Cours d’agriculture (Rozier)/BERGERIE

La bibliothèque libre.
Hôtel Serpente (Tome secondp. 212-222).
◄  BERGER
BERLE  ►


BERGERIE. Lieu où l’on enferme les moutons & les brebis. Elle diffère du parc, en ce qu’elle est couverte & presque toujours murée ; de l’étable, qui sert également aux bœufs, aux cochons, aux brebis ; au lieu que la bergerie est uniquement consacrée aux moutons, brebis, &c. Le mot bergerie est inconnu en Espagne ; les bêtes blanches sont toujours dans les champs, sur les montagnes, &c. à moins qu’on appelle bergerie le lieu où l’on fait la tonte, & ou ces animaux restent pendant vingt-quatre heures avant d’être tondus, afin que la sueur & une forte transpiration nettoient la peau. La pratique espagnole sera détaillée fort au long au mot Mouton.


I. De la forme & de la position de la Bergerie.
II. Des murs & des jours de la Bergerie.
III. De la propreté qu’elle exige.
IV. De la litière, & du tems de la lever.
V. Des meubles de la Bergerie.
VI. Du dépôt des fourrages.
VII. Des Bergeries ouvertes.

I. De la forme & de la position de la bergerie. Le carré long est préférable à toute autre forme : plus d’animaux sont rangés sur la même ligne le long des râteliers ; & il est plus aisé de leur distribuer la nourriture, que lorsqu’elle est coupée par plusieurs râteliers ; les moutons se pressent moins les uns contre les autres pour manger. La moitié de la longueur doit former la largeur ; cependant en Flandre, par exemple, pour quarante moutons, on donne vingt-cinq pieds de long sur vingt pieds de large ; & dans le Cotentin, où l’espèce de bête à laine est beaucoup plus petite qu’en Flandre, cet espace est censé suffisant pour contenir 70 moutons. M. Hastfert, suédois, très-instruit dans cette partie, exige quatre pieds & demi carré d’étendue pour un mouton de moyenne grosseur. L’élévation du plancher doit être au moins de dix pieds sur une bergerie de cinquante pieds de longueur.

Choisissez, si vous le pouvez, un côteau pour placer la bergerie. Le sol formé par le rocher est le meilleur ; celui en gravier est bon : le sol terreux est le moins avantageux. Le plus cruel ennemi des bêtes blanches, est l’humidité. Si la bergerie est placée sur un côteau, faites creuser tout autour un fossé, afin que les eaux pluviales s’écoulent avec facilité ; de manière que la base du fossé pratiqué dans la partie supérieure, soit au-dessous du niveau de la partie la plus basse de la bergerie ; dès-lors l’humidité extérieure sera peu à craindre dans l’intérieur. Ce fossé supérieur communiquera avec ceux de la circonférence, & les eaux iront se rendre dans une grande fosse ménagée au-dessous de la bergerie. Cette fosse recevra également les urines, & sera garnie de paille, de feuilles, &c. ; par ce moyen, on aura à la fin de l’année, une masse assez considérable de fumier, si le berger ou les valets ont soin d’y balayer les excrémens que rend le troupeau en dehors, en entrant ou en sortant de la bergerie. Un petit pont en bois ou en pierre, bâti sur le fossé, servira pour l’entrée & la sortie du troupeau. Le sol de la bergerie doit être en plan incliné d’un pouce sur trois pieds. Quelques auteurs exigent que le sol soit de niveau. Je ne suis pas de cet avis ; une bergerie ne sauroit être trop sèche. Qui est-ce qui ignore que l’humidité réunie à la chaleur, est la cause la plus active, & celle qui produit le plutôt la pourriture ?

Je demande pour condition essentielle, que la bergerie soit située dans sa longueur, du nord au midi ; & ses côtés, de l’est à l’ouest. Il est prudent de la séparer des autres écuries, s’il se peut ; ou du moins, de ne laisser entr’elles aucune communication. On cherche ordinairement le sol le plus uni pour former la cour générale de la ferme ; il faudra, dans ce cas, donner à celui de la bergerie, la pente indiquée. La bergerie séparée de la ferme est ordinairement la cachette générale des valets & des pasteurs. Le maître n’est plus dans le cas de voir à chaque heure du jour ce qui s’y passe. On doit cependant convenir qu’une bergerie séparée & isolée est bien mieux aérée ; ce qui est un point de la plus grande importance pour la conservation des troupeaux.

