Bod-Youl ou Tibet/Chapitre 6

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Texte établi par Musée Guimet, Ernest Leroux (12-13p. 153-193).

CHAPITRE VI

La Religion.

1. Bon, religion primitive des Tibétains. — 2. Introduction du Bouddhisme au Tibet.3. Le Lamaïsme. Sectes bouddhiques tibétaines.4. Réforme de Tsong-Khapa.

1. Le Bon, religion primitive des Tibétains. — Ainsi qu’on a pu s’en rendre compte par les chapitres précédents, intérêt géographique et commercial à part, le Tibet ne mériterait pas plus notre attention que n’importe quelle autre région à demi civilisée, si ce n’était la situation religieuse toute particulière que le Bouddhisme a faite à ce pays en s’y implantant, comme jadis le Christianisme à Rome, et en en faisant le siège d’une théocratie absolue, sans autre exemple dans le monde, personnifiée dans le Dalaï-Lama qui étend le rayonnement de son autorité divine sur une partie de la Chine occidentale, sur la Mongolie, sur les Bouriates de Sibérie et, jusque dans la Russie, sur les Kirghises et une partie des Cosaques du Don.

Cependant, bien que religion dominante et en pleine possession de la puissance temporelle aussi bien que spirituelle, le Bouddhisme ne règne pas seul au Tibet. De nos jours encore une antique croyance indigène, bien déchue à la vérité, appelée Bon [1] ou Bon-pa (secte Bon), vit côte à côte avec lui après avoir longtemps, et souvent avec succès, lutté pour la suprématie religieuse et politique.

Il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de se rendre compte, même d’une façon très approximative, de ce qu’était dans le principe cette religion Bon ; car ses livres sont relativement modernes, imités de ceux des bouddhistes auxquels ils ont emprunté leur métaphysique et à peu près toute leur doctrine, et les seuls renseignements anciens que nous possédons sont ceux forcément suspects, des ouvrages bouddhiques traitant de l’établissement de leur religion au Tibet et des luttes qu’elle eut à soutenir avec le Bon. Tous les auteurs européens, qui ont écrit sur cette question, s’accordent à dire que ce devait être un chamanisme grossier, c’est-à-dire une adoration animiste et fétichiste à la fois des forces de la nature et d’esprits bons ou mauvais, mais plutôt mauvais, ou, encore mieux peut-être, pouvant être alternativement bienveillants ou malfaisants, causant ou empêchant les calamités et les maux de toutes sortes, selon qu’ils sont satisfaits ou mécontents du culte qu’on leur rend au moyen de prières, d’incantations, de sacrifices de victimes et de danses ; forme religieuse assez semblable, dit-on, au Taôisme vulgaire des Chinois et aux croyances de quelques peuplades de la Mongolie et de la Sibérie. Les Bonpos eux-mêmes prétendent tantôt que leur religion est l’origine du Taôisme, — elle aurait été portée en Chine par leur prophète Çenrab-Mibo, sous le règne d’un empereur nommé Koung-tseu (?), — tantôt qu’elle en découle.

Même dans sa forme actuelle la religion des Bonpos nous est très insuffisamment connue, par la raison qu’aucun Européen n’a encore pu l’étudier sur place, et que bien peu de ses livres ont été traduits jusqu’à présent. Les seules données un peu précises que nous possédons sont dues en grande partie aux observations et aux traductions du Pandit indien Sarat Chandra Dâs, explorateur au service du gouvernement anglais, qui a réussi à pénétrer et même séjourner à trois reprises dans la cité sainte de Lhasa.

D’après la tradition des Bonpos, leur religion aurait subi au cours des siècles trois phases de modifications appelées Jola-Bon, Kyar-Bon et Gyour-Bon ; cette dernière, contemporaine du roi Thisrong Détsan ou de son petit-fils Langdarma, aurait eu pour caractère principal l’adoption d’un certain nombre d’idées et de pratiques boudhiques[2]. Elle paraît aussi avoir emprunté directement quelques-uns de ses éléments à la philosophie indienne et à la doctrine tântrique de la Çakti.

Les Bonpos reconnaissent l’existence d’un dieu suprême, Kountou-bzangpo (correspondant, à ce qu’il semble, au Brahma, âme universelle des Brâhmanes, et à l’Adi-Bouddha des boudhistes) éternel et immatériel, essence, origine et cause de toutes choses, créateur selon les uns, d’après les autres simplement spectateur d’une création spontanée issue du vide éternel[3] sous forme d’une gelée blanche, qui se transforma en un œuf d’où sortirent l’univers et tous les êtres animés. Quand on lui attribue la fonction de créateur, on lui adjoint une épouse ou Youm (littéralement « mère »), représentant son énergie active, avec qui il engendre les dieux, les hommes et tous les êtres. Au-dessous de lui viennent ensuite le Grand Esprit du chaos, Kyoung, sous la forme d’un aigle bleu, dix-huit grands dieux et déesses, soixante-dix mille dieux secondaires, d’innombrables génies et une vingtaine de saints principaux, tous ardents à lutter au profit des hommes contre les démons.

Mais le personnage le plus important du panthéon Bon, plus adoré peut-être que Kountou-bzangpo lui-même, est le prophète Çenrab-Mibo, tenu pour une incarnation du Bouddha Çâkyamouni, dont sa biographie fabuleuse reproduit presque littéralement la légende. De race royale, fils de Rgyal-Bouthod-dkar et de P’yirgyal-bçedma, Çenrab-Mibo naquit le 8e jour lunaire du premier mois du printemps, au coucher du soleil. À 31 ans, rassasié de tous les plaisirs du monde, il abandonna ses trois cent trente-six femmes dont l’une était la propre fille de l’empereur de Chine Koung-tseu (?), et embrassa la vie religieuse se livrant aux mortifications les plus rigoureuses jusqu’à ce qu’il eut acquis par la force de ses austérités et de sa méditation la science magique et le pouvoir de faire des miracles. Puis, après avoir prêché jusqu’à 92 ans la religion Bon, à laquelle il convertit douze royaumes sans compter le Tibet et la Chine, le jour de la pleine lune du douzième mois[4], son corps se changea en une masse lumineuse ayant la forme de la lettre tibétaine A, et il disparut sans laisser aucune trace. On assure cependant qu’il se réincarna plus tard en Chine dans la personne du philosophe Lao-Tseu, le patron du Taôisme[5].

La tradition attribue à Çenrab-Mibo l’invention de la prière mystique « Om ! ma-tri-mou-yé-sa-lah-dou », qui remplace chez les Bonpo l’invocation « Om ! Mani padmé houm ! » des bouddhistes et dont les huit syllabes représentent, dit-on, Kountou Bzangpo, sa Çaktî ou principe féminin éternel, les dieux, les génies, les hommes, les animaux, les démons et l’enfer[6], ainsi que de la danse sacrée dite du « démon blanc » (hdre-dkar), des différentes sortes de chapelets correspondant aux degrés de la méditation, des offrandes de boissons alcooliques pour propitier les esprits, et de presque tous les rites nécromantiques relatifs aux funérailles, aux exorcismes et aux moyens de conjurer les effets des mauvais présages[7]. Pendant sa longue carrière religieuse, il eut pour serviteur et exécuteur de ses volontés un démon à neuf têtes, nommé Vougoupa, qu’il avait vaincu par ses exorcismes et converti par son éloquence.

Les pratiques, dont on attribue l’enseignement à Çenrab-Mibo, constituent à peu près tout ce que nous connaissons du culte actuel des Bonpo qui, au dire des Lamas, ont de plus emprunté une partie du rituel mystique et magique du bouddhisme lamaïque. Étant donné le caractère animiste et démonolâtrique de leur religion, ce culte doit être assez semblable à celui des chamanes mongols et sibériens, dans lequel, nous le savons, les danses (drames sacrés mimés), les offrandes, l’absorption de liqueurs enivrantes et les sacrifices d’animaux, surtout de moutons, jouent un rôle considérable : on immole des oiseaux aux esprits des morts et des poules aux démons.

Comme celui de toutes les religions animistes, le prêtre Bonpo est avant tout un sorcier. Il a pour principales fonctions de propitier par ses prières et ses sacrifices les génies et les démons volontiers bienveillants, de mettre en fuite ou de faire périr par ses exorcismes ceux de qui la méchanceté cause tous les maux dont souffre l’humanité, orages dévastateurs, inondations, sécheresse, famine, épidémies, maladies, accidents et même les mille petites misères de la vie quotidienne ; astrologue, il lit dans le ciel et dresse les horoscopes de naissance, de mariage, de mort (car on tient à connaître le sort posthume des êtres chers), et enseigne les moyens de conjurer et de faire tourner à bien les présages funestes ; devin, il révèle les secrets de l’avenir, fait trouver les trésors cachés et découvrir les voleurs par l’examen de l’omoplate de mouton, par les cartes, les dés, le vol des oiseaux, en ouvrant au hasard un livre sacré ; médecin, il soigne les maladies des hommes et des bestiaux par des simples de lui connus et le plus souvent par des charmes et des incantations magiques, procédé tout indiqué puisque la maladie est l’œuvre d’un démon ; enfin, détenteur de la science sacrée et profane, c’est lui qui enseigne aux enfants des laïques les connaissances indispensables : un peu de lecture, d’écriture et de calcul, surtout les préceptes de la religion.

Les religieux Bonpos paraissent se préparer à leur sacerdoce par quelques pratiques ascétiques, par l’étude des livres sacrés, de la magie et de la sorcellerie, et se soumettre à certaines règles de discipline monacale, entre autres le célibat, bien qu’il ne semble pas que ce soit une obligation absolue. Leur morale est, dit-on, fort relâchée et leur conduite rien moins qu’exemplaire. Ils vivent réunis, quelquefois très nombreux, dans des monastères, appelés Bon-ling, souvent fort riches, sous la direction d’un supérieur élu par la communauté, seule hiérarchie qu’ils reconnaissent. On dit cependant que certains supérieurs de grands monastères sont des incarnations perpétuelles (à l’imitation des Lamas incarnés) de Çenrab-Mibo et d’autres dieux. Il existe aussi des monastères de religieuses, qui sont nommées Bon-mos.

