation des Francs étoit divisée en differens ordres, ou si elle ne l’étoit pas. Gregoire De Tours dit en parlant d’un des peres, dont il écrit la vie : » Le Bienheureux Patroclus étoit fils d’Ætherius de la Cité de Bourges. Dès que notre Saint fut à l’âge de dix ans, on lui donna la commission d’avoir soin de plusieurs troupeaux de moutons appartenans à sa famille, parce qu’Antémius son frere avoit pris le parti de s’avancer par l’étude. L’un & l’autre, ils n’étoient pas Nobles, mais ils étoient nés libres. » Or il est sensible par le nom que portoit Patroclus, comme par le nom de son pere et par celui de son frere, que ce Patroclus étoit Romain. On verra quand il en sera tems, que Monsieur De Valois et les autres écrivains sçavans dans nos antiquités, enseignent qu’on reconnoît au nom propre de celui dont parlent les auteurs du cinquiéme siecle ou des siecles suivans, s’il étoit Romain. Ainsi le passage de Gregoire de Tours prouve seulement que de son tems, les citoyens de la nation Romaine, qui habitoient dans les Gaules, étoient encore divisés en trois ordres, comme nous l’avons déja dit au commencement de ce chapitre, et comme nous le dirons encore. Le passage dont il s’agit, ne prouve donc rien concernant la nation des Francs.

Ainsi je conclus de tout ce qui vient d’être exposé, que dans la nation des Francs, il n’y avoit point aucunes familles de citoyens, qui en qualité de nobles, formassent un ordre particulier, et au sang desquelles il y eût des prérogatives et des droits tellement attachés, qu’ils s’acquissent par la seule filiation. La constitution de la societé dans la nation des Francs, étoit à cet égard la même qu’elle est encore aujourd’hui dans le royaume d’Angleterre. En Angleterre tous les citoyens sont du même ordre, en vertu de la naissance. Si les Lords ou les seigneurs y forment comme pairs, un ordre distingué de celui des citoyens communs, si ces lords jouissent de plusieurs prérogatives et droits qui leur sont particuliers, ils n’en jouissent qu’en vertu de la possession actuelle d’une dignité, qui bien qu’héréditaire, est originairement un emploi attributif de commandement et d’autorité dans une portion du royaume. C’est en vertu de cette dignité, qu’ils ont plusieurs privileges dans les affaires civiles, comme dans les procès criminels, et qu’ils ont acquis le droit d’entrer de leur chef dans les assemblées représentatives de la nation, où ils forment, sous le nom de Hhambre des Pairs ou de Chambre Haute, un college, un sénat particulier. C’est si bien à la possession de leur dignité, érigée en premier lieu par le roi, que les droits des lords sont attachés, que leurs freres, issus du même sang, ne jouissent point en vertu de leur naissance d’aucune prérogative qui ne leur soit pas commune avec tous les autres citoyens. Si ces freres entrent dans l’assemblée représentative de la nation, c’est seulement dans la Chambre Basse, et comme députés élus volontairement par leurs concitoyens. Les freres des lords, quelque titre que la courtoisie leur fasse donner dans le monde, n’ont aucun privilege dans leurs procés civils ou criminels, et les Anglois ne les comprennent pas sous le nom de noblesse. On ne comprend en Angleterre sous le nom de Nobilti, que les seigneurs. En un mot, le frere du premier pair ou du premier baron d’Angleterre, n’est que du second ordre, en vertu de sa filiation. Il y a plus ; le sujet, fils aîné d’un pair, et qui est appellé au titre de son pere, n’est que du second ordre, tant que son pere vit ; et si pour lors il entre dans le parlement, il n’y entre qu’en qualité de député, élu par ses concitoyens, pour servir dans la Chambre des Communes.

Quoique j’aye été un peu long à traiter la question ; si dans les premiers tems de notre monarchie, la nation des Francs étoit divisée ou non en plusieurs ordres, j’espere que le lecteur ne me reprochera point d’avoir été prolixe hors de propos. Comme je l’ai déja dit dans le discours que j’ai mis à tête de cet ouvrage, il est impossible de bien expliquer le droit public, en usage sous les rois de la troisiéme race : le droit public qui eut lieu dès que les nations differentes qui habitoient les Gaules eurent été confonduës, et n’en firent plus qu’une, si l’on n’a pas bien éclairci auparavant le droit public, en usage sous les rois des deux premieres races ; et le point que je viens de traiter, est un des plus importans dans tout droit public.

LIVRE 6 CHAPITRE 5

CHAPITRE V.

Continuation de ce qui regarde la Nation des Francs en particulier. On reconnoît si les personnes, dont l’Histoire parle, étoient des Romains ou des Barbares, au nom propre qu’elles portoient. Que le Pouvoir Civil fut réuni au Pouvoir Militaire sous les Rois Mérovingiens. Quelle étoit sous ces Princes la Langue commune dans les Gaules.


Aprés avoir vû quelle étoit la loi des Francs, voyons quelles étoient les personnes préposées pour la faire observer. Les rois aussi jaloux d’exercer par eux-mêmes le pouvoir civil que le pouvoir militaire, faisoient souvent les fonctions de premier magistrat. A cet égard ils imitoient les empereurs Romains. On en verra une infinité de preuves dans la suite. Il paroît même par le capitulaire de Childebert II que suivant ce qui se pratique encore en Angleterre, on n’exécutoit aucun citoyen à mort que la sentence de sa condamnation n’eût été renduë, ou du moins confirmée par le prince. Il est dit dans ce capitulaire. » En conséquence de la résolution prise dans le Champ de Mars tenu à Cologne, nous avons ordonné que dès qu’un Juge aura connoissance d’un vol commis dans son ressort, il se transportera à la demeure du malfaiteur, & qu’il s’en assurera. Si le voleur est de condition libre, il sera traduit devant nous ; mais s’il est de condition servile, il sera pendu sur les lieux. »

J’ai traduit ici Francus non point par Franc, mais par Homme de condition libre, fondé sur deux raisons. La premiere, c’est que dès la fin du sixiéme siécle, et le capitulaire de Childebert a été fait vers l’année cinq cens quatre vingt quinze ; Francus signifioit non-seulement un homme de la nation des Francs, mais aussi quelquefois un homme libre en général : c’est-à-dire un citoyen de quelque nation qu’il fût. M Ducange dans son glossaire, prouve très-bien que le mot Francus a été pris souvent dans cette acception-là, car les passages que cet auteur y rapporte ne laissent aucun doute sur ce sujet. Ma seconde raison est que Francus est ici opposé sensiblement à un homme serf de quelque genre que fût son esclavage, et non pas un homme d’une autre nation que celle des francs. Jamais on ne trouvera les citoyens des autres nations que celle des Francs, désignés par l’appellation de Debilior persona, qui revient au capite minutus des Romains. Le titre soixante et dix-neuviéme de la Loi Ripuaire, rapporté ci-dessus, parle encore de voleurs pendus après avoir été jugés par le roi. Il semble, à la maniere dont Thierri fit exécuter Sigvéald, et par l’ordre qu’il donna de faire mourir le fils de Sigévald sans forme de procès, que nos rois jugeoient les criminels en la maniere qu’il leur plaisoit, sans être astraints à aucune forme, et ce qui est plus dur, même sans être obligés d’entendre l’accusé. Cela paroît encore par les termes qu’employent les historiens en parlant de quelques exécutions faites en conséquence d’un jugement du prince. « Rauchingus, Bozon-Gontran, Ursio et Bertefridus, dit Fredegaire, ayant conspiré contre la vie de Childebert, ce prince ordonna lui-même de tuer ces seigneurs. » En un mot, on voit dans differens endroits de notre histoire, que les rois Mérovingiens s’attribuoient le droit de juger leurs sujets, de quelque conditions qu’ils fussent, aussi arbitrairement que le grand seigneur juge les siens. Ils exerçoient sur les particuliers la même autorité que Clovis exerça sur le Franc, qui avoit donné un coup de hache d’armes sur le vase d’argent reclamé par S. Remy. Aussi ces princes ont-ils souvent éprouvé tous les malheurs ausquels les sultans des Turcs sont exposés. Nous reviendrons encore à ce sujet-là, en parlant de l’étendue du pouvoir de nos rois.

Ceux qui commandoient aux Francs immédiatement sous les rois, s’appelloient Seniores, ou les vieillards. Ces Sénieurs, s’il est permis d’employer ici dans cette acception, un mot qui n’est plus en usage parmi nous, que pour signifier les anciens de quelques compagnies, étoient à la fois les principaux officiers du roi, tant pour le civil que pour le militaire. » Parmi les Germains, dit Monsieur de Valois, on appelloit les Sénieurs, ceux qui avoient rempli les principaux emplois civils ou militaires, & ils avoient beaucoup de part au Gouvernement. Lorqu’il arrivoit quelqu’évenement, le Roi les mandoit, & ils lui disoient leur avis en toute liberté. On lit dans les Commentaires de César, que les Ulipéres & les Tancteres, deux Nations Germaniques qui habitoient sur les bords du Rhin, vinrent le trouver, ayant à leur tête leurs anciens & les personnes principales de chaque Nation. » M De Valois, après avoir rapporté plusieurs passages d’auteurs anciens, où il est fait mention des Sénieurs des Germains, ajoute : » Parmi les Francs qui étoient un Peuple Germanique, on appelloit donc les Sénieurs, ceux qui ayant occupé les premiers emplois, soit dans les armées, soit dans le gouvernement civil, soit à la Cour, & se trouvant avancés en âge & décorés en même tems, demeuroient ou dans les Villes de la domination des Rois des Francs, ou bien dans leurs Métairies, comme des personnes, à qui leurs travaux passés avoient acquis le droit de jouir d’un repos honorable. Ils étoient en grande considération, & ils servoient de Conseillers aux Ducs comme aux Comtes lorsqu’ils rendoient la Justice, & de Ministres à nos Rois, à la table desquels ils pou » voient manger. » L’auteur que je continue de traduire, rapporte ensuite des endroits de notre histoire, où il est fait mention de plusieurs Sénieurs des Francs ; après quoi il dit : » Dans un Concile tenu à Clermont, en cinq cens trente-cinq, sous le bon plaisir du Roi Theodebert, il fut ordonné par le cinquiéme Canon : Que les Sénieurs des Francs & les Anciens qui se trouveroient dans leurs Châteaux ou bien à la suite de la Cour, seroient tenus à Pâques, à la Pentecôte, & à Noël, de se rendre chacun dans la Ville Capitale de la Cité où il étoit domicilié, pour y célebrer ces Fêtes avec son Evêque. » Voilà suivant l’apparence, ce qui a fait penser à Monsieur De Valois, que ces Sénieurs fussent ce qu’on appelle des vétérans ou des officiers retirés, que le roi mandoit dans les occasions, pour prendre leur avis. Mais il est sensible par tous les autres passages, que M. De Valois rapporte, comme par ceux qui se trouvent dans le glossaire de Monsieur du Cange[95], que nos Sénieurs étoient les officiers exerçans actuellement un emploi considérable.

On voit même par la vie de saint Faron évêque de Meaux, dans le septiéme siecle, que nos Sénieurs avoient alors des supérieurs qui s’appelloient Archi-Sénieurs. Les Sénieurs ayant été multipliés par tous les évenemens qui multiplient les chefs subalternes d’une nation. Ils n’auront pas pû rendre tous compte, soit au prince lui-même, soit à l’officier préposé par lui, de la portion du gouvernement dont ils étoient chargés. Il aura donc fallu leur donner des supérieurs, avec lesquels ils travaillassent, et qui travaillassent ensuite eux-mêmes avec le roi, ou avec ceux de ses conseillers qui avoient le plus de part à sa confiance. Il est dit dans cette vie, en parlant des ambassadeurs du roi des Saxons, que Clotaire II à qui ces ministres avoient parlé avec insolence, vouloit faire mourir. « Les officiers qui suivoient le roi, et les Archi-Sénieurs s’opposerent avec courage et avec fermeté, à l’exécution de l’arrêt que le roi venoit de prononcer. » Ces Archi-Sénieurs, à qui les Romains avoient donné un nom tiré de la langue latine, sont apparemment les mêmes officiers qui dans la Loi Salique, sont désignés par le nom de Sagibarones, mot Franc latinisé. Le meurtrier de ces personnes-là, étoit condamné à une peine pécuniaire de trois cens sols d’or. En effet, Monsieur Eccard dans son commentaire sur la Loi Salique, fait venir le nom de Sagibarones de deux mots germains, dont l’un signifie une affaire, et l’autre un homme ; de maniere qu’on pourroit traduire Sagibarones, par l’appellation, de gens qui administrent les affaires, ou par celle de Gens des affaires, en usage sous Charles Neuf et sous Henry Trois.

Une partie des Sénieurs restoit donc auprès du roi pour lui servir de conseil, tandis que l’autre demeuroit dans les provinces, pour gouverner les Francs établis dans un certain district. Chacun de ces chefs ou gouverneurs, avoit sous lui, suivant l’ancien usage des Germains, une espece de sénat, composé de cent personnes choisies par les citoyens de ce département. Ces Centenaires, dont il est parlé fréquemment dans les loix nationales des Barbares et dans les capitulaires, aidoient leur supérieur de leur avis, et ils faisoient mettre ses ordres en exécution. Lorsque les Francs étoient commandés pour marcher en campagne, le même officier, qui faisoit les fonctions de juge durant la paix, faisoit celle de capitaine durant la guerre, et il avoit alors sous lui, les mêmes subalternes qui servoient sous lui dans les quartiers. Ils lui étoient également subordonnés dans ses fonctions militaires, et dans ses fonctions civiles.

Nous sçavons bien qu’il y avoit des quartiers de Francs dans plusieurs cités des Gaules. On ne sçauroit douter, par exemple, qu’il n’y en eût dans la cité de Paris, dans celle de Rouen, et dans plusieurs autres. Quand nous traiterons la question ; si les Francs étoient assujettis au payement du subside ordinaire, nous rapporterons des passages de Gregoire de Tours qui font foi, que plusieurs Francs s’étoient habitués dans la cité de Paris. Ce même historien pour dire que le meurtre de Prétéxtat, évêque de Rouen assassiné par ordre de la reine Frédégonde, causa une grande douleur à tous les habitans de la cité de Rouen, soit Francs, soit Romains, s’explique ainsi. » Tous les Citoyens de Rouen, & principalement les Sénieurs des Francs, établis dans la Contrée, ressentirent en apprenant cet évenement, une grande affliction. » Mais nous ne sçavons pas si dans chacune des cités de l’obéissance de Clovis, il y avoit des quartiers de Francs. Il est même apparent, par ce que nous avons observé concernant les conquêtes que Clovis fit sur les Visigots, qu’il y avoit plusieurs cités des Aquitaines, dans lesquelles ce prince n’en avoit pas mis.

La Loi Salique, la Loi Ripuaire, et les capitulaires font souvent mention des Ratchimbourgs, et ils en parlent comme de magistrats, qui avoient beaucoup de part à l’administration de la justice ; mais comme on voit que ces Ratchimbourgs étoient les mêmes que les Scabini ou échevins, et comme il est constant par les capitulaires, que les échevins étoient des officiers choisis par tout le peuple d’un district, pour rendre la justice à tous les citoyens de quelque nation qu’ils fussent, suivant la loi de chacun d’eux ; je ne les mettrai point au nombre des officiers particuliers à la nation des Francs. Les Francs exerçoient bien ces emplois municipaux, ainsi que les autres barbares, et ainsi que les Romains mêmes, mais ce n’étoit point par la vocation des Francs seuls, c’étoit par celle de tout le peuple de la cité où ils étoient domiciliés.

Les Francs avoient deux assemblées, le Champ de Mars, et le Mallus ou Mallum. Sous le regne de Clovis, et sous celui de ses prédécesseurs, le Champ de Mmars étoit une assemblée annuelle et générale des Francs de la même tribu, qui obéissoient au même roi par consequent, et dans laquelle ils prenoient sous la direction de leur prince, toutes les résolutions qu’il convenoit de prendre pour le bien général de la tribu. Cette assemblée s’appelloit le Champ de Mars, parce qu’elle se tenoit dans le mois de mars. Comme la saison pour entrer en campagne arrive peu de tems après, l’ardeur que les Francs emportoient du Champ de Mars, n’avoit point le tems de se réfroidir. Cependant les Francs ne laissoient point d’avoir encore après la tenue de cette assemblée le loisir de préparer leurs armes, et d’amasser les vivres nécessaires à leur subsistance. Chaque soldat comme chaque officier, étoit alors obligé de pourvoir à la sienne quand il étoit à l’armée. Voilà ce qu’étoit le Champ de Mars, avant que Clovis eût réuni toutes les tribus des Francs sous son gouvernement, et qu’il les eût établies dans les Gaules.

Lorsque tous les Francs furent devenus sujets de Clovis, et qu’ils eurent été dispersés dans cette vaste contrée, on voit bien qu’il n’étoit plus possible de les assembler chaque année, et de déliberer sur les affaires importantes dans un conseil si nombreux. L’ancien Champ de Mars fut donc aboli sous les successeurs de ce prince. Pour m’exprimer suivant nos usages, les affaires de justice, police et finance se décidoient dans le Cabinet du roi. Ce n’étoit que par occasion qu’on parloit des plus importantes dans l’assemblée dont nous allons parler, et qui avoit été substituée à l’ancien Champ de Mars dont elle tenoit lieu, quoiqu’elle en fût differente dans ses circonstances principales. En premier lieu, les citoyens de la nation des Francs n’étoient pas les seuls qui entrassent dans le nouveau Champ de Mars. En second lieu, il ne se tenoit pas régulierement toutes les années, mais seulement lorsqu’il étoit question de faire une campagne. Il n’étoit proprement qu’un grand conseil de guerre.

Voici un passage d’un des continuateurs de la chronique de Frédegaire, où il s’agit de la guerre que Pepin eut contre les Aquitains, et dans lequel on voit distinctement quelle sorte d’assemblée étoit le Champ de Mars à la fin de la premiere race et au commencement de la seconde. » En l’année sept cens soixante & six, dit cet Auteur, Pepin assembla l’armée des Francs, ou pour mieux dire, l’armée des Nations qui composoient le Peuple de la Monarchie, & il s’avança jusqu’à Orleans. Là il tint son Conseil de guerre en forme de Champ de Mai, car ce Prince est le premier qui ait remis au mois de Mai l’Assemblée qui devoit se tenir au mois de Mars. Tous les Francs & tous les Grands de l’Etat, lui firent là des présens considérables. » Rien ne montre mieux, combien l’essence du Champ de Mars étoit changée, que d’y voir entrer des officiers de toutes les nations sujettes de la monarchie. Mais comme elles servoient toutes nos rois dans leurs guerres, ainsi et de même que celle des Francs, il falloit que les généraux nationaux fussent du conseil de guerre. On lit encore dans un ancien annaliste de la seconde race. » En l’année sept cens quatre-vingt-neuf, le Roi Charlemagne s’étant mis à la tête des Francs & des autres Nations, il entra hostilement dans le Pays des Vilciens. »

Quant au Mallus, que nous appellerons, quoiqu’un peu abusivement, les Assises, il se tenoit par les officiers préposés à cet effet, et qui alloient de contrée en contrée, rendant la justice à toute une province. Quand les tribus des Francs habitoient encore au-de-là du Rhin, et quand chaque tribu ne jouissoit que d’un petit territoire où il ne se trouvoit encore que des citoyens de cette nation, il n’y avoit qu’une compagnie de judicature, qu’une cour de justice dans chaque royaume. Mais lorsque la nation réunie en deux tribus, se fut répandue dans les Gaules, il y eut apparemment dans chaque quartier de Francs une semblable compagnie, qui se transportoit successivement dans les differens lieux de son district, pour y rendre justice aux Francs, qui avoient des contestations avec d’autres Francs. On voit par les capitulaires, que cette assemblée étoit sédentaire du tems des rois de la seconde race, ou que du moins elle avoit en plusieurs lieux des tribunaux fixes, et qu’elle y rendoit la justice à des jours marqués.

Les ordonnances des rois défendent à ces compagnies de tenir leurs scéances dans les églises, ni sous les porches des églises, et elles enjoignent aux comtes de faire construire des bâtimens, où elles puissent vacquer à l’abri des injures du tems, aux fonctions de leur ministere. Nous verrons en parlant du gouvernement general du royaume, que dans la suite, le tribunal de judicature dont nous parlons, rendit la justice, non-seulement dans les contestations survenues entre des Francs et des Francs, mais aussi entre des Francs et des citoyens des autres nations, et que le Mallum devient un tribunal commun ; une chambre mi-partie, ou composée à la fois de Francs ou d’autres Barbares, et de Romains, afin qu’il s’y trouvât des juges instruits dans toutes les loix, suivant lesquelles les procès devoient être décidés.

Il y avoit encore d’autres tribunaux inférieurs à celui-là, que le comte ou le gouverneur particulier d’une cité convoquoit, où, et quand il lui plaisoit, et qui pouvoient terminer les procès de peu d’importance, et juger provisionnellement les autres.

On se figure communément que durant le sixiéme siécle et les siécles suivans, les Francs non-seulement faisoient tous profession des armes, mais encore qu’ils n’exerçoient aucune autre profession que celle d’aller à la guerre. C’est même principalement sur cette fausse idée, qu’on a bâti le sistême chimérique, qui fait venir de ces Francs, l’ordre de la Noblesse existant aujourd’hui dans le royaume, et qui voudroit revêtir cet ordre d’une infinité de prérogatives et de droits, qu’on trouve bon d’attribuer à nos Francs, mais dont ils ne jouirent jamais. Nous allons voir qu’il en étoit des Francs comme des Romains, et des autres nations qui habitoient dans les Gaules. Tous les citoyens de ces nations, faisoient bien profession des armes en un sens, parce que, comme il n’y avoit pour lors, que très-peu de troupes reglées, ils se trouvoient souvent dans l’obligation de manier les armes. Il y en avoit même quelques-uns d’entre eux, qui faisoient plus particulierement profession des armes, parce qu’ils composoient la milice ordinaire des Gaules, ou celle qui étoit toujours commandée pour marcher en campagne dès qu’il y avoit guerre. Tels étoient parmi les Romains, ceux qui possedoient encore des benefices militaires, et les soldats des légions, qui étoient passées en quatre cens quatre-vingt dix-sept au service de Clovis. Tels étoient les Francs qui possedoient les terres Saliques, dont nous parlerons incessamment. Mais si ceux des Francs, qui étoient dans une obligation particuliere d’aller à la guerre, ne faisoient point d’autre profession que celle des armes, du moins ceux qui n’avoient d’autre obligation de servir, que celle qui étoit commune à tous les citoyens, ne laissoient pas d’exercer d’autres professions, et d’en faire leur occupation ordinaire. En un mot, il y avoit des Francs dans tous les états et conditions de la societé.

Dès que la nation eut été établie dans les Gaules, et qu’elle eut embrassé le christianisme, il y eut plusieurs Francs qui entrerent dans l’état ecclésiastique, et qui prirent les ordres sacrés. Monsieur De Valois, après avoir fait l’énumeration des évêques qui signérent les actes du concile tenu dans Orleans, la vingt-sixiéme année du regne de Childebert fils de Clovis, dit qu’on reconnoît au nom que portoient trois des prélats qui les ont souscrits, sçavoir Lauto évêque de Coutance, Lubenus évêque de Chartres, et Ageric évêque de Verdun, qu’ils étoient sortis tous trois de la nation des Francs. Les actes d’un autre concile nationnal tenu à Orleans la trente-huitiéme année du regne du même Childebert, font aussi foi qu’il y avoit dès-lors plusieurs Francs déja parvenus à l’épiscopat. Les actes de ce concile sont souscrits par Genotigernus évêque de Senlis, par Saffaracus évêque de Paris, et par Medoveus évêque de Meaux. On voit par le nom de ces trois évêques, qu’ils étoient Barbares, et comme probablement il n’y avoit gueres alors d’autres Barbares établis dans leurs diocèses que des Francs, et comme d’ailleurs c’étoit le peuple qui élisoit ses évêques, il paroît évident que nos trois prélats étoient des Francs qui s’étoient engagés dans les ordres, et qui avoient été élûs par les bons offices de leurs compatriotes. Les actes du concile tenu à Paris en cinq cens cinquante-sept, sont souscrits par douze évêques Romains, et par trois évêques Barbares de nation. On voit encore par les actes des conciles suivans, que le nombre des évêques sortis des nations barbares, alloit toujours en augmentant dans les Gaules par proportion au nombre des évêques Romains de nation, qui diminue de concile en concile. Un passage d’Agathias[96] qui a été rapporté, dit aussi, que les Francs, dans le tems que cet historien écrivoit, c’est-à-dire, un peu-après le milieu du sixiéme siécle, avoient des évêques sortis de leur nation, et un endroit de Theganus que nous avons fait lire dans le chapitre precedent, montre que la plûpart des évêques qui manquerent à la fidélité qu’ils devoient à Louis Le Débonnaire, étoient ou des serfs affranchis qu’il avoit élevés à l’épiscopat, ou des Barbares parvenus à cette dignité.

Suivant l’apparence, Leuto, Génotigernus et les autres Francs que nous trouvons évêques dès le milieu du sixiéme siecle, n’avoient point été élûs avant que d’avoir pris les ordres sacrés, ni même peu de tems après les avoir pris. Il est même apparent que les peuples n’auront pas choisi pour leurs évêques les premiers Francs qui auront pris les ordres. Dans chaque diocèse, le peuple, qui pour la plus grande partie étoit composé de Romains, aura voulu sçavoir par l’expérience, avant que d’élire des Francs pour ses évêques, si les personnes de cette nation étoient propres au gouvernement ecclésiastique, dont l’esprit est si fort opposé à celui du gouvernement militaire. Il aura fallu du tems aux ecclésiastiques Francs de nation pour faire revenir les Romains de la prévention, dans laquelle il étoit naturel qu’ils fussent, contre l’administration d’un évêque né Barbare. D’ailleurs, quoique Leuto, Ageric, Genotigernus, Saffaracus et Medoveus, soient les premiers évêques Francs que nous connoissions, il se peut bien faire qu’il y en ait eu d’autres auparavant. Si tous les évêques des pays de la domination de Clovis, se fussent trouvés au premier concile d’Orleans, peut-être verrions-nous parmi les souscriptions faites au bas de ses actes, la signature de dix ou douze évêques Francs de nation.

Mais dira-t’on, tout ce que vous avancez, concernant la nation dont étoient Genotigernus et les autres évêques, qui ont souscrit les actes des conciles nationaux que vous citez, et concernant la nation des évêques qui ont souscrit les actes des conciles postérieurs dont vous avez parlé, n’est point fondé sur les actes de ces conciles. Il n’y est point dit que ces évêques fussent Francs. Chacun des évêques qui les ont signés, a bien ajouté à son nom propre le nom du diocèse dont il étoit évêque, mais il n’y a pas joint le nom de la nation dont il étoit sorti. Saffaracus énonce bien, par exemple, dans la souscription qu’il étoit évêque de Paris, mais il n’y dit point qu’il fût Franc de nation ; d’où tenez-vous le secret de leur naissance ?

Je réponds que leur nom propre fait suffisamment connoître qu’ils n’étoient pas Romains, et par conséquent qu’ils étoient Barbares. Tous les écrivains célébres pour avoir illustré notre histoire, supposent, et même quand la question se presente, ils soutiennent expressément, que par le nom que portoit une personne qui vivoit dans le cinquiéme siecle et dans les siecles suivans, on reconnoît si elle étoit Romaine ou Germaine de nation. Monsieur l’abbé Fleuri de l’Académie françoise, juge très-souvent sur le nom de ceux dont il s’agit, de laquelle des deux nations ils étoient. C’est sur le nom des évêques qui ont souscrit les actes des conciles des Gaules, qu’il juge que jusqu’au huitiéme siecle, la plupart d’entr’eux ont été Romains. Mais je me contenterai de faire lire ici ce que dit à ce sujet-là Monsieur De Valois[97], parce que les autres auteurs sont de même sentiment que lui. Ce sçavant homme, après avoir rapporté ce qu’on lit dans Gregoire De Tours[98], concernant Deuteria, l’une des femmes du roi Theodebert, fils de Thierri I ajoute : » On voit assez par le nom seul de Deuteria qu’elle étoit Gauloise, ou comme on le disoit alors, Romaine ; car on doit sçavoir, que toutes les personnes de ce tems-là, dont notre Histoire fait mention, & qui portent un nom Grec ou Romain, étoient Gauloises. Les noms propres Gaulois avoient cessé depuis long-tems d’être en usage. Au contraire, on doit tenir pour Francs de Nation, ou du moins pour Germains, les personnes de ce tems-là, qui portent des noms tirés de la Langue Germanique. On peut même, en suivant ce principe, distinguer les Vandales des Romains d’Afrique, les Visigots des Romains d’Espagne, les Ostrogors des Romains d’Italie, enfin les Bretons Insulaires des Anglois. » Monsieur de Valois, qui dans le passage dont on lit la traduction, traite d’un évenenement arrivé vers le milieu du sixiéme siecle, ajoute : » Il est vrai que dans les tems postérieurs, quelques-uns des Francs, non-contens d’épouser des femmes Gauloises, prirent aussi des noms & des surnoms Romains, & que d’un autre côté, quelques-uns des Romains prirent des noms Francs. C’est ce qu’il suffira d’avoir remarqué une fois. »

Je dirai en passant, qu’on peut confirmer par le témoignage de l’Abbréviateur, ce qu’avance Monsieur De Valois en conséquence de son principe général, concernant Deuteria la femme de Theodebert en particulier ; l’Abbréviateur écrit en termes exprès, que cette Deuteria, étoit Romaine de nation.

En effet, comme la plupart des noms propres viennent de quelque mot de la langue maternelle, de ceux qui les portent, il s’ensuit qu’on connoît de quelle nation sont les personnes que l’histoire nomme, dès qu’on peut sçavoir de quelle langue sont dérivés les noms propres que l’Histoire leur donne. Ainsi nous pouvons aisément reconnoître les Romains à leur nom, tirés du latin ou du grec, qui étoit devenu une langue très-commune parmi eux. Quant aux noms barbares, on les reconnoît pour tels, soit parce qu’on sçait ce qu’ils signifient en langue Germanique, soit parce qu’on en voit porter de semblables à des personnes, qu’on sçait d’ailleurs avoir été Barbares, soit enfin parce qu’ils ne sont pas Romains. Je n’en dirai point davantage sur ce sujet, dans la crainte qu’il ne parût, si je le traitois plus au long, que j’aurois voulu m’approprier comme une nouvelle découverte, une observation faite par d’autres, et suffisamment autorisée par le nom seul de ses auteurs.

Au reste comme les Francs, qui prenoient le parti de l’état ecclésiastique, se faisoient couper les cheveux pour s’habiller à la façon des Romains, et comme tout ecclésiastique, vivoit selon la loi romaine, ces Francs étoient réputés avoir quitté leur nation pour se faire de la nation des Romains, et par conséquent ils étoient tenus pour inhabiles à remplir aucune des dignités particulieres à la nation des Francs, et sur tout à parvenir à la royauté, où il est bien apparent que l’on ne pouvoit point aspirer sans être de cette nation. La raison le veut ainsi, et d’ailleurs il est certain qu’on ne pouvoit pas prétendre à la royauté des Visigots qu’on ne fût Visigot, ainsi qu’il est déclaré dans un canon du cinquiéme concile de Tolede, tenu depuis la conversion des Visigots à la religion catholique. Voilà pourquoi Clovis, comme nous l’avons vû, fit couper les cheveux à Cataric et à ses enfans, lorsqu’il voulut les rendre incapables d’être rois d’aucune des tribus des Francs. Voilà pourquoi Childebert et Clotaire donnerent à sainte Clotilde le choix de voir couper les cheveux des fils de Clodomire, dont ils vouloient usurper le royaume, ou de voir poignarder ces jeunes princes. Enfin voilà pourquoi saint Cloud, le troisiéme des fils de Clodomire, fut regardé comme mort civilement pour les Francs, dès qu’il eut coupé ses cheveux, et qu’il se fut fait ecclésiastique. Aussi Gregoire de Tours observe-t’il, que ce prince se coupa les cheveux de sa propre main, et pour ainsi dire, que ce fut lui-même qui s’immola. Qu’il me soit permis de hazarder une conjecture ? Il n’est point apparent, que l’on coupât les cheveux au Franc qui se faisoit ecclésiastique, sans quelque cérémonie. Un acte tel que celui-là qui changeoit l’état d’un citoyen, devoit être un acte autentique, et dont il restât des preuves. Je conjecture donc qu’il a donné lieu à la cérémonie de la tonsure, qui est le premier pas pour entrer dans l’état ecclésiastique. Ce qui peut appuyer cette pensée, ce sont les paroles que la personne à qui l’on confere la tonsure, profere, dans le tems même que l’évêque lui coupe les cheveux, et qui signifient, que celui qui la reçoit, est dans la confiance que le Seigneur lui restituera son héritage ; c’est-à-dire, que la Providence le recompensera de l’héritage auquel il renonce en se faisant ecclesiastique. Les Romains, suivant ce principe, ne devoient pas être assujettis à cette cérémonie pour entrer dans la cléricature. Mais c’est assez conjecturer.

On peut bien croire que les Francs qui étoient concitoyens du chef de la monarchie, avoient la principale part à ses dignités, et que plusieurs d’entr’eux furent employés comme ducs et comme comtes. Ceux qui étoient revêtus de ces dignités, exerçoient en même tems le pouvoir civil et le pouvoir militaire chacun dans son district. La séparation de ces deux pouvoirs, que Constantin Le Grand avoit introduite dans l’empire, cessa dans les Gaules en même tems que la domination des empereurs. C’est ce qui paroît en faisant quelqu’attention sur differens endroits de notre histoire. Nous en rapporterons plusieurs. On y voit que les ducs qui étoient des officiers purement militaires sous les derniers empereurs, se mêloient des affaires civiles sous nos premiers rois, dont ils ne laissoient pas de commander les armées.

Mais il suffira pour bien établir la verité de ce fait, que la séparation du pouvoir militaire et du pouvoir civil, avoit cessé sous Clovis et sous ses successeurs, d’alleguer ici celle des formules de Marculphe, qui contient le modelle des provisions qui se donnoient alors, soit aux patrices, soit aux ducs, soit aux comtes. En premier lieu, il est dit dans cette formule : qu’on ne doit conferer les dignités ausquelles l’administration de la justice est spécialement attachée, qu’à des personnes d’une vertu et d’un courage éprouvés. Il est enjoint en second lieu au pourvû de rendre la justice à tous les sujets de la monarchie, conformément à la loi, suivant laquelle vit chacun d’entr’eux. Nous parlerons plus au long de cette formule, et nous en donnerons même un assez long extrait dans le chapitre neuviéme de ce sixiéme livre.

Cette gestion du pouvoir civil, n’étoit point, je l’avoue, particuliere aux Francs. Elle leur étoit commune avec d’autres Barbares. Mais ce qui étoit particulier aux Francs, c’est que comme l’observe Agathias, dans un endroit de son histoire que nous avons déja rapporté, ils entroient dans les sénats des villes, et qu’ils exerçoient les fonctions des emplois municipaux.

Nous avons eu occasion de dire plus d’une fois, que les Barbares qui ont ruiné l’empire Romain, n’aimoient point le séjour des villes. » Quand les Barbares, dit Ammien Marcellin, se sont rendus Maîtres d’une Cité, ils ne s’établissent que dans son plat-pays, car ils ont une aversion pour le séjour des Villes, qu’ils regardent comme des buissons semés de pieges & environnés de filets. » Suivant Cassiodore, le nom de Barbare étoit composé de deux mots latins, dont l’un signifie Barbe, et l’autre Campagne. On leur donne, dit notre auteur, ce nom-là, parce qu’ils demeurent toujours à la campagne, et qu’ils ne veulent point habiter dans les villes. Il est vrai que l’étimologie de Cassiodore ne vaut rien, mais le fait dont cet auteur la tire n’est pas moins certain, puisqu’il n’a pû écrire que ce qu’on voyoit de son tems.

Les Francs differens en cela des autres Barbares, demeuroient non-seulement dans les villes, mais ils y exerçoient encore les emplois municipaux. Non-seulement on voit par la Loi Salique et par la Loi Ripuaire, qu’il y avoit des Ratchimbourgs de la nation des Francs[99], et qui administroient la justice sous la direction des comtes, mais que ces Ratchimbourgs, quoique Francs, puisqu’ils étoient soumis aux deux loix des Francs, s’étoient, pour ainsi dire, tellement métamorphosés en Romains, qu’ils vouloient juger les procès des Francs, non pas selon la loi nationale des Francs, mais selon le droit Romain.

» Lorsque les Ratchimbourgs, dit la Loi Salique, seront venus au Tribunal, pour juger un procès entre deux Francs, ou dans lequel un Franc soit Défendeur, le procès étant suffisamment instruit, le Demandeur les requerera de rendre leur Jugement suivant la Loi Salique. Si les Ratchimbourgs ne rendent point leur Sentence suivant la Loi Salique, ils seront condamnés à une amende de quinze sols d’or applicable à la Partie qui aura perdu son procès. »

La loi des Ripuaires est encore plus sévere à cet égard, que la loi des Saliens, puisqu’elle condamne chaque Ratchimbourg en son propre et privé nom, à la même peine pécuniaire, à laquelle tous les Ratchimbourgs sont condamnés collectivement dans la loi des Saliens. » Si dans un procès, dit la Loi des Ripuaires, les Ratchimbourgs refusent de prononcer suivant la Loi Nationale, alors la Partie à laquelle ils auront fait perdre le procès, dira : Je vous somme de juger conformément à la Loi des Ripuaires. Si les Racchimbours refu sent de prononcer ainsi, & qu’il y ait preuve du fait, chacun d’eux sera condamné à payer quinze sols d’or d’amende. »

On voit bien qu’il s’agit dans ces deux articles, non pas de juges qui auroient renvoyé un coupable absous, condamné un innocent, déchargé un débiteur, en un mot, prononcé contre la justice, mais de juges qui n’auroient pas voulu se conformer à la disposition d’une certaine loi, en condamnant un coupable, en renvoyant l’innocent absous, en prononçant une sentence juste au fond. Ces articles de la loi des Francs sont rélatifs au serment que faisoient nos rois, de faire rendre bonne justice à chacun de leurs sujets, et de la faire rendre à chacun suivant la loi de la nation, dont il étoit citoyen. Il n’est pas étonnant que des juges qui avoient quelque lumiere, aimassent mieux dans plusieurs cas, se conformer en prononçant leurs sentences aux loix du droit Romain, qui sont la raison écrite, que de suivre servilement ce qui étoit statué dans des loix grossieres, et faites par des législateurs encore à demi sauvages.

On ne m’objectera point, à ce que j’espere, que les Francs ne sçachant point le latin, ils n’étoient gueres propres à remplir les emplois que je leur fais exercer. On a vû que dès le regne de Childeric, et quand ils n’étoient encore établis que sur la lisiere des Gaules, ils entendoient déja generalement parlant, la langue latine. Dès qu’ils auront été domiciliés dans le centre des Gaules, la nécessité d’entendre la langue ordinaire du pays, aura obligé ceux qui ne sçavoient pas encore le latin à l’apprendre. Paris devint sous le regne de Clovis le séjour ordinaire du roi des Francs et des principaux citoyens de cette nation. Si les peres avoient mal appris la langue latine, les enfans nés dans les Gaules, et élevés parmi ceux des Romains, l’auront mieux apprise, même sans l’étudier.

Enfin, les Francs, comme nous l’avons fait remarquer, étoient une nation peu nombreuse, et lorsqu’ils se furent dispersés dans les Gaules, il falloit qu’ils fussent dans presque toutes les cités, en un nombre moindre que celui des anciens habitans, dont la langue commune étoit le latin. Or toutes les fois que deux peuples qui parlent des langues differentes, viennent à cohabiter dans le même pays, de maniere que leurs maisons, ne forment point des quartiers separés, mais qu’elles sont entremêlées, le peuple le moins nombreux apprend insensiblement la langue du plus nombreux. Il arrive même après quelques générations, que le peuple le moins nombreux, oublie sa langue naturelle, pour ne parler plus que la langue du plus nombreux, à moins que le gouvernement ne s’en mêle, et qu’il ne fasse des efforts continués durant long-tems, pour obliger le peuple le plus nombreux à parler la langue de l’autre. Combien croit-on qu’il en ait coûté de soins et de peine aux empereurs, pour obliger les Gaulois, qui dans leur patrie, étoient en plus grand nombre que les Romains, à parler latin ? Combien de Gaulois auront-ils été éloignés de tous emplois, parce qu’ils ne sçavoient pas le latin ? Et combien d’autres auront-ils été avancés, parce qu’ils le sçavoient ? Rome, dit saint Augustin, s’étoit fait une affaire sérieuse d’imposer aux nations vaincues, l’obligation de parler sa langue, après leur avoir imposé l’obligation de lui obéir.

Quelle étoit d’ailleurs la condition des Gaules sous les empereurs ? Elles étoient, comme il l’a été dit déja, une des provinces de l’empire Romain. Ainsi le latin qu’on faisoit aprendre aux Gaulois, étoit, pour ainsi dire, la langue vulgaire de la monarchie. On ne pouvoit point, sans sçavoir cette langue, être officier de l’empire. Il y avoit même eu des personnes nées citoyens Romains, qu’on avoit dégradées et privées de l’état dont elles jouissoient en vertu de leur naissance, parce qu’elles ne sçavoient point parler latin. On pouvoit, au contraire, être employé dans toutes ses provinces, dès qu’on sçavoit cette langue. Ainsi les Romains seront venus à bout d’obliger les Gaulois à parler latin. Il est encore vrai que les souverains qui veulent imposer au grand nombre la necessité de parler la langue du petit nombre, ne reussissent pas toujours. Quelques efforts qu’aïent fait les rois Normands, pour obliger l’ancien habitant de l’Angleterre à parler la langue qu’ils parloient dans le tems qui la conquirent, ils n’ont pû en venir à bout. Le peuple conquerant a été enfin obligé à parler la langue du peuple conquis. Il est bien resté dans la langue vulgaire d’Angleterre plusieurs mots François, mais au fond cette langue est demeurée un idiome de la langue Germanique.

Or nous ne voyons pas que les rois Francs, ayent jamais entrepris d’engager les Romains des Gaules à étudier et à parler la langue naturelle des Francs, ni que ces princes ayent jamais tenté de la rendre, pour user de cette expression, la langue dominante dans leur monarchie. Au contraire, nos premiers rois se faisoient un mérite de bien parler latin. Fortunat loue le roi Charibert, petit-fils de Clovis, de s’énoncer en latin mieux que les Romains mêmes. » Que vous devez être éloquent, dit-il à ce Prince, quand vous vous exprimez dans la langue de vos Peres, vous qui êtes plus éloquent que nous autres Romains nous ne le sommes, quand vous vous exprimez dans notre langue naturelle. » Dans un autre poëme, Fortunat loue un frere de Charibert, le roi Chilpéric, en s’adressant à lui-même, d’entendre sans interprête les differentes langues dont ses sujets se servoient. Le plus grand nombre de ces sujets étoit Romain. Enfin tous les actes faits sous la premiere race, et que nous avons encore, sont en latin.

Nos rois laissant donc aller les choses suivant leur cours ordinaire, il a dû arriver que dans leurs Etats, la langue du plus grand nombre, devînt au bout de quelques générations, la langue ordinaire du petit nombre. Ainsi dès la fin du sixiéme siécle, on aura generalement parlé latin dans quinze des dix-sept provinces des Gaules, parce que les anciens habitans de ces quinze provinces, étoient des Gaulois devenus Romains, et parce qu’ils étoient en plus grand nombre que les Francs et les autres Barbares, qui avoient fait des établissemens dans ces quinze provinces.

En effet, la langue qui s’y est formée dans la suite, par le mélange des langues differentes, que leurs habitans parloient dans le sixiéme siécle, et dans les trois siécles suivans, n’est qu’une espece d’idiome dérivé de la langue latine, dans lequel on ne s’est point assujetti à se conformer aux regles que la sintaxe de cette langue prescrit pour décliner les noms, et pour conjuguer les verbes. Si ces regles rendent la phrase plus élegante, elles sont en même tems, et plus difficiles à bien apprendre comme à observer, que les regles des déclinaisons et des conjugaisons de nos langues modernes. D’ailleurs ces dernieres regles étoient déja, suivant l’apparence, en usage dans les langues Germaniques. En effet, notre langue Françoise est presque toute entiere composée de mots latins. Le nombre des mots de la langue Celtique et de la langue Germanique, qui entrent dans la langue Françoise est petit. Il est vrai que parmi les quinze provinces des Gaules, où cette langue est la langue vulgaire, il y en a trois, où dans une portion du pays, il se parle une langue differente. On parle vulgairement l’ancien Celtique ou le bas-Breton sur les côtes de la troisiéme Lyonoise. Dans la partie orientale de la province Séquanoise, je veux dire, dans la partie de la Suisse, qui s’étend depuis la droite du Rhin jusqu’à ceux des pays de la Suisse qui sont de la langue Françoise, on parle le haut Allemand, qui est un idiome de l’ancienne langue Germanique. Enfin, on parle Flamand, un autre idiome de la langue Germanique, dans la partie septentrionale de la seconde Belgique, je veux dire, dans la Flandre flamingante, et dans presque tout le duché de Brabant.

La raison de ces trois exceptions à la regle générale est connue. Nous expliquerons ce qui concerne la troisiéme Lyonoise, en parlant de l’établissement de la colonie des Bretons insulaires sur les côtes de cette province. Quant à la partie septentrionale de la seconde Belgique, la plûpart de ses habitans, comme nous l’avons dit ailleurs, étoient Germains dès le tems des anciens empereurs, et Charlemagne y transplanta encore des milliers de Saxons, dont la langue vulgaire étoit la langue Teutone. Nos Germains y faisoient donc le plus grand nombre, et ce furent eux qui défricherent et mirent en valeur les marais de cette contrée. Pour ce qui regarde la Suisse, les Allemands une autre nation Germanique avoient établi dès le cinquiéme siécle, comme nous l’avons dit, une puissante colonie dans les pays, qui sont entre le Rhin et le lac de Genéve.

Il y a véritablement deux des dix-sept provinces des Gaules, où l’on parle aujourd’hui Allemand. Ce sont les deux Germaniques, ausquelles on peut ajouter peut-être quelque portion de la premiere Belgique. Mais comme il a déja été observé dans le premier livre de cet ouvrage, les peuples qui les habitoient dans le cinquiéme siécle, et que les Francs y trouverent déja établis, étoient originairement des Germains. Quelques-uns d’entr’eux y avoient été transplantés par les empereurs en differens tems, et quelques-uns y étoient même domiciliés depuis peu. D’ailleurs ce fut dans ces deux provinces que les Francs dûrent s’habituer plus volontiers que dans aucune autre contrée des Gaules. Ainsi dans le sixiéme siécle, les Germains s’y sont trouvés en plus grand nombre que les Romains, et peu à peu ils auront donné leur langue à ces derniers. La même cause qui aura fait que dans quinze provinces des Gaules, les Francs et les autres Germains auront appris à parler latin, ou une langue dérivée presqu’entierement du latin, aura fait que dans les deux autres provinces, les Romains auront appris à parler la langue Tudesque.

Je reviens à la condition des Francs sous Clovis et sous ses premiers successeurs. Nous avons vû que quelques-uns entroient dans l’état ecclésiastique, que d’autres, qui possedoient les terres Saliques, étoient proprement enrôlés dans la milice du royaume, que d’autres remplissoient les places les plus importantes du gouvernement, qu’enfin d’autres entroient dans les emplois municipaux. Quant au reste des citoyens, il vivoit, ou de son bien, ou de son industrie. En effet, comme on ne voit pas qu’il y eût alors de troupes reglées composées de Francs, la solde du prince n’étoit point comme elle l’est aujourd’hui, une ressource toujours prête pour ceux qui n’ont point un patrimoine suffisant à s’entretenir, et qui cependant ont de l’éloignement pour les professions lucratives. Les terres Saliques qui se partageoient entre les enfans mâles du dernier possesseur, n’enrichissoient pas toujours ceux qui étoient appellés à ces benefices militaires. D’ailleurs un pere pouvoit appeller ses filles à partager avec leurs freres, les terres qu’il possedoit librement, et dont il étoit proprietaire. Ainsi je ne fais aucun doute que les Francs, sur-tout ceux qui demeuroient dans les villes, n’y exerçassent toutes sortes de professions. Ils subsistoient dans les Gaules à peu près, comme ils avoient subsisté dans les bourgades de l’ancienne France, de la France Germanique. Cette nation n’étoit point assez malheureuse dans les tems qu’elle habitoit encore sur la rive droite du Rhin, pour n’être composée que de gentilshommes ou de citoyens, qui n’eussent d’autre métier que celui de faire la guerre. Comment auroit-elle subsisté ? Il falloit donc que dès-lors, une partie des Francs fissent leur principale occupation, les uns de labourer la terre, les autres de nourrir du bétail, et les autres de la profession des arts qui sont nécessaires dans toutes les societés, même dans celles où le luxe n’est pas encore connu. Les guerres et les acquisitions de Clovis auront bien fait quitter pour quelques années à la plûpart de nos Francs, leurs emplois ordinaires, pour venir chercher fortune dans les Gaules ; mais quand la guerre aura été finie, quand il n’y aura plus eu moyen de subsister de sa solde et de son butin, il aura fallu que tous ceux qui n’avoient point amassé un fonds de bien suffisant à les faire vivre sans travailler, retournassent à leur premiere profession. Du moins leurs enfans l’auront reprise. Les conquêtes de Clovis n’enrichirent pas tous les Francs, parce que, comme nous le dirons plus bas, ce prince ne fit point ce qu’avoient fait les rois des Visigots, ceux des Bourguignons et ceux des Ostrogots, qui lorsqu’ils s’établirent dans les Gaules et dans l’Italie, ôterent à l’ancien habitant du pays, une partie de ses terres, pour la distribuer entre les Barbares qui les suivoient.

Les Francs enfin auront fait dans les Gaules, ce qu’avoient fait d’autres Barbares, qui s’étoient établis avant eux sur le territoire de l’empire. Orose qui vivoit dans le cinquiéme siécle, et que nous avons déja cité à ce sujet, dit de ces barbares, qu’après s’être convertis à la religion chrétienne, ils avoient remis l’épée dans le fourreau, pour se mettre à labourer, et que dans le tems qu’il écrivoit, ils vivoient avec les Romains échappés aux fureurs des dernieres guerres, comme avec des concitoyens.

Ennodius[100], auteur du sixiéme siécle dit, que les Allemands, à qui Theodoric avoit donné après la défaite de leur nation par Clovis, des établissemens en Italie, y cultivoient une terre facile à labourer. Enfin, nous avons cité dans le premier livre de cet ouvrage, un passage de Socrate[101], qui fait foi que la plûpart des Bourguignons gagnoient leur vie au mêtier de maçon, à celui de forgeron, ou à celui de charpentier.

Quoique l’histoire ne se mette point en peine d’informer la postérité des détails, pour ainsi dire, domestiques, de la nation dont elle parle, nous trouvons néanmoins dans nos annales, quelques preuves de ce que nous venons d’avancer, et que le hazard seul y a fait inserer. Elles font mention de plusieurs artisans qui vivoient dans le sixiéme siécle, et qu’on peut sur le nom qu’ils portoient, juger avoir été Barbares de nation. On trouve encore dans Frédegaire, qu’en l’année six cens vingt-trois, un nommé Samo, Franc de nation et du canton de Soignies, fit une societé avec plusieurs autres marchands, pour aller trafiquer dans le pays des Esclavons. Tous les termes dont se sert Frédegaire, sont décisifs.


LIVRE 6 CHAPITRE 6

CHAPITRE VI.

Des Bourguignons.


On a déja vû quelle étoit la nation des Bourguignons, dans quelle contrée des Gaules elle s’étoit établie, et comment elle passa sous la domination de nos rois. Quoique Procope ne dise point dans l’endroit de son histoire où il raconte cet évenement, qu’un des articles de la capitulation des Bourguignons avec les rois Francs avoit été, que les Bourguignons ne seroient point incorporés dans aucun autre peuple, mais qu’ils demeureroient toujours en forme de nation distincte des autres, et qui continueroit à vivre suivant sa loi particuliere ; on doit supposer néanmoins que cette capitulation contînt quelque stipulation pareille. En effet, les Bourguignons subsisterent en forme de nation séparée, jusques sous les rois de la seconde race. On a même encore les représentations qu’Agobart archevêque de Lyon dans le neuviéme siécle, fit à l’empereur Louis Le Debonnaire contre les abus autorisés par la Loi Gombette. Nous avons déja dit plus d’une fois, qu’on nommoit ainsi la loi nationale des Bourguignons, à cause qu’elle avoit été rédigée par les soins de leur roi Gondebaud. Mais ce qui se passa du tems d’Agobard appartient à la suite de cet ouvrage.

On voit par la loi des Ripuaires, que les Francs se réputoient valoir mieux que les Bourguignons. Tandis que cette loi condamne le Ripuaire qui auroit tué un Franc à une peine pécuniaire de deux cens sols d’or, elle ne condamne qu’à cent soixante sols d’or, le Ripuaire qui auroit tué un Bourguignon. Ils avoient part cependant comme les Francs aux principaux emplois de la monarchie, et ils servoient dans les armées. Frédegaire dit que Willibadus un des généraux de l’armée que Dagobert envoya contre les Gascons en l’année six cens trente-cinq, étoit Bourguignon de nation et patrice ; on a vû un corps de Bourguignons envoyé par les rois des Francs au secours des Ostrogots attaqués par Justinien.

On ne sçauroit parler des Bourguignons sans observer que l’usage des duels judiciaires, ou des combats singuliers ordonnés juridiquement, comme un moyen propre à faire connoître par le sort des armes, la vérité des faits qu’un accusé dénioit ; usage pratiqué si long-tems dans la monarchie, y avoit été introduit par cette nation composée originairement de forgerons et de charpentiers. C’est son roi Gondebaud, qui le premier a mis par écrit une loi qui établit cette maxime si long-tems funeste à l’innocence : que le meilleur champion est le plus honnête homme et le plus digne d’être crû. Nous rapporterons donc ici tout au long cette odieuse loi.

» Ayant suffisamment reconnu que plusieurs personnes de notre Peuple, se laissent emporter par leur obstination, ou séduire par l’avarice, jusqu’à offrir d’attester par serment ce qu’ils ignorent, & même jusqu’à faire des sermens contre leur conscience ; nous ordonnons pour empêcher le cours de tant d’abus, que lorsque des Bourguignons seront en procès, & que le Défendeur aura juré qu’il ne doit pas ce qu’on lui demande, ou qu’il n’a pas commis le délit pour lequel il est poursuivi ; s’il arrive que le Demandeur ne voulant point être content d’un pareil serment, réplique, qu’il est prêt de prouver les armes à la main la vérité de ce qu’il avance, & que le Défendeur réponde la même chose, alors il leur sera permis de se battre l’un contre l’autre. Nous ordonnons la même chose concernant les témoins qui seront administrés par l’une & par l’autre partie, étant juste que ceux qui se donnent pour sçavoir la vérité, soient disposés à la soutenir avec la pointe de leur épée, & qu’ils ne craignent point de la défendre dans le Jugement de Dieu. Si le témoin qui déposoit pour le Demandeur vient à être tué, alors tous les témoins qui avoient déposé la même chose que lui, seront condamnés chacun à une peine pécuniaire de trois cens sols d’or payables sans aucun délai. Au cas que le Défendeur soit vaincu, il sera pris sur ses biens, à titre d’indemnité par le Demandeur, une somme neuf fois aussi forte que la somme à laquelle ledit Défendeur auroit été condamné s’il fût tombé d’accord de la vérité. C’est ce que nous voulons être ponctuellement exécuté, afin que nos Sujets ayent une sorte d’aversion pour le parjure. Donné à Lyon, le vingt-septiéme Juin, sous le Consulat d’Abienus, c’est-à-dire, l’an de grace cinq cens un. »

Le second article du titre quatre-vingt-deuxieme de la loi Gombette statue aussi concernant ces duels judiciaires. « Si dans le cours d’un procès, un des témoins accusé d’avoir déposé faux, combat en Champ-clos pour soutenir la vérité de la déposition, & s’il succombe dans le Jugement de Dieu, tous les témoins qui auront déposé la même chose que lui, seront réputés convaincus de faux témoignages, & condamnés à la peine de payer chacun trois cens sols d’or. »

On conçoit bien que ces loix iniques ont révolté dans tous les tems les personnes qui avoient des idées saines du cœur des hommes, comme de la justice et de l’équité. Avitus évêque de Vienne, et l’un des principaux sujets de Gondebaud en eut horreur, dès qu’elles furent publiées. Quoiqu’elles ne regardassent que les Bourguignons qui n’étoient pas de la même nation, ni de la même communion que ce prélat, il se crut neanmoins obligé à representer plusieurs fois au souverain tout ce que les anciens Grecs et les anciens Romains auroient pû lui representer à ce sujet, et d’y joindre tout ce que sa qualité de ministre de paix le mettoit en droit de dire contre cette jurisprudence sanguinaire. C’est ce que nous apprend Agobard dans le mémoire qu’il présenta à Louis Le Débonnaire, pour lui demander l’abrogation de la Loi Gombette.

» Un jour même, dit cet Ecrivain, que Gondebaud répondit à Ecdicius Avitus, qu’il en étoit des combats entre des particuliers, comme des batailles qui se livroient entre les Peuples, dans lesquelles le Dieu des Armées faisoit triompher le Parti qui avoit la justice de son côté ; le saint Evêque lui répliqua, que si ceux qui donnoient des batailles, avoient véritablement la crainte du Seigneur devant les yeux, ils redouteroient plus les menaces qu’il a faites si souvent contre les hommes de sang, qu’ils n’appréhenderoient de se voir frustrés des biens passagers, qu’ils prétendent acquerir ou conserver par tant de meurtres. N’arrive-t-il pas d’ailleurs tous les jours dans vos Duels, ajoutoit Avicus, que celui qui refuse de payer ce qu’il doit, ou celui qui demande ce qui ne lui est pas dû, y remporte l’avantage, soit parce qu’il est plus adroit, ou parce qu’il a plus de courage, qu’un adversaire, qui au fond a une meilleure cause que lui. »

Mais quelque pernicieuse que soit la morale de la Loi Gombette, elle a fait plus de sectateurs que les meilleures loix. On sçait jusqu’où la fureur des duels en champ-clos a été portée, principalement sous les princes de la troisiéme race.

Celui de nos rois qui a le premier ordonné un combat singulier, comme une procédure juridique, a été un petit-fils de Clovis, le roi Gontran. Il avoit dans son partage, la plus grande portion de la partie des Gaules, où les Bourguignons étoient établis, et pour cela même, plusieurs de nos historiens le qualifient de roi de Bourgogne. Voici à quel sujet Gontran rendit une ordonnance si opposée à l’esprit de la religion qu’il professoit.

Le prince dont je parle, ayant trouvé en chassant dans une de ses forêts la dépouille d’un taureau sauvage encore toute fraîche, il voulut sçavoir qui avoit eu la hardiesse d’y tuer cet animal. Nos rois étoient alors aussi jaloux de la conservation de cette espece de taureau dont ils aimoient la chasse passionément, que les princes d’Allemagne le sont aujourd’hui de celle des cerfs de leurs terres. L’officier chargé de la garde du bois où notre taureau sauvage avoit été tué, dit à Gontran, que c’étoit Chundo, Chambellan de ce prince, qui avoit fait le coup. Chundo arrêté sur le champ, nia le fait, et le roi après avoir confronté lui-même l’accusateur avec l’accusé, prit la fatale résolution d’ordonner que l’un et l’autre, ils se battroient en champ-clos. Mais d’autant que Chundo n’étoit point en état de combattre, il fournit un champion qui fut son neveu. On croiroit que l’issue du duel n’auroit rien décidé, parce que les deux parties se porterent des coups fourrés, dont elles expirerent sur la place. Cependant Gontran condamna Chundo à être lapidé, comme convaincu du délit dont il étoit accusé. Chundo fut attaché à un pieux, et assommé à coups de pierres. Voilà de quelle nation les François avoient emprunté les duels judiciaires, ordonnées tant de fois par les tribunaux les plus respectables. Voilà l’occasion importante où nos rois mirent en crédit ce moyen infernal de terminer les procès.

Il se peut bien faire que Gontran n’ait soumis Chundo à l’épreuve du duel, que parce que ce sujet étoit de la nation des Bourguignons, et que pour cela, l’usage détestable dont il s’agit, n’ait point été dès-lors adopté par la nation des Francs. Je crois même qu’il ne fut jamais établi parmi les Francs, sous les rois Mérovingiens, ni même sous les premiers rois de la seconde race. L’introduction des duels judiciaires, parmi les Francs et parmi les autres nations sujettes de la monarchie, autres que les Bourguignons, est peut-être un des désordres sans nombre, dont furent cause les révoltes des Grands, et leurs cantonnemens sous les derniers rois Carliens. En effet, on voit par les représentations d’Agobard à Louis Le Débonnaire contre la Loi Gombette, que sous cet empereur, les duels judiciaires n’étoient point encore en usage parmi la nation des Francs. Agobard suppose dans ces représentations que les duels cesseroient parmi les Bourguignons, dès que le prince les auroit obligés à vivre selon la Loi Salique, ou selon la Loi Ripuaire.

Voici ce qu’on lit dans le mémoire d’Agobard.

» S’il plaisoit à notre sage Empereur d’ordonner qu’à l’avenir les Bourguignons vécussent selon la Loi du Peuple Franc, ils en deviendroient plus considerés, & notre pays ne seroit plus tourmenté par le fleau qui l’afflige. La Loi Gombette est cause tous les jours, que non-seulement les hommes qui sont capables de porter les armes, mais encore que des personnes infirmes, soit par le grand âge, soit autrement, sont appellées en Duel, & obligées à se battre souvent pour des sujets frivoles. Le succès de ces combats meurtriers ; qui trahissent frequemment la bonne cause, parce que le coupable en sort vainqueur, scandalise chaque jour les Fideles. Enfin, la Religion souffre de l’opinion où les Duels judiciaires entretiennent le Peuple : Que Dieu favorise celui qui ôte la vie à son frere, & qui rend encore ce frere malheureux pour une érernité. »

Ces combats rendoient la Loi Gombette encore plus à charge à la societé, que ne l’étoient les autres loix ; parce que dans les procès faits suivant cette loi, on ne vouloit point recevoir les témoignages des citoyens des autres nations, d’autant qu’ils n’auroient point été obligés à soutenir la vérité de leurs dépositions l’épée à la main. Comme le dit Agobard, le témoignage de ceux qui connoissoient le mieux les parties, n’étoit pas reçû, parce qu’ils ne vivoient point suivant la loi des Bourguignons. Aussi est-ce une des raisons qu’il allegue, pour obliger Louis Le Débonnaire à l’abroger.

Ce que nous avons dit sur cette loi, en parlant de sa publication, nous dispense d’en traiter ici davantage.


LIVRE 6 CHAPITRE 7

CHAPITRE VII.

Des Allemands, des Visigots, des Bavarois, des Teisales, des Saxons, & des Bretons Insulaires établis dans les Gaules.


Nous avons déja vû qu’après la bataille de Tolbiac, une partie des Allemands s’étant soumise à Clovis, ce prince voulut bien la laisser en possession des pays qu’elle occupoit depuis plusieurs années, entre la rive gauche du Rhin et le lac Léman. Nous avons vû aussi qu’une autre partie des Allemands s’étant réfugiée dans les contrées de l’obéïssance de Theodoric, ce roi des Ostrogots en avoit transplanté une portion dans celles des gorges des Alpes qui sont ouvertes du côté de l’Italie, et qu’il avoit établi l’autre portion dans les pays qu’il tenoit entre le Danube, les Alpes et la Montagne Noire. Il est très-apparent que la partie des Allemands, qui se soumit à Clovis après la bataille de Tolbiac, embrassa la religion chrétienne dès ce tems-là. Les rois Francs ont toujours compté pour un de leurs premiers devoirs, la conversion de leurs sujets payens ; et il est dit dans le préambule de la loi des Allemands, de la rédaction de Dagobert, que Thierri fils de Clovis, qui avoit fait une rédaction précédente de cette loi, y avoit statué suivant les principes de la morale chrétienne, sur plusieurs points qui s’y trouvoient auparavant décidés suivant les principes de la morale payenne.

Quant aux Allemands qui s’étoient donnés à Théodoric après la bataille de Tolbiac, et dont une portion fut transplantée en Italie, et l’autre dans la Norique, ils devinrent sujets des rois Francs sous les enfans de Clovis. La premiere de ces deux dernieres colonies, doit avoir été soumise, ou plutôt dissipée sous le regne de Theodebert et sous celui de Theodebalde, tems où les Francs porterent la guerre en Italie. Si l’on peut douter de la destinée de notre premiere colonie, on sçait du moins positivement le sort de la seconde, de celle qui avoit été transplantée dans la région de la Germanie, qui est entre la Montagne Noire, les Alpes et le Danube. On a déja vû qu’elle passa sous la domination des rois Francs, lorsque les Ostrogots firent à ces princes la cession dont nous avons donné l’histoire à la fin de notre cinquiéme livre. Agathias[102] qui nous a fourni ce que nous y avons dit de plus curieux, concernant l’histoire de ces Allemands, nous apprend aussi qu’alors ils étoient encore payens, et qu’ils rendoient un culte religieux aux fleuves comme aux autres estres, dont l’idolatrie avoit fait des dieux. Suivant les apparences, ils se seront faits chrétiens dès qu’ils eurent reconnu pour souverains les rois des Francs. Ceux des Allemands dont il s’agit, auront vêcu après cela, selon la loi que Thierri avoit déja fait rédiger, pour servir de code national aux premiers Allemands qui avoient passé sous la domination des rois Francs, aux Allemands qui s’étoient soumis à Clovis immédiatement après la bataille de Tolbiac.

Nous n’avons plus ce code national des Allemands de la rédaction faite sous le regne de Thierri, mais nous avons encore la rédaction que le roi Dagobert en fit faire[103], vers l’année six cens trente.

Dans cette loi rédigée après la soumission des Allemands de la Germanie, il y est traité des hommes de condition libre, qui pour user d’une expression de notre ancien langage, donnoient corps et biens à l’église, de la peine de ceux qui outrageroient leur curé, et de plusieurs autres cas pareils, sur lesquels la loi est génerale et sans aucune exception, ce qui suppose que tout le peuple, pour qui elle avoit été compilée, fît profession de la religion chrétienne.

Quoique le gros des Allemands fût établi dans le pays affecté à l’habitation de ce peuple, il ne laissoit pas d’y en avoir néanmoins qui s’habituoient ailleurs. C’est ce qui devoit arriver suivant le cours ordinaire des choses, et c’est aussi ce qui arrivoit souvent. En effet, nous voyons par la Loi Ripuaire, qu’il y avoit dans le pays tenu par les Ripuaires, des Francs Saliens, des Bourguignons des Allemands, et des citoyens des autres nations ; il est dit dans le titre trente-uniéme de cette loi, lequel nous avons déja cité. » Les Francs, les Bourguignons, les Allemands, & les Sujets d’autres Nations, qui demcureront dans le pays des Ripuaires, seront cités suivant la Loi de la Nation dont ils se trouveront être Citoyens, & jugés conformément à cette Loi. » Il y est dit encore, que les Ripuaires qui auroient tué un Allemand habitué dans leur pays, seroient condamnés à une peine pécuniaire de cent soixante sols d’or. Ainsi comme on l’a observé déja, le Bourguignon pouvoit sans cesser d’être Bourguignon, s’habituer dans le pays où étoit le domicile ou les quartiers des Ripuaires, ou des Allemands ; et il en étoit ainsi des autres nations. Le fils d’un Franc établi dans le pays des Bourguignons, c’est-à-dire, dans le pays où étoient les quartiers de cette nation, et par conséquent les fonds de terre affectés à la subsistance de ceux qui la composoient, demeuroit nonobstant son nouveau domicile de la nation des Francs, et il en étoit réputé citoyen, de même que s’il fût né dans la cité de Tournai. Comme nous l’avons observé déja, il en étoit alors des Francs et des autres Barbares, comme il en étoit des citoyens Romains, qui étoient tous de la nation Romaine, soit qu’ils fussent nés en Egypte, soit qu’ils fussent nés dans la Germanie. Enfin il en étoit des Barbares dont je parle, comme il en est aujourd’hui des Turcs. Que de deux Turcs freres, l’un s’établisse dans la Bosnie, et l’autre dans la Palestine, leurs enfans seront également de la nation des Turcs. Je vais le répeter encore : dans le sixiéme siecle et dans les siecles suivans, ce n’étoit pas le lieu de la naissance qui décidoit comme il le décide communément aujourd’hui dans la chrétienté, de quelle nation étoit un homme. C’étoit le sang dont il sortoit, c’étoit sa filiation qui décidoit de quelle nation il devoit être.

Nous ne parlerons point des Visigots, parce qu’il ne paroît point clairement qu’aucun essain de ce peuple se soit soumis à nos rois de la premiere race, et qu’il ait, ainsi que les Allemands et les Bourguignons, pris le parti de continuer à vivre dans les quartiers qu’il avoit sur le territoire des Gaules, lorsque les contrées où étoient ces quartiers, passerent sous la domination des rois Mérovingiens. Toutes les fois que les Francs auront conquis dans ces tems-là un pays sur les Visigots, les Visigots qui habitoient dans ce pays, se seront retirés de proche en proche, dans les provinces qui demeuroient sous l’obéissance du roi de leur nation, comme Procope observe qu’ils le firent quand la posterité de Clovis conquit sur eux pour la seconde fois, la partie des Gaules, qu’ils avoient reprise sur les Francs immédiatement après la mort de Clovis, Procope dit en parlant de cet évenement : » Les Visigots, échappés à la fureur des armes, abandonnerent plusieurs pays de la Gaule où ils étoient établis, emmenant en Espagne avec eux leurs familles, & ils s’y retirerent dans les Etats de Theudis, qui s’y étoit déja fait proclamer Roi. » Les princes Visigots, maîtres de l’Espagne Ultérieure et Citérieure, avoient intêrêt d’acueillir ceux de leur nation qui se réfugioient dans leurs Etats. Tous les rois Barbares dont nous parlons, devoient être plus soigneux encore d’acquerir pour sujets des hommes de leur propre nation, que de réunir des arpens de terre à leur domaine. On voit bien pourquoi. Si l’on trouve que dans quelques districts de la premiere Narbonoise, on suivît durant le neuviéme siécle et sous les rois Carliens, la loi nationale des Visigots, en voici la raison. Lorsque les princes de notre seconde race conquirent cette province sur les Sarrasins dans le huitiéme siécle, le royaume des Visigots avoit été déja détruit par ces Mahométans. Ainsi les Visigots, qui sous le regne de nos rois de la premiere race, avoient conservé la premiere Narbonoise, ne pouvoient plus se retirer dans les Etats d’un roi de leur nation, comme leurs ancêtres l’avoient fait autrefois. Ils seront donc restés dans cette province, et nos rois de la seconde race, n’auront pas voulu ôter à de nouveaux sujets la loi de leurs ancêtres.

Je reviens aux anciens Visigots. Je ne crois pas donc que ce soit des Visigots, mais bien des Romains qui habitoient dans la portion du pays des Visigots, laquelle Clovis conquit sur ces derniers, qu’il faut entendre ce qui se trouve dans la Loi Gombette. » Si quelque homme libre qui aura été fait captif par les Francs dans le pays tenu par les Visigors, se réfugie dans le pays tenu par les Bourguignons, & qu’il veuille s’y établir, il y pourra vivre sous la protection des Loix.

Aussi observe-t’on que la loi nationale des visigots, n’est point contenue dans la loi Mondaine, ou dans le recueil des loix nationales, suivant lesquelles tous les sujets de la monarchie étoient gouvernés sous nos rois des deux premieres races. Un des plus anciens exemplaires de la loi Mondaine ou du recueil de toutes ces loix, est un manuscrit de la bibliotheque de l’église cathédrale de Beauvais, copié dès le neuviéme siécle, et qui est en quelque maniere le premier tome d’un autre volume, transcrit dans le même tems, et qui contient les capitulaires. Monsieur Baluze auroit pû dire du premier de ces deux volumes, ce qu’il dit du second, que le chapitre de Beauvais voulut bien à la sollicitation de Monsieur Hermant, l’un de ses plus illustres chanoines, prêter à ce sçavant éditeur dans le tems qu’il travailloit à donner les capitulaires de nos rois. « Que c’est un manuscrit excellent et le meilleur en son genre que l’on connoisse. » Pour revenir à celui de nos deux volumes qui renferme la Loi Mondaine, il contient seulement le code du droit Romain publié par Alaric II roi des Visigots, la Loi Salique, celle des Allemands, celle des Bavarois et celle des Ripuaires. Si dans les Aquitaines et les autres provinces des Gaules, dont Clovis et ses enfans firent la conquête sur les Visigots, il fût resté un nombre de Visigots qui eussent continué à y vivre suivant leur loi nationale rédigée par écrit, cette loi feroit partie du recueil dont j’ai parlé, et qui a été fait sous le regne des rois Carliens. Mais elle n’y a point été inserée, parce qu’il étoit inutile de l’y faire entrer, d’autant qu’elle ne régissoit qu’un très-petit nombre de sujets de la monarchie, et devenus tels encore, depuis peu.

Cette preuve négative ne conclut rien, me dira-t’on. La loi des Bourguignons, bien qu’elle ne se trouve point dans votre recueil, ne laisse point d’avoir été en vigueur dans la monarchie. J’en tombe d’accord, mais cela prouve seulement ce qui est vrai, c’est que la Loi Gombette avoit été abrogée avant que le recueil dont il est question fût transcrit. Ainsi comme nous ne sçavons pas que la loi des Visigots ait été jamais expressément abrogée par aucun de nos rois, nous pouvons conclure de ce qu’elle n’est pas inserée dans notre recueil, qu’elle n’a point été une des loix reçues et reconnues dans le royaume des Francs, sous la premiere race, et qu’elle n’a jamais eu lieu hors des pays de la premiere Narbonoise, conquis seulement dans le huitiéme siécle par les princes Carliens.

Nous avons encore la loi des Bavarois, de la rédaction de Dagobert, qui avoit revû la premiere compilation de cette loi, faite par les soins de Thierri fils de Clovis[104]. On a déja dit sur l’année quatre cens quatre-vingt-seize, qu’immédiatement après la bataille de Tolbiac, les Bavarois s’étoient soumis au roi Clovis à des conditions en vertu desquelles ils devoient continuer à subsister, en forme d’une nation distincte et séparée des autres nations, sujettes de la monarchie des Francs. L’habitation ordinaire de ces Bavarois étoit sur la droite du Rhin, et voisine de celle des Allemands, mais plusieurs citoyens de la nation dont nous parlons présentement, s’étoient apparemment transplantés en differentes contrées de la Gaule. C’est ce qui paroît en lisant la Loi Ripuaire, qui condamne celui des Ripuaires, qui auroit tué un Bavarois établi dans leur pays, à une peine pécuniaire de cent soixante sols d’or. Nous l’avons rapportée à l’occasion des Allemands.

Nous ne parlerons point des Frisons dont il est fait mention dans ce même article de la loi des Ripuaires, parce que ce ne fut qu’après l’année cinq cens quarante, où nous avons fini notre histoire de la monarchie, que plusieurs peuplades de Frisons, furent assujetties à sa domination.