II. Des murs & des jours de la bergerie. Les plus mauvais murs sont ceux construits en bauches, autrement appelés torchis. (Voyez au mot Bauche leurs défauts) Ceux en pisai sont très-bons, (voyez ce mot) si la maçonnerie en pierre & mortier excède le sol de la bergerie à la hauteur de deux pieds ; ceux entiérement faits en maçonnerie dureront plus long-tems, mais coûteront plus, & ne seront pas plus utiles. Que la bergerie soit isolée ou non, on ouvrira deux grandes portes à deux battans, une au nord, & l’autre au midi ; & si la position ne le permet pas, elles feront placées du couchant au levant ; mais ce n’est plus la même chose. La vivacité avec laquelle les moutons rentrent dans la bergerie, nécessite ces grandes portes. Si la porte est étroite, ils se presseront les uns contre les autres, de manière que trois ou quatre moutons remplissent tellement l’espace vide, qu’ils ne peuvent plus entrer. Poussés par ceux qui viennent en foule après eux, ils ne peuvent plus ni avancer ni reculer. Combien de fois n’ai-je pas vu des épaules démises, & une fois entr’autres, un mouton étranglé, parce que son col appuyoit directement contre l’angle du jambage de la maçonnerie. Dans la saison des vents froids, des gelées trop fortes, la porte du nord est fermée, & celle du midi est ouverte ; mais toutes deux le doivent être, dès que le troupeau est sorti de la bergerie. On ne sauroit trop renouveler l’air. Cette maxime est contraire, j’en conviens, aux usages presque généralement reçus en France. Les maladies se multiplient dans le troupeau, & on s’aveugle au point de ne pas vouloir reconnoître que la chaleur est ce qui contribue le plus à son dépérissement. Si on consultoit la nature, on verroit qu’elle a pourvu l’animal d’une forte toison, pour le garantir de toutes les intempéries de l’air ; que si l’air froid leur devient dangereux, c’est accidentellement, & uniquement parce qu’on les tient dans un lieu trop resserré où l’air s’échauffe, se vicie, & ne se renouvelle pas.

Si la bergerie est isolée, on pratiquera des fenêtres du côté des portes, & du côté du levant & du couchant. Chacune aura au moins trois pieds de largeur sur cinq de hauteur. Leur nombre sera proportionné à la longueur & à la largeur de la bergerie. Si elle tient au contraire aux bâtimens de la ferme, on les placera où l’on pourra, & on les multipliera le plus qu’il sera possible. Chaque fenêtre sera garnie de son châssis à vître, & ce châssis fermera ou ouvrira à volonté. On peut suppléer les châssis à vîtres par ceux en papier ou en toile ; & c’est une mauvaise économie, puisqu’il n’y a que la première mise qui coûte. C’est une très-grande erreur de penser que le mouton aime l’obscurité. Dans son état sauvage, ne vit-il pas dans les bois, dans les champs, &c. ; & peut-on penser que parce que nous l’avons rendu esclave, il ait changé de goût & d’inclination ?

Le mouton transpire beaucoup ; il vicie l’air par sa transpiration ; il le vicie encore par son inspiration & par sa respiration. Cet air devient du plus au moins corrompu ; ce qu’on appelle air fixe, air mortel. (Voyez Effet de l’air fixe sur l’économie animale, tom. Ier. pag. 338.) Cet air est plus pesant que l’air atmosphérique, & par conséquent il forme une espèce de zone dans laquelle le mouton respire continuellement, tandis qu’à quelques pieds plus haut, l’air est salubre ou moins vicié. D’après ce point de fait, je conseille de pratiquer quelques ventouses au niveau du sol de la bergerie, & cet air fixe, plus pesant que l’air atmosphérique, trouvera des issues pour s’échapper. Suivant le besoin & la saison, on laissera un plus ou moins grand nombre de ventouses ouvertes ou fermées. Avec ces précautions, il règnera perpétuellement dans la bergerie un courant d’air frais qui se renouvellera sans cesse, & dissipera la chaleur étouffante qu’on y respire : elle est si forte, que j’ai vu la neige fondre à mesure qu’elle tomboit sur le toit d’une bergerie de soixante pieds de longueur sur vingt-cinq de largeur ; les murs avoient dix pieds de hauteur, & elle étoit remplie par deux cents cinquante moutons, tandis qu’il y avoit six pouces de neige sur le toit voisin, posé à la même hauteur, & toutes les circonstances étoient égales, aux moutons près. Il est vrai que depuis quelques jours la rigueur de la saison n’avoit pas permis de laisser sortir le troupeau de la bergerie. Ceux pour qui ce fait paroîtra extraordinaire, & qui cependant desireront avoir une preuve palpable du degré singulier de chaleur d’une bergerie remplie de moutons, n’ont qu’à y porter un thermomètre, & ils verront que cette chaleur passe souvent le trentième degré, surtout si le toit est bas & écrasé, suivant la coutume presque générale.

