Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6973

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 343-344).
6973. — À M. D’ALEMBERT.
10 auguste.

Mon cher philosophe saura que le maudit libraire n’a point voulu se charger de la seconde édition de la Destruction des prêtres de Baal[1]. Il dit qu’on lui saisit une partie de la première à Lyon, qu’il ne veut pas en risquer une seconde ; que personne ne s’intéresse plus à l’humiliation des prêtres de Baal ; et il n’a point encore rendu l’exemplaire corrigé qu’on lui avait remis : l’interruption du commerce désespère tout le monde.

Riballier, Larcher et Coger, sont trois têtes du collège Mazarin dans un bonnet d’âne. Ce sont les troupes légères de la Sorbonne ; il faut crier : Point de Mazarin !

Warburton est un fort insolent évêque hérétique, auquel on ne peut répondre que par des injures catholiques. Les Anglais n’entendent pas la plaisanterie fine ; la musique douce n’est pas faite pour eux ; il leur faut des trompettes et des tambours.

Je fais la guerre à droite, à gauche. Je charge mon fusil de sel avec les uns, et de grosses balles avec les autres. Je me bats surtout en désespéré, quand on pousse l’impudence jusqu’à m’accuser de n’être pas bon chrétien ; et, après m’être bien battu, je finis par rire ; mais je ne ris point quand on me dit qu’on ne paye point vos pensions : cela me fait trembler pour une petite démarche que j’ai faite auprès de monsieur le contrôleur général en faveur de M. de La Harpe ; je vois bien que, s’il fait une petite fortune, il ne la devra jamais qu’à lui-même. Ses talents le tireront de l’extrême indigence, c’est tout ce qu’il peut attendre :

Atque inopi lingua désertas invocat artes[2].

À propos, je ne trouve point ma lettre à Coge pecus si douce[3] ; il me semble que je lui dis, d’un ton fort paternel, qu’il est un coquin. Intérim vale, et me ama.

  1. L’ouvrage de d’Alembert Sur la Destruction des jésuites.
  2. Pétrone.
  3. C’est la lettre 6955.