Commentaire sur la première Épître de saint Paul aux Thessaloniciens

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Œuvres complètes
Traduction par M. Jeannin.
L. Guérin & Cie (11p. 177-245).

COMMENTAIRE
SUR LA PREMIÈRE LETTRE AUX THESSALONICIENS.



AVERTISSEMENT POUR LES DEUX ÉPÎTRES.

Ces homélies furent prononcées à Constantinople, ainsi que l’orateur lui-même l’insinue, lorsqu’il dit dans la huitième homélie sur la première épître, vers la fin : « Pour moi, il faudra que je rende « compte de ce gouvernement des âmes qui m’a été confié ». Il l’indique non moins clairement dans la quatrième homélie sur la seconde épître, lorsqu’il dit : « Le diable s’arme contre nous plus terriblement que contre les autres : À la guerre, en effet, c’est surtout contre le chef que l’ennemi dirige ses attaques ».
Çà et là, il frappe fortement sur les vices des habitants de Constantinople, sur leurs sortilèges, leurs amulettes et leurs pratiques divinatoires. Il proscrit les théâtres et leurs divertissements grossièrement immoraux. Il blâme les deuils exagérés. Il rapporte certaines singularités concernant le lac de Sodome, comme des faits constants et avérés. Dans la quatrième homélie sur la deuxième épître, il dit que Néron est le type de l’antéchrist, et croit trouver dans le texte de saint Paul une prédiction de la chute prochaine de l’empire romain.




HOMÉLIE PREMIÈRE.


PAUL, SYLVAIN ET TIMOTHÉE À L’ÉGLISE DE THESSALONIQUE QUI EST EN DIEU LE PÈRE ET EN JÉSUS-CHRIST NOTRE-SEIGNEUR. QUE LA GRÂCE ET LA PAIX VOUS SOIENT DONNÉES. NOUS RENDONS SANS CESSE GRÂCES À DIEU POUR VOUS TOUS, FAISANT MENTION DE VOUS DANS NOS PRIÈRES, ET NOUS REPRÉSENTANT SANS CESSE DEVANT DIEU QUI EST NOTRE PÈRE, LES ŒUVRES DE VOTRE FOI, LES TRAVAUX DE VOTRE CHARITÉ, ET LA FERMETÉ DE L’ESPÉRANCE QUE VOUS AVEZ EN NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. (1, 1-3 JUSQU’À 7)



Analyse.

  1. Témoignage avantageux rendu par saint Paul à la foi et à la charité des Thessaloniciens.
  2. Ils ont à peine embrassé la foi, et voilà qu’ils peuvent servir de modèle à tous les chrétiens de la Macédoine et de la Grèce.
  3. Nécessité de la vigilance. – Il est très-utile que l’on prie pour nous, mais les prières d’autrui ne sont utiles qu’à ceux qui font déjà par eux-mêmes ce qu’ils peuvent.
  4. Exemples qui prouvent l’utilité des prières quand s’y joint la diligence de ceux pour qui elles sont faites.

1. Pourquoi donc, lorsque l’apôtre écrit aux Philippiens et qu’il a Timothée avec lui, ne joint-il pas le nom de ce disciple au sien propre en tête de sa lettre[1], tandis qu’il le fait ici ? Cependant Timothée était bien connu de ce peuple, et il en était admiré. « Vous avez « éprouvé vous-mêmes », leur dit saint Paul, « qu’il m’a servi comme un fils servirait son père. Je n’ai personne » ; dit-il encore, « qui soit si véritablement dans les mêmes sentiments que moi, et qui ait autant soin de tout ce qui vous regarde ». (Phi. 2,22-20) Pourquoi donc le nom de Timothée se trouve-t-il mis à côté de celui de Paul dans un cas et non dans l’autre ? Je crois que c’est parce que, lorsqu’il écrivait aux Philippiens, il était sur le point de leur envoyer bientôt Timothée. Il eût été superflu que celui-ci s’associât à l’envoi d’une lettre qu’il allait suivre de si près. Saint Paul, en effet, leur dit formellement qu’il était sur le point de leur envoyer bientôt Timothée. (Id. 23) Pour ce qui regarde les Thessaloniciens, il n’en était pas de même. Mais Timothée était depuis peu de retour de chez eux, en sorte qu’il est naturel qu’il s’associe à la lettre qu’on leur écrit : « Timothée est revenu récemment près de nous après vous avoir vus », dit l’apôtre. (1Th. 3,6)

Mais pourquoi nomme-t-il Silvain avant Timothée, Timothée à qui il rend les témoignages les plus avantageux et qu’il préfère à tous les autres ? Peut-être est-ce Timothée lui-même qui l’a ainsi voulu par humilité. En voyant son maître pousser l’humilité jusqu’à mettre ses disciples sur le même rang que lui, Timothée devait se sentir porté à pratiquer aussi l’humilité et à se mettre après tous les autres.

« Paul, Silvain et Timothée à l’Église de Thessalonique ». Saint Paul ne prend ici aucune qualité, il se nomme tout court Paul, sans ajouter apôtre, ou serviteur de Jésus-Christ. Les Thessaloniciens étaient encore assez novices dans la foi, ils n’avaient pas encore appris à connaître saint Paul, voilà pourquoi, ce me semble, l’apôtre ne met aucun terme qui rappelle sa dignité. C’est qu’en effet la prédication ne faisait encore que débuter chez eux. – « À l’Église de Thessalonique ». Ceci n’est pas mis sans intention. Ces fidèles étaient encore en petit nombre et sans beaucoup de cohésion, et c’est pour les encourager que l’apôtre emploie ici le terme d’Église. Il ne s’en sert pas toujours en s’adressant à des communautés depuis longtemps fondées, nombreuses et fortement constituées. Le terme d’Église implique à la fois le grand nombre et l’union bien cimentée des membres ; c’est comme encouragement que l’apôtre l’applique aux Thessaloniciens. – « À l’Église de Thessalonique, qui est en Dieu le Père et en Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Voici encore le mot « Dieu » employé également pour le « Père » et pour le « Fils ». Ces mots : « Qui est en Dieu », servent à distinguer l’Église ou assemblée des fidèles de Thessalonique d’avec les assemblées des juifs et des païens. C’est là un grand éloge, éloge incomparable que d’être en Dieu. Je voudrais pouvoir en dire autant de cette Église-ci, mais je crains fort qu’elle ne soit indigne d’une si belle appellation. On ne peut dire des esclaves du péché qu’ils sont en Dieu. – « Que la grâce et la paix vous soient données ». Vous le voyez, cette épître débute par des éloges.

« Nous rendons sans cesse grâces à Dieu pour vous tous, faisant mention de vous dans nos prières ». Rendre grâces à Dieu pour ce peuple, c’était non seulement témoigner de leur grand progrès dans la foi, mais encore leur montrer qu’ils doivent en être reconnaissants à Dieu qui a tout fait. Il leur enseigne donc l’humilité, et son langage revient à dire que la puissance divine est la source de tout bien et de toute vertu. L’action de grâces est donc un témoignage rendu à leur vertu, et la mention qu’il fait d’eux dans ses prières est une preuve de sa charité envers eux. La suite fait voir que ce n’était pas seulement dans ses prières, mais en tout temps qu’il se souvenait d’eux.

« En nous représentant sans cesse devant Dieu qui est notre Père, les œuvres de votre foi, les travaux de votre charité et la fermeté de l’espér nce que vous avez en Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Les mots « devant Dieu » peuvent aussi se rapporter aux Thessaloniciens, et alors le sens serait : Nous représentant les œuvres de votre foi, les travaux de votre charité, etc, lesquels sont devant Dieu, notre Père. Il ne se souvient pas de leur vertu seulement, mais aussi de leurs personnes, et cela « devant Dieu », mots qui sont pleins de sens. C’est comme si l’apôtre disait : Les hommes ne vous louent point de ce que vous faites, aucun ne vous en récompense, mais ayez confiance, vous travaillez en présence de Dieu. Qu’est-ce à dire : l’œuvre de votre foi ? c’est-à-dire, que rien n’a ébranlé leur fermeté ; car c’est en quoi consiste l’œuvre de la foi. Si vous avez la foi, souffrez tout ; si vous ne voulez pas tout souffrir, c’est que vous n’avez pas la foi. Est-ce que les promesses ne sont pas assez belles pour que celui qui y a foi souffre volontiers mille morts ? C’est le royaume des cieux qu’il a en perspective, avec l’immortalité et la vie éternelle. Le croyant souffrira donc tout. Or, la foi se montre par les œuvres. Rien de plus juste que les expressions de l’apôtre ; elles reviennent à ceci : Vous n’avez pas montré simplement votre foi par vos paroles, mais encore par vos œuvres, par votre fermeté, par votre zèle. – « Les travaux de votre charité ». À aimer d’une manière telle quelle, le travail est nul, mais il est grand à aimer véritablement, sincèrement. Lorsque tout est mis en œuvre pour nous détacher de la charité, et que nous résistons à tout, n’est-ce pas un travail ? Et que n’avaient-ils pas souffert, ces fidèles de Thessalonique, pour ne pas s’écarter de la charité ? Les adversaires de l’Évangile n’allèrent-ils pas trouver l’hôte de Paul, et, ne l’ayant pas trouvé, n’entraînèrent-ils pas Jason, devant les magistrats ? Était-ce peu de chose, dites-moi, pour ces chrétiens, dont la foi ne faisait encore que de naître et n’avait pas acquis toute sa solidité, d’avoir à supporter un tel orage, de telles épreuves ? « Ils exigèrent de lui une caution », dit le livre des Actes (XVII), et l’ayant obtenue, ils laissèrent aller Paul. Était-ce donc peu de chose que cela ? Est-ce que Jason ne s’exposait pas à mourir à la place de Paul ? C’est cet attachement à toute épreuve que l’apôtre appelle « le travail, de leur charité ».

2. Remarquez que l’apôtre ne parle de lui-même qu’après avoir fait l’éloge des Thessaloniciens, en sorte qu’il ne paraît ni se vanter, ni les aimer sans raison et comme par anticipation. – « Et votre fermeté ». La persécution, en effet, n’avait pas duré qu’un instant, elle n’avait pas cessé. Les disciples y étaient en butte aussi bien que leur maître. Comment ceux qui persécutaient des hommes tels que les apôtres, des hommes qui opéraient des miracles et se montraient de toute manière si respectables, comment ceux-là auraient-ils épargné des gens de la même ville et de la même maison qu’eux qui, tout à coup, passaient dans le camp de Jésus-Christ ? C’est à la fermeté de ces fidèles que l’apôtre rend témoignage en disant : « Vous avez été les imitateurs des Églises de Dieu qui sont en Judée ». (1Th. 2,14)

« Et l’espérance que vous avez en Jésus-Christ, devant Dieu notre Père ». Rien de plus juste que ces expressions, car la foi et l’espérance sont le principe de tout ce qu’ils ont fait. Leur conduite ne prouvait pas seulement qu’ils avaient du courage, mais encore qu’ils ajoutaient une foi pleine et entière aux récompenses, qui leur étaient réservées. Dieu permettait qu’il y eût des persécutions dès le commencement, afin que personne ne vînt dire que la prédication évangélique avait réussi d’une manière toute simple par l’intrigue et la flatterie ; il le permettait encore pour faire paraître l’ardeur des fidèles, pour montrer qu’une foi assez ferme pour affronter mille morts n’était pas l’œuvre d’une persuasion humaine, mais de la toute-puissante vertu de Dieu. Il fallait pour cela que, dès le commencement, la prédication fût profondément enracinée et assez solidement plantée pour ne craindre aucun orage.

« Sachant, mes frères bien-aimés, que votre action est de Dieu, parce que l’Évangile que nous vous avons prêché, ne vous a pas été seulement présenté en paroles, mais encore dans la vertu de Dieu, dans l’Esprit-Saint, et dans une certitude abondante. Vous savez aussi de quelle manière nous avons agi parmi vous pour votre salut ». Que veut-il dire par ces mots : « Vous savez aussi de quelle manière nous avons agi parmi vous pour votre salut ? » L’apôtre effleure ici son propre éloge, mais très-légèrement. Il veut d’abord épuiser l’éloge des Thessaloniciens. Voici le sens de ses paroles : Nous savions que vous étiez des hommes généreux et magnanimes, des hommes choisis, c’est pourquoi nous avons aussi tout enduré pour vous. En effet, dire : « Vous savez de quelle manière nous avons agi », c’était leur rappeler qu’on aurait de grand cœur donné sa vie pour eux ; dévouement dont l’apôtre attribue le mérite non à lui, mais à eux, parce qu’ils étaient des hommes élus de Dieu. C’est la même pensée qu’il exprime encore ailleurs en ces termes : « Je souffre tous ces maux pour les élus ». (2Ti. 2,10) Que ne souffrirait-on pas pour les bien-aimés de Dieu ? À peine a-t-il parlé de lui-même qu’il se hâte d’ajouter presque en propres termes : Puisque vous êtes les bien-aimés et les élus de Dieu, il était naturel que je souffrisse tout pour vous. Ce n’était pas tout de les louer pour les fortifier, il était bon encore de leur rappeler dans le même but qu’ils avaient eux-mêmes montré un courage égal au zèle qu’on leur avait témoigné.

Il ajoute donc : « Et vous êtes devenus nos imitateurs et les imitateurs du Seigneur, ayant reçu la parole au milieu d’une grande tribulation, avec la joie du Saint-Esprit ». Quel éloge ! Les disciples, en un moment, sont devenus des docteurs. Non seulement ils ont écouté la prédication, mais encore ils ont atteint jusqu’au faîte où était saint Paul. Mais cela n’est rien en comparaison de ce qui suit, voyez jusqu’où il les exalte en disant : « Vous êtes devenus les imitateurs du Seigneur ». De quelle manière ? « En recevant la parole au milieu d’une grande tribulation, avec la joie du Saint-Esprit ». Non seulement au milieu de la tribulation, mais au milieu « d’une grande tribulation ». On peut voir, par les Actes des apôtres, quelle persécution l’on suscita contre eux. (Act. 17) Ils émurent tous les magistrats, dit l’auteur, et soulevèrent toute la ville. Et l’on ne peut pas dire que s’ils ont été affligés et ont reçu la foi, ils l’aient fait avec tristesse, puisqu’il est dit au contraire qu’ils ont montré une grande joie. Il en était de même des apôtres. « Ils se réjouissaient », est-il dit « de ce qu’ils avaient été jugés dignes de souffrir pour le nom de Jésus-Christ ». (Act. 5,41) Ce qu’il y avait de merveilleux dans leur conduite, c’était principalement cette joie. Ce n’est pas déjà peu de chose que de souffrir l’affliction n’importe comment, mais la souffrir avec joie suppose des hommes élevés au-dessus de la nature humaine, et dont le corps est devenu comme impassible. Comment étaient-ils devenus les imitateurs du Seigneur ? Parce que le Seigneur avait lui-même enduré beaucoup de souffrances, et qu’il ne s’en était pas plaint, mais réjoui, puisqu’il les avait acceptées volontairement, et qu’il était venu sur la terre pour cela. En effet, il s’est anéanti lui-même pour nous, sachant qu’il aurait à souffrir les crachats, les soufflets, la croix. Et au milieu de ces souffrances, la joie qu’il éprouvait lui faisait dire : « Mon Père, glorifiez-moi ». (Jn. 17,1)

3. « Avec la joie du Saint-Esprit ». Pour qu’on n’objecte pas : Comment mêlez-vous ensemble l’affliction et la joie ? Ces choses-là ne sont-elles pas incompatibles ? l’apôtre ajoute : « Avec la joie du Saint-Esprit ». L’affliction est dans les choses du corps, la joie dans celles de l’esprit. Comment cela ? Les faits sont douloureux, mais les suites en sont tout autres, par la permission du Saint-Esprit. Ainsi, on peut souffrir sans se réjouir, comme lorsqu’on souffre pour ses péchés ; et l’on peut aussi se réjouir jusque sous les fouets, lorsqu’on souffre pour Jésus-Christ. Telle est la joie du Saint-Esprit. De ce qui semble douloureux, elle fait sortir des délices. On vous a affligés, persécutés, veut dire l’apôtre, mais l’Esprit-Saint ne vous a pas délaissés dans vos maux mêmes : et comme autrefois il versa la rosée sur les trois enfants de la fournaise, il répand de même sur volis une joie céleste au milieu de vos afflictions. Et comme alors la rosée qui rafraîchissait les trois enfants, n’était point l’effet du feu ; de même la joie que vous ressentez maintenant n’est point l’effet de vos maux. Les afflictions naturellement ne produisent point la joie ; cela est réservé aux afflictions que l’on souffre pour Jésus-Christ, et est l’effet de la rosée du Saint-Esprit, qui, par la fournaise des maux, fait passer les élus dans un repos et un rafraîchissement éternel. « Avec la joie », dit saint Paul ; et non simplement avec la joie, mais avec une grande joie ; car c’est ce que marque ce mot : « Avec la joie du Saint-Esprit ».

« De sorte que vous avez servi de modèles à tous ceux qui ont embrassé la foi dans la Macédoine et dans l’Achaïe ». Cependant ils avaient été les derniers visités par l’apôtre. Mais vous avez brillé, leur dit-il, jusqu’à devenir les modèles de ceux qui vous ont précédés. C’était là une vertu vraiment apostolique. L’apôtre ne dit pas simplement qu’ils ont servi de modèles à ceux qui n’ont pas encore embrassé la foi, mais à ceux mêmes qui l’ont déjà embrassée. Vous leur avez appris de quelle manière il faut croire en Dieu, vous qui, à peine entrés dans la foi, avez commencé à combattre pour elle. – « Dans l’Achaïe », c’est-à-dire dans la Grèce. Que ne fait point le zèle ? Il ne lui faut ni temps, ni délai, ni retard. Il lui suffit de se montrer, et tout est fait. Ainsi les Thessaloniciens, les derniers venus dans la foi, se montraient les maîtres des premiers venus. Que personne donc ne se décourage : quand même on aurait passé une bonne partie de sa vie sans rien faire, on pourrait encore, en très-peu de temps, faire plus qu’on n’aurait peut-être fait en s’y prenant dès le commencement. Si celui qui n’était pas encore chrétien, jette tout en le devenant un si vif éclat, que ne pourra pas faite celui qui a déjà la foi ?

Mais, d’un autre côté, qu’on n’aille pas tomber dans la paresse sous prétexte qu’on pourra tout réparer en peu de temps. Car l’avenir est incertain et le jour du Seigneur est un voleur qui survient tout à coup pendant que nous dormons. Si nous ne dormons point, il ne viendra pas nous surprendre comme un voleur, il ne nous emmènera point sans que nous soyons prêts. Si nous veillons, il viendra comme un envoyé du Roi du ciel nous appeler au bonheur qui nous est préparé. Mais si nous nous endormons, il se présentera comme un voleur. Que personne donc ne s’endorme, que personne ne soit lâche dans la pratique de la vertu, car voilà le sommeil. Ne savez-vous pas que, lorsque nous dormons, nos biens sont peu en sûreté, et qu’il est facile de nous les prendre ? Veillons-nous, la garde en est facile. Dormons-nous, malgré tous nos soins, nous perdons souvent ce que nous avons. Portes, verrous, sentinelles en dedans et au-dehors, rien n’empêche le voleur d’entrer. Quelle conséquence tirer de mes paroles ? c’est qu’éveillés nous n’avons pas besoin du secours d’autrui, et qu’endormis le secours d’autrui ne nous servira de rien et n’empêchera point notre perte.

C’est un grand bien que d’être secouru par les prières des saints, mais à la condition que nous ne resterons pas nous-mêmes sans rien faire. Vous dites : Mais de quoi me serviront les prières des autres, si moi-même je suis vigilant, et si je ne me réduis pas moi-même à en avoir besoin ? Je vous conseille fort de ne pas vous réduire à cet état. Cependant nous avouerons, si nous sommes sages, que nous ne sommes jamais sans avoir besoin des prières des autres. Saint Paul ne disait pas : Qu’ai-je besoin de prières ? Et cependant ceux qui priaient pour lui étaient loin d’être ses égaux. Et vous, vous dites : Qu’ai-je besoin de prières ? Saint Pierre non plus ne disait pas : Qu’ai-je besoin de prières ? « Une prière assidue », dit le livre des Actes (Act. 12, 5), « était adressée pour lui à Dieu, par l’Église ». Et vous, vous dites : Qu’ai-je besoin de prières ? Vous en avez un grand besoin, puisque vous vous imaginez n’en avoir pas besoin. Vous seriez un saint Paul que vous en auriez encore besoin. Ne vous élevez pas, pour que vous ne soyez pas rabaissé. Mais, comme je viens de le dire, c’est à la condition que nous agirons nous-mêmes, que les prières faites pour nous, nous seront utiles. Écoutez les paroles de saint Paul : « Je sais que cela tournera à mon salut, par l’assistance de vos prières et le secours de l’Esprit de Jésus-Christ » (Phi. 1, 49) ; et ailleurs : « Vous m’aiderez aussi en cela par le secours des prières que vous ferez pour moi, afin que Dieu, nous ayant fait grâce par les prières de plusieurs personnes, plusieurs personnes se joignent aussi à nous pour lui en témoigner notre reconnaissance ». (2Co. 1,11) Et vous, vous dites : Qu’ai-je besoin de prières ? Mais si nous demeurons dans la lâcheté, personne, par ses prières, ne pourra nous être utile. De quel secours Jérémie fut-il pour les Juifs ? Trois fois il se présenta devant le Seigneur, et trois fois il lui fut répondu : « Ne priez point, ne demandez rien pour ce peuple, parce que je ne vous exaucerai point ». (Jer. 7,16) De quel secours fut pour Saül la prière de Samuel ? Et cependant il pleura sur lui jusqu’au dernier jour de sa vie, et il n’offrait pas seulement pour lui quelque prière en passant. De quel secours furent pour les Israélites les prières de ce même prophète ? Ne disait-il pas lui-même : « Dieu me garde de pécher jusqu’à oublier de prier pour vous ». Et néanmoins tous périrent. – Les prières sont donc inutiles, direz-vous. Au contraire, elles sont utiles et grandement, mais à la condition que nous y joignions notre action. Les prières sont une aide et un secours ; or, on ne secourt et on n’aide que celui qui travaille déjà lui-même. Si vous restez sans rien faire, l’utilité du secours sera nulle.

4. Si les prières des autres pouvaient mener au ciel même les négligents, pourquoi tous les païens ne sont-ils pas chrétiens ? Ne prions-nous pas pour tous les hommes ? Saint Paul ne faisait-il pas de même ? Ne demandons-nous pas que tous se convertissent ? Pourquoi donc, dites-moi, les méchants ne deviennent-ils pas tous bons ? N’est-il pas évident que c’est parce qu’ils ne veulent rien faire de leur côté ? L’utilité des prières des autres pour nous est très-grande, lorsque, de notre part, nous faisons ce qui dépend de nous. Faut-il vous prouver cette utilité ? Rappelez-vous Corneille et Tabitha. (Act. 10,3 et 9, 36) Écoutez ce que Jacob dit à Laban : « Si le Dieu que mon père craignait, n’était venu à mon secours, vous m’auriez renvoyé nu de chez vous » ; voyez encore ce que Dieu dit : « Je protégerai cette ville à cause de moi, et de David mon serviteur ». (Gen. 31,42 ; 2Ro. 19,34) Mais quand parle-t-il ainsi ? À l’époque d’Ezéchias, roi juste. Si les prières pouvaient quelque chose pour les plus méchants, pourquoi, lorsque Nabuchodonosor vint, Dieu ne dit-il pas la même chose, mais lui livra-t-il la ville ? Alors le crime prévalut. Ce même Samuel, dont je viens de parler, pria une autre fois pour les Israélites, et obtint ce qu’il demandait, mais en quelle circonstance ? Ce fut lorsqu’ils étaient eux-mêmes agréables à Dieu, et c’est pourquoi Dieu mit en fuite leurs ennemis.

Mais, direz-vous, quel besoin ai-je qu’un autre prie pour moi, si je suis, moi, en grâce auprès de Dieu ? Ne tenez jamais ce langage, ô homme, vous avez un besoin réel de prières, et un grand besoin. Voyez ce que Dieu dit des amis de Job : « Job priera pour vous, et votre péché vous sera remis ». (Job. 42,8) Ils avaient commis un péché, mais non un grand péché. Cependant ce même saint qui, par ses prières, avait pu sauver ses amis, n’eût pas sauvé les Juifs dans le temps de leur ruine. « Quand Noé, Job et Daniel se présenteraient devant moi pour eux », dit Dieu, « ils ne délivreraient pas leurs fils, ni leurs filles, parce que leur malice a prévalu ». (Ez. 14,16) Il dit encore à Jérémie : « Quand Moïse et Samuel se présenteraient devant moi, je n’écouterais pas leurs prières ». (Jer. 15,1) Dieu fait la même réponse à ces deux prophètes, parce qu’ils l’avaient tous deux prié inutilement pour le peuple. Ézéchiel dit à Dieu : Hélas, Seigneur, perdrez-vous ce qui reste d’Israël ? Et Dieu, pour lui montrer la justice de ses vengeances, et afin qu’il fût convaincu que s’il rejetait ses prières, ce n’était point qu’il méprisât sa personne, Dieu fait voir à ce saint prophète les péchés de son peuple, ce qui revenait à lui dire : Ce que vous voyez suffit pour vous convaincre que si je n’exauce pas votre prière, ce n’est point par mépris pour vous, mais à cause de l’énormité de leurs péchés. Néanmoins il ajoute encore : « Quand Noé, Job et Daniel me prieraient pour eux, je ne les écouterais point ». Il était naturel que Dieu parlât de la sorte à un prophète qui avait tant souffert. Vous m’avez commandé, disait-il à Dieu, de manger sur un fumier, et je l’ai fait ; vous m’avez commandé de me raser, et je vous ai obéi ; vous m’avez commandé de dormir en me tenant toujours couché sur un côté, et je l’ai fait ; vous m’avez commandé de passer par le trou d’une muraille chargé de bagages, et je l’ai fait ; vous m’avez ôté ma femme avec défense de la pleurer, et je ne l’ai point pleurée. J’ai souffert une infinité d’autres choses pour ce peuple ; et lorsque je vous prie pour lui, vous n’écoutez pas mes prières. Il est vrai, répond Dieu, que je ne vous écoute pas, mais ce n’est point par mépris pour vous ; quand Noé, Job et Daniel prieraient pour leurs propres enfants, je ne les écouterais pas.

Et Jérémie qui avait moins souffert par les ordres de Dieu, mais bien davantage par la malice de son peuple, que lui dit le Seigneur ? « Ne voyez-vous pas ce qu’ils font ? » (Jer. 7,17) – Oui, répondit le Prophète, je vois ce qu’ils font, mais faites pour moi ce que je vous demande. C’est alors que le Seigneur lui dit : « Quand Moïse et Samuel se présenteraient devant moi, je ne les écouterais pas ». Il nomme d’abord Moïse, leur législateur, celui qui les avait tant de fois délivrés du péril, celui qui disait : « Si vous voulez pardonner cette faute, pardonnez-la, sinon, effacez-moi aussi de votre livre ». (Ex. 31,32) Quand le même prophète, dit Dieu, se présenterait encore aujourd’hui devant moi, et me ferait la même prière, ce serait inutilement. Samuel lui-même n’obtiendrait rien, Samuel qui les a aussi tant de fois délivrés, Samuel qui fut dès son enfance si admirable. J’ai dit du premier que je m’entretenais avec lui comme un ami avec son ami, et non par énigmes. J’ai dit de l’autre que je lui étais apparu dès son enfance, et que, par égard pour lui, j’avais rouvert la prophétie depuis un certain temps fermée ; il est dit, en effet, que la parole du Seigneur était rare alors, et qu’il n’y avait pas de vision distincte. (1Sa. 3,1) Eh bien, quand ces hommes se présenteraient maintenant devant moi, ils n’obtiendraient rien. Il est dit aussi de Noé, qu’il était juste et parfait dans sa génération (Gen. 6,9) ; de Job, qu’il était irréprochable, juste, pieux et véridique (Job. 1,1) ; quant à Daniel, les Chaldéens le prenaient pour un Dieu : or ils viendraient devant moi pour me supplier, qu’ils ne pourraient sauver leurs fils ni leurs filles.

Que la vue de ces vérités, mes frères, nous porte à ne pas mépriser les prières des saints, et à ne pas non plus nous y reposer entièrement ; ainsi, d’une part, ne soyons pas négligents, ne vivons pas au hasard ; de l’autre, ne nous privons pas du secours si important de la prière. Demandons aux saints qu’ils prient pour nous, qu’ils élèvent pour nous leurs mains vers Dieu, et nous, de notre côté, attachons-nous à la vertu. Par là nous obtiendrons les biens promis à ceux qui aiment Dieu ; par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, empire, honneur soient au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE II.


PAR VOUS LA PAROLE DU SEIGNEUR S’EST RÉPANDUE AVEC ÉCLAT NON SEULEMENT EN MACÉDOINE ET EN ACHAÏE, MAIS VOTRE FOI EN DIEU EST ENCORE SORTIE POUR SE FAIRE CONNAÎTRE PARTOUT, TELLEMENT QU’IL N’EST POINT NÉCESSAIRE QUE NOUS EN PARLIONS ; PUISQUE TOUT LE MONDE NOUS RACONTE À NOUS-MÊMES QUEL A ÉTÉ LE SUCCÈS DE NOTRE ARRIVÉE PARMI VOUS, ET COMMENT VOUS VOUS ÊTES CONVERTIS À DIEU APRÈS AVOIR QUITTÉ LES IDOLES, POUR SERVIR LE DIEU VIVANT ET VÉRITABLE, ET POUR ATTENDRE DU CIEL SON FILS QU’IL A RESSUSCITÉ D’ENTRE LES MORTS, JÉSUS QUI NOUS DÉLIVRE DE LA COLÈRE À VENIR. (I, 8-10 JUSQU’À II, 9)



Analyse.

  1. D’où vient ce grand retentissement qu’a eu dans le monde la conversion des Thessaloniciens ? La célébrité d’Alexandre le Grand et du nom Macédonien en a été cause en partie.
  2. Les apôtres de Dieu ne recherchent pas la gloire humaine.
  3. 4. Excellente description d’une amitié chrétienne. – Qu’il faut aimer pour en bien comprendre la douceur. – Qu’une âme désintéressée imite la bonté que Dieu a eue pour les hommes.

1. De même qu’un parfum exquis ne peut tenir son odeur cachée, mais la répand de toutes parts, en remplit l’air et réjouit les sens de ceux qui en approchent ; de même les hommes d’une vertu généreuse et admirable ne la tiennent point renfermée en eux-mêmes, mais par la renommée qui s’en répand, ils sont utiles à un grand nombre et les rendent meilleurs. Il en était ainsi des Thessaloniciens, ce qui fait dire à saint Paul : « Vous avez servi de modèle à tous ceux qui ont embrassé la foi dans la Macédoine et dans l’Achaïe. Par vous, en effet, la parole du Seigneur s’est répandue avec éclat, non seulement en Macédoine et en Achaïe, mais votre foi en Dieu est encore devenue célèbre partout ». Vous avez été en même temps l’instruction de vos voisins et l’exemple de toute la terre. Car c’est là ce que veut dire ce mot : « Votre foi est devenue célèbre partout ». L’apôtre ne se contente pas de dire que leur réputation était répandue partout, il ajoute « avec éclat ». Comme le son d’une trompette éclatante retentit dans tous les lieux d’alentour ; de même le bruit de votre foi si généreuse a rempli également tout l’univers. D’ordinaire, les grands événements ont, dans le lieu où ils s’accomplissent, un retentissement qui s’affaiblit par la distance ; il n’en est pas de même du bruit de votre foi, le retentissement en a été égal par toute la terre. Que l’on ne croie pas qu’il y ait de l’exagération dans ces paroles. La nation des Macédoniens était autrefois fameuse avant la venue de Jésus-Christ ; elle jouissait alors partout de plus de célébrité que les Romains. Ce qui a fait la gloire des Romains, c’est d’avoir subjugué les Macédoniens.

Les grandes actions du roi des Macédoniens sont au-dessus de tout discours ; parti d’une petite ville, il a conquis l’univers. Le Prophète le vit sous la figure d’un léopard ailé, ce qui marquait sa rapidité, son impétuosité ardente, et la soudaineté avec laquelle il allait parcourir le monde sur les ailes de la victoire. On rapporte qu’ayant entendu dire a un philosophe qu’il existait une infinité de mondes, il soupira amèrement, parce que de ce nombre infini de mondes, il n’en avait pas même conquis un tout entier ; tant il avait l’âme et le cœur grands ; et sa renommée par toute la terre n’était pas moindre. En même temps que la gloire du roi, s’était élevée celle de la nation. On le nommait Alexandre de Macédoine. Sa réputation remplissait le monde, et rien de ce qui concernait le pays d’un roi, partout si célèbre, ne demeurait ignoré. Les Romains eux-mêmes ne l’emportaient pas sur les Macédoniens en célébrité.

« Votre foi en Dieu est sortie » pour se faire connaître « partout ». Il se sert du terme « est sortie » comme s’il parlait d’un être animé. C’est un effet de leur ferveur extraordinaire. Il ajoute encore, toujours pour montrer la puissance et l’énergie de cette même foi : « Tellement qu’il n’est pas nécessaire que nous en parlions, puisque tout le monde nous raconte à nous-mêmes quel a été le succès de notre arrivée parmi vous ». Ceux qui ont été témoins de vos vertus n’ont rien à en apprendre aux autres qui les préviennent, informés de tout avant d’avoir rien vu ; tant la renommée a été prompte et exacte à les instruire. Nous n’avons donc pas besoin de leur raconter les merveilles de votre piété, quand nous voulons les porter à vous imiter, puisqu’on nous prévient partout, et que l’on commence par nous dire ce qu’on aurait dû apprendre de nous. L’envie que font naître vos vertus ne peut tenir contre leur éclat, et tous sont contraints de se faire les hérauts de vos glorieux combats. Leur infériorité en face de vous ne les rend pas muets sur votre compte, et ils sont les premiers à vous louer. Secondée par des dispositions si favorables, notre parole ne saurait rencontrer nulle part l’incrédulité ni la défiance.

« Tout le monde nous raconte quelle a été notre arrivée parmi vous ». Qu’est-ce à dire ? Qu’elle a été pleine de périls, exposée à mille morts sans que rien ait pu vous troubler ; que vous nous êtes demeurés attachés comme s’il n’y avait eu aucun danger à craindre ; que vous nous avez accueillis une seconde fois malgré les tribulations, comme vous auriez pu faire si, au lieu de la persécution, nous vous avions apporté tous les biens. Saint Paul, accompagné de Silas, avait quitté Thessalonique pour aller à Bérée. Pendant son absence les fidèles furent persécutés. À son retour il fut reçu avec amour et avec beaucoup d’honneurs par les fidèles qui exposèrent ainsi leur vie pour lui. C’est de cette seconde arrivée surtout qu’il veut parler. Ce mot donc : « Quelle a été notre arrivée parmi vous », présente un sens complexe. Il renferme l’éloge de saint Paul et de Silas non moins que celui des Thessaloniciens, quoique l’apôtre leur attribue tout l’honneur. – « Et comment vous vous êtes convertis à Dieu après avoir quitté les idoles, pour servir le Dieu vivant et véritable ». C’est-à-dire, combien votre conversion a été facile, comme vous avez vite embrassé son culte avec entrain, comme il a fallu peu d’efforts pour vous amener à servir le Dieu vivant et véritable.

Puis, prenant un ton moins grave, celui d’un homme qui exhorte, il ajoute : « Pour attendre du ciel son Fils, qu’il a ressuscité d’entre les morts, Jésus qui nous a délivrés de la colère à venir ». Pour attendre du ciel, dit saint Paul, celui qui a été crucifié et enseveli, c’est ce qu’il fait entendre en ajoutant « Qu’il a ressuscité des morts ». On voit ensemble, dans ce verset, la résurrection, l’ascension, le second avènement de Jésus-Christ, le jugement, la récompense des bons et le supplice des méchants. – « Jésus qui nous a délivrés de la colère à venir ». C’est là une consolation, un encouragement et une exhortation. Car, si Dieu a ressuscité son Fils d’entre les morts, s’il est dans le ciel, s’il en doit revenir, et cela, vous le croyez, car autrement vous n’auriez pas souffert ce que vous avez souffert, n’est-ce pas là une grande consolation pour vous ? Que si vos persécuteurs doivent infailliblement subir un jour leur peine, et vous, recevoir votre récompense, ce que l’apôtre affirme dans sa seconde épître (2Thes. 1,9), c’est encore une autre consolation que vous aurez, et une grande. En disant d’attendre du ciel le Fils de Dieu, Jésus-Christ, l’apôtre nous apprend que les maux sont pour nous dans le temps présent et les biens dans l’avenir, lorsque le Christ viendra du ciel. Voyez combien l’espérance nous est nécessaire, puisque le Christ crucifié est ressuscité, est monté aux cieux et doit venir juger les vivants et les morts.

2. « Car vous savez vous-mêmes, mes frères, que notre arrivée chez vous n’a pas été sans fruit ; mais après avoir beaucoup souffert auparavant, comme vous savez, et avoir été traités avec outrage dans Philippes, nous ne laissâmes pas d’avoir assez confiance en notre Dieu pour vous prêcher hardiment l’Évangile de Dieu parmi beaucoup de combats ». (II, 4) Il est vrai que votre conduite a été généreuse, mais la nôtre aussi n’a point été humaine. C’est la même pensée exprimée déjà plus haut, savoir que le mérite de la prédication se montre de la part des prédicateurs par les signes miraculeux et le dévouement, et de la part des disciples par la ferveur et le zèle. Vous savez vous-mêmes que notre arrivée parmi vous n’a point été sans fruit, c’est-à-dire n’a point été humaine ni ordinaire. À peine délivrés des dangers de mort et des mauvais traitements, nous retombâmes dans de nouveaux périls. « Mais après avoir beaucoup souffert auparavant, et avoir été outragés, comme vous savez, dans Philippes ; nous avons montré notre confiance en notre Dieu ». Voyez comme de nouveau il rapporte tout à Dieu. « Pour prêcher hardiment devant vous l’Évangile de Dieu parmi beaucoup de combats ». On ne peut dire que nous ayons eu ces combats à Philippes, mais non parmi vous. « Vous m’êtes témoins des peines, des inquiétudes, des périls où nous avons été dans votre ville ». Il dit la même chose en écrivant aux Corinthiens : « J’ai été parmi vous dans de grandes afflictions, dans de grands travaux, dans une grande crainte, et dans de grands tremblements ». (1Co. 11, 3)

« Car nous ne vous avons point prêché une doctrine d’erreur et d’impureté, et nous n’avons point eu dessein de vous tromper, mais comme Dieu nous a choisis pour nous confier son Évangile, nous parlons aussi, nous, pour plaire non aux hommes, mais à Dieu qui voit le fond de nos cœurs (3, 4) ». C’est donc, comme je l’ai déjà dit, de la fermeté de ce peuple que saint Paul tire des preuves pour montrer que sa prédication était l’ouvrage de Dieu. Autrement, s’il y eût eu de l’illusion et de la tromperie, nous n’aurions pas enduré des maux si excessifs qu’ils ne nous permettaient même pas de respirer. Que prouvait donc notre patience ? sinon que si un avenir de bonheur ne nous était réservé, ou si nous n’eussions été pleinement assurés que notre espérance n’était pas vaine, nul d’entre nous n’aurait de bon cœur souffert tant de maux. Qui donc voudrait, pour les seuls biens d’ici-bas, souffrir tant de maux, mener une vie d’angoisses et pleine de périls ? Ôtez l’espérance des biens à venir et dites-moi comment les apôtres auraient pu convertir une seule personne ? Quoi de plus capable d’effrayer des disciples que de voir les maîtres qui les instruisent si persécutés ? Mais cela ne vous a point effrayés. « C’est que nous ne vous avons point prêché une doctrine d’erreur ». L’Évangile n’est pas un leurre ni une tromperie pour que nous reculions devant quelque chose. Notre doctrine n’est pas une doctrine d’abomination comme les pratiques des sorciers et des magiciens. Ce n’est pas une doctrine « d’impureté » que nous vous prêchons. Nous ne sommes ni artificieux, ni factieux comme Theudas.

