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Commentaire sur la première Épître de saint Paul à Timothée

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Œuvres complètes de Saint Jean Chrysostome (éd. M. Jeannin, 1866)

COMMENTAIRE SUR LA PREMIÈRE ÉPÎTRE A TIMOTHÉE.

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PRÉFACE DE S. J. CHRYSOSTOME.

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Timothée était un des disciples de l’apôtre. Saint Luc témoigne que c’était un jeune homme digne d’admiration, selon le témoignage des frères de Lystre et d’Iconium. (Act. 16,1, 2) Il devint à la fois disciple et maître (4) ; il était d’une prudence rare, et savait si bien discerner l’à-propos, qu’après avoir entendu saint Paul prêcher l’Évangile sans tenir compte de la circoncision, et avoir appris que ce même saint Paul avait résisté à saint Pierre à ce sujet, il eut assez de ménagement non seulement pour ne pas attaquer ce rite dans ses prédications, mais encore pour le subir lui-même. Saint Paul le circoncit en effet, dit le texte (3), malgré son âge, et lui confia toute l’administration. L’affection de Paul suffisait pour montrer ce qu’était Timothée. Il rend, en effet, à diverses reprises, témoignage de lui dans ses écrits, lorsqu’il dit : « Sachez quelle épreuve il a soutenue, lui qui a servi avec moi pour l’Évangile, comme un fils auprès de son père ». (Phil. 2,22) Et ailleurs, écrivant aux Corinthiens : « Je vous ai envoyé Timothée, qui est mon enfant chéri et fidèle dans le Seigneur » (1Cor. 4,17) ; et plus loin : « Prenez garde que personne ne le méprise, car il accomplit l’œuvre du Seigneur, comme je le fais moi-même ». (1Cor. 16, 11-10) Et il dit encore en écrivant aux Hébreux : « Sachez que notre frère Timothée est en liberté ». (Héb. 13, 23) Partout on trouvera l’expression de sa grande tendresse pour lui. Les miracles qui se produisent maintenant montrent la sincérité de sa foi.
Et si l’on demande pourquoi Paul n’écrit qu’à Tite et à Timothée, puisque Silas et Luc étaient aussi au nombre de ses plus illustres disciples, lui-même l’explique dans une épître, en disant : « Luc est seul avec moi ». (2Tim. 4,11) Clément fut aussi un de ses compagnons, car il dit de lui : « Avec Clément et mes autres coopérateurs ». Ainsi, pourquoi écrit-il seulement à Tite et à Timothée ? C’est que déjà il leur avait confié des églises, tandis qu’il conduisait ceux-là avec lui. Il avait mis à part Tite et Timothée pour des postes éclatants. Et telle était la vertu éminente de celui-ci, que sa jeunesse n’y fut pas un empêchement. C’est pour cela qu’il lui écrit : « Que personne ne vous dédaigne à cause de votre jeunesse » (1Tim. 4,12) ; et plus loin : « Exhorte comme des sœurs celles qui sont jeunes (2) ». Car là où se trouve la vertu, tout le reste est accessoire, et rien ne doit être un empêchement. Discourant en effet des évêques et touchant à beaucoup d’objets, il ne se préoccupe nulle part de leur âge. Et s’il écrit : « Qu’il se fasse obéir de ses enfants », et « qu’il n’ait eu qu’une seule femme », il ne veut pas dire par là qu’il doive être nécessairement époux et père de famille ; mais que, s’il a participé à la condition mondaine, il soit tel qu’il sache gouverner ses enfants et toute sa maison. Car si, dans le monde, il n’a pas su user de sa condition, comment lui confierait-on le soin d’une église ? Et pourquoi donc adressait-il ces épîtres à un disciple désormais chargé d’enseigner ? Ne fallait-il pas l’instruire pleinement avant de lui donner son mandat ? Oui, mais il avait maintenant besoin d’une instruction différente de celle des disciples et propre à celui qui enseigne. Voyez en effet comment, dans toute cette épître, Paul donne l’enseignement qui convient à un maître. Aussitôt après la suscription, il dit à Timothée, non pas de négliger ceux qui enseignent de nouvelles doctrines, mais de les avertir eux-mêmes de n’en point enseigner.

HOMÉLIE PREMIÈRE.

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PAUL, APÔTRE DE JÉSUS-CHRIST, SELON L’ORDRE DE DIEU NOTRE SAUVEUR ET SEIGNEUR, JÉSUS-CHRIST, NOTRE ESPÉRANCE, A TIMOTHÉE, SON VRAI FILS DANS LA FOI. (I, 1-2 JUSQU’À 4)

Analyse.

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  • 1. Apostolat, grandeur de cette dignité. – De la filiation selon la foi.
  • 2. En matière de foi il n’est pas besoin d’examen.
  • 3. Contre les fausses doctrines ; en particulier contre l’émanation qui n’est autre chose que le panthéisme, contre le fatalisme.


1. La dignité d’apôtre était grande et digne d’admiration ; et partout nous voyons Paul en exposer l’origine comme celle d’un honneur qu’il ne s’arroge pas, mais qui lui est conféré et qui lui est imposé. Lorsqu’il dit qu’il est appelé, lorsqu’il dit qu’il est apôtre « par la volonté de Dieu » (1Cor. 1,1) ; et ailleurs « La nécessité m’en est imposée » (Id. 9,16) ; lorsqu’il dit qu’il a été mis à part pour cet objet (Rom. 1,1) ; par toutes ces paroles, il rejette loin de lui la passion des honneurs et la vaine gloire. De même, en effet, que celui qui s’élève de lui-même à un honneur qu’il ne reçoit pas de Dieu, est digne du blâme le plus sévère ; de même celui qui écarte et fuit ce que Dieu lui présente, mérite un autre reproche, celui de désobéissance et de rébellion. C’est ce que dit Paul, au commencement de cette épître à Timothée : « Paul, apôtre de Jésus-Christ, suivant l’ordre de Dieu ». Il ne dit pas en ce passage, « appelé », mais « suivant l’ordre » ; il débute ainsi pour empêcher que Timothée, voyant qu’on lui parle sur le même ton qu’aux autres disciples, n’en soit blessé par une faiblesse trop ordinaire aux hommes. Et où Dieu a-t-il donné cet ordre On trouve, dans les Actes des apôtres, que l’Esprit dit : « Mettez-moi à part Paul et Barnabé ». (Act. 13,2) Partout, dans ses épîtres, Paul prend le nom d’apôtre, apprenant ainsi à celui qui l’écoute à ne pas croire que ses paroles soient des paroles humaines ; car l’apôtre (l’envoyé) ne peut rien dire de lui-même, et le nom d’apôtre élève la pensée de l’auditeur jusqu’à Celui qui l’envoie. Aussi met-il ce titre en tête de ses épîtres, comme garant de la croyance que méritent ses paroles, et il s’exprime ainsi : « Paul, apôtre de Jésus-Christ, selon l’ordre de Dieu, notre Sauveur ». Et même on ne voit nulle part le Père donner cet ordre, mais partout c’est le Christ qui lui parle ; c’est le Christ qui dit : « Marche, parce que je t’enverrai au loin parmi les nations » (Act. 22,21) ; et ailleurs : « Il faut que tu comparaisses devant César ». (Id. 27,24) Mais tous les ordres que donne le Fils, il les appelle ordres du Père, comme il appelle ordres du Fils ceux de l’Esprit. C’est l’Esprit qui l’a envoyé, c’est l’Esprit qui l’a mis à part, et il emploie ces mots : L’ordre de Dieu. Quoi donc ? La puissance du Fils est-elle restreinte, parce que son apôtre est envoyé par l’ordre du Père ? Nullement ; car voyez comment il montre que cette puissance leur est commune. Après ces mots : « Selon l’ordre de Dieu notre Sauveur », il ajoute ceux-ci : « Le Christ Jésus, notre espérance ». Voyez l’exacte propriété des termes qu’il emploie. Le Psalmiste appelle le Père « l’espérance de toutes les extrémités de la terre ». (Ps. 64,6) Et saint Paul à son tour, dans son épître : « Nous nous fatiguons et nous sommes en butte aux outrages, parce que nous avons espéré dans le Dieu vivant et véritable ».
Il fallait que le maître supportât des périls, et des périls bien plus nombreux que les disciples : « Je frapperai le pasteur, et les brebis seront dispersées ». (Mt. 26,31) Il est donc naturel que le démon se déchaîne avec plus de violence contre le pasteur, puisque la perte du pasteur cause la dispersion du troupeau. En faisant périr les brebis, il diminue le troupeau ; mais, en faisant disparaître le pasteur, il ruine le troupeau tout entier. Pouvant donc par là obtenir avec moins d’efforts un résultat plus grand et tout ruiner en perdant l’âme d’un seul, c’est aux pasteurs qu’il s’attaque surtout. Tout d’abord donc et dès le préambule, Paul élève l’âme de Timothée, en lui disant : Nous avons un Sauveur, qui est Dieu, et une espérance, qui est le Christ. Nous souffrons beaucoup de maux, mais nous avons de grandes espérances ; nous sommes exposés aux périls et aux embûches, mais nous avons un Sauveur, qui n’est pas un homme, mais Dieu. A notre Sauveur la force ne peut manquer, puisqu’il est Dieu ; et, quelque grands que soient les périls, ils ne nous surmonteront pas ; notre espérance ne sera point confondue, puisqu’elle vient du Christ. Ainsi nous sommes garantis des périls, ou par une prompte délivrance, ou par les nobles espérances dont nous sommes nourris. Car, est-il dit, tout ce que nous pouvons souffrir n’est rien, quand il ne s’agit que des souffrances de cette vie. Pourquoi ne dit-il nulle part qu’il est l’envoyé du Père, mais du Christ ? Parce qu’il leur attribue tout en commun ; ainsi il dit que l’Évangile est de Dieu.
« A Timothée, mon vrai fils dans la foi ». Ici encore se trouve une exhortation. Car si Timothée a montré assez de foi pour être appelé fils et vrai fils de Paul, il sera plein de confiance pour l’avenir. La foi, en effet, est telle que, si les événements ne se montrent pas d’accord avec les promesses, elle ne se laisse ni abattre ; ni troubler. Mais, dira-t-on, voici un fils, un vrai fils, qui n’est point de la même substance que son père. – Quoi donc ? est-il d’une autre race ? – Mais, insiste-t-on, il n’était pas fils de Paul. – Ce mot n’indique pas une filiation proprement dite. Mais quoi ? était-il d’une substance différente ? Non, car en disant : « Mon fils », il a ajouté : « dans la foi » ; ce qui indique une légitime filiation. Ils ne sont différents en rien : la ressemblance de la foi est entre eux ce qu’est entre les hommes la ressemblance de la nature. Un fils ressemble à son père, mais non aussi parfaitement que s’il s’agissait de la nature divine. Parmi les hommes, quoique la substance soit la même, bien des différences se produisent : le teint, les traits, l’intelligence, l’âge, les goûts, les qualités de l’âme et celles du corps, les circonstances extérieures, mille choses établissent entre un père et son fils des différences ou des ressemblances. Ici aucune de ces causes d’opposition n’existe.
« Par ordre » est une expression plus forte que le mot « appelé ». Quant au passage : « A Timothée, mon vrai fils », on peut le rapprocher de ce que Paul dit aux Corinthiens : « Je vous ai engendrés en Jésus-Christ » (1Cor. 4,15), c’est-à-dire dans la foi. Il ajoute « Vrai fils », pour témoigner d’une ressemblance plus exacte de Timothée que des autres avec lui, de son affection pour lui, et des dispositions de son âme. Voici encore la préposition « dans » mise devant le mot foi. Voyez quel éloge contient ce langage, où il l’appelle, non seulement son fils, mais son fils véritable.
2. « Grâce, miséricorde et paix », dit-il, « de la part de Dieu notre Père, et de Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Pourquoi « miséricorde » dans la suscription de cette épître, et non dans les autres ? Sa vive tendresse lui a dicté ce mot ; pour son fils sa prière est plus étendue, parce qu’il craint et tremble pour lui. Sa sollicitude est telle qu’à lui et à lui seul il adresse des recommandations sur ses besoins matériels. « Usez d’un peu de vin à cause de votre estomac et de vos fréquentes maladies ». (1Tim. 5,23) Or ceux qui enseignent ont plus que d’autres, besoin de miséricorde. « De la part de Dieu notre Père, et de Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Ici encore se trouve une exhortation. Car, si Dieu est notre Père, il prend soin de ses enfants ; écoutez en effet le Christ nous dire : « Quel est l’homme parmi vous qui, si son fils lui demande du pain, voudrait lui donner une pierre ? » (Mt. 7,9)
« Ainsi que je vous ai prié de demeurer à Éphèse, à mon départ pour la Macédoine ». (1Tim. 1,3) Écoutez la douceur de cette parole ; ce n’est point la voix d’un maître qui enseigne, c’est presque celle d’un suppliant. Il ne dit point : J’ai commandé, j’ai ordonné, j’ai prescrit, mais bien : « Je vous ai prié ». Ce n’est pas envers tous les disciples qu’il faut agir ainsi, mais bien envers ceux qui sont doux et vertueux ; envers ceux au contraire qui sont corrompus, qui ne sont pas de véritables disciples, il faut lin autre langage, comme l’apôtre même le témoigne, quand il dit : « Réprimandez avec pleine autorité ». (Tit. 2,15) Et ici même, voyez ce qu’il ajoute : « Afin de prescrire à certains homes (et non de les prier) de ne point enseigner une autre doctrine ». (1Tim. 1,3) Que veut-il dire en parlant ainsi ? L’épître que Paul avait adressée aux Éphésiens ne suffisait-elle pas ? Non, car on méprise plus facilement un texte écrit ; ou peut-être ce fait était-il antérieur à l’épître. L’apôtre a passé beaucoup de temps dans cette ville où était le temple de Diane, et où il a souffert cette persécution (Act. 19,23-40) que vous connaissez. Car après que la foule, réunie au théâtre, fut dispersée (Id. 29, 31, 40), Paul fit venir ses disciples, les exhorta et partit (Act. 20,1) ; et quelque temps après il se retrouva parmi eux. (Id. 17) Il est intéressant de rechercher si ce fut alors qu’il y établit Timothée, car il lui dit « de prescrire à certains hommes de ne point enseigner une autre doctrine ». Il ne les nomme pas, afin de ne pas les humilier trop par la publicité de ses reproches. II y avait là plusieurs d’entre les juifs, faux apôtres, qui voulaient ramener les fidèles à la loi, ce que Paul attaque partout dans ses épîtres. Car ils ne le faisaient point par l’impulsion de leur conscience, mais par vanité, parce qu’ils voulaient se faire des disciples, et par esprit de contention et d’envie contre le bienheureux Paul. Tel est cet « enseignement d’une autre doctrine ».
« Et de ne point s’attacher », poursuit-il, « à des fables et à des généalogies ». Les fables dont il parle, ce n’est pas la loi, à Dieu ne plaise ; mais les additions fictives, la fausse monnaie de la loi, les opinions trompeuses. Il paraît que les vains esprits de la race des Juifs employaient toutes leurs facultés à supputer les générations pour s’acquérir la renommée d’hommes savants et érudits. « De prescrire à certains hommes de ne point enseigner une autre doctrine et de ne point s’attacher à des fables et à des généalogies sans fin ». Que veut dire ici sans fin ? »
Quelque chose d’interminable, ou sans objet sérieux, ou peu intelligible. Vous voyez comment il blâme ces recherches. Là où est la foi, la recherche est inutile ; là où il n’y a rien à chercher, à quoi bon l’examen ? L’examen exclut la foi. En effet celui qui cherche n’a pas encore trouvé, et ne peut avoir la foi. C’est pourquoi l’apôtre dit : Ne nous occupons point de recherches. Si nous cherchons, nous n’avons pas la foi qui est le repos du raisonnement. Comment donc le Christ dit-il : « Cherchez et vous trouverez ; frappez et il vous sera ouvert ? » (Mt. 7,7) Et encore : « Scrutez les Écritures, puisque vous pensez y avoir la vie éternelle ». (Jn. 5,39) Là le mot « cherchez » est dit de la prière et de ses ardents désirs ; ici, « scrutez les Écritures » n’est pas dit pour provoquer des recherches fatigantes, mais pour en soulager. Quand Jésus-Christ dit : « Scrutez les Écritures », il entend : Afin d’en apprendre et d’en posséder le sens exact, non pour chercher toujours, mais pour mettre fin à nos recherches. Et l’apôtre dit avec justice : « Prescrivez à certains hommes de ne pas enseigner une autre doctrine et de ne pas s’attacher à des fables et à des généalogies sans fin, qui produisent des recherches plutôt que l’édification divine qui est dans la foi ». (1Tim. 1,3, 4) L’expression « l’édification divine », est juste ; car Dieu a voulu nous donner de grands biens ; mais le raisonnement n’est pas apte à concevoir la grandeur de ses plans. C’est l’œuvre de la foi, qui est le plus grand des remèdes de l’âme. La recherche est donc opposée au plan divin. Et quel est ce plan fondé sur la foi ? Accueillir les bienfaits de Dieu et devenir meilleur ; ne point disputer ni douter, mais trouver le repos. Car ce que la foi a achevé et édifié, la recherche le renverse. Comment cela ? En soulevant des questions et en mettant de côté la foi. « Ne pas s’attacher à des fables et à des généalogies sans fin ». Quel mal, dira-t-on, faisaient ces généalogies ? Le Christ a dit que l’on doit être sauvé par la foi, et ceux-là cherchaient et disaient qu’il n’en saurait être ainsi. Car, puisque l’assertion, la promesse est pour le temps présent, et l’accomplissement pour l’avenir, la foi est nécessaire. Or ces hommes, préoccupés des observances de la loi, faisaient obstacle à la foi. Mais je pense qu’il parle ici des gentils, dressant le catalogue de leurs dieux, quand il dit : « Les fables et les généalogies ».
3. Ainsi donc, ne nous attachons point à des recherches, car le titre de fidèles nous engage à croire à la parole, sans doute ni hésitation. Si c’était une parole humaine, nous devrions la soumettre à l’épreuve ; mais, si elle est divine, nous devons la vénérer et la croire ; si nous ne croyons pas à cette parole, c’est que nous ne croyons pas même qu’elle est de Dieu ; car comment connaître que c’est Dieu qui parle, et lui demander compte de sa parole ? La première preuve que nous connaissons Dieu, c’est de croire à sa parole sans preuves ni démonstrations. Les gentils eux-mêmes le savent, car ils croient en leurs dieux, bien que leurs oracles soient sans preuves, et par cela seul qu’ils viennent des dieux. Les gentils donc le savent, vous le voyez. Et que dis-je, la parole d’un dieu ? Ils croient à celle d’un enchanteur et d’un mage, je veux dire de Pythagore : « Le maître l’a dit ». Et dans la partie supérieure des temples, le dieu du silence était peint, tenant un doigt sur sa bouche, et serrant ses lèvres pour enseigner le silence à tous ceux qui passaient. Faut-il croire que leurs doctrines étaient vénérables, et que les nôtres au contraire sont dignes de risée ? C’est plutôt avec raison que celles des gentils sont un objet d’examen, car elles consistent en raisonnements contradictoires, en controverses, en conclusions, et les nôtres en sont affranchies. Celles-là sont l’œuvre de la sagesse humaine, celles-ci sont l’enseignement de la grâce de l’Esprit-Saint ; celles-là sont les dogmes de la folie et de la déraison, celles-ci de la véritable sagesse. Là il n’y a point de disciple et de maître, mais tous cherchent ensemble, qu’ils soient maîtres ou disciples. Car être disciple, ce n’est pas chercher ; c’est être guidé par la confiance et non par le doute ; c’est croire et non raisonner. C’est la foi qui fait la gloire des anciens ; c’est le manque de foi qui a tout corrompu. Et que parlé-je des choses célestes ? Si nous examinons de près celles de la terre, vous trouverez qu’elles ne sont point étrangères à toute foi ; ni les contrats, ni les arts, ni rien de semblable ne peut s’en passer. Et, s’il en faut pour des objets trompeurs, combien plus pour des objets célestes !
Attachons-nous donc à la foi, possédons-la ; c’est ainsi que nous écarterons de notre âme toute funeste doctrine, telle que celles de l’émanation et du destin. Si vous croyez à la résurrection et au jugement, vous saurez écarter de votre âme toutes ces doctrines. Croyez que Dieu est juste, et vous ne croirez pas à une émanation inique ; croyez à la Providence divine, et vous ne croirez pas à une émanation à laquelle tout est soumis ; croyez aux châtiments divins et au royaume de Dieu, et vous ne croirez pas à une émanation qui nous enlève notre libre arbitre, pour nous soumettre à une nécessité impérieuse. Ne semez point, ne plantez point, ne combattez pas, ne faites rien en un mot ; avec ou sans votre volonté, tout se produira par l’émanation. Que restera-t-il à la prière ? et pourquoi voudriez-vous être chrétien, si l’émanation est vraie ? Car vous ne pourrez plus être accusé d’aucun péché. D’où viennent les sciences ? De l’émanation ? – Oui, nous répond-on ; mais le destin exige que tel homme devienne savant à grand peine. – Eh ! montrez-m’en un seul qui le devienne sans peine. C’est donc le travail et non l’émanation qui fait les savants.
Pourquoi, me dira-t-on, tel misérable coquin est-il riche, pour avoir reçu de son père un héritage, tandis que tel homme se donne mille peines et reste pauvre ? – Car tel est l’objet constant de leurs disputes ; ils ne soulèvent que des questions de richesse et de pauvreté, non de vice et de vertu. Mais plutôt à ce sujet, montrez-moi un homme qui soit devenu méchant, quelque effort qu’il ait fait pour être vertueux, ou vertueux sans nul effort. Si le destin a tant de puissance, qu’il la montre dans les objets les plus grands, la vertu et le vice, et non dans la richesse et la pauvreté. – Pourquoi, dira-t-on encore, celui-ci vit-il dans les maladies et celui-là dans la santé ? Pourquoi celui-ci dans l’estime et celui-là dans l’opprobre ; pourquoi celui-ci réussit-il à son gré dans toutes ses affaires, et celui-là trouve-t-il mille et mille entraves ? – Écartez la doctrine de l’émanation et vous le comprendrez ; croyez à la Providence divine, et vous le verrez clairement. – Je ne le puis, répond mon adversaire, car cette confusion ne me permet point de soupçonner qu’une providence divine soit l’auteur de tout cela. Comment croire qu’un Dieu bon par excellence donne les richesses à l’impudique, au scélérat, à l’homme cupide, et ne les donne pas à l’homme de bien ! Quel moyen de le croire ? Car il faut bien s’en rapporter à ce qui existe. – Soit. Eh bien ! tout cela provient-il d’une émanation juste ou injuste ? – Injuste, me direz-vous. – Et qui en est l’auteur ? Est-ce Dieu ? – Non, me dira-t-on ; elle n’a point d’auteur. – Et comment cette émanation, qui n’est pas émanée, peut-elle opérer tout cela ? Il y a contradiction.
Ainsi Dieu n’y, est pour rien. Examinons pourtant qui a fait le ciel. – L’émanation, me dira-t-on. – Et la terre ? Et la mer ? Et les saisons ? Et puis elle a disposé la nature inanimée dans un ordre parfait, dans une harmonie parfaite, et nous, pour qui tout cela existe, elle nous aurait destinés au désordre ? Comme celui qui, par ses soins prévoyants, disposerait à merveille une maison, mais ne ferait rien pour ceux qui doivent l’habiter. Qui veille à la succession des phénomènes ? Qui a donné à la nature ses lois si régulières ? Qui a réglé le cours du jour et de la nuit ? Tout cela est au-dessus de l’émanation. – Non, me dira mon adversaire ; tout cela s’est fait par hasard. – Et comment un ordre pareil serait-il l’effet du hasard ? – Mais on insiste : D’où vient – que la santé, la richesse, la renommée sont le fruit, tantôt de la cupidité, tantôt d’un héritage, tantôt de la violence ? Et pourquoi Dieu l’a-t-il permis ? – Parce que ce n’est point ici que chacun est rémunéré suivant – ses mérites ; ce sera dans le temps à venir montrez-moi qu’alors il en sera comme en ce monde. – Donnez-moi d’abord, me dira-t-on, les biens d’ici-bas ; je ne cherche pas ceux de l’autre monde. – C’est pour ce motif que ceux-là ne vous sont pas donnés. Car si, lorsque vous êtes privé des plaisirs, vous les aimez au point de les préférer aux biens célestes, que serait-ce, si vous jouissiez d’un plaisir sans mélange ? Dieu vous montre ainsi que ces avantages ne sont pas réels, mais indifférents ; s’ils ne l’étaient pas, il ne les eût point donnés aux méchants. Dites-moi, n’est-il pas indifférent que l’on soit noir ou blond, grand ou petit ? Eh bien ! il en est de même de la richesse. Dites-moi, chacun n’est-il pas équitablement pourvu des biens nécessaires, savoir l’aptitude à la vertu et la répartition des dons spirituels ? Si vous connaissiez les bienfaits de Dieu, jamais, étant équitablement pourvu de ces biens, vous ne seriez indigné de manquer des biens terrestres ; vous n’auriez pas cette avidité, si vous connaissiez les biens auxquels vous êtes admis.
Un serviteur nourri, vêtu, logé par son maître comme ses compagnons, ne se croit pas plus riche qu’eux parce qu’il a des cheveux plus abondants ou des ongles plus longs ; de même c’est un bien vain orgueil que celui des biens terrestres. Dieu les éloigne de nous pour apaiser cette folie, pour diriger vers le ciel le désir qui se portait vers eux. Mais nous, même alors, nous ne devenons pas sages. De même que si un enfant possède un jouet et le préfère aux objets importants, son père le lui enlève pour l’amener, même malgré lui, à une occupation sérieuse ; de même Dieu en agit envers nous pour nous diriger vers le ciel. – Et pourquoi donc, dira-t-on, permet-il que les méchants possèdent les richesses ? – Parce qu’il en fait peu de cas. Et pourquoi le permet-il aux justes ? Il se borne à ne pas l’empêcher. – Nous avons parlé ici d’une façon élémentaire, comme à des hommes qui ignoreraient les Écritures ; mais, si vous vouliez croire et vous attacher aux paroles divines, nous n’aurions pas besoin de tant de discours, vous sauriez tout ce que vous avez besoin de savoir. Et pour vous apprendre que la richesse n’est rien, que la santé n’est rien, que la gloire n’est rien, je vous montrerai beaucoup d’hommes qui ont pu s’enrichir et ne l’ont pas fait, qui ont pu avoir une santé florissante et ont macéré leur corps, qui ont pu être honorés et ont tout fait pour être méprisés. Cependant nul homme étant bon ne s’efforce de devenir mauvais. Ayons donc l’ambition des biens véritables et nous obtiendrons même les autres en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE II.

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LA FIN DU PRÉCEPTE EST LA CHARITÉ QUI PART D’UN CŒUR PUR, D’UNE BONNE CONSCIENCE ET D’UNE FOI SINCÈRE ; MAIS QUELQUES-UNS S’EN SONT ÉCARTÉS POUR S’ÉGARER EN DE VAINS DISCOURS, VOULANT ÊTRE DOCTEURS DE LA LOI ET NE COMPRENANT NI CE QU’ILS DISENT NI L’OBJET DE LEURS AFFIRMATIONS. (I, 5-7 JUSQU’À 11)

Analyse.

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  • 1. D’où viennent les hérésies. – Usage qu’il faut faire de la loi.
  • 2. Saint Chrysostome voit dans les versets 9 et 10, où se trouvent énumérés les plus grands crimes, une allusion aux Juifs. – En quoi consiste la vraie gloire.
  • 3. Vanité de la parure. – Bonne odeur de la vertu, infection du péché. – Quelle est la vraie volupté.


1. Rien n’est si funeste au genre humain que de mépriser la charité au lieu de la pratiquer avec zèle ; rien n’est si efficace pour la rectitude de la vie que de s’efforcer d’atteindre à cette vertu. Le Christ nous l’enseigne, quand il nous dit : « Si deux d’entre vous unissent leur prière pour le même objet, tout ce qu’ils demanderont, ils l’obtiendront ». (Mt. 18,19) Et encore : « Lorsque l’iniquité sera abondante, la charité se refroidira ». (Mt. 24,12) C’est là l’origine de toutes les hérésies. C’est parce qu’on n’aimait pas ses frères qu’on est devenu jaloux de leur bonne renommée ; cette jalousie a produit l’amour de la domination, et celui-ci toutes les hérésies. Aussi Paul, après avoir dit à Timothée « de prescrire à certains hommes de ne point enseigner une autre doctrine », lui enseigne comment il y pourra réussir. Et quel est ce moyen ? La charité. De même que, lorsqu’il dit : « Le Christ est la fin de la loi » (Rom. 10,4), il veut dire son accomplissement, qui ne peut être obtenu sans le Christ ; de même le précepte ne peut s’accomplir sans la charité. La fin de la médecine, c’est la santé ; quand on la possède, on n’a pas besoin de soins extraordinaires ; de même quand on possède la charité, on n’a pas besoin de beaucoup de préceptes. Et de quelle charité parle l’apôtre ? De celle qui est véritable et ne s’en tient pas aux paroles, mais réside dans le sentiment de l’âme et le partage des souffrances. Celle qui part d’un cœur pur, dit l’apôtre ; voulant dire d’une conduite droite ou d’une affection légitime ; car une vie qui n’est point pure produit des divisions. « Quiconque fait le mal, hait la lumière ». (Jn. 3,20) Il y a en effet aussi une amitié entre les méchants ; les brigands aiment les brigands, les meurtriers aiment les meurtriers ; celle-là ne part point d’une bonne conscience, mais d’une mauvaise ; non d’un cœur pur, mais d’un cœur impur ; elle ne part point d’une foi sincère. La foi enseigne le vrai ; une foi véritable fait naître la charité ; car celui qui croit véritablement en Dieu ne peut perdre la charité.
« Quelques-uns », continue le texte, s’en sont a écartés pour s’égarer en de vains discours ». Oui, ils se sont égarés, car il faut être habile pour choisir la direction vraie et ne pas se détourner du but, en sorte qu’on se laisse diriger par l’Esprit ; beaucoup d’impulsions nous écartent du véritable but, et il faut avoir toujours en vue le terme unique. « Voulant », continue l’apôtre, « être docteurs de la loi ». Vous voyez ici une autre cause de ce désordre, l’amour de la domination. C’est pourquoi le Christ a dit : « Vous ne vous ferez point appeler rabbi ». (Mt. 23,8) Et l’apôtre à son tour : « Ils n’observent point eux-mêmes la loi, mais veulent se glorifier dans votre chair ». (Gal. 6,13) Ils désirent être honorés, et à cause de cela ne considèrent point la vérité. « Ne comprenant ni ce qu’ils disent, ni l’objet de leurs affirmations ». L’apôtre les accuse ici de ne point connaître le but de la loi, et de ne point savoir jusqu’à quel temps elle devait régner. Mais, me dira-t-on, si leur conduite vient d’ignorance, comment dites-vous qu’ils pèchent ? C’est que leur faute vient non seulement de ce qu’ils veulent être docteurs de la loi, mais encore de ce qu’ils ne conservent pas la charité, et que de là résulte l’ignorance. En effet, quand l’âme se donne aux objets charnels, sa vue se paralyse ; jetée hors de la charité, elle tombe dans une jalousie querelleuse, et désormais l’œil de son intelligence est éteint. Celui qui se laisse posséder par le désir des choses temporelles, s’enivre de sa passion et ne saurait être le juge intègre de la vérité. – « Ils ne connaissent point ce qu’ils affirment ». Sans doute ils débitaient de vaines paroles au sujet de la loi, et s’étendaient en longs discours sur les cérémonies purificatoires et les autres observances matérielles.
Sans s’arrêter à démontrer que ces observances n’étaient que les ombres des préceptes spirituels et de simples figures, l’apôtre aborde un sujet plus digne d’attrait. Et quel est-il ? C’est l’éloge de la loi, par laquelle il entend ici le décalogue, dont il a séparé les observances légales. Car si les violateurs de celles-ci, qui sont inutiles aux chrétiens, ont encouru des châtiments, combien plus ceux du décalogue. « Nous savons », dit-il, « que la loi est bonne, si l’on en fait un usage légitime en sachant qu’elle n’est pas faite pour le juste (8, 9) ». La loi, dit-il, est bonne, et elle n’est pas bonne. Quoi ! si l’on en fait un usage illégitime, la loi cesse-t-elle d’être bonne ? Non, elle l’est toujours ; mais voici ce – que veut dire l’apôtre : Il la déclare bonne lorsqu’on l’accomplit par les œuvres. Tel est ici le sens de ces mots : « Si l’on en fait un usage légitime ». Mais l’interpréter en paroles et la violer dans sa conduite, c’est là en faire un usage illégitime ; ils en usent, mais non pour leur avantage. Il y a encore quelque chose à ajouter, c’est que si vous faites de la loi un usage légitime, elle vous conduit à Jésus-Christ. Le but de la loi en effet étant de justifier l’homme, et la loi ne le pouvant faire par elle-même, elle conduit à celui qui en a la puissance. Et l’on fait de la loi un usage légitime, lorsqu’on l’observe par surcroît. Et comment cela ? De même qu’un cheval obéit au frein de la façon la plus convenable, s’il ne se cabre ni ne mord, mais s’il ne le porte que pour la forme ; de même l’homme qui fait de la loi un usage légitime est celui qui ne doit pas sa conduite sage à la lettre de la loi. Et quel est-il ? C’est celui qui sait qu’il n’a pas besoin d’elle. Car celui qui s’efforce d’arriver à une si haute vertu, que la rectitude de sa conduite soit due, non à la crainte que la loi inspire, mais à la vertu même, celui-là fait de la loi un usage légitime et sûr ; agir sans craindre la loi, mais en ayant devant les yeux le jugement de Dieu et le châtiment, c’est faire un bon usage de la loi. L’apôtre appelle ici « juste » celui qui pratique la vertu. Celui-là fait un excellent usage de la loi, qui veut être formé par un autre que par elle.
2. De même en effet que l’on met la ponctuation dans les écritures à l’usage des enfants, mais que celui qui la supplée dans les écritures où elle n’est pas mise est en possession d’une science plus haute et sait mieux faire usage des lettres ; de même celui qui est au-dessus de la loi n’est pas instruit par elle. Celui qui l’accomplit, non par crainte, mais par un désir plus ardent de la vertu, celui-là l’exécute mieux. Car celui qui craint la peine et celui qui désire l’honneur n’accomplissent pas la loi de la même façon ; on ne peut assimiler celui qui est sous la loi et celui qui est au-dessus de la loi ; vivre au-dessus de la loi, c’est en faire un usage légitime. Celui-là en fait un excellent usage et l’observe, qui fait plus que la loi ne prescrit, et qui ne se fait pas le disciple de la loi. Car, en général, la loi défend le mal, mais cela ne suffit pas pour être juste ; il y faut joindre la pratique du bien. En sorte que ceux qui ne s’abstiennent du mal que par une crainte servile n’accomplissent point le but de la loi. Comme elle est faite pour réprimer la prévarication, ils font bien usage de la loi, mais seulement dans la crainte du châtiment. « Voulez-vous », dit l’Écriture, « ne pas craindre le pouvoir ? Faites le bien » (Rom. 13,3) ; c’est-à-dire, qu’elle ne dénonce le châtiment qu’aux méchants ; mais celui qui mérite des couronnes, à quoi bon une loi pour lui ? Le médecin est utile au blessé, non à celui dont la santé est bonne et satisfaisante.
« La loi », continue l’apôtre, « est faite pour les injustes et les insubordonnés, les impies et les pécheurs (9) ». Par les injustes et les insubordonnés, il entend les Juifs. « La loi », dit-il ailleurs, « opère la colère ». (Rom. 4,15) Qu’a cela de commun avec celui qui mérite l’honneur ? « Par la loi, le péché est reconnu ». (Id. 3,20) Qu’a cela de commun avec le juste ? Comment donc la loi n’est-elle pas faite pour lui ? Parce qu’il n’est pas soumis au châtiment, et parce qu’il n’attend pas qu’elle lui enseigne ce qu’il doit faire, ayant au dedans de lui-même la grâce de l’Esprit qui l’inspire. Car la loi a été donnée pour réprimer par la crainte et les menaces. Mais il n’est pas besoin de frein pour un cheval qui se laisse aisément conduire, ni d’instruction pour celui qui n’en manque pas. « Pour les injustes et les insubordonnés, les impies et les pécheurs, les scélérats et les hommes souillés, les meurtriers de leur père ou de leur mère (9) ». L’apôtre ne s’est pas borné là dans l’indication des péchés, mais il les a parcourus en détail, afin de faire rougir ceux qui sont sous la loi. Et derrière cette énumération, il y a une allusion facile à saisir. De qui veut-il donc parler ? Des Juifs. Les meurtriers de leur père et de leur mère, ce sont eux. Les hommes souillés, les impies, ce sont eux. Ce sont eux que l’apôtre a en vue lorsqu’il dit : « Pour les impies, pour les pécheurs ». Puisqu’ils étaient tels, il fallait bien que la loi leur fût donnée. Dites-moi, en effet, n’adoraient-ils pas continuellement des idoles ? Ne voulaient-ils pas lapider Moïse ? Leurs mains n’étaient-elles pas souillées du meurtre de leurs frères ? Les prophètes ne leur font-ils pas sans cesse ces reproches ? Tout cela est étranger à ceux dont la pensée est dans le ciel.
« Les parricides, les meurtriers, les fornicateurs, les hommes coupables de désordres contre nature, les vendeurs d’hommes libres, les menteurs, les parjures, et tout ce qui peut encore être contraire à la saine doctrine (9, 10, 11) » : c’étaient là toutes les passions des âmes corrompues. « Doctrine qui est conforme », dit-il, « à l’Évangile de la gloire du Dieu bienheureux ; et cet Évangile m’a été confié (11) ». En sorte que maintenant encore la loi est nécessaire pour l’affermissement de l’Évangile ; mais non à ceux qui croient. Si l’apôtre l’appelle Évangile de gloire, c’est ou bien en vue de ceux qui en rougissent à cause des persécutions et de la passion du Christ, et spécialement parce que la passion du Christ et les persécutions sont une gloire ; ou bien pour exprimer mystérieusement l’avenir. Car si l’époque présente est remplie d’opprobres et d’outrages, il n’en sera pas de même de l’avenir, et « l’Évangile » a pour objet l’avenir plutôt que le présent. Comment donc l’ange a-t-il dit : « Voilà que je vous évangélise qu’il vous est né un Sauveur ? » (Lc. 11,10-11) Le Sauveur « est « né », mais il « sera » Sauveur, car il n’a pas fait ses miracles à sa naissance. – « Conforme « à l’Évangile de la gloire du Dieu bienheureux ». Par « gloire » il entend l’adoration de Dieu, et nous dit que si le temps présent est rempli de sa gloire, le temps à venir le sera bien davantage ; « quand ses ennemis seront mis sous ses pieds » (1Cor. 15,25), lorsqu’il n’y aura plus d’opposition à sa gloire et que les justes verront ce bonheur « que l’œil n’a point vu, que l’oreille n’a point entendu, et qui n’a point pénétré dans le cœur de l’homme ». (Id. 2,9) « Je veux », dit l’Évangile, « que, là où je suis, ils soient aussi, afin qu’ils contemplent la gloire que vous m’avez donnée ». (Jn. 17,24) Apprenons quels sont ceux-là, afin que nous les félicitions d’être destinés à jouir, de tels biens, à participer à une telle gloire et à une telle lumière ! Car ici-bas la gloire est vaine et instable ; si longtemps qu’elle dure, elle ne peut durer plus que nous, elle s’évanouit donc bientôt. « Sa gloire », dit l’Écriture, « ne descendra pas avec lui dans la tombe » (Ps. 48,18) ; et pour beaucoup elle n’a pas même duré jusqu’au terme de leur vie. Mais, pour la gloire céleste, on ne peut rien soupçonner de tel ; bien au contraire, elle demeure et n’aura jamais de fin. Car ces dons divins sont permanents, supérieurs au changement et à la mort. Alors la gloire ne vient plus des choses extérieures, mais elle a son siège en nous-mêmes, elle ne provient plus des vêtements somptueux, de la foule des serviteurs, des chars qui nous portent ; l’homme est revêtu d’une gloire indépendante de tout cela. Ici, quand il est privé de ces insignes, il est dépouillé de sa gloire : c’est ainsi qu’aux bains tous sont également nus, gens illustres et gens obscurs et misérables. C’est un danger que beaucoup ont couru, même sur les places publiques, lorsque pour quelque nécessité leurs serviteurs s’éloignaient d’eux. Mais le bienheureux n’est plus nulle part séparé de sa gloire. De même que les anges, quelque part qu’ils se montrent, portent leur gloire en eux-mêmes, ainsi en est-il des saints. Le soleil n’a pas besoin de vêtement ; il n’a pas besoin d’un autre soleil, mais, dès qu’il paraît, il fait reluire sa gloire ; ainsi en sera-t-il dans le ciel.
3. Poursuivons donc cette gloire, digne de la plus haute vénération ; renonçons à l’autre qui est ce qu’il y a de plus vain. « Ne vous enorgueillissez pas », dit l’Écriture, « des vêtements qui vous couvrent ». (Sir. 11,4) Voilà ce qu’a dit aux insensés la sagesse d’en haut. En effet, le danseur, la courtisane, l’acteur, ne sont-ils pas vêtus avec plus de grâce et de richesse que vous ? Et, quand il n’en serait pas ainsi, comment vous enorgueillir d’un objet que les vers peuvent vous ravir, s’ils s’y attachent ? Vous voyez donc combien est instable la gloire de la vie présente. Vous vous enorgueillissez d’une chose qu’un insecte produit et qu’un insecte dévore. On dit en effet que ces fils sont l’œuvre de petits animaux de l’Inde[1]. Acquérez un vêtement, si vous le voulez, mais un vêtement qui soit tissu dans le ciel, un ornement vraiment digne d’admiration et de gloire, un costume dont l’or soit véritablement pur. Cet or n’est point arraché des mines par les mains des condamnés, mais il est le produit de la vertu. Revêtons-nous de cette robe qui n’est pas, l’œuvre des pauvres et des esclaves, mais du souverain Maître lui-même. Mais quoi ! L’or est-il répandu sur ce vêtement ? Et que vous importe ? Ce que chacun admire dans votre costume, c’est l’art de l’ouvrier et non vous qui le portez, et c’est l’ouvrier seul qui le mérite. Pour les vêtements simples, nous n’admirons pas le morceau de bois sur lequel on les a étendus chez le foulon ; nous ne faisons cas que de l’ouvrier lui-même ; et cependant le bois porte le vêtement et sert à le maintenir : de même une femme parée[2] ne sert qu’à donner de l’air à ses vêtements, pour que les vers ne les dévorent pas.
Comment donc en vient-on à cet excès de folie que, pour un objet qui n’est rien, l’on montre une telle passion, on soit prêt à tout faire, on trahisse le soin de son salut, on méprise l’enfer, on outrage Dieu, on oublie la pauvreté du Christ ? Que dire de cette abondance de parfums, fournis par l’Inde, l’Arabie et la Perse, secs et liquides ; essences et parfums à brûler, pour lesquels on fait une dépense si grande et si inutile ? Femme, pourquoi parfumez-vous un corps qui au dedans est rempli d’impureté ? Pourquoi tant de frais pour un objet infect ? C’est comme si vous jetiez un parfum sur de la boue ou du baume sur une misérable argile ? Il est, si vous voulez l’acquérir, un parfum, un aromate, dont vous pouvez embaumer votre âme ; on ne le tire point de l’Arabie, de l’Éthiopie, ni de la Perse, mais il descend du ciel lui-même ; on ne l’achète point au prix de l’or, mais par la bonne volonté et la foi sincère. Procurez-vous ce parfum, dont l’odeur peut remplir la terre entière. C’est lui que respiraient les apôtres. « Nous sommes un parfum d’agréable odeur », dit l’apôtre, « aux uns pour la mort, aux autres pour la vie ». (2Cor. 11,15-16) Que veulent dire ces paroles ? C’est que, dit-on, une odeur agréable suffoque les porcs. Ce n’était pas seulement le corps des apôtres, mais leurs vêtements qui respiraient le parfum spirituel. Des vêtements de Paul sortait une émanation si noble qu’elle chassait les démons. Le laser, la cannelle et la myrrhe peuvent-ils rivaliser avec le charme et l’avantage d’un tel parfum ? S’il chassait les démons, que ne pouvait-il pas faire ?
Procurons-nous cet aromate ; c’est la grâce de l’Esprit qui nous le donne par sa miséricorde. Nous le respirerons, sortis de ce monde ; et comme, sur la terre, ceux qui sont parfumés attirent l’attention de tout le monde ; comme au bain, à l’église et dans toutes les réunions nombreuses, où une toilette exhale cette odeur, chacun s’en rapproche ou se tourne vers elle ; de même, dans l’autre monde, lorsqu’une âme se présente, respirant la bonne odeur spirituelle, chacun se lève et s’écarte pour lui faire honneur. Ici les démons et les vices n’ont ni le courage ni la force de s’en approcher : ils sont suffoqués. Couvrons-nous de cet aromate. L’autre nous vaut la réputation d’hommes efféminés ; celui-là d’hommes courageux et admirables ; il nous procure une mâle indépendance. Ce n’est point la terre qui le donne, c’est la vertu qui le produit ; il ne se dessèche point, il fleurit ; il rend dignes d’honneur ceux qui le possèdent. Nous en sommes enduits au baptême ; nous exhalons alors une odeur suave. Mais le respirer aussi durant le reste de notre vie, cela dépend de notre vertu. C’est pour cela que dans l’antiquité les prêtres étaient oints de parfums, comme symbole de la suave odeur de la vertu que doit exhaler le prêtre.
Mais rien n’est plus infect que le péché. Voyez comment le prophète en décrit la nature, quand il dit : « Mes blessures sont infectes et corrompues ». (Ps. 37,6) Et réellement le péché est pire et plus infect que la pourriture. Qu’y a-t-il, dites-moi, de plus infect que la fornication ? Si cette odeur ne se sent pas dans la perpétration du péché, essayez après, c’est alors que vous sentirez l’infection, que vous apercevrez l’impureté, la souillure, l’abomination. Il en est ainsi de tous les péchés : avant qu’ils soient commis, ils nous offrent quelque attrait ; après qu’ils sont consommés, le plaisir cesse et se flétrit, la douleur et la honte en prennent la place. Pour la justice, il en est tout au contraire ; elle impose d’abord quelque peine, mais ensuite elle apporte la joie et le repos. Et, même dans le péché, le plaisir n’est pas un plaisir, quand il attend la honte et le châtiment ; dans la justice, la peine n’est plus une peine, par l’espoir de la récompense.
Qu’est-ce que l’ivrognerie, dites-le-moi ? Ne trouve-t-elle pas du plaisir uniquement dans l’acte de boire, ou plutôt pas même dans cet acte ? Lorsque l’ivrogne est tombé dans un état d’insensibilité et ne voit rien de ce qui l’entoure, mais gît ravalé au-dessous de l’insensé, quel plaisir lui reste-t-il ? La débauche ne procure pas même une satisfaction momentanée ; car, quand l’âme maîtrisée par sa passion a perdu le jugement, quelle joie peut-elle éprouver ? Si elle en éprouve, ce n’est qu’une démangeaison. La vraie joie est celle de l’autre vie, où l’âme n’est plus tourmentée et déchirée par les passions. Est-ce de la joie que de grincer des dents, de rouler les yeux, d’éprouver l’agitation et la chaleur de la fièvre ? C’est si peu la joie que nous nous empressons de nous en débarrasser et qu’après l’accès de la passion nous souffrons encore. Si c’est la joie, ne vous en débarrassez point, conservez-la. Vous voyez bien qu’elle n’en a que le nom. Mais le bonheur du chrétien n’est point tel ; il est véritable, ce n’est point un plaisir fiévreux ; il donne la liberté à l’âme, elle en est charmée et se fond de plaisir. Telle était la joie de Paul quand il disait : a En cela a je me réjouis et me réjouirai encore ». (Phil. 1,18) – Et plus loin : « Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur ». (Id. 4,4) L’autre joie entraîne la honte et la condamnation ; elle ne se produit qu’en secret, et est remplie de mille dégoûts, celle-ci est franche de toutes ces peines. Poursuivons-la donc afin d’obtenir les biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, à présent et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE III.