Outre les nations Barbares dont nous venons de parler, il y avoit encore dans les Gaules une peuplade de Teifales et une peuplade de Saxons. L’une et l’autre y étoient établis dès le tems des empereurs Romains, comme on l’a dit dans le premier livre de cet ouvrage, et elles y subsisterent l’une et l’autre sous la même forme, long-tems après que les Gaules furent passées sous la domination de nos rois. Nous avons vû que suivant la notice de l’empire, redigée sous le regne d’Honorius, les quartiers des Teifales étoient dans le Poitou, et Gregoire de Tours dit en parlant d’Austrapius, un Romain qui après avoir été duc ou général, s’étoit fait d’Eglise, et qui prétendoit sous le regne de Charibert, petit-fils de Clovis, à l’évêché de Poitiers. » Eustrapius s’étant mis dans la Cléricature, il fut fait Chorevêque ou Evêque d’une partie du plat-pays des environs du lieu de Selles, réputé être compris dans le Diocèse de Poitiers. Cela lui sembloit un droit pour être promû à cet Evêché, lorsqu’il deviendroit vacant. Mais le cas étant arrivé, on n’eut point d’égard aux prétentions d’Eustrapius, qui se retira à Selles, où il fut tué d’un coup de lance par les Teifales qui s’étoient soulevés, & ausquels il avoit fait précedemment bien de la peine. Après la mort d’Eustrapius, l’Eglise de Poitiers se remit en possession de la partie de son Diocèse, dont il avoit été Chorevêque. »

Le même historien dit en parlant du bienheureux Sénoch, un de ses contemporains : « Il étoit Teifale de nation, et né dans le bourg du diocèse de Poitiers, qu’on appelle la Teifalie. » Il falloit que cette poignée de Teifales ne fut pas encore confondue depuis sept ou huit générations avec les anciens habitans du pays où elle avoit été transplantée ; car quand Gregoire de Tours écrivoit, il y avoit déja, comme on l’a vû, cent soixante et dix années au moins, que nos Scytes habitoient dans le diocèse de Poitiers. Cela montre bien que les hommes avoient alors pour les coutumes et pour les usages de leurs peres, un attachement qui empêchoit principalement les nations differentes qui habitoient le même pays, de se confondre aussi facilement qu’elles se confondroient aujourd’hui.

On a vû dans le premier livre de cet ouvrage, que dès le tems où les Gaules étoient encore soumises aux empereurs Romains, on appelloit une partie de la côte de la Seconde Lyonoise, ou de la province qui est aujourd’hui la Normandie, le Rivage Saxonique, à cause des Saxons à qui l’on y avoit donné des quartiers. On y retrouve cette peuplade de Saxons sous le regne des petits-fils de Clovis. Vers l’année cinq cens soixante et dix-huit, le roi Chilpéric fit marcher les Tourangeaux, les Poitevins et les habitans de plusieurs autres cités contre Varochius, qui vouloit se cantonner dans la petite Bretagne. Durant cette guerre, Varochius enleva par surprise le quartier des Saxons Bessins ou des Saxons domiciliés dans la cité de Bayeux, une des cités de la Seconde Lyonoise, et qui faisoient une partie de l’armée de Chilpéric.

Environ douze ans après, la guerre se raluma entre les Francs et les Bretons Insulaires, établis dans la troisiéme des Lyonoises, et de qui nous allons parler. Gregoire de Tours écrit que la reine Frédégonde, laquelle trahissoit son propre parti qui étoit celui des Francs, parce qu’elle haïssoit le général qui commandoit leur armée, engagea les Saxons bessins à marcher au secours des Bretons. Ces Saxons, afin qu’on ne les reconnût point, se firent couper les cheveux aussi courts que les portoient les Bretons, qui comme les Gaulois, étoient devenus des Romains. Nos Saxons prirent encore des vêtemens semblables à l’habillement des Bretons.

Ceux de nos écrivains qui ont prétendu que les Bretons Insulaires fussent établis dans les Gaules, avant même l’évenement de Clovis à la couronne[105], ne sont tombés dans cette erreur que pour avoir confondu les Bretons avec les Armoriques des Gaules. Ils ont cru que les uns et les autres fussent le même peuple, parce qu’on les trouvoit durant le même siecle, établis dans la même contrée. J’ai assez bien expliqué quels étoient ces Armoriques, pour persuader que les auteurs du cinquiéme et du sixiéme siécle n’ont jamais voulu désigner par le nom d’Armoriques les Bretons Insulaires. L’on n’a donné quelquefois le nom d’Armoriques à nos Bretons, que dans les âges postérieurs, et long-tems après qu’ils ont eu établi leur colonie dans une partie du gouvernement Armorique ou du Tractus Armoricanus, dont il est parlé dans la Notice de l’empire.

Quant aux tems où la peuplade des Bretons Insulaires s’est établie dans les Gaules, je ne crois point qu’elle s’y soit établie avant l’année cinq cens treize, c’est-à-dire, quinze ans après que tout le pays tenu par la ligue ou la confédération Armorique se fût soumis à l’obéissance de Clovis. Ce tems-là est celui où les progrès que faisoient journellement dans l’isle de la Grande Bretagne les Saxons et leurs alliés, réduisirent une partie de ses anciens habitans, à passer la mer pour venir chercher sur les côtes des Gaules une autre patrie. Voici donc les faits sur lesquels je fonde mon opinion.

Suivant Beda, écrivain né dans la Grande Bretagne en six cens soixante et douze, ce fut l’an de l’Incarnation quatre cens quarante-neuf, que la nation des Anglois ou des Saxons fit sa descente dans la Grande Bretagne, où elle étoit appellée pour tenir tête à d’autres Barbares qu’on y avoit fait venir pour les opposer aux Pictes, et où elle se brouilla bientôt avec les anciens habitans, c’est-à-dire, avec les Bretons. Dans le chapitre suivant, ce même auteur dit : » Après que la guerre eut été allumée entre les Saxons & les Bretons, la fortune se déclara tantôt pour les anciens habitans de l’Ille, tantôt pour les Saxons. Enfin le succès de la guerre parut incertain jusques au blocus de Banesdown, qui se fit environ quarante quatre ans après la descente dont j’ai parlé. » Ainsi ce fut vers l’année quatre cens quatre-vingt-treize, que les Saxons bloquerent Banesdown qui est une montagne au pied de laquelle est Bath, ville épiscopale d’Angleterre, et sur laquelle étoient, suivant les apparences, les principales places d’armes des Bretons, et leurs meilleurs postes.

Dès qu’on jette les yeux sur la carte, on voit bien que tant que les Bretons tinrent Banesdwon, ils purent à la faveur des rivieres et de quelques postes retranchés qui s’étendoient jusqu’à la Manche, conserver les pays de l’Angleterre qu’on désigne par le nom de Pays de Galles, et ceux qu’on désigne par le nom des Comtés de l’Ouest. Mais dès que les Saxons se furent rendus maîtres de Banesdown, nos Bretons se trouverent relegués au-delà du golfe de Bristol, et réduits à peu près à ce qui s’est appellé depuis le Pays de Galles, ou le pays des Gaulois. Alors plusieurs de ces Bretons qui ne vouloient pas vivre sous l’obéissance des Saxons, ou qui se trouvoient trop serrés dans le pays auquel ils étoient réduits, auront pris le parti de se retirer dans les Gaules, et ils l’auront pris d’autant plus volontiers, qu’ils étoient eux-mêmes Gaulois d’origine, et qu’ils parloient encore la langue de leur ancienne patrie.

Si Béda nous apprenoit l’année que les Saxons se rendirent maîtres du boulevard de Banesdown, dont la prise fut un évenement décisif, lui qui nous apprend l’année qu’ils en commencerent l’attaque, nous sçaurions en quel tems les premiers Bretons Insulaires seroient venus s’établir dans le pays connu aujourd’hui sous le nom de Basse Bretagne. Malheureusement Béda ne le dit point ; mais je crois que nous trouvons cette datte dans la chronique de l’abbaye du mont Saint Michel, publiée par le Pere Labbe. On y voit que ce fut l’année cinq cens treize, et par conséquent environ deux ans après la mort de Clovis, que les Bretons d’outremer vinrent s’établir sur la côte du gouvernement Armorique, c’est-à-dire, dans le pays appellé depuis par cette raison la petite Bretagne. Voilà pourquoi Gregoire de Tours a écrit : « Que depuis la mort de Clovis les Bretons ont toujours été sujets des rois Francs. » La mort de ce prince et l’arrivée des Bretons dans les Gaules, auront été deux évenemens si voisins, qu’on pouvoit dater le moins connu par la date du plus célebre.

Suivant les apparences, les Saxons auront été obligés de faire la guerre durant plusieurs années, avant que de pouvoir venir à bout de forcer tous les retranchemens et d’emporter les forts et tous les postes que nos Bretons avoient sur ces montagnes. Il se sera écoulé près de vingt ans entre le commencement du blocus de Banesdown et la prise de la derniere Retirade des Bretons. D’ailleurs, on peut voir dans les annales du Pere Le Cointe, sur l’année cinq cens vingt[106], plusieurs extraits de la Vie de saint Gildas et de l’Histoire de Béda, qui font foi que cette année-là il passa encore dans les Gaules un grand nombre de Bretons qui venoient y joindre probablement ceux de leurs compatriotes, qui sept ans auparavant y avoient commencé un établissement. Enfin, Gregoire de Tours ne fait aucune mention de Bretons établis dans les Gaules, il ne nomme jamais les Britones parmi les peuples qui faisoient leur demeure dans cette grande province de l’empire, lorsqu’il écrit l’histoire des tems antérieurs à Clovis, et même celle du regne de Clovis. Il est vrai, comme nous l’avons vû, qu’il fait mention d’un corps de Bretons Insulaires, qui avoient des quartiers dans le Berri sous Anthemius ; mais comme nous l’avons vû aussi, c’étoit un corps de troupes nouvellement levé dans la Grande Bretagne pour le service de l’empire. On a même expliqué que ce corps étoit composé d’habitans de la Grande Bretagne, et non point d’habitans des Gaules. Gregoire de Tours ne commence à faire mention des Bretons comme d’un peuple, pour ainsi dire, domicilié dans les Gaules, que lorsqu’il en est venu à l’histoire des successeurs de Clovis, sous lesquels ils s’étendirent.

Ainsi nos Bretons n’ayant cherché un azile dans la Troisiéme Lyonoise qu’après qu’elle eut passé sous la domination de ce prince ; ils n’y auront été reçûs qu’à condition de se soumettre à son autorité. Quand même il seroit vraisemblable, ce qui n’est pas, que leur colonie y eût été fondée avant la réduction des Armoriques à l’obéissance de Clovis, on devroit supposer que cette colonie auroit eu la même destinée que les anciens habitans du territoire où elle auroit été reçue, et avec lesquels elle auroit été incorporée. Il n’y a aucune preuve du contraire de tout ce que je viens de dire, et il est contre toute apparence qu’une poignée de fugitifs eût fait tête à un prince aussi puissant que l’étoit alors Clovis, du moins, sans que l’histoire eût fait quelque mention de cette résistance. Sur ce point-là, je me refere aux doctes écrits publiés en differens tems, pour montrer que toute la petite Bretagne a toujours reconnu les rois des Francs pour ses seigneurs. On trouvera dans ces écrits une solide réfutation de la preuve la plus plausible qu’alléguent les auteurs qui ont soutenu le sentiment opposé, laquelle est tirée de ce qu’un évêque Breton a souscrit les actes du concile tenu à Tours en l’année quatre cens soixante et un[107].

Quelle est la loi suivant laquelle auront vêcu les Bretons Insulaires établis dans les Gaules ? Ils auront ainsi que les Romains de leur voisinage, vêcu selon le droit Romain, jusques à ce que les révolutions dont nous parlerons un jour, y ayent substitué les coutumes. On vient de lire que les Saxons Bessins, pour se déguiser en Bretons, s’étoient coupé les cheveux très-court, et qu’ils avoient pris des habits differens de ceux que les peuples Germaniques dont ils étoient un, portoient ordinairement. Or comme il n’y avoit alors que les Romains qui portassent des cheveux courts, il paroît que nos Saxons pour se travestir en Bretons, s’étoient travestis en Romains, et par consequent que nos Bretons Insulaires étoient encore vêtus à la Romaine. Voilà de quoi fortifier notre conjecture sur la loi suivant laquelle les Bretons réfugiés dans les Gaules, ont vêcu durant les premiers tems de leur établissement.

Quant aux Juifs dont nous avons observé déja, qu’il y avoit déja un grand nombre dans les Gaules lorsque les Francs s’y établirent, je crois qu’ils y furent regardés comme faisant une portion de la nation Romaine, mais la portion la plus basse.

Nous avons donc vû que le peuple de la monarchie se divisoit premierement en Barbares et en Romains, que les principales nations Barbares étoient les Francs dits absolument, les Ripuaires, les Bourguignons, les Allemands et les Bavarois, qui tous avoient leur loi particuliere suivant laquelle ils vivoient. Nous avons aussi parlé des étrangers qui ne faisoient point un corps considerable, et qui se trouvoient établis dans le territoire de la monarchie, comme les Teifales, les Saxons et les Bretons Insulaires. Il paroît qu’après cela il fallut, pour suivre l’ordre de la premiere division, parler à present des Romains, et leur donner un chapitre à part. Mais ce que nous avons à en dire, est tellement lié à tout ce qu’il convient d’exposer, pour donner une idée de l’état et gouvernement général des Gaules, sous Clovis et sous ses premiers successeurs, qu’afin d’éviter les redites nous ne ferons point un chapitre particulier, pour expliquer quelle étoit sous ces princes la condition des Romains des Gaules.

LIVRE 6 CHAPITRE 8

CHAPITRE VIII.

Du Gouvernement général des Gaules, sous Clovis & sous ses premiers Successeurs. Du serment que prêtoient les Rois à leur Inauguration.
Des Evêques & de leur Pouvoir.


Le préjugé vulgaire est, que Clovis, après avoir conquis les Gaules l’épée à la main, les gouverna avec un sceptre de fer, et même qu’il y réduisit les anciens habitans à une condition approchante de la servitude[108], attribuant à ses Francs une autorité sur le peuple Gaulois, avec une distinction formelle, telle que du maître à l’esclave. Je crois donc devoir commencer ce chapitre par quatre observations, qui prévenant le lecteur contre ce préjugé sans fondement, le rendent capable de se con- vaincre lui-même en lisant les faits qui seront rapportés dans la suite, qu’il est absolument faux que nos rois ayent jamais réduit les Romains des Gaules dans une espece d’esclavage, et qu’il est vrai au contraire, que ces princes ne changerent rien à la condition des sujets, et qu’ils changerent très-peu de choses à la forme du gouvernement qui avoit eu lieu dans cette grande province de la monarchie Romaine, sous les derniers empereurs.

En premier lieu, on remarquera que, comme on l’a déjà vû dans le premier chapitre de ce sixiéme livre, nos rois de la seconde race prêtoient à leur avénement à la couronne un serment à tous leurs sujets, par lequel ils promettoient de conserver à chaque nation, sa loi, ses usages et ses libertés. On voit d’un autre côté par un grand nombre de passages des capitulaires rapportés dans cet ouvrage, que plusieurs de ces sujets vivoient suivant la loi Romaine ; elle étoit donc une des loix dont ces monarques avoient promis l’observation. Or un prince ne prête pas serment aux esclaves de ses sujets. Il ne le prête qu’à des citoyens de condition libre. Il n’y a point lieu de douter, attendu la ressemblance qui a été entre le gouvernement du roïaume, sous la premiere race et sous la seconde race, que l’usage de ce serment d’inauguration, n’ait été en usage dès la premiere. Mais il y a plus, comme je l’ai déja observé. Gregoire de Tours, dit positivement : que lorsque le roi Charibert petit-fils de Clovis, prit possession de la Touraine, ce prince reçut le serment de fidélité des Tourangeaux, et qu’il leur en fit un aussi de son côté, par lequel il promettoit de leur conserver leur loi, et de les laisser jouir de leurs franchises, et exemptions. Il paroît même en lisant la suite de ce passage de Gregoire de Tours, que nous rapporterons dans le quatorziéme chapitre de ce livre, que ce ne fut point à une des nations Barbares établies en Touraine, mais à tout le peuple du pays, que Charibert prêta le serment dont il y est parlé.

J’observerai en second lieu, que Clovis, comme on l’aura remarqué, n’a rien conquis dans les Gaules sur les Romains, en subjuguant par force les anciens habitans du pays, si ce n’est peut-être la cité de Tongres, celle de Soissons, et le peu de païs que Syagrius pouvoit tenir dans le voisinage de la derniere. Nous ignorons même si l’inclination des Romains pour Clovis n’eut point beaucoup de part à ces conquêtes-là. Ce fut ensuite par voye de négociation que ce prince étendit son royaume d’abord jusqu’à la Seine, et puis jusqu’à la Loire. Or le premier article de toutes les capitulations ou conventions qui se font dans ces changemens de maîtres, portent que le nouveau souverain maintiendra ses nouveaux sujets dans la jouissance de leurs biens, droits, priviléges et libertés. On a vû aussi, que lorsque Clovis conquit sur les Visigots les deux Aquitaines et quelques contrées voisines de ces provinces, il y étoit appellé par des Romains du pays, qui ne contribuerent pas peu au succès de ses armes.

Ainsi quand nous n’aurions plus la lettre qu’il écrivit aux évêques après la fin de sa guerre Gothique, et que nous avons rapportée, il faudroit encore penser que ce prince ne dégrada point les Romains des provinces nouvellement unies à sa couronne. Le traitement qu’il avoit fait à ces Romains, ses fils l’auront fait aux Romains des provinces qu’ils conquirent sur les Bourguignons, et aux habitans de celles que les Ostrogots leur remirent vers cinq cens trente-sept. L’histoire ne rapporte rien de contraire. Elle ne dit en nul endroit que ces Romains ayent fait aucun effort, qu’ils ayent fait aucune démarche, pour ne point passer sous la domination de maîtres, qui réduisoient les Gaulois en servitude. La vie de saint Césaire parle de la soumission d’Arles aux rois des Francs, comme d’un événement heureux pour cette cité. Il y a plus, Gregoire de Tours dit positivement : que toutes les Gaules souhaitoient sous le regne de Clovis, d’être au pouvoir des Francs. Nous avons rapporté les passages de ces auteurs où cela est dit.

Ma troisiéme observation, c’est que Clovis lorsqu’Anastase lui confera la dignité de consul, étoit déja maître de presque tous les pays qu’il possédoit le jour qu’il mourut. L’empereur des Romains d’Orient, auroit-il revêtu de son autorité, un prince qui eût enchaîné les Romains ? Justinien lorsqu’il transporta aux enfans de Clovis tous les droits de l’empire sur les Gaules, n’eût-il pas exigé d’eux, en leur faisant cette cession, de laisser jouir les Romains de cette grande province, de leur état et condition s’ils y eussent été troublés ? Le silence de Procope à ce sujet, devroit seul nous persuader que Justinien, content du traitement que les Francs faisoient aux Romains des Gaules, ne stipula rien quant à ce point-là. Je ferai encore une autre réflexion. Nous avons plusieurs lettres écrites par les rois Mérovingiens aux empereurs de Constantinople, et l’on peut juger par ces lettres du contenu des dépêches, ausquelles elles servoient de réponse. Or l’on n’y voit point que les Romains d’Orient se soient jamais plaints du traitement que le Franc faisoit aux Romains d’Occident leurs concitoyens. Theodebert dans la lettre où il justifie la mémoire de Clovis contre les reproches de Justinien, ne dit rien d’où l’on puisse inferer que Justinien eût accusé Clovis ni ses successeurs, d’avoir manqué aux conventions qu’ils avoient faites avec les Romains des Gaules.

On a vû dans le premier livre de cet ouvrage, que les Gaulois, pour se rendre agreables aux Romains, et que les Romains pour se concilier les Gaulois, avoient supposé que l’un et l’autre peuple avoient la même origine, et qu’ils descendoient également des anciens Troyens. Les Francs dès qu’ils furent établis dans les Gaules, témoignerent qu’ils avoient eu les mêmes vûes qu’avoient eues les Romains. Les Francs voulurent aussi descendre des habitans d’Ilion, et par conséquent avoir une origine commune avec celle de tous les habitans de cette province, dont les uns descendoient des Romains qui s’y étoient établis, et les autres descendoient des anciens Gaulois.

L’Abbréviateur qu’on croit avec fondement avoir été Frédégaire Franc de nation, et qui a vêcu environ soixante ans après Gregoire de Tours, écrit : » Les Auteurs qui ont parlé des » anciens Rois des Francs, disent, que ces Princes descendoient des Habitans de Troye, qui comme Virgile le raconte, fut prise sous le regne de Priam, par un stratagême d’Ulisse. Les Troyens qui s’échapperent alors, eurent d’abord Friga pour Roi. Les Sujets de ce Prince se partagerent ensuite en deux Peuplades. Une de ces Peuplades s’établie dans la Macédoine. L’autre qui demeura toujours sous la conduite de Friga, alla s’établir sur les bords du Danube. Cette derniere Peuplade fut encore subdivisée en deux Colonies. Une de ces Colonies dont Francion étoit Roi, prit à cause de lui le nom de Francs, & traversant toute la Germanie, & menant avec elle & femmes & enfans, elle vint s’établir sur la rive droite du Rhin. »

l’auteur des Gestes qui paroît aussi avoir été Franc de nation, et qui a écrit sous les derniers rois de la premiere race, dit : qu’après la prise de Troye, une partie de ses habitans vint s’établir sous la conduite d’Enée en Italie, mais que douze mille Troyens qui avoient à leur tête Priam et Anténor, se sauverent sur des vaisseaux, qui les porterent jusqu’aux Palus Méotides, où ils firent un établissement, qui par succession de tems, devint très-considerable. Notre auteur parle ensuite des services qu’ils rendirent à l’empereur Valentinien, qui leur donna le nom de Francs ; et puis il ajoute, que les Francs s’étant brouillés avec cet empereur qui envoya contr’eux une armée formidable, ils prirent le parti d’abandonner leur patrie, pour venir s’établir sur le Bas-Rhin, où ils occuperent le canton de la Germanie, que nous apellons dans cet ouvrage, l’ancienne France.

Je sçais bien que cette fable ne mérite aucune croyance. Aussi ne la rapportai-je point comme la véritable histoire de l’origine des Francs, mais uniquement comme une preuve que les Francs étoient bien-aises que les Romains des Gaules les regardassent plutôt comme des parens ignorés long-tems, que comme des étrangers. Quoique les gens d’esprit puissent penser de ces fables, qui donnent à deux peuples une origine commune, elles ne laissent pas d’avoir leurs effets. Croit-on que l’opinion qui fait des Irlandois une peuplade sortie d’Espagne, n’ait pas un peu contribué au grand attachement qu’ils ont eu dans le seiziéme et dans le dix-septiéme siécle pour les Espagnols ? D’ailleurs les Francs en affectant de publier dans les Gaules durant le sixiéme siécle et les siécles suivans, qu’ils avoient la même origine que les anciens habitans du pays, ne disoient rien qui fût plus contre la vraisemblance que ce qu’y avoient débité autrefois les Romains, et que ce qu’y avoient débité depuis les Visigots. Ces derniers avoient publié dans leurs quartiers, qu’ils descendoient de Mars aussi-bien que Romulus, et qu’ainsi les Visigots et les Romains devoient vivre en freres, puisque les uns et les autres ils étoient sortis d’une tige commune. Theodoric II roi de cette nation, et qui vouloit gagner l’inclination des Romains, répondit quand Avitus qui n’étoit encore que maître de l’une et de l’autre milice, et qui fut bientôt après empereur, vint lui demander de s’engager de nouveau à l’observation des anciennes conventions et des traités subsistans : » Rome, je jure par ton nom respectable, & par le Dieu Mars, dont les Romains & les Visigots descendent également, que mon intention est de maintenir la paix. » Les Francs n’auront fait que suivre l’exemple des Visigots ; mais cela prouve toujours qu’ils étoient attentifs à se concilier par toutes sortes de voyes l’affection des anciens habitans des Gaules, et que leur maxime n’étoit pas de les opprimer.

Enfin, que le lecteur se rappelle ce que nous avons dit à l’occasion de l’avénement de Clovis à la couronne, et concernant le petit nombre d’hommes dont la tribu des Francs, sujets de ce prince, étoit composée. Que le lecteur veuille bien faire attention sur l’humeur naturelle des habitans de la Gaule, qui n’ont passé dans aucun siécle pour stupides ni pour lâches. Sans avoir recours à d’autres preuves, on verra bien qu’il est impossible qu’une poignée de Francs ait traité de Turc à Maure, un million de Romains des Gaules. Nous avons même expliqué pourquoi il y avoit tant de serfs dans cette contrée au commencement du douziéme siécle.

L’idée générale qu’on doit se faire de l’état des Gaules sous Clovis, et sous le regne de ses fils et de ses petits-fils, c’est qu’au premier coup d’œil, cet état paroissoit à peu près le même qu’il avoit été sous Honorius et sous Valentinien son neveu. Le plus notable changement qu’on pût remarquer dans cette grande province de l’empire, où l’on étoit accoutumé depuis long-tems à voir des troupes Barbares en possession de quartiers stables et des officiers vêtus de peaux, dans tous les emplois militaires, c’étoit d’y voir un prince étranger, exercer non-seulement les fonctions du maître de la milice, mais encore celles de préfet du prétoire ou de consul, et ceux de sa nation entrer dans les emplois civils, et le même officier exercer à la fois le pouvoir civil et le pouvoir militaire. Quant au reste, la face du pays étoit la même. Les évêques gouvernoient leurs Diocèses avec la même autorité qu’ils avoient eue avant que les Francs fussent les maîtres des Gaules. Tous les Romains continuoient à vivre suivant le droit Romain. On y voyoit les mêmes officiers qu’auparavant dans chaque cité ; on y levoit les mêmes impositions ; on y donnoit les mêmes spectacles ; en un mot, les mœurs et les usages y étoient les mêmes que dans les tems où l’on obéissoit aux souverains de Rome. Commençons par les ecclésiastiques.

L’Eglise des Gaules recevoit de nos premiers rois encore plus de protection et de faveur qu’elle n’en avoit reçû des empereurs Romains. Les rois Mérovingiens, les uns par pieté, les autres pour se conformer aux maximes que Clovis qui avoit eu tant d’obligation aux évêques, devoit avoir laissées dans sa famille, se montroient zelés pour la propagation de la foi et pour les interêts de l’Eglise. L’histoire parle en plusieurs endroits du soin que ces princes prenoient pour la conversion des peuples qu’ils soumettoient à leur couronne, et nous avons encore une ordonnance faite par Childebert I en cinq cens cinquante quatre, pour abolir dans ses Etats les restes de l’idolatrie[109]. Quoiqu’il y eut déja long-tems, généralement parlant, que les anciens habitans des Gaules fussent convertis, il y restoit encore quelques payens. Mais le grand mal étoit que plusieurs des nouveaux chrétiens, conservoient du respect pour les simulacres que leurs peres avoient adorés, et que les évêques ne pouvoient obtenir de leurs ouailles indociles, qu’elles ôtassent ces idoles des places honorables où elles avoient été mises, pour y être l’objet d’un culte religieux. Ce fut à ce sujet que Childebert publia sa constitution, dans laquelle il ordonna d’ôter incessamment toutes les idoles placées dans les maisons, ainsi que dans les champs, et de les briser ou de les remettre entre les mains des évêques, enjoignant à ses officiers de se saisir des contrevenans, à moins qu’ils ne donnassent caution de se representer à son tribunal, pour y recevoir de sa propre bouche leur sentence, qui seroit telle qu’il jugeroit à propos de la rendre. L’on voit cependant dans la vie des saints, qui ont vêcu durant le sixiéme siécle, et même durant le septiéme, qu’il se trouvoit encore alors parmi les Gaulois, et des payens et des chrétiens, lesquels idolâtroient. Les loix n’ont pas tout leur effet en un jour. D’ailleurs il y avoit alors des Barbares nouvellement établis dans les Gaules, qui probablement n’étoient pas encore baptisés. Tels étoient, suivant l’apparence, les payens que saint Eloy évêque de Noyon et de Tournai, convertit dans le dernier de ces diocèses. Quelle consideration le zéle de nos rois pour la propagation du christianisme, ne donnoit-il point à ses ministres ?

Quoique nos rois fussent en possession de juger en la forme qu’il leur plaisoit, les plus grands de l’Etat, on voit cependant qu’ils laissoient juger les évêques, même ceux qui étoient coupables du crime de lèze majesté, par leurs juges naturels, c’est-à-dire, par les conciles. Ce fut devant des conciles que les rois poursuivirent Prétextat, évêque de Rouen, aussi-bien que Salonius évêque d’Ambrun, et Sagittaire évêque de Gap, lorsqu’ils voulurent faire faire le procès à ces prélats pour crime de lèze majesté. Gregoire de Tours dit, que Chilpéric ayant appris que Prétextat formoit un parti contre lui, il le manda à la cour, et que l’ayant trouvé coupable, il l’envoya dans un lieu sûr, en attendant que le concile par lequel il le vouloit faire juger, fût assemblé. Notre historien rapporte même fort au long ce qui se passa dans ce concile qui fut tenu à Paris, et devant lequel Chilpéric fit le personnage d’accusateur. Dans un autre endroit, Gregoire de Tours dit, que le concile qui fit le procès à Salonius évêque d’Ambrun, et à Sagittaire évêque de Gap[110], les déposa uniquement, parce qu’outre les autres crimes dont ils étoient atteints et qui pouvoient être expiés par une pénitence, ils étoient encore convaincus du crime de lèze majesté. Ce fut donc parce que ces deux prélats étoient coupables de ce crime, qui ne pouvoit point être expié par une pénitence canonique, qu’ils furent dégradés par un jugement du concile. Je ne sçais pourquoi un de nos historiens de France, des plus modernes, affecte en rapportant ce passage de Gregoire de Tours, d’omettre la circonstance : que les évêques trouvant Salonius et Sagittarius convaincus du crime de lèze majesté, jugerent qu’il n’étoit pas en leur pouvoir d’adoucir la peine des coupables, en les condamnant seulement à quelques années de pénitence.

Voici encore un exemple du respect que les rois mérovingiens, qui gouvernoient leurs sujets si despotiquement, avoient néanmoins pour les canons. C’est Gregoire de Tours qu’on va lire. » Promotus qui avoit été fait Evêque de Château-Dun à la réquisition de Sigebert, mais qui avoit été destitué après la mort de ce Prince, & réduit aux fonctions de simple Prêtre, parce que son prétendu Diocèse n’étoit réellement qu’une portion du Diocèse de Chartres, vint supplier le Roi Gontran de le faire rétablir. Néanmoins sur les representations de Papolus Evêque de Chartres, qui soutenoir les droits de sa Crosse, Promotus fur débouté de la demande ; & tout ce qu’il put obtenir, ce fut d’être réintegré dans la jouissance de quelques biens situés dans le voisinage de Château-Dun, lesquels lui appartenoient en proprieté. » Il y a encore d’autres exemples d’érections de nouveaux sieges, souhaitées par les rois, et empêchées par l’évêque interessé.

Nous ne parlerons point des conciles qui s’assembloient souvent sous les rois Mérovingiens, ni de la discipline ecclésiastique qui s’observoit alors. C’est une matiere que le Pere Sirmond, le P. Le Cointe, et plusieurs autres semblent avoir épuisée. D’ailleurs, elle n’est point de notre sujet. Ainsi nous nous contenterons de rapporter ce qu’on sçait concernant le pouvoir et la considération que les ecclésiastiques avoient alors dans le monde. Nous ne parlerons point d’eux en tant que ministres de la religion, mais en tant que citoyens qui tenoient un grand rang dans l’Etat.

Comme la plupart des évêques des Gaules ont été jusqu’au huitiéme siecle Romains de nation, ainsi que nous l’avons déja dit, les auteurs qui prétendent que les Francs eussent réduit les anciens habitans des Gaules en un état approchant de la servitude ; prétendent en même tems, que les évêques ont eu très-peu de crédit dans les affaires politiques sous les rois Mérovingiens, et que ce n’a été que sous le regne des rois Carlovingiens, que nos prélats ont commencé d’avoir une grande part aux affaires temporelles. Ces auteurs ont voulu errer conséquemment.

En effet, supposé que nos prélats eussent assez de faveur pour obtenir que le prince qui opprimoit leur nation, passât par-dessus les raisons politiques qu’il auroit euës en ce cas-là, de ne point permettre leur élection, ces mêmes prélats devoient avoir en même-tems assez de considération pour rendre meilleure la condition de leurs freres, de leurs neveux, et même de leurs enfans. Il y avoit alors plusieurs évêques, qui avant que d’être promus à l’épiscopat, avoient vécu durant plusieurs années dans l’état de mariage. Ainsi ces auteurs ne pouvant pas nier que les évêques des Gaules n’ayent été Romains pour la plupart, jusqu’au huitiéme siecle, ils ont pris le parti de dire que ce n’avoit été que sous la seconde race, que les évêques des Gaules avoient eu un grand crédit dans le royaume, et que l’épiscopat devoit la splendeur temporelle où il étoit dans le neuviéme siecle, à la dévotion des rois Carlovingiens, qui les premiers avoient appellé nos prélats à la gestion des affaires du monde. Rien n’est plus faux que ce systême historique.

Jamais les évêques n’ont été plus puissans et plus accrédités dans les Gaules qu’il l’ont été sous les rois Mérovingiens. On a vû les services importans que les évêques contemporains de Clovis rendirent à ce prince, et quelle reconnoissance il leur en témoigna. D’ailleurs, comment auroit-il été possible que les évêques n’eussent point eu de part au gouvernement, quand ils avoient autant d’autorité dans leurs diocèses qu’on voit par les canons du concile d’Orleans et de plusieurs autres qu’ils en avoient alors, et quand les rois avoient très-peu de places fortes, et encore moins de troupes reglées. Nos évêques avoient une jurisdiction absoluë sur le clergé séculier et régulier de leurs diocèses, ils y étoient les dispensateurs des biens des églises déja richement dotées. Ils y étoient les maîtres de livrer ou de proteger les criminels et les esclaves qui s’étoient réfugiés dans les aziles des temples du seigneur, ils étoient les protecteurs nés des veuves et des orphelins, ainsi que des serfs affranchis en face d’église, dont ils héritoient, même au préjudice du fisc : celui qu’ils avoient excommunié[111], ne pouvoit plus exercer aucun emploi de ceux que le prince conféroit, et il étoit si bien regardé comme mort civilement, que ses héritiers se mettoient en possession de ses biens, ainsi que s’il eût été mort naturellement : enfin, quand nos prélats avoient droit en vertu de la constitution de Clotaire I d’obliger en l’absence du roi, les juges qui avoient rendu une sentence injuste, à la réformer. Je ne dis sur ce sujet, qu’une partie de ce que je pourrois dire, parce que n’en disant point davantage, je ne laisse pas d’en dire assez. D’ailleurs il me faudroit répeter plusieurs choses, que j’ai déja écrites en d’autres endroits de cet ouvrage.

Aussi l’histoire de nos premiers rois est-elle remplie de faits, qui montrent les égards et l’extrême considération qu’ils avoient pour les évêques leurs sujets. J’en rapporterai quelques exemples. » Gontran, dit Gregoire de Tours, étant entré en contestation avec Chilperic, il fit assembler à Paris les Evêques de ses Etats, afin qu’ils fussant arbitres entre le Roi son frere & lui. Mais le Ciel qui vouloit punir ces Princes de leurs péchés, par le fleau de la guerre civile, permit qu’ils ne déférassent point alors au Jugement des Prélats. » En un autre endroit, notre historien écrit, en parlant de la paix que le roi Gontran fit avec Childebert son neveu. « Voilà ce qui fut conclu entre ces princes par l’entremise des évêques, et des autres Grands du royaume. » Enfin, comme on le verra encore dans la suite, il n’est gueres fait mention d’aucune assemblée de notables, convoquée par les rois Mérovingiens, qu’on ne voye les évêques y prendre séance. Nos rois avoient tant de confiance dans la vertu et dans la capacité de ces prélats, qu’ils les faisoient intervenir, même dans la discussion des affaires les plus éloignées de leur profession. Quand Gontran voulut juger lui-même les généraux d’une armée qu’il avoit envoyée faire la guerre aux Visigots, et qui étoient accusés de n’avoir été malheureux que par leur faute, il nomma des évêques parmi ceux qu’il choisit pour assesseurs, c’est-à-dire, pour l’assister dans l’examen du procès. Enfin quand le roi Dagobert I eut une contestation avec son pere Clotaire, concernant l’étenduë des Etats qu’il prétendoit lui avoir été cédés par son pere, les évêques furent du nombre des arbitres nommés pour la terminer.

Pour tout dire en un mot, les évêques faisoient une si grande figure dans la monarchie sous les rois petits-fils de Clovis, que ces rois eux-mêmes leur portoient envie en quelque sorte. Au rapport de Gregoire de Tours, il échappoit souvent à Chilperic I de s’écrier : » Norre Fisc a été appauvri pour enrichir les Eglises. Il n’y a plus dans les Gaules de veritables Souverains que les Evêques. La Dignité Royale s’avilir, & ce sont les Evêques qui regnent réellement chacun dans son Diocèse. » Aussi ce prince, ajoute l’historien, mettoit-il ordinairement le canif dans les testamens favorables aux églises, et laceroit-il ces actes, lorsqu’ils lui étoient presentés pour être confirmés.

On ne sçauroit entendre la phrase, Testamenta quaein ecclesias conscripta erant, autrement que la force du sens l’oblige à l’entendre ; les testamens faits en faveur des églises. D’ailleurs, nous avons déja rapporté plusieurs passages qui font foi, que la préposition in, étoit quelquefois employée dans l’acception d’en faveur. Enfin, Gregoire de Tours dit lui-même dans la suite de son histoire : qu’après la mort de Chilpéric, son frere le roi Gontran, remit en vigueur, et fit mettre en exécution plusieurs de ces testamens avantageux aux églises, lesquels Chilpéric avoit cassés.

Ce que Chilpéric regardoit comme un renversement de l’ordre, paroît avoir été le salut des Gaules, et l’unique cause de la conservation de la monarchie, durant les désordres et les guerres civiles qui les affligerent sous les derniers rois de la premiere race, et sous les derniers rois de la seconde. La Momonarchie eût été renversée de fond en comble dans ces tems d’affliction, si l’Eglise gallicane n’avoit point eu l’autorité et les richesses que Chilperic lui envioit. Mais la puissance que les ecclésiastiques avoient dans ces tems-là, mit ceux d’entr’eux qui avoient de la vertu, en état de s’opposer avec fruit à ces hommes de sang, dont les Gaules étoient remplies alors, et qui cherchoient sans cesse à faire augmenter les désordres et à multiplier les guerres civiles, pour usurper dans quelque canton de pays l’autorité du prince, et s’y approprier ensuite le bien du peuple. Les bons ecclésiastiques empêcherent ces cantonnemens dans plusieurs endroits, et y conserverent assez de droits et assez de domaines à la couronne pour mettre les princes qui la porterent dans la suite, en situation de recouvrer avec le tems, du moins une grande partie des joyaux qu’on en avoit arrachés. C’est ainsi qu’un mur solide, qui se rencontre dans un édifice mal construit, lui sert comme d’étaye, et que par sa résistance, il donne aux architectes le loisir de faire à ce bâtiment des réparations, à l’aide desquelles il dure encore plusieurs siecles.


LIVRE 6 CHAPITRE 9

CHAPITRE IX.

Que sous la domination des Rois Mérovingiens, les Romains des Gaules vivoient selon le Droit Romain, & que chacun d’eux y étoit demeuré en possession de son état. Des inconveniens qui résultoient de la diversité de Loix, suivant lesquelles vivoient les Sujets de la Monarchie.


Une des meilleures preuves qu’on puisse alleguer pour faire voir que le souverain qui s’est rendu maître d’un pays, n’y a point dégradé les anciens habitans, c’est de montrer qu’il les a laissés vivre suivant la loi de leurs ancêtres, et qu’il a laissé subsister parmi eux la difference entre les états et les conditions, qui avoit lieu avant qu’ils fussent sous son obéissance. Or nous allons voir que les rois Mérovingiens ont laissé vivre les Romains des Gaules suivant leurs anciennes loix, et suivant les usages de leurs peres. Nous allons voir que les Romains des Gaules ont continué d’être divisés en trois ordres sous le regne de la premiere race, ainsi qu’ils l’étoient auparavant.

Le privilége de se gouverner sous un nouveau souverain, suivant des loix qu’il n’a point faites et qui sont plus anciennes dans le pays que sa domination, est si considerable, que les villes Grecques à qui les Romains l’avoient accordé, en faisoient mention dans la legende des monnoyes qu’elles frappoient : elles s’y glorifient de leur Autonomie . C’est le nom qu’on donnoit en grec au privilege dont il est ici question. Au contraire, l’on convient, que le joug le plus dur que les Turcs ayent imposé à la nation Grecque, qu’ils ont réduite véritablement dans un état approchant de l’esclavage, c’est d’avoir soumis les particuliers de cette nation qui ont des procès les uns contre les autres, au jugement des cadis et des autres officiers du Grand Seigneur, qui rendent leurs arrêts arbitrairement, et sans être astraints en aucune maniere, à se conformer en les prononçant, ni aux Basiliques, ni aux autres loix suivant lesquelles vivoient les habitans de la Grèce, avant qu’elle eût été asservie par les Ottomans. Or les ordonnances de nos rois des deux premieres races font foi que leurs sujets de la nation Romaine vivoient, et qu’ils étoient jugés suivant le droit Romain. Cette vérité est encore confirmée par plusieurs faits attestés par des auteurs contemporains.

En rapportant differens articles des loix nationales des habitans des Gaules, qui montrent que chaque nation y étoit jugée suivant le code qui lui étoit propre, et le serment par lequel nos rois promettoient à leur inauguration, que la justice seroit rendue à chaque nation suivant sa loi particuliere, nous avons prouvé déja que la justice devoit être rendue aux Romains qui étoient une de ces nations suivant le droit Romain. Mais outre cette preuve générale, nous en avons de plus particulieres.

Vers l’année cinq cens, Clotaire fils de Clovis, qui après avoir réuni à son premier partage les partages de ses freres, étoit souverain de toute la monarchie françoise, publia un édit que nous avons encore, pour maintenir dans son royaume la justice, et pour y entretenir le bon ordre entre les differentes nations qui l’habitoient. Il est dit dans le préambule de cette ordonnance. Clotaire roi des Francs, à tous nos officiers. » Rien n’étant plus convenable à nos bonnes intentions, que de pourvoir en même tems aux besoins des anciens habitans de nos » Provinces, & à ceux de toutes les Nations dont nous sommes Souverains, que de publier à cet effet un Edit qui contienne sous differens titres, les reglemens necessaires pour assurer la tranquillité de chacun de nos Sujets. Nous avons ordonné & nous ordonnons par ces Presentes, &c. »

On a déja remarqué que le terme de Provinciales, qui se trouve dans le texte latin de l’édit de Clotaire, étoit le terme propre par lequel les empereurs désignoient les Romains habitans dans les provinces de la monarchie. Voilà pourquoi nous l’avons rendu relativement aux Barbares établis dans les Gaules par le terme d’Anciens habitans.

Dans le quatriéme article de cet édit, il est ainsi statué : » Toutes les contestations que les Romains auront les uns avec les autres, seront décidées suivant le Droit Romain. » Enfin le dernier article de cette Ordonnance porte. » Tous nos Juges auront soin de garder & de faire garder la presente constitution. Ils ne rendront aucune Sentence, & sous quelque pretexte que ce soit, ils n’ordonneront rien qui donne atteinte à ce qu’elle statue concernant le Droit Romain, ni qui soit contraire aux usages pratiqués depuis long-tems parmi ceux de nos autres Sujets qui vivent suivant leurs anciennes Loix Nationales. »

Un des ouvrages les plus précieux de ceux qui ont été composés sous la premiere race et qui sont venus jusqu’à nous, c’est le recueil des formules pour les actes judiciaires alors en usage, et qui a été compilé par Marculphe auteur qui vivoit dans le septiéme siecle, et qu’on croit avec fondement, avoir été un des officiers de la chancellerie des rois Mérovingiens. On trouve donc dans ce recueil des modeles de tous les instrumens qui se rédigeoient alors pour être les monumens autentiques et durables des affranchissemens, des mariages, des donations, des collations d’emploi ; en un mot de tous les actes et contrats, qui se font dans la societé civile. Si plusieurs de ces formules sont dressées suivant les loix nationales des Barbares établis dans les Gaules, il y en a d’autres qui sont dressées suivant le droit Romain. On voit dans plusieurs de ces modeles qu’ils sont faits ut Lex Romana edocet, que le pacte dont ils sont le monument, est contracté conformément au droit Romain Te secundum legem Romanorum Sponsatam.

Il est dit dans la dixiéme formule du livre second, et qui est le modele de l’acte par lequel un ayeul appelle à sa succession ses petits-fils, enfans de sa fille prédécedée. » La Loi Romaine veut que toutes les dispositions que fait un pere concernant ses enfans & ses petits-enfans soient accomplies ; c’est pourquoi, &c. »

Dans la dix-septiéme formule du même livre, laquelle contient le modele d’un acte où l’on rédigeroit à la fois le testament de deux personnes differentes : on lit, » En un tel lieu, une telle année, sous le regne d’un tel, & un tel jour. Moi un tel & ma femme une telle sains d’esprit & jouissans d’une pleine raison, nous avons, réflechissant sur les accidens de la vie, fait notre Testament que nous avons dicté à un tel, Notaire[112], afin que lorsqu’après notre trépas, le jour sera venu, où sui vant la Loi Romaine, cer acte de notre derniere volonté devra être ouvert & enregistré, &c. » Mais comme le recueil de Marculphe enrichi de sçavantes observations est entre les mains de tout le monde, j’y renvoyerai le lecteur, après avoir rapporté néanmoins l’extrait d’une autre formule qui confirme si expressément tout ce que nous avons avancé déja, que je ne puis me dispenser de le donner encore ici. Cette formule est le modele des provisions que le prince donnoit aux patrices, aux ducs et aux comtes, qui comme nous l’avons observé déja, en rapportant un endroit de cet acte dont nous allons donner encore ici un extrait, exerçoient à la fois sous Clovis et sous ses successeurs, les fonctions d’officier militaire et celles de magistrat ; au lieu que sous les empereurs chrétiens, elles avoient été exercées par des officiers differens. Il est donc énoncé dans le préambule de cette formule, qu’il ne faut confier les dignités ausquelles l’administration de la justice est attachée spécialement, qu’à des personnages d’une capacité et d’un courage éprouvés ; après quoi le collateur s’adressant au pourvû, il lui dit : » Ayant donc une suffisante connoissance de vos grandes & bonnes qualités, nous vous avons pourvû de l’emploi de Duc, de celui de Patrice ou de Comte dans un tel district, à condition que vous nous garderez une fidélité inviolable, que vous maintiendrez en paix par votre bonne conduite, les Francs, les Romains, les Bourguignons, ainsi que nos Sujets Citoyens de toutes les autres Nations qui composent le Peuple de votre district, & que vous rendrez la justice à chacun d’eux suivant la Loi & les Coutumes de la Nation dont il se trouvera être Citoyen. »

On a encore outre les formules de Marculphe plusieurs autres formules des actes tels qu’ils se dressoient dans notre monarchie sous les rois Mérovingiens, lesquelles ont été recueillies par les sçavans du dernier siécle, et qui sont rédigées suivant le droit Romain. On en trouve un grand nombre dans le second volume des Capitulaires de Monsieur Baluze, et dans les ouvrages de Dom Jean Mabillon. Dom Thierri Ruinart en a fait réimprimer quelques-unes à la fin de son édition des œuvres de Gregoire de Tours, et l’on y voit que ceux qui parlent dans ces formules, disent souvent qu’ils font telle et telle disposition suivant le droit Romain.

Enfin les capitulaires des rois de la seconde race, renvoyent en plusieurs cas à la loi Romaine.

Rapportons présentement quelques faits qui se trouvent dans notre histoire, et qui prouvent encore que sous les rois Mérovingiens, les Romains des Gaules, vivoient suivant le droit Romain ; quoiqu’après ce qu’on vient de lire, une pareille preuve puisse paroître surabondante. Gregoire de Tours, dit en parlant de la mort de saint Nizier évêque de Lyon, décedé en cinq cens soixante et treize. » Dès que le tems, au bout duquel la Loi Romaine ordonne que l’Acte qui contient la derniere volonté d’un défunt, soit rendu public, se fût écoulé, le Testament de notre Prélat fut porté au lieu où se rendoit la Justice, & remis au Magistrat qui l’ouvrit & qui le lut devant un grand nombre d’assistans. »

On trouve ce qui suit dans l’histoire de Dagobert I écrite par un auteur comtemporain de ce prince. » La treiziéme année du Regne de Dagobert, Sandrégesilus, qui exerçoit en Aquitaine l’emploi de Duc, fut tué par des assassins. J’ai déja dit dans le sixiéme Chapitre de mon Histoire, que Dagobert lorsqu’il étoit encore fort jeune, avoit conçu tant d’indignation du mépris que Sandrégesilus lui laissoit apperce » voir, que ce Prince l’avoir fait battre à coups de fouet, qu’il lui avoir fait couper la barbe. J’ai même raconté que Dagobert pour se dérober au ressentiment du Roi Clotaire son pere, qui avoit beaucoup d’affection pour Sandrégesilus, s’étoit réfugié dans l’Eglise de saint Denis. Ainsi les enfans du mort qui étoient élevés à la Cour de Dagobert ne crurent point devoir se donner beaucoup de peine pour venger la mort de leur pere, ce qu’il ne leur auroit pas été difficile de faire. Mais à quelque tems de-là, ils furent cités en Justice & poursuivis pour cause de cette négligence. Les Grands de l’Etat se déclarerent leurs Parties, & ils les firent condamner suivant le Droit Romain, à être dépouillés de la succession de leur pere, qui fut confisquée au profit du Roi. »

Je pourrois alleguer bien d’autres exemples, mais je me contenterai de dire, que nous avons encore un testament fait suivant les loix Romaines par des citoyens Romains sujets de nos rois Mérovingiens. C’est celui d’Arédius et de Placidia dicté l’onziéme année du regne de Sigebert petit-fils de Clovis, et que Dom Thierri Ruinart a fait imprimer dans son édition des œuvres de Gregoire de Tours, après l’avoir transcrit sur l’original qui se conserve encore dans les archives de l’église de saint Martin de Tours, à laquelle il est fait des legs considerables par cet acte.

Quel étoit, demandera-t’on, le corps du droit Romain qu’on suivoit dans les Gaules sous le regne de Clovis et sous celui de ses premiers successeurs ? Certainement ce n’étoit point le Digeste et le Code de Justinien. Les empereurs n’avoient plus aucun pouvoir dans les Gaules, quand ce prince publia sa redaction du droit Romain, qui dans tous les pays où ce droit a force de loi aujourd’hui, ainsi que dans ceux où il n’est pour ainsi dire que consulté, est regardé comme la rédaction autentique du droit Romain. Ce n’a été que sous la troisiéme race que la rédaction de Justinien a été connuë dans les Gaules, et qu’on l’y a substituée à celles dont on s’y étoit servi dans les tems antérieurs, et qui n’étoient point aussi parfaites. Quelle étoit donc la rédaction des loix Romaines qui pouvoit être en usage dans les Gaules sous les rois Mérovingiens ?

Lorsque Clovis se rendit maître de la partie des Gaules renfermée entre la Loire, l’Ocean et le Rhin, les habitans de ces provinces avoient pour tables de leur loi, le code que Theodose le jeune empereur des Romains d’Orient avoit publié en quatre cens trente-cinq, et qui avoit été reçu dans le partage d’Occident, avant que cet empire eût été renversé. Mais lorsque Clovis soumit à son obéissance celle des provinces des Gaules dont il chassa les Visigots, il y trouva en usage le code d’Anian, ou le code du droit Romain qu’Alaric II avoit en cinq cens cinq fait rédiger par les plus notables jurisconsultes de ses Etats, pour régir ses sujets de la nation Romaine. Ainsi je crois que du tems de Clovis et de ses successeurs, on se sera servi du code d’Alaric dans les provinces de la monarchie Françoise, qui étoient sous l’obéissance d’Alaric II lorsqu’il publia ce code, et que dans les autres provinces de la monarchie Françoise, dans celles qui sont au nord de la Loire, on aura continué à se servir du code Théodosien. Il est certain du moins que sous nos rois Mérovingiens, le code de Théodose étoit encore en vigueur dans une grande partie des Gaules : voici ce qu’on trouve dans Gregoire de Tours au sujet d’Andarchius, qui avoit fait une très-grande fortune sous le regne de Sigebert petit-fils de Clovis. » Avant que de parler d’Andarchius, je dois dire un mot de la condition & de la fortune. On prétend qu’il avoit été Esclave du Senateur Felix, & qu’ayant été pour lors destiné à servir dans les emplois domestiques, on l’avoir fait élever auprès de son Maître encore enfant, & qu’on l’avoit fait étudier avec lui. Quoiqu’il en soit, Andarchius avoit bien profité de l’éducation qu’on lui avoit donnée. Il avoit une profonde connoissance de la science des nombres. Il sçavoit les Poëtes, & il entendoit très-bien tous les Livres du Code Théodosien. »

Monsieur Baluze rapporte encore une ancienne formule dressée sous nos rois, comme on le voit parce qu’il y est fait mention du Mallum, et la personne qui parle dans cette formule y dit, pour énoncer qu’elle entend agir suivant le droit Romain, qu’elle entend agir conformément à celles des sanctions de la loi Mondaine qui composent le corps du code Theodosien.

Est-il arrivé dans la suite que le code d’Alaric ait été comme plus commode, par bien des raisons, substitué dans quelques provinces situées à la droite de la Loire, au code Theodosien ? Est-ce pour cela que le code d’Alaric se trouve compris au nombre des differens codes dont la loi Mondaine étoit composée, et cela dans des exemplaires de la loi Mondaine écrits sous la seconde race, et à ce qu’il paroît, destinés à l’usage de cités qui ne furent jamais sous la domination des Visigots ? Que d’autres le décident ! Peut-être le code d’Alaric tenoit-il lieu d’une interprétation propre à servir de glose au code Theodosien en quelques occasions.

La premiere réflexion qu’on puisse faire après avoir lû, et même en lisant ce que nous venons d’écrire, concernant la condition des sujets dans le royaume des Francs, c’est de penser que sa premiere conformation étoit très-vicieuse. La diversité des codes, suivant lesquels il falloit rendre la justice, en devoit bien embarasser et retarder l’administration. J’en tombe d’accord, et je crois même que cette multiplicité de codes étoit encore un plus grand fleau pour la societé, que ne l’est aujourd’hui la diversité des coutumes, qui ont force de loi dans plusieurs provinces du royaume de France. On ne sera point surpris de cet aveu, puisque j’ai fait profession par-tout de n’être point du nombre des auteurs qui se préviennent tellement en faveur de l’ordre politique établi dans les Etats dont ils donnent des relations ou dont ils écrivent l’histoire, qu’ils admirent et qu’ils veulent faire admirer la constitution de ces Etats-là, comme un chef-d’œuvre de la prudence humaine. J’avoue donc que le premier plan de la monarchie Françoise a été très-vicieux, et que pour l’interêt du souverain et pour le bien des peuples, il auroit dû être disposé tout autrement. J’avouerai encore, que si quelque chose peut surprendre un homme qui réflechit sur l’histoire des rois Mérovingiens, ce n’est point que leur monarchie soit devenuë sujette environ cent cinquante ans après sa fondation, à des troubles presque continuels, et s’il est permis d’user ici de cette figure, qu’elle ait ressenti toutes les infirmités de la vieillesse, précisément quand elle étoit dans son âge viril, dans l’âge où suivant le progrès ordinaire que font les monarchies naissantes, elle devoit se trouver en sa plus grande vigueur. Ce qui m’étonne donc, c’est que le corps de notre monarchie étant aussi mal conformé qu’il l’étoit, elle ait pû résister à tous ses maux. En effet, la multiplicité des loix nationales n’étoit pas le seul ni même le plus grand défaut qui se trouvât dans la constitution de la monarchie Françoise. Pour ne point parler des autres, la divisibilité de la couronne étoit un vice de conformation bien plus grand encore que la multiplicité des codes, suivant lesquels il falloit rendre la justice. Clovis, ses premiers successeurs et leurs conseils, auront bien apperçu tous ces défauts, ils en auront vû les conséquences, et ils auront voulu y apporter du remede, mais il leur aura été impossible de les corriger. Par exemple, lorsque Clovis mourut, il étoit établi depuis si long-tems parmi les Francs, que tous les fils du roi mort, devoient partager entr’eux ses Etats, que ce prince n’aura osé faire les dispositions nécessaires pour rendre sa couronne indivisible : peut-être même n’y pensa-t’il point.

Ainsi les fondateurs de notre monarchie n’auront point fait ce que la prudence politique demandoit qu’ils fissent, mais ce qui leur étoit possible de faire. Ces princes, par exemple, afin de réunir plûtôt à leur couronne une province qui alloit leur échapper, s’ils manquoient à profiter de la conjoncture presente, ou bien pour se faire reconnoître plus aisément par une tribu ou par une nation qui pouvoit se donner à un autre souverain, auront été obligés d’accorder à cette province, à cette tribu, de pouvoir continuer à vivre selon leur loi et leurs coutumes.

Voilà ce qui aura donné lieu d’abord à la multiplicité des codes dans la monarchie. Dés qu’une fois cet usage y aura été autorisé, il aura fallu que dans la même cité on rendît la justice, non-seulement suivant deux differentes loix, mais suivant trois, suivant quatre, et même suivant cinq loix differentes. Le nombre des codes se multiplioit à mesure qu’il survenoit dans cette cité quelqu’essain d’une nation, autre que celles qui déja y habitoient. Il aura donc été nécessaire d’y administrer la justice, suivant le droit Romain, suivant la Loi Gombette, suivant la Loi Salique, suivant la Loi Ripuaire, suivant la loi des Saxons, et suivant celles des Bavarois, parce que l’usage d’y rendre la justice à chacun suivant le code de sa nation, étoit devenu une loi essentielle du droit public de la monarchie, et parce qu’il sera survenu de tems en tems dans la cité dont je parle, quelqu’essain de tous ces peuples.

Enfin, Clovis qu’on peut regarder en quelque maniere, comme le premier fondateur de la monarchie Françoise, étant mort à quarante-cinq ans, il n’a pas eu le loisir de corriger les défauts de sa monarchie. Quand on a lu l’histoire de ses successeurs, on n’est point tenté de demander pourquoi ils ne les ont pas corrigés. Outre qu’ils n’avoient point cette autorité qu’a toujours un premier fondateur ou instituteur de toute societé, ils ne furent jamais assez unis, pour former de concert un projet semblable, et ce projet ne pouvoit gueres s’exécuter par aucun d’eux en particulier.

Après tout, cette diversité de codes pouvoit bien retarder la justice, mais elle n’étoit point un obstacle tel qu’il dût empêcher qu’elle ne fût renduë à la fin. En premier lieu, les procédures tant en matiere civile qu’en matiere criminelle, se faisoient alors bien plus sommairement qu’aujourd’hui. C’étoient les parties qui défendoient leurs droits elles-mêmes. Elles n’étoient pas reçûës à plaider par avocat ni par procureur. Il paroît encore qu’avant Charlemagne, plusieurs des juges du moins, ne délivroient point par écrit les sentences qu’ils avoient renduës.

En second lieu, les inconveniens qui pouvoient naître de la multitude des codes, ne se faisoient pas sentir dans les procès entre les personnes d’une même nation, et suivant l’apparence, ces sortes de procès faisoient le plus grand nombre des causes que les juges avoient à décider. Quant aux procès entre personnes de diverses nations, le demandeur devoit, en vertu du droit naturel, poursuivre ses prétentions suivant la loi à laquelle sa partie étoit soumise, et devant le tribunal dont elle étoit justiciable. Bientôt même, comme on a pû le remarquer, et comme je l’exposerai incessamment, il y eut des tribunaux mi-partis ou composés de juges de differentes nations, ce qui prévenoit tout conflit de jurisdiction, parce que ces tribunaux se trouvoient être des cours de justice compétentes pour juger tous les particuliers de quelque nation qu’ils fussent.

En troisiéme lieu, il y avoit dans chaque cité un officier, dont l’autorité s’étendoit également sur tous les tribunaux nationaux, et qui pouvoit en cas de conflit de jurisdiction, ou décider l’affaire par lui-même, ou la renvoyer devant le tribunal compétent. C’est ce qui paroît en lisant la formule des provisions des ducs, des comtes nommés par nos rois, pour gouverner dans un certain département ou simplement dans une cité. Il est dit dans cette formule dont nous avons déja fait mention plus d’une fois : » Vous nous garderez une fidélité inviolable, & vous maintiendrez en paix par votre bonne conduite, les Francs, les Romains, les Bourguignons & les Citoyens de toutes les autres Nations, qui composent le Peuple de votre district, & vous rendrez justice à chacun d’eux, suivant les Loix & la Coutume de la Nation, dont il se trouvera être Citoyen. »

Enfin le trône du roi étoit un tribunal toujours ouvert à ceux qui vouloient demander justice au prince lui-même, ce qui devoit bien abreger les procès les plus épineux. Nos rois exerçoient en personne toutes les fonctions de premiers magistrats de leur monarchie. On vient de voir, par exemple, que c’étoit au roi lui-même à donner force de loi aux testamens. Non-seulement, ces monarques jugeoient eux-mêmes les Francs, c’est ce que nous avons vû, mais ils jugeoient encore les Romains leurs sujets. Il y a plusieurs exemples de pareils jugemens dans cet ouvrage ; néanmoins j’en insererai deux ici. Il y avoit dans la cité de Tours une famille Romaine appellée Injuriosa  : il en sortit même durant le sixiéme siecle un évêque de ce diocèse ; et c’est à son occasion que l’Histoire ecclésiastique des Francs nous instruit de la condition de cette famille, et qu’il nous apprend qu’elle n’étoit que du troisiéme ordre. Injuriosus, dit-il, « étoit né libre, quoiqu’il fût du dernier ou troisiéme ordre de citoyen. » Dans cette même histoire il est rapporté qu’un autre Injuriosus aussi citoyen de Tours, et qui avoit été vicaire ou lieutenant d’un comte de cette cité, fut accusé d’avoir assassiné un Juif. Nous raconterons les circonstances de ce meurtre, quand nous aurons à parler de la maniere dont se faisoit sous les successeurs de Clovis l’imposition et le recouvrement des deniers royaux. Or, ce fut à comparoître devant la personne du roi Childebert, qu’Injuriosus fut cité, et il comparut le jour auquel il avoit été assigné, dans le palais où ce prince se trouvoit actuellement, mais les accusateurs ne s’étant point presentés ni ce jour-là ni les deux jours suivans, pour former leurs demandes et fournir leurs preuves, l’accusé fut renvoyé absous.

Andarchius prétendant qu’Ursus lui eût promis sa fille en mariage, ce qu’Ursus nioit d’avoir fait ; la cause fut portée devant le roi. On voit suffisamment par le nom que portoit l’une et l’autre partie, qu’elles étoient de la nation Romaine.

Est-il possible, dira-t’on encore, que le Franc obligé à plaider contre un Romain devant un tribunal Romain, ou que le Romain qui poursuivoit un Franc devant un tribunal Franc, trouvassent de la neutralité dans ces tribunaux ?

Je crois que les liaisons qui sont entre les citoyens d’une même nation, lorsqu’elle habite pêle-mêle avec d’autres nations, auront souvent fait prévariquer les tribunaux nationaux, mais je suis aussi persuadé que souvent les comtes et les autres officiers supérieurs, dont l’autorité s’étendoit sur les citoyens de toutes les nations domiciliées dans une cité, auront réussi à l’empêcher. D’ailleurs, on sçait bien qu’alors la décision des questions litigieuses, étoit une fonction municipale commune à tous les citoyens, qui s’en acquittoient chacun à leur tour. Les loix n’avoient point encore été commentées par des hommes qui employent tout leur esprit à y trouver un sens opposé à celui qui se presente d’abord ; et ces loix s’expliquoient ainsi sans peine à tous les cas portés devant les tribunaux. On n’avoit point encore imaginé d’ériger en charges perpétuelles et lucratives, l’emploi de rendre la justice, et d’exclure de la fonction de la rendre tous les citoyens qui ne seroient pas revêtus de quelqu’une de ces charges, non plus que d’interdire aux juges toute autre profession que celle de juger. En un mot, on n’avoit pas fait encore de la dispensation des loix, un second encensoir en deffendant aux profanes, à ceux qui n’auroient point été initiés aux misteres de Themis, d’y mettre jamais la main. Enfin nos juges du sixiéme siecle n’avoient point d’interêt à faire durer les procès.

L’usage étoit encore parmi les Romains, lorsque notre monarchie fut établie, que l’officier du prince qui présidoit à un tribunal, choisît par lui-même, dans un certain ordre de citoyens, ses assesseurs ou ceux qui devoient juger avec lui. Les Barbares auront suivi, selon l’apparence, cet usage si simple et si naturel. Ainsi comme le comte avoit également inspection sur tous les tribunaux nationaux, comme il y présidoit, soit par lui-même, soit par son vicaire, il aura pû dans tous les tems introduire quelque juge Franc dans les tribunaux Romains, lorsqu’on y devoit juger la cause d’un Franc, et il aura pû de même introduire des juges Romains dans le Mallum, lorsqu’on y devoit juger la cause d’un Romain. Voilà ce qui se sera passé dans les tems qui ont suivi immédiatement celui de l’établissement des nations barbares dans les Gaules. On y aura donc pratiqué dans ces premiers tems à peu près ce qui se pratique encore aujourd’hui en Angleterre, dans le jugement d’un procès criminel fait à un étranger. On lui accorde que la moitié des jurés, ou de ceux de ses juges, qui doivent le déclarer innocent ou coupable du fait dont il est accusé, soit tirée de personnes de sa propre nation.

L’utilité de cet usage ayant été reconnue, elle aura donné lieu à l’établissement des tribunaux mi-partis, dont nous avons déja dit quelque chose, mais dont nous allons parler encore. Il paroît clairement, en lisant les passages qui ont été rapportés, et ceux qui vont l’être, que dans les tribunaux dont il s’agit, on rendoit la justice suivant des codes differens, afin qu’elle y pût être rendue à chaque sujet conformément à sa propre loi. Les chambres mi-parties ont toujours eu la réputation de rendre la justice encore plus légalement que les autres tribunaux. En quel tems nos rois ont-ils établi ces tribunaux, composés de Romains et de Barbares de differentes nations ? Je l’ignore, et même je ne nierois pas qu’ils ne fussent presqu’aussi anciens, du moins dans plusieurs cités, que leur réunion à notre monarchie.

Nous avons déja observé plusieurs fois, que dans les cas où les monumens litteraires de nos antiquités ne nous apprennent point assez distinctement ce qui se pratiquoit en certaine occasion dans la monarchie Françoise, la raison vouloit que nous jugeassions de l’usage qui s’y observoit en ce cas-là, par l’usage observé en même cas dans les royaumes, que les Gots et les autres Barbares avoient établis durant le cinquiéme siécle, sur le territoire de l’empire d’Occident. Or nous allons voir que la précaution que Theodoric, roi des Ostrogots, avoit prise pour empêcher que dans les procès, entre personnes de differentes nations, les parties eussent à souffrir de la prédilection des juges pour leur propre nation, revient à peu près à l’expédient dont nous avons imaginé qu’on pouvoit se servir alors dans le royaume des Francs. Voici le contenu de la formule des lettres que ce prince adressoit aux Romains d’une de ses provinces, lorsqu’il y envoyoit un Ostrogot, pour y administrer la justice aux Ostrogots qui s’y trouvoient établis.

Etant informé que par un effet de la Providence, plu sieurs Ostrogots se trouvent domiciliés dans votre district, nous avons cru nécessaire d’y envoyer un tel en qualité de Comte. C’est un Sujet dont le bon caractére nous est connu, & qui conformément à nos Edits, prononcera sommairement sur toutes les contestations qui surviendront entre un Ostrogot & un Ostrogot. Pour celles qui pourront naître entre un Ostrogot & un Romain, il ne les décidera qu’en prenant pour second Juge, un Romain homme sage & prudent. Quant aux procès où les deux Parties seront des Romains, ces procès seront terminés à l’ordinaire par les Officiers Romains que nous avons départis dans nos Provinces. Ainsi chacun jouira de ses droits & priviléges, & les Tribunaux, bien que composés de Juges de Nations differentes, suivront unanimement, en rendant leurs Sentences, les maximes de la Justice. Il nous a paru que c’étoit-là le moyen le plus certain de faire vivre les Ostrogots & les Romains en bonne intelligence. »

On se doute bien que comme le comte Ostrogot prenoit des Ostrogots pour assesseurs, lorsque son tribunal devenoit une chambre mi-partie, de même le Romain que le comte avoit choisi pour second juge, se faisoit assister par des assesseurs Romains. Les successeurs de Theodoric observerent la maxime de gouvernement que ce prince avoit suivie. Voici ce qu’écrit Athalaric concernant le sujet dont il s’agit, dans une lettre adressée à Gildas, un Ostrogot qui exerçoit à Syracuse l’emploi de comte.

» On vous accuse de vouloir contraindre deux Romains qui sont en procès l’un contre l’autre à s’en tenir à votre décision. Si le fait est vrai, n’entreprenez plus rien de semblable, & ne vous rendez pas coupable par un désir inconsidéré de faire regner la Justice. Ne troublez point les Magistrats ordinaires dans les fonctions de leur ministere, & vous contentant de prêter main-forte à la Justice, laissez plaider les Romains devant les Tribúnaux Romains. »

Pourquoi nos rois n’auroient-ils pas eu à cœur de faire rendre une bonne et briéve justice à leurs sujets, autant que l’avoit le Theodoric dont nous parlons ? Pourquoi n’auroient-ils pas aussi-bien que lui, donné de tems en tems de ces exemples rigoureux qui retiennent les juges dans leur devoir bien plus efficacement que des édits, des déclarations et toutes les loix possibles ? Le continuateur de la Cronique d’Alexandrie[113] qui doit être né à la fin du sixiéme siecle, rapporte que Juvenilia, une dame Romaine, qui plaidoit depuis trois ans contre Formus, un patricien, présenta au roi des Ostrogots une requête par laquelle il étoit supplié de faire enfin juger son procès. Theodoric envoya chercher les juges, et dès qu’il leur eut enjoint de le terminer promptement, ils le jugerent en deux jours. Aussi-tôt que Theodoric fut instruit du fait, il fit couper la tête à ces juges iniques, pour avoir fait durer un procès qu’ils pouvoient finir en si peu de tems. Nos rois n’étoient pas plus familiarisés que Theodoric avec l’iniquité d’un délai de justice affecté.

Je tomberai d’accord, autant qu’on le voudra, que nos rois et leurs officiers ne pouvoient point empêcher toutes les prévarications qui se commettoient à l’abri de la diversité des codes en vigueur dans la monarchie. Comme le dit Hincmar : » Lorsque le Comte croit se rendre le maître d’une affaire, la faisant juger suivant le Droit Romain, il veut qu’elle soit jugée suivant ce Droit-là. Ne trouve-t’il pas son compte à la faire juger suivant le Droit Romain, il prétend qu’elle doive être jugée suivant les Capitulaires ? Il arrive souvent de-là qu’on élude la disposition du Droit Romain par les Capitulaires, & celle des Capitulaires par le Droit Romain. » Comme les Capitulaires étoient des loix faites par nos rois qui étoient les chefs suprêmes de toutes les nations qui composoient le peuple de leur monarchie, ces capitulaires devoient avoir une autorité supérieure à celle de toutes les loix nationales, lorsqu’ils se trouvoient en opposition avec elles. Ces loix devoient plier devant les capitulaires émanés immédiatement du pouvoir législatif, comme nos coutumes plient aujourd’hui devant les édits de nos rois.

Ainsi je dirai volontiers, comme le disoit Agobard dans ses représentations à Louis Le Débonnaire contre la loi des Bourguignons : » Qu’il eût bien mieux valu que les Sujets de la Monarchie Françoise n’eussent jamais eu qu’un Roi, & qu’ils eussent tous vêcu selon la même Loi, parce qu’alors il у auroit eu plus d’union entr’eux, & qu’ils auroient trouvé plus d’équité dans leurs Concitoyens. »

Il ne nous convient pas trop neanmoins de traiter d’hommes encore à demi-sauvages, les princes qui ont souffert que cette pluralité de codes differens entr’eux, fût en usage dans le même district. N’a-t’on pas vû regner en France, dans le tems qu’elle étoit déja très-polie, un abus à peu-près pareil à celui de souffrir dans le même royaume des nations distinctes, dont chacune devoit être jugée suivant son code particulier ? J’entends parler ici de l’usage général introduit dans la monarchie sous les rois de la troisiéme race, et suivant lequel les criminels n’étoient point justiciables du juge du lieu où ils avoient commis leur délit, mais du juge du lieu de leur domicile. Par exemple, il falloit renvoyer le bourgeois d’Orleans qui avoit commis un assassinat à Reims, pardevant le bailli d’Orleans. Que les personnes qui connoissent par expérience quels sont les inconvéniens qui ne font que retarder le cours de la justice, et quels sont ceux qui empêchent qu’elle ne puisse être rendue, décident si l’obligation de traduire les criminels devant le juge de leur domicile, ne devoit pas retarder plus long-tems la punition des coupables, et même empêcher enfin qu’elle ne fût faite, que de la diversité des codes, de laquelle il est ici question ? Croit-on que le juge du lieu où un délit avoit été commis par un homme domicilié ailleurs, fît de grandes diligences pour s’assurer de la personne du coupable, et pour ne point laisser périr les preuves, quand ce n’étoit point à lui de juger le coupable ? Quels frais ne falloit-il pas faire pour le transport de l’accusé et pour le voyage des témoins ? Malgré tous ces inconvéniens et plusieurs autres qu’il est aisé d’imaginer, l’usage qui vouloit que les criminels fussent justiciables du tribunal auquel leur domicile ressortissoit, a subsisté en France jusques sous le regne de Charles IX[114]. L’habitude qui fait regarder les abus les plus grossiers comme des coutumes tolerables, et qu’il seroit même dangereux de changer, avoit tellement prévenu les François en faveur de l’usage de renvoyer les accusés devant le juge du lieu de leur domicile, que le Chancelier de l’Hôpital n’osa l’attaquer qu’avec ménagement. Il se contenta donc d’abord d’engager le roi Charles IX à statuer : que si le délinquant étoit pris au lieu du délit, son procès seroit fait et jugé en la jurisdiction où le délit auroit été commis, sans que le juge fût tenu de le renvoyer à une autre jurisdiction sous laquelle l’accusé prisonnier se prétendroit domicilié. Ce ne fut que trois ans après, que Charles IX acheva de supprimer l’usage abusif dont nous parlons, en statuant dans l’ordonnance de Moulins : que la connoissance des délits appartiendroit au juge du lieu où ils auroient été commis, nonobstant que le coupable n’eût été pris en flagrant délit, et en reglant[115] que le juge du domicile du délinquant seroit tenu, lorsqu’il en seroit requis, de renvoyer le délinquant au lieu du délit.

LIVRE 6 CHAPITRE 10

CHAPITRE X.

La division des Romains dans les Gaules en trois Ordres a subsisté sous nos Rois. Que les Romains avoient part à tous les Emplois de la Monarchie, & qu’ils s’allioient par mariage avec les Francs.


Dés le premier livre de cet ouvrage, on a vû que dans les Gaules, ainsi que dans les autres provinces de l’empire, les citoyens Romains étoient par rapport à leur état civil divisés en trois classes ou ordres, et que cette division avoit lieu dans toutes les cités. On a vû encore que le premier ordre renfermoit toutes les familles sénatoriales, c’est-à-dire, celles où il y avoit eu des sénateurs, et dont le sang pouvoit donner le droit d’entrer préferablement aux autres citoyens dans le sénat de la cité, lorsqu’il y vacquoit quelque place. On a vû aussi que le second ordre étoit composé de ceux qui possedoient dans le district de la cité des biens fonds à eux appartenans en toute proprieté et qui n’exerçoient que des professions honorables, et même que c’étoit pour cela que les empereurs donnoient souvent le titre d’honorables aux citoyens de ce second ordre. Les uns, et nous l’avons dit de même, s’appelloient Curiales ou gens des curies, parce qu’ils avoient voix active et passive dans la collation des emplois municipaux de la cité, et les autres s’appelloient simplement Possessores ou Possesseurs, parce qu’ils n’avoient point ce droit-là. Enfin on a vû que le troisiéme ordre étoit composé d’affranchis ou de fils d’affranchis, qui ne s’étoient point encore élevés au-dessus de la condition de leurs peres. Les uns étoient membres des colléges ou des communautés d’artisans établies dans chaque cité, et les autres faisoient valoir la portion de terre que le maître qui les avoit affranchis leur avoit abandonnée, à charge de payer une redevance annuelle.