« Mais comme Dieu nous a choisis pour nous confier son Évangile, nous parlons aussi non pour plaire aux hommes, mais à Dieu ». Vous le voyez, ce n’est pas ici une affaire d’amour-propre ; nous ne cherchons pas à plaire aux hommes, mais à Dieu qui connaît le fond de nos cœurs. Autrement, quelle serait la raison de notre conduite ? Après ce témoignage flatteur, qu’ils ne font rien pour plaire aux hommes ni pour rechercher leurs honneurs, il ajoute : « Comme nous avons été choisis de Dieu pour être chargés de son Évangile ». C’est comme s’il disait : S’il ne nous avait vus affranchis de toute préoccupation terrestre, il ne nous aurait pas choisis. Tels donc il nous a choisis, tels nous restons. – « Nous avons été choisis de Dieu après examen » ; il nous a examinés et nous a confiés son Évangile. Nous restons dans le même état dans lequel nous avons été approuvés de Dieu. La charge de prêcher l’Évangile de Dieu est une preuve de vertu ; Dieu ne nous aurait pas approuvés pour cette mission s’il avait vu en nous quelque chose de mauvais. Quand saint Paul dit que Dieu l’a éprouvé, il veut dire simplement qu’il l’a vu bon et qu’il l’a choisi pour apôtre, et non qu’il l’ait mis à l’épreuve. Nous avons besoin, nous ; de mettre à l’épreuve pour savoir à quoi nous en tenir ; mais Dieu connaît tout d’une seule vue et sans épreuve.— Donc, nous parlons comme doivent parler ceux que Dieu a choisis et qu’il a jugés dignes de l’Évangile. Et nous ne parlons pas comme si nous avions à plaire aux hommes, c’est-à-dire, ce n’est pas à cause de vous que nous faisons ce que nous faisons. Et parce qu’il les avait loués, pour prévenir le soupçon que cela aurait pu causer, il ajoute : « Car nous n’avons usé d’aucune parole de flatterie, comme vous le savez, et notre ministère n’a point servi de prétexte à notre avarice, Dieu m’en est témoin. Nous n’avons point non plus recherché aucune gloire de la part des hommes, ni de vous ni d’aucun autre. Nous pouvions cependant, comme apôtre de Jésus-Christ, vous charger de notre subsistance (5, 6) ». – Nous n’avons pas usé de flatterie, comme font ceux dont l’intention est de tromper, de s’emparer des hommes et de les dominer. On ne peut dire que nous vous ayons adulés pour vous dominer, ou nous approprier vos richesses. Qu’il ne les a pas flattés pour les dominer, la chose est claire, et il en appelle à leur témoignage ; qu’il ne les a pas flattés par un motif d’avarice, si l’on en peut douter, il en prend Dieu à témoin. – « Nous n’avons point non plus recherché aucune gloire de la part des hommes, ni de vous, ni d’aucun autre. Nous pouvions cependant, comme apôtre de Jésus-Christ, vous charger de notre subsistance ». C’est-à-dire, nous n’avons pas recherché les honneurs, nous n’avons pas étalé de faste, nous ne nous sommes point fait escorter. Et quand nous l’aurions fait, qui aurait pu nous condamner ? Si les ambassadeurs des rois sont honorés, quels qu’ils soient personnellement, à combien plus forte raison devions-nous l’être ? Il ne dit pas : Nous avons été dans l’opprobre, nous avons été laissés sans honneur, ç’eût été leur faire un reproche ; il dit : Nous n’avons pas recherché les honneurs. Si nous n’avons pas recherché les honneurs, lorsque la prédication nous donnait ce droit, il est clair que nous n’agissons pas en vue de la gloire humaine. Quand même cependant nous aurions recherché les honneurs, qui eût pu nous en faire un crime ? N’est-il pas convenable que les envoyés de Dieu aux hommes, que ceux qui viennent du ciel sur la terre, en qualité d’ambassadeurs, soient accueillis même avec beaucoup d’honneurs ? Par surérogation nous n’avons rien fait de cela, pour fermer la bouche à nos adversaires.

3. Et vous ne pouvez dire que telle a été ma conduite envers vous, mais non envers les autres. Voici, en effet, ce qu’il dit écrivant aux Corinthiens : « Vous souffrez que l’on vous réduise en servitude, que l’on vous dévore, que l’on vous pille, que l’on s’élève, que l’on vous frappe au visage ». (2Co. 11,20) La même chose se trouve exprimée dans les passages suivants : « Son aspect », disent vos séducteurs en parlant de Paul, son aspect est misérable, son discours « méprisable » ; et « pardonnez-moi cette injure, etc. », (Id. 10,10 et 12, 13) Ici, dans son épître aux Thessaloniciens, il parle encore de l’argent qu’il pouvait demander pour sa subsistance, en qualité d’apôtre de Jésus-Christ.

« Mais nous avons été parmi vous comme de petits enfants, comme une mère qui nourrit et qui aime tendrement ses propres enfants. Ainsi dans l’affection que nous ressentions pour vous, nous aurions souhaité de vous donner, non seulement la connaissance de l’Évangile de Dieu, mais aussi notre propre vie, tant était grand l’amour que nous vous portions (7, 8) ». Nous avons été au milieu de vous comme de petits enfants ; nous n’avons montré ni orgueilleuse dureté, ni fastueuse hauteur « au milieu de vous ». C’est comme s’il disait : J’ai été l’un d’entre vous, je n’ai pas pris pour moi une place plus haute que les autres.

« Nous avons été comme une mère qui nourrit et qui aime tendrement ses propres enfants ». Tel doit être le pasteur. Une mère caresse-t-elle son enfant pour en retirer de la gloire ? Exige-t-elle de lui de l’argent pour le lait qu’elle lui donne ? Lui est-elle à charge ? lui fait-elle de la peine ? Saint Paul donc veut montrer, par cette comparaison, jusqu’où doit aller l’affection d’un pasteur pour son peuple. C’est cet amour, dit-il aux Thessaloniciens, que nous avons eu pour vous. Non seulement nous n’avons rien désiré de vos biens, mais s’il avait fallu donner notre vie même pour vous, nous l’aurions fait de bon cœur. Est-ce là, dites-moi, l’effet d’un sentiment purement humain ? qui serait assez insensé pour le croire ? Nous aurions voulu, dit saint Paul, vous donner non seulement l’Évangile de Dieu, mais notre propre âme. C’est donc plus de donner sa vie que de prêcher, parce que l’on souffre davantage en donnant sa vie. Il est vrai que l’Évangile est quelque chose de plus précieux : mais la mort aussi est quelque chose de plus pénible. Nous aurions voulu, dit l’apôtre, s’il eût été possible, livrer nos âmes pour vous. Comme il avait beaucoup loué ce peuple, il a soin de leur dire qu’il ne l’a pas fait pour rechercher la gloire, ni de l’argent, ni pour les flatter. Les Thessaloniciens avaient eu de grands combats à soutenir. Ils méritaient donc quelques louanges afin de s’affermir de plus en plus dans leurs bonnes résolutions. Cependant ces louanges pouvant devenir suspectes, saint Paul s’efforce de prévenir ces soupçons. C’est dans cette vue qu’il leur parle de ses périls. Et, d’autre part, afin que l’on ne croie pas qu’il parle de ses périls pour s’attirer des hommages en retour, il ajoute : « Parce que vous m’êtes très-chers ». J’aurais volontiers donné ma vie pour vous, parce que je vous suis étroitement attaché. Nous annonçons l’Évangile parce que Dieu nous l’ordonne ; mais notre affection pour vous est telle que, s’il le fallait, nous livrerions pour vous notre âme. Telle est l’amitié véritable, celui qui aime donnerait sa vie si elle lui était demandée et que cela fût possible. Que dis-je, si elle lui était demandée ? bien plus il courrait lui-même au-devant d’un tel don. Rien de plus doux qu’un tel amour ; il n’est mêlé d’aucune amertume. Un ami fidèle est vraiment le baume salutaire de la vie ; un ami fidèle est vraiment un rempart solide.

Que ne ferait pas un ami sincère ? Quelle joie n’apporte-t-il pas à la vie, quelle utilité, quelle sûreté ? Des trésors par milliers ne seraient pas comparables à un sincère ami. Parlons donc des délices d’une sainte amitié. En voyant son ami, l’ami éprouve une joie dont il est inondé. L’union de leurs deux âmes leur procure d’ineffables délices ; il suffit d’un souvenir de l’ami pour élever la pensée, pour lui donner des ailes. Je parle des vrais amis, unis du fond de l’âme, prêts à mourir s’il le faut, dont l’affection est ardente. Je ne veux pas que l’on pense à ces amis vulgaires, amis de table, amis de note, ce n’est pas de ceux-là que je parle. Si quelqu’un possède un ami tel que celui que j’ai en vue, il me comprend. Il ne se rassasie jamais de le voir, le vît-il tous les jours. Il lui souhaite les mêmes biens qu’à lui-même. J’ai connu un homme qui commençait toujours à prier pour son ami, ensuite pour lui-même. Tel est un ami, qu’on aime, à cause de lui jusqu’aux temps, jusqu’aux lieux mêmes. Comme les objets qui ont de l’éclat, le font rejaillir tout autour d’eux, de même les amis laissent quelque chose de leur amabilité aux lieux qu’ils fréquentent. Et souvent nous retrouvant dans ces mêmes lieux sans nos amis, nous pleurons au souvenir des jours que nous y avons passés avec eux. Il n’est pas donné au discours de représenter tout le plaisir que nous fait goûter la présence d’un ami, ceux-là seuls le connaissent, qui en ont fait l’expérience. On peut librement demander une grâce à un ami et la recevoir sans la moindre honte. Lorsqu’ils nous prient de quelque chose, nous leur en savons gré lorsqu’ils craignent de nous importuner, nous ne nous en consolons pas. Nous n’avons rien qui ne soit à eux. Souvent, lorsque tout nous inspire du dégoût en ce monde, nous ne voudrions cependant pas les quitter. Ils nous sont plus agréables que la lumière du jour.

4. Non, la lumière du jour elle-même n’est pas plus douce qu’un ami, qu’un véritable ami. Et ne vous étonnez pas de ce que je dis. Mieux vaudrait, pour nous, que le soleil s’éteignît, que d’être privés de nos amis ; mieux vaudrait vivre dans les ténèbres que d’être sans amis. Pourquoi ? parce que beaucoup peuvent voir le soleil et rester néanmoins dans les ténèbres, et que ceux qui sont riches en amis, ne sauraient ressentir de tristesse au milieu même de l’affliction. Je parle toujours des véritables amis, des amis spirituels, et qui ne préfèrent rien à l’amitié. Tel était saint Paul, qui aurait, de bon cœur, donné sa vie sans même attendre qu’on la lui eût demandée, et qui eût, sans hésiter, descendu dans les flammes de l’enfer. C’est avec cette ferveur qu’il faut aimer. Je veux donner un exemple d’amitié. Les amis aiment leurs amis avec plus de tendresse que les pères n’aiment leurs enfants, que les enfants n’aiment leurs pères, le dis les amis selon Jésus-Christ. Ne me parlez pas des amis d’aujourd’hui, l’amitié est une vertu que nous avons perdue avec tant d’autres. Mais remontez vers les temps apostoliques, et, sans parler des apôtres eux-mêmes, considérez quels étaient les simples fidèles, dont il est dit qu’ils n’avaient tous qu’un cœur et qu’une âme ; que nul ne regardait comme sa propriété exclusive rien de ce qui lui appartenait, et qu’on distribuait à chacun selon son besoin. (Act. 4,30) Les mots « le tien » et « le mien » ne s’entendaient jamais parmi eux. Ne rien tenir comme sa propriété exclusive, mais tout regarder comme le bien du prochain, considérer ses propres biens comme des choses étrangères, épargner la vie de son ami comme la sienne propre : c’est dans la réciprocité, cette disposition que consiste la vraie amitié.

Et où trouver une telle amitié ? dira-t-on. En effet, elle est difficile à rencontrer à cause de notre mauvaise volonté que notre volonté change et rien ne sera plus facile. Si une telle amitié n’était pas possible, Jésus-Christ ne nous l’eût pas commandée ; il n’en eût pas fait un précepte si exprès. Il faut le dire encore une fois, c’est quelque chose de grand que l’amitié. C’est un bien qui ne peut s’exprimer ni se connaître que par l’expérience, l’union des amis a été quelquefois jusqu’à produire des hérésies ; c’est elle qui fait que les païens sont encore païens. Celui qui aimé ne veut ni dominer ni commander. Il se tient pour obligé qu’on lui commande. Un ami aime mieux faire un plaisir que le recevoir, parce qu’il aime. Il est, en donnant toujours, comme un homme qui ne peut satisfaire ses désirs. Il ne trouve pas tant de plaisir dans le bien qu’on lui fait, que dans le bien qu’il fait lui-même. Il aime mieux obliger son ami que d’être l’obligé de son ami, ou plutôt il veut devoir et qu’on lui soit redevable. Il veut faire plaisir, et il ne veut pas paraître faire plaisir, mais paraître l’obligé tout en obligeant.

Je suis sûr que beaucoup d’entre vous n’entendent rien à ce que je dis. En effet, il semble qu’il y ait de la contradiction à dire qu’un homme en prévienne un autre, qu’il commence à l’obliger le premier, et qu’en même temps il veuille ne point paraître l’avoir prévenu. C’est ainsi que Dieu lui-même a agi à notre égard. Il voulait nous donner son propre Fils ; mais pour ne pas paraître nous le donner gratuitement, mais comme quelque chose qu’il nous devait, il commanda à Abraham de lui donner son fils ; de sorte que tout en nous faisant le plus grand des dons, il paraissait ne rien faire d’extraordinaire. Celui qui n’aime point, reproche le bien qu’il fait, et exagère jusqu’aux moindres grâces. Celui qui aime, au contraire, cache tout le bien qu’il fait et veut que ses bons offices passent pour rien. Bien loin de vouloir qu’on croie que son ami lui ait obligation, il fait tout son possible pour faire croire que c’est lui-même qui lui est obligé des services qu’il lui a rendus. Je vous le dis encore : je sais bien que plusieurs ne comprennent rien à ce que je dis, car je parle d’une vertu qui n’est plus guère maintenant que dans le ciel. Lorsque je vous parle de l’amitié, c’est comme si je vous parlais de quelque plante inconnue qui viendrait dans l’Inde, et que vous n’auriez jamais rencontrée. Tout ce que je pourrais vous en dire, ne vous en donnerait pas l’exacte connaissance, puisque je ne pourrais pas vous en faire sentir la vertu par expérience. De même quelque éloge que je fasse de l’amitié, vous ne me comprendrez pas si vous n’aimez. C’est dans le ciel qu’est cette noble plante ; c’est là qu’elle pousse des branches chargées, non de perles mais de vertus infiniment plus précieuses. Comparez l’amitié à tous les plaisirs honnêtes ou déshonnêtes, vous n’en trouverez pas qui l’égale. L’amitié surpasse toutes les douceurs du monde, sans excepter même celle du miel, puisqu’on finit par se dégoûter du miel et jamais d’un ami. Tant qu’il est ami, on ne s’en lasse point ; au contraire, on l’aime toujours de plus en plus, et la douceur qu’on y senti n’est point mêlée d’amertume.

Un ami est plus agréable que la vie même, c’est pourquoi on en a vu ne plus désirer de vivre après la mort de leurs amis. On souffre de bon cœur l’exil avec un ami, et sans lui on est comme exilé dans son propre pays et dans sa maison même. On trouve la pauvreté supportable avec un ami ; sans lui, ni la santé ni les richesses n’ont rien qui nous plaise, tout nous est insupportable. On retrouve dans un ami un autre soi-même. Je souffre de ne point trouver d’exemple qui me satisfasse. Je reconnais, avec confusion, que tout ce que je dis est infiniment au-dessous de la vérité. Car les avantages que j’ai marqués ne regardent encore que cette vie. Mais ensuite Dieu récompense une amitié semblable au-delà de ce qu’on peut s’imaginer. Il nous offre une récompense afin que nous nous aimions les uns les autres. Aimez, dit-il, et recevez une récompense ; c’est nous qui devrions, pour cela, offrir une récompense. Priez, dit-il encore, et recevez une récompense ; c’est nous encore qui devrions offrir une récompense pour les biens que nous demandons. Parce que vous me demandez mes grâces, recevez une récompense. Jeûnez et soyez récompensé. Devenez vertueux et je vous récompenserai, bien que vous me soyez redevable. Lorsque les pères ont rendu leurs enfants vertueux, ils les en récompensent ; car ils leur sont redevables du plaisir qu’ils éprouvent de les voir vertueux. Dieu fait de même. Devenez vertueux, nous dit-il, et je vous promets une récompense. Votre vertu réjouit mon cœur de père, et pour cela je vous dois une récompense. Si vous devenez mauvais, c’est tout le contraire ; car vous irritez l’auteur de votre existence. N’irritons pas Dieu, réjouissons au contraire son cœur, afin que nous obtenions le royaume des cieux en Jésus-Christ Notre-Seigneur, etc.

Traduit par M. JEANNIN.

HOMÉLIE III.


CAR VOUS N’AVEZ PAS OUBLIÉ, MES FRÈRES, NOTRE PEINE ET NOTRE FATIGUE ; NUIT ET JOUR TRAVAILLANT DE MANIÈRE À N’ÊTRE À CHARGE À AUCUN DE VOUS, NOUS AVONS PRÊCHÉ L’ÉVANGILE DE DIEU. VOUS ÊTES TÉMOINS VOUS-MÊMES, ET DIEU AVEC VOUS, DE CE QU’IL Y À EU DE SAINT, DE JUSTE ET D’IRRÉPROCHABLE DANS NOTRE CONDUITE ENVERS VOUS, QUI AVEZ EMBRASSÉ LA FOI. VOUS SAVEZ QUE NOUS AVONS AGI ENVERS CHACUN DE VOUS, COMME UN PÈRE ENVERS SES ENFANTS, VOUS EXHORTANT, VOUS CONSOLANT, VOUS CONJURANT DE MARCHER D’UNE MANIÈRE DIGNE DE DIEU, QUI VOUS À APPELÉS AU PARTAGE DE SA ROYAUTÉ ET DE SA GLOIRE. (CHAP. 2,9-12 JUSQU’À III, 4)


Analyse.

1-3. Devoirs du maître envers ses disciples. — Saint Paul travaillant, de ses mains, de manière à n’être à charge à personne. — De la manière dont les apôtres parlaient aux fidèles. — Éloge de la fermeté, de la constance des fidèles de Thessalonique. — Saint Paul ne se lasse pas de prendre dans l’histoire du Christ toutes les raisons qui doivent retremper le courage en face des périls. — Invectives contre les Juifs déicides, et poursuivant les chrétiens de leur haine. — Affection de saint Paul pour les fidèles. — Grandeur de l’Église plantée, cultivée par lui. — Pourquoi saint Paul envoie Timothée à Thessalonique.

4-6. Les persécutions ne doivent pas être, pour la foi, un sujet de trouble. — Le chrétien est destiné à souffrir. — Souffrir, voilà le seul mérite, le seul titre de gloire du chrétien. — L’amour du plaisir, cause de la perte de l’homme et de tous ses malheurs. — Nos passions plus cruelles pour nous que tous les bourreaux. — Contre la vaine gloire, l’amour des richesses, la superstition qui consulte les devins. — Consentir aux pertes d’argent, c’est s’enrichir. — Bénir Dieu dans l’adversité. — Imiter Job. — Être pauvre, et pouvoir donner quelque chose au plus puissant des rois, à Dieu même, quelle richesse !

1. Le maître ne doit reculer devant aucune fatigue pour le salut de ses disciples. Car si le bienheureux Jacob travaillait nuit et jour pour garder ses brebis, à bien plus forte raison, celui qui a charge d’âmes, doit-il tout faire, quelque pénible, quelque modeste que soit sa tâche, en vue de son unique but, qui est le salut de ses disciples, et la gloire qui en revient à Dieu. Voyez donc le travail qu’acceptait Paul, ce héraut de Jésus-Christ, cet apôtre de la terre élevé à une dignité si haute ; il travaillait de ses mains pour ne pas être à charge aux disciples ; car « vous n’avez pas oublié », dit-il, « mes frères, notre peine et notre fatigue ». Il avait dit auparavant : « Nous aurions pu vous être à charge, comme apôtres du Christ » ; c’est ce qu’il dit encore dans l’épître aux Corinthiens : « Ne savez-vous pas que les ministres des sacrifices mangent de ce qui est offert pour les sacrifices ? » (1Co. 9,13) Le Christ a établi que ceux qui annoncent l’Évangile, vivent de l’Évangile. Mais moi, dit-il, je n’ai pas voulu ; j’ai préféré la fatigue. Et ce n’est pas assez dire qu’il travaillait, mais c’était avec un zèle ardent. Voyez ce qu’il dit : « Car vous n’avez pas oublié », il ne dit pas mes bienfaits, mais, « notre peine et notre fatigue ; nuit et jour travaillant de manière à n’être à charge à aucun de vous, nous avons prêché l’Évangile de Dieu ». Aux Corinthiens, il adresse d’autres paroles : « J’ai dépouillé les autres églises, en recevant d’elles l’assistance dont j’avais besoin pour vous servir ». (2Co. 11,8) Il est bien entendu qu’en d’autres lieux aussi il travaillait ; mais il ne parlait pas de ce travail aux Corinthiens ; il prenait une expression plus piquante, comme s’il disait : Ce sont les autres qui m’ont nourri, quand c’était vous que je servais.

Ici, il ne parle pas de la même manière ; mais que dit-il ? « Nuit et jour travaillant ». Aux Corinthiens, il dit : « Et lorsque je demeurais parmi vous, et que j’étais dans la nécessité, je n’ai été à charge à personne » (Ibid, 9). « Et j’ai reçu l’assistance dont j’avais besoin pour vous servir » : ici au contraire, il montre que les fidèles sont pauvres ; dans l’épître aux Corinthiens, il n’en est pas de même. Voilà pourquoi il invoque toujours le témoignage de ceux de Thessalonique « Vous êtes témoins, vous-mêmes », dit-il, « et Dieu avec vous ». La confiance avec laquelle il s’appuie sur le témoignage de Dieu, voilà de quoi les persuader ; les autres assertions laissaient dans l’incertitude ceux qui ignoraient les faits. Ne réclamez pas, ne dites pas : C’était Paul qui parlait ; Paul s’arme d’un témoignage de beaucoup supérieur au sien, pour les persuader. De là ce qu’il dit : « Vous êtes témoins, vous-mêmes, et Dieu avec vous, de ce qu’il y a eu de saint, de juste et d’irréprochable dans notre conduite envers vous, qui avez embrassé la foi ». Il fallait aussi leur adresser des éloges ; voilà pourquoi il leur parle d’une manière qui devait les persuader. Si je n’ai rien reçu ailleurs, dit-il, quoique je fusse dans le besoin, cela est bien plus vrai encore maintenant. « De ce qu’il y a eu de saint, de juste et d’irréprochable dans notre conduite envers vous, qui avez embrassé la foi. Vous savez que nous avons agi envers chacun de vous, comme un père envers ses enfants, vous exhoortant, vous consolant ». Après avoir parlé de sa manière de vivre au milieu des hommes, il parle de ce qui tient à la charité, ce qui est une idée plus élevée, et son langage est celui de l’humilité. « Comme un père envers ses enfants, vous exhortant, vous consolant, vous conjurant de marcher d’une manière digne de Dieu, qui vous a appelés au partage de sa royauté et de sa gloire ». Cette expression, « vous conjurant », lui est inspirée par le souvenir de ce que font les pères. Oui, nous vous avons conjurés ; et, en cela, nous n’avons pas usé de rigueur, nous nous sommes conduits comme des pères. « Chacun de vous ». Ah ! dans une si grande multitude, personne de négligé, ni petit, ni grand, ni riche, ni pauvre ! — « Vous exhortant », dit-il, à la résignation ; « vous consolant, vous conjurant ». — « Vous exhortant » ; donc les apôtres ne cherchaient pas la gloire. « Vous conjurant » ; certes, ce n’étaient pas des flatteurs ; « de marcher d’une a manière digne de Dieu, qui vous a appelés au partage de sa royauté et de sa gloire ». Voyez maintenant ce que ce récit a d’instructif et de consolant. Car si Dieu nous a appelés à sa royauté, s’il nous a appelés à sa gloire, il faut tout supporter. Nous vous exhortons, non pas pour que vous nous fassiez quelque faveur, mais pour que vous obteniez le royaume des cieux.

« C’est pourquoi nous rendons à Dieu, nous aussi, de continuelles actions de grâces, de ce qu’ayant entendu, de notre bouche, la parole de Dieu, vous l’avez reçue, non comme la parole des hommes, mais comme étant, ainsi qu’elle l’est véritablement, la parole de Dieu, efficace en vous qui avez embrassé la foi (13) ». On ne peut pas prétendre, dit-il, que nous, de notre côté, nous fassions toutes choses d’une manière absolument irréprochable, mais que vous, de votre côté, vous vous montriez indignes de notre séjour auprès de vous ; car vous ne nous avez pas écoutés comme on écoute des hommes ; vous avez été attentifs, comme si vous entendiez les avertissements de Dieu même. Qui le prouve ? De même qu’il démontre qu’il n’a recherché ni la faveur qu’obtiennent les flatteries, ni la vaine gloire dans ses prédications, et qu’il en donne pour preuves les périls qu’il a courus, le témoignage de ses auditeurs, les œuvres qu’il a faites, de même il prouve, par les périls qu’ils ont affrontés, la piété avec laquelle ils ont reçu la parole. En effet, comment, leur dit-il, si vous n’aviez pas écouté, comme on écouterait Dieu lui-même, comment pourriez-vous supporter de tels périls ? Et voyez à quelle hauteur il les élève : « Car, mes frères, vous êtes devenus les imitateurs des Églises de Dieu, qui ont embrassé la foi de Jésus-Christ dans la Judée ; vous avez souffert, de la part de vos concitoyens, les mêmes persécutions que ces Églises de la part des juifs, qui ont tué le Seigneur Jésus-Christ, et les prophètes ; qui nous ont persécutés ; qui ne sont point agréables à Dieu et qui sont ennemis de tous les hommes ; qui nous empêchent d’annoncer aux gentils la parole du salut, comblant ainsi la mesure de leurs péchés, car la colère de Dieu est tombée sur eux et y demeurera jusqu’à la fin ». (Id. 14-16)

2. Vous êtes, dit-il, devenus les imitateurs des Églises de Dieu qui sont dans la Judée. Grande consolation ; il n’est pas étonnant, dit-il, que les juifs vous traitent comme ils ont traité leurs frères. Et maintenant ce n’est pas une faible marque de la vérité de la prédication, de voir que des juifs mêmes étaient décidés à tout supporter. « Parce que vous avez souffert », dit-il, « de la part de vos concitoyens, les mêmes persécutions que ces Églises de la part des juifs ». Il y a plus d’énergie en ce qu’il dit : « Que celles qui sont dans la Judée ». Il montre par là que les fidèles se réjouissaient partout de leurs combats. Il dit donc Vous aussi, vous avez souffert les mêmes traitements ; et maintenant, qu’y a-t-il d’étonnant qu’ils vous aient fait subir les rigueurs qu’ils ont osé exercer contre le Seigneur ? Voyez-vous quelle grande consolation il leur apporte ? Et il ne se lasse pas d’exprimer cette idée dans presque toutes ses lettres, vous le verrez, si vous les étudiez avec soin ; toujours opposer aux épreuves mille exemples différents empruntés du Christ. Voyez bien, ici, c’est en accusant les Juifs, qu’il rappelle l’histoire du Seigneur, la passion du Seigneur ; il savait bien que c’était là la meilleure des consolations. « Qui ont tué le Seigneur », dit-il ; mais peut-être ne le connaissaient-ils pas ? Au contraire, ils le connaissaient parfaitement, et après ? N’ont-ils pas encore tué leurs prophètes ? et lapidé ceux dont ils portent partout les livres ? Certes, ils ne l’ont pas fait par amour pour la vérité. Donc il n’y a pas seulement une consolation dans les tentations ; mais encore un avertissement qui nous fait voir que les persécuteurs n’agissent point par amour pour la vérité ; ce qui est un motif pour les fidèles de ne pas se troubler. « Qui nous ont persécutés », dit-il ; et nous aussi, dit-il, nous avons souffert des maux sans nombre. – « Qui ne sont point agréables à Dieu, et qui sont ennemis de tous les hommes, qui nous empêchent d’annoncer aux gentils la parole du salut ». Vous l’entendez : « Qui sont ennemis », dit-il, « de tous les hommes ». Comment cela ? C’est que, s’il faut parler à toute la terre, et s’ils nous en empêchent, ce sont, pour toute la terre, des ennemis. Ils ont tué le Christ, les prophètes ; ils outragent Dieu ; ce sont, pour toute la terre, des ennemis ; ils nous chassent, nous ; qui sommes venus pour le salut du monde. Qu’y a-t-il d’étonnant qu’ils aient tenu envers vous la même conduite ; qu’ils reproduisent ce qu’ils ont fait dans la Judée ? « Qui nous empêchent », dit-il, « d’annoncer aux gentils la parole du salut ». L’envie, voilà ce qui fait obstacle au salut de tous. « Comblant ainsi la mesure de leurs péchés, car la colère de Dieu est tombée sur eux et y demeurera jusqu’à la fin ». Il n’y a plus lieu de croire qu’il en sera comme par le passé ; il n’y a plus pour eux de retour possible ; ils ne mettent plus de bornes à leurs crimes ; la colère de Dieu va fondre sur eux. Qui le prouve ? La prédiction du Christ, car la consolation des affligés ne consiste pas seulement à voir leurs afflictions partagées, mais à voir le coup qui frappe ceux qui les ont affligés. Si le retard de la vengeance est une douleur, que ce soit une consolation de n’avoir plus à l’attendre. L’apôtre fait plus ; il a supprimé le délai en disant : que « la colère » est proche, qu’elle est décidée, qu’elle est prédite.

« Aussi, mes frères, ayant été pour un peu de temps comme des orphelins, loin de vous par le corps, non par le cœur, nous avons désiré, avec d’autant plus d’ardeur, de jouir de votre présence ». Il ne dit pas, séparé, il emploie un mot plus expressif. Plus haut il a parlé de la flatterie pour montrer qu’il ne flatte pas, qu’il ne recherche pas la gloire. De même qu’il a dit plus haut : « Comme un père envers ses enfants, comme une nourrice », de même ici il emploie une expression de choix, « comme des orphelins » ; ce qui se dit des enfants qui n’ont plus de père. Eh quoi ! ceux-ci sont-ils donc orphelins ? Non, dit-il, mais c’est nous. Si l’on médite sur la nature de la douleur, de même que des enfants, en bas-âge, dont nul ne prend soin, qui supportent, avant le temps, une perte cruelle, regrettent amèrement leurs parents, non seulement par affection naturelle, mais parce qu’ils sont dans l’abandon, de même cela est vrai de nous ; de là il montre la douleur que son âme ressentait de la séparation. Et si nous pouvons, nous exprimer ainsi, ce n’est pas que nous ayons été loin de vous longtemps, mais « pour un peu de temps », et cela, « par le corps, non par le cœur. Car nous vous portons toujours dans notre pensée ». Voyez la force de l’affection. Quoiqu’il les portât toujours dans son cœur, il recherchait leur vue, leur présence. Qu’on ne m’objecte pas ici une sagesse intempestive ; voilà la marque d’une ardente charité : voir, entendre, converser, c’est une grande consolation. « Nous avons désiré avec d’autant plus d’ardeur », qu’est-ce à dire « avec d’autant plus d’ardeur ? » Ou cela veut dire : Nous vous étions fortement attachés, ou, comme il est vraisemblable, après une heure d’éloignement, nous désirions voir votre visage. Voyez, considérez le bienheureux Paul ; ne pouvant par lui-même satisfaire son désir, il le fait par des intermédiaires ; comme lorsqu’il envoie, aux habitants de Philippes, Timothée ; à ceux de Corinthe, le même encore ; il a recours à des intermédiaires, quand il ne peut pas se rapprocher lui-même ; sa tendresse en effet avait des transports invincibles ; son amitié était indomptable. C’est pourquoi « nous avons voulu vous aller trouver », c’est l’affection qui tient ce langage. Quoiqu’en ce moment, dit-il, je n’aie pas d’autre besoin que celui de vous voir. « Et moi Paul, je l’ai voulu, une et deux fois ; mais Satan nous en a empêchés ».

3. Que dites-vous, saint apôtre ? Satan vous empêche ? Oui ; ce n’était pas là l’œuvre de Dieu. Pour les Romains, il leur dit que Dieu l’en a empêché. (Rom. 15,22) Et ailleurs, Luc déclare que l’esprit les a empêchés de venir en Asie. (Act. 16,6) Aux Corinthiens, il dit que c’est l’œuvre de l’esprit ; ici, au contraire, que c’est l’œuvre de Satan. Mais quel est cet empêchement qui vient de Satan ? Des épreuves qu’il ne soupçonnait pas, épreuves violentes ; c’est que des pièges lui avaient été tendus par les juifs, et il fut retenu dans la Grèce pendant trois mois. (Act. 20,3) Il y a certes une différence entre demeurer de propos délibéré, en vertu d’un projet, demeurer de soi-même, et se trouver empêché. Dans l’épître aux Romains, il dit : « C’est pourquoi, n’ayant plus maintenant aucun sujet de demeurer davantage dans ce pays-ci ». (Rom. 15,23) Ailleurs : « C’est pour vous épargner que je n’ai point voulu aller à Corinthe ». (2Co. 1,23) Ici, au contraire, rien de pareil ; mais quoi ? « Satan nous en a empêchés. Moi Paul, une fois et deux fois ». Voyez quelle recherche de paroles, comme il tient à montrer la vivacité de son affection pour eux : « Moi Paul ». C’est comme s’il disait : Quand même les autres ne l’eussent pas voulu. Les autres se bornaient à vouloir, mais moi j’ai entrepris. « Et certes, quelle est notre espérance, notre joie et la couronne de notre gloire ? N’est-ce pas vous aussi, qui l’êtes devant le Seigneur Jésus-Christ, pour le jour de son avènement ? » (Id. 19) Ce sont les Macédoniens, qui sont votre espérance, ô bienheureux Paul ? Non, dit-il, pas eux seulement. Voilà pourquoi il s’exprime de cette manière « N’est-ce pas vous aussi ? » – « Quelle est en effet », dit-il, « notre espérance, notre joie et la couronne de notre gloire ? » Ne reconnaissez-vous pas là le langage des femmes dont les entrailles s’attendrissent, quand elles parlent à leurs enfants tout petits ? « Et la couronne », dit-il, « de notre gloire ». Le mot de couronne ne lui suffisait pas pour montrer la splendeur qu’il a en vue, il ajoute : « De notre gloire ». Quel feu ! Jamais un père, une mère, supposez-les ensemble, et confondant leur amour, ne pourraient montrer une tendresse égale à celle de Paul. « Notre joie », dit-il, « et la couronne ». Je tressaille plus de joie, dit-il, pour vous, que pour une couronne. Considérez toute une Église, Église que Paul a plantée, et qui a poussé des racines ; qui ne tressaillirait pas devant cette nombreuse postérité, cette postérité si belle ? Aussi, ce langage n’est pas de la flatterie ; car il ne dit pas seulement, vous, mais : Vous avec les autres, « vous êtes notre gloire et notre joie (20) ».

« Ainsi, ne pouvant souffrir plus longtemps de n’avoir point de vos nouvelles, j’ai jugé à propos de rester tout seul à Athènes », ce qui veut dire : J’ai préféré. « Et je vous ai envoyé Timothée, notre frère et ministre de Dieu dans la prédication de l’Évangile de Jésus-Christ (3, 1-2) ». Ce qu’il dit, ce n’est pas pour faire l’éloge de Timothée, mais pour leur montrer combien il les honore, en leur envoyant un aide et un ministre de l’Évangile ; c’est comme s’il disait : Nous avons arraché à ses travaux, nous avons envoyé un ministre de Dieu, notre aide dans l’Évangile du Christ. Et il ajoute la raison : « Pour vous fortifier et vous exhorter dans votre foi, afin que personne ne s’ébranle par les persécutions qui nous arrivent (3) ». Qu’est-ce à dire ? C’est que les épreuves des maîtres troublent les disciples. Or, il était en proie alors à un grand nombre d’épreuves, comme il le dit lui-même : « Satan nous en a empêchés ». C’est pour les ranimer qu’il leur parle ainsi ; comme s’il disait : Une fois, deux fois, j’ai voulu aller vous trouver, sans le pouvoir ; ce qui était, pour lui, une grande privation. Or il est vraisemblable que cette absence les avait troublés, car les disciples sont moins tourmentés de leurs propres épreuves que de celles de leurs maîtres. Un soldat s’affecte moins de ses propres blessures que de celles du chef de l’armée. « Pour vous fortifier », dit-il ; donc, c’est pour prévenir leur trouble, qu’il a envoyé ; ce n’est pas que leur foi fût défectueuse, ni qu’ils eussent quelque chose à apprendre. « Et vous exhorter à demeurer fermes dans votre foi ; sans que personne soit ébranlé des persécutions qui nous arrivent. Car vous savez que c’est à quoi nous sommes destinés. Dès lors même que nous étions parmi vous, nous vous prédisions que nous aurions des afflictions à souffrir ; et nous en avons eu, en effet, comme vous le savez (4) ». Il ne faut pas se troubler, dit-il ; il n’est rien arrivé d’étrange, d’inattendu cette observation devait suffire pour les ranimer. Comprenez-vous que c’est pour la même raison que le Christ disait aussi à ses disciples ce qui devait arriver ? Écoutez ses paroles : « Et je vous le dis maintenant, avant que cela arrive, afin que, lorsque cela sera arrivé, vous croyiez en moi ». (Jn. 14,29) Car c’est une grande consolation, une bien grande, en vérité, d’être ainsi averti de la bouche des maîtres. Un malade entend son médecin lui dire que ceci, que cela doit arriver, et il ne se trouble pas ; supposez, au contraire, un accident imprévu, le médecin lui-même incertain et embarrassé, la maladie plus forte que la médecine, voilà le malade troublé, consterné ; il en est de même ici. Paul, qui voyait l’avenir, leur prédit les afflictions, « et nous en avons eu », dit-il, « en effet, comme vous le savez ». Et il ne dit pas seulement que telle affliction a eu lieu, mais qu’il en a beaucoup prédit, et que tout ce qu’il a prédit est arrivé. « C’est à quoi nous sommes destinés ». Par conséquent, non seulement les épreuves passées ne doivent ni nous troubler ni nous confondre, mais il en doit être de même des épreuves à venir qui pourraient se rencontrer. « C’est à quoi nous sommes destinés ».

4. Écoutons, si nous avons des oreilles pour écouter. C’est à cela qu’est destiné le chrétien. Le, « c’est à quoi nous sommes destinés », l’apôtre l’applique à tous les fidèles. « C’est à quoi nous sommes destinés », et nous, comme si nous étions destinés à une vie tranquille, nous sommes tout étonnés. Et maintenant de quoi sommes-nous étonnés ? Car l’affliction qui nous a saisis, l’épreuve n’a rien que d’humain. C’est le cas de vous dire : « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’à répandre votre sang, en combattant contre le péché ». (Heb. 12,4) Je me trompe, ce n’est pas le cas de vous adresser ces paroles. Que faut-il donc vous dire ? Vous n’avez pas encore méprisé les richesses. À ceux qui avaient perdu tous leurs biens, on pouvait adresser les paroles de l’apôtre ; mais à ceux qui ont toute leur fortune, que leur dire, sinon, à qui a-t-on ravi ses biens, à cause du Christ ? À qui a-t-on donné des soufflets ? Qui donc a été outragé ? je dis, en paroles. De quoi donc pourriez-vous vous glorifier ? Où prendriez-vous le droit de parler ? Quand le Christ a tant souffert pour nous qui étions ses ennemis, quelles souffrances pouvons-nous montrer, endurées par nous pour lui ? Nos souffrances, néant ; les bienfaits reçus de lui, c’est l’infini. Où prendrons-nous le droit de parler au dernier jour ? Ne savez-vous pas que c’est un corps couvert de blessures, criblé de cicatrices qui recommande le soldat au souverain ? S’il n’a rien à montrer, fût-il même irréprochable, ignorez-vous qu’il reste au dernier rang ? Mais ce n’est pas le temps des combats, me répond-on. Mais si c’était le temps des combats ; où trouverait-on, répondez-moi, un combattant ? Qui s’élancerait dans la mêlée ? Qui mettrait en déroute la phalange ennemie ? Ah ! personne, je le crains : quand je vois que vous ne parvenez pas à mépriser les richesses en vue du Christ, comment croirais-je que vous sauriez mépriser les coups ? Savez-vous, répondez-moi, supporter noblement les outrages, et bénir qui vous fait affront ? Vous ne le faites pas, vous n’obéissez pas à la loi. Vous ne faites pas ce qu’on peut faire sans danger, et vous supporterez les coups, dites-moi, malgré la souffrance, malgré la douleur ? Ne savez-vous pas qu’il faut, dans la paix, s’exercer à la guerre ? Ne voyez-vous pas ces soldats qui sans que la guerre, gronde d’aucun côté, au sein d’une paix profonde, fourbissent leurs armes, suivent les chefs qui leur enseignent la manœuvre dans les rangs, et s’en vont au soleil, dans de vastes plaines, tous les jours, s’exercer aux combats, avec un zèle ardent ? Qui les imite pour les combats spirituels ? Personne. Aussi, quand vient la guerre, sans vigueur et sans énergie, nous appartenons à qui veut nous prendre.

