Cours d’agriculture (Rozier)/CHÂTAIGNE, CHÂTAIGNIER

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 154-179).

CHÂTAIGNE, CHÂTAIGNIER. M. Tournefort place le châtaignier dans la seconde section de la dix-neuvième classe, qui comprend les arbres & les arbrisseaux à fleurs à chaton, dont les fleurs mâles sont séparées des fleurs femelles, mais sur le même pied, & dont les fruits ont une enveloppe coriacée ; & il l’appelle fagus silvestris quæ peculiariter castanea. M. von Linné le classe dans la monoecie polyandrie, le réunit au genre du hêtre, fau ou fayard, & il le nomme fagus castanea.


Plan du travail sur le Châtaignier.


CHAPITRE PREMIER. Description du châtaignier en général.
CHAP. II. Description de ses espèces.
CHAP. III. Observations générales sur le châtaignier & le marronnier.
CHAP. IV. Du semis des châtaignes.
CHAP. V. De la transplantation des jeunes châtaigniers, & des soins qu’exige une châtaigneraie.
CHAP. VI. De la récolte des châtaignes & des marrons.
CHAP. VII. De la dessiccation complette des châtaignes.
CHAP. VIII. De leurs préparations.
CHAP. IX. De leurs propriétés alimenteuses & médicamenteuses.



CHAPITRE PREMIER.

Description du Châtaignier en général.


Fleurs à chatons, mâles ou femelles sur le même pied, mais séparées. Les fleurs mâles font composées d’une douzaine d’étamines, & d’un calice en forme de cloche, découpé en cinq. Ces fleurs sont rassemblées sur un réceptacle en forme de chaton cylindrique. Les fleurs femelles sont composées de trois pistils, placés dans un calice d’une seule pièce, à quatre découpures droites & aiguës.

Fruit, ovale à trois côtés obtus, recouvert d’épines, renfermant une ou deux, & même jusqu’à trois amandes qu’on nomme châtaignes, qui sont à l’intérieur recouvertes d’une espèce de duvet, & à l’extérieur d’une peau coriacée & brune. Ordinairement une ou deux des trois amandes avortent.

Feuilles, soutenues par des pétioles simples, en forme de fer de lance, dentées en manière de scie, fermes, vertes & luisantes.

Port, grand arbre dont l’écorce est lisse, noirâtre, tachetée ; les fleurs naissent des aisselles des feuilles ; les chatons des fleurs mâles sont alongés, cylindriques ; les fruits très-épineux en dehors, & d’une couleur verdâtre ; les feuilles sont alternativement placées sur les branches.

Lieu. Les forêts, les champs, les bois ; fleurit en Juin & Juillet. L’odeur de sa fleur est désagréable.


CHAPITRE II.

Des espèces de Châtaignier.


Il n’est pas possible de spécifier toutes les variétés de châtaignes que chaque espèce a produites. Il en est ainsi de tous les arbres & arbustes que l’homme, pressé par le besoin, ou aiguillonné par la sensualité, a soumis à une culture réglée. La multiplicité des soins, la surabondance de nourriture, enfin une végétation vigoureuse, & plus active que celle acquise naturellement, ont produit & produisent chaque jour de nouvelles espèces jardinières. (Voyez le mot espèce, pour connoître la différence que nous faisons des espèces naturelles, & des espèces jardinières.)

I. Châtaignier sauvage ou des bois, désigné ainsi par Bauhin. Castanea silvestris, quæ peculiariter castanea. Cette espèce sauvage ne seroit-elle pas le type de toutes les espèces jardinières, cultivées en Europe ? Il y a tout lieu de le présumer.

II. De cette espèce dérive le châtaignier à feuilles en forme de lance, à dentelures aiguës, unies par dessous ; & c’est le châtaignier commun. Castanea foliis lanceolatis acuminato serratis, subtus nudis. Miller.

III. Châtaignier à feuilles ovales, en forme de lance, à dentelures aiguës, velues par dessous, & à chatons minces & noueux. Castanea foliis lanceolato-ovatis acute serratis, subtus tomentosis, amentis filiformibus nodosis. Miller.

IV. Châtaignier à feuilles ovales, oblongues, à très-gros fruits ronds & épineux. Castanea foliis oblongo-ovatis, serratis fructu rotundo maximo echinato. Miller.

V. Petit châtaignier à grappes. Castanea humilis racemosa. Bauhin. Il est assez inutile de cultiver cette espèce, son bois sert tout au plus à brûler ; son fruit est de la grosseur d’une noisette, & d’un goût peu agréable.

VI. Châtaignier à feuilles panachées. Plus du ressort des amateurs que des cultivateurs. L’origine de la panachure tient à une maladie de l’arbre qui a toujours l’air languissant, & ne végète pas aussi bien que les autres. La rareté ou l’air de singularité fait tout son mérite, si c’en est un aux yeux de celui qui aime la simple nature, que d’avoir un air souffrant. On multiplie cette variété par la greffe.

Le châtaignier de Virginie, ou le chinkapin. Je copie cet article & le suivant du Dictionnaire Encyclopédique, où l’on rapporte ce que Miller dit dans son Dictionnaire, parce que je n’ai jamais vu les deux arbres dont il est question.

« Le chinkapin, quoique très-commun en Amérique, est encore fort rare, même en Angleterre, où cependant on est si curieux de faire des collections d’arbres étrangers. Ce n’est pas que cet arbrisseau soit délicat, ou absolument difficile à élever, mais sa rareté vient du défaut de précautions dans l’envoi de ses graines qu’on néglige de mettre dans du sable, pour les conserver pendant le transport. Le chinkapin s’élève rarement en Amérique à plus de seize pieds, & pour l’ordinaire il n’en a que huit ou dix ; il prend par proportion plus de grosseur que d’élévation : on en voit souvent qui ont plus de deux pieds de tour. Il croît d’une façon fort irrégulière ; son écorce est raboteuse & écaillée ; ses feuilles d’un verd foncé en dessus, blanchâtre en dessous, sont dentelées & placées alternativement ; elles sont beaucoup plus petites que celles de notre châtaignier ; les châtaignes sont d’une figure conique, de la grosseur des noisettes, de la même couleur & consistance que les autres châtaignes. L’arbrisseau les porte par bouquets de cinq ou six, qui pendent ensemble, & qui ont chacune leur enveloppe particulière. Elles mûrissent au mois de Septembre, elles sont douces & de meilleur goût que nos châtaignes. Les Indiens qui en font grand usage, les ramassent pour leur provision pendant l’hiver. Le chinkapin est si robuste qu’il résiste, en Angleterre, aux plus grands hivers en pleine terre ; il craint, au contraire, les grandes chaleurs qui le font périr, surtout s’il se trouve dans un terrein fort sec ; il se plaît dans celui qui est médiocrement humide ; car si l’eau y séjournoit long-temps pendant l’hiver, cela pourroit le faire périr. Il n’est guère possible de le multiplier autrement que de 3 semences, qu’il faut mettre en terre aussi-tôt qu’elles sont arrivées ; & si l’hiver qui suivra est rigoureux, il sera à propos de couvrir la terre avec des feuilles, & pour empêcher la gelée d’y pénétrer au point de gâter les semences. On a essayé de le greffer en approche sur le châtaignier ordinaire ; mais il réussit rarement par ce moyen. »

VII. Le châtaignier d’Amérique à larges feuilles & à gros fruit. La découverte de cet arbre est due au Père Plumier, qui l’a trouvé dans les établissemens françois de l’Amérique. Cet arbre n’est pas commun en Angleterre. M. Miller dit n’en avoir vu encore que trois ou quatre jeunes plants, dont les progrès étoient médiocres. Il diffère du châtaignier ordinaire, parce qu’il a quatre châtaignes renfermées dans chaque bourse, & l’espèce commune n’en a que trois. L’enveloppe extérieure est très-grosse, & si épineuse, qu’elle est aussi incommode à manier que la peau d’un hérisson. Ses châtaignes sont très-douces, fort saines, mais pas si grosses que les nôtres. Il faut le semer comme le chinkapin.