Il est fait mention de ces trois ordres dans ceux des livres de l’histoire de Gregoire de Tours, où il raconte ce qui s’est passé dans les Gaules sous les rois successeurs de Clovis ; et il y en est fait mention comme d’ordres subsistans actuellement. Dans le catalogue des évêques de Tours que cet écrivain nous donne à la fin du dernier livre de son Histoire, il est dit qu’Ommatius qui fut élevé sur le siege de cette métropole, environ douze ans après la mort de Clovis, étoit un sénateur de la cité d’Auvergne. Il y est dit que Francilio qui fut élu quelques années après, étoit aussi sénateur, et qu’Injuriosus successeur de Francilio étoit du dernier ordre des citoyens, mais que cependant il étoit né libre. Eufronius l’un des successeurs d’Injuriosus étoit sorti suivant ce même historien, d’une de ces familles qu’on appelloit sénatoriales.

Sous le regne de Clotaire fils de Clovis, Domnolus qui fut dans la suite évêque du Mans, et qui étoit alors superieur d’une communauté religieuse, établie où l’église de S. Laurent lès Paris est bâtie aujourd’hui, fut élu évêque d’Avignon. Domnolus qui avoit de puissans motifs de ne se pas éloigner de la personne de Clotaire, dit en rendant compte des raisons qu’il avoit de ne point accepter sa vocation à l’épiscopat d’Avignon : qu’enfin il ne pouvoit se résoudre, lui qui étoit un homme simple, d’aller demeurer dans une cité où il trouveroit un sénat composé de sophistes, et des tribunaux remplis par des juges qui s’amusoient à philosopher sur tout.

Il y a dans Gregoire de Tours une infinité d’autres endroits sur tout ceux où il est parlé de la mort d’un évêque et de la nomination de son successeur, qui font foi qu’il y avoit encore de son tems des sénateurs dans les Gaules, et que les rois des Francs n’y avoient rien changé à la distribution des Romains en trois ordres politiques, que nos princes trouverent établie dans cette grande province de l’empire, lorsqu’ils s’y rendirent les maîtres ; mais je m’abstiendrai de les rapporter ici, parce que j’en ai allegué déja un grand nombre, et parce qu’il suffira pour prouver ma these, de rapporter le titre de la Loi Salique où il est statué sur la peine pécuniaire à laquelle doit être condamné le Franc de condition libre. L’inégalité de la somme à laquelle est condamné le meurtrier, suivant que le Romain dont il falloit venger la mort étoit d’un ordre ou d’un autre, montre clairement que dans tous les tems où les differentes rédactions de cette loi ont été faites, les Romains des Gaules étoient encore partagés en differens ordres, ainsi qu’ils l’étoient sous les derniers empereurs. Voyons donc ce qui se trouve dans la rédaction de la Loi Salique faite par Charlemagne et du tems de la seconde race. Ce code après avoir statué dans le trente-sixiéme titre concernant le meurtre des esclaves, statue dans le quarante-troisiéme sur le meurtre des personnes de condition libre. Le premier article condamne à deux cens sols d’or le meurtrier d’un Franc, et il est dit dans trois autres articles de ce titre-là :

» Le Franc qui aura tué un Romain de condition à pouvoir manger à la table du Roi, payera trois cens sols d’or d’amende ou d’interêts civils. »

» Le Franc qui aura tué un Romain de l’Ordre des Possesseurs, c’est-à-dire, qui possede en toute proprieté des fonds dans le canton où est son domicile, payera cent sols d’or d’amende. »

» Celui qui aura tué un Romain qui tient d’autrui & moyennant une redevance, les terres qu’il cultive, payera quarante cinq sols d’or d’amende. »

Les mêmes dispositions concernant les differentes peines pécuniaires dont étoit tenu le Franc qui avoit tué un Romain, suivant la condition dont étoit le Romain mort, se trouvent aussi dans la Loi Salique de la rédaction faite par ordre des rois fils de Clovis[116]. Nous avons rapporté ci-dessus l’endroit de cette loi où il est statué comme nous venons de l’exposer.

Il est vrai que le Romain dont le meurtre est puni par une peine pécuniaire de trois cens sols d’or, n’est point désigné par le titre de sénateur dans la Loi Salique, mais la proportion qui est entre l’amende que doit payer son meurtrier et les amendes que doivent payer ceux qui auroient tué un Romain du second ordre ou de l’ordre des possesseurs, et l’amende que doivent payer ceux qui auroient tué un Romain du troisiéme ordre, montre suffisamment que c’est l’homicide d’un Romain du premier ordre ou de l’ordre sénatorial que cette loi condamne à une peine pécuniaire de trois cens sols d’or. D’ailleurs l’expression de Convive du roi, par laquelle la Loi Salique désigne le Romain dont le meurtrier sera condamné à trois cens sols d’or d’amende, convient très-bien à un Romain de l’ordre supérieur qui pouvoit manger avec le roi, quand ceux des deux ordres inférieurs ne pouvoient point être admis à cet honneur. Les Francs auront désigné d’abord un Romain du premier ordre par ce qui les frappoit le plus, et cette désignation une fois établie, l’expression de Convive du roi, pour dire une personne d’un certain grade, sera devenue l’expression usitée.

Qu’il fallût dans les tems dont je parle avoir un certain rang pour être ce qu’on appelloit Convive du roi, on n’en sçauroit douter. Fortunat ayant dit que Condo avoit été fait tribun, et qu’il avoit ensuite servi comme comte sous le prédécesseur de Sigebert petit-fils de Clovis, il ajoute que le roi Sigebert pour récompenser Condo de ses nouveaux services, l’avoit fait monter à un grade qui le rendoit convive du roi. L’usage qui avoit reglé, qu’il falloit être d’une certaine condition pour prendre place, apparemment sans être invité, à la table des personnes d’un certain rang, a même subsisté sous la troisiéme race. On lit dans les institutes coutumieres de maître Antoine Loysel : Nul ne doit seoir à la table du baron, s’il n’est chevalier. Enfin quels que fussent ces romains Convives du roi, il est certain qu’ils composoient un ordre supérieur non-seulement aux deux autres ordres des citoyens Romains, mais aussi aux citoyens mêmes de la nation des Francs, puisque le Franc qui avoit tué un autre Franc, n’étoit condamné qu’à une peine pécuniaire de deux cens sols d’or, au lieu que le Franc qui avoit tué un de ces Romains convives du roi, étoit condamné à payer trois cens sols d’or.

Il ne faut point croire que la Loi Salique n’inflige en ce dernier cas une peine si grave, que parce qu’elle statue dans notre article sur la peine du meurtrier d’un officier public actuellement en charge, et par conséquent que c’est à l’emploi dont le Romain convive du roi se trouvoit revêtu, et non point à la prééminence de l’ordre dont il étoit, que cette loi a eu égard. Ce n’est point dans le titre quarante-troisiéme qu’on explique ici, que la Loi Salique statue sur les peines dûës au meurtre d’une personne actuellement en charge, mais bien dans le titre cinquante-sixiéme qui est divisé en quatre articles, dont le premier condamne le meurtrier d’un comte à une peine pécuniaire de six cens sols d’or, et le second condamne celui qui auroit tué un officier d’un rang inferieur à trois cens sols d’or.

Non-seulement les rois Mérovingiens laissoient le Romain des Gaules en possession de son état, mais ils lui conferoient encore souvent les emplois les plus importans de la monarchie, et ils lui permettoient de s’allier par mariage avec les Francs. Les monumens litteraires du sixiéme et du septiéme siecles sont si remplis de faits qui prouvent la premiere de ces deux propositions, que je n’aurois point songé à en rassembler ici quelques-uns, si la hardiesse avec laquelle des écrivains de parti ont soutenu depuis peu, que les Francs avoient réduit les Romains des Gaules dans une condition approchante de la servitude, n’étoit point capable d’en imposer à ceux qui n’ont pas lû l’histoire de nos premiers rois dans les auteurs contemporains.

Clovis lui-même s’est servi de Romains dans ses affaires les plus importantes. Nous avons vû quelle étoit sa confiance pour Aurelien que l’Abbréviateur dit positivement avoir été Romain de nation, et de quelle importance étoit l’emploi de commandant dans le canton de Melun quand ce prince le lui confera. Saint Mélaine évêque de Rennes devint après la soumission des Armoriques au pouvoir de Clovis, son conseiller. Quel crédit S. Remi ne devoit-il point avoir sur l’esprit de ce prince son néophite ? On voit par le nom des évêques qui ont siégé sous le regne de ses successeurs, et par le nom des généraux et des ministres de ces princes, que la plûpart de ces prélats, de ces généraux, et de ces ministres étoient Romains de nation. Il y a même plus, les auteurs contemporains disent positivement quelquefois que ces généraux, que ces ministres étoient Romains. Par exemple, Gregoire de Tours parle dans plusieurs endroits de son histoire d’un Lupus[117] qui vivoit de son tems, et qui sous le regne de Sigebert petit-fils de Clovis étoit déja parvenu à l’emploi de duc de la Champagne de Reims. Or nous voyons par un poëme que Fortunat, contemporain de Gregoire de Tours adresse au duc Lupus, que ce Lupus étoit Romain de nation. » Le Duc Lupus, dit notre Poëte, efface la splendeur des hommes les plus célébres. Penétré des sentimens Romains, qu’il tient du sang dont il est sorti, il remplit également bien les fonctions de Général & celles de Magistrat. » On pouvoit être en même tems l’un et l’autre sous nos rois Mérovingiens. Nous l’avons observé plus d’une fois.

Frédegaire trouvant à propos de nous apprendre de quelle nation étoit chacun des généraux de l’armée que le roi Dagobert I envoya contre les Gascons vers l’année six cens trente-cinq, dit : que tels et tels étoient Francs, qu’un tel étoit Bourguignon, et que Crammelenus un de ces chefs, étoit Romain de nation. Dès qu’il y avoit dans les armées de nos rois des généraux Romains, on ne sçauroit douter qu’il n’y eût aussi bien des officiers et bien des soldats, et même des corps entiers de cette nation. Qu’on se souvienne encore de ce que dit Procope, dans le passage où il parle de la réduction des Armoriques à l’obéissance de Clovis. On y voit que Clovis prit à son service les troupes Romaines, qui gardoient la Loire contre les Visigots, et que lorsque notre historien écrivoit, c’est-à-dire, après le milieu du sixiéme siécle, ces troupes étoient encore armées et disciplinées à la Romaine. En un mot, qu’elles étoient encore de véritables légions. En effet, Gregoire de Tours fait mention dans plusieurs endroits de ses ouvrages, de tribuns, qui vivoient de son tems, et l’on sçait que ce nom est de la milice Romaine, et non pas de la milice des Barbares. Notre historien dit, en parlant d’un crime commis de son tems, qu’un certain Medardus, qui étoit tribun en fut soupçonné. Ce même auteur dit dans la préface de son second livre des miracles de saint Martin, qu’après avoir employé son premier livre à écrire les merveilles que l’apôtre des Gaules avoit operées dans les tems antérieurs, il va raconter celles qui arrivoient journellement au tombeau de ce saint. Il rapporte ensuite dans l’onziéme chapitre de son second livre, que Mummola femme du tribun Anienus, et qui avoit perdu l’usage d’un pied, le recouvra miraculeusement par l’intercession de saint Martin.

Dans un autre endroit de ses ouvrages, Gregoire de Tours parle d’un miracle qui se fit au tombeau de saint Germain évêque d’Auxerre, dans la personne du tribun Nunninus, qui étoit parti d’Auvergne pour venir payer à la reine Theodechilde quelqu’argent provenant des revenus de cette province, sur laquelle son pere Thierri lui avoit apparemment assigné sa dot. On a vû qu’il avoit cette cité dans son partage. Fortunat parle aussi du tribunat dans le poëme que nous venons de citer à l’occasion du sens que pouvoit avoir l’expression de Convive du roi. Il dit à Condo le héros du poëme. » Vous êtes parvenu en montant de grade en grade, aux places les plus eminentes. Votre premier avancement fut que le Roi Thierri vous recompensa comme Tribun, au sortir d’un combat qu’il avoit gagné. Son fils Theodebert vous confera ensuite l’emploi de Comte. »

Il falloit bien qu’il y eût encore dans les Gaules, des tribuns sous les rois Mérovingiens, puisqu’il y avoit encore dans les cités des Romains qui portoient le titre de maître de la milice ou de Magister militum. Le Pere Mabillon a donné dans le quatriéme tome des Annales de l’ordre de saint Benoît, la formule d’une constitution de dot faite à Angers suivant l’usage du lieu, la quatriéme année du regne de Childebert, et cet acte fait mention d’un maître de la milice comme d’un des officiers de la cité. Suivant toutes les apparences, ces maîtres de la milice n’étoient que les commandans de la milice Romaine de chaque cité, car l’emploi de généralissime des Gaules étoit réuni à la couronne, et nous verrons dans un chapitre composé exprès, que chaque cité des Gaules avoit sous les rois Francs sa milice, composée de ses anciens habitans, ainsi qu’elle l’avoit sous les empereurs Romains. Mais cela prouve toujours que les Francs n’en avoient point usé avec les Romains des Gaules, comme un conquerant en use avec une nation qu’il a subjuguée et qu’il opprime, de la même maniere que les Turcs oppriment les Grecs. Un tel conquerant se garde bien de laisser au peuple subjugué le maniement des armes.

Rapportons encore quelques passages des auteurs du sixiéme et du septiéme siécle, où il est fait mention des Romains pourvûs par nos rois des plus grandes dignités de l’Etat, et employés par eux dans les affaires les plus délicates.

On sçait que le patriciat étoit dans les pays qui avoient composé le royaume des Bourguignons, et qui avoient été unis en cinq cens trente-quatre au royaume des Francs, la plus grande dignité après la royale. Ou bien nos rois ayant trouvé, lorsqu’ils soumirent ce pays-là, que le premier officier du prince s’y nommoit Patrice, ils continuerent à donner ce titre à celui qui devoit y commander immédiatement sous eux. Ou bien nos rois, et c’est ce qui me paroît de plus vraisemblable, ayant trouvé la qualité de Patrice comme réunie au diadême des Bourguignons, parce que les derniers rois de cette nation l’avoient eue, et d’un autre côté ne voulant plus la porter, lorsqu’ils furent devenus seigneurs suprêmes des Gaules, en vertu de la cession de Justinien, ils la donnerent à leur premier officier dans celles de leurs provinces dont il s’agit, afin que le peuple accoutumé à obéir à des Patrices, lui obéît par habitude. Quoiqu’il en ait été, il est toujours certain que ce premier officier se nommait Patrice. Or il est fait mention dans un seul chapitre de Gregoire de Tours, de trois Romains créés patrices par le roi Gontran, qui avoit la Bourgogne dans son partage ; sçavoir, Celsus, Amatus, et Eunius Mummolus. Leurs noms suffisent pour montrer qu’ils étoient Romains, mais nous sçavons encore d’ailleurs, que Celsus étoit de cette nation. Nous avons l’épitaphe de Silvia, mere de ce Celsus, et il est dit dans cet épitaphe, que Silvia, qui comptoit des consuls au nombre de ses ancêtres, avoit vû l’un de ses fils évêque, et Celsus qui étoit l’autre, revêtu de la dignité de Patrice. Quant à Eunius Mummolus, voici un autre passage de l’Histoire ecclésiastique des Francs qui le regarde, et qui contient plusieurs preuves de l’admission des Romains, aux principaux emplois de notre monarchie : » Eunius, dont le surnom étoit Mummolus, fut fait Patrice par le Roi Gontran, je me crois obligé de dire ici quelque chose concernant l’origine & les premiers Emplois de ce Mummolus. Il étoit fils de Peonius Citoyen d’Auxerre, & qui faisoit les fonctions de Comte dans cette Cité. »

Quand Gregoire de Tours parle de l’ambassade que Childebert le fils du roi Sigebert avoit envoyée à l’empereur Maurice, il dit : que des trois ambassadeurs qui la composoient, Grippo étoit Franc de nation, que l’autre qui s’appelloit Bodegesilus étoit fils de Mummolenus de la cité de Soissons, et que le troisiéme qui se nommoit Evantius, étoit fils de Dinamius, de la cité d’Arles. Nous verrons dans le chapitre où nous prouverons que les cités des Gaules avoient conservé leurs milices sous les rois Mérovingiens, que lorsque Gregoire de Tours dit absolument qu’un homme étoit citoyen d’Arles, de Soissons, ou de telle autre cité qu’on voudra, notre historien entend dire, que cet homme-là étoit des anciens habitans de la cité dont il s’agit, et par consequent Romain.

Frédégaire qui étoit Franc de nation, dit positivement dans plusieurs endroits de ses chroniques, que ses officiers principaux, dont il a occasion de parler, étoient Romains de nation. » Proradius, écrit-il, qui étoit Romain d’origine, & pour » qui la Cour avoit beaucoup de vénération, fut fait Patrice à la recommandation de Brunehaut. Le même historien nous apprend un peu plus bas, que Protadius fut élevé à la dignité de maire du palais, dont l’autorité devoit s’étendre sur tout un partage. » L’année suivante, dit encore ce même Auteur, » Claudius, Romain de Nation, fut fait Maire du Palais par le Roi Thierri le jeune. »

Ce n’est point parce qu’il paroissoit extraordinaire à Frédégaire, que des Romains fussent élevés à de si grandes dignités, qu’il marque de quelle nation étoient Claudius et les autres. C’est uniquement parce qu’il a jugé convenable de dire, de quelle nation étoient ceux dont il racontoit l’avancement. La preuve de ce que je soutiens, c’est qu’il en use de la même maniere, lorsqu’il parle de l’avancement des Francs. En rapportant que Colenus avoit été fait patrice par Thierri Le Jeune, il observe que Colenus étoit Franc de nation. Frédégaire remarque qu’Erpon étoit de la même nation, quand il dit qu’Erpon fut fait duc, ou commandant de la Bourgogne Transjuranne.

Je pourrois encore raporter une infinité d’autres exemples, pour prouver que les Romains ne furent jamais exclus sous les rois Mérovingiens des plus grandes dignités de la monarchie. Mais je me contenterai de fortifier ceux que j’ai rapportés par un raisonnement. Les Romains, comme on l’a vû plus d’une fois, aimoient mieux être sous la domination des Francs que sous celle des Bourguignons ou des Gots. Il faut donc que les Romains ne fussent point traités plus mal par les Francs, que ces Romains l’étoient par les Bourguignons et les Gots. Or les Bourguignons et les Gots n’ont jamais exclu les Romains des emplois les plus importans.

On a vû qu’Arédius et plusieurs autres ministres du roi Gondebaud étoient Romains. Ce prince dans le préambule de la loi nationale des Bourguignons, s’addresse à tous ses officiers tant Bourguignons que Romains. Il est dit dans un autre endroit de cette loi : « Nous entendons que tous les comtes tant Bourguignons que Romains observent la justice. »

Quant aux Gots, nous avons vû déja que les Visigots faisoient servir à la guerre leurs sujets, Romains de nation, qu’ils les employoient dans les affaires d’Etat ; et voici ce que dit un ambassadeur des Ostrogots concernant la maniere dont ces derniers vivoient avec les Romains d’Italie. On ne sera point fâché de trouver ici le passage en entier, quoiqu’on en ait déja vû des fragmens. » Après nous être rendu les maîtres de l’Italie, en la délivrant du Tyran Odoacer, nous n’avons pas eu moins d’attention qu’en avoient les Césars, à y faire observer les Loix, & à y conserver l’ancienne forme de gouvernement. Théodoric & ses successeurs n’ont fait d’autres Ordonnances que celles qu’il convenoit de publier, afin de maintenir en vigueur les Loix établies. Pour ce qui regarde la Religion nous n’y avons point touché, & nous avons laissé à cet égard aux Romains une si grande liberté, que jusques ici aucun d’entr’eux ne s’est fait de notre Communion. On n’a point même inquieté ceux des Ostrogots qui ont embrassé la Religion Catholique. Nous avons toujours porté un si grand respect aux Eglises des Romains, qu’aucun de ceux qui s’y sont réfugiés, n’en a pas été tiré par force. Il y a plus ; nous avons laissé aux Romains tous les emplois civils. Aucun Ostrogot n’y est entré. Que celui qui peut nous convaincre de mensonge s’éleve contre nous, & qu’il nous en accuse en face. Ce que j’avance est si vrai, que nous avons bien voulu que les Romains d’Italie reçussent de l’Empereur des Romains d’Orient le Consulat qui par nos soins étoit demeuré annexé au Partage d’Occident. » En effet nous avons vû que les juges citoyens de la nation des Ostrogots, et qui étoient envoyés par Théodoric dans les provinces, ne devoient y prendre connoissance que des procès des Ostrogots, et tout au plus des procès des Romains qui plaidoient en qualité de demandeurs contre un Ostrogot.

Comme nous avons encore un édit celebre de Théodoric roi des Ostrogots fait pour être observé par tous ses sujets de quelque nation qu’ils fussent, et qui contient plus de cent articles, j’ai cru devoir entendre Procope, comme je l’ai entendu dans l’endroit, où il semble dire absolument que ce prince et ses successeurs n’avoient point fait de loix.

Je fais ici une réflexion. C’est qu’à me voir prouver si méthodiquement que nos premiers rois n’ont jamais exclu les Romains des Gaules, leurs sujets, des principales dignités de la monarchie, et qu’il est absolument faux que les Francs ayent ôté à ces Romains l’exercice des armes, il sembleroit que les auteurs modernes[118] qui ont avancé que ces princes avoient réduit nos Romains dans un état approchant de la servitude, fussent fondés en preuves. On croiroit que ces auteurs eussent rapporté quelque loi autentique par laquelle Clovis, ou l’un de ses successeurs auroit dégradé nos Romains, en les rendant, par rapport aux Francs, de la même condition qu’étoient les ilotes par rapport aux citoyens de Lacédemone, ou que le sont aujourd’hui les Grecs sujets du Grand-Seigneur par rapport aux Turcs, et que de mon côté je serois à la peine de prouver par les faits que cette loi seroit demeurée sans exécution. On croiroit du moins que j’aurois à réfuter des auteurs qui alleguent plusieurs exemples de Romains exclus des grandes dignités de la monarchie, parce qu’ils étoient Romains, ou tout au moins, que j’aurois à répondre à des écrivains tellement accrédités pour avoir composé sur les antiquités Françoises plusieurs ouvrages estimés du public, que leur sentiment formeroit seul un préjugé qui ne pourroit être détruit que par les raisons les plus solides.

Il n’y a rien de tout cela. En premier lieu, on n’a jamais vû aucune loi qui ait exclu les Romains des grands emplois de la monarchie, ni qui les ait réduits à un état approchant de la servitude. Jamais aucun auteur ancien n’a fait mention d’une pareille loi, et les écrivains qui ont la hardiesse de supposer qu’elle ait existé, le supposent gratuitement.

En second lieu, ces auteurs n’alleguent aucun fait dont on puisse induire l’existence de cette loi générale. Ils ne prouvent par aucun exemple qu’elle ait jamais été.

En troisiéme lieu, les écrivains dont je parle, n’ont jamais eu la réputation d’être sçavans dans nos antiquités. Au contraire les auteurs les plus illustres par ce genre d’érudition, sont du sentiment de Dom Thierri Ruinart, qui dans la préface qu’il a mise à la tête de son édition des œuvres de Gregoire de Tours, a écrit : Lorsque les anciens Habitans des Gaules, ou pour parler le langage de ces tems-là, lorsque les Romains & les Francs eurent été associés de maniere que les deux Nations ne faisoient plus qu’un seul Peuple, le Peuple de la Monarchie se trouva composé en premier lieu de personnes sorties des Maisons illustres & de celles que Grégoire de Tours appelle Maisons Sénatoriales ; en second lieu, de Citoyens nés libres ; en troisiéme lieu, de personnes affranchies par leurs Maîtres à differentes conditions ; & en quatrieme lieu, de véritables Esclaves. Ceux d’entre les Romains qui avoient de la naissance ou qui étoient riches, parvenoient aux principales Dignités de la Monarchie, ainsi que les Francs descendus de ceux qui étoient venus d’au-delà du Rhin. L’Histoire de Gregoire de Tours fait foi que dans les tems dont elle parle, plusieurs de ces Romains furent faits Comtes & même Ducs. »

Aussi ne réfutons-nous sérieusement l’opinion contraire, que parce qu’elle flatte assez la vanité de plusieurs personnes pour s’accréditer, toute fausse qu’elle est ; c’est en dire assez quant à present. Montrons que nos Romains s’allioient tous les jours par mariage avec les Francs. Ce sera une nouvelle preuve que les Francs ne les traitoient point comme on traite des serfs.

Il est vrai qu’il y a eu des Barbares du nombre de ceux qui dans le cinquiéme siécle s’établirent sur le territoire de l’empire Romain, qui long-tems y ont habité sans vouloir s’allier par des mariages avec les Romains. Par exemple, il a été deffendu durant plusieurs générations aux Visigots d’épouser des Romaines, et aux filles des Visigots de se marier avec des Romains. Nous avons une preuve sans réplique de ces prohibitions dans la loi faite pendant le septiéme siécle pour les révoquer insensiblement, en introduisant l’usage des dispenses. Cette loi qu’on connoît être du roi Rescivindus, monté sur le trône, suivant Luitptand en six cens cinquante-trois, et cela parce que le monagrance du nom de Rescivindus se trouve à la tête de la loi, statue ainsi. » Par de bonnes considérations, nous révoquons pour toujours l’ancien Reglement, & nous statuons par la presente Ordonnance qui doit être irrévocable, que doresnavant un Visigot pourra épouser une Romaine, & une femme de la Nation des Visigots un Romain, en nous en demandant auparavant la permission. » On aura inseré ce statut dans la loi des Visigots, à la place du statut qui défendoit les mariages dont il s’agit, et qui étoit devenu inutile par sa révocation. Voilà pourquoi nous ne trouvons plus ce statut-là, dans la table de la loi des Visigots.

Il n’en a pas été de même des loix des Francs. On ne trouve dans aucune de leurs rédactions, la prohibition de s’allier par mariage avec la nation Romaine, et l’histoire fait foi en second lieu, que les Francs ont souvent contracté mariage avec des personnes de cette nation, dès les premiers tems de la monarchie.

Tout ce qui est permis par la loi naturelle en matiere civile, et n’est point défendu par une loi du droit positif particulier à la nation dont il s’agit, est réputé permis par ce droit positif. Or la Loi Salique et la Loi Ripuaire ne deffendent dans aucun des endroits où elles statuent sur les mariages, le mariage d’un Franc libre avec une Romaine de même condition, ni celui d’un citoyen Romain avec une femme libre de la nation des Francs. Il y a même dans ces deux loix plusieurs articles dont on peut tirer induction, qu’elles approuvoient ces sortes de mariages.

Le quatorziéme titre de la Loi Salique composé de seize articles, est entierement employé à statuer sur les rapts et sur les mariages. Il y est bien dit, que la fille libre qui épousera un esclave qu’elle sçaura être esclave, deviendra serve ; que celui qui épousera une femme fiancée avec un autre homme, sera condamné à une amende de soixante sols d’or au profit du roi, et à une amende de quinze sols d’or envers le fiancé ; que l’homme qui aura épousé sciament l’esclave d’un autre, perdra la liberté ; que les mariages de ceux qui auroient épousé leurs parentes ou leurs alliées dans un degré prohibé, seroient déclarés nuls, et les enfans qui en seroient provenus, bâtards. Mais il n’y est point dit, que le Franc libre qui auroit épousé une Romaine libre doive être sujet à aucune peine de quelque nature que ce soit. Au contraire un article de la Loi Salique de la premiere redaction, ne condamne qu’à une amende de trente sols d’or celui qui auroit épousé l’affranchie d’un autre citoyen, et cela sans distinction de nation. Il n’impose au délinquant aucune autre peine, et il ne dégrade point les enfans nés ou à naître d’un pareil mariage.

Lorsque les Francs se souleverent contre le mariage que Theodebert avoit contracté avec une matrone Romaine, avec Deutéria, et qu’ils l’obligerent à la quitter pour épouser Visigarde, ils n’alléguerent point que ce mariage fût prohibé par la Loi Salique. Ils dirent pour toutes raisons : que Theodebert n’avoit pas dû délaisser Visigarde qu’il avoit fiancée avant que d’avoir vû Deutéria, pour épouser Deutéria. Cependant il est naturel que des sujets qui prétendent obliger leur maître à rompre un mariage dont il est content et à en contracter un pour lequel il n’a pas d’inclination, fassent valoir toutes les raisons de nullité qu’on peut alleguer contre le premier mariage.

Lorsque l’évêque Sagittarius avançoit que les fils que le roi Gontran avoit eus de sa femme Austregilde, n’étoient point capables de succeder à la couronne, il ne se fondoit pas sur ce qu’Austegilde, qui, lorsque ce prince l’épousa, étoit esclave de Magnarius ou de Magnacharius, les manuscrits ortographient differemment ce nom propre, devoit être réputée de la nation Romaine dont étoit son maître, mais bien sur ce qu’elle avoit été esclave[119]. On juge, par ce qu’ajoute Gregoire De Tours ; Sagittarius se trompoit ne sçachant point que tous les fils des rois sont capables de succeder à la couronne, nonobstant la condition de leur mere, qu’alors on étoit persuadé que l’honneur que faisoit le souverain aux esclaves qu’il daignoit épouser, les affranchissoit de plein droit.

Venons à la loi des Ripuaires, qui, comme nous l’avons déja observé, étoit moins favorable aux Romains en general, que la Loi Salique. Il est vrai qu’elle condamne, ou pour mieux dire, qu’elle improuve le mariage des Romains avec les Ripuaires. Il y est dit à ce sujet : » Si un homme affranchi en face d’Eglise, si un Romain, ou si un Affranchi de la dépendance du Domaine du Roi, épouse une Ripuaire née libre, ou si un Ripuaire né libre épouse, soit une Romaine, soit une Affranchíe dépendante du Domaine du Roi, soit une femme affranchie en face d’Eglise, les enfans qui naîtront de ces sortes de mariage, seront de la condition de celui des deux conjoints, dont l’état est le moindre. » Ainsi le fils du Ripuaire qui avoit épousé une Romaine, et qui naturellement devoit jouir de l’état de Ripuaire, étoit réduit à l’état de Romain par cette loi. Elle n’ordonne rien de plus, soit à son préjudice, soit au préjudice de son pere. Encore est-il probable que par Romain, il ne faut point entendre ici, les Romains unis avec les Ripuaires et domiciliés parmi eux, mais les Romains qui n’avoient point cet avantage, et qui étoient comme étrangers par rapport aux Ripuaires : en un mot, les Romains que la Loi Ripuaire qualifie Advena Romani. Nous en avons déja parlé.

Mais quel qu’ait été l’objet et le motif de cette sanction particuliere, l’esprit de la loi des Ripuaires est si peu opposé aux mariages entre les personnes des deux nations, que cette loi n’impose aucune sorte de peine à la fille d’un Ripuaire, laquelle auroit épousé un Romain. Elle ne statue autre chose à cet égard, si ce n’est que les enfans nés d’un pareil mariage, seroient Romains, c’est-à-dire, de la condition dont ils devoient être, suivant la loi naturelle. La loi des Ripuaires est néanmoins très-sévere contre les filles de condition libre, qui contracteroient les mariages, qu’elle regarde comme de véritables mésalliances. Tels sont les mariages qu’une fille née libre pouvoit contracter avec de certains affranchis ou avec des esclaves. La loi[120] condamne les enfans nés de quelques-uns de ces mariages à l’esclavage. Les filles qui auroient contracté quelques autres de ces mariages, sont condamnées elles-mêmes à devenir serves. Voici une des dispositions que le code Ripuaire fait à ce sujet, et qui paroît digne d’être rapportée. » Si une fille Ripuaire & née libre a suivi an Esclave de sa propre Nation, & que ses parens veuillent empêcher que la Loi par laquelle cette fille est condamnée à l’esclavage ne soit exécutée, la susdite fille & le Serf seront traduits devant le Roi ou devant le Comte. Alors le Roi ou le Comte présentera une épée & une quenouille à la fille. Si la fille opte l’épée, il faudra qu’elle tue avec certe épée le Serf qui l’aura séduite. Si la fille opte la quenouille, qu’elle demeure Esclave. » Cette loi, l’on n’en sçauroit douter, étoit très-propre à retenir les serfs Ripuaires dans les bornes du respect qu’ils devoient aux filles des citoyens de la nation, mais d’un autre côté, elle assuroit à l’un des coupables le moyen de se justifier par le meurtre de son complice. Enfin, ce que la Loi Ripuaire statue concernant les mariages de ses citoyens avec des personnes de la nation Romaine, est une preuve que souvent il se contractoit de pareils mariages.

Après tout ce qui vient d’être exposé, je crois devoir me contenter de rapporter deux exemples de mariages contractés entre des Romains et des Francs. Il est dit dans la vie de saint Rigobert, archevêque de Reims, et né vers le milieu du septiéme siecle, qu’il étoit d’une famille considérable du canton des Gaules, connu sous le nom du pays des Ripuaires, et qu’il étoit fils de Constantinus, et d’une fille de la nation des Francs. Si l’auteur de la vie de saint Rigobert se contente de marquer la nation dont étoit la mere de ce prélat, c’est qu’il croit avoir dit assez intelligiblement que le pere de notre saint étoit Romain, en disant qu’il s’appelloit Constantinus. Saint Médard, né dans le Vermandois, et mort évêque de Noyon sous le regne de Clotaire I étoit fils de Nectardus, de la nation des Francs, et de Protagia de la nation des Romains. Ces mariages étoient en usage, même avant que Clovis se fût rendu maître des Gaules.

Enfin Procope écrit dans l’endroit de son Histoire de la guerre Gothique, où il raconte comment se fit l’union des francs avec les Armoriques, et que nous avons rapporté dans le troisiéme chapitre du quatriéme livre de cet ouvrage, que l’union dont il s’agit fut faite aux conditions que les Francs avoient proposées, et qu’une de ces conditions étoit que les deux peuples, pour rendre leur confédération plus étroite, s’alliroient ensemble par des mariages. Les Francs qui s’incorporerent à la tribu des Saliens, qui avoit fait le traité dont nous venons de parler, se seront conformés à sa disposition. Si l’on trouve dans la loi des Ripuaires quelqu’espece de peine imposée au Franc qui épousoit une Romaine, c’est que les Ripuaires n’ayant point été incorporés à la tribu des Saliens, ils auront eu la liberté de continuer à maintenir ce qui avoit été statué à cet égard dans les tems précedens.

Les Visigots, il est vrai, ont été long-tems sans vouloir s’allier par mariage avec les Romains des Gaules, on vient de le voir ; mais la raison qui les éloignoit de ces alliances, n’en éloignoit pas les Francs. Les Gots venoient de la Pannonie, et lorsqu’ils s’établirent en-deçà des Alpes et au-delà des Pirenées, ils n’étoient pas familiarisés de longue main avec les Romains de ces contrées-là. Au contraire les nations Germaniques du nombre desquelles étoient les Francs, n’auront jamais eu de répugnance à s’allier par des mariages avec les Romains de la partie des Gaules où elles s’habituerent, parce qu’elles avoient eu de grandes relations avec eux, même avant qu’elles passassent le Rhin, pour venir occuper cette partie des Gaules. En effet, nous voyons en lisant la loi des Bourguignons, qui étoient une autre nation Germanique, qu’ils pouvoient dès les premiers tems de leur établissement dans les Gaules, épouser des Romaines, et donner leurs filles à des Romains.

Il y est dit dans le douziéme titre qui concerne le crime de Rapt. « La fille Romaine qui sans avoir obtenu le consentement de ses parens, ou bien à leur insçû, épousera un Bourguignon, sera deshéritée. » Suivant cette loi il étoit donc permis aux filles Romaines d’épouser impunément des Bourguignons, pourvû qu’elles se mariassent de l’aveu de leurs parens ; et par conséquent il étoit, dans ce cas-là, permis aux Bourguignons de les épouser. Il suffiroit de cet article et de ce qu’on ne trouve dans la Loi Gombette aucune sanction qui deffende les mariages entre des personnes des deux nations, pour conclure avec fondement qu’elle les approuvoit. Je crois néanmoins que mon lecteur ne sera point fâché de trouver encore ici une sanction de cette loi tirée du titre où il est statué sur la satisfaction dûe aux veuves et aux filles Bourguignones qui se plaindroient en justice d’avoir été séduites, parce qu’il y est supposé qu’elles demandassent alors que leur séducteur, soit qu’il fût Romain, soit qu’il fût Bourguignon, seroit tenu de réparer leur honneur en les épousant. Voici le premier article de ce titre. » Si la fille d’un Bourguignon né libre, a, tandis qu’elle est encore fille, un commerce criminel avec un Barbare, ou bien avec un Romain, & qu’elle se plaigne ensuite en Justice d’avoir été séduite, aprés qu’elle aura dûment prouvé son accusation, son séducteur lui payera quinze sols d’or de dommages & interêts, & il sera mis hors de Cour. Quant à la fille, elle demeurera chargée de l’infamie qu’encourent celles qui manquent à leur honneur. »

Le second article de ce même titre montre bien que j’ai eu raison de supposer, en expliquant le premier, que la fille, qui se plaignoit, demandât que son séducteur fût tenu de l’épouser. Il y est dit : » Quant à la veuve qui volontairement aura eu un commerce criminel avec quelqu’un, & qui intentera dans la suite une action contre lui, on ne lui adjugera aucuns dommages & interêts, & si celui auquel elle se sera abandonnée, refuse de l’épouser, nous deffendons de l’y contraindre, attendu que par sa conduite elle se seroit renduë indigne d’avoir ni un mari, ni des dommages & interêts. »

Enfin nous avons vû que dans les cas d’homicide, la Loi Gombette traitoit avec parité les Bourguignons et les Romains, ordonnant la même peine contre le meurtrier du Romain que contre le meurtrier du Bourguignon. Ainsi tout nous oblige à croire que la Loi Gombette n’empêchoit pas ces deux nations de s’allier ensemble par des mariages.

Dans la suite de cet ouvrage nous confirmerons encore tout ce que nous venons d’avancer par une observation. C’est que dans toute l’étenduë du royaume de France, tel qu’il étoit sous le regne de Hugues Capet, il a toujours été permis aux hommes de quelque condition qu’ils fussent, d’épouser impunément et sans que leur posterité en fût dégradée en aucune maniere, des filles d’une condition inferieure à la leur, pourvû néanmoins qu’elles fussent nées libres. Je ferai voir que même depuis les tems où les loix ont mis dans ce royaume-là plusieurs differences entre les citoyens nés dans certaines familles et les citoyens nés dans d’autres familles, que depuis que les citoyens laïques y ont été divisés en deux ordres ; sçavoir l’état de la noblesse et l’état commun, ou le Tiers état : il n’a jamais été deffendu aux citoyens du premier de ces deux ordres, d’épouser des filles du second, soit par une prohibition expresse, soit par des reglemens qui auroient contenu une prohibition indirecte, en excluant les enfans nés de ces alliances inégales, de certains emplois, honneurs, bénéfices et dignités étant à la collation de leurs concitoyens, ou à celle de nos rois.

Aussi voyons-nous que toutes les preuves que quelques compagnies, de qui les reglemens ont été faits sous les premiers rois de la troisiéme race, exigent encore aujourd’hui des récipiendaires qui se présentent pour y entrer, consistent uniquement à faire paroître qu’on est né d’une mere de condition libre, et même depuis que presque tous les serfs ont été affranchis, le récipiendaire en est cru à son simple serment : il en est quitte pour affirmer en disant, juro quod jum ex venire libero, ou juro quod sum ab omni servitute solutus. C’est encore l’usage observé dans plusieurs églises cathédrales des pays compris dans les limites du royaume de France, tel qu’il étoit lorsque Hugues Capet le possedoit.

Quant aux dignités affectées à la noblesse et instituées depuis que ce n’est plus la profession qui décide de l’ordre dont est un citoyen, mais bien le sang dont il est sorti, nos rois n’ont pas voulu qu’on exigeât du novice ou du récipiendaire qui se présentoit pour y être admis, aucune preuve de noblesse du côté des meres. S’il se trouve aujourd’hui dans quelques contrées de la monarchie des corps, des compagnies, et des societés où l’on n’est admis qu’en prouvant qu’on est issu de mere et d’ayeules nobles, c’est par trois raisons.

En premier lieu, les successeurs de Hugues Capet ont réuni au royaume qu’il avoit possedé, plusieurs pays démembrés de la monarchie Françoise à la fin du regne de la seconde race, et qui durant le tems écoulé entre leur démembrement et leur réunion, avoient été soumis à l’empire d’Allemagne, où l’esprit des loix Saxonnes a toujours prévalu, parce que plusieurs des premiers chefs de cette monarchie ont été Saxons de nation. Il s’est donc trouvé dans les pays dont je parle, lorsqu’ils ont été réunis au royaume de France, plusieurs coutumes et usages contraires à ceux qui s’y observoient avant le démembrement, et nos rois ont bien voulu laisser subsister ces nouveautés.

Secondement, ces princes ont souffert que depuis deux siecles on ait introduit des usages contraires aux anciens usages de la monarchie, en differentes contrées de leur obéissance.

En troisiéme lieu, nos rois ont eu la facilité de permettre que des ordres ou societés dont le chef-lieu est hors du royaume, y établissent des maisons, que dans la réception des novices on y suivît des loix faites en un pays étranger, et qu’on y observât même les nouveaux statuts que ces ordres ont ajouté depuis cent quatre-vingt ans, aux anciens, soit pour obliger les novices à faire preuve de trois dégrés de noblesse paternelle et maternelle, au lieu qu’il suffisoit dans les premiers tems qu’ils fissent preuve d’un dégré, soit pour astraindre ces novices à faire ces preuves par actes et leur interdire de pouvoir les faire par témoins, ainsi qu’elles se faisoient précédemment.

On doit regarder comme une de ces loix étrangeres dont nos rois ont bien voulu permettre l’exécution dans leurs Etats, l’article de la Pragmatique de Bourges, dans lequel il est ordonné que, pour jouir du privilége qu’on accorde aux nobles de pouvoir, après trois ans d’étude dans une université, y être faits gradués, quoique les non-nobles n’y puissent être faits gradués, qu’après cinq ans d’étude, il faudra être issu d’un pere et d’une mere nobles. En effet cet article de la Pragmatique Sanction ne fut jamais rédigé par les officiers du roi instruits des loix et des coutumes de la monarchie. Ainsi que la plûpart des autres articles de la Pragmatique, il a été tiré mot pour mot des décrets du concile de Basle. D’ailleurs le point de cet article qui regarde les meres ne s’observe pas. Ce que je vais écrire servira encore de nouvelle preuve à ce que je viens de dire concernant l’état et condition des Romains des Gaules sous nos rois Mérovingiens.


LIVRE 6 CHAPITRE 11

CHAPITRE XI.

Du Gouvernement particulier de chaque Cité, sous le Regne de Clovis, & sous le regne de ses premiers Successeurs. Que chaque Cité avoit conservé son Senat, & que ces Senats avoient été maintenus dans leurs principaux Droits. Que chaque Cité avoit aussi conservé sa Milice.


Nous avons suffisamment expliqué dans les chapitres précedens, que les rois Mérovingiens étoient à la fois chefs, souverains, ou rois de chacune des nations Barbares qui habitoient dans les Gaules ; qu’ils étoient outre cela princes des Romains de cette grande province, et qu’en cette qualité ils exerçoient en leur propre nom sur ces Romains la même autorité que le préfet du prétoire et le maître de la milice exerçoient sur eux dans les tems précedens, au nom de l’empereur. Nous avons aussi rapporté que nos rois envoyoient dans chaque cité pour y être le principal officier, un comte ; ainsi c’étoit à ce comte que devoient répondre tous les supérieurs locaux, s’il est permis d’employer cette expression, pour désigner l’officier qui étoit le chef ou le supérieur des Romains du lieu, et celui qui étoit le chef ou le supérieur de chaque essain de Barbares établi dans le territoire de la cité, et cela de quelque nation que ces Barbares pussent être. L’autorité du comte émanoit directement du roi, et tous les sujets du roi, quels qu’ils fussent, devoient par conséquent la reconnoître.

C’étoit donc au comte de chaque cité, que les magistrats municipaux des Romains, ainsi que leurs officiers militaires devoient s’addresser dans les affaires importantes. C’étoit au comte que les sénieurs des Francs et les autres chefs des essains de Barbares devoient recourir. C’étoit lui qui dans les occasions leur intimoit les ordres du roi, et qui avoit soin que la justice fût rendue et les revenus du prince payés. C’étoit encore lui qui commandoit dans les occasions, les troupes que son district fournissoit pour servir à la guerre, et qui par conséquent ordonnoit aux Barbares comme aux Romains, de prendre les armes et de marcher. Le pouvoir civil, comme on l’a déja remarqué, n’étoit point séparé du pouvoir militaire sous les rois Mérovingiens, ainsi qu’il l’avoit été sous les empereurs successeurs de Constantin Le Grand.

Nous avons déja observé que la division des Gaules en dix-sept provinces, n’avoit point eu de lieu sous nos rois, du moins par rapport au plus grand nombre de ces provinces. Ainsi l’on voit bien que les comtes devoient répondre directement au roi, et qu’en campagne ils devoient commander la milice de leur district immédiatement sous lui ou sous le général qu’il avoit nommé. Il faut cependant en excepter les comtes dont les cités se trouvoient enclavées dans les especes de commandemens que nos rois érigeoient de tems en tems, en mettant plusieurs cités sous les ordres d’un seul officier. Celui à qui l’on confioit ces especes de gouvernemens, dont la durée et les bornes ont été d’abord purement arbitraires ; et qui avoit plusieurs comtes sous ses ordres, s’appelloit du même nom qu’on donnoit dans le bas empire à ceux qui commandoient dans un Tractus ou commandement militaire, et il se nommoit duc. Par exemple sous le regne des petits-fils de Clovis on forma de la Touraine et du Poitou un de ces gouvernemens, dont Ennodius fut fait duc. Mais comme je viens de le dire, il ne paroît point que ces gouvernemens ayent jamais fait un département stable, ni pour user de cette expression, une Province permanente, ainsi que le faisoient les gouvernemens de même genre, que les empereurs romains avoient érigés dans les Gaules, et qui s’appelloient Tractus. Il arrivoit donc que quelquefois un comte avoit un duc pour supérieur, et quelquefois qu’il n’y avoit personne entre le comte et le prince, auquel cas le comte recevoit immédiatement les ordres du roi, et s’adressoit directement au souverain.

Voilà pourquoi Fredegaire, parlant d’une armée nombreuse que le roi Dagobert I fit marcher contre les Gascons, dit, après avoir fait l’énumération des ducs qui l’avoient jointe avec les troupes de leur département : » Qu’il s’y trouvoit encore plusieurs Comtes, qui sous leurs propres auspices, y avoient amené les Milices de leurs Cités, parce qu’ils n’avoient point un Duc au-dessus d’eux. »

Quoique les rois conferassent les emplois de comte suivant leur bon plaisir, ils avoient néanmoins quelquefois la complaisance de laisser le choix de cet officier au peuple de la cité même, qu’il devoit gouverner. Gregoire de Tours rapporte comme un évenement assez ordinaire, que son diocèse se plaignant du gouvernement de Leudastés, le roi Chilperic premier donna commission à Ansoaldus de s’y rendre, pour mettre ordre au sujet de ces plaintes. Ansoaldus, ajoute l’historien, vint à Tours le jour de saint Martin, et il defera au peuple et à nous le choix d’un nouveau comte ou gouverneur. En conséquence de cette grace, Eunomius fut revêtu de l’emploi de comte : cela sent-il l’esclavage ?

Nous avons vû, en parlant de l’état des Gaules sous les empereurs, qu’il y avoit dans chaque cité un Senat, qui en étoit comme l’ame, et qui dans ce district, avoit la même autorité et le même crédit que le Senat de Rome avoit dans Rome sous le bas empire. Ainsi dans chaque cité, le Senat, comme nous l’avons dit, étoit du moins consulté par les officiers du prince, sur les matieres importantes, comme étoit l’imposition des subsides extraordinaires. C’étoit encore lui, qui sous la direction des officiers du prince, rendoit ou faisoit rendre la justice aux citoyens, et qui prêtoit la main à ceux qui faisoient le recouvrement des deniers publics.

Que ces Senats ayent subsisté sous les rois Mérovingiens, on n’en sçauroit douter. On vient de lire dans le neuviéme chapitre de ce livre, et on avoit lu déja dans d’autres endroits plusieurs passages de Gregoire de Tours, où il donne la qualité de senateur de la cité d’Auvergne ou d’une autre, à des hommes qu’il a pû voir, et dont quelques-uns devoient être nés comme il l’étoit lui-même, depuis la mort de Clovis.

Il paroît que quelques-uns de ces Senats ont subsisté non-seulement sous les deux premieres races, mais encore sous la troisiéme, et que c’est à leur durée que plusieurs villes ont dû l’avantage de conserver dans tous les tems le droit de commune, et de se maintenir dans sa jouissance, quoiqu’elles fussent enclavées dans les domaines des grands feudataires de la couronne. C’est parce que ces villes avoient conservé leur Senat, et que leur Senat avoit conservé la portion d’autorité dont il jouissoit dès le tems des empereurs Romains et sous les deux premieres races, qu’on trouve que sous les rois de la troisiéme race, ces mêmes villes étoient déja en possession du droit de commune d’un tems immémorial. En effet, on voit que certainement elles en jouissoient sous le regne de tous ces princes, sans voir néanmoins qu’elles l’eussent jamais obtenu d’aucun roi de la troisiéme race, sans voir sous quel roi elles ont commencé d’en jouir. C’est ce qu’il faut exposer plus au long ; et pour l’expliquer mieux, je ne feindrai point d’anticiper sur l’histoire des siecles postérieurs au sixiéme et au septiéme. On ne sçauroit, et j’ai déja plus d’une fois allegué cette excuse, éclaircir avec le peu de secours qu’il est possible d’avoir aujourd’hui, tout ce qui s’est passé dans ces deux siecles-là, sans s’aider quelquefois de lumieres tirées de ce qui s’est passé dans les siecles posterieurs.

Un des évenemens les plus memorables de l’histoire de notre monarchie, est celui qui arriva sous les derniers rois de la seconde race, et sous Hugues Capet, auteur de la troisiéme. Ce fut alors que les ducs et les comtes, abusans de la foiblesse du gouvernement, convertirent dans plusieurs contrées leurs commissions qui n’étoient qu’à tems, en des dignités heréditaires, et qu’ils se firent seigneurs proprietaires des pays, dont l’administration leur avoit été confiée par le souverain. Non-seulement, ces nouveaux seigneurs s’emparerent des droits du prince, mais ils usurperent encore les droits du peuple qu’ils dépouillerent en beaucoup d’endroits de ses libertés et de ses privileges. Ils oserent même abolir dans leurs districts les anciennes loix, pour y substituer des loix dictées par l’insolence ou par le caprice, et dont plusieurs articles aussi odieux qu’ils sont bizarres, montrent bien qu’elles ne sçauroient avoir été mises en vigueur que par la force. Les tribunaux anciens eurent le même sort que les anciennes loix. Nos usurpateurs se reserverent à eux-mêmes, ou du moins ils ne voulurent confier qu’à des officiers qu’ils installoient ou qu’ils destituoient à leur bon plaisir, l’administration de la justice. Enfin, ils se mirent sur le pied d’imposer à leur gré les taxes, tant personnelles que réelles. Ce fut alors que les Gaules devinrent véritablement un pays de conquête.

Les successeurs de Hugues Capet persuadés avec raison que le meilleur moyen de venir à bout de rétablir la couronne dans les droits qu’elle avoit perdus, étoit de mettre le peuple en état de recouvrer les siens, accorderent aux villes qui étoient capables de les faire valoir, des chartres de commune qui leur donnoit le droit d’avoir une espece de senat ou une assemblée composée des principaux habitans nommés et choisis par leurs concitoyens, laquelle veillât aux interêts communs, levât les revenus publics, rendît ou fît rendre la justice à ses compatriotes et qui eût encore sous ses ordres une milice reglée, où toutes les personnes libres seroient enrollées. C’étoit proprement rendre aux villes, qui du tems des empereurs romains avoient été capitales de cité, et qui avoient eu le malheur de devenir des villes seigneuriales, le droit d’avoir un senat et des curies. C’étoit l’octroyer à celles d’un ordre inferieur et qui ne l’avoient pas du tems des empereurs, à celles que Gregoire De Tours désigne souvent par le nom de Castrum.

Les seigneurs s’opposerent bien en plusieurs lieux à l’érection des communes ; mais il ne laissa point de s’en établir un assez grand nombre sous le regne de Louis Le Gros et sous celui de Philippe Auguste. En quelques contrées les seigneurs ne voulurent acquiescer à l’établissement des communes qu’après qu’il eût été fait. En d’autres, les seigneurs consentirent à l’érection des communes en conséquence de transactions faites avec leurs sujets, ou pour parler plus correctement, avec les sujets du roi qui demeuroient dans l’étenduë de leurs fiefs, et ces transactions laissoient ordinairement les Communiers justiciables du seigneur territorial en plusieurs cas. Qui ne sçait les suites heureuses de l’établissement des communes ?

Or comme je l’ai déja dit, on trouve dès le douziéme siecle un grand nombre de villes du royaume de France, et capitales de cité sous les empereurs, comme Toulouse, Reims, et Boulogne, ainsi que plusieurs autres, en possession des droits de commune, et sur tout du droit d’avoir une justice municipale, tant en matiere criminelle qu’en matiere civile, sans que d’un autre côté on les voye écrites sur aucune liste des villes à qui les rois de la troisiéme race avoient, soit octroyé, soit rendu le droit de commune ; en un mot sans qu’on voye la chartre par laquelle ces princes leur auroient accordé ce droit comme un droit nouveau.

Il y a plus. Quelques-unes des chartres de commune accordées par les premiers rois de la troisiéme race, sont plûtôt une confirmation qu’une collation des droits de commune. Il est évident par l’énoncé de ces chartres que les villes ausquelles les princes les accordoient, étoient en pleine possession des droits de commune lors de l’obtention des chartres dont il s’agit, et que ces villes en jouissoient de tems immémorial, c’est-à-dire, dès le tems des empereurs, où elles étoient capitales de diocèse. La chartre accordée en l’année onze cens quatre-vingt-sept par Philippe Auguste à la commune de Tournai, dit dans son préambule ; qu’elle est octroyée aux citoyens de Tournai, afin qu’ils jouissent tranquillement de leur ancien état et qu’ils puissent continuer à vivre suivant les loix, usages, et coutumes qu’ils avoient déja. Il n’est pas dit dans cette chartre où l’administration de la justice est laissée entre les mains des officiers municipaux : que les impetrans tinssent des rois predecesseurs de Philippe Auguste, les droits dans lesquels la chartre de Philippe Auguste les confirme. On peut faire la même observation sur la chartre de commune octroyée à la ville capitale de la cité d’Arras par le roi Louis VIII fils de Philippe Auguste. Elle ne fait que confirmer cette cité dans les droits de commune, qui s’y trouvent déduits assez au long, sans marquer en aucune façon que la cité d’Arras tînt ces droits-là d’un des rois predecesseurs de Louis VIII.

Ne doit-on pas inferer de-là que si Reims et les autres villes dont la condition étoit la même que celle de Reims, jouissoient dès le douziéme siecle des droits dont il est ici question, c’étoit parce qu’elles en étoient déja en possession lors de l’avenement de Hugues Capet à la couronne. Or elles n’en étoient en possession dès ce tems-là, que parce que sous la premiere et sous la seconde race, elles avoient toujours continué d’être gouvernées par un senat, qui s’étoit apparemment chargé des fonctions dont les curies étoient tenues sous les derniers empereurs.

Je conclus donc que toutes les villes dont je viens de parler, tenoient le droit d’avoir un senat et une justice municipale, des empereurs mêmes, et que plus puissantes ou plus heureuses que bien d’autres, elles avoient sçû s’y maintenir dans le tems où la plus grande partie du royaume devint la proye des officiers du prince. Comme ces capitales étoient le lieu de la résidence de l’évêque et des senateurs, elles auront eu toutes, des moyens de se deffendre contre les usurpateurs, qu’une petite ville n’avoit point, et quelques-unes d’elles se seront servies de ces moyens avec succès. Les unes se seront maintenues dans tous leurs droits contre le comte. Les autres lui auront abandonné le plat pays, à condition qu’elles conserveroient néanmoins leur autorité sur la portion de leur territoire voisine de leurs murailles qui depuis aura été appellée la banlieue.

En effet, on remarque, comme il vient d’être dit, que presque toutes les villes qu’on trouve en possession des droits de commune dans le douziéme siecle sans qu’il paroisse que veritablement elles ayent jamais été érigées en commune par aucun des rois de la troisiéme race, avoient été sous les empereurs Romains, ou du moins dès le tems des rois Mérovingiens, des villes capitales d’une cité. Entrons dans quelque détail.

Le comte de Flandre, un des anciens pairs du royaume, a toujours été l’un des plus puissans vassaux de la couronne de France, même dans le tems où il ne tenoit encore d’autre grand fief que ce comté. Cependant son autorité n’étoit point reconnue dans le territoire ni dans la ville de Tournai, qui du tems des empereurs étoit la capitale du pays des Nerviens et l’une des cités de la Seconde Belgique. Tournai s’est même maintenu dans la sujetion immédiate à la couronne, dans ses autres droits et dans l’indépendance du comté de Flandre en des tems que ce grand fief étoit tenu par des ducs de Bourgogne et par des rois d’Espagne. Ce ne fut qu’en mil cinq cens vingt-neuf que Tournai devint ville domaniale du comté de Flandre, et cela en vertu de la cession que François I. en fit à l’empereur Charles-Quint comte de Flandre, par l’article neuviéme du traité de Cambray.

Tout le monde sçait qu’Arras est aujourd’hui composé de deux villes contigues, mais cependant séparées l’une de l’autre par une enceinte de murailles. Celle de ces villes qui est l’ancienne, et dans laquelle la cathédrale est bâtie, s’appelle la cité. Elle est désignée par le mot Civitas abusivement pris, dans la chartre de l’érection ou plûtôt de la confirmation de sa commune octroyée par le roi Louis VIII en l’année mil deux cens onze, et qui vient d’être citée. On voit bien en effet que ce mot y est employé, ainsi qu’en d’autres actes, dans le sens qu’il a vulgairement aujourd’hui, c’est-à-dire, pour signifier l’ancien quartier d’une ville qui s’est aggrandie, et non pas dans l’acception où nous avons averti dès le commencement de cet ouvrage que nous l’employerons, c’est-à-dire, pour signifier un certain district gouverné par une ville capitale, pour signifier en un mot, ce que les anciens Romains entendoient par Civitas. L’autre ville d’Arras, celle qui a été bâtie sous la troisiéme race, attenant les murailles de l’ancienne, s’appelle la ville absolument, et se trouve désignée par le mot Villa dans la chartre par laquelle Robert comte d’Artois lui accorde une partie des droits dont jouissoit la cité d’Arras, et que ce prince octroya l’année mil deux cens soixante et huit. Or cette cité d’Arras, qui du tems des empereurs Romains étoit la capitale de la cité des Artésiens, l’une des cités de la Seconde Belgique[121], n’a jamais reconnu pour seigneurs les comtes d’Artois, quoiqu’ils fussent des princes puissans, quoiqu’ils fussent les maîtres de tous les environs, et même de la nouvelle ville, ou de la ville absolument dite. La vieille ville d’Arras n’a traité avec eux que comme avec un voisin puissant. Elle a toujours relevé immédiatement de nos rois qui en laissoient ordinairement le gouvernement aux évêques, et cela jusqu’en mil cinq cens vingt-neuf que François I. la ceda par le dixiéme article du traité de Cambray, à l’empereur Charles-Quint comte d’Artois.

Nous trouvons que Térouenne enclavée au milieu du pays qui s’apelle aujourd’hui l’Artois, n’a jamais reconnu les comtes d’Artois pour seigneurs, et que cette ville et sa banlieue, ont toujours joui des droits de commune sous l’autorité immédiate du roi, jusques à l’année mil cinq cens cinquante-cinq qu’elle fut prise par les armes de Charles-Quint, et rasée et démolie par ses ordres. Jusques-là cette ville avec sa banlieue a fait une espece de petite province au milieu du territoire du comte d’Artois, et connue sous le nom de la Regale de Terouenne. Aussi Térouenne est-elle inscrite sur la Notice de l’empire comme ville capitale de la cité des Morins, l’une des douze cités comprises dans la seconde des provinces Belgiques.

L’auteur contemporain qui a écrit la vie de Charles VI et qui est connu sous le nom de l’Anonime de saint Denys, parlant de plusieurs graces que le duc de Bretagne obtint de ce roi en mil quatre cens trois, dit[122] : » Mais le Duc de Bretagne fit encore un plus grand coup d’état de se faire donner par le Roi pour la réunir à sa Duché, la Ville de saint Malo, jusques-là toujours sujette & fidelle à nos Rois, & que l’on consideroit comme l’éperon le plus capable de dompter le Duc de Bretagne. » Sans entrer plus avant en discussion, nous nous contenterons de dire que le canton de la Troisiéme Lyonoise qui compose aujourd’hui le diocèse de Saint Malo, étoit devenu cité sous les rois de la premiere race. C’est ce qui avoit mis la ville capitale de ce canton en état de maintenir ses droits et de se conserver dans la sujetion immédiate à la couronne, toute située qu’elle étoit entre le duché de Normandie et le duché de Bretagne.

Enfin lorsque plusieurs villes de celles qui du tems des empereurs Romains étoient capitales de cités, ont été troublées dans le droit d’avoir une justice municipale, elles ont mis en fait dans les tribunaux, qu’elles étoient en possession de ce droit avant l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, et qu’elles le tenoient des successeurs d’Auguste et de Tibére.

L’année mil cinq cens soixante et six, le roi Charles IX ordonna par l’édit de Moulins : que tous les corps de ville, ou pour parler le langage du sixiéme siecle, que tous les senats qui rendoient encore la justice en matiere civile, en matiere criminelle, et en matiere de police, ne la rendroient plus qu’en matiere criminelle, et en matiere de police. Il est dit dans l’article soixante et onziéme de cette ordonnance : » Pour donner quelqu’ordre à la Police, & pourvoir aux plaintes qui sur ce nous ont été faites, nous avons ordonné que les Maires, Echevins, Consuls, Capitouls & Administrateurs des Corps de Ville qui ont eu ci-devant, ou bien ont présentement exercice des causes civiles & criminelles & de la Police, continueront seulement ci après l’exercice du criminel & de la Police, à quoi leur enjoignons, vacquer incessamment, sans pouvoir dorénavant s’entremettre de la connoissance civile des instances entre les Parties, laquelle leur avons interdite & défendue. »

Depuis le regne de Louis XII jusqu’en mil cinq cens soixante et six, le nombre des juges royaux gradués, s’étoit accru excessivement en France, soit par la multiplication des officiers dans les anciens tribunaux, soit par la création des sieges présidiaux dans chaque bailliage, soit par l’érection des nouveaux bailliages. Mais quel qu’ait été le véritable motif de la disposition contenue dans l’édit de Moulins et de laquelle il s’agit ici, il suffira de dire que cet édit n’a été mis pleinement en exécution qu’avec le tems.

Il est vrai cependant, que non seulement il a eu son effet[123], mais qu’il est encore arrivé que les successeurs de monsieur le Chancelier de l’Hôpital qui en avoit été le promoteur, ont dépouillé presque toutes les villes de leur justice en matiere criminelle, et en matiere de police, mais cela n’est point de notre sujet. Voyons comment quelques villes qui avoient été capitales de cité du tems des Romains se défendirent, lorsqu’en vertu de l’édit de Moulins, elles furent troublées dans le droit d’avoir une justice municipale qui connoissoit des contestations et des délits de leurs habitans.

Dans cette occasion, et même toutes les fois que la ville de Reims capitale d’une des plus illustres cités de la Gaule, a été troublée dans l’exercice de sa jurisdiction municipale, elle a mis en fait, qu’elle étoit en possession dès le tems des empereurs Romains, et qu’elle y avoit toujours été depuis. Voici ce qu’on trouve à ce sujet dans un Discours sur l’antiquité de l’échevinage de la ville de Reims, et des justes raisons qui ont mû les échevins à maintenir ses droits et sa jurisdiction. Nicolas Bergier si célébre dans la Republique des Lettres par son Histoire des grands chemins de l’empire Romain, et l’auteur de ce discours, y dit après avoir allegué, que même avant la conquête des Gaules par Jules Cesar, la ville de Reims étoit déja gouvernée par un senat. » Or la forme de cet ancien gouvernement est demeurée entiere à la Ville de Reims jusqu’aux tems que l’Etat des Romains étant dissipé, elle a reçu la gloire d’être soumise à l’Empire & domination de nos Rois, sous le regne desquels ce gouvernement a changé de nom & non de forme, ayant été appellé Echevinage, nom qui se trouve plus d’une fois dans les Capitulaires de Charlemagne. »

Ce sçavant homme rapporte ensuite plusieurs preuves convainquantes, pour montrer que dans tous les tems l’échevinage de Reims avoit administré la justice à ses habitans, non seulement en matiere criminelle, mais aussi en matiere civile, et entr’autres il produit un témoignage rendu en faveur de sa cause dès le douziéme siécle et rendu par une personne désinteressée. Ce témoignage mérite bien d’être rapporté.

Jean De Salisbury qui avoit suivi en France saint Thomas de Cantorbery, fut spectateur de plusieurs mouvemens qui arriverent dans Reims, à l’occasion des démêlés que l’archevêque Henri fils du roi Louis Le Gros, y eut avec les citoyens concernant leurs franchises et leur jurisdiction municipale. Or cet Anglois dit dans une lettre écrite à l’évêque de Poitiers pour l’informer de tous ces démêlés et de leurs suites : » Les Citoyens de Reims se sont d’abord humiliés devant leur Archevêque, & même ils prétendent qu’ils prirent alors la résolution de porter dans les coffres deux mille livres pesant d’argent, à condition qu’il n’entreprît point sur leurs droits, & qu’il les laissât en possession d’avoir une Justice telle qu’ils l’avoient dès le tems de saint Remi l’Apôtre des Francs. » Il est vrai que le texte de Jean De Salisbury dit Legem et non pas Justitiam. Mais comme Loyseau l’observe[124], Loi, signifie justice en nos coutumes.

Aussi le Parlement de Paris a-t-il jugé plusieurs fois que la ville de Reims étoit bien fondée dans ses prétentions lorsqu’il s’agit de l’exécution de l’édit de Moulins. La Cour, dit Bergier, ordonna par son Arrêt du vingt-cinquiéme Mai mil cinq cens soixante & huit, que lesdits Echevins jouiroient de leur Justice & de leur Jurisdiction nonobstant l’Edit de Moulins, ainsi qu’ils avoient fait ci-devant, parce qu’il fut reconnu qu’il ne se devoit étendre sur les Villes de cette qualité, qui en jouissoient avant que la France fût en Royaume.

Les jurisconsultes du seizième siecle qui ont eu occasion de parler des procès ausquels l’exécution de l’édit de Moulins donna lieu et qui furent portés devant les cours souveraines, écrivent que plusieurs autres villes alléguoient les mêmes raisons que celle de Reims, comme des moyens qui devoient les exempter de subir la loy générale. Voici ce qu’on trouve dans Loyseau à ce sujet-là.

» Or[125] quand on voulut exécuter cette Ordonnance de Moulins, & ôter en effet aux Villes la Justice civile, plusieurs Villes y formerent opposition, les unes disant que cette Justice leur appartenoit de toute ancienneté, même avant l’établissement de la Monarchie Françoise…… Les Habitans de Boulogne soutinrent hautement contre Monsieur le Procureur Général, qu’ils avoient leur Justice de toute ancienneté, qu’ils s’étoient donnés & joints à cette Monarchie à condition qu’elle leur demeureroit, & en avoient toujours joui depuis. Leur fait fut reçu, & neanmoins faute d’en faire apparoir promptement par titres, il fut dit par Arrêt du mois de Janvier mil cinq cens soixante & onze, que par provision l’Ordonnance seroit exécutée. Autant en fut ordonné dans la cause de ceux d’Angoulême en mil cinq cens soixante & douze. »

René Chopin dit : » Les Habitans de Boulogne sur mer soutinrent aussi un procès contre Monsieur le Procureur Général, & ils y mirent en fait, que leur Justice étoit plus ancienne que la Monarchie Françoise. La Cour ordonna qu’elle en délibereroit. » On aura peine à croire, attendu la qualité des parties, que le parlement de Paris eut sursi au jugement définitif du procès de Boulogne, comme à celui de quelques autres villes, si les habitans de ces villes-là n’eussent point appuyé leurs moyens par des preuves, du moins très-vraisemblables. Suivant la Notice des Gaules, rédigée du tems de l’empereur Honorius, Boulogne étoit la capitale d’une des douze cités de la seconde Belgique ; Angoulême, étoit celle d’une des six cités de la seconde Aquitaine.

Le Capitole de Toulouse qui est encore aujourd’hui en possession de rendre la justice en matiere criminelle, et qui n’a été dépouillé du droit de la rendre en matiere civile qu’en vertu de l’édit de Moulins, soutient qu’il jouissoit, et de la prérogative qu’il a conservée, et de celle qu’il a perdue, avant que la ville de Toulouse fût soumise à la domination de Clovis, et qu’il en a joui sous les trois races de nos rois[126]. Lyon prétend que son corps de ville ne soit originairement autre chose que le senat qui régissoit la cité de Lyon du tems des empereurs Romains, et qui auroit continué l’exercice des fonctions sous les rois Bourguignons, sous les rois Francs, sous les empereurs modernes, & enfin sous les Rois de France.

On sçait encore que jusques au regne de Charles VI. qui créa des Elus en titre d’Office, c’étoient les Corps de Ville qui imposoient & qui levoient les deniers des Tailles & ceux des Aides, mais l’entiere discussion de cette matiere, appartient à l’Histoire du Droit public, en usage sous les Rois de la troisiéme Race.

Comme les Francs eux-mêmes entroient dans les Senats des Villes, où ils exerçoient tous les emplois Municipaux, ainsi qu’il le paroît par le passage d’Agathias, que nous avons rapporté & que nous avons cité tant de fois, il n’est point étonnant que les Senats ayent subsisté sous nos Rois Mérovingiens. Il semble même qu’ils eussent quelquefois plus d’autorité que le Comte même.

En effet nous voyons des Comtes n’avoir point assez de crédit pour empêcher que les Cités où chacun d’eux commandoit, ne prissent les armes l’une contre l’autre. Nous voyons que ces Officiers du Prince ne peuvent venir à bout de faire cesser cette guerre privée, autrement que par voie de médiation. Quelles étoient donc les troupes avec lesquelles ces Cités s’entrefaisoient la guerre ? C’étoient les mêmes Milices qu’elles avoient sous les Empereurs Romains, & dont elles se servoient lorsqu’elles en venoient aux voies de fait l’une contre l’autre.

Comme les troupes que les Empereurs Romains soudoyoient dans les Gaules, ne les mettoient pas toujours en état de prévenir ces sortes de guerres civiles, de même les Milices des Francs & des autres Barbares, que les Rois Mérovingiens avoient dans cette vaste contrée, ne pouvoient pas toujours être mises sur pied assez tôt, pour empêcher que les anciens Habitans du Pays, que les Romains, Sujets de ces Princes, ne répandissent le sang les uns des autres. Quelquefois les Francs, dont les quartiers étoient dans le voisinage des lieux, où s’allumoit la querelle, seront restés neutres. Ils auront attendu, les bras croisés, que le Gouvernement la terminât. En quelques occasions, les Francs auront épousé la querelle du Romain leur Compatriote, & par un malheur qui ne leur arrivoit que trop souvent, ils se seront battus les uns contre les autres. Peut-être même que la Nation des Francs qui n’étoit pas bien nombreuse, & qui cependant avoit à tenir en sujetion un Pays fort étendu, & dont les Habitans sont naturellement belliqueux, ne voyoit pas avec beaucoup de peine les Romains prendre les armes contre les Romains. Leurs dissentions et leurs querelles faisoient sa sûreté. Les faits que nous raconterons dans le chapitre suivant, mais qui ne sont pas les seuls que nous pourrions rapporter, prouveront suffisamment tout ce qui vient d’être avancé.

LIVRE 6 CHAPITRE 12

CHAPITRE XII.

Des guerres que les Cités des Gaules faisoient quelquefois l’une contre l’autre sous les Rois Mérovingiens.
Quand Gregoire De Tours désigne ceux dont il fait mention par le nom propre de leur Pays, il entend parler des Romains de ce Pays-là, & non pas des Barbares qui s’y étoient établis.


Après la mort de Chilperic[127], dit Gregoire de Tours, les Habitans de la Cicé d’Orleans s’étant alliés à ceux du Canton de Blois, qui étoit compris dans la Cité de Chartres, contre les Habitans du Dunois, qui étoit un autre Canton de la Cité de Chartres : ces Alliés entrerent à l’imprévû dans le Dunois, dont ils dévastercnt le Plat-Pays, emportant avec eux tout ce qu’ils purent enlever, mettant le feu au reste, & même aux maisons. Mais les Habitans du Dunois ayant été joints par les Habitans d’autres Cantons de la Cité de Chartres, ils prirent bientôt leur revanche. Ils entrerent donc à main armée dans le Territoire de la Cité d’Orleans & dans le Canton de Blois, & ils ne laisserent point pierre sur pierre dans tous les lieux où ils camperent. Cette guerre auroit eu de plus longues suites, si le Comte de la Cité de Chartres & le Comte de la Cité d’Orleans ne se fussent pas entremis, & s’ils n’eussent fait convenir les deux Partis ; » premierement, d’une cessation d’armes, durable jusqu’à ce qu’on eût prononcé sur les prétentions réciproques, & secondement, d’un compromis qui obligeoit celui des deux Partis qui seroit jugé avoir eu le tort, à indemniser l’autre du ravage fait dans son Territoire. Ce fut ainsi que finit la guerre. »

On observera qu’il faut que ces voies de fait, ne fussent point reputées alors ce qu’elles seroient reputées aujourd’hui, je veux dire, une infraction de la paix publique et un crime d’Etat, puisque le compromis ne portoit pas que ce seroit celui qui avoit commis les premieres hostilités, qui donneroit satisfaction au lesé, mais bien celui qui seroit trouvé avoir une mauvaise cause. Il pouvoit arriver que par la sentence du roi, ou par le jugement arbitral des comtes, il fut statué qu’au fond c’étoit la cité d’Orleans et le canton de Blois qui avoient raison, et qu’ainsi ceux qui avoient fait les premieres violences reçussent une satisfaction de ceux qui avoient souffert ces premieres violences.

Il paroît en lisant avec réflexion l’histoire de ce qui s’est passé dans les Gaules, sous les empereurs Romains et sous les rois Mérovingiens, que chaque cité y croyoit avoir le droit des armes contre les autres cités, en cas de déni de justice. Cette opinion pouvoit être fondée sur ce que Rome, comme nous l’avons observé déja, ne leur avoit point imposé le joug à titre de maître, mais à titre d’allié. Les termes d’Amicitia et de Foedus, dont Rome se servoit en parlant de la sujetion de plusieurs cités des Gaules, auront fait croire à ces cités qu’elles conservoient encore quelques-uns des droits de la souveraineté, et qu’elles en pouvoient user du moins contre leurs égaux, c’est-à-dire, contre les cités voisines. Dès qu’on souffroit à quelques-unes de nos cités de s’arroger le droit d’attaquer hostilement les autres, le droit naturel donnoit à ces dernieres le pouvoir de se deffendre aussi par les armes, et la plupart du tems, on ne peut se bien deffendre qu’en attaquant. Rome qui n’avoit pas trop d’interêt à tenir unies les cités des Gaules, leur aura laissé croire ce qu’elles vouloient, et aura même toleré qu’elles agîssent quelquefois conformément à leur idée. Nous avons parlé assez au long dans notre premier livre, des guerres que les cités des Gaules faisoient les unes contre les autres, même sous le regne des premiers Césars. L’idée dont je viens de parler, et qui étoit si flateuse pour des peuples également legers et belliqueux, se sera conservée dans nos cités, malgré la conversion des gaulois à la religion chrétienne ; elle y aura subsisté même sous les rois mérovingiens. Enfin elle s’y sera perpetuée, de maniere qu’elle subsistoit encore sous les premiers successeurs de Hugues Capet. Ainsi l’on ne doit pas reprocher à Louis Le Gros et à d’autres rois de la troisiéme race, d’avoir mis le droit de tirer raison de ses concitoyens par la voie des armes, au nombre des droits qu’ils accordoient par leurs chartres aux communes qu’ils rétablissoient, ou à celles qu’ils érigeoient de nouveau. Ces princes n’auront fait en cela que rendre aux premieres un droit qu’elles réclamoient, odieux si l’on veut, mais dont elles n’avoient point été dépouillées par un pouvoir légitime. Il leur avoit été ôté par des usurpateurs qui les avoient opprimées. Quant aux secondes, le droit qu’on laissoit aux premieres, sembloit exiger qu’on leur en accordât un pareil, sur tout, dans un tems où la France étoit couverte de brigands nichés dans des forteresses, et qui ne respectoient gueres les jugemens du souverain.