En ce qui concerne la morale, l’eschatologie et la métaphysique, la religion Bon suit des doctrines à peu de chose près identiques à celles du Boudhisme, sauf qu’elle est moins stricte sur l’observation du précepte de l’Ahimça, ou préservation de la vie de tous les êtres animés. Du reste, au dire des Lamas, ses livres ne sont que des plagiats, des contrefaçons altérées des écritures bouddhiques. Elle les a même imitées jusqu’à s’attribuer, à elle aussi, un synode ou concile, tenu dans les grottes de Sangba’i Bonp’oug, au pays de Mangk’ar, auquel assistèrent des sages et des religieux venus de l’Inde, de la Perse et de la Chine pour collaborer avec les Bonpos tibétains à la rédaction des 84,000 gomos (traités, en sanscrit Sûtra ou peut-être Âgama) qui constituent leur canon, appelé Sang-ngag-dsong-thad-nyihod-gyam[8].

Les Bonpos, ou du moins certains d’entre eux, admettent le dogme indien de la transmigration des âmes, ou métempsycose, mais en le restreignant, à ce qu’il semble, aux hommes qui, aveuglés par l’avidyā (ignorance), n’ont pas su percevoir la vérité éternelle du Bon-Kou (vacuité, irréalité, vanité, mutabilité des choses du monde composées d’éléments divers et par cela même périssables) et demeurent assujétis à la loi du Karma ou conséquence des actes, tandis que les sages, dégagés des liens terrestres et éclairés par la lumière éclatante du Bon-Kou (analogue à la Bodhi), vont s’absorber et se fondre pour l’éternité dans la pure essence de Çan, immutabilité spirituelle, faite de lumière et de science absolues, qui constitue la nature du corps subtil de l’Être suprême Kountou-Bzangpo[9]. Deux voies parallèles et inséparables conduisent à cet état d’abstraction ou d’absolu, but suprême des Bonpo, le Darçana (volonté active et peut-être l’acte) et le Gom (méditation). Ce dernier, — vraisemblablement imité du Dhyāna des boudhistes, bien qu’il ne comporte que trois degrés, dénommés Thoun-gom, Nang-gom et Lang-gom, au lieu de quatre, — est le seul véritablement efficace, quoiqu’il semble devoir être accompagné ou précédé du Darçana. Nous empruntons à M. Sarat Chandra Dâs l’exposé, assez obscur, de ces trois phases de la méditation : « Le Thoun-gom, est pratiqué par un fidèle initié par un guide spirituel, c’est-à-dire un Lama, en comptant les grains du chapelet et en chantant les vertus du Bonkou. Dans le premier degré de Gom, l’esprit ne doit pas s’absorber sur l’objet particulier de la méditation. Dans le degré moyen, il y a égalité d’absorption et de distraction. Dans le dernier degré, l’esprit entre en abstraction complète. L’abstraction parfaite, étant soumise à la direction de la volonté peut être suspendue, abandonnée et reprise comme on veut. Quand le moment opportun, le moment d’atteindre la sainteté, arrive, cette méditation atteint ses limites.

« Nang-gom. En temps convenable l’esprit se remplit de la lumière de l’Âtma-mukti-jñāna et alors, entrant dans la méditation profonde (yoga), s’abstrait entièrement et à la fin devient vide de la méditation elle-même. Quand on est parvenu à cet état, la limite du Nang-gom est atteinte. Cet état peut se comparer à une mer calme et tranquille ; c’est l’idéal de l’inaction suprême.

« Long-gom. Quand, après avoir acquis toutes les sortes de Vidyā (connaissance) et avoir vu l’objet réel, la méditation est finie et que l’esprit a cessé de penser à acquérir l’essence de Çūnyatā, le moment du Long-gom commence. À ce moment tous les péchés, les pensées coupables, etc., se changent en Jñāna (sagesse parfaite), toute la matière visible et invisible entre dans la région toute pure de Çūnyatā, ou Bonkou, où les existences transmigratoires et émancipées, le bien et le mal, l’attachement ou la séparation, etc., deviennent tout un et sans différence. Quand, par cette espèce très parfaite de méditation, on a atteint l’état sublime, le Long-gom est acquis[10]. »

Pour parvenir à la méditation parfaite du Long-gom, le dévot Bon-po a à sa disposition neuf chemins, véhicules (yāna) ou méthodes, appelées Bon-drang, dont les quatre premiers P’va-çen, Nang-çen, Thoul-çen et Srid-çen — sont appelés véhicules causatifs, les quatre suivants — Gényen, Âkar, Touh-çroung et Yé-çen, — véhicules résultants, tandis que le dernier, Kyad-par tch’en-po’i theg-pa, contient l’essence des huit autres. « Le P’va-çen renferme 360 questions et 84,000 preuves. — Le Nang-çen contient quatre Gyer-gom et 42 Tah-rag ou divisions de la science méditative. — Le Thoul-çen enseigne à opérer des miracles. — Le Srid-çen traite des 360 sortes de mort et de services funéraires, des 4 manières de disposer les morts et de 81 moyens de détruire les mauvais esprits. — Le Gé-nyen expose les aphorismes relatifs aux corps, à la vie animale, à leur développement et à leur maturité. — L’Âkar donne de nombreuses démonstrations mystiques. — On décrit dans le Yé-çen les démonstrations mentales, et dans le Kyad-par tch’en-po les cinq classes d’Upadeça ou instruction. — Le Tang-çroung décrit les divers genres de Boum, c’est-à-dire les monuments destinés à conserver les reliques.

« Les quatre Gyer-bon, ou véhicules et effets, font disparaître les quatre distinctions de mémoire et d’entendement. L’étude de l’Akar et du Yé-çen épurent les défauts qui obscurcissent la science.

« Le Khyad-par tchén-po peut effectuer à lui seul ce que les autres peuvent faire collectivement. De plus, les quatre Gyer-Bon assurent la jouissance des quatre Bhoûmis (degrés de perfection) d’action honorable pendant plusieurs âges. Le Gényen et le Tong-çroung, après avoir protégé le Sattvam (nature animale) pendant trois Kalpas, le mènent à l’émancipation. L’Akar et le Ye-çen peuvent procurer au Sattvam l’affranchissement de l’existence après sa première naissance. Le Khyad-par tch’en-po peut assurer l’émancipation même en cette vie[11] ».

À les en croire, et le fait en lui-même n’a rien d’invraisemblable, les Bon-pos ont été depuis des siècles en butte aux persécutions des Lamas ; mais les efforts de ces derniers sont restés impuissants à les faire disparaître du Tibet, dont ils constituent aujourd’hui encore une partie importante de la population. Ils sont nombreux surtout dans la région orientale limitrophe du Ssé-tchouen et du Yun-nan. À la fin du XVIIIe siècle, cependant, le gouvernement chinois tenta d’anéantir leur croyance au profit du Lamaïsme et fit détruire par la force armée leurs monastères et autres monuments religieux ; mais temples (Bon-K’ang) et monastères (Bon-ling) se relevèrent de leurs ruines et actuellement, au dire des explorateurs européens, les Bonpos sont encore en majorité dans le Khams oriental. On constate, toutefois, qu’ils tendent de plus en plus à se fondre avec les adeptes de la secte Nyigmapa ou Lamas rouges.

2. Introduction du Bouddhisme au Tibet. — Le Lamaïsme. — Telle était, mais sans doute plus grossière et moins systématisée, la croyance indigène avec laquelle le Bouddhisme eut à lutter lors de son introduction au Tibet, événement que nous pouvons dater d’une façon positive grâce aux constatations des Annales chinoises qui le placent sous le règne de l’empereur Taï-tsoung, de la dynastie des Thang (627-650). Les Tibétains, bien entendu, lui attribuent une date bien plus éloignée, antérieure d’au moins un millier d’années ; mais nous n’avons pas à tenir compte d’allégations purement légendaires et fabuleuses, — contredites d’ailleurs par tout ce que nous savons de l’histoire du Bouddhisme indien, — que nous passerions même sous silence si elles ne jouissaient d’une créance universelle parmi le peuple et ne se trouvaient consignées dans les livres pseudo-historiques du Tibet, tels que le Gyelrab (rgyal-srabs), le Mani-Kamboum (ma-ni-bkāh-bum)[12], etc. La seule tradition vraisemblable de cette période, qu’on peut appeler préhistorique sinon mythique, est celle de la fondation très douteuse d’un monastère bouddhique sur le Kailâsa (montagne sacrée où les brâhmanes plaçaient la résidence ou paradis du dieu Çiva) en 137 avant notre ère, monastère qui n’aurait eu, du reste, qu’une très courte existence.

Le Tibet, racontent les Lamas, était plongé dans la barbarie la plus profonde lorsqu’arriva, vers le milieu du Ve siècle av. J.-C., un prince indien nommé Nyahthi-tsanpo (Ngah-K’ri-bTsan-po), — descendant de Çâkyamouni lui-même, selon les uns, fils exilé de Prasénadjit, roi de Koçala, suivant les autres, — qui se fit reconnaître pour roi, introduisit dans le pays le Bouddhisme et les premiers éléments de civilisation, et fut l’ancêtre de la race royale Tibétaine. Cependant sa tentative d’importation du Bouddhisme ne fut pas couronnée de succès et, aussitôt après sa mort, cette religion disparut complètement. Ce qui n’empêche les Tibétains de compter à partir de son règne la période primitive du Bouddhisme à laquelle ils donnent le nom de Ngadar[13].