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JE RENDS GRÂCES A CELUI QUI M’A FORTIFIÉ, AU CHRIST JÉSUS NOTRE-SEIGNEUR, DE CE QU’IL M’A ESTIMÉ FIDÈLE, ME PLAÇANT A SON SERVICE, MOI QUI AUPARAVANT ÉTAIS BLASPHÉMATEUR, PERSÉCUTEUR ET COUPABLE D’OUTRAGES ; MAIS IL M’A FAIT MISÉRICORDE, PARCE QUE J’AI AGI PAR IGNORANCE DANS L’INCRÉDULITÉ ; ET LA GRACE DE NOTRE-SEIGNEUR A SURABONDÉ AVEC LA FOI ET LA CHARITÉ QUI EST EN JÉSUS-CHRIST. (I, 12-14)

Analyse.

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  • 1. Admirable humilité de saint Paul.
  • 2. S’il avait persécuté l’Église naissante, il l’avait fait par ignorance et par zèle, et non par amour de la domination.

3 et 4. Que l’amour de Dieu dirige notre vie. – Rendons le bien pour le mal.
1. Nous savons que l’humilité procure de grands avantages, mais nulle part on n’y arrive aisément ; nous trouvons bien et plus qu’il ne faut l’humilité des paroles, nulle part la vraie humilité. Mais le bienheureux Paul l’a pratiquée avec un grand zèle, et il se représentait toutes les raisons d’humilier son esprit. En effet, comme il est naturel que l’humilité soit difficile pour ceux qui ont conscience de leurs grands progrès dans le bien ; saint Paul devait souffrir une grande violence, car le bien dont il avait conscience produisait comme un gonflement dans son cœur. Considérez donc ce qu’il fait. Il vient de dire que l’Évangile de la gloire de Dieu lui a été confié, Évangile auquel ne peuvent avoir part ceux qui suivent encore la loi ; car il y a incompatibilité, et l’intervalle est si grand que ceux qui se laissent entraîner par la loi, ne sont pas encore dignes d’avoir part à l’Évangile ; ainsi dirait-on que ceux à qui il faut des chaînes et des tribunaux ne peuvent être admis au nombre des philosophes. Après donc qu’il s’est exalté et a dit de lui-même cette grande parole, il se rabaisse aussitôt et engage les autres à faire de même. A peine a-t-il écrit que l’Évangile lui a été confié, qu’il se hâte d’ajouter un correctif, afin que vous ne pensiez point qu’il a parlé par orgueil. Voyez donc comme il corrige son discours en ajoutant ces mots : « Je rends grâces à celui qui m’a fortifié, au Christ Jésus Notre-Seigneur, de ce qu’il m’a estimé fidèle, me plaçant à son service ».
Voyez-vous comment il cache partout sa vertu et rapporte tout à Dieu, sachant toutefois réserver son libre arbitre ? En effet, un infidèle dirait peut-être : Si tout est de Dieu, si nous ne contribuons à rien, s’il vous transporte comme du bois et des pierres, du vice à la sagesse, pourquoi en a-t-il agi ainsi envers Paul et non envers Judas ? Voyez comment, pour détruire cette objection, il use de paroles prudentes : L’Évangile m’a été confié, dit-il, C’est là son avantage et sa dignité ; mais elle ne lui appartient pas pleinement, car voyez ce qu’il dit : « Je rends grâces à celui qui m’a « fortifié, à Jésus-Christ n. Voilà ce qui appartient à Dieu ; voici maintenant ce qui lui appartient à lui-même : « Parce qu’il m’a estimé fidèle » ; c’est-à-dire estimé devoir faire bon usage de ses propres facultés. « Me prenant », dit-il, « à son service, moi qui auparavant étais blasphémateur, persécuteur et coupable d’outrages ; mais il m’a fait miséricorde, parce que j’ai agi par ignorance dans l’incrédulité ». Voyez comment il expose ce qui lui appartient et ce qui appartient à Dieu, attribuant la plus grande part à la Providence divine, et resserrant la sienne, mais toutefois, comme j’ai eu hâte de le dire, sans porter atteinte au libre arbitre. Et pourquoi ces mots : M’a fortifié ? L’apôtre avait reçu un lourd fardeau et avait besoin d’une grande assistance d’en haut. Songez en effet ce que c’était que d’avoir à soutenir chaque jour les outrages, les insultes, les embûches, les périls, les railleries, les injures, le danger de mort ; et cela sans faiblir, sans glisser dans la voie, sans retourner en arrière mais, en butte à mille traits chaque jour, conserver un regard fixe et intrépide, cela n’est point ;?au pouvoir des forces humaines, et même ne demande pas l’assistance ordinaire de Dieu, mais une vocation spéciale. C’est parce que Dieu avait prévu ce que serait Paul, qu’il l’a choisi ; écoutez ce qu’il dit avant que Paul commence à prêcher l’Évangile : « Celuici est pour moi un vase d’élection, qui doit porter mon nom en présence des nations et des rois ». (Act. 9,15) De même que ceux qui portent à la guerre le drapeau du souverain, le labarum, ont besoin de force et d’expérience, pour ne pas le laisser tomber aux mains de l’ennemi ; de même ceux qui portent le nom du Christ, non seulement durant la guerre, mais aussi en pleine paix, ont besoin d’une grande force pour ne pas le trahir devant les bouches qui l’accusent, mais pour le soutenir noblement et porter la croix. Oui, il faut une grande force pour soutenir le nom du Christ. Celui qui se permet dans ses paroles, ses actions ou sa pensée quelque chose d’indigne, ne le soutient pas et n’a pas le Christ en lui. Celui qui en est chargé, doit le porter avec honneur, non à travers une place publique, mais à travers les cieux ; et c’est avec tremblement que tous les anges l’escortent et l’admirent.
« Je rends grâces », dit l’apôtre, « à celui qui m’a fortifié, au Christ Jésus Notre-Seigneur ». Vous le voyez, il témoigne sa reconnaissance. C’est de ce qu’il est un vase d’élection, qu’il témoigne sa reconnaissance envers Dieu. Ce titre vous appartient, ô bienheureux Paul, car Dieu ne fait point acception des personnes. C’est comme s’il disait : Je rends grâces de ce que Dieu m’a honoré de cette fonction, qui montre qu’il m’estime fidèle. Car de même que, dans une maison, l’intendant ne remercie pas seulement son maître d’avoir eu confiance en fui, mais voit dans sa charge un témoignage qu’il a en lui plus de confiance que dans les autres ; de même en est-il du ministère apostolique.
Considérez ensuite comment il exalte la miséricorde et la bonté de Dieu, en parlant de sa vie antérieur : « Moi », dit-il, « qui auparavant étais blasphémateur, persécuteur et coupable d’outrages ». Lorsqu’il parle des juifs encore incrédules, son langage est fort réservé : « Je leur rends témoignage », dit-il, « qu’ils ont du zèle pour Dieu, mais un zèle qui n’est pas selon la science ». (Rom. 10,2) S’il parle de lui-même, au contraire, il se donne les noms de blasphémateur et de persécuteur. Voyez comme il s’abaisse, comme il est éloigné de l’amour-propre, combien il tient sa pensée dans l’humilité. Il ne lui a pas suffi de dire « blasphémateur », il ajoute « persécuteur » ; il insiste. Il dit en effet qu’il ne se bornait pas à faire lui-même le mal, qu’il ne se contentait pas de blasphémer, mais qu’il persécutait ceux qui voulaient suivre la voie de la religion ; car la fureur du blasphème va bien loin. « Mais », ajoute-t-il, « Dieu m’a fait miséricorde, parce que j’ai agi « par ignorance dans l’incrédulité ».
2. Et pourquoi n’a-t-il pas fait miséricorde au reste des juifs ? Parce qu’ils n’ont pas péché par ignorance, mais qu’ils avaient conscience et pleine connaissance du mal qu’ils taisaient. Et, pour le bien comprendre, écoutez l’évangéliste qui nous dit : « Plusieurs d’entre les principaux juifs croyaient en lui, mais n’en convenaient pas ; car ils aimaient mieux la gloire qui vient des hommes, que celle qui vient de Dieu ». (Jn. 12,42,43) Et le Christ ; « Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire, que vous vous donnez les uns aux autres ? » (Jn. 5,44) Et encorde passage où il est dit que les parents de l’aveugle parlèrent ainsi à cause des juifs, dans la crainte d’être chassés de la synagogue. (Jn. 9,22) Et les Juifs disaient : Voyez-vous que nous ne gagnons rien ? car tout le monde va après lui. Partout, en effet, la passion de dominer les troublait. Et eux-mêmes dirent que « personne n’a le pouvoir de remettre les péchés, si ce n’est Dieu seul ». (Lc. 5,21) Et aussitôt Jésus fit ce qu’ils disaient être le signe de Dieu. Ce n’était donc pas chez eux cause d’ignorance. Où était alors Paul ? dira-t-on peut-être. Il était assis aux pieds de Gamaliel, n’ayant rien de commun avec cette foule séditieuse. Et où était Gamaliel ? C’était un homme qui ne faisait rien par amour de la domination. Comment donc, après cela, Paul se trouve-t-il avec la foule ? Il voyait le nombre des croyants s’augmenter, prendre le dessus et tout le peuple se laisser gagner. Les uns s’étaient réunis au Christ pendant qu’il était sur la terre, d’autres à ses disciples ; enfin il se faisait une grande division parmi les Juifs. Et ce qu’il fit alors, il le fit, non par amour de la domination, comme les autres, mais par zèle. Car pourquoi se rendait-il à Damas ? Il regardait ce qui se passait comme un mal, et craignait que la prédication ne se répandît partout. Mais il n’en était pas ainsi des autres. Ce n’était pas par un soin tutélaire pour la foule, mais par amour de la domination qu’ils agissaient. Voyez ce qu’ils disent : « Les Romains détruisent notre nation et notre ville ». (Jn. 11,48) C’était donc une crainte humaine qui les agitait.
Mais il est important d’examiner comment Paul, disciple si exact de la loi, ne connaissait pas cet Évangile qu’il a dit avoir été annoncé d’avance parle ministère des prophètes. (Rom. 1, 2) Comment ne le savait-il pas, lui zélateur de la loi de ses pères, instruit aux pieds de Gamaliel ? D’autres, vivant sur les lacs, sur les fleuves, dans les bureaux des publicains, accouraient à Jésus et accueillaient sa parole, et vous, savant dans la loi, vous la persécutiez. C’est pour cela qu’il se condamne en disant : « Je ne suis pas digne d’être appelé apôtre ». (1Cor. 15,9) Il reconnaît ainsi en lui une ignorance engendrée par l’incrédulité ; c’est pour cela qu’il dit avoir été l’objet de la miséricorde. Que veut donc dire : « M’a estimé fidèle ? » C’est qu’il n’a trahi aucun des commandements qu’il a reçus ; il a tout rapporté au souverain Maître, même ses actions, et ne s’est point approprié la gloire de Dieu. Écoutez en effet ce qu’il dit ailleurs : « Que faites-vous a là ? Nous sommes des hommes et dans la « même condition que vous » (Act. 14,14) ; c’est ainsi qu’il entend ces mots : Il m’a estimé fidèle. En effet il dit ailleurs : « J’ai enduré plus de fatigues qu’eux tous, non pas moi mais la grâce de Dieu avec moi ». (1Cor. 15,10) Et dans un autre endroit : « C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire ». (Phil. 2,13) Il s’avoue digne de châtiment. Mais la miséricorde intervient en ces circonstances. Et ailleurs encore : « L’aveuglement s’est répandu sur une partie d’Israël ». (Rom. 11,25)
« Mais », dit-il à Timothée, « la grâce de Dieu a surabondé avec la foi et la charité, qui est en Jésus-Christ ». (1,14) Pourquoi parle-t-il ainsi ? Afin que vous ne pensiez pas qu’il lui a seulement « été fait miséricorde ». J’étais, dit l’apôtre, blasphémateur, persécuteur, coupable d’outrages ; et par conséquent digne de châtiment. Je n’ai pas été puni, car il m’a été fait miséricorde. Mais ne s’est-elle étendue qu’à le sauver du châtiment ? Non certes Dieu y a ajouté de nombreux et immenses bienfaits. Dieu ne nous a pas seulement sauvés du châtiment suspendu sur nos têtes, mais il nous a faits justes, ses enfants, ses frères, ses amis, ses héritiers, cohéritiers de Jésus-Christ. C’est pour cela que l’apôtre dit : La grâce a surabondé ; car la mesure de ses bienfaits a dépassé le niveau de la simple miséricorde. Ce n’est plus l’acte de la miséricorde, mais de l’amour et d’une extrême tendresse. L’apôtre en exaltant la bonté de Dieu qui lui a fait miséricorde, à lui blasphémateur, persécuteur et coupable d’outrages, et qui ne s’en est pas tenu là, mais a daigné lui accorder de grands bienfaits, écarte encore l’objection des incrédules, en se gardant de laisser soupçonner la suppression du libre arbitre, car il ajoute : « Avec la foi et la charité eu Jésus-Christ ». Tout ce que nous avons apporté, dit-il, c’est que nous avons cru qu’il peut nous sauver.
3. Aimons donc Dieu par le Christ. Mais que veulent dire ces mots : « Par le Christ ? » Ils veulent dire que c’est à lui-même et non à la loi que nous devons notre salut. Voyez-vous de quels biens le Christ a été pour nous l’auteur et ce que nous devons à la loi ? L’apôtre n’a pas dit seulement que la grâce a abondé, mais qu’elle a surabondé. Oui, elle a surabondé, quand d’hommes qui méritaient mille châtiments, elle a fait tout à coup des enfants d’adoption. Dans le Christ, c’est par le Christ. Voici encore une fois « dans » mis pour « par ». Il n’est pas seulement besoin de foi, mais d’amour. Car aujourd’hui encore il en est beaucoup qui croient que le Christ est Dieu, mais qui ne l’aiment pas et n’agissent point comme des personnes qui aiment ; et comment l’aimeraient-ils, quand ils lui préfèrent toutes choses, les richesses, la naissance, le fatalisme, les superstitions, les présages, les augures ? Quand nous ne vivons que pour outrager le Christ, dites-moi, comment l’aimerions-nous ? Si quelqu’un a un ami chaleureux et plein d’ardeur, qu’il ait au moins pour le Christ, le même amour ; qu’il ait le même amour pour Dieu, qui a livré son Fils pour ses ennemis, pour nous qui n’avons rien fait pour le mériter. Que dis-je, qui n’avons rien fait ? Je devrais dire pour nous qui avons commis des crimes d’une audace inconcevable, sans motif, après d’innombrables bienfaits, d’innombrables marques d’amour ; et il ne nous a pas pour cela rejetés, mais c’est au moment où nous étions le plus avant dans l’iniquité, qu’il nous a donné son Fils. Et nous, après un bienfait si grand, après être devenus ses amis, après que, par le Christ, nous avons été comblés de biens si grands, nous ne l’aimons pas comme nous aimons un ami. Et quelle sera notre espérance ? Frémissez à cette parole, et plaise à Dieu que ce frémissement vous soit salutaire !
Et quoi, me dira-t-on, nous n’aimons pas même le Christ comme nos amis ? Je vais essayer de vous le faire voir ; je voudrais que mes paroles fussent des folies et non la vérité, mais je crains de rester encore au-dessous d’elle. Pour de véritables amis, souvent plusieurs ont volontairement souffert ; pour le Christ, nul ne consent, je ne dis pas à souffrir, mais à se contenter de sa fortune présente. Pour un ami, souvent nous nous exposons à l’injure, nous acceptons des inimitiés ; pour le Christ, nul n’en accepte ; mais, comme dit le proverbe ##Rem Fais-toi aimer à l’aventure et non haïr à l’aventure. Nous ne voyons pas d’un ceil indifférent notre ami souffrir de la faim ; chaque jour le Christ vient nous demander non de grands sacrifices, mais un morceau de pain et nous ne l’accueillons pas, tandis que nous remplissons et gonflons notre ventre jusqu’à un ignoble excès, que notre haleine est infectée de vin, que nous vivons dans la mollesse, que nous prodiguons nos biens les uns à des créatures sans pudeur, les autres à des parasites, ou à des flatteurs, ou encore à des monstres, à des fous, à des nains, car on se fait un amusement des disgrâces de la nature. Jamais nous ne portons envie à nos véritables amis, et nous ne souffrons point de leurs succès ; mais envers le Christ, nous éprouvons ce sentiment ; on voit donc que l’amitié a sur nous une plus grande puissance que la crainte de Dieu. L’homme perfide et envieux a moins de respect pour Dieu que pour les hommes. Comment cela ? C’est que la pensée de Dieu voyant au fond des cœurs, ne le détourne pas de ses machinations, mais s’il est aperçu d’un de ses semblables, il est perdu, il est saisi de honte, il rougit. Que dirai-je encore ? Nous allons trouver un ami dans le malheur, et, si nous différons quelque peu, nous craignons d’être blâmés ; et quand, tant de fois, le Christ est mort dans la captivité, nous n’y avons pas pris garde. Nous allons vers nos amis qui sont au nombre des fidèles, non parce qu’ils sont fidèles, mais parce qu’ils sont nos amis.
4. Vous le voyez, nous ne faisons rien parla crainte de Dieu, ni par amour pour lui, mais nous agissons par amitié ou par coutume. Quand un ami est absent, nous pleurons, nous gémissons ; si nous le voyons mort, nous nous lamentons, bien que nous sachions que ce n’est point une séparation éternelle ; mais quand le Christ est éloigné de nous chaque jour, ou plutôt quand chaque jour nous l’éloignons d nous, nous n’en éprouvons aucune douleur et nous ne pensons pas être malheureux quand nous commettons l’injustice, quand nous ! contristons, quand nous l’irritons, quand noue faisons ce qui lui déplaît. Mais nous ne non contentons point de ne pas le traiter en ami ; je vais vous montrer que nous le traitons en ennemi. Comment cela ? C’est que « la prudence de la chair, dit l’Écriture, est ennemie de Dieu ». (Rom. 8,7) Or nous nous tenons attachés à cette prudence, et nous persécutons le Christ qui veut accourir à nous ; car tel est l’effet des actions mauvaises ; nous nous rendons chaque jour coupables des outrages qu’il subit par notre cupidité et nos rapines. Un homme jouit d’une éclatante renommée, parce qu’il célèbre la gloire du Christ et qu’il sert les intérêts de l’Église ; eh bien ! nous lui portons envie, parce qu’il fait l’œuvre de Dieu ; nous paraissons ne porter envie qu’à lui, mais elle remonte jusqu’à Dieu lui-même. Nous ne voulons pas que le bien se fasse par d’autres que par nous ; qu’il se fasse pour le Christ, mais pour nous ; car, si nous le désirions en vue du Christ, il nous serait indifférent qu’il s’opérât par d’autres mains ou par les nôtres.
Car, dites-moi : si un médecin a un enfant menacé de devenir aveugle, et qu’étant lui-même impuissant à le guérir il en trouve un autre capable de le faire, l’écartera-t-il d’auprès de son fils ? Non certes, mais il sera prêt à lui dire : Par vous ou par moi, que mon enfant soit guéri. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas son intérêt qu’il a en vue, mais celui de son fils. De même aussi nous dirions, si nous considérions la cause du Christ : Par nous ou par un autre, que ce qui est expédient s’opère ; et, comme dit l’apôtre, « par vérité ou par occasion, que le Christ soit annoncé ». (Phil. 1,18) Écoutez ce que dit Moïse, quand on voulut exciter sa colère, parce que Eldad et Moad prophétisaient : « N’ayez point de jalousie à mon sujet ; qui me donnera de voir tout le peuple du Seigneur devenir prophète ? » (Nb. 11,29) Tout cela vient de l’amour de la renommée. N’est-ce pas là la conduite d’ennemis, d’ennemis déclarés ? Quelqu’un vous a-t-il mal parlé ? Faites-lui bon accueil. Est-ce possible ? Oui, si vous le voulez. Quel mérite avez-vous, si vous aimez celui qui n’a pour vous que de bonnes paroles ? Car vous ne le faites pas pour le Seigneur, mais pour votre renommée. Quelqu’un vous a-t-il fait tort ? Faites-lui du bien ; car si vous rendez service à ceux qui vous en rendent, vous n’avez rien fait de grand. Avez-vous subi une grande injustice, une grande offense ? Efforcez-vous de rendre le bien pour le mal. Oui, je vous en conjure, agissons ainsi de notre côté ; cessons d’offenser et de haïr nos ennemis. Dieu nous ordonne d’aimer nos ennemis, et nous persécutons le Dieu d’amour. Qu’il n’en soit point ainsi. Nous en convenons tous de bouche, mais non tous par nos actions. Telles sont les ténèbres du péché, que ce que nous n’oserions dire, nous l’osons faire. Tirons notre salut de ceux qui nous font tort et outrage, afin d’obtenir ce qui appartient aux amis de Dieu. « Je veux », dit Jésus, « que là où je suis, là soient aussi mes disciples, afin qu’ils voient ma gloire » (Jn. 17,24) ; gloire à laquelle je souhaite que nous arrivions tous en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soit au Père et au Saint-Esprit, gloire, à présent et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE IV.

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LA PAROLE EST FIDÈLE ET DIGNE D’ÊTRE REÇUE : LE CHRIST JÉSUS EST VENU DANS LE MONDE POUR SAUVER LES PÉCHEURS, ENTRE LESQUELS JE SUIS LE PREMIER. MAIS J’AI OBTENU MISÉRICORDE, POUR QU’EN MOI TOUT LE PREMIER JÉSUS-CHRIST FIT VOIR TOUTE SA PATIENCE, AFIN QUE JE SERVISSE D’EXEMPLE A CEUX QUI CROIRONT EN LUI POUR LA VIE ÉTERNELLE. (I, 15-16 JUSQU’À 17)

Analyse.

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  • 1. La justice légale n’est rien.
  • 2. Humilité de saint Paul.
  • 3. Comment nous pouvons glorifier Dieu.


1. Les bienfaits de Dieu sont si grands et dépassent de si loin toute attente et toute espérance humaine, qu’ils trouvent souvent des incrédules. Il nous a en effet accordé ce que jamais n’eût attendu ni pensé l’esprit d’un homme, en sorte que les apôtres ont eu grand peine à établir la foi aux dons de Dieu. Car, de même qu’éprouvant quelque grand bonheur, on se dit : N’est-ce pas un songe ? exprimant ainsi qu’on se défie de sa réalité ; de même en est-il des dons de Dieu. Et quel est ce don auquel on ne croit pas ? On se demande si les ennemis de Dieu, les pécheurs, ceux qui n’étaient justifiés ni dans la loi ni par les œuvres, obtiendront réellement tout à coup et par la seule foi, la justification qui est le premier des biens. L’apôtre s’étend sur ce chapitre dans l’épître aux Romains, et il s’y étend ici encore. « La parole est fidèle », dit-il, « et digne d’être reçue : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je suis le premier ». Car, comme c’était là surtout la doctrine que les juifs avaient peine à suivre, il leur persuade de ne pas s’attacher à la loi, car par elle et sans la foi l’on ne peut être sauvé. Il combat donc sur ce point. Il pensait qu’on jugerait incroyable qu’un homme qui aurait étourdiment dissipé toute sa vie antérieure, et l’aurait salement employée à de mauvaises actions, dût être ensuite sauvé par la seule foi. C’est pour cela qu’il dit : La parole est fidèle. Mais quelques-uns ne se bornaient pas à n’y pas croire, ils s’en faisaient les calomniateurs, comme on le fait maintenant encore, lorsque l’on dit : « Faisons le mal, afin que le bien arrive ». (Rom. 3,8) L’apôtre a dit : « Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé ». (Id. 5,20) Mais pourquoi disent-ils : « Faisons le mal afin que le bien arrive ? ». Ce sont surtout les gentils qui le disent, tournant en dérision notre doctrine. Lors donc que nous leur parlons de l’enfer ; comment, disent-ils, ce dogme est-il digne de Dieu ? Si un homme trouve son serviteur coupable de plusieurs fautes, il lui fait grâce et le croit digne de pardon, et Dieu punirait de peines éternelles ? Puis, quand nous leur parlons du baptême et de la rémission des péchés conférée par lui, ils nous disent : Comment serait-il digne de Dieu de pardonner les péchés à celui qui a commis tant de fautes ? Voyez-vous la perversion de leur pensée, qui cherche surtout à contester ? Pourtant, si c’est un mal de pardonner, c’est un bien de punir ; s’il n’est pas bien de punir, il est bien de pardonner. Je parle ainsi en me plaçant à leur point de vue ; mais, selon notre doctrine, il est bon de punir et il est bon de pardonner ; comment cela ? C’est ce que nous ferons voir dans une autre occasion, car celle-ci n’est pas opportune. C’est une question profonde et digne d’être longuement développée ; il faudra donc l’exposer aux yeux de votre charité.
Comment cette parole est-elle fidèle ? On le voit par ce qui précède et par ce qui suit. Considérez comment l’apôtre y prépare les esprits et s’arrête ensuite sur ce point. Quand il a dit que Dieu lui a fait miséricorde, à lui blasphémateur et persécuteur, il préparait l’esprit à cette parole, non seulement, dit-il, Dieu a eu pitié de moi, mais il m’a rendu fidèle ; tant il est vrai qu’il a eu pitié de moi. Car nul, voyant un prisonnier devenu l’hôte du palais, ne doute qu’il ait obtenu sa grâce ; et c’est ce qu’on voit en Paul. Mais encore, comment cette parole est-elle fidèle ? Il en montre la preuve en lui-même, car il ne craint pas de s’appeler pécheur ; mais il se glorifie d’autant plus d’avoir été l’objet d’une si grande bonté, parce que c’est par là surtout qu’il peut montrer la grandeur de la tendresse divine. Et comment ailleurs parle-t-il de lui-même ? « Suivant la justice qui est dans la loi, j’étais sans reproche » (Phil. 3,6) ; et ici il proclame qu’il était pécheur et le premier des pécheurs. C’est que, suivant la justice qui est l’œuvre de Dieu et qui est le vrai but de nos devoirs, ceux-mêmes qui sont dans la loi sont des pécheurs. « Car tous ont péché, et ne peuvent atteindre à la gloire de Dieu ». Il n’a pas dit simplement la justice, mais, la justice qui est dans la loi. Car de même que celui qui possède beaucoup d’argent paraît riche, à ne considérer que lui, mais est bien pauvre et le premier des pauvres, si l’on compare ses trésors à ceux de l’empereur ; de même ici, les hommes, même justes, sont des pécheurs, si on les compare aux anges. Mais si Paul, ayant pratiqué la justice qui est dans la loi, est le premier des pécheurs, qui, parmi les autres, pourra être appelé juste ? Car il ne parle pas ainsi en calomniant sa vie ; il ne s’est dit ni impudent, ni débauché, ni avide du bien d’autrui, à Dieu ne plaise ; mais, en comparant une justice avec l’autre, il montre que la justice légale n’est rien, et que ceux qui la possèdent sont des pécheurs. – « Mais j’ai obtenu miséricorde, pour qu’en moi tout le a premier, Jésus-Christ fît voir toute sa patience, afin que je servisse d’exemple à tous ceux qui croiront en lui pour la vie éternelle ».
2. Vous voyez comment ici encore l’apôtre s’humilie et s’abaisse, en présentant une autre cause plus humble de sa justification. Obtenir son pardon à cause de son ignorance, ne montre pas que l’on ait été fort coupable ni que l’on ait mérité des reproches bien accablants ; mais l’obtenir pour que désormais nul pécheur ne désespère d’obtenir aussi miséricorde, voilà ce qui témoigne d’un grand, d’un extrême abaissement. Et bien qu’il ait dit : « Je suis le premier des pécheurs, blasphémateur, persécuteur et coupable d’outrages » ; et encore : « Je ne suis pas digne d’être nommé apôtre » (1Cor. 15,9), rien de tout cela, ni de ce qu’il a dit ailleurs n’exprime autant d’humilité. C’est ce qu’une comparaison va éclaircir. Supposez une ville populeuse, dont tous les habitants soient criminels, les uns plus, les autres moins, mais qui tous sont condamnés ; que l’un soit plus que tous les autres digne de châtiments et de supplices, qu’il se soit livré à tous les genres de crimes. Si quelqu’un annonce que l’empereur veut pardonner à tous, on ne le croira pas facilement jusqu’à ce qu’on ait vu la grâce accordée au plus coupable ; mais alors il n’y aura plus de doute. Voilà ce que dit Paul, que Dieu voulant remplir les hommes de la confiance qu’il leur pardonne tous leurs péchés, a choisi le plus coupable de tous. Car, dit-il, quand j’obtiens mon pardon, nul ne peut douter du pardon des autres ; en sorte qu’on pourrait se servir de la formule : Si Dieu pardonne à celui-là, il ne punira personne. Il exprime par là qu’il n’était point digne de grâce, mais qu’il l’a obtenue en vue du salut des autres. Que personne donc ne doute, dit-il, puisque j’ai été sauvé. Voyez donc l’humilité de ce bienheureux. Il n’a pas dit : Pour que Dieu montre en moi sa patience, mais « toute sa patience » ; comme s’il eût dit : En nul autre, il n’en pouvait montrer davantage ; il ne peut trouver un si grand pécheur qui ait besoin de toute sa miséricorde, de toute sa patience et non d’une partie, comme ceux qui ne sont pécheurs qu’en partie. – « Afin que je servisse d’exemple à ceux qui croiront en lui pour la vie éternelle » ; c’est-à-dire pour leur consolation, pour leur encouragement. Et après avoir dit du Fils cette grande parole sur l’immense charité qu’il a montrée, afin que nul ne suppose qu’il ait voulu priver le Père de la gloire qui lui est due, il la lui rapporte en disant : « Et au roi des siècles, immortel, invisible, Dieu unique, honneur et gloire aux siècles des siècles. Ainsi soit-il ». (1Tim. 1,17) De ces bienfaits, dit-il, nous glorifions non seulement le Fils, mais le Père. Mais écoutons les hérétiques : Voyez, il a dit : Dieu unique ; le, Fils n’est donc pas Dieu ; il a dit : Seul immortel ; le Fils n’est donc pas immortel. – Eh quoi ! Ce qu’il nous donne après cette vie, il ne le possède pas ? Oui, dira l’hérétique, il est Dieu et immortel, mais non comme le Père. – Que voulez-vous dire par là ? – C’est qu’il est d’une moindre substance. – Ainsi il est d’une moindre immortalité ? Qu’est-ce donc qu’une immortalité moindre ou plus grand ? Car l’immortalité, qu’est-ce autre chose que de ne pas mourir ? La gloire peut être plus grande ou plus petite, mais non l’immortalité, non plus que la bonne santé : un être doit mourir, ou ne pas mourir. – Quoi donc, me répondra-t-on, en est-il de nous comme de Dieu ? – Non certes ; loin de nous une telle pensée. – Et comment l’entendez-vous ? – C’est qu’il possède l’immortalité par nature, et que nous l’avons reçue. Mais en, est-il de même du Fils ? Nullement, il la possède aussi par nature. – Quelle est donc la distinction ? – C’est que le Père n’est point engendré d’une autre personne et que le Fils est engendré de, son Père. Nous en convenons ; nous ne nions point que le Fils soit engendré immortel du Père. Nous glorifions le Père de ce qu’il a engendré un tel Fils. Comprenez-vous que le Père est glorifié d’autant plus que le Fils est plus grand ? Car la gloire du Fils lui est rapportée. Ainsi Dieu ayant engendré un, Fils aussi puissant que lui-même, la, gloire en appartient-elle plus au Fils qu’au Père ? Il en est de même, quand nous disons que le Fils est puissant par lui-même, qu’il se suffit à lui-même et qu’il possède la force. C’est en parlant du roi des siècles, et c’est de son Fils qu’il est dit « Par lequel il a fait aussi les siècles ». (Héb. 1,2) Voici ce qui se passe en ce monde. Chez nous, la fabrication et la création sont choses bien différentes. L’un se fatigue et s’épuise à effectuer une œuvre ; un autre en jouit. Pourquoi ? Parce que l’ouvrier est moins puissant. Mais, dans les cieux, autre n’est pas le fabricateur et autre le maître. Ainsi je n’irai pas, à cause de ces mots : « Par lequel il a fait aussi les siècles », enlever au Père la puissance créatrice ; ni à cause de ceux-ci : « Le Père, roi des siècles », enlever au Fils sa souveraineté ; l’une et l’autre sont communes à tous les deux. Le Père est l’auteur du monde, puisqu’il a engendré le Démiurge ; le Fils est Roi, puisqu’il est maître des créatures. Ce n’est point un ouvrier mercenaire comme les nôtres ; il n’est point comme eux un instrument passif ; mais il agit par sa propre bonté et son amour pour les hommes. Et le Fils a-t-il été vu ? Nul ne l’oserait dire[3]. Cependant l’apôtre dit : « Au roi des siècles, immortel, invisible, Dieu unique ». Mais que sera-ce quand l’Écriture dit aussi : « Il n’est point d’autre nom, dans lequel nous devions être sauvés », et : « Il n’est de salut en aucun autre ? » (Act. 4,12)
3. « Honneur et gloire dans tous les siècles, ainsi soit-il », continue l’apôtre. L’honneur et la gloire ne viennent pas des paroles, et ce n’est pas en paroles que Dieu lui-même nous a honorés, mais par des actes effectifs ; nous aussi honorons-le donc par nos actions L’honneur qu’il nous fait nous touche, et celui que nous lui rendons ne l’atteint pas, car il n’a pas besoin de ce qui vient de nous, tandis que nous avons besoin de ses faveurs. En sorte que lui rendre gloire, c’est travailler à notre élévation. De même que celui qui ouvre les yeux pour voir la lumière du soleil, fait un acte utile à lui-même, et qu’en admirant la beauté de cet astre, il ne lui fait point une faveur, car il ne le rend pas plus brillant et le soleil demeure ce qu’il est ; de même et bien plus encore en est-il par rapport à Dieu celui qui vénère Dieu et lui rend honneur, se sauve lui-même et se procure le plus grand des biens. Comment ? Parce qu’il suit la voie de la vertu et est glorifié par Dieu même. « Ceux qui me glorifient, je les glorifierai » dit-il. (1Sa. 2,30) Comment donc dit-il qu’il est glorifié par nous, puisqu’il ne jouit pas de l’honneur que nous lui rendons ? Eh ! De même qu’il dit avoir faim et avoir soif, il s’approprie ce qui est de l’humanité, afin de nous attirer à lui ; il s’approprie et les honneurs et les offenses, afin que nous craignions d’en commettre contre nos frères ; et nous ne nous laissons pas gagner.
« Glorifions Dieu et exaltons-le dans notre corps » (1Cor. 6,20) et dans notre esprit. Comment un homme peut-il le glorifier dans son corps ? Et comment dans son esprit ? L’esprit ici veut dire l’âme, par opposition au corps. Mais comment le glorifier dans son corps ? Comment dans son âme ? On le glorifie dans son corps en évitant l’impureté, l’ivrognerie, la gourmandise, la vaine parure, en ne prenant de son corps que le soin utile pour la santé ; celui-là le glorifie qui ne commet point d’adultère ; celle-là, qui ne se parfume point, qui ne farde point son visage, qui se contente de ce que Dieu a formé, sans y rien ajouter par l’art. Pourquoi, en effet, dites-moi, ajouter ce qui vient de vous-même à l’œuvre que Dieu a parfaite ? Vous ne vous êtes pas formée vous-même ; et, comme si vous étiez une ouvrière d’un talent supérieur, vous essayez de rectifier l’ouvrage ; en vous parant ainsi, vous insultez le Créateur pour vous attirer de nombreux amants. – Mais comment faire, me direz-vous ? Je ne le voudrais pas ; c’est mon mari qui m’y contraint. – Non, cela n’arrive qu’à celles qui veulent provoquer l’amour. Dieu vous a faite belle, pour être admiré dans son œuvre et non pour être outragé ; ne lui offrez point pour ses dons un tel retour, mais une conduite modeste et réglée. Dieu vous a faite belle pour accroître le mérite de votre retenue ; car on ne peut mettre sur la même ligne la modestie d’une femme pleine d’attraits et celle d’une femme à qui nul ne songera. Écoutez ce que dit l’Écriture au sujet de Joseph, « qu’il était jeune et beau de visage ». (Gen. 39,6) Que nous fait donc à nous qu’il fût beau ? L’Écriture le dit pour que nous admirions à la fois sa beauté et sa chasteté. Dieu vous a faite belle ! Pourquoi donc vous défigurer ? Celles qui se couvrent d’une couche de fard, ressemblent à l’homme qui barbouillerait de rouge une statue d’or ; c’est une boue rouge et blanche que vous répandez sur vous-même.
Mais, dira-t-on, celles qui sont laides ont raison d’en agir ainsi. – Pourquoi donc, dites-moi ? Pour cacher leur laideur ? Peine perdue. Quand donc la nature est-elle vaincue par l’artifice ? Et après tout, en quoi la laideur vous afflige-t-elle ? Parce qu’on la repousse ? Écoutez cette parole d’un sage : « N’ayez point d’éloignement pour un homme à cause de son aspect, et ne louez point un homme pour sa beauté ». (Sir. 11,2) Admirez Dieu, le grand artiste, et non un homme qui n’est pas l’auteur de sa propre beauté. Quel avantage apporte la beauté ? Aucun, mais plutôt des difficultés plus grandes, plus de malveillance, de dangers et de soupçons. Telle femme n’eût jamais été soupçonnée sans sa beauté ; telle autre, si elle n’use d’une réserve consommée, d’une réserve extrême, aura bien vite une mauvaise renommée. Un mari soupçonne celle qui est sa compagne : Que peut-il y avoir de plus pénible ? Il ne trouvera point tant de plaisir à la voir que de souffrances dans ses soupçons. Le plaisir s’émousse à la longue ; la nonchalance et le laisser-aller passent pour impudence, l’âme devient vulgaire et pleine d’arrogance ; et c’est la beauté surtout qui amène ces malheurs ; sans elle, il ne se trouvera plus tant d’inconvénients ; sans elle, on ne verra pas des chiens insulter l’agneau, mais il paîtra dans une paix profonde, sans que le loup le trouble et l’attaque, et le berger pourra demeurer assis auprès de lui. Ce qui est extraordinaire, ce n’est pas que l’une soit belle et que l’autre ne le soit pas ; c’est qu’une femme ait – de mauvaises mœurs sans être belle, et que celle qui l’est soit vertueuse.
Dites-moi : Quelle est la qualité des yeux ? Est-ce d’être humides, bien mobiles, bien arrondis, d’un beau bleu, ou bien d’être clairs et perçants ? C’est assurément d’être perçants, et en voici la preuve : Quelle est la qualité d’une lampe ? Est-ce de jeter un vif éclat et d’éclairer toute la maison, ou d’être bien façonnée et bien arrondie ? C’est d’éclairer, dirons-nous sans hésiter ; c’est ce qu’on recherche en elle, le reste est indifférent. C’est pour cela que nous disons sans cesse à la servante qui en est chargée : Vous avez mal préparé la lampe. C’est que le fait d’une lampe est d’éclairer. L’œil de – même ; il n’importe pas qu’il soit de telle ou telle façon, dès lors qu’il remplit convenablement sa fonction ; on le dira mauvais s’il a la vue faible, si son organisme laisse à désirer ; nous disons de ceux qui n’y voient pas, les yeux ouverts, qu’ils ont des yeux détestables. Nous appelons ainsi tout ce qui ne remplit pas la fonction à laquelle il est destiné, et ne pas bien voir est le défaut des yeux. Et le nez, quelle est sa qualité ? Est-ce d’être bien droit, bien lisse des deux côtés ? parfaitement symétrique ? ou bien d’être bien disposé pour l’odorat, ou bien apte à percevoir promptement les odeurs, pour les transmettre au cerveau ? Ceci sera clair pour tout le monde, grâce à cette comparaison : L’instrument appelé croc, quand est-il bien fait ? Est-ce quand il peut accrocher fort et retenir, ou quand il est façonné avec élégance ? Évidemment, c’est le premier qui est bon. Et les dents, quand dirons-nous qu’elles sont bien faites ? quand elles sont bien tranchantes et mâchent facilement la nourriture, ou quand elles sont bien rangées ? Évidemment ce sont les premières. Il en est de même de tout le corps, si nous lui faisons subir la critique de la raison ; nous trouverons que les hommes bien portants sont beaux, dès lors que chacun de leurs membres remplit avec exactitude sa fonction spéciale. Ainsi en est-il d’un instrument, d’un animal, d’une plante : ce n’est point d’après ses formes ou sa couleur, mais d’après son usage que nous en jugeons ; de même encore nous appelons beau serviteur, celui qui est propre au service et non un jeune et gentil fainéant.
Voyez-vous maintenant ce que c’est qu’être belle ? Lorsque nous jouissons tous de la même façon des avantages les plus grands et les plus magnifiques, nous ne sommes frustrés en rien. Je m’explique : Tous de la même façon nous voyons le monde, le soleil, la lune, les étoiles ; nous respirons l’air, nous avons part à l’eau et aux aliments, que nous soyons beaux ou laids. Et s’il faut dire quelque chose de surprenant, celles qui ne sont pas belles, ont une santé plus vigoureuse et jouissent mieux de ces dons. Les belles femmes, en effet, prennent garde aux saisons, ne s’exposent point à la fatigue, mais s’adonnent à l’oisiveté et vivent à l’ombre ; de là vient que leurs facultés physiques sont énervées. Les autres femmes, au contraire, débarrassées de ces soucis, usent simplement et largement de ces facultés.
Ainsi donc « glorifions Dieu et portons-le dans notre corps ». Ne nous parons point c’est là un soin frivole et inutile. N’enseignez point à vos maris à n’aimer que le plaisir des yeux, car s’ils vous voient ainsi parées, ils ne songent qu’à votre visage, ils se laisseront bientôt séduire ; mais si vous leur apprenez à aimer vos mœurs et votre modestie, ils ne seront pas facilement infidèles, car ce ne sont point ces qualités, mais les vices contraires qu’ils trouveront chez une femme sans pudeur. Ne leur enseignez point à se laisser gagner par un sourire, par un extérieur efféminé, de peur de préparer des poisons contre vous-mêmes ; apprenez-leur à se plaire à la modestie, et vous leur plairez, si votre extérieur même est modeste ; mais si vous êtes évaporées, effrontées, comment pourrez-vous tenir un langage respectable ? Qui ne se rira pas de vous, qui ne vous raillera pas ? Et qu’est-ce que porter Dieu dans son esprit ? C’est pratiquer la vertu, parer son âme, car ceci n’est point défendu. Nous glorifions Dieu, quand nous sommes pleinement vertueux, et nous sommes nous-mêmes glorifiés en même temps, non comme des hommes qui se parent, mais bien autrement : « Car », dit l’apôtre, « j’estime qu’il n’y a point de proportions entre les souffrances du temps présent et la gloire future qui doit se révéler en nous » (Rom. 8,18), : gloire à laquelle je souhaite que nous ayons tous part en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE V.

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JE VOUS DONNE CE PRÉCEPTE, MON FILS TIMOTHÉE, CONFORMÉMENT AUX PROPHÉTIES PRONONCÉES SUR VOUS, DE COMBATTRE AVEC ELLES LE BON COMBAT, AYANT LA FOI ET UNE BONNE CONSCIENCE ; QUELQUES-UNS L’AYANT REJETÉE ONT FAIT NAUFRAGE DANS LA FOI. (I, 18, 19 ET 20)

Analyse.

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  • 1. Quels sont ceux que l’on doit choisir pour l’épiscopat. – Ce qu’il faut entendre ici par ce mot de prophétie. – La foi et une bonne conscience sont deux choses qui se soutiennent mutuellement. – Une mauvaise vie a pour effet le naufrage dans la foi.
  • 2. Les apôtres châtiaient eux-mêmes les incorrigibles ; et livraient à Satan ceux qu’ils voulaient corriger. Ainsi Satan était leur serviteur, signe éclatant de la grâce qui opérait en eux. – L’Esprit-Saint marquait l’Église de même que la nuée marquait le camp des Hébreux.
  • 3. Contre ceux qui s’approchaient de la sainte Communion indignement ou une seule fois dans l’année.