On voit par d’autres passages de Gregoire de Tours, que de son tems les milices des cités alloient à la guerre, et que même en plusieurs autres conjonctures, elles étoient commandées pour le service du roi.

Aussi-tôt après la mort du roi Chilpéric premier, Childebert son neveu s’empara de la cité de Limoges et de la cité de Poitiers. Gontran frere de Chilpéric, et qui avoit des prétentions sur Poitiers, se mit en devoir d’en chasser Childebert et de s’en rendre le maître. Il donna donc à Sicarius et à Villacarius, la commission de s’en saisir. Ce dernier étoit comte d’Orleans, et lorsqu’il reçut sa commission, il venoit de soumettre la Touraine à Gontran. Sicarius et Villacarius se mirent donc en campagne avec les Tourangeaux, pour entrer dans le Poitou d’un côté, tandis que les milices de la cité de Bourges y entreroient d’un autre. Cette expédition finit par une convention, dans laquelle la cité de Poitiers s’engageoit à reconnoître Gontran pour roi, au cas que l’assemblée qui s’alloit tenir pour accorder ce prince avec Childebert son neveu, décidât que le Poitou devoit appartenir à Gontran.

On voit dans Gregoire De Tours plusieurs autres exemples de cités qui ont porté la guerre dans une autre cité, et dont les milices commettoient autant de désordres qu’en auroient pû commettre des barbares nouvellement arrivés des rivages de la mer Baltique.

Il paroît même en lisant avec réflexion l’histoire de notre monarchie, que ce furent les guerres civiles, allumées, il est vrai, presque toujours par les rois Francs, mais dont les Romains portoient eux-mêmes le flambeau au milieu des cités voisines de la leur, qui changerent dans les Gaules les bâtimens en masures, les champs labourés en forêts, les prairies en marécages, et qui réduisirent enfin cette contrée si florissante encore sous le regne de Clovis, dans l’état de misere et de dévastation où elle étoit au commencement du huitiéme siecle. Mais l’expérience même, ne sçauroit corriger les habitans des Gaules de ceux de leurs vices qui sont le plus opposés au maintien de la societé, et sur tout de leur legereté naturelle, comme de leur précipitation à recourir aux armes, et à en venir aux voies de fait, laquelle a si souvent été cause qu’ils se sont battus sans avoir de veritables querelles. Ces vices qui ont ouvert l’entrée des Gaules aux Romains, et qui dans la suite les ont livrées aux Barbares, y causeront toujours les maux les plus funestes toutes les fois que leurs peuples ne seront point sous un souverain assez autorisé pour les empêcher de se détruire, et pour les forcer à vivre heureux dans le plus aimable pays de l’Europe.

Les particuliers qui composoient les milices des cités étoient tenus de marcher dès qu’ils étoient commandés ; et ceux qui restoient chez eux après avoir reçû l’ordre de joindre l’armée, étoient punis comme désobéissans. Quant à ce point-là, le citoyen Romain étoit traité par ses supérieurs, ainsi que le Barbare l’étoit par les siens. Gregoire de Tours après avoir parlé d’une expédition que le roi Gontran avoit faite dans le pays de Commenge, ajoute ce qui suit : » Les Juges rendirent ensuite une Ordonnance où il étoit statué, que chacun de ceux qui avoient manqué à se rendre à l’armée dans le tems où il leur avoit été enjoint de s’y trouver, seroit condamné à une amende, & en conséquence le Comte de la Cité de Bourges envoya quelques-uns de ses Officiers dans une Métairie de son District, & qui étoit du Domaine de Saint Martin, pour contraindre ceux qui demeuroient dans cette maison & qui étoient dans le cas de l’Ordonnance, à payer l’amende. L’Intendant de la Métairie s’y opposa, disant que ces personnes ne devoient point payer l’amende, parce qu’elles appartenoient à Saint Martin, & qu’il n’étoit pas d’usage qu’elles marchassent en des cas pareils à celui où l’on s’étoit trouvé. » En effet elles ne payerent pas l’amende ordinaire. Il n’y a point d’apparence que ces personnes qui appartenoient à saint Martin, c’est-à-dire, qui faisoient valoir les fonds d’une métairie appartenante à l’église de saint Martin, fussent des Barbares.

Après la mort de Chilpéric assassiné à Chelles par un inconnu, Ebérulfus l’un des officiers du palais fut accusé par la reine Frédegonde d’avoir fait tuer le roi son mari. Ebérulfus se réfugia dans l’église de saint Martin de Tours. On sçait que nos rois avoient alors un si grand respect pour ces aziles, qu’ils n’attentoient rien de plus contre celui qui s’y étoit réfugié, que d’en faire garder toutes les issuës pour l’empêcher de s’évader. Quand nos rois avoient pris cette précaution, ils attendoient que l’ennui réduisît le fugitif à faire, pour se sauver, des tentatives qui le livrassent à ceux qui le guettoient, ou que l’évêque le remît entre les mains de leurs officiers. Les milices du canton de Blois et celles de la cité d’Orleans furent donc commandées pour monter alternativement la garde à toutes les avenues de l’enceinte de l’église de S. Martin qui n’étoit point enclose pour lors dans les murs de la ville de Tours. Quand la milice de Blois avoit monté la garde durant quinze jours, elle étoit relevée par celle d’Orleans, qui à son tour étoit relevée par la milice de Blois au bout d’un pareil terme. Mais ce qui peut servir encore de preuve à ce que nous avons dit concernant la maniere dont les cités voisines vivoient ensemble, nos milices traitoient la Touraine en pays de conquête. Les soldats y prenoient le bétail et les chevaux qu’ils pouvoient attrapper, et ils en emmenoient avec eux un bon nombre, toutes les fois qu’ils retournoient dans leur pays.

Pour peu qu’on soit versé dans le style de Gregoire de Tours, on sçait bien que lorsqu’il dit absolument, les Chartrains, les Orleannois, ou les Parisiens, c’est des Romains de ces cités qu’il entend parler, et non point des Francs qui pouvoient s’y être habitués. En premier lieu, toutes les circonstances des évenemens dont il s’agit dans ces occasions-là, montrent que c’est des Romains, que c’est de ceux des habitans d’une cité, lesquels on désignoit déja par un surnom tiré du nom de leur patrie, plusieurs siecles avant qu’il y eût des Barbares établis dans les Gaules, que notre historien entend faire mention. En second lieu, Gregoire de Tours regardoit si bien les surnoms tirés du nom d’une cité, comme affectés de son tems aux seuls Romains, qu’il n’a jamais désigné, par ces surnoms employés absolument, les Barbares établis dans les cités des Gaules. Quoique les Teifales, par exemple, fussent établis dans la cité de Poitiers dès le tems d’Honorius, cependant, comme on l’a vû dans le septiéme chapitre de ce livre, notre historien, en parlant d’évenemens arrivés plus de cent cinquante ans après la mort de cet empereur, les nomme encore Teifales et non Poitevins. Ce n’a été que sous les derniers rois de la seconde race, que les Barbares établis dans les Gaules, ont cessé d’être désignés par le nom propre de leur nation, et que confondus avec l’ancien habitant, ils ont commencé à porter, comme lui, un surnom tiré du nom du pays où ils demeuroient. Rapportons quelques endroits de notre historien qui prouvent encore ce qui vient d’être avancé.

Lorsque Gregoire de Tours est obligé à désigner la peuplade de Barbares établie dans une cité particuliere en se servant du surnom tiré du nom propre de cette cité, il se donne bien de garde de donner à cette peuplade un pareil surnom employé absolument. Il joint à ce surnom le nom propre de la nation dont étoit la peuplade particuliere de laquelle il entend parler.

Quand le roi Chilpéric petit-fils de Clovis fit la guerre aux Bretons Insulaires établis dans les Gaules, il y avoit déja près de deux siecles que la colonie des Saxons qui étoit établie dans le diocèse de Bayeux, y habitoit. Cependant lorsque Gregoire de Tours, rapporte que nos Saxons eurent part à cette guerre, il joint au nom de leur pays le nom de leur nation. Il ne les appelle point les Bessins absolument, mais les Saxons Bessins. Il a soin de les désigner encore de la même maniere dans d’autres endroits de ses ouvrages.

Lorsque Gregoire de Tours veut parler de la peuplade de Francs établie dans la cité de Tournai, il ne la désigne point par l’appellation d’habitans du Tournaisis, employée absolument. Il la nomme les Francs Tournaisiens.

Enfin cet auteur oppose lui-même dans plusieurs endroits de ses ouvrages, le surnom d’Auvergnac, celui d’Orleanois, bref les surnoms tirés du nom des cités des Gaules, au nom de Franc, et cela en parlant d’évenemens arrivés plus d’un siécle après que les Francs se furent établis dans les Gaules. Notre historien suppose donc sensiblement, qu’en disant qu’un tel étoit Auvergnac, Orleanois, ou Parisien, il ait donné à entendre suffisamment, que ce tel étoit de la nation Romaine. Sans cela il n’y auroit eu aucune justesse à opposer Auvergnac à Franc, dit absolument, et sans faire aucune mention de la cité dont ce franc étoit. Rapportons quelques exemples.

La famille Firmina étoit une des plus illustres de l’Auvergne, même avant que cette cité fût soumise à la domination des Francs. Nous avons plusieurs lettres adressées à un Firminus par Sidonius Apollinaris qui le traite de son fils[128]. Suivant toutes les apparences un autre Firminus qui exerçoit l’emploi de comte en Auvergne, sous le regne de Clotaire I et qui fut destitué par Chramme fils de ce prince, étoit de cette famille-là. Il est aussi probable que ce Firminus est le même qu’on retrouve comte d’Auvergne sous le regne de Sigebert fils de Clotaire I[129]. Chramme s’étoit rendu si odieux, qu’on peut bien croire que dès qu’il ne fut plus, les officiers qu’il avoit déposés, n’eurent point de peine à se faire rétablir. Ainsi je crois que ce comte Firminus est le même comte Firminus que Sigebert envoya en ambassade à Constantinople. Quoiqu’il en ait été, le nom seul de cet ambassadeur suffit pour montrer qu’il étoit Romain de nation. Or Gregoire de Tours dit, en parlant de cette ambassade : « Enfin Sigebert envoya deux ambassadeurs à l’empereur Justin, Varinarius Franc de nation et Firminus Auvergnac. » L’Abbréviateur dit la même chose, en qualifiant encore Firminus de comte. Ainsi voilà Auvergnac dit absolument, opposé à Franc dans le texte de Gregoire De Tours.

Cet historien parlant d’une autre ambassade, de celle que Childebert, fils du roi Sigebert, envoya vers l’empereur Maurice, dit, qu’elle étoit composée de trois ministres, et il raconte que des trois ambassadeurs l’un étoit, qu’on me permette ces expressions, Soissonnois, l’autre Arlesien, et le troisiéme Franc. Voici ses paroles. » Les trois Ambassadeurs se trouvoient alors dans ce lieu-là. L’un étoit Bodégisile fils de Mummolenus de Soissons ; l’autre, Evantius fils de Dynamus d’Arles ; & le troisiéme, Grippo Franc de Nation. »

Je conclus donc que toutes les fois que Gregoire De Tours fait mention d’une milice qu’il désigne par un surnom dérivé du nom d’une des cités des Gaules, il entend parler d’une milice composée des anciens habitans de cette cité-là, c’est-à-dire, de Romains. C’est d’eux qu’il parle pour citer un exemple, lorsqu’en faisant le dénombrement de l’armée que Chilpéric assembla sur la Vilaine, pour la mener contre les Bretons Insulaires établis dans la troisiéme des provinces Lyonoises, il dit : qu’on y voyoit les Tourangeaux, les Poitevins, les Bessins, les Angeviens, les Manceaux, et les milices de plusieurs autres cités. Pourquoi auroit-on quelque peine à croire que les rois Mérovingiens se soient servi des milices des cités des Gaules, quand on a vû que Clovis avoit pris à son service les légions qui gardoient la Loire, et que ses successeurs confioient le commandement de leurs troupes à des généraux Romains de nation ?

LIVRE 6 CHAPITRE 13

CHAPITRE XIII.

Que les Francs n’en userent pas avec l’ancien Habitant des Gaules, ainsi que la plûpart des autres nations barbares en avoient usé avec l’ancien Habitant des Provinces où elles s’étoient établies, & qu’ils ne lui prirent point une portion de ses Terres. Des Terres Saliques.


L’opinion ordinaire est que les Francs en userent quand ils s’établirent dans les Gaules, ainsi que les Bourguignons et les Visigots en avoient usé quand ils s’y étoient établis, s’autorisant, selon les apparences, sur ce qui s’étoit passé sous le regne d’Auguste, quand ce prince ôta une partie de leurs terres aux citoyens de plusieurs cités pour les distribuer à ses soldats. On se figure donc que ces Francs ôterent à l’ancien habitant des provinces qu’ils soumirent, une portion de ses terres et qu’ils l’approprierent à leur nation, de maniere que cette portion de terre en prit le nom de terre Salique. Je tombe d’accord que sous les rois de la premiere et de la seconde race, et même sous les premiers rois de la troisiéme, c’est-à-dire, tant que la distinction des nations qui composoient le peuple de la monarchie, n’a point été pleinement anéantie ; il y a eu dans le royaume des especes de fiefs qui s’appelloient terres Saliques, et qui étoient affectés spécialement à la nation des Francs, mais je nie que ces terres fussent des terres dont nos rois avoient dépouillé par force les particuliers des provinces qui s’étoient soumises à la domination de ces princes. Je regarde l’opinion ordinaire comme une des erreurs nées de la supposition que nos rois avoient conquis à force ouverte les Gaules sur les Romains, et qu’ils en avoient réduit les habitans dans un état approchant de la servitude. Tâchons donc à déméler ce qu’il y a de vrai d’avec ce qu’il y a de faux dans l’idée qu’on a communément des terres Saliques.

On ne sçauroit douter que presque tous les Francs ne se soient transplantés dans les Gaules sous le regne de Clovis, et sous celui de ses quatre premiers successeurs. L’amour du bien être, naturel à tous les hommes, vouloit qu’ils en usassent ainsi. Dès que cette aimable contrée eut passé sous le pouvoir de rois de leur nation, son séjour étoit pour eux par bien des raisons, dont il a été parlé dès le premier livre de cet ouvrage, plus agreable que celui de l’ancienne France. D’ailleurs les hommes les plus belliqueux se lassent à la fin de vivre toujours au milieu des allarmes, et pour ainsi dire, d’être toujours en faction. C’étoit néanmoins la destinée des Francs, tandis qu’ils habitoient au-delà du Rhin. Comme l’ancienne France avoit peu de profondeur, comme elle n’étoit point remparée par ses rivieres, qui la traversoient sans la couvrir, ni mise à l’abri par des villes fortifiées, un essain de Barbares venu de fort loin, pouvoit en devançant le bruit de sa marche, penetrer jusques dans le centre du pays, et surprendre ses habitans, les uns à la charuë, les autres dans leur maison. On n’étoit point aussi exposé dans les Gaules à ces sortes de surprises, que dans la Germanie, d’autant qu’elles étoient couvertes par Rhin, et remplies de villes et de lieux fortifiés. On y vivoit plus tranquillement, parce qu’on n’y craignoit que lorsqu’il y avoit réellement à craindre. Il n’étoit presque pas possible, depuis que tout le pays eût été soumis aux Francs, qu’on y fût attaqué à l’imprévû. Aussi l’histoire nous apprend-elle que dès les dernieres années de Clovis, l’ancienne France étoit déja tellement denuée d’habitans qui pussent la deffendre, que les Turingiens s’emparerent dès-lors d’une partie de ce pays, et que peu d’années après les Frisons vinrent occuper la contrée qui est au nord des embouchures du Rhin, abandonnée aussi par les Francs.

Il est encore très apparent que Clovis et ses successeurs outre les autres recompenses qu’ils distribuerent aux Francs, auront conferé à plusieurs d’entr’eux une certaine portion de terres à condition de les servir à la guerre, et qu’elles furent nommées les terres Saliques par la même raison qui a fait donner à la loi commune des Francs le nom de loi Salique, c’est-à-dire, parce que la tribu des Saliens étoit la premiere et la plus considérable des tribus de cette nation, celle à qui toutes les autres tribus à l’exception de la tribu des Ripuaires, avoient été incorporées.

Le nom de Terre Salique, est celui que donne aux possessions dont il s’agit ici, la Loi Salique rédigée sous le regne de Thierri fils de Clovis, et d’ailleurs ce qu’elle statue concernant ces sortes de terres, en ordonnant qu’elles ne pourroient jamais passer à une femme, montre assez qu’elles étoient des veritables benefices militaires, des biens chargés d’obligations qu’une femme ne pouvoit pas remplir. Nous l’avons déja dit dans le chapitre de ce livre, où nous avons traité de la loi de succession. Enfin ces terres Saliques étoient à plusieurs égards de même nature que nos fiefs nobles, et suivant toutes les apparences, elles en sont la premiere origine. On a même quelquefois donné le nom de terres Saliques à nos fiefs. Bodin qui écrivoit dans le seiziéme siecle, dit[130] : Et n’y a pas long-tems qu’en un Testament ancien d’un Gentilhomme de Guyenne produit en procès au Parlement de Bordeaux, le pere divise à ses enfans la Terre Salique, que tous interprétent les fiefs.

Il n’y a rien de plus vrai que tout ce qui vient d’être exposé, mais cela ne prouve point que Clovis ait ôté aux Romains une partie de leurs terres, pour en composer les benefices militaires ou les terres saliques, dont il vouloit gratifier ses Francs. Le contraire me paroît même très-vrai-semblable par deux raisons. La premiere, est que Clovis a pû donner des terres Saliques à ses Francs, sans enlever aux Romains des Gaules une partie de leurs fonds. La seconde, est que les monumens litteraires de nos antiquités ne disent, ni ne supposent en aucun endroit que Clovis ou quelqu’un, soit de ses predecesseurs, soit de ses successeurs, ait ôté aux Romains une partie de leurs fonds pour les repartir entre les Francs, et que ce silence seul montre qu’aucun de nos princes n’a commis une pareille violence. Traitons ces deux points un peu plus au long.

Je commencerai ce que j’ai à dire sur le premier point par deux observations. La premiere, est que nous avons déja fait voir, en parlant de l’avenement de Clovis à la couronne, que la tribu des Saliens, l’une des plus considerables de la nation des Francs, ne faisoit gueres que trois mille combattans. Supposé donc que les six ou sept autres tribus des Francs, l’histoire ne nous fait point entrevoir qu’il y en eut davantage, fussent aussi nombreuses que celles des Saliens, la nation entiere n’aura pas fait plus de vingt-quatre ou vingt-cinq mille combattans, comme il l’a été remarqué dans l’endroit de notre ouvrage qui vient d’être cité : voilà l’idée que le preambule de la loi Salique même nous donne de la quantité d’hommes qui se trouvoient dans la nation des Francs, lorsqu’il les loue d’avoir fait de grands exploits, bien qu’ils fussent en très-petit nombre. Ma seconde observation roulera sur ce que Clovis lorsqu’il mourut, avoit réduit sous son obéissance les deux provinces Germaniques et les deux provinces Belgiques, pays où il devoit y avoir des benefices militaires en plus grand nombre que dans aucun autre canton de l’empire Romain.

Dès le premier livre de cet ouvrage le lecteur a vû que les benefices militaires des Romains, dont Alexandre Severe avoit été l’un des premiers fondateurs, étoient semblables aux Timars que le Grand-Seigneur donne encore aujourd’hui à une partie de ses soldats pour leur tenir lieu de paye. Ces benefices consistoient donc dans une certaine quantité d’arpens de terre, dont le prince accordoit la jouissance à un soldat, à condition de porter les armes pour son service toutes les fois qu’il en seroit besoin, et ils passoient aux enfans du gratifié, pourvû qu’ils fissent profession des armes. Or comme les deux provinces Germaniques et les deux provinces Belgiques étoient les plus exposées de l’empire à cause du voisinage des Germains, les Romains y avoient tenu dans tous les tems plus de troupes à proportion que par-tout ailleurs. Il est donc très-probable qu’il y avoit aussi plus de benefices militaires que par-tout ailleurs, proportion gardée. Ainsi Clovis aura fait d’un grand nombre de ces benefices militaires des terres Saliques, parce que lorsqu’ils seront venus à vacquer il les aura conferés à des Francs sous les mêmes conditions qu’ils étoient auparavant conferés à des Romains. Il aura ainsi recompensé plusieurs de ses anciens sujets, sans dépouiller aucun des nouveaux.

On voit donc en comparant la disposition faite par Alexandre Severe concernant les benefices militaires et celle que la loi des Francs fait concernant les terres Saliques, que ces deux possessions étoient des biens de même nature, assujettis aux mêmes charges, et dont conséquemment les femmes étoient également excluses. Clovis aura encore converti en terres Saliques d’autres fonds qui n’étoient pas des benefices militaires, mais qui se seront trouvés être à sa disposition, parce qu’ils avoient été du domaine des empereurs, ou parce qu’ils seront devenus des biens devolus au prince, à titre de desherence, de confiscation ou autre. Les devastations et les guerres qui se firent dans les Gaules durant le cinquiéme siecle et le sixiéme, doivent y avoir fait vacquer un nombre infini d’arpens de terre, au profit du souverain.

On ne sçauroit même faire la question. Où les Francs prirent-ils ce qui leur étoit nécessaire pour mettre en valeur les terres Saliques ? Ni en inferer que pour faire valoir les benefices militaires et les autres fonds que le prince leur donnoit quand il en vacquoit à sa disposition, nos Francs ayent pris du moins aux anciens habitans des Gaules une partie de leurs esclaves et de leur betail. On sçait bien que dans ces tems-là, vendre ou donner une metairie, ce n’étoit pas seulement vendre ou donner une certaine quantité d’arpens de terre et quelques bâtimens : c’étoit encore disposer en faveur du gratifié ou de l’acquereur, du betail, et mêmes des esclaves qui mettoient ces terres en valeur. C’est ce qu’on observe en lisant les chartres des donations, faites sous la premiere race et sous la seconde.

Enfin on ne lit dans aucun auteur ancien ; que Clovis ait donné une portion de terre Salique à chacun des Francs qui l’avoient suivi. Ainsi plusieurs d’entr’eux peuvent bien avoir été recompensés par des bienfaits d’une autre nature.

J’ajouterai pour confirmer ce qui vient d’être dit concernant l’origine des terres Saliques, qu’elles se trouvent designées par l’appellation de Benefice, non-seulement sous les rois de la premiere race, mais aussi sous les rois de la seconde. On lit dans la vie de sainte Godeberte qu’on reconnoît à son nom pour être sortie de la nation des Francs, et qui fleurissoit sous le regne de Clotaire II. » Godeberte étoit née de parens Chrétiens, domiciliés dans un Canton de la Cité d’Amiens. Ils l’éleverent auprès d’eux. Dès qu’elle fut nubile, elle fut recherchée par plusieurs personnes de consideration, parce qu’elle étoit d’une naissance illustre ; mais ses parens n’osoient la marier sans le consentement du Roi, d’autant qu’ils tenoient de lui un benefice militaire. » Apparemment qu’ils n’avoient pas de garçon, et que souhaitant de faire passer ce benefice à leur gendre, ils vouloient en prendre un qui fût assez agreable au roi, pour obtenir de lui la grace necessaire à l’execution de leur projet.

Il est parlé dans une infinité d’endroits des capitulaires des rois de la seconde race de benefices militaires à la collation du roi : » Si quelqu’un de nos Vassaux manque à livrer à la Justice le voleur qu’il aura en son pouvoir, qu’il perde son benefice & qu’il soit degradé » dit un capitulaire fait par Charlemagne en sept cens soixante et dix-neuf. Dans un autre capitulaire du meme prince fait l’année huit cens six, il est porté[131] : » Nous aurions appris que plusieurs Comtes & d’autres personnes qui tiennent des Benefices de nous, changent en biens propres à eux, les biens dont ils ont la jouissance & qu’ils se servent des Esclaves attachés à nos susdits Benefices, pour faire valoir leurs héritages particuliers qui en sont voisins. » Enfin, dans le dix-neuviéme article du même capitulaire, le benefice est opposé à l’Alleu, de la même maniere que les terres Saliques le sont aux biens allodiaux dans l’article des loix Saliques, qui concerne la succession à la couronne : » Si quelqu’un, dit Charlemagne, en statuant sur ce qu’il vousloit être fait en tems de famine, a du bled à vendre, soit qu’il l’ait recueilli sur les terres de son Benefice, soit sur ses terres Allodiales, &c. » Aussi dès qu’il y avoit guerre, tous les sujets qui tenoient des benefices militaires, étoient-ils commandés chaque année, pour faire la campagne, au lieu qu’il n’y avoit qu’un certain nombre des autres sujets de commandés pour se trouver à l’armée.

Enfin, il est dit dans un autre article des capitulaires relatifs à un de ceux que nous avons rapportés ci-dessus : » Celui qui employera à faire valoir les fonds qui lui appartiennent en propre, le bétail & les esclaves destinés à faire valoir son Benefice, & qui ne les y renvoyera point dans l’année qu’il en aura été sommé, soit par son Comte, soit par notre Commissaire député, il perdra son Benefice. » Ainsi le nom de benefice redonné en plusieurs occasions aux terres Saliques, porte à croire encore plus facilement, qu’elles n’étoient autre chose que les benefices militaires institués par les empereurs, et d’autres benefices fondés à l’instar des premiers.

Ce qui est encore à remarquer, c’est qu’on trouve bien les terres Saliques designées par le nom de benefices militaires, mais que l’on ne les trouve jamais désignées sous le nom de part ou portion, sors. Ce nom cependant, comme on le verra plus bas, étoit le nom que communément ceux des Barbares qui s’étoient approprié une partie des terres de l’habitant Romain, donnoient à la portion de ces terres que chaque Barbare avoit euë pour son partage.

Nous avons avancé en second lieu, que les monumens litteraires de nos antiquités, ne disoient rien d’où l’on pût induire que les Francs, lorsqu’ils s’établirent dans les Gaules, s’y fussent approprié aucune partie des terres possedées par les particuliers anciens habitans du pays, par les Romains. En effet, il n’est rien dit dans les historiens du tems, il n’est rien dit dans la loi Salique, dans la loi Ripuaire, ni dans les capitulaires, qui suppose que les Francs eussent commis une pareille injustice. Si jamais elle avoit été faite, il y auroit eu dans les historiens, il y auroit eu dans les trois codes que je viens de citer, plusieurs sanctions ou plusieurs faits rélatifs à cette appropriation, de la moitié ou des deux tiers des terres aux Francs, ainsi et de même que comme nous l’allons voir, il y a, soit dans les historiens, soit dans la loi des Bourguignons, dans les loix de Theodoric et dans la loy des Visigots, plusieurs faits, plusieurs articles relatifs à la moitié, et aux deux tiers de terres des Romains que les Bourguignons, les Ostrogots et les Visigots s’étoient appropriés.

Grégoire de Tours qui auroit eu cent et cent fois occasion de parler de la spoliation des Romains, ne dit rien dont on puisse inferer qu’elle ait jamais eu lieu. Ici son silence prouve quelque chose. Ici enfin on n’en trouve aucun vestige chez les auteurs qui ont écrit dans le tems des deux premieres races, et qui compris les agiographes qui auroient eu à parler, aussi-bien que les historiens profanes de la spoliation des Romains des Gaules faite par les Francs, se trouvent être en un assez grand nombre. On peut donc conclure de ce qu’ils ne disent point que les Francs ayent dépouillé les Romains des Gaules d’une partie de leurs biens-fonds, que les Francs n’ont jamais commis cette violence-là. On peut le conclure avec d’autant plus de confiance, que tous ces écrivains ont été très-soigneux à nous informer de la conduite de celles des nations barbares, qui après s’être établies sur le territoire de l’empire Romain, s’approprierent dans les pays où ils se cantonnerent, une partie des terres appartenantes en propre aux anciens habitans.

Si les Vandales se sont approprié en Afrique une partie des terres des Romains, Procope ne nous le laisse point ignorer. » Dès que Genseric fut le Maître de la Province d’Afrique, écrit cet Historien, il donna à ses deux fils Honoric & Genzo, les meilleures métairies du Pays, celles qui jusques alors avoient appartenu aux principaux Citoyens, & il les leur donna avec tous les esclaves & tous les meubles des anciens proprietaires. Ensuite il ôta encore aux Romains une grande partie des fonds du plus grand produit, pour la répartir entre les Vandales, & ces terres s’appellent encore aujourd’hui, les parts ou les portions Vandaliques. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’on n’ôta point la liberté aux possesseurs dépouillés ; il leur fut permis de se retirer où ils jugeroient à propos, & de chercher une nouvelle demeure. Genséric affranchit encore les terres qu’il donna, soit à ses fils, soit aux Vandales, de toutes les redevances dont elles étoient tenuës envers l’Etat ; & au contraire, il mit de si grandes impositions sur les terres médiocres, qu’il avoit laissées aux Romains d’Afrique, que ce qu’ils y pouvoient recueillir, suffisoit à peine pour acquitter les charges publiques. »

Nous dirons des Ostrogots, tout ce que nous venons de dire des Vandales. « Sous le regne d’Augustule[132], c’est encore Procope qui va parler, l’Empire étoit gouverné par Orestés, le pere d’Augustule & personnage d’une rare prudence. Quelque tems auparavant les Romains consternés des avantages qu’avoient remportés sur leurs troupes Nationales, celles d’Alaric & puis celles d’Attila, avoient pris à leur service des corpsd’Alains, de Scirres & de quelques Peuples de la Nation Gothique. Cette espece de confederation faisoit beaucoup d’honneur aux troupes Barbares, mais elle devint bientôt funeste aux Romains, à qui leurs nouvelles Milices mirent pour ainsi dire, le pied sur la gorge. Elles en vinrent, après avoir obtenu plusieurs demandes déraisonnables, jusques à prétendre d’avoir des terres dans l’enceinte de l’Italie, & elles oserent proposer à Orestes de leur y donner le troisiéme arpent. Orestés rejetta bien des propositions si exhorbitantes, mais son refus lui coûta la vie. Il fut tué par nos Barbares. Un de leurs Chefs qui s’appelloit Odoacer & qui commandoit la garde étrangere de l’Empereur, promit alors à ses Compagnons, de les mettre en possession du tiers des terres de l’Italie, s’ils vouloient le reconnoître pour leur Roi. Ils le reconnurent en cette qualité, & lui de son côté, il leur tint parole. Après avoir déposé Augustule qu’il voulut bien laisser vivre, il mit les Barbares qui s’étoient attachés à lui, en possession du tiers des terres de l’Italie. Ce fut ainsi qu’Odoacer s’empara de l’autorité souveraine, & qu’il s’y maintint durant dix années. » Procope après avoir rapporté de quelle maniere au bout de ce tems-là Theodoric roi des Ostrogots vainquit et fit tuer Odoacer, ajoute. » Theodoric ne fit aucun tort aux Romains d’Italie, & même il ne permit point qu’il leur en fût fait. La seule chose dont ils eurent à se plaindre, fut que ce Prince, au lieu de leur restituer le tiers de leurs terres qu’Odoacer avoit réparti entre les factieux qui l’avoient fait souverain d’Italie, il le partagea entre les Ostrogors qui s’étoient attachés à sa fortune. »

Les lettres de Cassiodore parlent de ce tiers en une infinité d’endroits. Nous en avons déja rapporté plusieurs, et nous en rapporterons encore d’autres, lorsqu’il s’agira de montrer qu’à l’exception des Vandales, les Barbares payoient les redevances dont les terres qui leur avoient été accordées à quelque titre que ce fût, étoient tenues envers l’Etat, ainsi et de la même maniere que les Romains qui les avoient possedées avant eux.

Enfin nous trouvons dans le celebre édit de Theodoric un article relatif à ce tiers des terres d’Italie ôté aux Romains et distribué aux Ostrogots. Voici sa teneur. » Qu’aucun Romain ne nous demande ce qui ne peut appartenir qu’à un Ostrogot, & qu’aucun Ostrogot ne nous demande ce qui ne peut appartenir qu’à un Romain. Que celui qui oseroit obtenir de nous par surprise un bien qui ne peut lui appartenir, sçache qu’il en sera depouillé si-tôt que la verité sera venue à notre connoillance, & qu’il sera même obligé à la restitution des fruits qu’il en aura perçus. Au surplus nous voulons que les Ordonnances que nous avons precedemment faites sur cette matiere, demeurent en leur pleine force & vigueur. » On peut juger du contenu de ces ordonnances que nous n’avons plus par ce qui est statué dans la loi nationale des Visigots concernant les terres ôtées aux Romains pour être appropriées, à des Hôtes Barbares à titre de sort.

» Qu’en aucune maniere, il ne soit donné atteinte au partage des terres & des bois ou forêts, fait entre les Romains & les Visigors, & qu’on s’en tienne à ce partage dans toutes les contestations ou l’une des Parties en produira de bonnes preuves. Nul Romain ne pourra donc rien prétendre dans les deux tiers des terres affectés aux Visigots, ni le Visigot ne pourra rien, posséder dans le tiers laissé aux Romains, à moins que quelques biens faisant partie de ce tiers, étant venus à notre disposition, nous ne jugions à propos d’en faire don à un Visigot. Que la posterité même ne touche point à ce partage fait par les ancêtres des Citoyens de l’une & de l’autre Nation qui vivent aujourd’hui, & cela au tems que les Visigots s’établirent dans les Gaules & qu’ils y devinrent les voisins des anciens Habitans. »

Les Bourguignons n’avoient point traité les Romains des Gaules avec autant de dureté que l’avoient fait les Visigots. Nous l’avons deja dit dans les premiers livres de cet ouvrage ; au lieu que les Visigots s’étoient approprié les deux tiers des terres appartenantes au particulier dans les cités qu’ils avoient occupées ; les Bourguignons s’étoient contentés de s’en approprier la moitié dans les cités où ils s’étoient établis.

On ne sçauroit être gueres mieux instruits que nous le sommes de la maniere dont la nation des Bourguignons se conduisit à l’égard des Romains du pays où elle prit des quartiers. La chronique de Marius D’Avanches nous apprend que ce fut l’année de Jesus-Christ quatre cens cinquante-six que les commissaires des Bourguignons firent conjointement avec les senateurs de chaque cité le partage des terres entre les deux nations. La loi Gombette fait foi que ce partage se fit par égales portions, et même que le Romain ne fut obligé par l’accord fait à ce sujet, qu’à donner son troisiéme esclave. Les Bourguignons avoient d’ailleurs assez d’esclaves à cause des captifs qu’ils avoient faits. Un article de l’addition faite à leur loi vers l’année cinq cens dix confirme ce qu’on vient de lire, et autorise l’interpretation que nous venons de donner à quelques-uns de ses termes un peu obscurs. » Les Bourguignons qui se sont transplantés dans ces Contrées ne demanderont rien au Romain au-delà de ce que la necessité les a contraints de lui ôter, & satisfaits de la moitié des terres, ils le laisseront jouir de l’autre moitié, & ils ne lui enleveront plus aucun de ses Esclaves. »

Nous sçavons même que les parts et portions que chaque Bourguignon avoit euës pour son lot ou pour son contingent, lors du partage géneral, étoit une espece de terre Salique ou de benefice militaire dont le possesseur ne pouvoit disposer que du consentement du prince. Le premier article de la loi Gombette, après avoir déclaré qu’un pere peut laisser les biens qu’il possede en toute proprieté, à qui il lui plaît, ajoute : » Nous exceptons des biens dont un pere peut disposer à la mort, les terres de la part portion, qui demeureront toujours soumises à la disposition faite par la Loi publiée à ce sujet. » Cette loi ou l’édit fait au sujet de ce partage, et que malheureusement nous n’avons plus, statuoit apparemment que ces parts et portions ne pourroient passer qu’aux héritiers du défunt capables de porter les armes, et contenoit les obligations dont leurs possesseurs étoient tenus en cas de guerre. Il n’étoit pas même permis aux Bourguignons par la loi Gombette de disposer entre vifs des terres de leurs parts ou portions en faveur d’un étranger. Ils ne pouvoient les aliéner qu’en faveur d’un Romain, qui eût déja des fonds à lui dans le canton, ou bien en faveur d’un Bourguignon qui déja eût à lui une possession ou un établissement dans le pays. Il y avoit même plus ; la loi Gombette, qui, comme nous l’avons rapporté sur l’année cinq cens, étoit beaucoup plus favorable aux Romains que l’ancienne loi des Bourguignons, ordonnoit que lorsqu’un Bourguignon vendroit sa part et portion, le Romain son hôte, c’est-à-dire, le Romain qui avoit été proprietaire de ce fond-là, avant le partage de l’année quatre cens cinquante-six, seroit preferé à tous autres dans cette acquisition. Pour parler suivant nos usages, ce Romain pouvoit retirer le fond dont il est question sur tout autre acquereur. Tout étranger étoit exclu de l’acquisition de ces parts et portions. On voit par-là que les petits fiefs ont été venaux, du moins sous condition, dès le tems de leur premiere origine. Il est vrai cependant qu’il y avoit une nature de biens dont les Bourguignons ne pouvoient pas disposer même entre vifs. C’étoit les terres qu’ils tenoient uniquement de la pure liberalité de leurs rois. Elles devoient passer suivant la loi aux descendans des gratifiés, afin qu’elles fussent un monument durable de la magnificence de ces princes. Enfin nous avons déja remarqué que les terres Saliques ou les benefices militaires des Francs n’étoient jamais qualifiés du nom de sortes ou de lot. Ce nom néanmoins étoit le titre propre et spécial que l’usage géneral avoit donné à la portion de terre qu’avoit eu pour son partage chaque citoyen d’une nation Barbare lorsqu’elle s’étoit mise en possession de la moitié ou des deux tiers des biens fonds appartenans aux anciens habitans des provinces Romaines, où elle s’étoit établie.

De tout ce qui vient d’être exposé, je conclus que l’histoire et les loix des Francs ne disant rien d’où l’on puisse inferer que les Francs ayent ôté au particulier dans les provinces des Gaules où ils s’établirent, une partie de ses fonds pour en former leurs terres Saliques, il s’ensuit que les Francs ne la lui ont point ôtée ; et s’il est permis d’user d’une pareille expression, que cette abstinence du bien d’autrui étoit l’un des motifs qui faisoient souhaiter aux Romains de cette vaste et riche contrée de passer sous la domination de nos rois.


LIVRE 6 CHAPITRE 14

CHAPITRE XIV.

Que les Revenus de Clovis & des autres Rois Mérovingiens étoient les mêmes que ceux que les Empereurs avoient dans les Gaules lorsqu’ils en étoient les Souverains. Du produit des Terres Domaniales & du Tribut public. Que les Francs étoient assujettis à la derniere de ces impositions.


Nous avons dit dans le chapitre onziéme du premier livre de cet ouvrage, que le revenu dont les empereurs Romains jouissoient dans les Gaules, étoit composé de quatre branches principales ; sçavoir du produit des terres dont l’Etat ou la république étoit le proprietaire, du produit du tribut public ou du subside ordinaire, payable géneralement parlant par tous les citoyens, à raison de leurs conditions, biens et facultés, du produit des douanes et péages établis en plusieurs lieux, et enfin des dons gratuits ou reputés tels, que les sujets faisoient quelquefois au prince. Nous avons même exposé un peu au long dans ce chapitre-là et dans les chapitres suivans, quelle étoit la maniere de lever tous ces revenus, afin qu’à la faveur des circonstances que cette déduction nous donnoit lieu de rapporter, il nous fût plus aisé de justifier dans la suite, que nos rois lorsqu’ils furent devenus les maîtres des Gaules, jouirent precisément des quatre branches de revenu dont les empereurs y avoient joui precédemment. C’est ce qu’il s’agit à present de montrer, en ramassant ce qu’on trouve à ce sujet dans les monumens litteraires de la monarchie.

S’il n’est point dit expressément et formellement dans tous ces écrits, que nos rois ont eu dans les Gaules les mêmes revenus dont y jouissoient avant eux les empereurs Romains, c’est qu’il a paru inutile à ceux qui les ont composés d’y faire mention d’une chose, que tout le monde voyoit aussi-bien qu’eux, et qui d’ailleurs étoit dans l’ordre commun. En effet, lorsqu’une province change de maître, le nouveau possesseur y entre aussitôt en jouissance de tous les revenus qui appartenoient precédemment au souverain dépossedé. C’est l’usage ordinaire, et même les historiens qui se plaisent le plus à charger leurs narrations de détails et de circonstances, ne daignent point faire mention de cet incident. Ils supposent avec fondement qu’avoir dit, par exemple, que Louis XIV conquit en mil six cens quatre-vingt-quatre le duché de Luxembourg sur le roi d’Espagne Charles II c’est avoir dit suffisamment, que le roi très-chrétien s’y mit en possession de tous les domaines, droits, et revenus dont le roi catholique y jouissoit avant la conquête.

On devroit donc supposer, quand bien même on n’en auroit pas de preuve, que lorsque Clovis et ses successeurs se rendoient maîtres d’une province des Gaules, ils s’y mettoient aussi-tôt en possession de tous les biens et droits appartenans au souverain. Nous avons vû qu’il n’y eut point alors dans les Gaules une subversion d’Etat, et encore moins un bouleversement de la societé. Comme les sujets y resterent en possession de leurs droits et revenus, le sceptre y demeura aussi en possession des siens, quoiqu’il eut changé de main. La nouveauté qu’il y eut, c’est que les droits et les revenus établis, devinrent les droits et les revenus des rois des Francs, au lieu qu’auparavant ils étoient ceux des empereurs Romains.

Parlons donc du produit de la premiere branche de ces revenus. Tous les fonds de terre qui appartenoient aux empereurs, devinrent le corps du domaine de nos rois. On lit dans Gregoire de Tours, que le roi Charibert petit-fils de Clovis, prétant l’oreille à des courtisans avides qui lui insinuoient que la métairie de Nazelles dont l’église de saint Martin de Tours jouissoit depuis long-tems, étoit du domaine, il l’y réunit, et qu’il y établit un haras. Ce prince s’obstina même à garder Nazelles comme un bien de la couronne, nonobstant les évenemens miraculeux qui chaque jour y arrivoient et qui lui devoient faire reconnoître l’injustice de la réunion qu’il avoit faite. Ce ne fut qu’après la mort de Charibert que cette métairie fut restituée à saint Martin par le roi Sigebert devenu maître de la Touraine.

Si le corps de domaine que nos rois possedoient dans cette cité, n’eût été formé que lorsque Clovis s’en rendit maître vers l’année cinq cens huit, il n’auroit pas été incertain sous le regne de Charibert qui parvint à la couronne en cinq cens soixante, si Nazelles étoit, ou s’il n’étoit pas du domaine royal. Le fait eut été notoire, et supposé qu’il eût été bien averé que Nazelles n’étoit pas du domaine, Charibert ne l’eut pas usurpé sur l’église de saint Martin pour laquelle nos rois Mérovingiens avoient le même respect qu’avoient les Juifs pour le temple de Salomon. Gregoire de Tours ne dit pas même que Nazelles ne fût point du domaine. Il se contente d’alleguer que l’église de S. Martin étoit en possession de ce lieu-là depuis plusieurs années, ce qui montre que réellement il y avoit lieu de douter dans cette affaire. Je conclus donc que le corps de domaine royal dont il étoit incertain vers l’année cinq cens soixante, si Nazelles faisoit partie ou non, devoit avoir été formé dans des tems fort éloignés, et par conséquent qu’il n’étoit autre que le corps du domaine des empereurs Romains. Les rois Visigots se l’étoient approprié en Touraine aussi-bien que dans les autres provinces qu’ils avoient occupées ; et Clovis lorsqu’il les eut conquises sur Alaric Second, s’y sera mis en possession des biens dont ces princes s’étoient emparés. Les rois des Francs, dit Dominici, avocat au parlement de Toulouse, dans son livre de la Prérogative de l’Alleu » ont eu de grands Domaines dans les Provinces de notre voisinage ; & ces Domaines venoient probablement de celui des Rois Visigots sur lesquels ils les avoient conquises. C’est ce qu’on peut voir par le Testament de Saint Remi, & par l’acte de la donation que fit le Roi Chilperic de deux Métairies assises dans le territoire de Cahors. »

L’histoire des rois Mérovingiens est remplie de preuves qui font voir que ces princes possedoient en proprieté une infinité de fonds de terre, et qu’ils étoient, comme on le dit en parlant des particuliers, de grands Terriens. Voilà ce qui leur a donné le moyen d’enrichir tant d’églises, et de fonder tant de monasteres dans un tems où il falloit assigner aux religieux des revenus un peu plus solides que ne le sont des loyers de maisons ou des rentes constituées à prix d’argent. On sçait encore par l’histoire et par les capitulaires que ces princes faisoient valoir les terres de leur domaine par des intendans, et par cette espece d’esclaves qu’on appelloit les serfs Fiscalins, parce qu’ils appartenoient au fisc. Il y a même dans les capitulaires tant d’ordonnances faites à ce sujet, qu’il suffit d’avoir ouvert le livre pour en avoir lû quelques-unes. Ainsi je ne les rapporterai point. Je ne rapporterai pas même plusieurs endroits de Gregoire de Tours ou des auteurs qui ont écrit peu de tems après lui, et qui montrent que le fisc des rois Mérovingiens avoit tous les droits que le fisc des empereurs avoit eus, et qu’il s’approprioit les biens des criminels et les biens abandonnés, parce que j’ai déja fait lire en parlant d’autres sujets un grand nombre de passages qui prouvent suffisamment cette verité.

Quand nous avons traité des revenus de l’empire Romain dans les Gaules, nous avons vû que la premiere branche de ce revenu, laquelle provenoit du produit des terres dont la proprieté appartenoit à l’Etat, avoit outre le rameau dont il vient d’être parlé, deux autres rameaux ; sçavoir un droit qui se levoit sur le gros et sur le menu bétail qu’on menoit pâturer dans les bois et autres pâturages dont le fond appartenoit en propre à l’Etat, et un autre droit qui se levoit sur ce qu’on tiroit des mines et carrieres. Nous allons trouver nos rois Mérovingiens en possession de ces deux droits-là.

Gregoire de Tours après avoir raconté plusieurs miracles arrivés à Brioude au tombeau du martyr saint Julien, dans le tems que Thierri le fils du grand Clovis regnoit sur l’Auvergne, ajoute ce qui suit : » Il y eut aussi un Diacre qui après avoir abandonné les fonctions de son état, étoit entré au service de ceux qui faisoient le recouvrement des revenus du Prince, & qui abusoit tellement de la commission qu’ils lui avoient donnée, qu’il s’étoit rendu odieux par ses vexations à tous les Pays circonvoisins. Il arriva que s’étant transporté dans la montagne pour y lever le droit du Fisc sur les troupeaux qui suivant la Coutume y étoient allés paître durant l’été, il y fit plusieurs malversations. »

Quant aux droits que nos rois levoient sur le produit des mines qui se fouilloient en vertu des concessions que le souverain avoit faites. Voici ce qu’on lit dans la vie de Dagobert Premier » Outre les autres presens, que le Roi Dagobert fit à l’Eglise de Saint Denys en France, il lui donna encore pour l’entretien de sa couverture la quantité de huit mille livres de plomb à prendre tous les deux ans dans le produit du droit de marque qu’il levoit en nature sur ce métail. Ce Prince ordonna même que cette quantité de plomb seroit voiturée jusqu’à l’Eglise de Saint Denys par des corvées dont il chargea aussi-bien les Métairies Royales que celles dont il avoit déja fait present aux Saints Martyrs, & que dans cette Eglise le plomb seroit délivré aux Agents des Religieux qui la désservoient. »

La seconde branche du revenu dont les empereurs jouissoient dans les Gaules, consistoit dans le tribut public, ou dans le subside qui comprenoit la taxe par arpent et la capitation. Tous les citoyens payoient ce subside à proportion de leurs biens et facultés, et conformément à un cadastre qui contenoit la cotte-part à laquelle chaque particulier d’une cité devoit être imposé, par proportion aux sommes que le prince vouloit y être levées. C’est ce que nous avons exposé plus amplement dans le premier livre de cet ouvrage où nous avons encore expliqué que ces cadastres se dressoient en conséquence des descriptions de chaque cité qui se renouvelloient de tems en tems, et qui contenoient le nombre de ses citoyens avec l’état des biens et des revenus d’un chacun. Les rois Mérovingiens qui vouloient se rendre agréables aux Romains leurs sujets, conserverent à cet égard l’ancien usage. La maxime qui ordonne aux souverains dont la monarchie est fondée depuis peu, de faire ressembler autant qu’il est possible, le nouveau gouvernement à l’ancien, n’est jamais plus utile, que lorsqu’on la suit dans la levée des deniers nécessaires à la dépense de l’Etat.

On sçait bien que les Vandales qui envahirent la province d’Afrique au milieu du cinquiéme siecle, en userent bien autrement dans le dessein qu’ils avoient d’en faire un Etat tout nouveau. Afin d’y être plus absolument les maîtres de la fortune des Romains qu’ils avoient assujettis, ils jetterent au feu les cadastres qu’ils y trouverent. Voici ce que nous apprend à ce sujet Procope en parlant de la conduite que tint Justinien pour rétablir l’ordre ancien dans cette Province, après qu’il l’eût réunie à l’Empire Romain. » D’autant qu’on ne pouvoit plus trouver le cadastre dressé par les Officiers des Empereurs d’Occident tandis qu’ils étoient encore les maîtres en Afrique, parce que Genseric avoit entierement supprimé les registres publics peu de tems après la conquête, Justinien y envoya Tryphon & Eustatios avec commission d’y faire une nouvelle Description des fonds & héritages, ainsi qu’un nouveau recensemene general. Il leur enjoignit en même tems d’asseoir les impositions en conséquence de ces cadastres. » Mais tous les Barbares n’ont pas traité les Romains des Provinces où ils se cantonnerent aussi durement que nos Vandales les traiterent. Les Visigots & les Bourguignons ne jetterent point au feu les cadastres dressés par l’autorité des Empereurs. Nous sçavons positivement par plusieurs endroits des lettres de Cassiodore qui seront rapportés dans la suite, que les Ostrogots conserverent aussi lorsqu’ils se furent rendus les maîtres de l’Italie, les registres publics de cette Province de l’Empire. Quant à nos Francs, nous avons outre le préjugé general qui leur est favorable, des preuves qu’en cela ils se conduisirent comme les Ostrogots, & qu’ils leverent les revenus publics dans les Gaules conformément aux anciens Canons & recensemens. Il paroît même que c’étoit en se conformant à l’esprit du gouvernement qui regnoit dans les Gaules du tems qu’elles étoient sous les Empereurs, que les Rois Mérovingiens faisoient faire, lorsqu’ils vouloient augmenter leur revenu, de nouvelles Descriptions relatives aux précedentes[133]. La plus célebre de ces Descriptions a été celle que fit faire Clotaire premier apparemment lorsqu’il eut réuni les partages de ses trois freres au sien, & qu’il fut ainsi devenu Souverain de toute la Monarchie Françoife. Rapportons les passages qui servent à prouver ce qui vient d’être avancé.

Gregoire de Tours dit en parlant d’un des fils & des successeurs de ce Clotaire : » Le Roi Chilpéric ordonna que dans tous les Etats il fût dressé une nouvelle Description, & que les taxes y fussent ensuite imposées sur un pied bien plus haut que celui sur lequel on s’étoit reglé dans tes cadastres précedens. Cela fut cause que plusieurs de ses Sujets abandonnerent leurs biens pour se retirer dans les autres Partages, aimant mieux y vivre dans la condition d’étrangers, que d’être exposés en demeurant dans la Cité dont ils étoient Citoyens, à des contraintes dures & inévitables. En effet, suivant le pied sur lequel on s’étoit reglé en asseoyant les taxes en conséquence de la nouvelle Description, celui qui possedoit une vigne en toute proprieté, se trouvoit taxé à un tonneau de vin par arpent, & il étoit encore comme imposable que les contribuables acquitrassent les charges mises sur les terres d’une autre nature. D’ailleurs ce qui étoit demandé à raison de chaque Esclave qu’on avoir, étoit excessif. Aussi les Habitans du Limousin, qui étoient réduits au désespoir par ces impositions exhorbitantes, ayant été assemblés le premier jour de Mars par un Officier des Finances, nommé Marcus, qui avoit pris la commission d’établir le nouveau cadastre dans leur Pays, ils voulurent le mettre en pieces ; ce qu’ils auroient exécuté, si l’Evêque Ferreolus ne l’eût fait sauver. Cependant on ne put empêcher le Peuple de se saisir des registres de la nouvelle Description, & de les brûler. »

Chilperic fit punir sevérement les mutins, et même il fit traiter cruellement quelques ecclesiastiques, accusés d’avoir été les boutefeux de la sédition ; mais les malheurs qui pour lors arriverent coup sur coup dans sa famille, l’engagerent enfin à annuler le nouveau cadastre, et à remettre en vigueur le cadastre précedent. Il avoit été attaqué lui-même d’une infirmité dangereuse, et à peine en avoit-il été guéri que ses deux fils étoient tombés malades, et avoient été réduits à l’extrémité. Tant d’accidens firent donc rentrer en elle-même Frédegonde la mere de ces princes. » Ce sont les gémissemens des orphelins, dit-elle au roi son mari, qui soulevent le ciel contre nous, & qui attirent sa colere sur nos enfans. Ce sont les larmes des veuves qui tuent ces Princes. Ils vont mourir : Pour qui donc amasser des richesses ? N’y avoit-il pas avant cette nouvelle Description assez de denrées dans nos greniers ou dans nos celliers, & assez d’argent & de pierreries dans notre trésor ? Coyez-moi, jettons au feu tous ces registres odieux, & renonçons au dessein d’augmenter les revenus de notre Fisc. Contentons-nous de lever sur nos Sujets les mêmes impositions que Clotaire notre Pere & votre Roi levoit sur eux. Aussi-tôt Frédegonde se fit apporter ceux des cahiers de la nouvelle Descriptions, qui contenoient les cadastres, des Cités dont le revenu lui avoit été aligné pour en jouir par elle-même, & qui avoient été dressés par Marcus le Réferendaire. La Reine après les avoir jettés au feu, exhorta encore son mari à suivre un si bel exemple, pour meriter en premier lieu le salut de leurs ames & pour obtenir, s’il le pouvoir, la guérison de leurs enfans. Chilperic se laissa toucher. Il brûla ceux des cahiers du nouveau cadastre qui étoient déja achevés, & il ordonna qu’on eût à discontinuer le travail dans les lieux où il n’étoit pas encore fini. »

Comme les empereurs faisoient faire quelquefois de nouvelles descriptions, non point dans l’idée d’augmenter leurs revenus, mais dans la vûe de connoître mieux l’état present, ou de leur monarchie en géneral, ou de quelque province particuliere, afin d’asseoir ensuite le tribut public avec équité, les rois Mérovingiens faisoient aussi dresser quelquefois de nouvelles descriptions uniquement dans la seule vûe de procurer le bien de leurs sujets. » Sur la réquisition de Maroveus évêque de Poitiers, le Roi Childebert le jeune y envoya Florentius Maire du Palais, avec la commillion d’y faire à la Description, suivant laquelle le Tribut avoit été payé sous le regne de Sigebert son pere, tous les changemens qu’il conviendroit d’y faire à cause des mutations survenues dans le Pays depuis qu’elle avoir été dressée. En effet, depuis ce cems là plusieurs Chefs de famille qui portoient une grande partie du Tribut public, étoient décedés, & leur cotte-part se trouvoit être retombée sur des veuves, sur des orphelins, & sur d’autres personnes qui avoient besoin d’être soulagées. Les Commissaires après avoir examiné sur les lieux l’état des choses, soulagerent les pauvres, & ils repartirent les sommes ausquelles se montoient les diminutions faites à ces cottes-parts-là, sur des contribuables, qui suivant les regles de l’équité, devoient payer une portion de ce rejet. »

Nous verrons ce que les mêmes commissaires firent en Touraine, où ils se rendirent au sortir de Poitou, quand nous parlerons de ceux qui étoient exempts, ou qui se prétendoient exempts du tribut public.

Le prince dont nous venons de parler, je veux dire, Childebert le fils du roi Sigebert fit apparemment dans tous ses Etats la même réformation du cadastre, que nous sçavons positivement qu’il fit dans le Limousin et dans la Touraine. C’est ce qu’il me paroît naturel d’inferer d’un passage de Gregoire de Tours que je vais rapporter. Cet historien, après avoir parlé d’une exemption du tribut public accordée à quelques ecclésiastiques par ce prince, et dont nous ferons mention en son lieu, ajoute : » Le ciel porta encore Childebert à faire une autre action de bonté. Plusieurs de ceux qui s’étoient trouvés chargés de la recette du Tribut public avoient été ruinés à cause de la difficulté du recouvrement. Elle provenoit principalement de ce que par succession de tems, & par les divisions & subdivisions qui s’étoient faites entre les co-héritiers d’un contribuable, les possessions sur lesquelles chaque cotte-part avoir été assise lors de la confection du dernier cadastre, se trouvoient partagées en de petites porcions, que pour toucher une seule cotte-part, il falloit actionner un grand nombre de personnes, qui souvent encore renvoyoient le Collecteur de l’une à l’autre. Childebert remédia au désordre que nous venons d’exposer, en asseoyant si judicieusement l’imposition, que personne n’avoit plus aucun pretexte de differer le payement de la taxe, & que celui qui étoit chargé du recouvrement le faisoit sans perte, parce qu’il sçavoit précisément à quel contribuable il devoit demander chaque cotte-part. »

Sous les empereurs Romains, c’étoit le comte de chaque cité qui se trouvoit chargé de faire faire le recouvrement des deniers du tribut public, et qui devoit à un jour marqué en faire porter les deniers dans la caisse du prince. Sous les rois Mérovingiens, c’étoit le même officier qui étoit chargé des mêmes soins. Si à l’échéance du quartier le comte n’avoit pas encore ramassé la somme qu’il devoit porter dans les coffres du prince, il falloit que le comte avançât le reste ; et s’il n’avoit pas d’argent à lui, qu’il en empruntât pour remplir une obligation, à laquelle il n’auroit pas manqué impunément.

On lit dans Gregoire de Tours, au sujet d’un évenement, où Macco comte de Poitiers eut la plus grande part, que Macco se rendoit à la cour, où suivant l’usage, il étoit obligé d’aller pour y porter les revenus du fisc.

On lit encore ce qui suit dans le même auteur. » En cette année-là, vint à Tours un Juif nommé Armentarius, suivi d’un autre homme de la Religion, & accompagné de deux Chrétiens. Le motif de son voyage étoit le dessein de se faire payer par Eunomius qui sortoit de l’emploi de Comte de la Cité & par Injuriosus qui avoit été Lieutenant d’Eunomius la somme portée dans une obligation signée d’eux, & qu’ils lui avoient donnée pour argent comptant en faisant le payement du Tribut public. Les débiteurs répondirent à la premiere sommation qui leur fut faire, qu’ils étoient prêts à payer le capital & les interêts. » Nous ne rapporterons pas ici la suite de cette avanture, parce qu’elle ne regarde point la matiere dont nous traitons. Quant au Juif, j’ai déja observé dans le premier Livre de cet ouvrage qu’ils étoient en grand nombre dans les Gaules sous les derniers Empereurs comme sous nos premiers rois, et qu’ils y exerçoient le même commerce qu’ils ont toujours fait dans tous les lieux où l’on les a soufferts et qu’ils exercent encore dans ceux où l’on les tolere. Ils y prêtoient à usure. Pour Eunomius, nous avons eu déja occasion de dire que c’étoit un Romain, qui à la recommandation de l’évêque et du peuple de Tours avoit été fait comte de cette cité. Nous avons dit aussi qu’il y avoit à Tours une famille Injuriosa dont étoit un des évêques prédecesseurs de notre historien.

Enfin c’étoit si bien le comte qui étoit chargé du recouvrement du tribut public, que lorsque la contestation qui étoit entre les rois et la cité de Tours qui se prétendoit exempte de cette imposition, comme nous allons le dire tout à l’heure, eut été terminé par la donation que le roi fit du produit de cette imposition au tombeau de saint Martin, l’évêque de Tours fut mis en possession du droit de nommer et d’installer les comtes, comme étant celui qui avoit le plus d’interêt à la gestion de ces officiers, et celui avec lequel ils auroient désormais à compter. Voici ce qu’on lit à ce sujet dans la vie de saint Eloy, écrite par Saint Ouen évêque de Rouen, et contemporain de saint Eloy. » Ce fut à la sollicitation du Serviteur de Dieu que le Roi Dagobert donna par une Chartre autentique à l’Eglise dont Saint Martin avoit été fait Evêque, le cens ou tout le produit du Tribut public, qui appartenoit au Fisc dans l’étendue de la Cité de Tours. Depuis ce tems-là l’Eglise de Tours est en possession de jouir du produit de l’imposition, & même c’est l’Evêque qui nomme les Comtes de cette Cité, & qui leur donne des provisions. »

Aucune personne n’étoit exempte par son état de payer le tribut public pour les biens qu’elle possedoit ; et l’église même n’avoit pas le droit d’affranchir de ce tribut les fonds dont elle étoit proprietaire. Il n’y avoit que ceux à qui le prince avoit par un privilege particulier, accordé une exemption spéciale, qui ne fussent point tenus d’acquitter le Census. En effet, le sixiéme canon du concile assemblé dans Orleans l’année cinq cens onze, parle de l’exemption du tribut public, que Clovis avoit octroyée à plusieurs fonds de terres, et autres biens que ce prince avoit donnés à l’église, comme d’une seconde grace, comme d’un second present qu’il lui avoit fait. Il est sensible par la maniere dont le canon allegué s’explique sur cette exemption, qu’elle n’étoit point de droit, et qu’un prince pouvoit donner un fonds à une église, sans que pour cela, l’église qui venoit à jouir de ce fonds-là, fut dispensée de payer la cotte-part du tribut public dont il étoit chargé. » Quant aux redevances & aux biens fonds, die notre Canon, que le Roi notre Seigneur a donnés aux Eglises, en leur accordant encore l’exemption du Tribut public pour ces fonds & pour les Ecclésiastiques qui en jouiroient. »

Nous avons une lettre écrite au roi Theodebert fils de Thierri I par une assemblée du clergé tenue en Auvergne, et dans laquelle cette assemblée lui demande de laisser jouir les recteurs des églises et les autres ecclésiastiques domiciliés dans les partages du roi Childebert et du roi Clotaire, des fonds que ces ecclésiastiques possedoient dans l’étendue de son partage, en acquittant les impositions dont ces biens étoient tenus envers le fisc, afin, dit encore notre lettre, que chacun jouisse sans trouble des biens qui lui appartiennent, en payant le tribut au prince, dans le royaume de qui ses fonds se trouvent.

Une des maximes des jurisconsultes est que rien ne prouve mieux l’existence d’une loi, que les dispenses qu’en prennent ceux qui s’y trouvent soumis. Or, notre histoire fait mention en plusieurs endroits de l’exemption du tribut public, accordée par les rois Mérovingiens à des ecclesiastiques. Par exemple, Gregoire de Tours dit, que le roi Theodebert remit en entier aux églises d’Auvergne le tribut qu’elles étoient tenues de payer au profit du fisc.

Il paroît même que ces exemptions ne duroient que pendant la vie du prince qui les avoit accordées, et que la redevance dont chaque arpent de terre se trouvoit être tenu envers l’Etat, étoit un patrimoine si sacré, qu’un roi n’eut point le pouvoir de l’aliener. Il pouvoit bien la remettre pour quelque tems, et en disposer à son gré comme d’une portion de son revenu, mais non pas l’éteindre et en priver la couronne pour toujours. En effet, nous voyons que les églises d’Auvergne, cinquante ans après que Theodebert les eut affranchies du payement du tribut public, en obtinrent une nouvelle exemption du roi Childebert Le Jeune. » Le Roi Childebert, dit Gregoire de Tours, exempta du Tribut public par une pieuse magnificence, les Monasteres & les Eglises d’Auvergne, comprenant dans cette grace les Clercs qui les déservoient, & même tous ceux qui étoient spécialement attachés au service de ces Temples. »

Il est vrai que les habitans de la cité de Tours se disoient exempts du tribut public ; mais comme j’ai déja eu occasion de le dire, ce privilege leur étoit contesté par nos rois. Ce ne fut pas même en déclarant la cité de Tours exempte du subside ordinaire, que Dagobert I fit cesser cette contestation. Ce fut en cedant et transportant, comme on vient de le voir, le produit de cette imposition à l’église de Tours, avec qui ce seroit désormais à ses diocésains de s’accommoder. Voici le passage de Gregoire de Tours qui concerne la contestation dont nous venons de parler, et dans lequel il s’agit d’un incident survenu environ quarante ans avant que Dagobert l’eût terminée. Ce passage sera peu long, mais il contient tant de circonstances propres à confirmer ce que nous avons à prouver, que j’ai jugé à propos de le rapporter en entier, après avoir averti que l’évenement dont il s’agit arriva quand notre auteur étoit déja évêque de Tours, et à l’occasion de la nouvelle description que Childebert le jeune fit faire dans ses Etats, c’est-à-dire, vers l’année cinq cens quatre-vingt-dix.

» Florentianus Maire du Palais, & Romulfus un des Comtes du Palais, à qui le Roi Childebert le jeune avoit donné la commission de faire une nouvelle Description, se rendirent à Tours après avoir dressé l’état des biens dans la Cité de Poitiers. Dès qu’ils furent à Tours, ils s’y mirent en devoir d’imposer le subside ordinaire sur le Peuple, en disant que leur intention n’étoit pas de lever une somme plus forte que celle qu’il paroissoit par les registres dont ils s’étoient saisis, avoir été imposée sous les Rois précedens. Je m’opposai à l’exécution de leur entreprise, alleguant qu’il étoit bien vrai qu’on avoit fait sous le regne de Clotaire fils de Clovis une Description de la Cité de Tours, & même que les cahiers de ce cadastre avoient éré envoyés au Roi, mais qu’il étoit vrai aussi que ce Prince par respect pour la mémoire de Saint Martin les avoit jettés au feu. J’ajoutai qu’après la mort de ce même Prince le Peuple de Tours, en prétant serment au Roi Charibert, avoit reçû de son côté un autre serment que Charibert lui avoit fait, & par lequel il avoit promis de laisser jouir les Tourangeaux de tous les privileges & franchises, dont ils avoient joui sous Clotaire son pere, & de ne publier jamais aucun Edit Bursal dans leur Patrie. J’ajoutai encore que s’il étoit vrai que Gaiso, qui pour lors exerçoit l’emploi de Comte dans mon Diocèse, ayant recouvré une copie des cahiers dont je viens de parler, il s’étoit mis en devoir d’y lever le Tribut, mais qu’il étoit vrai aussi que sur les oppositions formées par Eufronius mon prédecesseur, l’affaire avoir été portée devant le Roi ; Que Gaiso s’étoit même rendu à la Cour, pour y exhiber la copie du Canon en vertu de laquelle il avoit agi. Quelle fut, continuai-je, la fin de cette contestation. Charibert qui ne vouloir blesser en rien le respect dû à Saint Martin, brûla cette copie comme Clotaire en avoit brûlé l’original ; & de plus il donna ordre de faire present à l’Eglise de l’Apôtre de la Gaule des deniers qui avoient été déja perçûs, en protestant encore qu’il ne souffriroit jamais qu’aucune personne de la Cité de Tours fût imposée au Tribut public, à quelque titre que ce pût être. Après la mort de Charibert, continuai-je encore, nous avons été sous l’obéissance de Sigebert son frere, qui n’a point introduit le subside ordinaire dans notre Diocèse. Depuis quatorze ans que Sigebert est mort, & que nous sommes sous la domination de Childebert son fils, on ne nous a rien demandé à titre du Tribut public. Nous n’avons pas eu sujet de nous plaindre. Vous êtes aujourd’hui les dépositaires de l’autorité Royale, dis-je en apostrophant les Commissaires, & comme tels, vous avez le pouvoir d’établir ici le subside ordinaire, ou de nous laisser jouir de notre immunité : Mais songez combien l’injustice que vous commettriez, en allant contre la teneur du serment du Prince qui vous employe, seroit criante. Quand j’eus cessé de parler, les Commissaires répondirent en me montrant les registres qu’ils tenoient à la main : Voyez ces rôles ; Les Habitans de la Touraine n’y sont-ils pas employés au nombre de ceux qui doivent le Tribut public ? & n’y sont-ils pas cottisés comme tels ? Ces cahiers, repartis-je, ne viennent pas du Tresor Royal des Chartres, & jamais ils ne furent mis à exécution. Il est bien vrai que les cahiers originaux, où mon Diocèse étoit cottisé, furent envoyés au Roi Clotaire, dans le tems qu’il fit faire la Description, mais ce Prince les fit jetter au feu, sans vouloir qu’on s’en servît. Charibert a traité de même la copie que Gaiso lui en donna. Les rôles que vous representez ne font donc qu’une seconde copie conservée à mauvaise intention par quelque méchant Citoyen qui vous l’a livrée, & que Dieu punira de la perversité de son cœur. Dans le tems même de notre conférence, le fils d’Audinus, celui-là même qui avoit mis entre les mains des Commissaires cette seconde copie dont je parle, fut attaqué d’une fievre si violente, qu’il mourut le troisiéme jour de la maladie. Au sortir de la conférence, j’envoyai à la Cour un Exprès chargé d’une Lettre, dans laquelle je suppliois le Roi Childebert de faire sçavoir sa volonté sur le point qui étoit en question entre les Commissaires & moi. La réponse ne tarda point à venir. Peu de jours après avoir expedié mon Courier, il me fut mis entre les mains un ordre du Roi qui faisoit prohibition à ses Officiers de faire état de la Cité, dont Saint Martin avoit été Evêque, dans les rôles de l’imposition du Tribut public, & ces Officiers se retirerent dès que je leur eus presenté le Diplome du Prince. » Nous avons raconté d’avance qu’environ quarante ans après l’évenement dont on vient de lire le récit, Dagobert I termina toutes contestations, concernant l’exemption du tribut public prétendue par la cité de Tours, en faisant don du produit du tribut public dans la cité de Tours, à l’église de Tours.

On voit par les lettres de Cassiodore, que les Ostrogots, nonobstant tous les égards qu’ils affectoient d’avoir pour les églises des Catholiques, ne laissoient pas de lever le subside ordinaire sur tous les biens qui appartenoient à celles d’Italie. Il est statué dans une de ces lettres écrite au nom de Theodoric, que les biens qui appartenoient à une certaine église dans le tems que son exemption lui avoit été octroyée, ne seroient pas sujets aux taxes ordinaires ni aux superindictions, mais que les biens qu’elle avoit acquis depuis cette exemption, seroient tenus de les payer sur le même pied qu’ils étoient payés par le possesseur, de qui cette église les avoit eus.

Il se presente ici une question assez curieuse, et même de quelqu’importance dans l’explication de notre droit public. Les Francs payoient-ils sous le regne des enfans de Clovis le subside ordinaire, ou ne le payoient-ils pas ? J’avoue que l’opinion commune est qu’ils ne le payoient point, et qu’ils étoient même exempts de toutes charges, à l’exception de celle de porter les armes pour le service du roi, lorsqu’ils étoient commandés ? Combien de droits imaginaires n’a-t’on pas même fondés sur cette exemption prétendue ? Cependant je crois que sous la premiere ni sous la seconde race, les Francs n’ont pas été plus exempts que les Romains mêmes du subside ordinaire. Je crois que les Francs étoient tous assujettis au payement du tribut public, ainsi qu’ils l’étoient certainement, comme on le verra dans le chapitre suivant, au payement des douanes, des péages, et des autres droits de pareille nature, qui se levoient alors dans les Gaules. Si quelques Francs étoient exemptés de payer aucune de ces impositions, ce n’étoit pas en vertu de leur état, ce n’étoit point en vertu d’une immunité accordée à la nation des Francs en géneral, c’étoit en vertu d’un privilege particulier, accordé spécialement à quelques personnes. Entrons en matiere.

Il faudroit, pour montrer que nos Francs eussent été exempts du subside ordinaire, le faire voir par des preuves bien positives. Cette prétendue exemption nationale ne s’accorde gueres avec ce que nous sçavons positivement sur les usages et sur les coutumes du sixiéme et du septiéme siécle, et avec ce que nous venons de voir.

