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Cours d’agriculture (Rozier)/BOUSBOT

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 424-426).


BOUSBOT. Nom que l’on donne aux vignerons qui habitent les environs de Besançon. Toute profession honorée est sure de fleurir. La classe la plus considérée dans ce pays est, après la noblesse, celle des vignerons. Il existe dans cette ville & depuis sa plus haute antiquité, un ordre d’administration publique sous la dénomination du tribunal des quatre ; & de ces quatre magistrats, deux sont toujours choisis parmi les bousbots. Ces vieillards quittent leurs outils pour aller rendre la justice, & ils sont récompensés au centuple de leurs peines, par la gloire seule d’être médiateurs. Il survient des discussions, mais jamais de procès ; & de leur siège souverain, nos vignerons jurisconsultes retournent à leur colline, pour y jouir sans reproche du soleil & de la nature ; & semblables aux romains des premiers tems de la république, après avoir servi leur patrie, ils reprennent leurs travaux.

Voici un trait que nous a fait connoître M. le marquis de Pezay. « On me cita dans le pays, dit-il, un de ces bousbots qui jouit à présent de douze mille livres de rente ; & qui, aussi loin de l’avarice que d’une fausse honte, va tous les jours à la vigne avec ses trois fils. Là il regarde le soleil levant, pour qu’il le bénisse & mûrisse ses raisins ; ensuite faisant quatre parts du pain bien choisi qu’il a apporté, il jette les quatre morceaux à égale distance en différentes directions dans sa vigne. Alors les trois fils s’arment chacun de leur marre ou de leur serpe ; ils dirigent leurs travaux vers le point où le repas frugal les attend ; & y arriver le premier, est une gloire douce comme une joie pure, dont le père vigoureux ne cède encore rien à ses enfans. »

Il est résulté de l’établissement de ce tribunal, que l’esprit d’ordre, de droiture, de fidélité & de zèle pour le travail, s’est perpétué de race en race, & que chaque bousbot ambitionnant d’être nommé un des membres du tribunal des quatre, veille exactement sur sa conduite pour s’en rendre digne. C’est dans cet esprit qu’il élève ses enfans, & ce bon esprit s’est successivement perpétué jusqu’à nos jours. Il en est résulté un bien réel pour le moral & pour le physique ; point de vignes mieux cultivées, mieux soignées dans la province, que celles des bousbots. Point de desir d’abandonner la condition de son pere, puisqu’on est sûr d’y être honoré, respecté & chéri de ceux à qui l’on rend la justice & auxquels on sert d’exemple.

Oh ! combien il seroit avantageux d’établir de pareils tribunaux dans tout le royaume, de rendre le cultivateur estimable à ses propres yeux, de lui faire sentir ce qu’il vaut, & de quelle utilité il est pour l’État ! C’est par esprit de corps que les troupes sont des prodiges de valeur ; & par esprit de corps, les habitans de la campagne feroient des prodiges de culture ; mais au contraire ils sont méprisés, ou du moins peu de personnes leur rendent la justice qu’ils méritent. Le paysan est naturellement franc & juste ; rarement agit-il contre le témoignage de sa conscience. Quel soin & quel intérêt n’apportera-t-il pas dans l’exercice d’une place qu’il ne devroit qu’à sa vertu ?

De l’érection de semblables tribunaux, il en résulteroit, il est vrai, la destruction d’un grand nombre d’offices de procureurs, de greffiers, d’huissiers, &c. Mais si on considère qu’un seul de ces individus suffit pour soulever la moitié d’une communauté contre l’autre, ainsi que cela arrive tous les jours, on se plaindra moins de la suppression. Un médecin meurt de faim sans malades, & un procureur sans procès.

C’est par cet esprit de corps qu’on voit subsister en Auvergne, depuis plus de quatre cens ans, la famille des Pinçou, celle des Fleuriot en Lorraine ; & il est à présumer que le sublime Kliyoog ou Jacques Gouyer, transmettra à ses enfans, & ses connoissances & sa manière de vivre. Ces noms méritent qu’on s’en occupe, & puisse leur exemple être imité ! (Voyez ces mots)