Quelle démence que de se figurer que le temps présent n’est pas le temps des combats, lorsque Paul nous crie : « Tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ, seront persécutés » (2Ti. 3,12) ; lorsque le Christ nous dit : « Vous aurez à souffrir l’affliction dans le monde » (Jn. 16,33) ; lorsque le bienheureux Paul nous crie encore de sa voix éclatante : « Nous n’avons pas à combattre la chair et le sang, mais… » et encore : « Soyez donc fermes ; que la vérité soit la ceinture de vos reins ». (Eph. 6,12-14) Et nul, dans ces jours d’autrefois, ne lui dit : Pourquoi nous armez-vous, je vous le demande, puisqu’il n’y a pas de guerre ? Pourquoi nous créer des affaires sans besoin ? Pourquoi faire prendre la cuirasse à des soldats qui pourraient vivre dans le repos et la tranquillité ? À qui lui eût fait entendre de telles paroles, l’apôtre aurait répliqué : C’est surtout quand il n’y a pas de guerre, qu’il faut penser à la guerre. Quiconque, dans la paix, pense à la guerre, sera terrible à l’heure des batailles ; au contraire, celui qui ne sait pas la guerre, s’épouvante, même au sein de la paix. Pourquoi ? Parce qu’il pleure en voyant ce qu’il possède, et il s’attriste de ne pouvoir défendre ses biens en combattant. Car tous les biens des lâches qui ne savent pas se battre, appartiennent aux braves habitués aux combats, et voilà une première raison pour vous armer. Ensuite le temps de la guerre, c’est le temps de notre vie. Comment cela, et de quelle manière ? Le démon nous assiège tant que notre vie dure. Écoutez ce que dit l’apôtre à ce sujet. Il tourne autour de nous, comme un lion rugissant (1Pi. 5,8), pour nous enlever. Les innombrables passions des sens se ruent sur nous, il faut les passer en revue si nous voulons nous soustraire à l’irréflexion qui nous tromperait. Dites-moi, je vous le demande, qui ne combat pas contre nous ? Richesses, beauté, plaisirs, pouvoir, envie, gloire, orgueil insolent. Ce n’est pas seulement notre gloire à nous, qui combat contre nous pour nous ravir l’humilité, c’est aussi la gloire des autres, pour nous inspirer une haine envieuse. Et maintenant tous les maux contraires, pauvreté, ignominie ; mépris, abandon, privation de toute force, ne nous font-ils pas aussi la guerre ? Tous ces ennemis sont en nous ; nous en avons aussi d’extérieurs : les méchancetés, les trahisons, les perfidies, les calomnies, les pièges de toutes sortes ; et tous les malheurs que les démons nous ménagent, les principautés, les puissances, les princes de ce siècle de ténèbres, les esprits de perversité. Nous sommes, les uns dans la joie, les autres dans la douleur. Aberration des deux côtés. — Mais la santé, mais la maladie. — Où trouver ce qui n’est pas une cause de péché ? Voulez-vous que je remonte jusqu’à Adam, pour vous dire tout de suite comment tout s’explique ? Qu’est-ce qui a perdu le premier homme ? Le plaisir, la gourmandise, l’ambition. Et, après lui, son premier fils ? L’envie et la haine. Et les hommes du temps de Noé ? La luxure et tous les maux qu’elle enfante. Et le fils de Noé ? L’oubli de la pudeur, l’effronterie. Et les Sodomites ? L’abomination, la débauche blasée et repue. Et c’est ce qui arrive souvent à la pauvreté même : aussi un sage disait : « Ne me « donnez ni la richesse ni la pauvreté ». (Pro. 30,8) Faisons mieux, n’accusons ni la richesse, ni la pauvreté, mais la volonté incapable de faire un bon usage soit de la pauvreté, soit de la richesse. « Reconnaissez », dit le sage, « que vous marchez parmi les pièges ». (Sir. 9,13)

5. C’est donc avec une admirable sagesse que le bienheureux Paul dit : « C’est à quoi nous sommes destinés ». II ne se contente pas de dire : Nous sommes soumis aux épreuves, mais : « C’est à quoi nous sommes destinés » ; comme s’il disait : C’est pour cela que nous naissons. C’est là notre tâche, c’est là notre vie, et toi, au rebours, tu cherches le repos ? Il n’y a pas près de vous de bourreau qui vous déchire le flanc, qui vous force de sacrifier ; mais la cupidité est là, l’avarice est là qui nous arrache les yeux. Il n’y a pas de soldat pour mettre le feu à notre bûcher, pour nous étendre sur le gril ardent, mais le feu de nos sens est plus brûlant que les flammes des bourreaux. Il n’y a pas de roi pour nous promettre des biens innombrables et forcer notre consentement, mais il y a l’amour insensé de la gloire, plus puissant à nous séduire. Combat terrible, oui, vraiment épouvantable, si nous voulons conserver la sagesse ; la vie présente, elle aussi, a ses couronnes : écoutez Paul qui vous dit : « Il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice que me décernera le juste juge, et non seulement à moi, mais à tous ceux qui aiment son avènement ». (2Ti. 4,8) Quand vous perdez un enfant chéri, un fils unique, élevé dans l’opulence, qui donnait de belles espérances, qui devait être votre seul héritier, ne pleurez pas, mais bénissez Dieu, glorifiez celui qui a reçu votre enfant, et vous ne le céderez en rien à Abraham. De même qu’il donna son fils à Dieu pour obéir à son ordre, de même, vous, laissez Dieu vous prendre le vôtre, et ne gémissez pas.

Vous êtes tombé dans une maladie grave, et voilà une foule de gens qui veulent vous forcer à recourir à des charmes, à des amulettes, à d’autres moyens encore pour obtenir votre guérison ; mais vous, qui craignez Dieu, vous leur opposez l’énergie, la fermeté d’une grande âme, vous aimez mieux tout souffrir que de rien faire qui sente le culte des idoles ; eh bien, cette conduite vous vaut la couronne du martyre. N’en doutez pas. Comment cela, et de quelle manière ? je vous l’explique. De même que le martyr supporte avec l’énergie d’une grande âme toutes les tortures, plutôt que d’adorer les idoles, de même, vous aussi, vous supportez les douleurs de la maladie, plutôt que de recourir à ce que vous offre le démon, plutôt que de faire ce qu’il veut de vous. Mais les douleurs du martyre sont bien plus violentes ? Mais celles de la maladie sont plus longues : aussi le résultat est le même. Souvent même elles sont plus violentes. Eh bien, que faites-vous, répondez-moi, quand la fièvre intérieure tourmente votre corps et le brûle, et que, repoussant les conseils qu’on vous donne, vous rejetez bien loin de vous le charme magique, est-ce que vous ne ceignez pas votre front de la couronne du martyre ?

Autre circonstance encore : vous avez perdu de l’argent ? Des conseillers en foule vous disent d’aller consulter les devins : mais vous, vous n’écoutez que la crainte de Dieu, vous savez ce qu’il défend, et vous aimez mieux perdre votre argent que de désobéir à Dieu. Qu’en résulte-t-il ? Vous obtenez une récompense aussi forte que si vous aviez donné cet argent aux pauvres ; si, après avoir subi une telle perte, vous bénissez le Seigneur, si, au lieu d’aller trouver les devins, vous consentez plutôt à ne recouvrer jamais rien, vous obtenez une récompense aussi forte que si vous vous étiez dépouillé pour Dieu. De même que c’est la crainte de Dieu qui fait qu’on se dépouille pour les indigents, de même c’est la crainte de Dieu qui vous a empêché, de rentrer en possession de ce que d’autres vous ont ravi. Il ne dépend que de nous d’être ou de n’être pas blessés dans nos vrais intérêts ; nul autre ne peut nous nuire. Si vous le voulez, méditons cette vérité, à propos du vol.

Un voleur a brisé le mur d’une chambre, il s’y est élancé, il a fait main basse sur de la vaisselle d’or d’un grand prix, sur des pierres précieuses, enfin il a emporté tout un trésor, et ce voleur n’a pas été pris. Voilà un malheur qui paraît lourd à supporter, il semble qu’il y ait là un grave préjudice ; il n’en est rien ; il dépend de vous qu’il y ait là, soit préjudice, soit profit. Et comment pourrait-on y trouver un profit, me dites-vous ? Je veux essayer de vous en faire la démonstration. Vous n’avez, vous, qu’à vouloir ce qui est arrivé, il y aura un profit considérable ; si vous refusez le concours de votre volonté, vous subirez un dommage plus grand que la perte réelle. Il en est ici comme dans l’industrie : la matière première étant donnée, l’ouvrier habile en fait un bon usage ; au contraire, l’ouvrier maladroit la perd, la gâte ; il fait si bien qu’elle est, pour lui, une cause de préjudice ; il en est de même dans cette circonstance. Comment donc y aura-t-il pour vous un profit ? Si vous bénissez Dieu, si vous ne faites pas entendre d’amères lamentations, si vous répétez les paroles de Job : « Le Seigneur m’a donné, le Seigneur m’a ôté : nu, je suis sorti du ventre de ma mère ; nu, je m’en retournerai ». (Job. 1,21) Que dites-vous : « Le Seigneur m’a ôté ? » C’est le voleur qui m’a ôté, me réplique-t-on, et comment pouvez-vous dire : « Le Seigneur m’a ôté ? » Cessez de vous étonner c’était à propos de ce que le démon lui avait ôté que Job aussi s’écriait. « Le Seigneur m’a ôté ». Or, si ce saint personnage n’a pas craint de parler ainsi, comment pourrez-vous hésiter, quand un voleur vous aura enlevé quelque chose, à dire que c’est le Seigneur qui vous l’a ôté ? Quel homme admirez-vous, répondez-moi, celui qui prodigue son bien aux pauvres, ou Job qui fait entendre ces paroles ? Job n’a pas moins de mérite que celui qui donnerait tout son bien aux pauvres, quoiqu’il ne donnât rien alors. Ne dites pas : Il m’est impossible de faire entendre des actions de grâces, ce n’est pas par ma volonté que l’événement est arrivé ; je ne le soupçonnais, ni ne le voulais quand le voleur m’a pris mon bien ; quelle pourrait être ma récompense ? Ni Job non plus ne soupçonnait, ni ne voulait ce qui lui est arrivé, est-il besoin de le dire ? toutefois Job a lutté. Eh bien, vous pouvez, vous aussi, mériter une récompense aussi grande que si vous aviez volontairement sacrifié vos biens.

Et c’est avec raison que nous avons, pour celui qui bénit Dieu, au sein des injustices qu’il subit, plus d’admiration encore que pour celui qui donne volontairement ce qu’il possède. Pourquoi ? C’est que ce dernier reçoit des éloges qui le soutiennent, il a sa conscience nourrie de bonnes espérances, et ce n’est que quand il se sent assez fort pour supporter la perte de ses biens, qu’il les rejette loin de lui ; le premier au contraire, est encore attaché aux richesses qu’on lui arrache par violence. Or, voilà deux conditions qui ne sont pas les mêmes : Ne s’être rien réservé de ses biens après y avoir renoncé volontairement ; ou, quand on les possède encore, se les voir arracher. Prononcez les paroles de Job et vous recevrez des trésors, des trésors bien plus considérables que ceux qui furent accordés à Job. Job n’a reçu que le double de ce qu’il possédait auparavant (Job. 42,10) ; mais à vous, le Christ promet le centuple. La crainte de Dieu vous a fait éviter le blasphème ? vous n’avez pas recouru aux devins ? dans le malheur, vous avez béni Dieu ? C’est comme si vous aviez pris les richesses en dédain ; car une pareille conduite suppose nécessairement le dédain des biens de ce monde. Or il n’y a pas égalité de mérite entre la sagesse lentement acquise qui dédaigne ces biens, et la vertu qui supporte tout le coup d’une perte subite. C’est ainsi que la perte devient un profit, que vous ne recevez aucun préjudice, au contraire que vous recevez du démon un bienfait.

6. Mais maintenant, comment la perte devient-elle un malheur pour vous ? C’est lorsque votre âme est blessée par cette perte. En effet, répondez-moi. Un voleur vous a dépouillé de votre argent ? Pourquoi vous dépouillez-vous vous-même de votre salut ? pourquoi, aux malheurs qui vous viennent des autres, ajoutez-vous de plus grands malheurs où vous vous précipitez vous-même ? Ce voleur vous a peut-être jeté dans la pauvreté, mais vous êtes le premier à vous faire, dans vos plus chers intérêts, les torts les plus graves ; ce voleur vous a privé de choses extérieures à vous, qui plus tard, malgré vous, devaient vous abandonner ; mais vous, vous vous enlevez à vous-même votre éternel trésor. Le démon vous a affligé en vous privant de vos biens ? Affligez-le à votre tour, vous aussi, en bénissant le Seigneur. Gardez-vous de réjouir le démon ; si vous allez trouver les devins, vous réjouissez le démon ; si vous bénissez Dieu, vous portez au démon un coup mortel. Et voyez ce qui arrive : vous ne retrouverez pas vos biens, pour avoir été consulter les sorciers, car ils ne sauraient rien vous dire ; si d’aventure ils vous apprennent quelque chose, vous perdez votre âme, vous devenez la risée de vos frères, et vous reperdez de nouveau, et tristement, tous vos biens. En effet le démon qui sait que vous ne supportez pas une perte de ce genre, que c’est pour vous un motif de renier votre Dieu, ne vous rend vos richesses que pour se ménager une nouvelle occasion de vous tromper. Supposez que les devins parfois rencontrent juste, il n’y a pas lieu, pour vous, de vous étonner. Le démon n’a pas de corps ; il rôde dans tout l’univers, c’est lui-même qui arme les brigands ; car ces œuvres-là ne se font pas sans le concours du démon. Donc, si c’est lui qui arme les brigands, il sait de même où ils se cachent ; car il n’est pas sans connaître ceux qui le servent. Il n’y a donc là rien d’étonnant. Le démon voit qu’une perte vous afflige, il vous en ménage une seconde ; s’il voit au contraire votre dédain qui ne fait que rire de pareilles attaques, il renonce à vous harceler par ce moyen. C’est la conduite que nous tenons nous-mêmes avec nos ennemis ; nous ne les attaquons que par ce qui peut leur causer de la peine ; si nous les trouvons indifférents, nous renonçons à les affliger, dans l’impuissance où nous sommes de les piquer au vif ; ainsi fait le démon.

Que dites-vous ? Ne voyez-vous pas l’indifférence que montrent pour l’argent les navigateurs ; quand la tempête s’élève sur la mer, comme ils jettent tout dans les flots ? Et personne ne se prend à dire : Que fais-tu, ô homme ? Agis-tu donc de concert avec la tempête, es-tu le complice du naufrage ? Avant que les flots engloutissent ton trésor, c’est toi-même qui le jettes dans le gouffre, de tes propres mains ? Avant le naufrage, tu te fais un naufrage toi-même ? Ce seraient là des propos d’un homme grossier, n’ayant aucune idée des hasards de la mer ; au contraire, le matelot expérimenté, sachant ce qui produit le calme, ce qui provoque la tempête, ne fera que rire à de telles paroles : Si je jette, dira-t-il, une proie au gouffre, c’est pour que tout ne soit pas englouti. De même celui qui a l’expérience des choses de la vie humaine et de ses épreuves, au moment où l’esprit risque de faire naufrage, englouti par là corruption, le sage alors se débarrasse de l’argent qui lui reste. On vous a volé, faites l’aumône, et vous rendrez votre barque plus légère. Des brigands vous ont dépouillé ? Eh bien, vous, donnez au Christ ce qu’ils vous ont laissé. Voilà comment vous vous consolerez dans la pauvreté qu’on vous a faite. Rendez votre barque plus légère, ne songez pas à garder ce qui vous reste, votre barque pourrait sombrer. Eh quoi, pour sauver leurs corps, les matelots jettent la cargaison, ils n’attendent pas l’invasion du flot qui submergerait la barque ; et vous, pour sauver votre âme, vous ne conjurerez pas le naufrage ? Faites-en l’essai, si vous ne me croyez pas, je vous en conjure, faites-en l’essai, et vous verrez la gloire de Dieu. Quand il vous arrive quelque affliction, faites bien vite l’aumône, bénissez Dieu de ce qui vous arrive, et vous verrez de quelle joie vous serez inondé. Tel est le profit, si mince qu’il soit, dans les choses de l’esprit, qu’il fait disparaître toute perte dans les choses de ce monde. Tant que vous avez de quoi donner au Christ, vous êtes riche.

Répondez-moi, vous avez été dépouillé, un roi s’approche de vous, vous tend la main, ne rougit pas de recevoir de vous quelque chose, ne vous regarderez-vous pas comme le plus riche qui soit au monde, vous qui, dans une si grande pauvreté, voyez un roi qui ne rougit pas de vous ? Ne vous dépouillez pas vous-même, n’ayez qu’une pensée, celle de vous vaincre vous-même, et vous vaincrez sans peine le perfide démon. Il ne dépend que de vous de faire de grands bénéfices. Méprisons les richesses, afin de ne pas mépriser notre âme. Mais comment arriverons-nous à les mépriser ? Ne voyez-vous pas ce qui se passe pour la beauté du corps, et l’amour qu’elle inspire ; tant que les yeux en sont frappés, le feu brûle, la flamme s’élève et resplendit ; une fois qu’on a détourné ses regards, tout s’éteint, tout est assoupi ; est-ce vrai ? Il en est de même des richesses : que nul n’amasse des objets dorés, plus de pierres précieuses, plus de colliers, plus de bracelets, plus de cette amorce pour les yeux. Si vous voulez être riche, comme les hommes des anciens jours, ne mettez pas votre richesse dans l’or, mais dans les choses nécessaires, afin d’être toujours prêt à les distribuer aux autres. Renoncez à l’amour des ornements ; les richesses de ce genre sont exposées aux mauvais coups des brigands, et ne nous donnent que des soucis ; plus de vases d’or ni d’argent ; ayez des provisions de froment, de vin, d’huile ; ayez-en, non pour les vendre et en faire de l’argent, mais pour les distribuer aux malheureux. Si nous savons nous détourner de ces biens superflus, nous obtiendrons les biens du ciel. Puissions-nous tous entrer dans ce partage, en Jésus-Christ, etc.

HOMÉLIE IV.


NE POUVANT DONC ATTENDRE PLUS LONGTEMPS, JE VOUS L’AI ENVOYÉ, POUR RECONNAÎTRE L’ÉTAT DE VOTRE FOI, AYANT APPRÉHENDÉ QUE LE TENTATEUR NE VOUS EUT TENTÉS, ET QUE NOTRE TRAVAIL NE DEVINT INUTILE. MAIS TIMOTHÉE, ÉTANT REVENU VERS NOUS, APRÈS VOUS AVOIR VUS, ET NOUS AYANT APPORTÉ LA BONNE NOUVELLE DE VOTRE FOI ET DE VOTRE CHARITÉ, ET DU BON SOUVENIR, QUE VOUS AVEZ SANS CESSE DE NOUS, QUI VOUS PORTE À DÉSIRER DE NOUS VOIR, COMME NOUS AVONS AUSSI LE MÊME DÉSIR POUR VOUS, NOUS TENONS À VOUS DIRE, MES FRÈRES, QUE, DANS TOUTES LES AFFLICTIONS ET DANS TOUS LES MAUX QUI NOUS ARRIVENT, VOTRE FOI NOUS FAIT TROUVER NOTRE CONSOLATION EN VOUS ; QUE NOUS VIVONS MAINTENANT, SI VOUS DEMEUREZ FERMES DANS LE SEIGNEUR. (III, 5-8 JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)



Analyse.

1-3. Les prophètes, les saints ne connaissent pas tout, ils participent à la faiblesse humaine. — Pourquoi Dieu a voulu qu’il en fût ainsi. — Affection de saint Paul pour les fidèles ; ses inquiétudes, en ce qui concerne leur foi et leurs mœurs. — Raisons du voyage de Timothée, envoyé par saint Paul, à Thessalonique. — C’est du cœur que vient le mal de la corruption ; tel, sans faire d’actions mauvaises, est perverti.

4. Contre l’impureté. — De l’amour pur, de l’amour des saints en général et de saint Paul en particulier ; de sa tristesse et de ses larmes pour les pécheurs.

5. Courage, bonté, chasteté de Joseph. — De l’oubli des injures, de la facilité à pardonner, de l’humilité. — Rompons tous nos liens, ne différons pas l’œuvre de notre salut.

1. La question qui se pose aujourd’hui devant nous, occupe un grand nombre de personnes, et se représente bien souvent. Quelle est cette question ? « Ne pouvant donc », dit-il, « attendre plus longtemps, je vous ai envoyé Timothée pour reconnaître l’état de votre foi ». Que dites-vous ? Celui qui connaît tant de choses, celui qui a entendu les paroles mystérieuses, celui qui est monté jusqu’au troisième ciel, il y a quelque chose qu’il ne connaît pas, et cela lorsqu’il est à Athènes, dans une ville qui n’est pas très-éloignée de Thessalonique, quand la séparation date de si peu de temps ? « Comme des orphelins », dit-il, « loin de vous pour un peu de temps ». (Chap. 2,17) Ainsi un tel homme ne connaît pas l’état de ceux de Thessalonique, et il faut nécessairement qu’il leur envoie Timothée, pour reconnaître l’état de leur foi ? « Ayant appréhendé », dit-il, « que le tentateur ne vous eût tentés, et que notre travail ne devînt inutile ». Quoi donc, dira-t-on, est-ce que ces grands saints ne savaient pas tout ? Non ; et c’est ce que l’on peut conclure d’un grand nombre d’anciens exemples et de ceux qui les ont suivis. Ainsi Élisée ne connaissait pas la pauvre veuve. (2Ro. 4,1 ss) Ainsi Élie disait à Dieu : « Je suis demeuré seul, ils cherchent encore à m’ôter la vie » ; ce qui lui valut de Dieu cette réponse : « Je me suis réservé sept mille hommes ». (1Ro. 19,10-18) Et quand Samuel fut envoyé pour oindre David, le Seigneur lui dit : « N’ayez égard, ni à sa bonne mine, ni à la grandeur de sa taille, parce que j’ai rejeté Saül, et que je ne juge pas des choses par ce qui en paraît aux yeux des hommes ; car l’homme ne voit que le dehors, mais le Seigneur regarde le fond du cœur » (1Sa. 16,7) ; ce qui marque la sollicitude et la providence de Dieu. Comment et pourquoi ? Et pour les saints eux-mêmes, et pour ceux qui se confient aux saints. Car, de même que c’est Dieu qui permet les persécutions, de même c’est encore Lui qui permet que les saints ignorent beaucoup de choses, afin de les réduire à la modération ; de là ce que Paul disait lui-même. « J’ai ressenti, dans ma chair, un aiguillon qui est l’ange de Satan, pour me donner des soufflets » (2Co. 12,7), c’est-à-dire pour que je ne m’élève pas trop dans mes pensées. Dieu l’a voulu ainsi pour que les autres hommes n’allassent pas s’imaginer de trop grandes choses à son sujet.

Et en effet, si à voir les miracles que les saints ont opérés, on les a pris pour des dieux (Act. 14,10), cette erreur se serait bien plus propagée, s’ils eussent toujours montré la connaissance de toutes choses. Aussi le même Paul dit encore : « Je ne veux pas que l’on m’estime au-dessus de ce que l’on voit en moi, ou de ce que l’on entend dire de moi ». (2Co. 12,6) Et maintenant, écoutez les paroles de Pierre, quand il eut guéri le boiteux : « Pourquoi nous regardez-vous avec des yeux étonnés, comme si c’était par notre vertu, ou par notre puissance, que nous eussions fait marcher ce boiteux ? » (Act. 3,12) Si ces paroles, ces actions, malgré l’infirmité de ceux qu’on entendait, qu’on voyait, provoquaient des suppositions fausses, que serait-il arrivé s’ils eussent été revêtus de toute espèce de grandeur ? Pierre ne veut pas qu’on puisse attribuer à une nature surhumaine, dont les apôtres seraient doués, les grandes œuvres qu’ils opèrent ; il veut prévenir une adoration insensée ; voilà pourquoi il montre la faiblesse des apôtres ; il veut couper court à tout prétexte d’orgueil, et voilà pourquoi Paul montre ici une certaine ignorance ; voilà encore pourquoi, bien qu’il se fût souvent proposé d’aller à Thessalonique, il n’y a pas été ; c’est pour qu’on sache, à n’en pas douter, qu’il y a beaucoup de choses qu’il ignore ; cette ignorance offrait donc un grand avantage. D’ailleurs, même avec cette ignorance, il y avait encore un grand nombre de gens qui le nommaient la grande vertu de Dieu ; d’autres l’exaltaient de diverses manières ; s’il n’eût pas paru ignorant, que n’auraient-ils pas pensé de lui ? Maintenant, il semble qu’il y ait, dans ces paroles, comme un reproche ; si pourtant on les considère avec attention, elles montrent bien plutôt que les gens de Thessalonique méritent l’admiration, par leur vertu qui surmontait les tentations. Comment cela ? Soyez attentifs.

En effet, vous leur avez d’abord dit, ô bienheureux Paul, que vous étiez destiné pour souffrir ces maux, et de plus, vous leur avez encore dit, que personne donc ne se trouble ; pourquoi, maintenant, leur envoyez-vous Timothée, comme si vous aviez peur que ce que vous redoutez n’arrive ? L’apôtre n’écoute ici que son affection ; ceux qui aiment redoutent même les dangers qui n’existent pas, c’est le caractère d’une charité ardente ; de plus, l’apôtre s’inquiète du grand nombre des tentations. Sans doute, j’ai dit, « ce à quoi nous sommes destinés », mais l’excès des maux m’a effrayé. Aussi l’apôtre ne dit-il pas qu’il les condamne, en leur envoyant Timothée, mais : « Ne pouvant pas attendre plus longtemps », paroles où respire l’amitié. Que signifie, « ayant appréhendé que le tentateur ne vous eût tentés ? » Voyez-vous que les tentations qui nous font chanceler, sont des œuvres du démon, qui proviennent de ce qu’il veut nous égarer ? S’il ne peut pas nous ébranler nous-mêmes, il ébranle, en nous attaquant, ceux qui sont plus faibles : c’est là l’effet d’une faiblesse insigne, d’une faiblesse inexcusable. C’est ce qu’il fit, à propos de Job en excitant son épouse : « Maudissez Dieu », lui dit-elle, « et mourez ». (Job. 2,9) Voyez comme le démon l’a tentée. Maintenant, pourquoi l’apôtre ne dit-il pas : Ne vous eût ébranlés, mais : « Ne vous eût tentés ? » C’est que, dit-il, j’ai soupçonné seulement que vous pouviez avoir été tentés ; il se garde bien d’appeler cette tentation un ébranlement. Il faut accepter le choc pour être ébranlé. Ah ! voyez la tendresse de Paul. Il oublie ses afflictions, les perfidies qui l’entourent. Car je pense qu’en ce moment il demeurait dans la Grèce, où saint Luc nous dit qu’il séjourna trois mois au milieu des pièges des Juifs qui voulaient le perdre.

2. Donc il oublie ses propres dangers, ne pensant qu’à ses disciples. Voyez-vous qu’il n’est pas un père selon la nature qui puisse lui être comparé ? Que faisons-nous ? dans les afflictions, dans les dangers, nous ne pensons plus qu’à nous ; Paul, au contraire, ne craignait, ne tremblait que pour ses enfants, au point de leur envoyer, malgré les dangers qu’il courait lui-même, son unique consolateur, son unique auxiliaire, Timothée. « Et que notre travail ne devînt inutile ». Pourquoi ? Quand même ils auraient été renversés, ce ne serait pas de votre faute, ce ne serait pas par votre négligence. N’importe, en ces circonstances, je dis que mon travail serait devenu inutile, c’est mon vif amour pour mes frères qui parle ainsi. « Ayant appréhendé que le tentateur ne vous eût tentés ». Ce qu’il fait, sans savoir s’il vous fera tomber. Eh bien ! le démon, même sans savoir s’il triomphera, nous attaque ; nous, au contraire, quoique nous sachions parfaitement que nous aurons l’avantage sur lui, nous ne sommes pas en éveil ? Que le démon nous attaque sans savoir l’issue de la lutte, c’est ce qui se voit à propos de Job : en effet, voici ce que disait à Dieu ce démon pervers : « N’avez-vous pas, à l’intérieur et à l’extérieur, mis un rempart tout autour de lui ? Enlevez-lui ses biens j’imagine, certes, qu’il vous bénira en face ». (Job. 1,10-11) Il nous tente. S’il voit un côté faible, il attaque ; s’il rencontre la force, il se retire.

« Et que notre travail », dit l’apôtre, « ne devînt inutile ». Écoutons tous le récit des fatigues de Paul. Il ne dit pas : Notre ouvrage, mais « notre travail ». Il ne dit pas : Et que vous vous perdiez, mais : « Et que notre travail n’ait été inutile ». Quand vous auriez été ébranlés, je n’en serais pas surpris ; mais puisque vous ne l’avez pas été, je vous admire. Voilà, dit-il, ce à quoi nous nous attendions, mais ce qui s’est produit, c’est tout le contraire : car non seulement vous ne nous avez donné aucun sujet d’affliction, mais, de plus, vous nous avez consolés. – « Mais Timothée étant revenu vers nous après vous avoir vus, et nous ayant apporté la bonne nouvelle de votre foi et de votre charité ». – « Et nous ayant apporté la bonne nouvelle », dit-il. Voyez-vous l’allégresse de Paul ? Il ne dit pas : Nous ayant apporté la nouvelle, mais : « La bonne nouvelle », tant il attachait de prix à leur solidité dans la foi, à leur charité. Car nécessairement, quand la foi est solide, la charité aussi est robuste. Et il se réjouissait de leur charité, parce qu’il y voyait un signe de leur foi. « Et du bon souvenir que vous avez sans cesse de nous, qui vous porte à désirer de nous voir, comme nous avons aussi le même désir pour vous ». Il y a ici des éloges : ce n’est pas seulement quand nous étions auprès de vous, ni quand nous faisions des miracles, mais maintenant encore, quand nous sommes loin de vous, frappés de coups, en proie à mille maux, que vous avez su garder un bon souvenir de nous. Écoutez, voyez l’admiration qui s’attache aux disciples, gardant de leurs maîtres un bon souvenir, voyez combien leur sort est digne d’envie ; imitons-les ; car, par là, nous servons nos propres intérêts, nous ne sommes pas utiles seulement à ceux que nous aimons. « Qui vous porte à désirer de nous voir, comme nous avons aussi le même désir pour vous ». Encore un sujet de joie ici pour les fidèles. Apprendre, quand on aime, que celui qui est aimé connaît l’amour qu’on lui porte, c’est là un grand motif de joie et de consolation.

« Nous tenons à vous dire, mes frères, que, dans toutes les afflictions et dans tous les maux qui nous arrivent, votre foi nous fait trouver notre consolation en vous ; que nous vivons maintenant, si vous demeurez fermes dans le Seigneur ». Où trouver l’égal de ce Paul qui regardait le salut du prochain comme son propre salut, qui était, à l’égard de tous, ce qu’est le corps pour ses membres ? Qui nous fera entendre aujourd’hui un pareil cri de l’âme ? Ou plutôt, qui concevra jamais un pareil sentiment dans son cœur ? Il ne pensait pas que les fidèles dussent lui savoir gré des épreuves qu’il acceptait pour eux, mais c’est lui qui leur savait gré de ce que ses épreuves à lui n’ébranlaient pas leur constance ; il a l’air de leur dire : C’est pour vous plus que pour nous, que les épreuves sont dangereuses ; vous êtes plus éprouvés, vous qui ne subissez pas les souffrances, que nous qui les subissons. Mais depuis que Timothée, dit-il, nous a apporté ces bonnes nouvelles, nous ne sentons plus rien de nos douleurs, mais, « dans toutes les afflictions, votre foi nous fait trouver notre consolation » ; et non seulement dans toutes les afflictions, mais « dans tous les maux qui nous arrivent », dit-il, et avec raison. Car un bon maître est au-dessus de toutes les douleurs, tant que ses disciples s’avancent au gré de ses désirs. C’est par vous, dit-il, que nous sommes consolés ; ce qui veut dire, c’est vous qui nous fortifiez. Assurément c’était tout le contraire ; car le courage qui triomphe des souffrances, qui résiste avec fierté, un pareil exemple suffisait bien pour affermir les disciples. Mais l’apôtre voit, dans le sens opposé, l’édification qu’il raconte, il transporte l’éloge aux disciples : c’est vous, dit-il, qui avez répandu sur nous l’huile fortifiante, c’est vous qui nous avez permis de respirer, c’est vous qui nous avez enlevé le sentiment de nos souffrances. Et il ne dit pas Nous respirons, ni, nous sommes consolés, mais que dit-il ? « Que nous vivons maintenant » ; il montre par là qu’il n’y a pour lui d’autre épreuve, d’autre mort que le scandale qui provoquerait leur chute, puisque ce qu’il regarde comme sa vie, c’est leur avancement. Quel autre a jamais exprimé ainsi, ou sa douleur de la faiblesse de ses disciples, ou la joie qu’ils lui causent ? Il ne dit pas : Nous nous réjouissons, mais, « nous vivons », marquant par là la vie à venir.

3. C’est que, sous cette espérance, la vie même n’est pas une vie pour nous. Voilà quels doivent être les sentiments des maîtres, ceux des disciples ; et nul n’aura jamais à s’en repentir. L’apôtre développe ensuite cette pensée ; voyez, écoutez : « Car quelles actions de grâces pouvons-nous rendre assez dignement à Dieu, à cause de vous, pour toute la joie dont nous tressaillons, à cause de vous, devant notre Dieu ; nuit et jour, le conjurant avec ardeur, pour qu’il nous soit donné de voir votre visage, afin d’ajouter à ce qui peut manquer encore à votre foi (9, 10) ? » Non seulement, dit-il, c’est la vie que nous vous devons, mais nous vous devons aussi une joie si grande, que nous ne pouvons pas en rendre à Dieu de dignes actions de grâces. Votre perfection, nous la regardons, dit-il, comme un présent divin ; vous nous avez fait tant de bien, que nous pensons que ce bien nous vient de Dieu, ou plutôt que c’est l’œuvre de Dieu ; car ni l’âme humaine, ni l’ardeur de tout le zèle humain ne sauraient rien produire de pareil. « Nuit et jour », dit-il, « le conjurant avec ardeur ». Encore des expressions où la joie éclate. Supposez un agriculteur qui entend dire que la terre arrosée de ses sueurs est chargée de fruits ; il lui tarde de voir de ses propres yeux ce qui le remplit d’une joie si vive ; c’est ainsi que Paul brûle de voir la Macédoine. « Le conjurant avec ardeur », voyez combien c’est expressif ; « pour qu’il nous soit donné de voir votre visage, afin d’ajouter à ce qui peut manquer encore à votre foi ».

Ici, une question qui demande assez d’explications. Si vous vivez maintenant, parce que les fidèles sont solides, si Timothée vous a apporté les bonnes nouvelles de leur foi et de leur charité, si vous en avez été rempli d’une joie si vive, qu’il vous est impossible d’en rendre à Dieu de dignes actions de grâces, comment vous avisez-vous de parler de ce qui peut manquer encore à leur foi ? N’auriez-vous tout à l’heure fait entendre que des flatteries ? Nullement, gardons-nous d’en rien croire. L’apôtre a commencé par dire qu’ils ont soutenu nombre de combats, qu’ils n’ont pas été moins éprouvés que les Églises de la Judée. Qu’est-ce que cela signifie ? C’est qu’ils n’avaient pas eu pleine et entière communication de la doctrine, ils n’avaient pas appris tout ce qu’ils avaient à apprendre, ce que montre l’apôtre vers la fin de sa lettre. Peut-être y avait-il, chez eux, des recherches au sujet de la résurrection, des agents nombreux de troubles, non plus des persécutions, des dangers pour les personnes, mais de prétendus docteurs. De là ces mots : « Ce qui peut manquer encore à votre foi » ; de là le tour que prend l’expression ; l’apôtre ne dit pas : Afin de confirmer, mais « afin d’ajouter ». En effet, quand il avait craint pour la foi même : « Je vous ai », écrivait-il, « envoyé Timothée pour vous affermir » ; mais ici il n’est question que d’ajouter à ce qui peut manquer, ce qui est plutôt une œuvre d’enseignement qu’un effort pour raffermir ; c’est de même que Paul écrit ailleurs : « Pour que vous soyez parfaits pour toute bonne œuvre ». (1Co. 1,10) Or, ce qui est humainement parfait, c’est ce à quoi il ne manque que très peu de chose ; c’est là ce qui devient parfait.

« Que Dieu lui-même notre Père, et Notre-Seigneur Jésus-Christ nous conduisent vers vous. Que le Seigneur vous fasse croître de plus en plus dans la charité que vous avez les uns pour les autres, et envers tous, et qu’il la rende telle que la nôtre est envers vous (11, 12) ». C’est la marque de la plus tendre affection, non seulement de ressentir dans son cœur un tel désir, mais encore d’exprimer ce vœu dans sa lettre ; voilà la marque d’une âme brûlante et qui ne peut plus du tout se contenir ; il faut remarquer aussi l’usage qui se fait ici de la prière, et en même temps une justification d’une absence qui n’était ni volontaire, ni le fait de l’indifférence. C’est comme s’il disait : Que Dieu lui-même supprime les épreuves qui nous entraînent de tous les côtés, de telle sorte qu’il nous soit donné d’aller vers vous par le plus court chemin. « Que le Seigneur vous fasse croître de plus en plus ». Voyez-vous le transport d’un amour qui ne se possède plus, qui éclate dans les paroles ? « Fasse croître et surabonder », dit-il, « de plus en plus » ; expressions plus fortes que, augmente. On pourrait dire que l’apôtre désire obtenir d’eux l’excès de leur amour. Qu’il rende votre charité, dit-il, « telle que la nôtre est envers vous ». C’est-à-dire, l’amour, nous l’éprouvons déjà, nous voulons que vous le ressentiez aussi. Voyez-vous quelle extension de charité l’apôtre réclame ? La charité entre fidèles ne lui suffit pas : il la veut envers tous et partout. C’est là, en réalité, le propre de l’amour selon Dieu, il embrasse tous les hommes ; aimer tel ou tel et non tel autre, ce n’est que de l’amitié à la manière des hommes. Notre amour, à nous, n’est pas de ce caractère. « Telle que notre charité est envers vous. Qu’il affermisse vos cœurs en vous rendant irréprochables, par la sainteté, devant Dieu notre Père, en la présence de Notre-Seigneur Jésus-Christ, venant avec tous ses saints (13) ». Il leur montre que c’est à eux que l’amour est utile, non à ceux qui sont aimés. Je veux, dit-il, que cette charité croisse, afin qu’il n’y ait aucun reproche parmi vous. L’apôtre ne dit pas : Qu’il vous affermisse, mais « Qu’il affermisse vos cœurs. Car c’est du cœur que partent les mauvaises pensées ». (Mat. 15,19) Il peut se faire, sans qu’on opère aucune action, que l’on soit un pervers : ainsi, l’homme qui est envieux, qui ne croit à rien, le perfide, le méchant qui se réjouit du mal d’autrui, qui ne connaît pas l’affection, dont toutes les pensées sont mauvaises, tout cela vient du cœur ; la sainteté consiste à s’en purifier. À proprement parler, la sainteté c’est la chasteté parfaite, puisque l’impureté est surtout la fornication et l’adultère ; maintenant, en général, tout péché est impureté, toute vertu au contraire est pureté. En effet, « Bienheureux », dit le Seigneur, « ceux qui ont le cœur pur ? » (Mat. 5,8) Les cœurs purs, dont parle ici le Seigneur, sont ceux qui le sont tout à fait.

4. Je sais bien, en effet, que les autres vices ne souillent pas moins l’âme. Voulez-vous une preuve que la malice en ternit l’éclat ? Écoutez le Prophète : « Purifie ton cœur de la malice, Jérusalem » (Jer. 4,14) ; et encore : « Lavez-vous, purifiez-vous, enlevez la malice de vos âmes ». (Isa. 1,16) Il ne dit pas : La fornication ; donc ce n’est pas la fornication seulement, mais les autres vices aussi qui souillent l’âme. « Qu’il affermisse », dit-il, « vos cœurs, en vous rendant irréprochables, par la sainteté, devant Dieu, notre Père, en la présence de Notre-Seigneur Jésus-Christ, venant avec tous ses saints ». Le Christ sera donc alors notre juge, mais ce n’est pas seulement en sa présence, mais aussi en présence du Père que nous serons jugés. Ou bien encore, l’apôtre dit que nous devons être tout à fait irréprochables devant Dieu : c’est ce que je répète sans cesse, nous devons l’être en présence de Dieu (car c’est en cela que consiste la vertu sincère) et non seulement, en présence des hommes. C’est donc la charité qui rend irréprochable, car en réalité elle nous fait éviter toute espèce de fautes. Or, je m’entretenais, un jour, avec une personne, et je disais que la charité nous rend irréprochables, que l’amour du prochain ne laisse entrer dans notre âme aucun péché, je passais en revue tous les autres péchés ; une des personnes que je connais le mieux, m’interrompit alors pour m’objecter : Et la fornication ? Aimer et se livrer à la fornication sont-ils incompatibles ? N’est-ce pas au contraire de l’amour que vient ce péché ? On comprend que l’amour du prochain exclue l’avarice, l’adultère, l’envie, les perfidies et tout ce qui y ressemble ; mais est-ce la même chose de la fornication ? – Alors moi, je lui soutins que l’amour est de nature à détruire la fornication. Car celui qui aime la femme adonnée à cette honte, s’efforcera de l’éloigner des autres hommes, et il se gardera bien de se livrer lui-même à ce péché. C’est la plus forte preuve de la haine qu’on porte à la femme impudique, que de se livrer avec elle à l’impudicité ; c’est une preuve d’affection réelle, que de la détourner de cette abominable conduite. Il n’est pas, non il n’est pas de péché que la puissance de l’amour ne consume, comme fait un feu dévorant. Le sarment le plus mince résiste plus aux flammes d’un bûcher, que le péché à la puissance de l’amour.