Dans presque toutes les bergeries, au lieu de fenêtres, on se contente d’établir des larmiers de douze pouces de hauteur, sur six de largeur, à cinq pieds au-dessus du sol. C’est par leurs secours que j’ai distingué bien clairement jusqu’à quel point l’évaporation de l’humidité fournie par la litière ou par la transpiration, étoit considérable. Il suffit de s’approcher du larmier, & de se placer, lorsque le soleil luit, à l’endroit opposé d’où vient la lumière ; alors on voit clairement les vapeurs sortir en foule & comme la fumée.

III. De la propreté de la bergerie. De toutes les parties de la ferme, la bergerie est ordinairement l’endroit le plus infecte & le moins soigné. Le toit ou le plancher est surchargé de toiles d’araignées ; & souvent, par une économie des plus mal entendues, des pièces de bois la traversent d’un bout à l’autre ; & sur ces solives, on place des claies pour soutenir une partie de la paille qui servira à la litière ou à la nourriture du troupeau. Que d’abus décrits en peu de mots !

1o. En retranchant presque de moitié la hauteur de l’espace de la bergerie, ne voit-on pas que l’air sera bientôt vicié ; que la chaleur augmentera en raison de la diminution de l’espace & du nombre des brebis. L’on dira vainement, & on aura beau répéter sans cesse, d’après les autres, & sans preuve, que les moutons craignent le froid ; c’est une maxime abominable, qui cause presque toutes leurs maladies. Les bêtes à laine mises en liberté, & livrées à elles-mêmes dans le parc de Chambor, sont la preuve la plus convaincante du contraire, puisqu’elles s’y sont multipliées, & leur laine a acquis une finesse qu’elle n’avoit pas. On le répète ; la nature a pourvu à leurs besoins, en leur donnant une toison longue & bien fourrée.

2o. Le double toit, même en planches, en revêtement les unes sur les autres, ou jointées par des feuillures, est préjudiciable, ainsi qu’on vient de le prouver ; il l’est moins, cependant, que celui formé par des soliveaux, & par des claies d’osiers ou de joncs. Tous deux, il est vrai, concourent à rendre l’air vicié ; mais le second nuit encore à la propreté de la laine. Chaque interface qui se trouve entre les brins, sert de couloirs, par lesquels la poussière & les débris de paille rongée par les rats, ou brisée de mille autres manières, tombent sur l’animal, se mêlent à sa laine ; & plus il se remue ou s’agite lorsqu’il se couche ou lorsqu’il est couché, plus la poussière & la paille s’insinuent profondément dans la laine.

3o. Les toiles d’araignée servent à accumuler la poussière, les débris des malheureux insectes, victimes de sa voracité ; & lorsqu’elles en sont surchargées, ou qu’un coup de vent brise les attaches qui les tenoient suspendues, le tout s’écroule & augmente les ordures dont la laine de l’animal est déjà surchargée. Plusieurs auteurs, d’ailleurs très-estimables, & en particulier M. Carlier, à qui nous devons deux ouvrages bien faits sur les bêtes à laine, l’un intitulé : Considérations sur les bêtes à laine, un vol. in-12 ; & l’autre, Traité des bêtes à laine, en deux vol. in-4°, dit « que les araignées sont une peste dans les étables, au-lieu de servir à purger l’air, comme on le croit faussement dans les campagnes. Outre que ces toiles reçoivent des ordures qui tombent ensuite sur le mouton ou sur son fourrage, les araignées elles-mêmes s’insinuent, ou tombent dans le foin ou dans les pailles, & sont un poison pour le mouton qui les avale. » M. Carlier me permettra-t-il de lui demander s’il juge ainsi d’après l’expérience ; si elle a été répétée sous ses yeux ; s’il en a acquis la preuve démonstrative par l’ouverture de l’animal ; si cette ouverture lui a fait voir que l’araignée, en sa qualité vénéneuse, agit comme les poisons acides, en corrodant les parois de l’estomac & des intestins, ou comme les poisons coagulans ; enfin, si toutes les araignées velues ou rases produisent le même effet ? Je ne crains pas de douter de ces effets, de les regarder comme supposés, après les exemples du contraire que j’ai cités au mot Araignée, & que je prie de consulter.