Pendant le règne de son trente-septième descendant et successeur, Lha Thothori Nyantsan[14], (que l’on prétend avoir été une incarnation du Bouddha Çâkyamouni), en 331 de notre ère, quatre objets d’un usage inconnu tombèrent du ciel sur le toit du palais royal : c’étaient deux mains jointes un geste de prière[15], un petit tchorten[16] ou châsse à reliques, une pierre précieuse sur laquelle était gravée l’invocation mystique « Om ! mani padmé houm ! », et un des livres du canon bouddhique. Un songe, confirmé quarante ans plus tard par le dire de cinq messagers célestes, avertit le roi de conserver pieusement ces objets, gages de la prospérité future du Tibet, dont la signification et la valeur seraient révélées en temps voulu à l’un de ses successeurs[17].

Ici nous sortons de la fiction pour entrer dans le domaine de l’histoire avec Srongtsan Gampo[18], le premier souverain authentique du Tibet (617-698). Nous avons vu qu’il avait épousé très jeune, entre 628 et 631, deux princesses, l’une népâlaise, Bhrikoutî, fille du roi Ansouvarman, l’autre chinoise, Wen-tching, fille ou nièce de l’empereur Taï-tsoung. Ferventes bouddhistes[19], les deux reines employèrent toute leur influence à convertir leur jeune époux à leur croyance, et le déterminèrent à envoyer son premier ministre, Thoumi ou Thonmi Sambhota, chercher dans l’Inde des livres bouddhiques et de savants religieux pour les expliquer et prêcher la Loi. Parti en 632 Thoumi Sambhota revint au Tibet en 650, après avoir visité les lieux saints et les monastères renommés comme foyers de science bouddhique, rapportant un certain nombre de livres sacrés et un alphabet[20], imité du Dévanâgarî indien, approprié à la traduction en tibétain des textes sanscrits, tâche à laquelle il consacra toute sa vie, sans cependant, à ce qu’il semble, avoir prononcé les vœux religieux.

Converti, le roi s’efforça de convertir son royaume à sa foi, encouragea la traduction des écritures bouddhiques, et fit construire à Lhasa, vers 644, le célèbre temple de Rasa[21], appelé plus tard Lhaséi-tsô-khang[22], ou Djovo-Khang, pour recevoir les images sacrées d’Akchobhya et de Çâkyamouni apportées du Népal et de Chine par ses deux femmes, qui de leur côté, dit-on, édifièrent les monastères de Labrang[23] et de Ramotché. Toutefois cette attribution est plus que douteuse, le premier monastère du Tibet paraissant avoir été celui de Samyé, bâti une centaines d’années plus tard. Bien que sa vie belliqueuse fut loin d’être d’accord avec les préceptes bouddhiques, en reconnaissance des services qu’il avait rendus à la religion Srongtsan Gampo fut déifié comme incarnation du Dhyâni-Bodhisattva Tchanrési[24], personnification de la charité et de l’amour du prochain, protecteur attitré du Tibet. Ses deux femmes reçurent aussi les honneurs divins en tant qu’incarnations de la déesse Dolma[25], compagne ou Çakti de Tchanrési : Brikoutî sous le nom de Doljang[26], et Wentching sous celui de Dolkar[27]. Le fait que ni l’une ni l’autre ne donna d’enfants à leur époux est considéré comme la preuve de leur nature divine.

Sous les quatre premiers successeurs de Srongtsan Gampo, le Bouddhisme, aux prises avec les Bonpos, ne fit point de progrès, si même il ne fut pas presque complètement expulsé du Tibet, et ce n’est qu’avec le cinquième, Thisrong Détsan[28] (728-786), qu’il s’établit définitivement dans ce pays et devint religion d’État, en dépit des efforts du premier ministre Mashang Grompa Skyes (dont on ne put venir à bout qu’en le murant dans une caverne où il était allé faire ses dévotions) et des intrigues de la reine elle-même dévouée aux Bonpos.

Thisrong Détsan, déifié par la suite comme incarnation du grand Bodhisattva Mandjouçrī[29], était fils d’une princesse chinoise[30] qui l’avait élevé dans la foi bouddhique et bercé de la tradition glorieuse de son ancêtre Srongtsan Gampo. Aussi, dès qu’il fut monté sur le trône, en 740, son premier souci fut-il de rétablir le Bouddhisme dans son royaume et, pour cela, après avoir ordonné aux quelques religieux demeurés dans le pays de rechercher et de traduire les livres sauvés des mains des Bonpos, il envoya (en 744) le moine Basalnang, plus connu sous le nom de Yéçès Dbangpo[31], chercher dans l’Inde le célèbre Çânta Rakchita[32], alors supérieur du Vihâra[33] de Nālanda, dont la grande réputation de sainteté et de science était parvenue jusqu’au Tibet. Cette première démarche échoua, l’Âtchârya ayant été blessé de l’offre d’une forte somme d’argent que lui avait fait faire le roi afin de le décider à ce long et pénible voyage ; mais il finit par céder aux supplications de Yéçes Dbangpo, chargé d’une seconde mission auprès de lui, en considération de la triste situation des Tibétains et de l’intérêt supérieur de la religion (747).

Malgré l’appui de Thisrong Détsan, qui l’éleva immédiatement à la dignité de Grand Prêtre du Tibet, la tâche de Çânta Rakchita n’était pas facile. Non seulement il avait à lutter contre les Bonpos soutenus par la reine et plusieurs ministres, mais aussi contre les dieux, les génies et les démons du pays qui, dans leur mécontentement, provoquèrent des orages, des inondations et affligèrent les hommes et les animaux de maladies de toutes sortes. (Suivant une légende, ils auraient même obtenu par ces moyens l’éloignement temporaire de l’Âtchârya, renvoyé au Népâl après quatre mois de séjour dans le Tibet[34]). Se reconnaissant impuissant à réduire tant d’ennemis, Çânta Rakchita conseilla au roi de faire venir de l’Inde, pour l’assister, le seul religieux capable de mettre à la raison ces êtres redoutables, son beau-frère l’Âtchârya Padma Sambhava[35].

Padma Sambhava naquit de parents inconnus dans le royaume d’Oudyâna (aujourd’hui Dardistân).
Padma Sambhava.
D’après sa biographie légendaire il fut conçu d’un rayon de lumière émané du Bouddha Amitâbhâ[36] dans un lotus surgi miraculeusement au milieu du lac de Dhanakhosa qu’il illuminait de l’éclat des cinq couleurs de l’arc-en-ciel. Indrabodhi, le roi aveugle d’Oudyâna, le recueillit, l’adopta et lui fit donner une éducation royale. Mais sa vocation l’appelait à l’état religieux, et comme le roi refusait de lui laisser embrasser la vie ascétique, il commit sur des adversaires du Bouddhisme plusieurs meurtres qui le firent condamner au bannissement. Alors qu’il errait dans les forêts hantées et les cimetières afin d’entrer en communication avec les êtres du monde surnaturel, des Dakhinîs[37] l’entraînèrent dans la grotte d’Adjñapâla où elles l’initièrent à la science magique qui donne pouvoir sur les dieux et les démons[38], puis il visita successivement les monastères les plus renommés afin de se perfectionner dans la théologie, la métaphysique, l’exorcisme et les sciences occultes. Averti par sa prescience qu’on avait besoin de lui au Tibet, il se mit en route sans attendre les envoyés de Thisrong Détsan qui le rencontrèrent à mi-chemin et l’amenèrent triomphalement au palais du roi. Déjà, tout le long de la route il avait livré des combats et vaincu par la puissance de ses charmes magiques de nombreux démons qui avaient tenté de l’arrêter, et, aussitôt arrivé, il s’empressa de convoquer sur le mont Magro le ban et l’arrière ban des dieux, des génies et des démons locaux qu’il contraignit à prêter serment de défendre désormais le Bouddhisme, leur promettant en retour une part du culte et des offrandes des fidèles[39].

Tranquille de ce côté, il se livra à la propagande de la Loi bouddhique, partageant la besogne avec Çânta Rakchita qui enseigna la discipline, les dogmes fondamentaux et la philosophie de l’école Mâdhyamika, tandis que lui-même initiait un petit nombre de disciples choisis à la doctrine mystique et aux pratiques magiques des Tantras[40] de l’école Yogâtchâra, dont il fut un des maîtres les plus éminents. En 749 il fonda à environ 40 kilomètres de Lhasa, sur la rive gauche du Tsangpo, le célèbre monastère de Samyé[41], sur le modèle, dit-on, de celui d’Odantapoura, où il réunit sous la direction de Çânta Kakchita une vingtaine de religieux savants venus de l’Inde et les sept premiers Tibétains qui reçurent l’ordination, noyau de la communauté qui donna plus tard, sous le nom de Lamaïsme, un caractère si particulier à la religion et au clergé du Tibet. Une tradition rapporte que ce monastère fut construit avec une rapidité inouïe, les dieux asservis par les charmes de Padma Sambhava, apportant les matériaux nécessaires et continuant pendant la nuit le travail que les hommes avaient commencé le jour[42].

Padma Sambhava ne fit pas un long séjour au Tibet. Aussitôt qu’il eut assuré l’organisation de la communauté, instruit quelques disciples capables de continuer son œuvre et donné une impulsion féconde à la traduction en tibétain de la masse déjà considérable des écritures bouddhiques, il disparut soudainement, retourné miraculeusement dans l’Inde à travers les airs, disent les uns, enlevé corporellement au ciel, croient les autres, où il trône comme le « second Bouddha, sauveur du monde », selon la prédiction de Çâkyamouni.

Outre ses innombrables victoires sur les dieux et les démons, qui représentent sans doute les Bonpos ses adversaires, et la composition de plusieurs traités de doctrine ésotérique et de magie, qu’il cacha, dit-on, dans des creux de rochers où ils ne devaient être découverts que par des saints impeccables et lorsque l’intelligence humaine serait assez développée pour qu’on put les comprendre[43], on attribue à Padma Sambhava de nombreux miracles dont les principaux sont la fertilisation de la plaine sablonneuse de Ngamsod, l’endiguement du Tsangpo dans un canal profond et l’ouverture à travers les montagnes d’un passage pour l’écoulement vers l’Inde des eaux de ce fleuve.

