Épîtres (Voltaire)/Épître 121

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Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 10 (p. 455-456).


ÉPÎTRE CXXI.


À MONSIEUR LE MARQUIS DE VILLETTE[1],
SUR SON MARIAGE.
TRADUCTION D’UNE ÉPÎTRE DE PROPERCE À TIBULLE, QUI SE MARIAIT AVEC DÉLIE.


Décembre 1777.


Fleuve heureux du Léthé, j’allais passer ton onde,
Dont j’ai vu si souvent les bords :
Lassé de ma souffrance, et du jour, et du monde,
Je descendais en paix dans l’empire des morts,
Lorsque Tibulle et Délie
Avec l’Hymen et l’Amour
Ont embelli mon séjour,
Et m’ont fait aimer la vie.
Les glaces de mon cœur ont ressenti leurs feux ;
La Parque a renoué ma trame désunie ;
Leur bonheur me rend heureux.

Enfin vous renoncez, mon aimable Tibulle,
À ce fracas de Rome, au luxe, aux vanités,
À tous ces faux plaisirs célébrés par Catulle :
Et vous osez dans ma cellule
Goûter de pures voluptés !
Des petits-maîtres emportés,
Gens sans pudeur et sans scrupule,
Dans leurs indécentes gaîtés
Voudront tourner en ridicule
La réforme où vous vous jetez.

Sans doute ils vous diront que Vénus la friponne,
La Vénus des soupers, la Vénus d’un moment,
La Vénus qui n’aime personne,
Qui séduit tant de monde, et qui n’a point d’amant,
Vaut mieux que la Vénus et tendre et raisonnable,
Que tout homme de bien doit servir constamment.
Ne croyez pas imprudemment
Cette doctrine abominable.
Aimez toujours Délie : heureux entre ses bras,
Osez chanter sur votre lyre
Ses vertus comme ses appas.
Du véritable amour établissez l’empire ;
Les beaux esprits romains ne le connaissent pas.



  1. Cette épître est imprimée dans le Journal de politique et de littérature du 5 décembre 1771. C’est une supposition, de la donner comme une traduction de Properce. (B.)