Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5260

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 448-449).

5260. — À M.  VERNES.
2 avril 1763[1].

Je suis ravi, mon cher rabbi, de l’intérêt que vous prenez à la chose. Je sens bien que je marche sur des charbons ardents[2] : il faut toucher le cœur, il faut rendre l’intolérance absurde, ridicule, et horrible ; mais il faut respecter les préjugés.

Il est bien difficile, en montrant les fruits amers qu’un arbre a portés, de ne pas donner lieu de penser que l’arbre ne vaut rien ; on a beau dire que c’est la faute des jardiniers, bien des gens sentent que c’est à l’arbre qu’il faut s’en prendre.

Au reste, il y a dans le Contrains-les d’entrer, de Bayle[3], des choses beaucoup plus hardies. À peine s’en est-on aperçu, parce que l’ouvrage est long et abstrus. Ceci est court, et à la portée de tout le monde ; ainsi je dois être très-circonspect.

J’ai beaucoup ajouté, beaucoup retranché, corrigé, refondu. La crainte de déplaire est l’éteignoir de l’imagination. Il faudrait que vous vinssiez rallumer la mienne avec votre ami ; nous tiendrions ensemble un petit conciliabule de tolérance. Je voudrais qu’en inspirant la modération l’ouvrage fût modéré.

Gardez-moi un profond secret, mes frères. Il ne faut pas que mon nom paraisse ; je n’ai pas bon bruit.

Tenez, voilà un petit chapitre[4] pour vous amuser. Renvoyez-le, ou plutôt rapportez-le, et raisonnons.

J’ai donné, à tout hasard, une lettre pour M.  le baron de Breteuil[5], parce qu’il faut que je fasse tout ce que vous m’ordonnez. Il y a environ trente ans que je ne l’ai vu, mais cela n’y fait rien ; on est impudent avec bienséance, quand il s’agit de rendre service et de vous obéir.

La Lettre à Christophe me donne la pépie. Je ne dormirai point que je n’aie vu la Lettre à Christophe : avez-vous lu la Lettre à Christophe ? pouvez-vous me faire avoir la Lettre à Christophe ? où trouve-t-on la Lettre à Christophe ?

Bonsoir, mon cher philosophe ; mes respects à Arius.

  1. Cette lettre est dans Beuchot à la date du 2 janvier. M. Avenel l’a placée avec raison au commencement d’avril.
  2. En écrivant son Traité de la Tolérance.
  3. Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ : Contrains-les d’entrer ; 1686, trois volumes in-12.
  4. Probablement celui dont il été question dans la lettre 5103.
  5. On. n’a pas cette lettre de recommandation, qu’un Genevois allant en Russie devait remettre à l’ambassadeur de France, et qui n’arriva entre les mains de Breteuil qu’à son retour à Paris, fin juillet.