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Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier/1/58

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Texte établi par Maurice Tourneux, Garnier frères (1p. 365-367).
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LVIII


La mort de Mme du Châtelet a causé beaucoup de bruit sur notre Parnasse. Cette dame, si célèbre dans les pays étrangers, avait ici beaucoup plus de censeurs que de partisans. Elle avait composé les Institutions de physique avec un Allemand, homme de mérite, qu’elle avait mis auprès de son fils, et elle était occupée, avec M. Clairaut, à un ouvrage sur Newton, lorsqu’elle s’est vue arrêtée au milieu de sa course. Le caractère propre de Mme du Châtelet était d’être extrême en tout. Un seul trait va vous la peindre. Elle avait vécu assez longtemps avec M. le marquis de Guébriant qui forma une autre inclination. La dame, au désespoir de se voir négligée, fit prier son infidèle de passer chez elle. Après un entretien assez aisé de part et d’autre, Mme du Châtelet pria M. de Guébriant de lui donner un bouillon qui était sur la table et, après l’avoir pris, elle le congédia en lui remettant une lettre. Dès que le marquis eut descendu l’escalier, il lut le papier qu’on lui avait remis ; Mme du Châtelet lui disait qu’elle mourait empoisonnée de sa main. Le marquis ne s’amusa pas à de vaines lamentations. Par une présence d’esprit assez rare, il alla chercher dans le lieu le plus proche du contre-poison qu’il fit prendre à sa maîtresse. L’effet de ce remède fut si efficace qu’il n’est resté que le souvenir d’une action si extraordinaire.

Voici deux épitaphes que Voltaire a consacrées à son amie :

L’univers a perdu la sublime Émilie.
Elle aima les plaisirs, les arts, la vérité ;
Les dieux, en lui donnant leur âme et leur génie,
Ne s’étaient réservé que l’immortalité.

« Quoi ! verrons-nous toujours une simple mortelle
S’élever jusqu’à nous d’un vol audacieux ?
Tous Quoi la nature lui révèle
Tous les secrets qu’à peine ont éclairés nos yeux ? »
TouAinsi parlent les habitants des cieux.
La mort frappe aussitôt un objet qu’ils détestent ;
Dans le deuil, dans les pleurs les humains sont plongés.
Du Châtelet n’est plus, mais ses écrits nous restent :
Impitoyables dieux, vous n’êtes point vengés !

— Vous savez peut-être que Saint-Lambert est un officier lorrain qui passait depuis deux ou trois ans pour l’amant de Mme du Châtelet, et qu’on faisait honneur à Voltaire des agréments qui se trouvent dans les œuvres de cette dame. On fait allusion à ces deux opinions dans l’épitaphe que vous allez lire :

Ici-gît qui perdit la vie
TouDans le double accouchement
Tous D’un traité de philosophie
TouEt d’un malheureux enfant.
TouOn ne sait précisément
Lequel des deux nous l’a ravie.
Sur ce funeste événement,
Quelle opinion doit-on suivre ?
TouSaint-Lambert s’en prend au livre,
Voltaire dit que c’est l’enfant.

VERS À VOLTAIRE.

À tes Quoi ! cette chaste et tendre amie,
À tes fougueux accès si longtemps asservie,
À tes Expire, et tu ne la suis pas ?
À tes Au lieu de vers sur son trépas,
Fais preuve de bon cœur une fois en ta vie,
Poëte anglais, va, cours te pendre de ce pas.

— Comme Voltaire vient de faire pour cet hiver Catilina et Électre, deux tragédies dont les sujets ont été traités par Crébillon, l’un fort mal et l’autre fort bien, Piron a adressé l’épigramme suivante à Voltaire :

N’en doutez point, oui, si le premier homme
Eût eu le tic de ce faiseur de vers,
Il eût fait pis que de mordre à la pomme,
Et c’eût été bien un autre travers.
Portant envie aux miracles divers
Du grand auteur de la nature humaine,
Il eut voulu refaire l’univers,
Et le refaire en moins d’une semaine.

— Le discours que M. l’évêque de Rennes a prononcé à l’Académie française est extrêmement lourd ; la réponse de M. de Fontenelle est mal écrite et imprudente. Marivaux a lu un parallèle de Corneille et de Racine, plein de noblesse et de philosophie, contre l’ordinaire de cet ingénieux écrivain. Moncrif a terminé la séance par un opéra qui porte sur la métempsycose. Ce sont des amants dont les âmes, après avoir changé de corps et d’état, se trouvent avoir les mêmes sentiments. Quoique cet ouvrage soit rempli de jolis détails, il fut mal venu, parce que ces sortes de poëmes ne peuvent point être lus.