IV. Du fumier de la bergerie, & du tems de le lever. Les auteurs ne sont point d’accord sur ce sujet, & presque tous semblent partir du préjugé où l’on a été, & où est plongé le plus grand nombre des cultivateurs ; c’est-à-dire, que les troupeaux doivent être tenus très-chaudement. En effet, la chaleur que le fumier de mouton sur-tout, acquiert en fermentant, s’unissant à celle occasionnée par la transpiration & l’haleine des animaux, en produit une très-considérable. L’auteur de la Nouvelle Maison Rustique recommande de nettoyer la bergerie une fois ou deux au plus tous les ans. Si on la cure deux fois dans l’année, ce doit être en Mars & à la fin d’Août ; & en Juillet, si on ne la nettoie qu’une fois. Voilà, de tous les conseils, un des plus nuisibles & des plus dangereux. L’expérience journalière prouve que la majeure partie des maladies des bêtes à laine est occasionnée par l’humidité réunie à la chaleur qui engendre la pourriture ; & si, malgré l’abus de toutes les coutumes, on est forcé de convenir que la chaleur du fumier est très-humide, ou pour parler plus correctement, qu’il s’en élève une humidité chaude & copieuse, on sera donc forcé de reconnoître que l’amas de fumier est un des principes certains des maladies.

Plus le fumier reste entassé dans la bergerie, plus les couches successives s’affaissent & se durcissent. Dès-lors les urines n’ont plus d’écoulement, & s’accumulent dans la litière supérieure. C’est sur la paille imbibée d’urine, & pénétrée d’excrémens, que l’animal est forcé de se coucher dans l’humidité qui est si préjudiciable à sa santé, qui détériore la laine & altère insensiblement sa couleur. De blanche qu’elle doit être naturellement, elle prend un œil roussâtre ; elle est surchargée d’ordures qui s’opposent à la transpiration de l’animal. La sueur transpirée s’arrête à la base de la laine, y acquiert de l’acrimonie, corrode la base des poils, excorie la peau ; & souvent, à la fin de l’hiver, l’animal perd une partie de sa toison ; peut-être encore la gale, à laquelle les moutons sont fort sujets, ne dépend-elle pas d’un autre principe.

Si le troupeau est nombreux, c’est-à-dire, si la bergerie qui le renferme est pleine, sans que l’animal soit trop pressé, levez le fumier tous les huit jours, en quelque saison que ce soit, à moins que les pluies ou les gelées ne permettent pas au troupeau de sortir. Dès qu’il est dehors, ouvrez toutes les portes, toutes les fenêtres ; faites exactement balayer le sol, & nettoyer les planchers & les murs ; enlevez le fumier, & ne fermez que lorsque le troupeau sera prêt à rentrer, & lorsque vous lui aurez fourni une nouvelle litière.