Toutefois, malgré les efforts de Padma Sambhava et de Çânta Rakchita, l’établissement au Tibet du Mahâyâna mystique rencontra à plusieurs reprises de grandes difficultés, non seulement de la part des Bonpos, mais encore du fait d’autres sectes bouddhiques professant des doctrines différentes. Peu de temps après la mort du dernier, peut-être même de son vivant, un moine chinois, nommé Mahâyâna Hochang[44], vint prêcher une doctrine de quiétisme et d’inaction, faisant dépendre le salut de l’abstention de tout acte et même de toute pensée. Aucun disciple tibétain des deux Pandits indiens n’ayant pu lutter contre la dialectique du Chinois, sa doctrine prit bientôt une grande extension au détriment de celle de l’école indienne qui se vit presque abandonnée, et pour la sauver de ce péril Thisrong Détsan dut faire venir du Magadha un disciple de Çânta Rakchita, Kamala Çîla, religieux réputé pour son éloquence irrésistible. Une grande controverse publique eut lieu, sous la présidence du roi, entre Kamala Çîla et le Hochang, et ce dernier vaincu et convaincu d’hétérodoxie fut expulsé du Tibet.

Remise de cet assaut la doctrine de Padma Sambhava continua à se développer et l’œuvre de la traduction des écritures bouddhiques à progresser sous les règnes du fils et surtout du petit-fils de Thisrong Détsan, Ralpatchan, qui fit venir de l’Inde l’Âtchârya Djina Mitra et beaucoup d’autres savants pandits. Lorsqu’il fut assassiné, en 899, par son frère Langdarma, la traduction des 108 volumes qui composent le Kandjour[45] et de la plupart des 250 volumes du Tandjour[46] était terminée. C’est celle en usage aujourd’hui encore.

Renégat à la tradition de sa famille, Langdarma[47], — dont le nom est en exécration chez les bouddhistes presque à l’égal de celui de Dévadatta, le beau-frère impie du Bouddha, — était partisan de la religion des Bonpos qu’il favorisa de tout son pouvoir et à qui il s’efforça de rendre son ancienne suprématie en persécutant le Bouddhisme. Il interdit à ses sujets l’exercice de cette religion, détruisit les monastères qui s’étaient fondés à l’imitation de celui de Samyé sous les règnes de son grand-père, de son père et de son frère, chassa de leurs asiles les moines et les religieuses, leur imposant sous peine de mort de rentrer dans la vie civile et même de se marier, brûla les livres dont il put s’emparer et dispersa les reliques sacrées. Mais si elle fut violente cette persécution fut de peu de durée, et au moment où il se flattait d’avoir à jamais anéanti le Bouddhisme, Langdarma fut assassiné (902) par un Lama nommé Paldordje[48], déguisé en danseur Bonpo, qui fut béatifié plus tard et dont l’action méritoire est commémorée et retracée chaque année en une pantomime qui clôture les fêtes du premier de l’an. Après un court règne du fils de Langdarma, qui paraît avoir été lui aussi un adepte des Bonpos, sous celui de son petit-fils, Bilamgour, le Bouddhisme regagna le terrain perdu, et, grâce à l’afflux de nouvelles recrues indiennes, commença à prendre le merveilleux essor qui devait le conduire à la souveraineté absolue, temporelle et spirituelle.

Ici s’arrête la période dite Nga-dar « Bouddhisme primitif » et commence celle à laquelle les Tibétains donnent le nom des Tch’yi-dar « Bouddhisme postérieur » et que les Européens appellent Lamaïsme.

3. Le Lamaïsme. — Les Sectes tibétaines. — Le Bouddhisme, importé au Tibet par les collaborateurs de Thoumi Sambhota, par Çânta Rakchita, Padma Sambhava et ses illustres successeurs, ne ressemblait plus guère à celui que Çâkyamouni avait prêché dans l’Inde mille ans auparavant. Ce qui n’était d’abord qu’une simple doctrine philosophique du salut par le renoncement au monde, la méditation, surtout par l’acquisition de la science de l’inanité et de l’inexistence, au point de vue absolu, de l’univers périssable, composé d’éléments s’agrégeant et se désagrégeant sans cesse, fille audacieuse des antiques Oupanichads et du matérialisme Sânkhya, qui ne se séparait en réalité du Brâhmanisme que par le rejet de l’autorité des Védas, la négation de l’immortalité et de la toute puissance des dieux, de l’utilité et de le l’efficacité des sacrifices, s’était vite transformé en une religion après la mort, ou le Nirvâna, du Bouddha, par la déification de son fondateur dont la personnalité réelle disparaît sous le mythe, par l’adoration de ses reliques, l’institution d’un culte, et l’autorité infaillible attribuée à ses moindres paroles.

D’un autre côté, à peine le Bouddha était-il mort que des dissentiments s’élevaient dans la communauté des Bhikchous au sujet de règles de discipline, de points de doctrine ou de questions de personnes, dissensions qui provoquaient la réunion de trois conciles[49], partageaient la confrérie en deux groupes hostiles suivant, l’un, la tradition des Anciens ou Sthavîras, l’autre, les idées plus avancées des Mahâ-Sanghikas, et amenaient finalement sa scission en deux grandes écoles, le Hinayâna réaliste, prétendant conserver la tradition orthodoxe du Bouddhisme primitif, et le Mahâyâna, idéaliste, représentant une évolution ritualiste, plus large et plus populaire malgré son ésotérisme, faisant une plus grande place à l’élément laïque, tendant à transformer le cercle restreint de la communauté en Église universelle[50].

Puis, tout naturellement, la tendance à la métaphysique s’était développée dans le Mahâyâna, y introduisant le mysticisme de l’école Yogâtchâra[51], dont Nâgârdjouna[52] fut le chef ou tout au moins le plus illustre propagateur, et enfin le Bouddhisme finit par être envahi par toute la multitude des divinités du panthéon brāhmanique, surtout de celles du Çivaïsme, sans doute à cause de son ascétisme plus accusé[53] que celui du Vichnouisme, amenant bientôt à sa suite toutes les aberrations des Tantras : le culte des Çaktîs[54] qu’on associera même aux Bouddhas, leurs rites orgiaques, leurs sacrifices sanglants, les exorcismes, les incantations, les charmes et sortilèges, les cérémonies, cercles, formules et gestes magiques préconisés par l’école Kalatchakra[55] comme devant exercer une action infaillible sur les dieux, les démons, les éléments et les lois de la nature.

La conception philosophique d’un monde sans création ni créateur, et du Bouddha, homme divinisé et élevé au-dessus des dieux par la vertu et la science, pouvait peut-être convenir à l’intelligence cultivée d’une élite restreinte ; difficile à comprendre pour les masses, elle devait être un obstacle à l’extension universelle du Bouddhisme. Aussi le pas avait été vite franchi qui le mettrait sur le même pied que les autres religions. Une secte du Népâl, les Aiçvarikas[56], inventa l’existence primordiale d’un Bouddha éternel, essence de toute lumière, de toute intelligence, de toute science, de toute vertu et de toute vie, préexistant à toutes les choses, en qui êtres et choses doivent se résorber au jour de la dissolution finale, calqué, comme on le voit, sur le Brahma (neutre), âme universelle des brâhmanes, qu’ils nommèrent Adi-Bouddha. De même que son prototype Brahma, cet Adi-Bouddha éternellement plongé dans l’abstraction n’est pas créateur ; mais, de son essence, il émane cinq autres êtres abstraits, les Dhyâni-Bouddhas, essences et personnifications des cinq intelligences, des cinq vertus et des cinq forces bouddhiques, — peut-être aussi des cinq sens et des cinq éléments, — en tout cas préposés à la garde du monde : Vairotchana présidant à la région du centre ou du zénith, Akchobhya, à celle de l’est, Ratna-Sambhava, au sud, Amitâbha, à l’ouest, Amoghasiddha au nord. Ils surveillent l’univers au point de vue spirituel, et sont les inspirateurs des Bouddhas qui vivent dans les différents mondes ; mais plongés dans une éternelle contemplation ils se désintéressent de la nature matérielle et de ses incessantes transformations, dont la surveillance et la protection sont attribuées à leurs cinq fils respectifs, les Dhyāni-Bodhisattvas, Samantabhadra, Vadjrapâni, Ratnapâni, Avalokitêçvara et Viçvapani, nés du rayonnement de leur intelligence. Avalokitêçvara, fils d’ Amitâbha, est celui qui jouit du culte le plus général parce qu’il a présidé à la formation et s’occupe efficacement de la protection du monde actuel. Enfin, à chacun de ces Dhyâni-Bouddhas et Dhyâni-Bodhisattvas correspond un Manouchi-Bouddha[57], dont quatre ont déjà paru sur la terre, Krakoutchanda, Kanakamouni, Kâcyapa et Çâkyamouni ou Gautama. Le cinquième, Maitreya, doit apparaître cinq mille ans après le Nirvana de Gautama. Mais là ne s’est pas arrêté l’imagination féconde des Mahâyânistes de toutes sectes. Ils ont peuplé les « trois mille grands milliers de mondes », qui constituent l’univers, de mille Bouddhas de même nature que les Manouchi, sans compter les Pratyéka-Bouddhas et la foule innombrable des Bodhisattvas, aspirants à la dignité de Bouddhas, dont quelques-uns passent pour avoir vécu sur la terre et les autres sont de pures abstractions ; puis au-dessous de ces êtres supérieurs se presse la multitude des dieux brâhmaniques et locaux adoptés par le Bouddhisme, mais dépouillés de leur immortalité, soumis encore à la renaissance et à la mort, jusqu’à ce qu’ils aient mérité le rang de Bouddha ou de Bodhisattva, et dont les noms jadis individuels sont devenus des appellations collectives de groupes accessibles à tous les hommes suivant leurs mérites. Toutefois, chaque groupe a un chef, qui correspond plus exactement à l’ancien dieu indien, désigné par l’épithète de Mahâ « grand » qui précède son nom, Mahâ-Brahma, Mahendra[58], etc. Il est à remarquer que, dans le système Mahâyâna, Bouddhas, Bodhisattvas et dieux sont de pures abstractions personnifiant des idées et non plus des forces ou des phénomènes naturels.