1. La dignité de l’enseignement et du sacerdoce est grande et admirable ; il faut vraiment le suffrage de Dieu, pour trouver celui qui est digne de l’exercer. Ainsi en a-t-il été autrefois ; ainsi en est-il encore, lorsque nous faisons ces choix en dehors de toute passion humaine, sans considérer rien de terrestre, ni l’amitié, ni la haine. En effet, bien que l’assistance de l’Esprit nous soit moins largement accordée qu’aux apôtres, il suffit de la, bonne volonté pour que le choix de Dieu s’opère, car les apôtres n’avaient point encore reçu le Saint – Esprit lorsqu’ils choisirent Matthias, mais ils s’en étaient remis à la prière, ils le firent entrer, au nombre des apôtres, sans avoir égard à aucun motif humain. Il en devrait être ainsi parmi nous : mais notre mauvaise volonté est telle que nous négligeons même les indices certains ; lorsque nous négligeons ce qui est manifeste, comment Dieu nous découvrira-t-il ce qui nous est caché ? Si vous n’êtes pas fidèles dans ce qui est petit, dit-il, qui vous confiera ce qui est grand et vrai ? (Lc. 16,11) Alors rien d’humain n’agissait, et les prêtres étaient choisis par le don de prophétie. Qu’est-ce à dire ? C’est qu’ils étaient choisis par l’Esprit-Saint. La prophétie en effet ne consiste pas essentiellement à annoncer l’avenir, mais a aussi pour objet le présent, puisque Saül fut désigné par prophétie, tandis qu’il était caché ; car Dieu a des révélations pour les justes. Il y avait aussi une prophétie dans ces paroles : « Séparez-moi Paul et Barnabé » (Act. 13,2) ; et c’est ainsi que Timothée lui-même fut choisi. Paul parle ici de plusieurs prophéties et peut-être de celle par laquelle il choisit Timothée, lorsqu’il le circoncit et le désigna, comme il l’écrit lui-même : « Ne négligez point la grâce qui est en vous ». (1Tim. 4,14) Animant donc son zèle et le disposant au jeûne et aux veilles, il le fait souvenir de celui qui l’a choisi et qui l’a élu ; comme s’il lui disait : C’est Dieu qui vous a désigné ; il a eu confiance en vous ; ce n’est point un suffrage humain qui vous a fait ce que vous êtes, ne faites pas injure et honte au suffrage de Dieu.
Puis, après ce mot si redoutable de précepte, que lui dit-il ? – « Je vous donne ce précepte, mon fils Timothée ». Il lui donne ses ordres comme à son véritable fils, non comme une autorité despotique, non comme une puissance souveraine, mais il lui dit : « Mon fils Timothée ». Il montre qu’il confie à sa garde la plus exacte, un dépôt qui n’est pas à nous, car nous ne nous le sommes pas approprié, et c’est la grâce de Dieu qui nous l’a remis : La foi et une bonne conscience. Ce qu’il nous a donné, gardons-le. Car s’il n’était pas venu, la foi elle-même n’eût pas été trouvée, ni la vie pure que nous suivons par ses enseignements. Comme s’il eût dit : Ce n’est pas moi qui donne le précepte ni qui vous ai choisi ; c’est ce qu’il entend par « les prophéties prononcées sur Timothée ». Écoutez-les, obéissez-leur. Que lui a-t-il prescrit ? De combattre avec elles le bon combat. Ce sont elles qui vous ont choisi ; faites cette guerre pour laquelle elles vous ont choisi. Le bon combat ; car il en est aussi un mauvais dont il a dit : « Comme vous avez fait de vos membres des armes pour le péché et l’impureté ». (Rom. 6,19) Ceux – là servent sous un tyran ; vous, sous un roi. Et pourquoi donne-t-il à cette œuvre lé nom de combat ? Parce qu’une guerre terrible est allumée pour tous, mais surtout pour celui qui a la charge d’enseigner les autres ; parce que nous avons besoin d’armes puissantes, du jeûne, des veilles, d’une veille incessante, parce que nous devons nous préparer pour le sang et les combats, paraître sur le champ de bataille et n’a voir aucun sentiment de lâcheté. « De combattre avec elles », lui dit-il ; car, comme dans les armées tous ne servent pas avec les mêmes armes, mais dans des corps différents ; de même, dans l’Église, l’un a la fonction de maître, l’autre de disciple, un autre de simple fidèle ; vous servez comme je vous l’ai dit.
Ensuite pour qu’il ne croie pas que c’est assez, il ajoute : « Ayant la foi et une bonne conscience », car celui qui enseigne doit d’abord s’enseigner lui-même. De même qu’un général, s’il n’est d’abord excellent soldat, ne sera jamais un vrai général, de même en est-il de celui qui est instruit. Il dit ailleurs la même chose : « De peur qu’ayant prêché aux autres, je ne sois rejeté moi-même ». (1Cor. 9,27) – « Ayant », dit-il, « la foi et une bonne conscience », afin que par là il soit supérieur à tous les autres. Que ces paroles nous apprennent à ne pas dédaigner les avertissements de ceux qui sont au-dessus de nous, quand nous aurions à enseigner nous-mêmes. Car si Timothée, que nul de nous n’égale, reçoit des avertissements et des enseignements, quoiqu’il soit chargé d’enseigner, combien plus le devons-nous faire. – « Quelques-uns, l’ayant rejetée, ont fait naufrage dans la foi » : Sans doute, car celui qui dit adieu à la vie chrétienne se forme une croyance semblable à ses mœurs, et l’on en peut voir beaucoup qui de là sont tombés dans un abîme de, maux et se sont dévoyés jusqu’au paganisme. Afin de n’être pas tourmentés par la crainte de la vie future, ils s’efforcent de persuader à leur âme que tout est mensonger parmi nous. Et plusieurs se détournent de la foi, en cherchant à tout soumettre à leurs raisonnements. Car c’est ainsi que l’on fait naufrage, tandis que la foi est semblable à une barque impérissable ; ceux qui s’en écartent font nécessairement naufrage.
2. Et l’apôtre l’enseigne par un exemple. « Au nombre desquels », dit-il, « sont Hyménée et Alexandre (20) » ; et il nous enseigne ainsi la prudence. Voyez-vous comment, dès ce temps-là, il existait de faux docteurs, des gens inquiets, qui refusent la foi et veulent tout chercher par eux-mêmes ? Celui qui fait naufrage est dépouillé de tout ; de même à celui qui a perdu la foi, il ne reste rien, ni point d’appui, ni port de refuge, ni une vie dans laquelle il puisse tirer quelque avantage de cet état, car, si la tête est gâtée, à quoi peut servir le reste du corps ? Si la foi sans les mœurs est inutile, combien plus les mœurs sans la foi. Car, si Dieu dédaigne à cause de nous ses propres œuvres, combien plus devons-nous, à cause de lui, dédaigner les nôtres. Il en est ainsi, lorsqu’un homme a perdu la foi ; il ne peut tenir nulle part, mais il flotte de côté et d’autre jusqu’à ce qu’enfin il soit englouti. – « Que j’ai livré à Satan », dit l’apôtre, « afin qu’ils apprennent à ne point blasphémer ». Vous voyez que c’est un blasphème que de soumettre à ses raisonnements les choses divines. Sans doute, car qu’est-ce que le raisonnement humain a de commun avec elles ? Et comment Satan leur apprend-il à ne point blasphémer ? S’il l’apprend aux autres, il devrait bien davantage se l’apprendre à lui-même ;, et s’il ne l’a pu jusqu’à présent, comment le ferait-il pour les autres ?
L’apôtre n’a point dit : Afin que Satan leur enseigne à ne point blasphémer ; mais : « Afin qu’ils l’apprennent ». Ce n’est pas lui qui est l’auteur de cette couvre, elle s’opère par voie de conséquence ; c’est ainsi qu’ailleurs l’apôtre dit du fornicateur : « Livrez-le à Satan » non afin que celui-ci sauve son âme, mais « afin que son âme soit sauvée ».(1Cor. 5,5) Satan n’est pas le sujet du verbe. Comment cela se fait-il ? De même que les bourreaux, forts misérables eux-mêmes, contiennent les autres dans le devoir, ainsi en est-il du mauvais esprit. – Et pourquoi ne les avez-vous pas punis vous-même, comme vous avez puni Bar Jésus, comme Céphas a puni Ananie, mais les avez-vous livrés à Satan ? Pour qu’ils soient instruits plutôt que punis. Paul a cependant de la puissance, comme le jour où il a dit : « Que voulez-vous ? que je vienne vers vous avec la verge ? » (1Cor. 4,21) Et encore « Non pour que nous soyons approuvés, mais pour que vous fassiez le bien », et encore « Non pour perdre, mais pour édifier ». (2Cor. 13,7, 10) Pourquoi donc appeler Satan au châtiment ? Pour qu’avec la vigueur et la sévérité de la peine, l’humiliation fût plus grande ; ou plutôt les apôtres instruisaient eux-mêmes les infidèles et livraient à Satan ceux qui s’étaient écartés de l’Évangile. Cependant saint Pierre punit lui-même Ananie ? C’est qu’il était encore infidèle, puisqu’il tentait le Saint-Esprit. Afin que les infidèles apprissent qu’ils ne peuvent rester ignorés, les apôtres les ont punis par eux-mêmes ; mais ceux qui étant instruits se sont dévoyés, ils les ont livrés à Satan, pour leur montrer que ce n’était pas à leur propre vertu, mais à la garde des apôtres qu’ils devaient d’être préservés de Satan, et que ceux qui s’emportaient à un orgueil insensé lui étaient livrés. Il en est ainsi des rois qui frappent eux-mêmes leurs ennemis étrangers et livrent aux bourreaux ceux qui sont leurs sujets.
Paul montre que les choses se passaient ainsi par le soin des apôtres. D’ailleurs ce n’était pas une faible puissance que de pouvoir commander au démon ; Paul montrait par là que celui-ci est asservi et cède malgré lui aux apôtres ; signe très-propre à faire briller la grâce dont jouissaient les apôtres. Et comment les a-t-il livrés ? Écoutez-le. « Lorsque vous serez rassemblés », dit-il, « avec mon esprit et la force de Notre-Seigneur Jésus-Christ, livrez-le à Satan ». (1Cor. 5,4-5) Il était chassé de l’assemblée des fidèles, séparé du troupeau, abandonné, dépouillé, livré au loup. Comme la nuée faisait reconnaître le camp des Hébreux, de même l’Esprit faisait reconnaître l’Église. Si donc quelqu’un en était éloigné, il était consumé ; et il en était éloigné par le jugement des apôtres. C’est ainsi que le Seigneur a livré Judas à Satan ; car dès qu’il eut pris la bouchée de pain, Satan entra dans lui. (Jn. 13,26, 27) Il faut conclure de cela, que ceux qu’ils voulaient convertir, ils ne les châtiaient pas eux-mêmes ; mais ne le faisaient que pour ceux qui étaient incorrigibles ; ou du moins qu’ils se rendaient plus redoutables, en les livrant à un autre pouvoir. Job aussi fut livré à Satan, mais ce n’était pas à cause de ses péchés, c’était pour accroître sa gloire.
3. Bien des faits semblables se produisent même de nos jours. Car si les prêtres ne connaissent pas tous les pécheurs, tous ceux qui participent indignement aux saints mystères, Dieu les livre souvent lui-même à Satan. Lorsque les maladies, les trahisons, les douleurs et les calamités de toutes sortes nous arrivent, la cause en est là. C’est ce que dit Paul par ces paroles : « C’est pour cela que parmi vous plusieurs sont faibles et débiles, et que ceux qui l’ont mérité dorment ». (1Cor. 11,30) Et comment cela, dira-t-on, tandis que nous n’approchons qu’une fois chaque année de la sainte table ? Et voilà ce qui est effrayant ; c’est que ce n’est point la pureté de la conscience, mais l’intervalle écoulé qui détermine pour vous la convenance de cet acte ; vous croyez que la prudence consiste à ne pas approcher souvent, ignorant que la communion indigne, ne fût-elle faite qu’une seule fois, vous a souillés, tandis qu’une communion dignement faite, même souvent répétée, vous sauverait. Ce n’est point témérité que d’approcher souvent ; la, témérité c’est de le faire indignement, ne fût-ce qu’une fois dans la vie. Si nous sommes si insensés et si malheureux, c’est que, commettant mille péchés durant tout le cours de l’année, nous ne nous mettons point en peine de nous en laver, et nous croyons qu’il nous suffit de ne pas commettre de continuelles insolences, de ne pas fouler sans cesse aux pieds le corps du Christ, ne réfléchissant pas que ceux qui ont crucifié le Christ ne l’ont crucifié qu’une fois ; mais un péché est-il moindre parce qu’il n’est commis qu’une fois ? Judas n’a trahi qu’une fois ; eh bien ! Cela l’a-t-il sauvé ?
Pourquoi donc arrêter sa pensée sur le temps où se fait une action ? Que le temps de la communion soit pour vous le temps de purifier votre conscience. Le mystère accompli à Pâques n’est en rien supérieur à celui que nous accomplissons en ce temps ; c’est un seul et même mystère, c’est toujours la pâque ; vous le savez, initiés : la veille et le jour du sabbat, le dimanche et le jour de la fête des martyrs, c’est le même sacrifice qui est offert. « Chaque fois que vous mangez ce pain ou que vous buvez ce calice, vous annoncez la mort du Seigneur ». (Id. 26) L’apôtre ne limite point le temps du sacrifice. Pourquoi, dira-t-on, l’appeler la pâque ? Parce que c’est alors que le Christ a souffert pour nous.
Que personne donc n’approche en des conditions différentes dans un temps et un autre temps ; c’est la même vertu du sacrifice, la même dignité, la même grâce, le même corps ; cette hostie n’est pas plus sainte, cette autre inférieure en dignité. Vous le savez vous-mêmes, car vous ne voyez rien de nouveau, que ces tapisseries terrestres et cette foule parée. Ce que ces jours ont de plus que les autres, c’est qu’ils furent le principe du jour de notre salut, où le Christ a été immolé ; mais quant aux mystères eux-mêmes, ils ne l’emportent point sur les autres. Comment donc, dites-moi, vous lavez-vous la bouche pour prendre une nourriture matérielle, et ne lavez-vous pas votre âme, mais demeurez-vous plein d’impureté pour approcher de la sainte table ? Les quarante jours de jeûne ne suffisent-ils pas, direz-vous encore, pour nous purifier des nombreuses immondices de nos péchés ? Mais, dites-moi, à quoi servirait-il de nettoyer la place où l’on versera des parfums abondants, si, peu après les avoir répandus, on y jette du fumier ? La bonne odeur ne disparaît-elle pas ? C’est ce qui nous arrive : nous nous sommes rendus selon notre pouvoir, dignes de l’Eucharistie au moment d’en approcher ; puis nous nous souillons de nouveau. Nous disons ceci de ceux qui peuvent se purifier réellement durant le Carême. Ne négligeons point notre salut, je vous en conjure. Car, dit l’Écriture, l’homme qui s’éloigne de son péché et qui ensuite rentre dans les mêmes voies et fait les mêmes actions, « est comme le chien qui revient à son vomissement ». Que mon labeur ne soit pas inutile. Car c’est ainsi que nous pourrons être jugés dignes de ces récompenses que je souhaite que nous obtenions tous, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE VI.

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JE VOUS CONJURE DONC QU’AVANT TOUT DES DEMANDES, DES PRIÈRES, DES SUPPLICATIONS, DES ACTIONS DE GRÂCES SE FASSENT POUR TOUS LES HOMMES, POUR LES ROIS ET TOUS CEUX QUI SONT ÉLEVÉS EN DIGNITÉ, AFIN QUE NOUS MENIONS UNE VIE PAISIBLE ET TRANQUILLE, EN TOUTE PIÉTÉ ET RETENUE. CAR VOILA CE QUI EST BEAU ET DIGNE, AUX YEUX DE DIEU NOTRE SAUVEUR, QUI VEUT QUE TOUS LES HOMMES SOIENT SAUVÉS, ET ARRIVENT A RECONNAÎTRE LA VÉRITÉ. (II, 1-4)

Analyse.

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  • 1. Le devoir du prêtre est de prier pour toute la terre. – Le chrétien doit avoir une élévation d’âme par laquelle il ne soit plus possible à rien de terrestre de l’atteindre et de le blesser.
  • 2. Ne pas faire d’imprécation contre ses ennemis, ne pas prier contre eux.
  • 3. Ne pas se contenter d’entendre la prédication, la mettre aussi en pratique.


1. Le prêtre, sur toute la terre, est comme un père commun. Il doit donc prendre soin de tous, comme le fait le Dieu dont il est le prêtre. C’est pour cela que l’apôtre dit : « Je vous conjure d’abord qu’avant tout des demandes, des prières se fassent ». Car il en résulte deux biens : l’inimitié que nous avons pour ceux qui sont étrangers à notre foi[4] s’évanouit ; nul en effet ne pourra conserver de la haine envers celui pour qui il prie ; et eux-mêmes deviendront meilleurs par l’effet des prières adressées pour eux, et parce qu’ils cesseront d’être furieux contre nous. Il n’est rien qui persuade si bien de se laisser instruire que d’aimer et d’être aimé. Réfléchissez à ce que devaient ressentir des hommes qui machinaient contre nous, qui – nous livraient aux jouets, à l’exil, à la mort, en apprenant que ceux qui éprouvaient ces cruels traitements adressaient à Dieu des prières assidues pour leurs persécuteurs. Vous voyez combien l’apôtre veut que le chrétien soit élevé au-dessus de tout. Qu’un petit enfant sans raison, porté par son père, le frappe au visage, la tendresse du père envers lui n’en sera point diminuée ; de même, si nous sommes frappés par les païens, nous ne devons rien perdre de notre bienveillance pour eux.
Et que veulent dire ces mots : « Avant tout ? » Ils veulent dire : Dans le culte rendu à Dieu chaque jour. Ceux qui sont initiés savent comment cette prière se fait tous les jours soir et matin ; comment nous adressons nos vœux pour le monde entier, pour les rois et tous ceux qui sont élevés en dignité. Mais peut-être on dira que par ces mots : « Pour tous les hommes », l’apôtre entend, non le genre humain, mais les fidèles. Comment disait-il donc : « Pour les rois », car alors il n’y avait pas de rois qui fussent chrétiens ; mais pendant longtemps ce furent des rois impies succédant à des rois impies. Et afin que sa parole fût exempte de flatteries, il a dit d’abord : « Pour tous les hommes », et ensuite : « Pour les rois ». Car s’il n’eût parlé que des rois, il aurait pu donner lieu à ce soupçon. Ensuite, parce qu’il était vraisemblable que l’âme d’un chrétien serait glacée à cette parole, et n’accueillerait pas l’avis qu’il faut offrir des prières pour un païen, au moment de la célébration des mystères, voyez ce qu’ajoute l’apôtre, et quel avantage il signale afin que son avis soit reçu. « Afin », dit-il, « que nous passions une vie paisible et tranquille ». C’est-à-dire que le salut de ceux-là, c’est pour nous le repos ; c’est ainsi que, dans l’épître aux Romains, les engageant à obéir aux princes, il dit qu’on le doit faire, non seulement par nécessité, mais aussi par conscience. Car c’est pour l’utilité commune que Dieu a établi les puissances. Ne serait-il donc pas déraisonnable qu’ils marchent à la guerre et dressent des armées, afin que nous vivions en sécurité et que nous – ne fassions pas même de prières pour ceux qui s’exposent aux périls et aux fatigues de la guerre ? Ce n’est donc point flatterie, mais justice. Car s’ils n’étaient point préservés dans les périls et n’acquéraient point d’honneur à là guerre, nous serions dans le trouble et les alarmes ; nous serions obligés, s’ils étaient massacrés par l’ennemi, ou de marcher nous-mêmes aux combats, ou de fuir et d’errer en tous lieux. Ils sont pour nous comme des remparts qui gardent en paix les habitants d’une ville. – « Des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâces ». Nous devons en effet rendre grâces à Dieu, même pour le bien qui arrive aux autres ; de ce qu’il fait lever le soleil sur les méchants et les bons, et donne la pluie aux justes et aux injustes. Voyez-vous que ce n’est pas seulement par la prière, mais par les actions de grâces qu’il nous unit comme en un seul corps ? Car celui qui est obligé de remercier Dieu du bonheur de son prochain, est obligé de l’aimer, d’être, animé envers lui de sentiments de bienveillance. Et si nous devons rendre grâces pour le bien qui est fait au prochain, combien plus pour celui qui nous est fait, même à notre insu ; pour le bien qui nous est fait avec ou malgré notre volonté, et même pour ce qui nous paraît fâcheux, car Dieu dispose tout pour notre bien.
2. Que toute prière soit donc pour nous, accompagnée d’actions de grâces. Mais s’il nous est ordonné de prier pour notre prochain, non seulement fidèle, mais aussi infidèle, réfléchissez combien il est criminel de prononcer des imprécations contre nos frères. Que direz-vous ? L’apôtre vous a ordonné de prier pour vos ennemis et vous maudissez votre frère. Ce n’est pas lui, c’est vous une vous maudissez, car vous irritez Dieu en prononçant des paroles impies : Faites-lui sentir ceci, faites-lui cela, frappez-le, rendez-lui le mal qu’il me fait. Loin des disciples du Christ de telles paroles : ils sont faciles et doux ; loin d’une bouche qui est jugée digne de recevoir de tels mystères. Qu’elle ne prononce rien d’amer, rien de dur ; la langue sur laquelle vient reposer le corps divin, gardons-la pure, en ne lui faisant point proférer d’imprécations. Car, si les médisants n’hériteront point du royaume de Dieu, combien plus ceux qui maudissent. Celui qui maudit se rend nécessairement coupable d’offenses envers son prochain. Prier l’un pour l’autre et s’en rendre coupable sont choses incompatibles ; l’imprécation et la prière sont séparées par un abîme. Vous priez Dieu d’être miséricordieux envers vous et vous maudissez un autre homme ? Si vous ne pardonnez, il ne vous sera point pardonné ; et non seulement vous ne pardonnez pas, mais vous priez Dieu de ne pas pardonner. Comprenez-vous cet excès de malice ? S’il n’est point pardonné à celui qui ne pardonne pas, comment le serait-il à celui qui supplie le Maître commun de ne pas remettre la dette ? Ce n’est pas à votre ennemi que vous nuisez, mais à vous-même. Non, si Dieu allait vous exaucer priant pour vous-même, vous ne serez point exaucé, parce que vous priez d’une bouche criminelle ; cette bouche est vraiment criminelle et impure, pleine de toute infection et de toute impureté. Vous deviez trembler à cause de vos péchés, et ne faire effort que pour obtenir grâce, et vous venez vers Dieu pour l’exciter contre votre frère ? Ne craignez-vous donc point ? Ne vous inquiétez-vous point pour vous-même ? Ne voyez-vous pas à quelle issue vous arrivez ?
Imitez au moins les enfants qui vont à l’école : lorsqu’on demande à leur division compte de ce qu’elle a appris, et que tous sont châtiés pour leur paresse, qu’ils sont l’un après l’autre examinés sévèrement et accablés de coups, chacun meurt de peur ; et quand un de ses condisciples l’aurait battu cent fois, l’élève n’a pas le loisir de se mettre en colère, mais la crainte l’occupe tout entier ; il ne s’adresse point à son maître, mais n’a qu’une seule chose en vue, c’est d’entrer et de sortir sans être frappé ; c’est là le seul point dont il s’occupe ; quand il est parti, il ne pense même pas, tant il est content, si son camarade l’a battu ou non. Et vous qui êtes là, songeant à vos péchés, vous ne frémissez pas, parce que vous vous rappelez les actions des autres ? Et comment implorez-vous Dieu ? En demandant qu’il sévisse contre votre frère, vous empirez votre situation, vous ne permettez pas que Dieu vous pardonne vos fautes. Comment, en effet, dit-il, si tu veux que je demande un compte sévère des torts qu’on a eus envers toi, comment me demandes-tu de te pardonner tes propres offenses envers moi ? Apprenons enfin à être chrétiens. Si nous ne savons pas prier, ce qui est doux et bien facile, comment saurons-nous le reste ? Apprenons à prier comme des chrétiens. Ce ne sont pas là des prières de chrétiens, mais de juifs ; celles du chrétien, tout au contraire, c’est de demander pardon et miséricorde pour les offenses commises envers lui. « Nous sommes maudits, et nous bénissons », dit l’apôtre ; « nous sommes persécutés, et nous le supportons ; nous sommes calomniés, et nous prions ». (1Cor. 4,12-13)
Écoutez ce que dit Étienne : « Seigneur, ne leur imputez point ce péché ». (Act. 7,59) non seulement il n’a point lancé d’imprécation contre ses bourreaux, mais il a prié pour eux ; et vous, non seulement vous ne priez pas pour vos ennemis, mais vous les maudissez. De même donc qu’il est digne d’admiration, vous, vous êtes un misérable. Qui admirons-nous, dites-moi ? Ceux pour qui Étienne priait, ou l’auteur de cette prière ? Celui-ci assurément. Et si nous pensons ainsi, combien plus Dieu lui-même. Tu veux que ton ennemi soit châtié ? Prie pour lui, mais non dans cette pensée, non pour l’atteindre ; cet effet sera produit, mais ne le fais pas dans ce but. Bien que ce saint personnage souffrit injustement cette persécution, il priait pour ses bourreaux ; tandis que nous souffrons souvent de la part de nos ennemis des maux que nous méritons. Et si, souffrant contre toute justice, il n’a point osé maudire ; bien plus, s’il n’a pas osé né point prier pour ses ennemis, nous qui soufrons avec justice et qui cependant, non seulement ne prions point pour les nôtres, mais les maudissons au contraire, de quel châtiment ne sommes-nous pas dignes ? Vous paraissez blesser votre ennemi, mais en réalité c’est en vous-même que vous enfoncez l’épée, puisque vous ne permettez point que le juge se montre miséricordieux pour vos péchés, en cherchant à l’irriter contre ceux des autres « On usera envers vous de la mesure dont vous aurez usé envers les autres, et vous serez jugés comme vous aurez jugé ». (Mt. 7,2) Soyons miséricordieux, afin que nous obtenions de Dieu miséricorde.
3. Je voudrais que, ne vous bornant point à entendre ces paroles, vous fussiez fidèles à les observer. Maintenant elles ne vous laissent qu’un souvenir, et bientôt il sera lui-même effacé ; quand vous vous serez dispersés, si quelqu’un de ceux qui ne sont pas venus ici vous interroge sur ce que nous avons dit, les uns ne sauront que dire, d’autres sauront seulement répondre quel a été le sujet de l’homélie, savoir que le prédicateur a dit qu’il ne faut point avoir de ressentiment, mais au contraire prier pour ses ennemis ; ajoutant qu’ils ne chercheront point à reproduire toute la suite de mes paroles, car ils ne sauraient s’en souvenir ; d’autres se souviennent de quelques minces lambeaux. C’est pourquoi je vous invite, si vous ne tirez nul profit de mes discours, à ne point vous attacher à m’entendre. Car que vous en revient-il, sinon un jugement plus sévère, un châtiment plus rigoureux, pour demeurer dans le même état après tant d’avertissements ? Dieu nous a donné une formule de prière afin que nous ne demandions rien de terrestre et d’humain. Vous savez, vous qui êtes fidèles, ce qu’il faut demander, et dans quel sens est conçue toute la commune prière. Mais il n’est pas dit, dans cette prière, me répandrez-vous, que nous devons prier pour les infidèles. C’est que vous ne connaissez pas la force de cette prière, sa profondeur et le trésor qu’elle renferme ; si l’on y pénètre, on l’y trouvera. Car lorsque l’on dit dans sa prière : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel », c’est là le sens qui se trouve caché dans cette parole. Comment cela ? C’est qu’au ciel il ne se trouve ni infidèle ni prévaricateur. Si donc il n’était question que des fidèles, cette parole n’aurait pas de sens ; car si les fidèles devaient seuls accomplir la volonté de Dieu, et qu’elle fût enfreinte par les infidèles, elle ne serait point accomplie comme dans le ciel. Et quoi encore ? Au ciel, il n’est point de pervers ; qu’il n’en soit donc plus sur la terre ; attirez-les tous, mon Dieu, à votre crainte, faites des anges de tous les hommes, quand ils seraient nos ennemis et ceux de l’empire.
Ne voyez-vous pas combien chaque jour Dieu est blasphémé ? - Combien il est outragé par les infidèles et par les chrétiens, en paroles et en actions ? Eh bien ! a-t-il pour cela éteint le soleil, voilé la lune, brisé le ciel, bouleversé la terre, desséché la mer, fait disparaître les sources des eaux, troublé les airs ? Nullement, mais il fait au contraire lever le soleil, tomber la pluie, pousser les fruits, et il nourrit chaque année les blasphémateurs, les insensés, les criminels, les persécuteurs, non un jour ni deux ou trois jours, mais durant toute leur vie. Imitez-le, efforcez-vous de le faire suivant l’humaine puissance. Vous ne pouvez pas faire lever le soleil ? Ne dites pas de mal de vos ennemis. Vous ne pouvez leur donner la pluie ? Ne les injuriez pas. Vous ne pouvez les nourrir ? Ne les insultez pas dans l’ivresse. De votre part ces bienfaits suffiront. En Dieu, la bienfaisance envers les ennemis se manifeste par des actes ; manifestez-la du moins par des paroles : priez pour votre ennemi, et ainsi vous serez semblable à votre Père qui est dans les cieux. Mille fois nous avons parlé de ce sujet, et nous ne cessons point de le faire ; que seulement il s’opère quelque progrès. Nous ne nous engourdissons point, nous ne nous lassons point de parler, nous ne nous décourageons point, vous seulement ne paraissez pas vous dégoûter de nous entendre. Or, on paraît se dégoûter quand, on ne tient nul compte des discours que l’on entend, car celui qui s’y conforme, veut les entendre encore, n’y trouvant point un sujet d’ennui, mais des éloges. Le dégoût ne vient que de ce qu’on n’observe point ce qu’on entend ; c’est ainsi que le prédicateur devient à charge.
Dites-moi, si un homme fait l’aumône et entend un sermon sur l’aumône, non seulement il n’hésite pas à venir l’écouter, mais il s’y plaît comme si l’on racontait et publiait ses bonnes actions. De même, nous aussi, c’est parce que nous n’avons nulle patience, parce que nous ne pratiquons point cette vertu, que nous montrons de l’aversion pour de tels discours ; si notre pratique y était conforme, ne nous déplairaient pas. Si donc vous ne voulez pas que nous vous soyons à charge et odieux, conformez-vous à nos avis, montrer le par vos actions, car nous ne cesserons poil de revenir sur le même sujet jusqu’à ce que vous soyez convertis. Oui, c’est par zèle et te dresse pour vous que nous agissons ainsi c’est aussi à cause du péril qui nous mena nous-même. Le trompette doit sonner : quand nul ne marcherait à l’ennemi, il remplit son devoir. Ce n’est donc pas pour aggraver votre châtiment que nous agissons ainsi, mais pour dégager notre responsabilité. Ensuite notre charité pour vous nous anime ; nos entrailles sont saisies et déchirées, quand de tels péchés se produisent. Mais qu’il n’en soit point ainsi. Ce que nous vous demandons là n’exige ni dépense, ni longue route, ni sacrifice de richesses ; il ne faut que vouloir, qu’un mot, qu’un acte de volonté. Gardons notre bouche, mettons-y une porte et un verrou, afin de ne pas prononcer une parole qui déplaise à Dieu. C’est notre intérêt même plutôt que l’intérêt de ceux pour qui nous prions. Réfléchissons que celui qui bénit son ennemi se bénit lui-même, et que celui qui le maudit se maudit lui-même ; que celui qui prie pour son ennemi prie pour soi plutôt que pour lui\x + \xt Lc. 6,28\x*. C’est ainsi que nous pourrons réaliser ce progrès et obtenir les biens promis, que je souhaite à tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, à présent et toujours, et aux siècles des siècles, Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VII.

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AFIN QUE NOUS MENIONS UNE VIE PAISIBLE ET TRANQUILLE, EN TOUTE PIÉTÉ ET RETENUE. CAR VOILÀ CE QUI EST BEAU ET DIGNE, AUX YEUX DE DIEU NOTRE SAUVEUR, QUI VEUT QUE TOUS LES HOMMES SOIENT SAUVÉS ET ARRIVENT A RECONNAÎTRE LA VÉRITÉ. (II, 2-4 JUSQU’À 7)

Analyse.

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  • 1. II y a trois sortes de guerres, celle que nous font les étrangers, celle que les concitoyens se font entre eux, celle que nées nous faisons à nous-même : celle-ci est la pire des trois.
  • 2. il n’y a qu’un Dieu et qu’un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ.
  • 3. Exhortation à l’aumône. – Néant des richesses.


1. Si l’apôtre veut que les guerres des nations, les combats et les troubles s’apaisent, et s’il exhorte, pour ce motif, le prêtre à faire des prières pour les rois et les princes, à bien plus forte raison les simples fidèles doivent le faire. En effet, il y a trois sortes de guerres qui sont cruellement douloureuses : la première, quand nos soldats sont combattus par les Barbares ; la seconde, quand, pendant la paix, nous combattons les uns contre les autres ; la troisième enfin, quand chacun combat contre lui-même ; et celle-ci est la plus douloureuse de toutes. Celle des Barbares ne saurait nous nuire beaucoup. Que vous feraient-ils ? Ils égorgent, ils tuent ; mais ils ne nuisent point à l’âme. La seconde même, si nous le voulons, ne nous fera point de mal. Quand d’autres nous attaqueraient, nous pouvons demeurer en paix, car écoutez ce que dit le Prophète : « Au lieu de m’aimer, ils me calomniaient, mais moi je priais » (Ps. 108,4) ; et encore : « Avec ceux qui haïssaient la paix, j’étais pacifique » (Ps. 119,7) ; et : « Ils m’attaquaient gratuitement ». Mais pour la troisième, on ne peut échapper au péril. Car lorsque le corps est en lutte contre l’âme, lorsqu’il éveille de fâcheuses passions, arme les voluptés, suscite l’entraînement de la colère ou de l’envie, il est impossible, si cette guerre n’est réprimée, d’obtenir les biens promis ; mais nécessairement celui qui laisse durer ce trouble, tombe, reçoit des blessures, et cette guerre enfante la mort de l’enfer. Il nous faut donc chaque jour vivre dans la sollicitude et la vigilance, afin que cette guerre ne naisse point en nous, ou, si elle naît, qu’elle ne persiste point, mais soit apaisée et assoupie. Car quel avantage auriez-vous, si, la terre jouissant d’une paix profonde, vous étiez en guerre contre vous-même ? C’est la paix avec nous-même qu’il est nécessaire d’avoir ; si nous la possédons, rien du dehors ne pourra nous nuire.
Mais la paix du pays y contribue notablement ; c’est pourquoi le texte dit : « Afin que nous menions une vie paisible et tranquille ». Mais celui qui est troublé pendant la paix est bien malheureux. Voyez-vous que l’apôtre parle de cette sorte de paix, de la troisième ? C’est pour cela qu’en disant : « Afin que nous menions une vie paisible et tranquille », il ne s’arrête pas là, mais ajoute : « En toute piété et retenue ». Or, on ne peut vivre dans la piété et la retenue sans jouir de cette paix. Car lorsque des raisonnements inquiets troublent notre foi, quelle paix pouvons-nous avoir ? Lorsque nous sommes agités par le souffle du libertinage, quelle paix pouvons-nous avoir ? Il veut donc prévenir la pensée qu’il parle d’une paix terrestre, quand il dit : « Afin que nous menions une vie paisible et tranquille » ; car, en ce sens, une vie paisible et tranquille peut être menée par les gentils, les gens déréglés, ceux qui se livrent à la mollesse et aux plaisirs. Sachez donc qu’il ne parle point de celle-là, mais de celle que l’on trouve dans la piété et la retenue. Car cette autre vie est pleine d’embûches et de combats, l’âme étant chaque jour atteinte par le trouble des raisonnements ; ce n’est donc point d’elle qu’il parle, mais de celle qui réside en toute piété.
« En toute piété », dit-il, pour que l’on ne pense pas qu’il s’agit seulement de la croyance, mais aussi de la conduite ; car c’est là qu’il faut chercher la piété. Que gagnent ceux qui, pieux quant à leur foi, sont impies dans leur conduite ? Et pour ne pas douter qu’il y ait aussi là de l’impiété, écoutez ce bienheureux dire autre part : « Ils avouent connaître Dieu, et ils le nient par leurs actes » (Tit. 1,16) ; et aussi : « Il a nié sa foi et est pire qu’un infidèle » (1Tim. 5,8) ; ailleurs : « Si quelqu’un est nommé frère et est impudique, ou avare, ou idolâtre » (1Cor. 5,11), celui-là n’honore pas Dieu. L’Écriture dit aussi que « Celui qui hait son frère ne connaît pas Dieu ». (1Jn. 2,9) Vous voyez combien il y a de sortes d’impiété. C’est pourquoi l’apôtre dit : « En toute piété et retenue ». Car ce n’est pas l’impudique seul qui manque de retenue ; mais l’homme cupide, l’homme sans frein méritent le même reproche ; il y a là une passion non moindre que la volupté. Celui donc qui ne la réprime pas est un homme sans frein, car on appelle ainsi celui qui ne refrène pas ses passions. Je donnerai donc ce nom à l’homme colère, à l’envieux, à l’avare, au perfide, à tous ceux qui vivent dans le péché ; tous sont sans retenue ni modération. « Car voilà ce qui est beau et digne aux yeux de Dieu notre Sauveur ». Et qu’est-ce ? C’est de prier pour tous ; voilà ce que Dieu accueille, voilà ce qu’il veut, lui « qui veut que tous les hommes soient sauvés et arrivent à reconnaître la vérité ».
2. Imitez Dieu puisqu’il veut que tous soient sauvés, vous devez apparemment prier pour tous ; s’il a souhaité que tous le fussent, souhaitez-le aussi. Et s’il en est ainsi, priez, car c’est pour de tels objets qu’il faut prier. Voyez-vous comment l’apôtre a de toutes parts fait pénétrer dans nos âmes le devoir de prier même pour les païens ? Il nous montre l’avantage immense que nous en retirons, en disant « Afin que nous menions une vie paisible « et tranquille » ; il nous montre aussi ce motif bien supérieur, que cela plaît à Dieu et que nous devenons ainsi semblables à lui, en ayant le même vouloir que lui. Cela devrait suffire pour faire honte même à une bête féroce. Ne craignez donc pas de prier pour les païens, Dieu lui-même le veut ; craignez seulement de maudire, car c’est là ce qu’il ne veut pas. Et s’il faut prier pour les païens, il est clair qu’il faut aussi prier pour les hérétiques, car nous devons le faire pour tous les hommes, et non les persécuter. Oui, il est beau de prier pour eux : n’ont-ils pas avec nous une même nature ? Dieu loue et agrée l’amour et la tendresse que nous avons les uns pour les autres. Mais, dira-t-on, si le Seigneur a cette volonté, qu’a-t-il besoin de nos prières ? Il est fort utile aux païens et aux hérétiques que nous les fassions ; elles les entraînent à nous aimer et vous empêchent vous-mêmes de vous aigrir tout cela est propre à les attirer à la foi. Car beaucoup d’hommes se sont éloignés de Dieu par animosité contre les hommes. C’est là le salut dont parle l’apôtre, quand il dit : « Notre Sauveur qui veut que tous les hommes soient sauvés » : c’est là le salut véritable ; tout autre est peu de chose et n’a que le nom et le titre de salut. – « Et arrivent à reconnaître la vérité ». La vérité, c’est la foi en lui. L’apôtre, en effet, a d’abord averti Timothée d’exhorter les hommes à ne point enseigner de nouvelles doctrines. Et pour qu’il ne trouve pas en eux des ennemis, pour qu’il n’engage pas de luttes contre eux, que lui dit-il encore ? Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et arrivent à reconnaître la vérité. Il ajoute : « Il n’y a qu’un seul Dieu, et qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes (5) ». Il a dit : « Arrivent à te connaître la vérité », montrant ainsi que terre n’en est point en possession ; puis : « il n’y a qu’un seul Dieu », et non plusieurs comme le croient les gentils. Pour montre que Dieu veut que tous soient sauvés, il ajout qu’il a envoyé son Fils comme médiateur. El quoi, le Fils n’est-il pas Dieu ? Oui, certes Pourquoi donc l’apôtre dit-il : Un seul ? Par opposition aux idoles et non au Fils, car il parle à la fois ici de la vérité et de l’erreur. Mais le médiateur doit participer à ceux don il est le médiateur ; l’essence de la médiation est de tenir et de participer à tous deux ; s’il tient à l’un et est séparé de l’autre, il n’est pas médiateur. Si donc il ne participe pas à la nature du Père, il n’est point médiateur, mais séparé. Car de même qu’il participe à la nature humaine, parce qu’il est venu parmi les hommes, il participe à celle de Dieu, parce qu’il est venu de Dieu. Puisqu’il est le médiateur de deux natures, il ne peut en être isolé. Comme un lieu intermédiaire entre deux autres les a tous deux pour voisins, de même en doit-il être pour celui qui est le lien entre deux natures. S’il s’est fait homme, il n’en était pas moins Dieu. Simplement homme, il n’aurait pu être médiateur, car il fallait qu’il traitât avec Dieu même ; simplement Dieu, il ne l’aurait pu encore, car ceux pour qui il se faisait médiateur ne l’auraient pas reçu.
Car de même que dans un autre endroit l’apôtre dit : « Il n’y a qu’un Dieu le Père… et un Seigneur Jésus-Christ » (1Cor. 8,6), ainsi en ce passage même, il dit un Dieu et un médiateur. Il ne met pas « deux », car il parlait ici du polythéisme et ne voulait pas que personne abusât du mot « deux » pour supposer deux dieux ; il a dit « un » et puis encore il dit « un ». Voyez-vous quelle précision de langage on trouve dans l’Écriture ! Un et un sont deux, mais nous ne prononcerons pas ce mot, bien que le raisonnement nous y invite. Ici vous ne dites pas : Un et un, deux. Vous dites ce que le raisonnement ne vous suggère pas. S’il est né, il a souffert. « Il n’y a », dit-il, « qu’un seul Dieu et qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes, c’est Jésus-Christ, qui est homme, qui s’est donné comme rançon pour tous ». (1Tim. 2,5-6) Eh quoi ? pour les païens aussi ? Il est le Christ et il est mort pour eux, et vous, vous ne consentez pas à prier pour eux ! Comment donc, me dira-t-on, n’ont-ils pas cru ? Parce qu’ils ne l’ont pas voulu, mais, ce qu’il avait à faire, il l’a fait. Le « témoignage » dont parle l’apôtre (Id), c’est sa passion. Car il est venu rendre témoignage à la vérité du Père, et il a été égorgé. En sorte que non seulement le Père lui rend témoignage, mais lui aussi au Père. « Pour moi », dit-il, « je suis venu au nom de mon Père ». (Jn. 5,43) Et ailleurs : « Nul n’a jamais vu Dieu ». (Jn. 1, 18) Et encore : « Afin qu’ils vous connaissent, vous le seul Dieu véritable » (Jn. 17, 3) ; et : « Dieu est esprit ». (Jn. 6, 24) Il a donc rendu témoignage jusqu’à la mort « en son temps », c’est-à-dire au temps opportun.
3. « C’est pourquoi j’ai été placé comme prédicateur et apôtre (je dis la vérité, je ne ments point) ; docteur des nations dans la foi et la vérité (7) ». Puis donc que le Sauveur a souffert pour les nations, et que c’est aussi pour être docteur des nations que j’ai été mis à part, pourquoi ne priez-vous pas pour les gentils ? Il réclame la confiance, comme ayant été mis à part pour être le docteur des nations ; car les apôtres s’étaient montrés bien lents à cet égard. Il ajoute « docteur des nations, dans la foi et la vérité ». – « Dans la foi » ; ne pensez pas que ce soit un leurre, car il dit aussi : « Dans la vérité » ; ce n’est point une fraude. Vous voyez que la grâce s’étend ; chez les juifs on ne faisait point de prières pour un tel but ; mais maintenant la grâce s’est étendue. « Docteur des nations dans la foi et la vérité ». – « Qui s’est donné comme rançon ». Comment a-t-il été livré par son Père ? C’est que sa bonté l’a voulu. Qu’est-ce que cette rançon ? Il devait punir ces hommes ; ils devaient périr ; mais à leur place il a livré son propre fils, afin que la croix fût prêchée.
C’en est assez pour attirer tous les hommes et pour faire connaître la charité du Christ ; carde tels bienfaits sont immenses et inénarrables. Il s’est immolé lui-même pour ses ennemis, pour ceux qui le haïssent et se détournent de lui. Ce qu’un homme ne ferait pas pour ses amis, pour ses enfants, pour ses frères, le Maître l’a fait pour ses serviteurs ; et non un maître de la même espèce qu’eux, mais un Dieu pour des hommes et pour des hommes coupables. Ce qui ne se fait pas pour ses semblables, s’est fait alors, et nous, objets d’une telle charité, nous semblons nous y refuser, nous n’aimons pas le Christ. Il s’est immolé pour nous, et nous le voyons d’un œil distrait privé de nourriture ; il est malade, il manque de vêtements et nous n’y prenons pas garde. Quelle colère, quels châtiments, quel enfer ne mérite pas une telle conduite ? Quand il n’eût rien fait que daigner s’approprier les souffrances des hommes, que nous dire : J’ai faim, j’ai soif, n’était-ce pas assez pour nous entraîner tous ? Mais, ô tyrannie des richesses, ou plutôt, ô perversité de leurs esclaves volontaires, de telles pensées ont peu de pouvoir ; nous sommes lâches et dissolus, abjects et terrestres, charnels et insensés ; car ce ne sont pas les richesses qui ont cette puissance. Que peuvent-elles ? Dites-le-moi ; elles sont muettes et inanimées. Si le diable, si le mauvais génie ne peut rien sur nous, malgré toute sa malice et bien qu’il trouble tout, quelle force possèdent les richesses ? Quand vous voyez de l’argent, pensez que c’est de l’étain, Mais vous ne le pensez pas ? Pensez alors, ce qui est vrai, que n’est de la terre, car il fait partie de la terre. Mais ce raisonnement ne fait point impression sur vous ? Pensez donc que nous mourrons, nous aussi ; que beaucoup de ceux qui l’ont possédé n’en ont tiré presque nul profit ; qu’un grand nombre de ceux qui s’en sont enorgueillis sont devenus cendre et poussière, qu’ils subissent aujourd’hui les plus rigoureux châtiments, et que bien des hommes qui reposaient sur des lits d’ivoire sont maintenant beaucoup plus misérables que ceux qui avaient des vases de terre et de verre, plus dénués que ceux qui vivaient dans la fange. Mais cela réjouit la vue ? Il est bien d’autres objets qui le peuvent davantage. Les fleurs, l’air pur, le ciel, le soleil la réjouissent bien plus. L’argent se rouille au point que quelques-uns ont montré qu’il est noir, comme on le voit, puisqu’il noircit la serviette qui l’essuie : rien de semblable dans le soleil, dans le ciel et dans les étoiles. Les fleurs ont un aspect bien plus agréable que la couleur de l’argent. Ce n’est donc pas son éclat qui vous enchante, c’est la cupidité, c’est l’injustice ; c’est là ce qui séduit les âmes et non l’argent lui-même.
Chassez la cupidité de votre âme, et vous verrez que ce qui vous paraît si digne d’estime, est plus méprisable que la boue. Chassez la passion : quand ceux qui ont la fièvre aperçoivent une eau bourbeuse, ils désirent s’en abreuver, comme si c’était une source ; ceux dont la santé est bonne ne désirent de l’eau que par intervalles. Éloignez la maladie, et vous verrez les choses comme elles sont réellement ; et pour vous prouver que je ne ment point, je puis en produire beaucoup d’exemples. Éteignez le feu qui vous brûle, et vous verrez que tout cela est moins précieux que des fleurs. L’or est beau ; oui, mais dans l’aumône, pour le soulagement des malheureux, et non pour un vain usage, non pour être enfoui dans un coffre ou dans la terre, non pour être étalé sur les mains, les pieds et la tête. S’il a été découvert, ce n’est point pour en lier l’image de Dieu, mais pour délivrer les captifs ; c’est ainsi que vous en ferez vraiment usage ; délivrez le captif au lieu d’en lier cette image libre de ses mouvements. Car pourquoi, s’il vous plaît, préférer à tout un objet de si peu de valeur ? Si c’est de l’or, en forme-t-il moins une chaîne ? est-ce donc dans le choix de la matière que consiste le lien ? D’or ou de fer, c’est toujours une chaîne, si ce n’est que l’une est encore plus lourde que l’autre. Mais pourquoi vous paraît-elle légère ? C’est à cause de votre cupidité, du désir d’attirer tous les regards, ce dont une femme devrait plutôt rougir. Comme preuve de cette parole, chargez-la de chaînes d’or et envoyez-la dans un désert, où elle ne trouvera personne pour la regarder : bientôt ce lien lui paraîtra pesant et insupportable. Redoutons, mes bien-aimés, d’entendre ces redoutables paroles : « Liez-lui les mains et les pieds ». (Mt. 22,13) Pourquoi dès ce monde vous lier ainsi vous-mêmes ? Un prisonnier n’est pas enchaîné, des mains et des pieds. Et cela ne vous suffit donc pas ? Pourquoi lier votre tête, pourquoi environner votre cou de tant de liens ? J’omets les soucis qui en résultent, la crainte, les tourments, les querelles avec son mari pour de pareils objets, quand on les demande, le supplice que l’on éprouve, si l’on en perd quelqu’un. C’est donc là le bonheur, dites-le-moi ? Afin de plaire aux yeux d’un autre, vous subissez volontairement les liens, les soucis, les périls, les chagrins, les querelles de chaque jour, N’est-ce pas là un sort digne à tous égards de blâme et de réprobation ? Je vous en conjure, n’agissons point ainsi, mais dégageons-nous de tout lien d’iniquité ; rompons le pain à celui qui a faim, accomplissons toutes les œuvres qui peuvent nous donner assurance en présence de Dieu, afin d’obtenir les biens promis, en le Christ Jésus Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, à présent et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VIII.