VIII. Il me reste à parler du marronnier. Je ne le regarde point comme une espèce naturelle, mais comme une espèce jardinière, c’est-à-dire, produite accidentellement par la culture, & non pas par la greffe. La greffe, il est vrai, l’a perfectionnée. Le marronnier a donné plusieurs espèces particulières, & le roissilat du Limosin est très-différent du marron du Bresil, paroisse de Loire, près de Lyon, & tous deux ne ressemblent point à ceux du Vivarais, du Bas-Languedoc, de Provence, de Dauphiné. On peut dire, s’il est permis de s’exprimer ainsi, que ces fruits ont une physionomie qui leur est particulière, qu’il en est de leurs formes comme de celles du blé. Il faut une habitude journalière de comparaison pour saisir ces nuances, & ne pas se tromper. Je n’insisterai point sur les noms particuliers donnés dans les différens cantons, aux marrons & aux châtaignes. Cette nomenclature causeroit plus de méprises qu’elle ne seroit instructive. En effet, si je parlois à un Poitevin de la châtaigne ozillarde de Touraine, il se figureroit qu’il s’agit de la grosse châtaigne qu’il cultive sous ce nom, tandis qu’il seroit question d’une châtaigne sauvage, petite, quoique très-bonne à manger, &c. Les possesseurs des marronniers de la chaîne des montagnes de Languedoc, de Dauphiné, ne reconnoîtroient pas mieux les espèces de châtaignes, l’exhalade & la verte du Limosin, qui rapprochent si fort du marron.

CHAPITRE III.

Observations générales sur le Châtaignier & le Marronnier.


Je suis persuadé que le châtaignier & le marronnier ne peuvent pas complétement réussir dans toutes les positions, & même qu’il en est peu qui leur conviennent. Cette assertion paroîtra peut-être un paradoxe, puisque ces arbres croissent naturellement en Angleterre, le long du Rhin, dans le canton de Lucerne, sur les montagnes du Jura en Franche-Comté, dans le pays de Gex, le long du lac de Genève, dans la Savoye, le Dauphiné, la Provence, le Languedoc, sur les Pyrénées, les Apennins, dans la Corse, le Vivarais, le Lyonnois, le Limosin, l’Angoumois, la Saintonge, &c. mais partout où ce fruit jouit de quelque réputation, j’ai observé que ces arbres étoient plantés à une certaine hauteur, & dans des endroits froids. En effet, ceux des climats plus tempérés produisent des fruits moins savoureux, & même dans plusieurs, on se contente de semer des châtaigniers pour avoir des taillis & des bois destinés à faire des échalas ou des cerceaux. J’ai encore observé que cet arbre ne craint pas les plus fortes gelées, qu’il est très-lent à pousser ; mais qu’il exige, dès que sa végétation est commencée, presque jusqu’au moment de la maturité du fruit, une chaleur assez forte. En effet, dans les pays montagneux, la réverbération des rayons du soleil rend son activité plus énergique ; & plus son action est soutenue, plus le goût du fruit est parfumé. Si la saison de l’été & du commencement de l’automne est pluvieuse & au-dessous du degré de chaleur qu’elle doit avoir, le fruit aura moins de goût, & se conservera difficilement.

Le châtaignier & le marronnier aiment les croupes des montagnes fraîches, mais non pas trop humides. Les auteurs s’accordent à dire que le terrein léger & friable leur convient mieux que tout autre ; cependant j’ai vu de superbes maronniers sur des montagnes, dont le terrein est fort & compacte. Les marronniers qui donnent le plus de fruits, & qui prospèrent le mieux, sont ceux dont les racines sont assez heureuses pour s’insinuer dans les gerçures & dans les crevasses des rochers. Il s’y rassemble un amas de terre végétale, dont les pluies les remplissent, & c’est, sans doute, à la fertilité de cette terre précieuse qu’est due la végétation surprenante de ces beaux arbres. Il n’est pas aisé de décider si les rochers calcaires leur sont plus avantageux que les autres, puisque j’en ai vu de prodigieux par le tronc & par l’étendue des branches, sur des montagnes dont la nature de la pierre étoit diamétralement opposée. Dans la vallée de Baigorri, le sol est ferrugineux, semé de pierrailles & de rochers.

Le châtaignier ou le marronnier ne donnent, en général, des fruits supérieurs en qualité, que lorsqu’ils végètent sur les montagnes du troisième ordre. J’entends par montagne (Voyez ce mot) du troisième ordre, celles qui, par leur élévation ou position septentrionale, n’éprouvent pas une chaleur assez active pour la maturité complète du raisin. Cette loi générale peut, j’en conviens, souffrir quelques exceptions ; mais ces exceptions ne la détruisent pas, & on verra bientôt la preuve de ce que j’avance.

Pourquoi ne trouve-t-on plus aujourd’hui des châtaigniers ou des marronniers, dont la tige soit très-longue ? Les charpentes de presque toutes les anciennes églises sont, dit-on, construites avec leurs poutres, & la longueur de leur portée étonne. On diroit que ces arbres, aujourd’hui, prennent en diamètre de leur tronc, en étendue de leurs branches, ce qu’ils ont perdu en hauteur. Est-ce le froid ou la sécheresse qui ont fait périr ces arbres d’une si belle venue ? Mais comment l’effet de ces météores auroit-il agi également sur les Pyrénées, sur les Alpes, sur les montagnes de Corse, & sur les endroits élevés de l’intérieur du royaume, &c. ? Le froid n’est jamais général, celui de 1709 ne le fut pas, & il en est ainsi de la sécheresse. Il y a lieu de douter que ces poutres énormes soient effectivement de châtaignier. Le bois du chêne blanc, après un grand nombre d’années, acquiert le grain & le coup d’œil du bois de châtaignier. C’est ce que M. de Buffon a parfaitement démontré.