Une autre innovation intéressante à constater est l’invention du paradis temporaire de Soukhâvatî, région bienheureuse de l’ouest présidée par Amitâbha, but que la grande masse des fidèles ambitionne d’atteindre de préférence à la félicité du Nirvâna trop difficile à acquérir et peut-être aussi trop vaguement définie.

Toi était le bouddhisme tout à la fois élargi et corrompu que Çânta Rakchita et Padma Sambhava apportèrent au Tibet. Il y trouva un terrain singulièrement favorable à son développement ultérieur dans le caractère profondément religieux de la population, son ignorance, ses superstitions, ses pratiques chamaniques et, par dessus tout, sa terreur perpétuelle des démons. On peut dire à juste titre, en effet, que c’est plutôt comme exorcistes et sorciers que comme prédicateurs des dogmes et de la morale bouddhiques que les Pandits indiens conquirent le Tibet et, dès leur apparition, jetèrent les fondements de cette institution unique et si intéressante qu’est le Lamaïsme.

Lamaïsme. — En général, on entend exclusivement par Lamaïsme la religion tibétaine ; mais, en réalité, ce terme doit être pris dans un sens beaucoup plus large, embrassant à la fois les institutions religieuses et sociales de ce pays, avec pour couronnement la théocratie absolue qui le gouverne depuis trois siècles, et qui est sortie par une marche lente, mais ininterrompue, du développement spécial des institutions religieuses.

En tant que religion, le Lamaïsme prétend suivre la doctrine de l’école Mahâyâna, ou Bouddhisme du Nord ; mais il l’a tellement exagérée, y a apporté tant de développements et de modifications de son cru, y a introduit tant de croyances et de pratiques locales, qu’à part sa reconnaissance de Çâkyamouni comme fondateur, sa croyance en l’existence des Bouddhas, Bodhisattvas et dieux de tous rangs, et l’observance de quelques dogmes fondamentaux tels que ceux de la métempsycose, des quatre vérités, du Vide, du Non-moi, de l’obligation de la méditation, etc., il n’a plus guère du Bouddhisme que le nom. Certaines sectes négligent même l’observation du vœu de célibat et autorisent le mariage de leurs religieux (Çânta Rakchita et Padma Sambhava étaient, dit-on, mariés), de même que les prescriptions relatives à l’abstinence de viande et de boissons enivrantes. Aussi faire une histoire d’ensemble des dogmes et des doctrines lamaïques serait une tâche confuse et presque impossible, et on en est réduit à les étudier séparément chez les diverses sectes qui les ont élaborés ou acceptés.

La tradition de l’Église tibétaine rapporte que, aussitôt après la mort de Langdarma et la fin de sa persécution, onze saints religieux, qui s’étaient enfuis au pays d’Amdo, revinrent au Tibet, rentrèrent dans leurs monastères, appelèrent à eux les religieux dispersés, en ordonneront d’autres et rétablirent le Bouddhisme. Ce Bouddhisme paraît avoir été nettement tântrique et dépravé, car nous voyons le Pandit Rïntchen Zangpo, lui-même un adepte du tântrisme cependant, sévir contre des religieux qui abusaient du rituel tântrique pour commettre des obscénités sous le couvert de la religion[59]. En tout cas cette démoralisation du clergé tibétain se trouve implicitement affirmée par les démarches répétées du roi Lha-lama Yéçès-hod et de son successeur Lha-tsounpa Thang-tchoub pour faire venir de l’Inde des maîtres du Mahâyâna orthodoxe et par la mission de réformateur qu’accomplit Atiça.

Secte Kâdampa.Atiça naquit, dit-on, à Vikramanipourâ, dans le Bengale, en 980. Il appartenait à la famille royale de Gaur et fut élevé dans la religion brâhmanique. Après de brillantes études philosophiques et religieuses, il se convertit au Bouddhisme, fut initié à la doctrine Mahâyâna orthodoxe au monastère de Krichnagiri, prononça les vœux, à l’âge de 19 ans, au monastère d’Odantapourî sous la direction du célèbre Çila Rakchita qui lui imposa le nom religieux de Dîpañkara-Çṛi-Jñâna[60], et enfin reçut l’ordination à l’âge de 31 ans. Bientôt célèbre pour sa science profonde et la pureté de sa vie, il fut nommé grand-prêtre ou supérieur du monastère du Vikrama-Çila par le roi de Magadha, Naya Pâla, et peu après reconnu comme chef suprême, ou hiérarque, par l’unanimité des Mahâyânistes du Magadha. Invité par Lha-lama à se rendre au Tibet, en 1038, il refusa d’assumer la tâche ardue de réformer la religion de ce pays ; mais finit par y consentir sur les instances de Lha-tsoun-pa, afin, dit-on, d’expier par ce sacrifice le péché qu’il avait commis en laissant expulser du monastère sur une fausse accusation un moine nommé Maitri. Il avait alors 60 ans.

Arrivé au Tibet en 1040, il fut reçu avec de grands honneurs par Lha-tsounpa qui lui donna pour résidence le monastère de Tholing, édifié en 1025 par Lha-lama. Ses efforts portèrent surtout sur la moralisation de l’Église existante qu’il travailla à ramener à la doctrine plus pure du Mahâyâna orthodoxe en réprimant les excès du mysticisme et du tântrisme, principalement en expurgeant le culte des pratiques grossières et immorales qu’y avait introduites l’alliance et le mélange avec le chamanisme Bonpo. Malgré ou peut-être à cause de sa très grande rigidité morale et de la guerre qu’il fit aux abus de toute sorte, Atiça réunit bientôt autour de lui un certain nombre de disciples de haute valeur, parmi lesquels on cite au premier rang Bromton[61] et Marpa, et, lorsqu’il mourut en 1053 au monastère de Ngéthang, ils étaient assez nombreux pour que Bromton put les réunir en une secte nommée Kâdampa[62] dans le monastère de Raseng ou Radeng qu’il édifia à leur intention. Cette secte, qui depuis son origine compte dans ses rangs 3,000 lamas éminents[63] s’applique particulièrement à observer les préceptes de discipline tels qu’ils sont énoncés dans le Vinaya[64], y compris les vœux de chasteté et d’abstinence, impose le respect et l’adoration des Bouddhas et de Çâkyamouni en particulier, la charité et l’amour à l’égard de toutes les créatures, et pratique une méditation fervente ; elle professe la doctrine ésotérique du vide (çûnyatâ) et de l’irréalité du monde visible, et fait une part peu importante au mysticisme et au tântrisme, sans les rejeter tout à fait, mais en se tenant strictement aux doctrines et formules émises à leur sujet dans les écritures canoniques du Kandjour. Quelques auteurs supposent qu’elle ne serait qu’une revivance ou une restauration de la doctrine anciennement apportée par Thoumi Sambhota[65]. Elle a beaucoup perdu de son importance depuis la réforme de Tsong-Khapa et s’est en grande partie fondue dans la secte Gélougpa.

Secte Nyigmapa. — Les réformes d’Atiça et de Bromston ne réunirent qu’un nombre restreint d’adhérents ; la grande majorité des Lamas demeura attachée aux doctrines relâchées de Padma Sambhava et de ses successeurs, se donnant pour se distinguer des réformés, le nom de Nyigmapa[66] « Anciens, ou Vieille-École ». Les dogmes et les doctrines des Nyigmapa reposent entièrement sur les Tantras, les traités religieux et les commentaires de Padma Sambhava et de ses principaux successeurs, et sont fortement imprégnés du chamanisme des Bonpos. Pour donner plus d’autorité à son enseignement, Padma Sambhava avait prétendu le tirer de livres écrits et cachés par Nâgârdjouna, qu’il aurait découverts grâce à une révélation miraculeuse de ce saint personnage. À son exemple les principaux apôtres Nyigmapas attribuèrent leurs élucubrations à Padma Sambhava et feignirent de les découvrir dans des creux de rochers où il les aurait cachés afin d’assurer leur conservation pour la postérité. Ce sont ces livres, appelés Terma[67], qui renferment le plus d’extravagances et d’obscénités, quelques-uns recommandant même un libertinage sans frein comme la voie la plus sûre de parvenir au salut. Les Nyigmapas négligent généralement les prescriptions de la discipline bouddhique, principalement en ce qui concerne le célibat, l’abstinence de viande et de boissons fermentées ; beaucoup d’entre eux sont mariés ; presque tous sont adonnés à l’ivresse[68].

Leur divinité suprême est le Bouddha mystique, appartenant exclusivement à leur secte, Kountou Zangpo[69] ; mais, de préférence aux Bouddhas généralement adorés par les autres sectes, leur culte s’adresse à des dieux tutélaires démoniaques qu’ils appellent Çi-Yidam[70]-Kyi-Lha « Protecteurs bienveillants » et P’ro-yidam-Kyi-Lha « Protecteurs terribles », représentés selon le mode tântrique tenant étroitement embrassée leur Youm[71] ou Çaktî. Les premiers appartiennent à la classe des Bouddhas, les seconds à celle des divinités çivaïtes. Le Çi-yidam de la secte se nomme Vadjra-p’ourba et le P’royidam Doubpa-Kâgyè[72]. Ils ont aussi un démon gardien, monstre à deux têtes appelé Gourgon, et adorent leur maître Padma Sambhava sous diverses formes, divine, humaine et démoniaque[73]. Le culte essentiellement propitiatoire qu’ils rendent à ces divinités consiste en des pratiques magiques, mandalas ou cercles, incantations, récitation de formules et de charmes, et des offrandes où les viandes, les liqueurs fermentées et le sang présenté dans des crânes humains, jouent le principal rôle.