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JE VEUX DONC QUE LES HOMMES PRIENT EN TOUT LIEU, EN ÉLEVANT DES MAINS INNOCENTES, SANS COLÈRE NI DISCUSSION ; ET DE MÊME AUSSI LES FEMMES, VÊTUES AVEC CONVENANCE, SE PARANT AVEC PUDEUR ET RETENUE, SANS FRISURES, SANS OR, SANS PERLES NI HABITS LUXUEUX, MAIS COMME IL SIED A DES FEMMES QUI ANNONCENT LA PIÉTÉ PAR LEURS BONNES ŒUVRES. (II, 8-10)

Analyse.

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  • 1. On peut prier partout sous la loi de grâce, contrairement à ce qui avait lieu sous la loi de Moise. – Contre le luxe des femmes.
  • 2 et 3. Contre les vierges dont la mise est trop étudiée.


1. « Lorsque vous prierez », dit le Seigneur, « ne soyez pas comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux angles des places publiques, afin d’être vus par les hommes. En vérité, je vous le dis, ils reçoivent ici leur récompense. Mais vous, lorsque vous priez, entrez dans votre chambre, fermez la porte et priez votre « Père dans le secret ; il vous le rendra publiquement ». (Mt. 6,5-6) Pourquoi donc Paul dit-il : « Je veux que les hommes prient « en tout lieu, en élevant des mains pures, sans « colère ni discussion ? » N’y a-t-il pas contradiction entre ces deux textes ? À Dieu ne plaise ; mais plutôt parfaite conformité. Et comment donc ? D’abord il faut expliquer ce que veulent dire ces mots : « Entrez dans votre chambre », et ce que prescrit l’apôtre ; s’il faut prier en tout lieu, ou s’il ne faut pas prier à l’église, ni dans aucune autre partie de sa maison que celle-là. Que signifie ce texte ? Le Christ nous enseignant ici à fuir la vanité, ne nous dit pas absolument de prier dans un lieu secret ; mais de faire nos prières sans ostentation. De même que, lorsqu’il dit : « Que votre main gauche ne sache pas ce que fait votre main droite » (Id. 3), il ne parle pas de nos mains, mais il exprime l’humilité par une hyperbole ; de même il enseigne ici la même chose dans un langage figuré. Par là donc, il n’a pas limité la prière à un lieu déterminé, mais il nous a enseigné une seule chose : à fuir l’ostentation. Et Paul dit ceci pour distinguer la prière des chrétiens de celle des juifs. Voyez en effet comment il s’exprime : « En tout lieu, élevant des mains innocentes » ; ce qui n’était point permis aux juifs. Car il ne leur, était point permis de se présenter devant Dieu, pour offrir des sacrifices et accomplir les cérémonies du culte, ailleurs que dans un lieu unique, où de toutes les contrées de la terre chacun devait accourir pour accomplir dans le temple des cérémonies saintes. Paul nous donne un conseil tout différent, et nous délivre de cette contrainte ; car notre loi n’est point telle que la loi des juifs. De même qu’il nous prescrit de prier pour tous, puisque le Christ a souffert pour tous et que l’apôtre prêche pour tous ; de même il est bonde prier partout ; et désormais ce n’est plus au lieu, mais à la manière dont on prie qu’il faut prendre garde. Priez partout, dit-il, partout élevez des mains innocentes ; voilà ce qui vous est demandé.
Qu’est-ce que des mains innocentes ? des mains pures ; et qu’est-ce que des mains pures ? non pas celles qui sont lavées avec de l’eau, mais celles qui sont pures d’avarice, de rapine, de meurtres, de violences. – « Sans colère ni discussion » : Que veut dire cela ? Qui donc se met en colère quand il prie ? L’apôtre veut dire sans animosité. Que la pensée de celui qui prie soit pure, dégagée de toute passion ; que personne ne se présente devant Dieu avec de la haine dans le cœur, avec un esprit chagrin et discutant avec, soi-même. Que veulent dire ces derniers mots ? Écoutons-le : c’est qu’il né faut point mettre en doute si nous serons exaucés : « Tout ce que vous demanderez avec foi », dit le Seigneur, « vous le recevrez » (Mt. 21,22) ; et ailleurs : « Lorsque vous serez debout pour prier, pardonnez et il vous sera pardonné ». (Mc. 11,25) Voilà ce qu’est une prière faite sans discussion. Et comment, me direz-vous, pourrai-je croire que j’obtiendrai l’objet de ma demande ? Oui, vous l’obtiendrez si vous ne demandez rien qui soit contraire, à ce que Dieu est résolu d’accorder, rien qui soit indigne de sa royauté, rien de temporel, mais seulement des choses spirituelles, et si vous vous présentez devant lui sans colère, avec des mains pures et innocentes. Des mains innocentes sont celles qui pratiquent les œuvres de miséricorde. Si vous vous présentez ainsi devant Dieu, vous obtiendrez toutes vos demandes. « Si vous », dit le Seigneur, « tout méchants que vous êtes, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux ». (Mt. 7,11) La discussion dont parle l’apôtre, c’est le doute.
« Et de même aussi les femmes », ajoute l’apôtre ; je veux, dit-il, que, sans colère et sans discussion, elles conservent leurs mains innocentes, ne cèdent point à leurs désirs, à la rapacité, à l’avarice. Et que penser de celles qui, ne se livrant pas elles-mêmes aux rapines, en font commettre par leurs maris ? Mais Paul demande des femmes quelque chose de plus. « Qu’elles se parent », dit-il, « avec pudeur et retenue, d’une façon convenable, sans frisures, sans or, sans perles, mais comme il sied à des femmes qui annoncent la piété par leurs bonnes œuvres ». De quelle parure veut-il parler ? D’une toilette honorable, convenable, exempte de superfluité ; car c’est ainsi qu’elles observeront la loi de la réserve. Quoi donc ! vous venez prier Dieu et vous vous couvrez de bijoux et de frisures ! allez-vous donc danser ? vous rendez-vous donc à des noces ? ou assistez-vous à une fête mondaine ? C’est là que les bijoux, les frisures, les riches vêtements ont leur place ; maintenant il n’en est nul besoin. Vous êtes venue pour supplier, pour demander le pardon de vos fautes, la miséricorde pour vos offenses, pour fléchir votre Maître par vos prières. Pourquoi donc vous parer ? Tel n’est point l’appareil d’une suppliante. Comment pouvez-vous gémir et pleurer, persévérer dans votre prière, quand vous êtes ainsi chargée d’ornements ? Si vous pleurez, vos larmes feront rire ceux qui vous verront, car les bijoux d’or ne conviennent point à celle qui pleure ; n’est-ce pas comédie et spectacle que de faire sortir des larmes d’un cœur où réside tant d’amour du luxe et tant de vanité ? Mettez de côté toute cette comédie : on ne se joue point de Dieu. Tout cela convient aux mimes et aux danseurs qui figurent sur la scène, mais nullement à une femme pudique.
2. « Avec pudeur et retenue ». N’imitez donc pas les femmes perdues, car c’est par de telles parures qu’elles séduisent leurs amants ; c’est là ce qui fait naître tant de soupçons contre tant de femmes et sans nul avantage, car cette mauvaise renommée n’engendre pour autrui que du mal. La femme impudique, eût-elle bonne renommée, n’en tirera aucun avantage, quand celui qui juge les actions cachées produira tout au grand jour ; de même la femme honnête, si elle acquiert la réputation d’adultère par les soins qu’elle donne à son extérieur, ne tirera point avantage de son honnêteté, car sa renommée a perdu des âmes. Que puis-je faire, direz-vous, si un autre me soupçonne ? C’est que vous y donnez occasion par votre parure, par vos regards et par votre tenue. C’est pour cela que Paul insiste sur la toilette et sur la pudeur. Mais s’il retranche ainsi ce qui n’est que marque d’opulence, l’or, les perles, les vêtements somptueux, combien plus les artifices de la coquetterie, le fard, la peinture des yeux[5], la démarche molle, la voix énervée[6], un œil langoureux et impudique, les voiles, les tuniques d’une forme si étudiée, et les ceintures d’un travail encore plus exquis, les chaussures faites avec tant d’art. Il a entendu bannir tout cela, quand il a dit : « Vêtues avec convenance », et : « Avec pudeur » ; car ce sont là des parures qui conviennent à l’impudeur et à l’effronterie.
Supportez ce discours, je vous prie, car le prédicateur énonce des reproches sans déguisement, non pour blesser et faire souffrir, mais pour éloigner du troupeau tout ce qui lui est contraire. Et si l’apôtre défend tout cela aux femmes mariées et riches qui vivent dans l’opulence, combien plus à celles qui ont adopté la virginité. Mais, dira-t-on, quelle vierge porte des bijoux et des frisures ? Elles apportent tant de recherches dans leurs simples vêtements que la parure n’est rien auprès. On peut, avec des vêtements peu coûteux, avoir plus de recherche qu’une femme couverte de bijoux. Une robe d’un beau bleu, serrée avec soin par la ceinture, comme celles des danseuses du théâtre, en sorte qu’elle ne soit ni gonflée à droite ni retirée à gauche, mais que les deux côtés de la taille soient parfaitement symétriques, avec des plis nombreux sur la poitrine, ne charmera-t-elle pas plus que des vêtements de soie ? La chaussure d’un noir bien brillant, terminée en pointe, sera d’une perfection artistique et aura peine à contenir le pied ? Le visage ne sera pas fardé, mais lavé bien à loisir et l’on couvrira le front d’un voile plus blanc que le visage lui-même, puis par dessus on jettera un voile flottant dont la couleur noire ressortira sur le blanc. Et que dirait l’apôtre de ces yeux roulant sans cesse, de ce nœud de la ceinture qui tantôt se cache et tantôt se découvre, de manière à faire ressortir l’art avec lequel la ceinture est enlacée, tandis que le voile est relevé autour de la tête ? Les mains, comme celles des acteurs tragiques, sont gantées avec tant de soins, que le gant ne semble faire qu’un à la main. Que dirait-il encore de cette démarche et de ces manières plus capables que tous les bijoux de séduire ceux qui les voient ? Craignons, mes biens-aimés, d’entendre aussi, nous, ce que le Prophète disait aux femmes des Hébreux préoccupées de leur parure extérieure. « Au lieu d’une ceinture vous vous ceindrez d’une corde, et votre tête, aujourd’hui parée, sera chauve ». (Is. 3,24) Ainsi, cette toilette est plus dangereuse que les bijoux ; bien d’autres s’y sont étudiées pour être vues et captiver ceux qui les regardaient. Ce n’est point là une faute légère, mais une arme capable d’irriter Dieu et de corrompre les vierges.
3. Vous avez le Christ pour époux, pourquoi voulez-vous gagner des amants parmi les hommes ? Le Christ vous condamnera comme adultères. Pourquoi n’adoptez-vous pas la parure qui lui convient, celle qu’il aime : la pudeur, la retenue, la décence, un vêtement modeste ? le vôtre est celui d’une femme déshonorée. On ne reconnaît plus les femmes impudiques et les vierges ; voyez à quelle inconvenance celles-ci sont arrivées. Une vierge doit être dépourvue de recherche, simple et sans art, et celle-ci invente mille artifices pour parer son extérieur. Laisse là cette folie, femme, donne tes soins à la parure intérieure de ton âme, car cette parure extérieure est opposée à la parure intérieure. Celui qui se préoccupe du dehors dédaigne ce qui est intérieur, comme celui qui dédaigne le dehors met tous ses soins à parer son âme. Ne me dites pas : Ah ! je ne porte qu’un vêtement usé, une chaussure de vil prix, un voile sans valeur ; quelle est donc cette parure ? Ne vous trompez point vous-même. On peut, je vous l’ai dit, se parer ainsi plus qu’avec une toilette somptueuse ; on le peut fort bien avec une étoffe usée, mais aux formes élégantes et taillées pour séduire, auxquelles s’adapte une chaussure noire et brillante. – Mais je ne le fais point dans une pensée impudique. Vous pouvez me le dire, mais que direz-vous à Dieu qui pénètre au fond de votre pensée même ? Vous ne le faites pas dans une pensée impudique ? Mais pourquoi ? Le faites-vous pour être admirée ? Et vous n’avez pas honte, vous ne rougissez pas de vouloir être admirée pour un tel motif. Mais non, direz-vous encore, je le fais tout simplement et non dans ce but. Dieu connaît la vérité de ce que vous nous dites. Ce n’est pas à moi que vous avez à rendre compte, c’est à Dieu présent partout, Dieu qui a scruté votre action, Dieu devant qui tout est à découvert et au grand jour. C’est pour cela que nous vous parlons ainsi, afin de vous dérober à ce compte redoutable.
Craignez le reproche adressé par le Prophète aux femmes d’Israël : « Les filles de Sion ont étudié leur démarche et mesuré leurs pas ». (Is. 3,16) Vous avez un grand combat pour lequel il faut des exercices d’athlète et non le soin de sa parure, la force du pugiliste et non une vie efféminée. Ne voyez-vous pas les pugilistes, les athlètes ? s’occupent-ils de leur démarche et de leur toilette ? Nullement ; mais négligeant tout cela, couverts d’un vêtement imbibé d’huile, ils ne songent qu’à une chose : frapper et ne pas être atteints. Le démon est là, grinçant des dents, cherchant de tous côtés à vous perdre, et vous demeurez embarrassée dans cette parure satanique. Je ne veux rien dire de cette voix étudiée qu’affectent un si grand nombre, ni de leurs parfums et de leurs molles recherches. C’est pour cela que les mondaines vous raillent. La dignité de la virginité est perdue ; personne ne considère une vierge avec l’honneur qui lui est dû, car elles-mêmes se sont exposées au mépris. Ne fallait-il pas qu’elles fussent admirées dans l’Église de Dieu comme des êtres descendus du ciel ? Et maintenant elles sont méprisées par leur faute et non par celle des vierges sages. Car vous, qui deviez être crucifiée, lorsqu’une femme qui a un mari et des enfants, qui est à la tête d’une maison, vous verra plus avide de parure qu’elle-même, comment échapperez-vous à ses railleries et à son dédain ? Quel soin, quel empressement ! Avec vos vêtements peu coûteux vous l’emportez sur l’opulence, vous êtes mieux parée qu’une femme couverte de bijoux. Vous ne cherchez pas ce qui vous convient, vous poursuivez avec ardeur ce qui vous messied, quand vous devriez produire des bonnes œuvres. C’est pour cela que les vierges sont moins honorées que les femmes mondaines, car elles ne produisent pas d’œuvres dignes de leur virginité. Nous ne parlons point ainsi à toutes, ou plutôt nous parlons à toutes : à celles qui méritent des reproches, afin qu’elles deviennent sages, et aux autres pour qu’elles leur inspirent la sagesse. Mais prenez garde qu’après le blâme ne vienne le châtiment, car nous n’avons point parlé dans le but de vous faire de la peine, mais pour vous redresser et pouvoir nous glorifier en vous. Puissiez-vous tous faire ce qui plaît à Dieu et vivre pour sa gloire ; de telle sorte que vous obteniez les biens promis par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE IX.

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QUE LA FEMME SE LAISSE INSTRUIRE EN SILENCE ET EN TOUTE SOUMISSION. JE NE PERMETS POINT A LA FEMME D’ENSEIGNER, NI D’AVOIR AUTORITÉ SUR L’HOMME ; MAIS QU’ELLE DEMEURE DANS LE SILENCE. CAR ADAM A ÉTÉ FORMÉ LE PREMIER, ÈVE ENSUITE ; ET CE NE FUT POINT ADAM QUI FUT SÉDUIT, CHRIST.
LA FEMME QUI FUT SÉDUITE ET PRÉVARIQUA ; MAIS ELLE SERA SAUVÉE PAR SA MATERNITÉ, SI ELLES DEMEURENT DANS LA FOI, LA CHARITÉ ET LA SANCTIFICATION, AVEC TEMPÉRANCE. (II, 11-15)

Analyse.

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  • 1. Profitant du texte de l’apôtre qui défend aux femmes de parler dans l’église, l’orateur blâme vivement les conversations auxquelles les femmes se livraient de son temps pendant le service divin et pendant le sermon.
  • 2. Importance de la bonne éducation des enfants.


1. Le bienheureux Paul demande aux femmes une grande pudeur, une grande réserve, non seulement dans la tenue et les vêtements, mais jusque dans la voix. Qu’une femme, dit-il, n’élève pas la voix dans l’église ; ce qu’il exprime dans l’épître aux Corinthiens, quand il dit : « Il est honteux qu’une femme parle dans l’église » (1Cor. 14,35) ; et aussi : « La loi dit qu’elles doivent être soumises. Si elles veulent apprendre quelque chose, qu’elles interrogent leurs maris chez elles ». (Id. 35) Aujourd’hui au contraire, quel trouble, quelles clameurs, quelles conversations ! Nulle part on n’en entend de si bruyantes ; on les voit causer comme elles ne le font pas sur une place publique, ni dans les bains ; on dirait qu’elles viennent à l’église pour se récréer, tant elles s’y livrent toutes à des conversations inutiles. Aussi tout est-il bouleversé ; elles ne songent pas que, si elles ne gardent le silence, elles n’apprendront point ce qu’elles ont besoin de savoir. Si, en effet, le sermon vient au travers d’une conversation engagée et que personne n’écoute l’orateur, quel profit en peut-on tirer ? La femme doit si bien être silencieuse que, comme l’enseigne le texte, elle ne doit parler dans l’église ni des choses temporelles, ni même des choses spirituelles. Voilà sa gloire, voilà sa pudeur, voilà ce qui la parera mieux que ses vêtements ; si elle se revêt de cette parure, elle pourra faire ses prières avec une parfaite décence. – « Je ne permets point à la femme d’enseigner », dit-il. Quelle conséquence a cette parole ? une grande assurément. L’apôtre parlait du silence, de la réserve, de la pudeur ; il ne veut pas, dit-il, que les femmes bavardent ; et, voulant leur enlever toute occasion de le faire, il leur défend d’enseigner, mais leur assigne le rôle de disciples ; ainsi par leur silence elles témoigneront de leur soumission. Leur nature est parleuse ; il la réprime ainsi de toute façon.
« Adam », dit-il, « a été formé le premier, Eve ensuite ; et ce ne fut point Adam qui fut trompé ; c’est la femme qui fut trompée et prévariqua ». Mais cela concerne-t-il donc les femmes d’aujourd’hui ? Oui, l’homme jouit d’un plus grand honneur ; il a été formé le premier ; et ailleurs l’apôtre a montré cette supériorité quand il a dit : « L’homme n’a point été formé pour la femme, mais la femme pour l’homme ». (1Cor. 11,9). Et pourquoi dit-il cela ? c’est que l’homme doit tenir le premier rang, pour ce motif d’abord, puis à cause de ce qui s’est passé. La femme un jour enseigna l’homme, elle bouleversa tout et le rendit coupable de désobéissance, aussi Dieu l’a-t-il assujettie, parce qu’elle avait fait mauvais usage de son autorité ou plutôt de l’égalité des rangs. « Tu seras soumise à ton mari », dit l’Écriture (Gen. 3,16) ; parole qui n’avait point été dite avant le péché. Mais peut-on dire qu’Adam ne fut pas trompé ? car autrement il n’eût pas désobéi. La femme dit : Le serpent m’a trompée (Id. 13) ; mais Adam ne dit pas : « La femme m’a trompé » ; il dit : « Elle m’a donné de ce fruit et j’en ai mangé ».(Id. 12) Ce n’est point un crime semblable d’être séduit par un être de même nature et de même race, ou de l’être par un animal, un esclave, un être inférieur par sa nature ; c’est là être vraiment trompé. L’apôtre dit donc qu’Adam ne fut pas trompé, par comparaison avec la femme, parce qu’elle se laissa tromper par un esclave, un être d’une nature inférieure, et qu’il le fut par un être libre. Et ce n’est point d’Adam qu’il est écrit : « Elle considéra que ce fruit était bon à manger ; mais c’est la femme qui en mangea et en donna à son mari » (Ib, 6) ; en sorte qu’il ne prévariquât point par mauvais désir, mais seulement par complaisance pour sa femme. La femme a enseigné une fois et a tout bouleversé ; aussi l’apôtre dit-il « Qu’elle n’enseigne point ». Mais quelle conséquence tirer pour les autres femmes, s’il en fut ainsi d’Eve ? Une grande conséquence, c’est que leur nature est faible et légère. Et ici il est question de leur nature, car le texte ne dit pas : Eve fut trompée, mais : « La « femme », ce qui est une désignation générale. Quoi donc ! Toute nature féminine a-t-elle prévariqué par elle ? De même que l’apôtre a dit : « Dans la similitude du péché d’Adam, qui est le type de l’avenir » (Rom. 5,14) ; de même ici il faut entendre que c’est la nature féminine qui a prévariqué.
Mais n’y a-t-il point de salut pour elle ? Certes, il y en a. Et comment ? Par sa postérité, car ce n’est pas d’Eve que le texte dit : « Si elles demeurent dans la foi, la charité et la sanctification, avec tempérance ». Quelle foi ? quelle charité ? quelle sanctification ? C’est comme s’il eût dit : Ne soyez point abattues, ô femmes, si vous êtes ainsi blâmées ; Dieu vous a donné une autre occasion de salut, l’éducation de vos enfants ; en sorte que les femmes peuvent obtenir le salut, non seulement par elles, mais par autrui. Considérez quelles grandes questions sont ici soulevées. La femme trompée prévariqua. Quelle femme ? Eve. Est-ce donc elle seule qui sera sauvée par la maternité ? Non, mais ce moyen de salut appartient à toutes. La femme a prévariqué ; mais, si Eve pécha, tout son sexe sera sauvé par la maternité. Pourquoi, dira-t-on, n’est-ce pas par sa propre vertu ; car Eve n’a point fermé la voie aux autres femmes ? Et qu’en sera-t-il des vierges ? qu’en sera-t-il des femmes stériles ? qu’en sera-t-il des veuves qui ont perdu leurs maris avant d’être mères ? sont-elles perdues ? n’ont-elles plus d’espérance ? Et pourtant ce sont les vierges qui sont le plus en honneur. Que veut donc dire l’apôtre ?
2. S’il a prescrit la soumission à tout le sexe féminin, par suite de son origine, à cause de l’histoire de la première femme, quand il dit qu’Eve a été formée la seconde et que désormais son sexe doit être soumis ; est-ce par une raison toute semblable qu’il enseigne que parce qu’elle a prévariqué, tout son sexe est sous la prévarication ? Cela n’est point admissible ; car l’un de ces faits est simplement un don de Dieu, l’autre une faute de la femme. Mais il dit que tous sont morts à cause de la faute d’un seul, et qu’il en est de même pour la femme. Qu’elle ne se désole donc point, car Dieu lui a donné une grande consolation, celle de devenir mère. – Mais c’est un fait de l’ordre naturel. – L’autre aussi ; mais ce n’est pas seulement l’enfantement naturel, c’est l’éducation de ses enfants qui lui est accordée. – « Si elles demeurent dans la foi, la charité et la sanctification, avec tempérance ». C’est-à-dire que, si, après leur avoir donné la vie, la femme les forme à ces vertus, elle en recevra une large récompense, parce qu’elle aura formé des athlètes pour le Christ. « Si elles demeurent dans la foi et la charité ». C’est la vie, telle qu’elle doit être ; et il mentionne aussi la tempérance et la régularité. « Cette parole est fidèle ». (3, 4) C’est à cela que se rapportent ces mots, et non à ce qui suit : « Si quelqu’un désire l’épiscopat ». On doutait de ce que l’apôtre vient de dire ; aussi ajoute-t-il : « Cette parole est fidèle » ; que les pères jouissent de la vertu des enfants, ainsi que les mères, quand ils les ont élevés comme ils le doivent. Mais qu’arrivera-t-il si la mère est perverse et pleine de vices ? tirera-t-elle profit de l’éducation de ses enfants ? N’est-il pas vraisemblable qu’elle les élèvera semblables à elle-même ? L’apôtre parle ici de la femme vertueuse ; et ce qu’il en dit, c’est qu’elle sera largement récompensée et rémunérée de ce qu’elle fait pour ses enfants.
Prêtez donc l’oreille, pères et mères ; l’éducation de vos enfants ne sera point pour vous-mêmes une œuvre stérile. L’apôtre dit plus loin : « Elle rend témoignage par ses bonnes œuvres, si elle a élevé ses enfants » ; et il joint cette vertu aux autres. Car ce n’est pas une petite chose que de consacrer au service de Dieu les enfants que l’on a reçus de Dieu. Si les parents jettent une base et un fondement solide, ils recevront une grande récompense, parce qu’ils ne négligent point de corriger leurs enfants. Car Héli a péri à cause des siens, qu’il devait réprimander. Il le faisait, mais non comme il l’aurait dû ; ne voulant point leur faire de peine, il les a perdus et lui avec eux. Pères, prêtez donc l’oreille, instruisez vos enfants dans la discipline et l’admonition du Seigneur, avec un soin sévère et vigilant. La jeunesse est difficile à dompter ; elle a besoin de beaucoup de surveillants, de précepteurs, d’instituteurs, de gardiens, de gouverneurs ; et, avec tout cela, on doit s’estimer heureux de pouvoir la contenir. Elle est semblable à un cheval indompté, à un animal sauvage. Si donc de bonne heure et dès le premier âge, nous lui avons donné de fortes barrières, nous ne serons point pour cela exempts par la suite de nombreuses peines ; mais l’habitude prise deviendra désormais une loi. Ne leur permettons donc point de rien faire de séduisant et de pernicieux ; ne les flattons point comme des enfants ; prenons soin surtout de les maintenir dans la tempérance, car c’est par le vice opposé que la plupart du temps la jeunesse se corrompt. Là nous avons beaucoup à lutter, beaucoup à veiller. Marions-les de bonne heure, en sorte que leurs épouses les reçoivent chastes et purs ; ce seront là les amours les plus vives. Celui qui est plein de réserve avant le mariage le sera bien davantage après ; et celui qui, avant le mariage, a fréquenté les courtisanes, en fera de même quand il sera marié : « A l’homme débauché tout aliment est bon ». (Sir. 23,17) Les mariés portent des couronnes, symboles de la victoire, pour signifier qu’ils s’approchent du lit nuptial sans avoir été vaincus, et n’ont point cédé à la volupté. Mais celui qui s’y est lâchement abandonné, pourquoi porte-t-il une couronne, quand il est vaincu ?
Que les enfants donc soient exhortés, réprimandés, effrayés, menacés ; employons avec eux tantôt un procédé, tantôt un autre. Nous avons en eux un grand dépôt. Pensons donc à eux et faisons tout pour que le démon ne nous les ravisse pas. Aujourd’hui nous faisons tout le contraire. Nous n’épargnons rien pour embellir un domaine et pour le confier à un homme fidèle ; nous cherchons l’ânier, le muletier, le gérant, l’intendant le plus dévoué ; mais, ce qui pour nous est le plus précieux, confier notre fils à un homme qui saura garder ses mœurs, nous ne nous en inquiétons point ; pourtant c’est là ce que nous avons de plus précieux ; c’est pour cela que nous avons reçu tout le reste. Nous pensons aux biens à acquérir pour nos enfants, et nous ne songeons point à eux-mêmes : comprenez donc quelle déraison ? Formez l’âme de votre enfant, et le reste vous sera donné par surcroît, tandis que, si son âme n’est pas vertueuse, vos richesses ne lui serviront de rien ; si au contraire elle est ce qu’elle doit être, la pauvreté ne lui portera nul préjudice. Voulez-vous le laisser riche après vous ? Apprenez-lui à être honnête ; car c’est ainsi qu’il pourra faire sa fortune, et s’il ne s’enrichit pas, il n’aura rien à envier aux riches. Mais, s’il est vicieux, quand vous laisseriez des millions, vous ne laisserez point un homme capable d’en être dépositaire, mais il resterait au-dessous de ceux qui sont descendus au dernier degré de la misère : pour des enfants sans frein, mieux vaut pauvreté que richesse. La pauvreté défendrait leurs mœurs, même malgré eux ; la richesse, le voulussent-ils, ne leur permet point d’être sages, mais les entraîne, les fait tomber, les précipite dans un abîme de maux.
Mères, dirigez avec grand soin vos filles, la garde vous en est facile ; veillez à ce qu’elles restent chez elles ; avant tout apprenez-leur à être prudentes, retenues, à mépriser les richesses, à ne point aimer la parure, et préparez-les ainsi au mariage. Vous serez ainsi non seulement leurs protectrices, mais celles des hommes qui doivent les épouser, et non seulement d’eux, mais de leurs enfants, et même de leurs descendants. Si la racine est saine, les rameaux se développeront, comme ils le doivent, et de tout ce bien vous recevrez la récompense. Agissons donc ainsi toujours pour sauver non pas seulement une âme, mais plusieurs âmes par une seule. La jeune fille doit sortir de la maison paternelle pour se marier, comme un athlète sort de la palestre, formée et exercée ; il faut que, par sa vertu, elle puisse transformer tout ce qui l’entoure, de même que le levain transforme toute la masse à laquelle on le mêle. Que ses enfants, encore une fois, méritent le respect par leur conduite régulière et sage, en sorte qu’ils soient loués de Dieu et des hommes. Qu’ils apprennent à dompter la gourmandise, à s’abstenir du luxe, à être économes et affectueux ; qu’ils apprennent à obéir. C’est ainsi qu’ils pourront procurer une grande récompense à leurs parents ; c’est ainsi que tout sera pour la gloire de Dieu et le salut de nos âmes, en Jésus-Christ Notre Seigneur, à qui gloire aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE X.

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SI QUELQU’UN SOUHAITE L’ÉPISCOPAT, IL SOUHAITE UNE ŒUVRE BONNE. IL FAUT DONC QUE L’ÉVÊQUE SOIT IRRÉPROCHABLE, MARI D’UNE SEULE FEMME ; QU’IL SOIT SOBRE, PRUDENT, DE BONNES MŒURS, HOSPITALIER ; QU’IL SACHE ENSEIGNER, NE SOIT PAS LIVRÉ AU VIN, NE FRAPPE PAS, MAIS SOIT MODÉRÉ, ENNEMI DES QUERELLES, DÉSINTÉRESSÉ, SACHANT BIEN GOUVERNER SA MAISON, ET QUE SES ENFANTS LUI SOIENT SOUMIS AVEC UNE ENTIÈRE RÉGULARITÉ DE MŒURS. (III, 1-4 JUSQU’À 9)

Analyse.

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  • 1. De l’épiscopat et des qualités indispensables à un évêque.
  • 2. Le futur évêque ne doit pas être un néophyte, c’est-à-dire un nouveau converti ; il faut aussi qu’il jouisse d’une bonne réputation, même parmi les païens.
  • 3. Des bons exemples. – Pourquoi il y a si peu de gentils qui se convertissent.


1. Avant de descendre au détail des devoirs de l’épiscopat, l’apôtre expose sommairement ce que doit être un évêque, non sous forme d’avertissements à Timothée, mais comme parlant à tous, et réglant la conduite de tous par ses instructions à un seul. Et que dit-il ? « Si quelqu’un souhaite l’épiscopat », je ne lui en fais pas un crime, car c’est une autorité tutélaire ; si donc quelqu’un a ce désir, non pas seulement parce que c’est un commandement et un pouvoir, mais parce que c’est une autorité tutélaire, je ne le lui reproche pas ; « il désire une œuvre bonne ». Moïse, en effet, a souhaité la charge et non la puissance, et l’a souhaitée assez – pour s’entendre dire : « Qui t’a constitué chef et juge au-dessus de nous ? » (Ex. 2,14) Celui qui désire l’épiscopat de cette manière peut le désirer, car l’épiscopat emprunte son nom à la surveillance sur tous. « Il faut », continue l’apôtre, « que l’évêque soit irréprochable, mari d’une seule femme ». Il ne dit pas ceci pour imposer une loi, de telle sorte que le mariage fût nécessaire pour être évêque, mais pour réprimer un excès ; attendu que, chez les Juifs, il était permis de contracter un second mariage et d’avoir deux femmes en même temps. Car, « le mariage est honorable ». (Héb. 13,4) Et quelques-uns affirment que par cette parole, l’apôtre exige que l’évêque n’ait jamais eu qu’une femme. – « Irréprochable » : en employant ce mot, il a compris toutes les vertus. En sorte que celui qui a conscience de quelques péchés, a tort de désirer l’épiscopat, dont il s’est lui-même exclu par ses œuvres ; celui-là en effet doit être gouverné et non gouverner les autres. Celui qui gouverne doit être plus resplendissant qu’un flambeau et avoir une vie sans tache, en sorte que tous les regards se portent sur lui et sur sa vie. Et ce n’est pas sans dessein que l’apôtre écrit cet avis, mais parce que Timothée devait à son tour établir des évêques ; ce sont les avis qu’il donnait à Tite et c’est dans la prévision que beaucoup désireraient l’épiscopat qu’il énonce ces prescriptions.
« Sobre et vigilant », dit-il, et par là il entend plein de perspicacité, ayant l’œil partout et le regard perçant. Car il est bien des causes qui obscurcissent l’œil de l’intelligence ; le défaut de zèle, les préoccupations, l’embarras des affaires, et tant d’objets qui surgissent de tous côtés. L’évêque doit donc être l’homme toujours sur ses gardes, l’homme qui ne s’inquiète pas seulement de ce qui le touche, mais de ce qui touche les autres. Il doit, toujours veiller, avoir une âme ardente, respirant le feu, pour ainsi dire, ou plutôt celte d’un chef militaire, qui nuit et jour circule à travers son armée ; il doit se fatiguer, être au service de tous et prendre soin et souci de tous. « Prudent, de bonnes mœurs, hospitalier ». Ces qualités conviennent aussi aux simples fidèles, en cela ils doivent être les égaux des évêques ; aussi pour marquer le propre de l’évêque, l’apôtre ajoute : « Qu’il sache enseigner ». Cette qualité n’est plus exigée du simple fidèle, mais elle doit appartenir avant toutes les autres à celui qui a reçu le dépôt de l’épiscopat. « Qu’il ne soit pas livré au vin n. L’apôtre ne veut pas dire ivrogne, mais brutal et arrogant. « Qu’il ne frappe pas ». L’apôtre ne veut pas dire frapper avec les mains. Et que veut-il dire ? c’est qu’il est des hommes qui heurtent sans raison la conscience de leurs frères, et c’est, je pense, de ceux-là qu’il entend parler. – « Point sordide, mais modéré, ennemi des querelles, désintéressé, sachant bien gouverner sa maison, et que ses enfants lui soient soumis avec une entière régularité de mœurs ». Or, si l’homme qui s’est marié se préoccupe des choses du monde, et si l’évêque ne doit pas s’en préoccuper, comment l’apôtre dit-il : « Mari d’une seule femme ? »
Plusieurs affirment qu’il entendait : « N’ayant eu qu’une femme » ; mais quand il en serait – autrement, on peut être marié, comme ne l’étant pas. L’apôtre a eu raison de faire cette concession à l’état de choses existant alors, et l’on pouvait avec la bonne volonté, en tirer un bon parti. En effet, de même que la richesse laisse difficilement entrée au royaume des cieux, et que bien des riches y sont entrés néanmoins, il en est de même du mariage. Que dites-vous, ô Paul ? En parlant des devoirs de l’évêque, vous avez dit qu’il ne doit pas être livré au vin, mais hospitalier, quand vous aviez à faire entendre quelque chose de bien plus grand. Pourquoi n’avez-vous pas dit : L’évêque doit être un ange, et n’être sujet à aucune passion humaine ? et ces grands enseignements du Christ que ceux qui sont en dignité doivent observer sans cesse : D’être crucifié, d’avoir toujours son âme entre ses mains ? et cette parole du Christ : « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis ». (Jn. 10,11) Et encore : « Celui qui ne prend passa croix pour « me suivre, n’est pas digne de moi ». (Mt. 10,38) Paul a dit : Qu’il ne soit pas livré au vin. Voilà de belles espérances, si ce sont là les avis qu’il faut adresser à un évêque ! Pourquoi ne dites-vous pas qu’il doit être déjà en dehors de la terre ? pourquoi prescrivez-vous à un évêque ce que vous avez prescrit aux gens du monde ? Que leur dit-il en effet ? « Mortifiez vos membres terrestres ». (Col. 3,5) « Celui qui est mort est justifié du péché ». (Rom. 6,7) « Ceux qui appartiennent au Christ ont crucifié leur chair ». (Gal. 5,24). Et le Christ lui-même a dit : « Celui qui ne renonce pas à tout ce qu’il possède n’est pas digne de moi ». (Lc. 14,33) Pourquoi donc l’apôtre n’a-t-il pas ici tenu ce langage ? Parce qu’on ne pouvait trouver que peu d’hommes semblables à ce modèle, et qu’il fallait un grand nombre d’évêques, pour administrer les églises de chaque cité ; car les églises allaient être exposées aux embûches. Aussi parle-t-il d’une vertu médiocre et non d’une vertu céleste et sublime : être sobre, prudent et de bonne mœurs est une vertu commune.
2. « Que ses enfants lui soient soumis avec une entière régularité de mœurs ». Car il faut que sa maison donne l’exemple. Qui pourra croire en effet qu’un évêque se fasse obéir d’un étranger, s’il ne s’est pas fait obéir de son fils ? « Sachant bien gouverner sa maison ». Les païens eux-mêmes disent que, qui sait gouverner sa maison deviendra vite un bon administrateur. Il en est en effet d’une église comme de la moindre famille ; et de même que, dans une maison, les enfants, la femme et le mari, au-dessus de tous, forment une hiérarchie d’autorité, de même, dans l’église, on retrouve partout des enfants, des femmes, des serviteurs. Si le chef d’une église a des associés à son pouvoir, le chef de famille a aussi sa femme. S’il lui faut pourvoir à la nourriture des veuves et des vierges, le chef de famille a ses esclaves, ses filles ; seulement une maison est plus facile à gouverner. Celui donc qui ne l’a pas su faire, comment pourra-t-il administrer une église ? « Celui », dit l’apôtre, « qui ne sait pas diriger sa maison, comment prendra-t-il soin de l’Église de Dieu (5) ? »
« Que ce ne soit pas un néophyte (6) » ajoute-t-il ; et par là il n’entend pas un homme jeune, mais nouveau dans la doctrine. « J’ai planté », dit-il ailleurs, « Apollon a arrosé ; mais c’est Dieu qui a donné l’accroissement ». (1Cor. 3,6) C’est donc le nouveau converti qu’il a en vue ; autrement qu’est-ce qui l’empêchait de dire : Un jeune homme ? Pourquoi a-t-il fait évêque Timothée lui-même ? Or, Timothée était jeune, puisque l’apôtre dit : « Que personne ne méprise votre jeunesse ». (1Tim. 4,12) Parce qu’il le connaissait pour très-vertueux et d’une conduite parfaite : ainsi il lui rend plusieurs excellents témoignages : « Vous avez appris les saintes lettres dès votre enfance » ; et encore : « Usez d’un peu de vin, à cause de vos fréquentes indispositions » ; ce qui prouve que Timothée jeûnait. Il est clair que ces témoignages et ces recommandations ne pouvaient s’adresser qu’à quelqu’un de très-vertueux. C’est parce que beaucoup de gentils embrassaient la foi et se faisaient baptiser, que l’apôtre défend d’élever un néophyte, c’est-à-dire un homme nouveau dans la doctrine, au faîte de l’autorité. Car celui qui deviendrait maître avant d’avoir été disciple ; se laisserait bientôt aller au vertige par l’enflure que fait éprouver le commandement quand on n’a point appris à obéir. C’est pour cela que Paul ajoute : « De peur que, gonflé d’orgueil, il ne tombe sous la condamnation du démon (6) », c’est-à-dire sous la peine que celui-ci a encourue par son orgueil.
« Il faut que l’évêque ait aussi un bon témoignage de ceux du dehors, afin qu’il ne tombe pas dans l’opprobre et dans le piège du démon (7) » ; car autrement, il serait outragé par eux. C’est pour un motif semblable qu’il a dit encore : « Mari d’une seule femme », bien qu’il ait dit ailleurs : « Je voudrais que tous vécussent comme moi dans la continence ». (1Cor. 7,7) Mais, afin de ne pas resserrer trop la voie, s’il exigeait une vertu si rigoureuse, il ne demande qu’une vertu modérée. Il fallait en effet préposer un homme dans chaque cité ; car écoutez ce qu’il écrit à Tite : « Afin que dans chaque cité vous établissiez des prêtres, comme je vous l’ai prescrit (15) ». Mais quoi ? s’il a bon témoignage et flatteuse renommée, mais qu’il ne soit pas ce qu’on pense ? C’est bien difficile, car ce n’est déjà pas sans peine que même avec une vie droite on acquiert une bonne réputation parmi des ennemis ; mais l’apôtre ne s’en est pas tenu là, car il n’a pas dit : « Il faut qu’il ait un bon témoignage », mais : « Qu’il ait aussi un bon témoignage » ; comprenant cette condition parmi les autres, et ne l’isolant point. – Mais si l’on en parlait mal sans motif et par envie, d’autant plus qu’il s’agit des gentils ? – Il n’en est point ainsi, mais ceux-là mêmes respectent une vie irréprochable. Comment cela ? dira-t-on. Écoutez cependant ce que dit l’apôtre de lui-même : « À travers la mauvaise et la bonne renommée ». (1Cor. 6,8) – Ce n’était point sa vie que l’on attaquait, mais sa prédication ; c’est ce qu’il entend par ces mots : « À travers la mauvaise renommée ». On accusait les apôtres d’être des séducteurs et des magiciens, à cause de leur enseignement, mais on n’attaquait pas leur vie. Pourquoi personne n’a-t-il dit que ce fussent des impudiques, des insolents, des hommes cupides, mais seulement des séducteurs, ce qui ne touchait qu’à leur prédication ? C’est que celui dont la vie brille par la vertu s’attire le respect des païens eux-mêmes, car la vérité impose silence même à nos ennemis.
Et comment tombe-t-il dans le piège ? En tombant souvent dans les mêmes fautes qu’eux. Car, s’il est tel que nous le disons, le démon lui aura bientôt tendu un autre piège et bientôt aussi ils le condamneront. Mais, s’il doit avoir bon témoignage des ennemis, il doit bien plus encore l’avoir des amis. Comme preuve, en effet, qu’une vie irréprochable ne peut être flétrie, écoutez ce que dit le Christ : « Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ». (Mt. 5,16) Mais quoi, si un homme est poursuivi par la malveillance, si quelque circonstance lui vaut une calomnie ? Cela peut arriver, mais celui-là ne doit pas être élevé en dignité, car il y a beaucoup à craindre. Il faut donc, dit l’apôtre, que le futur évêque ait aussi unebonne renommée même chez les païens, car vos œuvres doivent briller. Et comme un aveugle même ne dirait pas que le soleil est ténébreux, car il aurait honte de combattre le sentiment universel, de même personne ne flétrira un homme parfaitement honnête ; mais les païens pourront le calomnier souvent à cause de sa doctrine ; quant à une vie droite ils ne sauraient l’attaquer ; avec tout le monde, ils en sont frappés et l’admirent.
3. Vivons donc de telle sorte que le nom de Dieu ne soit pas blasphémé. Ne considérons point la gloire humaine et ne nous attirons point une mauvaise renommée, mais gardons une juste mesure. « Vous brillez comme des flambeaux dans le monde ». (Phil. 2,15) Dieu nous a envoyés afin que nous soyons des flambeaux et que nous devenions comme un levain, afin que nous instruisions les autres et que nous vivions comme des anges au milieu des hommes, afin qu’étant semblables à des, hommes parmi de petits enfants, hommes spirituels parmi ceux de la vie présente, ceux-ci en tirent avantage, et que nous soyons la semence qui produit des fruits abondants. Il ne serait pas besoin de discours si notre vie brillait à ce point ; il ne serait pas besoin de docteurs si nous faisions voir nos œuvres, il n’y aurait plus de païens si nous étions chrétiens comme nous devons l’être, si nous gardions l’enseignement du Christ, si, en butte à l’injustice et à la cupidité, nous bénissions dans les outrages, si nous rendions le bien pour le mal ; car il n’y a pas d’être si farouche qui ne se ralliât à la piété, s’il en était ainsi chez tous.
Comprenez-le bien : Paul était seul quand il a converti un si grand nombre d’hommes ; si nous lui ressemblions tous, combien de mondes n’aurions-nous pas pu convertir. Voici qu’aujourd’hui les chrétiens sont en plus grand nombre que les païens. Dans les autres arts, un seul maître peut former à la fois une centaine d’apprentis ; ici où nous sommes tant de maîtres et devrions former tant de disciples[7], personne ne se joint plus à nous. Car ceux que l’on veut instruire examinent la vertu de leurs maîtres, et, quand ils nous voient les mêmes désirs, la même ambition qu’à eux-mêmes, celle du pouvoir et de la considération, comment pourront-ils admirer le christianisme ? Ils voient des vies dignes de reproches, des âmes terrestres ; nous sommes comme eux et bien plus qu’eux fascinés par les richesses ; nous tremblons comme eux à la pensée de la mort, nous craignons comme eux la pauvreté, nous nous irritons comme eux contre les maladies ; comme eux, nous aimons la gloire et la puissance, nous nous laissons aller au désespoir de l’avarice, nous courtisons les heureux du siècle[8]. Comment peuvent-ils croire ? par les miracles ? mais nous n’en faisons pas ; par des changements de vie ? mais il n’y en a plus ; par notre charité ? mais on n’en voit nulle part nulle trace. Aussi rendrons-nous compte, non seulement de nos péchés, mais de la perte des autres.
Revenons de notre égarement, veillons, faisons voir sur la terre la cité céleste, disons que « notre conversation est dans le ciel », (Phil. 3,20) Montrons-nous sur la terre comme des athlètes. Mais, dira-t-on, il y a eu parmi nous de grands hommes ? Comment le croirai-je, répondra le païen ? Je ne vous vois point faire ce qu’ils ont fait. Et puisqu’il faut aborder ce terrain, nous aussi nous avons de grands philosophes dont la vie fut admirable. Mais montrez-moi un autre Paul et un autre Jean ? Qui ne se rirait de ces raisonnements ? Et qui ne continuera pas à demeurer dans l’ignorance en nous voyant philosophes, non en actions, mais en paroles ? Maintenant chacun est prêt à se faire tuer ou à tuer pour une obole ; pour un vase de terre, vous prononcez mille jugements ; si vous perdez un enfant vous ne vous connaissez plus. Je ne parle pas de ces désordres lamentables, les auspices, les augures, les observations superstitieuses, les thèmes généthliaques, les amulettes, les divinations, les formules d’incantation, les sortilèges ; grands crimes et capables de provoquer la colère de Dieu, quand il nous voit coupables d’une telle audace, après qu’il nous a envoyé son Fils. Eh quoi ! ne faut-il que se lamenter quant à grand peine une faible part des hommes arrive au salut éternel ? Mais ceux qui se perdent l’entendent dire gaîment, parce qu’ils ne subissent pas seuls leur sort, mais se perdent avec un grand nombre. Quelle joie est donc celle-là ? Ils en subiront le châtiment. Ne croyez pas en effet que, comme il arrive sur la terre, il y ait une consolation dans l’autre monde à trouver des compagnons de son malheur. Comment le prouveriez-vous ? Je vais vous rendre la vérité manifeste.
Dites-moi, en effet, si un homme est condamné au feu et qu’il voie son fils brûler avec lui, s’il voit la fumée s’élever de ses chairs, ne ressentira-t-il pas une douleur mortelle ? Si ceux mêmes qui ne sont pas atteints par lé mal sont, à ce spectacle, saisis d’horreur et tombent en défaillance, combien plus ceux qui souffrent aussi. N’en soyez pas surpris, car écoutez la parole d’un sage : « Tu as été atteint comme nous, tu as été compté pour un d’entre nous ». (Is. 14,10) Il y a de la sympathie entre les hommes, et nous sommes frappés par les maux d’autrui. Sera-ce donc une consolation ou un accroissement de souffrances qu’éprouvera un père en voyant son fils soumis a la même peine que lui ? un mari en voyant sa femme ? des hommes, un autre homme ? Ne sommes-nous pas alors plus douloureusement atteints ? – Mais les peines de l’autre vie ne ressemblent pas à celle-ci. – Non, elles sont bien différentes, car le pleur y sera inconsolable, et tous se verront entre eux, et souffriront ensemble. Dans une famine éprouve-t-on quelque soulagement de ses propres maux, parce qu’on les voit partagés par autrui ? Et que sera-ce, quand ce sont un fils, un père, une épouse, des petits-fils qui subissent la même peine que nous ? Quand nous voyons souffrir nos amis, en éprouvons-nous de la consolation ? Non, non ; mais nos douleurs en deviennent plus intenses. Il y a d’ailleurs des souffrances trop aiguës pour être soulagées par le partage. Ainsi, qu’un homme soit dans le feu et un autre encore, pourront-ils se consoler entre eux ? Dites-moi, je vous prie, si nous sommes saisis d’une fièvre violente, toute consolation n’est-elle pas vaine pour nous ? Oui, sans doute ; car l’âme, lorsque le mal l’a surmontée, n’a plus le loisir de se prêter à des consolations. Voyez les femmes qui ont perdu leurs maris ; combien ne peuvent-elles pas compter de veuves comme elles ? Mais leur mal en devient-il moins grand ? Ah ! ne nous entretenons point d’une telle espérance ; trouvons la seule consolation véritable dans le regret de nos péchés et la fidélité à la bonne voie qui conduit au ciel, afin que nous obtenions le royaume des cieux par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient gloire et puissance aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XI.