En premier lieu, l’usage des Romains n’étoit pas, lorsque le prince avoit remis à quelqu’un la cotte-part qu’il devoit payer, de rejetter la cotte-part de l’exempté sur les autres contribuables, ainsi qu’il se pratique aujourd’hui dans plusieurs Etats. L’usage des Romains étoit, que le prince passât en recette le produit de cette cotte-part. Supposé, par exemple, que la communauté de laquelle Lucius étoit membre, dût payer cent sols d’or, dont Lucius fût tenu de contribuer la dixiéme partie, et que l’empereur remît à Lucius sa cotte-part, alors l’empereur prenoit en payement les dix sols d’or dont il avoit déchargé Lucius. La communauté dont Lucius étoit membre, n’étoit plus tenue que de quatre-vingt-dix sols d’or. On voit dans les lettres de Cassiodore plusieurs preuves de cet usage, que les Ostrogots avoient conservé en Italie. Theodoric mande à la Curie de Trente, en lui écrivant sur l’exemption qu’il avoit accordée à un prêtre nommé Butilianus. » Nous avons exempté par ces Présentes Butilianus de payer au Fisc aucune redevance ; mais comme notre intention est, que la libéralité qu’il nous plaît d’exercer, soit faite à nos dépens & non pas aux dépens de nos bons Sujets, nous déduirons sur ce que vous nous devez pour les bois & taillis dont jouit votre Cité, autant de sols d’or qu’il se trouvera que nous en aurons remis à Butilianus. »

La nécessité où se mettoit le prince de donner une indemnité toutes les fois qu’il accordoit une exemption, devoit être cause qu’il en accordât très-peu. Aussi voyons-nous dans les lettres de Cassiodore, que de son tems le senat de Rome étoit ainsi que les autres ordres de citoyens, soumis aux impositions qui se levoient sous le nom de subside ordinaire. Theodoric dit dans une lettre adressée à cet auguste corps : » Il nous apparoît par l’état des payemens faits entre les mains de nos Oficiers pour le premier terme du Tribut public, & lequel a été envoyé des Provinces au Préfet du Prétoire d’Italie, que les Senateurs n’ont encore fait payer sur des lieux où ils ont du bien, qu’une petite partie des redevances dont ces biens sont tenus. » Theodoric ordonne ensuite à ceux qui composent ce Corps, de faire porter incessamment dans les caisses du Fisc ce qui restoit de dû. »

Les Ostrogots qui étoient alors en Italie ce que les Francs étoient dans les Gaules, payoient leur cotte-part du subside ordinaire, même à raison des benefices militaires dont ils jouissoient, et ils le payoient entre les mains des officiers préposés pour en faire le recouvrement. C’est ce qui paroît en lisant une lettre de Theodoric à Saturninus et à Verbasius deux senateurs chargés de cette commission. » Notre intention n’est pas de souffrir que les revenus publics soient arriérés, en permettant que les contribuables reculent le payement du Tribut, & nous aurons d’autant plus de fermeté à maintenir l’ancien usage, que nous n’avons jamais demandé que ce qui nous appartenoit & se trouvoit échu. C’est pourquoi nous vous enjoignons qu’après avoir pris les informations convenables des Citoyens d’Adria, vous contraigniez incessamment ceux des Ostrogots, qui sont en demeure, à payer tout ce qu’ils doivent encore au Fisc, afin qu’ils ne soient pas réduits à prendre un jour sur leur subsistance la plus nécessaire, de quoi faire un payement, dont ils sont également en obligation & en état de s’acquitter. Si par obstination quelqu’un d’eux differe de se conformer à nos ordres, qu’outre sa taxe, il paye encore une amende, pour avoir attendu les contraintes. »

Voici la substance d’une autre lettre du roi des Ostrogots, écrite à Gasilas un des Saio ou des Senieurs, de ceux de la nation des Ostrogots, qui s’étoient établis dans la Toscane et dans quelques provinces voisines. » Nous vous enjoignons de contraindre les Ostrogors établis dans la Marche d’Anconne & dans l’une & l’autre Toscane, à payer ce qu’ils doivent au Fisc, & vous vous servirez des voies les plus efficaces pour les y forcer, C’est pourquoi vous ferez saisir & annoter les Métairies de ceux, qui au mépris de nos ordres, négligeroient de remplir leur devoir. Vous ferez mettre ensuite sur ces Métairies les affiches ordinaires, & vous les ferez vendre au profit de notre Fisc, aux plus offrans & derniers encherisseurs. Tout le monde apprendra par de tels exemples, que celui qui refuse de payer une legere somme dont il est débiteur, mérite d’être puni par des pertes considérables. Qui doit acquitter plus volontairement les droits du Fisc, que ceux qui en tirent des gratifications ? »

Le roi Athalaric, en écrivant à Gildas qui exerçoit l’emploi de comte à Syracuse, pour lui enjoindre de faire cesser la levée de quelques nouvelles impositions, finit sa lettre en disant : » Il ne nous reste plus qu’à vous ordonner d’avertir votre Province, que notre intention est que ceux à qui nous avons conferé des benefices militaires, (un Roi & un Roi Arien n’en conferoit point d’autres), soient exacts à nous témoigner leur reconnoissance, en payant leurs redevances de si bonne grace, qu’ils paroissent nous offrir comme à un bienfaicteur, ce qu’ils nous doivent comme à leur Souverain. »

Les Visigots établis en Espagne et dans les Gaules, y étoient assujettis au payement du tribut public, ainsi que les Ostrogots l’étoient en Italie. C’est ce qui paroît en lisant les deux anciens articles de la loi nationnale des Visigots, que nous allons rapporter, et qui se commentent réciproquement l’un l’autre. Il est dit dans le premier de ces deux articles : » Tout particulier à qui la jouissance d’un fond aura été abandonnée, à condition d’acquitter la redevance dont le fond est chargé dans le Canon ou le Cadastre, jouira paisiblement de ce fond, en payant la redevance à l’acquit de celui qui est inscrit sur le Canon en qualité de Proprietaire de ce bien-là ; & moyennant le susdit payement, le veritable Proprietaire demeurera valablement déchargé de la redevance. Mais comme le payement de cette redevance ne doit pas être interrompu, s’il arrive que le particulier à qui un fond aura été délaissé, à condition d’acquitter la cotte-part du Tribut dûë par ce même fond, manque à payer ponctuellement chaque année ladite cotten part, qu’alors le Proprietaire du fond se presente afin de répondre pour le susdit fond, & s’il manque à se présenter, son benefice sera réputé n’avoir point acquitté les charges dont il est tenu suivant le Canon, & il sera confisqué comme étant dans ce cas-là. » Il est clair par cette loi, que les benefices militaires des Visigots étoient compris et taxés dans le canon. La seconde des loix que nous avons promis de rapporter, statue : » Dans chaque Cité, les Juges & autres Officiers feront déguerpir les Visigots qui seront trouvés détenir des terres, lesquelles suivant le partage general convenu entre les deux Nations doivent faire partie du tiers de toutes les terres qui a été laissé aux Romains, & les susdits Juges & Officiers remettront incessamment les Romains en possession des fonds, dont les Visigots auront été dépossedés, à condition toutefois que les Romains ainsi réintegrés payeront au Fisc la même redevance que payoient les Visigots qu’on auroit dépouillés. » Il faut que depuis le partage géneral il eût été fait un nouveau rôle, où les taxes étoient plus fortes qu’elles ne l’étoient dans l’ancien, et que le législateur craignît que les Romains qu’on rétabliroit dans les fonds usurpés sur eux, prétendissent n’acquitter les redevances des fonds qu’on leur rendroit, que sur le pied de l’ancien cadastre, c’est-à-dire, sur le pied qui avoit lieu lorsqu’ils avoient été chassés injustement de leurs possessions. La précaution que prend la loi que nous venons de rapporter, obvioit aux inconveniens qui pouvoient naître d’une prétention pareille.

Nous avons vû dans le livre précedent, que lorsque les Bourguignons reconnurent pour rois les enfans de Clovis, ils s’obligerent de payer à ces princes une redevance pour les terres qu’ils possedoient, c’est-à-dire, pour la moitié des terres qu’ils avoient ôtée à l’ancien habitant des provinces des Gaules où ils s’étoient établis. Cependant c’étoit à titre onéreux, c’étoit à condition de marcher lorsqu’ils seroient commandés, que les Bourguignons tenoient leurs terres. Les parts et portions Bourguignones devoient être un bien de même nature que les terres Saliques quant au service dont leur possesseur étoit tenu. En un mot, toutes les nations dont je viens de parler, n’avoient fait autre chose en laissant les fonds destinés à l’entretien de leur milice, chargés de la redevance dont ils étoient tenus envers l’Etat, conformément au cadastre de l’empire, que conserver et suivre l’usage qu’elles avoient trouvé établi dans les provinces où elles s’étoient cantonnées. Nous avons rapporté dans le premier livre de cet ouvrage, une loi faite par les empereurs Romains[134], vers le milieu du cinquiéme siecle, laquelle fait foi que les benefices militaires étoient sujets au tribut public.

Je conclus donc de tout ce qui vient d’être exposé, qu’il est contre la vraisemblance que les rois Mérovingiens ayent exempté les terres Saliques et les autres biens fonds, ou revenus des Francs, de payer le subside ordinaire ; et la chose paroît même incroyable, quand on fait réflexion que ces princes qui enrichissoient les églises avec tant de libéralité, ne les avoient point affranchies de ce tribut. On a vû que suivant la loi génerale elles y étoient soumises, et que si quelques-unes en étoient exemptes, si quelque portion du bien des autres étoit dispensée de cette charge, c’étoit par un privilege spécial. Ainsi, comme je l’ai déja dit, pour montrer que tous les Francs ayent été exempts du subside ordinaire en vertu d’un privilege national, il faudroit apporter des preuves positives, et telles qu’elles pussent faire disparoître un préjugé aussi légitime que celui qu’on deffend ici. Mais loin qu’on trouve ou dans les loix faites par les souverains des deux premieres races, ou dans l’histoire, rien qui établisse cette prétendue exemption des Francs, on trouve et dans ces loix et dans l’histoire, plusieurs sanctions et plusieurs faits, qui montrent que nos Francs ont été assujettis au payement du tribut public, ainsi que les autres sujets de la monarchie, et cela durant tout le tems que la distinction des nations y a subsisté. Voyons d’abord ce qu’on peut trouver dans les loix à ce sujet.

Il est vrai que dans les loix et capitulaires des rois de la premiere race, on ne voit rien qui prouve que du tems de ces princes, les Francs ayent été ou qu’ils n’ayent pas été assujettis au payement du subside ordinaire ; mais en lisant les capitulaires des rois de la seconde race, on y voit que nos Francs étoient assujettis à cette imposition. Or, comme on n’a jamais reproché aux rois de la seconde race d’avoir dégradé les Francs, comme au contraire, plusieurs d’entr’eux ont été très-jaloux de l’honneur de cette nation, dont ils se faisoient un mérite d’être, on doit inferer que les rois de la seconde race n’ont fait payer aux Francs le subside ordinaire, que parce que les Francs l’avoient payé sous les rois de la premiere race.

En parlant du tribut public dans le premier livre de cet ouvrage, j’ai exposé qu’il consistoit premierement, en une taxe mise sur le contribuable, à raison des fonds dont il étoit possesseur, et secondement, en une autre taxe mise sur lui, à raison de son état de citoyen, laquelle se nommoit capitation. Or il est dit dans le vingt-huitiéme article de l’édit, fait à Pistes par Charles Le Chauve : » Les Francs non exempts, & qui sont tenus de payer un cens au Roi, tant pour leur Capitation que pour leurs Possessions, ne pourront point donner corps & biens aux Eglises, ni se rendre Serfs de qui que ce soit, sans en avoir auparavant obtenu la permission du Prince, afin que l’Etat ne soit point privé du secours qu’ils lui doivent. » Cette loi suppose que les Francs étoient également soumis à l’imposition personnelle et à l’imposition réelle.

Il est évident que dans notre loi Charles Le Chauve entend parler des Francs de nation ; car après avoir statué touchant les contrevenans à son ordonnance ce qu’il juge à propos d’y statuer, il dit à la fin du même article : » Quant aux Romains, nous n’avons rien à ajouter à ce que leur Loi ordonne sur ce point-là. » Nous rapporterons encore à l’occasion des douanes et péages plusieurs capitulaires, faits par les rois de la seconde race, et qui sont très-opposés à l’idée qu’on se fait communément de l’exemption génerale des Francs.

Quant à present voyons ce qui se trouve dans l’Histoire concernant leur prétendue exemption du tribut public ou du subside ordinaire. Ceux qui la soutiennent, se fondent sur deux passages de Gregoire de Tours, qui vont être rapportés. Voici le premier. » Theodebert mourut enfin après avoir été long-tems malade. Les Francs haïssoient beaucoup un de ses Ministres appellé Parthenius, parce que du vivant du Roi, il les avoit surchargés d’impositions, & ils entreprirent de se défaire de ce Romain. Parthenius qui connue le danger, supplia deux Evêques d’appaiser par leurs remontrances le soulevement des esprits, & de le conduire à Tréves. » Gregoire de Tours ne dit point dans ce passage, que Parthenius eut soumis les Francs au tribut public dont ils devoient être exempts. Il dit seulement que Parthenius les avoit accablés d’impositions, c’est-à-dire, qu’abusant de la confiance de Theodebert, il l’avoit engagé à augmenter les taxes portées dans l’ancien cadastre. Voici le second passage de notre historien. Après avoir rapporté que Frédegonde se réfugia dans l’église cathédrale de Paris quand le roi Chilpéric son mari eut été assassiné[135], l’auteur ajoute : » Elle avoit auprès d’elle un Juge nommé Audoënus, qui avant qu’elle fut veuve, avoir été son complice dans plus d’un crime. C’étoit lui, qui de concert avec Mummolus, l’un des principaux Officiers des Finances, avoit obligé plusieurs Francs, qui sous le regne du Roi Childebert[136] premier, avoient été affranchis du Tribut public, à payer ce Tribut-là. » Il est vrai qu’ils s’en vengerent dès que Chilpéric eut les yeux fermés, et qu’ils pillerent si bien tous les effets de Parthenius, qu’il ne lui en resta que ce qu’il avoit sur lui.

Comme rien ne montre mieux l’existence d’une loy dont on n’a plus les tables, que des exceptions faites certainement à cette loi, il me semble que ce passage, loin de prouver que les Francs ne fussent pas sujets à payer le subside ordinaire, montre au contraire, que la loi générale les y assujettissoit. En effet, l’indignation des Francs qui en vouloient à Audoënus et à Mummolus, ne venoit pas, suivant la narration de Gregoire de Tours, de ce que nos deux Romains eussent exigé des Francs en général le subside ordinaire ou le tribut public, mais elle procédoit de ce qu’ils avoient exigé ce tribut de quelques Francs privilégiés, de ceux que le roi Childebert avoit affranchis du payement de l’imposition dont il s’agit.

Au reste, j’ai un bon garant quand je traduits ici Ingenuus par Affranchi en prenant ce dernier mot dans son acception la plus générale, quoiqu’Ingenuus signifie dans son acception ordinaire, un homme qui a toujours été libre. Ce garant est Gregoire de Tours lui-même, qui prend sensiblement le mot Ingenuus dans la signification d’affranchi, dans la signification d’un homme à qui l’on a ôté quelque joug. Notre historien fait dire à l’esclave que Frédégonde avoit gagné, pour tuer Prétextat évêque de Rouen : que la reine pour l’engager à commettre ce meurtre lui avoit donné cent sols d’or, et qu’elle lui avoit promis de les rendre sa femme et lui affranchis, Ingenui. On voit bien que cela signifie seulement, que la reine avoit promis de les affranchir. Toute la puissance de Frédégonde ne pouvoit pas faire que ces esclaves ne fussent point nés esclaves, et qu’ils fussent nés libres. J’avouerai, tant que l’on voudra, que le mot Ingenuus est employé ici abusivement par Gregoire de Tours. Mais on sçait que ni lui, ni ses contemporains n’ont pas employé toujours les mots suivant l’acception qu’ils avoient dans la bonne latinité. Il nous suffit qu’on ne puisse pas douter que cet historien n’ait employé le terme d’Ingenuus dans le sens où nous avons vû qu’il s’en étoit servi.

LIVRE 6 CHAPITRE 15

CHAPITRE XV.

Des Droits de Douane & de Péage qui se levoient au profit des Rois Mérovingiens. De la quatriéme branche de leur revenu. De quelques usages établis dans les Gaules par les Romains, & qui ont subsisté sous les Rois des deux premieres Races.


Le lecteur se souviendra bien que la troisiéme branche du revenu des empereurs Romains, consistoit dans le produit des droits de douane et de peage, qui se percevoient à l’abord des denrées et des marchandises en certains lieux, ou à leur passage sur certains chemins, ou bien à la traversée de certaines riviéres. Nous avons même rapporté ce qu’on pouvoit sçavoir concernant le pied sur lequel ces droits étoient levés, et la maniere d’en faire le recouvrement. On va voir que ces impositions ont subsisté sous les rois Mérovingiens, et même sous les rois Carliens, et que leur produit faisoit une des branches du revenu de ces princes.

On connoît par le contenu de la chartre d’exemption de tous droits de douane et de péage octroyée par Charles Le Chauve à l’abbaye de saint Maur des Fossés dans le diocèse de Paris, que ces droits consistoient en plusieurs sortes d’impositions differentes, dont l’une s’appelloit droit de bureau, l’autre, droit de rivage, l’autre, droit de charroi, l’autre, droit des ponts, droit sur les bêtes ou sur les esclaves emmenés et sur les choses transportées ; une autre imposition se nommoit droit d’heureux abord. Or, il n’y a point d’apparence que tous ces droits eussent été établis sous la seconde ni même sous la premiere race. Tant d’impositions differentes sur les mêmes choses, ne paroissent pas l’ouvrage d’une nation Barbare, qui recemment s’est emparée de la souveraineté dans un pays policé depuis long-tems. Cette nation opére avec plus de simplicité ; sans tant de rafinement, elle leve sous une seule dénomination, tout ce qu’elle veut lever sur chaque espece de denrées ou de marchandises. Il y a bien plus d’apparence que les diverses impositions si differentes de nom, et payables néanmoins par la même denrée ou marchandise, ayent été mises à differentes reprises et sous differentes dénominations dès le tems des empereurs Romains, et cela dans les occasions où il aura fallu faire quelque nouveau fond pour suppléer aux anciens épuisés, soit par les besoins de l’Etat, soit par les prodigalités du prince. Toutes les dénominations de droits dont il est fait mention dans notre chartre, ont véritablement apparence d’être de ces noms spécieux que les publicains inventoient, suivant Tacite, pour donner une couleur aux exactions. Ce qui arrive journellement dans les Etats qui subsistent aujourd’hui, a dû arriver dans l’empire Romain.

Lorsque les premiers droits sur les denrées et marchandises ont été une fois établis, s’il survient un besoin qui oblige le gouvernement à les surcharger, il n’augmente pas ordinairement l’ancien droit. Le peuple en seroit trop mortifié, parce qu’il n’espereroit pas de voir supprimer cette augmentation. Ainsi pour le consoler, on impose cette crue sous un nouveau nom, que le hasard seul lui donne la plûpart du tems, et l’on promet au peuple que le droit mis sous le nouveau nom, sera éteint dès que les conjonctures qui sont cause qu’on l’impose seront passées. Mais ces conjonctures étant passées, il survient quelquefois au gouvernement d’autres affaires, qui non-seulement ne lui permettent pas d’ôter ce second droit, mais qui l’obligent encore à en imposer un troisiéme et un quatriéme, qu’on déguise de la même maniere qu’on avoit déguisé le second. C’est ainsi que les droits sur les denrées et marchandises se multiplient et s’accumulent, de façon, que dans la même pancarte, on trouve la même denrée chargée de cinq ou six droits differens. C’est en vain que les citoyens éclairés proposent de tems en tems de simplifier les droits, et de les réduire à un droit aussi fort lui seul, que tous les autres ensemble. Il est vrai que le gouvernement ne perdroit rien par cette opération, et que le peuple y gagneroit l’avantage de n’être plus exposé à toutes les vexations que la multiplicité des droits donne lieu de lui faire. Mais un désordre qui tourne au profit des personnes en crédit, trouve toujours des défenseurs. Du moins on ne rémedie au mal, qu’après qu’il a duré long-tems. Comme il n’y a point, peut-être, trois Etats parmi ceux qui composent aujourd’hui la societé des nations ou l’abus de la multiplicité de droits sur la même marchandise ou denrée, n’ait lieu, on peut croire, quand bien même on n’en auroit pas d’autres preuves, qu’il a regné dans l’empire Romain, et que tous les droits differens dont la chartre de Charles Le Chauve fait mention, ou dont elle déclare entendre faire mention, avoient été établis dans le tems que les Gaules étoient soumises à cet empire.

En effet nous voyons que même dès le tems des rois de la premiere race, les bureaux de douane et de péage étoient en si grand nombre dans les Gaules, que le peuple s’y plaignoit beaucoup de la maniere dont les droits qu’il falloit payer à l’Etat, étoient exigés. Clotaire II ordonne par un édit qu’il publia dans Paris en l’année six cens quinze, sur les representations du concile qui s’y trouvoit assemblé. » Il n’y aura des Bureaux de Douanne & de Péage que dans les lieux où il y en a eu sous le regne de nos prédecesseurs. Les droits qu’on y levera, seront » les mêmes qu’on y levoir de leur tems, & les effets qui devoient dès lors ces droits, seront seuls tenus de les acquitter. »

Il est dit dans la vie du roi Dagobert I. » Il assigna encore pour l’entretien du luminaire de l’Eglise, où repose le corps de S. Denys, une rente de cent sols d’or, à prendre sur le produit de la Douane de Marseille. Dagobert enjoignit même à ses Officiers résidans en cette Ville, d’y employer chaque année cette somme en huiles, prenant au prix du Roi celles qui suivant les Registres de l’Etape, devoient être vendues les premieres. Enfin, pour rendre la libéralité complete, Dagobert ordonna que les Agens de l’Abbaye de S. Denys, qui seroient chargés de la conduite des huiles dont nous parlons, pourroient chaque année faire sortir de Marseille sans payer aucun droit, six chariots chargés de cette denrée, & que ces six chariots passeroient francs de tous Droits & Péages au Bureau de Valence, au Bureau de Lyon, & à tous ceux qui se trouveroient sur la route qu’ils tiendroient, pour se rendre à Saint Denys. »

Il a plû à quelques écrivains peu contens de l’état present de notre monarchie, d’avancer que les Francs étoient exempts de payer les droits dont il est ici question, ainsi qu’ils l’étoient du tribut public. Ils ont écrit que » les Francs après avoir soumis les Gaules, acquirent trois nouveaux privileges qui demeu rerent attachés au sang des conquerans, c’est-à-dire, à la naissance Françoise, mais qu’ils ne prétendirent jamais devoir à la Noblesse de la liberalité ou à la faveur des Princes, comme en effet ils ne dépendoient ni de l’une ni de l’autre. Le premier de ces priviléges, fut l’exemption génerale des charges onéreuses de l’Etat, hors le service de la guerre dans un âge compétent. Le second, fut l’autorité sur le Peuple Gaulois, avec une distinction formelle telle que du Maître à l’Esclave. Le troisiéme, fut selon cet Auteur, le droit exclusif de posseder les terres Saliques. » Mais comme ces écrivains n’alleguent d’autres preuves de ce qu’ils avancent, que des loix génerales en faveur de la nation des Francs, lesquelles n’existerent jamais que dans leur imagination échauffée, on ne seroit point obligé à les croire, quand bien même on n’auroit aucune preuve du contraire. Pourquoi les Francs auroient-ils été mieux traités que les églises qui avoient cependant besoin d’une exemption spéciale, pour être dispensées de payer tous les subsides et tous les droits dont il s’agit ? Peut-on, quand on a quelqu’idée de l’esprit qui regnoit dans le sixiéme siecle et dans les siecles suivans, croire que des laïques ayent joui d’aucune immunité ou franchise, dont les églises ne jouissoient pas. Nous avons d’ailleurs montré suffisamment dans le précedent chapitre, que les Francs étoient assujettis au payement du tribut public. Ne parlons donc plus que des droits de douane et de péage desquels il est ici question.

Outre les preuves positives qui ont été déja rapportées, nous en allons encore alleguer une. Elle sera tirée de plusieurs articles des capitulaires, faits exprès pour exempter en certains cas tout citoyen de payer aucun droit de douane et péage. Or dans ces articles, il n’est fait aucune mention du privilege national des Francs, quoiqu’il dût naturellement y en être parlé. Dans un capitulaire fait sous Pepin, et rédigé par conséquent quand la premiere race ne faisoit que de défaillir, il est dit : » Il ne sera sera levé aucun Péage ni sur les chariots vuides ni sur les denrées, que ceux à qui elles appartiennent feront voiturer d’un lieu à l’autre pour leur consommation & non point pour en faire commerce, non plus que sur les bêtes de somme à vuide, quelque part qu’on les conduise, & sur les Pellerins qui vont à Rome ou à quelqu’autre lieu de dévotion. » Comme statuer ainsi, c’étoit statuer que les bêtes de somme ou les chariots chargés de marchandises, et les denrées qui se transportoient pour être vendues, devoient le droit de péage ; il convenoit de dire que les marchandises et denrées appartenantes aux Francs, n’étoient point réputées comprises dans cette loi génerale, si véritablement elles n’eussent jamais dû aucun droit.

Il est dit dans un article repeté plusieurs fois dans les capitulaires faits sous les rois descendus de Pepin. » Celui qui aura exigé aucun droit de Péage des personnes qui se rendent à notre Cour, ou qui vont à l’armée, sera tenu de restituer les deniers qu’il aura perçûs. Il sera encore condamné à payer l’amende de laquelle le vol est puni, suivant la Loi de la Nation dont le Concussionnaire sera Citoyen ; & de plus, l’amende qu’encourent ceux qui enfraignent notre Ban, c’est-à-dire, soixante sols d’or. » Où trouve-t’on l’amende à laquelle étoit condamné celui qui auroit exigé aucun droit d’un Franc ?

J’ajouterai encore une réflexion, c’est que tous les droits dont nous parlons auroient été comme anéantis, si les Francs en eussent été exempts par un privilége nationnal. Toutes les marchandises auroient été voiturées, tout le commerce se seroit fait sous leur nom. On verroit du moins dans les capitulaires où il se trouve tant de reglemens sur des matieres bien moins importantes, une infinité d’ordonnances faites pour empêcher que les Francs ne prétassent leur nom aux citoyens des autres nations. Il n’y a pas néanmoins un seul réglement fait à ce sujet-là. Enfin y avoit-il plus de raison sous les rois Mérovingiens et sous les rois Carliens, d’exempter les Francs des droits de douane et de péage, qu’il n’y en avoit sous les empereurs d’exempter de ces mêmes droits les soldats Romains, qui la plûpart n’avoient d’autre domicile que le camp et d’autres occupations que les fonctions militaires ? Or l’on a vû dans notre premier livre, qu’ils étoient assujettis à payer les droits de douane et de péage en plusieurs cas, quoiqu’ils menassent la vie de soldat bien plus constamment que nos Francs ne la menoient.

Nous avons dit que la quatriéme branche du revenu des empereurs, consistoit dans les confiscations et autres droits casuels, ainsi que dans les presens volontaires ou réputés tels, que leurs sujets leur offroient en certaines occasions. Quant aux confiscations, l’histoire des rois Mérovingiens fait mention très-fréquemment de la réunion de biens des personnes condamnées, faite au domaine du prince. On y lit même qu’en certaines circonstances, nos rois se contentoient de confisquer ceux des biens du coupable, qu’il tenoit de la libéralité des souverains, et qu’ils lui laissoient la jouissance de son patrimoine, et de ce qu’il possedoit en toute proprieté. Septimina gouvernante des enfans de Childebert Le Jeune, et Droctulfus qui avoit été mis auprès de cette femme pour la conseiller, ayant formé ensemble un complot contre le roi, il les fit mettre à la question. Dès qu’on eut été informé de la découverte de la conspiration, Sunégesilus qui avoit l’intendance des écuries du roi, et le réferendaire Gallomagnus qui sçavoient qu’on les accuseroit d’être du nombre des conjurés, se sauverent dans une église, d’où ils sortirent sur la foi d’un sauf-conduit que leur donna Childebert, afin qu’ils pussent comparoître devant lui. Ces deux officiers convinrent bien l’un et l’autre dans leur interrogatoire d’avoir sçû le projet de Septimina, mais ils nierent d’y être entrés, et même ils soutinrent qu’ils avoient fait ce qu’ils avoient pû pour l’en détourner. Childebert condamna Septimina et Droctulfus à des peines afflictives, mais il se contenta de déclarer Sunegesilus et Gallomagnus, privés de tous les biens qu’ils tenoient de la couronne et de les exiler. Le roi Gontran qui intervint en leur faveur, leur fit bien remettre la peine de l’exil, mais il ne put venir à bout de leur faire rendre ce qui avoit été réuni au domaine. Comme le marque Gregoire de Tours, il ne leur resta que ceux de leurs biens qui leur appartenoient en pleine proprieté.

On voit aussi dans une infinité d’endroits de notre histoire, que les dons gratuits ou réputés tels, étoient en usage sous les rois des deux premieres races. L’auteur de la vie d’Austregesilus, évêque de Bourges sous le regne de Thierri, raconte que ce saint fit dispenser par le prince les citoyens de cette ville, de payer une somme qu’ils ne devoient pas, et qu’on vouloit cependant qu’ils donnassent. On a vû déja dans le cinquiéme chapitre de ce livre, que le roi Pepin ayant assemblé un champ de Mars à Orleans, il y reçut des plus grands de l’Etat des presens considérables.

L’usage étoit que les religieuses mêmes, fissent de tems en tems des presens à nos rois. L’article sixiéme du concile tenu en sept cens cinquante-cinq par les soins de Pepin, ordonne aux religieuses de ne point sortir de leur monastere, et il y est dit entr’autres choses : « Que doresnavant les religieuses feroient presenter au roi par leurs agens, les dons qu’elles voudroient lui offrir. »

enfin on vit dans le sixiéme siecle l’entier accomplissement de la prédiction que saint Remi avoit faite à Clovis, quand il le disposoit à recevoir le baptême ; Hincmar nous apprend que ce saint évêque prédit alors au nom de Dieu à Clovis, que ses enfans lui succederoient, et qu’ils seroient revétus de toute l’autorité et de tous les droits que les empereurs Romains avoient eus dans les Gaules.

Parlons à present de quelques usages établis dans ce pays, tandis qu’il étoit assujetti aux Césars, et qui continuerent d’avoir lieu sous les rois Mérovingiens.

Nous avons dit dans le premier livre de cet ouvrage, que les Romains avoient établis dans les Gaules, ainsi que dans les autres provinces de l’empire, des maisons de poste, placées de distance en distance sur les grandes routes, afin de fournir des chevaux frais à ceux qui couroient pour le service du prince, et qui étoient porteurs d’un ordre qui les autorisoit à y en prendre. La vie de saint Paul de Leon, fait foi que Childebert avoit sur la route de Paris en Bretagne de semblables maisons, puisqu’il ordonna qu’on y reçût chaque jour ce saint qui s’en retournoit aux extrémités de la province d’où il étoit parti pour venir trouver ce roi. On voit aussi par Gregoire De Tours que la poste impériale subsistoit encore de son tems. Cet historien après avoir raconté de quelle maniere le jeune Childebert fut informé du complot que Rauchingus tramoit contre lui, et après avoir dit que ce prince le manda, ajoute : » Rauchingus s’étant rendu à la Cour, le Roi avant que de lui donner audience, dépêcha des personnes affidées, ausquelles il remit les ordres nécessaires pour prendre des chevaux dans les Maisons de Poste, & il les envoya dans tous les lieux où Rauchingus avoit des effets, afin qu’elles les y fissent saisir. »

La poste Romaine a même subsisté dans les Gaules sous les rois de la seconde race. Les empereurs Romains dans les différens réglemens faits pour les postes, appellent Veredi les chevaux nourris dans les écuries des maisons de poste, et ils nomment Paraveredi les chevaux que les habitans des campagnes voisines étoient obligés à fournir pour le service des couriers, soit lorsqu’il n’y avoit point assez de chevaux dans une de ces maisons, soit lorsque les couriers prenoient des chemins de traverse en quittant une grande route, pour gagner une autre grande route. Or il est fait mention de l’une et de l’autre espece de chevaux de poste dans les capitulaires. Par exemple, il se trouve dans l’édit publié par Charles Le Chauve en huit cens soixante et quatre un article qui deffend à ceux qui commandoient dans les cités, d’enlever aux Francs demeurans dans le plat-pays aucuns de leurs effets, et sur-tout de prendre leurs chevaux, et cela afin que nos Francs, dit le prince, ayent toujours le moyen de se rendre à l’armée lorsqu’ils y seroient mandés, et qu’ils soyent toujours en pouvoir d’aider les maisons de poste, des chevaux qu’ils sont tenus de fournir pour le service, conformément à l’ancien usage.

En faisant le détail des manufactures et autres maisons que les empereurs entretenoient dans les Gaules, nous avons dit que les Gynécées étoient des édifices publics, où le prince nourrissoit un grand nombre de femmes qu’on y faisoit travailler pour son profit, à des ouvrages convenables à leur sexe. On sçait aussi que le travail de tourner la meule d’un moulin à bras, étoit une des peines afflictives en usage chez les Romains. Gregoire de Tours dit en parlant d’un évenement arrivé sous Childebert Le Jeune, et dont il vient d’être parlé, Septimina fut releguée dans une métairie, pour y être employée à moudre le grain destiné à la nourriture d’un Gynecée. Elle étoit Romaine et convaincue comme on l’a déja vû, d’une conjuration contre ce prince.

Nous avons dit que dès que les rois Francs furent les maîtres d’Arles, ils y donnerent au peuple le spectacle de cette espece de tournois, que les Romains appelloient les Jeux à la Troyenne, et qu’ils affectoient d’y présider, ainsi que les préfets du prétoire des Gaules y présidoient auparavant. On lit dans Gregoire de Tours, que le roi Chilpéric fit bâtir ou réparer un cirque à Paris et un autre à Soissons, et qu’il y donnoit au peuple les spectacles ordinaires du cirque, c’est-à-dire, des courses de tout genre et de toute espece.

Les Romains avoient introduit dans les Gaules l’usage de construire des bâtimens faits exprès pour s’y baigner commodément durant toutes les saisons. On voit par ceux de ces édifices qui subsistent encore, soit en Italie, soit ailleurs, qu’il y avoit des lieux destinés à faire chauffer l’eau, d’autres à se ressuyer, enfin que la construction d’un bain devoit couter beaucoup. Gregoire de Tours nous apprend qu’il y avoit de son tems plusieurs de ces édifices, et même qu’il s’en trouvoit dans des couvens de religieuses, bâtis depuis que les Francs étoient les maîtres dans les Gaules. Il dit en parlant d’un évenement arrivé de son tems : « Andarchius prit le bain dans de l’eau chaude, il s’enyvra, et il se mit au lit. » Une des causes qu’alleguoient celles des religieuses de Sainte Croix de Poitiers, qui s’étoient sauvées du couvent, c’est qu’on n’y vivoit point assez régulierement, et sur-tout, qu’on ne s’y comportoit pas dans le bain avec assez de modestie. On sçait que cette abbaye est de la fondation de Radegonde fille de Berthier, l’un des rois des turingiens, et femme du roi Clotaire I. Gregoire de Tours lui-même étoit servi comme les Romains de considération avoient coutume de se faire servir. Tout le monde a entendu dire qu’un de leurs usages particuliers, étoit de tenir toujours auprès de leur personne, des domestiques qu’ils appelloient Notaires, et dont l’emploi étoit de mettre par écrit les ordres que donnoit leur maître, et généralement tout ce dont il leur enjoignoit de tenir une Note, afin qu’il pût avoir recours dans l’occasion, à cette espece de papier journal. Or voici ce qu’on trouve dans notre historien, au sujet d’un miracle que Dieu opera sur Bodillon, par l’intercession de saint Martin. » Bodillon l’un de mes Notaires, étoit tellement incommodé d’un mal d’estomac, qui lui affligeoit également l’esprit & le corps, qu’il ne pouvoit plus rédiger ce qu’il entendoit, ni même écrire qu’à grande peine ce qu’on lui dictoit mot à mot. »

Il ne paroît point que les guerres qui s’étoient faites dans les Gaules, sous le regne de Clovis et sous celui de ses fils, eussent fort appauvri le pays. Les amendes portées dans la Loi Salique et dans la Loi Ripuaire de la derniere rédaction, supposent que ceux qui pouvoient y être condamnés, fussent riches. Les peines pécuniaires de deux cens sols d’or n’y sont pas rares, et il s’y en trouve encore de plus fortes. Plusieurs faits contenus dans nos anciens auteurs, font encore voir que les Gaules n’étoient gueres moins opulentes sous nos premiers rois qu’elles l’avoient été sous les empereurs. Gregoire de Tours en racontant un accident arrivé sous le regne des petits-fils de Clovis, au sujet du mariage qu’Andarchius vouloit faire, en épousant la fille d’Ursus, dit qu’Andarchius prétendoit qu’il y eut un engagement entre Ursus et lui pour faire ce mariage, et même que le dédit fut de seize mille sols d’or.

Ces sols d’or me font ressouvenir de rapporter ici ce qu’on trouve dans le Traité Historique des monnoyes de France, par feu Monsieur Le Blanc, concernant les especes que nos premiers rois faisoient frapper. Ce sera une nouvelle preuve que ces princes vouloient changer le moins qu’il leur seroit possible, l’état où ils avoient trouvé les Gaules, quand elles se soumirent à leur domination[137].

» Après avoir montré de quelle matiere étoient les Monnoyes dont il est parlé dans la Loi Salique, cherchons quel en étoit le titre, le poids, & la valeur. Il nous reste des sols, des demi sols, & des tiers de sols d’or, bien entiers & bien conservés, qui sont du même poids que ceux des Empereurs Romains qui regnoient environ le tems que les François vinrent s’établir dans les Gaules. Cette conformité de poids me persuade que les François imiterent les Romains dans la fabrication de leurs Monnoyes. Ils purent même se servir de leurs ouvriers & de leurs machines, après qu’ils se furent emparés en entrant dans les Gaules de la Ville de Tréves, où les Romains avoient une Fabrique de Monnoye de même qu’à Lyon & à Arles. Agathias qui a écrit sous le commencement de cette premiere Race, justifie cette pensée, lorsqu’il dit que les François emprunterent beaucoup de choses des Romains. Ceux qui ont quelque connoissance de notre ancienne Histoire, n’auront pas de peine à être du sentiment de cet Historien. » On voit aussi dans Monsieur Le Blanc que l’intention de nos rois étoit, que le titre de leur monnoye fût le même que celui auquel les empereurs vouloient que fussent leurs especes, c’est-à-dire, que ce titre fût le plus approchant du fin qu’il se pourroit. S’il se trouve des sols d’or de nos rois de bas aloi, il s’en trouve aussi de tels marqués au coin des empereurs. Ces sols sont l’ouvrage de faux monnoyeurs ou de monetaires infideles.

Enfin la langue latine fut toujours une langue vulgaire, et du moins une des langues dont se servoit l’Etat sous les rois Mérovingiens ; car pour ne point entrer dans la question, s’il est apparent que Clovis et ses successeurs ayent jamais fait aucun acte public en langue Germanique, je me contenterai d’observer que du moins ils en ont fait un grand nombre en langue latine, lesquels nous sont demeurés. Tel est le traité fait à Andlau, entre le roi Gontran et le roi Childebert son neveu l’année cinq cens quatre-vingt-huit. Gregoire de Tours qui nous a donné cet instrument en entier, observe que Gontran avant que de le signer, le fit réciter à haute voix. D’ailleurs ce traité est daté suivant l’usage des Romains. Il y est dit qu’il fut signé un mercredi le quatriéme jour avant les calendes de décembre. La donation faite par Clovis à l’abbaye du Moustiers saint Jean, est encore en latin : celle qu’il fit à l’abbaye de Mici, est en cette langue. Bref, nous avons une infinité de lettres et d’édits des rois de la premiere race, qui sont tous en latin, et nous ne sçavons pas qu’on en ait jamais vû aucuns en langue Tudesque ou Germanique. S’il est vrai que la Loi Salique et les autres loix nationales qui ont été en vigueur sous le regne de ces princes, ont été rédigées par écrit en langue Germanique, il est certain d’un autre côté que comme nous l’avons dit, elles furent mises en latin presqu’aussi-tôt.


LIVRE 6 CHAPITRE 16

CHAPITRE XVI.

De l’autorité avec laquelle Clovis & les Rois ses Fils & ses Petits-Fils ont gouverné.


Comme les rois Mérovingiens avoient sur les Romains des Gaules les mêmes droits que l’empereur avoit précédemment sur ces mêmes Romains, on ne sçauroit douter que nos princes n’eussent un pouvoir très-étendu sur cette portion de leur peuple. L’autorité des empereurs Romains étoit comme despotique, et nous l’avons remarqué déja plus d’une fois. Quant aux Allemands comme aux Bourguignons sujets de nos rois, c’étoient deux peuples domptés et assujettis par la force des armes.

Il semble que l’autorité du roi ne dût pas être aussi grande sur les Francs qui faisoient une autre partie du peuple de la monarchie, parce qu’ils étoient Germains d’origine, et sortis par conséquent d’un pays où, suivant l’opinion commune, le pouvoir des souverains étoit très-limité. On voit néanmoins par notre histoire, que les successeurs de Clovis n’avoient gueres moins de pouvoir sur les Francs que sur les Romains. Il est aisé de concevoir comment ce changement étoit arrivé.

Dès que la monarchie Françoise eut été établie, nos rois eurent une infinité de graces à donner. Quel appas pour obliger ceux qui les vouloient obtenir, à se soumettre aux volontés du prince ! D’ailleurs, géneralement parlant, les Francs et les autres Barbares répandus dans les Gaules, devoient être dans chaque cité en plus petit nombre que les Romains, qui étoient armés aussi-bien que ces Barbares, et qui avoient interêt que tout habitant du royaume fût aussi soumis qu’eux à une autorité à laquelle ils obéissoient en tout. La condition du Romain auroit été par trop dure, s’il eût vécu avec des voisins qui n’eussent point été tenus d’obéir aussi promptement que lui aux volontés du souverain. Il seroit inutile d’expliquer plus au long combien la portion du peuple sur laquelle un prince regne despotiquement, a interêt que le prince ait sur tous ses autres sujets la même autorité qu’il a sur elle. Cet interêt est sensible. Les Francs épars dans les Gaules, et qui n’étoient plus rassemblés dans un petit canton, comme ils l’étoient lorsqu’ils habitoient encore la Germanie, auront donc été obligés d’obéir au souverain avec autant de soumission que les Romains au milieu desquels ils vivoient.

Une chose aura encore contribué beaucoup à faciliter aux successeurs de Clovis l’entreprise de se faire obéir exactement par les Francs. C’étoit l’usage établi dès le tems qu’ils habitoient encore dans la Germanie, et suivant lequel le roi jugeoit seul et sans assesseurs en matiere civile et en matiere criminelle, comme on voit que Clovis jugea, quand il punit le Franc, qui avoit donné un coup de sa hache d’armes sur le vase d’argent que saint Remi réclamoit. Qui peut empêcher un prince d’augmenter son autorité sur une partie de ses sujets, quand il est seul leur juge, et quand ils attendent leur fortune de ses bienfaits, sur-tout dans les commencemens d’une nouvelle monarchie, et lorsque ces sujets tirés de leur ancienne patrie, se trouvent être transplantés au milieu d’autres sujets accoutumés depuis long-tems à une entiere soumission.

Dans le raisonnement que je viens de faire, j’ai bien voulu supposer conformément à l’opinion ordinaire, que l’autorité que tous les rois des Germains avoient sur leurs sujets, fût un pouvoir très-limité. On pourroit cependant soutenir le contraire sans témerité. Voici, par exemple, ce que dit Velleius Paterculus en parlant de Maraboduus un des rois des germains du tems de l’empereur Auguste. Maraboduus avoit des gardes du corps. Il étoit véritablement le maître dans ses Etats, où tout lui étoit subordonné, et qu’il gouvernoit presque comme les empereurs gouvernent. Tacite en parlant des mœurs des germains dit : » Les Germains n’ont gueres plus de considération pour les Affranchis que pour les Esclaves. Ces Affranchis ne sont employés qu’au service domestique de leur Maître, auprès duquel ils peuvent tout au plus acquerir quelque crédit. Mais ils n’ont aucune part au gouvernement de la Cité où ils vivent, si ce n’est dans les Etats qui sont sous un Roi. Dans ces Etats-là, on voit des Affranchis devenir importans & s’élever au-dessus des Citoyens nés libres, & même au-dessus des Citoyens des plus anciennes Familles. Quant aux autres Etats, le peu de considération qu’on y témoigne pour l’Affranchi, est une des marques de la liberté des Sujets. » Croit-on que les rois qui pouvoient donner tant de considération aux esclaves qui avoient trouvé grace devant leurs yeux, fussent des princes dont l’autorité fût si bornée ? Les tribus des Francs étoient-elles gouvernées en république au-delà du Rhin ? Je pourrois encore appuyer cette considération par un grand nombre de faits tirés de l’histoire ancienne. Revenons à notre sujet.

Je ne rapporterai que deux preuves de l’autorité absolue de rois Mérovingiens sur tous leurs sujets, mais elles sont telles, que les lecteurs qui ont quelqu’idée du droit public des nations et de la constitution des Etats, ne m’en demanderont point davantage. La premiere montrera que le roi condamnoit à mort, et qu’il faisoit exécuter les plus grands de l’Etat, sans être assujetti à leur faire leur procès suivant d’autre forme que celle qu’il lui plaisoit de garder. L’autre fera voir, que nos rois augmentoient les impots, sans être obligés d’obtenir le consentement de personne, et par conséquent qu’ils étoient maîtres absolus de la levée des deniers.

Je crois que pour rendre la premiere preuve complette, il suffira de rapporter deux ou trois exemples de justices faites par les rois Mérovingiens, et quelques loix qui supposent sensiblement que ces princes étoient en droit de juger et de faire exécuter leurs sujets de toute condition, sans être astraints à leur faire auparavant leur procès suivant une certaine forme.

Frédegaire commence sa Cronique par l’éloge de la débonnaireté du roi Gontran. De bonitate regis Gumtramni. Ce prince néanmoins ordonna que Chundo, l’un des principaux seigneurs de l’Etat, subiroit l’épreuve du duel pour un cas très-frivole, puisque le crime dont il étoit accusé, n’étoit autre que celui d’avoir tué un taureau sauvage. Le succès du duel dont nous avons rapporté l’histoire dans le sixiéme chapitre de ce livre, n’ayant pas justifié Chundo, Gontran le condamna d’être assommé à coups de pierre, ce qui fut exécuté. On a vû par le récit de Gregoire De Tours que Gontran jugea seul. Cependant notre historien ne reproche rien à ce prince sur la forme du jugement rendu contre Chundo. Il y a plus. Gontran lorsqu’il vint à se repentir de ce qu’il avoit fait, ne se reprocha rien sur la forme de ce jugement. Ce qu’il regretta, ce fut d’avoir condamné à mort par un premier mouvement et pour un sujet bien leger, un homme fort attaché à sa personne et très-capable de servir son souverain. Cela montre bien que Gontran n’avoit pas jugé Chundo d’une maniere extraordinaire et odieuse.

Rauchingus étoit Franc de nation, puisqu’il se prétendoit fils de Clotaire Premier, et il étoit employé en qualité de duc par Childebert Le Jeune. Cependant lorsque ce prince le fit mourir comme coupable d’un crime de léze-majesté au premier chef, ce fut sans aucune forme de procès. Childebert ayant averé le fait par des informations qui lui paroissoient apparemment suffisantes, il manda Rauchingus, l’interrogea dans sa chambre, et il le congedia. Au sortir de ce lieu Rauchingus fut saisi par ceux qui avoient reçû l’ordre de l’exécuter, et qui le firent mourir. Bref, il fut exécuté à peu près comme Messieurs De Guise le furent à Blois en mil cinq cens quatre-vingt-huit, et comme le maréchal D’Ancre le fut à Paris en mil six cens dix-sept. Frédegaire dit en parlant de cet évenement. » Dans ce tems-là Rauchingus, Gontran-Boson, Ursion, et Bertefredus qui étoient des plus grands seigneurs des Etats de Childebert, ayant conjuré contre sa personne, furent mis à mort par ordre de ce prince. »

Je vais rapporter maintenant des articles des loix en usage pour lors, lesquels confirment ce que j’ai à prouver. Voici un article de la loi nationnale des Bavarois rédigée par les soins et sous le regne de Dagobert Premier. » Celui qui aura tué un homme par l’ordre du Roi ou par l’ordre de l’Officier qui commande en chef dans la Province, ne pourra point être recherché pour ce fait-là, ni être condamné à aucune sorte d’amende, d’autant qu’il aura agi par l’ordre d’un Supérieur auquel il ne lui étoit pas permis de désobéir. Ainsi l’homicide & ses enfans seront sous la protection spéciale du Duc. Si le Duc sous le Gouvernement de qui le cas sera arrivé, vient à mourir, son successeur sera chargé de donner à l’homicide ci-dessus désigné, la même protection. »

On doit présumer que cette loi étoit la loi génerale de la monarchie, quoiqu’elle ne se trouve pas dans les autres codes. En premier lieu, il n’y a point d’apparence qu’une pareille loi ait eu lieu parmi une des nations qui composoient le peuple de la monarchie sans avoir eu lieu en même tems parmi les autres. Pourquoi n’est-elle donc pas écrite dans tous les codes ? Peut-être leurs rédacteurs l’ont-ils crue suffisamment autorisée par l’usage ? Peut-être se trouvoit elle déja dans quelques capitulaires de Clovis ou d’un autre roi de la premiere race, lesquels nous n’avons plus ? Ce qui rend ce sentiment plausible, c’est que le contenu dans l’article de la loi des Bavarois sur lequel nous raisonnons ici, se trouve énoncé distinctement dans les capitulaires des rois de la seconde race, que l’on sçait bien avoir été des loix faites pour être observées par tous les sujets de la monarchie. Il est dit dans l’article trois cens soixante et sept du cinquiéme livre des capitulaires. » Celui qui aura tué un homme par ordre du Roi ou par l’ordre du Duc qui commande dans une Province, ne pourra point être recherché pour ce fait-là, ni condamné à aucune sorte d’amende, parce que la Loi & l’ordre du Souverain seront réputés avoir fait le meurtre, d’autant plus que celui qui l’aura perpetré ne pouvoit pas se dispenser de leur obéir. Ainsi l’homicide & toute sa postérité, seront sous la protection spéciale du Roi & sous celle de ses successeurs qui le garantiront envers tous & contre tous. Que s’il arrive qu’en haine du susdit meurtre, l’homicide, ou quelqu’un des siens, souffre quelque mal, ou soit tué ; qu’alors le coupable soit condamné à une peine pécuniaire deux fois aussi forte que celle qu’il payeroit, s’il avoit offensé ou tué une autre personne de même condition que le susdit homicide. » Non-seulement ces loix assurent l’impunité à celui qui avoit tué un autre homme, en vertu d’une commission expresse du prince ou de son représentant immédiat ; mais il paroît encore que ceux à qui une pareille commission étoit adressée, ne pouvoient point refuser de s’en charger sans se rendre coupables du crime de désobéïssance. On a vû dès le premier livre de cet ouvrage, que les empereurs condamnoient souvent à mort sans prendre l’avis d’aucun juge et qu’ils faisoient exécuter leurs arrêts par les prétoriens. Ainsi c’étoit des Romains mêmes que nos rois avoient pris la jurisprudence dont il s’agit ici.

Si nos rois des deux premieres races, ont traduit quelquefois des criminels devant une nombreuse assemblée, c’est qu’alors ces princes jugeoient à propos, par des considérations particulieres, d’en user ainsi, et non point parce qu’ils y fussent obligés. Il faudroit afin que les exemples de coupables jugés devant une assemblée, prouvassent quelque chose, qu’il n’y eût point d’exemple de coupable jugé par le roi seul. Or, comme nous l’avons déja dit, il y a dans notre histoire plusieurs exemples de pareils jugemens, et les historiens qui les rapportent, les narrent simplement et sans donner à entendre en aucune maniere que ces sortes de jugemens fussent contraires à aucune loi. Aucun d’eux ne dit que l’accusé devoit être jugé par ses pairs.

Que nos rois Mérovingiens, jugeassent en personne les procès civils, on en a vû déja tant d’exemples dans cet ouvrage, qu’il seroit superflu de rassembler ici des faits qui le prouvassent. Peut-être, et nous l’avons observé plus haut, est-ce au pouvoir absolu de ces princes et à la maniere dont ils rendoient la justice, qu’il faut attribuer la conservation d’un royaume dont la premiere conformation étoit aussi vicieuse que l’étoit celle de la monarchie de Clovis. Mais le gouvernement d’un souverain, qui rendant la justice par lui-même, la rend très-promptement, prévient bien des maux, et rémédie à bien des désordres.

On ne voit pas non plus que nos rois Mérovingiens fussent obligés à demander le consentement d’aucune assemblée politique quand ils vouloient augmenter les anciennes impositions, ou bien en mettre de nouvelles. Il n’en est rien dit dans aucun des monumens de nos antiquités, quoique ceux qui les ont écrits ayent eu des occasions de le dire, telles qu’ils n’auroient pas manqué d’en parler. Il seroit dit, par exemple, quelque chose de cette prétendue obligation dans le passage suivant, tiré de Grégoire De Tours.

» Le Roi Clotaire avoit enjoint par un Edit, à toutes les Eglises de payer au Fisc le tiers de leur revenu. Déja presque tous les Evêques avoient donné, bien que malgré eux, leur consentement par écrit à l’exécution de cet ordre, lorsque le Roi voulut obliger Injuriosus Evêque de Tours, à donner aussi le sien. Ce vertueux Prélat le refusa avec courage, & il dit en face au Roi : Si vous osez mettre la main sur le bien de Dieu, il fera dans peu tomber la Couronne de dessus votre tête. Il seroit trop odieux qu’un Roi qui doit nourrir les pauvres du bled de les greniers, vuidât les greniers des pauvres, pour remplir les siens. Injuriosus sortit du Palais, dès qu’il eut fini son discours & sans prendre congé du Roi, il se mit en chemin pour retourner à Tours. Le Roi touché de ce qu’il avoit entendu, & plein de respect pour la mémoire de Saint Martin, dont Injuriofus étoit un successeur, envoya du monde pour le ramener à la Cour, & pour l’assurer qu’il se repentoit d’avoir fait l’Edit dont il s’agissoit, & qu’il alloir le révoquer. » On voit par le récit de Gregoire De Tours, que Clotaire ne demanda l’acquiescement des évêques à la taxe excessive qu’il mettoit sur le clergé, qu’après avoir publié l’édit qui imposoit cette taxe. D’ailleurs, si conformément au droit public en usage dans la monarchie durant le sixiéme siécle, le roi n’eût pas été le maître de mettre des impositions sans avoir obtenu le consentement du peuple, on peut présumer qu’Injuriosus n’auroit pas manqué d’alleguer à Clotaire que son édit, qui par lui-même étoit odieux, avoit encore été fait contre les regles de l’Etat. Et Gregoire de Tours auroit aussi peu manqué à l’écrire. L’un et l’autre ils ont eu un égal interêt de faire ce reproche, s’il eût été fondé, à l’édit de Clotaire. Nous avons déja rapporté ce que dit notre historien[138] concernant la confection d’un nouveau cadastre ordonné par le roi Chilpéric petit-fils de Clovis. On voit par ce que dit Frédegonde, femme de ce prince, quand elle lui proposa d’abandonner l’entreprise, que Chilpéric l’avoit faite de sa propre autorité, et qu’il en avoit pris l’évenement sur lui. En effet, comme nous l’avons déja remarqué, il n’y avoit alors que deux sortes d’assemblées politiques dans la monarchie, le Champ de mars, et les assemblées composées des évêques et des laïques revêtus des grandes dignités de l’Etat[139]. Le Champ de mars étoit devenu une espece de conseil de guerre, et les autres assemblées qui ne se formoient point que les rois ne les eussent convoquées expressément, n’étoient consultées que sur les ordonnances et reglemens qu’il convenoit de publier pour faire fleurir la justice, et pour entretenir une police convenable dans le royaume. Si ces assemblées étoient utiles aux finances du prince, c’est parce qu’il étoit d’usage que ceux qui s’y rendoient, fissent chacun en son particulier, des présens au souverain. On ne voit pas qu’il se soit jamais adressé à elles pour en obtenir la permission de mettre de nouveaux impôts, ou d’augmenter les anciens. Il y a dans les capitulaires plusieurs loix concernant la levée des impositions en usage. Je ne me souviens pas d’y en avoir vû concernant l’établissement d’une imposition nouvelle.

Au reste, il ne paroît pas que les rois Mérovingiéns, abusassent de leur autorité à cet égard. L’histoire de Gregoire de Tours qui raconte tout ce qui s’est passé dans les Gaules durant le siécle qui suivit le baptême de Clovis, ne se plaint que de trois ou quatre tentatives, faites par les rois francs pour acroître par l’augmentation des taxes, leurs revenus. Cet auteur ne nous entretient point des maux causés par l’énormité des impositions, il ne nous parle point de l’abattement et du désespoir d’un peuple tourmenté sans cesse par des exacteurs insatiables, comme nous en parlent Salvien et plusieurs autres écrivains qui ont vêcu sous le regne des derniers empereurs d’Occident.

Ce ne sont pas les souverains oeconomes, ou pour parler le langage du courtisan avide et dissipateur, les souverains avares, qui deviennent par leurs exactions le fleau de leur peuple. Il est bien rare du moins qu’un prince épuise ses sujets pour mettre dans un trésor où il y a déja un million de pieces d’or, cinq ou six cens mille piéces d’or de plus. Or les rois Mérovingiens étoient si oeconomes ; leur revenu étoit si grand par raport au peu de dépense qu’ils avoient à faire dans un Etat où le soldat même subsistoit communément du produit des terres domaniales dont la jouissance lui tenoit lieu de paye, que ces princes étoient toujours riches en argent comptant.

Quand Gregoire De Tours adresse la parole aux petits-fils de Clovis, qui par leurs guerres civiles détruisoient la monarchie que leur ayeul avoit fondée par sa bonne conduite, ne leur dit-il pas, que ce prince étoit venu à bout de ce vaste dessein, sans avoir comme eux des coffres pleins d’or et d’argent. Quand Frédegonde veut persuader à Chilpéric de jetter au feu les cahiers de sa nouvelle description, elle lui dit : n’y a-t-il point déja dans notre trésor assez d’or, d’argent et de joyaux[140]. Enfin Grégoire de Tours raconte rarement la mort d’un des rois dont il écrit l’histoire, sans faire quelque mention du trésor que ce prince laissoit.

Mais, dira-t-on, les rois mérovingiens n’avoient-ils jamais un besoin pressant de quelque somme de deniers ? Je suis persuadé que souvent il leur est arrivé d’avoir besoin d’argent ; mais alors ils en trouvoient, ou par les avances des Juifs, ou par la confiscation de quelque riche coupable qu’ils condamnoient. Il y avoit alors dans le royaume, comme il y en aura toujours aussi-bien que par tout ailleurs, de ces hommes méchamment industrieux, qui sçavent se faire des fortunes odieuses, soit en pillant le peuple, soit en volant le prince. Ainsi les rois, dont je parle, n’étoient point embarassés à trouver une victime dont le sacrifice leur devenoit doublement utile, parce qu’il consoloit les sujets en même tems qu’il enrichissoit le fisc. Aussi l’histoire des deux premiers siécles de la monarchie de Clovis est-elle remplie d’exemples d’une justice sévere, exercée par le prince même contre des personnes puissantes dont les biens étoient confisqués. On en sçait assez pour comprendre qu’elles étoient criminelles ; mais on entrevoit assez clairement, qu’elles n’auroient pas été punies, si leur souverain qui étoit en même tems leur juge, n’eût point été excité à venger les loix par le motif de s’aproprier une riche dépouille.

Je ne crois pas qu’on m’objecte que si les rois Merovingiens eussent été des souverains aussi absolus que je le crois, ils n’auroient point essuyé tous les malheurs qui leur sont arrivés. Je n’aurois pour répondre à cette objection qu’à renvoyer les personnes qui la feroient, à tout ce qui s’est passé dans l’empire Ottoman, depuis cent cinquante années.


LIVRE 6 CHAPITRE 17

CHAPITRE XVII.

Du tems où a cessé la distinction qui étoit entre les differentes Nations, qui composoient le Peuple de la Monarchie.


Que la distinction qui étoit entre les differentes nations qui composoient le peuple de la monarchie, ait subsisté sous la seconde race, il n’est pas possible d’en douter. On a déja lû vingt passages qui le prouvent. Enfin la chronique de Moissac dit encore, que l’empereur Charlemagne assembla les ducs, les comtes et les principaux de celles des nations de son obéissance, qui avoient embrassé la religion chrétienne, et qu’après avoir consulté les jurisconsultes, il fit une nouvelle rédaction de toutes les loix nationales qui étoient en vigueur dans ses Etats, en changeant dans l’ancienne rédaction ce qu’il y avoit à corriger. Ensuite, continuent ces annales, il fit faire des copies bien conditionnées de la nouvelle, et il les remit aux représentans de chaque nation. Quand ses successeurs faisoient le serment royal à leur avenement à la couronne, et je l’ai déja écrit, le nouveau roi juroit toujours qu’avec l’aide du ciel, il rendroit bonne justice à tous ses sujets, suivant la loi qui étoit propre à chacun d’eux, et selon laquelle son auteur avoit vêcu sous le regne des rois precedens. On peut voir encore par diffe- rens endroits des capitulaires, rapportés dans le premier chapitre de ce livre, que la distinction entre les nations habitantes dans les Gaules, a subsisté jusqu’au regne des derniers rois de la seconde race, bien qu’il fût permis dès le tems de la premiere, au Franc de se faire Romain, et au Romain de se faire Franc, ou de telle autre nation qu’il lui plaisoit, et que les autres Barbares eussent la même liberté. Cette liberté de changer ainsi de nation, paroîtra sans doute bizarre, mais les loix et l’histoire en font foi.

Il est dit dans le quarante-quatriéme titre des Loix Saliques de la rédaction, faite sous les rois fils de Clovis : » Le Franc de condition libre, qui aura tué ou un Barbare ou bien un autre homme vivant selon la Loi Salique, sera condamné à la peine pécuniaire de deux cens sols d’or. » S’il n’y avoit eu que les Francs d’origine, qui eussent vêcu suivant la Loi Salique, ce titre auroit dit simplement ici, un Franc, sans ajouter ce qu’on lit ensuite. Ce qui prouve que les Romains mêmes avoient, ainsi que les Bourguignons et les autres Barbares, la liberté de se métamorphoser en Francs ; c’est que l’article de la Loi Salique, lequel nous expliquons, dit, ou un Barbare, ou un autre homme vivant selon la Loi Salique. Or, il n’y avoit alors dans les Gaules que deux genres d’habitans, des Barbares et des Romains. Ainsi dès qu’il y avoit d’autres hommes que des Barbares qui vivoient suivant la Loi Salique, il s’ensuit qu’il y avoit des Romains qui vivoient suivant cette loi. Il me semble que si le passage des Loix Saliques dont il s’agit, a besoin de cet éclaircissement, il n’a pas besoin des corrections qu’on voudroit faire à son texte. D’un autre côté tous les Barbares qui se faisoient ecclésiastiques, étoient réputés être devenus Romains. Ils se faisoient couper les cheveux, ils prenoient l’habit Romain, et ils vivoient suivant les loix Romaines. « Que la loi Romaine, disent les capitulaires, soit la loi de tous ceux qui sont engagés dans l’état ecclésiastique, quelqu’ordre que ce soit qu’ils ayent reçu. »

Voilà pourquoi tous les chevelus, c’est-à-dire, tous les Barbares qui entroient dans l’état ecclésiastique, étoient tenus de se faire couper les cheveux à la mode des Romains, sans qu’il leur fût permis de les laisser redevenir longs. Un article repété plusieurs fois dans les capitulaires, statue que les clercs qui laisseront croître leurs cheveux, seront tondus, même malgré eux, par l’archidiacre.

Je crois que cet usage aura donné lieu à la couronne des ecclésiastiques. Comme les citoyens de la nation Romaine, soit clercs, soit laïcs, portoient tous les cheveux extrêmement courts, et comme les uns et les autres ils avoient les mêmes vêtemens, les premiers n’étoient point distingués sensiblement des laïcs leurs concitoyens ; du moins ils n’étoient point distingués de ceux de nos laïcs qui gardoient l’habit national. Les ecclésiastiques auront donc mis en usage une marque particuliere, laquelle les distinguât, et qui fît connoître sensiblement de quelle profession ils étoient. Pour cet effet, ils se seront fait raser le haut de la tête, ce qui montroit en même tems qu’ils étoient encore plus que le commun des fideles, les esclaves du Seigneur. On sçait que les Chrétiens prenoient alors très-communément ce titre-là, tant dans l’Eglise grecque que dans l’Eglise latine.

Ainsi les ecclésiastiques se trouverent distingués par leur tonsure des Romains laïcs, et distingués par le cercle de cheveux qu’ils conservoient, d’avec les véritables esclaves de la nation Romaine, qui avoient la tête rasée, à moins qu’ils ne fussent encore dans la premiere jeunesse.

Il est certain que la couronne ecclésiastique a été en usage dès le sixiéme siécle. Gregoire de Tours écrit dans la vie du bienheureux Nicétius évêque de Trèves, sous le regne des fils de Clovis. » Nicétius parut dès l’instant même de sa naissance destiné à l’écar Ecclésiastique. Il vint au monde ayant le sommet de la tête chauve, ainsi que les autres enfans, mais il avoit déja au-dessus des oreilles un tour de petits cheveux, qui ressembloit à la couronne Cléricale. »

Quant à la barbe qui étoit aussi l’une des marques ausquelles on reconnoissoit si un homme étoit de la nation Romaine, ou d’une nation Barbare, parce que les Barbares en portoient, au lieu que les Romains n’en portoient pas, il étoit défendu aux ecclésiastiques d’en porter. Cette prohibition a même continué long-tems dans quelques églises cathédrales, qui sont celles de toutes les compagnies où les anciens usages se changent le plus difficilement. Il étoit encore défendu durant le seiziéme siécle aux chanoines de l’église de Paris, de porter une longue barbe. Les ecclésiastiques, de quelque nation qu’ils fussent sortis, dûrent aussi conserver toujours l’habit long, ou la Toga, parce qu’il étoit l’habillement d’un citoyen Romain. Leur habillement aura même été emprunté ou imité par les principaux d’entre les Barbares, ou du moins par nos rois qu’on trouve vêtus de long dans les monumens antiques du tems de la premiere ou de la seconde race.

Je crois même aussi que les ecclésiastiques des Gaules ont conservé jusques sous les rois de la troisiéme race, la couleur de la Toga, qui étoit le blanc. Mon opinion est appuyée, sur ce que le blanc a été long-tems la couleur uniforme dans toutes les communautés religieuses fondées avant le douziéme siécle, et même de quelques ordres fondés dans les siécles suivans. Lorsque les Théatins furent institués vers le milieu du seiziéme siécle, il fut dit dans les premiers statuts de leur ordre : que la couleur uniforme des habits des religieux, seroit le blanc.

Quant aux ecclésiastiques séculiers, ils ont long tems conservé l’habit blanc. Monsieur Gervaise dit dans sa vie de l’apôtre des Gaules[141] : que jusqu’au tems où le pape Alexandre III vint à Tours, et qu’il y prit possession de l’église de S. Martin, ce qui arriva vers le milieu du douziéme siécle, les chanoines de cette église avoient porté l’habit blanc. Ce fut alors qu’ils quitterent le blanc pour prendre le rouge et le violet, qu’ils ont conservés pendant plusieurs siécles. Ce n’est que depuis le milieu du seiziéme siécle, que le noir est devenu, généralement parlant, la couleur uniforme des ecclésiastiques séculiers du second ordre, et celui de plusieurs societés religieuses. On a eu sans doute de bonnes raisons pour établir cet usage, mais je me figure que Sidonius Apollinaris et les autres évêques des Gaules qui ont vêcu dans le cinquiéme siécle, seroient bien surpris, si, qu’il me soit permis d’user ici de l’expression vulgaire, ils revenoient au monde, de trouver leur clergé vêtu de noir un jour de Pâques.

Après cette digression qui peut-être est plus longue qu’inutile, je reviens à la liberté de changer de nation que les sujets avoient sous nos rois de la premiere et de la seconde race.

L’empereur Lothaire, petit-fils de Charlemagne, dit dans une loi faite véritablement pour l’Italie, mais dans laquelle ce prince avoit suivi selon l’apparence, les usages de ses autres Etats : » On demandera à chaque particulier du Peuple Romain, quelle est la Loi suivant laquelle il veut vivre, afin que chacun puisse à l’avenir vivre suivant la Loi qu’il aura optée ; & il est déclaré, afin que la chose soit notoire aux Ducs, aux Comtes, & à tous ceux ausquels il appartiendra, que le Particulier qui aura forfait contre la Loi, fera sujet aux peines portées dans cette Loi, contre le délit qu’il aura commis. »

Comment est-il donc arrivé que toutes les nations qui composoient le peuple de la monarchie Françoise, ayent été confondues en une seule et même nation ? Voici mon opinion. Ces nations qui au bout de quelques genérations, parloient communément la même langue dans la même contrée, auront commencé, en s’habillant l’une comme l’autre, à faire disparoître les marques extérieures qui les distinguoient sensiblement. Il n’y aura plus eu que les ecclésiastiques assujettis à porter l’habit Romain, qu’on aura reconnus à leur maniere de se vêtir, pour être de la nation Romaine. Ainsi tous les citoyens laïcs de nos nations se seront trouvés être déja semblables, quant à l’extérieur, dans le tems des derniers rois de la seconde race, et quand les provinces du royaume devinrent la proye des usurpateurs. Ces tyrans qui gouvernoient arbitrairement, n’auront pas voulu entendre parler d’autre loi que de leur volonté. Dans tous les lieux où ils s’étoient rendus les plus forts, ils auront fait taire devant leur bon plaisir, tous les codes nationaux. Ainsi nos nations n’ayant plus de marques extérieures qui les distinguassent, ni une loi particuliere suivant laquelle elles vécussent, elles auront été confondues enfin, et n’auront plus fait qu’une seule et même nation, la nation Françoise. Apportons quelques preuves de ce qui vient d’être avancé.

La plus grande difference qui fut dans le cinquiéme siécle entre l’habillement des Romains et celui des Barbares, consistoit, nous l’avons déja dit plusieurs fois, en ce que les Romains avoient le menton rasé, et portoient les cheveux extrêmement courts, au lieu que les autres laissoient croître leur barbe et portoient de longs cheveux. Or, dès le tems des rois de la premiere race, les citoyens Romains commençoient à porter une longue barbe et de longs cheveux. Je dis les citoyens, car il paroît par ce qui est arrivé postérieurement, que dans le douziéme siécle, il étoit encore défendu aux serfs de tout genre et de toute espece, de porter de longs cheveux, et que ce fut seulement alors, que Pierre Lombard, évêque de Paris[142], et les autres prélats qui avoient beaucoup de gens de main-morte dans leurs fiefs, obtinrent de nos rois l’abrogation de cette loi prohibitive.

Comme les ecclésiastiques envoyoient leurs serfs à la guerre, et qu’ils les donnoient pour champions, ainsi qu’on l’a pû voir, Pierre Lombard et les prélats ses contemporains avoient raison de souhaiter que ces serfs fussent semblables à l’extérieur aux personnes de condition libre.

Gregoire de Tours nous aprend donc que de son tems, c’est-à-dire, dès la fin du sixiéme siécle, il y avoit déja des Romains qui sans renoncer à leur état de Romain, portoient cependant une grande barbe et de longs cheveux, pour faire par-là leur cour aux Barbares, c’est-à-dire ici, aux Francs. Cet historien, parlant d’un saint reclus, Romain de nation comme lui, et son contemporain dit : » Le bienheureux Leobardus étoit de la Cité d’Auvergne, & né dans une famille qui véritablement n’étoit pas Sénatoriale, mais qui étoit libre depuis long-tems. Il fut toujours très-attaché au service des Rois Francs, quoiqu’il ne fût pas de ces Romains, qui pour faire leur cour aux Barbares, se laissent croître la barbe, & laissent venir leurs cheveux si longs, qu’ils leur flotent sur les épaules. Leobardus se fit toujours raser la barbe & faire les cheveux à certains jours. »

Dans le siécle suivant, les Romains, et principalement ceux qui fréquentoient la cour, continuerent à se travestir en Francs. Sandregesilus qui exerça l’emploi de duc d’Aquitaine sous Clotaire II et dont nous avons rapporté la catastrophe, étoit de la nation Romaine, et il mourut Romain, puisque ses enfans furent déclarés, conformément aux loix Romaines, déchus de sa succession pour n’avoir pas vengé sa mort. Il portoit neanmoins une longue barbe. La vie de Dagobert nous apprend que ce prince fit couper la barbe à Sandregesilus pour lui faire un affront. La raison qui a engagé les Tartares qui conquirent la Chine dans le dernier siécle, à obliger les Chinois de se faire couper les cheveux pour s’habiller à la Tartare, et celle qui engage les nobles Venitiens à souffrir que plusieurs de leurs compatriotes qui ne sont pas de leur ordre, aillent cependant vêtus comme eux, je veux dire le motif de cacher leur petit nombre, devoit faire trouver bon aux Francs que le Romain portât leur habillement.

D’un autre côté, les Francs prenoient aussi quelques pieces de l’habillement ordinaire des Romains des Gaules. On sçait que les anciens Gaulois portoient une espece de grands haut-de-chausses qui s’appelloient Bracca, et qu’avant la conquête de Jules César, les Romains avoient même donné le nom de Gallia Braccata aux véritables Gaules, aux Gaules qui sont au-delà des Alpes par raport à Rome, et cela par opposition à la Gaule à robe longue, ou Gallia Togata, qui étoit en deçà des Alpes par rapport à Rome, et faisoit une portion de l’Italie. Un climat autant sujet au froid et à l’humidité que l’étoit le climat des Gaules, mettoit dans la nécessité de s’y vêtir plus chaudement qu’on n’avoit de coutume de se vêtir en Italie. Les Romains qui habitoient les Gaules, y prenoient donc l’usage de porter de ces Bracca. Tacite remarque, qu’Alienus Caecinna, qui commandoit une des armées que Vitellius envoya des Gaules en Italie contre Othon, paroissoit en Italie habillé avec un de ces haut-de-chausses à la Gauloise. Il est donc aisé de croire, que lorsque les Gaulois prirent la Toga, ou la robe à la Romaine, ils ne quitterent point pour cela l’usage des Bracca ou de haut-de-chausses qu’ils auront portés sous leurs robes, comme un habillement plus propre à les garantir du froid, que les bandes d’étoffes dont les Romains s’enveloppoient les cuisses et les jambes. Cet usage continua sous nos rois.

On sçait que Charlemagne tenoit à grand honneur d’être Franc d’origine, et qu’il affectoit de porter toujours l’habillement particulier à cette nation. Un jour qu’il trouva une troupe de francs vêtus avec ces Bracca, il ne pût s’empêcher de dire : voilà nos hommes libres, voilà nos Francs, qui prennent les habits du peuple qu’ils ont vaincu. Quel augure ? Non contens de cette reprimande, il défendit expressément aux Francs cette sorte de vêtement. En effet, ce n’avoit été qu’après des guerres longues et sanglantes, que Pépin et que Charlemagne étoient venus à bout de forcer les Romains de l’Aquitaine, et ceux de quelques provinces voisines à se soumettre à leur domination. Dans le tems des guerres des Aquitains contre les princes de la seconde race, le parti des Aquitains s’appelloit le parti des Romains. Nous en avons dit les raisons dans le chapitre douziéme du quatriéme livre de cet ouvrage.

Ainsi, lorsque la plûpart des ducs, des comtes, et des autres officiers du prince se cantonnerent sous les derniers rois de la seconde race, les diverses nations qui composoient le peuple de la monarchie Françoise, ne differoient plus par la langue et par les vêtemens. Elles ne differoient l’une de l’autre que parce qu’elles vivoient, quoique mêlées ensemble, suivant des loix ou des codes differens, et la tyrannie des usurpateurs, qui ne vouloient pas qu’il y eût dans le pays qu’ils s’étoient asservi, d’autre regle que leur volonté, aura fait évanouir cette distinction plus réelle véritablement que la premiere, mais beaucoup moins sensible, et par conséquent plus prompte à disparoître. Que presque tous les usurpateurs dont il est ici question, ayent gouverné despotiquement et tyranniquement les lieux dont ils s’étoient rendus les maîtres, on n’en sçauroit douter. L’histoire le dit, et quand elle ne le diroit pas, la commission de rendre la justice au nom du prince à ses sujets, changée en un droit héréditaire, et l’introduction de tant de droits seigneuriaux tellement odieux, qu’ils ne sçauroient avoir été ni accordés par le peuple, ni imposés par l’autorité royale, en feroient foi suffisamment. C’est une matiere qui demande d’être traitée plus au long qu’il ne convient de la traiter ici.

Ç’aura donc été en un certain lieu sous les derniers rois de la seconde race, et dans un autre lieu sous les premiers rois de la troisiéme, que les loix nationales auront cessé d’être en vigueur, et que le Franc, le Ripuaire, les autres Barbares, et le Romain même, auront été réduits à vivre également suivant les usages et les coutumes qu’il aura plû au seigneur, devenu maître du canton où ils étoient domiciliés, de substituer dans son territoire à ces anciennes loix. Dès le neuviéme siécle, il y avoit déja des contrées où le non-usage des loix Romaines les avoit presque fait oublier. On lit dans le Livre des Miracles de saint Benoit[143], écrit par Adrevalde religieux de Fleury, et qui vivoit en ce tems-là, que cette abbaye ayant eu un procès concernant quelques personnes serves, le comte du dictrict et ses assesseurs ne pûrent point le juger, parce qu’ils ne sçavoient pas le droit Romain, suivant lequel il falloit prononcer, d’autant que les parties étoient des ecclésiastiques. On prit l’expedient de renvoyer la contestation devant un autre tribunal.