Le châtaignier est un arbre forestier, tel que le chêne, le hêtre, & nous avons en France des forêts où il en existoit sûrement du temps des Druides. Si nous parcourons le pays des montagnes du troisième ordre, nous trouverons dans les Vosges des marrons excellens ; à Aubonne, sur la chaîne des Monts-Jura en Franche-Comté, des marrons estimés, & dont il se fait un gros commerce ; les montagnes du Bugey offrent les mêmes productions. Dans le Dauphiné, les marrons y acquièrent une grosseur surprenante ; ils descendent par bateau sur l’Isère, remontent le Rhône & arrivent à Lyon, qui en devient l’entrepôt pour Paris, &c. En continuant à suivre la chaîne orientale des montagnes de France, on trouve dans la Provence, les Maures qui sont un embranchement des Alpes, lequel va se précipiter dans la mer entre Toulon & Frejus. (Voyez la carte des bassins du royaume, au mot Agriculture) Le lieu particulier, nommé la Garde de Frainet, sur les Maures, fournit les fameux marrons du Luc, si renommés en Provence ; le Luc leur sert d’entrepôt. Actuellement en remontant du midi au nord du royaume, par une semblable parallèle, les montagnes de la partie du sud de Languedoc, & celles qui bordent le cours du Rhône, donneront les marrons renommés de Saint-Pons, du Vivarais & du Lyonnois. Lyon est l’entrepôt des marrons du Vivarais & du Dauphiné, & plusieurs auteurs ont par là été induits en erreur, & ont avancé que le Lyonnois ne fournissoit pas des marrons. Au contraire, c’est ceux du territoire du Brésil, paroisse de Loire, à quatre lieues de Lyon, qui ont donné la célébrité aux autres qu’on vend à Paris sous le nom de marrons de Lyon. Ils sont plus petits, plus ronds que ceux du Vivarais & du Dauphiné, mais il n’y a aucune comparaison à faire entr’eux pour la finesse du goût. Quoique plus petits, ils sont toujours beaucoup plus chers que les gros. Dans ce lieu d’entrepôt, on fait trois classes des marrons qu’on y apporte. La première est pour les plus gros ; la seconde pour les marrons d’une moindre grosseur ; la troisième se consomme dans la ville, mais les marrons de Loire sont toujours classés à part. La chaîne des montagnes qui partage la Bourgogne du nord au sud, fournit encore de très-bons marrons, & ici se terminent les bonnes productions, en ce genre, de cette seconde parallèle.

Commençant une troisième parallèle, on trouvera ceux des Pyrénées, ceux de Rodez, d’Auvergne, du Périgord, du Limosin, du Poitou, &c. & il faudra reprendre une quatrième parallèle pour avoir ceux de la Navarre, & en particulier les excellens marrons de la vallée de Baigorri.

D’après l’inspection des lieux cités, on voit que les pays élevés jusqu’à un certain point, fournissent seuls des marrons & des châtaignes de bonne qualité, & que cet arbre, qui brave les hivers, exige de temps à autre d’avoir des coups de soleil actifs, afin de passer alternativement pendant l’été, de la fraîcheur du matin & du soir, à la chaleur du jour, & ainsi tour à tour. C’est, je crois, la raison pour laquelle les châtaignes des environs de Paris & des plaines, n’ont jamais un goût relevé.


CHAPITRE IV.

Du semis de châtaignes.


Il y a deux espèces de semis. Le premier a pour objet la formation des taillis ou des forêts, & on l’appelle semis à demeure ; le second s’exécute en pépinières, d’où l’on tire les sujets, afin de les transporter ailleurs.

Plusieurs auteurs agronomes ont avancé que les petites châtaignes étoient aussi bonnes à semer que les grosses, pour produire de grands arbres. C’est une erreur qui tire à conséquence. Je ne crains pas d’avancer, au contraire, qu’on doit choisir les meilleures châtaignes & les plus grosses, & même que, dans la vallée de Baigorri, si les châtaignes ont été bien choisies, il est inutile, dans la suite, de greffer l’arbre. On ne manquera pas d’objecter la coutume ; mais il suffira de répondre : Faites deux semis dans le même terrein, de grosses & de petites châtaignes, & l’expérience démontrera l’abus de la coutume. On préfère le beau blé au blé de médiocre qualité, lorsqu’on veut ensemencer ses terres. Les pépiniéristes en arbres fruitiers conservent les noyaux des pêches les plus grosses, les pepins des plus belles poires, des plus belles pommes, le jardinier, les semences des melons, des choux, &c. les plus parfaites. Le châtaignier seul formeroit-il donc une classe à part ! Il est absurde de le penser. Les habitans des Pyrénées, & sur-tout de la vallée de Baigorri, choisissent les châtaignes une à une, & confient à la terre ce qu’ils ont de plus précieux en ce genre.

I. Des semis des taillis. Si le terrein est inculte, il sera convenable de couper toute espèce de broussailles, d’arracher les racines, de labourer profondément la terre, & par ce travail d’ensevelir les herbes. Cette opération doit se faire dans le temps à peu près que la majeure partie des plantes qui couvrent la surface du terrein est en pleine fleur, & l’on n’attendra pas que la fleur ait passé à l’état de graine, afin d’éviter, dans l’année suivante, la germination des mauvaises graines. Ces herbes enfouies en terre y pourrissent, & augmentent le volume de terre végétale, dont les terreins en friche ont le plus grand besoin. Quelques personnes lèvent par couches & par tranches la superficie du terrein, en forment de petits fourneaux ; en un mot écobuent (Voyez ce mot) le sol destiné au semis. Sans désapprouver l’écobuage qui vaut mieux qu’un simple labour, l’expérience prouve qu’une pluie un peu forte délave les sels qui en résultent, & que l’argent dépensé pour cette opération est fort au-dessus du produit réel. Je préfère donc la conservation de la terre végétale. Si on doit semer après l’hiver, il convient, dans les beaux jours d’Octobre, de donner un second labour qui croisera le premier, afin que les pluies, la neige & les gelées aient le temps & la facilité d’ameublir, de pénétrer & de préparer la terre.

Il y a deux époques pour semer, ou aussi-tôt que la châtaigne est tombée de l’arbre, & c’est la meilleure, quoi qu’elle ne soit pas sans inconvénient ; ou de semer dès qu’on ne craint plus les plus fortes gelées.

Je préfère la première époque, puisque c’est celle qui se rapproche le plus de la méthode de la nature, tandis que la seconde doit beaucoup à l’art. Pour semer avant l’hiver, la terre aura été, comme je l’ai déjà dit, labourée au printemps précédent, & on lui donnera deux profonds labours, l’un en Septembre, & le dernier à la fin d’Octobre : enfin on choisira, s’il est possible, le moment où la terre ne sera pas trop humectée, parce que toutes châtaignes qui se trouvent ensevelies sous une motte de terre, & dont tous les points de sa superficie ne sont pas couverts immédiatement par la terre, commencent par moisir, pourrissent ensuite, & sont hors d’état de végéter au renouvellement de la belle saison. Il est donc essentiel d’ameublir la terre le plus qu’il est possible.

Il y a trois manières de semer les châtaignes, ou suivant la direction des sillons, ou à la volée, ou sur les bords de petites fosses. La première a l’avantage de conserver l’alignement, & par conséquent de préparer la distance uniforme qui se trouvera, dans la suite, entre chaque cépée, ce qui facilite les moyens de regarnir les places vides, ou par des provins, ou par de jeunes plants ; mais on doit craindre que si les mulots, les taupes, ou autres animaux très-friands des châtaignes, gagnent un sillon, ils le suivront d’un bout à l’autre, de manière que le sillon restera vide. En semant à la volée, on ne craint pas le même inconvénient.

On n’est pas d’accord sur la distance à garder dans le semis. Quelques auteurs exigent six pieds, d’autres plus, d’autres moins, La méthode de six pieds seroit excellente, si l’on étoit assuré de la réussite de tous les germes. Il vaut cependant mieux semer de trois sillons, un, ce qui forme à peu près trois pieds de distance, & on conservera le même éloignement en tout sens.

Quant au semis à la volée, la distance n’est pas si bien observée, & cette méthode est plus expéditive que la première, puisqu’il faut semer les châtaignes les unes après les autres, & toujours deux à la fois.

Le semis du troisième sillon offre l’avantage d’avoir beaucoup de plants surnuméraires, qu’on enlève à la seconde ou troisième année, soit afin de débarrasser le terrein, soit afin de remplacer l’endroit où les germes ont péri. Ces jeunes plants sont excellens ; ils sont déjà accoutumés à la terre, leurs racines ont peu d’étendue, & n’ont pas besoin d’être mutilées lorsqu’on enlève le sujet : enfin, elles n’ont pas le temps de souffrir & de se dessécher jusqu’au moment de la transplantation.