Sachons donc le faire et germer et grandir dans nos âmes, afin de pouvoir nous tenir dans la grande société des saints ; tous ces illustres saints se sont rendus agréables à Dieu par leur amour du prochain. D’où vient qu’Abel a reçu la mort, et ne l’a pas donnée ? C’est qu’il était plein d’amour pour son frère ; une pensée de meurtre ne pouvait entrer dans son âme. D’où vient que Caïn conçut cette envie qui l’a perdu ? Je dis Caïn, je ne veux plus l’appeler le frère d’Abel. C’est que les fondements de l’amour n’étaient pas assez solides en lui. D’où vient la gloire des fils de Noé ? N’est-ce pas de leur amour pour leur père, ce qui fit, que leurs yeux ne supportèrent pas sa nudité ? D’où vient que le troisième a été maudit ? N’est-ce pas parce qu’il était incapable d’aimer ? Et Abraham, d’où est venue sa gloire ? sinon de l’amour qu’il a montré en s’occupant des intérêts de son neveu ? de la supplication qu’il fit entendre pour les habitants de Sodome ? Oui, l’amour des saints était plein de transports, plein d’ardeur ; leur âme était ouverte à la pitié.

Réfléchissez en vous-mêmes, concevez, s’il se peut, l’amour brûlant de Paul, l’audace avec laquelle il défie les flammes, cet homme de diamant, solide, inaltérable, en qui rien ne branle, rivé à Dieu par la crainte, qui ne fléchit jamais. « Qui donc nous séparera », dit-il, « de l’amour de Jésus-Christ ? L’affliction, ou les angoisses, ou les persécutions, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou le glaive ? » (Rom. 8,35) Celui qui méprisait tout cela, et la terre, et la mer, celui qui se moquait des portes de l’enfer, de ces portes de diamant, celui à qui rien jamais ne résistait, le même homme, voyant les larmes de quelques-uns de ses amis, fut tellement brisé, broyé, lui, ce cœur de diamant, qu’il ne put dissimuler son émotion, qu’aussitôt il s’écria : « Que faites-vous, de pleurer ainsi, et de m’attendrir le cœur ? » (Act. 21,13) Que dites-vous, je vous en prie ? Une larme a-t-elle pu briser ce cœur de diamant ? Oui, dit-il, je résiste à tout, mais non à l’amour ; il est plus fort que moi, il me domine. C’est là ce qui plaît à Dieu. Il a résisté à l’abîme des eaux, et il suffit de quelques larmes pour lui fendre le cœur. « Que faites-vous, de pleurer ainsi, et de m’attendrir le cœur ? » C’est que la puissance de la charité est grande. Voulez-vous le voir encore dans les pleurs ? Écoutez ce qu’il dit, dans une autre circonstance : « Pendant trois ans, nuit et jour », dit-il, « je n’ai pas cessé d’avertir, avec des larmes, chacun de vous ». (Act. 20,31) La vivacité de sa charité lui faisait craindre l’invasion de quelque fléau. Et encore : « Je vous écrivis alors, dans une grande affliction, dans un serrement de « cœur, avec une grande abondance de lai« mes ». (2Cor. 2,4) Et maintenant, répondez-moi, que penserons-nous de ce courageux Joseph, de cet homme ferme, qui tint tête à une tyrannie si impérieuse, qui se montra si fier devant un tel foyer d’amour, qui sut combattre, repousser avec tant de noblesse la passion de sa maîtresse insensée ? Quelle âme n’aurait pas été séduite ? La beauté, la dignité, l’éclat du rang, la magnificence des vêtements, l’enivrement des parfums (car les odeurs embaumées sont aussi des dissolvants de l’âme), les paroles les plus caressantes, quelles séductions manquaient ?

5. Vous savez fort bien que cette femme, possédée par l’amour, par un amour si violent, n’aurait reculé devant aucune espèce d’abaissement, après avoir pris le ton d’une suppliante. Elle était tellement brisée, cette femme parée d’ornements d’or, cette femme, d’une condition royale, qu’elle a bien pu se jeter aux pieds d’un esclave, captif dans sa maison, qu’elle a bien pu encore le conjurer, en pleurant, en s’attachant à ses genoux, et cela, non pas une fois seulement, ni deux, mais souvent, en renouvelant tous ses efforts. Joseph pouvait voir alors surtout un œil étincelant ; il n’est pas vraisemblable qu’elle fît sa toilette sans y penser ; elle devait, au contraire, mettre tous ses soins à s’embellir, en femme qui tenait à tendre de nombreux filets pour prendre l’agneau de Jésus-Christ. Ajoutez ici encore beaucoup de sortilèges et de charmes. Eh bien ! pourtant, cet homme inébranlable, solide, insensible comme la pierre, quand il vit ses frères, qui l’avaient vendu, qui l’avaient jeté dans une citerne, qui l’avaient livré, qui voulaient le tuer, qui avaient été la cause et de sa prison et de sa haute fortune, quand il apprit, de leur bouche, ce qu’ils avaient dit à son père : « Nous dirons », rapporte l’Écriture, « qu’une bête sauvage l’a dévoré » (Gen. 37,20), il fut brisé, il sortit, il se sentit fondre, il sentit son cœur se briser, ses larmes jaillissaient ; ne pouvant supporter son émotion, il sortit, puis il revint, « se faisant violence » (Gen. 43,30), c’est-à-dire, essuyant ses larmes. Comment, que fais-tu, ô Joseph ? tu pleures ? Mais convient-il donc de verser des larmes ? Ce qu’il faut ici, c’est que ta colère éclate, et ta fureur, et ton indignation, et que tu infliges un châtiment terrible, que tu exiges une juste réparation ; tu tiens tes ennemis en tes mains, ces meurtriers de leur frère, et tu peux satisfaire ta vengeance. Et, ce faisant, tu ne commettras pas une action contre la justice, ce n’est pas toi qui commences l’œuvre de la violence, tu te venges de ceux qui ont usé de violence contre toi. Ne considère pas ta dignité, ton rang ; ce n’est pas à ces traîtres que tu dois ton élévation, mais à Dieu, qui a sur toi répandu ses faveurs. Qu’as-tu à sangloter ? Joseph répondrait : J’ai, pour moi, l’estime de tous, loin de moi le malheur de tout perdre par cette rancune vindicative en vérité, je n’ai rien autre chose à faire, en ce moment, qu’à pleurer. Je ne suis pas plus cruel que les bêtes féroces ; on les voit, par un instinct naturel, se réconcilier, quels que soient les maux qu’elles aient soufferts. Je pleure, uniquement de ce qu’ils ont pu me traiter ainsi.

Imitons-le, à notre tour, et pleurons sur ceux qui nous font une injure ; ne nous irritons pas contre eux ; ils sont réellement dignes de larmes, parce qu’ils se mettent sous le coup de la punition et du supplice. Je n’ignore pas quelles larmes vous versez maintenant, quelle joie vous pénètre ; vous admirez Paul, vous êtes, devant Joseph, en extase, vous leur donnez le titre de bienheureux. Mais voici ce qu’il faut faire : s’il arrive que l’un de vous a un ennemi, que celui-là y pense en ce moment, qu’il y tienne sa réflexion attachée, qu’il profite de la ferveur dont son cœur s’embrase au souvenir des saints, pour fondre l’endurcissement de la colère, pour adoucir ce qu’il y a, dans son âme, de farouche rigueur. C’est que je n’ignore pas non plus que quand vous serez sortis de l’église, quand j’aurai cessé de parler, quelque reste de ferveur qui vous brûle encore, vous ne serez plus tout ce que vous êtes au moment où vous entendez la parole. Donc c’est maintenant qu’il faut rompre la glace du cœur ; c’est une glace en réalité que ce souvenir qui refroidit, qui engourdit l’âme, après une injure qu’on ne veut pas oublier. Mais invoquons le soleil de justice ; demandons-lui de nous envoyer ses rayons ; au lieu d’une dure glace, il n’y aura plus en nous qu’une onde rafraîchissante. Une fois réchauffée au soleil de justice, notre âme n’aura plus en elle rien de dur, de raboteux ni de sec, rien de ce qui ne sert qu’à brûler, sans porter aucun fruit ; on n’y trouvera plus que des fruits mûrs, doux et suaves, des sources abondantes de plaisir et de joie.

Aimons-nous les uns les autres, ce rayon viendra sur nous. Accordez-moi, je vous en conjure, ce qui m’est nécessaire pour que mon discours soit un transport d’allégresse faites que j’entende dire qu’il ne vous aura pas été tout à fait inutile ; qu’un de vous, au sortir de l’église, a serré bien vite les deux mains de son ennemi, s’est jeté à son cou, l’a embrassé, pressé contre son cœur, l’a couvert de ses caresses et de ses larmes. Serait-ce une bête féroce, une pierre, tout ce que vous voudrez, votre bonté l’adoucira. Car enfin pourquoi un tel est-il votre ennemi ? Parce qu’il vous a outragé ? Mais il ne vous a fait aucun mal. Mais voilà, c’est par des considérations empruntées à l’argent, que vous dédaignez ce frère, qui est votre ennemi ? Non, jamais cela, je vous en conjure. Rompons tous nos liens. Nous avons l’occasion dans nos mains, sachons en faire un bon usage. Coupons les cordages qui nous attachent au péché ; avant de partir d’ici pour le jugement, jugeons-nous réciproquement nous-mêmes. « Que le soleil », dit l’apôtre, « ne se couche point sur votre colère ». (Eph. 4,26) Pas de délai. Les délais ne font qu’engendrer, à l’infini, les ajournements. Différer aujourd’hui, c’est ajouter à votre confusion ; hésiter demain, c’est vous apprêter plus de honte encore ; reculer après-demain, c’est vouloir encore plus de rougeur sur son front. Ne nous déshonorons pas nous-mêmes ; pardonnons afin qu’il nous soit pardonné. Si nous recevons notre pardon, nous obtiendrons les biens du ciel, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE V.


AU RESTE, MES FRÈRES, NOUS VOUS DEMANDONS, ET NOUS VOUS CONJURONS, EN NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS, QU’APRÈS AVOIR APPRIS DE NOUS COMMENT VOUS DEVEZ MARCHER, POUR PLAIRE À DIEU, VOUS AVANCIEZ DE PLUS EN PLUS. CAR VOUS SAVEZ QUELS PRÉCEPTES NOUS VOUS AVONS DONNÉS, DE LA PART DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. CAR LA VOLONTÉ DE DIEU, C’EST VOTRE SANCTIFICATION. (CHAP. 4,1-3 JUSQU’AU VERSET 8)


Analyse.

  1. Ce n’est pas en leur propre nom, mais au nom du Seigneur que les apôtres exhortent les fidèles. – La vertu parfaite ne consiste pas seulement à éviter le mal, il faut, de plus, faire le bien. – De la sanctification.
  2. Contre la fornication. Combien l’adultère est détestable. – C’est un outrage à Dieu même. – Des différentes espèces d’adultères, surtout en ce qui concerne la conduite des hommes.
  3. Il convient de marier les jeunes gens de banne heure. – Contre les habitudes licencieuses que contracte la jeunesse. – Précautions de saint Jean Chrysostome quand il parle sur l’impureté ! – De la pudeur qui s’alarme des mots, et non des choses.
  4. Contre les spectacles lascifs, et tout ce qui porte à l’impudicité. – Contre la mollesse, la lâcheté, qui s’oppose à la volonté, à la correction des mœurs.

1. Après avoir insisté sur ce qui était urgent, dans le moment, il passe aux affaires éternelles, aux vérités qu’il faut toujours entendre ; il annonce la suite de son discours par cette expression, « au reste », ce qui veut dire, et toujours, et continuellement nous vous demandons, et nous vous conjurons en Notre-Seigneur. Eh quoi ! il ne se croit pas assez d’autorité pour conjurer les fidèles, en son propre nom ; et cependant qui avait autant d’autorité que lui ? Il s’adjoint le Christ. C’est au nom de Dieu que nous vous conjurons, dit-il. Car c’est là le sens de cette expression : « En Notre-Seigneur ». C’est ainsi qu’il disait aux Corinthiens : « C’est Dieu même qui vous exhorte par notre bouche ». (2Cor. 5,20) « Qu’après avoir appris de nous ». Le, « Après avoir appris », ne suppose pas seulement l’instruction par les paroles, mais l’enseignement par les œuvres. Ces mots : « Comment vous devez marcher », embrassent toute la conduite de la vie. « Pour plaire à Dieu, vous avanciez de plus en plus » ; c’est-à-dire, vous montriez une vertu plus haute, vous ne vous renfermiez pas seulement dans la stricte observation des préceptes, mais vous les dépassiez, c’est là ce que veut dire, « vous avanciez de plus en plus ». Dans les passages qui précèdent, il admire la solidité de leur foi ; ici l’apôtre veut régler leur vie. En effet, c est une marque de progrès que d’aller jusqu’à dépasser les préceptes et les commandements ; car alors ce n’est plus seulement la nécessité doctrinale, c’est le libre mouvement de la volonté qui détermine toutes les actions. La terre ne rend pas seulement ce qu’on y a semé ; il en est de même pour l’âme qui ne doit pas se borner à reproduire la semence qu’on y jette, mais la dépasser. Voyez-vous combien l’apôtre a raison de vouloir qu’on dépasse les préceptes ? Il y a, pour la vertu, deux moments : se détourner du mal, et faire le bien. Il ne suffit pas de s’écarter des vices, pour arriver à la vertu ; le chemin qui détourne du péché n’est que le commencement de la route qui conduit au bien ; il faut, pour parvenir, l’ardeur de la bonne volonté. La conduite, en ce qui concerne les vices à éviter, n’est, leur dit l’apôtre, que l’obéissance aux préceptes, et il a raison, car les mauvaises actions attirent les châtiments, mais on ne mérite pas d’être loué, parce que l’on n’en commet pas. Quant à la pratique de la vertu, comme ne se rien réserver de ses biens, toutes les œuvres de ce genre ne sont plus seulement, dit-il, des actions déterminées par les préceptes ; mais de ces œuvres l’Écriture dit : « Qui peut comprendre ceci, le comprenne ». (Mt. 19,12) Il p a donc apparence que l’apôtre, après leur avoir donné, dans le temps, quelques préceptes avec beaucoup de circonspection et de tremblement, se propose, dans cette lettre, de rappeler à leur souvenir ce qui constitue la vraie piété. Voilà pourquoi il ne fait pas ici une exposition des préceptes ; il se contente de les leur rappeler. « Car vous savez », dit-il, « quels préceptes nous vous avons donnés, de la part de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Car la volonté de Dieu, c’est votre sanctification ». Et, remarquez, il n’est pas de pensée, dans toutes ses lettres, qu’il insinue d’une manière aussi pressante que celle-ci, ailleurs encore, il écrit : « Recherchez la paix avec tous, et la sanctification sans laquelle nul ne verra le Seigneur ». (Héb. 12,14) il n’est pas étonnant que toutes ses lettres à ses disciples expriment cette pensée, puisqu’à Timothée même il écrit : « Conservez-vous pur vous-même ». (1Tim. 5,22) Dans sa seconde épître aux Corinthiens, il disait : « Dans l’excès de la patience, dans les jeûnes, dans la pureté ». (2Cor. 5, 5-6) Partout on trouvera cette pensée, et dans l’épître aux Romains, et dans toutes les autres.

C’est qu’en effet l’impureté est, pour tous, un mal pernicieux ; le porc, couvert de fange, répand l’infection partout sur son chemin, on ne voit plus, on ne sent plus que le fumier ; c’est l’image de la fornication ; il est difficile de se laver de cette souillure. Quand il arrive que des hommes, des hommes mariés se livrent à cette honte, quel excès dans le mal ! « Car la volonté de Dieu », dit-il, « c’est votre sanctification ; c’est que vous vous absteniez de toute fornication ». Il y a bien des espèces de dérèglements, bien des formes, des variétés de plaisirs, que le discours se refuse à exprimer. En disant, « de toute fornication », l’apôtre laisse le soin de comprendre, à ceux qui connaissent ces désordres. « Que chacun de vous sache maintenir son vase dans la sanctification et dans l’honneur, et non point en suivant les mouvements de la concupiscence, comme les païens qui ne connaissent point Dieu (4, 5) ». – « Que chacun de vous sache », dit-il, « maintenir son vase ». C’est qu’en effet c’est une œuvre qui suppose un grand savoir, que d’éviter le libertinage. Donc, nous maintenons notre vase, quand il reste pur et dans la sanctification ; mais quand il est impur, c’est que le péché le tient naturellement. Car ce n’est plus notre volonté que le corps accomplit, mais ce que le péché lui commande. « Non point en suivant les mouvements de la concupiscence », dit-il. Ici l’apôtre montre le moyen de pratiquer la tempérance, les mouvements de la concupiscence doivent être retranchés. C’est l’amour des plaisirs, la passion des richesses, l’indolence de l’âme, son inertie, ce sont tous les vices de ce genre qui nous portent à la concupiscence et aux dérèglements. « Comme les païens qui ne connaissent point Dieu ». Si telles sont leurs mœurs, c’est qu’ils ne s’attendent pas à voir le jour de l’expiation. « Que nul ne franchisse ses limites, ni n’augmente sa part, en cette affaire, aux dépens de son frère (6) ».

2. L’apôtre a bien raison de dire : « Que nul ne franchisse ses limites ». Dieu affecte, à chaque homme, une femme au plus ; il fixe des limites naturelles ; ce commerce n’admet qu’une seule femme. Le commerce avec une seconde est en dehors des limites, il y a vol, la part est démesurée. Disons mieux, il y a là un crime plus détestable que toute espèce de brigandage. Car nous éprouvons moins de douleur, quand on nous vole notre argent, ou notre or, que quand on brise le coffre-fort du bien conjugal. Vous appelez un homme votre frère, et vous augmentez votre part à ses dépens, et contre toute justice ? Ici, c’est de l’adultère qu’il parle ; plus haut, il avait en vue toute espèce de fornication. Au moment de dire, qu’on ne doit pas franchir ses limites qu’on ne doit pas augmenter sa part aux dépens de son frère, l’apôtre prévient une restriction ; n’allez pas croire, dit-il, que je ne pense qu’aux égards que vous devez à vos frères, il vous est également défendu de posséder les femmes des autres, et les femmes qui se trouvent non mariées, défendu d’avoir des femmes en commun. Toute espèce de fornication est interdite ; aussi ajoute-t-il : « Parce que le Seigneur est le vengeur de tous ces péchés ». Il leur a d’abord adressé une prière, il les a touchés par le sentiment de l’honneur, en disant : « Comme les païens » ; il entreprend ensuite de démontrer tout ce qu’il y a là de dérèglement ; c’est ce à quoi tend l’expression : « Ni n’augmente sa part, aux dépens de son frère ». Il ne reste plus qu’à dire le plus important, c’est ce que fait l’apôtre de cette manière : « Parce que le Seigneur est le vengeur de tous ces péchés, comme nous vous l’avons déjà déclaré et attesté ». En effet, nous ne commettrons pas impunément de pareilles actions, les plaisirs que nous goûterons ne compenseront pas les châtiments qui nous attendent. « Car Dieu ne nous a pas appelés pour être impurs, mais pour être saints (7) ».

Après avoir dit : « Aux dépens de son frère », il ajoute que le Seigneur punit ces outrages ; pour montrer que, quoique la personne lésée soit infidèle, Dieu punit l’impudicité, il ajoute, de plus, cette dernière raison qui revient à ceci : Ce n’est pas pour venger l’infidèle, que Dieu vous punira, mais parce que c’est lui-même que vous avez outragé ; c’est lui qui vous a appelé, et vous avez outragé ce Dieu qui vous appelle. Voilà pourquoi l’apôtre continue ainsi : « Donc l’outrage n’est pas un outrage à un homme, mais au Dieu qui nous a donné son Saint-Esprit (8) ». Par conséquent, soit que vous corrompiez, dit-il, une reine, soit que vous outragiez votre servante mariée, le crime est égal. Pourquoi ? parce qu’il ne venge pas les personnes qui ont été outragées, c’est lui-même qu’il venge ; quant à vous, vous vous êtes également souillé, vous avez également outragé Dieu. Car, des deux côtés, il y a adultère, puisque, des deux côtés, il y a mariage. Dans le cas même où vous ne commettriez pas d’adultère, quand vous vous livrez à la débauche, quoique la courtisane n’ait pas de mari, peu importe, Dieu exerce également la vengeance, parce qu’il se venge lui-même. Car vous montrez moins de mépris pour la personne outragée que pour Dieu. Ce qui le prouve, c’est que, dans ces moments-là, vous vous cachez de l’homme que vous offensez, tandis que vous ne pouvez dire que Dieu ne vous voit pas.

Répondez-moi : supposez un homme décoré de la pourpre par l’empereur, comblé d’honneurs par son souverain, un homme à qui sa dignité fait un devoir de mener une vie qui convienne à son rang, et cet homme s’en irait déshonorer une femme ; qui aurait-il outragé ? Cette femme ou l’empereur qui l’a fait ce qu’il est ? Sans doute cette femme aussi est outragée, mais quelle différence entre les outrages ! Aussi, je vous en conjure, gardons-nous de ces dérèglements. Nous punissons l’épouse qui habite avec nous et se livre à d’autres qu’à nous ; de même sommes-nous punis, nous aussi, non par les lois de Rome, mais par celles de Dieu. Car la débauche est un adultère. Il n’y a pas adultère seulement dans le cas d’une femme mariée, mais lorsque l’homme impudique est soumis au lien conjugal. Faites bien attention à mes paroles : je sais bien que mon discours est pénible à entendre pour le grand nombre, mais il est nécessaire pour que vous vous corrigiez. Ce qui constitue l’adultère, ce n’est pas seulement l’outrage que nous faisons à une femme mariée, mais quand nous nous adressons à une femme libre de tout engagement, et que nous sommes nous-mêmes liés à une femme, nous commettons un adultère. Pourquoi, puisque la femme impudique n’est pas enchaînée ? Mais vous êtes enchaîné, vous : vous avez transgressé la loi ; vous avez outragé votre propre chair. Car pourquoi, répondez-moi, punissez-vous la femme, dans le cas même où elle se livre à l’impudicité avec un homme libre de tout engagement, non marié ? C’est qu’il y a adultère. Cependant, l’homme impudique n’a pas de femme, mais c’est que la femme est enchaînée à un mari. Eh bien, vous, de votre côté, vous êtes enchaîné à une femme. De sorte que votre fait est également un adultère. « Quiconque aura », dit le Seigneur, « renvoyé sa femme, si ce n’est en cas d’impureté, la rend adultère ; et qui épouse la femme renvoyée, est adultère ». (Mt. 5,32) Si l’homme qui épouse la femme renvoyée est adultère, n’est-il pas vrai que l’homme marié, qui se livre à une courtisane, est bien plus adultère encore ? Voilà, certes, une vérité évidente pour tout le monde.

Que ces paroles vous suffisent, ô hommes car c’est pour de pareils dérèglements que le Christ dit : « Leur ver ne mourra point, leur feu ne s’éteindra point ». (Mc. 9,45) Mais maintenant il est nécessaire de vous parler, dans l’intérêt des jeunes gens ; ou plutôt ce n’est pas tant dans leur intérêt que dans le vôtre ; car ce n’est pas à eux, c’est à vous que conviennent de pareils discours ; comment cela ? Je m’explique : celui qui n’a pas appris à commettre l’adultère ne commet pas l’adultère ; mais celui qui se vautre avec des courtisanes, arrive bientôt à commettre l’adultère, quoiqu’il n’ait pas eu de commerce avec des femmes mariées, quoiqu’il n’ait pris d’infâmes habitudes qu’avec des femmes libres de tout engagement.

3. Quel est donc le conseil que je vous donne ? C’est d’extirper les racines du mal ; et, dans cette pensée, vous tous dont les fils sont des jeunes gens et qui voulez les lancer dans le monde, hâtez-vous de les soumettre au lien conjugal. La jeunesse est l’âge des passions qui troublent ; à l’époque qui précède le mariage, retenez vos fils par vos exhortations, vos menaces, des paroles qui inspirent la crainte, qui rappellent les promesses, par les mille moyens dont vous disposez. À l’époque du mariage, maintenant, pas de délai (voyez, je parle comme les femmes qui font les mariages), mariez vos enfants. Je ne rougis pas de tenir un pareil langage, puisque Paul n’a pas rougi de dire : « Ne vous refusez point l’un à l’autre ce devoir » (1Cor. 7,5), pensée qui semble, pour la pudeur, bien plus embarrassante que ce que je dis ; mais Paul n’a pas rougi. C’est que sa pensée ne s’arrêtait pas aux expressions, mais se portait sur les bonnes œuvres résultant des expressions employées par lui.

Donc, une fois votre fils devenu grand, avant de le faire entrer dans la milice, dans toute autre profession, occupez-vous de son mariage. S’il s’aperçoit que vous ne perdez pas de temps pour lui trouver une épouse, si vous ne le faites pas attendre, il pourra triompher du feu qui le brûle ; mais s’il remarque votre nonchalance, vos lenteurs, les occasions manquées par vous, s’il comprend que vous tenez, avant de le marier, à ce qu’il ait de grands revenus, la longueur de l’attente lui fera perdre courage, et vous le verrez vite glisser dans le libertinage. Hélas, hélas ! la racine de tous les maux, ici encore, c’est l’avarice. Nul ne se soucie de la modestie, de la sagesse de son enfant, tous jettent sur l’or des regards avides, et voilà pourquoi nul ne s’applique à faire ce que je conseille ici. Je vous en prie, avant tout, réglez vos enfants. Le jour où votre fils s’approchera d’une jeune fille chaste, rien qu’à sa vue, il se sentira possédé d’un vif désir, d’une crainte de Dieu plus grande ; il y aura un vrai mariage, un mariage honorable, noble, l’union de corps purs que rien n’a souillés ; les enfants qui en sortiront seront comblés de toute espèce de bénédictions ; l’époux et l’épouse n’auront l’un pour l’autre que déférence ; ignorant des mœurs étrangères, ils ne connaîtront réciproquement qu’eux-mêmes pour se céder tout l’un à l’autre.

Mais quand un jeune homme commence à prendre des leçons d’impudicité auprès des courtisanes, quand les désordres d’une vie honteuse sont devenus pour lui une habitude, le premier soir, le second soir encore il apprécie sa jeune épouse, mais bientôt il retombe dans l’infamie, il lui faut les éclats d’un rire dissolu et sans frein, les paroles que rien n’arrête, les attitudes lascives, toute l’ignominie que notre discours ne veut pas exprimer. La noble épouse ne supporte pas cette honte, elle ne se laisse pas profaner. Car si elle a été fiancée à un homme, c’est pour vivre en société avec lui, c’est pour lui donner des enfants, ce n’est pas pour être le honteux objet qui provoque des rires infâmes ; elle doit être la gardienne de sa maison, elle doit le former lui-même à l’honnêteté, elle n’est pas faite pour lui fournir un aliment de débauche. Quant à vous, je le sais bien, vous trouvez pleins de charmes les gestes des courtisanes ; l’Écriture aussi nous apprend que « le miel coule des lèvres de la courtisane » (Prov. 5,3) ; et si je fais tant d’efforts, c’est pour que vous ne goûtiez pas à ce miel qui se change bien vite en amertume. C’est encore ce que dit l’Écriture : « Qui semble dans le moment verser un doux breuvage dans votre gosier, mais bientôt, vous trouvez un goût plus amer que le fiel, qui vous pénètre plus que la pointe d’une épée à deux tranchants ». (Id. 4)

Que dites-vous ? Il faut que vous supportiez même l’immodestie pour ainsi dire, de ma parole, qui brave en ce moment la réserve et la pudeur. Ce n’est pas de gaîté de cœur que je tiens ce langage ; ceux qui ont, dans leur conduite, dépouillé toute pudeur, me forcent à parler. Nous voyons, dans l’Écriture, un grand nombre d’exemples qui me soutiennent. Ézéchiel, dans les reproches qu’il adresse à Jérusalem, emploie un grand nombre d’expressions dont il ne rougit pas, et il a raison ; il ne parle pas pour son plaisir, mais par intérêt pour ceux qui l’inquiètent. Quand ses expressions paraîtraient honteuses, ce n’est certes pas un but honteux qu’il poursuit, au contraire, la pensée la plus honnête l’inspire, il veut purifier les âmes ; il faut faire entendre les expressions mêmes des choses, pour que l’âme qui n’a plus de pudeur puisse retrouver ce qu’elle a perdu. Quand le médecin veut faire sortir du corps l’humeur qui le corrompt, il commence par mettre les doigts sur le siège du mal ; la main qui cherche la guérison doit commencer par se souiller, pour que la guérison soit possible. C’est ce que je fais en ce moment : si je ne commence pas par souiller ma bouche qui cherche à guérir votre mal, je ne pourrai pas vous guérir. Je me trompe, ni ma bouche ne se souille, ni les mains du médecin ne sont des mains souillées. Pourquoi ? C’est que l’impureté n’est pas dans notre nature, dans notre corps, de même que l’impureté ne sort pas des mains du médecin, mais d’ailleurs. Eh bien, si, pour sauver un corps étranger, le médecin ne refuse pas de plonger ses mains dans la pourriture, quand il s’agit de sauver notre propre corps, répondez-moi, pourrons-nous refuser ? Car vous êtes notre propre corps, ô vous à qui je m’adresse, corps malade et souillé, et pourtant notre corps.

4. Eh bien, qu’ai-je voulu vous dire, et à quoi tend toute cette exhortation ? Voici ce que je dis : le vêtement que porte votre esclave, vous ne voudriez pas le porter, ce vêtement immonde vous dégoûte, vous aimeriez mieux être nu que de vous en servir ; mais voilà un corps souillé, immonde, et ce n’est pas seulement à votre esclave qu’il sert, mais à des milliers d’autres, et vous vous en servirez, et vous ne serez pas dégoûté ? Vous rougissez d’entendre ces paroles ? Ah ! rougissez donc des actions, et non des paroles. Je passe toutes les autres infamies, les mœurs perverties, infâmes, la dégradation d’une existence servile, abominable pour un être libre. Vous approchez de la même femme, vous et votre esclave ; et encore, s’il n’y avait avec vous que votre serviteur, mais il y a aussi le bourreau. Vous ne supporteriez pas le contact des mains du bourreau ; et cette femme qui n’a fait qu’un corps avec lui, vous la pressez dans vos bras, vous la couvrez de vos baisers, et cela sans frissonner d’horreur ? sans honte ? sans remords ? sans crainte ?

Je viens de dire à vos pères qu’ils doivent s’occuper promptement de vous marier ; mais vous n’en êtes pas moins, vous, exposés à tous les châtiments. S’il n’y avait pas un grand nombre d’autres jeunes gens plus sages que vous, des jeunes gens qui vivent dans la chasteté, s’il ne s’en était pas montré un grand nombre, et autrefois, et aujourd’hui encore, peut-être auriez-vous quelque excuse mais s’ils existent, quel moyen aurez-vous de prétendre que vous n’avez pas pu éteindre en vous la flamme de la concupiscence ? Ceux qui ont eu ce pouvoir vous condamnent, parce qu’ils ne sont pas d’une autre nature que vous. Écoutez ce que dit Paul : « Recherchez la paix et la sanctification sans laquelle nul ne verra le Seigneur ». (Héb. 12,14) Ces menaces ne suffisent-elles pas pour vous remplir de terreur ? Vous voyez d’autres hommes, toujours chastes, toujours dignes de tous les respects, et vous, vous ne pouvez même pas rester pur pendant votre jeunesse ? Vous voyez d’autres hommes qui ont des milliers de fois triomphé du plaisir, et vous ne combattrez pas le plaisir une seule fois ? Voulez-vous que je vous donne l’explication de cette conduite ? Ce n’est pas la jeunesse qu’il faut accuser, car, à ce titre, tous les jeunes gens devraient être dissolus ; c’est nous-mêmes qui nous jetons dans le bûcher ardent.

Quand vous allez au théâtre, quand vous y prenez place, pour – assouvir vos regards de la nudité des femmes, vous goûtez un moment de plaisir, et vous revenez dévoré par la fièvre. Quand vous voyez des femmes qui posent pour montrer leurs formes, quand les yeux et les oreilles ne sont frappés que d’infâmes amours, une telle, dit l’un, aimait un tel et ne l’a pas obtenu, elle s’est pendue, ajoutez à cela les affreux commerces où des mères se perdent avec leurs enfants ; quand vous entendez ces choses, que des femmes, que des gestes abominables, et ce n’est pas tout, que des vieillards vous enseignent (des vieillards, des hommes se mettent des masques et jouent des rôles de femmes), je vous le demande, répondez-moi, que devient désormais votre chasteté, avec de pareils entretiens, de pareils spectacles, de pareils bourdonnements autour de votre âme, de pareils songes qui occupent ensuite vos nuits ? L’âme naturellement se représente surtout alors ce qui a charmé pendant le jour ses désirs et ses goûts. Donc, quand vous voyez là des choses honteuses, quand vous entendez des discours plus honteux encore, quand vous recevez tant de blessures, quand vous n’y appliquez pas de remèdes, quel moyen que la corruption ne s’étende pas ? Quel moyen que la maladie n’empire pas, et cela bien plus vite que pour les plaies qui affligent nos corps ? Si nous voulions, bien plus facile que la guérison du corps serait celle de notre volonté malade. Car, pour le corps, il faut et des remèdes, et des médecins, et du temps ; pour l’âme, la volonté suffit, et aussitôt elle est bonne ou mauvaise. Car c’est de la volonté qu’est venue la maladie. Quand nous nous plaisons à accumuler sur nous ce qui nous perd, quand nous ne tenons aucun compte de ce qui nous est salutaire, d’où peut nous venir la santé ? Voilà pourquoi Paul disait : « Comme les païens, qui ne connaissent point Dieu ». Soyons donc saisis et de honte et de crainte à voir que les païens, qui ne connaissent point Dieu, pratiquent souvent la chasteté, la continence ; soyons confus d’être pires qu’eux. Il nous est facile de pratiquer la continence, nous n’avons qu’à le vouloir ; nous n’avons qu’à nous détourner de ce qui nous perd ; à vrai dire, il n’est pas facile de fuir l’impureté, si nous ne voulons pas la fuir.

Qu’y a-t-il de plus facile que de se rendre à pied sur la place publique ? mais grâce à notre insigne mollesse, voilà qui est devenu chose difficile, non pour les femmes seulement, mais, à l’heure où je vous parle, même pour les hommes. Qu’y a-t-il de plus facile que de dormir ? Or, voilà ce que nous avons trouvé moyen de rendre encore difficile. Grand nombre de riches se tournent et retournent inutilement toute la nuit, parce qu’ils ne savent pas attendre, pour dormir, qu’ils aient besoin de dormir. Enfin, il n’y a rien de difficile, quand on veut, de même qu’il n’y a rien de facile, quand on ne veut pas ; car tout dépend de nous. Voilà pourquoi l’Écriture dit encore : « Si vous voulez m’écouter », et encore : « Si vous ne voulez pas m’écouter ». (Is, 1,19) Donc, tout se réduit à vouloir, à ne pas vouloir. Voilà ce qui fait que nous sommes châtiés, que nous sommes loués. Puissions-nous être du nombre de ceux qui sont loués, et obtenir les biens que nous annoncent les promesses, par la grâce et par la bonté, etc.

HOMÉLIE VI.


QUANT À CE QUI REGARDE LA CHARITÉ FRATERNELLE, NOUS N’AVONS PAS BESOIN DE VOUS ÉCRIRE SUR CE SUJET, PUISQUE DIEU VOUS À APPRIS LUI-MÊME À VOUS AIMER LES UNS LES AUTRES ; ET, VRAIMENT, C’EST CE QUE VOUS PRATIQUEZ À L’ÉGARD DE TOUS NOS FRÈRES, QUI SONT DANS TOUTE LA MACÉDOINE. (IV, 9-11)


Analyse.

  1. De la nécessité de la charité. – Contre l’oisiveté. – Celui qui travaille, donne aux autres. – Il vaut mieux donner que recevoir. – Le travail, remède à la pauvreté ; la foi en la résurrection, remède à la tristesse.
  2. Contre le désespoir où se laissent aller, devant la mort ceux qui croient en la résurrection. – Spécialement contre la douleur exagérée des veuves. – Sur les veuves inconsolables convolant à de secondes noces.
  3. La longue vie, dans les premiers temps du monde, était la récompense de la foi des patriarches. – Longue vie d’Abraham et de Sara. – Ne pas irriter Dieu ; il y a de la prudence à l’aimer par-dessus tout. – Explication de la fermeté de Job. – Quand Dieu nous comble de ses bienfaits, ils sont absolument gratuits, nullement mérités par nous.
  4. Devoir des veuves, élever leurs enfants. – Bonheur du ciel ; les coursiers, là haut, sont les nuages. – Gloire des élus.

1. Pourquoi, après des discours si pressants sur la modestie et la sagesse, au moment de leur parler des œuvres à accomplir, au moment de leur prouver qu’il ne faut pas s’affliger du départ de ceux qui nous sont chers, pourquoi ne parle-t-il qu’en passant du principe de tous les biens, de la charité ? « Nous n’avons pas besoin », dit-il, « de vous écrire ». Il y a là une grande preuve d’intelligence et d’habileté dans l’enseignement spirituel. Il fait ici deux choses : il montre que la charité est tellement nécessaire, qu’elle n’a pas même besoin d’être enseignée, car les vérités d’une grande importance éclatent aux yeux de tous ; ensuite il les touche plus vivement en leur parlant ainsi, que s’il leur adressait une exhortation. Celui qui, par la considération que vous avez fait votre devoir, se dispense de vous exhorter, supposé que vous ne l’ayez pas rempli, vous excite plus fortement à l’accomplir. Et maintenant, voyez, il ne parle pas de la charité envers tous, mais de la charité envers ses frères. « Nous n’avons pas besoin de vous écrire ». Il fallait donc se taire, ne rien dire, puisqu’il n’en était pas besoin. Mais, en disant : Il n’est pas besoin, il dit plus que s’il faisait un discours en règle : « Puisque Dieu vous a appris lui-même ». Voyez quel honneur il leur fait : il leur donne Dieu lui-même pour maître. Il n’est pas nécessaire, dit-il, qu’un homme vous instruise. C’est ce que dit encore le Prophète : « Dieu leur apprendra à tous ». – « Puisque Dieu vous a appris lui-même », dit-il, « à vous aimer les uns les autres, et, vraiment, c’est ce que vous pratiquez à l’égard de tous nos frères, qui sont dans toute là Macédoine », et à l’égard de tous les autres, dit-il. Ce sont là des paroles tout à fait pressantes, pour les porter à cette conduite. Ce n’est pas sans y penser que je vous dis que Dieu vous a instruits lui-même ; je le vois bien, aux œuvres que vous faites ; et, à l’appui de ces paroles, il cite un grand nombre de témoignages.

« Nous vous exhortons, mes frères, à vous avancer de plus en plus dans cet amour, à vous étudier, à vivre en repos, à vous appliquer chacun à ce que vous avez à faire, à travailler de vos propres mains, ainsi que nous vous l’avons ordonné, afin que vous vous conduisiez honnêtement envers ceux qui sont hors de l’Église, et que vous vous mettiez en état de n’avoir besoin de personne ». Il leur montre ici combien de maux résultent de l’oisiveté ; de combien de vertus le travail est la source. Vérité qu’il met hors de contestation, par des exemples pris des choses qui nous entourent, comme il le fait dans un grand nombre de passages ; l’apôtre a grande raison de procéder ainsi : car, pour le commun des hommes, les choses sensibles sont plus éloquentes que les choses spirituelles. Le propre de la charité envers le prochain, ce n’est pas de recevoir, mais de donner. Et maintenant, voyez la sagesse de l’apôtre ; au moment d’adresser aux fidèles une prière, des avertissements, il s’arrête, il établit simplement la règle de la vertu parfaite ; il veut laisser aux fidèles un moment pour respirer, après ses premiers avertissements ; il veut qu’ils puissent se remettre de ses menaces. On l’a entendu dire : « Donc l’outrage n’est pas un outrage à un homme, mais à Dieu ». Une raison si forte ne souffre pas qu’on regimbe contre le précepte. Or, maintenant, l’effet du travail c’est que l’homme actif ni ne reçoit rien des autres, ni ne languit dans l’oisiveté. Celui qui travaille, donne aux autres : « C’est un plus grand bonheur », est-il dit, « de donner que de recevoir ». (Act. 20,35)

« À travailler », dit-il, « de vos propres « mains » ; où sont ceux qui veulent voir ici une œuvre spirituelle ? Comprenez-vous comment le texte enlève à cette explication toute vraisemblance, par ces mots : « De vos propres mains ? » Est-ce qu’on jeûne avec les mains ? Est-ce qu’elles servent à veiller, à coucher sur la dure ? Nul ne peut le soutenir. Mais il parle d’un travail spirituel ; c’est en effet une œuvre spirituelle que de travailler pour fournir aux besoins des autres, et rien ne vaut ce travail. « Afin que vous vous conduisiez honnêtement ». Voyez sa manière de les toucher : il ne dit pas : De peur que vous ne vous déshonoriez en mendiant, mais il exprime implicitement cette pensée, d’une manière douce, de manière à piquer sans être blessant. Car, si les fidèles qui sont avec nous, se scandalisent de cette mendicité, à plus forte raison les étrangers trouvent-ils mille sujets d’accusations et de reproches, à la vue d’un homme sain de corps, pouvant se suffire à lui-même, et qui mendie, et qui a besoin des autres. Aussi nous appellent-ils d’un nom qui signifie « marchands du Christ. Voilà comment », dit-il ailleurs, « le nom de Dieu est blasphémé ». (Rom. 2,24) Mais ici, rien de pareil. Il leur parle de ce qui pouvait le plus les toucher de la honte d’une pareille conduite. « Or, nous ne voulons pas, mes frères, que vous ignoriez ce que vous devez savoir, touchant ceux qui dorment du sommeil de la mort, afin que vous ne vous attristiez pas, comme font les autres hommes qui n’ont point d’espérance (12) ».