Une révolution de la nature de celle dont il est ici question, doit avoir été l’ouvrage d’un siécle. Elle ne sçauroit même avoir été uniforme. Dans une cité ; les Francs auront obligé celui qui s’en étoit rendu le maître, ou qu’ils avoient reconnu pour seigneur, afin d’éviter d’en avoir un autre, à leur rendre encore la justice durant quelque tems suivant les loix Saliques. Dans d’autres, les plus considerables de cette nation, se seront obstinés, quoique le seigneur ne voulût pas que la Loi Salique y eût aucune autorité, à s’y conformer encore en reglant le partage de leurs enfans, en contractant leurs mariages, et en ordonnant de toutes leurs affaires domestiques. Ce n’aura été qu’après l’expérience des inconvéniens, qui naissent des dispositions faites suivant une loi, dont l’autorité n’est plus reconnue, qu’ils auront renoncé à l’observer. Enfin quelques Francs, du nombre des usurpateurs dont je parle, auront continué à vivre suivant la Loi Salique dans les lieux de leur obéïssance, et cette loi n’y aura été abrogée que dans la suite des tems.

En effet, Othon De Freisinguen mort l’année onze cens cinquante-huit en France (sa patrie d’adoption), et qui par conséquent écrivoit plus de cent cinquante ans après que la troisiéme race fut montée sur le thrône, dit que de son tems, la Loi Salique étoit encore la loi suivant laquelle vivoient les plus considerables des François ; c’est-à-dire ici, les plus considerables de la nation formée du mélange des Romains et des Barbares établis dans les Gaules, ou ceux de ces François qui prétendoient descendre des anciens Francs.

Quant aux Romains, ils auront obligé l’usurpateur à composer avec eux dans les pays où ils étoient assez forts pour n’être point opprimés facilement, et un des articles de ces sortes de conventions aura été, qu’on les laisseroit vivre suivant le droit Romain, et comme vivoient encore les Romains des contrées, qui avoient sçu se préserver du joug des tyrans.

Quelles étoient les provinces des Gaules où les Romains se trouvoient encore en plus grand nombre dans ces tems-là ? Les Aquitaines et les autres provinces méridionales de cette vaste contrée, celles dont les habitans s’appelloient encore absolument les Romains, sous les premiers princes de la seconde race ; celles enfin, où le droit Romain est encore aujourd’hui la loi commune.

La distinction qui étoit entre les nations qui habitoient l’Italie, y a subsisté aussi long-tems, et peut-être plus long-tems que dans les Gaules.

Pour l’Espagne, on voit par une loi du roi Resciwindus, couronné l’an six cens cinquante-trois de Jesus-Christ, que la distinction entre les Romains et les Barbares y subsistoit encore dans le septiéme siécle, et peu d’années avant l’invasion des Maures, arrivée l’an sept cens douze. En effet, il est dit dans cette loi, que nous avons déja citée, et qui est une de celles qui furent ajoutées en differens tems au code national des Visigots, rédigé par Euric. » Révoquant les Loix precedentes faites à ce sujet, nous ordonnons par la presente Loi qui doit être perpétuelle & irrévocable, qu’à l’avenir le Visigot qui voudra épouser une Romaine, & le Romain qui voudra épouser une fille de la Nation des Visigots, puisse contracter valablement de tels mariages, après néanmoins qu’ils auront requis le consentement du Prince. » Ainsi l’invasion des Maures aura eu en Espagne dans le huitiéme siécle, les mêmes suites que l’usurpation des droits du roi et des droits du peuple par les seigneurs, eut en France dans le dixiéme. L’invasion des Maures aura donc confondu et réuni en une seule et même Nation, les Romains et les Barbares qui habitoient l’Espagne, quand ce grand évenement arriva. Il n’y aura plus eu que deux Nations dans cette grande province de l’Empire Romain, la Nation conquerante, et la Nation assujettie.


L E T T R E
DE MR. L’ABBÉ DU BOS,
A Monsieur JORDAN, au sujet de deux Dissertations de Monsieur le Professeur HOFFMANN, où ce dernier attaque plusieurs endroits de l’Histoire Critique de l’Etablissement de la Monarchie Françoise dans les Gaules.


MONSIEUR,

J’AI lû avec attention les deux Théses de M. Hoffmann Professeur dans l’Université de Wittemberg, sur les Alliances des Francs avec les Empereurs Romains. Elles sont bien écrites, & leur Auteur montre beaucoup de sagacité. La vérité seule m’engage à lui rendre ce témoignage, qui certainement n’est point l’effet de la prévention naturelle en faveur de ceux qui embrassent notre opinion. M. Hoffmann sappe dans ses Thèses les fondemens les plus importans de l’Histoire Critique de l’Etablisement de la Monarchie Françoise dans les Gaules ; & s’il ne les ébranle point, c’est qu’ils sont posés sur la vérité. Voici quelques Remarques sur les points les plus importans de notre dispute. Je les soumets au jugement de tous les Sçavans de l’Allemagne, & par conséquent au vôtre.

M. Hoffmann trouve que je n’ai pas raison de supposer, que l’Alliance des Francs avec l’Empire Romain, fut presque aussi ancienne que leur établissement sur la rive droite du Rhin. A cela je répons que l’Histoire Romaine ne commence à parler des Francs que sur l’année de Jesus-Christ 253. quoiqu’elle doive avoir eu occasion de parler de ces Voisins inquiets, bientôt après leur établissement sur la frontiére des Gaules. Or je trouve que sous le Tyran Eugene, & dès l’année 392. l’Alliance des Francs avec l’Empire étoit déja traitée d’ancienne Alliance, d’Alliance qu’il étoit d’usage de renouveller à chaque mutation d’Empereur. Qu’en penser, quand aucun Auteur ancien ne dit en quelle année elle fut faite ? Sulpitius Alexander, Auteur contemporain, désigne cette convention par le nom d’Alliance, & non point par le nom de Traité de Paix. Il l’appelle Vetufta Fædera, & non point Pacis Leges. Ainsi l’on ne sçauroit convertir cette Alliance, en un simple Traité de paix & de bonne correspondance.

Lorsque j’ai comparé l’Alliance dont il s’agit, aux liaisons qui sont entre la France & les Cantons Suises depuis le regne de Louis XI. je n’ai point prétendu avancer qu’elle n’eût jamais été interrompue, même par quelque guerre générale, mais seulement que la durée avoit éré comme continuelle : c’est ce que fuppose ma comparaison. Qui ne fe fouvient pas de la bataille donnée à Novare, sous le regne de Louis XII. & de celle qui fut donnée auprès de Marignan sous le régne de François I’?

Si dans le préambule de la Loi Salique, les Francs ont traité de joug leur Alliance avec les Romains, c’est qu’elle étoit de celle que les Jurisconsultes du Droit Public appellent Alliances inégales, Fædera inequalia ; & les Romains tâchoient ordinairement de convertir cette espece d’Alliance en Droit de Souveraineté. En vertu de ces Alliances, les Romains vouloient donner des Rois à leurs Conféderés, leur interdire souvent le Droit des armes, en un mot les réduire de gré ou de force à la condition des Sujets.

Suivant cette Thése, ce que dit Agathias des Francs, lorsqu’il écrit qu’ils éroient sans comparaison plus civilisés que les autres Barbares, & qu’à la langue & à l’habillement près, ils paroissoient des Romains, ne doit s’entendre que des Franas qui vivoient sous le regne de Clovis, en un mot des Francs établis dans les Gaules. Je sçai bien qu’il a fallu du tems aux Francs pour se polir : mais il me paroît que le passage d’Agathias, qui ne contient aucune restriction, signifie que dans tous les tems les Francs avoient été ou moins grossiers, ou plus polis que les autres Barbares. Ils auront été moins grossiers que les Bourguignons, dans les tems où les uns & les autres ils habitoient encose sur la droite du Rhin, & les Francs auront mieux profité du séjour des Gaules que les Bourguignons. J’ai cité un passage de Salvien, qui écrivoit vers l’année 45o. & qui dit que les Francs étoient des hôtes commodes. On sçait qu’Hôtes signifioic alors les Barbares établis sur le territoire de l’Empire. C’est dans de pareils Auteurs qu’il faut chercher la vérité, plutôt que dans les invectives des Poëtes & des Orateurs Romains contre les Francs. Qui voudroit juger du caractére & des mæurs des François d’aujourd’hui, sur ce que leurs Voisins en ont écrit en tems de guerre ?

Non-seulement les Empereurs enrôloient des Francs dans les Thes. I. pa : Troupes Romaines, mais ils entretenoient encore, & même ge 16. dans les Gaules, des corps de Francs, comme il paroît en lisant la Notice de l’Empire.

On ne veut pas que ce soit comme Alliés des Romains que les Thes. I. p*Francs attaquerent les Vandales, lorsqu’ils se disposoient en ge 26. l’année 406. à faire leur invasion dans les Gaules. Mais si les Francs n’eussent point eu alors une Alliance avec Rome, pourquoi ne se joignirent-ils point avec les autres Barbares, & ne profiterent-ils pas de cette occasion de piller ? D’ailleurs il paroît que ce fut les Francs qui allerent attaquer les Vandales au rendez-vous général des Barbares.

Mr. Hoffmann demande ou j’ai pris qu’EGIDIUS & le Roi CHILDERIC vécurent en bonne intelligence après le rétablissement de ce dernier. Je l’ai pris dans le passage de Gregoire de Tours, que j’ai rapporté. Cet Historien, après avoir raconté le rétablissement de CHILDERIC, dit en parlant de ce Prince & d’EGIDIUS, His ergoregnantibus fimul. Personne n’ignore que dans le cinquiéme siécle on disoit Regnum pour dire Gouvernement. Je répondrai de même à une autre question de pareille nature. C’est de Prifcus Rhetor, Auteur contemporain, que j’ai appris qu’après la mort de MAJORIEN, Egidius, loin de vouloir reconnoître SEVERUS pour Successeur légitime de cet Empereur, vouloit faire la guerre à SEVERUS. On trouve dans le cinquiéme & dans le sixiéme Chapitre du III. Livre de l’Histoire Criti. que, de quoi composer une réponse satisfaisante aux objections que fait ici notre Thése.

Quoique l’on puisse penser concernant le miracle arrivé à Thes. 2. pain Paris, quand les portes de la Ville que ChildE’RIC avoit fait 844 fermer, s’ouvrirent d’elles-mêmes pour laisser entrer Sainte Geneviéve, il ne s’ensuivra point que l’évenement qui donna lieu à ce miracle fait entierement faux. Quand je conjecture que CHILDERIC peut bien avoir été Maître de la Milice, je me fonde sur ce que dans la premiere Lettre écrite par Saint Remi à Clovis, le fils de ce Childeric, il est dit ; que Clovis avois pris en main l’administration des affaires de la Guerre, & que les Peres de CLOVIS avoient exercée avant lui la même administration. J’ai rapporté cette Lettre.

Il n’y a aucun Auteur ancien qui dise que l’autorité de Syagrius ait été reconnue par tous ceux des Romains des Gaules qui étoient encore leurs Maîtres. Egidius son pere mourut en 464. & lui, il exerça son pouvoir jusqu’à sa mort, arrivée en 486. Or nous avons une infinité de Lettres de Sidonius écrites depuis 464. & avant 482. que mourut cet Evêque, dans lesquelles il seroit parlé de notre officier, s’il eût commandé dans toute la partie des Gaules qui obéissoit encore véritablement à l’Empereur. Sidonius auroit parlé de SYAGRIUS à l’occasion de la remise de l’Auvergne aux Visigots, vers l’année 474. Jusqu’à cette année là, l’Auvergne avoit été soumise à l’Empereur, & par conséquent elle aurait été dans le Gouvernement de SYAGRIUS. D’ailleurs nous avons montré que Clovis, quoiqu’il fût le maître du Royaume de SYAGRIUS dès l’année 486. n’avoit fait l’acquisition de la portion du Pays qui se trouve entre la Somme & la Seine, que vers l’année 492. Enfin ce ne fut qu’après le Baptême de Clovis, & en l’année 497. c’est-à-dire, dix ou onze ans après l’occupation des Pays tenus par SYAGRIUS, que les Conféderés Armoriques se soumirent à Clovis, & que les Troupes Romaines qui gardoient la Loire contre les Visigots, remirent au Roi des Francs les Cités qu’elles conservoient à l’Empire. Lorsque je dis que SYAGRIUS n’étoit point Maître de la Milice, quoique son pere Egidius l’eût été, je me fonde encore sur ce que cette Dignité n’étoit point héréditaire, & sur ce que les Auteurs du cinquiéme siécle qui ont parlé de ce SYAGRIUS & de sa mort, ne lui donnent jamais le titre de Maître de la Milice.

Rien ne montre mieux que les Francs ne traitoient pas les Romains des Gaules comme un Peuple subjugué & réduit à une condition approchante de la servitude, que la distinction qu’ils mettoient entre les differens Ordres dans lesquels cette Nation étoit divisée. Or rien ne sçauroit mieux prouver cette distinction, que la difference affectée que la Loi Salique établit entre les mulctes ou les amendes ausquelles les Francs qui avoient tué des Romains étoient condamnés. Suivant cette Loi le Franc qui avoit tué un Romain du premier Ordre, étoit condamné à une amende de 300. sols d’or, quoique le Franc qui auroit tué un autre Franc ne fût condamné qu’à une peine pécuniaire de 200. sols d’or. Le Franc qui avoir tué un Romain du second Ordre, étoit condamné à une amende de 100. sols d’or ; & celui qui avoit tué un Romain du troisiéme Ordre à 45. sols d’or. Je ne sçai pourquoi la Thése, en faisant l’énumération de ces amendes, omet de faire mention de celle de 100. sols d’or que devoit payer le Franc qui avoit tué un Romain du second Ordre. On pourroit bien faire encore quelques autres observations sur cet endroit-là.

S’il y a rien de certain dans l’Histoire de la premiere race de nos Rois, c’est que Clovis fur fait Consul, & non point Patrice par l’Empereur ANASTASE. Je ne me souviens que de quatre Ecrivains de ceux qui ont vécu sous les deux premieres races de nos Rois, & dont les Ouvrages nous sont restés, qui fassent mention de ce grand évenement, & tous quatre ils s’accordent à dire que Clovis fut fait Consul : tous quatre ils s’accordent à dire encore, qu’après que Clovis eût pris possession de cette Dignité, on s’adressa à lui comme on s’adressoit au Consul, comme on s’adressoit à l’Empereur. C’est ce que dit Gregoire de Tours en termes précis ; & cet Historien né 30. ans après la mort de Clovis, & qui a vécu dans un siécle où il y a eu des Consuls & des Patrices, n’a point pû s’y tromper. Il est vrai que faute de trouver dans la Notice de l’Empire un titre propre à exprimer précisément la nature du pouvoir de SYAGRIUS, il l’appelle Roi abusivement, si l’on veut ; & cela apparemment pour marquer que le Romain étoit absolument le maître de tout dans le pays qu’il tenoit, & qu’il n’avoit point de véritable Supérieur. Mais parce qu’il s’est servi d’un terme impropre, manque d’un terme propre, il n’en faut pas conclure qu’il ait pû faire une faute aussi grossiére, que celle d’écrire plusieurs fois Consul pour patrice. L’Auteur des Gestes, qui a écrit sous les Rois de la premiere race, dit que CLOVIS ayant été fait Consul, ab ea die tanquam Consul & Augustus est appellatus. Hincmar, qui a vécu sous Louis Le Débonaire, dit de même, que Clovis ayant été fait Consul, on s’adressa à lui comme au Consul, comme à l’Empereur. On lit aussi dans Flodoart, qui a écrit sous les Rois de la seconde race, que Clovis fut fait Consul. Ce n’est donc point sur un seul mot (1) échappé par hazard à Gregoire de Tours, que Clovis fut fait Consul ; mais parce qu’il dit lui-même plusieurs fois dans la narration, que la Dignité conferée alors à Clovis, étoit le Consulat : c’est parce que l’Auteur des Gestes, Hincmar & Flodoart disent la même chose : c’est parce que je ne connois aucun Historien de ceux qui ont écrit sous les deux premiéres races, qui ait dit le contraire. Je crois qu’Aimoin qui a écrit sous la troisiéme race, est le premier qui ait changé le Consulat de Clovis en Patriciat, encore se cor rige-t-il lui-même. Son passage fera foi de ce que j’avance. Rebus ergo cunctis ex fententia compofitis, Turonis iter Clodoveus dirigit, ubi dum ftativarum gratia tantisper moratur, legationem fufcepit Anastasii Constantinopolitani Principis, munera epistolafque mittentis, in quibus videlicet litteris hoc continebatur : quod complacuerit sibi & Senatoribus cum effe amicum Imperatorum, Pairiciumque Romanorum. His ille perleťtis Consulari 11 abeâ infognitus, ascenso equo in atrio quod inter Basilicam Saneti Martini & Civitatem fitum erat, largissima Populo contulit munera. Ab illa die.Conful fimul & Augustus meruii nuncupari. Il est aisé en confrontant ce passage avec celui de Gregoire de Tours, d’observer qu’Aimoin n’altére le texte de l’autre Ecrivain que parce qu’Aimoin, prévenu de l’erreur commune, ne pouvoit pas concevoir qu’un Empereur eût conferé le pouvoir de Consul à un Prince ennemi des Romains, & qui avoit fait sur eux la conquête de la plus grande partie des Gaules les armes à la main. C’est la même idée qui a fait prendre à plusieurs Auteurs modernes le parti de dire qu’Anastase n’avoit conferé à Clovis que le Patriciat, qu’ils ont supposé encore n’avoir été qu’une Dignité honoraire. Dans mon opinion, la collation du Consulat fait à Clovis par Anastase, se trouve être la suite naturelle des évenemens arrivés dans les Gaules depuis la grande invasion des Barbares en 407. Quant aux motifs qui pûrent engager Clovis à demander le Consulat, & à se faire un honneur de l’exercer, ils sont exposés au long dans l’Histoire Critique.

M. Hoffmann suppose gratuitement, que JUSTINIEN ne comprit dans la cession qu’il fit aux Francs, que la portion des Gaules que les Ostrogots venoient de leur remettre. Procope dit positivement le contraire, Il écrit que JUSTINIEN céda aux Francs Taraías Mer ones, c’est-à-dire, les droits qu’il pouvoit encore prétendre sur toutes les Gaules ; car sa cession ne fut qu’une simple cession de droits. Lorsque cet Empereur la fit, il ne possédoit plus un pouce de terre dans les Gaules, & son Diplôme ne lui faisoit pas perdre un seul village. En pareil cas, les Souverains cédent souvent plus volontiers leurs droits sur une Province entiere, qu’ils ne délaisseroient une seule des Villes dont ils sont en possession actuelle. Qu’arriva-t-il donc alors ? Les Francs, à qui les Ostrogots avoient cédé la possession d’une portion des Gaules, & qui avoient acquis sa possession de plusieurs autres parties de cette grande Province par d’autres voyes, se firent ceder par JUSTINIEN, qui avoit besoin d’eux, le Domaine suprême sur toutes les Gaules. Il leur importoit d’acquerir ce droit, qui, par leurs raisons exposées dans l’Histoire Critique, devoit leur être fort utile, au lieu qu’il étoit actuellement allez inutile à cet Empereur, qui ne pouvoit plus l’exercer. Ce que dit Procope concernant les suites de cette cession, montre assez quelle étoit sa nature & quel usage les Rois Francs en prétendoient faire.

Quant au violement des Traités conclus entre les Empereurs & les Rois Francs, lequel on reproche ici à la mémoire de ces derniers, nous ne sommes pas obligés à croire tout ce qu’en disent des Historiens suspects de partialité par leur naissance & par leur emploi. Si nous avions une Histoire du sixiéme siécle aussi détaillée que celle de Procope ou d’Agathias, & qui fût écrite par un Franc, nous y verrions peut-être que les Empereurs ont quelquefois enfraint les Traités, & que les Enfans de Clovis n’ont point été, du moins, les seuls coupables de leur inobservation.

On a rapporté dans l’Histoire Critique sur la foi d’un Auteur contemporain, que Maurice entra dans un complot qui ne pouvoit avoir d’autre objet, que celui de faire révolter une partie des Gaules contre les Rois Francs, & de la faire retourner sous la domination de l’Empereur. Dans quel autre dessein l’Empereur Maurice conféra-t-il la Dignité de Patrice à un Syagrius Sujet du Roi GONTRAN, dont il étoit actuellement l’Ambassadeur à la Cour de Constantinople ? Si le complot n’eut point d’effet, c’est qu’il fut découvert ; mais il n’en étoit pas moins une infraction des Traités. Suivant les apparences, ce fut cette conjuration qui donna lieu à l’entreprise séditieuse qui se fit alors à Vienne en Dauphiné, où l’on fabriqua des espéces d’or au coin de l’Empereur MAURICE. Elles portent d’un côté sa tête & son nom, & on lit sur le revers, Vienna ex officina Laurenti. Bouteroue nous a donné une de ces Médailles, dont on trouve encore l’estampe dans la XXIII. Dissertation de M. Du Cange sur la Vie de SAINT Louis.

Je finis par une observation sur le reproche que me font plus d’une fois les Théses de M. Hoffmann, d’avoir souvent recours aux conjectures. Si c’est une faute, je m’en avoue coupable : mais qu’il fasse cependant réflexion, qu’ayant entrepris de rétablir le commencement de nos Annales, je me suis trouvé dans la situation où se trouvent les Architectes qui entreprennent de donner le dessein d’un édifice antique, dont il ne reste plus que quelques débris épars, & dont les fondemens sont arrachés en plus d’un endroit. Il faut souvent qu’ils ayent recours aux conjectures, afin de parvenir à dresser un plan où tous les débris de leur bâtiment qui subsistent encore, entrent sans peine ; & y trouvent une place convenable. Mais comme on convient que les Architectes qui sont venus à bout de placer dans un plan régulier toutes les parties de l’édifice qui subsistent encore, ont réussi dans leur entreprise, ne puis-je point me flatter qu’on dira la même chose de l’Écrivain, qui voulant rétablir le commencement des Annales d’une Monarchie, parvient, à l’aide de plusieurs conjectures, à donner une Histoire où l’on ne trouve rien que de vraisemblable, & dans laquelle tous les faits rapportés par des Auteurs contemporains trouvent leur place naturellement, sans qu’on soit obligé à faire dans les passages où ils sont racontés, le quart des changenrens que sont obligés d’y faire les Historiens qui ont imaginé un autre plan ? Enfin, toutes les fois que j’ai conjecturé, j’en ai averti le Lecteur, & je l’ai mis hors du danger de prendre de simples raisonnemens pour des narrations.


Fin du second Tome.


T A B L E
GENERALE DES MATIERES
CONTENUES DANS CET OUVRAGE.

Ces Chiffres Romains I. & II. mis avant les chiffres Arabes indiquent ; sçavoir, I. le premier volume ; & II. le second ; & D. p. le Discours Préliminaire.

A

Abeilles, symbole de la Tribu des Francs fur laquelle Childeric regnoit, devenues Fleurs-de-Lys par la faute des Peintres, &c. Comment elles ont pu donner lieu à la Fable populaire des Crapauds, &c. I. 608

Æétius (Flavius Gaudentius) embrasse le parti de Joannès qui le fait Comte du Palais, ou Grand-Maître de sa Maison, & l’envoie traiter avec les Huns, I. 263. de quel sang il sortoit ; son portrait & son caractere, ibid. & 264. gagné par Placidie, il engage les Huns à quitter le parti de Joannès, 165. est envoyé dans les Gaules ; fait lever le siége d’Arles aux Visigots, & il les défait, 266. chasse les Juthunges & remet sous l’obéissance les Peuples de la Norique ; remarques sur la date de cette expéditon, 269, 170. traite avec les Bourguignons, &c. 271, 272. défait les Francs ; quelle conduîte il tint avec eux, 273 & suiv. est fait Maître de la Milice du Département du Prétoire d’Italie, 187. fait assassiner le Patrice Felix, &c. fait sa paix avec Placidie : est fait Consul ; ibid. & 188. ses intrigues, cause de la desobéissance de Bonifacius, sont découvertes, ibid, 289. se retire de la Cour, prend les armes, est batu par Bonifacius & s’accommode ensuite, ibid. se sauve chez les Huns qui prennent les armes en sa faveur ; tout est rajusté, & il est fait Patrice, 290. revient dans les Gaules, y fait venir un corps de Huns ou d’Alains qui massacrent les Bourguignons au préjudice de la paix qu’Aëtius leur avoit accordée, 295 & suiv. Consul pour la seconde fois ; ses succès contre les Visigots auxquels il accorde un Armistice, 299. assigne des quartiers stables & permanens aux Scythes auxiliaires près d’Orléans, 300. négocie avec les Armoriques, &c. 310, 311. suscite les Alains contre les Armoriques, 312 & suiv. bat Clodion & ses Francs ; date de cet évenement, 322 & suiv. est renvoyé dans les Gaules pour s’opposer à Attila ; négotie avec les Visigots pour les engager à secourir l’Empire, 373 & suiv. prend les précautions convenables pour résister à Attila, 378, 379, 382 & suiv. joint Attila & remporte une grande victoire sur ce Prince ; description de la bataille, 384 & suiv. ne veut point forcer le camp d’Attila, &c. 391, 391. réflexions sur sa conduite dans cette occasion, 393, 394. propose à l’Empereur de se retirer avec sa Cour dans les Gaules, quelles étoient ses vûes, 396. est tué de la main même de l’Empereur, 409, 410.

Agathias le Scholastique, son ouvrage utile pour l’Histoire des Francs, D. p. 26. remarques ſur un passage de cet Auteur, II. 262, 263. concilié avec Gregoire de Tours, 304.

Agde, Concile National dans cette Ville, II. 172. Canon de ce Concile qui défend de chercher aucun augure de l’avenir, 183, 184.

Agobard, Archevêqne de Lyon, présente un Memoire à Louis le Debonnaire pour lui demander l’abrogation de la Loi Gombette, II. 376, 457, 460, 501.

Agri Decumani, Terres Décumanes, champs sujets à la dîme » I. 105, 110.

Agrìppa le jeune, ce qu’il disoit aux Juifs pour les dissuader de se révolter contre Neron, I. 141.

Agrippinus, livre Narbonne, sa patrie aux Visigots ; motif de cette entreprise, I. 497. pourquoi il haïssoit Egidius, ibid. & suiv.

Aignan (Saint) Evêque d’Orléans, sa prédiction sur le sort de cette Ville assiégée par Attila ; complaisance d’Attila pour ce saint Evêque, 1. 379, 380.

Aimoin, n’a point en connoissance de plusieurs Ouvrages plus anciens que lui, D. p. 15. d’où il a puisé son erreur sur rétablissement de la Monarchie Françoise dans les Gaules, 16. preuve qu’il manque quelquefois de pénétration & de jugemenr, I. 551, 552. est le premier qui ait dit que Clovis n’avoit reçu que le Patriciat & non le Consulat ; il se réfute lui-même, II. 223.

Alaìn, nom propre, pourquoi il est si commun en Bretagne » I. 506.

Alains (les) Nation Scythique, dominent long-tems parmi les Scythes, sont ensuite subjugués par les Huns & compris sous ce nom, I. 184 & suiv. sont une irruption dans les Gaules avec les Vandales & les Sueves, 194 & suiv. voyez Barbares & Vandales. Maltraités par les Visigots ; se mettent sous la domination d’un Roi des Vandales, 256. Un corps d’Alains ou de Huns, auxiliaires de l’Empire, défait les Bourguignons, 296, 297. leur excellente Cavalerie &c. 299. obtiennent d’Aëtius des quartiers stables & permanens près d’Orléans, 300 & suiv. leur expédition contre les Armoriques arrêtée par Saint Germain d’Auxerre, 313, 314. leurs violences rendent odieux le gouvernement de ceux qui les employoient à leur service, 330, 331. Alains désignés par Sarmates dans Jornandès, 383. Alains établis près d’Orléans prennent les armes, 477. se joignent aux Visigots contre Egidius, 502, 503. sont désarmés & dispersés, 506.

Alaric I, Roi des Visigots, attaque Honorius Empereur d’Occident, I. 182. est enhardi par l’irruption des Barbares dans les Gaules, 197. descend en Italie, &c. il avoir servi sous Théodose le Grand, &c. 205. bloque Rome, & il n’en leve se blocus qu’après qu’on y eut proclamé Attalus Empereur, 207, 208. prend Rome, 211, 225.

Alaric II. Roi des Visigots, exerçoit dans les Gaules le pouvoir législatif dans toute son étendue ; Code d’Alaric, I, 575. succede à son pere Euric, 619. prévenu contre Césaire Evêque d’Arles, le relegue ; reconnoît ensuite son innocence & punir son calomniateur de mort, II. 3. livre à Clovis Syagrius qui s’étoit réfugié dans ses Etats, 20. son entrevue avec Clovis ; faits inventés à plaisir sur cette entrevue, 170. fait faire une nouvelle rédaction du Code Théodosièn pour servir de Loi aux Romains de ses Etats, 171, 172. permet aux Catholiques de tenir un Concile à Agdc, ibid. altere les monnoies d’or, 173. remarque sur les années de son regne, 181. entre en guerre contre Clovis, campe près de Poitiers pour y attrendre Théodoric, 183, 187. se retire aux approches de Clovis ; est atteint, ſorcé de combattre, & tué dans la plaine de Vouglé, 189, 190. son Code est suivi dans une partie des Gaules sous Clovis & sous ses Successeurs, 492, 493.

Alberic, sa Chronique fourmille de fautes ; passage de cette Chronique examiné, I. 318, 319.

Albinus traité avec Aëtius, &c. quel pouvoit être cet Albinus : famille illustre de ce nom dans le pays des Armoriques, I. 310, 311.

Albis, nom de riviere ; quelle est la riviere que le poëte Claudien appelle Albìm, I. 175. V. 414, 415.

Alboslede, sœur de Clovis est baptisée, & meurt peu après son baptême, II. 75. Remarques sur cette Princesse & sur son nom, 167.

Alexandre Severe, Empereur, institue un troisiéme Ordre de Citoyens, Collegia Opificum, I. 23. premier Auteur des Bénéfices Militaires & de l’établissement des Troupes de Frontiere ou de Garnison, 82.

Allemagne, (Empire d’) remarques sur son origine & sur ses Chefs II. 371, 372.

Allemands, quel peuple c’étoit & quels pays ils habitoient, I. 147. un de leurs partis battu, 443. une de leurs Tribus vaincue par Childéric & Audoagrius, 604 & suiv. joints aux Sueves, font une invasion dans la seconde Germanique ; sont défaits à Tolbiac par Clovis & Sigebert, II. 65, 66. une partie d’entr’eux se soumet à Clovis, une autre à Théodoric Roi d’Italie, 67, 68. lieux que Théodoric leur assigne pour leur demeure, 69. comment ces derniers devinrent Sujets des Rois des Francs, 331. Voyez 463, 464. leur Code National, ibid.

Alliances inattendues dans la crainte d’un peril éminent : exemple dans la Triple Alliance contre Louis XIV. au dernier siecle, I. 364.

Amalaric est proclamé Roi des Visigots, sous la tutele de Théodoric son grand-pere, II. 210, 211. persécute cruellement sa femme, fìlle de Clovis, en haine de la Religion Catholique, 284. est attaqué par Childebert ; succombe dans cette guerre, & périt par la main d’un de ses Sujets, ibid. & suiv.

Amalasonthe, troisiéme fille de Théodoric, avec qui elle avoit été mariée, ses enſans, II. 334 gouverne les Etats de son fils Athalaric, 337. après la mort de son fils, elle associe Théodat à son Trône, pour regner sous son nom ; fragment de sa Lettre à Justinien, 338. est dépouillée de son autorité par Théodat, & reléguée ; elle a recours à Justinien ; ses menées sont découvertes, & Théodac la fait mourir, 339, 340.

Amalberge, niece de Théodoric, épouse Hermanfroy un des Rois des Turingiens, II. 133, 163. engage son mari à se défaire de deux freres qu’il avoit, 277, 278. se retire avec ses enfans auprès de son frere Théodat, après la mort d’Hermanfroy, 283.

Amandus, un des Chefs des Bagaudes, &c. I. 203.

Ampoule (la Sainte) dont on se sert au Sacre de nos Rois, ce qu’en rapporte Hincmar, II. 79, 80.

Anastase, Empereur, ôte la levée des impositions aux Curies des Cités, &c. inconvéniens de cette nouveauté quin’eut lieu qu’en Orient, I. 128, 129. sa foi suspecte dans le tems du baptême de Clovis, II. 81. sa conduite envers Théodoric Roi des Ostrogots, &c. 126 & suiv. dans quelles vûes il confera le Consulat à Clovis, 226, 227. sa mort, 293, 330.

Anastase II, Pape, écrit à Clovis pour le féliciter de sa conversion, II, 81, 82.

Angleterre, tous les Citoyens y sont du même Ordre, en vertu de la naissance ; en quoi consiste la prérogative de ses Lords ou Pairs, &c. II. 434, 435. ce qu’on y pratique à l’égard des exécutions des Citoyens, 436. a conservé son ancienne Langue malgré les efforts des Rois Normands, 453. ce qui s’y pratique dans les procès criminels faits aux Etrangers, 498.

Anthemius est fait Empereur d’Occident par Leon & Ricimer, est proclamé près de Constantinople ; passe en Italie, est reconnu à Rome, I. 512. qui il étoit ; son caractere, 513. S’unit avec Leon pour faire la guerre aux Vandales ; leur expédition ne réussit pas, 517, 518. prend des mesures contre les projets d’Euric, 523. sa mort, 553.

Apollinaris, fils de Sidonius Apollinaris, commande les Auvergnats à la journée de Vouglé pour les Visigots ; ses avantures ; est élu Evêque d’Auvergne, &c. II. 192. 193.

Appien Alexandrin, regrets sur la perte de son dernier Livre, I. 101, 102.

Aprunculus, Evêque de Langres, devient suspect aux Bourguignons ; il se réfugie en Auvergne dont il est élu Evêque, I. 628, 629.

Aquitains (les) conservent leurs Bracca sous l’habit Romain, I. 5. parloient mieux Latin que les Celtes ; pourquoi, 10. leur pays nommé le Pays des Romains, même sous la seconde race de nos Rois ; nouvel ordre qu’y établit Charlemagne pour s’en assurer, II. 608.

Aravatius, Evêque de Tongres, ses prieres pour détourner les fleaux dont les Gaules étoient menacées ; révélation qu’il eut à Rome sur le Tombeau des Saints Apôtres, I. 362, 363.

Arbogaste, Franc, au service de l’Empire, {e rend maître de Valentinien II. son Empereur, le fait mourir &c. I. 170 & suiv. Autre Arbogaste, à qui Sidonius écrit une Lettre, qui il étoit, 602.

Arborius, Maître de la Milice, I. 492, 493. reconnu par les partisans de Severus, &c. est mis en pleine possession de cet emploi après la mort d’Egidius, 508, 510.

Arcadius, Sénateur de la Cité d’Auvergne, invite Childebert à s’en emparer & l’introduit dans Clermont, II. 283, 284. commission dont il fut chargé auprès de Clotilde, & ce comment il s’en acquita, 308. avoit quitté l’Auvergne & s’étoit mis sous la protection de Childebert, 314.

Archimede, machines de guerre dont il se servit au siége de Syracuse contre les Assiégeans ; description d’une de ces machines, II. 202, 203.

Ardaric, remarques sur un Prince de ce nom Roi des Gépides, au Ve siecle ; s’il a pu faire frapper les sols d’or qu’on appelle Ardaricanos, I. 219. correction de ce mot, 220.

Aregisilus, un des Ministres de Thierri, engage Munderic assiégé dans Vitri à capituler, &c. II. 316.

Aridius, ou Arédius, conseille Gondebaud contre le mariage de Clovis & de Clotilde, II. 44, 45. sa ruse pour engager Clovis à faire la paix avec Gondebaud ; 136, 137.

Ariens, leur petit nombre dans Gaules durant le Ve siècle, I. 18. plus redoutables aux Catholiques que les Payens ; pourquoi, 627 & suiv. Conférence tenue à Lyon entre eux & les Catholiques, II. 152 & suiv.

Arles, appellée la Ville de Constantin, éloge qu’en fait Honorius qui y convoque l’Assemblée générale les Gaules, I. 242, 243. Métropole des Gaules, en quel sens ; le Prétoire des Gaules y est fixé, 253 254. importance de cette Ville pour les Romains & pour les Visigots, 266. est assiégée par ces derniers ; le siége est levé, ibid, second siége de cette Ville par les Visigots qui ne peuvent la prendre, 494, 495. date de ce second siège, ibid. & 496. est assiégée par les Francs & par les Bourguignons ; situarion de cette Ville ; particularités de ce siége que Théodoric fait lever, II. 198 & suiv. machines de guerre semblables à celles d’Archimede dont les Assiégés se servirent sans reussite, &c. 202, 203. les Ostrogots se l’approprient, 212.

Arminius, de quelle ruse il se servit pour éblouir & surprendre Varus, II. 11.

Armorique, Commandement Armorique ou Maritime, de quelles Provinces il étoit composé, I. 68, 69. remarques sur ce sujet, 70, 71. pour quelles raisons ce Commandement étoit si étendu, ibid. & suiv. conjectures sur le tems où il avoit été formé, 73, 74. les peuples du Commandement Armorique se soulevent contre l’Empire, 210, 211. d’où leur venoit tant d’audace, 212. de quelle espece étoit leur révolte & quels en furent les motifs, conjectures sur ce sujet, 214 & suiv. ils continuent à frapper leur Monnoie au coin de l’Empereur regnant ; fondemens de cette conjecture, 216 & suiv. autres conjectures. sur la forme de Gouvernement de cette espece de République, 220 & suiv. pourquoi cette confédération a subsisté durant 80 ans & plus, 224. tentatives d’Honorius pour les ramener sous son obéissance ; quel en fut le succès, 237 & suiv. cette République désignée quelquefois par Bagaudia, 193. pourquoi elle n’est pas attaquée par Aëtius, 297 & suiv. Voyez 300, 305, 310, 311, arrètent une invasion des Alains par l’entremse de Saint Germain d’Auxerre qui négocie leur paix avec l’Empire, 313 & suiv. rompent cette négociation ; conjectures sur leur motif de rupture, 309. leur entreprise pour surprendre Tours échoue, 346 & suiv. se joignent à Aëtius contre Attila, 382. s’unissent aux Romains contre les Visigots, 533. Clovis leur fait la guerre, II. 59 & suiv. se soumettent à l’obéissance de ce Prince ; date de cer évenement, 101 & suiv. pourquoi il faut lire les Armoriques & non les Arboriques dans un texte de Procope ; 111 & suiv.

Arras, composé de deux Villes contiguës : celle qu’on appelle la Cité étoit indépendante des Comtes d’Artois, &c. II. 531.

Arvandus, sa trahison découverte. comment il est puni ; est confondu mal-à-propos avec Ardaburius dans un passage de Cassiodore, I. 527 & suiv.

Assemblées générales des Gaules, I. 29 & suiv. remarques sur une de ces Assemblées tenue à Reims, 31, 32. de qui elles étoient composées ; conjectures sur ce sujet, ibid. elles sont fixées dans Arles par Honorius, 334 réduites à la voix consultative au Ve siecle, 34. n’étoient point consultées sur les subsides extraordinaires, 40, , 41.

Assemblées réprésentatives du peuples des Monarchies sont de deux especes suivant la différence du pouvoir des Souverains, I. 33, 34.

Assemblées politiques des Francs, II. 441 & suiv. par quoi elles étoient consultées ; comment elles étoient utiles aux Fimances du Prince, 599.

Afturius, Maître de la Milice dans le Département des Gaules, défaire les Séditieux, ou Bagaudes d’Espagne, I. 312. meurt ; son gendre Merobaudès lui succede, ibid.

Ataulphe, successeur d’Alaric I. I. 25. évacue l’Italie moyennant une partie des Gaules qu’Honorius lui cede, &c. 229. prend des liaisons avec Jovinus ; fait tuer Sarus, &c. se raccommode avec Honorius, livre Jovinus, &c. 230. se brouille de nouveau avec Honorius ; cause de cette brouillerie, 232, 233. engage Attale à reprendre la Pourpre, ibid. épouse Placidie ; s’affectionne aux Romains & veut devenir leur défenseur, ibid. & 114. ttaite avec Honorius ; conditions de cet accommodement, 235. évacue les Gaules & passe en Espagne, où il est tué par les Visigots, 236.

Athalaric, Roi des Ostrogots, gouvernoit l’Italie suivant les Loix & les Maximes Romaines, I. 21. un de ses Rescrits, ibid. & 22. succede à son grand-pere Théodoric, II. 335. la lettre à l’Empereur Justinien : induction qu’on en tire, ibid. sa mort, 337.

Attalus, créature d’Alaric ; est proclamé Empereur dans Rome, I. 208. reprend la Pourpre dans les Gaules où il avoit suivi les Visigots, 233. est abandonné & livré entre les mains de Constance, 235, 2$6. est relegué dans l’île de Lipari, 241.

Attalus, Romain, donné en ôtage & fait ensuite esclave ; Histoire de sa délivrance & de sa fuite, II. 317 & suiv.

Attila, Roi des Huns, rendoit lui-même la Justice à ses Sujets, I. 159. son portrait, 186. avoit succédé à Rugila avec son frere Bleda qu’il fait mourir pour regner seul, 357. son caractere, ibid. absolu dans ses Etats, accrédité dans les Pays voisins ; idée qu’en avoient les peuples, 338. ses projets, ibid. & suiv. son invasion annoncée par des prodiges, suivant les Auteurs de ces tems-lá, 363. son ptojet de campagne ; ses ruses & ses artifices, 367 & suiv. se met en marche, traverse le Rhin, prend & saccage Mets, 371 & suiv. assiége ôc prend Orléans ; pourquoi il en empêche le pillage » 379, 380. ſes égards pour Saint Aignan, ibid. & 38t. évacue Orléans & reprend le chemin du Rhin, raisons qui l’y engagent, ibid, & 382. est atteint dans les Champs Catalauniques & battu par Aëtius ; description de la bataille, 384 & suiv. à quoi il étoit déterminé, si son camp avoit été forcé, 390. repasse le Rhin avec peu de monde & forme de nouveaux projets, 393. son irruption en Italie ; il se retire à la sollicitation de Saint Leon Pape ; 395, 396. sa mort, ibid. & 397. s’il fît une seconde invasion dans les Gaules, 398 & suiv, son âge ; ses Etats dissipes après la mort par la desunion de ses fils, 401.

Avanches, Siége Episcopal transféré de Lauzane á Fribourg en Suisse, I. 441.

Audeslede, sœur de Clovis, son mariage avec Théodoric Roi d’Italie, II. 68.

Audoagrius ou Adoacrius, Roi des Saxons, ligué avec les Visigots contre Egidius, I. 301. son expédirion en Anjou, 505. se retire par composition, &c, 307. revient sur la Loire, prend Angers ; est obligé d’évacuer le Pays, 334. fait Alliance avec Childeric ; ils font ensemble une expédition contre une Tribu d’Ailemands, 604 & suiv.

Avenir, curiosité de pénétrer dans l’avenir commune parmi les hommes, condamnée par les Conciles d’Agde & d’Orléans, & par un Capitulaire de Charlemagne, II. 183, 184.

Augures, ce qu’on en pensoit, & comment on les prenoit au Ve & au VIe siecles, II. 183, 193.

Auguste établit des Germains dans Jes contrées de la Gaule voisines du Rhin, I. 7. tient une Assemblée générale des trois Gaules, où il fait le recensement de ces Provinces & leur impose un tribut, 29, 30. quel fut son projet dans l’établissement de sa Monarchie I. 34. moyens qu’il employa pour parvenir a son but, 35, 36. dans quelles vûes il entretenoit continuellement sur pied un Corps de troupes, 46, 47. laisse par son Testament, à chaque soldat des Légions, trois cens sesterces, 51. son Etat des forces de l’Empire, ce que cet Etat contenoir, ibid. établit un droit de Vingtiéme, &c. si ce droit étoit le même que la Cottisation par arpent, 116, 117. avoit augmenté le revenu de l’Empire de six millions d’écus par la conquère de l’Egypte ; il avoit aussi augmenté le Tribut des Gaules, 140, 141. Ere d’Auguste en Espagne, 206. une de ses Loix défend aux Sénateurs de sortir d’Italie sans une permission du Souverain, 248.

Auguste, ce nom propre étoit devenu appellatif ; ce qu’il signifioit dans ce nouveau sens, I. 37. ce titre n’étoit conféré que par le Senat, ibid. & 38. exemples du contraire, ibid. 39. ce nom donné aux enfans de Clovis, II. 389.

Augustule, nommé auparavant Momyllus, est fait Empereur d’Occident par son pere Orestès ; son trône est renversé ; &c, I. 581 & suiv.

Avitus (Alcimus Ecdicius) Evêque de Vienne ; ses œuvres utiles pour l’Histoire du Ve siecle, D. p. 28. excuse le traitement que Gondebaud fit à ses freres, I. 615. sa lettre à Clovis pour le féliciter sur son baptême, I. 82. & suiv. autres lettres de cet Evêque, 89 & suiv. assiste à la Conférence de Lyon ; réponse qu’il fait à Gondebaud, 153. devient le Catechiste de ce Prince ; refuse de le reconcilier à l’Eglise sans une abjuration publique, 157, 158. Lettre de ce Prélat ; réflexions sur cette Lettre, 160, 161. sa mort ; conjectures sur l’année où elle est arrivée, 294.

Avitus, passe d’un emploi Civil à un emploi Militaire, I. 60. ce qu’en dit Sidonius Apollinaris son gendre, dans un Panégyrique, &c. 308, 309. engage les Visigots à se joindre aux Romains contre Attila, 376. est fait Maître de la Milice dans les Gaules, 412. d’où venoit son grand crédit sur l’esprit de Théodoric II. Roi des Visigots, 415. est proclamé Empereur dans Arles par le crédit de Prince, 418 & suiv. va à Rome où il est reconnu, 422. fait demander l’unanimité à Martian Empereur d’Orient ; remarque sur cette démarche, 423. reconnu pour collegue par Martian, 438. est contraint d’abdiquer ; reçoit les ordres & est sacré Evêque, 439. circonstances de son abdication ; sa mort, &c. 440 & suiv.

Aurelianus Evêque d’Arles, lettre qu’il écrir à Théodebert pour reconnoître sa souveraineté, II. 366, 367, 387.

Aurelien (l’Empereur) abandonne l’ancienne Dace, &c. I. 180.

Aurelien, Romain, est chargé par Clovis de la négociation de son mariage avec Clotilde, II. 43 & suiv. obtient le Commandement du Château de Melun & des Pays voisins, 52, 53. conseil qu’il donne à Clovis à la bataille de Tolbiac, 66.

Autonomie, privilége considérable, cas qu’en faisoient les Villes Grecques à qui Les Romains l’avoient accordé, II. 487.

Autun (Cité d’) étoit plus étendue ue Le Diocese d’Autun d’aujourd’hui ; obtient de Constantin une remise de partie de la Capitation, &c, I. 122, 123.

Auvergne (la Cité d’) étoit de la Gaule Celtique, quoiqu’elle fût devenue une portion de la premiere Aquitaine, I. 543, 544. est foumise aux Visigots, : 576, & suiv.

Azyles des Eglises, Canons du Concile d’Orleans sur cette matiere ; nonobstant l’abus énorme qu’on en faisoit ; ils subsistent jusqu’au XVIe siecle ; François I, les supprime, II. 246, 247.

B

Bacquet, son sentiment sur l’origine du Droit de Tiers & Danger ; il allegue mal à propos un passage de Cassiodore, I. 106, 124.

Bagaudes (les) s’opposent au passage de Sarus & de son armée en Italie, & ils l’obligent de capituler avec eux, &c. origine & signification de ce nom, I. 203, 204. ce nom donné aux Conféderés de l’Union Armorique ; 193. Bagaudes d’Espagne ; ibid, & 312, Bagaudes Aracelitains en Espagne, ibid.

Bains, Bâtimens pour les Bains dans les Gaules, & même dans des Couvents de Religieuses, II, 589, 590.

Bâle (la Cité de) sous la domination de Clovis ; en quel tems on peut placer cette acquisition, I. 72, 73

Barbares, pourquoi ils se cantonnoient aisément dans des pays, où il y avoit assez d’Habitans pour leur résister, I. 121. passoient d’une Nation à une autre ; le nombre d’une certaine Nation Barbare n’étoit pas toujours le même, 146. quel étoit le motif de leurs incursions dans les Gaules & en Italie, 191, 192. leur goût pour le vin, ibid, autre motif de leurs invasions, 193. entrent dans les Gaules pour n’en plus sortir, & parviennent jusqu’aux Pyrenées, 194. & suiv. s’ils parvinrent si avant sans coup ferir ; conjectures sur ce sujet, 199, 200. prennent plusieurs Villes, ibid. & 201. leur diverse fortune, 202. passent en Espagne ; date de cet évenement, 205. & suiv. leurs noms propres sujets à variation, 280, 281. leurs vêtemens faits de peaux, 377. Rois Barbares, leur grand nombre ; estimoient les Dignités de l’Empire supérieures à leur Royauté, 470, 471. exclus de l’Empire sans loi expresse, 478. par quelles raisons leurs Rois briguoient à l’envi les Dignités de l’Empire, 559. & suiv. leurs sentimens de vénération pour la Jurisprudence Romaine, & pour ceux qui la professoient ; imperfection de leurs Loix, II. 11. & suiv. ne faisoient point la guerre avec des troupes réglées comme à présent, 278. leurs idées sur la guerre, 297. pourquoi leurs Rois ne faisoient pas battre de Monnoie d’or à leur coin, 361. éroient souvent désignés par le nom de Chevelus, Capillati, Crinosi, 409, 410. ce nom n’avoir rien d’odieux dans le VIe, & dans le VIIe. siecles, &c. ibid. & 411. étoient distingués des Romains par les noms qu’ils portoient au Ve. siecle & dans les siecles suivans, 446, 447. n’aimoient point le séjour des Villes, 450. pouvoient s’habituer dans des quartiers différens de ceux de leur Nation, sans cesser d’être de la Nation dont ils sortoient, 464, 465.

Bataves (l’Isle des) possédée par les Francs au Ve. siecle ; quel pays elle comprenoit, I. 157.

Bavarois ou Boïens, à quelles conditions ils se soumettent à Clovis, II. 71, 72. leur Loi ; leur habitation ordinaire, 468. remarque sur un article de leur Loi Nationale, 596.

Baudon, Consul en 385. étoit un Franc, I. 170. sa fille Eudoxia épouse l’Empereur Arcadius, &c. 177

Belisaire, Patrice, subjugue les Vandales, & fait la conquête de l’Afrique, II. 331. soumet la Sicile, 340.

Bénéfices Militaires ; terres distribuées aux Soldats, &c. I. 82. sont regardés comme la premiere origine des Fiefs, 83. les engagemens de ceux qui les possédoient deviennent héréditaires, ibid, réflexion sur ces Bénéfices & sur leurs possesseurs ; 84. ce nom donné à l’Etat que possédoit Clovis à son avenement au trône, 622, 623. ces biens étoient de même nature que les Terres Saliques, II. 548. & suiv.

Berne & autres Villes de Suisse, le droit de Citoyen y est attaché au sang, I. 436.

Bina & Terna, ce qu’on doit entendre par ces mots, I. 106, 124.

Blanc (M. le) Auteur du Traité des Monnoies ; réponse à un passage de son Livre, où il censure Procope, H. 361. & suiv. son sentiment sur les Monnoies de nos premiers Rois, 591.

Blanche (la Reine) dont il est fait mention dans les Oraisons de l’anniversaire de Clovis, est Alboflede sœur de ce Prince, I<i ; 257.

Bonifacius, passe en Afrique où il se révolte, I. 261. embrasse le parti de Placidie, 262. refuse de prêter serment de fidélité à Valentinien, 267. appelle les Vandales en Afrique, 268, à désobéissance, effet d’une trame ourdie par Aëtius, 288. revient à la Cour qui lui confere la Charge de Maître de la Milice en Italie, &c. gagne une bataille contre Aëtius, & meurt d’une blessure reçue dans l’action, 289.

Bonitus, & son fils Silvanus, Francs de Nation, au service de l’Empire, &c. I. 168.

Boulainvilliers (le Comte de) s’est fait une fausse idée de La premiere constitution de la Monarchie Françoise, D. p. 38, 39. critiqué, I. 76, 157, 158. altere la vérité dans l’Histoire du Vase, &c. II. 244 réfuté, II. 474. & suiv. son sentiment dénué de preuves, reçu par quelques-uns ; pour quoi ? 514, 515. voyez 584.

Bourguignons, quel pays ils occupoient au Ve. siecle, I. 144. on les disoit issus des Romains, 145. étoient la plûpart Forgerons & Charpentiers ; lcur Gouvernement politique, 147. prennent les armes pour le service de Jovinus, 227, 228. s’établissent dans les Gaules ; quel pays ils y occupoient alors, 230, 231. ils s’y maintiennent, 232. sont laissés dans les Gaules par Aëtius, &c. 271. sont défaits par les Huns ou Alains, 296, 297. ceux qui restent obtiennent des quartiers dans la Sapaudie, &c. 302, 304. se joignent à Aëtius contre Attila, 382, 383. étendent leurs Quartiers dans les Gaules, 441, 442. unis avec des Romains contre les Visigots, 532, $33. s’emparent de la premiere Lyonnoise. &c. 556. & suiv. en quel sens ils furent soumis aux Visigots, 574, 575. Traité de paix ou de treve entre eux & les Visigots, 589. & suiv. font la guerre contre les Visigots, conquierent sur eux la Province Marsoilloise, &c. II. 2. & suiv. guerre entre eux & les Ostrogots avant l’an 540, 95 & suiv. ligués avec les Francs contre les Visigots ; assiégent Arles ; mauvais succès de cette entreprise, 197, 198. & suiv. soumis par les Francs après La prise de Sigismond ; reprennent les armes, proclament Godemar Roi ; cedent quatre Cités aax Ostrogots, 298, & suiv. sont soumis par les Francs ; capitulation qui leur est accordée par les vainqueurs, 328. & suiv. corps de Bourguignons envoyé par Théodebert au secours des Ostrogots, 352, 353. sanction de leur Loi contre les Meurtriers, 428. subsistent en forme de Nation séparée des Francs jusques sous les Rois de la seconde race, 457. avoient part aux principaux emplois de la Monarchie, &c. 458. remarques sur leur Loi & sur les duels judiciaires qu’elle autorisoit, ibid, & suiv. comment ils s’étoient conduits dans le partage des Terres avec les Romains, &c. 554. & suiv. payoient une redevance pour leurs Terres, 577.

Bracce, piece de l’habillement des anciens Gaulois, I. 5. II. 607, cette sorte de vêtement interdit aux Francs par Charlemagne, 608.

Bretagne (Grande) ses cinq Provinces Civiles n’en faisoient que deux Militaires, I. 68. pourquoi une partie du rivage de cette Isle portoit le nom de Rivage Saxonique dès le IIIe, siecle, 74. & suiv. les Troupes Romaines de cette Isle se révoltent contre Honorius, & elles élisent successivement trois Empereurs, 201, 202, se soustrait à l’obéissance de l’Empire, 208. & suiv. son état vers le milieu du Ve. siecle ; 351. & suiv. on y leve des troupes pour le service de l’Empire, &c. 523, 524. progrès qu’y font les Saxons, II. 470. & suiv.

Bretons Insulaires, confondus mal à-propos avec les Armoriques ; en quel tems ils s’établirent dans les Gaules, II. 470, & suiv. étoient soumis à Clovis ; suivant quelle Loi ils vivoient, 473, 474.

Brions ou Bréons, Auxiliaires d’Aëtius contre. Atila ; quel peuple c’estoit, I. 382, 383.

C

Cachet, mis dans Le chaton d’un anneau, servoit autrefois de Lettre de créance ; raisons de cet usage ; cachet de Childeric, I. 466, 467.

Caligula, trait cruel de cet Empereurs, I. 113.

Camps de César, ce qu’il faut entendre par ces mots, I. 49.

Candidus Isaurus, son Histoire de l’Empereur Leon, Ouvrage perdu, extraits qu’en donne Photius, D. p. 23.

Cange (M. du) corrige mal une Loi de Gondebaud, I. 219, 220.

Canon, Etat ou Cadastre des biens de l’Empire Romain, &c. I. 109.

Capillati, les Barbares établis en Italie étoient ainsi appellés ; ce mot opposé à celui de Provinciales, II. 409, 410.

Capitation, Impôt personnel, comment on l’asséoit sous le bas Empire ; I. 119, & suiv. capite censi, I. 119.

Capitulaire, Rôle particulier des impositions, &c.. I. 128.

Capitulaires des Rois de France, leur autorité supérieure à celle des Loix Nationales, II. 507. cités sur les Bénéfices Militaires à là collation du Rois 549, 550. remarques sur un article d’un Capitulaire dé Charles le Chauve, 578. autre Sanction de ces Loix, inductions qu’on en tire, 596, 597.

Caracalla, communique le droit de Bourgeoisie Romaine à tous lés Sujets de l’Empire ; dans quelles vûés, I. 4, 142. est assassiné par Macrin son Préfet du Prétoire, 42

Cararic, Roi d’une Tribu des Francs, refuse de prendre part à la guerre de Clovis contre Syagrius, II. 15. est livré. avec son fils à Clovis, qui leur fait couper les cheveux ; les oblige à prendre les Ordres Sacrés, & les fait mourir ensuite, 241, 242.

Carausius, Commission dont il avoit été chargé ; sa conduite soupçonnée de trahison, I. 73.

Carthage, prise par les Vandales ; cette perte avance la chûte de l’Empire d’Occident ; I. 306, 307. portrait des Citoyens de cetre Ville par Salvien, 308.

Cassiodore, sa Chronique, D. p. 23, 24. son Histoire tripartite de peu d’usage pour les Annales de France, 26. utilité de ses Epîtres diverses pour l’histoire de la Monarchie Françoise, 28. a été long tems Chancelier des Rois Ostrogots ; avantage que procure son style raisonné dans les Rescripts qu’il a dressés, I, 22. remarques sur deux passages de cet Auteur, 124. correction d’un passage de ses Fastes, 528. est sujer à exagérer, II. 199.

Castinus, est envoyé dans les Gaules pour faire guerre aux Francs, I. 240, 241 : est battu en Espagne par les Vandales ; dégoût qu’il fait donner à Bonifacius, 261. se déclare pour Joannès proclamé Empereur, &c. 262.

Catalauniques (Champs) où Attila fut défait, I. 384. dans quelle partie des Gaules ils étoient, 385, 386. confondus mal-à-propos par Jornandès avec les Champs Mauriciens, ibid.

Catholiques (les) soumis à Gondebaud, ce qui les avoit retenus sous l’obéissance de ce Prince Arien. II. 151. Conférence tenue à Lyon entre eux & les Ariens, 152. & suiv. pourquoi ils n’abandonnerent pas Gondebaud ; quoique frustrés de l’attente où ils étoient de sa conversion, 158.

Cecina, Général de Vitellius, attaque les Helvetiens, &c. I. 25.

Celer ; un des Sénateurs de l’Empire d’Orient, Lettre que lui écrit Avirus, I. 90, 91.

Celtes, pourquoi ils s’exprimoient mal en Latin, I. 10. exemples de leur stle corrompu, 539. & suiv.

Census, ce mot ne peut s’expliquer par celui de Cens, I. 113. désigne quelquefois la taxe par arpent & la Capitation, 114.

Céréalis, appaise une révolte des Cités de Langres & de Treves ; raisons dont il se servit pour les engager à demeurer fideles à l’Empire, I. 4. ce qu’il dit des Germains, 192

Césaire, Evêque d’Arles, calomnié & relégué, &c, son innocence est reconnue, & son calomniateur est puni de mort, II.3. préside au Concile d’Agde, 174. persécution qu’il essuie pendant le siége d’Arles, 200, 201. son innocence est reconnue, 204, 205. sa charité envers les prisonniers de guerre amenés dans Arles par les Gots, 206.

César (Jules) favorise les Gaulois, & accorde de grands priviléges à plusieurs d’entre eux, I. 3. fait construire des bâtimens à la maniere des Saxons, &c. 150.

Champ de Mars, Assemblée générale des Francs, est aboli sous les Successeurs de Clovis, II. 441. Assemblée qui lui est substituée, 442.

Charibert, Roi des Francs, en recevant le ferment des Tourangeaux leur en fait un aussi de son côté, II. 475.

Charlemagne, tâche de faire refleurir les Lettres, D. p. 14. Capitulaire de ce Prince qui défend de chercher des prédictions de l’avenir, &c. II. 184. ordre qu’il établit dans le Gouvernement de l’Aquitaine, 215. en quel état il trouva les Gaules à son avénement, 283. surmonte la répugnance qu’avoient les Empereurs d’Orient à lui donner : les qualités d’Auguste & d’Empereur, 370. fait une nouvelle rédaction de la Loi Salique, &c. 415. tenoit à grand honneur d’être Franc d’origine, &c. il défend aux Francs de porter dés Braccæ, 607, 608.

Charles II. Roi de la Grande-Bretagne, pourquoi il envoya au secours d’Alphonse, Roi de Portugal, les vieilles Bandes Angloises qui avoient servi sous Cromwel, II. 353.

Charles V, Roi de France, auteur de la Loi qui fixe la majorité des Rois à quatorze ans commencés, II. 395.

Charles VI, Roi de France, disposition de son Edit sur ses Successeurs mineurs, II. 395.

Charles-Quint, Empereur, question qu’il fit à un Officier François, réponse qui lui fut faite, I. 199.

Childebert I. un des fils de Clovis, qu fut son partage dans les Etats de son pere, II. 264. & suiv. fait une invasion en Auvergne sur le bruit de la mort de Thierri, 283, 284 ; il évacue cette Province & va en Espagne pour délivrer sa sœur Clotilde des persécutions de son mari Amalaric ; son expédition contre les Visigots, ibid. & suiv, distribue aux Eglises de son Royaume plusieurs pieces d’Orfevrerie gagnées à cette guerre, 285. s’unit avec Clodomire & Clotaire contre Sigismond Roi des Bourguignons, 296. & suiv. sa conduite à l’égard de ses neveux fils de Clodomire, 307. & suiv. partage avec Clotaire les Etats qui avoient appartenu à Clodomire, 310. recommence la guerre contre les Bourguignons de concert avec Clotaire, 311. & suiv. avoit publié une Constitution contre l’Idolatrie ; 480.

Childebert II, son Capitulaire cité & expliqué ; II. 436. actions de bonté qu’en rapporte Gregoire de Tours, 565, 566, 569. comment il punit les complices d’une conspiration contre sa personne, 586, 589, fait mourir sans aucune forme de procès des Seigneurs coupables de Leze-Majesté, 595, 596.

Childeric I. de qui il étoit fils, commencement de son regne ; obligé de s’évader, se réfugie en Turinge, &c. I. 460. 461. expédient de la piece d’or partagée en deux dont il convint avec son confident, &c. ibid, pourquoi il eut recours à cet expédient, 462. l’histoire de sa déposition défendue contre le P. Daniel ; 463. & suiv. son anneau avec une légende Latine, 466, 467. Histoire de son rétablissement elle que la donne Grégoire de Tours, 486. circonstances peu vraisemblables qui y sont ajoutées par les Ecrivains postérieurs, ibid. & suiv, objection contre cette histoire ; réponse, 488. & suiv. combat avec Egidius contre les Visigots ; preuves de ce fait, 504. & suiv. uni avec le Comte Paulus, remporte plusieurs avantages sur les Visigots, 533, ses progrès arrêtés par les Saxons, &c. il prend leurs Isles. 534. & suiv. erreurs où l’on est tombé sur son sujet, 536. & suiv. s’allie avec Audoagrius ; ils attaquent ensemble une Tribu d’Allemands ; remarques sur cette expédition, 604. & suiv. date de sa mort, 606, 607. remarques sur le lieu de sa sépulture & sur la découverte de son tombeau en 1653. 607. & suiv. étendue de ses Etats ; il ne fut pas maître de Paris ; 609. & suiv.

Chillon, Général d’une armée qui faisoit le siége de Nantes ; évenement miraculeux qui lui fait abandonner le Paganisme, II. 62, 63.

Chilperic, un des Rois des Bourguignons, Maître de la Milice, I. 557. ensuite Patrice ; quel étoit son Royaume, 558, 559. pourquoi il est appelé Tetrarque par Sidonius, 563. étoit Catholique quoique ses freres fussent Ariens, 613, 614. conspire avec Gondemar pour détrôner Gondebaud, &c. ibid. sa fin tragique, celle de sa femme & de leurs fils, &c. 615.

Chilperic, Roi des Francs, fait juger par un Concile Prétextat, Evêque de Rouen, coupable du crime de Leze-Majesté, II. 481. se récrioit sur la trop grande puissance des Evêques, 485. fait dresser un nouveau Cadastre pour hausser les taxes ; mauvaises suites de cette entreprise qu’il est obligé d’abandonner, 562 & suiv. il avoit fait bâtir ou réparer des Cirques, 589.

Chopin, allegue mal à propos un passage de Cassiodore pour le Droit de Tiers & Danger, I. 106, 124.

Christianisme, sa morale est favorable à la conservation des Etats, II. 406.

Chundo, Chambellan du Roi Gontran, est condamné à mort par ce Prince pour un cas très-frivole ; procédure observée dans ce procès, II. 461, 595.

Cité, en quoi elle différoit d’une simple Ville, I. 2. sens de ce mot dans cet Ouvrage, ibid.

Cités des Gaules, avoient chacune leur Senat, I. 18, 19. leurs revenus, d’où ils provenoient ; 23, 24. leurs Milices, ibid. & suiv. faisoient quelquefois la guerre l’une contre l’autre, quoique soumises à l’Empire Romain, 27, 28. avoient un Comte ou Gouverneur particulier, 29. leurs Assemblées Religieuses, 29. leurs Assemblées politiques, ibid. & suiv. ont eu quelquefois le choix de leurs Comtes ou Gouverneurs sous les Rois Mérovingiens, II. 526. leurs Sénats subsistent sous ces Princes, &c. de-là provient le Droit de Commune dont plusieurs Villes joüissent de tems immémorial, ibid. & suiv. prenoient les armes l’une contre l’autre sous les Rois Mérovingiens ; 536. & suiv. remarques sur leurs Milices de ce tems-là, 539. & suiv.

Citoyens par la seule habitation, Citoyens par filiation ou par concession, I. 435. & suiv.

Civilis, Batave, fait la guerre aux Partisans de Vitellius, &c, II. 100, 101.

Civitas, sens de ce mot Latin mal traduit quelquefois par celui de Ville, I, 2, 3.

Claudien, expliqué, I. 175.

Claudius (l’Empereur) admet les Gaulois aux grandes Dignités de l’Empire.

Clercs (les) étoient tenus de porter des cheveux courts ; origine & antiquité de leur couronne, II. 603. ne uvoient porter de barbe ; leur habit long (Toga) quelle en étoit la couleur, &c. 604.

Clercs solus (Soluti} leur état & les privilèges dont ils joüissoient, II. 249.

Clergé séculier & régulier des Gaules, également soumis aux Evêques durant le Ve siecle, I. 14. son grand crédit dans ce siecle & dans les suivans, II. 248. & suiv.

Cloderic, fils du Roi Sigebert, a part à la gloire de la journée de Vouglé, II. 190. fait assassiner Sigebert son pere par les menées de Clovis ; il est ensuite massacré par des émissaires du même Clovis, 235, 236.

Clodion, un des Rois des Francs, en quel tems & sur quel pays il regnoit, &c. I. 272. lieu de sa demeure, 275, 276. avoit un pied en-deça du Rhin, &c. réponse à une objection, ibid. & suiv. se rend maître des Cités de Tournai & de Cambrai, 320. & suiv. est battu par Aëtius, &c. 322. & suiv.

Clodomire, un des fils de Clovis, s’unit avec Childebert & Clotaire ses freres contre Sigismond Roi des Bourguignons, II. 296, 297. fait périr ce Prince, sa femme & leurs enfans malgré les remontrances d’un St. Personnage, 301. périt lui-même dans une Bataille contre les Bourguignons, 302, 303. catastrophe de ses enfans, 305. & suiv.

Clotaire, un des fils de Clovis, concourt à l’expédition de Thierry contre les Turingiens, II. 280. & suiv. épouse Radegonde ; fait tuer le frere de cette Reine, &c. 182. se ligue avec Clodomire & Childebert contre Sigismond Roi des Bourguignons, 296. € fuiv. tue de fa propre main deux de fes neveux fils de Clodomire, 307. & suiv. partage avec Childebert les Etats qui avoient appartenu à Clodomire, 310. il recommence la guerre contre les Bourguignons de concert avec Childebert, 311. & suiv. Edit de ce Prince pour maintenir dans son Roïaume la Justice, &c. 487, 488. entreprise de ce Prince, dont il se départ, : _ 598, 599.

Clotilde, Histoire de son mariage avec Clovis, II. 41. & suiv. fait baptiser ses enfans, quoique son mari fût encore Payen, 51. procure l’élevation de trois Prélats, chassés par les Bourguignons, sur le Siége Épiscopal de Tours ; part qu’elle eut à la guerre de Clovis contre Gondebaud, 159, 160. se retire en Touraine après la mort de Clovis, 255. prend part aux affaires malgré sa retraite, 271, 272. excite ses fils à faire la guerre à Sigismond Roi des Bourguignons, &c. 296. prend auprès d’elle les fils de Clodomire, 302. sa conduite dans l’affaire du meurtre de deux de ces Princes par leurs oncles, 307. & suiv. sa piété, sa libéralité envers les Eglises & les Monasteres ; sa mort, 310.

Clotilde, fille de Clovis, mariée à Amalaric Roi des Visigots, essuie une cruelle persécurion ; est délivrée par son frere Childebert, meurt en revenant dans sa Patrie, II. 284, 285.

Cloud (Saint) Clodoaldus, un des fils de Clodomire, est sauvé des mains de ses oncles, embrasse dans la suite l’état Ecclésiastique, &c. II. 309.

Clovis I. parvient au Trône de la Tribu des Francs établie en Tournaisis ; est revêtu d’une dignité Militaire de l’Empire Romain, &c. I. 620. & suiv. constitution & étendue de son Royaume, 631. & suiv. les autres Rois des Francs ne dépendoient pas de lui ; preuves de cette proposition, 634. & suiv. petit nombre de ses Sujets, 644. & suiv. son nom écrit de différentes manieres, 645. conjectures sur les motifs de la guerre qu’il fit à Syagrius, II. 8. & suiv. que cette guerre fut particuliere & non générale contre les Romains ; 15. & suiv, défait Syagrius, 19. oblige les Visigots à remettre entre ses mains Syagrius, se rend maître de ses Etats & le fait décapiter secretement ; 20, 21. fait rendre un vase d’argent pris dans une Eglise ; insolence d’un Franc à cette occasion ; vengeance qu’il en tire l’année suivante, 21. & suiv, transfere le Siége de sa Monarchie à Soissons, 26. donne un Domaine considérable à l’Eglise de Reims, 27. remarques sur les Monnaies d’or qu’on croit qu’il fit frapper à Soissons, ibid. & suiv. subjugue la Turingie Gauloise ou la Cité de Tongres, 29. & suiv, histoire de son mariage avec Clotilde, 41. & suiv. quelles furent probablement les conditions de ce mariage, 50. & suiv. les Cités situées entre la Somme & la Seine se soumettent à son Gouvernement ; époque de cette soumission, 53. & suiv. remarques sur les différentes époques, dont on se servoit pour compter les années de son Regne, 55. & suiv. fait la guerre aux Armoriques, 59 & suiv. bloque Paris, 61. fait assiéger Nantes, 62, 63. appellé au secours de Sigibert contre les Allemands, court risque d’être battu par cette Nation, 65. fait vœu d’embrasser le Christianisme, remporte La victoire sur eux à Tolbiac, 66. traite avec les Boïens ou Bavarois, 71, 72. conquêtes que le gain de la bataille de Tolbiac a dû lui procurer, 72, 73. histoire de son Baptème, ibid. & suiv. se trouve le seul Souverain Orthodoxe du Monde Romain ; ses Successeurs tiennent de cette circonstance le nom de Fils aîné de l’Eglise, 81, 82. une des Chartres de ce Prince, 103, 104. remarques fur cette Chartre, 105. & suiv. se ligue avec Théodoric contre les Bourguignons, articles de cette Alliance ; 132. & suiv. conclut avec Godegisile une ligue offensive contre Gondebaud, attaque ce dernier & le met en fuite, 134. & suiv. assiége Gondebaud dans Avignon, accorde la paix à ce Prince ; à quelles conditions, 136, 137. s’il fit deux fois la guerre aux Bourguignons, 146. & suiv. conjectures sur les motifs qui l’engagerent à faire la paix avec Gondebaud, 156. pourquoi il dissimule l’infraction du Traité d’Avignon, 158. son entrevüe avec Alaric ; fausseté des circonstances qu’on y a joint ensuite, 170. hâte son expédition contre les Visigots, pourquoi, 179. avoit Gondebaud pour allié dans cette guerre, 180. sa marche par la Touraine ; marque de respect qu’il y donne pour la mémoire de Saint Martin ; punit la mauvaise plaisanterie d’un Soldat, 182. envoie des gens de confiance sur le tombeau de ce Saint, dans quel dessein ; heureux présage qu’ils en rapportent, 183, 184. embarras où il se trouve sur le bord de la Vienne, 184, 185, 187. passe cette riviere à un gué indiqué par une biche ; lumiere miraculeuse qu’il apperçoit sur l’Eglise de S. Hilaire ; remarques sur cette colonne de feu, 187. & suiv. défait les Visigots dans la campagne de Vouglé, tue leur Roi Alaric, 189, 190. court un grand danger, ibid. envoie son fils Thierry conquérir l’Albigeois, la Rouergue & l’Auvergne, 194. assiépe Carcassone dont il est obligé de lever le siége ; se rend maître de la partie des Gaules qui est entre le Rhône & l’Océan, 194, 195, 197. passe l’hyver à Bordeaux ; s’empare d’Angoulème ; importance de cette conquête, 198. met le siége devant Arles ; particularités de ce siége qu’il est obligé de lever avec perte, ibid, & suiv. fait la paix avec Théodoric & avec Amalaric ; date de ce Traité ; il garde ce qu’il avoit conquis sur les Visigots, 210, 211. sa Lettre aux Evêques des Gaules, 212. & suiv. remarques sur cette Lettre & sur la conduite de ce Prince à l’égard des deux Aquitaines & de la Novempopulanie, 214, 216. va à Tours & y fait ses offrandes au Tombeau de S. Martin, 216. partigulariré concernant les présents qu’il y fait ; bon mot de ce Prince, 218, 219. est fait Consul ; importance de cette Digniré dans les circonstances où il se trouvoit ; 220, 221. pourquoi son nom ne se trouve pas dans les Fastes Consulaires, ibid, & 222. réfutation de ceux qui le font Patrice & non Consul, 222, 223. remarques sur sa statue qui se voir au grand portail de Saint Germain des Prez, ibid, & suiv. motifs qui l’engagerent à accepter le Consulat, 226. qu’il a dû contracter à ce sujet des engagemens avec l’Empereur Anastase, 227. & suiv. place le Siége de sa Royauté à Paris, 232. réflexions sur les motifs qui le porterent à se défaire des Rois des autres Tribus des Francs, 133. & suiv. son procédé envers Sigebert & Cloderic, 235, 236. engage les Francs Ripuaires à le proclamer Roi de leur Tribu, ibid. && 237. assiége Verdun & le prend par capitulation, 238. & suiv. fonde l’Abbaye de Mici, 240. fait tondre Cararic & son fils, les fait ensuite mourir, & oblige leurs Sujets à le reconnoître pour Souverain, 241, 242. gagne les Sujets de Ragnacaire, leur distribue des brasselets de cuivre doré ; pour des brasselets d’or, &c. tue ce Prince & un de ses freres de sa propre main, &c. ibid. & 243. dans quelle intention il feint de déplorer la perte de ses parents, 244. procure l’Assemblée d’un Concile National à Orleans, ibid. & suiv. laissoit vivre les Romains des Gaules suivant le Droit Romain ; 246 & suiv. sa reconnoissance envers les Ecclésiastiques, 249, 250. est le premier Prince Chrétien qui ait exempté les biens des Eglises de la prescription de 30. ans, 253. sa vénération pour les Evêques & pour les Ecclésiastiques utile à ses intérêts, 253, 254. sa mort, lieu de sa sépulture ; remarques sur son Anniversaire qu’on fait dans l’Eglise de Sainte Genevieve, 255. & suiv. sa conversion au Christianisme fut la principale cause de ses progrès, 258. & suiv. ses quatre fils lui succèdent & partagent ses Etats d’une façon singuliere, 261. & suiv. son envie d’être le seul maître des Gaules ; & sa jalousie contre ses plus proches transmises à ses fils & à leurs descendans, 282, 283. en quoi consistoit sa Royauté & celle de ses successeurs, 387. & suiv, remarques sur la puissance consulaire dont il avoit été revêtu, 392, 393. s’il enchaîna les Romains des Gaules, 475. & suiv.