Que l’on ait semé à la volée ou à la raie, la herse doit passer plusieurs fois de suite sur tout le terrein, afin que la terre des bords retombe dans le fond, & recouvre exactement les châtaignes.

La troisième méthode, préférable aux deux premières, consiste à défoncer la terre, ainsi qu’il a été dit, & à la herser au moment de la plantation : alors, avec un cordeau, ou au moyen de quelques piquets d’alignement, on fixe des raies égales pour la distance, & tous les six pieds on ouvre une petite fosse de huit à dix pouces de profondeur sur autant de largeur.

La terre sortie de la fosse & relevée sur les bords, sert à ensevelir la châtaigne. On en place une à chacun des quatre coins, de manière que les quatre châtaignes soient disposées en croix. Comme la terre de dessus est bien ameublie, le fruit germe aisément, perce la superficie sans peine, & la radicule a la plus grande facilité pour pivoter. La petite fosse restée ouverte, a l’avantage de conserver l’humidité, & de retenir la terre végétale entraînée par l’eau des pluies & la poussière fine, & les feuilles chassées par les vents ; en un mot, c’est un dépôt de terre végétale. Lorsque les germes seront bien assurés, lorsque les arbres auront pris de la consistance pendant une année, on laissera subsister celui qui promettra le plus, & les autres seront tirés de terre, en observant de ne point endommager les racines de celui destiné à rester en place.

Si les circonstances nécessitent à semer après l’hiver, & que l’on veuille suivre la première ou la troisième méthode, il est indispensable de faire germer les châtaignes. Dès que la châtaigne est tombée de l’arbre, séparée de son hérisson, on la porte sur un plancher, dans un lieu exposé à un courant d’air ; étendue sur ce plancher, elle y reste plusieurs jours, afin que son eau surabondante de végétation ait le temps de s’évaporer. On les place ensuite dans des mannequins, ou dans de grandes caisses, ou enfin sur ce même plancher, & on fait un lit de sable & un lit de châtaignes, & ainsi successivement jusqu’à ce que la caisse soit pleine. Si le plancher sert d’entrepôt, il suffira de faire une espèce de caisse avec des planches, afin de retenir le sable. Il est prudent de ne pas appuyer le sable & les châtaignes contre les murs de l’appartement : la pierre attire, pendant l’hiver, l’humidité de l’atmosphère, la communique au sable, celui-ci à la châtaigne, & la châtaigne moisit. Cette précaution coûte peu à prendre. Il est essentiel que la gelée ne pénètre pas jusqu’aux châtaignes : si on prévoit ses effets funestes, on fera très-bien de recouvrir le tout avec une quantité suffisante de paille. Le fruit germe pendant l’hiver, pousse sa radicule, & dès que la saison le permet, on le tire du sable avec précaution, afin de ne point endommager cette radicule ; & avec la même précaution, on le place dans des panniers ou sur des claies, afin de le transporter vers le sol préparé pour le recevoir. Quoique cette précaution semble assurer la reprise & la végétation, il est prudent de placer deux châtaignes ensemble, afin que si l’une manque par une cause quelconque, l’autre la supplée, sauf à arracher un des deux plants, si le besoin l’exige ; & on laisse toujours le meilleur.

Je préfère la méthode que je viens de décrire, à la même qui s’exécute en plein air. Elle consiste à former une stratification sur un terrein sec, avec de la terre meuble, sur une épaisseur de trois pouces pour chaque lit : enfin, le tout recouvert par un lit de terre de six pouces, & suivant le besoin, garanti avec de la paille. Ce dernier expédient empêche rarement l’humidité de pénétrer la masse ; dès-lors la moisissure & la corruption des germes, quoiqu’on ait eu la précaution de faire suer les châtaignes pendant trois semaines ou un mois avant de les stratifier.

II. Des semis pour les forêts de châtaigniers. Il seroit absurde de défricher une étendue considérable de terrein, dans la seule vue de planter des châtaigniers à vingt, trente ou quarante pieds les uns des autres. Les trois méthodes indiquées des semis donnent les moyens d’établir des forêts, par les seuls pieds qu’on y laisse, fournissent une masse considérable de jolis sujets à replanter ailleurs ; enfin, permettent le choix des plus beaux & des mieux venus, destinés à créer la forêt.

Dans la première méthode, on peut, après la troisième ou quatrième année, supprimer le rang intermédiaire que j’ai dit être éloigné de trois pieds de son voisin ; dès-lors ce rang voisin sera distant de l’autre de six pieds, espace suffisant à l’extension des racines. À la huitième année, on supprimera encore un rang ; & si les racines sont bien ménagées, chaque pied sera dans le cas d’être planté de nouveau. Par cette suppression, voilà un espace de douze pieds, bien suffisant & proportionné au volume de l’arbre & à l’accroissement que doivent prendre les racines. Si on ne veut pas replanter les arbres arrachés, ils feront de bons échalas ou des cerceaux ; dès-lors le terrein n’aura pas été employé inutilement, & le produit dédommagera amplement des premières dépenses. Dès que les branches des arbres laissés sur pied commenceront à se rapprocher & à se toucher, c’est le cas de supprimer encore un arbre à chaque rangée, & ceux qui resteront en place se trouveront éloignés les uns des autres de vingt-quatre pieds ; enfin, le temps venu, on les espacera de quarante-huit pieds, & l’arbre acquerra la plus grande force. Si l’abatis fait après la douzième année donne déjà un bénéfice réel, que ne doit-on donc pas attendre du produit des abatis suivans !

III. Des pépinières. Ce que j’ai dit des semis de la première & de la troisième méthode, donne, en général, l’idée de la pépinière, & dans le besoin, on pourroit les regarder comme tels ; cependant la pépinière exige plus de soin, & il faut que de chaque châtaigne il en sorte un arbre, surtout lorsqu’on ne se propose pas de grandes plantations ; malgré cela on peut faire des pépinières en grand.

Elles doivent être établies sur un terrein meuble, frais, situé, s’il est possible, au bord des ruisseaux ou des rivières, un peu à couvert des vents par des haies vives, ou par des arbres placés à certaine distance, & on est sûr d’avoir de belles productions. Après avoir bien préparé le terrein, l’avoir bien ameubli, on le dispose en planches, on plante les châtaignes sur des raies droites, à six pouces les unes des autres, & on les enterre à trois pouces de profondeur, au commencement de novembre. Si la terre a de la consistance, il vaudra mieux attendre la fin de février ou le commencement de mars, parce que les pluies d’hiver la resserreroient, au point que le germe ne pourroit se faire jour à travers une terre devenue trop compacte.

Il faut bien se garder d’amender la terre de la pépinière ; je conviens que la végétation du jeune arbre seroit plus forte, plus vigoureuse ; mais comme il est destiné à être un jour planté dans un terrein maigre, & ne trouvant plus alors cette première nourriture, sa reprise seroit difficile, & sa végétation languissante. Il faut laisser la ressource perfide des amendemens aux marchands d’arbres, à qui il importe fort peu que, dans la suite, l’arbre réussisse ou non, pourvu qu’ils le vendent & en retirent de l’argent. Les seuls soins que la pépinière exige, sont de la tenir très-propre, de la débarrasser de toute plante parasite ; & dans le cas d’une sécheresse, de lui accorder, à la rigueur, quelques légers arrosemens.