2. Les deux plus grandes causes des troubles de leurs pensées, c’étaient la pauvreté, et un chagrin porté au découragement, raisons de trouble aussi pour le reste des hommes. Voyez comment s’y prend l’apôtre, pour guérir ces blessures. La pauvreté leur venait de ce qu’on leur avait enlevé leurs biens ; or, s’il donne à ceux qui se sont vu ravir leurs biens à cause du Christ, le conseil de gagner leur vie par le travail, à plus forte raison le donne-t-il aux autres hommes. On leur avait enlevé leurs biens ; c’est ce qui résulte de ces paroles : « Vous êtes devenus les imitateurs des Églises de Dieu, qui ont embrassé la foi de Jésus-Christ, dans la Judée ». (1Thes. 2,14) Comment cela ? c’est qu’en écrivant à ces Églises, il leur disait : « Vous avez vu avec joie tous vos biens pillés ». (Héb. 10,14) Maintenant, dans le passage qui nous occupe, il parle de la résurrection. Quoi donc ? n’avait-il pas déjà discouru avec eux sur ce sujet ? sans doute ; mais il insinue ici un autre mystère. Quel est-il ? C’est que « nous, qui sommes vivants et qui sommes réservés », dit-il, « pour l’avènement du Seigneur, nous ne préviendrons point ceux qui sont dans le sommeil de la mort (14) ». La résurrection suffit pour consoler celui que tourmente la douleur ; il suffit aussi de ce qu’il dit en ce moment pour confirmer la foi en la résurrection. Reprenons donc, et disons comme lui : « Or, nous ne voulons pas, mes frères, que vous ignoriez ce que vous devez savoir, touchant ceux qui dorment du sommeil de la mort, afin que vous ne vous attristiez pas, comme font les autres hommes, qui n’ont point d’espérance ». Voyez ici quelle douceur de langage ; il ne leur dit pas : Êtes-vous assez privés de raison, comme aux Galates (Gal. 3,3), assez insensés, vous, qui connaissez la résurrection, pour succomber à la douleur comme les incrédules ? Il leur dit, avec une parfaite douceur : « Je ne veux pas » ; montrant d’ailleurs qu’il respecte leur vertu. Et il ne dit pas, touchant ceux qui sont morts, mais, dès ses premières paroles, il pose le fondement de la consolation.

Se frapper la poitrine, au trépas de ceux qui ne sont plus, ce n’est pas là, assurément, une conduite digne de ceux qui espèrent ; sans doute l’âme qui ne sait rien de la résurrection, qui prend, cette mort pour une mort, a raison de guérir, de se lamenter sur ceux qui ont péri, de se livrer à une insupportable douleur ; mais toi qui attends la résurrection, pourquoi te lamentes-tu ? Le deuil ne convient qu’à ceux qui n’ont pas d’espérance. Écoutez, ô femmes ; vous toutes qui aimez les gémissements, vous toutes qui vous livrez au deuil outre mesure, vous faites ce que font les gentils. Si le deuil, au moment du départ de ceux qui ne sont plus, est le propre des gentils, que dirons-nous de ceux qui se frappent la poitrine, qui se déchirent les joues ? Quel nom leur donner, répondez-moi ? D’où viennent vos lamentations, si vous croyez que le mort ressuscitera, si vous croyez qu’il n’est pas mort, si vous croyez qu’il n’y a là qu’un assoupissement et un sommeil ? Mais, me répond-on, les habitudes si cruellement changées, un appui que l’on perd, un surveillant, un protecteur, tant de services précieux ravis à la fois ! Quand vous perdez un fils, avant l’âge, incapable jusqu’à ce jour de rien faire pour vous, pourquoi vos lamentations, pourquoi vos regrets ? C’est, dit-on, qu’il montrait de belles espérances, et je croyais qu’il prendrait soin de moi. Et voilà pourquoi je regrette mon mari ; pourquoi, mon fils ; pourquoi je me frappe la poitrine ; pourquoi je gémis ; je crois en la résurrection, mais je suis abandonnée, sans secours ; j’ai perdu mon protecteur, celui qui habitait avec moi, dont la vie était liée à la mienne, celui qui me consolait ; de là mon deuil ; je sais bien qu’il ressuscitera, mais je ne puis, en attendant, supporter la séparation ; une multitude d’affaires tourbillonnent sur moi ; je suis exposée à tous ceux qui veulent me nuire ; mes serviteurs, qui me craignaient auparavant, aujourd’hui me méprisent et m’insultent ; celui que mon époux a bien traité, a oublié aujourd’hui ses bienfaits ; mais celui qui a souffert de lui quelque rigueur, garde rancune à l’homme qui n’est plus, et tourne contre moi sa colère. C’est ce qui fait que je ne supporte pas mon veuvage, que mon deuil ne saurait être paisible, et voilà pourquoi je me frappe la poitrine, voilà pourquoi je me lamente.

Comment donc nous y prendre pour consoler ces femmes ? Que leur dire ? Comment bannir, loin d’elles, le chagrin ? D’abord, j’essaierai de leur prouver que ce ne sont pas là des paroles qui expriment la douleur ; que c’est le langage de tout ce qu’il y a, en réalité, de plus déraisonnable dans la passion. En effet, si vous avez de la douleur pour ce que vous dites, il faudrait pleurer toujours celui qui est parti ; si, au contraire, au bout d’un an, vous l’avez aussi bien oublié que s’il n’avait jamais existé, ce qui vous fait pleurer, ce n’est pas celui qui n’est plus, ni sa tutelle que vous avez perdue ; mais c’est la séparation qui vous est insupportable ; et vous ne pouvez vous résigner à voir vos relations rompues. – Eh bien ! que diront celles qui convolent à de secondes noces ? assurément ce n’est pas le premier mariage qu’elles regrettent ; mais laissons-les, ne nous adressons qu’à celles dont la douleur est fidèle à ceux qui, ne sont plus. Pourquoi pleurez-vous votre enfant ? Pourquoi pleurez-vous votre mari ? C’est que je n’ai pas joui de l’un ; c’est que je m’attendais à jouir de l’autre plus longtemps. Je vous le demande, quel manque de foi que de penser qu’un mari, qu’un enfant puisse vous assurer un bonheur qui ne vous serait pas assuré par Dieu ? Comment ne voyez-vous pas que c’est Dieu que vous irritez ? Si le Seigneur vous prend ces objets de votre tendresse, souvent c’est pour que vous ne vous y attachiez pas, en renonçant aux espérances d’en haut ; car le Seigneur est un Dieu jaloux, et ce qu’il veut surtout de nous, c’est notre amour, et cela parce qu’il est pour nous plein d’amour. Vous savez bien comment se comporte l’amour ardent ; celui qui aime, est jaloux jusqu’à mieux aimer perdre la vie, que de se voir préférer un rival ; et voilà pourquoi Dieu vous a pris votre mari ou votre enfant ; c’est à cause de ces paroles que vous avez prononcées.

3. Expliquez-moi, en effet, pourquoi, dans les anciens temps, il n’y avait ni veuvage, ni perte prématurée ; pourquoi Abraham et Isaac vécurent si longtemps ; c’est parce que Isaac, étant plein de vie, Abraham lui préféra Dieu. En effet, Dieu lui dit : Va me l’immoler. Et Abraham immola son fils. Pourquoi Sara atteignit-elle une si longue vieillesse ? C’est parce que Sara étant pleine de vie, Abraham écouta Dieu plus que Sara ; aussi Dieu lui disait : « Écoute Sara ton épouse ». (Gen. 21,12). Ni l’amour pour un mari, ni l’amour pour une femme, ni l’intérêt pour un enfant, n’excitait alors la colère de Dieu. Mais aujourd’hui que nous sommes penchés vers la terre et tout à fait déchus, maris, nous aimons nos femmes plus que Dieu ; femmes, nous nous attachons à nos maris plus qu’à Dieu ; et alors Dieu, malgré nous, nous rappelle à son amour. N’aime pas ton mari plus que Dieu, et tu ne sentiras jamais le veuvage ; je dis plus, supposé que tu sois veuve, tu ne sentiras pas ton état. Pourquoi ? c’est que tu as pour défenseur un ami plus tendre, un protecteur immortel. Si tu aimes Dieu plus que tout, ne pleure pas ; car celui que tu aimes plus que tout, est immortel, et il ne permet pas que tu sois sensible à la perte du moins aimé. Un exemple vous prouvera cette vérité ; répondez-moi, vous avez un mari, qui fait tout au gré de vos désirs ; la considération l’entoure ; il répand la gloire tout autour de vous ; il chasse loin de vous tous les mépris ; c’est un homme fameux auprès de tous, plein de sagesse, d’habileté, d’amour pour vous ; vous êtes heureuse par lui ; il vous donne un fils, et ce fils, avant l’âge, s’en va ; est-ce que vous sentirez le deuil ? nullement. Celui qui est plus aimé, rend la perte moins sensible. Eh bien, maintenant, si vous avez plus d’amour pour Dieu que pour votre mari, Dieu ne vous l’enlèvera pas aussi vite ; s’il vous l’enlève, vous n’en ressentirez pas le deuil ; voilà pourquoi le bienheureux Job n’a pas éprouvé une douleur trop amère en apprenant, coup sur coup, la mort de ses enfants ; il aimait Dieu plus que ses fils. L’objet aimé étant plein de vie, ses pertes n’étaient pas faites pour l’abattre.

Que dis-tu, ô femme, ton mari et ton fils te défendaient et veillaient sur toi, et Dieu te traite avec rigueur ? Ce mari, qui te l’a donné ? N’est-ce pas Dieu ? Et toi-même, qui est-ce qui t’a faite ? N’est-ce pas Dieu ? Tu n’étais pas, et il t’a donné l’être ; et il a mis en toi une âme ; et il t’a douée de pensées ; et il a daigné se faire connaître à toi ; et, à cause de toi, il a traité avec rigueur son Fils unique ; et tu dis que c’est toi qu’il traite avec rigueur ; et tu dis que celui qui est esclave comme toi, a pour toi moins de rigueur ? Quelle colère n’excitent pas de telles paroles ? Qu’as-tu reçu, quel pareil bienfait as-tu éprouvé de la part de ton mari ? Tu ne saurais le dire. Si quelquefois il t’a traitée avec bienveillance, sa bienveillance était provoquée par la tienne qui avait commencé. Mais à propos de Dieu, ce langage est impossible ; quand Dieu nous comble de ses bienfaits, ce n’est pas pour répondre aux nôtres, il n’a besoin de personne, il n’écoute que sa seule bonté, pour faire du bien aux hommes ; il t’a promis le royaume du ciel, il t’a donné la vie immortelle, la gloire, la fraternité, l’adoption des enfants de Dieu ; il t’a faite cohéritière de son Fils unique ; et toi, après tant de bienfaits, tu penses encore à ton mari ? De quels dons t’a-t-il gratifiée, qui ressemblent à ces dons ?

Le Seigneur a fait lever pour toi son soleil, et il t’a envoyé la pluie ; il te nourrit des fruits des saisons ; malheur à notre ingratitude. Il te prend ton mari pour que tu n’y attaches pas toute ton âme, et toi, tu t’obstines à poursuivre celui qui est parti ; et tu renonces à Dieu quand tu devrais le bénir, quand tu devrais te jeter tout entière dans ses bras ; car enfin, qu’as-tu reçu de ton mari ? Les douleurs de l’enfantement, les fatigues, les outrages, et souvent les querelles, et les reproches, et les paroles d’indignation. N’est-ce pas là ce qu’il faut attendre des maris ? Mais il y a aussi, me répond cette femme, d’autres présents bien doux. Quels sont-ils ? Il m’a revêtue de vêtements somptueux, il a couvert d’or mon visage, il m’a faite considérable pour tous. Eh bien, si vous voulez, Dieu vous donnera un ornement bien plus riche, car l’or est mie parure moins splendide que l’honnêteté. Notre Roi a aussi des vêtements qui ne ressemblent pas à ceux de la terre, qui sont bien plus riches ; il ne tient qu’à vous de les revêtir. Quels sont-ils ? Des vêtements brochés d’or ; vous n’avez qu’à vouloir, pour en revêtir votre âme. Mais votre mari vous a rendue considérable parmi les hommes ; quelle merveille ! le veuvage vous a rendue respectable pour les démons. Autrefois, vous commandiez à vos serviteurs, je veux bien dire que vous leur commandiez ; aujourd’hui vous avez pour serviteurs, soumis à votre empire, les puissances incorporelles, les principautés, les dominations, le prince de ce monde. Et maintenant, vous ne me parlez pas des chagrins qui vous tourmentaient avec votre mari ; si parfois vous aviez à craindre les magistrats, si parfois ; dans le voisinage, d’autres personnes étaient plus considérées que vous ; aujourd’hui, vous êtes affranchie de tous ces soucis, et de la terreur, et de la crainte. Mais voilà ce qui vous inquiète : qui les nourrira, ces enfants qui vous restent ? Le père des orphelins ; car qui vous les a donnés ? répondez-moi. N’entendez-vous pas le Christ dire dans l’Évangile : « La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? » (Mt. 6,25)

4. Voyez-vous que ces lamentations ne viennent pas d’une affection dont l’âme s’est fait une habitude, mais du manque de foi ? Mais les enfants n’ont plus une position si brillante, une fois que leur père est mort. Pourquoi ? Dieu est leur père, et leur position a cessé d’être brillante ? Combien vous en montrerai-je d’enfants élevés par des veuves, qui ont acquis de la considération ? Combien furent élevés par leur père, qui ont péri ? Car, si vous les élevez comme il convient, dès le premier âge, ils jouiront d’un plus grand bienfait que de la sollicitude paternelle. Et voilà la fonction des veuves, elles doivent élever leurs fils. Écoutez ce que dit saint Paul « Si elle a bien élevé ses enfants » ; et ailleurs « Elle se sauvera par les enfants qu’elle aura mis au monde » (l’apôtre ne dit pas par son mari) « s’ils persévèrent dans la foi, dans la charité, dans la sainteté et dans une vie bien réglée ». (1Tim. 5,10 et 2, 15) Inspirez-leur la crainte de Dieu dès l’enfance, et il les gardera mieux que n’importe quel père ; ce sera là, pour eux, le mur indestructible. En effet, quand le gardien réside à l’intérieur, nous n’avons pas besoin des appuis du dehors ; si au contraire ce gardien manque, toutes les choses du dehors sont inutiles. Voilà ce qui leur tiendra lieu de richesse, de gloire, de parure ; voilà qui fera leur splendeur, non seulement sur la terre, mais dans les cieux. Ne regardez pas ceux qui ont des ceintures d’or, ceux que portent des coursiers, ceux qui brillent, dans les palais des rois, de l’éclat de leurs pères, ceux qui ont un cortège de serviteurs et de pédagogues.

Voilà peut-être ce qui excite les lamentations des veuves sur leurs fils orphelins ; elles pensent, elles se disent : Si mon fils avait encore son père, il jouirait de toute cette félicité, tandis que maintenant le voilà abaissé, sans honneur ; nul n’a de considération pour lui. Bannis ces pensées, ô femme ; ouvre-toi les portes du ciel par les conceptions de ton esprit ; contemple la royauté d’en-haut, c’est là que le vrai roi réside ; considère ceux qui demeurent sur la terre : peuvent-ils être revêtus de plus de gloire que ton fils, élevé à ces hauteurs ? Gémis alors, si tu peux. S’il est sur la terre quelque gloire, il n’en faut tenir aucun compte ; tu peux te représenter ton fils comme un soldat du ciel, enrôlé dans cette sublime armée. Les soldats de là-haut ne montent pas des chevaux ; leurs coursiers sont les nuages ; ils ne se traînent pas sur la terre, ils volent dans le ciel ; ils n’ont pas des esclaves précédant leur marche, ce sont les anges (lui vont devant eux ; ils n’escortent pas un roi mortel, mais le Roi qui possède en propre l’immortalité, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs ; ils n’entourent pas leurs reins d’une ceinture vulgaire, mais d’une gloire ineffable ; et ils éclipsent les rois et tous ceux qu’on honore et qu’on estime ; car, dans cette résidence royale, on ne recherche ni trésors, ni noblesse, ni rien de pareil ; on ne recherche que la vertu ; et, avec elle, rien ne manque et l’on est au premier rang.

Rien ne nous est difficile, si nous voulons être sages. Lève les yeux au ciel, et vois de combien ces hauteurs dominent le faîte des rois. Si, de ces rois supérieurs, les parvis sont tellement magnifiques, que les palais des rois de la terre ne sont plus que de la boue ; si l’un de nous peut mériter de voir de près, dans toutes ses parties, cette sublime demeure, quelle ne sera pas sa félicité ? « La veuve qui est vraiment veuve et abandonnée », dit l’apôtre, « espère en Dieu ». (1Tim. 5,5) À qui adressé-je ces paroles ? Aux veuves qui ont des enfants, parce qu’elles sont de beaucoup plus considérables aux yeux de Dieu ; parce qu’elles ont une plus grande occasion de plaire à Dieu ; parce que tous leurs liens sont brisés ; parce qu’elles n’ont plus rien qui les retienne ; parce qu’elles n’ont plus de chaînes à traîner. Tu es séparée de ton mari, mais tu es unie à Dieu ; tu n’as plus de compagnon d’esclavage partageant son existence avec toi, partage ton existence avec le Seigneur. Lorsque tu pries, n’est-ce pas avec Dieu que tu t’entretiens ? réponds-moi. Lorsque tu fais la lecture, écoute sa voix qui te parle ; que te dit-il ? Des paroles bien plus désirables que les paroles d’un époux. Un époux, même quand il vous flatte, ne vous fait pas grand honneur ; ce n’est qu’un compagnon d’esclavage ; mais quand le Seigneur flatte sa servante, c’est alors que l’affection bienveillante est précieuse. Comment le Seigneur nous témoigne-t-il sa bonté ? Écoutez ses paroles : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, et je vous soulagerai » ; et encore, il nous crie par le Prophète : « Une mère peut-elle oublier son enfant, et n’avoir point compassion du fils qu’elle a porté dans ses entrailles ; mais, quand même elle l’oublierait, pour moi, je ne vous oublierai jamais ». (Is. 49,15) Quelles paroles d’amour ! Et ailleurs : « Tournez-vous vers moi » ; et dans un autre passage encore : « Tourne-toi vers moi, et tu seras sauvé ». (Is. 4,5, 22 ; 44, 22) Si l’on veut recueillir, dans le Cantique des cantiques, d’autres expressions plus mystiques : « Ma colombe, mon unique beauté ». (Cant. 2,10) Voilà ce que dit le Seigneur à l’âme qu’il chérit. Quoi de plus doux que ces paroles ? Voyez-vous l’entretien de Dieu avec l’homme ?

Eh quoi ? dites-moi ; ne voyez-vous pas combien de fils de ces femmes bienheureuses, sont partis, sont couchés dans les tombeaux ; combien de femmes ont souffert des douleurs plus cruelles, perdant leur mari, avant de perdre leurs enfants ? Élevons nos âmes, appliquons-les aux divines promesses, méditons-les, et aucun chagrin ne nous accablera, et nous passerons notre vie entière dans la joie spirituelle, et nous jouirons des biens de l’éternité. Puissions-nous tous les obtenir par la grâce et par la bonté, etc.

HOMÉLIE VII.


JE NE VEUX PAS QUE VOUS IGNORIEZ, MES FRÈRES, CE QUE VOUS DEVEZ SAVOIR TOUCHANT CEUX QUI DORMENT DU SOMMEIL DE LA MORT, AFIN QUE VOUS NE VOUS ATTRISTIEZ PAS, COMME FONT LES AUTRES HOMMES, QUI N’ONT PAS L’ESPÉRANCE. (IV, 12 ET 13)


Analyse.

  1. Sur le dogme de la résurrection. – Le Christ a réellement revêtu notre chair ; autrement la résurrection n’a pas de sens. – Il faut distinguer la résurrection universelle, et la résurrection individuelle et particulière.

2. Des objections qu’on opposait au dogme de la Résurrection. – Sur la métempsycose à diverses erreurs des Grecs. – Images naturelles pour faciliter la foi en la résurrection.

3. Nous ne savons rien de rien, nous ne comprenons rien ; rien n’est impossible à Dieu.

1. Bien des douleurs ne nous viennent que de notre ignorance, à ce point que si nous étions instruits, nous bannirions la tristesse. C’est ce que Paul fait voir par ces paroles : « Je ne veux pas que vous ignoriez, afin que vous ne vous attristiez pas, comme font les autres hommes, qui n’ont pas l’espérance ». Que leur défendez-vous d’ignorer ? Le dogme de la Résurrection, dit l’apôtre. Mais pourquoi ne leur dites-vous pas : Le châtiment réservé à qui ne connaît pas le dogme de la Résurrection ? C’est que c’était chose manifeste et avouée, et qu’à cette pensée du châtiment facile à sous-entendre, il en voulait ajouter une autre aussi très-profitable. Ils croyaient à la résurrection, ce qui ne les empêchait pas de se lamenter, de là les paroles de l’apôtre. Il ne tient pas le même langage aux incrédules, et à ceux dont il s’occupe ici : car évidemment ces derniers, puisqu’ils s’inquiétaient des temps, n’ignoraient pas le dogme.

« Car si nous croyons », dit l’apôtre, « que Jésus est mort et ressuscité et vivant, nous devons croire aussi que Dieu amènera avec Jésus, ceux qui se seront endormis en lui (13) ». Où sont-ils ceux qui ne veulent pas que le Seigneur ait réellement pris notre chair ? Évidemment, s’il ne s’est pas incarné, il n’est pas mort ; mais, s’il n’est pas mort, il n’est pas ressuscité. Que deviennent les raisons que l’apôtre nous donne pour nous porter à la foi ? Faut-il n’y voir, comme font les contradicteurs, qu’une frivole imposture ? Car si la mort est le fait du péché, comme le Christ est sans péché, que deviennent les exhortations de l’apôtre ? Et maintenant pourquoi dit-il encore : « Comme font les autres hommes qui n’ont pas l’espérance ? » C’est comme s’il disait : Que pleurez-vous, ô hommes ? sur qui vous affligez-vous ? sur les pécheurs, ou simplement sur tous ceux qui meurent ? Et ceux qui n’espèrent pas en la résurrection, que pleurent-ils eux-mêmes, puisque tout est néant pour eux ? « Le premier-né », dit l’apôtre, « d’entre les morts » (Col. 1,18), c’est-à-dire les prémices. Donc, puisqu’il y a des prémices, il faut qu’il y ait une suite. Maintenant voyez, l’apôtre s’abstient ici de raisonnements, parce qu’il s’adressait à des âmes bien disposées. Mais quand il écrit aux Corinthiens, il développe les preuves et il ajoute : « Insensés que vous êtes, ce que vous semez ne se vivifie-t-il pas ? » (1Cor. 15,36) Son langage d’aujourd’hui avec les Thessaloniciens, convient mieux, à la condition de s’adresser à des fidèles : les mêmes paroles, aux gentils, quelle efficacité auraient-elles pu avoir ?

« Nous devons croire aussi », dit l’apôtre, « que Dieu amènera, avec Jésus, ceux qui se seront endormis en lui ». Encore, « ceux qui se seront endormis » ; il ne dit jamais, les morts. À propos du Christ, il lui a bien fallu dire « est mort », avant de dire qu’il est ressuscité ; mais ici : « Ceux qui se seront endormis en Jésus ». Ou il faut entendre, par ces paroles, ceux qui se sont endormis ayant la foi dans Jésus, ou l’apôtre déclare que Dieu, par le moyen de Jésus, réunira ceux qui se seront endormis, à savoir les fidèles. Ici les hérétiques prétendent qu’il s’agit de ceux qui ont reçu le baptême. Mais alors que signifie le : Nous devons croire « aussi ? » En effet, Jésus ne s’est pas endormi dans le baptême. Pourquoi donc l’apôtre dit-il : « Ceux qui se seront endormis ? » C’est qu’il ne parle pas d’une résurrection universelle, mais d’une résurrection particulière. « Dieu amènera, avec Jésus, ceux qui se seront endormis avec lui », dit l’apôtre, et c’est sa manière de parler dans un grand nombre d’endroits.

« Ainsi nous vous déclarons, comme l’ayant appris du Seigneur, que nous, qui sommes vivants, et qui sommes réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont dans le sommeil (14) ». C’est en parlant des fidèles qu’il dit encore : « Ceux qui se seront endormis avec le Christ ». Ailleurs : « Les morts ressusciteront ». Ensuite, ce n’est plus seulement de la résurrection qu’il traite, mais, et de la résurrection, et du degré d’honneur au sein de la gloire. Tous jouiront de la résurrection, dit-il ; quant à la gloire, tous n’y participeront pas, mais ceux qui se seront endormis « avec le Christ ». Donc l’apôtre, jaloux de les consoler, ne les console pas seulement par la résurrection, mais par tous les honneurs qui les attendent, et par la brièveté du temps qui les en sépare ; ce qu’il fait, parce qu’ils connaissaient le dogme de la Résurrection. La preuve que c’est par tous ces honneurs qu’il les veut consoler, c’est la suite de ses paroles : « Et nous serons toujours avec le Seigneur, et nous serons ravis dans les nuages ». (1Cor. 15) Mais comment les fidèles se sont-ils endormis avec Jésus ? C’est-à-dire qu’ils possèdent le Christ en eux. Quant à cette expression, « amènera avec Jésus », c’est pour montrer qu’on les amène de tous les côtés. « Nous vous déclarons », dit l’Apôtre, « comme l’ayant appris du Seigneur ». Sur le point d’annoncer une vérité aussi étrange, il prend les précautions nécessaires pour opérer la persuasion : « Comme l’ayant appris du Seigneur », dit-il ; ce qui signifie, nous ne parlons pas de nous-mêmes ; nous vous disons ce que le Christ nous a enseigné : « Que nous qui sommes vivants, et qui sommes réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont dans le sommeil » : C’est ce qu’expriment ces paroles de la lettre aux Corinthiens : « En un moment, en un clin d’œil… » (Ibid), où l’apôtre assure la foi à la résurrection par la manière même dont elle doit s’accomplir.

2. C’est qu’aussi l’on objectait des difficultés naturelles ; alors l’apôtre montre qu’il est aussi facile à Dieu d’enlever les morts que les vivants. Quant à ce mot : « Nous », il ne l’applique pas à lui-même, car il ne devait pas vivre jusqu’à l’époque de la résurrection, mais il l’applique aux fidèles ; voilà pourquoi il ajoute : « Qui sommes réservés pour l’avènement du Seigneur, nous ne préviendrons pas ceux qui sont dans le sommeil ». C’est comme s’il disait : Ne créez pas des difficultés, lorsque vous entendez dire que les vivants d’alors ne préviendront pas les morts tombés en dissolution, en putréfaction, ceux qui sont morts depuis des milliers d’années ; c’est Dieu qui fait tout. Et, comme il lui est facile de faire comparaître ceux qui ont tous leurs membres, il lui est également facile de faire venir ceux qui sont décomposés. Mais il y a des personnes qui ne croient pas à ces choses, dans l’ignorance où elles sont de Dieu. Lequel, dites-moi, est le plus facile de faire venir du néant à l’existence, ou de ressusciter ce qui était décomposé ?

Mais que disent les incrédules ? Un tel a souffert un naufrage, et il a été englouti, et, dans la chute qu’il a faite au fond de l’eau, de nombreux poissons l’ont reçu. Et chacun de ces poissons lui a mangé un membre ; et ensuite, de ces poissons mêmes, l’un a été pris dans un tel golfe, l’autre, dans tel autre, et celui-ci a été mangé par celui-là, et celui-là par un troisième. Et maintenant ceux qui ont mangé les poissons, par qui l’homme a été dévoré, ont péri ; les uns, dans telle contrée ; les autres, dans telle autre, et ces mangeurs de poissons ont été mangés des vers : dans cette confusion, dans cette dispersion, le moyen de croire à une résurrection ? Qui rassemblerait cette poussière ? À quoi tend ce discours, ô homme, et que signifie cet enchaînement de réflexions frivoles dans un problème inexplicable ? Car, répondez-moi, si cet homme n’était pas tombé dans la mer, si un poisson ne l’avait pas mangé ; si ce poisson n’avait pas été lui-même mangé par des hommes sans nombre ; si ce mort eût été déposé, après les funérailles ordinaires, dans un tombeau, à l’abri des vers, hors de toute atteinte nuisible, expliquez encore la résurrection, après la dissolution, expliquez la poussière et la cendre qui se rattachent, pour se coller ensemble ; expliquez d’où peut renaître la fleur de la vie dans un cadavre. N’y a-t-il pas là un mystère inexplicable ? Si ce sont des grecs qui nous opposent ces doutes, nos réponses seront interminables ; car enfin, n’ont-ils pas, au milieu d’eux, des penseurs qui donnent des âmes aux plantes, à des arbres, à des chiens ? Lequel est le plus facile, dites-moi, de reprendre possession de son corps, ou de revêtir un corps étranger ? Il en est d’autres qui parlent d’un feu qui consume tout, et qui croient à la résurrection des vêtements et des chaussures, et on ne les tourne pas en ridicule ; d’autres arrivent avec leurs atomes. Quant à ceux-là, nous n’avons rien à leur dire. Mais pour les fidèles, si toutefois il faut appeler fidèles ceux qui nous interrogent, nous leur dirons comme l’apôtre, que c’est de la corruption que vient toute vie, toute plante, tout germe. (1Cor. 15,36)

Ne voyez-vous pas le figuier ? Quel tronc, que de souches et que de feuilles, de rameaux ; de bourgeons, de racines, qui se prolongent, qui s’entrelacent ; et cet arbre si grand, dont vous voyez la nature, naît de ce grain ; jeté de haut en bas, et qui se corrompt et qui meurt ; car, s’il ne devient pas poussière et dissolution, rien ne se fera. Expliquez-moi cet effet-; et la vigne, si belle à voir, et dont le fruit est si doux, sort de ce grain d’une forme si laide. Et enfin, répondez-moi, n’est-ce pas de l’eau seulement qui tombe d’en haut ; et comment cette eau, qui est une par sa nature, subit-elle de si nombreuses transformations ? Car voilà qui est bien plus merveilleux que la résurrection. Là même germe, même planté, même substance, une grande parenté ; ici, dans la pluie, une seule et même qualité, une seule et même nature ; comment donc subit-elle de si nombreux changements ? La vigne produit du vin, et non seulement du vin, mais, et des feuilles, et la sève. Et en effet, ce n’est pas seulement la grappe, mais tout le reste, tout ce qu’on voit dans la vigne, qui en tire sa nourriture. Et de même l’olivier produit, avec l’huile, tout ce qui sort de l’olivier ; et remarquez cette merveille : ici l’humide, là le sec ; ici le doux, là l’aigre ; ici l’astringent, là l’amer ; d’où viennent, répondez-moi, tant de changements ? Donnez-moi l’explication ; impossible à vous. Et maintenant, considérez-vous vous-mêmes, je vous en prie, car voilà un, sujet qui est plus près de vous. Cette première semence, comment se change-t-elle de manière à former des yeux, des oreilles, des mains, un cœur ? D’où lui viennent tant de formes qui la dessinent ? Ne voyez-vous pas, dans le corps, d’innombrables différences de figure, de grandeur, de qualité, de position, de puissance, d’harmonie ? Comment des nerfs, des veines, des chairs, des os, des membranes, des artères, des muscles, des cartilages et bien d’autres choses particulières, que les médecins connaissent et dont ils parlent d’une manière exacte, qui sont des attributs de notre nature, comment tout cela vient-il d’une seule et même semence ? Cette merveille ne vous semble-t-elle pas bien plus complexe, bien plus inexplicable ? Comment l’humide et le mou se réunissent-ils de manière à former ce qui est dur et froid, à former un os ? de manière à produire le chaud et l’humide, réunis dans le sang ? le froid et le mou, réunis dans le nerf ? le froid et l’humide, réunis dans l’artère ? D’où vient tout cela, répondez-moi ? D’où vient que vous ne doutez pas ? Ne voyez-vous pas, chaque jour, la résurrection et la mort dans l’écoulement des âges ? Où s’en est allée la jeunesse ? D’où est venue la vieillesse ? Et comment ce quia vieilli, ce qui ne peut pas se donner la jeunesse à soi-même, enfante-t-il, dans un autre, l’enfance, plus jeune que la jeunesse ? Que ce que l’on ne peut se donner à soi-même, on le donne à un autre ?

3. C’est ce que nous montrent et les arbres et les animaux. Pourtant, ce qu’on donne à un autre, on devrait d’abord se le donner à soi-même ; mais c’est là une exigence de la raison humaine : quand Dieu agit, il faut que tout cède. Si ces mystères sont inexplicables, à tel point qu’il n’est rien de plus inexplicable, je ne puis m’empêcher de penser aux insensés dont l’esprit se travaille sur la génération incorporelle du Fils. Nous portons, dans nos mains, des choses mille fois étudiées, que nul ne peut comprendre. Comment donc se travailler ainsi au sujet de cette génération ineffable, inexprimable, répondez-moi ? Ne faut-il pas que la pensée succombe à scruter de telles profondeurs ? À quels vertiges ne s’expose pas l’esprit qui veut fixer son regard sur ces mystères ? N’éprouvera-t-il pas un éblouissement à le rendre stupide ? Eh bien ! non, ces esprits sont incorrigibles ; ils ont la vigne, ils ont le figuier, dont ils ne peuvent rien dire, et les voilà, sur Dieu, qui se travaillent ; car enfin, répondez-moi, comment ce grain se résout-il en feuilles et en souches ? Comment produit-il ce qui n’était pas, ce qu’on ne voyait pas auparavant en lui ? Mais ce n’est pas, me répond-on, un effet du grain ; tout ce travail vient de la terre. Eh bien ! alors, comment, sans ce grain, la terre ne produit-elle rien d’elle-même ? Mais ne déraisonnons pas. Ni la terre, ni le grain ne produisent cet effet ; c’est l’œuvre du Seigneur, qui commande à la terre et aux semences. Aussi, tantôt sans aucune semence, tantôt avec des semences, il a produit tout ce qui reçoit la naissance : tantôt il s’est contenté de montrer sa puissance, comme quand il dit « Que la terre produise de l’herbe verte » (Gen. 1,11) ; tantôt, il veut en nous montrant sa puissance, nous instruire, nous enseigner l’activité courageuse qui accepte les labeurs avec joie.

Pourquoi ce discours ? Ce n’est pas sans dessein ; c’est pour réveiller notre foi à la résurrection. Quand il nous arrivera de vouloir tout comprendre par notre seule raison, si l’intelligence nous est refusée, il faut que nous sachions nous résigner avec douceur, il faut que nous sachions nous abstenir avec sagesse, réprimer nos pensées, nous réfugier dans cette croyance, qu’il n’est rien d’impossible à Dieu, rien pour lui de difficile.

Donc, instruits de ces vérités, mettons un frein à nos pensées, ne franchissons pas nos limites, les bornes imposées à notre connaissance ; car, dit l’apôtre, « si quelqu’un se flatte de savoir quelque chose, il ne sait encore rien comme il faut le savoir ». (1Cor. 8,2) Je ne parle pas de Dieu, dit-il, mais de quelque chose que ce soit. Car, que voulez-vous savoir de la terre ? qu’en connaissez-vous, répondez-moi ? Sa mesure ? sa grandeur ? sa position ? sa substance ? le lieu qu’elle occupe ? où elle se tient ? sur quoi elle s’appuie ? sur tout cela vous serez toujours muet. Qu’elle est froide, sèche et noire, à la bonne heure ; mais en dire plus, impossible. Mais de la mer ? même embarras pour vous, difficultés inexplicables ; attendu que vous ne savez, ni où elle commence, ni où elle s’arrête ; sur quoi elle s’appuie ; qui en porte le fondement ; quel est son lieu ; si, après la mer, il y a un continent, ou de l’eau et de l’air ; et maintenant, des choses qu’elle renferme que savez-vous ? Et de l’air ? Et des éléments ? Jamais vous n’en pourrez rien dire ; je laisse ces sujets. Voulez-vous, parmi les plantes, prendre ce qu’il y a de moins considérable, ce gazon qui ne porte pas de fruit, que nous connaissons tous ; expliquez-m’en la naissance. N’a-t-il pas pour substance de l’eau, de la terre, du fumier ? D’où lui vient sa beauté, son admirable couleur ? et d’où vient que cette beauté se flétrit ? Ni la terre, ni l’eau n’ont produit cet ouvrage. Ne voyez-vous pas que partout c’est de la foi qu’il nous faut ? D’où vient que la terre produit ? D’où vient que la terre enfante ? répondez-moi. Impossible à vous ; apprenez, ô homme, par les choses d’en bas, par tout ce qu’elles contiennent, à ne pas scruter inutilement, curieusement le ciel.

Et si encore vous ne scrutiez que le ciel, et non le Dieu du ciel ? Vous ne connaissez pas, répondez-moi, la terre dont vous êtes né, où vous prenez votre nourriture, où vous habitez, que vous foulez aux pieds, sans laquelle vous ne pouvez même pas respirer ; et, sur des choses si éloignées de vous, vous exercez votre curiosité ? Vraiment l’homme n’est que vanité. Et si l’on vous ordonnait de descendre au fond de l’abîme, de rechercher ce qu’il y a au fond de la mer, vous ne supporteriez pas un pareil ordre ; et quand personne ne vous y force, de vous-même, vous voulez embrasser l’abîme qu’il est impossible de sonder ? Cessez, je vous en conjure ; naviguons à la surface, ne nous mettons pas à nager dans les raisonnements ; la fatigue nous prendrait bien vite ; nous serions engloutis dans les ondes ; servons-nous des divines Écritures comme d’un navire ; déployons les voiles de la foi. Si nous montons sur ce navire-là, nous aurons pour pilote, la parole de Dieu : si au contraire nous nous jetons à la nage au milieu des raisonnements humains, plus d’espoir. Car, pour ceux qui voguent ainsi, où est le pilote ? Double danger, absence de navire, absence de pilote. Si la barque est en péril quand il n’y a pas de pilote, du moment qu’il n’y a ni pilote ni barque, quelle peut être l’espérance du salut ? Ne nous jetons pas dans un péril manifeste ; assurons notre marche en nous suspendant à l’ancre sacrée ; c’est ainsi que nous naviguerons jusqu’au port tranquille, avec une riche cargaison, et dans une pleine sécurité, et nous obtiendrons les biens réservés à ceux qui chérissent Dieu, dans le Christ Notre-Seigneur, auquel appartient, ainsi qu’au Père, etc.

HOMÉLIE VIII.


AINSI NOUS VOUS DÉCLARONS, COMME L’AYANT APPRIS DU SEIGNEUR, QUE NOUS, QUI SOMMES VIVANTS, ET QUI SOMMES RÉSERVÉS POUR SON AVÈNEMENT, NOUS NE PRÉVIENDRONS POINT CEUX QUI SONT DANS LE SOMMEIL DE LA MORT ; CAR AUSSITÔT QUE LE SIGNAL AURA ÉTÉ DONNÉ PAR LA VOIX DE L’ARCHANGE, ET PAR LE SON DE LA TROMPETTE DE DIEU, LE SEIGNEUR LUI-MÊME DESCENDRA DU CIEL, ET CEUX QUI SERONT MORTS EN JÉSUS-CHRIST, RESSUSCITERONT D’ABORD ; PUIS, NOUS AUTRES, QUI SOMMES VIVANTS, ET QUI AURONS ÉTÉ RÉSERVÉS JUSQU’ALORS, NOUS SERONS EMPORTÉS AVEC EUX DANS LES NUÉES, POUR ALLER AU-DEVANT DU SEIGNEUR AU MILIEU DE L’AIR ; ET AINSI NOUS SERONS POUR JAMAIS AVEC LE SEIGNEUR. (CH. IV. 14, 15, 16, 17)


Analyse.

  1. Différence entre la manière des prophètes et celle de saint Paul, pour donner de l’autorité à leurs paroles. – De l’ordre des résurrections pour les morts des diverses époques, quand viendra le dernier jour. – Bonté de Dieu pour les hommes. – La résurrection, en un clin d’œil, effet de la divine puissance.
  2. Description du jugement dernier. – Soyons saisis d’épouvante comme si le fait allait s’accomplir. – Il ne faut pas se faire une objection de la bonté de Dieu. – Preuves qu’il a données de sa juste colère. – Le déluge.
  3. Sodome, Gomorrhe. – Contre le crime abominable de Sodome. – Les égarements de cette ville antique moins détestables que l’infamie présente. – Autre preuve de la colère de Dieu, Pharaon et son armée engloutis. – Punitions terribles infligées par Dieu, même à ceux qui croyaient en lui. – Ne nous rassurons pas, Dieu ne frappe pas toujours tout de suite. – Nous sommes plus coupables et nous avons moins d’excuses que les hommes d’autrefois.
  4. Divers châtiments infligés au peuple de Dieu. – Pestes, guerres, captivités, famines en Palestine. – Châtiments individuels ; Caïn. – Autres exemples, Saül, Ananie et Saphire. – N’y a-t-il pas, sous nos yeux, des forfaits impunis, dont la punition est inévitable ? – Les sages, parmi les païens, admettent la nécessité des châtiments. – Utilité de pareilles méditations.