On ne manquera pas de m’objecter, 1o. que cette litière n’est pas assez pourrie ; 2o. qu’elle consommera un très-grand amas de feuilles, de paille, &c. Je conviens de tout cela ; & je demande à mon tour : Quelle nécessité y a-t-il donc, que la paille se convertisse en fumier fait dans la bergerie ? & dans les domaines où l’on tient de nombreux troupeaux, n’est-ce pas pour se procurer la plus grande quantité possible d’engrais ? Dès que la paille est imbibée d’urine, & chargée de crottins, elle jouit dès lors de la propriété de fermenter, de s’échauffer, & de produire du bon fumier. Il faut le porter dans la fosse, & le travailler ainsi qu’il sera dit au mot Engrais. Dans une basse-cour bien ordonnée & bien conduite, il est de règle que l’excédant de la paille destinée à la nourriture des animaux, doit être conservée pour la litière ; il est donc très-avantageux qu’on en consomme une grande quantité. Si la paille est rare ; si on n’en a que pour la nourriture des animaux, un ménager attentif aura soin d’envoyer dans les terrains incultes, couper des buis, des genêts, des joncs ; de faire de grands amas de feuilles, &c. &c., & il suppléera ainsi la paille. S’il ne veille pas sur ce point important, il sera trompé. D’ailleurs, c’est l’ouvrage des femmes, des enfans, & un âne ou deux seront destinés à faire les charrois. Un filet à larges mailles suffit pour renfermer & transporter les feuilles. Enfin, si on est dans l’impossibilité de se procurer de quoi faire des litières abondantes, on ramassera beaucoup de sables, & chaque semaine on en jettera une quantité suffisante sous les moutons ; par exemple, deux ou trois pouces de hauteur ; & la semaine suivante, il sera amoncelé en un tas, à l’abri de la pluie. Cet engrais est excellent, sur-tout pour les terres argileuses, (voyez Argile) crayeuses, marneuses ; en un mot, pour toutes les terres compactes, vulgairement & mal à propos appelées froides.

V. Des meubles de la bergerie. Ils consistent en râteliers, lits des bergers, & instrumens nécessaires à sa propreté.

Le râtelier, suivant les dénominations de certaines provinces, est désigné par ces mots, bierre, galerre, berceau. Il y a deux manières de placer les râteliers, ou contre les murs, tout le tour de la bergerie, ou dans le milieu, suivant toute sa longueur. Je préférerois cette seconde méthode, parce qu’en fermant avec une simple claie les deux extrémités, on sépare les bêtes, que, pour des raisons quelconques, on ne veut pas laisser confondues avec les autres ; par exemple, les mères avec leurs petits, ou les mères seulement, &c.

Suivant la coutume de certaines provinces, les râteliers sont simplement suspendus de distance en distance, avec des cordes ; & dans d’autres ils sont stables, & ne varient point pour la hauteur. Ces deux manières ne sont pas sans inconvéniens. Si un mouton se jette avec avidité contre le râtelier mobile ; s’il est poussé par un autre, le mouton opposé, dont le museau est trop rapproché du râtelier pour y prendre sa nourriture, reçoit alors un coup dans les dents, & la meurtrissure des lèvres ou du museau, est en raison de la force d’impulsion que le râtelier a reçue.

Si le râtelier est stable & bas, les moutons qui jouent dans la bergerie comme aux champs, s’amusent à le franchir, & sont dans le cas, à cause de leur maladresse, de se blesser. S’il est plus relevé, ils passent par-dessous, se frottent contre, & altèrent leur toison. Ces râteliers permanens ont le désavantage de devenir plus bas de jour en jour, puisque chaque jour la litière s’élève par l’addition de la paille ou des feuilles, &c. ; puisqu’elle parvient à la hauteur de dix-huit pouces ou de deux pieds, lorsqu’on ne nettoie la bergerie qu’une ou deux fois dans l’année. Si, pour parer à cet inconvénient, on fixe le râtelier dans une position moyenne, il est trop haut dans les commencemens, le mouton est forcé de trop lever la tête, & la poussière & les brins de paille tombent sur sa toison, sur celles de ses voisins, & les gâtent. Si le râtelier est placé trop bas, le fourrage se confond avec la paille qui sert de litière, & ce mélange dégoûte l’animal & l’incommode. En général, l’animal gâte plus de fourrage qu’il n’en mange. On évitera ces inconvéniens, en faisant enlever chaque semaine, ou tous les quinze jours au plus tard, la litière. Ces détails paroîtront minutieux à ceux qui s’occupent peu de la qualité de la laine ; mais ils ne savent pas que par le concours de plusieurs petits soins, elle acquerra une valeur beaucoup plus considérable. Le râtelier, les auges, &c. doivent être construits avec du bois susceptible de prendre le plus grand poli. S’il est raboteux, chargé d’esquilles, de piquans, la laine de l’animal qui passe auprès, ou qui s’y frotte, se déchire, s’écorche, & c’est ordinairement la plus belle laine qui se détériore, puisque c’est celle du dos.