Après la première année, tous les plants sont levés de terre sans endommager, châtrer ni mutiler les racines, & portés ensuite dans des fosses ouvertes depuis un mois ou deux, & même plus. Il s’agit, au moment de la transplantation, de retirer de la fosse la terre qui y est tombée, & d’en travailler le fond par un coup de bêche. Pendant ce temps, la terre jetée sur les bords, & celle de la fosse se sont imprégnées des eaux des pluies, l’action du soleil y a excité la fermentation ; enfin tous les météores les ont imprégné de leurs heureuses influences. (Voyez le mot Amendement) Chaque arbre doit être éloigné de trois pieds de son voisin. (Voyez au mot Racine les soins qu’on doit en avoir) Si on veut s’épargner les frais de cette seconde pépinière, on peut semer dans des raies distantes de trois pieds l’une de l’autre, & laissant un pied & demi d’intervalle entre chaque arbre, sur l’alignement du sillon. L’arbre restera ainsi en pépinière jusqu’à la quatrième ou cinquième année. Pendant cet intervalle, les branches latérales seront supprimées avant le renouvellement de la sève du printemps ; la tige s’élèvera alors perpendiculairement, & l’arbre se trouvera en état d’être transplanté à demeure. Il n’est pas besoin de dire que chaque année, le terrein de l’une ou de l’autre pépinière doit être travaillé au moins deux fois ; sans ces précautions, la végétation seroit presque nulle.

Il est inutile d’entrer ici dans les détails nécessaires à l’entretien & à la conduite des taillis de châtaigniers ; ce seroit faire un double emploi, & répéter ce qui sera dit au mot Taillis. (Voyez ce mot)


CHAPITRE V.

De la Transplantation & des soins d’une Châtaigneraie.


Après quatre ou cinq ans, suivant la force ou la foiblesse de l’arbre, il est temps de songer à le tirer de la pépinière, & de l’établir à demeure. Avant la transplantation, il est essentiel que les trous soient faits pour recevoir les arbres. C’est ici que toute petite économie se change en une lésine dangereuse, lorsqu’on n’ouvre pas les fosses sur une grandeur convenable. Que les trous aient au moins cinq & même six pieds de largeur, sur une profondeur de deux à trois, suivant le fond du sol, & que ces trous aient été ouverts plusieurs mois d’avance, & réparés ainsi qu’il a été dit.

Avant d’enlever les arbres de la pépinière, il faut ouvrir à l’un des bouts une tranchée de deux ou trois pieds de profondeur, sur toute la longueur de cette partie de la pépinière, en poussant toujours la terre derrière soi. On fouille ainsi jusque au-dessous des racines, & par ce moyen on les détache de la terre sans les endommager : la terre de la superficie n’étant plus soutenue à sa base, tombe dans la tranchée, & elle est, ainsi que l’autre, poussée derrière le travailleur : enfin, on continue à miner ainsi tout le terrein de la pépinière, & on en tire chaque arbre sans endommager les racines. Je sais que l’opération que je propose trouvera beaucoup de contradicteurs : l’un m’objectera la coutume, l’autre l’expérience ; & je leur demanderai à mon tour, de juger mon assertion par une expérience comparée. En effet, pourquoi, lorsqu’il s’agit d’une transplantation un peu considérable, périt-il un si grand nombre d’arbres ? La raison en est simple. On a mutilé les racines, & par-là on a privé l’arbre des seules ressources fournies par la nature, & qui assurent sa reprise. Je conviens que ces racines ainsi châtrées, poussent à la longue de nouvelles radicules, qui rendent la vie à l’arbre affamé ; mais jusqu’à cette époque l’arbre a souffert. (Voyez le mot Racine)

Je préfère les transplantations faites aussi-tôt après la chute des feuilles, à celles qui s’exécutent en février ou en mars. 1o. À la première époque, on a le choix du jour, & par conséquent on saisit l’instant où la terre n’est ni trop mouillée ni trop sèche ; 2o. l’affaissement naturel de la terre fait que, pendant l’hiver, elle se colle & s’unit aux racines, de manière qu’il ne reste point de vide ; 3o. l’eau des pluies, des neiges, filtrée par la terre remuée, pénètre plus profondément dans le sol au-dessous des racines de l’arbre, & y maintient une humidité précieuse, sur-tout si le printemps ou l’été n’est pas pluvieux, &c. : au contraire, dans la transplantation après l’hiver, l’humidité s’échappe facilement d’une terre nouvellement remuée, & s’il ne survient pas des pluies, il reste des vides entre les molécules de la terre & les racines, & dès-lors les racines s’y chancissent ; enfin, ces racines ne tirent de la terre aucune substance, jusqu’à ce qu’elles y soient intimément unies. Ce n’est pas tout ; si les mois de février ou de mars, sont extrêmement secs ou pluvieux, comme cela arrive souvent, alors le terrein léger n’a plus de consistance s’il est sec, & le sol compacte se lève par mottes, s’il est mouillé ; il se pétrit & devient plus compacte encore : la saison avance, on est forcé à planter, quelque temps qu’il fasse, & souvent l’opération est manquée. On ne court aucun risque de planter avant l’hiver, de très-bonne heure, & beaucoup si on attend la cessation du froid. (Voyez la manière de transplanter les arbres, au mot Transplantation.)

Lorsque l’arbre a été mis en terre, il exige des soins. Le premier & le plus essentiel est de revêtir les tiges avec de la paille & de la recouvrir d’épines : cette paille est inutile, & même seroit nuisible pendant l’hiver, puisqu’elle entretiendroit contre la tige une humidité superflue, que le froid convertiroit en glace, & la glace envelopperoit alors la tige de toutes parts. La paille, au contraire, la doit maintenir fraîche au printemps, & soustraire son écorce à l’action trop directe du soleil pendant le printemps & pendant l’été. Les épines, dont le tout est recouvert, empêchent les bestiaux de venir se frotter contre les arbres, qu’ils couchent & déracinent souvent par la pesanteur de leur masse. La paille a encore l’avantage d’empêcher le tronc de bourgeonner, & la sève ne trouvant pas des issues est forcée de monter au sommet de la tige, d’y former & nourrir les branches nouvelles. Les agronomes prudens, qui ne font rien à la hâte, mais avec poids, mesure & discernement, ont la précaution, dès que les chaleurs se font sentir, de couvrir toute la superficie de la terre remuée au pied de l’arbre, avec des fagots de bruyères ou autres herbes, afin d’empêcher la trop facile évaporation de l’humidité de cette terre ameublie, & par conséquent d’y maintenir cette fraîcheur salutaire, qui assure la reprise & la végétation de l’arbre. Peu à peu ces herbes pourrissent & deviennent un nouvel engrais. On fera encore mieux si on recouvre ces herbes avec six pouces de terre. Un particulier, dans la vallée de Baigorri, a porté l’attention jusqu’à faire chauffer le pied de ses jeunes arbres pendant les cinq ou six premières années, non seulement avec la fougère dont on vient de parler, après leur avoir fait donner un labour sur un diamètre de six à sept pieds, mais encore avec de la terre, relevée de tout le pourtour de l’arbre. Ce travail donnoit plus de solidité au pied de l’arbre, & le fortifioit contre les coups de vents, ménageoit, dans toute la circonférence du terrein travaillé, une espèce de petit réservoir aux eaux pluviales. Il est résulté de ces sages précautions que ces châtaigniers ont fait des progrès si rapides, que dans l’espace de treize à quatorze ans, à compter du temps de leur transplantation dans la châtaigneraie, ils avoient au-dessus du talon trois pieds de circonférence, & qu’ils avoient produit du fruit depuis plusieurs années.