1. Les prophètes, pour montrer combien leurs paroles sont dignes de foi, se hâtent de commencer ainsi : « Vision qu’a vue Isaïe ». (Is. 1, 1) Autre exemple : « Paroles que le Seigneur a adressées à Jérémie » (Jérémie, 1, 2) Et encore : « Voilà ce que dit le Seigneur », et autres expressions semblables. Beaucoup de prophètes encore voient Dieu lui-même assis, autant qu’ils peuvent le voir, mais Paul, qui ne le voit pas assis, qui le porte en lui-même, qui entend le Christ parler, au lieu de dire : « Voilà ce que dit le Seigneur », s’exprimait de cette manière : « Est-ce que vous voulez éprouver la puissance de Jésus-Christ qui parle en nous ? » (2Cor. 13,3) Et encore : « Paul, apôtre de Jésus-Christ », montrant par là qu’il ne dit rien de lui-même ; car l’apôtre ne fait qu’annoncer la parole de Celui dont il est l’apôtre. Et encore : « Je crois que j’ai aussi l’esprit de Dieu ». (1Cor. 7,40) Tous ces discours lui étaient donc inspirés par l’Esprit ; quant à celui qu’il tient maintenant, il l’a entendu de Dieu lui-même ; ainsi ce qu’il disait aux vieillards d’Éphèse : « il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Act. 20,35), c’étaient des paroles qu’il avait entendues dans le secret. Voyons donc ce qu’il dit maintenant. « Ainsi nous vous déclarons, comme l’ayant appris du Seigneur, que nous qui sommes vivants et qui sommes réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont dans le sommeil de la mort ; car, aussitôt que le signal aura été donné par la voix de l’archange, et par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel ».

C’est ce que le Christ en personne a dit : « Les puissances des cieux seront ébranlées ». (Mt. 24,29) Mais pourquoi ? « Et par le son de la trompette ». Nous voyons la même circonstance sur le Sinaï ; nous y voyons aussi des anges. Mais maintenant, que signifie, dans ce passage : « La voix de l’archange ? » Nous nous rappelons les paroles à propos des vierges : « Levez-vous, voici venir l’Époux ». (Mt. 25,6) Ou il exprime la même pensée, ou il prend une image de la cour impériale ; par analogie, les anges seront les ministres de la résurrection. Dieu, en effet, n’a qu’à dire : Que les morts ressuscitent, et la résurrection s’opère, non par la force des anges, mais par la seule énergie de sa parole. Comme si l’empereur donnait l’ordre de faire sortir des prisonniers que des ministres amèneraient, non en vertu de leur pouvoir propre, mais pour obéir à l’empereur. Le Christ dit ailleurs encore : « Il enverra ses anges, avec une trompette éclatante, et ils rassembleront les élus des quatre points du monde, depuis toutes les extrémités des cieux ». (Mt. 24,31) Et partout vous voyez les anges courant en tous sens. Quant à « l’archange », je crois que c’est celui qui commande les anges, et il leur crie : Faites que tous soient prêts, car voici le juge. Que signifie : « Par le son de la dernière trompette ? » C’est pour montrer qu’il y aura plusieurs trompettes, et que c’est au son de la dernière, que le juge descendra. « Et ceux qui seront morts en Jésus-Christ, ressusciteront d’abord ; puis, nous autres, qui sommes vivants et qui aurons été réservés jusqu’alors, nous serons emportés avec eux dans les nuées, pour aller au-devant du Seigneur, au milieu de l’air ; et ainsi nous serons pour jamais avec le Seigneur ». Consolez-vous donc les uns les autres par ces vérités. Mais si Dieu doit descendre, pourquoi serons-nous emportés ? C’est pour rendre à Dieu les honneurs qui lui sont dus. Lorsque l’empereur fait son entrée dans une ville, les dignitaires vont à sa rencontre ; mais ceux qui sont en jugement, demeurent dans l’intérieur de la ville, attendant le juge. À l’arrivée d’un bon père, ses enfants, ses dignes enfants, montent sur un char, et vont au-devant de lui pour l’embrasser. Au contraire, les serviteurs, qui l’ont offensé, restent dans la maison. Eli bien, nous serons transportés sur le char de notre Père ; c’est lui-même qui l’a mis dans les nuées, et nous serons emportés dans les nuées. Voyez quel Donneur pour nous : il descend, et nous allons à sa rencontre, et, bonheur suprême, ainsi nous serons avec lui. « Qui racontera les œuvres de la puissance du Seigneur et qui fera entendre toutes ses louanges ? » (Ps. 105,2) De combien de faveurs il a honoré la race des hommes !

Les premiers morts ressuscitent, et c’est ainsi que se fait la rencontre universelle. Abel, le premier de tous les morts, ira alors au-devant de Dieu, avec tous ceux qui vivaient de son temps. Les anciens morts n’auront rien de plus que les autres ; celui qui est mort depuis si longtemps, qui est resté tant d’années sur la terre, ira à la rencontre de Dieu, avec tous les morts de son temps, et tous les autres. Si ceux-là nous ont attendus pour nous voir couronnés, comme l’apôtre le dit ailleurs : « Dieu ayant voulu, par une faveur particulière qu’il nous a faite, qu’ils ne reçussent qu’avec nous l’accomplissement de leur « bonheur » (Héb. 11,40), à bien plus forte raison les attendrons-nous de notre côté ; ou plutôt, ils nous auront attendus, mais nous, nous n’attendrons pas un instant. En effet, la résurrection sera l’affaire d’un moment, d’un clin d’œil. Quant à ce que dit l’apôtre, qu’il se rassembleront, cela veut dire qu’ils ressusciteront de partout ; ce sont les anges qui les rassembleront. La résurrection sera l’effet de la puissance de Dieu, ordonnant à la terre de rendre le dépôt qu’elle a reçu, et aucun serviteur n’en sera l’agent. C’est ainsi que, lorsqu’il appela Lazare, il n’eut qu’à lui dire : « Lazare, viens dehors ». (Jn. 11,43) Quant à « conduire auprès de Dieu », c’est ce qui se fait par le ministère des anges. Mais, si les anges les rassemblent et courent de différents côtés, comment les morts, sont-ils ravis jusqu’au ciel ? C’est après la descente des anges que les morts seront ainsi ravis ; c’est après qu’ils auront été rassemblés ; cela se fera d’une manière soudaine et à l’insu de tous. On verra d’abord la terre en mouvement, un mélange de poussière ; et, en même temps, tous les corps se réveillant à la fois de toutes parts, et cela sans qu’aucun serviteur prête son ministère ; un ordre pur et simple suffit pour que la terre, qui était pleine, devienne vide. Considérez cet immense événement : tous les morts, depuis Adam jusqu’au jour actuel, debout, ensemble, avec leurs femmes et leurs enfants ; il faudra voir un tel tumulte pour le comprendre. Et de même que le monde a ignoré tout le mystère d’un Dieu fait homme, de même nul n’aura rien deviné de cette résurrection.

2. Eh bien donc, quand cet événement s’accomplira, alors on entendra la voix de l’archange, donnant ses ordres aux anges, faisant retentir ses cris, et l’on entendra aussi les trompettes, ou plutôt le son des trompettes. Quel sera le tremblement, quelle sera l’épouvante des vivants de la terre ? Car « l’une est prise, et l’autre renvoyée ; l’un est saisi, et l’autre renvoyé ». (Mt. 24,40-41 ; Lc. 17,34-35) Que ressentira-t-on quand on verra les autres enlevés dans les airs, et qu’on sera soi-même renvoyé ? Un tel spectacle n’inspirera-t-il pas plus de terreur que tous les enfers qu’on peut se représenter ? Eh bien, supposons donc que le fait s’accomplit maintenant. Si une mort subite, ou, au milieu des villes, un tremblement de terre, si des menaces bouleversent, on le sait, nos âmes ; quand nous verrons la terre en éclats, et partout tant de prodiges, quand nous entendrons les trompettes, quand nous entendrons la voix de l’archange plus retentissante que toutes les trompettes, quand nous verrons le ciel s’abaisser sur nous, quand nous le verrons lui-même, Lui, le Roi de l’univers, Dieu, que ressentirons-nous ? Ah ! frémissons, je vous en prie, et soyons saisis d’épouvante, comme si le fait allait s’accomplir. Que l’ajournement ne soit pas, pour nous, une pensée qui nous rassure ; puisqu’il faut absolument que le fait s’accomplisse, que pouvons-nous gagner à l’ajournement ? Quel tremblement alors ? Quelle épouvante ? Avez-vous vu quelquefois des condamnés qu’on mène à la mort ? Qu’éprouvent-ils, selon vous, quand ils font le chemin, jusqu’à la porte ? Combien faudrait-il de morts pour égaler ce supplice ? Que ne voudraient-ils pas et faire et endurer, pour être délivrés de cette sombre nuit qui les enveloppe ? J’en ai beaucoup entendu, que la clémence de l’empereur avait rappelés du supplice ; ils disaient, au retour, avoir vu des hommes qui ne leur paraissaient pas des hommes ; tel était le trouble, la stupeur, le bouleversement de leur âme.

Si la mort du corps produit en nous cette épouvante, quand viendra l’éternelle mort, que ressentirons-nous ? Et que dis-je de ceux qu’on mène à la mort ? La foule qui les entoure, se compose d’individus qui, pour la plupart, ne les connaissent pas. Supposez, dans cette foule, une personne dont les regards pussent lire au fond de leur âme ; qui pourrait être assez dur, assez ferme pour ne pas se sentir abattu, frappé d’anéantissement, glacé par la terreur ? Et maintenant, si cette mort, qui en saisit d’autres que nous, si cette mort qui ne diffère en rien du sommeil, produit une impression si profonde sur ceux qui n’ont pas à la subir ; à l’heure où nous-mêmes nous tomberons dans un état plus effroyable, quel ne sera pas notre abattement, notre consternation ? Non, non ; il faut m’en croire, il n’est pas de discours, de paroles, qui égalent l’impression qui nous attend.

Sans doute, me répond-on ; mais Dieu est si bon pour les hommes, et rien de tout cela n’arrivera. Ainsi les Écritures sont sans valeur ? Non, me répond-on ; il n’y a là qu’une menace pour nous porter à la sagesse. Eh bien ! si nous ne nous conformons pas à la sagesse, si nous persévérons dans le mal, Dieu n’infligera-t-il pas le châtiment, répondez-moi ? Et par conséquent il ne décernera pas, à la vertu, ses récompenses ? Au contraire, me répond – on, récompenser est une conduite conforme à sa nature, et ses bienfaits dépassent nos mérites. Voilà donc votre conclusion pour les récompenses, la promesse est vraie et se réalisera d’une manière absolue ; quant aux châtiments, il n’en est pas de même ; il n’y a là qu’une menace pour nous épouvanter. Comment m’y prendre pour vous persuader ? Je n’en sais rien. Si je dis que « leur ver ne mourra point, que leur feu ne s’éteindra point » (Mc. 9, 45) ; si je dis qu’ils s’en iront dans le feu éternel ; si je produis devant vous le riche déjà livré au supplice, pures menaces, me direz-vous. Comment m’y prendre pour vous persuader ? Satanique pensée qui rend la grâce inutile et qui ne fait que des indolents. Comment l’extirper, cette pensée ? Tout ce que nous vous dirons pris des Écritures, pures menaces, répondrez-vous ; mais cette réponse, suppose qu’elle s’applique à l’avenir, si vous l’objectez à ce qui est arrivé, à ce qui est accompli, est sans valeur. Vous avez tous entendu parler du déluge. Direz-vous aussi, pure menace ? N’est-ce pas là un événement, un fait accompli ? Vos discours ne sont que la répétition des discours d’autrefois ; durant cent ans, employés à la construction de l’arche, pendant que l’on formait la charpente, pendant que le juste annonçait la vengeance à grands cris, nul ne l’en croyait. Mais aussi pour n’avoir pas cru les paroles de la menace, ils eurent à subir la réalité du châtiment ; et c’est le sort qui nous attend, si nous ne voulons pas croire. Voilà pourquoi l’apôtre compare l’avènement du Seigneur aux jours de Noé. De même qu’on refusa de croire à l’ancien déluge, de même on ne veut pas croire au déluge de l’enfer. N’était-ce donc qu’une menace jadis ? L’événement ne s’est-il pas accompli ? Et celui qui infligea si soudainement le supplice alors, ne l’infligera-t-il pas, à bien plus forte raison, aujourd’hui encore ? Les attentats des anciens âges ne dépassaient pas ceux d’aujourd’hui ; qu’est-ce à dire ? « Alors », dit l’Écriture, « les enfants de Dieu allèrent trouver les filles des hommes » (Gen. 6,2) ; et le pêle-mêle était affreux ; et aujourd’hui quelle honte fait reculer ? Croyez-vous, oui ou non, au déluge, oui le prenez-vous pour une fable ? Les montagnes où l’arche s’est arrêtée l’attestent, je parle des montagnes de l’Arménie.

3. Les exemples me viennent en foule ; j’en prends un singulièrement manifeste. Quelqu’un de vous a-t-il jamais voyagé en Palestine ? Ce ne sont plus des paroles, mais des choses que je dis. – Quoique, à dire vrai, mes preuves de tout à l’heure fussent plus convaincantes que des réalités. Car ce que dit l’Écriture mérite plus notre foi, que ce que voient nos yeux. Eh bien donc, quelqu’un de vous a-t-il jamais voyagé en Palestine ? je pense que quelqu’un a fait ce voyage. Eh bien, vous qui avez vu le pays, servez-moi donc de témoins auprès de ceux qui n’y ont pas été. Au-dessus d’Ascalon et de Gaza, à l’endroit où cesse le Jourdain, il y a un pays immense, fertile ; disons mieux, il était fertile, car aujourd’hui il ne l’est plus ; c’était une contrée belle comme le paradis. « Loth vit », dit l’Écriture, « tout le pays autour du Jourdain et il était arrosé comme le paradis de Dieu ». (Gen. 13,10) Donc, c’était un pays tout en fleurs, rivalisant avec les plus belles contrées du monde, un pays dont la fertilité égalait celle du paradis de Dieu ; et il n’est pas aujourd’hui de désert plus désert. On y voit des arbres, et qui portent du fruit ; mais ce fruit est un monument de la colère de Dieu ; on y voit des cours d’eau, et le bois, et le fruit, ont une belle apparence ; et qui n’est pas prévenu se réjouit ; mais, prenez-les dans vos mains, ces fruits, vous les brisez ; pas de fruit, rien que de la poussière, rien que de la cendre à l’intérieur ; et tout est de même, dans toute cette terre ; vous croyez voir une pierre et vous ne voyez que de la cendre. Et que parlé-je de pierres, de bois et de terre, là où l’air même et les eaux manifestent la même calamité ? De même qu’un corps, dévoré par le feu, conserve sa forme, sa figure, que c’est le même aspect, mais que la force en est détruite ; de même, pour cette terre, elle n’a plus, rien de la terre ; tout n’y est plus que cendre. Des arbres et des fruits qui ne sont plus en rien, ni des arbres, ni des fruits ; de l’air et de l’eau, qui n’ont plus rien ni de l’air ni de l’eau ; car ces éléments mêmes ne sont plus que de la cendre. Cependant comment de l’air peut-il être dévoré par le feu ? – Comment l’eau peut-elle brûler, et rester de l’eau ? Le bois et les pierres peuvent brûler, mais pour l’air et pour l’eau, c’est absolument impossible. Impossible pour nous ; mais pour Celui qui les a faits, c’est un prodige possible. Cet air n’est donc plus qu’une fournaise ; l’eau n’est plus qu’une fournaise ; rien ne porte de fruit, rien n’engendre rien ; partout les traces, les images de la colère antique, les preuves de la colère à venir.

Sont-ce là des menaces en paroles ? n’est-ce là qu’un bruit de paroles ? Il est bien entendu que, pour moi, j’ajoute foi aux anciens exemples ; j’ajoute foi, aussi bien à ce que ne voient pas, qu’à ce que voient mes yeux. Mais je parle à l’incrédule, et ce que je dis doit suffire pour le forcer à croire. Que celui qui ne croit pas à l’enfer médite sur Sodome, réfléchisse sur Gomorrhe, sur le châtiment qui s’est effectué, qui dure encore. Témoignage du supplice éternel, pensées difficiles à supporter ; mais croyez-vous donc qu’il soit facile de supporter vos paroles qui soutiennent qu’il n’y a pas d’enfer ; qu’il n’y a, de la part de Dieu, qu’une simple menace ?

Que faites-vous, quand vous frappez ainsi de découragement le cœur du peuple ? Vous me forcez à vous tenir de pareils discours, vous qui ne croyez pas. Si vous aviez ajouté foi aux paroles du Christ, je ne serais pas forcé d’avoir recours à la réalité, pour provoquer votre foi. Mais puisque vous n’avez pas voulu accepter d’autres preuves, bon gré malgré, il faudra bien que vous soyez persuadés, car enfin qu’avez-vous à dire de Sodome ? Et voulez-vous savoir la cause de ce qui est arrivé alors ? c’était un péché funeste, exécrable, mais enfin, ce n’était qu’un péché, une passion insensée pour les jeunes enfants, et voilà ce qui a motivé cette punition. Mais aujourd’hui on les compte par milliers, les désordres pareils, les égarements plus funestes que ceux des anciens hommes. Eh bien, celui qui, pour un seul péché, répandit les flots d’une si terrible colère, sans égard pour les prières d’Abraham, sans égard pour Loth, habitant de ce pays, lequel, pour honorer les serviteurs de Dieu, exposait ses propres filles aux outrages, Dieu, en présence de tant de crimes qui sont les nôtres, nous ferait grâce ? Préjugé ridicule, frivolité, erreur, illusion du démon ! Voulez-vous un autre exemple ?

Vous connaissez suffisamment l’histoire de Pharaon, de ce roi des Égyptiens : vous connaissez la punition qu’il a subie, ses chars, ses chevaux, son armée entière, précipités avec lui au fond de la mer Rouge. Vous faut-il encore d’autres preuves ? car ce Pharaon était peut-être un impie ; je me trompe, il ne faut pas dire, peut-être ; c’était réellement un impie. Eh bien, vous faut-il des exemples, pris de ceux qui croyaient en Dieu, qui s’attachaient à Dieu, mais qui ne pratiquaient pas la vertu ? Voulez-vous les voir punis ? écoutez Paul : « Ne commettons point de fornication, comme quelques-uns d’entre eux commirent ce crime pour lequel vingt-trois mille furent frappés de mort en un seul jour ; ne murmurons point comme murmurèrent quelques-uns d’entre eux qui furent frappés de mort par l’exterminateur ; ne tentons point le Christ, comme le tentèrent quelques-uns d’entre eux qui furent tués par les serpents ». (1Cor. 10,8-40) Si la fornication, si les murmures ont produit un tel effet, quel traitement ne nous attireront pas nos crimes ? que si Dieu ne réclame pas tout de suite la vengeance, n’en soyez pas surpris. Les hommes d’autrefois ne connaissaient pas l’enfer, aussi étaient-ils frappés de châtiments soudains ; mais vous, qui, quelles que soient vos fautes, n’êtes pas punis, vous les expierez toutes là-bas. Eh quoi ! Dieu a puni ceux qui, auprès de nous, n’étaient que des enfants, pour de moindres péchés, de tels supplices, et il nous épargnera ? Ce discours ne peut se soutenir. Quand nos fautes égaleraient seulement les leurs, nous mériterions un plus rigoureux châtiment. Pourquoi ? parce que nous avons reçu la grâce avec plus d’abondance. Et maintenant que nous sommes plus souvent et plus gravement coupables, à quelle vengeance ne devons-nous pas nous attendre ? Ces anciens hommes, (n’allez pas croire que je sois surpris de leur supplice, que je veuille les absoudre, loin de moi cette pensée ; quand Dieu punit, celui qui condamne le jugement de Dieu exprime une pensée qui lui vient du démon ; donc je ne fais pas l’éloge des anciens hommes, je ne prétends pas les absoudre, je ne fais que montrer notre perversité), eh bien donc, ces hommes d’autrefois, s’ils murmuraient, c’est qu’ils arrivaient dans un désert ; mais nous, nous avons une patrie, et c’est à l’abri de nos maisons que nous proférons des murmures ; ces hommes d’autrefois encore, ils se livraient à la fornication, mais ils sortaient de l’Égypte, du sein d’un peuple corrompu, et c’est à peine s’ils étaient initiés à la loi ; mais nous, qui avons reçu de n os pères des enseignements pour nous sauver, nous méritons un châtiment plus rigoureux.

Vous faut-il encore d’autres exemples de punition ? Les châtiments soufferts dans la Palestine, les famines, les pestes, les guerres, les captivités ; captivité sous les Babyloniens, captivité sous les Assyriens ; les maux soufferts de la part, et des Macédoniens, et d’Adrien, et de Vespasien. Je veux, mon cher auditeur, vous raconter une histoire, mais ne faites pas un mouvement en arrière ; ou plutôt, non, je vous dirai autre chose d’abord. Il y avait une fois une famine, dit l’Écriture, et le roi se promenait sur le rempart : une femme s’approche de lui et lui dit : « Roi voilà une femme qui m’a dit : Donnez votre fils, que nous le fassions cuire aujourd’hui et que nous le mangions ; et demain, ce sera le mien ; et nous l’avons cuit, et nous l’avons mangé » (2R. 6,26, 29) ; celle-ci n’a pas encore donné le sien. Quoi de plus affreux que ce malheur ? Dans un autre endroit le Prophète dit : « Les mains des femmes miséricordieuses ont fait cuire leurs enfants ». (Jer. 4,10) Telle fut la punition des Juifs, et nous, n’en subirons-nous pas une bien plus terrible encore ?

4. Voulez-vous connaître encore quelques autres de leurs malheurs ? Lisez Josèphe, étudiez toute cette tragédie, nous vous persuaderons peut-être, par là, qu’il y a un enfer. Réfléchissez donc : s’ils ont été châtiés, pourquoi ne sommes-nous pas châtiés ? Quelle vraisemblance que nous ne soyons pas châtiés aussi, nous qui sommes plus coupables ? N’est-il pas évident que le châtiment est mis en réserve pour nous ? Si vous voulez, je vais vous montrer qu’ils ont été châtiés aussi individuellement. Caïn a tué son frère. Crime affreux, c’est ni contestable ; mais Caïn a subi sa peine, peine terrible, plus affreuse que mille morts ; écoutez ses plaintes : « Vous me chassez aujourd’hui de dessus la terre, et j’irai me cacher de devant votre face, et quiconque me trouvera, me tuera ». (Gen. 4,14) Eh bien, dites-moi, n’y a-t-il pas beaucoup d’hommes qui font aujourd’hui comme ce meurtrier ? Quand vous assassinez, non votre frère selon la chair, mais, votre frère spirituel, ne faites-vous pas comme Caïn ? Qu’importe que ce ne soit pas avec une arme, mais d’une autre manière, quand, au lieu d’apaiser sa faim, ce que vous pourriez faire, vous l’abandonnez ? Eh quoi ! est-il vrai de dire aujourd’hui que nul n’est envieux de son frère ? Que nul ne jette son frère dans les dangers ? Eh bien, ces méchants sur cette terre, n’ont pas subi leur peine, mais ils la subiront. Voyez donc encore : celui qui n’a entendu ni la loi écrite, ni les prophètes, qui n’a pas vu des signes éclatants, celui-là est frappé d’un châtiment rigoureux ; et celui qui, sans être moins coupable, a eu tant d’avertissements pour le ramener au bien, celui-là demeurera impie ? Où donc est la justice de Dieu ? Qu’est devenue sa bonté ?

Autre exemple : pour du bois ramassé le jour du sabbat, un malheureux a été lapidé (Nb. 15,32) : la défense pourtant n’était pas des plus importantes, ce n’était pas une prescription comme celle de la circoncision. Eh bien, pour du bois ramassé le jour du sabbat, lapidé ; et ceux qui enfreignent mille fois la loi, seront impunis ? S’il n’y a pas d’enfer, où donc est la justice, que devient ce qu’on nous dit que Dieu ne fait point acception des personnes ? Cependant les accusations ne manquent pas contre tous ceux qui n’observent pas le sabbat. Autre exemple encore, un fils de Chram, pour une offrande soustraite, lui et toute sa famille, lapidés. Eh quoi, depuis ces temps anciens, n’a-t-on plus commis de sacrilège ? Saül encore, pour avoir fait grâce contre la volonté de Dieu, a subi un châtiment sévère ; depuis Saül, est-ce que personne n’a fait comme lui ? Plût au ciel qu’il en fût ainsi, et qu’on ne nous vît pas, plus féroces que les bêtes féroces, nous manger les uns les autres, contre la volonté de Dieu, et qu’il n’y eût pas (le combattants renversés dans la mêlée ! Autre exemple encore, les fils d’Héli pour avoir mangé les victimes avant qu’on les eût brûlées en sacrifice, furent punis d’une mort terrible, et leur père avec eux. N’y a-t-il donc plus de pères qui négligent leurs enfants ? N’y a-t-il plus d’enfants pervertis ? Nous n’en voyons aucun de puni. Quand donc le seront-ils, s’il n’y a pas d’enfer ? D’autres exemples encore, il y en a des milliers. Ananie et Saphire, pour avoir soustrait une partie de leurs propres offrandes, n’ont-ils pas été punis sur-le-champ ? Depuis ces temps anciens, personne n’a-t-il donc fait comme eux ? Comment donc n’avons-nous pas vu, depuis, les mêmes châtiments ? Comprenez-vous qu’il y a une géhenne, ou vous faut-il encore des exemples ? Eh bien, nous les demanderons à ce qui n’est pas écrit, à ce qui se passe aujourd’hui, car il ne faut négliger aucun moyen de conviction, il ne faut pas, par une complaisance irréfléchie pour nous-mêmes, nous faire du tort à nous-mêmes.

Ne voyez-vous pas des malheureux, des mutilés sans nombre, en proie à mille maux ? Pourquoi des meurtriers punis ; d’autres, qui ne le sont pas. Écoutez Paul : « Il y a des personnes dont les péchés sont connus avant le jugement ; il y en a d’autres qui ne se découvrent qu’ensuite ». (1Tim. 5,24) Combien y en a-t-il d’échappés parmi les meurtriers ; combien, parmi les violateurs de sépultures ? Mais laissons cela. Combien y en a-t-il que vous ne voyez pas rigoureusement punis ? Les uns sont frappés d’une maladie cruelle ; d’autres, livrés à de perpétuelles tortures ; d’autres encore, à des maux innombrables. Eh bien, quand vous voyez un homme coupable, comme ces malheureux, et beaucoup plus coupable encore, demeurer impuni, ne sentez-vous pas que, malgré vous, vous reconnaissez qu’il y a un enfer ? Rassemblez ceux qui, sur cette terre, avant vous, ont subi un châtiment rigoureux, considérez que Dieu ne fait pas acception des personnes, que vous avez fait mille et mille actions mauvaises, que vous n’avez éprouvé aucun traitement qui ressemble au leur, et alors vous comprendrez l’enfer. Car Dieu nous en a mis la pensée dans l’âme, à tel point que jamais personne n’a pu l’ignorer. Poètes, philosophes, auteurs de fictions, en un mot, tous les hommes ont raisonné sur la rémunération dans une autre vie, et ont parlé de la foule de ceux qui subissent, dans les enfers, des châtiments. Si leurs récits sont des fables, il n’en est pas de même chez nous. Je n’ai pas voulu vous effrayer par ce discours, ni charger vos âmes d’un poids incommode, au contraire, je voudrais leur donner les ailes de la sagesse. Je voudrais bien, moi aussi, qu’il n’y eût pas de châtiment, je le voudrais, plus que vous tous, moi qui vous parle. Pourquoi ? c’est que chacun de vous ne tremble que pour son âme à lui ; mais moi, j’aurai des comptes à rendre de mon administration, de sorte que c’est moi, plus que vous tous, qui aurai de la peine à y échapper. Mais il n’est pas possible qu’il n’y ait ni enfer ni supplice. Que ferai-je ? Voici maintenant des doutes et des objections : où est donc la bonté de Dieu ? Partout. Mais c’est un point que je développerai dans un autre temps ; ne confondons pas, avec ces réflexions, ce que nous avons dit sur l’enfer. Quant à présent, gardons le profit que nous avons retiré de ces paroles ; ce n’est pas un mince profit, que d’être convaincu qu’il existe un enfer. Le souvenir de pareil discours est un remède amer mais efficace pour nous purger de toute corruption, si nous savons le conserver dans notre esprit. Donc, il faut en user, purifions ainsi notre cœur, rendons-nous dignes de voir ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, les biens que n’a pas compris le cœur de l’homme ; puissions-nous tous en jouir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE IX.


OR, POUR CE QUI REGARDE LES TEMPS ET LES MOMENTS, MES FRÈRES, VOUS N’AVEZ PAS BESOIN QU’ON VOUS EN ÉCRIVE, PARCE QUE VOUS SAVEZ BIEN VOUS-MÊMES QUE LE JOUR DU SEIGNEUR DOIT VENIR COMME UN VOLEUR DE NUIT. (CHAP. 5,1 À 12)


Analyse.

  1. De l’indiscrète curiosité qui veut pénétrer les mystères. – Il est particulièrement inutile de vouloir connaître l’époque précise de la consommation des siècles. – Réponse à cette idée, que si l’on connaissait le moment, on fermerait la bouche aux gentils. – Le jour du Seigneur doit venir comme un voleur de nuit, non seulement pour le monde, mais pour chacun en particulier.
  2. Il est utile qu’il en soit ainsi. – Quels crimes ne commettrait-on pas, s’il en était autrement ? – Raisons diverses. – Que devient la vertu même, avec la connaissance parfaite de ce qui doit arriver ? – Il faut veiller. – L’avènement du dernier jour comparé avec justesse à un accouchement subit.
  3. Explication de ces expressions, enfants de lumière, enfants du jour, enfants de perdition, enfants de la géhenne. – Qu’est-ce que l’ivresse, qu’est-ce que le sommeil ? – La cuirasse de la foi et de la charité, le casque de l’espérance. – Dieu ne nous a pas appelés pour nous perdre, mais pour nous sauver. – Consolons-nous.
  4. Quelle est l’origine du mal ? En dernière analyse, notre négligence. – Donc, soyons attentifs et diligents. – Pas de vaines recherches. La voie est étroite, pensons-y.
  5. Les plaisirs exquis et raffinés ne servent à rien. – Le bonheur n’est pas là. – Ne pleurons que ce qui mérite d’être pleuré, ne recherchons que ce qu’il faut pour vivre. – Il dépend de nous que Dieu nous prenne en pitié. – Si nous voulons obtenir la miséricorde, faisons tous nos efforts pour en être dignes.

1. Rien n’égale l’inutile et avide curiosité qui pousse l’homme à connaître ce qui est obscur et caché. C’est le propre d’un esprit infirme et mal cultivé. La naïveté dès enfants ne se lasse pas de harceler pédagogues, précepteurs et parents, de mille questions où il n’y a rien que ces mots, quand donc ceci, quand donc cela ? C’est le résultat d’une existence que rien ne gêne, et qui n’a rien à faire. Il y a beaucoup de choses que notre esprit est pressé d’apprendre et de connaître, et surtout l’époque de la consommation des siècles. Rien d’étonnant qu’il nous arrive ce qu’ont éprouvé ces saints apôtres, possédés, plus que personne ne le fut jamais, de la même inquiétude avant la passion, ils entourent le Christ, ils lui disent : « Dites-nous quand ces choses arriveront ? quel sera le signe de votre avènement « et de la consommation du siècle ? » (Mt. 24,3) Après la passion, après la résurrection, ils lui disaient : « Seigneur, sera-ce en ce temps que vous rétablirez le royaume d’Israël ? » (Act. 1,6) Et ce fut là la première question qu’ils lui adressèrent. Il n’en fut pas de même plus tard. En effet, une fois qu’ils ont reçu le Saint-Esprit, non seulement ils ne font plus de questions, non seulement ils acceptent leur ignorance, mais encore ils répriment, chez les autres, une intempestive curiosité.

Écoutez donc ce que dit aujourd’hui le bienheureux Paul : « Or, pour ce qui regarde les temps et les moments, mes frères, vous n’avez pas besoin qu’on vous en écrive ». Pourquoi ne dit-il pas : Personne n’en sait rien ? Pourquoi ne dit-il pas : C’est un secret, mais « Vous n’avez pas besoin qu’on vous en écrive ? » C’est qu’une autre réponse les aurait tourmentés ; celle qu’il leur fait, les console ; ce « vous n’avez pas besoin », montre ce qu’il y a de superflu, d’inutile, dans une recherche qu’il ne faut pas continuer. Car quel profit ? répondez-moi. Mettons la consommation des siècles dans vingt ans, dans trente ans, dans cent ans : après ? Que nous importe ? La consommation n’est-elle pas, pour chacun de nous, la fin de sa vie à lui ? Que signifie ce mal que vous vous donnez pour connaître, et comme enfanter la consommation ? Ce qui nous arrive en d’autres circonstances, nous l’éprouvons ici. En d’autres circonstances, nous négligeons nos affaires particulières pour celles des autres, nous disons : Un tel est un débauché, un tel est un adultère, celui-ci a commis un brigandage, celui-là a fait du tort à tel autre ; nul ne s’occupe de ses affaires ; on s’inquiète de tout ce qui est étranger, plutôt que de ses propres intérêts ; de même ici, chacun de nous, au lieu de s’inquiéter de sa fin particulière, veut savoir quelle sera la fin commune. Eh, que vous importe cette fin universelle ? Faites, dans de bonnes dispositions, votre fin à vous, et vous n’aurez rien à craindre de la grande consommation. Qu’elle soit éloignée, qu’elle soit proche, cela ne nous touche en rien. Voilà pourquoi le Christ ne répond pas ; il sait que la question est sans intérêt. Comment ! sans intérêt ? me répond-on. Celui qui n’a rien voulu dire, sait bien pourquoi la question est sans intérêt ; écoutez ce qu’il dit aux apôtres : « Ce n’est point à vous de savoir les temps et les moments que le Père a réservés à sa puissance propre ». (Act. 1,7) Que signifie cette recherche curieuse ? Voilà ce qu’entendit, avec les autres apôtres, Pierre leur chef, pour prix d’une indiscrète curiosité. Très-bien, réplique-t-on, mais si l’on était mieux instruit, on pourrait fermer la bouche aux gentils. Comment cela ? répondez-moi. C’est que les gentils, fait-on observer, regardent le monde comme un dieu ; donc si nous connaissions l’époque de la consommation, nous leur fermerions la bouche. Très-bien que faut-il pour leur fermer la bouche ? leur montrer que ce monde sera détruit, ou leur apprendre l’époque de la destruction ? Voulez-vous leur fermer la bouche, dites-leur que ce monde aura une fin ; s’ils ne vous accordent pas ce point, ils ne vous accorderont pas l’autre davantage.

Écoutez ce que dit Paul : « Vous savez bien vous-mêmes que le jour du Seigneur doit venir « comme un voleur de nuit ». Ce qui ne s’applique pas seulement à la fin commune, mais à la fin particulière de chacun de nous ; car celle-ci se comporte comme l’autre ; ces deux fins se ressemblent, c’est la même famille. Ce que l’une fait en bloc, l’autre le fait en détail ; le temps de la consommation a, pour point de départ, Adam ; la fin de la vie de chacun de nous est une image de la consommation ; on peut l’appeler aussi une consommation, sans craindre de se tromper. Chaque jour, des milliers et des milliers de mourants, lesquels doivent, tous sans exception, attendre le grand jour, et, avant ce jour-là, nul ne ressuscitera ; la consommation particulière n’est-elle pas une partie de la grande consommation ? Maintenant, pourquoi l’heure est-elle un secret ? pourquoi ce jour doit-il venir comme un voleur de nuit ? Je vais vous dire l’opinion qui me paraît sage. Personne ne consacrerait à la vertu sa vie tout entière, si on le connaissait bien ce jour, s’il n’était pas caché ; si l’on savait quand il doit venir, on commettrait mille crimes, avant de recourir au baptême et de s’apprêter au départ. Voyez, en effet, ce qui se passe maintenant : malgré l’incertitude qui épouvante toutes les âmes, tous les hommes consacrent d’abord leur vie à la corruption, ils attendent qu’ils n’aient plus qu’un souffle de vie, pour se tremper dans les eaux du baptême ; s’ils étaient tout à fait rassurés, qui s’occuperait donc de vertu ? Malgré la crainte qui les presse, un grand nombre sont partis pour l’autre vie sans avoir reçu la lumière et la grâce du baptême ; cette crainte même n’a pas appris aux vivants à s’inquiéter de ce qui plaît à Dieu ; supposez que cette crainte leur eût été enlevée, qui donc aurait encore gardé quelque mesure ? Qui donc aurait encore pratiqué la justice ? Personne. Seconde raison : il en est que retient l’épouvante de la mort, le désir de vivre ; si chacun savait que la mort ne doit venir que demain, on ne se refuserait rien, on oserait tout jusqu’à ce dernier jour, on égorgerait ceux qu’on voudrait, on commettrait crimes sur crimes pour se venger de ses ennemis.

2. Le scélérat qui n’a plus l’espoir de prolonger sa vie ici-bas, n’a plus de respect, même pour celui qui porte la pourpre. Supposez-le convaincu qu’il faut absolument partir, il se vengera de son ennemi, il assouvira sa fureur avant de recevoir la mort. Dirai-je une troisième raison ? Ceux qui tiennent à la vie, ceux qui ne peuvent se détacher de la terre, ceux-là mourraient d’abattement et de douleur. Un jeune homme saurait qu’il ne doit pas atteindre à la vieillesse, que sa vie sera terminée auparavant, il serait comme ces animaux languissants qui, une fois pris, deviennent plus languissants encore, n’attendant plus que leur fin. Pour le courage même, plus de récompense. Des hommes vaillants : sauraient que dans trois ans ils doivent de toute nécessité mourir, mais non avant ce terme ; quelle pourrait être la récompense de leur audace dans les périls ? C’est parce que vous n’avez rien à craindre, pour ces trois ans, que vous vous exposez aux dangers ; vous savez bien que vous ne pouvez pas quitter cette vie plus tôt. Celui qui peut trouver la mort dans chaque danger, qui sait que la prudence le sauverait, qui ne craint pas la mort et l’affronte, celui-là donne, et de son courage, et de son mépris de la vie présente, une preuve signalée. Un exemple va vous rendre ces vérités manifestes.

Répondez-moi, si le patriarche Abraham avait prévu, en conduisant Isaac sur la montagne, qu’il n’égorgerait pas son fils, aurait-il mérité une récompense ? Voyez encore : Si Paul eût prévu qu’il ne mourrait pas, quelle admiration aurait mérité son mépris des dangers ? Mais on verrait le plus lâche se jeter dans les flammes, si on lui garantissait qu’il peut le faire en toute sûreté. Il n’en fut pas de même des trois jeunes hommes. Qu’arriva-t-il ? Entendez leurs voix : « R. il est un Dieu dans le ciel qui nous retirera de vos mains et de cette fournaise ; et s’il ne veut pas le faire, sachez bien que nous n’honorons point vos dieux, et que cette statue d’or que vous avez fait élever, nous ne l’adorons pas ». (Dan. 3,17-18) Voyez-vous quels grands avantages ? comprenez-en de plus grands encore ; voyez-vous quel profit pour l’homme d’ignorer sa fin ? Mais nous pouvons nous contenter, sur ce point, de ces réflexions. Voilà donc pourquoi le jour du Seigneur vient comme un voleur de nuit : c’est pour que nous ne nous laissions pas entraîner dans la corruption, pour que nous ne cédions pas à l’indolence, pour que nous puissions nous assurer notre récompense. « Vous savez bien vous-mêmes », dit l’Apôtre. Dès lors, à quoi bon votre curiosité intempestive, puisque vous êtes persuadés ? Que l’avenir est incertain, c’est ce que vous montrent les paroles du Christ. Écoutez ce qu’il dit à ce sujet : « Veillez donc, parce que vous ne savez pas à quelle heure le voleur arrive ». (Mt. 24,42) À ce sujet, Paul disait aussi : « Quand ils diront, nous voici en paix et en sûreté, tout à coup une ruine imprévue les surprendra, comme une femme grosse que surprennent les douleurs de l’enfantement, et ils ne pourront se sauver (3) ».