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DE MÊME, QUE LES DIACRES SOIENT PUDIQUES, SINCÈRES, QU’ILS NE SOIENT ADONNÉS NI AU VIN, NI A DES PROFITS HONTEUX, ET QU’ILS GARDENT LE MYSTÈRE DE LA FOI DANS UNE CONSCIENCE PURE. QU’ILS SOIENT AUSSI D’ABORD ÉPROUVÉS, PUIS ADMIS A CES FONCTIONS, S’ILS SONT IRRÉPROCHABLES. (III, 8, 9)

Analyse.

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  • 1. Devoirs des diacres.
  • 2 et 3. De l’usage que l’on doit faire des richesses.


1. L’apôtre, après avoir traité des évêques et les avoir caractérisés, et énoncé les qualités qu’ils doivent avoir et ce dont ils doivent être exempts, passe sous silence l’ordre des prêtres et arrive immédiatement aux diacres. Pourquoi cela ? C’est qu’entre les évêques et les prêtres la différence n’est pas grande. C’est que les prêtres ont été institués pour enseigner et pour avoir autorité dans l’église ; ce qu’il a dit des évêques s’applique aussi aux prêtres. Ce n’est que par l’ordination que les premiers sont montés plus haut ; c’est par là seulement qu’on leur voit un avantage sur les prêtres. – « De même des diacres », il leur demande les mêmes vertus. Et comment les mêmes ? D’être irréprochables, prudents, hospitaliers, doux, pacifiques, désintéressés. « Pudiques, sincères », c’est-à-dire, sans vice caché, sans artifices ; car rien ne produit la bassesse de l’âme autant que l’artifice, et rien n’est fâcheux dans l’Église comme un vice caché. – « Qui ne soient adonnés ni au vin à ni à des profits honteux, et gardent le mystère de la foi dans une conscience pure ». Vous le voyez, il a exprimé ce que c’est qu’être irréprochable. Voyez aussi comment il introduit ici l’idée : « Qu’il ne soit pas néophyte ». Car il ajoute : « Et qu’ils soient d’abord éprouvés » ; en sorte que, ce qu’il a exprimé en parlant de l’évêque, il le répète par cette phrase conjonctive, qui ne laisse pas d’idée intermédiaire. Il fait donc entendre là aussi « Qu’il ne soit pas néophyte ». Ne serait-il pas étrange en effet que, dans une maison, l’on ne confie pas le service intérieur à un esclave nouvellement acheté, avant qu’il ait donné, par une expérience répétée, des preuves de son intelligence, et que, dans l’église de Dieu, celui qui arrive du dehors fût immédiatement admis dans les premiers rangs ?
« Que de même les femmes », il parle des diaconesses, « soient pudiques, innocentes de calomnie, sobres, fidèles en toutes choses (11) ». Quelques-uns pensent que l’apôtre parle des femmes en général, mais il n’en est point ainsi ; comment, en effet, eût-il inséré dans ce qu’il dit ici des préceptes concernant les femmes ? Il parle de celles qui possèdent la dignité de diaconesses. « Que les diacres ne soient maris que d’une seule femme[9] (12) ». Vous le voyez, il demande d’eux aussi cette vertu. Car, s’ils ne sont pas égaux en dignité à l’évêque, ils doivent, comme lui, être irréprochables et purs. « Qu’ils gouvernent bien leurs enfants et leurs maisons. Car les diacres qui auront, bien rempli leur charge, obtiendront un rang honorable et une grande confiance dans la foi en Jésus-Christ (12, 13) ». Partout il parle du gouvernement des enfants, afin d’éviter au peuple le scandale qui résulterait de cet objet. « Car », dit-il, « les diacres qui auront bien rempli leur charge, obtiendront un rang honorable », c’est-à-dire un rang plus élevé, « et une grande confiance dans la foi ». Ceux qui se seront montrés vigilants dans une charge inférieure arriveront promptement aux plus hautes, dit-il.
« Je vous écris ces choses, quoique j’espère me rendre promptement auprès de vous ; afin que, si je tarde, vous sachiez comment il faut vous conduire dans la maison de Dieu, qui est l’Église du Dieu vivant, la colonne et le fondement de la vérité (14,15) », Craignant que son disciple ne se décourage à la pensée de régler lui-même tout cela, il ajoute que, s’il écrit, ce n’est pas qu’il n’ait point l’intention de venir, et qu’il viendra, mais pour que, s’il tarde, Timothée ne se chagrine pas. Il lui adresse donc cette épître pour le sauver du découragement, il l’envoie aussi, pour en réveiller d’autres et les rendre plus zélés ; car l’annonce de son arrivée avait un grand pouvoir. Et ne vous étonnez pas si, prévoyant l’avenir par inspiration, il s’en montre ignorant par ces paroles : « J’espère venir, mais si je tarde », paroles qui conviennent à celui qui ignore. Car, puisqu’il était conduit par l’inspiration et n’agissait point par son sentiment propre, il devait ignorer cela. « Afin que vous sachiez », dit-il, « comment il faut vous conduire dans la maison de Dieu, qui est l’Église du Dieu vivant, la colonne et le fondement de la vérité » ; ce n’est plus là le temple juif. Ces paroles comprennent la foi et la prédication ; car la vérité est la colonne et le fondement de l’Église.
« Et sans contredit », ajoute-t-il, « c’est quelque chose de grand que ce mystère d’amour. Dieu a été manifesté dans la chair, justifié dans l’Esprit (16) ». C’est là l’économie de notre salut, c’est-à-dire, l’incarnation. Ne me parlez pas des clochettes (Ex. 28), du Saint des saints, ni du grand prêtre : la colonne du monde, c’est l’Église. Méditez ce mystère et vous tremblerez. C’est un mystère, un mystère de piété, sans contredit, et non comme un problème à résoudre, car il n’y a point là de doute. Il n’a, en traitant du sacerdoce, donné aucune de ces règles qu’on voit dans le Lévitique, mais il élève la pensée vers un autre sujet, savoir que l’Auteur du monde a été manifesté dans la chair. « Il a été vu dans la chair », dit-il, « et justifié dans l’Esprit ». L’apôtre veut ici ou rappeler cette parole : « Et la sagesse a été justifiée par ses enfants » (Mt. 11,19), ou exprimer que le Christ n’a point commis de fraude, ce que le Prophète exprime en disant : « Qui n’a point, commis de péché ; et la fraude ne s’est point trouvée dans sa bouche ». (Is. 53,9) « Il a été vu par les anges ». Ainsi les anges n’ont vu qu’avec nous le Fils de Dieu : ils ne le voyaient pas auparavant. Vraiment, c’est là un grand mystère. « Il, a été annoncé aux nations, il a été, cru dans le monde ». Partout sur la terre on a entendu et cru cet enseignement ; ne pensez pas que ce ne soient, là que de vaines paroles. « Il a été élevé dans la gloire celui que vous voyez élevé au ciel ». (Act. 1,11) « Les anges s’approchèrent et ils le servaient ». (Mt. 4,11) « Dans toute la terre le bruit s’en est fait entendre ». (Ps. 18,5) « Il a été élevé dans la gloire », sur les nuées.
Considérez, je vous prie, la sagesse du bienheureux apôtre. Lorsqu’il a voulu avertir ceux, qui sont jugés dignes du diaconat de ne pas se gorger de boisson, il ne leur a pas dit de ne pas s’enivrer, mais de ne pas être adonnés au, vin. Car si ceux qui entraient dans le temple, n’en goûtaient point, combien plus ceux-ci doivent-ils s’en abstenir. Le vin trouble, en effet, même sans conduire jusqu’à l’ivresse ; la vigueur de l’âme se détend, l’harmonie des facultés est détruite. Voyez comment l’apôtre appelle toujours mystère, l’incarnation, et c’est avec raison, car elle n’est visible ni pour les regards des hommes ni pour ceux mêmes des anges ; et comment l’eût-elle été puisqu’elle s’est manifestée par l’Église ? C’est pour cela qu’il dit : u Sans contredit c’est un grand « mystère ». Oui, c’en est un grand qu’un homme soit Dieu et qu’un Dieu soit homme ; homme, il a été vu sans péché ; homme, il s’est élevé au ciel et a été prêché, dans le monde ; les anges l’ont vu avec nous. C’est donc un mystère. Ne le divulguons point, ne l’exposons point en toute occasion, mais menons une vie qui en soit digne. Ceux à qui les mystères sont – confiés sont grands. Si l’empereur nous confiait un secret, dites-moi, ne nous témoignerait-il pas ainsi une grande amitié ? Maintenant Dieu nous a confié ce mystère. Et comment, direz-vous, appeler mystère ce que tous connaissent ? Non, certes, tous ne le connaissent pas. On l’ignorait avant qu’il fût révélé, et c’est maintenant qu’il a été manifesté aux hommes.
2. Rendons-nous donc dignes d’être les gardiens de ce mystère. Dieu nous a confié un mystère si grand ! et nous, nous ne lui confions pas nos biens. Mais lui-même vous dit de les déposer entre ses mains, où personne ne vous les ravira, où les vers ni les voleurs ne sauraient les atteindre ; il nous promet de nous les rendre au centuple, et nous ne le croyons pas. Cependant, quand nous confions un dépôt à un homme, il ne nous rend rien de plus, et, s’il nous le rend tout entier, nous en sommes reconnaissants ; nous n’exigeons pas, si un voleur l’a ravi, qu’on nous en tienne compte, non plus que si les vers l’ont rongé. Dieu nous rend ici le centuple, il y joint là vie éternelle dans l’autre monde, et personne ne lui confie ses biens. Mais, dit-on, il tarde à les rendre. C’est la plus grande preuve de sa libéralité que de ne pas nous les rendre dans cette vie, sujette à tant d’accidents, mais ici même il nous rend le centuple. Dites-moi, en effet, Paul n’a-t-il pas quitté le tranchet, Pierre la ligne et l’hameçon, Matthieu son bureau, et la terre n’a-t-elle pas été ouverte devant leurs pas plus que devant ceux des rois ? N’est-ce pas à leurs pieds qu’étaient déposées les richesses de tous ? Ne les en faisait-on pas les dispensateurs et les maîtres ? Les âmes ne leur étaient-elles pas confiées, ne s’en remettait-on pas à leur volonté, se déclarant leurs serviteurs ?
Et combien de faits semblables se passent aujourd’hui autour de nous ? Combien d’hommes petits et chétifs, ne maniant que le hoyau, ayant à peine la nourriture nécessaire, sont, parce qu’ils portent le nom de moines, élevés à nos yeux au-dessus de tous et honorés par les souverains ? Mais c’est peu ; songez que ce n’est que le surcroît ; le principal nous est dispensé dans le siècle à venir. Méprisez les richesses, si vous voulez posséder des richesses ; si vous voulez être riche, faites-vous pauvre. Ce sont là les paradoxes de Dieu : il ne veut pas que vous deveniez riche par vos propres efforts, mais par sa grâce. Renonce à cela pour moi, nous dit-il, occupe-toi des objets spirituels, afin d’apprendre à connaître ma puissance ; fuis l’esclavage et le joug des richesses. Tant que tu es retenu par elles, tu es pauvre ; lorsque tu les auras méprisées, tu seras doublement riche, parce que tout abondera entre tes mains et parce que tu n’auras plus besoin de ce qu’il faut au commun des hommes. Être riche, en effet, ce n’est pas posséder beaucoup, c’est avoir besoin de peu : en tant qu’il a des besoins, un roi ne diffère pas d’un pauvre. La pauvreté, c’est avoir besoin de ce qu’on n’a pas ; en sorte qu’un roi est pauvre en tant qu’il a besoin de ses sujets. Mais il n’en est pas ainsi de celui qui a crucifié sa chair : il n’a besoin de personne ; ses mains suffisent pour le nourrir. « Mes mains nous ont entretenu, mes compagnons et moi ». (Act. 20,34) Paul exprimait cette pensée quand il disait : « Comme n’ayant rien et possédant tout » (2Cor. 6,10), lui que les habitants de Lystre ont honoré comme un Dieu. Si vous voulez obtenir le monde, recherchez le ciel ; si vous voulez jouir des biens d’ici-bas, méprisez-les. « Cherchez le royaume des cieux », dit le Sauveur, « et tout le reste vous sera donné par surcroît ». (Mt. 6,33)
Pourquoi admirer de si petites choses ? Pourquoi cet enthousiasme pour ce qui ne mérite aucune estime ? Jusqu’à quand serez-vous pauvre et mendiant ? Levez vos regards vers le ciel, pensez au trésor qu’il renferme, riez-vous de l’or, apprenez-en l’usage et le prix. La jouissance bornée à la vie présente, à cette vie sujette aux accidents, c’est comme un grain de sable ou plutôt comme une goutte d’eau, comparée à un immense abîme ; telle est la vie présente comparée à la vie future. Ce n’est point possession, c’est usage ; vous n’êtes pas propriétaire, car, dès que vous aurez expiré, que vous le vouliez ou non, d’autres recevront Nos biens et les transmettront encore à d’autres, qui les transmettront à leur tour. Nous sommes tous des hôtes, et le maître d’une maison n’en est que le locataire. Souvent, après sa mort, un autre en jouit plus que lui, et le premier maître n’avait pas une condition différente. Il s’est donné beaucoup de peine pour élever cette demeure et la restaurer ; mais la propriété n’est que nominale : en réalité ce que nous avons n’est pas à nous. Nous ne possédons que ce que nous envoyons devant nous dans l’autre monde ; ce qui reste sur la terre appartient, non à nous, mais à notre vie, et souvent même nous abandonne de notre vivant. Ce qui est à nous, ce sont uniquement les biens de l’âme, la miséricorde et la bonté. Les biens matériels, ce sont les choses du dehors, suivant l’expression usitée même chez les païens ; elles sont effectivement en dehors de nous. Sachons donc les faire passer au nombre des biens qui sont à nous. Celui qui sort de ce monde ne peut emporter ses richesses, mais il peut recevoir miséricorde. Envoyons plutôt ces biens devant nous pour nous préparer un tabernacle dans les demeures éternelles.
3. Le nom que nous donnons aux richesses ( χρήματα) vient de celui de l’usage ( χεχρῆσθαι) et non de la possession : en avoir, c’est en user et non les posséder. Dites-moi combien de maîtres a eus un champ, et combien il en aura. Il est un proverbe bien sage (car il ne faut pas dédaigner les proverbes populaires s’ils contiennent quelque sage pensée) Champ, dis-moi à combien de gens tu as été, à combien de gens tu seras. Et la même chose doit se dire des maisons et de l’argent. La vertu seule sait nous accompagner dans ce grand voyage et passer avec nous dans l’autre vie. Rompons nos liens, éteignons en nous le désir des richesses, afin de nous attacher à celui des biens futurs. Ces deux amours ne peuvent posséder une même âme. « Car ou elle aimera l’un et haïra l’autre, ou elle s’attachera à l’un et méprisera l’autre ». (Mt. 6,24) Considérez, s’il vous plaît, un homme traînant à sa suite un grand nombre de serviteurs, faisant reculer la foule, couvert de vêtements de soie, porté sur un cheval et dressant la tête. N’en soyez point ébahi : il n’est que risible. De même que vous riez quand vous voyez des enfants jouer au souverain, faites-en de même en ce cas ; l’un ne diffère pas de l’autre, ou plutôt le jeu des enfants est plus acceptable, à cause de la grande simplicité de leur âge. Ils n’en font qu’un sujet de rire et d’amusement, au lieu que cet homme est ridicule et plein d’impudence.
Glorifiez Dieu de ce qu’il vous a éloigné de ce rôle théâtral et de cet orgueil. Si vous le voulez, marchant à pied, vous serez plus élevé que l’homme porté sur un char. Et comment ? Parce que, si son corps est quelque peu élevé au-dessus de la terre, son âme y est attachée, « Et ma force s’est attachée à ma chair ». (Ps. 101,6) Votre pensée, au contraire, plane dans les cieux. – Cet homme a des serviteurs qui lui font faire place. – Eh bien ! est-ce lui ou son cheval qui est le plus honoré ? Quelle pire folie que de chasser des hommes pour qu’un animal ait la voie large devant lui ? – Mais il y a quelque chose de respectable à être porté sur un cheval. Cet honneur lui est commun avec ses esclaves. Il est des gens si orgueilleux qu’ils se font suivre sans aucun besoin. Quoi de plus insensé que ceux-là qui veulent attirer les regards par leurs chevaux, la magnificence de leurs habits, les serviteurs qui les suivent ? Quoi de plus frivole qu’une gloire qui résulte des chevaux et des serviteurs ? Etes-vous vertueux ? n’usez point de pareilles choses ; que votre parure soit en vous-même et ne provienne pas d’ornements étrangers. Des misérables, des coquins, des gens grossiers, tout homme enfin, pourvu qu’il soit riche, peut en avoir autant. Des mimes et des danseurs vont à cheval et ont un serviteur qui court devant eux ; ils n’en sont pas moins des mimes et des danseurs ; leurs chevaux et leurs suivants ne les ont pas rendus vénérables. Lorsqu’un homme entouré de cet appareil ne possède aucun des biens de l’âme, tous ces avantages extérieurs sont vains et sans valeur. De même que tout ce dont on revêt un corps débile et corrompu ne l’empêche pas d’être repoussant et corrompu ; de même ici l’âme ne tire aucun avantage de ces objets extérieurs, mais demeure corrompue, s’entourât-on de mille bijoux. N’en soyons donc point fascinés ; éloignons-nous des avantages qui passent, attachons-nous à de plus grands biens, aux biens spirituels, qui nous rendent vraiment respectables, afin d’obtenir le bonheur à venir. Soyons-en tous jugés dignes en le Christ Jésus Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, à présent et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XII.

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L’ESPRIT DIT EXPRESSÉMENT QUE, DANS LES TEMPS ULTÉRIEURS, DES HOMMES S’ÉLOIGNERONT DE LA FOI, S’ATTACHANT A DES ESPRITS D’ERREUR ET AUX ENSEIGNEMENTS DES DÉMONS, AVEC L’HYPOCRISIE DE CEUX QUI PROFÈRENT LE MENSONGE, QUI ONT CAUTÉRISÉ LEUR CONSCIENCE, PROHIBENT LE MARIAGE, ENSEIGNENT L’ABSTINENCE DES ALIMENTS QUE DIEU A CRÉÉS, POUR QUE LES FIDÈLES QUI RECONNAISSENT LA VÉRITÉ, EN USENT AVEC ACTIONS DE GRÂCES. EN EFFET, TOUTE CRÉATURE DE DIEU EST BONNE, ET L’ON NE DOIT REJETER RIEN DE CE QU’ON REÇOIT AVEC ACTIONS DE GRÂCES, CAR TOUT OBJET EST SANCTIFIÉ PAR LA PAROLE DE DIEU ET L’ORAISON. (IV, 1-5 JUSQU’À 10)

Analyse.

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  • 1. L’hérésie demeure en une fluctuation perpétuelle. – Les manichéens, les encratites, les marcionites.
  • 2, 3. Les observances judaïques ont fait leur temps. – La foi et la piété, tout est là.
  • 4. Contre les avares.


1. De même que ceux qui s’attachent à la foi mouillent sur une ancre solide, de même ceux qui l’ont perdue ne peuvent s’arrêter nulle part, mais, errant çà et là en de nombreuses erreurs, ils sont enfin entraînés aux abîmes de la perdition. L’apôtre l’a déjà exprimé, quand il a dit que quelques-uns ont fait naufrage dans la foi, et maintenant il ajoute : « L’Esprit dit expressément que, dans les temps ultérieurs, des hommes s’éloigneront de la foi, s’attachant à des esprits d’erreur ». C’est des manichéens, des encratites, des marcionites et de toute cette officine, que parle l’apôtre en disant : « Dans les temps ultérieurs, des hommes s’éloigneront de la foi ». Vous voyez que la cause de tous les maux qu’il prédit est l’éloignement de la foi. Et que veut dire le mot « expressément ? » Il veut dire : évidemment, clairement, sans contredit ni discussion. Ne vous étonnez pas, dit-il, si ceux qui se sont éloignés de la foi judaïsent encore ; il viendra un temps où ceux qui auront reçu la foi feront pis ; ils ne s’en prendront plus seulement aux aliments, mais au mariage, appliquant à tous ces objets leurs funestes conseils. Ce n’est pas des Juifs qu’il parle ; car comment alors dirait-il : « Dans les temps ultérieurs » et « s’éloigneront de la foi », mais bien des Manichéens et de leurs docteurs. Il les appelle esprits d’erreur, et avec raison, car ce sont des esprits d’erreur qui leur inspirent cet enseignement. Et que veulent dire ces mots : « Avec l’hypocrisie de ceux qui profèrent le mensonge ? » C’est que leurs fausses doctrines, ils ne les débitent pas par ignorance, ne sachant ce qu’ils font, mais par feinte, sachant ce qui est vrai, mais ayant cautérisé leur conscience, c’est-à-dire, ayant une vie perverse. Et pourquoi n’a-t-il prophétisé que ces hérétiques ? Ce ne sont pas les seuls dont le Christ a dit : « Il faut qu’il vienne des scandales ». (Mt. 18,7) Et ailleurs il a prédit la zizanie poussant dans le champ du père de famille. Mais admirez la prophétie de Paul. Avant les temps où les choses devaient arriver, il en indiquait le temps même. Ne soyez donc pas surpris, si, maintenant que les doctrines de la foi dominent, quelques hommes s’efforcent de glisser parmi nous ces dogmes funestes ; longtemps après l’affermissement de la foi plusieurs l’abandonnèrent.
« Prohibent le mariage, enseignent l’abstinence des aliments ». Mais pourquoi donc ne parle-t-il pas des autres hérésies ? Il y a fait allusion par ces mots : « Esprits d’erreur » et « enseignements des démons ». Mais il ne voulait pas les semer dès lors dans les âmes ; il a seulement désigné ce qui avait commencé à se produire, ce qui concerne les aliments. – « Que Dieu a créés pour l’usage des fidèles qui reconnaissent la vérité ». Ne les a-t-il donc pas créés pour les infidèles ? Et comment cela, puisqu’ils s’en écartent eux-mêmes par les lois qu’ils s’imposent ? Mais quoi, la vie sensuelle n’est-elle pas prohibée ? – Énergiquement. – Pourquoi, si les aliments sont créés pour que nous en usions ? Parce que Dieu a créé le pain et défendu l’intempérance, créé le vin et défendu l’intempérance. Ce n’est pas comme impure en elle-même qu’il nous défend la mollesse, mais parce qu’elle énerve l’âme par l’intempérance. « En « effet, toute créature de Dieu est bonne, et « Ton ne doit rejeter rien de ce qu’on reçoit « avec actions de grâces ». Ce que Dieu a créé est bon. « Et tout était très-bon ». (Gen. 1,31) En disant : Créature de Dieu, il a fait entendre tous les aliments, et d’avance il repousse l’hérésie de ceux qui prêchent une matière éternelle et disent que les aliments en proviennent. Mais, si les créatures sont bonnes, pourquoi ajoute-t-il : Sanctifié par la parole et par l’oraison ? Car ce qui est sanctifié devait être impur. Ce n’est point cela, mais il parle ici contre ceux qui croient que certains objets sont immondes par eux-mêmes. Il établit donc deux principes, l’un que nulle créature n’est immonde, l’autre que si elle l’était vous avez un remède à y apporter. Faites le signe de la croix, rendez grâces, glorifiez Dieu, et toute impureté s’évanouit. Mais, dira-t-on, pouvons-nous purifier ainsi même ce qui est immolé aux idoles ? Oui, si vous ignorez que ce soit immolé aux idoles ; si vous le savez et que vous en usiez, vous serez impur, non parce que l’objet a été immolé, mais parce que, ayant reçu la défense d’avoir rien de commun avec les démons, vous l’avez ainsi violée. Ce n’est pas l’objet qui est impur par sa nature, mais il l’est devenu par suite de votre libre arbitre et de votre désobéissance. La chair de porc n’est-elle donc pas impure ? Non, si on la prend avec actions de grâces, après avoir fait le signe de la croix, et nul autre aliment non plus : c’est la volonté qui est impure, lorsqu’elle ne rend pas grâces à Dieu.
« En présentant cette doctrine à vos frères, vous serez un bon serviteur de Jésus-Christ, nourri des paroles de la foi et de la bonne doctrine que vous avez suivie (6) ». Que veut dire l’apôtre ? Ce qu’il à exprimé en disant que c’est un grand mystère, et que s’abstenir de ces aliments est l’œuvre des démons, parce qu’ils sont purifiés par la parole de Dieu et l’oraison. « Nourri des paroles de la foi et de la bonne doctrine que vous avez suivie. Éloignez-vous des fables profanes et dignes de et vieilles femmes ; exercez-vous à la piété (6, 7) ». « En présentant cette doctrine » : vous voyez que nulle part ici il n’est question de puissante impérieuse, mais de condescendance. « En présentant », dit-il. Il n’a pas dit : En ordonnant, en prescrivant, mais : En présentant. – Présentez-la comme si vous donniez un avis ; provoquez des entretiens sur la foi. « Nourri », dit-il encore, montrant ainsi la perpétuité du zèle pour la bonne doctrine.
2. Car de même que nous demandons notre pain quotidien, de même nous recevons sans cesse des paroles de foi, qui sont pour nous une nourriture perpétuelle. « Nourri », c’est-à-dire, les digérant, les retournant sans cesse, les méditant toujours ; car ce n’est pas une nourriture vulgaire. « Éloignez-vous des tables profanes et dignes de vieilles femmes ». Quelles sont ces fables ? Les observances judaïques. Il les appelle fables ; elles le sont assurément, soit comme ajoutées à la parole de Dieu, soit comme n’étant plus de saison. Ce qui vient en son temps est utile ; hors delà ce n’est plus seulement inutile, mais nuisible. Imaginez un homme de plus de vingt ans venant téter sa nourrice, combien ne se rendrait-il pas ridicule ? Vous voyez donc dans quel sens l’apôtre dit que ces enseignements sont coupables et dignes de vieilles femmes, parce qu’ils sont d’un autre temps et forment obstacle à la foi. Ramener sous la loi de crainte une âme qui s’est élevée plus haut, c’est un précepte coupable. « Exercez-vous à la piété », c’est-à-dire, à une foi pure, à une vie droite, car c’est en cela que consiste la piété. Nous avons donc besoin de nous y exercer. « L’exercice corporel », continue l’apôtre, « n’a qu’une mince utilité (8) ». Quelques-uns pensent qu’il parle ici du jeûne, mais loin de nous cette pensée ; ce n’est pas là un exercice corporel, mais spirituel. S’il était corporel il nourrirait le corps, s’il le dessèche et l’amaigrit, il n’est pas corporel. Ce n’est donc point des mortifications du corps que parle ici l’apôtre ; nous avons besoin d’exercer notre âme. L’exercice corporel ne produit pas d’avantage réel, mais seulement quelque utilité pour le corps ; celui de la piété rend du fruit pour l’avenir, et nous le – recueillons en ce monde et dans le ciel.
« Cette parole est fidèle (9) », c’est-à-dire vraie, pour ce monde et pour l’autre[10]. Considérez comment Paul ramène partout cette pensée ; il n’a pas besoin de prouver, mais seulement d’affirmer, parce que c’est à Timothée qu’il s’adresse. Oui, nous vivons ici dans d’heureuses espérances. Celui dont la conscience est sans reproche, qui sans cesse agit avec droiture, se sent heureux, même en ce monde ; de même que le méchant est châtié non seulement dans la vie future, mais dans celle-ci, vivant sans cesse dans la crainte, n’osant regarder personne avec aisance, tremblant, pâlissant, tourmenté. N’est-il pas vrai que les hommes cupides et voleurs ne sont jamais rassurés sur ce qu’ils possèdent ? Que les adultères, les meurtriers mènent une vie fort misérable, n’osant lever les yeux sans inquiétude même sur le soleil ? Est-ce là vivre ? Non certes ; c’est une mort douloureuse. « C’est pour cela », dit l’apôtre, « que nous supportons les fatigues et les outrages, parce que nous avons mis notre espérance au Dieu vivant, qui est Sauveur de tous les hommes et surtout des fidèles (40) ». Comme s’il disait Pourquoi nous imposer tant de peines, si nous n’attendons pas les biens futurs ? Pourquoi tous les hommes nous outragent-ils ? Tout ce que nous avons souffert n’est-il pas terrible ? Et avons-nous souffert en vain tant d’injures, d’outrages et de maux de toute sorte ? Si nous n’avons pas mis notre espérance dans le Dieu vivant, pourquoi les avons-nous supportés ? S’il sauve les infidèles en ce monde, combien plus les fidèles dans l’autre ? De quel salut veut-il parler ? De celui de l’autre vie. – « Qui est le Sauveur de tous les hommes et « surtout des fidèles n, ce qui signifie qu’il leur témoigne un soin plus grand. Il a d’abord parlé de cette vie. Et comment, dira-t-on, Dieu est-il le Sauveur des fidèles ? S’il ne l’était pas, il ne les eût pas garantis de leur perte, quand ils sont attaqués de toutes parts. En cette vie il exhorte le fidèle à affronter les dangers, à ne pas se laisser abattre, quand il a un Dieu si bon, à ne pas réclamer une assistance étrangère, mais à tout supporter de bon cœur et avec générosité. Ceux, en effet, qui aspirent aux biens de la vie affrontent les soucis, lorsqu’ils aperçoivent l’espoir d’un gain.
Enfin viendront les derniers temps : « Dans les temps ultérieurs », a dit l’apôtre, « des hommes s’éloigneront de la foi, s’attachant à des esprits d’erreur et aux enseignements des démons, avec l’hypocrisie de ceux qui profèrent des mensonges, qui ont cautérisé leur conscience, prohibent le mariage ». Mais quoi, dira-t-on, ne prohibons-nous pas nous-mêmes le mariage ? Non certes, à Dieu ne plaise, nous ne le défendons pas à ceux qui le désirent, mais ceux qui ne le désirent pas, nous les exhortons à la virginité. Autre chose est prohiber, autre chose est laisser maître de son choix : celui qui impose une prohibition le fait d’une manière absolue ; celui qui exhorte à la virginité comme à quelque chose de plus grand ne prohibe point le mariage ; il s’en tient au conseil. « Prohibent le mariage, enseignent l’abstinence des aliments que Dieu a créés, pour que les fidèles, qui reconnaissent la vérité, en usent avec actions de grâces ». L’apôtre a bien dit : Qui « reconnaissent » la vérité. L’état ancien n’était qu’une figure : il n’y a pas de viande impure par elle-même ; elle ne le devient que par rapport à la conscience de celui qui en use. Pourquoi Dieu a-t-il interdit aux Juifs tant d’aliments ? Pour réprimer leur grande sensualité. S’il leur eût dit : Ne faites pas de repas sensuels, ils ne se fussent abstenus de rien ; il a donc renfermé cette règle sous l’obligation de la loi, afin de les contenir par une crainte plus grande. Il est évident que le poisson est plus impur que le porc ; cependant Dieu ne l’a pas interdit. Pour savoir combien ils étaient en proie à la sensualité, écoutez ce que dit Moïse « Le bien-aimé a mangé, il s’est engraissé, il s’est épaissi, il a regimbé ». (Deut. 32,15) Il y a aussi une autre cause. Dieu défendait aux Juifs, qui allaient vivre dans un pays resserré, d’user des autres animaux, afin qu’ils fussent contraints de se nourrir de bœufs et d’égorger des brebis, prescription sage à cause d’Apis et du veau ; car Apis était impur, odieux à Dieu, souillé, profane.
3. Mettez ces objets sous vos yeux, méditez-les ; car c’est ce que l’apôtre fait entendre par ces mots : « Nourri des paroles de la foi ». Ne vous bornez pas à exhorter les autres, mais méditez-les vous-même. « Nourri des paroles de la foi et de la bonne doctrine que vous avez suivie. Éloignez-vous des fables profanes et dignes de vieilles femmes ». Pourquoi Paul n’a-t-il pas dit : Abstenez-vous, mais : Éloignez-vous ? Ne descendez point à disputer contre ces hommes, mais exhortez ceux qui vous sont confiés à repousser ces doctrines. Car on ne saurait rien gagner à lutter ainsi contre ceux qui se sont détournés de la voie de Dieu, sauf le cas où nous penserions qu’il y eût scandale, parce que nous paraîtrions nous refuser à la discussion, faute de bonnes raisons. « Exercez-vous à la piété u ; or la piété a pour objet une vie pure, une conduite excellente. Celui qui s’exerce aux luttes gymnastiques, se conduit en tout comme un athlète, même en dehors du temps destiné aux combats ; il supporte les abstinences prescrites et des sueurs fréquentes. « Exercez-vous à la piété », dit le texte ; « car l’exercice corporel n’a qu’une mince utilité ; mais la piété est utile à tout, ayant les promesses de la vie présente et de la vie future ». Pourquoi a-t-il rappelé ici l’exercice corporel ? Pour montrer, par la comparaison, la supériorité de l’autre, parce que le premier exige de nombreuses fatigues, sans apporter d’avantage qui mérite qu’on en tienne compte, tandis que l’exercice de l’âme en apporte de perpétuels et d’immenses. De même il dit aux femmes de se parer, non avec des frisures, de l’or, des perles et de somptueux vêtements, mais comme il convient à des femmes qui enseignent la piété par leurs bonnes œuvres.
« Cette parole est fidèle et digne d’être reçue par tous. C’est pour cela que nous supportons les fatigues et les outrages ». Paul supportait les outrages, et vous les trouvez insupportables ? Paul supportait les fatigues et vous voulez vivre dans la mollesse ? S’il y eût vécu, il n’eût pas obtenu ces grands biens. Car si les biens précaires et corruptibles de cette vie ne s’acquièrent jamais sans travaux et sans sueurs, à combien plus forte raison les biens spirituels ! – Mais, dira-t-on, il en est beaucoup qui reçoivent ceux de cette vie par héritage. – Dans ce cas même, la garde et la conservation des richesses n’est pas dépourvue de peines, et le riche n’éprouve pas moins de fatigues et de chagrins que les autres. Et d’ailleurs combien, après mille fatigues et mille soucis, ont vu s’évanouir leur fortune, assaillis à l’entrée du port par un coup de vent subit et faisant naufrage au plus beau de leurs espérances. Pour nous, rien de semblable : c’est Dieu qui est l’auteur de la promesse et « l’espérance ne et confond point ». (Rom. 5,5) Ne savez-vous pas, vous aussi, qui vous agitez dans les affaires de la vie, combien, après d’innombrables travaux, n’en ont point recueilli le fruit, soit parce que la mort les a enlevés auparavant, soit parce qu’un revers est survenu, une maladie les a atteints, des calomniateurs les ont attaqués, soit que toute autre cause des accidents humains sont nombreux) les ait entraînés les mains vides ? – Mais, me répondra-t-on, ne voyez-vous pas ceux qui réussissent, ceux qui, avec peu de peine, se procurent de grands biens ? – Et quels biens ? Des richesses, des maisons, tant et tant d’arpents de terre, des troupeaux d’esclaves, un grand poids d’argent et d’or ? C’est là ce que vous appelez des biens ? Et vous ne vous couvrez pas le visage ? Et vous ne vous cachez pas sous terre, homme instruit dans la philosophie du ciel et qui aspirez aux choses terrestres, qui appelez biens ce qui ne mérite pas qu’on en parle ? Suce sont des biens, il faut donc appeler bons ceux qui les possèdent ; car celui qui possède le bien, comment ne serait-il pas bon ?
Eh ! dites-moi : lorsque ces riches sont injustes et voleurs, dirons-nous qu’ils sont bons ? Car, si la richesse amassée par la fraude est un bien, plus elle s’accroît plus on devra juger bon celui qui la possède. L’homme d’une cupidité sans frein est donc un homme de bien, et, si la richesse est bonne, celui qui l’augmente ainsi sera d’autant meilleur qu’il aura fraudé davantage. Voyez-vous la contradiction ? – Mais, répondra-t-on, s’il n’a dépouillé personne ? – Comment cela se peut-il ? la passion est funeste – mais on le peut – non, non cela n’est pas ; le Christ l’a témoigné en disant : Faites-vous des amis des richesses d’iniquité. (Lc. 16,9) – Mais quoi, si on a reçu l’héritage de son père ? – Eh bien, on a reçu le fruit de l’iniquité. Ce n’est pas depuis Adam que sa famille est riche ; il est probable que beaucoup de ses ancêtres ont vécu obscurs et qu’il s’en est trouvé un qui s’est enrichi en usurpant le bien d’autrui. – Mais Abraham possédait-il des richesses injustes ? et Job. l’homme sans reproche, juste, véridique, pieux, qui s’abstenait de tout mal ? Leurs richesses ne consistaient pas dans l’or, dans l’argent ni dans les édifices, mais en troupeaux, et celui-ci fut enrichi par Dieu[11]. Qu’il fût riche en troupeaux, cela résulte manifestement du texte où l’écrivain, énumérant ce qui arriva à ce saint personnage, dit que ses chameaux, ses cavales et ses ânes périrent, mais ne dit pas que l’on vint lui enlever son or. Abraham était riche en serviteurs. Quoi donc, les avait-il achetés ? Nullement ; c’est pourquoi l’Écriture dit que ses trois cent dix-huit serviteurs étaient nés chez lui. Il avait aussi des brebis et des bœufs. Comment donc put-il envoyer des bijoux d’or à Rébecca ? C’est qu’il avait reçu des présents de l’Égypte, mais il n’avait commis ni violence ni fraude.
4. Et vous, dites-moi, comment êtes-vous riche ? – J’ai hérité de mes biens. – Et de qui cet autre les a-t-il reçus ? – De mon aïeul. – Et de qui celui-là ? – De son père. – Pourrez-vous, en remontant à plusieurs générations, me montrer que vos richesses sont légitimes ? Non, vous ne le pourrez pas ; il, faut que la racine et l’origine soient entachées d’injustice. Et comment ? Parce que Dieu, à l’origine, n’a point créé de riche ni de pauvre ; il n’a pas non plus amené l’un en présence d’une masse d’or, empêchant l’autre de le découvrir, mais il a livré à tous la même terre. Comment donc, lorsqu’elle est commune, l’un en possède-t-il tant et tant d’arpents et l’autre pas une motte ? – C’est mon père, répondez-vous, qui me les a transmis. – Mais de qui les avait-il reçus ? – De ses ancêtres. – Il faut pourtant arriver à un premier terme. Jacob est devenu riche, mais en recevant la récompense de ses peines. Pourtant je ne veux pas creuser cette difficulté ; soit : il y a une richesse légitime, pure de toute rapine ; vous n’êtes pas responsable des gains illicites de votre père ; vous possédez le fruit de la rapine, mais vous n’avez pas volé vous-même. Je vous accorderai même que votre père n’a pas volé non plus, mais qu’il s’est trouvé en possession de cet or, qui a jailli du sein de la terre. Eh bien, la richesse est-elle bonne à cause de cela ? – Non, sans doute, direz-vous, mais elle n’est pas non plus mauvaise. – Elle ne l’est pas, si le riche n’a pas commis de rapines et en a fait part à ceux qui sont dans le besoin ; mais s’il a refusé de le faire, elle est mauvaise et pleine d’embûches. – Mais, tant qu’elle ne cause pas de mal, elle n’est pas mauvaise, quand même elle n’opérerait pas de bien. – Soit ; mais n’est-ce pas un mal que de retenir seul ce qui appartient au Seigneur, que de jouir seul du bien qui est à tous ? et la terre n’est-elle pas à Dieu, avec tout ce qu’elle renferme ? Si donc nos richesses appartiennent au Seigneur du monde, elles sont aux hommes qui sont ses serviteurs comme nous ; car tout ce qui appartient au Seigneur est pour l’usage de tous. Ne voyons-nous pas que, dans les grandes maisons, les choses sont ainsi réglées, c’est-à-dire que la nourriture est également partagée à tous, comme sortant de la provision du maître, et sa maison étant destinée à l’entretien de tous ? Ce qui appartient à l’État, les villes, les places, les promenades sont communes à tous ; nous y avons tous part également.
Considérez l’économie divine : Dieu, pour faire rougir les hommes, a mis en commun certains objets, tels que l’air, le soleil, l’eau, la terre, le ciel, la mer, la lumière, les astres, et nous en a fait part également comme à des frères ; le Créateur a donné semblablement à tous des yeux, un corps, une âme, la même nature ; tout provient de la terre, tous proviennent d’un seul homme, tous ont une même demeure. Mais rien de tout cela ne fait honte à notre avarice. Il a mis encore en commun d’autres objets, les bains, les villes, les places, les promenades. Voyez, rien de tout cela n’engendre de luttes, et l’on en jouit en paix ; c’est quand un homme essaie de tirer à lui et de s’approprier un objet que la querelle commence ; comme si la nature elle-même s’indignait de ce que Dieu nous ayant réunis pour vivre en société, nous nous querellons pour nous diviser, et dépeçons ces objets pour nous les approprier, pour user des mots le tien et le mien. C’est alors qu’ont lieu la lutte et la souffrance. Mais, pour les biens communs, ce fait ne se produit pas ; on ne voit ni lutte ni querelle. C’est donc là notre destinée la plus réelle et la plus conforme à la nature. Pourquoi jamais personne n’a-t-il un procès au sujet d’une place publique ? C’est parce qu’elle est commune à tous ; tandis qu’à chaque instant nous en voyons pour une maison ou pour de l’argent. Ce qui est nécessaire nous est offert en commun, mais nous ne savons pas maintenir là communauté dans les objets de mince importance. Dieu nous a livré ceux-là en commun, pour nous apprendre ainsi à jouir en commun des autres ; mais cela même ne suffit point à nous instruire.
Et, comme je le disais, comment celui qui possède la richesse serait-il bon ? C’est impossible ; il ne le devient que s’il en fait part à d’autres ; s’il s’en dépouille, c’est alors qu’il est bon ; tant qu’il la retient, il ne l’est pas. Est-ce donc un bien, ce qui nous fait méchants quand on le conserve, et bons quand on s’en dépouille ? Ce n’est donc pas posséder des trésors, qui est un bien ; c’est quand il ne les a plus qu’un homme se montre bon. La richesse n’est donc pas un bien, si la refuser, quand vous pouvez la recevoir, vous fait homme de bien. Si donc nous le sommes, en faisant part à d’autres de la richesse, quand nous la possédons, et en ne l’acceptant pas, quand on nous la donne ; si nous ne le sommes pas, quand nous la recevons ou l’acquérons, comment serait-elle un bien ? Ne l’appelez donc point ainsi. Vous n’êtes pas le maître de votre or, parce que vous le regardez comme un bien, parce que vous vous laissez enchanter par lui. Purifiez votre entendement, ayez un jugement sain, et vous deviendrez alors un homme vertueux ; apprenez à connaître les vrais biens. Et quels sont-ils ? La vertu, la bonté, voilà les biens ; ce n’est pas la richesse. Suivant cette règle, plus vous serez généreux en aumônes, plus vous serez homme de Dieu, en réalité et dans l’estime des hommes ; mais non, si vous gardez vos richesses. Devenons vertueux, et afin de l’être et afin d’obtenir les biens futurs en le Christ Jésus, Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIII.