Dès que la tige a produit des branches d’une grosseur convenable, il faut greffer l’arbre en flûte. Je n’entrerai pas ici dans le détail de cette opération, parce qu’elle sera décrite très-au long au mot Greffe. L’opération se fait en Mai de l’année suivante.

Tout le monde sait que le châtaignier porte son fruit à l’extrémité de ses branches ; que la partie des branches couvertes par celles des arbres voisins, n’en produit plus. D’après cette loi de la nature, on doit se régler, pour la conduite de cet arbre, soit qu’on le destine à donner des récoltes abondantes en châtaignes, soit qu’on se propose de l’élever comme arbre de charpente. Ceci exige quelques détails.

La beauté d’une châtaigneraie est d’être peuplée d’arbres, dont la disposition des branches forme une houppe régulière dans sa forme. L’arbre prend naturellement cette disposition sur les endroits élevés. L’art doit cependant venir au secours de la nature, s’il pousse des branches tortueuses ou mal placées. Le grand point, dans les premières années, est de faire prendre & conserver aux branches la direction de l’angle de quarante-cinq degrés. Elles ne la perdront que trop tôt, par la pesanteur & le nombre de leurs fruits, qui les abaissent successivement à l’angle de cinquante, soixante, &c. (Voyez ce que j’ai dit au mot Arbre, t. 1, p. 630, sur la cause de l’inclinaison des branches.) Ainsi, dans les endroits élevés, il n’est pas nécessaire d’élever beaucoup la tige des arbres, puisqu’un libre courant d’air & la lumière du soleil environnent de toutes parts la circonférence des branches. Il n’en est pas ainsi dans les endroits bas ; l’arbre ne se coiffe plus de la même manière que le premier, & au lieu d’y former la houpe, sa tête s’alonge en pyramide, parce qu’il est forcé d’aller chercher le courant d’air & le contact immédiat des rayons du soleil. C’est donc le cas de faire filer la tige, en l’élagant de ses branches latérales, jusqu’à ce que son sommet, parvenu à la hauteur requise, puisse étendre ses branches en liberté, respirer sans peine, & jouir amplement de l’influence du soleil.

Le châtaignier est sujet à produire beaucoup de branches gourmandes, qui affament les voisines.

Le mal provient de ce que les mères-branches s’écartent trop promptement de l’angle de quarante-cinq degrés. Dès-lors la force de végétation, l’abondance des sucs qui affluent aux branches inclinées, les contraint à produire des gourmands qui poussent sur une ligne perpendiculaire, ou presque perpendiculaire ; mais si à la fin de la saison vous tirez un rayon du sommet de ce gourmand vers le tronc de l’arbre, vous trouverez un angle de quarante-cinq degrés, à moins qu’il n’ait poussé immédiatement près du tronc. Cette loi est invariable, elle tient à la nature, & la naissance de ce gourmand démontre que la nature cherche toujours à reprendre ses droits, tant que la sève monte librement dans ses canaux. S’ils sont en grand nombre, & disposés régulièrement dans le pourtour des branches, n’hésitez pas à sacrifier la partie des branches au-delà des gourmands, vous renouvellerez l’arbre ; mais si, au contraire, vous sacrifiez les gourmands, il en poussera perpétuellement de nouveaux, jusqu’à ce que l’arbre soit épuisé.

Le châtaignier fournit encore beaucoup de branches chiffonnes. On doit les abattre, elles absorbent une nourriture dont les branches à fruit ont le plus grand besoin. Quant à celles qui surviennent dans l’intérieur de l’arbre, elles tirent moins à conséquence : étouffées par les supérieures, il est rare qu’elles végètent après la seconde année : une sève trop abondante les a fait naître.

La châtaigneraie bien établie exige chaque année au moins un labour croisé, & deux pour le mieux ; le premier en Mars, avant le développement des bourgeons, & le second en Juin. Si, malgré les labours, les mauvaises herbes gagnent en trop grande abondance, il convient de les couper à la faux, & de les amonceler au pied de l’arbre, afin qu’elles y pourrissent. On ne sauroit trop blâmer ceux qui se contentent d’un léger labour seulement autour du tronc : l’expérience journalière démontre qu’un châtaignier planté dans une terre à grain, porte au double & au triple plus de fruits que celui planté dans une terre en friche. Il ne reste donc plus au propriétaire, qu’à calculer si la dépense de culture n’est pas couverte par l’excédent du produit.

Dans ce qui me reste à dire sur la culture du châtaignier, je ne parlerai pas d’après mon expérience, mais d’après l’analogie & la réflexion. Je ne suis plus à même de l’entreprendre ni de l’observer par la nature du sol & du climat que j’habite. Je veux parler de la culture du châtaignier, relativement aux bois de charpente.

Les pins & les sapins isolés, c’est-à-dire, qui ne sont pas réunis en masse, & plantés près à près, poussent beaucoup de branches latérales, & leur tronc s’élève à une hauteur médiocre, tandis que, si ces arbres sont multipliés & serrés les uns près des autres, la tige s’élève perpendiculairement, & à une hauteur prodigieuse. On sait encore que si, dans le milieu d’une forêt de pins ou de sapins, la foudre, par exemple, ou une trombe de vent vient à frapper quelques arbres ou à les déraciner, ce qui forme un vide, alors tous les arbres de la circonférence de cette clarière, poussent des branches latérales, presque jusqu’au niveau de terre, tandis qu’auparavant la tige en étoit dépouillée presque jusqu’au sommet. Ces nouvelles branches détournent la sève & l’empêchent de se porter avec la même force vers le sommet, & la progression de la tige n’est plus aussi rapide que celle des pins voisins, mais plus éloignés de la clarière ; enfin, on peut dire que les tiges extérieures ne croissent plus, & qu’elles se contentent seulement de grossir. Il en est ainsi dans les forêts de chêne venues de brins. La cause de cette ascension des tiges est, 1o. la proximité des pieds ; 2o. l’espèce de voûte que les branches supérieures forment par leur rapprochement les unes avec les autres, de manière que pour jouir mutuellement du bénéfice de l’air & du soleil, la tige est forcée de s’alonger ; 3o. parce que les branches inférieures étouffées par les supérieures, puisqu’elles les dérobent au contact immédiat de l’air & du soleil, doivent nécessairement périr ; mais la masse de sève qui étoit destinée à leur entretien, ne pouvant plus leur être utile, est obligée de suivre le torrent d’attraction, & par conséquent de se porter au sommet, &c.

Ne seroit-il donc pas possible d’obtenir du châtaignier, ce que l’on obtient des pins, sapins & chênes, & de se procurer par-là ces châtaigniers de portée immense que l’on trouve encore dans la charpente des anciennes églises ?

En suivant la première ou la troisième méthode des semis indiqués dans le Chapitre précédent, on aura la facilité de faire croître les arbres près à près, & de les éclaircir suivant le besoin & en proportion des besoins ; il suffiroit seulement d’élaguer les branches inférieures à mesure que la tige s’élève, & que les supérieures gagnent de l’étendue. Je crois même que cette opération seroit inutile, puisque les pins, sapins & chênes savent parfaitement se dépouiller de ces branches, sans le secours de la main de l’homme. Elles meurent, elles tombent, il n’en reste plus sur le tronc le moindre vestige, l’écorce recouvre la plaie, tandis que le recouvrement est plus pénible & plus laborieux, lorsque ces branches ont été enlevées par le fer.