Cochiliac, Roi des Danois, fait une descente sur les côtes des Gaules, saccage un Canton du Royaume de Thierri ; est défait & tué, II. 273, 274.

Codes, quels étoient ceux que les Romains des Gaules suivoient sous les Rois Mérovingiens, II. 492, 493. inconvénients qui résultoient de leur multiplicité, 493. & suiv. ressources qu’on avoit alors contre ces inconvénients, 495. & suiv. nos Rois ne pouvoient empêcher toutes ses prévarications qui se commettoient à l’abri de cette diversité de Codes, 501. parallele de cet usage avec un abus à peu près pareil qui a regné long-temps en France, ibid. & 502.

Cohortes auxiliaires, de qui elles étaient composées, I. 50. suivoient l’impulsion des Légions avec qui elles campoient, 52.

Cointe (le Pere le} critique de son sentiment sur un récit de Procope, II. 148.

Colléges des Métiers, Collegia Opifisium, troisiéme Ordre de Citoyens, de qui ils étoient composés ; droits & priviléges dont ils joüissoient, I. 23.

Commines, bon sens de cet Historien ; ce qu’en disoit le Chancelier de l’Hôpital, D. p.34.

Commode, Empereur ; partage entre trois personnes l’Emploi de Préfet du Prétoire ; I. 44, 45.

Commune (Droit de) possédé de tems immémorial par plusieurs villes ; accordé par les Successeurs de Hugnes Cape à plusieurs autres ; dans quelle vüe, &c. II. 527, 528. & suiv.

Communion d’armes, lien qui unit des treize Cantons Suisses, unissoit autrefois les différences Tribus des Francs, I. 261.

Comtes, Officiers Civils des Cités des Gaules, leurs fonctions, Comtes avec le pouvoir Proconsulaire, I. 64. Comte Militaire du district d’Argentine ou de Strasbourg, 66, 67. Comtes Militaires, formule des provisions de l’expectative d’un de ces Emplois, 77. leurs fonctions sous la domination des Rois Mérovingiens, II. 524. & suiv. leur choix laissé quelquefois au Peuple de la Cité qu’ils devoient gouverner, 526. leurs Comissions à tems deviennent des dignités héréditaires, &c. jusqu’à quel point ils poussent leur usurpation, 527, 528, 605, 608. ils étoient chargés du recouvrement du Tribut public sous les Rois Mérovingiens, 366, 567.

Concile d’Agde tenu en 506. II. 172, défend de chercher aucun augure de l’avenir, 184

Concile de Clermont en 535. un de ses Canons, II. 438, 439.

Concile d’Orléans, prohibe de recourir à aucune sorte de divination, II. 184. en quelle année il fut tenu ; Lettre des Evêques de cette Assemblée à Clovis, 144. remarques sur quelques Canons de ce Concile, 246. & suiv.

Concile (cinquième) de Tolede, un de ces Canons sur la Royauté des Visigots, II. 448.

Cenfédèrés ou Alliés, Fœderati, Barbares à la solde du Bas-Empire, I. 87. & suiv. que rien n’a plus contribaé à la ruine de l’Empire que l’emploi de ces Troupes, 89, 90. conjectures sur les motifs qui engagerenr Constantin & ses successeurs à se servir de terre Milice Barbare, ibid, leurs capitulations avec l’Empire & leur solde, 91. & suiv. leur grand nombre dans les Gaules ; leur Commandant subordonné aux Généraux de l’Empereur, 93. de quelles Nations étoient ceux des Gaules ; quels étoient ceux qu’on nommoit Leres, 94. & suiv. parvenoient aux Dignités de l’Empire ; si leurs enfants nés dans son territoire étoient réputés Romains ou Barbares, 97. leur état & leurs entreprises sous le Regne d’Honorius & de ses Successeurs, 98, 99. prennent le nom d’Hôtes de l’Empire (Hospites) ibid. un de ces Corps demande le tiers des terres d’Italie ; refus d’Orestès ; ils le massacrent & renversent l’Empire d’Occident, 582, 583. pourquoi ils demandoient des terres en Italie, 584.

Constance, Empereur, contenoit les Officiers Militaires dans les bornes de leurs Emplois, I. 61, 62.

Censtance, Général de l’armée d’Honorius dans les Gaules, qui il étoit, parvient à la Dignité de Patrice, I. 225. attaque la Ville d’Arles, dont il venoit de faire lever le siége à Geronce, &c. 217. prend cette Ville à composition, &c. 228. voyez 232. inquiete les Visigots, &c. ce que sa bonne conduite faisoit dire à ses concitoyens, 235. détermine les Visigots à quiter les Gaules & à passer en Espagne, 236. fait rendre Placidie à Honorius ; intérêt qu’il prenoit à cette Princesse, ibid, & 237. tire les Visigots d’Espagne & leur accorde derechef des quartiers dans les Gaules ; ses vies, 256. & suiv. épouse Placidie, est associé à l’Empire ; sa mort, 260.

Constans, proclamé César par son pere le Tyran Constantin, est envoyé pour soumettre l’Espagne, I. 205. ce qu’il fit dans cette Province, 208. & suiv. voyez 211, 225, 227.

Constantin le Grand, multiplie les Préfets du Prétoire, & les dépouille d’une partie de leurs fonctions, I. 56, 57. change la position des Troupes, 58. casse les Cohortes Prétoriennes, 59. institue une nouvelle Milice pour sa garde. 79. réflexion sur les chamgements que Constantin & ses successeurs firent à l’ancienne forme de l’Empire Romain, 86, 87. expédient pratiqué par ce Prince pour la levée de la Capitation, 122, 123. avoit fair un partage réel de l’Empire entre ses fils, 426.

Constantin, homme de fortune, est élu Empereur par les Troupes Romaines de la Grande-Bretagne ; son nom fut un des motifs de son Election, I. 202. passe dans les Gaules, où il est reconnu par la plupart des Cités, & par plusieurs Cités d’Espagne, ibid, travaille à la délivrance des Gaules, &c. ibid. est battu & réduit à s’enfermer dans Valence, où il est assiégé ; deux de ses Généraux le délivrent, 203. proclame César son fils Constans & l’envoie soumettre l’Espagne, 205. traite avec Honorius qui l’associe à l’Empire, ibid, succès de son armée en Espagne ; il descend en Italie pour attaquer les Visigots, & revient dans les Gaules sans avoir fait aucun exploit ; soupçons, que cette conduite fait naître, 208. alarmes que Gerontius lui suscite par sa révolte, 209 & suiv. est assiégé dans Arles par Geronce, 225. & ensuite par Constance qui avoit chassé Geronce, 227. sa fin tragique, &c. 228.

Constantin Porphyrogenete, réflexions sur une Loi de cet Empereur, I. 176, 177.

Constantinople, appellée Ville absolument, comme Rome, joüit des mêmes droits & acquiert ensuite une espece de supériorité sur Rome, I. 438.

Convive du Roi, remarques sur l’usage de cette expression, II. 506.

Cotte-part d’une tête de Citoyen, I. 112, ce que c’étoit, 122 & suiv. la remise de cette Cotte-part que l’Empereur faisoit à quelqu’un, n’étoit point rejetée sur les autres contribuables, &c. II. 573.

Cottisation de l’arpent, ou taxe par arpent, (Jugaratio) comment elle s’asseoit, &c. I. 112 & suiv. en quoi elle consistoit, 116. étoir quelquefois augmentée subitement, 117, 118.

Couronne Ecclésiastique, ce qui peut y avoir donné lieu ; a été en usage dès le VIe siecle, II. 603.

Couronnes patrimaniales, ce que c’est, étoient communes autrefois, II. 407. Couronne de l’Empire Romain, on ne sauroit définir de quel genre elle étoit, ibid, & 408.

Crinosi, les Barbares établis dans les Gaules éraient désignés par ce mot, II. 409.

Curiales, qui ils étoient ; en quoi ils différoient des Possesseurs, I. 19. leur condition facheuse au Ve siecle ; Loi de l’Empereur Majorien sur leur sujet, 20, 130. plusieurs de ces Curiales se faisoient inscrire sur le rôle des simples Possesseurs ; exemple d’une de ces translations, 21, 22.

D.

Dagobert I. encore jeune, fait battre à coups de fouet Sandregesilus & lui fait couper la barbe, &c. II. 491. présent qu’il fait à l’Eglise de Saint Denys, 561, 583. cede à l’Eglise de Saint Martin le Tribut de la Cité de Tours, 567, 569.

Damasquineure, cet Art étoit en grande vogue au Ve siecle, I. 64.

Daniel (le Pere) s’épargne bien des discussions pénibles en attribuant à Clovis les fondemens de la Monarchie Françoise, D. p. 37. son sentiment sur la date d’une bataille où Clodion fut battu, réfuté, I. 323 & suiv. Voyez 464 & suiv. rejette l’Histoire de la déposition de Childeric, &c. Réponse à ses raisons, 463 & suiv. un de ses passages sur les loix de l’Histoire tourné contre lui-même, 473. réfutation de son sentiment sur les Arboriques. II. 112 & suiv.

Débiteur insolvable, devenoit l’esclave de ses Créanciers, I. 120.

Décumanes, Terres Décumanes, (Agri Decumani) I. 105. condition chetive des possesseurs de ces fonds au Vie siecle, 110.

Décurions, Magistrats Municipaux, d’où on les tiroit, & quelles étoient leurs fonctions, I. 19, 20, 128. étoient traités durement & traitoient de même leurs Concitoyens, 130, 131. une de leurs tyrannies réprimée par un Edit de Majorien, ibid, ibid. & 132.

Deuteria assiégée dans Cabrieres par Theodebert, rend la place, devient la Maîtresse & ensuite l’Epouse de ce Prince, &c. II. 313. elle est répudiées. pourquoi, ibid. & 517.

Dinisius, Evêque, chassé de son Siége par les Bourguignons, est élu Evêque de Tours par le crédit de Clotilde, II. 159.

Dispargum, Château où demeuroit Clodion, quel est ce lieu, I. 275 & suiv.

Domitien, pourquoi il défend de faire camper ensemble plusieurs Légions dans le camp d’hyver ; I. 49. donne un Edit contre l’accroissement des Vignes, &c. 191.

Domnolus, pourquoi il refuse d’accepter sa vocation l’Episcopat d’Avignon, II. 504.

Dons gratuits qui se faisoient aux Empereurs, I. 139, étoient en usage sous les Rois des deux premieres races ; les Religieuses mêmes leur faisoient de tems en tems des présens, II. 586, 587.

Droits de Douane & de Péage, qui subsistoient sous les Mérovingiens & sous les Carliens :, en quoi ils consistoient ; par qui & comment ils avoient été établis, II. 581 & suiv. les Francs n’étoient pas exempts de payer ces Droits, 584, 585. Voyez sur ces Droits, I. 136 & suiv.

Drusus Nero, prévient une révolte des Gaules, I. 29.

Ducs, (Duces) Commandans dans un district, I, 57, 66, 67. Duc ou Général du Commandement Armorique, 68 & suiv. Ducs & Comtes Francs exerçoient le pouvoir Civil & le pouvoir Militaire, II. 449. Officiers de ce nom, différens de ceux du bas Empire, établis par les Rois Mérovingiens, 525, 526. leurs usurpations sous les derniers Rois de la seconde Race & sous Hugues Capet, 527, 528, 605, 608.

Duels judiciaires, leur usage établi entre les Bourguignons par la Loi Gombette, II. 458 ; 459. remarques sur cette Jurisprudence sanguinaire, 460. Histoire d’un de ces Duels ordonné par le Roi Gontran, 461. en quel tems cet usage fut adopté par les. Francs, ibid. & 462.

E

Ecclesiastiques. Voyez Clercs, Clergé, Evêques.

Écdicius, fils de l’Empereur Avitus, défenseur de l’Auvergne, extrait d’une lettre qui lui est écrite par son beau-frere Sidonius, I. 565, 566. dispute le terrain aux Visigots en Auvergne ; reçoit ordre de quitter les Gaules, &c. 576. est fait Patrice par Nepos, 577.

Edobeccus, Franc de Nation, contribue à dégager son Empereur assiégé, &c. I. 203. est envoyé an-delà du Rhin pour y lever des troupes, 211, 225. veut faire lever le Siége d’Arles ; il est battu par Constance, 227.

Edouard III. Roi d’Angleterre, prétend succéder à la Couronne de France ; moyens sur lesquels il fondoit sa prétention, II. 402, 403. sa lettre au Pape sur ce différend, 404.

Egidius Afranius, assiege Chinon Forteresse des Armoriques, I. 350 & suiv. est fait Maître de la Milice dans les Gaules ; qui il étoit, 444 & suiv. choisi par la Tribu des Francs sujets de Childeric, pour les gouverner pendant l’exil de ce Prince ; conjectures sur les motifs de ce choix, 461 & suiv. ce point d’Histoire rejetté par le P. Daniel ; réponse aux raisons qu’il allegue, 463 & suiv. s’il prit le titre de Roi, 468 & suiv. irrité du meurtre de Majorien, il veut venger sa mort, 480. Ricimer lui oppose les Visigots, 482. refuse de reconnoître Severus, 483, 484. s’accommode avec Childeric, 485, 486. se renferme dans Arles qu’il défend contre Les Visigots, 494 & suiv. bat Les Visigots, 503. tâche de se liguer avec les Vandales d’Afrique ; motifs de cette ligue, 507, 508. ses députés se rendent à Carthage par l’Océan, pourquoi, ibid, meurt, incertitude du genre de sa mort, 509.

Eglises (les) payoient Le Tribut public pour les biens qu’elles possédoient, à moins qu’elles n’eussent une exemption spéciale accordée par le Prince, II. 567 & suiv. 572, 577.

Egypte, revenu qu’elle produisoit aux Romains, & avant eux aux Ptolomées, I. 140.

Elagabale ou Héliogabale s’arroge, avant le Decret du Senat, les titres qu’il ne devoit prendre qu’en vertu de ce Decret, I. 38.

Emile (Paul) ne rétabli point le commencement des Annales de le Monarchie Françoise ; son Histoire est favorisée des Gens de Lettres, D. p. 31.

Empereur, le sens de ce mot est plus étendu que celui d’Imperator dont il dérive, I. 36. Empereurs Romains, Empire Romain, Voyez Rome, Romain. Remarques sur l’Empire moderne & sur les Empereurs d’Allemagne, 371, 372.

Ennodius, Evêque de Pavie, ses Œuvres utiles pour l’Histoire du Ve siecle ; D. p. 28.

Eocarix, Roi des Alains entreprend une expédition contre les Armoriques ; est arrêté par S. Germain Evêque d’Auxerre, I. 313 & suiv.

Epiphane (Saint) Evêque de Pavie, négocie à Toulouse, au nom de Julius Nepos, avec les Visigots, &c. I. 568. & suiv. est envoyé par Theodoric à Gondebaud pour traiter du rachat des prisonniers, &c. I. 96, 97.

Epoque, leur variété dans l’Histoire de France, d’où elle provenoit ; difficulté de les concilier, II. 7. Epoque de la mort de Saint. Martin qui souvent a servi dans l’Histoire de France, 118 & suiv.

Eptadius, Prêtre de l’Eglise d’Autun, réduit à s’exiler des Etats de Gondebaud, est élu. Evêque d’Auxerre, II. 160.

Ere d’Auguste ou d’Espagne ; quand elle commençoit, I. 206.

Erules au service de l’Empire Romain en qualité de Confédérés, I. 89.

Esclaves, étoient de deux conditions différentes dans les Gaules, I. 12, 13. leur nombre plus grand que celui des Citoyens dans tout l’Empire Romain & même en France jusques sous les premiers Rois de la troisiéme Race, ibid. & 14, 121. les Débiteurs insolvables & les Mandians valides devenoient Esclaves, 110. Esclaves atfranchis étoient réputés de la même Nation que les Maîtres qui les affranchissoient, II. 379 & suiv. leur servitude de différens genres ; leur grand nombre au tems ou les Francs s’établirent dans les Gaules, 417, 418. depuis quel rems il n’y en a plus en France, 410. ceux des Nations Germaniques étoient capables du maniement des armes, 427, 422, ne pouvoient porter de longs cheveux jusqu’au XIIe siecle, 606.

Etat, fondation d’un nouvel Etat plus aisée que la restauration d’un ancien tombé en désordre, I. 479.

Etrangers, les Etrangers qui n’étoient pas sujets de l’Empire Romain, n’étoient pas reçus dans les Troupes avant Constantin, I. 51.

Eudoxia, fille d’un Franc, femme d’Arcadius, & mere de Théodose le jeune, I. 177.

Eudoxie, Veuve de Valentinien III. est obligée d’épouser Maximus, I. 411. attire les Vandales en Italie, 416. est emmenée en Afrique par Genseric leur Roi, 417

Evêques des Gaules durant le Ve & le Vie siecles, tenoient un grand rang dans leur Patrie ; droits attachés à leur dignité, I. 14, 15. leur mérite personnel ; leur courage, ibid. étoient alors élus par leurs ouailles, ibid. premiers Citoyens de leur Diocese ; leur droit reconnu par Grotius, 221, 222. leurs devoirs en cette qualité, &c. ibid, ce qu’ils firent en faveur de Clovis, contre les Visigots & les Bourguignons ; justifiés du crime de rébellion, 629, 630, Voyez II. 173, 174. étendue de leur Juridiction jusqu’à Erançois I. qui la restraint, II. 249. Leur autorité sur tout le Clergé séculier & régulier, 250. Evêques Francs au Ve siecle, 444, 445. Evêques jugés par des Conciles pour crime de Leze-Majesté, 481. combien ils étoient accrédités dans les Gaules sous les Rois Mérovingiens, 483 & suiv. leurs richesses & leur pouvoir conservent la Monarchie dans des tems dangereux, 485, 486. celui de Tours nommoit les Comtes de cette Cité ; 567.

Eufrasius, Evêque d’Auvergne, accueillit Quintianus & lui assigne de quoi subsister ; II. 175. sa mort, 177.

Eugene, est mis sur le Trône Imperial par Arbogaste, &c. I. 165, 170 & suiv.

Euric fait tuer son frere Théodoric II. & se fait proclamer Roi des Visogots ; il envoie des Ambassadeurs à l’Empereur d’Orient, &c. I. 515. se saisit de Pampelune, de Saragosse, &c. prétexte de cette invasion, 517. les prétentions, ses projets, 519 & suiv. fait la guerre aux Romains & conquiert plusieurs Provinces, 529 & suiv. profite des confusions de l’Empire d’Occident ; ses progrès en Espagne & dans les Gaules, 554 & suiv. sa négociation avec l’Evêque Epiphane envoyé de l’Empereur Julius Nepos, 568 & suiv. preuves qu’il savoit le Latin, 571, 572. les Gaules lui sont cédées par Nepos ; si c’étoit en toute Souveraineté, 573 & suiv. fait rédiger le Code ou Loi des Visigots, 573, 575. se rend maître de la Cité d’Auvergne, 576 & suiv. laisse Marseille en possession de son état après s’en être rendu Maître, 578. sa situation, lors du renversement de l’Empire d’Occident, l’empêche de faire des nouvelles conquêtes dans les Gaules ; 588. persécute les Catholiques, 616 & suiv. son zele pour l’Arianisme, 618. sa mort, 619.

Euspicius, Prêtre de Verdun, Médiateur de cette Ville auprès de Clovis, refuse l’Episcopat ; est fait premier Abbé de Micy, II. 240.

Eustrapius, Romain, qui après avoir été Duc ou Général, s’étoit fait d’Eglise ; ce qu’en rapporte Gregoire de Tours, II. 468, 469.

Eutrope, fait Consul, conserve le pouvoir Consulaire après être sorti de Charge, II. 392.

Exsuperantius, s’entremet pour ramener les Armoriques à l’obéissance d’Honorius ; quel fut le succès de sa négociation, I. 237 & suiv. est massacré par les Soldats mutinés, 265.

F

Fastes Consulaires, moyen de concilier leurs dates avec celles des Tables du Capitole, I. 207. Autres Fastes Consulaires qui ne se trouvent plus, 276.

Faustine, Impératrices qui ont porté ce nom, I. 132. Faustines, pieces d’or ainsi nommées, ibid.

Feux, (Diminution de) ce qu’on entendoit par là, I. 123.

Fiefs Impériaux, droit du Pape de les conférer pendant la vacance de l’Empire ; d’où vient ce droit, I. 221, 222.

Finances (les) font dans un Etat ce qu’est le sang dans le corps humain, I. 101. leur source principale, 108.

Firmina, nom d’une famille illustre d’Auvergne, avant que cette Cité füt Soumise aux Francs ; remarques sur quelques personnes de cette famille, II. 543.

Flibustiers, à quoi on doit attribuer le succès de leurs entreprises au dernier siecle, I. 153.

Flodoard, explication d’un passage de cet Auteur concilié avec Hincmar, II. 17. son erreur sur le jour auquel Clovis fur baptisé ; d’où elle peut provenir, 76 & suiv.

Florentius, Préfet du Prétoire des Gaules, son autorité indépendante de celle de Julien, I. 61. Voyez 137.

Fœderati, ce mot pris, sous le Bas-Empire, dans une acception bien différente de celle qu’il avoit eue sous le Haut-Empire, I. 87 & suiv.

Forcadel, le Vatillas du seiziéme siecle, I. 366.

Formules d’Actes Judiciaires en usage sous les Rois Mérovingiens, compilées par Marculphe, II. 488 & suiv. autres recueillies par les Savans du dernier siecle, 490.

Fortunatus, (Venantius-Honorius-Clementianus) Poëte, Evêque de Poitiers, écrit une Vie de Saint Hilaire, D. p. 22. est Auteur de deux Hymnes qu’on chante encore ; jugement sur ses Poësies, 28. écrit la Vie de Saint Aubin Evêque d’Angers, &c. 311.

France, les Rois & les Grands de France ont pensé long-rems comme les Empereurs Romains, sur la jonction des fonctions de la Magistrature avec la Souveraineté ; exemple qu’on en rapporte, I. 44. le nombre présent de ses Citoyens comparé au nombre des Citoyens qu’elle contenoit au Ve siècle, 121. origine des Fleurs-de-Lys qui sont dans l’Ecu de ses armes, 608. embarras dans son Histoire par la différente maniere de compter les années du regne d’un même Prince, II. 57. d’où les Rois tiennent leur nom de Fils aîné de l’Eglise, 82. serment de ses Rois de La premiere & de la seconde Race à leur avenement à la Couronne, 382, 383, 475. ses premiers Rois étoient zélés pour la propagation de la Foi & les interêts de l’Eglise, 480 & suiv.

France Germanigue, où France ancienne, ce qu’on entend par là, I. 156. remarques sur l’état de ce Pays, II. 546.

François I. Roi de France, abolit tous les droits d’azyle, II. 247. restraint la Jurisdiction. des Tribunaux Ecclésiastiques, 249.

François, Langue Françoise, remarques sur son origine ; pourquoi elle n’est pas la Langue vulgaire de quelques Pays, où il semble qu’elle le devroit être, II. 454, 455.

Françoise ; Monarchie Françoise, fausse idée qu’on se fait de la maniere dont elle a été établie dans les Gaules, D. p. 1. vraie idée de cet établissement ; 2 & suiv. d’où provient l’erreur commune sur ce sujet, 10 & suiv. l’Histoire de ce commencement est difficile à présent ; preuves ; 17 & suiv. cette même Histoire étoit comme impossible avanit l’invention de l’Imprimerie & long-tems après ; pourquoi, 29 & suiv. 33 & suiv. ses premiers tems éclaircis par Les travaux de plusieurs Savans, 36. pourquoi ses nouveaux Historiens ont suivi l’erreur commune, ibid, 37. cette premiere erreur source de plûsieurs autres, 38, 39. est partagée entre les fils de Clovis d’une façon singuliere, dans quelles vues, II. 262 & suiv. remarques sur quelques articles de son Droit public dans ses commencemens, 170. quelles étoient ses bornes du côté du Territoire des Visigots au VIe siecle, 272, 273. origine de sa divisibilité sous La premiere & sous la seconde Races, 316. droit particulier qu’elle a sur les contrées de sa dépendance, 370, 371. comment la Loi de succession y a été établie, 390 & suiv. son ancien usage quand les successeurs étoient mineurs, 393, 394. les filles exclues de la succession dès l’origine de la Monarchie, avec leurs descendans mâles, 397 & suiv. on n’y reconnoissoit de Jurisdiction que celle du Roi & de ses Officiers au commencement du VIlle siecle, 421. sa premiere conformation étoit très-vicieuse, 493 & suiv.

Francs, quel Pays ils habitoient au Ve siecle, I. 155, 156. possédoient l’Isle des Bataves ; ibid. & 157. étoient gouvernés par un Roi ou Chef suprême pour chaque Tribu, ibid. & suiv. Le nombre de leurs Tribus incertain, 159, 160. leurs Tribus étoient confédérées ; nature de cette alliance, en quel tems elle se forma, ibid. & 161. leur Religion, ibid, expédition surprenante d’un Essain de Francs, 162. autre expédition des Francs, 164. font alliance avec les Romains ; ancienneté de cette alliance ; quelles en étaient des conditions ; conjectures sur ce sujet, 165. sont engagés à cultiver leurs propres terres, &c. reçoivent des subsides, &c. ibid, & suiv. corps de leurs troupes à la solde des Romains ; sont avancés aux dignités de l’Empire, 167, 168. leur grande relation avec des Romains, deux siecles avant Clovis, prouvée par plusieurs évenemens, ibid, & suiv. peuplades de Francs transportées dans le territoire de l’Empire, 273, 174. une de leurs Colonies sur des bords de l’Alve, ibid, & suiv. étoient la Nation La plus civilisée qui fût parmi les Barbares dans le IVe & le Ve siecles, 177, 178. leur Nation entiere n’a point eu de guerre générale contre l’Empire, &c. ibid, & 179. tiennent le parti des Romains lors de l’irruption des Vandales, 195 & suiv. servent Jovinus, 217. 128. commettent des hostilités dans la Cité de Treves, &c. 231. s’établissent alors dans un coin des Gaules, 232. sont défaits par Aëtius ; comment ils étoient traités par ce Général, 275 & suiv. leurs premieres Colonies en deçà du Rhin dans la Cité de Tongres, 275 & suiv. s’emparent des Cités de Tournai & de Cambrai, 320 & suiv. Prince Franc qui a recours à Aëtius ; qui il étoit ; que ce ne pouvoit être Merovée, 359, 360. Francs Mattiaci, ibid. Francs qui joignirent Aëtius contre Attila, de quelle Tribu ils étoient, 382. bravoure d’un de leurs corps aux Champs Catalauniques,. 387. Francs, sujets de Childeric, chassent ce Prince, choisissent [@]idius pour les gouverner ; motifs de ce choix, 460 ; 461. unis aux Romains contre les Visigots ; &c. 532, 533. prennent les Isles des Saxons, &c. 534 & suiv. leurs Chefs, sous les Rois, s’appelloient Vieillards, (Seniores) 594. leurs symboles ; celui de la Tribu sur laquelle Childeric regnoit, 608. ceux de Tournaisis ; en quelle considération ils étoient auprès des autres Francs, 633. indépendance de leurs Rois & de leurs Tribus les unes des autres prouvée, 634 & suiv. étoient distingués des Romains par leurs longs cheveux, II. 242. toutes leurs Tribus choisissoient leurs Rois dans la même Maison, 144. ne pouvoient être admis la Clericature sans la permission du Roi, 248, 249. Comment ils furent répartis entre les enfans de Clovis, 261, 263. leur expédition contre les Turingiens, 280 & suiv. recouvrent ce que les Visigots avoient repris sur eux après la mort de Clovis, 286, 187. font une expédition dans l’Espagne Tarragonnoise, où ils sont maltraités, ibid, & 288. soumettent les Bourguignons, qui secouent ensuite le joug, 298. gagnent la bataille de Veseronce, &c. 302. remarque sur la chevelure de leurs Princes, 303, 309. recommencent la guerre contre les Bourguinons, 312 & suiv. une des Loix de leur Droit public, 315. leurs entreprises sur les Visigots, 322, 323. achevent la conquête du Royaume des Bourguignons ; 328 & suiv. premiere Alliance de leurs Princes avec l’Empereur l’Empereur Justinien, 540 & suiv. se détachent de cette Alliance moyennant la cession que leur font les Ostrogots, &c. 348 & suiv. leur nouveau Traité avec Justinien qui ratifie cette cession, 355 & suiv. célebrent dans Arles des Jeux à 1a Troyenne, 359, 360. en quel tems leurs Rois commencerent à faire fabriquer des especes d’or á leur coin, 360, 361. deviennent possesseurs de Marseiile ; leur caractere dépeint par Agathias, 364, 365 étoient désignés par le nom de Barbares, & ils s’en faisoient honneur, 411. ils étoient tous Laïques, &c. 422. ceux qui étoient libres ne composoient qu’un seul & même ordre de Citoyens, 423 & suiv. 428 & suiv. leurs Rois exerçoient par eux-mêmes le pouvoir Civil ; ceux de la premiere Race jugeoient leurs Sujets arbitrairement, &c, 436, 437. leurs Sénieurs, (Seniores) Árchi-Sénieurs, Sagibarones, 437 & suiv. leurs Juges durant la paix étoient leurs Capitaines durant la guerre, 440. leurs Assemblées, 441 & suiv. il y en avoit qui exerçoient d’autres professions que celle des armes, 444, 445 & suiv. plusieurs entrent dans l’état Ecclésiastique ; Evêques Francs au VIe siecle, ibid. & suiv. étoient réputés avoir quitté leur Nation en embrassant cet état, 448, 449. demeuroient dans les Villes à la diffërence des autres Barbares, & ils y exerçoient les Emplois Municipaux, 430, 431. pourquoi le Latin devint leur langue ordinaire dans les Gaules, 451 & suiv. s’ils ont réduit les Romains des Gaules dans une espece d’esclavage, 474 & suiv. affectoienr de publier qu’ils avoient la même origine que les Romains & les Gaulois, 477 & suiv. ne dépouillerent point l’ancien Habitant des Gaules d’une portion de ses Terres, &c. 545 & suiv. 551 & suiv. ils n’étoient point exempts du subside ordinaire, &c. 572 & suiv. 577 & suiv. ni des droits de Douane & de Péage, 584, 585.

Francus, ce mot a signifié souvent un Homme de condition libre, II. 436, 437.

Fredegaire, Abbréviateur de Grégoire de Tours, son peu de capacité, D. p. 13. son erreur, sur la maniere dont la Monarchie Françoise s’est établie dans les Gaules, devient générale, ibid. & 14. est Auteur d’une Chronique utile, 20, 21. jugement sur les Additions qu’il a joint à son Abbregé de Gregoire de Tours, ibid. 487, 488. son inattention & son incapacité cn abbrégeant Grégoire de Tours, 544 & suiv.

Fredegonde, trait barbare de cette Reine, I. 633. occasion où elle trahit les Francs par haine pour leur Général, II. 470. détourne son mari Chilperic d’une entreprise injuste qu’il avoit formée, 563, 564.

Fréderic-Guillaume, Electeur de Brandebourg, portrait qu’il fit des Vandales établis dans ses Etats, I. 182, 183.

Fréderic, Prince Visigot, conspire contre Thorismond, &c. I. 402. s’attire la confiance des Romains, 403. commande une armée de Visigots contre Egídius ; est tué dans une bataille, 502, 503.

Frigeridus, (Renatus Profuturus) Historien du cinquiéme siecle, son Ouvrage perdu ; extraits que Grégoire de Tours en a faits, D. p. 23. examen d’un passage de cet Auteur, I. 196. remarques sur un autre passage du même, 231.

Frisons, (les) étoient partagés en Nobles & non Nobles ; Sanctions de leur Loi, II. 426, 427.

G

Gabelles, les Empereurs Romains jouïssoient de ce droit, I. 135, 136.

Gaguin, (Robert) pourquoi il n’a pu rétablir le commencement des Annales de la Monarchie Françoise, D. p. 31.

Galba, Empereur, accorde le droit de Bourgeoisie Romaine aux Cités des Gaules ; pourquoi il en exclut quelques-unes, I. 3. quel titre il avoit pris en se révoltant contre Neron, 484.

Gallia Bracata, Gallia Togata, origine de ces dénomìnations, II. 607.

Gaules, (les) nombre de ses Provinces & de ses Cités au Ve siecle, I, 1, 2. quelles Langues on y parloit ; ses habitans originaires de cinq Nations différentes, 6 & suiv. ses Esclaves, 12. & suiv. ses Evêques & son Clergé, 14, 15. ses Citoyens Laïques, leurs diverses Religions, 15 & suiv. ses Chrétiens de deux Communions, Catholiques & Ariens, 18. ses Citoyens Laïques divisés en trois ordres politiques, ibid. & suiv. en quel tems ses trois Gaules ne firent plus qu’un même Corps politique, 19, 30. Officiers civils qui les gouvernoient, 63, 64. Manufactures qu’on y entretenoit, ibid. Officiers Militaires qui y commandoient sous Constantin & ses successeurs, 65 & suiv. ses Citoyens, aux Ve & VIe siecles étoient en moindre nombre que présentement, 121. quels revenus elles produisoient aux derniers Empereurs, conjectures sur ce sujet, 140 & suiv. sont envahies par les Barbares, 194 & suiv. forme de leurs Assemblées genérales avant que César leur eût imposé le joug, 223. division des Gaules en Gaules proprement dites & en sept provinces ; remarques sur cette division, 244 & suiv. Gaules ulterieures, Gaules citerieures, origine de cette division, 246. Voyez 261 & suiv. révolte des Gaules ulterieures ou Septentrionales, ibid. leur état malheureux au milieu du Ve siecle, 329 & suiv. pourquoi ses habitans ne se livroient pas entierement aux Barbares dont 1e joug étoit plus léger que celui de l’Empire, 408. situation des esprits dans ces Provinçes sous l’Empire d’Anthemius, 526, 527. sont cédées aux Visigots par Julius Nepos, 568 & suiv. si elles leur furent cédées en toute propriété & souveraineté, 573 & suiv. état où elles durent se trouver lors du renversement de l’Empire d’Occident par Odoacer, 586 & suiv. conjectures sur l’état particulier de quelques-unes de ses Provinces, 597 & suiv. comment elles étoient partagées alors entre ses différens peuples qui les habitoient, 599 & suiv. leur funeste état causé par la division des descendans de Clovis, II. 283. leur division en dix-sept Provinces cesse, dès la fin du regne de Clovis, d’avoir lieu dans l’Ordre Politique & subsiste dans l’Ordre Ecclésiastique, 374, 375. sa subdivision en Cités continue sur le même pied, ibid. & 376. ses Citoyens étoient alors Compatriotes sans être Concitoyens, ibid. & suiv. quelle étoit la Langue commune des Gaules au VIe siecle, 452 & suiv. idée générale de leur gouvernement sous Clovis & sous ses Successeurs, 479, 480. réflexion sur le naturel de ses Habitans, &c. 540. étoient encore opulentes sous nos premiers Rois, 590.

Gaulois, étoient devenus des Romains à la fin du IVe siecle, I. 3 & suiv. leur conversion à la Religion Chrétienne contribue beaucoup à ce changement, 11. contractent toutes ses inclinations & adoptent tous les goûts des Romains, ibid. se disent descendus des Troyens, ibid. la plupart des Gaulois, quoiqu’aussi soumis que les autres Sujets, étoient appellés Alliés, jusques au regne de Caracalla, 24, 25. motif qui avoit engagé ses anciens Gaulois a faire des invasions en Italie, 191. plantent des vignes chez eux, dès que Rome eut assujetti les Gaules, ibid. accusés de légereté par Trebellius Pollio, 212, 224.

Gelimer, Roi des Vandales, est ſait prisonnier par Bélisaire, II. 331. comment il étoit parvenu au Trône, 333.

Gemallus, Sénateur, est fait Vicaire de la Préfecture des Gaules par Théodoric Roi des Ostrogots, II. 144, 145.

Généralissime de l’Infanterie, & Généralissime de La Cavalerie, créés par Constantin ; leurs fonctions, I. 57, 61. Remarques sur ces Charges, 65. ces deux Emplois réunis sous une même tête au Ve siecle, 66.

Généridus, un des Barbares au service de l’Empire, Payen de Religion, sa fermeté engage Honorius à révoquer un Edit qu’il avoit donné contre les Payens, I. 17.

Genes, les Nobles y sont les seuls véritables Citoyens, les autres sont les sujets des Nobles, I. 436.

Genevieve, (Sainte) trait de sa vie, réponse à l’induction qu’on en tire, I. 610 & suiv. amene un grand convoi dans Paris bloqué, II. 61.

Genseric, Roi des Vandales, passe en Afrique ; I. 168. prend Carthage & se rend maître de la Province d’Afrique, 307. sollicite Attila contre les Romains ; brouillé avec le Roi des Visigots, pour quel sujet, 360, 361. fait une descente en Italie, prend Rome, &c. 416, 417. continue la guerre avec l’Empire d’Occident, sous quels prétextes, 481, 482. demande l’Empire d’Occident pour Olybrius ; est refusé par Leon ; rompt l’accord qu’il avoit fait avec cet Empereur, 514. sa mort, 589. avoir établi par son testament une Loi de succession très-singuliere, II. 332.

Gepides, peuples Gots, s’établissent à Segedin & à Sirmisch, &c. I. 181. Corps de Gepides au service d’Attila, opposé à un Corps de Francs, 387.

Germain, (Saint) Evêque d’Auxerre, arrête, par son entremise, l’expédition d’un Roi Barbare contre les Armoriques, I. 313, 314. correction nécessaire à un passage de sa vie écrite par le Prêtre Constantius, 315, 316. se rend à Ravenne pour y être le Médiateur des Armoriques ; il y meurt avant la fin de sa négociation, 317, 318.

Germains, établis dans les Gaules par Auguste, Tibere, &c. I. 7, 8. pourquoi les Germains faisoient des courses dans les Gaules, &c. 191. comment ils avoient appris à connoître l’or & l’argent, 193.

Germanie, ce mot doit s’entendre souvent, dans les Auteurs anciens, des deux Provinces Germaniques des Gaules, I. 164.

Germanique superieure, Germanique inferieure, les deux Provinces armées des Gaules, I. 45, 54. à qui on en confioit le Commandement ; nombre des Troupes qu’on y entrerenoit, ibid. pourquoi on y parle aujoutd’hui Allemand, II. 455.

Germanique (Empire) ou Romano-Germanique, son origine, II. 371, 372.

Gérontius ; originaire d’Espagne, contribue à dégager son Empereur Constantin assiégé dans Valence, I. 203. est laissé en Espagne pour y commander les Troupes, &c. il se révolte contre Constantin ; fait proclamer Empereur Maximus, 209, 210. passe dans les Gaules ; assiége Constantin dans Arles, & leve le siége aux approches de Constance ; 223. est abandonné par ses Soldats ; se sauve en Espagne, où il est tué ; son phantôme d’Empereur disparoît, 227.

Gésalic, fils naturel d’Alaric II, proclamé Roi par les Visigots, ses avantures, II. 195, 196. est déposé, 209.

Gestes des Francs, l’Auteur de cette Histoire adopte l’erreur de Frédegaire ; dans quel tems il écrivoit, D. p. 14. jugement sur cet Ouvrage, 21.

Getes, (les) sont les mêmes que les Gots, I. 181.

Gilles, (Nicole) pourquoi il n’a pu rétablir le commencement des Annales de la Monarchie Françoise, D. p. 31.

Givaldus, Thcodebert lui conserve la vie ;  : malgré les ordres qu’il avoit reçus de le faire mourir, &c. II. 323.

Glycerius, se laisse proclamer Empereur d’Occident, I, 553. abdique involontairement l’année suivante ; se réfugie en Dalmarie, où il est fait Evêque de Salone, ibid. & 554.

Goar, un des Rois des Allemands, quitte le parti des Barbares pour embrasser celui des Romains, I. 195, 196. se déclare pour Jovinus, 227.

Godégisile, Chef des Barbares à leur irruption dans les Gaules, est tué dans une bataille par les Francs, I. 195, 196.

Godégisile, frere de Gondebaud, se ligue contre lui avec Clovis, II. 234. trahit au commencement de l’attaque, Gondebaud qui l’avoit appellé à son secours, 135. se met en possession des Etats de son frere, 136. est surpris dans Vienne par Gondebaud, & il est tué dans une Eglise où il s’étoit réfugié, 137, 138.

Godemar est proclamé Roi par les Bourguignons ; cede quatre Cités aux Ostrogots pour en obtenir du secours contre les Francs, II. 298 & suiv. est Battu, met sur pié une nouvelle armée, & recouvre le Royaume de ses peres, 302 & suiv. son Royaume est conquis par les Francs. 328 & suiv.

Gombette (Loi) étoit la Loi Nationale des Bourguignons, II. 457. établissoit l’usage des Duels judiciaires, 458, 459. remarques sur cet usage pernicieux, 460 & suiv. Sanction de cette Loi, 466, 467. est abrogée, &c. ibid. remarques sur quelques-unes de ses dispositions, 520 & suiv. 556, 557.

Gondebaud, Roi des Bourguignons, remarques sur une Loi de ce Prince concernant les Monnoies, I. 218 & suiv. est fait Patrice de l’Empire ; engage Glycerius à se laisser proclamer Empereur, 553. est défait par Gondemar & Chilperic ses freres. & réduit à se cacher ; il rassemble une armée, la fortune le favorise & il fait périr ces Princes ; 613, 614. sa conduite au sujet du mariage de sa niece Clotilde avec Clovis, II. 44 & suiv. en quel sens il est appellé Miles (Soldat) de Clovis dans une lettre d’Avitus, 86, 87. motifs de ses relations avec Clovis dès que ce dernier fut converti ; guerre entre Gondebaud & Theodoric, &c. 95. & suiv. attaqué par Clovis, mande Godégisile son frere à son secours ; est défait par la trahison de Godégisile & se sauve à Avignon, 135. il y et assiégé par Clovis ; fait la paix avec ce Prince par l’adresse d’Arédius ; conditions de ce Traité, 136, 137. assiége Godegisile dans Vienne, surprend cette Ville, &c. ibid. & 138. cenjectures sur les causes des malheurs surprenans & des succès inesperés de ce Prince, 151 & suiv. offre d’abjurer secretement l’Arianisme & ne peut se résoudre à en faire une abjuration publique, 157, 158. s’allie avec Clovis contre les Visigots ; 180. meurs Arien, 289.

Gondemar, un des Rois des Bourguignons, conspire avec Chilperic contre leur frere aîné, &c. est brûlé dans une Tour, 614.

Gontran, petit-fils de Clovis, est le premier Roi des Francs qui ait ordonné un combat singulier, comme une procédure juridique : à quelle occasion, &c. II. 461. ses égards pour les Evêques & pour les Eglises, 484, 485. guerre de ce Prince contre son neveu Childebert, &c. 539. remarques sur son procédé à l’égard de Chundo, 595.

Gots, (les) s’établissent sur la rive gauche du bas Danube, I. 180. étoient divisés en plusieurs peuples, &c. 181. leur portrait, ibid, leur Infanterie meilleure que leur Cavalerie, 182. Voyez Ostrogots. Visigots.

Gouverneurs (les) des Provinces armées ont pu aisément usurper l’Empire avant Constantin, I. 45 & suiv. plus de cent l’ont entrepris, vingt ont réussi, 53. pourquoi on ne lit pas dans l’Histoire un plus grand nombre de ces entreprises, 544.

Gratien, Empereur, irrite les Légions par sa prédilection pour un Corps d’Alains qui étoit à son service, &c. I. 91. employoit plusieurs Francs dans ses armées, 169, 170.

Gregoire de Tours, D. p. 11 & suiv. notion de son Histoire Écclésiastique des Francs, 18 & suiv. ses Opuscules, 22. Edition de ses Œuvres par Dom Thierry Ruinart, 30, 31. premieres Editions de son Histoire, 34. examen d’un passage de cet Auteur, 275 & suiv. tems de sa naissance ; combien il est digne de foi sur l’Histoire de Childeric, 462. ce qu’il dit sur le détrônemont & sur le rétablissement de ce Prince, justifié, ibid. & suiv. 486 & suiv. un de ses passages corrigés 489 & suiv. opinions de quelques critiques sur ce passage renversées, 491. dissertation sur un autre passage de cet Auteur & sur son Latin Celtique, 536 & suiv. inattention & incapacité de son Abbréviateur, 544 & suiv. remarque sur une correction qu’on prétend faire à un de ses passages, 605. remarque sur deux Manuscrits de son Histoire des Francs, II. 54 & suiv. sa date de la mort de Clovis altérée, 217, 218. ne suit pas l’ordre des tems en rapportant les événemens, 306, 312. caractere de ces Historien, 313. comment il faut entendre les expressions dont il se sert en parlant des Milices des Cités des Gaules, 541 & suiv. remarques sur deux passages de cet Ecrivain ; 579, 580. étoit servi comme les Romains de considération, 590.

Grotius, droit qu’il reconnoit dans le Pape & dans les Evêques, I. 221, 222. examen d’un sentiment de cet Auteur, 433 & suiv.

Guerre, la maniere dont on la faisoit au VIe siecle & aux siecles suivans, bien différente de celle d’aujourd’hui, II. 178, 296, 297.

Guerres Civiles, combien elles multiplient le nombre des Soldats dans un Etat, &c. I. 200.

Gueux, nom que les premiers Factieux des Pays-Bas se donnerent à eux-mêmes ; application ancienne & moderne de ce sobriquet, I. 294.

Guillaume le Taciturne, Prince d’Orange, conserve la charge de Statholder ou Gouverneur de Hollande, &c. I. 221.

Guillaume, dernier Prince d’Orange, pourquoi il attaqua les François : à Saint-Denys en Hainaut malgré la paix ; &c. I. 303. quoique Roi d’Anglererre, il exerçoit l’emploi de Capitaine Général & d’Amiral Général des Provinces-Unies, &c. 561. II. 231, 232.

Gunderic, Chef des Barbares lors de leur invasion des Gaules, I, 195. conjectures sur Gunderic, un Roi des Bourguignons, 417, 484, 510. sa mort ; ses enfans, 553.

Gundicaire, un Roi des Bourguignons, se soumet aux conditions qu’Aëtius lui impose, I. 295, 296. est exterminé avec ses Sujets par les Huns ou Alains ; remarques sur cet évenement, 296 ; 297.

Gynécées, établis dans les Gaules par les Empereurs & conservés par les Rois Francs, ce que c’étoit, II. 589.

H

Haillan, (du) son Histoire de France, moins imparfaite que les précédentes, ne rétablit point les Annales des premiers tems de la Monarchie, D. p. 35.

Helianus, un des Chefs des Bagaudes, &c. I. 203.

Hellidius, Commandant pour les Visigots dans le Velay, défait un corps de Bourguignons en Auvergne, II. 2.

Helvetiens ou Suisses, commettent quelques hostilités contre une armée à Vitellius, ils sont attaqués par Cecina & par les Rhétiens, I. 25.

Henri IV. Roi de France, est obligé de faire des loix pour diminuer le nombre des Gens de Guerre, I. 200.

Heraclien, Proconsul d’Afrique, s’y fait proclamer Empereur, passe en Italie, &c. mauvais succès de son entreprise ; sa fin tragique, I. 232.

Herennius Gallus, avec quelles troupes il combat les Cohortes Bataves, &c. I. 26.

Hermanfroy, un des Rois des Turingiens, épouse Amalberge niece de Theodoric, II. 133, 163. se défait de Berthier un de ses fréres, 277. se ligue avec Thierri contre Baderic son autre frere qui est défait & tué ; refuse d’accomplir ses promesses envers Thierri, 278. est défait par Thierri & par Clotaire, & son Royaume est soumis par ces Princes, 281, 282. tombe dans le piége que Thierri lui avoit tendu, & il y perit, ibid.

Hincmar, sa Vie de Saint Remy, D. p. 22. Voyez I. 646 & suiv. remarques sur un passage de ce Prélat, I. 249 & suiv. concilié avec Flodoard, II. 16. se trompe sur la saison dans laquelle Clovis fut baptisé ; d’où peut provenir cette erreur, 76 & suiv. remarques sur sa Lettre à Charles le Gras Empereur & Roi de France, 384 385.

Hollande, les Etats de cette Province exercent par eux-mêmes les fonctions de Statholder après la mort de Guillaume III. I. 221.

Hommes des Seigneurs particaliers, ce que c’étoit sous les Rois de France de la seconde race, &c. II. 421.

Honorius, Empereur d’Occident, son zele contre le Paganisme rendu inutile par les troubles de son regne, I. 16. publie un Edit pour exclure les Païens des Emplois, &c. pourquoi il le révoque ensuite, 17. Loi de cet Empereur sur les Letes, 96. sa bonté pernicieuse à l’Empire, 189. traite avec son Compétiteur Constantin & l’associe à l’Empire, 205. envoie le Patrice Constance dans les Gaules. &c. 227. oblige les Visigots à évacuer l’Italie en leur cédant une partie des Gaules ; quelle fut la convention qu’il fit avec leur Roi Ataulphe, 229. se brouille avec les Visigots & se raccommode avec eux à des nouvelles conditions, 233, 235 & suiv. traite avec les Armoriques pour les ramener sous son obéissance ; quel fut le succès de cette négociation, 237 & suiv. accorde une Amnistie générale pour pacifier les Gaules, 240. envoie Castinus pour faire la guerre aux Francs qui avoient pillé Treves ; date de cette expédition dont on ignore le succès, ibid, & 241. fait une entrée triomphale à Rome, ibid. son Edit pour rétablir l’ordre dans les Provinces des Gaules qui reconnoissoient son autorité, ibid. & suiv. associe Constance à l’Empire sans consulter Theodose le jeune ; mésintelligence entre les deux Empires à ce sujet, 260. se brouille avec sa sœur Placidie, 261. sa mort, 262.

Hôpital, (le Chancelier de l’) son sentiment sur Joinville & sur Commines, D. p. 34.

Hôtes, (Hospites) ce que ce mot signifioit chez Romains, I. 99.

Hugues, Abbé de Flavigni, sa Chronique connue sous le nom de Flavigni ou de Verdun ; remarque sur un passage de cette Chroniq. II. 137 138.

HunnericHonoric, fils de Genseric Roi des Vandales d’Afrique, épouse une fille de Valentinien III. I. 417, 481. succede à son pere, 589.

Huns (les) Nation Scythique, en quoi ils différoient des Alains ; soumettent ceux-ci & deviennent le peuple dominant parmi les Schytes, I. 184 & suiv. leur maniere de combattre, 187, 188. leur amitié pour Aëtius, 263, 265, 290. Huns ou Alains, auxiliaires de l’Empire ; défont les Bourguignons, 196, 197. leur Cavalerie contribue aux succès d’Aërius contre les Visigots, 199. sont battus par Aëtius, &c. circonstances de leur défaite, 386 & suiv. leur camp barricadé par des chariots, &c. 389.

I

Janissaires, Milice Turque, partagés en Janissaires de la Porte & en Janissaires de Provinces, I. 80, 85.

Idace, Evêque en Espagne, sa Chronique, D. p. 23, 24. concilié avec Isidore de Seville sur une date ; &c. I. 206, 207. entreprend un voyage dans les Gaules, à quelle occasion, 271. sa Chronique très-succincte, 472. correction d’une date de cette Chronique, 512, 513.

Jean, (le Bienheureux) Fondateur de l’Abbaye du Monstiers Saint-Jean ou de Saint-Jean de Réomay, Diocese de Langres, sa Vie écrite par Jonas disciple de Saint Colomban, II. 25, 26. Chartre de Clovis en faveur de ce S. Homme & de son Monastere, 103, 104. remarques sur cette Chartre, 104 & suiv.

Jeux à la Troyenne, Jeux Équestres, en quoi ils différoient des autres Jeux ; ils ne se donnoienr que par l’Empereur & dans Rome, II. 359, 360. les Rois Francs donnoient ce spectacle au peuple & y présidoient ; ibid. & 589.

Illidius (le Bienheureux) obtient de l’Empereur Maximus, dont il avoit guéri miraculeusement la fille, une grace pour la Cité d’Auvergne, &c. 107.

Imperator, ce titre ne signifioit pas ce que signifie le nom d’Empereur, I. 36. ceux qui avoient été proclamés Imperator par l’armée, n’étoient réputés Princes qu’après la confirmation du Sénat, &c. malgré quelques exemples contraires, 37 & suiv.

Imprimerie, grands avantages que l’invention de l’imprimerie procure aux Savans, D. p. 31, 32. V. I. 550.

Inde, pieces d’Inde ou Têtes fictives, termes usités dans le Commerce des Esclaves Negres, I. 75.

Indictions, ce qui a donné lieu à calculer Le tems par Indictions, I. 115.

Indulgence, remise des arrérages dûs aux Empereurs ; inconvéniens qui en résultoient, I. 134, 135.

Ingenuus, remarque sur ce mot pris dans la signification d’Affranchi par Gregoire de Tours,. II. 580.

Injuriosa, nom d’une famille de là Cité de Tours, II. 496, 497. fermeté d’un Evêque de Tours pris de cette famille, : 598.

Joannès, proclamé Empereur d’Occident après la mort d’Honorius, son caractere, I. 262. ses Ambassadeurs reçus avec mépris par Theodose, &c. 263. est reconnu dans les Gaules, a d’abord des succès favorables, &c. mais il est enfin défair & tué, 265.

Joinville, bon sens de cet Historien de Saint Louis ; ce qu’en disoit le Chancelier de l’Hôpital, D. p. 34

Jornandès, son Histoire des Gots fournit quelques fais importans sur les Francs, D. p. 26, 27.

Jovinus, un des plus puissans Seigneurs des Gaules, est proclamé Empereur, &c. I. 227, 228. ses liaisons avec les Visigots qui se déclarent ensuite contre lui, 230. associe à l’’Empire son frere Sebastianus, qui est tué dans une action de guerre, ibid. est fait prisonnier par Ataulphe ; il est livré à Honorius qui le fait mourir, ibid. fin tragique de plusieurs de ses partisans, 231.

Isidore, Evêque de Seville, son Histoire des Gots est un monument précieux pour les Annales de France, D. p. 17. erreur où il est tombé en parlant de l’irruption des Barbares dans les Gaules ; cette erreur est suivie par plusieurs Historiens posterieurs, I. 195. concilié avec Idace sur une date, 206, 207.

Jugeratio, taxe ou cottisation de l’arpent, I. 114, 116. Voyez Cottisation, &c.

Juifs, dans les Gaules, y faisoient le même commerce qu’ils y font à présent ; combien ils étoient odieux au menu peuple, I. 15, 16. Vers de Rutilius sur cette Nation, ibid. animosité des Juifs d’Arles contre Saint Césaire, &c. II. 200. leur trahison découverte justifie cer Evêque, 204. passoient dans les Gaules pour une portion de la Nation Romaine, &c. 474. Voyez 566, 567.

Julianus, (Didius) proclamé Imperator, fait confirmer son titre par le Sénat, &c. I. 38.

Julien, (surnommé ensuite l’Apostat, Généralissime dans les Gaules, n’y jouïssoit pas d’une autorité plus étendue qu’un Généralissime ordinaire, I. 61. en attention à ménager les Barbares qui servoient dans les Gaules, 92. Voyez 117, 118 ; 120. pourquoi il n’accordoit aucune indulgence, 135. une de ses expéditions contre les Francs, 156, 157. enrôle un grand nombre de Francs, &c. 168.

Jurisprudence, bons effets qu’elle devoit produire sur l’esprit des Barbares ; sentimens de vénération que la Jurisprudence Romaine leur inspiroit, II. 11 & suiv.

Justinien, Empereur, fixe la prescription des biens d’Eglise à cent ans ; reproche que lui fait Procope à ce sujet, II. 253. avoit succédé à son oncle Justin, 330. forme le projet de chasser les Barbares des Provinces du partage d’Occident, 331. envoie Belisaire subjuguer les Vandales, ibid. entreprend cette guerre dans des conjonctures favorables & la termine en peu d’années, 333. forme le dessein de recouvrer l’Italie ; fait alliance avec les Rois Francs, 340 & suiv. évenemens divers de la guerre qu’it fit aux Ostrogots, 351, 352. son second Traité avec les Princes Francs ; conjectures sur la date de ce Traité ; il ratifie la cession des Gaules aux Francs faite par les Ostrogots, 355 & suiv. sa rédaction du Droit Romain inconnue long-tems dans les Gaules, 492. ce qu’il ft pour rétablir l’ordre ancien dans la Province d’Afrique, 562.

Juthunges, (les) peuples Allemands, s’emparent de la Norique, I. 167.

L

Laccary (le Pere) réfutation de son sentiment sur la maniere dont Marseille & la Province Marseilloise, étoient possédées par Theodoric, II. 142 & suiv. son sentiment sur le derhier Préfet du Prétoire des Gaules réfuté, 367, 368.

Laïques (les) ne pouvoient entrer dans l’état Ecclésiastique sans la permission du Souverain ; motifs de cette prohibition, II. 248, 249.

Langue, Langues Etrangeres, réflexion sur le plus ou moins d’aptitude pour les apprendre, I. 9. celle du Peuple le plus nombreux dans un Pays devient d’ordinaire la dominante, II. 452, 453, 455. Langue Françoise. Voyez François.

Lansquenets & Reitres, pourquoi ils s’engageaient en foule pour venir faire la guerre en France au XVe siecle, I. 193.

Lantildis, sœur de Clovis, II. 8. abjure l’Arianisme, 75.

Latin, l’usage de cette Langue commun dans les Gaules, I. 5, 6. sa Syntaxe plus difficile que celle des langues Barbares, 9. progrès différens qu’y firent les Aquitains & les Celtes, 10. commun parmi les Francs & les autres Barbares au Ve siecle, 465 & suiv. Légende Latine de l’Anneau de Childeric, &c. 467. Latin en style Celtique, 539 & suiv. remarque sur l’étymologie des mots François tirés du Latin, II. 18, 19. comment il devint la Langue ordinaire des Gaules & ensuite des Francs, 452, 453. grand usage de cette Langue dans les Actes publics des Rois Mérovingiens, 591, 592.

Laurentius, qui il étoit & ses négociations à la Cour de Constantinople, II. 88 & suiv.

Légions, Troupes Romaines, de qui elles étoient composées, & de l’ordre qui y étoit gardé, I. 47, 48. leur paye considérable, ibid. usages observés à l’égard des Légions, 49, 50.

Leon, (Saint) Pape, n’étant encore que Diacre de l’Eglise de Rome, travaille à raccommoder Albinus avec Aëtius, I. 310, 311. engage Attila à se retirer d’Italie ; remarque sur cet évenement, 396, 397.

Leon, proclamé Empereur d’Orient, I. 443. appaise la révolte de Marcellianus & l’engage à son service, 450, 480, agrée l’élection de Severus à l’Empire d’Occident, 481. convient avec Ricimer, d’Anthemius pour Empereur d’Occident, 512. quelles étoient ses vûes dans ce choix, 513, 514. se brouille avec les Vandales, à quelle occasion, ibid, son expédition contre ces Peuples ne réussit pas, 517, 518. sa mort ; son successeur Leon II. regne peu de mois, 554.

Leon, Romain, au service d’Euric Roi des Visigots, I. 570. remarques sur ce Personnage, 572, 573.

Leon, Esclave d’un Evèque de Langres, comment il délivre d’esclavage le neveu de son Maître, II. 317 & suiv.

Letes, (Læti, Letiani,) Corps de Troupes auxiliaires de l’Empire, n’étoient point une Nation particuliere, I. 94. ce qui leur avoit fait donner ce nom, 95 & suiv. Letes Francs, 167. Letes auxiliaires dans l’armée d’Aërius contre Attila, 382, 383.

Lettres, leur état sous les deux premieres races de nos Rois & sous les premiers de la troisiéme, D. p. 11 & suiv.

Lex Mundana, Loi du Monde, ainsi appelée par opposition au Droit Canonique, étoit composée de divers Codes, II. 383 & suiv. ancien Exemplaire manuscrit de cette Loi, ce qu’il contient, 467.

Licinianus, Questeur, envoyé dans Les Gaules par Nepos, quelle étoit sa Commission, &c. I. 577, 578.

Litorius Celsius, Païen, sert les Successeurs d’Honorius dans leurs armées, 17. délivre Narbonne assiégée par Les Visigots, 298. attaque les Visigots malgré la suspension d’armes ; s’attache auparavant le reste des Bourguignons & leur donne des quartiers dans la Sapaudie ; 303 & suiv. est défait, pris & mis à mort ; remarques sur cet évenement, 305, 306. suites de sa défaire, 308 & suiv.

Loi Royale du Peuple Romain représenté par le Sénat, changeoit les Tyrans en Princes, I. 37, 38. extrait du Fragment de la Loi Royale faite pour Vespasien, 39, 40. par qui cette Loi étoit publiée que l’Empire Romain fut divisé en deux partages, ibid, Loi du Monde. Voyez Lex Mundana.

Loi Gombette, Voyez Gombette.

Lombards, article inféré dans leur Loi, lorsqu’ils eurent été subjugués par les Rois de France, II, 382.

Louïs XII, sépare le pouvoir Civil du Militaire, 8 donne lieu à la distinction des Officiers en Gens de Robe & en Gens d’Epée, I. 60.

Lucain, sa description poëtique des vaisseaux Saxons, I. 150, 151.

Lupicinus, (Säint) Fondateur du Monastere de Saint Claude en Franche-Comté, D. p. 12. Cénobite fameux du Ve siecle ; trait d’histoire extrait de sa Vie, I. 497, 498.

Lusidius, livre Lisbonne aux Sueves ; est envoyé en Ambassade à Anthemius par le Roi de ces Peuples &c. I. 516.

Lyon, (la Cité de) fe déclare pur Neron, & fait.la guerre à celle de Vienne, I. 27. ce qu’écoit fon Corps de Ville originairement, IL. 535, 536.

M

Machines de Guerre d’Archimede, les Gots, assiégés dans Arles, se servent d’une ; sa description, II. 202, 203.

Macin, proclamé Imperator, en donne avis au Sénat, qui lui confere le pouvoir Proconsulaire & la Puissance Tribunitienne, I. 38. projet de cet Empereur pour annuller tous les Rescrits de ses Prédécesseurs ; 39. avoit été Préfet du Prétoire sous Caracalla, &c. fragment de sa Lettre au Sénat, 42.

Magnence, Empereur, & son frere Décentius, étoient Francs suivant les apparences, I. 168.

Mahomet II, Sultan des Turcs, transporte ses Galeres par terre dans le Port de Constantinople, I. 155.

Mains-Mortables, ou Hommes de Pôte, espece de serfs, fubsistent encore en plusieurs Provinces de France, II. 420.

Majorien, fait avorter l’entreprise des Armoriques sur Tours, I. 347, 348. est proclamé Empereur d’Occident du consentement de celui d’Orient, 442 & suiv. ses grandes qualités ; il eût rétabli l’Empire, si la corruption de ses principaux Sujets n’y eût mis obslacle, 448, 449. bat un Corps de Vandales dans la Campanie, ibid, ses projets, ibid. & suiv. prend Lyon, soumet le parti qui lui étoit opposé dans les Gaules, 457, 458. réduit les Visigots, conclut la paix avec eux, &c. 459. ses préparatifs pour attaquer les Vandales ; pourquoi il assembla sa Flotte en Espagne plutôt qu’en Sicile, 473 & suiv. réflexions sur ce projet de Majorien, 475, 476. ses vaisseaux enlevés par les Vandales dans les rades, &c. ibid. son armée se souleve contre lui & le massacre ; comment cet évenement fut amené par Ricimer, 477 & suiv. les Loix qu’il publia montrent sa prudence, 478. Voyez 10, 130 & suiv. 217 &c.

Maître des Cavaliers, Maître des Fantassins, (Magister Equitum, Magister Peditum,) nouvelles Charges créées par Constantin, I. 57. Voyez Généralissime.

Maixant (Saint) Abbé, un maraudeur qui veut le frapper ; devient paralytique du bras qu’il avoit levé pour ce dessein, II. 188.

Mallus ou Mallum, Assemblée des Franes pour rendre la Justice, &c. devient sédentaire, II. 442, 443.

Mammert, (St) Evêque de Vienne, institue des Prieres solemnelles, &c. On les nomme à présenc Rogations, I. 522.

Manufactures diverses, établies dans les Gaules par les Romains, I. 64, 105, 106. conservées par les Rois Francs, II. 589.

Marc-Aurele, Loi de cet Empereur, I. 55. son Reglement pour constater la naissance des Citoyens Romains, 437.

Marcellinus où Marcellianus, se révolte contre l’Empereur, se cantonne en Dalmatie, fait ensuite sa paix, &c. I. 450. parti qui se forme pour lui dans les Gaules contre Majorien, ibid. 451. ses expéditions contre les Vandales en Sardaigne & en Sicile, 480. chasse ces Barbares de Sicile, 514. est poignardé par les Officiers de l’armée dont il étoit Général, 518.

Marchandises, on ne peut trop favoriser en général l’extraction des Marchandises d’un Etat, I. 538. Marchandises dont l’extraction étoit prohibée dans l’Empire, ibid.

Marculphe, en quel tems il vivoit, &c. idée de son Recueil de Formules ; quelques-unes de ses Formules alléguées, &c, II. 488 & suiv.

Marius, Evèque d’Avanches, sa Chronique, D. p. 24.

Marseille, est prise par Euric qui la laisse en possession de son état ; elle se gouvernoit en République sous la protection de l’Empire, I. 578. Province Marseilloise, II. 2. passe sous la domination des Francs, 364, 365.

Martian, proclamé Empereur d’Orient par le crédit de Pulcherie qu’il épouse, quelle étoit sa situation, I. 356. est le premier des Empereurs Romains qui ait été couronné par des Evêques, ibid. & 357. Voyez 428. sa mort, 443,

Martias, commandant un Corps de Troupes dans la partie des Gaules soumise aux Ostrogots, II. 346. évacue cette Province & joint Vitigès, 351. s’il a été Préfet du Prétoire des Gaules, 367 368.

Martin (Saint) convertit grand nombre de Payens, ce qui lui mérite le nom d’Apôtre des Gaules, 16. est obligé de s’enrôler à l’âge de quinze ans, pourquoi, 83. sa Vie écrite en vers par Paulin de Perigueux ; vénération qu’on avoit pour son Tombeau, 330, 331, Voyez II. 541. remarques sur l’année de sa mort qui souvent a servi d’époque dans notre Histoire, II. 118 & suiv.

Martyrs, leurs Tombeaux azyles inviolables autrefois, I. 440,

Massagetes, les Scythes sont désignés par ce nom, II. 185, 188.

Maturus (Marius) Commandant de la Province des Alpes Maritimes pour Vitellius, s’oppose à la descente de la Flote d’Othon, I. 26.

Maur (Saint) s’établit en Anjou & y bâtit l’Abbaye de Glanfeuil sous la protection du Roi Theodebert, II. 310.

Maurice, Empereur d’Orient, forme une entreprise sur la Souveraineté des Rois Francs dans les Gaules, &c. II. 369. Médaille d’or de cet Empeseur, ibid.

Mauriciens (Champs) d’où ils tiroient leur nom, confondus mal-à-propos par Jornandès avec les Champs Catalauniques, I. 386.

Muximin, est proclamé Imperator ; il prend le titre d’Auguste avant le Decret du Sénat, &c. I. 38, 39. fait une invasion dans la Germanie, 160. né Barbare, il avoit dérobé aux Romains la connoissance de son origine, 478.

Maximus (Pétronius) est proclamé Empereur d’Occident ; ne remplit point les espérances que son élevation avoit fait concevoir ; ses fautes & son imprudence, I. 411, 412. fait quelques dispositions assez sages, ibid. est tué, 416.

Mécénas, conseil qu’il donna à Auguste, I. 46. son plan pour le Gouvernement de l’Empire, 50, 51.

Médailles, les Médailles Romaines que nous avons, étoient la Monnoie courante dans le temps où elles ont été frappées, I. 133, 134. Médailles Imperiales qui représentent ou le Triomphe, ou la Marche Consulaire d’un Empereur, comment on les distingue, II. 224, 226. remarques sur une Médaille d’or de l’Empereur Maurice, 369, 370.

Meisme (Saint) Disciple de Saint Martin, sa vie par Grégoire de Tours ; efficace de ses prieres, I. 349, 340.

Mélanchlenes, les Gots sont désignés sous ce nom, I. 181.

Mellobaudès, un des Rois des Francs, étoit en même temps un des Capitaines de la garde Impériale ; s’il est le même que Mérobaudès Maître de la Milice & deux fois Consul, I. 169. est fait Maître de la Milice à la place d’Asturius son beau-pere ; soumet quelques Bagaudes d’Espagne, 312.

Mendiants valides (les) étoient réduits en servitude, I. 120.

Mérovée, en quel temps il commença son Regne, I. 382, 383.

Merovingiens (les Rois) étoient indépendans les uns des autres dans leurs partages ; les Sujets d’un partage n’étoient réputés Regnicoles dans les autres partages qu’en vertu de stipulations expresses, I. 638 & suiv. montoient sur le Trône par voie de succession & non par voie d’élection, II. 393. & suiv. réunissent le pouvoir civil & le pouvoir militaire, 336, 437, 449. & suiv. se montroient zélés pour la propagation de la Foi & pour les intérêts de l’Eglise, 480. & suiv. laissoient vivre les Romains des Gaules suivant leurs anciennes Loix, 486. & suiv. conféroient souvent à des Romains les Emplois les plus importants de l’Etat, &c. 507. & suiv. en quoi consistoit leur Domaine, II. 558, 559. leur fisc étoit le mème que celui de Empereurs dans les Gaules, 560. autres droits dont ils jouïssoient, ibid. & 561. conservent l’ancien usage pour la levée du Tribut public, ibid. & suiv. autres branches de leurs revenus, 581. & suiv. conservent plusieurs usages établis dans les Gaules par les Romains, 587. & suiv. leurs Actes publics étoient la plüpart en Latin, 591, 592. leur autorité fur les Nations différentes qui leur étoient soumises, ibid, & suiv. jugeoient eux-mêmes & faisoient exécuter leurs Sujets, sans être adstraints À une certaine forme de procès, 437, 594. & suiv. jugeoient en personne des procès civils, &c. 597, 598. augmentoient les anciennes impositions, ou en mettoient de nouvelles, sans demander le consentement d’aucune Assemblée politique, 598, 599. ils usoient modérément de leur autorité à cet égard ; Leur richesse & leur æconomie ; ressources où ils recouroient dans les besoins pressants ; 599, & suiv. remarque sur les malheurs qu’ils ont essuyé malgré leur pouvoir absolu, 601.

Mesmin, (Saint) Abbé de Mici, sa vie, un des plus anciens Monuments de notre Histoire, citée, II. 237. & suiv.

Métairies Fiscales, terres appartenantes en propriété à l’Empire, I. 205. deviennent le corps du Domaine de nos Rois, II. 558. & suiv.

Métropolitains (Siéges) établis dans les Métropoles, Droits des Prélats qui les occupoient, I. 14.

Méxique (le) remarque sur les Nations diverses qui l’habitent, II. 386, 387.

Miles, Miles vester, remarques sur l’usage de ces mots dans la basse Latinité, II. 86. & suiv.

Milites præsentes, &c. (Soldats présents) Limitanei ou Riparenses (Troupes de Garnison ou de Frontiere), I. 79. Platini, Soldats Palatins ; Comitatenses, Soldats Accompagnants, 80. voyez Troupes.

Monarchies, comparées au corps humain ; différents vices de conformation qui y regnent, I. 86. la conservation des Monarchies despotiques dépend des talents du Prince qui les gouverne ; 189. maxime à observer dans celles qui sont fondées depuis peu, II. 561. Monarchie Françoise, voyez Françoise.

Monnoie, profit sur Les Monnoies, premier expedient dans les besoins urgents ; deux manieres dont un Souverain profite sur sa Monnoie, I. 216, Monnoies d’or de Clovis, II. 27. & suiv. Monnoies d’or frappées au coin des Rois Barbares, 360, 361, 363, 364, quel étoit le titre, le poids & la valeur de celle de nos premiers Rois, 591.

Monuments Littéraires du cinquiéme & du sixiéme siecles dont on peut se servir pour rétablir le commencement des Annales Françoises, D. p. 17. autres Monuments Litteraires qui ne font pas des Histoires des mêmes siecles, 27. & suiv. pourquoi on n’a pû s’en servir qu’au dix-septiéme siecle, 33. & suiv. Savants qui ont travaillé à faire connoître ces Monuments Litreraires, 36. rareté des Monuments Historiques sur Childeric & sur Egidius, I. 471, 472.

Morts (les) leur inhumation dans l’enceinte des Villes prohibée par les Romains ; Loi de Théodoric qui le défend, I. 607.

Munderic, Prince de la Maison Royale des Francs, se révolte contre Thierri ; suites de cette affaire ; est mis en pieces malgré l’Amnistie stipulée en sa faveur, II. 315, 316.

N

Nantes, est assiégée par une armée de Barbares, & délivrée miraculeusement, II. 62, 63.

Narbonne, surprise par les Visigots, I. 233. évacuée lorsqu’ils passent en Espagne, 136. assiégée par les mêmes, & délivrée par Litorius, 298. livrée aux Visigots par Agrippinos, 497. de quelle impostance leur étoit cette Ville, 499.

Nations, leur distinction, qui avoit Dieu dans le Ve siecle & dans les suivants, ne subsiste plus en France ; Pays où cette distinction est encore observée, II. 376. & suiv. Nation & Peuple, acception particuliere qu’avoient alors ces deux mots, 378. les Nations différentes des Gaules avoient chacune leur Loi Nationale, 381. & suiv. autres exemples de Nations différentes qui habitent ensemble sans être confondues, 385. & suiv. voyez 464, 465. ce qui les empêchoit de se confondre, 469. liberté de changer de Nation ; réalité de cet usage, 602, 605. comment celles qui composoient le peuple de la Monarchie Françoise, ont été confondues en une seule & mème Nation, 605. & suiv. combien de temps leur distinction a subsisté en Italie & en Espagne, 610, 611.

Negres (commerce des Esclaves) ce qu’on y pratique, I. 75. leur passion pour les liqueurs fortes, 191.

Néron, Empereur, fait mourir de sa pleine autorité le Consul Vestinus, I. 35.

Nepos (Julius) est proclamé Empereur d’Occident, I. 554. cede les Gaules aux Visigots, 568. & suiv. soulevement de tout le monde contre ce Traité ; il est réduit à se réfugier en Orient, 581, 582.

Népotianus, fi c’est de lui que parle Sidonius, &c. remarques & conjectures sur ce Romain, I. 447, 448, 492, 493.

Neustrasien, premiere acception de ce terme opposé à celui de Franc sous le Regne de Childebert I. II. 412.

Nicetius, Evêque de Treves, erreur de Copiste dans un passage de cet Auteur, II. 79. sa Lettre à Clodesuin, de, citée, 260. étoit venu au monde avec une espece de couronne Cléricale, 603.

Noble, qu’il n’y avoit point un Ordre particulier de Nobles dans la Nation des Francs, II. 424. & suiv. 428. & suiv. Noble homme & homme né libre ont signifié long-temps la même chose, 433. Nobles en Angleterre, &c. 434, 435. les Nobles épousent des filles du Tiers-Etat en France, sans se dégrader, &c. 522. usages étrangers introduits en France sur les Nobles, &c. 523, 524.

Normands, n’étoient la plûpart que des Saxons ; voituroient leurs barques quand il se trouvoit des obstacles à leur passage, I. 154, 155.

Notice de l’Empire, correction d’un passage dans les Imprimés de cette Notice, I. 67.