Il résulte de ce qui vient d’être dit, que le râtelier doit être stable, ferme, solide, & placé à une hauteur convenable, c’est-à-dire horizontale avec le dos du mouton ; alors il ne sera pas forcé de lever ni de baisser la tête.

Quatre pièces de bois fichées en terre, servent à établir le lit du berger dans un des coins de la bergerie ; quelquefois il n’y a que deux pièces sur le devant, & les traverses sont scellées dans le mur. Un drap, une couverture & de la paille, complettent son lit. Plus il sera élevé au-dessus du sol, plus le berger sera couché sainement ; l’air vicié est plus pesant, & remplit le bas de la bergerie. Un certain nombre de claies, des fourches, des pelles, &c. sont les autres meubles.

Si le sel marin, présent précieux que nous a fait la nature pour prévenir la dépravation de nos humeurs, ne coûtoit pas si exhorbitamment cher, je placerois au rang des meubles de la bergerie, une certaine quantité de petits sacs qu’on rempliroit de sel de tems à autre, & surtout dans les saisons pluvieuses. Les moutons lécheroient ces sacs, leur salive dissoudroit à fur & mesure une portion de ce sel, & la mortalité seroit moins considérable. À l’article Bétail, on discutera les bons ou les mauvais effets du sel.

La prudence veut que la lampe qui sert à éclairer la bergerie, soit placée à une certaine hauteur, dans un endroit fixe & permanent ; qu’elle soit fermée dans une espèce de lanterne, & qu’un grillage de fer recouvre le tout. La plus légère imprudence devient terrible par ses effets, & un maître vigilant ne sauroit veiller de trop près.

VI. Du dépôt des fourrages. On a vu, Article III, combien il étoit absurde de couper la hauteur de la bergerie par un plancher, soit en planches, soit en claies ; qu’il contribuoit à rendre l’air plus promptement vicié, & à abîmer les toisons par les ordures qui en tombent sans cesse. Il reste à parler d’un troisième vice aussi préjudiciable que le premier. Pour économiser sur l’emplacement, pour mettre plus directement sous la main du berger, le fourrage destiné pour le troupeau, on a imaginé ce double plancher ; mais comment ne voit-on pas que ce fourrage, tenu dans un endroit perpétuellement chaud & humide, y contracte un mauvais goût & une odeur désagréable ? Je conviens que le troupeau le mange ; il y est forcé. Il vaut encore mieux se nourrir d’une substance détériorée, que de mourir de faim. Cette nourriture est encore une des causes qui contribue le plus à leurs maladies de nourriture. Il vaut donc mieux, lorsque l’on construit la bergerie, bâtir à côté ou dans le fond, un magasin de fourrages, & ne laisser entre la bergerie & lui, qu’une seule porte de communication, que le berger tiendra toujours fermée. Au moyen de cette petite précaution, on aura toujours un fourrage sain & agréable pour le troupeau.

VII. Des bergeries ouvertes. Tout ce qui vient d’être dit est très-inutile pour les cultivateurs de bon sens, qui savent que le mouton craint par-dessus tout la chaleur, & que ce préjugé dangereux est la cause de la dégradation des laines de France, & de la perte des troupeaux. Plus il fait chaud dans une bergerie, mieux cela vaut. Ce malheureux préjugé a fait mourir autant de bêtes à laine, que la main du boucher. Personne ne niera que le climat de Suéde ne soit infiniment plus froid que celui de France ; cependant, depuis que l’excellent citoyen, M. Alstrœmer, digne des plus grands éloges, a introduit dans ce royaume les races angloises & espagnoles, les bergeries sont, de distance en distance, ouvertes par des trous de trois ou quatre pouces de diamètre, afin que l’air y joue librement. Quel air froid, en comparaison du nôtre ! Outre ces trous, il y a encore des fenêtres qu’on ouvre & ferme à volonté, de manière qu’on y maintient l’air tempéré des printems ou des automnes de France ; ce qui peut être évalué au douzième degré du thermomètre de Réaumur. Dès que la chaleur de l’atmosphère approche de ce terme, il est donc absurde de tenir les troupeaux dans des bergeries où la chaleur est nécessairement au moins de trente degrés. On fait sortir l’animal pour aller paître dans les champs, & il passe tout à coup du trentième degré au douzième ; & lorsqu’il rentre dans la bergerie, du douzième au trentième. Si le changement subit du degré de chaleur cause à l’homme les rhumes, les fluxions de poitrine, l’arrêt de la transpiration, &c. le mouton n’est-il pas bien plus dans le cas de subir la même loi, puisque la chaleur de nos appartemens ne passe pas habituellement, dans l’été, celle de vingt-quatre à vingt-six degrés ; & encore est-ce fort rare, sinon dans nos provinces méridionales ? Je sais que pendant la saison des chaleurs, les grands propriétaires des troupeaux font parquer ; mais je sais aussi que dans beaucoup de provinces de France, on ignore la manière de faire parquer. D’ailleurs, les troupeaux réunis en parc, n’équivalent pas à la centième partie des moutons de France, qui ne parquent point ; ainsi, de manière ou d’autre, on ne doit plus être étonné si la chaleur fait périr beaucoup de moutons dans l’écurie même. Leur graisse se fond & se change en une substance aqueuse & corrosive ; la laine d’hiver pousse beaucoup, à peu près comme les plantes que l’on tient dans la serre chaude ; elles perdent en qualité ce qu’elles gagnent en longueur, & souvent la racine de cette laine se dessèche, & la laine tombe, &c.