En raison, sans doute, du relâchement de leur doctrine, si tolérante pour les passions humaines, les Nyigmapas ont été longtemps et sont peut-être encore majorité au Tibet. Leurs nombreuses sous-sectes, séparées par des nuances insignifiantes de choix d’un Tantra ou d’un Terma spécial pour la direction de leur règle intérieure et d’une divinité tutélaire particulière, sont répandues par tout le territoire, de même que leurs monastères, dont quelques-uns jouissent d’une grande renommée, entre autres ceux de Samyé, métropole de la secte, de Morou, de Ramotch’é et de Karmakhya ; ces trois derniers possédant des collèges pour l’étude des sciences occultes, astrologie, exorcisme, magie et divination.

Il convient cependant de reconnaître que tous les adeptes Nyigmapas n’approuvaient pas la doctrine licencieuse et dangereuse pour la morale publique des Tertons[74] ou inventeurs de traités cachés, et un certain nombre d’entre eux, s’inscrivant en faux contre la prétendue révélation de ces Termas, constituèrent sous le nom d’école Sarma un groupe indépendant qui, tout en conservant la tradition mystique et tântrique entrée dans les mœurs religieuses, s’imposa une stricte discipline physique et morale, l’observation rigoureuse des règles monastiques de célibat, d’abstinence, d’obéissance et de renoncement au monde, la pratique de la charité universelle et l’exercice de la méditation. À ce groupe appartiennent les sectes Karmapa, Bhrikhoungpa[75], Dougpa[76] (cette dernière répandue surtout dans le sud du Tibet, au Boutan et à Sikkim), et les monastères importants de Mindoling[77], Dordjédak[78], Karthok, Khamtathag et Çitch’en-tsogtch’en[79], devenus chacun le siège d’une sous-secte indépendante[80].

Secte Kargyoutpa. — Si la révolte de conscience qui aboutit à la constitution de l’école Sarma fut, comme on le croit, antérieure et par conséquent indépendante de la réforme d’Atiça et de Bromton, leurs prédications et leurs efforts ne furent cependant pas sans exercer une certaine influence sur les Nyigmapas et contribuèrent à former de nouveaux groupements mixtes ou demi-réformés qui ont rempli un rôle important dans l’histoire religieuse du Tibet et dont les deux plus considérables sont les sectes Kargyoutpa[81] et Sakyapa[82].

Parmi les disciples de Bromton se trouvait un religieux éminent, nommé Marpa, qui, resté malgré tout attaché aux doctrines des Nyigmapas dont la tolérance lui paraissait convenir particulièrement au tempérament tibétain, entreprit de corriger en les mélangeant la trop grande tendance des Nyigmapas aux pratiques mystiques et magiques et la sévérité excessive des Kâdampas, et fonda vers la fin du XIe siècle une secte mixte à laquelle il donna le nom de Kargyoutpa (ou de « ceux qui suivent plusieurs enseignements »), puissamment aidé dans cette œuvre par son principal disciple, Mila-rapa[83], qui fut aussi son successeur.

Cette secte prétend suivre une doctrine révélée par le Bouddha suprême Dorjétchang[84] au sage indien Télopa et transmise à Marpa par le Pandit Nâro du monastère de Nâlanda. Sa doctrine, appelée Mannyag ou Nâro-tch’o-rug[85], comporte : l’exercice constant de la méditation sur la nature des Bouddhas et les moyens de l’acquérir, la charité, l’adoration de l’Adi-Bouddha[86], le renoncement absolu au monde, la vie dans la solitude et de préférence dans un ermitage afin de restreindre l’action et le désir, l’observance rigoureuse des règles du Vinaya, l’étude de la métaphysique tântrique et de la philosophie selon l’école Mâdhyamika, et la pratique du Yoga. Elle adresse particulièrement son culte au Yidam tutélaire Demtchog[87], et à sa Çaktî Dordjé-p’agmo[88], et vénère comme principaux saints et patrons, Télopa, Nâro, Marpa, Milarapa. Assez déchue aujourd’hui, elle a, paraît-il, eu un moment de très nombreux sectateurs et ses religieux ont joui d’un grand renom de science et de sainteté[89].

Secte Sakyapa — Une autre secte formée du mélange des doctrines Nyigmapa et Kâdampa est celle que l’on nomme Sakyapa du nom du monastère de Sakya[90], où elle a pris naissance, édifié en 1071 par Kontcho-Gyelpo[91] dans la province de Tsang au sud-ouest de Tachilhounpo. Cette secte, fondée au commencement du douzième siècle par le fils[92] de Kontcho-Gyelpo, a joué un rôle considérable dans l’histoire religieuse et politique du Tibet par le grand savoir et les intrigues de ses moines, ses démêlés incessants avec ceux du monastère de Radeng et surtout par la suprématie qu’elle exerça pendant près de trois siècles sur les autres sectes tibétaines grâce à l’autorité spirituelle et temporelle dont elle fut investie[93], en la personne de ses supérieurs par l’empereur Khoubilhaï, en reconnaissance de la prédiction de victoire que lui avait faite quelques années auparavant le célèbre Sakya Pandita P’ágspa[94]. Son culte, presque entièrement emprunté à celui des Nyigmapas, s’adresse principalement aux Yidams tântriques Kyédordjé[95] et Tchaknadordjé[96], et au démon tutélaire Dordjép’ourpa[97]. Ses grands saints sont Lougroub[98], Tchagpa-thogmed[99], et son fondateur Khon-kon tcho-gyel po tenu pour une incarnation du Bodhisattva Mandjouçrî. Ses préceptes particuliers ont été rédigés en seize articles par le fameux Sakya Pandita : 1o Respecter les Bouddhas ; 2o Pratiquer la véritable religion ; 3o Respecter les savants ; 4o Honorer ses parents ; 5o Respecter les classes supérieures et les vieillards ; 6o Être bon de cœur et sincère envers ses amis ; 7o Être utile au prochain ; 8o Pratiquer l’équité, l’impartialité, la justice et la droiture en toutes circonstances ; 9o Regarder et imiter les hommes bons et parfaits ; 10o Savoir comment jouir de la richesse ; 11o Rendre un service que l’on a reçu précédemment ; 12o Ne tromper ni sur la mesure ni sur les poids ; 13o Être en tout sans parti pris et sans jalousie ni envie ; 14o Ne pas écouter la bouche (les avis) des femmes ; 15o Être affable en parlant et prudent dans ses discours ; 16o Avoir des principes élevés et un esprit généreux.

Les Lamas Sakyapas ont compté parmi eux plusieurs hommes éminents entre autres le célèbre historien du bouddhisme, Târânâtha, et ont eu jadis une réputation, méritée dit-on, de science et de sainteté ; mais actuellement on les accuse volontiers d’être peu stricts dans l’observance des règles de la discipline, peu sévères sur la morale et enclins à l’ivrognerie. Leur règle autorise le mariage, et la dignité de Grand Lama ou supérieur général de la secte est héréditaire, de même du reste que les fonctions de supérieurs de la plupart de leurs monastères.

Les lamas Nyigmapas et des sectes issues de celle-ci sont généralement désignés sous le nom de « Lamas rouges », ou plus exactement « Chapeaux rouges », Ça-mar ; en raison de la couleur de leur costume, sauf les Lamas Kâdampas qui portent le bonnet jaune, Ça-ser, de la secte orthodoxe Gélougpa.

4. Secte Gélougpa. — Réforme de Tsongkhapa. — Au moment même où la secte Sakyapa allait atteindre à l’apogée de la puissance, en 1355, un enfant miraculeux, incarnation du Bodhisattva Mandjouçṛî[100] ou peut-être même du Dhyâni-Bouddha Amitâbha, naquit dans le village de Tsongkha[101] du district d’Amdo (Tibet oriental). Son père se nommait Louboumgé et sa mère Zhingzâ-âtch’o ; lui-même reçut le nom de Tsongkha-pa « Homme de Tsongkha ». Son intelligence et sa vocation religieuse furent si précocement développées que le Lama Rolpa’i-dordje[102] jugea pouvoir lui donner à 3 ans l’initiation de novice[103], et qu’à 8 ans, après avoir reçu la visite et la bénédiction du Bodhisattva Tchaknadordje[104] et du saint Atiça, la première ordination[105] lui fut conférée par un Lama nommé Tondoub-Rïntch’en, qui changea son nom religieux de Koungâ Nyingpo[106] en celui de Lozang-tagpa[107]. Suivant une tradition d’Amdo, accréditée par le P. Huc[108] mais qu’aucun document ne justifie, il aurait reçu pendant sa jeunesse les leçons d’un religieux « venu d’Occident, à grand nez et aux yeux très brillants », qui pourrait être un missionnaire chrétien et probablement Nestorien. Malgré son peu de vraisemblance, à peu près tous

Tsongkhapa.
Tsongkhapa.
Tsongkhapa.


les auteurs subséquents ont reproduit cette légende, sous toutes réserves à la vérité ; mais, d’après un renseignement verbal du Khanpo-Lama Agouan Dordjé, Tsongkhapa n’aurait jamais eu d’autre maître que Rolpa’i Dordjé, qui était un Tibétain de Lhasa. À 16 ans, possédant parfaitement les Soûtras canoniques et les Tantras, Tsongkhapa vint compléter son instruction dans les monastères de Sakya et de Dikoung et finalement à Lhasa, où il approfondit la doctrine Kâdampa sous la direction du Lama Tchoikyab-Zangpo[109], sans compter les leçons que les grands saints de l’antiquité, Nâgârdjouna, Çṛî-Saraha, Bromton, Bouton, etc., lui donnèrent en des apparitions miraculeuses à mesure qu’il étudiait leurs ouvrages. À 37 ans, ayant reçu l’ordination la plus haute et conquis le grade de Maître de la Loi, il était sur le point d’entreprendre un pèlerinage aux Lieux Saints et aux célèbres monastères de l’Inde, lorsque Mandjouçrî lui apparut en personne et l’exhorta à demeurer au Tibet où il avait une œuvre utile et profitable à accomplir en rétablissant la véritable et pure doctrine du Bouddha, corrompue et déshonorée par les extravagances impies du Tântrisme et la démoralisation de la Confrérie. Consacrant sa vie à cette grande œuvre, Tsongkhapa acquit bientôt un renom justifié de sainteté et de science qui lui attira de nombreux disciples malgré la sévérité rigoureuse de sa discipline, surtout en ce qui concernait le vœu de chasteté, et sa lutte impitoyable contre les pratiques de sorcellerie et les rites immoraux introduits dans le culte, pratiques et cérémonies qu’il fut du reste impuissant à détruire complètement tant elles étaient entrées dans les usages populaires, et qu’il dût se borner à restreindre dans les limites de la stricte décence.