O

Odoacer, un des Rois des Gots ; se rend maître de Rome & de l’Italie, & renverse l’Empire d’Occident, I. 583. avec quelles Troupes il fit cette expédition, 584. engage le Sénat Romain à envoyer des Ambassadeurs à l’Empereur Zenon ; but de cet Ambassade, ibid. & 585, prend le nom de Roi sans en porter les marques ; ibid, envoie une nouvelle Ambassade à Zenon & s’unir avec lui, 587, 588. est vaincu à diverses reprises par le Roi des Ostrogots Théodoric, qui le fait mourir, II. 37, 38.

Olybrius, mari d’une fille de Valentinien III. est proposé par Genseric pour Empereur d’Occident ; refus de Leon, I. 514. service qu’il rend aux Vandales, 518. est fait Empereur par Ricimer, & meurt peu de temps après, 553.

Olympiodore, écrit l’Histoire des Empereurs descendus de Théodose le Grand ; son Ouvrage est perdu ; Extraits qu’on en trouve dans Photius, D. p. 23.

Orestès, Maître de la Milice, &c. I. 576, 577. se révolte contre l’Empereur Nepos, & fait son propre fils Empereur, 581. est ma […] par les Barbares Auxiliaires, &c. 583.

Orléans, importance de cette Ville dans tous les temps de troubles, I. 367, 368. bâtie ou entourée d’une nouvelle enceinte de murailles par l’Empereur Aurelien qui lui donne son nom, Aurelia, ibid. est prise par Attila ; pourquoi elle n’est pas saccagée, 379, 380. Concile National tenu dans cette Ville, II. 245. & suiv. guerre particuliere des Habitans de cette Cité &. de leurs Alliés contre les Habitans du Dunois, &c, 537, 538.

Orosius (Paulus) son Histoire Ecclésiastique contient quelques faits sur les Francs, &c. D.p. 17, 18.

Ostrogots, I. 181, 182. au service de l’Empereur Zenon ; obtiennent des quartiers dans la Thrace, II. 33, 34. se transportent en Italie ; souveraineté de leurs Rois sur cette partie de l’Empire qu’ils conquierent sur Odoacer, 35. & suiv. guerre entre eux & les Bourguignons avant l’an 500. 95. & suiv. font des conquêtes dans les Gaules sur les Bourguignons, 142. & suiv. s’approprient Arles, 212, acquierent quatre Cités de ces peuples qu’ils secourent contre les Francs, 298. & suiv. cedent aux Francs quelque portion de leur territoire dans les Gaules sous le regne d’Athalaric, 327. étoient alliés aux Bourguignons durant la derniere guerre que les Francs firent à ceux-ci, 328. en quelle situation ils se trouvoient lorsqu’ils furent attaqués par Justinien, 333. & suiv. massacrent Théodar, élisent Vitigès pour Roi, 345. cedent aux Francs tous leurs droits sur les Gaules & les Cités qu’ils y tenoient, &c. 348. raisons qu’ils employerent pour détacher les Francs des intérêts de Justinien, 349, 350. divers évenemens de la guerre qu’ils soutinrent contre l’Empereur, 351, 252. ils s’étoient approprié le tiers dés Terres en Italie, 553, 554. payoient le subside ordinaire, &c. 574, 575.

Ottoman, Empire Ottoman, réflexion sur la facilité avec laquelle on pourroit l’envahir, I. 86. entretient la distinction des Nations dans ses Provinces, dans quelle vüe, II. 386.

P

Paganisme son état dans Les Gaules durant le Ve siecle, I. 16, 17. pourquoi plusieurs Romains ne_pouvoient s’en détacher, ibid. Les superstitions fondées sur les dogmes du Paganisme ont survécu long-tems à ces dogmes, 342. étoit moins redoutable aux Catholiques que l’Arianisme, 627. & suiv.

Pagus, sens de ce mot, I. 2.

Pape, d’où vient son droit de conférer les Fiefs Impériaux pendant la vacance de l’Empire, II. 222.

Pâques, ce nom communiqué à d’autres Fêtes que celle de la Résurrection de N. S. J. C. II. 77.

Paris, la Flote chargée de garder la Seine, y avoit son bassin ; conjectures sur le lieu où étoit ce bassin, & sur le Vaisseau qui est dans l’Ecu des Armes de cette Ville, I. 78. Clovis place le siége de sa Royauté ; étoit possédé en commun par les enfants de ce Prince ; a toujours été Capitale de la Monarchie Françoise depuis ce temps-là, II. 232, 233.

Parthes (les) compris sous le nom de Perses, deviennent la Nation dominante, &c. I. 185.

Patrice de l’Empire, rang & prérogatives de cette dignité érigée par Constantin le Grand, I. 225, 226. Patrices du Royaume des Bourguignons, sous les Rois Mérovingiens, &c. II. 510, 511.

Paulus (le Comte) uni aux Francs, remporte quelques avantages sur les Visigots ; est tué en combattant contre les Saxons, I. 533, 534.

Payens, voyez Paganisme.

Pays-Bas, remarque sur les Provinces comprises sous ce nom, I. 71.

Perpetuus, Evêque de Tours, connu en Touraine sous le nom de Saint Perpete, L. 506. II. 123, 124.

Perses (les) sont compris sous le nom de Parthes devenus la Nation dominante, I. 185. Peuplades de Perses établies sur le territoire de l’Empire d’Orient, II. 362, 363.

Pertinax, avant que d’être Empereur, essüuie une petite disgrace, &c. I. 127.

Petau (le Pere) réponse à deux de ses objections contre la date que Grégoire de Tours donne de la mort de Saint Martin, II. 122. & suiv.

Peuplades de Barbares, transportées dans le Territoire de l’Empire, bons effets de cette méthode, I. 173, 174.

Peuple & Nation, acception particuliere de ces deux mots durant le Ve siecle & les siecles suivants, II. 378.

Peutinger, Tables de Conrard Peutinger, Carte Géographique de l’Empire Romain, pourquoi elle est ainsi appelée, I. 155.

Pharamond regnoit sur l’ancienne France en 418. &c. I. 255.

Philippe de Valois, son droit à la Couronne préféré à celui d’Edouard mâle plus proche, mais descendant d’une fille, II. 402, 403.

Philippe II. Roi d’Espagne, réflexion sur sa Flote célebre sous le nom de l’Invincible, I. 476.

Pirates, pourquoi ils sont plus hardis que des Soldats & des Matelots à gages, I. 153. pourquoi ils sonc si fréquents en Afrique fur la Méditerrannée, 453.

Placidie, sœur d’Honorius, épouse Ataulphe & le fait changer de sentiments & de desseins, I. 233, 235. est rendue à Honorius après la mort d’Ataulphe, 237. épouse Constance, 260. se brouille avec son frere Honorius, & se réfugie à Constantinople, 261, 262. passe en Italie avec un pouvoir de Théodose pour agir contre Joannès, 264, 265. succès de ses intrigues, ibid. gouverne sous le nom de son fils, ibid. sa mort, 370.

Polonois, menent à la guerre un charroi nombreux, & s’en servent pour se barricader comme les Huns, I. 389.

Possesseurs, qui ils étoient ; en quoi ils différoient des Curiales, I. 19. leur condition devient préférable à celle des Curiales ; pourquoi, 21.

Posse (Maisons de) les Empereurs en avoient sur les grandes routes, I. 126, 127. cet établissement subsistoit sous les Rois de la premiere & de la seconde race, II. 587, 588.

Pôte, gens de Pôte, ou Mains-mortables, espece de Serfs, d’où provenoit leur multitude en France sous Hugues Capet & ses successeurs, I. 14. il en reste encore dans plusieurs Provinces, &c. II. 420.

Pouvoir Civil, Pouvoir Militaire, origine de l’usage de les partager, I. 59. la séparation de ces deux pouvoirs inconnue aux Rois Mérovingiens ; par qui introduite en France, ibid. & 60. on passoit indifféremment de l’exercice de l’un à l’exercice de l’autre dans l’Empire d’Occident, ibid. Pouvoir Civil usurpé souvent par les Officiers Militaires, 62, 63. la séparation de ces deux Pouvoirs cesse dans les Gaules sous Clovis & sous ses successeurs, II. 449.

Pragmatique de Bourges, remarqué sur le privilege qu’elle accorde aux Nobles, &c. II. 523, 524.

Prédictions chimériques, peuvent causer des maux réels par la prévention des Peuples ; exemple ; I. 344.

Présidents, nommés par les Empereurs, leur pouvoir, I. 41, 45.

Prétoire, Préfet du Prétoire, Chef des Cohortes Prétoriennes, étenduë de son autorité avant Constantin, I. 42. son Emploi partagé entre deux personnes & quelquefois entre trois, 34, 45 leurs menées fatales à dix Empereurs, ibid. cette Charge est partagée en quatre Départements ou Diocèses, & elle est fixée au maniment du Civil & des Finances, 56. & suiv. sa dignité continue d’être la plus éminente de l’Empire, 62. exigeoient les Superindictions ; ils sont privés de ce droit, 117, 118.

Prétoire des Gaules, son Préfet résidoit à Treves ; ses Vicaires Généraux, I. 63. voyez 245, 246. son Siége est transféré à Autun & ensuite à Arles où il est fixé, 252. & suiv. temps auquel on cessa d’y nommer un Préfet, II. 367, 368.

Prétoriennes, Cohortes Prétoriennes, leurs privileges, leur nombre, leurs fonctions, I. 43. montoient la garde à Rome vêtus de la Toga, 44. leurs camps, 50. sont cassées par Constantin, 59.

Princeps (Prince) acception de ce mot sous les premiers Césars & dans le bas Empire, II. 388, 389.

Priscus Rhetor, Historien Grec, son Ouvrage est perdu ; fragments que Constantin Porphyrogenete en a conservés, D. p. 213.

Probus, Empereur, remporte de grands avantages sur plusieurs Nations Germaniques, &c. I. 75. établit les Vétérans dans une Contrée de l’Isaurie, & leur donne des terres ; à quelles conditions, 82. voyez 163, 164, 176. pourquoi il refuse un cheval qui pouvoit faire trente-cinq lieues par jour, &c. 187. permet aux habitans des Gaules & de plusieurs autres Provinces de planter des vignes, &c. 191.

Proconsuls, nommés par le Sénat, leur pouvoir dans les Provinces, I. 41.

Procope, secours qu’on trouve dans ses Ouvrages pour débrouiller le commencement des Annales de la Monarchie Françoise, D. p. 14. & suiv. passage remarquable de cet Auteur, I. 282. & suiv. son récit instructif sur les affaires des Francs, II. 100. & suiv. correction importante dans un texte de cet Auteur, 185, 186. ce qu’il dit sur la bataille de Vouglé, 190, 193, 194. observations sur un passage de cet Historien, 185. & suiv. réflexions sur un autre de ses passages, 359. & suiv. sa sincérité justifiée contre la censure de M. le Blanc, 362. & suiv.

Procope le Tyran, confere à un même Officier le pouvoir Civil & le pouvoir Militaire, I. 62.

Proculus, Evèque chassé de son Siége par les Bourguignons, est élu Evêque de Tours pat le crédit le Clotilde, II. 159.

Procuratores, Gouverneurs des petites Provinces, leur pouvoir augmenté par Claude, I. 42

Prosper, les Fastes & sa Chronique, D. p. 23, 24. version d’un passage de cet Auteur justifiée contre les objections, I. 191. & suiv. corrections importante à un passage de sa Chronique, 300. & suiv. autre correction, 313.

Provinces armées, Provinces désarmées ; deux du premier ordre dans les Gaules, II. 45. qu’il étoit facile aux Gouverneurs des Provinces armées de se soulever, & de se faire proclamer Empereurs, ibid. & suiv.

Provinces unies des Pays-Bas, divers degrés de leur soulevement contre Philippe II. I. 214. profit qu’elles firent sur leur Monnoie dans le premier établissement de leur Republique ; remarque sur le prix présent de ces especes, 117. leurs Etats Généraux décident à la pluralité des suffrages pour l’ordinaire, &c. 213. République formée au hazard, &c. à quoi elle a dû en partie sa conservation, 224. remarque sur leur conduite à l’égard du Prince d’Orange parvenu au Trône d’Angleterre, 626. quel est leur droit dans les Villes de leur Barriere, 631.

Provinciales, ce terme désignoit les Citoyens Romains établis dans les Provinces, II. 410, 488.

Pulcberie, fait proclamer Martian Empereur, & l’épouse ensuite, I. 356. voyez 428.

Q

Quintianus, Evêque de Rodez, Partisan des Francs, est chassé de son Siége par les Visigots, II. 174, 175. est rétabli par Clovis, 176. quitte une seconde fois Rodez & se réfugie en Auvergne, 177. est élu Evêque d’Auvergne, &c. 178.

R

Radegonde, Princesse Turingienne, épouse Clotaire I. se sépare de lui, &c. embrasse l’état Religieux, &c. II. 282. fonde l’Abbaye de Sainte Croix de Poitiers, 590.

Ragnacaire, un des Rois des Francs, posséde Cambrai, conjecture sur ce point, I. 460. se joint avec Clovis contre Syagrius, II. 15. vit. dans la dissolution, se fait haïr de ses sujets ; est trahi & livré à Clovis qui le tue, 242, 243.

Ratchimbourgs, Magistrats dont il est fait mention dans les Loix Salique & Ripuaire, & dans les Capitulaires, II. 441. il y en avoit de la Nation des Francs, &c. 450, 451.

Rauchingus, Grand Seigneur Franc, coupable du crime de Leze-Majesté, est exécuté par ordre de Childebert le jeune, sans aucune forme de procès, II. 595.

Recensement (Census) pourquoi on se sert de ce mot au lieu de celui de Cens, I. 113. Recensemens mentionnés dans l’Évangile, ibid.

Réflexions, sur les Princes qui ont des puissants Vassaux dans leurs Etats, I. 384. sur les occupations des Courtisans & sur leur jalousie contre ceux qui rendent des services réels à l’Etat, 394, 409. sur les Restaurateurs des États tombés en désordre, &c. 479. sur la nécessité où sont souvent les Etats de choisir un mauvais parti, 626. sur les Sectaires & sur un travers de l’esprit humain, II. 227. sur la jalousie d’ambition & sur ses effets, 234. sur ce que l’amour de l’indépendance fait faire aux hommes, 419. sur les Commentateurs des Loix & sur la façon moderne d’administrer la Justice, 497, 498. sur un usage abusif qui a regné long-tems en France, & qui a été supprimé par Charles IX. 502. sur l’unique frein capable d’arrêter la légereté & la précipitation des Habitans des Gaules, 540.

Registres publics à Rome & dans les Provinces ; pour inscrire les enfants des Citoyens, &c. I. 437.

Regnare & Regnum, Ces mots employés souvent pour signifier gouverner & gouvernement, II. 76.

Reims, remarques sur le passage de Clovis dans le territoire de cette Ville en allant contre Syagrius, II. 16. & suiv. Clovis y est baptisé dans le Baptistere de son Eglise Métropolitaine, 78, 79. remarques sur la Jurisdiction Municipale que cette Ville possede dès le temps des Empereurs Romains, 533, 534.

Reitres, voyez Lansquenets.

Remisundus, Roi des Sueves, envoie un Ambassadeur à l’Empereur Anthemius, &c. I. 516.

Remy (Saint) Evêque de Reims, durée de son Pontificat ; avoir acquis une grande considération dans les Gaules ; sa Lettre à Clovis, I. 621, 622. remarques sur cette Lettre, ibid. & suiv. instruit Clovis & le baptise, II. 73, 74. sa Lettre à ce Prince pour le consoler de la mort d’une de ses sœurs, 75, 76. prédiction qu’il avoit faite à Clovis accomplie, 587.

République, ce mot étoit encore en usage au Ve siecle & au VIe siecle pour désigner l’Empire Romain, I. 112.

Rescrits des Empereurs, leur grande autorité, &c. I. 39.

Respendial, un des Rois des Allemands, uni aux Vandales & aux autres Barbares pour envahir les Gaules, I. 195, 196.

Révoltes, divers degrès dns les révoltes des Sujets comme dans leur soumission, I. 213, 214. élevent les personnes de condition médiocre, & abaissent les Citoyens notables, 238, 239.

Rhetie, Rhetiens ou Grifons, la Milice du Pays jointe aux Troupes reglées pour attaquer les Helvetiens, I. 25.

Rhin, pourquoi ce Fleuve est appellé le Salut des Provinces (Salus Provinciarum) II. 163.

Ricimer, bat un Corps de Vandales ; est fait Patrice ; qui il étoit ; souleve les troupes d’Italie contre Avitus, I. 439. profite de la disgrace de Majorien pour le rendre méprisable ; 476. son caractere ; ses complots contre ce Prince, &c. 478, 479. fait proclamer Séverus Empereur avant d’avoir obtenu l’agrément de Leon Empereur d’Orient, 479. conjure les orages qui menaçoient l’Italie du côté des Gaules & de l’Orient, & il ne peut réussir du côté de l’Afrique, 481, 482. suscite des ennemis à Egidius dans les Gaules, 484, 485. empoisonne Séverus ; convient avec Leon sur le choix d’un nouvel Empereur ; à quelle condition, 511, 512. défait un corps d’Alains qui vouloit pénétrer en Italie, 519. souleve l’armée contre son beau-pere Anthemius, &c. fait Olybrius Empereur ; meurt peu de jours après, 553.

Riothame, Roi dans la Grande Bretagne, y leve des troupes pour le service d’Anthemius, I. 523. & suiv. son corps de Bretons est posté dans le Berri, 526. est défait par Euric, 529, 530.

O

Ripuaires, une des Tribus des Francs, s’établissent entre le Bas Rhin & la Basse Meuse ; quelle Nation c’étoit ; Loi des Ripuaires, I. 327. & suiv. Auxiliaires d’Aëtius ; 382, 383. prennent Cologne & saccagent Treves, &c. 499. & suiv. proclament Clovis Roi de leur Tribu, II. 237. étendue de leur Royaume, ibid. & suiv. subsistent en forme de Tribu séparée de celle des Saliens, &c. 240. dispositions de leur Loi sur les Esclaves affranchis, &c. 379 380. autre Sanction de leur Loi, 381. recherches sur cette Loi des Ripuaires, 413. & suiv. ce que cette Loi statue sur les peines pécuniaires auxquelles les Meurtriers doivent être condamnés, 416. autres Sanctions de cette Loi, 427, 451, 458, 465, 518, 519.

Robert le Fort, tige de la troisiéme Race des Rois de France, conjectures sur son origine, I. 76.

Roche du Maine (M. de la) Réponse qu’il fit à une question de Charles-Quint, I. 199.

Roi, ce titre au Ve siecle ne supposoit pas une indépendance entiere de celui qui le portoit ; Rois sans nombre dans ce temps-là, I. 468, 469. ce titre devient respectable à mesure que le nombre en diminue, 470. Rois barbares subordonnés an Maître de la Milice ; ils regardoient ce grade comme une Dignité supérieure à la Royauté, ibid. & 471. raisons qui leur faisoient briguer les Dignités de l’Empire, 559. & suiv. les Rois se traitoient de freres dès le temps de Clovis, II. 170, 171. Rois indépendans dans une partie de leurs Etats, & dépendants en d’autres parties, &c. 231.

Romain, Empire Romain, quelle en étoit l’administration avant Constantin le Grand, I. 41 & suiv. les Etrangers n’étoient point reçus dans les Troupes qu’il entretenoir, 51. rien n’a plus contribué à sa ruine que l’usage de prendre des Etrangers à sa solde, introduit après Constantin, 89, 90. désordre des affaires de l’Empire sous le regne d’Honorius & sous less regnes suivans, 98, 99. pourquoi il manquoit de Soldats volontaires dès le IVe siecle, 127. étoit une Monarchie entierement despotique au Ve siecle ; 189. prognostic sur sa durée, 341. est défendu contre Attila par les usurpateurs de son Territoire ; 393. L’esprit qui regnoit parmi ses principaux Sujets présage de sa chute, ibid, & 394, grand défaut dans sa constitution mis en évidence dès le tems de l’élection de Galba, 423. étoit gouverné par indivis quand il y avoit deux Empereurs avant Constantin, 425. est partagé en autant d’Etats qu’il y avoit d’Empereurs par Constantin & sous ses Successeurs, 426. union qui subsistoit à plusieurs égards après le partage, ibid. 417. prérogative de celui d’Orient sur celui d’Occident, ibid. & suiv. diverses causes de cette prérogative, 430 & suiv. ne tomboit point en quenouille, 428, est renversé en Occident par Odoacer, 582 & suiv. il n’a jamais eu de Loi de succession bien établie & bien constante ; exemples des genres différens de succession qui y ont eu lieu, II. 406 & suiv.

Romain, le Sénat Romain conféroit la Dignité Impériale en se conformant à la volonté des Troupes, I. 37. & suiv. n’étoit pas exempt du Tri- pue ordinaire, au temps de Cassiododore, II. 573, 574.

Romain, Citoyen Romain, sa condition sous les derniers Empereurs, pire que l’état de plusieurs autres Sujets de l’Empire, I. 142. les Sénateurs Romains ne devoient point sortir d’Italie sans une permission expresse de l’Empereur ; on excepte de cette Loi la Sicile & la Gaule Narbonoise, 148, Citoyens Romains dégradés, parce qu’ils ne savoient pas le Latin, II. 452.

Romain, Romaine, Troupes Romaines, au Ve siecle, divisées en deux especes de Milices, I. 79. voyez Troupes. Droit de Bourgeoisie Romaine attaché à la filiation & non à l’habitation dans Rome, 435. & suiv. Consuls Romains, une des marques de leur autorité, &c. II. 225, 226.

Romains, Empereurs Romains, étendue de leur autorité, I. 34. & suiv. cette autorité leur étoit conférée par le Sénat, nonobstant quelques exemples contraires, 37 & suiv. leurs Rescrits avoient force de Loi, 39. leur pouvoir transmis par Justinien aux Princes à qui il céda les Gaules, est restraint par leurs Successeurs, & sur tout par les Descendants de Hugues Capet, 40. confioient à la même personne le pouvoir Civil & le pouvoir Militaire avant Constantin, 41. faisoient eux-mêmes toutes les fonctions de Juge, 43. ne paroissoient dans Rome que vêtus de long, ou de la Toga, 44. quels revenus ils tiroient des Gaules ; conjectures sur ce sujets 140. & suiv. prohibent le transport du vin, de l’huile, &c. chez les Barbares ; pourquoi, 192. vanité des Empereurs des Romains d’Orient, 252. ils se mêloient des affaires de l’Occident au Ve siecle, 488, 515. Les Empereurs passoient en recette la remise qu’ils faisoient à quelqu’un de sa cotte part du Tribut, II. 573.

Romains, leur prédilection pour les Gaulois, I. 3. obligent tous les Sujets de l’Empire à parler Latin, 6. transplantent des peuplades de Germains dans les Gaules, 7, 8. leur conduite en cette occasion, conforme à la saine politique, ibid. & 9. étoient gouvernés despotiquement par les Empereurs, 34. & suiv. pourquoi les Troupes Romaines étoient plus enclines à se révolter que les Troupes d’aujourd’hui, 46. & suiv. confédération de leurs Armées utile à quelques Empereurs, nuisible à d’autres, 52. leurs Troupes faisoient comme une République à part par les Priviléges dont elles s’étoient emparées, ibid. & 53. n’entretenoient que 1200 hommes de Trouples réglées dans l’intérieur des Gaules, 54. s’approprioient une partie des Terres des pays subjugués ; quel usage ils en faisoient sous la République, 103. à quelles conditions, ils adjugeoient les terres incultes, 104, gardoient des terres en valeur pour les faire valoir aux frais de la République, &c. 105. s’ils s’approprioient une partie des forêts & des bois taillis, &c. 106. en quoi ils faisoient consister les véritables richesses d’un Etat, 108. pourquoi ils avoient pris Le Rhin pour borne de l’Empire, 163. entretenoient la paix avec les Germains qui habitoient sur La rive droite de ce fleuve & avec les Francs par conséquent, ibid. 165. quels moyens ils employoient pour obliger les Francs & les autres Barbares à vivre en paix avec l’Empire ; 1°. ils Les engageoient à cultiver leurs propres terres, &c. ibid, & 166. 2°. Ils leur payoient des subsides. ibid, & 167. 3°. Ils tenoient à leur solde des corps de Troupes de cette Nation, & ils avançoient ceux qui servoient bien aux premieres Dignités de l’Empire, ibid. & 168. 4. Ils en transplantoient des peuplades dans le territoire de l’Empire, 393. & suiv. ne cédoient pas aux Barbares la Souveraineté des Provinces où ils leur accordoient des quartiers, 257. & suiv. ceux qui resterent dans Rome ne jouïrent pas seuls des Droits du Peuple Romain, 437, 439. Romains des Gaules ont recours à Zenon Empereur d’Orient ; ils ne le trouvent pas disposé à s’unir avec eux contre Odoacer, 587. prohiboient l’inhumation des Morts dans l’enceinte des Villes, 607. leur affection pour Clovis, quelle en étoit la principale cause, 626. & suiv. quand ils cesserent d’avoir le nom de Roi en aversion, II. 6. se servoient de la Jurisprudence pour aprivoiser les Barbares, & pour les accoutumer à l’obéissance, II, 11. & suiv. conjectures sur les projets de ceux des Gaules bien intentionnés pour le Capitole au Ve siecle, 13, 24. quels ont dû être leurs sentimens à la nouvelle de la cession de l’Italie par l’Empereur Zenon, 38. & suiv. eurent beaucoup de part au mariage de Clovis avec Clotilde, 49, 50. Romains d’Occident, quelles ont dû être leurs vües en procurant le Consulat à Clovis, 227. étoient distingués des Barbares par les noms qu’ils portoiens au Ve siecle & aux siecles suivants, 446, 447. avoient obligé les Nations vaincues à parler Latin, 452. ceux des Gaules vivoient selon le Droit Romain sous la domination des Rois Mérovingiens, 486. & suiv. leur division en trois Ordres, subsiste dans les Gaules sous nos Rois, 503. & suiv. ils parvenoient aux Emplois les plus importans de la Monarchie, 507. & suiv. s’allioient par mariage avec les Francs ; 515. & suiv. plusieurs usages qu’ils avoient établi dans les Gaules, continuent d’avoir lieu sous les Rois Francs, 587. & suiv.

Rouyer (le Pere) Jésuite, nommé Rovere par le P. Daniel, Reverins en Latin, publie l’Histoire de l’Abbaye de Saint Jean de Réomay, &c. II. 26. ses Notes sur une Chartre de Clovis, sont propres à faire douter de son authenticité, 107. critiqué, 136.

Royauté, quels en étoient autrefois les devoirs, I. 158, 159.

Rufus (Cluvius) Gouverneur de l’Espagne, sa conduite pendant la dispute de l’Empire, I. 484

Rugila, Roi des Huns ; prend les armes en faveur d’Aërius, I. 290.

Ruinart (D. Thierry) donne une belle édition de Gregoire de Tours, D. p. 20, 31. sa remarque sur le style de cet Ecrivain, I. 542. son sentiment sur l’état des habitants des Gaules sous la domination de nos premiers Rois, II. 515.

S

Sabinus, (Julius) Gaulois, attaque la Cité des Sequanois ; est défait, &c. I. 28.

Sagibarones, mot Franc latinisé, ce qu’il signifie, II. 439.

Saint-Malo, remarques sur cette Ville, II. 532.

Saliens, Voyez Francs.

Salique, Loi Salique, en quel tems elle fut imprimée en France pour la premiere fois, D. p. 34. le préambule de cette Loi cité, II. 230. remarques sur l’article de cette Loi où l’on croit trouver la Sanction qui exclut de la Couronne les Filles de la Maison de France, 398 & suiv. recherches sur cette Loi, 413 & suiv. ce qu’elle statue sur les peines pécuniaires auxquelles les meurtriers doivent être condamnés, 425. pourquoi elle n’ordonne pas la peine de mort, &c. 428. Sanction de cette Loi, 450. inductions tirées de plusieurs de ses articles, 505 & & suiv. 516, 517. remarques sur un autre de ses articles, 602.

Salique, Terres Saliques, espece de Fiefs affectés aux Francs, II. 545. à quelle condition on les conféroit ; elles étoient des véritables Bénéfices Militaires, 546, 547 & suiv. ces Terres n’étoient point exemptes du Tribut ordinaire, 577. & suiv.

Salvien, Prêtre de Marseille, son Traité de la Providence, contient des choses curieuses sur l’état des Gaules du tems de Clodion, pipe 28. peinture qu’il fait de la misere des Citoyens, des injustices des Officiers Romains dans les Gaules, &c. I. 332 & suiv.

Sandregefilus, Duc en Aquitaine, est tué par des assassins ; ses enfans négligent de venger sa mort, & sont punis de cette négligence, II. 401.

Sangibanus, Rois des Alains établis dans l’Orléanois, promet de livrer Orléans à Attila, L 367. est obligé de joindre l’armée Romaine, 379.

Sapaudia, Pays ainsi appellé où les restes des Bourguignons obtiennent des quartiers, I. 303, 304.

Sarus, Got de Nation, attaché au service d’Honorius, remporte plusieurs avantages sur Constantin & l’assiége dans Valence, I. 203. leve le siége pour se retirer en Italie, où il ne peut repasser qu’après avoir abandonné son butin aux Bagaudes, ibid. se jette dans le parti de Jovinus ; rencontre Ataulphe qui le fait tuer pour une vieille querelle, &c. 230.

Savans (les) du regne de François premier, étoient épris uniquement de la Grece & de l’Italie ; leur indignation contre les anciens peuples Barbares, D. p. 33, 34. leur dédain pour les Monumens Historiques de ces Peuples retarde l’éclaircissement des Annales de la Monarchie Françoise, ibid. qui sont les Savans à qui l’on doit sa connoissance de ces Monumens, 36.

Sauromates, les Gots sont désignés sous ce nom, I. 181.

Saxonique, Rivage Saxonique, partie du rivage de la Grande Bretagne, pourquoi il est ainsi appellé dès le IIIe siecle, I. 74 & suiv. la Côte de la Cité de Bayeux est aussi nommée Rivage Saxonique au Ve siecle, 76. Saxons Bessins, ibid, Voyez II. 469, 470.

Saxons, quel Pays ils habitoient ; leurs Isles ; I. 148. étoient le fleau des Gaules au Ve siecle, 149. construction de leurs Bâtimens de Mer, 150 & suiv. quelles expéditions ils entreprenoient avec leurs Flottes, 153, 154. leur Religion, 155. Saxons joints à Aëtius contre Attila, qui ils étoient, 382, 383. leurs progrès dans la Grande Bretagne, 514. Alliés des Visigots, leur expédition sur la Loire ; ils en sont chassés ; leurs Isles prises par les Francs ; ce qu’il faut entendre par ces Iles, 534 & suiv. quelle étoit la constitution de leur société II. 428, 429. peuplade de Saxons dans les Gaules, 468 & suiv. Saxons dans la Grande Bretagne, &c. 470 & suiv.

Scipion l’Emilien, destructeur de Carthage, de quel genre de mort il mourut, &c. I. 509.

ScripturaAgrarium, espece de taxe, I. 111.

Scythes, Nation Scythique, peuples compris sous ce nom, I. 184. sont désignés par divers noms, 185, 186. entierement semblables aux Tartares, &c. ibid. & suiv. Voyez : Alains. Huns.

Sebastianus, gendre de Bonifacius, est fait Maître de la Milice en Italie après la mort de son beau-pere, I. 289. il est déposé, &c. 290.

Sénateurs Romains, (les) ne pouvoient être adjudicataires des Fermes publiques, I. 103.

Sénieurs, (Seniores) Chefs des Francs sous les Rois, I. 594, II. 437. qui ils étoient, & leurs fonctions, ibid. & suiv. Archi-Sénieurs, &c. 439. étoient Juges durant La paix & Capitaines durant la guerre, 440.

Septimanie, diversité de sentimens sur la signification de ce mot ; ce qu’il signifie dans une lettre de Sidonius, I. 521, 522.

Serfs d’heritage, Serfs de corps & d’heritage, leur différence ; Serfs appartenans aux Eglises, I. 13. d’où provenoit le grand nombre des Serfs en France, 14. II. 418. Serfs de biens ou d’héritage, 410. Serfs des Nations Germaniques étoient capables du maniement des armes, II. 421, 422. Serfs des Eglises étoient reçus à rendre le témoignage en Champ-clos, &c. ibid. il étoit défendu aux Serfs de toute espece de porter de longs cheveux ; abrogation de cette Loi au XIIe siecle, 606.

Seronatus, mauvais Citoyen mentionné dans les Lettres de Sidonius, I. 564.

Service Divin, célébré sans discontinuation dans plusieurs Monasteres des Gaules : le relâchement des Ecclésiastiques a aboli cet usage ; Sixte V. vouloit le rétablir lorsqu’il mourut, II. 295.

Servitude Germanique, en quoi elle consistoit, I. 13 II. 418. comment elle s’introduit dans les Gaules, &c. 419, 410. n’est pas entierement détruite en France, ibid. Servitude Romaine, abrogée en France sous les Rois de la seconde race, II. 420.

Severe Sulpice, son Abrégé de l’Histoire Ecclésiastique, D. p. 17. ses Dialogues cités, : I. 10.

Severus, eft proclamé Empereur d’Occident sans attendre l’agrément de celui d’Orient, I. 479. désordres où cette proclamation jette l’Empire, 480 & suiv. obtient l’agrément de Léon Empereur d’Orient, 481. meurt empoisonné, 512.

Sidonius (Caïus Sollius Apollinaris) Evêque d’Auvergne, ses Lettres & ses Poësies utiles pour l’Histoire de son tems, D. p. 28. jugement sur ses Vers, 29. ses Ouvrages imprimés avec les Commentaires de Savaron & du P. Sirmond, 31. Vers de cet Auteur expliqués, I. 125. peinture qu’il fait de Théodoric II. Roi des Visigots & de sa Cour dans une de ses Lettres, 403 & suiv. conjectures sur cette Lettre de Sidonius, 407, 408. observations sur un passage de cet Auteur, 412 & suiv. autre passage examiné, 416, 417. en quel tems il devine Evêque d’Auvergne ; réflexions sur deux de ses Lettres, 510 & suiv. ses plaintes sur la cession faite aux Visigots de sa patrie, 579. les Visigots l’en tiennent éloigné long-tems, & lui permettent enfin d’y revenir, &c. 580. circonstances de son exil, 590 & suiv. réflexions sur son silence & sur son recueil de Lettres, 91, 92. meurt après avoir prédit qui seroit son Successeur, 628. remarque sur cette prédiction, 619.

Sigebert, Roi des Francs Ripuaires, attaqué par les Allemands ; appelle Clovis à son secours ; est blesé à la bataille de Tolbiac, II. 65. est surnommé le Boiteux à cause de cette blessure, 190. est tué par des assassins subornés par son fils, 235. étendue de son Royaume, 237 & suiv.

Sigeric, Successeur immédiat d’Ataulphe au Trône des Visigots, est tué peu de tems après son élection, I. 236.

Sigismond, fils de Gondebaud Roi des Bourguignons, Lettre écrite en son nom après qu’il eut été fait Patrice, à l’Empereur Anastase, II. 92. son voyage à Constantinople, 93, 94. avoit abjuré l’Arianisme avant la mort de son pere, 158. succede à son pere, 289. en quels termes il écrivoit à l’Empéreur Anastase, 290 & suiv. fait périr son fils Sigeric par les artifices d’une marâtre, 294 296. se retire pendant quelque tems à Saint Maurice en Valais pour y faire pénitence ; fondation qu’il fait dans ce Monastere ibid. est attaqué par Clodomire, Childebert, & Clotaire, perd la bataille, s’habille en Religieux & se tient caché ; est trahi par ses Sujets, fait prisonnier ; & donné en garde à Clodomire, 296, 297. la fin tragique & celle de sa femme & de ses enfans, 301

Sirmond, (le Pere) Jésuite, une de ses Notes sur Sidonius réfutée, I. 446 & suiv.

Sixte V. Pape, éloge de sa grande ame ; dessein qu’il étoit prêt d’exécuter lorsqu’il mourut, II. 295.

Soie, pourquoi le commerce des étoffes de Soie étoit interdit aux particuliers, I. 137. son prix excessif sous l’Empire d’Aurelien, pourquoi il est considérablement diminué sous celui de Justinien, 138.

Sol d’or du Bas Empire, son poids & sa valeur, I. 93. Sols d’or Gaulois ou Armoriques, remarques sur ces especes, I. 217, 218. s’ils étoient les mêmes que ceux qu’une Loi de Gondebaud appelle Ardaricanes, ibid. & suiv.

Souliers à Lune, chaussure particuliere aux principales personnes de l’Etat parmi les Romains, II. 224, 225.

Souverains (les) ne se dégradent pas en acceptant des Emplois qui les subordonnent, à certains égards, à un autre Souverain ; exemples de notre tems, I. 561, 562. II. 231. se réservent le droit de juger leurs Soldats, en quelque lieu qu’ils soient, lorsqu’ils les prêtent ou louent à d’autres Princes ; sagesse de cette précaution, I. 611, 612. les Souverains æconomes ne sont pas ceux qui ruinent leurs peuples, II. 600.

Statholder, les Etats de la Province de Hollande exercent cette Charge par eux mêmes, &c. comment elle avoit passé dans la Maison d’Orange, I. 221.

Stilicon, loué par Claudien, I. 166, 167, 174. porte des coups funestes à l’Empire ; son origine ; ses vues ambitieuses ; excite les Barbares à faire une invasion dans les Gaules, 190, 194, il avoit tiré de cette Province les troupes destinées à garder le Rhin, 198. n’envoie point d’armée pour repousser les Barbares ; quels étoient ses desseins, 202. est massacré par les soldats, 205.

Subordination (la) ame des Corps politiques, plus respectée lorsqu’elle est l’effet du mérite, &c. I. 48. Il n’y en avoit aucune entre les quatre fils de Clovis, II. 269.

Succession, la Loi de succession, est le plus ferme soutien des Monarchies héréditaires ; elle produit un engagement réciproque entre le Prince & le Peuple, II. 390. comment elle a été établie dans la Monarchie Françoise, ibid. & suiv. cette Loi exclut les filles de la Couronne, 397, 398. incertitude de cette Loi dans l’Empire Romain ; 406 & suiv.

Sueves (les) font une irruption dans les Gaules avec les Vandales & les Alains, I. 194 & suiv. Voyez 256. commettent des hostilités contre les Romains en Espagne, &c. 271. s’emparent de Lisbonne ; sont attaqués par les Visigots ; traitent avec les Romains, 516. joints aux Allemands, sont battus à Tolbiac par Clovis & Sigebert, II. 65, 66. quels éroient ces Sueves, 70, 71.

Suisses, Confédération des Treize Cantons Suisses, en quoi elle consiste, I. 161. leurs Dietes, 223.

Sulpitius Alexander, Ecrivain du cinquiéme siecle, son Ouvrage perdu ; extraits que Gregoire de Tours en a fait ; D. p. 23.

Superindictions, crûes subites de la cottisation de l’arpent, 117, 118. s’exigcoient même des privilégiés, ibid. & 119.

Sureté, (Securitas) quittance de la cotte-part d’impôts, I. 135.

Syagrius, fils d’Egidius ; succede à son pere dans le Gouvernement de la Cité de Soissons, II. 5. en quel sens il est appellé Roi des Romains par Gregoire de Tours, ibid. & 6. sur quels pays son autorité s’étendoit, 7. défait par Clovis, se réfugie chez les Visigots, 19. est livré à Clovis qui le fait mourir, 20, 21.

Symboles des Nations, &c. avant l’invention du Blazon & des Armoiries, I. 78. ceux des Nations Germaniques & des Francs, 608.

T

Tables du Capitole, moyen de concilier leurs dates avec celles des Fastes Consulaires, I. 207.

Tacite, explication d’un passage de cet Historien, 157, 158.

Tartares (les) ressemblent aux Scythes dont ils habitent l’ancienne patrie, I. 186 & suiv. pourquoi ceux qui ont conquis la Chine obligent les Chinois à s’habiller comme eux ; II. 607.

Téisales, Nation Scythique, I. 184, 185. une de leurs peuplades établie dans le Poitou y subsiste long-tens sans être confondue avec les anciens habitans, II. 468, 469.

Terces, Régimens d’Espagnols naturels qui servoiont dans les guerres des Pays-Bas ; comment ils s’y comportoient quand ils n’étoient pas payés, I. 98.

Térouenne, jouïssoit des droits de Commune sous l’autorité immédiate du Roi, &c. II. 531, 532.

Teutons, peuples Barbares, d’où dérivoit leur nom, I. 279.

Théodat, est associé au Trône des Ostrogots par Amalasonte, II. 338. fragment de sa lettre à l’Empereur Justinien, 339. dépouille sa bienfaitrice de l’autorité souveraine, la relegue & la fait ensuite mourir, ibid. & 340. ce meurtre le rend odieux, ibid. les vains efforts pour détacher les Francs de l’alliance avec Justinien ; traite secretement avec Belisaire ; est massacré par ses Sujets, 345.

Theodebert, sa lettre en réponse à l’Empereur Justinien ; remarques sur cette piece, & sur le Prince à qui on doit l’attribuer, II. 228 & suiv. est envoyé par son pere contre les Danois, &c. remarque sur son âge lors de cette expédition, 274. est envoyé contre Les Visigots ; prend quelques Châteaux ; ses liaisons de galanterie avec Deuteria qu’il épouse après La mort de Thierri, &c. 322, 323. ordre qu’il reçoit de Thierri de se défaire du fils de Sigivaldus, ce qu’il n’exécute pas, ibid. succede à son pere & s’affermit sur le Trône malgré les projets de ses oncles, 324. son caractere, 325. remarques sur deux de ses lettres à l’Empereur Justinien, 343, 344. envoie des troupes aux Ostrogoths ; pourquoi il leur envoya des Bourguignons plutôt que des Francs ou des Romains, 352, 353. sa premiere expédition en Italie ; il y envoie ensuite Buccellinus, 354, 368. pourquoi il avoit été obligé de répudier Deuteria, 517.

Théodemir, pere de Théodoric Roi d’Italie, expédition qu’il avoit fait sur le haut du Danube, II. 70.

Théodore, Evêque, chassé par les Bourguignons, est élu Evêque de Tours par le crédit de Clotilde, II. 159.

Théoderic I. Roi des Visigots, I, 256. succede à Vallia, 260. sa piété, 306. affront sanglant que sa fille essuie de la part du Roi des Vandales, 361. périt dans la grande bataille contre Attila, 388, 389. ses enfans, 391.

Théodoric II. Roi des Visigots après la mort de Thorismond, I. 402. se montre attaché aux intérêts de l’Empire, 403. son portrait & sa maniere de vivre, ibid, & suiv. porte Avitus au Trône Impérial, 418. en rupture ouverte avec le parti de Majorien ; fait sa paix avec cet Empereur après avoir été battu, &c. 447, 448, 459. sa mort violente, 514, 515. ferment qu’il ft pour gagner l’affection des Romains, II. 479.

Théodoric, Roi des Ostrogots, gouvernoit l’Italie suivant les Loix & les Maximes Romaines, I. 21. défend d’enterrer les morts dans l’enceinte des Villes, 607. son caractere ; est adopté par Zenon & fait Consul, II. 33. fait la guerre à Zenon qui l’engage à tourner ses armes contre OdoaCer & à conquérir l’Italie ; convention qu’il fait avec l’Empereur rapportée différemment par Jornandès & par Procope, ibid ; & suiv. succès de son expédition en Italie ; il fait mourir Odoacer, 37, 38. accueillit une partie des Allemands battus par Clovis ; écrit à ce Prince pour l’engager à ne les plus poursuivre, 67, 68. son mariage avec une sœur de Clovis, ibid. guerre entre Théodoric & Gondebaud avant l’an cinq cens, 95 & suiv. soutient la guerre contre Anastase ; ses projets ; fait la paix avec l’Empereur ; quelles furent les conditions du Traité, 127, 128. cherche à s’agrandir du côté des Gaules ; se ligue avec Clovis contre les Bourguignons, 131 & suiv. sa conduite dans cette guerre, 140 & suiv. se met en possession de Marseille & de la Province Marseilloise, 142 & suiv. qu’il a possédé ce Pays à titre de Conquérant & non comme Tuteur d’Amalaric, ibid. fait la paix avec Gondebaud & donne une de ses filles en mariage à Sigismond, fils de ce Prince, 162. ses raisons pour maintenir la paix dans les Gaules, 162, 163. ses Lettres à son gendre Alaric & à Clovis pour les engager à vivre en paix, 164 & suiv. cherche à s’arroger une espece de superiorité sur les Rois Barbares des Gaules ; sa Lettre à Gondebaud, 166, 167. montre sa partialité contre Clovis dans une lettre aux Rois des Turingiens de la Germanie ; remarque sur la suscription de cette lettre, 167 & suiv. tems auquel ces lettres ont été écrites, 169. secourt les Visigots ; sa marche fait lever le siége de Carcassonne, 194, 195. envoie une armée qui délivre Arles assiégée par les Francs & par les Bourguignons, 206. récompense les habitans de cette Ville de leur brave défense ; 107. se rend maître d’Avignon, 208. remporte un avantage considérable sur les Francs, 209. est reconnu pour Tuteur d’Amalaric son petit-fils, regne en ce nom sur les Visigots ; fait la paix avec Clovis, 210 & suiv. sa mort, 283. état de sa famille lorsqu’il mourut, 333, 334. maxime de son gouvernement, dans l’administration de la Justice ; observée par ses Successeurs, 499, 500. fait couper la tête à quelques Juges pour avoir fait durer un procès, ibid, usage qu’il pratiquoit en accordant des exemptions, 573.

Theodose le Grand, abolit presque le Paganisme en Orient ; n’a pas le tems de détruire celui des Gaules, I. 16. donne l’administration de l’Empire d’Occident à Silicon pendant La minorité d’Honorius, 190. remarque sur sa postérité, 265, 266. Voyez 426.

Theodose Le Jeune, successeur d’Arcadius à l’Empire d’Orient, I. 204, refuse de reconnoître Constance pour son Collegue, &c. 260. devient de droit Empereur d’Occident par la mort d’Honorius ; 262. s’expose à Joannès proclamé Empereur en Italie, 263 & suiv. envoie une Flotte en Afrique contre les Vandales & la rappelle avant qu’elle eût rien exécuté, 311. sa mort, 356. son Code a été longtems en vigueur dans une partie des Gaules, 492, 493.

Thendis, est proclamé Roi des Visigots ; quoiqu’Arien, il traite bien les Catholiques ; soutient une guerre contre les Rois des Francs, II. 287, 288.

Thendisclus, Général d’une armée de Visigots, se laisse gagner par l’argent & par les prieres des Francs, &c. II. 287, 288.

Thierri, fils aîné de Clovis, soumet l’Albigeois, la Rouergue & l’Auvergne, II. 194. étoit fils d’une concubine ; partage les Etats de son pere avec ses freres fils de Clotide, 261 & suiv. se ligue avec Hermanfroi contre Baderic ; sa premiere expédition dans de Pays des Turingiens ; Hermanfroi lui manque de parole, 178, 179. engage Clotaire son frere à l’aider contre les Turingiens ; succès de leur expédition ; ils soumettent le Royaume des Turingiens, 280 & suiv. dresse des embûches à Clotaire qui ne réussissent pas ; fait tomber Hermanfroi dans le piège, & se défait de lui, 282. s’il eut part à la dépouille des fils de Clodomire, 310. refuse de prendre part à l’entreprise de ses freres contre les Bourguignons ; appaise ses Sujets mécontens de ce refus, 312, 313. il les conduit dans l’Auvergne & leur en donne le pillage, 314. par quels moyens il étouffe la révolte de Munderic, 315, 316. se raccommode avec ses freres, & prend part à leur entreprise contre les Bourguignons, ibid. & suiv. se défait de Sigivaldus son parent, & écris à Theodebert de se défaire aussi du fils de ce Sigivaldus ; &c. 323. sa mort, 324, 324. à quoi sa mort est attribuée par Cassiodore, ibid. & 316. avoir fait rédiger la Loi des Ripuaires, 415 & suiv.

Thor, adoré comme Dieu du Ciel par Les Germains, I. 279, 280.

Thorismond, danger qu’il court dans la bataille des Champs Catalauniques, I. 389, 390. est proclamé Roi des Visigots, veut forcer le camp d’Attila & venger la mort de son pere Théodoric I, Aëtius ne veut point agir, 391. se retire dans ses Etats par les conseils d’Aëtius, pour assurer sa couronne, ibid. & 392. fait la guerre aux Alains établis sur les bords de La Loire, 399, 400. est tué par ses freres, 402.

Tibiston, engage à la révolte les Provinces Septentrionales des Gaules, I. 295, 292, 295. est pris, &c. 297.

Tibere, transporte des Germains sur La gauche du Rhin, I. 7. fait assassiner le jeune Agrippa, 35. se portoit pour Imperator, avant qu’it eût accepté l’Empire, 36, 37. ne croyoit pas la dignité Impériale incompatible avec les fonctions de la Magistrature, 43.

Tiers & Danger, (Droit de) en quoi il consiste, I. 106. est semblable à un ancien Droit établi dans les Gaules par les Romains, 107 & suiv. d’où vient qu’il ne subsiste plus qu’en Normandie, ibid. Voyez 124.

Timariots, Milice Turque, quelle est cette espece de Soldats, I. 85.

Tongri & Toringi, Tongria & Teringia, doivent s’entendre du Diocese de Tongres dans Gregoire de Tours, I, 277 & suiv. Tongriens établis dans les Gaules par Anguste, 28 & suiv. subjugués par Clovis, II. 29 & suiv.

Tonsure Ecclésiastique, conjectures sur ce qui peut avoir donné lieu à cette cérémonie, II. 448, 449, 603.

Toulouse, est cédée au Roi des Visigots, I. 229. prétention de son Capitole, II. 535.

Tournai, résidence de Clovis pendant les premieres années de son regne, I. 632. remarque sur l’état postérieur de cette Ville, 633. II. 530.

Tours, le Comte de cette Cité étoit nommé par l’Evêque, &c. II. 567. ses Habitans prétendoient être exempts du Tribu public ; ce privilege leur étoit contesté par nos Rois ; comment Dagobert I. termina cette dispute,. ibid. & 569 & suiv.

Toxiandrie, quel Pays c’étoit, I. 157.

Tractus, signification particuliere de ce mot, I. 68,.69. II. 525.

Treves, lieu de la résidence du Préfet du Prétoire des Gaules, I. 67. Métropole de tout le Diocese de ce Préfer, 254. prise & saccagée par les Ripuaires, 500.

Tribunaux, pour l’administration de la Justice, de qui ils étoient composés chez les Romains ; les Barbares auront selon l’apparence, suivi cet usage Romain, II. 498. Tribunaux mi-partis, &c. ibid. ibid & suiv.

Troupes Romaines, au Ve siecle de deux especes ; Troupes de Campagne, Soldats présens, leur origine, I. 79. leur Chef, Maitre des Soldats présens, ibid. ces Troupes comparées aux Janissaires ; divisées en Soldats Palatins, & Soldats accompagnans, 80. étoient le nerf des armées Romaines, 81. Loi d’Arcadius & d’Honorius fur ces Troupes, ibid. celles des Gaules se soumettent à Clovis ; réflexions à ce sujet. II. 101, 109, 110.

Troupes de Garnison ou de Frontiere ; I.79, 81. à qui elles devoient leur origine, quelle espece de Troupes c’étoit, 82 & suiv. réflexions sur leur genre de vie, 84, 85. ressembloient aux Timariots de l’Empire Ottoman, ibid.

Troupes Etrangeres des Romains sous Le Bas Empire, I. 87 & suiv. Voyez Confédérés. Letes.

Tulum, Got de Nation, fait Patrice par Athalaric, services qu’il avoit rendu dans Arles assiégée par les Francs & par les Bourguignons, II. 201. autres services dont les Ostrogots lui étoient redevables, 300.

Turcs, (les) n’ont point d’ordre de Noblesse, guoiqu’ils aient beaucoup de considération pour quelques familles illustrées de leur Nation, II. 423, 424. sont toujours Turcs quel que soit le lieu de leur naissance, 465. ont réduit les Grecs dans un état approchant de l’esclavage, 487.

Turingiens (les) de la Germanie, associés avec les Varnes & avec les Herules, II. 167. s’établissent sur la gauche de l’Elbe & s’emparent d’une partie de l’ancienne France, &c. 276. exercent des grandes cruautés sur la Nation des Francs, 280, 281. ils sont défaits, & leur Pays est soumis par les Francs, ibid. & 282.

V

Vaisseaux, les gros vaisseaux n’avoient point sur les petits la même superiorité qu’ils ont depuis l’invention de l’Artillerie, &c. I. 153, 154.

Valentinien I. Empereur, remporte une victoire sur un corps de Saxons, &c. I. 149.

Valentinien II. infortune de cet Empereur trahi & mis à mort par Arbogaste, I. 170, 171.

Valentinien III. sa naissance, I. 256. est fait Nobilissime oui César, 264. est proclamé Empereur d’Occident, 265. traite avec les Vandales & leur laisse une partie de l’Afrique, 295. fait la paix avec les Vandales, 312. ses soupçons sur la conduite d’Aétius qu’il tue de sa propre main, 409, 410. est tué lui-même peu de tems après, 411.

Valentinus, (Tullius) Chef des Députés de Langres à une Assemblée générale tenue à Reims, prononce un discours violent contre l’Empire Romain, I. 31.

Vallia, s’empare du Trône des Visigots, après s’être défait de quelques compétiteurs, I. 236. entretient l’accord fait entre les Romains & Ataulphe ; si ce fut sa premiere idée ou s’il fut forcé, ibid. rend Placidie & passe les Pyrenées, 237. ses exploits en Espagne, &c. 256, sa mort, 260.

Valois (Adrien de) se conforme à l’opinion reçue, &c. entrevoit la vérité, D. p. 35, 36. critique une correction de M. Ducange, I. 219, 220. corrige un passage des Fastes de Prosper, 313. réfuté, 350, 351. critique Jornandès avec fondement, 386. son erreur sur les Sénieurs (Seniores) des Francs, II. 439.

Vamba, Roi des Visigots, dresse l’état de sa Monarchie ; fait quelque expédition contre les Francs, se met en devoir d’accommoder les différends des Evêques, II. 272, 273.

Vandales, peuples de la Nation Gothique, étoient le peuple Barbare dont on faisoit le moins de cas, I. 182. une de leurs Tribus subsiste encore aujourd’hui dans les Etats du Roi de Prusse ; portrait qu’en fit un Electeur de Brandebourg, ibid. & 183. quel Pays ils habitoient ; s’il y en avoir dans la Germanie du tems de Tacite, 183. font une irruption dans les Gaules avec les Alains & les Sueves, 194 & suiv. passent en Espagne ; quel en fut le motif, &c. 205 & suiv. Vandales Silingìens exterminés par Vallia, 255, 256. Vandales, établis en Galice, veulent se saisir de la Betique, battent Castinus, 261. abandonnent l’Espagne & passent en Afrique ; date de cette transmigration, 268. sont laissés en possession d’une partie de cette Province pat Traité avec Valentinien III, 295. s’emparent de Carthage & du reste de la Province d’Afrique, 306, 307. attaquent la Sicile, 311. font la paix avec Valentinien, 312. prennent Rome & la saccagent, 417. battus en Corse par Ricimer, 439. leurs pirateries continuelles, 452. enlevent les vaisseaux de Majorien, qui vouloit les attaquer, avant qu’ils eussent fait voile, 476. chassés de la Sardaigne & battus en Sicile, ils font la paix avec l’Empereur d’Orient, 480. saccagent les côtes d’Italie ; réduisent l’Empereur Severus à des ſâcheuses extrémités, 481, 482. attaqués inutilement par Leon & Anthemius, 517, 518. sont subjugués par Bélisaire, II. 331. succession singuliere de leurs Rois, 332, 333. ils s’étoient approprié une partie des Terres des Romains en Afrique, 552. traitoient les Romains durement, 561, 562.

Varus, (Quintilius) Commandanr pour Auguste dans la Germanie, comment il fut surpris par les Cherusques, II. 11.

Venise, quels en sont les seuls & véritables Citoyens, &c. I. 456. son Livre d’or, &c. 437. remarques sur ses Nobles anciens & nouveaux, II. 424. politique des Nobles de Venise pour cacher leur petit nombre, 607.

Verus, Evêque de Tours, est relégué par les Visigots & meurt en exil, II. 125, 126.

Victorius, Commandement dont il est chargé par Euric, I. 532, 579. fait construire plusieurs édifices en Auvcrgne, 547, 548. est qualifié de Duc par Gregoire de Tours, & de Comte par Sidonius ; raison de ces diverses dénominations, 580.

Vienne (la Cité de) se déclare pour Galba ; guerre sanglante entre cette Cité & celle de Lyon, I. 27.

Vignier, n’avoit pas tous les matériaux nécessaires au rétablissement de l’Histoire de France, D. p. 35.

Ville, (Urbs) ce mot employé dans le sens de celui de Cité (Civitas), II. 17, 18.

Vindex, (Julius) révolté contre Neron, est battu par Virginius Rufus, I. 16.

Vindisch, ancienne Ville, maintenant ruinée, &c. II. 73.

Viornade, confident de Childeric, expédient dont il convient avec ce Prince exilé, &c. I. 461, 462.

Virginius Rufus bat Julius Vindex ; doit une partie du succès aux Belges, I. 26.

Visigots (les) s’attachent au service de l’Empereur Arcadius, & lui sont ensuite la guerre, I. 181, 182. prennent Rome & la pillent, 208, 211. évacuent l’Italie ; prennent des quartiers dans les Gaules en vertu de la concession d’Honorius, 228, 229. ils y vivent suivant leurs Loix nationales & dans l’indépendance des Officiers Civils de l’Empire, ibid. étendent leurs quartiers dans l’Aquitaine ; prennent des liaisons avec Jovinus, &c. rentrent dans le parti d’Honorius, &c. 230. recommencent les hostilités échouent dans leur tentative sur Marseille, surprennent Narbonne, &c. 233. idée qu’en avoit leur Roi Ataulphe, 234. changent de mœurs & de caractere dans la suite, ce qui paroît par les vieux Castillans qui en descendoient, 235. traitent avec Honorius ; conditions de cec accommodement, ibid. évacuent les Gaules & prennent la route d’Espagne, 236, 237. rentrent dans les Gaules, &c. 255 & suiv. Visigots auxiliaires de Castinus le trahissent dans une action contre les Vandales, 161. forment le siégé d’Arles, & le levent à l’approche d’Aëtius, 266. ils sont défaits par ce Général, ibid. & 167. rompent la paix & tâchent de s’emparer de Narbonne, &c. 297, 298. leur mérite particulier dans la guerre ; pourquoi ils sont battus plusieurs fois par Aëtius ; conviennent avec lui d’un Armistice, &c. 299. sont attaqués par Litorius malgré l’Armistice ; mauvais succès de cette entreprise, 303 & suiv. renouvellent la paix avec les Romains, &c. 308 & suiv. se joignent aux Romains contre Attila ; remarque sur leurs habits faits de peaux, 376, 377. ont grande part à la défaite d’Attila, 387 & suiv. emportent le corps de leur Roi tué dans la mêlée, en chantant un Cantique, &c. 391. font la guerre contre le parti d’Egidius, 492, 493. assiégent Arles qu’ils ne peuvent prendre, 494 & suiv. s’emmparent de Narbonne, 497. de quelle importance leur étoit cette Ville, 499. leur marche hardie jusques sous Orléans ; ils sont battus par Egidius, 502, 503. étendent leurs quartiers après la mort d’Egidius, 509. attaquent les Sueves, &c. ensuite les Romains, 516. leurs conquêtes dans les Gaules, &c. 531, 532. leur Code des Loix rédigé par Euric, 573, 575. Traité de paix ou de treve entre eux & les Bourguignons ; conjectures sur ce point, 589 & suiv. en guerre avec les Bourguignons p II. 2 & suiv. leur jalousie contre Clovis, 117 & suiv. sont mis en fuite à la bataille de Vouglé, 490. Article de leur Loi Nationale, 192. tâchcnt de tirer avantage de la mort de Clovis, &c. quel Pays ils occupoient dans les Gaules au VIIe siecle, 171, 173. perdent ce qu’ils avoient recouvré après la mort de Clovis, 186, 187. remportent des grands avantages sur une armée de Francs dans l’Espagne Tarragonnoise, 287, 288. pensoient, comme les Francs, qu’un Prince à qui on avoit coupé les cheveux, étoit inhabile à regner, 309. en quel tems leurs Rois firent frapper des pieces d’or à leur coin, 363, 364. remarques sur ces peuples & sur leur Loi Nationale, 465 & suiv. pretendoient descendre de Mars comme les Romains, 478, 479. les alliances par mariage avec les Romains leur étoient prohibées ; révocation de cette Loi, 515, 516, 520. ils s’étoient approprié les deux tiers des Terres des particuliers, 554. étoient assujettis au payement du Tribut public, &c. 575, 576.

Vitalianus, un des Sénateurs de l’Empire d’Orient, grand rôle qu’il joua dans cet Empire, II. 88, 89.

Vitellius, renvoie les Milices des Gaules qui étoient venues à son secours &c. I. 27. proclamé Imperator, ne prit le titre à Auguste qu’à Rome, 38.

Vitigès, est élu Roi par l’armée des Ostrogots ; fragment d’une lettre écrite en son nom à tous les Ostrogots, pour leur faire part de son élection, 345, 346, fait des démarches infructueuses pour obtenir la paix ; détache les Francs de l’alliance avec Justinien, &c. ibid. & suiv. prend des mesures pour résister à Justinien, &c. 352.

Volusianus, Evêque de Tours, soupçonné d’intelligence avec Clovis, est relégué par les Visigots & meurt en exil, II. 117, 118, 125.

Vouglé ou Vouillé, lieu où Clovis défit les Visigots, II. 189, 190. défense de ce sentiment contre un Critique moderne, 191, 192.

Zénon, est reconnu Empereur des Romains d’Orient, I. 554. Ambassadeurs qu’il reçoit de la part du Sénat Romain & d’Odoacer ; propositions de ces Ambassadeurs ; réponse qu’il leur fait, 584, 585. refuse de s’unir avec les Romains des Gaules & se détermine en faveur d’Odoacer, 587. il est obligé à prendre ce parti par les conjonctures de ses affaires, 588. engage Théodoric Roi des Ostrogots, qui lui faisoit la guerre, à tourner ses armes contre Odoacer, II. 33 & suiv.

Zozime, son Ouvrage est d’un grand secours pour éclaircir l’Histoire de l’établissement de la Monarchie Françoise, D. p. 24. passage de cet Auteur sur les Letes expliqué, I. 97. ce qu’il entend par Germanie dans un autre passage, 164.


Fin de la Table.






APPROBATION.


J’AI lû par l’ordre de Monseigneur le Chancelier un Manuscrit intitulé : Histoire critique de l’Etablissement de la Monarchie Françoise dans les Gaules, par M. l’Abbé Du Bos ; & je n’y ai rien trouvé qui en puisse empêcher l’impreslion. Fait à Paris ce 18 de Juin 1740, SECOUSSE.


PRIVILEGE DU ROI.


LOUIS, PAR LA GRACE DE DIEU, ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE à nos amés & feaux Conseillers, les Gens tenans nos Cours de Parlement, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Grand-Conseil, Prevôt de Paris, Baillifs, Sénéchaux, leurs Lieutenans Civils & autres nos Justiciers qu’il appartiendra ; SALUT. Notre bien amé le sieur Du Bos, Abbé de Ressons, l’un des Quarante de notre Académie Françoise, & Secrétaire perpetuel de notredite Académie, & notre Censeur Royal des Livres, Nous ayant fait remontrer qu’il souhaiteroit faire imprimer & donner au public un Ouvrage qui a pour titre : Histoire critique de l’Etablissement de la Monarchie Françoise dans les Gaules, par ledit Sieur Abbé du Bos, s’il Nous plaisoit lui accorder nos Lettres de Privilege sur ce necessaires, offrant pour cet effet de le faire imprimer en bon papier & beaux caracteres suivant la feuille imprimée & attachée pour modéle sous le contre-scel des Présentes. A CES CAUSES, voulant donner audit Abbé Du Bos les marques d’estime que meritent ses talens, son sçavoir, & les applications qu’il s’est toujours donné depuis plusieurs années, & le donne encore actuellement à procurer au Public des Ouvrages, tant pour la Monarchie Françoise & autres, que pour l’avancement des Sciences & des Belles-Lettres, en lui donnant le moyen de nous les continuer ; Nous lui avons permis & permettons par ces Présentes de faire imprimer ledit ouvrage ci-dessus spécifié en un ou plusieurs volumes, conjointement ou séparément, & autant de fois que bon lui semblera, & de le faire vendre par tout notre Royaume pendant le tems de vingt années consecutives, à compter du jour de la date desdites Présentes : Faisons défenses à toutes sortes de personnes de quelque qualité & condition qu’elles soient, d’en introduire d’impression étrangere dans aucun lieu de notre obéissance, comme aussi à tous Libraires Imprimeurs, & autres, d’imprimer, faire imprimer, vendre, faire vendre, débiter ni contrefaire ledit ouvrage ci-dessus exposé en tout ni en partie, ni d’en faire aucuns extraits, sous quelque pretexte que ce soit d’augmentation, correction, changement de titre, ou autrement, sans la permission expresse & par écrit dudit Sieur Exposant ou de ceux qui auront droit de lui, à peine de confiscation des exemplaires contrefaits, de six mille livres d’amende contre chacun des contrevenans, dont un tiers à Nous, un tiers à l’Hôtel-Dieu de Paris, l’autre tiers audit Sieur Exposant, & de tous depens, dommages & intérêts ; à la charge que ces Présentes seront enregistrées tout au long sur le registre de la Communauté des Libraires & Imprimeurs de Paris dans trois mois de la date d’icelles ; que l’impression de cet ouvrage sera faite dans notre Royaume, & non ailleurs, & que l’Impetrant se conformera en tout aux Reglemens de la Librairie, & notamment à celui du 10 Avril 1725, & qu’avant que de l’exposer en vente, le Manuscrit ou l’Imprimé qui aura servi de copie à l’impression dudit Ouvrage, sera remis dans le même état où l’approbation y aura été donnée ès mains de Notre très cher & féal Chevalier le Sieur DAGUESSEAU Chancelier de France, Commandeur de nos Ordres, & qu’il en sera en suite remis deux exemplaires dans notre Bibliothéque publique, un dans celle de notre Château du Louvre, & un dans celle de nocredit très-cher & féal Chevalier le sieur DAGUESSEAU Chancelier de France, Commandeur de nos Ordres ; le tout à peine de nullité des Présentes ; du contenu desquelles Vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Sieur Exposant ou ses ayans-cause pleinement & paisiblement, sans souffrir qu’il leur soit fait aucun trouble ou empêchement ; Voulons que la copie desdites Présentes qui sera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit Ouvrage soit tenue pour dûëment signifiée, & qu’aux copies collationnées par l’un de nos aimez & feaux Conseillers & Secretaires, foi soit ajoutée comme à l’original. Commandons au premier notre Huissier ou Sergent de faire pour l’exécution d’icelles tous Actes requis & necessaires, sans demander autre permission, & nonobstant clameur de Haro, Chartre Normande, & Lettres à ce contraires ; CAR tel est notre plaisir. Donné à Paris le vingt-uniéme jour d’Avril, l’an de grace mil sept cent quaranre-un, & de notre regne le vingt-sixiéme. Par le Roi, en son Conseil. SAINSON.

Registré, ensemble les deux Cessions ci-dessous, sur le Registre X. de la Chambre Royale des Libraires & Imprimeurs de Paris, No. 486. fol. 485. conformément aux anciens Réglemens confirmés par celui du 28 Février 1723. A Paris le deuxiéme May mil sept cent quarante-un. SAUGRAIN, Syndic.

J’ai cedé le present Privilege aux Sieurs Didot & Nyon fils, pour en joüir conformément au Traité fait entre nous. Fait à Paris le premier Mai mil sept cent quarante-un : L’ABBE DU BOS.

Nous soussignés avons associé Madame la veuve Ganeau, & Messieurs Nyon pere & Giffart, chacun pour un cinquiéme. A Paris ce deuxiéme May mil sept cent quarante-un. DIDOT. NYON fils


De l’Imprimerie de CLAUDE SIMON pere.

  1. En 382.
  2. En 486.
  3. Valensii, notit. Gall. pag. 609.
  4. Notæ Colvenerii in Flod. pag. 28.
  5. De glor. Mart. lib. pr. cap. 78.
  6. Histoire de l’anc. gouv. de la France, pag. 50.
  7. Histoire de France, pag. 1065.
  8. Histoire de Lyon, page 541.
  9. En 490.
  10. Liv. 2. ch. 7.
  11. Hist. lib. 2. chap. 17.
  12. En 1589.
  13. Tom. 1 page 219. Edit. de 1718.
  14. C'est-à-dire en 496.
  15. Vide Alem. notas in Hist. anec. Procopii, pag. 23.
  16. Sirmond. in notis ad Avit. p. 38.
  17. Avit. Ep. 83. & 84.
  18. Sirm. in notis ad Av. p. 24.
  19. Not. Sirm. in Enn. Baillet, Vie des Saints.
  20. Sirm. Conc. Gall. tom. pr. 174.
  21. Vid. Procop. Hoeschelii, pag. 184.
  22. Petav. Rat. temp. Part. 1 lib. 7. cap. 3.
  23. Cangi. Gl. Lat. rom. pr. pag. 211.
  24. Préface Histor.
  25. Edition de 1696. p. 67. Edition de 722. pag. 19.
  26. Ancien Etat de la petite Bret. pag. 93
  27. Hist. lib. 1, cap. 43.
  28. Hist. lib. 1, cap. 32.
  29. Gr. Tur. Histor. 1. cap. 84.
  30. Pag. 370.
  31. De Mir. lib. 1 cap. 3.
  32. Vie de St. Mar. par Gervaise, page 264.
  33. En 408.
  34. Sirm. in notis ad Avit. pag. 56. Cassi. Var. libr. pr. Ep. I.
  35. Cass. Var. lib. 2. Ep. 3. lib. 9. Ep. 22. Ibid. libr. 6. Formul. prima lib. 2. Ep. 1.
  36. Hist. lib. 3. cap. 6.
  37. Mar. Av. Chron. ad an. 500.
  38. Arrivée en 526.
  39. Voyez ci-dessous.
  40. Se cum inimicis meis sociavit.
  41. Ann. Eccles. Fran. Tom. 1. p. 331.
  42. En 497.
  43. Ann. Eccl. Franc. tom. 1. p. 210.
  44. Val. in Addendis ad pag.291. tom. pr.
  45. Ror. Gelt. Fr. lib. 4.
  46. Greg. Tur. Hist. libro 2. cap. 57.
  47. Greg Tur. Ruinar. pag. 1163.
  48. Greg. Tur. Hist. lib. 2. cap. 37.
  49. Procopius Hoesch. pag. 185.
  50. Avit. Vien. Ep. 44. 45. & 46.
  51. Liv. 3. ch. 3.
  52. Tacit. Ann. lib. cap. 3.
  53. Zofim. hist. Lib. 2. page 118.
  54. Annal. Bened. tom. pr. pag. 169.
  55. Hist. de l’Abbaye S. Germain, p. 269.
  56. Lunati calcci.
  57. Greg. Tur. Lib. Hist. 6. cap. 17.
  58. Vales. Rer. Franc. lib. pag. 271.
    Aim. lib. pr. cap. 16 & 17.
  59. Voyez ci-dissus, liv. 3. ch. 19.
  60. Troisième Canon.
  61. Nomo Lexicon Thom. Blount. London. 1670.
  62. Greg. Tur. Hist. Lib. 3. ch. 12.
  63. Voyez ci-dessus, liv. 2. Ch. 7.
  64. Annales Fran. Ruinartis.
  65. Vid. Præf, Tom. 2. Rer. Franc, Valesii.
  66. Vales. Not. Gall. p. 625.
  67. Donnée en 1512.
  68. Lib. Hist. 3. cap. 6.
  69. Val. de Reb. Fran. Tom. 1. pag. 388. Daniel. Tom. pr. pag. 176. Ed. de 1722. Ed de 1696. pag. 364.
  70. Annn. Ruinart.
  71. En 514.
  72. Vales. Nor. Gall. p. 601.
  73. Vales. Rer. Franc. tom. 1. pag. 329.
  74. Hist. Fr. Lib. 3. Cap. 31.
  75. De bello Got. lib. quarto.
  76. Petav. Rat. temp. lib. 7. cap. quinto.
  77. Liv. 4. Ch. 17.
  78. Le Blanc, Tr. hist. des Monnoyes de France, pag. 14, 19, & 21.
  79. Pag. 32.
  80. Am. Mar. lib. 26. Zos. Lib. 4. p. 209.
  81. Agath. de rebus Juf. lib. pr.
  82. Voyez ci-dessus, Liv. 2, Ch. xi
  83. Article 37.
  84. Actor forum rei sequitur.
  85. Tom. 2. p. 1121.
  86. Edit de 1374.
  87. Donné en 1407.
  88. Souveraineté des Rois, Liv. 1. Ch. 4. pag. 17.
  89. Art. 2.
  90. Voyez le Songe du Vergier, Liv. 1. Chap. 142.
  91. Leibnitz, cod. Dipl. Tom. 2. pag. 66.
  92. Numero neuf mille six cens soixante & dix-huit.
  93. Voyez encore ci-dessous, ch. 17.
  94. Gang. Gloff. Tom. 2. pag. 47.
  95. Ad vocem Senior.
  96. Hist. lib. 1.
  97. Histoire du Droit Fr. pag. 16.
  98. Annal. Cointiani ? Tom. 1. pag. 127.
  99. Cangii Gloss. ad vocem Raschimburgi.
  100. Ennod. in Pan. Theod. p. 41.
  101. Socr. Hist. Eccl. Lib. 7. pag. 30.
  102. Agath. Hist. Lib. 1.
  103. Cap. Baluz. Tom. pr. pag. 54.
  104. Baluz. Cap. tom. 1. p. 26.
  105. En 481.
  106. Tom. 1. Ann. p. 321.
  107. Hist. Crit. de l’Etabl. des Bretons dans les Gaules, Tom. 1. pag. 51.
  108. Boulain. Origine & Droits de la Noblesse, page 14.
  109. Voyez ci-dessus, Liv. pr. ch. 13.
  110. En 572.
  111. Lex Ripuar. Tit. 58.
  112. Voyez la Note de Jerôme Bignon sur cette formule.
  113. Cron. Alex. pag. 327.
  114. Ordonn. de Roussillon, Art. 29.
  115. Art. 39.
  116. Ecoar. Leger. Sal. pag. 82.
  117. Greg. Tor. Hist. Lib. 4. cap. 47. & lib. 6. cap. 4.
  118. Boul. Traité de la Noblesse, pag. 17.
  119. Ruin. Greg. Tur. p. 220.
  120. Lex Rip. Tit. 58, Art. 16.
  121. Notit. Gall.
  122. Hist. de Ch. VI. Liv. 23. ch. 11.
  123. Voyez les nottab. & observ. de Louis Revin. pag. 951.
  124. Des Seig. ch. 16. art. 47.
  125. Des Seig. ch. 16. art. 82.
  126. La Faille, Ann. de Toulouse, tom. 3. pag. 55.
  127. En 584.
  128. Lib. 9. Ep. 1 & 17.
  129. Greg. Tur. Hist. Lib. 4. cap. 13.
  130. Bodin. Republ. Liv. 6. cap. 5.
  131. Articule 7.
  132. En 475.
  133. Greg. Tur. Hist. Lib. 5. cap. 25. Ibid. L. 9. cap. 30.
  134. Cod. Just. LXI. tit. 74. Leg. 5.
  135. En 581.
  136. Mort en 558.
  137. Traité Hist. des Monnoyes de France, p. 2.
  138. Greg. Tur. Hist. Lib. 5. cap. 29 & c. 35.
  139. Voyez ci-dessus ch. 14.
  140. Greg. Tur. Hist. Lib. 3. cap. 35.
  141. Pag. 321.
  142. Bodin, Rep. Liv. 4. ch. 6.
  143. Lib. 1. cap. 25.