[modifier]


PRESCRIVEZ ET ENSEIGNEZ CELA. QUE NUL NE MÉPRISE VOTRE JEUNESSE, MAIS SOYEZ L’EXEMPLE DES FIDÈLES PAR VOS PAROLES, VOS RELATIONS, VOTRE CHARITÉ, VOTRE FOI, VOTRE CHASTETÉ. JUSQU’À MON ARRIVÉE, APPLIQUEZ-VOUS A LA LECTURE, A L’EXHORTATION, A L’ENSEIGNEMENT. NE NÉGLIGEZ POINT LA GRACE QUI EST EN VOUS, QUI VOUS A ÉTÉ DONNÉE PAR LA PROPHÉTIE, AVEC L’IMPOSITION DES MAINS SACERDOTALES. (IV, 11-14, JUSQU’À V, 7)

Analyse.

[modifier]
  • 1. Devoirs d’un évêque ; de la conduite qu’il doit tenir envers les vieillards et les jeunes gens, envers les femmes âgées et les jeunes femmes, envers les veuves.
  • 2. Devoirs de la veuve.
  • 3-4. Contre les excès de la table. – Effrayante peinture.


1. Il est des objets qui ont besoin de prescriptions, et d’autres, d’enseignement. Si donc vous commandez là où il faut instruire, vous vous rendrez ridicule, et il en sera de même si vous enseignez là où il faut commander. Ainsi, ne pas être pervers, il ne faut pas l’enseigner, mais l’ordonner, l’interdire avec une grande énergie ; ne pas judaïser, c’est matière à prescription. Mais si vous dites que l’on doit répandre ses biens, garder la virginité, si vous discourez sur la foi, alors il faut un enseignement. Aussi Paul établit-il les deux choses : « Prescrivez et enseignez », dit-il. Par exemple, si quelqu’un porte des amulettes ou quelque objet semblable, et sait qu’il fait mal, c’est de prescription qu’il a besoin ; s’il l’ignore, c’est d’instruction.
« Que nul ne méprise votre jeunesse », dit-il. Vous voyez que le prêtre doit prescrire, parler avec énergie et non toujours enseigner. La jeunesse est souvent méprisée par le préjugé commun ; c’est pourquoi il dit. « Que nul ne méprise votre jeunesse ». Car il faut que celui qui enseigne soit honoré. – Mais, dira-t-on, que devient le mérite de la modération et de la condescendance, si l’on est défendu contre le mépris ? Dans tes choses qui le concernent lui seul, qu’il souffre le mépris ; car c’est ainsi que par la longanimité, l’enseignement chrétien se perfectionne ; mais, pour ce qui regarde le prochain, il n’en doit plus être de même, car ce ne serait plus modération, mais, indifférence. S’il tire vengeance des injures qu’il a reçues, des insultes, des trames ourdies contre lui, on a raison de le blâmer ; mais, quand il s’agit du salut d’autrui, qu’il parle avec autorité, qu’il unisse l’énergie à la prévoyance : c’est d’énergie qu’il est alors besoin et non de douceur, afin d’éviter un dommage public. Il n’y a pas d’ailleurs de moyen terme : « Que nul ne méprise votre jeunesse » ; c’est qu’en effet, si l’on mène une vie contraire à la légèreté de cet âge, au lieu du mépris on s’acquiert une haute estime. « Mais soyez l’exemple des fidèles par vos paroles, vos relations, votre charité, votre foi, votre chasteté ; vous montrant en toutes choses un modèle de bonnes œuvres ». (Tit. 2,7) C’est-à-dire, soyez un parfait modèle de conduite, et comme une image offerte aux regards de tous, une loi vivante, une règle, un exemplaire de bonne vie, car tel doit être celui qui enseigne. « Par vos paroles » : qu’elles soient donc empreintes d’affabilité, « dans vos relations, dans la charité, la foi » orthodoxe, « la charité », la réserve.
« Jusqu’à mon arrivée, appliquez-vous à la lecture, à l’exhortation, à l’enseignement ». L’apôtre ordonne à Timothée de s’appliquer à la lecture. Écoutons-le tous et apprenons à ne pas négliger la méditation des choses divines. Il dit aussi : « Jusqu’à mon arrivée ». Voyez comment il le console, car ce disciple orphelin devait chercher son maître. « Jusqu’à mon arrivée, appliquez-vous à la lecture » des Écritures divines, « à l’exhortation » mutuelle, « à l’enseignement. Ne négligez point la grâce qui est en vous, qui vous a été donnée par la prophétie ». C’est de la grâce d’enseigner qu’il parle. « Avec l’imposition des mains sacerdotales » ; non du simple sacerdoce, mais de l’épiscopat, car ce n’étaient pas des prêtres qui créaient un évêque.
« Méditez ces choses, arrêtez-y votre esprit (15) ». Voyez comment il revient auprès de Timothée sur les mêmes exhortations, voulant montrer que tel doit être l’objet principal du zèle de celui qui enseigne. « Veillez sur vous et sur votre enseignement, ne vous en laissez pas distraire ». C’est-à-dire, veillez sur vous-même et enseignez les autres. « Car en agissant ainsi, vous vous sauverez, vous et a ceux qui vous écoutent (16) ». Car celui qui se nourrit des paroles de l’enseignement en recueille le premier les fruits : en avertissant les autres, il atteint son propre cœur. Ce que dit l’apôtre, il ne le dit pas à Timothée seul, mais à tous. S’il parle ainsi à un homme qui ressuscitait les morts, que pourrons-nous répondre ? Le Christ a dit : « Semblable à un père de famille qui tire de son trésor des choses nouvelles et anciennes ». (Mt. 13,52) Et le bienheureux Paul dit à son tour : « Afin que, par la patience et la consolation des Écritures, nous possédions l’espérance ». (Rom. 15,4) Surtout il l’a pratiqué lui-même, lorsqu’il s’instruisait de la loi de ses pères auprès de Gamaliel, en sorte que depuis lors il avait dû s’appliquer à la lecture ; il s’adressait sans doute les avertissements qu’il adressa depuis à autrui. Vous le voyez sans cesse citer les témoignages des prophètes et en scruter le sens caché. Ainsi Paul s’appliquait à la lecture, et ce n’est pas un mince profit que celui qu’on peut tirer des Écritures ; mais aujourd’hui nous les négligeons. – « Afin que votre progrès soit manifeste à tous (15) ». Vous voyez qu’il voulait que son disciple devînt, sur ce point aussi, grand et digne d’admiration, mais que Timothée avait encore besoin de cet avis. « Afin que votre progrès soit manifeste à tous » ; non seulement dans sa conduite, mais dans les discours de son enseignement.
2. « Ne réprimandez point un ancien ». (V, 1) Veut-il ici parler d’un prêtre ? je ne le pense pas : il parle de tout homme avancé en âge. Mais quoi ! s’il a besoin d’être redressé ? Comportez-vous envers lui, suivant l’avis de Paul, comme envers un père qui aurait commis une faute, parlez-lui de la même façon. « Reprenez les femmes âgées comme des mères, les jeunes gens comme des frères, les femmes jeunes comme des sœurs, en toute chasteté[12] ». La chose est pénible de sa nature, je dis la nécessité de reprendre ; elle l’est surtout quand il s’agit d’un – vieillard ; et, si c’est un jeune homme qui doit le faire, il est trois fois exposé à l’accusation de témérité. La rudesse du fond est adoucie par la douceur de la forme. Car il est possible de reprendre sans blesser, si l’on veut s’y appliquer ; il y faut une grande prudence, mais on le peut. « Les jeunes gens comme des frères ». Pourquoi l’apôtre lui donne-t-il ici cet avis ? Il fait entendre par là que la jeunesse est fière. Il faut donc là aussi adoucir la réprimande par la modération du langage. « Les femmes jeunes comme des sœurs ». Et il ajoute : « En toute chasteté ». N’évitez pas seulement des relations coupables, mais toute occasion de soupçon. Comme les rapports avec les jeunes femmes y échappent difficilement, mais que l’évêque doit en avoir, il ajoute : « En toute chasteté ». Mais, Paul, pourquoi adresser cette prescription à Timothée ? Je le fais, me répond-il, parce qu’en m’adressant à lui je parle à toute la terre. S’il parle ainsi à Timothée, que chacun de nous comprenne ce qu’il doit être, évitant toute occasion de soupçon et ne donnant pas l’ombre d’un prétexte à ceux qui veulent nous calomnier.
« Honorez les veuves qui sont véritablement veuves (3) ». Pourquoi ne parle-t-il pas ici de la virginité, pas même pour dire : Honorez les vierges ? Apparemment parce qu’il ne s’en trouvait point alors, ou qu’elles avaient succombé. Car, dit-il, Satan en a entraîné plusieurs à sa suite. « Honorez les veuves qui sont véritablement veuves ». L’on peut donc n’avoir plus de mari et n’être pas veuve. De même que l’on n’est pas vierge, pour vivre en dehors du mariage, mais qu’il faut être irréprochable et toujours appliquée à ses devoirs, de même en est-il de la viduité : ce qui fait la veuve, ce n’est pas la perte d’un époux, mais la vie passée dans la continence, la patience et la solitude. Voilà les veuves que l’apôtre recommande d’honorer avec raison : On doit en effet un grand respect à ces femmes, puisqu’elles sont seules, puisqu’elles n’ont plus un homme pour les protéger ; mais, auprès de la foule, leur état est exposé au blâme et paraît de mauvais augure. Aussi l’apôtre veut-il qu’elles soient grandement honorées par le prêtre ; et ce n’est pas seulement pour cela, mais parce que leur état en est digne.
« Si une veuve a des enfants ou des, petits-enfants, qu’elle apprenne d’abord à faire régner la piété dans sa maison et à rendre ce qu’elle doit à ses parents (4) ». Voyez la prudence de Paul et comment, dans ses avis, il fait souvent appel à des raisonnements humains. Il n’a point apporté ici une idée grande et sublime, mais quelque chose qui fût accessible à tous : rendre ce qu’elle doit à ses parents. Comment cela ? Vous avez été nourrie, vous avez grandi, vous avez joui de l’honneur qu’ils vous transmettaient. Ils ont quitté ce monde, et vous n’avez pu les payer de retour, car vous ne leur avez donné ni la vie ni la nourriture ; rendez-leur ce bienfait dans leurs descendants, acquittez dans vos enfants votre dette envers eux : « Que ces veuves apprennent d’abord à faire régner la piété dans leurs maisons ». L’apôtre exprime ainsi par un mot l’accomplissement de tous les devoirs. « Car », dit-il, « cela est favorablement accueilli de Dieu (4) ». Et comme il a dit : « Qui sont véritablement veuves », il exprime ce qu’est une véritable veuve. « Celle-là est véritablement veuve qui vit dans la solitude, espérant en Dieu et persévérant nuit et jour dans la n prière et l’oraison ; mais celle qui est dans les délices est morte toute vivante (5, 6) ». Ainsi l’apôtre nous dit. Celle qui n’a pas choisi une vie mondaine, et qui vit dans la viduité, celle-là est véritablement veuve ; celle qui espère en Dieu comme on le doit faire, qui s’adonne à l’oraison et y persévère nuit et jour, celle-là est veuve ; ce qui ne veut pas dire que la veuve qui a des enfants ne le, soit pas véritablement, car l’apôtre admire aussi celle qui donne à ses enfants l’éducation qu’elle leur doit, mais il parle ici de celle qui n’a pas d’enfants, qui est seule. Il la console ensuite de ne point avoir d’enfants, en lui disant que c’est ainsi qu’elle est parfaitement veuve, parce qu’elle se trouve privée non seulement de la consolation que lui eût donnée son mari, mais de celle qu’elle eût reçue de ses enfants ; elle a Dieu pour les remplacer tous. Car celle qui est privée d’enfants n’est pas au-dessous de l’autre ; mais l’apôtre remplit par ses consolations le vide que cette privation lui fait éprouver. Ne vous affligez pas, lui dit l’apôtre, si vous entendez cette parole qu’il faut élever des enfants (4), vous qui n’en avez pas, comme si votre dignité en était amoindrie, car vous êtes véritablement veuve. « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante ».
3. Plusieurs en effet, ayant des enfants, conservent la viduité, non pour s’interdire les jouissances de la vie, mais plutôt pour en nourrir le goût chez elles, pour vivre avec plus d’indépendance et se donner davantage aux passions du monde ; que leur dit-il ? « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante ». Quoi ! une veuve ne doit pas vivre dans les délices ? Non, vous dit l’apôtre. Si donc la faiblesse de l’âge et de la nature ne rend point nécessaire une pareille vie, mais si cette manière d’agir procure la mort et la mort éternelle, que pourraient alléguer des hommes qui vivent ainsi ? C’est avec justice qu’il a dit « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante ». Voyons ce que font les vivants, quelle est la condition des morts et dans quels rangs nous devons la placer. Les vivants sont ceux qui font les œuvres de la vie à venir, de la véritable vie. Or, quelles sont les couvres de la vie à venir, dont nous devons nous occuper sans cesse ? Écoutez la parole du Christ. « Venez hériter du royaume qui vous a été préparé depuis la création du monde. Car j’ai a eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ». (Mt. 25,34, 35) Les vivants ne sont pas distingués des morts seulement par la vue du soleil et des cieux ; non, dis-je, ce n’est point ainsi qu’ils diffèrent, mais par la pratique du bien, et s’ils ne le pratiquent pas, ils ne vaudront pas mieux que des morts.
Et, pour vous en instruire, écoutez comment on peut vivre, bien qu’on soit mort. « Dieu », dit l’Évangile, « n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ». (Mt. 22,32) Mais, dira-t-on, c’est une autre énigme. Eh bien ! éclaircissons-les toutes deux. Celui-là est mort quoique vivant, qui vit dans les délices. Et comment ? c’est qu’il ne vit que par son ventre et non par ses autres sens ; ainsi il ne voit pas ce qu’il doit voir, n’entend pas ce qu’il doit entendre, ne dit pas ce qu’il doit dire, ce que doivent voir, entendre et dire les vivants ; mais, tel qu’un homme qui, étendu sur son lit, ferme les yeux, et rapprochant ses paupières ne s’aperçoit plus de rien de ce qui se passe, tel est cet homme, ou plu tôt il est dans un état bien pire. Car le premier est également insensible à ce qui est bon et à ce qui est mauvais ; l’autre n’est sensible qu’au mal, et quant au bien il n’en éprouve pas plus l’impression qu’un cadavre. Rien ne l’émeut des choses de la vie future ; en cela donc il est mort ; sa passion le saisit dans ses bras et l’entraîne comme dans une sombre retraite, dans un lieu obscur, dans un antre impur, et le fait demeurer dans les ténèbres, comme les morts dans leur sépulcre. En effet, quand il passe tout son temps à table ou dans l’ivresse, n’est-il pas dans les ténèbres ? n’est-il pas mort ? Le matin même où il paraît à jeun, il ne l’est pas franchement ; il n’a pas cuvé tout son vin de la soirée, il est en proie au violent désir de la débauche qui va commencer, lui qui passe et la soirée et le milieu du jour dans les festins, toute la nuit et la meilleure partie de la matinée dans un sommeil pesant. Dites-moi, devons-nous compter cet homme au nombre des vivants ? Et que dire des tempêtes produites dans l’âme par la volupté, tempêtes qui se répandent jusque dans le corps ? De même qu’un amas continu de nuages ne laisse plus passer un rayon de soleil, de même les vapeurs de la volupté et du vin, occupent le cerveau comme un point culminant, y condensent un épais nuage, ne permettent plus à la raison de se manifester et retiennent dans une nuit profonde celui qui est dans cet état. Et encore quelle tempête au-dedans !
De même que, quand une inondation se produit et que l’eau franchit le seuil des ateliers, nous voyons ceux qui les habitent s’empresser, pleins de trouble, de saisir des plats, des amphores, des éponges et d’autres objets pour épuiser l’eau et l’empêcher de ruiner les fondements de la maison, de mettre hors d’usage tout ce qu’elle renferme ; de même, lorsque la volupté s’est glissée de toutes parts dans une âme, les facultés intellectuelles sont troublées et ne peuvent suffire à la débarrasser de ce qui l’a envahie, parce que l’invasion se renouvelle sans cesse, et que la tempête est terrible. Ne considérez pas le visage qui est riant et illuminé, mais fouillez au dedans et vous verrez un homme plein d’une tristesse qui l’abat. S’il était possible de faire sortir l’âme du corps et de l’exposer sous nos yeux, vous verriez celle du voluptueux, morne, triste, endolorie, exténuée. Plus le corps s’engraisse et s’épaissit, plus l’âme s’exténue, s’affaiblit et s’ensevelit. Et de même que, devant la prunelle de l’œil, si la cornée s’épaissit, elle ne peut plus laisser passer le rayon visuel, le sens de la vue s’altère et la cécité se produit souvent, de même quand le corps est engraissé, il doit obstruer les abords de l’âme. Mais les morts se gâtent et se corrompent, le sang corrompu s’en échappe ; de même on voit chez les hommes livrés à la vie sensuelle, le rhume, l’inflammation, la pituite, les hoquets, les vomissements, les éructations ; je passe le reste, que j’aurais honte d’énoncer. Car telle est cette tyrannie, qu’elle leur fait faire ce qu’on n’ose pas exprimer.
4. Leur corps aussi laisse échapper la corruption de toutes parts. – Mais ils mangent et boivent ? Est-ce donc là le témoignage de la vie humaine, puisque les bêtes aussi mangent et boivent ? Quand l’âme est morte, quel besoin est-il d’aliments et de boisson ? Quand un corps est devenu cadavre, le vêtement parfumé qui l’enveloppe ne lui sert de rien, et quand une âme est morte, un corps parfumé ne lui sert pas davantage. Si sa pensée ne se préoccupe que de cuisiniers, de maîtres d’hôtel, de boulangers, si elle ne prononce pas une parole de piété, n’est-elle pas morte ? Qu’est-ce en effet que l’homme ? Les philosophes païens nous disent que c’est un animal raisonnable, mortel, susceptible d’intelligence et de science ; mais ce n’est pas par leur témoignage, c’est par l’Écriture sainte que nous déterminons sa nature. Or, comment la détermine-t-elle ? Écoutez-la : « Il était un homme », et qu’était-il ? « juste, véridique, pieux, s’éloignant de tout ce qui est mal ». (Job. 1,1) Voilà le type de l’homme. Un autre écrivain sacré nous dit : « C’est une grande chose que l’homme, et l’homme miséricordieux est un objet précieux ». Mais ceux qui ne sont pas tels, quand ils seraient doués d’intelligence, et mille fois aptes à la science, l’Écriture ne les reconnaît pas pour dés hommes, mais pour des chiens, des chevaux, des vipères, des serpents, des renards, des loups et des animaux plus odieux que ceux-là, s’il en existe. Si donc tel est l’homme, le voluptueux n’est pas un homme ; et comment le serait-il, puisqu’il ne se préoccupe de rien de tel ? On ne peut être àla fois voluptueux et sobre : l’un exclut l’autre. Les païens eux-mêmes le disent : A ventre épais, jamais esprit subtil[13].
L’Écriture a bien su désigner les hommes dépourvus d’âme par ces mots : « Parce qu’ils sont chair. » (Gen. 6,3) Ils avaient cependant une âme, mais elle était morte. Car de même que nous disons des hommes vertueux qu’ils sont tout âme, tout esprit, bien qu’ils aient un corps, nous pouvons employer l’expression inverse. C’est ainsi que Paul a dit : « Pour vous, vous n’êtes pas dans la chair » (Rom. 8,9), parce qu’ils n’accomplissaient pas les œuvres de la chair. De même les voluptueux ne sont point dans l’âme ni dans l’esprit.
« Celle qui vit dans les délices est morte « toute vivante ». Écoutez, vous qui passez tout votre temps dans les festins et dans l’ivresse, vous qui n’arrêtez point vos regards sur les pauvres qui languissent et meurent de faim, mais qui mourez sans cesse dans les délices. Vous produisez une double mort par votre intempérance, la mort de ces infortunés et la vôtre ; et si vous aviez uni votre superflu à leur misère, vous auriez produit une double vie. Pourquoi donc gonfler votre estomac par vos excès et faire languir le pauvre par sa détresse?, Vous gâtez l’un en dépassant la mesure, et c’est outre mesure aussi que vous faites sécher l’autre. Pensez à ce que sont les aliments, comment ils se transforment et ce qu’ils deviennent. Ah ! cela vous blesse de m’entendre ? eh bien, pourquoi tant d’empressements à en produire plus largement la réalité, en vous gorgeant de nourriture ? La nature a ses bornes, et ce qui les dépasse n’accroît pas l’alimentation, mais devient inutile et nuisible. Nourrissez votre corps, ne le tuez pas. Nourriture ne veut pas dire ce qui tue, mais ce qui alimente. L’économie de la digestion est ainsi disposée, je pense, pour que nous ne soyons pas amis de l’intempérance ; car si la nourriture ne pouvait devenir inutile et nuisible, nous nous serions sans cesse dévorés les uns les autres : si l’estomac recevait tout ce que nous voulons lui donner, s’il le transformait en notre substance, combien ne verrait-on pas de guerres et de combats ? Si en effet, bien que tout né soit pas absorbé, malgré ce qui se transforme soit en sang, soit en graisse inutile et parasite, nous sommes si avides des plaisirs de la table, si souvent nous consumons dans un festin tout un héritage, que ferions-nous sans cela ? Nous nous infectons nous-mêmes en nous livrant à ces excès où notre corps devient semblable à une outre qui laisse échapper le vin[14]. Si les autres en sont incommodés, que ne doivent pas souffrir et le cerveau sans cesse atteint par ces vapeurs, et les vaisseaux obstrués d’un sang qui bouillonne, et le foie et la rate qui doivent le recevoir, et les intestins eux-mêmes ? Chose désolante, nous songeons à prévenir l’obstruction des égouts, de peur qu’ils ne regorgent ; nous avons grand soin de les dégager avec des crocs et des hoyaux, et, pour ceux de notre estomac, loin de les tenir libres, nous les obstruons et les engorgeons : les immondices montent à la résidence du roi, je veux dire au cerveau, et nous n’y veillons pas. Nous agissons comme si nous n’avions pas là un roi ami de la décence, mais un chien immonde. Le Créateur a relégué au loin ces organes, afin qu’ils ne nous incommodent pas ; mais nous troublons son œuvre et gâtons tout par notre intempérance. Mais que dire des maux qui en résultent ? Bouchez les canaux des égouts, et vous verrez bientôt naître la peste. Elle est produite par l’infection qui vient du dehors ; mais celle qui est au dedans, qui est concentrée par le corps et n’a point d’issue, ne produit-elle pas mille maux pour le corps et pour l’âme ? Ce qu’il y a de terrible, c’est que plusieurs murmurent contre Dieu pour les nécessités auxquelles notre corps est soumis, et eux-mêmes les accroissent. Dieu nous a donné ces lois, afin de nous détourner de l’intempérance, afin de nous persuader même par ces moyens de ne pas nous égarer dans les choses de ce monde. Mais vous ne vous laissez pas même par là détourner de l’intempérance ; vous vous y plongez jusqu’au gosier, tant que dure le temps du repas, ou plutôt vous n’attendez pas jusque-là. Le plaisir du goût ne s’éteint-il pas, dès que l’aliment a dépassé la langue et la gorge ? La sensation disparaît alors, mais le malaise se prolonge, parce que l’estomac n’opère pas ou opère avec grand-peine.
L’apôtre a donc dit avec raison : « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante ». Elle ne peut ni se faire entendre, ni entendre, l’âme qui vit ainsi ; elle est amollie, sans générosité, sans courage, sans liberté, timide et impudente, vile flatteuse, ignorante, colère, irascible, pleine de tous les maux et privée de tous les biens. « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante. Et prescrivez-leur d’être irréprochables ». (1Tim. 5,6-7) Vous le voyez, c’est une loi ; il ne le livre pas à leur choix. Prescrivez-leur, dit-il, de ne pas vivre dans les délices, car c’est assurément un mal, et l’on ne peut admettre aux mystères ceux qui vivent ainsi : « Prescrivez-leur d’être irréprochables » ; vous voyez donc qu’il met cette conduite au nombre des péchés ; car ce qui est libre, quand on ne le pratiquerait pas, n’empêche pas d’être irréprochable. Ainsi, obéissant à Paul, nous aussi nous vous avertissons que les veuves qui vivent dans les délices ne sont pas au nombre des veuves. Car si un soldat qui donne son temps aux bains, aux théâtres et à ses affaires est regardé comme un déserteur, combien plus le doit-on dire des veuves ? Ne cherchons point ici notre repos, afin de le trouver dans l’autre vie ; ne vivons pas ici dans les délices, afin de jouir dans la vie future des délices véritables, des véritables plaisirs qui ne produisent aucun mal et nous mettent en possession de tant de biens, que je souhaite à vous tous en le Christ Jésus Notre-Seigneur avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIV.

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SI QUELQU’UN N’A PAS UN SOIN PRÉVOYANT DES SIENS, ET SURTOUT DE CEUX DE SA MAISON, IL A RENIÉ LA FOI ET EST PIRE QU’UN INFIDÈLE. (V, 8-10)

Analyse.

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  • 1. C’est un devoir rigoureux que de s’occuper du salut de ses proches.
  • 2. Des veuves.

3-5. De la pratique de l’aumône. – Vie admirable des solitaires.

  • 6. Il y a aussi des saints dans la vie commune.


1. Beaucoup pensent que leurs vertus personnelles leur suffisent pour le salut et que, s’ils règlent bien leur propre vie, rien ne leur manque plus pour l’opérer. Ils se trompent, et c’est ce que nous montre l’homme qui avait enfoui son unique talent ; il le représenta tout entier, sans perte aucune, et tel que le lui avait confié son maître. C’est aussi ce que nous montre ici le bienheureux Paul, en disant : « Si quelqu’un n’a pas un soin prévoyant des siens ». Et il entend par là toute sorte de prévoyance, tant pour l’âme que pour le corps, car celle-ci est aussi prévoyance. « Des siens et surtout de ceux de sa maison », c’est-à-dire de sa famille. « Celui-là », dit-il, « est pire qu’un infidèle ». C’est ce que dit encore Isaïe. le plus grand des prophètes. « Ne dédaignez point ceux de votre sang ». (Is. 58,7) Car l’homme qui dédaignerait les besoins de ceux qui lui sont proches par la naissance, unis par la parenté, comment serait-il tendre envers les autres ? Chacun ne regarderait-il pas comme effet de la vanité la bienfaisance qu’exercerait envers les étrangers celui qui serait dédaigneux et impitoyable pour les siens ? Et que penser de celui qui, enseignant la foi aux étrangers, laisse les siens dans l’erreur, quand il lui serait plus facile de les instruire, quand cette bonne œuvre est plus instamment réclamée par la justice ? Non certes, dira-t-on, les chrétiens qui laissent sans soins ceux qui leur tiennent de près, ne sont guère charitables. « Et il est », dit l’apôtre, « pire qu’un infidèle ». Pourquoi ? parce que l’infidèle, s’il néglige les autres, ne néglige pas ses proches. Ainsi, celui qui ne remplit pas ce devoir, viole la loi divine et celle de la nature. Mais si celui qui ne prend pas soin de ses proches a renié la foi et est pire qu’un infidèle, quel rang assigner à celui qui commet des injustices envers eux ? avec qui le placer ? Il a renié la foi ; et comment ? C’est que, suivant la parole de l’apôtre, « ils professent qu’ils connaissent Dieu, mais ils le renient par leurs œuvres ». (Tit. 1,16) Qu’a prescrit ce Dieu, objet de leur foi ? de ne pas négliger ceux de sa famille. Et quelle est donc la foi de celui qui renie ainsi Dieu ?
Comprenons-le, nous tous qui, pour épargner nos richesses, dédaignons les besoins de nos proches. Dieu a institué les liens de la parenté afin que nous ayons des motifs multipliés de nous faire du bien les uns aux autres. Quand donc vous ne pratiquez pas une vertu que pratique un infidèle, n’avez-vous pas renié la foi ? Car il appartient à la foi, non seulement de confesser de bouche sa croyance, mais de produire des œuvres qui en soient dignes. La foi et l’incrédulité s’appliquent à chaque objet. L’apôtre donc, après avoir parlé de la mollesse et de la veuve qui vit dans les délices, nous dit qu’elle ne périt pas seulement par sa sensualité, mais parce qu’elle est par là obligée de négliger sa famille. Et cela est vrai, car elle vit pour son ventre, et par là elle périt puisqu’elle renie sa foi. « Est pire qu’un infidèle ». Car ce n’est pas une faute égale que de négliger les besoins d’un parent ou d’un étranger, d’une personne connue ou d’une personne inconnue, d’un ami, ou de celui qui ne l’est pas ; dans le premier cas le reproche mérité est plus sévère.
« Que la veuve qui sera choisie n’ait pas moins de soixante ans, qu’elle n’ait eu qu’un mari et que l’on rende témoignage de ses bonnes œuvres (9, 10) ». L’apôtre a dit « Qu’elles apprennent d’abord à faire régner la piété dans leurs maisons et à rendre ce qu’elles doivent à leurs parents ». Il a dit ensuite « Celle qui vit dans les délices est morte toute « vivante ». Il a dit : « Ne pas avoir un soin prévoyant de ceux de sa maison, c’est être pire qu’un infidèle ». Il a énoncé les défauts qui rendent une femme indigne de figurer parmi les veuves ; il énonce maintenant les conditions qu’elle doit remplir. Mais quoi ? la choisirons-nous d’après son âge ? Quel est donc ce mérite ? car il ne dépend pas d’elle d’avoir soixante ans. Non, ce n’est pas seulement d’après son âge ; quand elle l’aurait atteint, si elle ne possède pas les vertus que demande l’apôtre, elle ne doit pas être inscrite parmi les veuves. Mais il va dire pourquoi il exige un âge déterminé, et le motif ne vient pas de lui, mais des veuves elles-mêmes ; écoutons donc ce qui vient ensuite : « Aux bonnes œuvres de laquelle on rende témoignage ». Et quelles œuvres ? « Si elle a élevé ses enfants ». Ce n’est pas là une œuvre de peu de valeur ; car il ne s’agit pas seulement de les nourrir, mais de les élever, comme l’apôtre l’a dit plus haut : « Si les femmes persévèrent dans la foi, la charité et la sanctification ». (1Tim. 2,15) Vous voyez comment partout il met le bien fait à ses parents avant le bien fait aux étrangers. Car il dit en premier lieu : « Si elle a élevé ses enfants », et ensuite : « Si elle a exercé l’hospitalité, lavé les pieds des saints, pourvu aux besoins de ceux qui endurent tribulation, si elle s’est appliquée à toute sorte de bonnes œuvres (10) ». Mais quoi ? si elle est pauvre ? Elle n’est pas pour cela privée d’élever ses enfants, d’exercer l’hospitalité, de pourvoir aux besoins de ceux qui endurent tribulation. Est-il une veuve plus pauvre que celle qui avait versé deux oboles (Lc. 21) ? Quand elle serait pauvre, elle a une demeure ; elle n’habite pas en plein air. « Lavé les pieds des saints » ; ce n’est pas une grande dépense. « Si elle s’est appliquée à toute sorte de bonnes œuvres ». À quoi se rapporte ce précepte ? Par là elle est exhortée à rendre des services corporels, car les femmes y sont particulièrement propres, comme de dresser un lit, de procurer le repos.
2. Ah ! quelle exactitude dans ses devoirs il demande à une veuve ; presqu’autant qu’à celui qui est chargé de l’épiscopat. Car ce mot : « Si elle s’est appliquée à toute sorte de bonnes œuvres », il le prononce, bien qu’elle n’ait pu les accomplir toutes elle-même, mais elle y a pris part, elle en a été l’auxiliaire. Il écarte ainsi d’elle la mollesse, il veut qu’elle soit vigilante, bonne économe, qu’elle persévère sans cesse dans la prière. Telle était Anne. Considérez quelle perfection l’apôtre réclame des veuves, plus grande presque que celle des vierges mêmes, à qui pourtant il demande une perfection bien haute ; car lorsqu’il dit : « Ce qui est honnête et donne toute facilité pour a s’adresser au Seigneur » (1Cor. 7,35), il comprend en abrégé la vertu tout entière. Vous le voyez, ne pas contracter un second mariage ne suffit pas pour faire une veuve, il faut bien d’autres conditions. Pourquoi en effet ne pas se remarier ? Condamne-t-il ce fait ? Nullement : ce serait une hérésie ; mais c’est qu’il veut qu’elle vaque désormais aux œuvres spirituelles, et qu’elle se consacre tout entière à la vertu. Le mariage n’est point impur, mais il enlève le libre emploi du temps ; l’apôtre en effet dit : Pour vaquer (à la prière), et non : Pour se purifier. Et réellement le mariage amène de perpétuelles occupations. Si donc vous ne vous mariez pas, afin de donner votre temps à la crainte de Dieu, et si vous ne le donnez point en effet, vous n’en tirez point l’avantage de donner vos soins aux étrangers, aux saints. Lors donc que vous négligez ces œuvres, il semble que vous vous êtes plutôt éloignée du mariage parce que vous le condamnez. C’est ainsi qu’une vierge qui n’est pas vraiment crucifiée s’est apparemment abstenue du mariage, parce qu’elle le croit coupable et impur.
Vous voyez que l’apôtre parle de l’hospitalité et non de la simple affabilité, mais de la charité empressée, résultant d’une volonté joyeuse, zélée, accomplissant son œuvre comme si elle accueillait le Christ lui-même. Le Christ, en effet, ne veut point que ces soins soient remis à des servantes ; il veut qu’ils soient remplis par celles mêmes, qui exercent l’hospitalité. « Si j’ai lavé les pieds de mes disciples », dit-il, « combien plus devez-vous le faire les uns envers les autres ». (Jn. 13,14)
Quelque riche que soit une femme, de quelque considération qu’elle jouisse, quand elle serait fière de la noblesse de ses ancêtres, il n’y a pas là tant de distance que du Maître à ses disciples. Si donc vous recevez votre hôte comme le Christ, n’ayez pas honte, mais plutôt soyez glorieuse d u soin que vous lui rendez ; si vous ne le recevez pas comme le Christ, vous ne le recevez point du tout : « Celui qui vous reçoit me reçoit », dit-il. (Mt. 10,40) Si vous ne recevez pas ainsi votre hôte, vous n’aurez point de récompense. Abraham crut accueillir des voyageurs qui passaient, et cependant il ne confia pas tout à ses serviteurs, mais il commanda à sa femme de pétrir de la farine, lui qui avait trois cent dix-huit serviteurs chez lui et parmi eux assurément des servantes ; mais il voulait acquérir lui-même avec son épouse la récompense, non des frais seulement, mais des services.
C’est ainsi qu’il faut témoigner son hospitalité, faisant tout par soi-même, afin que nous soyons sanctifiés et que nos mains soient bénies. Si vous donnez aux pauvres, ne dédaignez pas de donner vous-même, car ce n’est pas au pauvre que vous donnez, mais au Christ. Et qui serait assez malheureux pour dédaigner de tendre la main au Christ ? C’est là l’hospitalité, c’est là vraiment agir pour Dieu. Mais si vous commandez avec orgueil, quand vous assigneriez le premier rang à votre hôte, ce n’est point là de l’hospitalité. Un hôte demande de grands soins, il faut s’estimer heureux qu’il ne rougisse pas de les avoir reçus. Puisque la nature est telle que l’on rougit d’un bienfait reçu, il faut vaincre la honte par l’empressement des services, et montrer par ses actes et ses paroles que le bienfaiteur est l’obligé et reçoit plutôt qu’il ne donne. C’est ainsi que l’action elle-même s’agrandit par la bonne volonté. Car, de même que celui qui croit subir une perte ou être le bienfaiteur, a tout perdu, celui qui se regarde comme favorisé par la bonne œuvre qu’il accomplit a reçu plus qu’il n’a donné. « Dieu aime celui qui donne avec joie ». (2Cor. 9,7) Vous devez au pauvre plus de reconnaissance qu’il ne vous en doit. S’il n’y avait pas de pauvres, vous n’auriez su effacer la multitude de vos péchés ; ils sont les médecins de vos blessures, et leurs mains qu’ils vous tendent sont les remèdes qu’ils vous offrent. La main que le médecin étend vers le malade, les remèdes qu’il lui présente ne le guérissent pas aussi bien que le pauvre en étendant sa main vers vous et recevant votre aumône ne fait disparaître vos maux. Tels les prêtres, « ils mangeront les péchés de mon peuple ». (Os. 4,8) Ainsi vous recevez plus que vous ne donnez, c’est le pauvre, plutôt que vous, qui est le bienfaiteur. Vous prêtez à usure à Dieu, non à l’homme ; vous accroissez votre richesse au lieu de la diminuer ; vous la diminueriez si vous n’y preniez rien pour le donner.
3. « Si elle a exercé l’hospitalité », dit l’apôtre, « si elle a lavé les pieds des saints ». Quels saints ? Ceux qui endurent tribulation et non simplement des saints ; car on peut être saint et recevoir des hommages universels. Ne vous attachez point à ceux qui sont dans l’abondance, mais à ceux qui sont dans la tribulation, inconnus ou peu connus. Celui qui a fait du bien à l’un de ces petits, c’est à moi qu’il l’a fait, dit le Seigneur. Ne chargez pas ceux qui sont à la tête de l’Église de distribuer vos aumônes, servez vous-même les pauvres, afin de ne pas obtenir seulement la récompense de vos dons, mais aussi de vos services ; donnez de vos propres mains, semez vous-même votre sillon. Il n’est point ici question d’enfoncer la charrue, d’atteler les bœufs, d’attendre la saison, de fendre la terre, de lutter contre la gelée ; tous ces soins laborieux, cette semence en est franche. Car vous semez dans le ciel où il n’y a point de gelée, ni d’hiver, ni rien de semblable ; vous semez dans les âmes où nul ne vient ravir le grain, mais où il est gardé sûrement avec le zèle le plus exact. Semez ; pourquoi vous priver de la récompense ? Et elle est grande, même quand on administre ce qui est donné par les autres. On est récompensé, non seulement pour donner le sien, mais pour administrer les aumônes d’autrui. Pourquoi ne pas obtenir la récompense ? Oui, ce soin est récompensé ; écoutez : Les apôtres, comme nous l’apprend l’Écriture, établirent Étienne pour le service des veuves. Soyez votre propre économe ; l’humanité, la crainte de Dieu vous élisent. Cette couvre, exempte de vaine gloire, donne le repos à l’âme, sanctifie les mains, ruine l’orgueil, enseigne l’amour de la sagesse, accroît le zèle et fait obtenir des bénédictions ; c’est la tête chargée de leurs bénédictions, que vous quittez les veuves. Devenez plus zélé dans la prière, inquiétez-vous des saints ; je dis les véritables saints, ceux qui vivent dans les déserts et ne peuvent rien demander, se reposant sur Dieu ; faites une longue route, donnez par vos propres mains, car, en donnant ainsi, vous pouvez acquérir beaucoup. Vous voyez une tente et une retraite hospitalière, un désert, un monastère. Souvent, en allant porter des aumônes, vous y donnez votre âme tout entière ; vous êtes retenu, vous en devenez captif, vous vivez en étranger au monde. C’est une grande chose que devoir les pauvres. Il vaut mieux, dit l’Écriture, entrer dans la maison du deuil que dans celle du rire. (Qo. 7,3) Dans celle-ci, l’âme se gonfle. Si vous pouvez rire comme ses habitants, vous devenez à la mollesse ; si vous ne le pouvez pas, vous y trouvez un sujet de peine. Rien de semblable dans la demeure du deuil ; mais, si vous ne pouvez vivre dans les délices, vous n’êtes point choqué ; si vous le pouvez, votre désir est réprimé. La vraie maison de deuil, c’est le monastère ; là sont le sac et la cendre, là est la solitude, là jamais le rire ni le tumulte des affaires temporelles, mais le jeûne, un lit d’herbes étendues à terre ; là tout est pur de la fumée des viandes et du sang des animaux ; tout est exempt de trouble, d’agitation, d’inquiétudes. C’est un port toujours calme ; ce sont comme des phares élevés sur les hauteurs pour briller de loin aux yeux des voyageurs, établis auprès d’un port et attirant chacun dans les eaux tranquilles, empêchant le naufrage de ceux qui les aperçoivent et dissipant pour eux les ténèbres. Allez donc trouver leurs habitants, donnez-leur l’hospitalité, présentez-vous aux saints et prosternez-vous à leurs pieds, car il est plus honorable de toucher leurs pieds que la tête des autres. Dites-moi, si quelques hommes embrassent les pieds à des statues, seulement parce qu’elles offrent l’image de l’empereur, vous qui, en la personne de ces hommes, trouvez celle du Christ, ne saisirez-vous pas leurs pieds pour être sauvé ? Leurs pieds sont saints, tout vulgaires qu’ils paraissent, et chez les profanes la tête même n’a rien de vénérable. Les pieds des saints ont une grande puissance, car ils apportent le châtiment quand ils en secouent la poussière.
Et, lorsqu’un saint se trouve au milieu de nous, ne rougissons pas d’agir de même. Tous ceux-là sont saints qui reproduisent dans leur vie l’orthodoxie de la foi ; quand ils ne feraient pas de miracles, quand ils ne chasseraient pas les démons, ce sont des saints. Allez vers les tentes des saints. Pour un saint, se réfugier dans un monastère, c’est comme s’enfuir de la terre au ciel. Vous ne voyez pas là tout ce qu’on voit dans vos demeures ; ce lieu est pur de tout ce qui souille, là règnent le silence et la tranquillité ; on n’y connaît pas le tien et le mien. Mais, si vous y demeurez un jour ou deux, vous éprouverez plus de joie. Le jour vient, ou plutôt, avant le jour, le coq a chanté. Ce n’est point l’aspect d’une maison, où les serviteurs ronflent encore, où les portes sont fermées et où tous les habitants endormis ressemblent à des morts ; où le muletier agite ses clochettes. Là, rien de semblable ; mais tous sans retard cessent pieusement leur sommeil et se lèvent, réveillés par leur supérieur ; alors debout, formant un chœur saint, étendant leurs mains, ils chantent les hymnes sacrées. Il ne leur faut pas comme à nous des heures entières pour secouer le sommeil et la pesanteur de tête. Mais, à peine nous sommes-nous dressés sur nos lits que nous retombons pour étendre longtemps les bras. Plus tard nous nous lavons le visage et les mains, puis nous prenons nos chaussures, nos vêtements, et un long temps se passe.
4. Là, rien de pareil ; point de serviteur pour les appeler ; on se suffit à soi-même ; point tant de vêtements à prendre, point de temps pour secouer le sommeil, mais à peine ont-ils ouvert les yeux que les sobres habitants du monastère sont aussi éveillés que s’ils l’étaient depuis longtemps. Car, lorsque le cœur n’est pas appesanti et incliné vers la terre par la nourriture qui remplit l’estomac, il faut peu de temps pour recueillir ses esprits ; on le fait vite quand on est sobre ; les mains sont propres, le sommeil est bien réglé, on n’y entend pas ronfler ni haleter ; nul ne s’est jeté à bas de son lit ni dépouillé durant le sommeil ; mais ils ont, en dormant, une attitude plus décente que des gens éveillés ; et tout cela grâce à l’ordre parfait qui règne dans leur âme. Ce sont, vraiment des saints et des anges parmi les hommes. Leur grande crainte de Dieu ne leur permet pas de s’engourdir dans le sommeil et d’y ensevelir leur intelligence ; mais, en leur procurant le repos, le sommeil ne s’étend qu’à la surface de leur être, et leurs songes ne sont point l’œuvre d’une imagination désordonnée ni étrange. Mais, comme je le disais, le coq a chanté et aussitôt le supérieur s’est mis en marche ; il a simplement touché du pied chaque moine endormi et les a tous fait lever, car il ne leur est pas permis de se dépouiller pour dormir. S’étant donc levés, ils se tiennent debout, chantant les hymnes des prophètes avec un grand accord et une modulation cadencée. Ni cithare, ni flûte champêtre, ni aucun instrument de musique ne produit des sons tels que ceux que l’on entend lorsque ces saints chantent dans leur solitude, au milieu d’un calme profond ; chants salutaires et respirant l’amour de Dieu. « Durant les nuits, étendez vos mains vers Dieu » (Ps. 133), dit l’Écriture ; et ailleurs : « Dès la nuit mon esprit veille vers vous, ô Dieu, parce que vos commandements sont une lumière sur la terre ». (Is. 26,9) Les chants de David produisent des sources de larmes. En effet, lorsque l’on chante : « Je me suis fatigué dans mes gémissements ; chaque nuit je laverai mon lit, j’arroserai de mes larmes ma couche ». (Ps. 6,7) – « Je mangeais la cendre comme du pain ». (Ps. 51, 10) – « Qu’est-ce que l’homme pour que vous vous souveniez de lui ? » (Ps. 8,5) – « L’homme est devenu semblable à ce qui est vain, et ses jours passent comme une ombre ». (Ps.143,4) – « Ne craignez point quand un homme est devenu riche et quand la gloire de sa maison s’est multipliée ». (Ps. 48,17) – « C’est Dieu qui fait habiter ensemble des hommes dont les mœurs s’accordent ». (Ps. 67,7) – « Sept fois le jour je vous ai loué pour les jugements de votre justice ». (Ps. 118,1.64) – « Je m’éveillais au milieu de la nuit pour confesser devant vous les jugements de votre justice ». (Id. 62) – « Dieu, rachetez mon âme de la main de l’enfer ». (Ps. 48,16) – « Quand je marcherais au milieu des ombres de la mort, je ne craindrais point de mal, parce que vous êtes avec moi ». (Ps. 22,4) – « Je ne craindrai point la terreur de la nuit, ni la flèche qui vole durant le jour, ni ce qui marche dans les ténèbres, ni les mauvaises rencontres, ni le démon du midi ». (Ps. 90,5-6) – « Nous avons été estimés comme des brebis pour la boucherie ». (Ps. 43,22) Quand ils chantent avec les anges, car les anges aussi chantent alors avec eux : « Louez le Seigneur du haut des cieux » (Ps. 148,1) ; et cela à l’heure où nous bâillons, où nous ronflons, où nous sommes étendus sur nos lits et où nous méditons mille fraudes, que penser d’hommes qui emploient si saintement les nuits ?
Lorsque le jour va paraître, ils se reposent un peu, et, à l’heure où nous commençons nos travaux, le temps de prendre du repos est venu pour eux. Quand le jour a paru, chacun de nous appelle quelqu’un, calcule l’argent distribué, court à la place, va trouver un magistrat, tremble et craint pour les comptes qu’il doit rendre ; un autre se rend sur la scène, un autre à ses occupations. Pour les moines, après qu’ils ont achevé leurs prières du matin et leurs hymnes, ils s’adonnent à la lecture des Écritures ; il en est aussi qui out appris à transcrire des livres. Chacun se retire dans la chambre qui lui est assignée et s’y tient dans une tranquillité constante, sans que personne bavarde ou même parle. Ils disent Tierce, Sexte, None et les prières du soir, partageant la journée en quatre parts, et à la fin de chacune, ils louent Dieu par leurs hymnes. Tandis que tous les autres hommes dînent, rient, jouent et se gorgent d’aliments, eux s’appliquent à chanter ses louanges. Jamais de temps pour les plaisirs de la table et des sens. Après le repas, ils se livrent aux mêmes occupations, ayant d’abord fait la sieste ; car, au lieu que les gens du monde dorment le jour, eux ils ont veillé la nuit. Ce sont vraiment des enfants de lumière. Les gens du monde, après avoir perdu un long temps dans le sommeil, marchent tout appesantis ; eux, toujours sobres, restent longtemps sans nourriture, adonnés au chant des hymnes. Quand le soir est venu, les autres vont se baigner ou se reposer ; pour eux, ayant achevé leurs travaux, ils s’approchent de la table sans mettre en mouvement une troupe d’esclaves, sans courir la maison, sans désordre ; ils ne chargent point leur table de mets somptueux, exhalant l’odeur des viandes, mais les uns se contentent de pain et de sel, d’autres y joignent de l’huile, d’autres, les plus faibles, font usage d’herbes potagères et de légumes. Puis, après être demeurés peu de temps assis et ayant clos la journée par des hymnes, chacun va dormir sur un lit de feuilles fait pour le repos et non pour le luxe.
5. Là, point de crainte des magistrats, point d’orgueil insensé des maîtres, point de terreurs des esclaves, point d’agitation des femmes ni de tapage des enfants, point de multitude de coffres ni de réserve inutile d’habits, point d’or ni d’argent, point de garde ni de précautions, point d’office ni rien de semblable ; tout respire la prière, les hymnes, la bonne odeur spirituelle ; rien de charnel ne s’y trouve. Ils ne craignent point l’arrivée des voleurs, car ils n’ont rien à perdre ; point de richesses, ils n’ont que leurs corps et leurs âmes ; si on leur prend la vie, ils n’en éprouvent point de tort, mais plutôt un avantage. « Ma vie, c’est le Christ, et la mort m’est un gain » (Phil. 1,21) : ils seraient alors délivrés de leurs liens. Vraiment, « la voix de l’allégresse est dans les tentes des justes ». (Ps. 117,15) On n’entend là ni sanglots ni lamentations ; leur toit est exempt de ces peines et de ces clameurs. Ils meurent dans les mêmes sentiments, car leurs corps ne sont point immortels, mais ils ne pensent pas que la mort soit une mort. Ils accompagnent avec des hymnes ceux qui sont décédés, et ils appellent cette cérémonie une conduite et non des funérailles. Si on leur apprend que tel ou tel est mort, c’est une grande et douce joie ; on n’ose pas même dire : Il est mort, mais plutôt : Il a achevé sa carrière. Puis ce sont des actions de grâces, on le glorifie, on se réjouit ; chacun prie Dieu d’avoir une semblable fin, de sortir ainsi du combat, pour voir le Christ à la fin de ses combats et de ses travaux. Si quelqu’un d’eux est malade, ce ne sont point des larmes et des lamentations, mais des prières ; et souvent ce ne sont pas les soins des médecins, mais la foi seule qui guérit le malade. Mais s’il est besoin de médecins, on trouve là une grande philosophie et une grande fermeté. On ne voit pas auprès du malade une femme qui s’arrache les cheveux, des enfants qui se lamentent d’avance d’être orphelins, des serviteurs qui conjurent le mourant de les léguer à un bon maître ; l’âme est libre de ce spectacle et ne pense qu’à se préparer au dernier instant pour paraître devant Dieu agréable à ses yeux. Et si une maladie survient, elle n’a pas pour cause la gourmandise ni l’appesantissement de la tête, mais l’origine en est digne de louange et non de flétrissure : un excès de veilles ou de jeûne ou quelque chose de semblable ; aussi est-elle facile à guérir, car il suffit de ne plus se fatiguer pour être délivré de tout.
6. Mais, dira-t-on, où trouver des saints tels que ceux-là pour leur laver les pieds ? Il y en a dans l’Église. N’allez point, parce que nous vous avons décrit la vie des solitaires, mépriser les saints qui sont dans les églises. Beaucoup de saints tels que ceux-là vivent au milieu des fidèles ; mais ils sont cachés. Non, ne les dédaignons point parce qu’ils habitent des maisons, parce qu’ils se montrent sur les places publiques, parce qu’ils exercent quelque charge. C’est Dieu lui-même qui l’a prescrit : « Rendez la justice en faveur de l’orphelin, et faites justice à la veuve ». (Is. 1,17) La vertu a divers sentiers, de même qu’il y a des perles bien différentes les unes des autres, et que toutes pourtant sont des perles ; l’une est brillante et parfaitement ronde, l’autre n’a pas la même beauté, mais a une beauté d’autre sorte. Comment cela ? De même qu’il est un art de donner au corail de longues branches et des angles bien ciselés, qu’il en est d’une couleur plus agréable à la vue que le blanc, qu’il en est de la nuance verte la plus agréable ; que telle pierre est d’un rouge de sang éclatant, telle autre d’un bleu plus vif que celui de la mer, qu’une autre surpasse la pourpre par son éclat ; que dans les fleurs et dans les couleurs du soleil on peut trouver tant de teintes diverses[15]; il en est de même des saints, les uns mènent la vie ascétique, les autres édifient les églises. « Si elle a lavé les pieds des saints et pourvu aux besoins de ceux qui endurent tribulation ».
Hâtons-nous de le faire, afin de pouvoir nous féliciter au ciel d’avoir lavé les pieds des saints. S’il faut laver leurs pieds, il faut surtout que notre main leur fasse l’aumône. « Que votre main gauche », dit l’Évangile, « ignore ce que fait votre main droite ». (Mt. 6,3) Pourquoi tant de témoins ? Que votre serviteur et votre femme même l’ignorent, s’il est possible. Les scandales produits par le perfide sont nombreux ; souvent une femme qui n’a jamais mis obstacle à vos bonnes œuvres s’avise de le faire par vanité ou pour quelque autre motif. Abraham, qui avait une femme admirable, lui cacha qu’il allait immoler son fils parce qu’il ignorait ce qui allait se produire et croyait le sacrifier en effet. Qu’est-ce qu’aurait dit à sa place un homme de sentiments vulgaires ? – Qui donc a jamais fait pareille chose, eût-il dit ? quelle cruauté ! quelle barbarie ! Ce juste ne songea à rien de semblable, son amour pour son fils ne l’égara pas à ce point. Mais sans permettre à la mère de voir une dernière fois son fils, d’entendre ses dernières paroles, de recueillir sa dernière palpitation, il emmena le jeune homme comme un captif. Il n’avait qu’une seule chose en vue, accomplir l’ordre divin. Ni sa femme ni son fils n’étaient présents à sa pensée. L’enfant ignorait ce qui allait arriver, Abraham faisait tous ses efforts pour offrir une victime pure, et pour ne point la souiller par des larmes et des murmures. Isaac lui dit : « Voici le bois et le feu ; où donc est la brebis ? » (Gen. 22,7) Et que lui répond son père ? « Dieu pourvoira, mon fils, à la victime de son holocauste ». (Id. 8) Parole prophétique, car Dieu verra son propre fils offert en holocauste ; et Abraham s’est mis en marche. – Dites-moi : pourquoi lui cachez-vous qu’il doit être immolé ? – C’est que je crains qu’il ne faiblisse et ne paraisse une indigne victime. Vous avez vu avec quelle exactitude il accomplit cette parole : « Que votre main gauche ignore ce que fait votre main droite » ; c’est-à-dire : ne cherchons point sans nécessité à le faire connaître à ceux qui font partie de nous-même ; il en résulterait bien des maux. On est entraîné vers la vanité, souvent des obstacles se présentent. Cachons-nous donc à nous-même, s’il est possible, afin d’obtenir les biens promis, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XV.

