Épîtres (Voltaire)/Épître 24

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Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 10 (p. 255-256).


ÉPÎTRE XXIV.


À MADAME DE ***[1].


Il est au monde une aveugle déesse[2]
Dont la police a brisé les autels ;
C’est du Hocca la fille enchanteresse.
Qui, sous l’appât d’une feinte caresse,
Va séduisant tous les cœurs des mortels.

De cent couleurs bizarrement ornée,
L’argent en main, elle marche la nuit ;
Au fond d’un sac elle a la destinée
De ses suivants, que l’intérêt séduit,
Guiche, en riant, par la main la conduit ;
La froide Crainte et l’Espérance avide
À ses côtés marchent d’un pas timide ;
Le Repentir à chaque instant la suit,
Mordant ses doigts et grondant la perfide.
Belle Philis, que votre aimable cour
À nos regards offre de différence !
Les vrais plaisirs brillent dans ce séjour ;
Et, pour jamais bannissant l’espérance,
Toujours vos yeux y font régner l’amour.
Du biribi la déesse infidèle
Sur mon esprit n’aura plus de pouvoir ;
J’aime encor mieux vous aimer sans espoir,
Que d’espérer jour et nuit avec elle.



  1. Cette épître a été imprimée à la suite de la Ligue (Henriade), Amsterdam, J.-F. Bernard, 1724, in-12 ; édition faite à Évreux, et donnée par l’abbé Desfontaines. (B.)
  2. Celle qui présidait au jeu du biribi, fort à la mode alors. (K.)