Il fait entendre ici ce qu’il répète dans la seconde épître. Les fidèles étaient dans les afflictions, ceux qui leur faisaient la guerre vivaient dans le relâchement et les délices ; en conséquence, l’apôtre consolait les fidèles en les entretenant de la résurrection. Les ennemis leur prodiguaient les insultes, répétant les pensées de l’ancien peuple ; ils disaient Quand viendra-t-il ce jour ? (C’est ce qui faisait dire aux prophètes : « Malheur à vous qui dites : Que Dieu se hâte de faire ce qu’il fera, afin que nous le voyions ; que la volonté du saint d’Israël s’accomplisse, afin que nous la connaissions » (Is. 5,19) ; et encore : « Malheur à vous qui désirez le jour du Seigneur » (Amo. 5,18) (ce qui ne veut pas dire simplement ceux qui le désirent, mais qui le désirent, parce qu’ils ne croient pas) ; et « ce jour du Seigneur », dit encore le même texte, « sera ténèbres, et non lumière ». Telle est, la pensée de l’apôtre. Et voyez comme il les console : c’est comme s’il leur disait : La douce vie qu’ils mènent, ne prouve pas que le jour du jugement ne doive pas venir ; rien n’y fait, il doit venir. Mais maintenant, voici une question intéressante : si l’antéchrist arrive, si Elie arrive, comment peut-il se faire que, quand ils diront : « Nous voici en paix et en sûreté », ce soit précisément alors qu’une ruine imprévue les surprenne ? Voilà des signes qui ne permettent pas de se tromper sur l’avènement de ce grand jour, ils en révèlent l’apparition. Mais l’apôtre n’indique pas le temps, je veux dire de l’antéchrist ; il ne dit pas non plus que ce jour fameux sera le signe de l’apparition du Christ, mais que le Christ n’aura pas de signe, qu’il viendra subitement, sans qu’on l’attende. Mais, objecte-t-on, une femme enceinte n’est pas surprise par sa délivrance ; elle sait bien qu’elle doit s’y attendre au bout de neuf mois. Au contraire, l’époque est tout à fait incertaine ; certaines femmes accouchent au septième mois, d’autres, au neuvième ; et maintenant on ne peut fixer ni le jour, ni l’heure. Voilà donc quelle est la pensée de Paul. La comparaison est exacte ; il n’y a pas beaucoup de marques pour indiquer l’accouchement ; nombre de femmes se laissent surprendre dans les rues, hors de chez elles, n’ayant pu prévoir le moment. Maintenant l’apôtre, ici, n’indique pas seulement l’incertitude de l’heure, mais l’amertume des lamentations. De même que cette femme jouant, riant, ne prévoyant absolument rien, est tout à coup en proie aux douleurs d’un enfantement qui la déchire, de même en sera-t-il de ces âmes imprévoyantes que surprendra le dernier jour. « Et ils ne pourront se sauver ». Ensuite l’apôtre tient à montrer que ce n’est pas pour les fidèles de Thessalonique qu’il parle ainsi : « Mais vous, mes frères, vous n’êtes pas dans les ténèbres, pour être surpris de ce jour comme d’un voleur (4) ».

3. Par ténèbres, il entend ici la vie qui se cache dans la nuit de l’impureté. C’est comme dans les ténèbres de la nuit où tout ce qu’il y a d’hommes souillés, de pervers se plongent, se renferment avec leurs actions infâmes. Répondez-moi, n’est-ce pas le soir qu’attend l’adultère ? n’est-ce pas la nuit qu’attend le voleur ? le brigand qui force les sépulcres n’accomplit-il pas toute son œuvre pendant la nuit ? Eh quoi ! est-ce que le dernier jour ne les surprend pas comme fait un voleur ? est-ce que ce jour n’est pas imprévu pour eux ? Faut-il croire qu’ils le connaissent par avance ? Comment donc l’apôtre peut-il leur dire : « Vous n’avez pas besoin qu’on vous en écrive ? » C’est qu’ici l’apôtre ne pense pas à l’incertitude dit moment, mais au malheur de la catastrophe ; il veut dire que ce jour ne viendra pas pour le malheur des fidèles. En effet, ils en seront surpris, eux aussi, mais ils n’y trouveront aucun sujet d’affliction. « Pour être surpris de ce jour comme d’un voleur ». Dans une maison où l’on veille, où il y a de la lumière, le brigand a beau venir, il ne peut causer aucun dommage ; il en est de même pour ceux qui vivent dans l’honnêteté ; quant à ceux qui dorment, le brigand les dépouille de tout ce qu’ils ont, ce sont ceux qui ont trop de confiance dans les choses d’ici-bas. L’apôtre ajoute ensuite : « Car vous êtes tous des enfants de lumière et des enfants du jour (5) ». Mais, demande-t-on, qu’est-ce que cela veut dire, des enfants du jour ? C’est de même qu’on dit, des enfants de perdition, des enfants de l’enfer. Aussi le Christ dit-il aux Pharisiens : « Malheur à vous, qui courez la mer et la terre pour faire un prosélyte, et, quand vous l’avez, en faites un enfant de la géhenne ! » (Mt. 23,15) Et Paul : « Puisque ce sont ces crimes qui font tomber la colère de Dieu sur les enfants de la désobéissance » (Col. 3,6) ; ce qui veut dire, les pécheurs qui font les œuvres dignes de la géhenne, les œuvres de la désobéissance. De même donc que les enfants de Dieu sont ceux qui font les œuvres agréables à Dieu, de même les enfants du jour et les enfants de la lumière sont ceux qui font les œuvres de la lumière.

« Nous ne sommes point des enfants de la nuit, ni des ténèbres. Ne dormons donc point comme les autres ; mais veillons, et gardons-nous de l’enivrement de l’âme. Car ceux qui dorment, dorment durant la nuit, et ceux qui s’enivrent, s’enivrent durant la nuit. Mais nous, qui sommes enfants du jour, gardons-nous de cette ivresse (6, 7, 8) ». L’apôtre montre ici que notre vie appartient au jour. Le jour et la nuit qui frappent nos yeux, ne dépendent pas de notre volonté ; la nuit vient en dépit de nous ; malgré nous, le sommeil nous saisit ; mais, pour ce qui est de l’autre nuit, de l’autre sommeil, il n’en est pas de même ; nous pouvons être toujours éveillés ; nous pouvons nous faire un jour perpétuel. Fermer les yeux de l’âme, se laisser aller au sommeil de la perversité, ce n’est pas un effet de la nature, mais de la libre volonté. « Mais veillons », dit-il, « et gardons-nous de l’enivrement de l’âme ». On peut dormir, tout éveillé qu’on est, si l’on ne fait rien de bien. Voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « Et gardons-nous de l’enivrement de l’âme ». En effet, veiller dans le jour, mais pour s’enivrer, c’est s’exposer à des maux innombrables. De sorte qu’il faut qu’à la vigilance se joigne la sobriété.

« Ceux qui dorment », dit-il, « dorment durant la nuit, et ceux qui s’enivrent, s’enivrent durant la nuit ». L’ivresse dont il parle ici n’est pas seulement l’ivresse produite par le vin, mais celle qui résulte de tous les vices. Car l’ivresse de l’âme, ce sont les richesses, le désir de l’argent, l’amour sensuel ; tout ce que vous pouvez dire d’affections de ce genre constitue l’ivresse de l’âme. Mais pourquoi la malignité est-elle appelée par l’apôtre un sommeil ? C’est que d’abord le pervers n’a aucune énergie pour la vertu : ensuite il n’a que des fantômes devant les yeux, il ne voit nulle part la vérité, il est plein de songes, l’extravagance est dans toutes ses actions ; s’il lui arrive de voir le bien, il n’y a la ni fermeté, ni solidité. Telle est la vie présente, un tissu de rêves et de vaines images. La richesse est un rêve ; de même, la gloire, et toutes les choses du même genre. Celui qui dort ne voit ni le réel, ni le vrai ; à ce qui n’existe pas, il attribue une réalité qui n’est que dans son imagination. Telle est la pensée corrompue, telle est la vie passée dans la corruption ; l’homme corrompu ne voit pas la réalité, c’est-à-dire, ce qui est spirituel, céleste, persistant, durable, mais ce qui s’écoule, ce qui s’envole, ce qui s’échappe bien vite loin de nous. Or, il ne suffit pas de la vigilance et de la sobriété, il faut y joindre encore l’énergie qui prend les armes. Car on a beau être vigilant, tempérant ; si l’on n’est pas armé, on est bien vite à la merci des brigands. Eh bien, je vous le demande, si, quand nous devrions être et vigilants, et sobres, et armés, nous demeurons désarmés, nus, endormis, qui peut empêcher l’ennemi de nous percer de son glaive ? C’est ce besoin de nous faire comprendre la nécessité d’être en armes, qui inspire les paroles suivantes : « Mais nous, qui sommes des enfants du jour, gardons-nous de cette ivresse ; revêtons-nous de la cuirasse de la foi et de la charité, prenons le casque de l’espérance du salut (8) ».

« De la foi », dit-il, « et de la charité ». Ici l’apôtre indique la rectitude de la vie et des croyances. Voyez cette explication qu’il donne de la vigilance, de la continence ; elle consiste à prendre, dit-il, la cuirasse de la foi et de la charité. Il n’entend pas une foi vulgaire ; il veut la ferveur, la sincérité qui rend invulnérable. De même qu’il n’est pas facile de percer une cuirasse qui est comme un mur épais sur la poitrine ; de même, pour préserver votre âme, recouvrez-la de la foi et de la charité, de telle sorte qu’aucun des traits de feu du démon ne puisse pénétrer en vous. Du moment que l’énergie de l’âme a pour défense et pour arme la charité, elle peut défier toutes les attaques ; les assauts deviennent inutiles contre elle. Ni la perversité, ni la haine, ni l’envie, ni la flatterie, ni l’hypocrisie, rien ne peut atteindre une telle âme. Or, l’apôtre ne dit pas seulement qu’il faille se revêtir de charité, mais s’en faire comme une solide cuirasse. Et ensuite, il ajoute : « Le casque de l’espérance du salut ». En effet, de même que le casque garantit ce qu’il y a de plus important en nous, de même l’espérance ne laisse pas notre raison déchoir ; l’espérance la maintient droite comme la tête, et la préserve de tous les coups du dehors. Tant qu’aucune secousse ne l’ébranle, elle-même ne chancelle pas ; avec de telles armes, il est impossible de succomber. « Car », dit l’apôtre, « ces trois vertus demeurent, la foi, l’espérance, la charité ». (1Cor. 13,43) Et maintenant qu’il a dit, revêtez-vous, préparez-vous, c’est lui-même qui fournit les armes, qui montre d’où naissent la foi, et l’espérance, et la charité, d’où viennent les armes de plus en plus invincibles. « Car Dieu ne nous a pas destinés à être les objets de sa colère, mais à acquérir le salut, par Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est mort pour nous (9, 10) ».

4. Ainsi Dieu ne nous a pas appelés pour nous perdre, mais pour nous sauver. C’est là sa volonté. Qui le prouve ? Il a livré son Fils pour nous, dit l’apôtre ; Dieu désire à tel point notre salut, qu’il a livré son Fils, et il ne l’a pas simplement livré, mais pour qu’on le mît à mort. Voilà les considérations qui enfantent l’espérance. Ne désespère donc pas, ô homme, en présence de ce Dieu qui, pour toi, n’a pas même épargné son Fils ne te laisse pas abattre dans les maux de la vie présente. Celui qui a livré son Fils unique, afin de te sauver, afin de l’affranchir de la géhenne, que pourra-t-il épargner pont assurer ton salut ? Il faut donc n’avoir que de bonnes espérances. Si nous allions, sur la terre, comparaître devant un juge que son amour pour nous aurait porté à égorger son fils, nous serions sans crainte. Ayons donc de bonnes et de grandes espérances ; nous tenons le principal, si nous avons la foi. Nous avons un exemple, une preuve : livrons-nous donc à l’amour ; ce serait le comble du délire de ne pas aimer celui qui se montre ainsi disposé pour nous.

« Afin que, soit que nous veillions, soit que nous dormions, nous vivions ensemble avec Lui. C’est pourquoi consolez-vous mutuellement, et édifiez-vous les uns les autres, comme vous le faites (11) ». Plus haut, l’apôtre a parlé de veiller, de dormir. Mais, quand il disait ne « dormons » donc point, il n’entendait point dormir de la même manière qu’ici, soit que nous dormions. Il s’agit, ici, du sommeil de la mort ; il s’agissait plus haut de l’incurie des vivants. Voici donc ce que l’apôtre veut montrer : que les dangers ne sont pas à craindre, que, même après notre mort, nous vivrons. Ne désespérez pas, ne dites pas que vous êtes en danger ; vous avez une preuve certaine, invincible ; s’il ne brûlait pas d’un amour ardent pour nous, il ne nous aurait pas donné son Fils. De telle sorte que, même après votre mort, vous vivrez ; car lui-même a subi la mort. Donc soit que nous mourions, soit que nous vivions, nous vivrons avec lui. Il m’est égal de mourir ou de vivre ; il n’y a rien là dont je me soucie, peu m’importe que je vive, que je meure, car, avec lui, nous vivrons.

Donc que toutes nos actions soient faites en considération de cette vie, ayons toujours les yeux fixés sur cette vie à venir, quoi que nous fassions. Le péché n’est rien que ténèbres, ô mon cher auditeur, c’est la mort, c’est la nuit qui ne nous laisse rien voir de ce qu’il faut voir, rien faire de ce qu’il faut faire. Cadavres hideux, cadavres infects, voilà les âmes corrompues remplies de toute espèce de souillures ; les yeux fermés, la bouche comprimée, immobiles sur la couche où le vice les étend. Image défectueuse, combien l’état de ces âmes est plus sinistre ! Nos morts, pour le bien comme pour le mal, sont morts ; ces âmes, insensibles pour la vertu, sont vivantes pour la perversité. Frappez un mort, il ne sent rien, il ne se venge pas ; voilà un morceau de bois sec, telle est l’âme, sèche aussi, réellement desséchée, qui a perdu la vie ; chaque jour elle reçoit d’innombrables blessures, elle ne sent rien, elle n’éprouve rien, elle ne souffre de rien, quoi qu’on lui fasse. Cet état peut se comparer à la folie furieuse, à l’ivresse, au délire. Voilà ce qu’est le péché, sa condition est bien plus déplorable que tout ce qu’il faut déplorer. On ne peut en vouloir au malheureux qui a perdu sa raison, tous l’excusent : son mal n’est pas l’effet de sa volonté, la nature seule a tout fait ; mais l’homme qui vit dans la perversité, quelle excuse pourra-t-il alléguer ? D’où vient donc la perversité ? D’où vient le si grand nombre des pervers ? D’où ils viennent ; vous me le demandez ? eh bien, répondez-moi, vous, d’où viennent les maladies ? d’où viennent les transports ? d’où viennent les sommeils pesants ? n’est-ce pas de notre incurie, de notre négligence ? Si les maladies du corps accusent, dès l’origine, notre volonté, à bien plus forte raison faut-il le dire des maladies volontaires. D’où vient l’ivresse ? n’est-ce pas de l’intempérance ? les transports, n’est-ce pas d’un excès de fièvre ? et la fièvre maintenant, n’est-ce pas de la surabondance des éléments qui débordent en nous ? mais cette surabondance des éléments qui sont en nous, d’où vient-elle, sinon de notre négligence ? Soit par défaut, soit par excès, nous dérangeons l’équilibre de nos humeurs, et voilà comment nous allumons ce feu qui nous brûle. Et maintenant si, après avoir allumé la flamme, nous restons longtemps sans y faire attention, nous construisons en nous, contre nous, un bûcher qu’il nous est impossible d’éteindre. Voilà comment se produit la perversité ; quand nous ne lui opposons pas d’entraves au début, quand nous ne l’extirpons pas dès l’origine, il nous est impossible de l’anéantir ensuite, c’est un triomphe au-dessus de nos forces.

Aussi, je vous en conjure, faisons tout pour ne pas nous endormir. Ne voyez-vous pas les gardiens perdre souvent, pour avoir un peu cédé au sommeil, tout le fruit d’une longue veille ? cet instant si court de relâchement a tout gâté, parce qu’ils ont donné au voleur les moyens de faire son coup sans avoir rien à craindre. Eh bien donc, de même que nous ne voyons pas les voleurs comme ils nous voient, de même le démon nous presse avec la plus grande insistance, et il ne cesse de grincer des dents. Donc gardons-nous bien de nous endormir, et ne disons pas : Rien à craindre par ici, rien à craindre par là. Souvent c’est par l’ennemi que nous n’attendions pas, que nous sommes dépouillés. Il en est de même du péché ; ce que nous n’attendions pas nous perd. Regardons avec soin tout autour de nous ; ne nous enivrons pas, et nous ne succomberons pas au sommeil ; ne nous plongeons pas dans les plaisirs, et nous ne nous endormirons pas ; ne laissons pas notre raison se troubler aux choses du dehors, et nous passerons notre vie tout entière dans la continence. Sachons nous régler nous-mêmes par tous les moyens. De même que ceux qui marchent sur une corde tendue, ne doivent pas avoir le moindre moment de distraction, si court qu’il soit, car cette petite distraction produit un grand malheur, on perd l’équilibre, on tombe, on se tue ; de même nous ne pouvons pas nous relâcher. Nous marchons en suivant une voie étroite, bordée des deux côtés de précipices, où les deux pieds ne peuvent se poser à la fois. Voyez-vous combien il est nécessaire que nous soutenions notre attention ? Ne voyez-vous pas comme les voyageurs qui s’avancent entre deux précipices, assurent non seulement leurs pieds, mais leurs yeux ? Car s’ils se trompent pour la direction, quoique leurs pieds tiennent ferme, le vertige qui trouble leurs yeux les fait tomber dans l’abîme. Il faut veiller sur soi-même et veiller sur sa marche ; de là ce que dit l’apôtre : Ni à droite, ni à gauche. L’abîme de la perversité est profond, les précipices en sont vastes ; en bas d’épaisses ténèbres, et la voie est étroite ; ayons donc une attention pleine de crainte, et marchons avec tremblement. Aucun de ceux qui entreprennent cette route ne se laisse aller à un rire dissolu, ni ne souffre que l’ivresse l’appesantisse, c’est dans la sobriété qu’il se maintient, c’est avec attention qu’il s’avance pour faire une telle route ; ceux qui entreprennent cette route, ne se laissent pas distraire par des choses inutiles ; car c’est beaucoup que de pouvoir, même étant bien équipé, la parcourir jusqu’au bout ; nul ne s’y engage d’un pied embarrassé, on s’arrange de manière à être libre dans sa marche.

5. Mais nous qui nous créons mille liens, mille entraves, avec les soucis qui nous tourmentent, nous qui nous chargeons de mille fardeaux, qui faisons des préoccupations de la vie présente des poids si lourds à porter, qui sommes toujours la bouche béante, les yeux grands, ouverts, incapables de nous contenir, comment pouvons-nous espérer d’aller sans accident jusqu’au terme de cette route étroite ? Le Seigneur n’a pas dit seulement : Cette route est étroite ; mais il a fait entendre une exclamation : « Combien la route est étroite ! » (Mt. 7,14) Ce qui veut dire, qu’elle est des plus étroites. C’est ce que nous faisons nous-mêmes toutes les fois que nous sommes saisis d’un grand étonnement. Et le Seigneur dit encore : « Elle est resserrée, la route qui conduit à la vie ». (Id.) Et c’est avec raison que le Seigneur l’appelle étroite, resserrée. Si nous devons rendre compte, et de nos paroles, et de nos pensées, et de nos actions, et de toute notre conduite, réellement la route est étroite. Mais maintenant nous la rendons plus étroite encore par notre manière de nous étendre, de nous dilater, d’écarter les jambes. Car la route étroite est difficile pour tout le monde, mais elle l’est surtout pour l’embonpoint, pour l’obésité ; celui que les mortifications amaigrissent, ne s’aperçoit pas que la route est étroite ; celui qui s’afflige et se comprime de lui-même, ne s’attristera pas des afflictions.

Donc que personne ne s’attende à mériter ; par son indolence, de voir le ciel ; c’est impossible. Que personne n’espère trouver les plaisirs de la vie molle et délicate, en suivant la route resserrée ; c’est impossible. Que personne n’espère, en suivant la route, large et commode, arriver à la vie. Quand vous voyez ces bains splendides, des tables somptueuses, un tel entouré d’une foule de satellites, et vivant dans les délices, ne vous regardez pas comme un dépossédé, parce que vous n’avez pas votre part de ce luxe, mais gémissez sur cet homme qui marche par le chemin de perdition. Car à quoi sert ce chemin qui aboutit à la désolation ? et quel mal nous fait cette route étroite, qui conduit au repos ? Dites-moi, de deux hommes, l’un, appelé au palais du souverain, traverse des ruelles étroites, et marche d’un pas ferme, en côtoyant des précipices ; l’autre, que l’on mène à la mort, est traîné au milieu de la place publique ; quel est celui que nous regarderons comme un homme heureux, quel est celui qui provoquera nos larmes de compassion ? L’homme heureux, ne sera-ce pas celui qui va par la rue étroite ? Appliquons ici ces réflexions, ne célébrons pas le bonheur de ceux qui vivent dans les délices des plaisirs ; les heureux sont les hommes qui ne connaissent pas ces plaisirs ; ceux-ci prennent leur essor vers le ciel ; les autres, du côté de la géhenne. Peut-être un grand nombre de ces malheureux riront de nos paroles ; quant à moi, ce qui cause surtout mes lamentations et mes gémissements, c’est qu’ils ne distinguent pas ce qui doit les faire rire, ce qui doit les plonger dans le deuil ; ils confondent, ils brouillent, ils bouleversent tout. Voilà pourquoi je gémis sur eux.

Que dis-tu, ô homme ? Tu dois ressusciter, tu dois rendre compte de tes actions, tu dois subir le dernier châtiment, et tu n’y penses jamais, tu ne t’occupes que d’exercer ton ventre, que de te plonger dans l’ivresse, et, ce n’est pas tout, tu ris ? Mais moi, je me lamente sur toi, parce que je sais les maux qui t’attendent, la vengeance qui doit sévir contre toi ; et ce qui fait surtout que je me lamente, c’est que tu ris. Afflige-toi avec moi ; lamente-toi avec moi sur tes malheurs. Réponds-moi donc un de tes proches serait mort, et ce coup provoquerait le rire de certaines personnes ; ne les prendrais-tu pas en aversion, ne regarderais-tu pas ces gens-là comme des ennemis ? N’est-il pas vrai que ceux qui versent des larmes, qui s’affligent avec toi, ce sont ceux-là que tu aimes ? Ton épouse est exposée, morte, celui que tu vois rire t’est odieux ; eh bien, c’est ton âme à toi, qui est frappée de mort, et tu te détournes de celui qui pleure ; et tu es le premier à rire ? Voyez-vous comme le démon nous rend des ennemis, des ennemis particuliers de nous-mêmes, acharnés contre nous ?

Revenons donc enfin à la sagesse, ouvrons les yeux, réveillons-nous, emparons-nous de la vie éternelle, secouons notre lourd assoupissement, notre long sommeil. Il y a un jugement, il y a un châtiment, il y a une résurrection, il y a un examen des actions qui ont été faites. Le Seigneur vient au milieu des nuages. « Le feu s’enflammera en sa présence, et autour de lui éclatera une tempête violente ». (Ps. 49,3) Un fleuve de feu s’allonge devant lui, le ver qui ne meurt pas, le feu qui ne s’éteint pas, les ténèbres extérieures, le grincement de dents. Vous aurez beau vous récrier mille et mille fois encore, je continuerai ces discours. On lapidait les prophètes, ils ne se taisaient pas ; à bien plus forte raison ne devons-nous pas craindre de nous rendre odieux, ni rechercher les paroles qui vous plaisent, ni vous tromper, pour être nous-mêmes déchirés. Il y a là-bas un châtiment immortel, sans consolation possible ; nul pour nous protéger. « Qui aura pitié », dit l’Écriture, « de l’enchanteur mordu par le serpent ? » (Sir. 12,13) Si nous n’avons pas nous-mêmes pitié de nous, qui donc, je vous en prie, nous prendra en pitié ? À la vue d’un homme se frappant lui-même d’une épée, pensez-vous pouvoir jamais le ménager ? Non, sans doute ; et à bien plus forte raison quand nous pouvons nous bien conduire, et que nous nous conduisons mal, qui nous ménagera ? Personne. Ayons pitié de nous-mêmes ; quand il nous arrive d’adresser à Dieu cette prière : Ayez pitié de moi, Seigneur, n’oublions pas de nous dire à nous-mêmes aussi : Ayons pitié de nous-mêmes. Il ne tient qu’à nous de faire en sorte que le Seigneur ait pitié de nous, c’est un pouvoir que nous avons reçu de sa grâce. Si nous méritons sa pitié par nos actions, si nous méritons sa bonté, Dieu aura pitié de nous ; mais si nous n’avons pas pitié de nous-mêmes, qui donc nous ménagera ? Ayez pitié de votre prochain, et Dieu lui-même aura pitié de vous. Combien y en a-t-il qui vous disent chaque jour : Ayez pitié de moi, sans que vous vous retourniez seulement ? Combien de malheureux qui sont nus, manchots, mutilés, et nous sommes insensibles ; et de combien d’infortunés repoussons-nous les prières suppliantes ! Comment pouvez-vous espérer d’être pris en pitié, vous qui ne faites rien pour mériter la pitié ? Devenons donc miséricordieux, devenons donc doux et compatissants, afin d’être ainsi agréables à Dieu, et d’obtenir les biens promis à ceux qui l’aiment, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE X.


NOUS VOUS DEMANDONS, MES FRÈRES, DE RECONNAÎTRE CEUX QUI SE FATIGUENT PARMI VOUS, QUI VOUS GOUVERNENT SELON LE SEIGNEUR, ET QUI VOUS AVERTISSENT, ET D’AVOIR, POUR EUX, UNE AFFECTION SINGULIÈRE, À CAUSE DU TRAVAIL QU’ILS FONT ; CONSERVEZ LA PAIX AVEC EUX. (V, 12-18)


Analyse.

  1. Sur les difficultés que rencontre toujours celui qui gouverne, qui contrarient surtout l’action du prêtre. – De la dignité du prêtre, et des sacrifices auxquels il se soumet. – Droits du prêtre à la reconnaissance. – De la réprimande, quel en doit être le caractère. – Différentes espèces de dérèglements et de vices.
  2. Il faut toujours chercher le bien, rendre le bien, même pour le mal, se maintenir dans la joie, prier. – Les afflictions ne sont rien, c’est nous qui nous frappons nous-mêmes.
  3. Contre l’avarice, source de tous les maux. – Contre les vains prétextes qu’on allègue pour la justifier. – Désintéressement de Jacob, d’Abraham. – La sollicitude paternelle, le besoin d’assurer des ressources à ses enfants ne saurait en rien excuser l’avarice. – Ne profanons pas l’admirable institution de Dieu, l’amour paternel, en l’appliquant à la défense de la cupidité.
  4. Contre la rapine, le vol, le brigandage. Contre le mépris de l’homme pour l’homme. – L’avarice, plus effrontée, plus criminelle que le brigandage – Texte d’une verve admirable de vérité et de naturelle indignation.

1. Celui qui commande est nécessairement exposé à une multitude de petites rancunes ; de même que les médecins nécessairement chagrinent plus d’une fois les malades, en leur donnant et des aliments et des médicaments, désagréables sans doute, mais d’une grande utilité ; de même que les pères sont souvent à charge à leurs fils, de même arrive-t-il à ceux qui enseignent, et à ceux-là plus qu’à tous les autres, d’être importuns, à charge, odieux. Le médecin, dans le cas même où le malade l’a pris en haine, n’a qu’à se louer des parents du malade et de ses amis ; et souvent le médecin n’a qu’à se louer du malade. Quant au père, qui a pour lui et la nature et le secours que lui prêtent d’ailleurs les lois, il lui est très-facile de gouverner son fils. Supposez l’enfant indocile, le père pourra le corriger et le châtier sans que personne s’y oppose ; ajoutons que l’enfant même n’osera pas le regarder en face. Le prêtre, au contraire, doit surmonter de grandes difficultés. Et d’abord, il faut que son empire, que sa direction soit acceptée ; ce qui ne se fait pas tout de suite ; car celui qu’on reprend et qu’on blâme, quel qu’il soit, oublie qu’il doit savoir gré de la réprimande, et devient un ennemi. De même celui à qui on adresse des conseils, des avertissements, des prières. Si je vous dis : Versez votre argent entré les mains des pauvres, ce que je vous dis là, vous est à charge et désagréable ; si je vous dis : Apaisez votre colère, éteignez le feu de votre cœur, réprimez un désir déréglé, supprimez quelque peu de vos délicatesses, autant de paroles désagréables, et qui sont à charge ; si je châtie l’indolent et le lâche, que je l’écarte de l’Église, que je lui interdise la prière commune, il s’afflige, non pas de ce qu’il est déchu, mais de ce qu’il est publiquement exposé à la honte.

Car voilà encore ce qui accroît notre mal quand on nous interdit les biens spirituels, nous nous affligeons, non pas d’être privés de biens si précieux, mais d’être en spectacle, et forcés de rougir. Ce n’est pas la privation même que nous avons en horreur, que nous redoutons. – Paul fait entendre, à ce sujet, beaucoup de réflexions. Et le Christ, pour recommander la soumission à l’autorité religieuse, a été jusqu’à dire : « Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ; observez donc et faites tout ce qu’ils vous disent, mais ne faites pas ce qu’ils font » (Mt. 23,2) ; et ailleurs, après avoir guéri le lépreux, il disait : « Allez vous montrer au prêtre et offrez le don prescrit par Moïse, afin que cela leur serve de témoignage ». (Id. 8,4) – Mais, Seigneur, vous avez dit aussi vous-même aux scribes et aux pharisiens qu’ils font un prosélyte et qu’ils le rendent digne de l’enfer deux fois plus qu’eux-mêmes. – C’est pour cela que j’ai dit, répond le Christ : « Ne faites pas ce qu’ils font ». (Mt. 23) Le Seigneur ôte par ces paroles tout prétexte à l’insoumission. Paul écrivait encore à Timothée : « Que les prêtres qui gouvernent bien, soient doublement honorés » (1Tim. 5,17) ; il écrivait aux Hébreux : « Obéissez à vos conducteurs, et soyez-leur soumis ». Et ici encore : « Nous vous demandons, mes frères, de reconnaître ceux qui se fatiguent parmi vous, et qui vous gouvernent selon le Seigneur ». Comme il a dit en effet : « Édifiez-vous l’un l’autre », ils auraient pu s’imaginer qu’il les élevait tous au rang de docteurs. Voilà pourquoi il ajoute des paroles qui reviennent à ceci Croyez bien que je vous ai recommandé de vous édifier réciproquement, car il n’est pas possible que le docteur dise tout, à lui tout seul.

« Ceux qui se fatiguent », dit-il, « parmi vous, qui vous gouvernent selon le Seigneur, et qui vous avertissent ». Si un homme vous prenait sous sa protection, vous défendait, vous feriez tout pour lui marquer votre reconnaissance ; or voici maintenant un homme qui vous prend sous sa protection auprès de Dieu et qui vous défend, et vous ne lui avez pas de reconnaissance, n’est-ce pas absurde ? Et comment cet homme, objecte-t-on, me défend-il ? Parce qu’il prie pour vous, parce qu’il se met à votre service, en vous communiquant le don spirituel du baptême ; Parce qu’il vous visite, vous exhorte, vous avertit ; au milieu de la nuit, si vous l’appelez, il va vous trouver ; il ne fait pas autre chose que de parler pour vous, et il supporte les malédictions dont vous l’accablez parfois. Quelle nécessité l’y a contraint ? A-t-il bien fait, ou mal fait ? Vous, vous avez une femme, et vous passez toute votre vie dans les délices, vous consacrez toutes vos heures au commerce ; le prêtre n’a qu’une affaire ; sa vie entière se passe attachée à l’Église. « D’avoir pour eux une affection singulière, à cause de l’œuvre qu’ils font, conservez la paix avec eux ». Voyez-vous la connaissance qu’il a des discordes qui s’élèvent ? Il ne dit pas seulement : Une affection, mais « une affection singulière », comme celle des fils pour leurs pères. En effet, ce sont pour vous des pères, qui vous ont engendrés à la vie éternelle ; c’est par eux que vous avez conquis votre royauté ; ce sont leurs mains qui font tout ; ce sont eux qui vous ouvrent les portes du ciel ; pas de sédition, pas de querelle ; celui qui aime le Christ aimera son prêtre, quel qu’il soit, parce que c’est par lui qu’il jouit des sacrements vénérables. Dites-moi, si vous vouliez voir un palais tout brillant d’or, tout resplendissant de l’éclat des pierreries, si vous alliez trouver celui qui a les clefs, et que sur votre demande il vous ouvrit aussitôt, et vous donnât les moyens d’entrer, cet homme-là, ne le préféreriez-vous pas à tous les hommes ? Ne l’aimeriez-vous pas comme vos yeux ? Ne l’embrasseriez-vous pas ? Le prêtre vous a ouvert le ciel, et vous ne le baisez pas, vous ne l’embrassez pas ? Si vous avez une femme, ne chérissez-vous pas, au plus haut degré, celui qui l’a unie à votre destinée ? Eh bien ! si vous chérissez le Christ, si vous chérissez le royaume du ciel, reconnaissez ceux à qui vous le devez. Voilà pourquoi il dit : « À cause de l’œuvre qu’ils font, conservez la paix avec eux. Je vous prie encore, mes frères, reprenez ceux qui sont déréglés, consolez ceux qui ont l’esprit abattu, supportez les faibles, soyez patients envers tous (14) ».

2. Ici, il s’adresse à ceux qui conduisent « Reprenez ceux qui sont déréglés », ce qui veut dire : Ne les gourmandez pas, en vous prévalant de votre pouvoir ; ne le faites pas avec insolence ; soyez équitables et doux. « Consolez ceux qui, ont l’esprit abattu, supportez les faibles, soyez patients envers tous ». C’est que la réprimande amère produit le désespoir, l’effronterie, quand on la méprise ; par ces raisons, l’apôtre veut que les exhortations soient douces, que le remède soit agréable. Mais quels sont les déréglés ? Ceux qui agissent sans consulter la volonté de Dieu. En effet, la hiérarchie militaire elle-même est moins harmonieuse que la hiérarchie de l’Église. Aussi celui qui fait entendre de mauvaises paroles est déréglé ; celui qui s’enivre est déréglé ; de même l’avare, de même tous les pécheurs. En effet, ils ne s’avancent pas en bon ordre, de manière à former une phalange, mais ils vont en désordre, et voilà pourquoi ils sont renversés. Il est encore une autre espèce de vices qui ne sont pas de la même nature, mais c’est toujours une nature vicieuse. Quel est cet autre mal ? La bassesse de l’âme ; autant que l’indolence, elle est funeste. Qui ne supporte pas l’outrage, a l’âme basse ; qui ne supporte pas la tentation, a l’âme basse ; de celui-là, l’âme est la pierre sur laquelle la semence est tombée. Autre espèce de vice ; c’est la faiblesse. « Supportez les faibles ». Il entend les faibles selon la foi ; car il y a une faiblesse selon la foi ; mais considérez qu’il ne veut pas qu’on les méprise. Ailleurs encore l’apôtre écrivait : « Supportez les faibles dans la foi ». (Rom. 14,1) En effet, nous avons, dans nos corps, des membres faibles ; nous ne les laissons pas dépérir. « Soyez patients envers tous », dit l’apôtre. Eh quoi donc, même envers ceux qui sont déréglés ? Sans doute ; car il n’est pas de remède qui convienne mieux de la part de celui qui enseigne, et il n’en est pas de mieux fait pour ceux qui obéissent. Et ce remède a toute l’énergie capable de rappeler à la pudeur le plus farouche et le plus impudent.

« Prenez garde que nul ne rende à un autre le mal pour le mal (15) ». S’il ne faut pas rendre le mal pour le mal, à bien plus forte raison ne convient-il pas de rendre le mal pour le bien ; à plus forte raison encore, si l’on n’a reçu aucun mal, ne faut-il pas rendre le mal. Mais un tel, dit-on, est un être méchant ; et il m’a, fait beaucoup d’injures. Voulez-vous le punir ? Ne lui rendez pas la pareille ; laissez-le impuni. Est-ce assez ? nullement. « Mais cherchez toujours à faire du bien, et à vos frères, et à tout le monde ». Voilà la sagesse supérieure, qui ne se contente pas de ne pas rendre le mal pour le mal, qui veut, en outre, rendre le bien pour le mal. C’est là, en effet, la vraie vengeance, funeste pour celui qui en est l’objet, entièrement utile pour vous ; disons mieux, utile aussi pour l’autre, si sa volonté y consent. Et ne croyez pas qu’il s’agisse ici seulement des fidèles, car l’apôtre vous dit : « Et à vos frères, et à tout le monde ».

« Soyez toujours dans la joie (16) ». Ceci regarde les épreuves qui jettent l’âme dans la tristesse. Écoutez, tous tant que vous êtes, qui êtes tombés dans la pauvreté ; écoutez, vous tous qui êtes tombés dans l’infortune, car de là naît la joie. Quand nous sommes portés à laisser toute offense impunie, à faire du bien à tous les hommes, d’où viendrait, répondez-moi, l’aiguillon de la douleur qui percerait notre âme ? Celui que les mauvais traitements réjouissent, de telle sorte qu’il se venge par des bienfaits de celui qui le blesse, comment serait-il accessible au chagrin ? Mais, me dit-on, un tel caractère est-il possible ? Nous n’avons qu’à vouloir pour le rendre possible. L’apôtre continue et nous montre le chemin : « Priez sans cesse (17). Rendez grâces à Dieu en toutes choses, car c’est là la volonté de Dieu (18) ».

Toujours des actions de grâces, voilà la sagesse. Vous avez éprouvé quelque mal ? Mais, si vous le voulez, il n’y a pas là de mal ; bénissez Dieu, et le mal se transforme en bien dites-vous aussi, comme Job : « Que le nom du Seigneur soit béni dans tous les siècles ». (Job. 1,21) Car, répondez-moi, qu’avez-vous souffert qui ressemble à ce qu’il a souffert ? La maladie est tombée sur vous ? Il n’y a là rien d’étrange ; notre corps est mortel et fait pour la souffrance. Mais la pauvreté vous a surpris ; vous n’avez plus d’argent ? Mais l’argent se gagne et se perd, il n’a d’usage qu’ici-bas. Vous avez été attaqué, calomnié par des ennemis ? Mais ce n’est pas nous qui avons souffert, en cela, aucun mal ; le mal est pour ceux qui nous ont fait injure. En effet, dit le Prophète, « l’âme qui commet le péché, mourra elle-même ». (Ez. 18,20) Or, le pécheur, ce n’est pas celui qui a souffert, mais celui qui a fait le mal ; donc il ne faut pas se venger de celui qui est dans la mort, mais prier pour lui, afin de l’affranchir de la mort. Ne voyez-vous pas que l’abeille meurt en frappant de son aiguillon ? Dieu se sert de cet animal pour nous montrer que nous ne devons jamais nuire aux autres hommes ; c’est nous, en effet, qui nous frappons de mort. Il peut se faire qu’en les frappant, nous leur causions une petite douleur ; mais nous, nous y perdons la vie comme l’abeille. C’est ce que dit l’Écriture : « Combien l’abeille est travailleuse » ; l’ouvrage qu’elle produit rend la santé aux rois et aux particuliers, mais ne la défend en rien de la mort ; il faut absolument qu’elle périsse. Si le mal qu’elle fait n’est pas racheté par tant de services, il en est de même, à bien plus forte raison, pour nous.

3. C’est vraiment ressembler aux bêtes les plus féroces que de commencer à nuire à quelqu’un sans provocation de sa part ; et même c’est être pire que les bêtes féroces, car si vous les laissez dans leurs solitudes, si vous n’exercez contre elles aucune contrainte, aucune violence ; elles ne vous feront jamais de mal, elles n’iront pas vous trouver, elles n’iront pas vous mordre, elles passeront leur chemin. Mais toi, ô homme, toi qui es doué de raison, qui as reçu en privilège tant de puissance, d’honneur et de gloire, tu n’imites pas même la conduite des bêtes féroces envers les animaux de la même espèce, et tu commets l’injustice contre ton frère, et tu le dévores. Et comment pourras-tu t’excuser ? N’entends-tu pas la voix de Paul : « Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt qu’on vous fasse tort ? Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt qu’on vous trompe ? Mais c’est vous-mêmes qui faites tort aux autres, et qui les trompez, et qui faites cela à vos frères ». (1Cor. 6,7-8) Voyez-vous que faire le mal c’est le subir, que savoir le supporter c’est éprouver un bien ? En effet, dites-moi, je vous prie, supposez un homme qui attaquerait de ses injures les magistrats, qui insulterait les puissances, à qui ferait-il du tort ? À lui-même ou à ceux qu’il attaquerait ? Évidemment, il ne nuirait qu’à lui-même. Celui qui outrage les magistrats, n’outrage pas en réalité les magistrats, il n’outrage que lui-même ; celui qui outrage un homme, par cela même n’outrage-t-il pas le Christ ? Nullement, me réplique-t-on. Que dites-vous là ? Celui qui lance des pierres contre les images de l’empereur, contre qui lance-t-il des pierres ? N’est-ce pas contre lui-même ? Si lancer des pierres contre l’image du souverain de la terre n’est pas autre chose que les lancer contre soi-même, outrager l’image du Christ (car l’homme est l’image de Dieu), n’est-ce pas s’outrager soi-même ?