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MAIS ÉVITEZ LES VEUVES TROP JEUNES ; CAR, LORSQU’ELLES SONT SORTIES DES BORNES DE LA MODESTIE CHRÉTIENNE, ELLES VEULENT SE MARIER, ET SONT CONDAMNABLES PARCE QU’ELLES ONT TRANSGRESSÉ LEUR FOI PREMIÈRE. ELLES SONT D’AILLEURS OISIVES ET APPRENNENT A SE PROMENER DE MAISONS EN MAISONS ; NON SEULEMENT OISIVES, MAIS BAVARDES ET CURIEUSES, DISANT CE QU’ELLES NE DEVRAIENT PAS DIRE. JE VEUX DONC QUE LES JEUNES VEUVES SE MARIENT, AIENT DES ENFANTS, GOUVERNENT LEUR MAISON, ET NE DONNENT POINT A L’ENNEMI UNE OCCASION DE DIFFAMATION. CAR DÉJÀ QUELQUES-UNES ONT ÉTÉ DÉTOURNÉES DE LEUR VOIE, A LA SUITE DE SATAN. (V, 11-15 JUSQU’À 21)

Analyse.

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  • 1. Se défier des jeunes veuves. – L’oisiveté enseigne tous les vices.
  • 2. Tout ouvrier mérite un salaire, l’ouvrier de la prédication non moins que les autres.
  • 3, 4. Instabilité et néant des choses humaines.


1. Paul tient grand compte des veuves ; il a déterminé leur âge, en disant : « Qu’elle n’ait pas moins de soixante ans », et fait connaître les qualités qu’elles doivent remplir quand il ajoutait : « Si elle a élevé ses enfants, exercé l’hospitalité, lavé les pieds des saints ». Maintenant il dit encore : « Évitez les veuves trop jeunes ». Quant aux vierges, bien que leur état soit bien plus difficile, il ne fait rien entendre, et avec raison. Pourquoi ? Parce qu’elles se sont enrôlées pour une milice plus haute, et que leur état vient d’une pensée plus sublime. Les mots : « Si elle a exercé l’hospitalité, lavé les pieds des saints » et tout ce qui s’y rapporte, il les a implicitement compris dans l’application aux bonnes œuvres, et dans cette parole : « Celle qui n’est point mariée songe au service du Seigneur ». (1Cor. 7,34) Et, s’il ne s’étend pas avec détail sur la question du temps, n’en soyez pas surpris ; car les conséquences de ce qu’il dit sont fort claires. J’ai dit ailleurs qu’une grande pensée leur a fait choisir la virginité. En outre il s’était déjà produit des chutes, et c’est à l’occasion des coupables que vient cette prescription dont il n’est pas question dans l’autre passage. Qu’il y en ait eu, cela résulte clairement de ces mots : « Car lorsqu’elles sont sorties des bornes de la modestie chrétienne, elles veulent se marier », et de ceux-ci : « Car déjà quelques-unes ont été détournées de leur voie, à la suite de Satan ». – « Évitez les veuves trop jeunes ». Pourquoi ces mots : « Car lorsqu’elles sont sorties des bornes de la modestie, elles veulent se marier ? » Et qu’est-ce à dire : « Sorties des bornes de la modestie ? » C’est lorsqu’elles sont coquettes, amollies par les délices ; semblables à l’épouse d’un homme de bien, qui l’abandonnerait pour un autre. L’apôtre fait voir par là, qu’elles avaient embrassé la viduité sans une résolution réfléchie. La vraie veuve devient épouse du Christ dans son veuvage. Car c’est lui, dit l’Écriture, qui est le protecteur des veuves et le père des orphelins. (Ps. 67,5-6) L’apôtre fait voir qu’elles n’ont pas vraiment choisi la viduité, mais qu’elles se sont livrées à la mollesse. Il les supporte cependant ; mais il dit ailleurs aux Corinthiens : « Je vous ai fiancés comme une vierge chaste au Christ pour unique époux ». (2Cor. 11,2) Et, après qu’elles se sont inscrites au nombre des veuves, « elles veulent se marier, et sont condamnables, parce qu’elles ont transgressé leur foi première ». Par leur foi, il entend leur promesse ; elles ont menti, abandonné le Christ, transgressé leurs engagements.
« Elles apprennent d’ailleurs à être oisives ». Car ce n’est pas seulement aux hommes que le travail est prescrit ; c’est aussi aux femmes, car l’oisiveté enseigne tous les vices. Et ce n’est pas seulement de leurs fautes qu’elles ont à répondre, mais des péchés d’autrui. S’il est inconvenant pour une femme de se promener de maisons en maisons, combien plus à une vierge ! « Non-seulement elles apprennent à être oisives, mais bavardes et envieuses, disant ce qu’elles ne devraient pas dire. Je veux donc que les jeunes veuves se marient, aient des enfants, gouvernent leur maison ». Qu’arrivera-t-il en effet, si une femme n’a plus à s’occuper de son mari, et que la pensée de Dieu ne la remplisse pas ? Elle deviendra naturellement oisive, bavarde et curieuse. Car celui qui ne se préoccupe pas de ce qui le regarde, se préoccupe sans cesse des affaires d’autrui ; de même que celui qui songe à ce qui le concerne n’aura ni souci ni curiosité de ce qui regarde les autres. « Disant ce qu’elles ne devraient pas dire ». Rien n’est si inconvenant pour une femme que ces recherches d’une vaine curiosité, et non seulement pour une femme, mais pour un homme, car c’est une grande preuve d’effronterie et d’impudence. « Je veux donc », puisqu’elles le veulent, je le veux aussi moi, « que les jeunes veuves se marient, aient des enfants, gouvernent leur maison » et s’y tiennent, car cela vaut beaucoup mieux que de se conduire ainsi. Il fallait se préoccuper du service de Dieu et lui garder fidélité ; mais, puisqu’il n’en est point ainsi, mieux vaut se marier, car Dieu n’est pas renoncé et elles ne contractent pas ces défauts. Une telle viduité ne produit rien de bon, et au contraire, en pareil cas, le mariage a d’heureux effets ; il pourra détourner leurs esprits de la langueur et de la paresse. Et pourquoi, voyant la chute de plusieurs, n’a-t-il pas dit qu’elles devaient être l’objet de grands soins pour ne pas tomber dans un tel malheur, mais leur recommande-t-il le mariage ? Parce que le mariage n’est pas défendu. « Qu’elles ne donnent point à l’ennemi une occasion de diffamation », ni de prise aucune ; « car déjà quelques-unes ont été détournées de leur voie, à la suite de Satan ». Il s’oppose donc à une viduité pareille, ne voulant pas de veuves trop jeunes qui se rendent coupables d’adultère, ne voulant pas d’oisives, qui disent ce qu’elles devraient taire, de curieuses, qui donnent occasion au démon ; si pareille chose n’avait pas eu lieu, il n’aurait pas mis cette opposition.
« Mais, si quelque fidèle a près de lui des veuves, qu’il pourvoie à leurs besoins, et que l’Église n’en ait pas le fardeau, afin qu’elle suffise à celles qui sont vraiment veuves (16) ». Il appelle de nouveau vraiment veuves, celles qui vivent dans la solitude et qui n’ont de consolation nulle part. Le conseil que donne ici l’apôtre est excellent, il produisait deux grands résultats : Les uns trouvaient une occasion de faire le bien en nourrissant ces veuves, – et l’Église n’était pas surchargée. Il ajoute fort à propos : « Si quelque fidèle » ; car les veuves fidèles ne devaient pas être nourries par les infidèles, il ne convenait pas qu’elles eussent besoin d’unetelle assistance. Et voyez comment il est peu exigeant. Il ne parle point d’un secours dispendieux, mais dit seulement : « Qu’il pourvoie à leurs besoins, afin que l’Église… suffise à celles qui sont vraiment veuves ». Le bienfaiteur aura double récompense ; car en assistant l’une, il aide aussi les autres, en permettant à l’Église de les secourir plus largement. « Je veux que les jeunes veuves » – Et quoi ? vivent dans la mollesse ? dans les délices ? Nullement ; mais « se marient, aient des enfants, gouvernent « leur maison ». Et la gouvernent, comment ? Afin que l’on ne pense pas qu’il les engage à une vie molle, il ajoute : « Et ne donnent point à l’ennemi une occasion de diffamation ». Elles devaient être au-dessus des pensées mondaines ; puisqu’elles sont descendues plus bas, qu’elles sachent au moins s’y maintenir.
2. « Que les prêtres qui administrent bien soient jugés dignes d’un double honneur, surtout ceux qui se fatiguent ans la parole et l’enseignement. Car l’Écriture dit : Vous ne lierez point la bouche du bœuf qui travaille dans l’aire, et : Le travailleur mérite de recevoir son salaire (18) ». Par l’honneur il entend les soins et l’attention à fournir les objets nécessaires à la vie, comme on le voit par les textes qu’il cite. Lorsqu’il dit : « Honorez les veuves », il parle de même de pourvoir à leur subsistance ; car il dit aussi : « Afin que l’Église puisse suffire à celles qui sont vraiment veuves », et : « Honorez celles qui sont vraiment veuves », c’est-à-dire qui sont dans la pauvreté, car elles sont d’autant plus veuves. Il cite des paroles de la loi et des paroles du Christ, paroles qui concordent entre elles. Car la loi dit : « Vous ne lierez point la bouche du bœuf qui travaille dans l’aire ». (Deut. 25,4) Vous voyez dans quelles conditions il veut que travaille celui qui enseigne. Il n’est point de travail semblable à celui-là, il n’en est point. Voilà le témoignage de la loi ; et celui du Christ, le voici : « Le travailleur mérite de recevoir son salaire ». (Lc. 10,7) Ne nous attachons pas pour cela seulement au salaire, et le Christ le fait entendre puisqu’il dit : « Celui qui travaille mérite de trouver sa nourriture ». (Mt. 10,10) En sorte que s’il vit dans la mollesse et le relâchement, il n’est pas digne. Si le bœuf ne travaille pas dans l’aire, s’il ne traîne pas un joug pesant, sous une chaleur étouffante et à travers les épines, s’il ne persévère pas jusqu’à la fin de sa tâche, il n’a pas gagné les aliments qu’on lui laisse prendre. Mais il faut certes que ceux qui enseignent se voient fournir en abondance les objets nécessaires à la vie, afin qu’ils ne succombent pas à la fatigue, et de peur qu’ayant à s’occuper de petites choses, ils ne se détournent des grandes ; ils se donneront ainsi aux œuvres spirituelles, sans songer aux besoins de la vie.
Tels étaient les lévites : ils ne pensaient pas aux moyens de vivre ; c’était aux laïques à y pourvoir envers eux, et la loi prescrivait de payer la dîme du revenu, les offrandes sur les objets en or, les prémices, les vœux et plusieurs autres objets. Ces avantages étaient justement garantis par la loi à des hommes qui cherchaient les avantages de la vie présente ; mais je ne demande pour ceux qui gouvernent les églises rien de plus que la nourriture et le vêtement, afin qu’ils ne soient pas entraînés à y donner leurs pensées. Et qu’est-ce qu’un double honneur ? Double de celui des veuves, ou des diacres, ou simplement un grand honneur. Ne nous arrêtons pas à ce mot de double honneur, mais à ce que l’apôtre y a joint : Ceux qui administrent bien. Et quels sont-ils ? Écoutons la parole du Christ : « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis ». (Jn. 10,11) Ainsi bien administrer, c’est ne rien épargner pour prendre soin de son troupeau. Principalement ceux qui travaillent dans la prédication et l’enseignement. – Où sont ici ceux qui disent qu’il n’est pas besoin de parole et d’enseignement ? Quand l’apôtre donne de tels avis à Timothée – « Méditez ces choses, attachez-vous-y ». Et ailleurs : « Appliquez-vous à la lecture, à l’exhortation, car, en le faisant, vous vous sauverez vous et ceux qui vous écoutent ». (1Tim. 4,15) Voilà ceux que l’apôtre veut que l’on honore plus que tous les autres, et il en donne le juste motif c’est qu’ils supportent de grandes fatigues. Car lorsque l’un ne veille ni ne médite, mais reste tranquillement assis sans crainte ni soucis, tandis que l’autre se fatigue en occupant son esprit et ses soins, surtout s’il est étranger à la science profane, comment celui-ci ne devrait-il pas être honoré grandement et plus que tous les autres, quand il se donne tant de peines ? Il est exposé à bien des langues ; l’un l’a blâmé, l’autre l’a loué, un troisième l’a raillé, un quatrième a attaqué sa mémoire ou sa méthode ; il lui faut bien de la force pour endurer tout cela. C’est une grande chose pour l’édification d’une église, c’est une chose de grande importance, que de savoir enseigner, quand on la gouverne ; sans cela bien des choses tombent en ruine, C’est pour cela qu’avec les autres qualités, avec l’hospitalité, la modération, en demandant que l’évêque soit irréprochable, l’apôtre ajoute : « Qu’il sache enseigner » ; Le docteur, ce doit être celui qui, par sa vie, enseigne l’amour de la sagesse. Rien de mieux ; mais il faut en même temps l’enseigner par ses discours. C’est pour cela que Paul dit : « Surtout ceux qui se fatiguent dans la parole et l’enseignement » ; car, quand il s’agit d’exposer les dogmes, quelle vie saurait suppléer aux paroles ? Et quelles paroles ? Non celles qui sont pompeuses et revêtues d’ornements profanes, mais des paroles pleines de force, de lumière et de prudence. Ce qu’il faut, ce n’est pas l’art du style et du langage ; il faut des pensées, de quelque façon qu’on les exprime ; non l’art de la composition, mais seulement la sagesse.
« N’accueillez pas d’accusation contre un ancien, s’il n’y a deux ou trois témoins (19) ». Faut-il donc accueillir contre un jeune homme, ou contre qui que ce soit, une accusation sana témoignage ? Ne faut-il pas prêter l’oreille avec un discernement scrupuleux ? Que veut donc dire l’apôtre ? Qu’il ne faut accueillir ces sortes d’accusations contre personne, mais surtout contre un ancien. Et il ne parle pas ici de la dignité sacerdotale, mais de l’âge, car les jeunes gens sont plus sujets à faillir que les vieillards. Il est évident par tout ceci que désormais une église est confiée à Timothée, ou même toute la province d’Asie ; aussi lui parle-t-il des anciens. – « Ceux qui sont en faute, réprimandez-les en présence de tous, afin que les autres en conçoivent de la crainte (20) ». C’est-à-dire, ne les rejetez pas trop vite, mais examinez tout avec une grande exactitude ; et, quand vous vous serez rendu clairement compte de l’affaire, montrez-vous plein d’énergie, afin que les autres deviennent plus retenus. Car, s’il est nuisible de condamner sans raison, ne pas agir contre les fautes manifestes, c’est ouvrir la voie aux autres, pour qu’ils osent en faire autant. Il ne dit pas seulement de réprimander, mais de le faire avec sévérité, car c’est ainsi que les autres en concevront de la crainte. Pourquoi donc le Christ a-t-il dit : « Va, et reprends ton frère entre toi et lui seul, s’il a péché contre toi » (Mt. 18,15), tandis que Paul permet de l’accuser devant l’Église ?
3. N’y aura-t-il pas là plus de scandale ? Pourquoi ? Il y en aurait davantage si l’on connaissait la faute et non le châtiment. Mais de même que, si les fautes restent impunies, les coupables se multiplient, de même la répression en redresse un grand nombre. C’est ce qu’a fait Dieu, en châtiant aux yeux de tous, Pharaon, Nabuchodonosor et bien d’autres ; nous voyons que cités et individus ont porté la peine de leurs crimes. L’apôtre veut donc que tous craignent l’évêque, et il lui donne autorité sur tous. Parce que souvent les accusations proviennent du ressentiment, dit-il, il faut des témoins, des hommes qui discutent contre l’accusé, conformément à l’ancienne loi. « Toute parole doit être appuyée par deux ou trois témoins ». (Deut. 19,15) « N’accueillez pas d’accusation contre un ancien ». Il n’a pas dit : Ne condamnez pas, mais : N’accueillez pas même d’accusation, ne le traduisez pas en jugement. Mais si deux témoins mentent ? Cela est rare, mais on peut l’éclaircir dans le jugement et faire briller la vérité. On doit s’estimer heureux qu’une faute ait deux témoins, car elles se commettent en secret et à la dérobée ; en sorte que c’est là matière à examen approfondi. Mais si les fautes sont reconnues et qu’il n’y ait pas de témoins, mais qu’on ait mauvaise opinion de l’affaire ? L’apôtre l’a dit plus haut : « Il faut que, l’évêque ait bon témoignage de ceux du dehors ».
Ayons donc l’amour et la crainte de Dieu. Il n’y a point de loi pour le juste, mais la plupart, suivant la vertu par contrainte et non par préférence, retirent de grands fruits de la crainte et répriment souvent leurs mauvais désirs. Écoutons à cause de cela les menaces qui nous sont faites de l’enfer, afin de recueillir les précieux fruits de cette crainte. Car si Dieu, qui y précipitera les pécheurs, ne nous en eût pas d’avance adressé la menace, un bien grand nombre y fussent tombés. Si en effet, maintenant que la terreur agite nos âmes, il s’en trouve plusieurs qui pèchent si facilement, comme s’il n’y avait pas d’enfer, quels crimes ne commettrions-nous pas si nous n’en avions ni la révélation ni la menace, en sorte, comme je le dis sans cesse, que l’enfer ne montre pas moins l’intérêt que Dieu nous porte que son royaume céleste. L’enfer conspire avec le paradis, puisque la crainte de l’un nous pousse vers l’autre. Ne croyons donc pas que c’est l’œuvre d’un être cruel et impitoyable, mais plutôt l’œuvre de la miséricorde et d’une immense bonté, du zèle avec lequel il veut nous attirer à lui. Si Ninive n’eût pas été menacée par Jonas de sa ruine, cette ruine se serait accomplie ; s’il n’eût pas dit que Ninive serait détruite, Ninive n’aurait pas subsisté ; si nous n’avions été menacés de l’enfer, nous y serions tous tombés ; si nous n’avions été menacés du feu, nul n’y eût échappé. Dieu dit le contraire de ce qu’il veut, afin d’accomplir ce qu’il veut : il ne veut pas la mort du pécheur, et il parle de la mort du pécheur, afin qu’il ne se précipite pas dans la mort. Ce n’est pas une simple parole ; il nous montre la réalité, afin que nous l’évitions.
Et pour que personne ne pense que c’est une vaine menace, pour qu’on en connaisse la réalité, ce qui s’est passé en ce monde le rend manifeste. Le déluge de pluie qui a fait périr le genre humain n’est-il pas une image de la géhenne du feu ? « De même », dit l’Évangile, « que dans les jours de Noé, il y avait des hommes qui se mariaient, des hommes qui donnaient leurs filles en mariage… il en sera de même alors ». (Mt. 24,37, 38) Il a prédit, cet événement longtemps d’avance ; dans l’Évangile encore il le prédit d’avance quatre siècles et davantage[16] ; mais nul ne médite ses menaces, tous les regardent comme des fables et comme un objet de risée ; nul n’a de crainte, nul ne pleure ses fautes, nul ne se frappe la poitrine. Le fleuve de feu bouillonne, la flamme s’élève, et nous, nous rions, nous vivons dans les délices, nous péchons sans crainte. Nul ne fait entrer dans son esprit ce dernier jour, nul ne pense que la vie présente passe, que tout ce que nous voyons n’a qu’un temps, bien que chaque jour les événements nous le crient et nous fassent entendre leur voix. Les morts prématurées, les changements qui ont lieu même pendant notre vie, ne nous instruisent pas, non plus que nos maladies de toute sorte. Et ce n’est pas dans nos corps seulement, mais dans les éléments aussi que l’on peut voir les changements se produire : tout nous donne occasion de méditer sur cela même dans notre jeunesse ; partout et en tout l’instabilité est signalée. Ni l’hiver, ni l’été, ni le printemps, ni l’automne ne se sont jamais arrêtés dans leur cours ; ils s’écoulent, ils s’envolent. Mais que dis-je les années et les fleurs ? Voulez-vous parler des dignités ? des rois qui sont aujourd’hui et ne seront plus demain, des riches, des demeures somptueuses, de la nuit et du jour, du soleil ? N’est-il pas souvent éclipsé, disparu dans les ténèbres, caché par un nuage ? Rien demeure-t-il de tout ce que nous voyous ? Non, rien que notre âme, et nous la négligeons ; nous faisons grand cas de ce qui change, et ce qui demeure à jamais, nous y restons indifférents, comme s’il nous échappait sans cesse. – Un tel est puissant. – Oui, jusqu’à demain, et ensuite il périra ; vous le voyez par l’exemple de ceux qui furent plus puissants que lui et qui ont disparu. La vie est un théâtre, un songe. De même que, chez les acteurs, quand le théâtre est enlevé, la diversité des rôles disparaît, de même que les songes s’envolent aux premiers rayons du matin, de même ici quand notre rôle est achevé dans la vie publique ou privée, tout se dissipe et disparaît. L’arbre que vous avez planté, la maison que vous avez bâtie demeurent après vous ; l’architecte et le laboureur sont enlevés et meurent. Et, quand nous en sommes témoins, cela ne nous change point ; nous disposons tout comme si nous étions immortels, et nous vivons dans le luxe et la mollesse.
4. Écoutez ce que dit Salomon, qui a éprouvé par lui-même ce que sont les choses de la vie présente : « Je me suis élevé des demeures », dit-il, « j’ai planté des jardins et des parcs, des vignobles… des piscines… j’ai acquis de l’or et de l’argent… je me suis procuré des chanteurs et des chanteuses, des troupeaux de gros et de menu bétail ». (Qo. 2,4-8) Nul n’a joui de tant de délices, nul n’a été si illustre et si sage, nul n’a été maître si puissant, nul n’a connu comme lui les événements passés. Mais quoi ! rien de tout cela ne l’a satisfait, et que dit-il après en avoir joui ? « Vanité des vanités, tout est vanité » (Id. 1, 2) Non pas vanité seulement, mais il s’exprime avec plus d’énergie. Croyons-en, je vous en conjure, un homme qui en a fait l’expérience, écoutons-le et entreprenons des choses où l’on ne trouve pas la vanité, mais où réside la vérité, où tout est solide et stable, où tout est fondé sur la pierre, où rien ne vieillit ni ne passe, où tout est florissant et jeune, où le temps n’a point d’action, où rien ne doit disparaître. Je vous en conjure, désirons sincèrement Dieu, non par la terreur de l’enfer, mais par le désir du royaume éternel. Dites-moi, en effet, qu’y a-t-il de semblable au bonheur de voir le Christ ? Rien assurément. Qu’y a-t-il de semblable à la jouissance des biens célestes ? Assurément rien. Biens « que l’œil n’a point vus, que l’oreille n’a point entendus, qui n’ont point pénétré dans le cœur de l’homme et que Dieu a préparés à ceux qui l’aiment ». (1Cor. 2,9)
Efforçons-nous de les obtenir, et méprisons les biens terrestres. Ne nous plaignons-nous pas souvent de ce que la vie de l’homme n’est rien ? Pourquoi donc cet empressement pour un rien ? Pourquoi se donner tant de peine pour un rien ? Vous considérez des habitations somptueuses ; est-ce cette vue qui vous trompe ? Levez donc les yeux au ciel, comparez-en la beauté avec ces pierres et ces colonnes, et vous verrez qu’elles ne sont qu’un ouvrage de fourmis et de moucherons. Adonnez-vous à la contemplation, élevez-vous vers les objets célestes, voyez de là ce que sont de somptueux édifices, et vous verrez qu’ils ne sont rien que des jeux de petits enfants. Vous savez que l’air devient plus subtil, plus léger, plus pur, plus transparent, à mesure que l’on s’élève ? C’est dans une semblable région qu’ont leurs demeures, leurs tabernacles, ceux qui pratiquent les œuvres de miséricorde. Toute habitation terrestre sera détruite à la résurrection, et, avant la résurrection, le temps, dans son cours, la détruit, la dissout, la fait disparaître. Souvent même, avant l’action du temps, dans l’éclat de la nouveauté, un tremblement de terre la renverse, un incendie la dévore ; car il y a des morts prématurées pour les édifices, comme il y en a pour les hommes : souvent, quand la terre est ébranlée, des bâtiments usés par le temps restent en équilibre, et ceux qui brillent de jeunesse, qui sont solides et nouvellement achevés, sont ébranlés et renversés par la foudre seule ; Dieu l’a réglé ainsi sans doute pour que nous ne soyons pas orgueilleux de nos constructions. Voulez-vous ne pas vous laisser décourager ? Allez dans ces édifices publics dont vous jouissez comme les autres ; car il n’est point de maison, il n’en est point, quelque somptueuse qu’elle soit, qui l’emporte sur les édifices publics ; demeurez-y autant qu’il vous plaira, ils sont à vous, à vous comme aux autres ; ils sont publics et non privés. Mais cela ne vous satisfait pas, dites-vous. Non, d’abord par l’effet de l’habitude, puis par celui de la cupidité. C’est donc la cupidité qui fait l’agrément d’une chose, et non sa propre beauté. Le plaisir c’est d’être cupide et de vouloir s’approprier ce qui est à tous.
Eh ! jusques à quand serons-nous cloués et collés à la terre ? Jusques à quand nous roulerons-nous dans la boue comme des vermisseaux ? Dieu nous a fait un corps de terre afin que nous l’élevions vers le ciel, et non pour qu’il nous serve à abaisser notre âme elle-même vers la terre ; mon corps est terrestre, mais, si je le veux, il devient céleste. Voyez quel honneur Dieu nous a fait, en nous confiant une si grande œuvre. C’est moi, dit-il, qui a fait le ciel et la terre ; je te rends participant de la création : fais de la terre un ciel, tu le peux. On dit de Dieu qu’il fait et qu’il change tout. (Amo. 5,8) Il a aussi donné cette puissance aux hommes, comme un père plein de tendresse, qui sait peindre, mais qui veut aussi instruire son fils dans cet art. Je t’ai donné, nous dit-il, un corps qui est beau ; je te confie l’accomplissement d’une œuvre plus grande : fais une belle âme. J’ai dit en effet : Que la terre produise l’herbe verdoyante… et les arbres portant des fruits » (Gen. 1,11) ; dis aussi, toi : Que la terre produise son fruit, et tout ce que tu voudras faire se produira. Je fais la chaleur et le brouillard ; je suis l’auteur du tonnerre et le créateur du vent, j’ai formé le dragon, c’est-à-dire le démon pour me jouer de lui. (Ps. 103,26) Je ne t’ai point envié cette puissance : joue-toi de lui, si tu le veux ; car tu peux le lier comme un petit oiseau. Je fais lever mon soleil sur les bons et sur les méchants : imite-moi, fais part de tes biens aux bons et aux méchants. Je suis patient dans les outrages, et je fais du bien à ceux qui me les adressent ; imite-moi, car tu le peux. Je fais le bien, non pour en obtenir en retour ; imite-moi, et tu ne le feras plus pour obtenir un retour, pour qu’on te le rende. J’ai allumé des flambeaux pour le ciel : allumes-en de plus brillants, car tu le peux ; éclaire ceux qui sont dans l’erreur, le bienfait de me connaître est plus grand que celui de voir le soleil. Tu ne peux créer un homme, mais tu peux former un juste, un homme agréable à Dieu. J’ai créé sa substance, embellis sa volonté. Vois combien je t’aime et pour quels grands objets je t’ai donné du pouvoir.
Voyez, mes bien-aimés, quel honneur vous recevez ; et cependant il est des insensés, des ingrats qui demandent pourquoi nous sommes maîtres de notre volonté. Dans tous ces objets que nous venons de parcourir, nous pouvons imiter Dieu ; il nous serait impossible de le faire si notre volonté n’était pas libre. Je règne, dit-il, sur les anges, et toi aussi par tes prémices. Je suis assis sur un trône royal, et toi aussi par tes prémices[17] : « Il nous a ressuscités et nous a fait asseoir à la droite de « Dieu ». (Eph. 2,6) Les chérubins, les séraphins, toute l’armée des anges, les principautés, les puissances, les trônes, les dominations, s’inclinent devant toi à cause de tes prémices. N’accuse pas ton corps, qui jouit d’un honneur si grand, que les puissances incorporelles vénèrent. Mais que dis-je ? Ce n’est pas seulement par là que je veux te gagner, mais aussi par mes souffrances. C’est pour toi que l’on m’a craché au visage, que l’on m’a souffleté, que j’ai anéanti ma gloire, et que, descendant du séjour de mon Père, je suis venu vers toi, qui me haïssais, qui te détournais de moi et ne voulais pas entendre mon nom ; j’ai couru à ta poursuite afin de te saisir ; je t’ai uni et attaché à moi-même ; je t’ai dit : Mange ma chair et bois mon sang ; je t’élève au ciel et je viens t’embrasser sur la terre. Je ne me suis pas contenté de placer si haut tes prémices, cela ne suffisait pas à mon amour. Je suis descendu sur la terre ; et je ne me joins pas seulement à toi, mais je pénètre tout ton être, je suis mangé par toi, je m’amincis peu à peu, afin que la fusion, que l’union soient plus parfaites. Ce qui s’unit demeure dans les limites de sa propre étendue, mais moi je ne fais plus qu’un tout avec toi. Je veux que rien ne nous sépare plus ; je veux que nous ne fassions plus qu’un. Sachant cela, sachant la grande tendresse de Dieu pour nous, faisons tout pour ne pas être indignes de si grands dons ; obtenons-les tous dans le Christ Jésus Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVI.

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JE VOUS ATTESTE EN PRÉSENCE DE DIEU, ET DE JÉSUS-CHRIST, ET DES ANGES ÉLUS, DE GARDER TOUTES CES PAROLES, SANS PRÉJUGÉ, NE FAISANT RIEN PAR SIMPLE PENCHANT. N’IMPOSEZ PROMPTEMENT LES MAINS A PERSONNE, ET NE VOUS RENDEZ PAS COUPABLE DES FAUTES D’AUTRUI. CONSERVEZ-VOUS CHASTE. CESSEZ DE NE BOIRE QUE DE L’EAU, MAIS FAITES USAGE D’UN PEU DE VIN, À CAUSE DE VOTRE ESTOMAC ET DE VOTRE FRÉQUENT ÉPUISEMENT. (V, 21-23 ; JUSQU’À VI, 1)

Analyse.

[modifier]
  • 1. Des ordinations ; qu’elles ne doivent pas se faire trop promptement et sans un examen préalable très-sérieux.
  • 2. Devoirs des serviteurs. – Exhortation morale au service de Dieu.