À ses disciples, — qu’il ramena aux règles inflexibles des deux cents cinquante-trois articles du Vinaya, à la liturgie et aux traditions rituelles du Mahâyâna primitif, — il imposa un vêtement jaune[110] rappelant par sa forme l’habit des Bikchous indiens, afin de les distinguer des autres Lamas vêtus de rouge, et leur donna le nom de Gélougpas[111] «  Observateurs de la vertu ». En 1409, il fonda le monastère de Galdan[112], métropole de sa secte, et successivement, à quelques années d’intervalle, ceux de Séra et de Dépoung[113]. Il mourut à Galdan en 1417 ou 1419[114], à l’âge de soixante-trois ans,
Tsongkhapa.
léguant le pontificat de la secte Gélougpa à son neveu et principal disciple, Gédoun-Groub[115]. Son âme monta au ciel Touchita[116], où il trône avec Nâgârdjouna aux côtés du futur Bouddha Maitréya, ascension glorieuse dont on commémore le souvenir par la fête des Lampes, le 20 ou 25 octobre. Ses restes mortels sont conservés pieusement au monastère de Galdan où on les adore comme reliques et lui-même reçoit un culte de vénération sous le nom divin de Jampal Nyingpo. On lui attribue la paternité de nombreux traités et commentaires dont les quatre principaux, canoniques pour la secte Gélougpa, sont intitulés Bodhimour, Tarnim-mour, Altanarike et Lamrim[117].

Malgré sa grande renommée et sa situation prééminente, Tsongkhapa n’eut jamais, de son vivant, d’autre titre officiel que celui d’abbé de Galdan, que porta également Gédoun-Groub jusqu’à son élévation, en 1439, au rang de Grand Lama ou supérieur général de la secte. Le pontificat de ce dernier est marqué de deux faits importants : la fondation du monastère de Tachilhounpo[118], en 1445, et l’institution du dogme de l’Incarnation des Grands Lamas de la secte Gélougpa, dont son successeur, Gédoun-Groub Gyétso[119], né en 1475[120], fut le premier bénéficiaire. Il semble toutefois, qu’il ne s’agissait à cette époque que de l’incarnation de l’esprit du premier Grand Lama et non de celle d’un dieu, et que cette fiction, dont les Gélougpa ont tiré si grand avantage, n’eut primitivement pour but que de créer pour ces éminents personnages une sorte d’hérédité spirituelle, à l’imitation de l’hérédité réelle pratiquée chez la secte rivale de Sakyapa, afin de renforcer l’autorité des supérieurs et de prévenir les intrigues inévitables des élections. Il est à remarquer cependant que le monastère de Galdan a conservé l’usage de l’élection de ses abbés.

À part l’adoption par les Grands Lamas du titre de Gyét’so[121] et le transfert du siège pontifical du monastère de Galdan à celui de Dépoung, on ne relève aucun événement saillant pendant les pontificats de Gédoun-Groub Gyéts’o (1475-1543) et de ses deux successeurs immédiats Sodnam Gyéts’o[122] (1543-1589) et Yontan Gyét’so[123] (1589-1617). Les historiens Tibétains constatent seulement la progression rapide et constante de la secte Gélougpa, qui allait prendre un essor si considérable avec le cinquième de ces grands personnages. Celui-ci, Jé-Ngavang-Lozang-Thoubtan-Jigsmed-Gyéts’o[124] (1617-1682) mettant à profit les circonstances et jouant habilement de l’intérêt de la religion soi-disant menacée, sut armer contre le roi du Tibet les Mongols Kochots et se faire faire hommage du royaume par les vainqueurs, réunissant ainsi à son profit la souveraineté spirituelle et temporelle, restée intacte depuis lors, sous la protection de la Chine, entre les mains de ses successeurs, les Dalaï-Lamas[125], et élevant du même coup la secte Gélougpa à l’état de religion non seulement dominante, mais gouvernante, d’une théocratie absolue. C’est à Ngavang Lozang qu’on attribue l’invention géniale de l’incarnation perpétuelle du Dhyâni-Bodhisattva Tchanrési[126] dans les Dalaï-Lamas, qu’il étendit rétroactivement à ses quatre prédécesseurs, ainsi que la création de la dignité de Pantchen Rïnpotché[127], incarnation du Bouddha Odpagmed[128], instituée au profit de son ancien précepteur l’abbé de Galdan, Lozang tch’oikyi-gyelts’an[129], dont il fit en même temps le pontife indépendant de Tachilhounpo.

Ainsi que nous l’avons vu précédemment, en créant la secte Gélougpa Tsongkapa s’était donné la double tâche de moraliser le clergé et la religion. Au dire des historiens de la secte il réussit à accomplir la première partie de son programme et ramena les religieux, de son vivant tout au moins, à la pureté rigide de la discipline telle que l’avait instituée le Bouddha ; il dut de plus leur inculquer une foi vive et une grande activité intellectuelle : théologie, dogmatique, philosophie et métaphysique eurent une magnifique floraison dans les grands monastères de Galdan, de Dépoung, de Séra, de Tachilhounpo, etc., qui produisirent de nombreux maîtres experts en ces sciences et dont la renommée contribua puissamment à l’extension de la secte[130]. Jusqu’à nos jours, les religieux Gélougpas ont conservé une réputation de savoir que l’on dit méritée. Mais il fut moins heureux en ce qui concernait les pratiques de magie et de sorcellerie, auxquelles il dut faire une part plus large peut-être qu’il n’eut voulu, en se bornant à restreindre leur emploi et leur enseignement aux matières — formules, gestes cabalistiques et cérémonies — contenues dans la septième section du Kandjour appelée Gyout[131], et revêtues de ce fait de la consécration canonique. Pour le reste des dogmes et des doctrines, les Gélougpas suivent assez exactement le canon du Mahâyâna primitif de l’Église du Nord, tel que la secte Kâdampa[132] l’avait reçu d’Atiça, éclairé et interprété aux lumières des différentes écoles philosophiques, Mâdhyamika, Prasanga, Svatantra-Mâdhyamika[133] et Yogâtchâra, par les commentaires de leurs docteurs. Ils ont cependant au point de vue de l’âme et du Nirvâna des doctrines, assez divergentes de celles des autres sectes, qu’il est intéressant de signaler.

Contrairement à la doctrine du Hinayâna, généralement adoptée par les écoles du Mahâyâna, les Gélougpas admettent l’existence de l’âme, sans toutefois concevoir celle-ci de la même manière que les philosophes et les religions de l’Europe. Ils la tiennent pour immortelle, ou plutôt douée d’une existence indéfinie, et peut-être même éternelle quant à son essence. Dans le principe cette âme est une lumière emprisonnée dans une enveloppe grossière (le corps animal ou humain) et douée d’une individualité distincte qui persiste, mais d’une façon restreinte, dans les transmigrations et lui permet de subir les conséquences bonnes ou mauvaises de son Karma. Au cours des transmigrations innombrables, l’enveloppe matérielle de l’âme s’use et diminue peu à peu d’épaisseur : elle arrive même à disparaître tout à fait ; alors l’homme devient Bouddha et entre dans le Nirvâna[134].

Quant au Nirvâna, ce n’est ni le néant ni l’opposé du néant. On peut d’autant moins le définir que sa nature diffère selon le degré de capacité intellectuelle de celui qui en cherche la définition, de même qu’il y a trois voies pour y parvenir : celle des êtres inférieurs, des êtres moyens et des êtres supérieurs. Pour les êtres inférieurs, le Nirvâna est un repos-néant. Pour l’être supérieur, c’est parvenir à l’état de Bouddha parfait. Dans le Nirvâna l’individualité de l’être se fond dans une sorte de confluence ; comme Çâkyamouni lui-même, il se confond avec les autres Bouddhas. Cependant sa personnalité n’est pas totalement détruite ; car s’il n’a pas la possibilité d’apparaître de nouveau dans le monde sous une forme perceptible par les sens, il peut se manifester spirituellement à ceux qui ont la foi. Alors c’est en eux-mêmes qu’ils le voient[135].

Les Gélougpas adorent toutes les divinités du panthéon tibétain ; toutefois ils vouent un culte tout particulier, comme patrons tutélaires de leur secte, au Bouddha suprême Dordjétchang[136], au Bouddha futur Maitréya, inspirateur de leur doctrine, aux Yidams Dordjé-jig-je[137], Demtch’og[138] et Sangdus[139], et au génie démoniaque, ou Gonpo, Tamdin[140]. Les cérémonies consacrées aux trois derniers ont un caractère magique et sont accompagnées de rites tântriques[141].


