Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4247

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 529-530).

4247. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Septembre.

Mon divin ange, vous êtes le meilleur général de l’Europe. Il faut que vous ayez bien disposé vos troupes pour gagner cette bataille[1] ; on dit que l’armée ennemie était considérable. Débora-Clairon a donc vaincu les ennemis des fidèles. On dit que Satan était dans l’amphithéâtre sous la figure de Fréron, et qu’une larme d’une dame étant tombée sur le nez du malheureux, il fit psh, psh, comme si ç’avait été de l’eau bénite.

Il est absolument nécessaire que la pièce s’imprime bientôt. Je soupçonne qu’il y en a déjà une édition furtive. Vous savez que j’avais ci-devant proposé à madame la marquise[2] une dédicace ; je ne peux honnêtement oublier ma parole ; j’écris au protecteur M.  le duc de Choiseul, protecteur que je vous dois, et je le prie de savoir de madame la marquise si elle accepte l’Épître. Vous connaissez le ton de mes dédicaces ; elles sont un peu hardies, un peu philosophiques ; je tâche de les faire instructives. Si on les veut de cette espèce, je suis prêt ; sinon, point de dédicace.

Madame Scaliger, vous avez sans doute taillé et rogné ; vous avez fait des vôtres. Si la pièce vaut quelque chose, ma foi, je le dois à vos critiques scaligériennes[3]. Étiez-vous là, madame ? Dites donc aux acteurs des deux premiers actes qu’ils ne soient pas si froids et si familiers.

Des longueurs, mon cher ange ! C’est dans ma lettre de remerciement qu’il y aurait des longueurs, si j’avais un moment à moi. Comment pourrais-je finir ? je vous dois tout. Je baise le bout de vos ailes avec des transports de reconnaissance.

On dit que la lettre[4] au roi Stanislas a fait impression sur l’esprit de monseigneur le dauphin. Le roi de Pologne m’a remercié, de sa main, avec la plus grande bonté.

Nous venons de répéter Tancrède avec Mme  Denis ; je parie, et même contre vous, que Mlle  Clairon ne joue pas si bien le quatrième acte.

N. B. Moi, père, je fais pleurer ; que Brizard en fasse autant, je l’en défie. Il ne peut tomber de ses yeux que de la neige.

  1. Le 3 septembre, la tragédie de Tancrède avait été jouée, pour la première fois, avec le plus grand succès, dit Grimm dans sa Correspondance littéraire, 1er octobre 1760.
  2. De Pompadour.
  3. Voyez la note 1, page 122.
  4. 4230.