Il est très-facile de remédier à ces inconvéniens, en faisant construire des bergeries ouvertes. Élevez leurs murs de circonférence à la hauteur de quatre pieds, & laissez une ouverture pour la porte, qui sera fermée par une barrière mobile. À cette hauteur, le loup ne sauroit pénétrer dans la bergerie. Il est d’ailleurs trop rusé pour se jeter dans un endroit dont il ne peut pas facilement sortir. Sur ce mur, élevez des pilliers en bois ou en maçonnerie, & donnez-leur huit pieds de hauteur ; ils serviront à porter une charpente recouverte en tuiles ou en chaume, &c. Le forget du toit doit déborder de deux pieds les murs, afin de garantir la bergerie des pluies, & de conduire ces eaux de manière que le sol de l’intérieur ne contracte point d’humidité. Chaleur & humidité, sont les deux fléaux les plus redoutables pour les troupeaux.

Cette bergerie ouverte sera d’un grand secours pendant l’été, à ceux qui n’ont point d’abri à donner aux troupeaux, depuis dix heures du matin jusqu’à trois de l’après-midi ; elle servira également, tant que les gelées ne refroidiront pas trop l’atmosphère, & même pendant les gelées, si l’on veut m’en croire. Je n’avance point ici une opinion hazardée, ni un systême ; je parle d’après ma propre expérience ; & tout le monde sait que M. le maréchal de Saxe fit jeter dans le parc de Chambor plusieurs moutons & plusieurs brebis de la race de Sologne ; que devenus sauvages dans ce parc, qui a trois lieues de tour, clos de murs, & dont la majeure partie est en forêt & en taillis, ils s’y sont multipliés, & que leur laine a été trouvée de beaucoup supérieure à celle de tous les troupeaux du voisinage. Mais veut-on une preuve au moins aussi forte, & qui portera la conviction jusque dans les esprits les plus prévenus ? il suffit d’aller à Montbard, dans la Haute Bourgogne, voir chez M. Daubenton, combien nous sommes encore éloignés d’avoir des idées saines sur l’éducation des moutons. On y verra les espèces flandrines du Cotentin, de l’Île de France, de la Sologne, de la Bourgogne, du Languedoc, de la Navarre ; enfin, de toutes les provinces de France, avoir pour bergerie un terrain très-étendu, simplement clos de mur. Ces races sont exposées à toutes les intempéries des saisons, les mères mettent bas au milieu de la neige ; & les agneaux, loin d’y périr, acquièrent beaucoup de force & de vigueur. J’ose ici joindre mes instances à celles du public, pour engager ce respectable & zélé citoyen à faire imprimer l’ouvrage qu’il a annoncé, que l’on attend depuis long-tems avec la plus vive impatience. J’espère qu’il produira une révolution complète en France.

À l’article Mouton, nous entrerons dans tous les détails nécessaires pour faire connoître la constitution du mouton, ses différentes maladies, & sur-tout celles qui sont occasionnées par le défaut des mauvaises bergeries.