1. Après avoir parlé des évêques, des diacres, des hommes, des femmes, des veuves, des vieillards et de tous ; après avoir montré quels sont les pouvoirs de l’évêque en qualité de juge, l’apôtre ajoute : « Je vous atteste en présence de Dieu et de Jésus-Christ et des anges élus, de garder toutes ces paroles, sans préjugé, ne faisant rien par simple penchant ». C’est sur un ton terrible qu’il continue ses prescriptions, car, si Timothée est son enfant chéri, il n’hésite pas pour cela. Celui qui n’a pas craint de dire de lui-même : « Je crains qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même » (1Cor. 9,27), n’aurait pas hésité ni craint en parlant de Timothée. Mais il atteste le Père et le Fils ; et pourquoi aussi les anges ? C’est un effet de sa grande modestie. Moïse dit de même : « Je prends à témoin le ciel et la terre » (Deut. 4,26), pour ne pas prononcer le nom du Seigneur ; et il est dit encore : « Écoutez, précipices et fondements de la terre ». (Mic. 6,2) Paul prend le Père et le Fils à témoin de ses paroles, se justifiant devant eux pour le jour à venir, s’il se produit quelque infraction au devoir, comme s’étant acquitté de tout le sien. – « De garder toutes ces paroles sans préjugé, ne faisant rien par simple penchant » ; c’est-à-dire, vous mettant vous-même au rang de ceux qui sont jugés par vous, afin que personne ne vous gagne et ne se rende maître de votre jugement. Et pourquoi dire : « Les anges élus ? » C’est qu’il y en a qui ne le sont pas. Jacob aussi prend à témoin Dieu et la colline.
Ainsi nous-même nous prenons souvent à témoin des personnages éminents et d’autres moindres, afin de rendre notre témoignage plus imposant. C’est comme s’il disait : Je prends à témoin Dieu, son Fils et ses serviteurs, des préceptes que je vous ai donnés ; c’est en leur présence que je vous les donne ; inspirant par là de la crainte à Timothée.
Puis il continue par l’objet le plus opportun, celui qui renferme surtout le salut de l’Église, les ordinations. « N’imposez promptement », dit-il, « les mains à personne, et ne vous rendez pas coupable des fautes d’autrui ». Qu’est-ce à dire : « Promptement ? » C’est-à-dire, qu’il ne suffit pas d’une première, d’une seconde, ni d’une troisième épreuve, mais qu’il faut une étude bien des fois répétée et un examen approfondi, car ce n’est pas une œuvre sans péril. Vous serez en effet responsable des fautes du prêtre, si voles êtes l’auteur de leur origine, des fautes qui ont précédé l’ordination et de celles qui la suivront. Parce que vous aurez été à contretemps indulgent pour les premières, vous serez responsable des secondes, dont vous serez la cause, et aussi des fautes passées parce que vous aurez dispensé le coupable du repentir et de la componction. Car de même que vous avez part aux avantages spirituels de vos disciples, vous participez aussi à leurs fautes. – « Conservez-vous chaste ». Il parle ici de la continence. « Cessez de ne boire que de l’eau, mais faites usage d’un peu de vin, à cause de votre estomac et de votre fréquent épuisement ». Si, à un homme si fort adonné au jeûne, et faisant de l’eau un usage si constant, qu’il se trouve épuisé et fréquemment épuisé, l’apôtre prescrit de se modérer, et si Timothée ne s’y refuse pas, combien plus ne devons-nous pas nous irriter si nous entendons quelque discours qui nous froisse. Et comment, dira-t-on, n’a-t-il pas fortifié l’estomac de son disciple, lui dont les vêtements ressuscitaient les morts ? Car il est clair qu’il le pouvait. Pourquoi donc ne l’a-t-il pas fait ? Afin que si nous voyons aujourd’hui de grands hommes, des hommes vertueux affligés de maladies, nous n’en soyons pas scandalisés, car c’est pour leur avantage qu’il en arrive ainsi. Si un ange de Satan a été donné à Paul pour qu’il ne s’enorgueillît point (2Cor. 12,1), combien plus à Timothée, car ses miracles auraient pu l’entraîner à l’orgueil. Il le laisse donc soumis aux lois de la médecine, afin qu’il modère aussi ses pensées et que les autres ne soient pas scandalisés, mais qu’ils apprennent que Paul et Timothée étaient de notre nature, eux qui ont fait de tels progrès dans la vertu. Car Timothée paraît avoir été maladif, ce que l’apôtre fait entendre quand il dit : « À cause de votre fréquent épuisement », de l’estomac et du reste du corps. Mais il ne lui permet pas de se remplir de vin sans modération ; il le lui permet pour la santé, non pour la mollesse.
« Les péchés de certains hommes sont manifestes et précèdent le jugement ; pour d’autres, les péchés suivent (24) ». L’apôtre vient de dire, en parlant des ordinations : « Ne vous rendez pas coupable des fautes d’autrui ». Mais, dira-t-on, si je les ignore ? « Les péchés de certains hommes sont manifestes et précèdent le jugement ; pour d’autres, les péchés suivent ». Les péchés des uns sont connus parce qu’ils sont antérieurs au jugement ; et ceux des autres non, parce qu’ils sont postérieurs. « De même aussi les bonnes œuvres sont manifestes, et celles qui ne le sont pas ne peuvent longtemps rester cachées (25) ».
« Que ceux qui sont sous le joug de la servitude regardent leurs maîtres comme dignes de tout honneur, afin que le nom et la doctrine du Seigneur ne soient point blasphémés ». (6, 1) Qu’ils les regardent comme dignes de tout honneur. Ne pensez pas être libre, parce que vous êtes fidèle ; mais c’est un acte de liberté que de mieux aimer servir. Car l’infidèle, s’il voit que ses esclaves se comportent avec insolence, parce qu’ils ont la foi, proférera des blasphèmes, en disant que la croyance chrétienne rend séditieux ; s’il les voit obéissants, il cédera plus facilement et prêtera mieux l’oreille à la parole de Dieu. Car autrement Dieu et sa prédication seront blasphémés. Mais, dira-t-on, si les maîtres sont fidèles ? Même alors il faut être docile, à cause du nom du Seigneur. « Que ceux qui ont des maîtres fidèles ne les méprisent point parce qu’ils sont leurs frères, mais qu’ils les servent avec plus de soin, parce qu’ils sont fidèles et aimés de Dieu, participant au même bienfait (2) ».
2. Si donc vous avez reçu cet honneur de trouver des frères dans vos maîtres, c’est un devoir plus grand d’être dociles envers eux. – « Antérieurement au jugement ». L’apôtre veut dire que, parmi les mauvaises actions, il en est qui sont ignorées, et d’autres qui ne le sont pas, mais qu’au jour du jugement, ni les bonnes ni les mauvaises ne resteront cachées. Qu’est-ce à dire, antérieurement au jugement qu’elles provoquent ? Par exemple, lorsqu’un homme commet des péchés qui le condamnent à l’avance, quand il est incorrigible, quand on espère en vain qu’il se corrigera. Et pourquoi l’apôtre dit-il cela ? Parce que, quand ces pécheurs se cacheraient ici-bas, ils ne seront point ignorés dans ce jugement où tout sera mis à nu. Il y a là aussi un grand encouragement pour les justes. Entre les prescriptions précédentes, telles que : Ne faisant rien par simple penchant, etc, et celle-ci : Tous ceux qui sont sous le joug, il y a une suite naturelle, nécessaire ; celles-ci sont le développement de celles-là. Celles-ci regardent-elles l’évêque ? Oui, sans doute, puisqu’il doit exhorter les serviteurs. Nous voyons partout l’apôtre adresser ses préceptes aux esclaves plus qu’aux maîtres ; leur montrant les voies de la soumission, et tenant d’eux un très-grand compte. Aux maîtres il dit : « Renoncez aux menaces ». (Eph. 6,9) – Mais pourquoi ces avis ? Les infidèles en avaient besoin ; mais il ne pouvait s’adresser qu’à ceux qui avaient embrassé la foi ; et pour ceux-ci, à quoi bon ? Parce que les maîtres donnent plus à leurs serviteurs que les serviteurs à leurs maîtres. Ce sont les maîtres qui paient pour l’entretien de leurs serviteurs, pour leur habillement, pour tous leurs besoins ; en sorte que les maîtres sont plutôt les serviteurs de leurs esclaves, et c’est ce qu’il veut faire entendre, quand il dit « Parce qu’ils sont fidèles et aimés de Dieu, participant au même bienfait ». Ils se fatiguent et prennent de la peine pour votre repos ; ne doivent-ils pas être grandement honorés de leurs serviteurs ?
Mais, s’il a prescrit aux esclaves d’être ainsi obéissants, songez comment nous devons nous conduire envers notre Maître, qui nous a fait passer du néant à l’être, qui nous donne la nourriture et le vêtement. Servons-le au moins comme nos domestiques nous servent. N’y emploient-ils pas leur vie tout entière, pour que leurs maîtres vivent en repos ? Leur occupation, leur vie, c’est de prendre soin des intérêts de leurs maîtres. Ne s’en préoccupent-ils pas toute la journée, n’ayant souvent à disposer pour eux-mêmes que d’une petite partie de la soirée ? Nous, tout au contraire, nous nous préoccupons sans cesse de nos intérêts ; ceux de notre maître ne nous prennent pas la moindre partie du jour ; et pourtant il ne nous demande pas ce qui est à nous, comme le font les maîtres à l’égard de leurs esclaves ; mais ce que nous faisons pour lui tourne à notre propre avantage. Là, en effet, le travail du serviteur était profitable au maître ; ici le service de l’esclave ne profite point au maître, mais au serviteur seul. « Vous n’avez pas besoin de mes biens », dit le Psalmiste. (Ps. 15,2) Car, dites-moi, quel profit revient-il à Dieu que je sois juste ? Que perd-il si je suis injuste ? Son essence n’est-elle pas inaltérable et impassible ? N’est-elle pas au-dessus de la souffrance ? Les esclaves n’ont rien à eux ; tout est à leur maître, quelque riches qu’ils deviennent, et nous avons bien des choses en propre. Et cet honneur n’est pas tout ce que nous recevons du Roi de l’univers. Quel maître a donné son propre fils pour son serviteur ? Aucun ; tous donneraient plutôt leurs serviteurs pour leurs enfants. Ici c’est tout le contraire. Dieu n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous, pour tous ses ennemis, pour ceux qui le haïssent. Les esclaves, quand on leur donnerait des ordres pénibles, ne se fâchent point, mais se montrent plein de reconnaissance ; et nous, nous regimbons en mille occasions. Un maître ne promet point à ses serviteurs de récompenses telles que Dieu nous en promet. Que promet-il, le maître ? La liberté qui est souvent plu difficile à supporter que la servitude. Souvent sous la pression de la faim, on la trouve plu amère, quelque grand qu’en soit le don. Au près de Dieu, rien de précaire, rien de corruptible ; mais que nous promet-il ? « Je ne vous appellerai plus serviteurs, vous êtes mes amis ». (Jn. 15,15)
Rougissons et craignons, mes bien-aimés nous devrions servir notre maître au moins comme nos domestiques nous servent ; mai la plupart du temps nous ne lui témoignons point notre service. Ceux-là sont philosophe malgré eux ; ils n’ont que le vêtement et la nourriture ; tandis que nous insultons à Dieu par notre mollesse. Si nous n’en recevons pas d’ailleurs, recevons d’eux des leçons de sagesse. L’Écriture renvoie bien les hommes à l’école, non des esclaves, mais des animaux sans raison, quand elle nous commande d’imiter les abeilles ou les fourmis. Pour moi, je vous exhorte à imiter vos serviteurs : faisons au moins par crainte de Dieu tout ce qu’ils font par crainte de leurs maîtres ; car je ne vois pas que vous le fassiez. Bien souvent par crainte ils se laissent insulter et demeurent plus silencieux que n’importe quel philosophe ; on les insulte à tort ou à raison, et ils ne répliquent pas ; mais ils demandent pardon, souvent sans avoir fait de mal. Ils ne reçoivent que le nécessaire, souvent moins que le nécessaire, et ils prennent patience ; ils dorment sur une natte de jonc, ils ne se nourrissent que de pain, toute leur existence est pauvre, et ils ne réclament point, ils ne se fâchent point, parce qu’ils nous craignent. Quand on leur confie de l’argent, ils le rendent tout entier : ne me parlez pas de ceux qui sont pervers, mais ceux qui ne sont pas trop mauvais cèdent à la première menace. N’est-ce pas là de la philosophie ? Ne me dites pas qu’ils le font par nécessité, car vous avez, vous aussi, la nécessité d’éviter l’enfer, et cependant vous n’avez point tant de prudence et ne rendez point tant d’honneur à Dieu que ne vous en rendent vos esclaves. Chacun d’eux a sa demeure déterminée, et n’empiète pas sur celle de son camarade, non plus que la cupidité de celui-ci ne lui fait tort. La crainte de leur commun maître les maintient dans le devoir.
Rarement un serviteur fait tort à un autre ou en reçoit quelque dommage.
Mais, parmi les hommes libres, le contraire a lieu ; nous nous déchirons, nous nous dévorons les uns les autres ; nous ne craignons point notre maître, nous ravissons ce qui appartient à des serviteurs comme nous, nous volons, nous frappons, sous ses yeux. Nul esclave ne ferait cela ; s’il frappe, c’est loin des yeux de son maître ; s’il profère des injures, c’est loin de ses oreilles ; mais nous osons tout, et pourtant Dieu nous voit et nous entend. La crainte du maître leur est toujours présente ; à nous, jamais. C’est pour cela que l’on voit partout le bouleversement, la confusion, la corruption ; nous ne réfléchissons point à nos péchés, et, quand nos serviteurs commettent des fautes même les plus petites, nous les examinons toutes avec rigueur. Je ne dis point cela pour enseigner la paresse aux esclaves, mais pour secouer la nôtre, pour réveiller notre nonchalance, afin que nous soyons au moins pour Dieu ce que nos esclaves sont pour nous, eux qui sont de même nature que nous et n’ont point reçu de nous des bienfaits comparables à ceux dont Dieu nous comble. Eux aussi sont libres par nature. La parole : « Qu’ils commandent aux poissons, etc. » (Gen. 1,26), a été dite aussi pour eux. La servitude ne vient pas de la nature ; elle vient d’un châtiment et de circonstances malheureuses, et cependant ils nous portent un grand respect. Nous leur prescrivons exactement tout ce qui concerne notre service, et la plupart du temps nous nous dérobons à celui de Dieu dont tout l’avantage est pour nous. Car plus nous serons zélés à ce service, plus nous aurons de bonheur et de gain. Ne nous privons point nous-mêmes d’un tel avantage ; car Dieu se suffit et n’a besoin de rien ; récompense et gain retomberont sur nous. Il semble donc que ce ne soit pas Dieu que nous servons, mais nous-mêmes ; obéissons-lui avec crainte et tremblement, afin d’obtenir les biens promis par Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE XVII.

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ENSEIGNEZ CELA, EXHORTEZ A L’ACCOMPLIR. SI QUELQU’UN DONNE UN ENSEIGNEMENT DIFFÉRENT ET N’ACQUIESCE POINT AUX PURES DOCTRINES DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, ET A LA SCIENCE QUI EST CONFORME A LA PIÉTÉ, C’EST UN ORGUEILLEUX QUI NE SAIT RIEN, MAIS QUI A LA MALADIE DES RECHERCHES ET DES DISPUTES DE MOTS, D’OÙ NAISSENT L’ENVIE, LES QUERELLES, LES BLASPHÈMES, LES SOUPÇONS MAUVAIS, LES FROISSEMENTS EXCITÉS PAR DES HOMMES D’UN ESPRIT GÂTE, ÉLOIGNÉS DE LA VÉRITÉ, CONFONDANT LE GAIN ET LA PIÉTÉ [ÉLOIGNEZ-VOUS DE CES HOMMES]. OUI, C’EST UN GRAND GAIN QUE LA PIÉTÉ AVEC LA MODÉRATION DANS LES DÉSIRS. CAR NOUS N’AVONS RIEN APPORTÉ EN CE MONDE, ET IL N’EST PAS DOUTEUX QUE NOUS N’EN POURRONS RIEN EMPORTER. (VI, 2-7 JUSQU’À 12)

Analyse.

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  • 1. Il faut, à celui qui est chargé d’enseigner, de l’autorité et de la douceur. – L’orgueil naît de l’ignorance.
  • 2. La cupidité est ennemie de la foi et du salut.
  • 3. Elle est la racine de tous les maux.


1. Celui qui enseigne n’a pas seulement besoin d’autorité, mais d’une grande douceur ; comme il n’a pas besoin de douceur seulement, mais aussi d’autorité. Tout cela, le bienheureux Paul l’enseigne en disant, tantôt : « Prescrivez et enseignez ceci », tantôt : « Enseignez cela, exhortez à l’accomplir ». Car, si les médecins exhortent leurs malades, non pour revenir eux-mêmes à la santé, mais pour les guérir de leurs maladies et les remettre sur pied, nous devons bien davantage user aussi d’exhortations envers ceux que nous enseignons. Le bienheureux Paul, en effet, ne refuse point de servir, quand il dit : « Nous ne nous prêchons point nous-mêmes, mais nous prêchons le Christ Jésus ; et quant à nous, nous mous regardons comme vos serviteurs, à cause de Jésus » (2Cor. 4,5) ; et ailleurs : « Tout est à vous, que ce soit Paul ou Apollon ». (1Cor. 3,22) Il sert ainsi de grand cœur, car ce n’est point une servitude, mais un état meilleur que la liberté. « Celui-là est esclave », dit l’Écriture, « qui commet le péché ». (Jn. 8,34)
« Si quelqu’un donne un enseignement « différent, et n’acquiesce point aux pures doctrines de Notre-Seigneur Jésus-Christ et à la science qui est conforme à la piété, c’est un orgueilleux qui ne sait rien ». Ce n’est donc pas la science qui conduit au vertige de l’orgueil, c’est l’ignorance. Car celui qui connaît la doctrine conforme à la piété, sait parfaitement se modérer ; celui qui connaît les saines doctrines n’a pas l’esprit malade. Ce qu’est l’inflammation pour les corps, l’orgueil l’est pour les âmes ; nous ne pouvons pas plus dire d’un orgueilleux que d’un homme souffrant d’une inflammation, qu’il se porte bien. Mais est-il donc possible de ne rien savoir en sachant quelque chose ? Oui, car celui qui ne sait pas ce qu’il doit savoir, ne sait rien ; et l’on voit ici manifestement que l’arrogance naît de l’ignorance. Le Christ s’est anéanti ; celui qui sait cela ne s’enflera jamais ; car l’homme n’a rien qu’il ne tienne de Dieu ; il ne s’enfle donc pas. « Qu’avez-vous que vous n’ayez reçu ? » (1Cor. 4,7) Le Christ lui-même a lavé les pieds de ses disciples ; qui donc, sachant cela, pourra se gonfler d’orgueil ? C’est pourquoi il a dit : « Quand vous aurez tout accompli, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles ». (Lc. 17,10) Le publicain a été loué, seulement pour son humilité, et le pharisien s’est perdu par son arrogance. Celui donc qui s’enorgueillit ne sait rien de tout cela. Le Christ a dit aussi : « Si j’ai mal parlé, rendez-en témoignage ; si j’ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? » (Jn. 18,23) L’apôtre dit : « Mais qui a la maladie des recherches ». Rechercher ces choses, c’est donc être malade ; « et des disputes de mots » ; oui, sans doute ; car lorsque les raisonnements ont donné la fièvre à une âme, lorsqu’elle est agitée, elle cherche ; lorsqu’elle est en santé, elle ne cherche point, elle accepte la foi. La recherche et les disputes de mots ne conduisent à rien. Car ce que la foi seule annonce, quand la recherche veut se charger de le découvrir, elle ne nous le fait pas voir et ne nous le laisse pas comprendre. Si quelqu’un veut trouver, en fermant les yeux, un objet qu’il cherche, ou si, les tenant ouverts, il s’ensevelit dans une fosse et détourne son regard du lieu de ses recherches, il ne pourra rien trouver. C’est ainsi qu’en dehors de la foi, rien ne se découvre, mais il naît inévitablement des troubles. – « D’où naissent les blasphèmes, les soupçons mauvais » ; c’est-à-dire les opinions et les doctrines perverses qui proviennent de ces recherches ; alors, en effet, nous soupçonnons au sujet de Dieu ce qu’il ne faut pas. « Les froissements », c’est-à-dire les exercices inutiles de la parole. Ou peut-être encore veut-il dire que, comme les brebis galeuses communiquent leur mal à celles qui sont saines, il en est de même des hommes pervers.
« Éloignés de la vérité, confondant le gain et la piété ». Vous voyez combien de malheurs l’apôtre nous dit produits par les disputes de mots : l’avidité honteuse pour le gain, l’ignorance, l’orgueil, qui est enfanté par l’ignorance elle-même. – Éloignez-vous de ces hommes, ne vous rencontrez point avec eux. « Évitez l’hérétique, après une première et une seconde réprimande ». (Tit. 3,10) Il nous montre que leur ignorance-même vient surtout de leur négligence. Pourrez-vous persuader des hommes qui luttent pour des richesses ? Non, vous ne le pourrez qu’en leur donnant encore, et même ainsi vous ne contenterez point leurs désirs. « L’œil de l’homme cupide est insatiable ; il ne se contente point d’un résultat partiel ». (Sir. 14,9) Il faut donc se détourner de ceux qui sont incorrigibles. Mais s’il avertit celui qui se trouvait dans la nécessité de lutter, de ne pas se rencontrer avec ces hommes et de ne pas se lier avec eux, combien plus nous, qui sommes au rang des simples disciples.
Et comme il a dit que ces hommes confondent le gain et la piété, il ajoute : « Oui, c’est « un grand gain que la piété, avec la modération dans les désirs » ; non lorsqu’on possède des richesses, mais lorsqu’on n’en possède pas. Car, afin que son disciple ne tombe pas dans l’abattement à cause de sa pauvreté, il le relève et le soutient. « Ils la confondent avec le gain ». Oui, c’en est un, mais d’une autre et meilleure nature. Ayant abaissé l’un de ces avantages, il exalte l’autre. Le gain d’ici-bas n’est rien : il demeure sur la terre, il ne nous suit pas, il n’émigre point avec nous. Qu’est-ce qui le prouve ? C’est que nous sommes venus, dans la vie sans rien avoir ; nous devon ; donc en partir sans rien emporter ; nu est venu notre corps, nu il s’en ira. Nous n’avons donc pas besoin de superflu ; si nous n’avons rien apporté, nous partirons sans rien avoir, comme le dit l’apôtre. « Si nous avons ici la nourriture et le vêtement, nous nous contenterons de cela (8) ». II faut manger seulement ce qui suffit à nous nourrir, se vêtir seulement de ce qui suffit à nous couvrir, à envelopper notre nudité ; rien de superflu : le premier vêtement venu peut y : suffire.
2. L’apôtre ensuite nous excite à nous détacher des biens terrestres. « Ceux qui veulent s’enrichir ». Il ne dit pas simplement Ceux qui sont riches, mais : Ceux qui veulent l’être. Car il est possible qu’un homme possède des richesses et en fasse un emploi honorable, en les méprisant et les distribuant aux pauvres. Ce ne sont pas ceux-là qu’il accuse, mais ceux qui désirent les richesses. « Ceux qui veulent s’enrichir », dit-il, « tombent dans la tentation et dans le piège du démon, set dans beaucoup de désirs vains et nuisibles qui engloutissent les hommes (9) ». Oui, engloutissent, en sorte qu’ils ne peuvent plus se relever, « dans leur raine et leur perte », et en ce monde et en l’autre. « En effet, la racine de tous les maux est l’amour de l’argent, dont le désir en a conduit plusieurs à s’égarer hors de la foi, et à se tourmenter de nombreuses douleurs (10) ». Ici l’apôtre signale deux malheurs, mais il place le dernier celui qui leur parait le plus grand, les nombreuses douleurs. On ne peut savoir, sans demeurer près des riches, combien ils font entendre de gémissements et de lamentations allais vous, homme de Dieu ». C’est là une grande dignité ; car tous les hommes appartiennent à Dieu, mais spécialement les justes, qui ne lui appartiennent pas seulement par leur création, mais par les liens de l’amour. Si vous êtes un homme de Dieu, lui fait-il entendre, ne cherchez pas ce qui est superflu et ne conduit point à Dieu ; mais « fuyez ces choses », ajoute-t-il, « et recherchez la justice ». L’un et l’autre avec ardeur ; car il n’a pas dit : Écartez-vous, approchez-vous ; mais : Fuyez, poursuivez ; « la justice », afin de ne pas commettre de fraudes ; « la piété », dans la croyance ; « la foi », qui est opposée à la recherche ; « la charité, la patience, la douceur (11). Combattez le bon combat de la foi, atteignez la vie éternelle, (voici le prix), a à laquelle vous avez été appelé, et que vous avez noblement confessée », dans l’espérance de la vie éternelle, « en présence de nombreux « témoins (12) » ; c’est-à-dire, ne faites pas honte à votre généreuse confession ; pourquoi auriez-vous subi des travaux inutiles ?
Et à quelle tentation, à quel piège l’apôtre dit-il que sont exposés ceux qui veulent s’enrichir ? Cette passion les égare hors de la foi, les environne de périls, et les rend timides. Il parle de désirs vains ; comment leurs désirs ne le seraient-ils pas, quand on leur voit des fous, des nains, non par humanité, mais comme des amusements ; quand ils renferment des poissons dans les cours de leurs palais, quand ils nourrissent des bêtes sauvages, quand ils donnent leur temps à des chiens, quand ils parent des chevaux et ne s’en éprennent pas moins que de leurs enfants ? Tout cela est vain et superflu ; il n’y a là rien de nécessaire ni d’utile. « Des désirs vains et nuisibles ». Quels sont ces désirs nuisibles ? Les passions déraisonnables, le désir du bien d’autrui, la recherche ardente de la mollesse, l’attrait pour l’ivrognerie, pour le meurtre et la perte d’autrui. Beaucoup, poussés par ces passions, ont aspiré au pouvoir et y ont trouvé leur perte ; vraiment, celui qui se conduit ainsi se fatigue pour des objets inutiles, ou plutôt nuisibles. L’apôtre s’est parfaitement exprimé : « Ils se sont égarés hors de la foi » ; car la cupidité, attirant leurs yeux, ne leur permet plus de voir le chemin, et peu à peu les soustrait à la vérité. Car, de même qu’un homme, suivant un chemin bien tracé, et préoccupé de quelque chose, continue de marcher, mais dépasse souvent, sans le savoir, la ville où il se rendait, parce que ses pieds l’ont conduit machinalement et sans but, la cupidité a des effets semblables. « Ils se sont embarrassés dans de nombreuses douleurs ». Vous voyez ce qu’il fait entendre par : « Se sont embarrassés ». Ce sont comme des épines : ceux qui y touchent ensanglantent leurs mains et se blessent. C’est ce qu’éprouve celui qui s’engage dans la cupidité : son âme y trouve des chagrins qui l’enveloppent comme un filet douloureux. Combien ces hommes n’ont-ils pas de soucis et de douleurs ? Aussi l’apôtre ajoute-t-il : « Fuyez ces choses et poursuivez la justice, la piété, la foi, la charité, la patience, la douceur ». De la charité naît la douceur. L’apôtre loue aussi la hardie sincérité et le courage de son disciple, sa noble confession en présence de nombreux témoins. Il lui rappelle son enseignement : « Atteignez », lui dit-il, « la vie éternelle ».
Il ne faut donc pas seulement confesser la foi, mais pratiquer la patience, en persistant dans cette confession ; endurer, comme il est juste, un rude combat et des sueurs abondantes, en sorte que l’on n’en dévie point, car les scandales et les obstacles sont nombreux. C’est pour cela que le chemin est étroit et difficile. Il faut donc être léger de bagage et agile ; de tous côtés mille plaisirs se présentent, qui séduisent les yeux de l’âme : plaisirs des sens, des richesses, de la mollesse, de la nonchalance, de la réputation, de la colère, du pouvoir, de l’ambition ; ils se montrent avec un visage éclatant et attrayant, capable de fasciner et d’entraîner ceux qui ne sont pas énergiquement amoureux de, la vérité. Car elle est sèche et n’a rien qui séduise. Pourquoi ? Parce qu’elle ne promet de plaisir que pour un temps futur, tandis que ses rivales nous offrent des honneurs, des voluptés, un repos, non pas véritables, mais revêtus de fausses couleurs. Celui donc qui a une âme vulgaire, qui est mou et lâche, s’attache à elles et renonce aux travaux. C’est ainsi que, dans les combats du paganisme, celui qui ne souhaite pas ardemment d’obtenir des couronnes, peut, après la première, s’adonner aux banquets et au vin ; c’est ce que font les pugilistes sans résolution ni courage. Mais ceux qui ont les yeux fixés sur la couronne, préfèrent mille coups, car l’espoir des prix à venir les soutient et les relève.
3. Écartons-nous donc de la racine des maux, et nous les éviterons tous. « La racine de tous les maux », dit l’apôtre, « est l’amour de l’argent ». C’est Paul qui l’a dit, ou plutôt c’est Jésus-Christ. Et voyons comment le témoigne l’expérience même de la vie. Quel est, en effet, le mal qui n’est pas produit par les richesses, ou plutôt, non par les richesses elles-mêmes, mais par la volonté mauvaise de ceux qui n’en savent pas faire usage ? On pouvait s’en servir pour l’accomplissement de ses devoirs et acquérir par leur moyen l’héritage du royaume céleste ; mais aujourd’hui, ce qui nous a été donné pour le soulagement des pauvres, pour alléger le poids de nos péchés, pour honorer Dieu et lui plaire, nous nous en servons contre les malheureux indigents, ou plutôt contre nos propres âmes et pour offenser Dieu. Un homme dépouille son prochain de ce qui est à lui ; il l’a précipité dans la misère, mais il s’est précipité dans la mort ; le spolié sèche de misère, mais le spoliateur se livre à un châtiment sans fin. N’est-il pas aussi malheureux ? Et quel est le mal qui n’en résulte pas ? Les suites n’en sont-elles pas les fraudes, les rapines, les pleurs, les haines, les luttes, les querelles ? On porte la main jusque sur les morts, jusque sur son père et son frère ; on ne respecte ni lois de la nature, ni commandements de Dieu ; tout est bouleversé, en un mot, n’est-ce pas la cupidité qui tyrannise ainsi les hommes ? N’est-ce pas là ce qui a fait établir les tribunaux ? Faites disparaître l’amour des richesses, et la guerre a pris tin, les luttes, les haines, les altercations, les querelles n’existent plus. De tels hommes devraient être chassés de la terre, comme des fléaux publics et des loups. De même que des vents violents et contraires, tombant sur une mer calme, la soulèvent jusqu’aux abîmes et mêlent aux vagues le sable qui se trouve au fond, de même les hommes, amoureux de la richesse, bouleversent le monde. Un tel homme ne connaît point d’ami, que dis-je, d’ami ? Il ne sait pas même qu’il y a un Dieu ; sous l’empire de sa passion, il est devenu insensé.
Ne voyez-vous pas les Titans qui se précipitent, prêts à frapper ? C’est l’image de cette fureur, c’en est l’image fidèle ; ils sont comme les Titans furieux et hors d’eux-mêmes. Si vous mettez leur âme à nu, vous la trouverez dans de semblables dispositions ; ce n’est pas un glaive ou deux qu’elle a saisis, mais des milliers ; elle ne reconnaît plus personne, mais elle est transportée de rage contre tous, elle s’élance et aboie contre tous ; ce ne sont pas des chiens mais des âmes humaines qui sont ses victimes, et contre le ciel même elle pousse d’affreux blasphèmes. De tels hommes ont tout bouleversé, tout perdu, entraînés qu’ils sont par la fureur des richesses. Je ne sais, non je ne sais qui mettre en cause, tant cette peste est universelle ; les uns en sont atteints davantage, d’autres moins, mais tous le sont. Comme un bûcher allumé au milieu d’un bois le détruit et en fait un désert, de même cette passion a dévasté toute la terre : rois, magistrats, citoyens, pauvres, femmes, hommes, enfants, tous enfin sont en son pouvoir. C’est comme une nuit qui s’est étendue sur le monde ; nul ne sort de cet enivrement ; mille accusations publiques et privées ; s’élèvent contre la cupidité, mais personne ne s’en corrige.
Que pourrait-on faire ? Comment éteindre cette flamme ? Eh bien ! quand elle se serait élevée jusqu’au ciel, pour s’en rendre maître il suffit de le vouloir. Comme c’est la volonté qui l’a développée, c’est la volonté qui l’anéantira. N’est-ce pas notre libre arbitre qui en est l’auteur ? Il pourra aussi l’éteindre ; veuillons-le seulement. Et cette volonté, comment naîtra-t-elle en nous ? Si nous considérons combien cette possession est frivole et vaine ; que les richesses ne sauraient nous suivre dans l’autre vie, que même en cette vie elles nous abandonnent souvent ; que cette passion demeure ici, mais que les blessures qu’elle nous a faites, nous les emportons dans l’autre monde ; si nous considérons encore quelle est la richesse des cieux pour la comparer avec celle de la terre, celle-ci nous paraîtra plus vile que de la boue ; si nous voyons qu’elle comporte mille dangers, que le plaisir en est passager et mêlé de dégoûts ; si nous méditons sur la richesse de la vie éternelle, alors nous pourrons mépriser celle du monde ; si nous voyons que celle-ci nous est inutile pour notre renommée, notre santé, tout enfin, mais qu’elle nous abîme au contraire dans notre perte et notre ruine. Ici vous êtes riches et avec de nombreux subordonnés ; là-bas vous arriverez seul et nu. Si nous nous le répétons sans cesse et que nous l’entendions répéter, peut-être guérirons-nous, peut-être échapperons-nous à ce terrible châtiment. Une perle est belle ? Pensez que c’est de l’eau de mer, qu’elle y était d’abord perdue. L’or et l’argent sont beaux ? Pensez donc que c’est de la terre et de la cendre. Les vêtements de soie sont beaux ? mais ils sont tissés par des vers. Cette beauté réside dans l’opinion, dans le préjugé des hommes et non dans la nature ; car ce qui est naturellement beau n’a pas besoin qu’on enseigne à le remarquer. Si vous voyez une pièce de cuivre simplement recouverte d’or, vous l’admirez en l’appelant de l’or, mais, quand les gens du métier vous auront fait connaître la fraude, l’admiration aura disparu avec l’erreur. Voyez-vous que cette beauté ne réside pas dans la nature ? Et l’argent ? En voyant de l’étain vous l’admirez pour de l’argent, comme du cuivre pour de l’or ; il faut se faire instruire pour savoir si l’on doit admirer. Ainsi, les yeux ne suffisent pas pour le reconnaître. Les fleurs valent mieux ; il n’en est pas ainsi d’elles. Si vous voyez une rose, vous n’avez pas besoin qu’on vous apprenne ce qu’elle est ; vous saurez bien la distinguer de l’anémone ; et de même la violette, le lys, chaque fleur enfin. C’est donc un préjugé que l’admiration dont je parlais. Et, pour vous faire comprendre qu’un préjugé en est la source, dites-moi, s’il plaisait à l’empereur de décréter que l’argent vaut plus que l’or, cet enthousiasme séducteur ne changerait-il pas d’objet ? Ainsi nous sommes partout les jouets de la cupidité et de l’opinion. Qu’il en soit ainsi, que la rareté soit la cause des prix qu’on met aux objets, en voici une preuve. Il est des fruits vendus ici à vil prix et qui sont chers en Cappadoce, plus chers que ceux qui sont précieux chez nous ; il en est de même pour les pays des Sères d’où nous viennent ces étoffes de luxe ; dans l’Arabie et l’Inde, pays des aromates et des pierres précieuses, on signalerait bien des faits semblables. C’est donc un préjugé que cette opinion ; nous n’agissons jamais avec jugement, mais par caprice et à l’aventure. Sortons donc de cette ivresse, considérons ce qui est véritablement beau, ce qui est beau par sa nature, la piété, la justice, afin d’obtenir les biens promis, que je vous souhaite à tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVIII.

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JE VOUS PRESCRIS, EN PRÉSENCE DE DIEU QUI VIVIFIE TOUS LES ÊTRES, ET DU SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, QUI, SOUS PONCE-PILATE, A RENDU CE MAGNIFIQUE TÉMOIGNAGE, DE GARDER LE COMMANDEMENT SANS TACHE ET SANS REPROCHE, JUSQU’À L’AVÈNEMENT DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST QUI MANIFESTERA EN SON TEMPS LE BIENHEUREUX ET UNIQUE SOUVERAIN, LE ROI DES ROIS ET SEIGNEUR DES SEIGNEURS, QUI SEUL POSSÈDE L’IMMORTALITÉ ET HABITE UNE LUMIÈRE INACCESSIBLE, LUI QUE NUL HOMME N’A VU NI NE PEUT VOIR, A QUI HONNEUR ET PUISSANCE ÉTERNELLE. AINSI SOIT-IL. (VI, 13-16 JUSQU’À LA FIN)

Analyse.

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  • 1. L’apôtre en appelle à Dieu pour donner plus de poids à ses recommandations, et faire ainsi plus d’effet sur l’esprit de disciple.
  • 2. Adhérer, non à la science humaine, mais à la foi. – Instabilité des choses de ce monde.


1. L’apôtre atteste encore Dieu, comme il l’a fait peu auparavant, pour rendre sa parole plus redoutable et affermir davantage son disciple en lui montrant que ses préceptes ne sont pas des préceptes humains ; il veut en effet que recevant ce commandement comme venant du Maître lui-même, et ayant toujours dans la pensée celui qui l’a instruit, ce témoin rendu présent par le souvenir tienne son âme en éveil. « Je vous prescris, en présence du Dieu qui vivifie tous les êtres ». C’est là un encouragement pour les périls, un souvenir de la résurrection. – « Et du Seigneur Jésus-Christ qui a rendu témoignage sous Ponce-Pilate ». Voici encore une exhortation tirée de la personne du Maître. Ce qu’il veut dire, le voici : Ce qu’il a fait, il faut que vous le fassiez aussi. C’est afin que nous marchions sur ses traces qu’il a rendu ce beau témoignage.
Ce que faisait l’apôtre, lorsqu’il disait aux Hébreux : « Portant vos regards vers l’auteur et le consommateur de la foi, Jésus, qui, au lieu de la vie heureuse dont il pouvait jouir, a subi la croix, méprisant la confusion, et qui est assis à la droite du trône de Dieu ; considérez celui qui a supporté de la part a des pécheurs une telle contradiction, afin que vos âmes ne se laissent pas abattre à la fatigue » (Héb. 12,2-3) ; ce qu’il faisait, dis-je, il le fait ici encore à l’égard de son disciple. C’est comme s’il lui disait : Ne craignez pas la mort, car vous êtes le serviteur de Dieu qui peut vivifier tous les êtres. « Je suis venu », dit Jésus, « pour rendre témoignage à la vérité ». (Jn. 18,37) Et quel est ce magnifique témoignage ? Quand Pilate lui dit ; « Êtes-vous roi ? » (Id. 37) Jésus lui répondit ; « Je suis né pour cela ». (Id. 37) Et au pontife : « Voyez, ceux-ci m’ont entendu ». (Ib. 21) Puis, comme on lui demandait s’il était le Fils de Dieu, il répondit : « Tu l’as dit, je le suis ». Il y a beaucoup d’autres choses encore qu’il affirma et confessa.
« De garder le commandement sans tache et sans reproche jusqu’à l’avènement de « Notre-Seigneur Jésus-Christ », c’est-à-dire jusqu’à votre mort, jusqu’à votre sortie de ce monde. Mais il ne s’est pas exprimé ainsi ; il a dit : « Jusqu’à l’avènement », afin d’animer davantage Timothée. Et qu’est-ce que garder le commandement sans tache ? C’est n’en contracter ni dans sa foi ni dans ses mœurs, « L’avènement que manifestera en son temps le bienheureux et unique souverain, le Roi des rois et Seigneur des seigneurs, qui seul possède l’immortalité et habite une lumière inaccessible ». De qui l’apôtre dit-il cela ? Est-ce du Père ? est-ce du Fils ? Oui, c’est du Fils. « L’avènement que manifestera en son temps le bienheureux et unique souverain ». Ces paroles sont pour la consolation de Timothée, afin que les rois de la terre ne lui inspirent ni étonnement ni crainte. – « En son temps », c’est-à-dire au temps convenable, au temps qu’il faut, afin que Timothée ne se chagrine pas, s’il n’est pas encore arrivé. Mais, pour le manifester, il est seul souverain ; il le manifestera donc. « Le bienheureux », celui qui est heureux par lui-même ; car il n’y a au ciel rien de douloureux ni de pénible. « Le bienheureux, unique souverain », par opposition à la condition des hommes, ou parce qu’il n’a pas commencé d’être ; nous donnons aussi la même épithète à des hommes que nous voulons exalter.
« Qui seul possède l’immortalité ». Le Fils ne la possède-t-il pas, et par lui-même ? Et comment ne la posséderait-il pas, étant de la même substance que le Père ? – « Et habite une lumière inaccessible ». La lumière qu’il habite est-elle autre que celle qu’il est ? Est-il enfermé dans un lieu ? Loin de nous cette pensée. L’apôtre ne veut pas nous l’inspirer, il veut nous faire entendre l’incompréhensibilité de Dieu, voilà pourquoi il se sert de cette expression : a Qui habite une lumière inaccessible ». Il parle de Dieu comme il peut. Vous voyez, quand la langue veut exprimer quelque chose de grand, comment la force lui manque. – « Que nul homme n’a vu ni ne peut voir, à qui honneur et puissance éternelle. Ainsi soit-il ». C’est là une belle théologie et qui devait se trouver ici. Car, ayant pris Dieu à témoin, l’apôtre s’étend sur ce témoin, afin de faire plus d’impression sur son disciple. Gloire à Dieu, c’est tout ce que nous pouvons dire et faire, et non rechercher curieusement quel il est. Si donc sa puissance est éternelle, ne craignez pas ; quand son avènement n’aurait pas lieu encore, honneur et puissance à lui pour toujours.
« Prescrivez aux riches du siècle présent de ne pas enfler leur cœur (17) ». L’apôtre a dit avec justesse : a Du siècle présent », car il y a aussi les riches du siècle futur. Rien autant que les richesses ne produit l’enflure, la démence de l’orgueil, l’arrogance. Et aussitôt il les rabaisse en disant : « Et de ne pas mettre leur espoir dans l’incertitude des richesses (17) ». Car c’est de là que vient la démence de l’orgueil ; celui qui espère en Dieu ne s’enorgueillit point. Comment mettre son espoir en ce qui se déplace sans cesse ? car telle est la richesse ; comment espérer en ce qui ne peut inspirer confiance ? Mais comment pourront-ils ne pas enfler leur cœur ? En considérant que la richesse est instable et caduque, en considérant que l’espérance en Dieu vaut mieux qu’elle, et que Dieu est l’auteur de la richesse elle-même. – « Mais dans le Dieu a vivant, qui nous donne avec magnificence atout ce dont nous devons jouir (17) ». Oui, tout avec magnificence, voulant parler des saisons diverses de chaque année, de l’air, de la lumière, de l’eau, et de tout le reste. Vous voyez quelle est la magnificence et la libéralité de ses dons. Si vous cherchez la richesse, cherchez une richesse permanente, solide, celle que l’on acquiert par les bonnes œuvres. Et quelles œuvres ? – « De faire le bien », continue l’apôtre, « de devenir riches en bonnes œuvres, d’être faciles à donner, à « communiquer ce qu’ils possèdent (18) ». L’un est le fait de la fortune, l’autre de la charité ; se montrant affables et doux. « De thésauriser pour eux-mêmes un établissement glorieux dans l’avenir (19) ». Rien n’est incertain, ni instable, là où le fondement est solide ; mais tout est solide, immuable, fixe et permanent. « Afin d’acquérir la vie éternelle ». Car c’est la pratique des bonnes œuvres qui peut nous en ménager la jouissance.
2. « O Timothée, gardez le dépôt (20) ». Ne l’amoindrissez pas ; il n’est pas à vous, c’est le bien d’autrui qui vous a été confié ; ne le diminuez pas. « Évitant les nouveautés profanes du langage ». Il y a donc une nouveauté de langage qui n’est pas profane. « Et les oppositions d’une fausse science ». Oui, car là où la foi n’est pas, la science n’est pas ; ce qui naît de raisonnements tout humains n’est pas la science. C’est ainsi que quelques-uns se sont donné le nom de gnostiques, comme s’ils savaient quelque chose de plus que les autres. « Science que quelques hommes promettaient, mais ils se sont égarés dans la foi ». Vous voyez comment il prescrit encore de ne point se rencontrer avec eux. Évitant, dit-il, les oppositions ; car il en est auxquelles il ne faut pas même répondre. Pourquoi ? parce qu’elles font perdre la foi, parce qu’elles ébranlent la solidité de notre confiance.
Ne nous attachons point à ces doctrines, mais au rocher indestructible de la foi. Ni le choc des fleuves ni celui des vents, ne pourront l’endommager ; nous sommes inébranlables sur ce rocher. Ainsi, durant cette vie, si nous avons choisi celui qui est le fondement véritable, nous demeurons debout, sans rien subir d’effrayant. Celui-là ne subira rien de terrible, qui choisit pour richesse, pour renommée, gloire, honneur et jouissance, ceux de l’autre vie ; ils sont assurés contre tout changement ; mais, en ce monde, tout est sujet à s’altérer, à changer, à se transformer. Car que désirez-vous ? la gloire ? « Sa gloire ne le suivra point au tombeau » (Ps. 48,18), et souvent elle n’est pas même fidèle à l’homme durant sa vie. Il n’en est pas de même de ce qui tient à la vertu ; là tout est permanent. Celui qui tire son illustration de sa charge, devient un homme vulgaire, quand un autre lui a succédé ; il reçoit des ordres à son tour. Le riche, attaqué par des brigands, des délateurs ou des traîtres, devient, pauvre tout à coup. Mais il n’en est point ainsi chez nous : si l’homme tempérant veille sur lui-même, nul ne saurait lui enlever sa tempérance ; personne ne fera un simple sujet de celui qui est souverain de lui-même. Apprenez par un examen attentif que cette autorité est supérieure à l’autre. Car à quoi bon, dites-moi, commander à des peuples entiers, et vivre esclave de ses passions ? Quel dommage y a-t-il à ne commander à personne, étant élevé au-dessus de leur tyrannie ? Ici est la liberté, l’autorité, la royauté, la puissance ; là au contraire est la servitude, quand on aurait la tête chargée de diadèmes. Car lorsqu’on domine en soi-même une multitude de despotes, je veux dire l’amour de l’argent, l’amour des plaisirs, la colère et les autres passions, à quoi servirait un diadème ? La tyrannie des passions est la plus grande ; la couronne même ne saurait nous soustraire à leur empire.
Qu’un homme se trouve esclave chez les barbares, et que ceux-ci, pour mieux constater leur force, lui laissent la pourpre et le diadème, mais lui commandent de porter de l’eau avec eux, de préparer le repas et de remplir toutes les autres fonctions de la servitude, pour s’en faire plus d’honneur et lui infliger plus de honte ; le sort de cet homme sera moins barbare que n’est chez nous le joug imposé par nos passions. Celui qui les méprise se rira aussi des barbares ; mais celui qui se soumet à elles, subira une condition bien plus terrible que ne la lui feraient les barbares. Le barbare, quelle que soit sa force, ne sévira que contre les corps ; mais les passions torturent l’âme et la déchirent de toutes parts. Quelle que soit la force du barbare, il ne peut donner que la mort temporelle, mais les passions donnent la mort éternelle. En sorte que celui-là seul est libre qui est libre dans son âme, et celui-là est esclave qui se soumet à des passions insensées. Quelque inhumain que soit un maître, il ne commandera jamais si durement et si cruellement que les passions. Déshonore ton âme, disent-elles, sans raison ni motif ; offense Dieu, méconnais la nature elle-même ; qu’il s’agisse d’un père ou d’une mère, n’aie point de pudeur, foule-les aux pieds. Tels sont les ordres de l’avarice. Sacrifie-moi, dit-elle, non des veaux, mais des hommes. « Immolez-moi des hommes, car les veaux manquent ». (Os. 13,2) Ce n’est pas là ce qu’elle dit, mais bien : Quoiqu’il y ait des veaux, sacrifie des hommes et des hommes innocents. Fût-ce ton bienfaiteur, fais-le périr. Sois hostile à chacun, montre-toi l’ennemi commun de tous, de la nature elle-même et de Dieu ; amasse l’or, non pour en jouir, mais pour le garder et pour accroître les tourments. Car il n’est pas possible d’être avare et de jouir de sa fortune ; l’avare craint toujours que son or ne diminue, que ses trésors ne deviennent vides. Fuis le sommeil, dit l’avarice, étend tes soupçons à tous, amis et serviteurs ; retiens le bien d’autrui ; tu vois un pauvre mourant de faim, ne lui fais pas l’aumône, mais, s’il est possible, dépouille-le de sa peau. Parjure, ments, jure, accuse, fais-toi délateur ; ne te refuse ni à marcher dans le feu, ni à t’exposer à mille morts, ni à mourir de faim, ni à lutter contre la maladie.

Ne sont-ce pas là les lois que prescrit l’avarice ? Sois effronté et impudent, sans vergogne et audacieux, coquin et malfaiteur ; ni reconnaissance, ni sensibilité, ni amitié ; sois sans foi, sans cœur, parricide, une bête féroce plutôt qu’un homme. Dépasse le serpent en méchanceté, le loup en rapacité, sois plus farouche que ces animaux ; ne refuse point, s’il le faut, d’imiter la perversité du démon, méconnais ton bienfaiteur. N’est-ce pas là ce qu’elle dit et ce qu’on écoute ? Dieu dit au contraire : Sois ami de tous, doux, aimé de tous, n’offense personne sans nécessité, honore ton père, honore ta mère, jouis d’une réputation pure, ne sois pas un homme, mais un ange ; ne prononce ni une parole impudente, ni un mensonge, bannis-les même de ta pensée ; porte secours aux indigents, ne crois pas nécessaire d’avoir des richesses au prix de la rapine, ne sois ni injuste ni effronté ; mais personne ne l’écoute. Les peines de l’enfer ne sont-elles pas bien méritées ainsi que le feu, et le ver qui ne meurt pas ? Jusques à quand courrons-nous au précipice ? Jusques à quand marcherons-nous sur des épines, jusques à quand nous percerons-nous de clous et saurons-nous gré de ces maux ? Nous sommes soumis à de cruels tyrans, et nous refusons un bon maître qui n’a point un langage odieux, qui n’est ni fâcheux ni barbare, dont le service n’est pas infructueux, mais qui nous procure des avantages immenses, les biens les plus précieux. Levons-nous donc et convertissons-nous, préparons-nous à bien vivre, aimons Dieu comme nous le devons, afin d’être jugés dignes des biens promis à ceux qui l’aiment, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.


Traduit par M. Félix ROBIOU.

  1. Il s’agit évidemment de la soie : dans la géographie très imparfaite de cette époque, l’Inde se dit pour l’extrême Orient.
  2. Texte obscur et peut-être altéré.
  3. En dehors de l’Incarnation.
  4. Πρὸς τοὺσ ὲξω. On voit par la suite du passage que la pensée de l’orateur se reporte spécialement sur l’époque où vivait l’apôtre ; du reste, une partie de son auditoire avait vu Julien.
  5. Cet usage existe encore chez les femmes turques.
  6. Comme les « incroyables » du Directoire, qui avaient horreur des consonnes.
  7. Manuscrit du musée britannique de Moscou et de la Laurentienne.
  8. Manuscrit de la Laurentienne.
  9. Il convient de l’entendre aussi des diaconesses, car c’est une chose bien nécessaire, profitable et conforme à la régularité des mœurs « que les diacres ne soient maris que d’une seule personne ».
  10. On lit à la fin du verset précédent : La piété est utile à tout, elle contient la promesse de la vie présente et de la vie future.
  11. Θεόπλουτος, obscurius dictum, dit ici Field, dans une note. Montf. : Etiam secundum Deum dives erat. Mais voyez Job. 42,12.
  12. Les mots νεοτἐρους ἑς αδελφύς, sont ici transposés.
  13. Le grec forme un vers iambique trimètre, emprunté sans doute à quelque poète comique.
  14. Sans avoir rien d’alarmant pour la pudeur la plus stricte, la phrase suivante ne peut se traduire qu’en latin et en note : Eructat aliquis adeo ut vel extra conclave cerebrum audientis concutiat, ùndique e corpore caliginosus effluit quasi e camino fumus, calore intus in putredinem verso.
  15. Est-ce qu’on connaissait la décomposition de la lumière solaire au IVe siècle ?
  16. L’orateur s’exprime ainsi parce qu’il parle quatre siècles après Jésus-Christ, dans l’ignorance absolue du temps où viendra le dernier jour.
  17. C’est-à-dire, l’Homme-Dieu, qui est les prémices de l’humanité, et qui est assis à la droite de Dieu son Père. (J.- B. J)