  1. Ce mot doit se prononcer Peun, selon M. l’abbé Desgodins (Mission du Thibet, p. 210), ou Pon, d’après Sarat Chandra Dâs (Journal of the Buddhist Texts Society of India, 1893. appendix).
  2. Sarat Chandra Dâs : Dub-thahleg-shad sel-Kyima-long (Journal of the Asiatic Society of Bengal, 1881, p. 187).
  3. Bon-kou ; en sanscrit, Çunyata.
  4. La légende ne dit pas de quelle année.
  5. Sarat Chandra Dâs : A brief sketch of the Bon religion ; (Journal of the Buddhist Text society, 1903.
  6. Desgodins : La Mission du Thibet, p. 242.
  7. Sarat Chandra Dâs : A brief sketch of the Bon religion.
  8. Sarat Chandra Dâs, Journal of the Asiatic society of Bengal, 1881, p. 205.
  9. Sarat Chandra Dâs, l. c.
  10. Sarat Chandra Dâs : Journal of the Asiatic society of Bengal, 1881, p. 203.
  11. Sarat Chandra Dâs : l. c.
  12. L. A. Waddell : Lamaism, p. 19, Desgodins : Mission du Thibet, p. 215.
  13. Sarat Chandra Dâs : Contributions to the religious history of Tibet (Journal of the Asiatic Society of Bengal, 1882, p. 1.
  14. Lha Thó-thó-ri gNyan-btsan.
  15. Symbole assez fréquent chez les Bouddhistes et les Djains.
  16. Mc’od-rten.
  17. Sarat Chandra Dâs : 1. c. — É. Schlagintweit : Le Bouddhisme au Tibet, p. 41.
  18. Voir page 139.
  19. Quoique affirmé par les historiens chinois ce fait paraît étrange en ce qui concerne la princesse chinoise qui devait avoir été élevée dans le Confucianisme.
  20. Cet alphabet, appelé Voutchan (dbu-can) « avec tête », est toujours usité pour les manuscrits soignés, l’impression et l’épigraphie. L’écriture courante, Voumed, « sans tête » ne sert que pour l’usage de la vie quotidienne.
  21. Rasa-hp’rul-snang-gi-gtsug-lag-k’ang.
  22. Lha-sé’i-mcod-k’ang.
  23. Bla-brang.
  24. Spyan-ras-gzigs, en sanscrit Avalokiteçvara.
  25. Sgrol-ma, en sanscrit Târâ.
  26. Sgrol-ljang « Târâ verte ».
  27. Sgrol-dkar « Târâ blanche ».
  28. K’ri-srong-ldé-btsan.
  29. Manjuçrî, en tibétain Jam-jang, dieu de la science.
  30. L. A. Waddell (Lamaism, p. 24), lui donne le nom de Tchin-tchang.
  31. Tenu pour incarnation d’Açva-ghosa.
  32. Çānta Raksita, surnommée Ācārya Bodhisattva.
  33. Monastère. Le monastère de Nālanda, situé dans le voisinage de Buddha-Gâyâ, fut jusqu’au XIIe siècle le foyer le plus renommé de la science bouddhique.
  34. Sarat Chandra Dâs : Indian Pandits in Tibet (Journal of the Buddhist Texts Society of India).
  35. « Né du lotus ». On l’appelle aussi U-ṛgyanpa « Homme d’Urgyan », du nom que les Tibétains donnent à son pays natal.
  36. En tibétain Od-dpag-med.
  37. Déesses démoniaques.
  38. L. A. Waddell : Lamaism, p. 380.
  39. Sarat Chandra Dâs : Indian Pandits in Tibet (Jour. of the Buddhist text Society of India).
  40. Livres qui constituent la septième section du Kandjour.
  41. Bsam-yas.
  42. L. A. Waddell : Lamaism, p. 266.
  43. Beaucoup d’auteurs de traités de métaphysique et de tantrisme passent pour avoir agi de même, et le premier exemple en fut donné par l’illustre Nâgârjouna. Les livres ainsi découverts se nomment Terma et leurs inventeurs Terton.
  44. « Prêtre Mahâyâna » Le terme chinois Hochang, équivalent du sanscrit Bhiksu, est en Chine le nom collectif de tous les religieux bouddhistes.
  45. Bkah-hgyur.
  46. Bstan-hgyur.
  47. Glang-dar-ma. On le nomme souvent Langdar.
  48. Dpal-rdo-rje.
  49. Concile de Rājagṛhā, 40 jours (?) après la mort du Bouddha ; concile de Vaiçālī, 110 ans plus tard ; concile de Pātaliputra, en 242 avant notre ère. Les Mahāyānistes ne reconnaissent pas ce dernier concile et le remplacent par celui tenu à Jālandhara, sous le nègne de Kaniṣka, vers le milieu du Ier siècle après J.-C.
  50. Sur le Hinayâna et le Mahâyâna, voir H. Kern : Histoire du Bouddhisme dans l’Inde, t. II.
  51. Yogācāra.
  52. Nāgārjuna.
  53. Çiva est l’ascète par excellence.
  54. Déesses à allures démoniaques, épouses des dieux dont elles personnifient l’énergie active.
  55. Kala-cakra « Cercle du temps », cycle de la métempsycose.
  56. Sectateurs d’Içvara « le Seigneur suprême », épithète de Brahma et de Çiva appliquée au Bouddha suprême.
  57. Manusi-Buddha Bouddha humain.
  58. Mahā-Indra.
  59. Sarat Chandra Dâs : Contributions to the religious history of Tibet, Jour. of the As. Soc. of Bengal, 1882.
  60. En tibétain, Rjo-vo c’en-po dpal-ldan.
  61. Hbroms-ston. Selon Waddell (Lamaism, p. 36), ce nom doit se prononcer Domton.
  62. Bkah-gdams-pa.
  63. Sarat Chandra Dâs : Buddhist Schools in Tibet (Journ. of the Asiat. Soc. of Bengal, 1882, p. 125).
  64. En tibétain, Dul-va.
  65. Sir Monice Williams : Buddhism, p. 271.
  66. Rnyig-ma-pa.
  67. Gter-ma.
  68. Sarat Chandra Dâs, Buddhist schools in Tibet (Journ. of the As. Soc. Bengal, 1882, p. 123).
  69. Kun-tu bzang-po, en sanscrit, Samantabhadra.
  70. Yi-dam « dieu tutélaire, protecteur ».
  71. Yum « mère », terme de respect pour désigner une femme de qualité et aussi une déesse.
  72. Sgrub-pa-Kah-brgyad.
  73. L. A. Waddell, Lamaism, p. 72.
  74. Gter-ton.
  75. Ou Dikoungpa.
  76. Brug-pa.
  77. Smin-grol-gling.
  78. Rdo-rje-brag.
  79. Çi-cén-rtsogs-cén.
  80. Sarat Chandra Dâs : l. c., p. 123.
  81. Bkah-brgyud-pa.
  82. Sa-skya-pa.
  83. Mi-la-ras-pa.
  84. Rdo-rje-c’ang, en sanscrit, Vajradhara.
  85. Nā-ro-c’os-drug.
  86. Mkon-mc’og.
  87. Sbde-mc’og.
  88. Rdo-rje-p’ag-mo, en sanscrit Vajravarâhî, déesse à trois têtes dont une de laie.
  89. Sarat Chandra Dâs : Buddhist schools in Tibet (Jour. of the As. Soc. of Bengal, 1831, p. 127).
  90. Sa-skya « Terre jaune ».
  91. Dkon-mc’og-rgyal-po.
  92. Khon-dkon-mc’og-rgyal-po.
  93. En 1270.
  94. Il se nommait K’undgah-rgyal-mtson dpal-bzang-pa.
  95. Kyé-rdo-rje.
  96. P’yag-na-rdo-rje, en sanscrit Vajrapâni.
  97. Rdo-rje-p’ur-pa.
  98. Klu-sgrub, Nâgârjuna.
  99. P’yags-pa t’ogs-med, Aryasanga.
  100. Mañjuçr.
  101. « Vallée des Oignons ».
  102. De la secte Kârmapa.
  103. Dge-bsnyen. Cette initiation ne se confère qu’à 15 ans minimum.
  104. P’yag-na-rdo-rje, en sc. Vajrapâni.
  105. Celle de dGe-ts’ul ou diacre, qui, régulièrement, ne peut être conférée avant 20 ans révolus.
  106. Kundgah-snying-po.
  107. Blo-bzang-rtak-pa, sc. Sumatikirti.
  108. Huc : Souvenirs d’un voyage en Tartarie et au Thibet, t. I.
  109. C’os-skyabs-bzangpo.
  110. De là leur nom de « Lamas jaunes » ou Ça-ser « chapeaux jaunes ».
  111. Dgé-lugs-pa, appelés aussi Galdanpa.
  112. Dgah-ldan.
  113. Hbras-spungs.
  114. Sarat Chandra Dâs donne la date de 1429, qui paraît tardive.
  115. Dge-ldun grub-pa.
  116. Tusita, résidence des Bodhisattvas.
  117. Sarat Chandra Dâs, Life and Legend of Tsong-Kha-pa (Journ. of the As. Soc. of Bengal, 1882, p. 53 et suiv.).
  118. Bk’ra-çis-lhun-po.
  119. Dge-ldun-grub rgya-mts’o.
  120. C’est-à-dire l’année même de la mort du premier Gédoun-groub.
  121. Rgya-mts’o « Océan de Majesté », en mongol, Talé, d’où la forme européenne Dalaï.
  122. Bsod-rnamd-rgyamts’o.
  123. Yon-bstan-rgyamts’o.
  124. Rje blo-bzang Nyag-dbangs t’ub-btan jigs-med rgya-mts’o.
  125. Leur titre véritable est Gyelva-Rinpotché, (Rgyal-ba-rïn-poc’e).
  126. Sp’yan-ras-gjigs, en sc, Avalokiteçvara, protecteur attitré du Tibet.
  127. Pan-c’en-rin-po c’e.
  128. Amitâbha, père spirituel d’Avalokiteçvara.
  129. Blo-bzang c’os-kyi rgyal-mts’an.
  130. Sarat Chandra Dâs : Buddhist Schools in Tibet (Jour of the As soc. of Bengal, 1881, p. 117).
  131. Rgyud, en sc. Tantra.
  132. Aujourd’hui ralliée et constituant une sous-secte Gélougpa.
  133. Cette école se rapproche assez du Védânta.
  134. Comparer à la théorie du Purusa et de la Prâkritî de l’école Sânkhya.
  135. Ces explications m’ont été données verbalement par le Khanpo-Lama Agouan Dordjé.
  136. Rdo-rje-c’ang.
  137. Rdor-je-hjigs-rje, en sc. Vajrabhairava.
  138. Dem-mc’og, en sc. Samvara.
  139. En sc. Guhya-Kâla.
  140. Rta-mgrin, en sc. Hayagrîva.
  141. L. A. Waddell : Lamaism, p. 61.