Pour se procurer de telles forêts, il faudroit choisir les châtaignes à semer sur les espèces dont les arbres s’élèvent naturellement à la plus grande hauteur, & ne pas les greffer. Car la greffe empêche & interrompt la vigoureuse poussée de la tige. Il ne s’agit pas ici de se procurer une récolte de châtaignes, mais des arbres de belle venue, & à quilles droites & proportionnées.

D’après ces idées d’analogie & de comparaison, je trouve dans l’avidité de l’homme, la raison pour laquelle il n’existe plus de châtaigniers à tiges élevées, comme autrefois, & de la plus grande portée. Il a voulu avoir une récolte en châtaignes, & il a négligé d’élever cet arbre en arbre forestier. Je prie ceux entre les mains de qui cet Ouvrage parviendra, de planter une petite forêt de châtaigniers à l’instar de celles de chênes, pins, sapins, hêtres, &c. Cette expérience tient à un objet trop important pour que de riches particuliers ne fassent pas un léger sacrifice. Le tronc de cet arbre acquiert seulement dans quatre-vingts à cent ans, son état de perfection ; cette lenteur détournera peut-être l’homme avide de cette entreprise : mais à quel état serions-nous actuellement réduits, si nos pères avoient pensé ainsi ? Il faudroit donc renoncer à toute idée de plantation. D’ailleurs, comme on substitue aujourd’hui une terre, une maison, &c., on substitueroit la forêt de châtaigniers, avec la condition & défense expresse de l’abattre avant une certaine époque. De cette manière, celui qui l’auroit plantée ne seroit pas dans le cas de craindre que l’avidité de ses successeurs privât le public du résultat d’un essai de la plus grande importance. Nous avons eu la fureur de défricher nos bois, nos forêts ; & la France sera bientôt réduite à ne plus brûler que du charbon de terre, & à payer des sommes immenses les bois de charpente. Un jour viendra que la voix impérieuse des besoins fera taire celle de l’avidité mal entendue, & de la jouissance momentanée !


CHAPITRE VI.

De la récolte des Châtaignes & des Marrons.


La récolte de ce fruit est abondante de deux années l’une, très-rarement deux années de suite, à moins que la saison n’ait été très-favorable. Plusieurs arbres sont dans le même cas, tels que l’olivier, le pommier à cidre, & peut-être un beaucoup plus grand nombre, si on les observoit attentivement ; & je pense que tout arbre qui donne des fruits seulement sur le bois de l’année précédente, est dans ce cas. Cette loi cependant n’est pas constante dans toutes les provinces, puisqu’on a observé plusieurs bonnes récoltes consécutives. Ce phénomène ne dépendroit-il pas de la manière d’être des saisons, & ne pourroit-on pas dire que toutes les fleurs ont aoûté, (voyez ce mot) & sont venues à bien ? Ne pourroit-on pas encore dire que la nature, prudente & sage, a multiplié les fleurs en raison de la masse des dangers qu’elles ont à craindre, ainsi que les fruits qui leur succèdent, comme elle a multiplié le nombre des insectes qui doivent servir de nourriture à un grand nombre d’animaux, la mouche par exemple ? En effet, si on considère la quantité de fruits qui tombent avant la maturité, on conviendra qu’il étoit nécessaire que le nombre de fleurs fut prodigieux. Ainsi, cette loi d’alternative, que plusieurs auteurs regardent comme absurde ou comme incertaine, ne l’est pas autant qu’ils le pensent, & l’expérience prouve que la quantité de fruits n’est jamais égale dans l’année qui suit celle d’abondance. L’arbre paroît épuisé, semble prendre du repos, & rassembler des forces nécessaires à l’abondance de l’année qui succède.

La récolte des châtaignes ou des marrons est fort casuelle : des pluies ou des rosées froides, dans le temps de la fleur, la font couler ; un soleil ardent, après une forte rosée, détruit & brûle la fleur. Un brouillard, ou les causes dont on vient de parler, produisent le même effet lorsque le fruit est noué, & le brouillard, sur-tout dans le mois d’août. Il n’en est pas ainsi de ceux du mois d’octobre : le proverbe dit qu’ils engraissent la châtaigne. Si le mois d’octobre est pluvieux, si celui de novembre l’est également pendant que la châtaigne sue amoncée dans son hérisson, le fruit pourrit, & celui qui reste intact se conserve peu.

Aussitôt que la châtaigne est tombée de l’arbre, il faut l’enlever de dessus la terre. Si cet enlèvement se fait à la rosée, & par un temps de brouillard, le fruit se conserve mieux. Les méthodes varient suivant les provinces. Dans les unes, on a des fosses où l’on jette le hérisson qui renferme la châtaigne ou le marron ; souvent ces fosses se remplissent d’eau : dans les autres, on amoncèle en plein air les hérissons, & ils restent dans cet état jusqu’à ce qu’ils s’ouvrent, & que le fruit s’en détache. L’une & l’autre me paroissent défectueuses : avantageuses, il est vrai, au vendeur, & préjudiciables à l’acheteur.

Ces monceaux fermentent, la chaleur s’y excite, elle pénètre dans l’intérieur du fruit, y concentre l’humidité qui ne peut s’échapper à travers l’écorce ; & enfin, dispose le germe à se développer. Le temps est venu de vendre le fruit : on le sépare du hérisson, il est beau, bien renflé, un moindre nombre remplit le boisseau, & l’acheteur est trompé, parce que dès que le fruit est chez lui, le volume diminue ; & l’eau surabondante de végétation qui s’est échauffée, n’ayant pu s’évaporer auparavant, s’échappe enfin par la dessiccation, & le fruit est déjà moisi dans son intérieur. Ne vaudroit-il pas mieux, aussitôt après la cueillette, porter le hérisson sous des hangars exposés à un libre courant d’air, & faire le lit peu épais ? Le hérisson se dessécheroit plus vîte ; il est vrai que dans les fosses ou dans les monceaux exposés successivement à la rosée, à la pluie, au soleil, &c. &c. leur dessiccation suivroit une marche progressive & non interrompue, & le fruit perdroit peu à peu cette eau surabondante de végétation qui le fait moisir. En effet, combien ne voit-on pas de châtaignes germées avant d’être débarrassées de leur hérisson, lorsqu’on les sort de la fosse ou du monceau ? La germination a détruit la partie sucrée du fruit, & les rats, si friands de ce fruit, le dédaignent lorsqu’il a été dans cet état.

La méthode de rassembler la châtaigne avec le brou ou hérisson, a été imaginée par ceux qui se hâtent pour vendre leur récolte, & par conséquent ils ont été obligés d’abattre le fruit de l’arbre avant sa maturité ; il n’est donc pas surprenant que ce fruit ne se conserve pas dans la suite. La nature indique la maturité du fruit par sa chûte ; & presque toujours le hérisson en tombant sur terre, s’ouvre & le fruit en sort. Le propriétaire vigilant enverra au moins tous les deux jours & de grand matin faire la cueillette du fruit tombé, & ses gens presseront doucement avec le pied le hérisson qui ne sera pas ouvert, afin d’en faire sortir le fruit. Ce que j’ai dit plus haut s’applique également aux grands monceaux formés par la réunion des marrons ou des châtaignes : on dit alors qu’ils suent. Cette méthode est aussi destructive que les autres. En un mot, si on veut mettre le fruit dans le cas de se conserver pendant long-temps, sa dessiccation doit être lente, uniforme & soutenue ; enfin, on doit remuer de temps à autre les châtaignes à la pelle, afin que celles de dessous se dessèchent aussi également que celles de dessus. Si en enfonçant la main dans le monceau, on sent de la chaleur, c’est une preuve de la négligence du propriétaire, que la fermentation s’y est établie, & le signe plus certain du peu de durée de la châtaigne dans un état sain. Dans cet état les châtaignes conservent les noms de vertes ou de fraîches ; c’est-à-dire, qu’elles ont seulement perdu leur eau surabondante de végétation.