Combien de temps encore serons-nous amoureux des richesses ; car je ne cesserai pas de les poursuivre de mes cris, voilà la cause de tous nos maux. Combien de temps encore nous montrerons-nous insatiables, impuissants à assouvir cette faim que rien n’apaise ? Qu’y a-t-il donc de si beau dans l’or ? Je ne reviens pas de ma stupeur ; en vérité il faut qu’il y ait là je ne sais quel prestige, comment expliquer cette considération si profonde qui s’attache à l’or, à l’argent parmi nous. Nous ne faisons aucun cas de ces âmes qui sont nos âmes, mais nous sommes à genoux devant des images inanimées ? D’où est venue, à la terre, cette maladie ? Qui donc aura le pouvoir de la faire disparaître ? Quel discours aura pour effet d’exterminer cette bête monstrueuse, de l’anéantir, de la détruire de telle sorte qu’il n’en reste plus rien ? Cette fureur insensée, elle est dans toutes les âmes, dans les âmes mêmes de ces hommes qui semblent adonnés à la piété ! Sachons donc rougir en nous rappelant les préceptes évangéliques ; ce sont des mots qui se trouvent dans l’Écriture, voilà tout, mais vous n’en voyez nulle part la pratique dans les actions. Mais enfin, quelles excuses spécieuses fait-on généralement entendre ?

J’ai des enfants, dit l’un, et j’ai peur d’être réduit un jour à manquer de pain, à n’avoir plus loin à subir la honte de tendre la main aux autres, à mendier. Voilà donc pourquoi vous forcez les autres à mendier ? Je ne puis pas, dit celui-là, supporter la faim. Voilà donc pourquoi vous la faites supporter aux autres ? Vous savez combien il est douloureux de mendier, douloureux d’être rongé par la faim ? Eh bien ! alors, épargnez vos frères. Vous rougissez d’avoir faim, répondez-moi, et vous ne rougissez pas de ravir le bien d’autrui ? Vous craignez que la faim ne vous ronge, et vous ne craignez pas que les autres soient rongés par la faim. Certes, il n’y a pas à rougir de souffrir la faim, il n’y a là aucun sujet de reproche, mais forcer les autres à la subir, ce n’est pas seulement une honte, mais un crime qui mérite le plus rigoureux des châtiments. Toutes vos raisons ne sont que vains prétextes, verbiage, puérilités. La preuve que vous ne pensez pas à vos enfants, c’est la foule innombrable de ceux qui n’ont pas d’enfants, qui n’en auront jamais, et qui cependant se tourmentent tout autant, et sont misérables, et entassent l’or, et grossissent leur fortune comme s’ils avaient des milliers d’enfants à qui ils voudraient la laisser. Non, ce n’est pas la préoccupation pour les enfants qui produit l’avidité, l’avarice, c’est une maladie de l’âme. Voilà pourquoi tant d’hommes sans enfants sont possédés de cette fureur des richesses, tandis que d’autres, avec une nombreuse famille, méprisent la fortune qu’ils ont : ceux-là seront vos accusateurs au dernier jour. Si la nécessité d’assurer l’existence de vos enfants était la seule cause de votre désir d’amasser, ceux-là aussi devraient éprouver ce même désir, cette même passion ; s’ils ne la ressentent pas, ce n’est pas notre inquiétude pour nos enfants, c’est notre amour de l’argent qui nous rend insensés.

Mais quels sont-ils donc, me demande-t-on, ceux qui ont des enfants et méprisent les richesses ? lis sont nombreux, et partout ; si vous voulez, je vous parlerai des anciens hommes. Jacob n’avait-il pas douze enfants ? N’a-t-il pas mené la vie d’un mercenaire ? N’a-t-il pas eu à souffrir de la part de son beau-père ? N’a-t-il pas été obligé de lui faire des reproches ? (Gen. 31,7-8, 36-38) Le grand nombre de ses enfants lui a-t-il jamais inspiré de mauvaises pensées ? Et Abraham ? N’a-t-il pas eu, outre Isaac, un grand nombre d’autres enfants ? (Gen. 25,1-4) Eh bien ! ne faisait-il pas part de ses biens aux voyageurs ? Ne voyez-vous pas que non seulement il ne commettait pas l’injustice, mais qu’il savait renoncer à ses possessions, que non seulement il faisait du bien, mais qu’il consentait au tort que lui faisait son neveu ? C’est que savoir souffrir, en vue de Dieu, le tort qu’on vous fait en vous ravissant ce qui est à vous, suppose une vertu encore plus haute que de faire simplement le bien. Pourquoi ? C’est que la vertu ordinaire est un fruit de l’âme, un fruit de la volonté, d’où il suit qu’elle coûte peu ; mais, dans le cas d’un vol, il y a insulte et violence. Et il en coûte beaucoup moins de donner spontanément dix mille talents qu’on jette sans la moindre peine, que de se voir enlever trois oboles qu’on ne s’attendait pas à perdre. Voilà pourquoi la résignation est l’effet d’une sagesse plus parfaite. C’est un exemple que nous trouvons dans la vie d’Abraham : « Loth considéra tout le pays », dit l’Écriture, « et il était arrosé comme le paradis de Dieu, et il le choisit pour lui ». (Gen. 13,10-11) Et Abraham ne fit aucune objection. Comprenez-vous que non seulement il ne commettait pas l’injustice, mais qu’il la supportait ? Pourquoi accuses-tu tes enfants, ô homme ? Si Dieu nous a donné nos enfants, ce n’est pas pour piller le bien d’autrui. Prends garde d’irriter Dieu par tes paroles. Si tu dis que ce sont tes enfants qui font de toi un ravisseur, un homme cupide, j’ai peur que tu n’en sois privé comme d’ennemis conjurés pour te perdre. Dieu t’a donné tes enfants pour prendre soin de ta vieillesse, pour apprendre de toi la vertu.

4. Voilà pourquoi Dieu a constitué la race des hommes telle qu’elle est : il a agencé deux ressorts des plus énergiques : d’une part, il a établi les pères pour maîtres et docteurs ; d’autre part il a inspiré un grand et naturel amour. En effet, si la Providence ne présidait pas à la génération des hommes, personne n’aurait d’affection pour personne. Si maintenant même qu’il y a des pères, des enfants et des petits enfants, tant d’hommes sont indifférents pour le plus grand nombre des hommes ; il en serait à bien plus forte raison de même, sans la parenté. Voilà pourquoi Dieu vous a donné des enfants : gardez-vous donc de les accuser. Et maintenant si ceux qui ont des enfants, n’en sont pas moins dépourvus de toute excuse, comment pourront-ils se défendre, ceux qui n’en ont pas, et qui se tourmentent tant pour faire fortune ? Ces derniers pourtant, eux aussi, ont leur excuse, absolument inadmissible. Quelle est-elle ? Je n’ai pas d’enfants, je veux être riche, pour qu’on se souvienne de moi. Le ridicule, en vérité, est ici à son comble. Je n’ai pas d’enfants, dit cet insensé, ma maison sera l’immortel monument de ma gloire. Ce n’est pas de ta gloire, ô homme, mais de ton avarice qu’elle sera le monument. Ne vois-tu pas la foule qui regarde aujourd’hui ces splendides maisons, n’entends-tu pas ces discours : Que de machinations perfides n’a-t-il pas faites pour acquérir tant de richesses, que n’a-t-il pas pillé pour construire cette maison ? et ce riche n’est plus aujourd’hui que cendre et poussière, et cette maison est passée en des mains étrangères. Ce n’est donc pas de ta gloire que tu laisses un monument, mais de ton avarice. Ton corps est caché au sein de la terre, mais tu ne veux pas que le souvenir de ton avarice puisse se perdre par la suite des temps ; on le fouille, on le déterre, voilà ce que tu fais, grâce à ta maison. Car tant qu’elle a gardé ton nom, qu’elle a été ta propriété, il a bien fallu, de toute nécessité, que toutes les bouches s’ouvrissent pour t’accuser. Comprends-tu qu’il vaut mieux ne rien avoir, que d’être obligé de supporter une pareille accusation ? Ces réflexions s’appliquent à notre condition ici-bas ; mais maintenant là-haut, dites, je vous en prie, que ferons-nous, nous qui aurons tant possédé, mais rien donné, ou très peu de chose, des biens qui auront été en notre pouvoir ? comment nous débarrasserons-nous des fruits de notre cupidité ? Celui qui veut se débarrasser des fruits de sa cupidité, ne donne pas un peu de beaucoup, il donne beaucoup plus qu’il n’a ravi, et il cesse de pratiquer la rapine.

Écoutez ce que dit Zachée : « Je rends, de ce que j’ai pris à tort, le quadruple ». (Lc. 19,8) Quant à toi, tu pilles dix mille talents, tu donnes quelques drachmes, à grand-peine encore, et tu crois avoir tout rendu, tu te regardes comme ayant dépassé tes rapines par le don que tu as fait. Or, voici ce qu’il faut faire : d’abord il faut rendre ce que tu as pris, et prélever sur ce qui t’appartient de manière à ajouter à ce que tu as rendu. Le voleur ne restitue pas ce qu’il a pris sans y rien ajouter pour se justifier, souvent il paie, en outre, de sa vie, souvent une transaction s’opère moyennant qu’il donne beaucoup plus : il en est de la cupidité comme du vol. L’avare, en effet, c’est un voleur, c’est un brigand d’une espèce beaucoup plus dangereuse, parce qu’elle est plus tyrannique. Le voleur fait ses coups en cachette, et de nuit ; son crime est moins audacieux, il a honte, il a peur en le commettant ; mais le cupide, l’avare, dépouillant toute honte, nu-tête, au beau milieu de la place publique, il pille la fortune de tous ; c’est un voleur et un tyran tout ensemble ; il ne fait pas de trous dans les murs, il n’éteint pas la lumière, il n’ouvre pas le coffre-fort, il n’efface pas les traces de son crime ; mais que fait-il donc ? Son effronterie a toute l’ardeur de la jeunesse : à la vue de ceux auxquels il vient enlever tout ce qu’ils ont, il ouvre la porte toute grande, il s’élance, rien ne le gêne ni ne l’intimide, il ouvre tout, il force les malheureux à se dépouiller eux-mêmes. Voilà jusqu’où va sa violence que rien n’arrête. L’avare est plus infâme que tous les voleurs ensemble, parce qu’il est plus effronté, parce que c’est un plus cruel tyran. Celui qui souffre des brigandages ordinaires, souffre sans doute, mais il peut goûter une puissante consolation, en ce qu’il est redouté par celui qui lui a fait du tort ; mais la victime de l’homme cupide, il lui faut souffrir et l’injustice et les mépris ; elle ne peut pas avoir recours à la force, elle n’en serait que plus exposée à la dérision. Dites-moi, un adultère se cache ; un autre, au contraire, à la vue du mari, ne se cache pas du tout, lequel des deux fait la blessure la plus cruelle, la plus déchirante ? Le dernier sans doute, il ne se contente pas de nuire, il joint à l’injure, le mépris : l’autre a au moins cela pour lui, qu’il redoute celui qu’il a offensé. Il en est de même pour les crimes qui concernent la richesse ; celui qui se cache, pour dérober, marque au moins quelques égards, en ce qu’il se cache ; au contraire, celui qui pille ouvertement, publiquement, ajoute, au préjudice qu’il fait, même la honte de subir des mépris.

Cessons donc de piller le bien des autres, finissons-en, pauvres et riches. Car ce discours ne s’adresse pas seulement aux riches, mais je parle aussi pour les pauvres. Eux aussi pillent ceux qui sont plus pauvres ; parmi les ouvriers, ceux qui ont plus de ressources et de pouvoir, vendent ceux qui sont plus pauvres et plus faibles, infâme commerce, des méchants vendent des méchants, et tous en pleine place publique. Si bien que ce que je veux, c’est exterminer partout l’injustice. Car ce n’est pas à la mesure des choses pillées ou volées qu’il faut juger du crime, il est tout entier dans la volonté libre du ravisseur.

Quant à cette vérité que, les voleurs les plus coupables, les plus tourmentés du mal de la Cupidité, sont ceux qui ne dédaignent pas les plus minces larcins, je sais, je me rappelle que je vous l’ai exposée, je suppose que vous vous en souvenez, vous aussi. Toutefois ne subtilisons pas. Considérons-les comme des riches. Corrigeons-nous, habituons-nous à modérer nos désirs, à ne rien souhaiter plus qu’il ne faut. En ce qui concerne les biens célestes, ne modérons jamais notre désir d’avoir plus, toujours plus encore, que ce désir ne quitte jamais aucun de nous ; mais, pour ce qui est de la terre, que chacun se contente de ce qui doit suffire à son usage, et ne recherche jamais rien de plus, afin qu’il nous soit ainsi donné d’obtenir les vrais biens, par la grâce et par la bonté, etc, etc.

HOMÉLIE XI.


N’ÉTEIGNEZ PAS L’ESPRIT, NE MÉPRISEZ PAS LES PROPHÉTIES ; ÉPROUVEZ TOUT, ET RETENEZ CE QUI EST BON ; ABSTENEZ-VOUS DE TOUT CE QUI À QUELQUE APPARENCE DE MAL. (V, 19-23)


Analyse.

  1. De la lumière que Dieu nous a donnée pour éclairer nos ténèbres. – Ce qu’en font les hommes. – Contre l’impureté qui l’éteint. – Des diverses passions mauvaises qui rendent la grâce inutile.
  2. Du respect pour les prophéties. – De la sanctification. – De la prière. – Humilité de saint Paul demandant aux fidèles de prier pour lui. – Pourquoi le pasteur a raison de tenir aux prières de ceux qu’il dirige. – Amour de saint Paul pour les fidèles.
  3. Histoire d’une servante. – Contre l’indifférence envers les pauvres et les malheureux. – Les pauvres, réduits, pour vivre, à faire le métier de prestidigitateurs, de bouffons, au lieu de prier Dieu pour nous ! Supériorité des mendiants, priants et résignés, sur les heureux de ce monde.
  4. et 5. Utilité de la présence des pauvres dans les églises. – Ce sont les chiens qui gardent les palais du Seigneur. – Vanité des choses humaines. – De l’égalité devant Dieu.

1. Une obscurité épaisse, des nuages ténébreux se sont répandus sur toute la terre, c’est ce que l’apôtre montrait par ces paroles « Nous n’étions autrefois que ténèbres » (Eph. 5,8) ; et ailleurs. « Mes frères, vous n’êtes pas dans les ténèbres, pour être surpris de ce jour, comme d’un voleur ». (1Thes. 5,4) Donc, puisque c’est la nuit, et, pour ainsi dire, une nuit sans lune ; puisque c’est dans cette nuit que nous marchons, le Seigneur nous a donné une lampe brillante, la grâce du Saint-Esprit, qu’il a allumée dans nos âmes. Mais voici ce qui est arrivé de cette lumière : les uns l’ont reçue et l’ont rendue plus éclatante, plus resplendissante, comme ont fait et Paul, et Pierre, et tous ces glorieux saints ; les autres, au contraire, l’ont éteinte ainsi les cinq vierges ; ainsi ceux qui ont fait le naufrage dans la foi, comme le fornicateur de Corinthe, comme les Galates pervertis. Voilà pourquoi Paul dit maintenant : « N’éteignez pas l’Esprit », c’est-à-dire, la grâce. C’est son habitude d’appeler ainsi la grâce de l’Esprit ; et ce qui l’éteint, c’est l’impureté. Supposez que, dans nos lanternes, on verse de l’eau, on mette de la terre : on éteindra la lumière ; et il n’est même pas besoin de rien faire de semblable : il suffit d’ôter l’huile ; il en est de même de la grâce de l’Esprit ; mêlez-y les choses terrestres, les soucis des affaires, vous éteignez l’Esprit, et, à défaut de ce que vous aurez pu faire, il suffit d’ailleurs d’une tentation survenant violemment pour éteindre, comme le fait le vent, la flamme qui n’est pas assez forte, ou qui n’a pas assez d’huile pour la nourrir, ou c’est que vous n’avez pas bouché les ouvertures, fermé la porte, et tout est perdu.

Les ouvertures, qu’est-ce à dire ? Il en est de nous comme des lanternes : nos ouvertures sont les yeux et les oreilles. Ne souffrez pas que le vent de la perversité s’y engouffre, parce qu’il éteint la lumière ; bouchez vos ouvertures, avec la crainte de Dieu ; la bouche est une porte, fermez-la à clef, et tirez le verrou, afin d’abriter la lumière et de n’avoir pas à craindre l’irruption du dehors. Exemple : on vous a outragés, on, vous a dit des injures : fermez votre bouche, parce que, si vous l’ouvrez, vous excitez le vent. Voyez ce qui se passe dans nos maisons, quand il y a deux portes directement en face l’une de l’autre, que le vent souffle avec violence ; si vous fermez l’une, sans établir de courant d’air, le vent n’a pas de prise ; toute sa force tombe ; il en est de même ici : les deux portes sont votre bouche et celle de l’homme qui vous outrage et vous injurie. Si vous fermez votre bouche, si vous n’établissez pas de courant d’air, vous faites tomber toute la force du vent ; au contraire, ouvrez-la ; vous ne pouvez plus maîtriser le vent ; donc n’éteignons pas la grâce. Il arrive souvent que, même sans aucune irruption du dehors, la flamme s’éteint ; c’est l’huile qui manque ; nous ne faisons pas l’aumône, l’Esprit s’éteint. En effet, l’aumône vient de Dieu vers vous ; elle voit qu’il n’y a, auprès de vous, aucun fruit à faire, et elle s’envole ; elle ne reste pas dans une âme insensible à la pitié. Une fois l’Esprit éteint, vous savez ce qui arrive, ô vous tous qui avez marché dans une nuit sans lune. S’il est difficile de trouver, pendant la nuit, le chemin qui conduit d’une terre à une autre terre, comment pourrait-on se diriger ; dans le chemin qui conduit de la terre au ciel ? Ignorez-vous tous les démons répandus dans cet espace, tous les monstres, tous les génies de la perversité ? Eh bien, si nous avons cette lumière dont je parle, ils ne peuvent en rien nous nuire ; au contraire, si nous l’éteignons, vite ils se jettent sur nous, vite ils nous dévalisent. Vous savez bien que les brigands éteignent la lumière avant de commettre leurs brigandages. Ces esprits du mal voient clair dans ces ténèbres, parce que leurs œuvres sont ténébreuses ; mais nous, nous n’avons pas l’habitude de cette lumière. Gardons-nous donc de l’éteindre ; toute action mauvaise l’éteint, toute querelle, toute mauvaise parole, quelle qu’elle soit. Tout corps d’une nature étrangère au feu en ruine l’essence ; ce qui allume le feu, c’est ce qui a de l’affinité avec lui. Il en est de même pour la lumière ; ce qui est résistant, chaud, igné, embrase la flamme de l’Esprit ; n’y portons donc rien de froid, ni rien d’humide, car voilà ce qui éteint le feu spirituel.

On peut encore vous proposer d’autres réflexions. Grand nombre d’hommes, chez ces premiers chrétiens, prophétisaient ; les uns parlaient selon la vérité, les autres ne proféraient que des mensonges. Paul le dit encore dans son épître aux Corinthiens : « C’est pour cela », dit-il, « que Dieu a donné le discernement des esprits ». (1Cor. 12,10) L’esprit impur, le démon aurait voulu faire servir ce don de prophétie à la destruction complète de l’Église. Il y avait deux prédictions : celle du démon, celle de l’Esprit ; la première remplie de mensonges, la seconde n’exprimant que la vérité. Impossible de les distinguer, de les reconnaître ; on eût dit Jérémie et Ézéchiel. Quand le temps fut venu, Dieu permit de reconnaître, de distinguer les esprits. Il y avait donc à cette époque, chez les habitants de Thessalonique, un grand nombre de prophètes, que Paul désigne, dans un autre passage, par ces paroles : « Ne vous laissez ébranler ni par des discours, ni par des lettres supposées écrites par nous, de manière à croire que le jour du Seigneur est arrivé ». (2Thes. 2,2) C’est ce qui fait qu’après avoir dit ici : « N’éteignez pas l’Esprit », il a eu raison d’ajouter ce qui suit : « Ne méprisez pas les prophéties » ; ce qui veut dire : S’il y a auprès de vous quelques faux prophètes, ce n’est pas une raison pour écarter les autres, pour vous éloigner d’eux. Gardez-vous d’éteindre les prophètes : Voilà ce que veut dire : « Ne méprisez pas les prophéties ».

2. Comprenez-vous ce qu’il entend par « Éprouvez tout ? » Comme il vient de dire « Ne méprisez pas les prophéties », on pouvait s’imaginer qu’il accordait à tous les prophètes indistinctement, l’accès de la chaire. « Éprouvez tout », dit-il ; « retenez ce qui est bon », c’est-à-dire les véritables prophéties : « Abstenez-vous de tout ce qui a quelque apparence de mal ». Il ne dit pas, de telle ou telle mauvaise apparence, mais : « De tout ce qui a quelque apparence de mal » ; mensonges, vérités, éprouvez tout, examinez, distinguez, pour vous abstenir dur mal, et pour vous attacher au bien. C’est ainsi que vous prouverez votre haine sincère pour ce qui est mal, votre amour pour ce qui est bien. Ne vous contentez pas d’agir à la légère et sans examen ; ne faisons rien qu’après nous être rendu soigneusement un compte exact de tout.

« Que le Dieu de paix vous sanctifie lui-même, en toute manière, afin que tout ce a qui est en vous, l’esprit, l’âme et le corps, se conservent sans tache, pour l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ (23) ». Voyez l’affection que montre le maître ; à l’exhortation il joint la prière, et non seulement l’a prière parlée, mais la prière écrite c’est que le conseil ne suffit pas, il faut encore la prière. Voilà pourquoi, nous aussi, nous vous conseillons, et nous faisons pour vous des prières, ce que savent bien les initiés. Quant à Paul, certes, il avait raison d’agir ainsi, lui qui avait tant de droit de parler à Dieu en toute liberté. Mais nous, nous sommes couverts de honte, et nous n’avons pas auprès de Dieu cette liberté ; mais comme nous avons été établis et ordonnés pour agir de cette sorte, malgré notre indignité, nous nous adressons à Dieu, quoique nous ne méritions pas d’être comptés parmi les derniers des disciples. Mais nous savons que la grâce opère, par le moyen des hommes indignes, non en vue d’eux-mêmes, mais en vue de ceux qui en retireront de l’utilité, et nous apportons ce qui dépend de nous. « Qu’il vous sanctifie », dit l’apôtre, « en toute manière, afin que tout ce qui est en vous, l’esprit, l’âme et le corps, se conservent sans tache, par l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Qu’entend-il ici par « Esprit ? » Cela veut dire, la grâce, le don gratuit ; car si nous sortons d’ici emportant dans nos mains des lampes brillantes, nous entrerons dans la chambre de l’époux ; si nos lampes s’éteignent ; non. Voilà pourquoi il dit : « L’Esprit sans tache » ; car lorsque l’esprit demeure sans tache, la grâce aussi demeure. « L’âme », dit-il, « et le corps » ; si, dit-il, ni l’âme ni le corps ne reçoivent aucune souillure.

« Celui qui vous a appelés, est fidèle, et c’est lui qui fera cela en vous (24) ». Voyez l’humilité de l’apôtre : il a prié ; ne croyez pas, dit-il, que ce soit un effet de mes prières ; c’est la suite du dessein qui fait que le Seigneur vous a appelés ; car, s’il vous a appelés pour le salut, et si c’est le Dieu de vérité, il vous donnera certainement le salut qu’il veut vous donner. – « Mes frères, priez pour nous (26) ». Ah ! quelle humilité ! mais ce que Paul disait par humilité, nous le disons, nous, non pas par humilité, mais pour notre plus grande utilité, et parce que nous voulons recevoir de vous un grand profit ; priez aussi pour nous, car, si vous ne recevez pas de nous de bien grands, d’admirables services, priez toutefois à cause de l’honneur que procure la prière ; priez, en considération du titre que nous portons. Un homme avait des fils, il ne leur était d’aucune utilité ; mais, attendu qu’il était leur père, il leur disait : Un jour entier s’est passé sans que vous m’ayez appelé votre père. Voilà pourquoi nous vous disons, nous aussi, priez pour nous et ce ne sont pas là de vaines paroles ; vos prières, je les désire vivement. Si c’est mon devoir de prendre soin de vous tous ; si je dois un jour rendre dès comptes, à bien plus forte raison convient-il que j’obtienne vos prières. C’est à cause de vous que je dois un compte plus redoutable ; vous devez donc m’apporter un plus grand secours.

« Saluez tous nos frères, en leur donnant le saint baiser (26) ». Ah ! quelle ardeur ! Ah ! quel sentiment, quel cœur ! Étant loin dès frères, il ne pouvait pas les saluer en leur donnant lui-même le baiser, il le leur donne donc par correspondance, c’est ce que nous faisons, quand nous disons : Embrassez pour moi un tel. Faites de même, vous aussi, entretenez le feu de la charité. Il n’y a pas pour la charité de grands espaces, elle franchit les distances, elle se montre partout. « Je vous adjure, par le Seigneur, de faire lire cette lettre devant tous les saints frères (27) », paroles qui témoignent encore plus de l’ardeur de la charité que du zèle de l’enseignement. Je veux, dit-il, m’adresser à eux aussi ; « l’a grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous. Amen (28) ». Il ne se contente pas de leur ordonner, il les adjure ardemment, afin que dans le cas où ils seraient portés à négliger son ordre, cette considération, qu’il les adjure, les détermine à l’exécuter. Autrefois on n’écoutait qu’en tremblant ces adjurations, aujourd’hui on n’y prend pas garde. Il arrive souvent qu’un esclave, frappé de verges, adjure son maître au nom de Dieu et du Christ de Dieu ; on l’entend s’écrier : Chrétien, que, tu meures, personne n’y fait attention, personne ne s’en occupe, personne n’en prend souci. Si au contraire on adjure par la vie d’un fils, aussitôt le maître se faisant violence, grinçant encore des dents, apaise sa colère. On voit un homme, traîné en prison, emporté à travers la place publique, en présence des grecs et des juifs, adjurer, de la manière la plus redoutable celui qui l’entraîne : personne n’y fait attention. Que ne diront pas les grecs, à la vue d’un fidèle adjurant un fidèle, un chrétien qui n’en tient aucun compte, qui de plus le dédaigne ?

3. Voulez-vous que je vous raconte une histoire que j’ai entendue moi-même ? Ce n’est pas une fiction que je vous apporte, j’ai entendu le fait de la bouche d’une personne tout à fait digne de foi. Une servante était mariée à un méchant homme, un scélérat, un esclave fugitif ; ce malheureux avait commis de grandes fautes, et devait être vendu par sa maîtresse ; il s’était couvert de trop de crimes pour qu’elle pût lui pardonner ; c’était une veuve elle ne pouvait pas le châtier quand il ruinait sa maison, mais elle avait résolu de le vendre. Elle réfléchit ensuite qu’il n’était pas permis de séparer le mari de sa femme ; et, quoique celle-ci fût honnête, et lui rendît des services, elle aima mieux la vendre avec son mari que de l’en séparer. La jeune servante se voyant donc dans cette situation, pleine d’angoisses, alla trouver une noble dame, amie de sa maîtresse, et c’est de cette dame que je tiens cette histoire ; la servante, lui prenant les genoux et répandant des flots de larmes, et poussant mille cris lamentables, la pria de fléchir sa maîtresse en sa faveur. Après avoir fait entendre beaucoup de paroles, à la fin elle ajouta, comme le moyen le plus énergique de persuasion, une adjuration terrible. Or, voici quelle était cette adjuration : Puissiez-vous voir le Christ au jour du jugement, si vous ne méprisez pas ma prière, et à ces mots elle se retira. Celle à qui cette prière avait été adressée, distraite par quelque affaire, comme il arrive dans la vie, oublia un instant ces paroles ; mais plus tard, tout à coup, dans l’après-midi, à l’heure du crépuscule, elle se souvint de l’adjuration redoutable, et son âme en fut fortement touchée, et elle s’en alla, et elle s’acquitta avec soin de ce dont elle était priée. Cette femme, pendant la nuit, vit tout à coup le ciel ouvert, et Jésus-Christ lui-même ; elle le vit comme le Christ pouvait être vu par une femme.

C’est parce qu’elle comprenait l’importance de ces adjurations, c’est parce qu’elle redoutait le Seigneur, qu’elle fut favorisée d’une pareille vision. Ce que j’en dis, c’est pour que nous, comprenions bien ce que les adjurations ont de redoutable, surtout lorsqu’on nous adjure de faire des bonnes œuvres, de faire l’aumône, de pratiquer la charité. Voici, à terre, des pauvres, des mutilés, ô femme, et ils te voient franchir en courant ton chemin ; leurs pieds ne peuvent te suivre ; alors ils se servent comme d’un hameçon pour t’attirer à eux, de l’adjuration ; ils étendent les mains, et t’adjurent de leur donner une obole, deux oboles, rien de plus. Mais toi, tu continues ta course ; toi qu’on adjure au nom du Seigneur ton Dieu ! Et je suppose qu’on t’adjure par les yeux, ou de ton mari en voyage, ou de ton fils, ou de ta fille ; aussitôt tu cèdes, et ton cœur palpite, et ton sang s’échauffe ; si, au contraire on t’adjure au nom du Seigneur, tu poursuis ta course. Je connais beaucoup de femmes, moi, que le nom du Christ ne retient pas dans leur course ; mais, qu’on loue leur beauté en s’approchant d’elles, elles fléchissent, elles s’attendrissent, et elles vous tendent la main ; elles vont jusqu’à provoquer – chez les pauvres, chez ces infortunés, le rire – à leurs dépens. Comme les paroles passionnées ou sévères ne touchent pas le cœur de ces femmes, les pauvres emploient le moyen qui leur fait plaisir, et voilà le malheureux ; celui que la faim tourmente, forcé par notre bassesse de faire l’éloge de leur beauté.

Et, s’il n’y avait pas d’autres désordres, mais il est un autre abus plus révoltant ; voilà les pauvres forcés de faire le métier de prestidigitateurs, de bouffons, de personnages ridicules. Quand vous les voyez avec des coupes, des vases de bois de lierre, des gobelets, dans les doigts des timbales, des flûtes, chantant des chansons honteuses, exprimant les salés amours, vociférant, criant ; autour d’eux s’amasse la foule, et les uns leur donnent un morceau de pain, les autres une obole, d’autres encore n’importe quoi, et on les arrête longtemps, et c’est un plaisir, un plaisir pour les hommes, un plaisir pour les femmes. Qu’y a-t-il de plus triste que cela ? N’y a-t-il pas là une féconde matière de gémissements ? C’est peu de chose, on regarde cela comme peu de chose, et voilà, dans nos mœurs, de grands sujets de péchés. Un chant obscène, une musique qui fait plaisir, amollit l’âme et cette mollesse produit la corruption. Et quand je pense que le pauvre, invoquant Dieu, lui demandant, pour vous, dans ses prières des biens innombrables, n’est auprès de vous en nulle estime, et qu’au contraire celui qui substitue aux prières de niais plaisirs, excite votre admiration !

Maintenant, il me vient à l’esprit quelque chose que je veux vous dire. Qu’est-ce ? Quand vous serez tombés dans la pauvreté, dans la maladie, apprenez au moins des mendiants de nos ruelles à bénir le Seigneur. Ils passent toute leur vie à mendier et ils ne blasphèment pas, ils ne s’irritent pas, ils se résignent ; toute leur existence de mendiants, ils se la racontent à eux-mêmes, en y mêlant des actions de grâces ; ils célèbrent la grandeur et la bonté de Dieu ; et toi, qui vis dans la pleine abondance de toutes choses, tant que tu n’as pas tout attiré à toi, tu taxes de cruauté le Seigneur ! Combien le pauvre nous est supérieur, quelle condamnation un jour ne prononcera-t-il pas sur nous ! Pour nous enseigner à tous ce que c’est que le malheur, en même temps, pour nous consoler, Dieu, sur tous les points de l’univers, a envoyé les pauvres. Vous avez souffert un malheur qui vous afflige ? mais il n’y a rien là de comparable au malheur de cet infortuné. Vous êtes borgne ? mais il est aveugle. Vous avez eu à supporter une maladie longue ? mais il a, lui, une maladie incurable. Vous avez perdu vos fils ? mais, lui, il a perdu jusqu’à la santé de son propre corps. Vous avez éprouvé un grand dommage ? mais vous n’avez pas encore été réduit à avoir besoin des autres. Donc, rendez grâces à Dieu ; voyez ces infortunés dans la fournaise de la pauvreté, adressant leurs demandes à tous, et recevant d’un si petit nombre. Donc, lorsque vous êtes fatigué de prier, que vous ne recevez rien, pensez en vous-même combien de fois vous avez entendu un pauvre vous appeler sans que vous l’ayez écouté ; et ce pauvre ne s’est pas mis en colère, et il ne vous a pas outragé. Pour vous, ce que vous faites, c’est par cruauté ; Dieu, au contraire, c’est par bonté qu’il ne vous écoute pas. Eh quoi ! vous n’écoutez pas, par inhumanité, celui qui est votre compagnon d’esclavage, et vous ne trouvez pas juste que l’on vous réprimande ; et, lorsque par bonté le Seigneur ne vous écoute pas, vous, son esclave, vous le réprimandez ? Voyez-vous l’inégalité du jugement ? Voyez-vous l’injustice criante ?

4. Ne nous lassons pas de faire ces réflexions, de considérer ceux qui sont plus bas que nous, ceux qui souffrent de plus grands malheurs, et alors nous bénirons Dieu. La vie est pleine d’exemples de ce genre, et le sage et l’esprit attentif y peut trouver un grand enseignement. Tenez, sans sortir de nos maisons de prière, voilà pourquoi ; et dans les églises, et dans les chapelles élevées aux, martyrs, des pauvres se tiennent sous les vestibules ; leur aspect peut nous être d’une grande utilité ; considérez que, dans les palais de la terre, aucun spectacle pareil ne frappe les visiteurs qui entrent ; de tous côtés vous ne voyez que personnages considérables, des dignitaires magnifiques, des riches superbes, des hommes dont on vante l’esprit ; dans notre palais, à nous, je veux dire l’Église, à l’entrée de nos temples, de nos chapelles de martyrs, ce sont des démoniaques, des manchots, des mutilés, des pauvres, dès vieillards, des aveugles, et ceux qui ont les membres contournés ; pourquoi ? pour que le spectacle qu’ils présentent vous soit un enseignement. Et d’abord vous pourriez rapporter du dehors quelque faste orgueilleux, jetez les yeux sur ces infortunés, déposez votre insolence, prenez un cœur contrit avant d’entrer, avant d’entendre la parole ; (l’orgueilleux n’est pas écouté dans ses prières). À la vue d’un infortuné vieillard, vous cesserez d’être si fier, de vous applaudir de votre jeunesse ; ces vieillards aussi furent des jeunes gens. La profession des armes, un royal pouvoir enflent votre vanité ; réfléchissez que, parmi ces infortunés, il y en a qui furent glorieux dans les palais des rois. Votre santé vous donne de la confiance ; regardez ces malades et réprimez votre vanité. Celui qui fréquente assidûment l’église, tout sain de corps qu’il est, ne s’enorgueillira pas de sa santé ; et celui qui souffre recevra une consolation puissante. Mais ce n’est pas là l’unique raison qui les fait asseoir sous nos portiques ; il sont là aussi pour vous faire pratiquer l’aumône, pour vous attendrir, pour vous apprendre à admirer la bonté de Dieu. Si Dieu n’a pas honte de ces infortunés, s’il les a introduits sous ces portiques, faites de même à bien plus forte raison, vous ; ils sont là pour vous apprendre à ne pas vous glorifier des royautés de la terre. Ne rougissez donc pas quand, un pauvre vous appelle ; s’il s’approche de vous, s’il vous prend les genoux, ne le repoussez pas. Les pauvres sont en quelque sorte d’admirables, chiens des palais du Roi et je ne leur adresse pas un outrage en les appelant des chiens, au contraire, je prétends par là faire d’eux un, noble éloge ils gardent, le palais du Roi ; donc nourrissez-les. L’honneur remonte jusqu’au Roi. Dans les palais tout est faste insolent, j’entends les palais de la terre ; dans les palais du vrai Roi. tout est humilité. Les choses humaines ne sont rien ; les vestibules, des églises suffisent pour vous l’apprendre. La richesse n’a aucun charme, pour, Dieu ; ceux que vous voyez assis là, suffisent pour vous l’apprendre. Cette assemblée qui séjourne là, c’est comme un avertissement, à la nature humaine, c’est une voix sonore et retentissante qui dit : Les choses humaines ne sont rien qu’ombre et fumée. Si les richesses étaient de vrais biens, Dieu n’aurait pas établi, des pauvres à ses propres portes ; s’il reçoit même des riches ; ne soyez pas étonnés ; ce n’est pas à cause de leurs richesses, qu’il les reçoit, ce n’est pas pour qu,'ils se conservent riches, mais, pour qu’ils déposent leur vanité. Écoutez ce que, leur dit, le Christ : « Vous ne pouvez, pas servir Dieu et Mamon[2] » ; et encore : « Il sera difficile aux riches, d’entrer dans le royaume des cieux, » ; et encore : « Il est plus facile pour un câble d’entrer dans le trou d’une aiguille, que pour un riche dans le royaume des cieux ». (Mt. 6,24 ; 19,23-24) S’il reçoit les riches, c’est pour qu’ils entendent ces paroles, pour leur apprendre à désirer les éternelles richesses, à soupirer après les biens du ciel. Étonnez-vous, qu’il ne dédaigne pas de les voir assis sous ces portiques, quand il ne dédaigne pas de les convier à sa table spirituelle, de les admettre ; au divin banquet ; mais le boiteux, le mutilé, le vieillard en haillons, souillé, couvert d’ulcères, côte à côte avec le jeune homme élégant, le superbe décoré de la pourpre, et celui qui porte en tête le diadème, vient à la table prendre sa part, et il est admis au festin spirituel ; et, les uns comme les autres, jouissent des mêmes biens sans différence, sans distinction.

5. Eh quoi ! le Christ ne dédaigne pas, de les appeler à sa table, en même temps que l’empereur ; ils sont, tous conviés en même temps Et toi peut-être, tu t’avises de faire le dédaigneux, tu ne veux pas qu’on te voie donnant aux pauvres, ou même leur adressant la parole. Ah ! quelle arrogance ! quel orgueil ! Prenez garde qu’il ne vous ; arrive la même chose qu’au riche d’autrefois. Il faisait le dédaigneux, ce riche ; il ne voulait pas voir Lazare, il ne daignait même pas lui donner un abri sous son toit ; ce pauvre était dehors, gisant sous le vestibule, et on ne daignait pas lui adresser une parole. Mais voyez, aussi comme au jour où le riche eut besoin de ce pauvre, il n’obtint pas son secours. Si nous rougissons de ceux dont le Christ n’a pas rougi ; le Christ rougit de nous, qui rougissons de ses amis, emplissez votre table de boiteux, de manchots, et de mutilés ; ce sont eux qui font venir le Christ, ce ne sont pas les riches. Peut-être que mon discours vous fait rire, eh bien ! ce n’est pas moi qui parle ; écoutez le Christ lui-même et ne riez pas, mais frémissez : « Lorsque vous donnerez à dîner ou à souper, n’y conviez, ni vos amis, ni vos frères, ni vos parents, ni vos voisins riches, de peur qu’ils ne vous invitent ensuite à leur tour, et qu’ainsi ils ne vous rendent ce qu’ils avaient reçu de vos dons ; mais, lorsque vous faites un festin, conviez-y les mendiants, les pauvres, les aveugles, et vous serrez bienheureux, parce qu’ils n’auront pas de quoi vous rendre, car cela vous sera rendu, dans la résurrection, des justes ». (Lc. 12,14)

Ajoutez, encore à cela une, gloire plus éclatante, si vous l’aimez cette gloire. Dans les festins du monde règnent l’envie, les jalousies, les accusations, les médisances, et la crainte excessive de manquer aux convenances ; et vous êtes là comme l’esclave du maître, et ; si l’on a invité des convives plus considérables que vous, vous redoutez leurs propos méchants ; dans les banquets du Seigneur rien de pareil, quels que soient les mets que vous offriez aux pauvres, ils les reçoivent volontiers, et de là, pour vous, de grands applaudissements, une gloire plus éclatante, plus d’admiration ; on n’applaudit pas autant aux banquets des riches que n’applaudissent aux festins des pauvres, ceux qui en entendent parler. Si vous refusez de me croire, faites-en l’expérience, ô riches, qui conviez des généraux et des chefs d’armée. Conviez des pauvres, remplissez-en votre table, voyez s’ils ne vous applaudissent pas tous, s’ils ne vous chérissent pas tous, s’ils ne vous regardent pas tous comme un père. Les festins du monde ne procurent aucun profit ; ceux dont je parle assurent la conquête du ciel et de tous les célestes biens. Puissions-nous tous les obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

  1. C’est une erreur : le nom de Timothée est mis à côté de celui de saint Paul dans l’épître aux Philippiens. Il ne s’y trouve pas dans l’épître aux Éphésiens, mais ce qui suit montre que ce n’est pas de ceux-ci que parle saint Chrysostome, mais bien des Philippiens. La mémoire a fait défaut à l’orateur.
  2. Mammon, dieu des richesses chez les Syriens,