Afin d’empêcher une nouvelle fermentation, lorsqu’on les amoncèle après cette première dessiccation, on se sert de divers intermèdes. Par exemple, entre chaque lit peu épais, on place des feuilles sèches de bruyères, des tiges de fougère, de la petite paille ; ou bien l’on stratifie les marrons avec du son, du sable, de la cendre ; &, ce dernier est le meilleur si la dessiccation est à son point ; mais pour prévenir tout événement, je préfère l’intermède du sable très-sec, peu sujet à attirer l’humidité de l’atmosphère & qui laisse à l’humidité des fruits les moyens de s’échapper avec facilité. Règle générale, il faut tenir les châtaignes & les marrons dans des lieux très-secs, très-exposés à un courant d’air non humide ou trop froid ; la gelée fait périr le marron.

Il existe encore une autre méthode publiée par M. Parmentier, dans son excellent Traité de la Châtaigne, imprimé en 1780. Voici comment il s’explique : « Les châtaignes & les marrons, ramassés au grand soleil, exposés ensuite à l’action de cet astre pendant sept ou huit jours sur des claies que l’on retire tous les soirs, & que l’on pose les unes sur les autres dans l’endroit de la maison le plus chaud, acquièrent la propriété de se conserver très-long-temps, & même de supporter les plus longs trajets sans rien perdre de leur saveur agréable & de leur faculté réproductive ; mais cette méthode dont la bonté est connue, ne peut être pratiquée par nos marchands, parce que les fruits ainsi séchés au soleil, ont perdu un peu de leur volume, & leur surface extérieure, au lieu d’être lisse, est ridée ; ce qui seroit un obstacle au débit de la denrée qui a besoin, comme beaucoup d’autres, du coup-d’œil. »

M. Parmentier propose encore une recette pour manger la châtaigne verte pendant toute l’année. « Elle consiste à faire bouillir ce fruit pendant quinze à vingt minutes dans l’eau, & l’exposer ensuite à la chaleur d’un four ordinaire, une heure après que le pain en a été tiré. Par cette double opération, la châtaigne acquiert un degré de cuisson & de dessiccation propre à la conserver très-long-temps, pourvu qu’on la tienne dans un lieu extrêmement sec. On peut s’en servir ensuite en la mettant réchauffer au bain-marie ou de vapeur. Ceux qui préfèrent de la manger froide, n’ont besoin que de la laisser renfler à l’humidité pendant l’espace d’un ou deux jours. »

Après la première dessiccation, si on désire faire des envois de châtaignes ou de marrons, il faut séparer tous les fruits meurtris : dès que la peau brune qui les recouvre est entamée, le fruit pourrit. S’ils souffrent des cahos, des chocs violens dans la route, ils se conservent peu, & beaucoup moins s’ils sont humectés par la pluie & que le trajet soit long. Comme ils sont amoncelés & serrés les uns contre les autres dans le ballot, cette eau réagit sur la châtaigne, excite une nouvelle fermentation, & le fruit se renfle. On ne doit donc plus être surpris, lorsqu’on déballe les marrons, de les voir quelques jours après se rider, l’écorce brune se séparer, pour ainsi dire, du fruit, & le fruit balotter en dedans. Soyez assuré qu’avant l’espace d’un mois, plus de la moitié sera pourrie. Le dégât sera plus considérable encore, si le marchand, de mauvaise foi, & qui vend d’après la mesure, a expédié des marrons encore trop humides. L’acquéreur fera des plaintes, & il lui répondra : cette année est mauvaise, les marrons ne se conservent pas ; mais il n’ajoutera pas que c’est presque toujours à cause de sa négligence ou de sa friponnerie.

CHAPITRE VII.

De la Dessiccation complette des Châtaignes.


La méthode pratiquée dans les Cévennes paroît la meilleure, & nous allons la donner telle qu’elle est décrite par M. Parmentier, pag. 47 dans l’Ouvrage déjà cité, & auparavant par M. Desmarets, de l’Académie royale des Sciences, dans le Journal de Physique, année 1771, tom. 1er pag. 437, & Janvier 1772, pag. 512. « La claie des Cévennes, dit cet Auteur respectable & ce citoyen zélé, dont tous les travaux sont dirigés vers l’utilité publique, est un bâtiment qui a quatre faces, & dont les deux opposées sont parallèles. Pour construire une claie, on choisit un angle du bâtiment, afin d’éviter en partie la dépense des murs ou des cloisons. On établit, à la hauteur de six pieds neuf pouces du rez-de-chaussée, un plancher composé de six fortes poutres à des distances égales, & bien mises de niveau ; on attache dessus ces poutres des morceaux de bois d’égale longueur, aplatis par-dessus & aux deux bouts : le dessous est un dos d’âne, afin qu’ils reçoivent mieux la fumée. Ces morceaux de bois sont cloués à chacune de leur extrémité sur le milieu des poutres & à la distance d’un tuyau de grosse plume ; cet assemblage forme ce qu’on appelle la sétonnade. »

« On donne à cette claie ordinairement deux toises & demie en quarré, hors d’œuvre : l’on peut placer dessus jusqu’à trois pans de châtaignes fraîches, & le pan de châtaignes sèches doit rendre environ cent vingt-huit septiers ; pesant cent vingt-quatre livres chacun, poids de table, qui diffère de vingt pour cent du poids de marc. »

« Le bâtiment qui renferme la claie, est ordinairement de trois toises de hauteur. On le place, autant qu’il est possible, à couvert du mauvais vent. Vis-à-vis la porte d’entrée, on pratique au rez-de-chaussée, une ouverture d’un demi-pied de large & d’un pied de hauteur. Elle sert à éclairer & à donner au feu l’activité nécessaire. On fait, outre cela, une porte au-dessus de la claie, & dans le milieu d’une des faces du carré, & de chaque côté de la porte, une ouverture d’environ huit pouces de large sur quinze pouces de haut. Dans la face opposée, à environ trois pieds au-dessus de la grille, on pratique trois ouvertures ; savoir, deux qui correspondent à celle de la face où est la porte, & une troisième vis-à-vis la porte, deux pieds plus haut que les autres, & à trois pieds au-dessus de la grille ou claie. »

« Enfin, on fait près du toit & dans chacune des quatre faces, une ouverture d’un demi-pied en quarré pour donner issue à la fumée qui perce le lit de châtaignes étendues sur la claie, & qui les sèche. Ces ouvertures doivent être pratiquées les unes vis-à-vis des autres, dans les faces opposées. Le toit ne doit point être de planches jointes, toute planche peut servir à cette destination : on y pratique de chaque côté deux lucarnes de grandeur médiocre. On voit bien que toutes les différentes ouvertures ménagées dans la partie supérieure de la claie, sont destinées à donner un libre cours à la fumée, à mesure qu’elle s’élève ; sans cela elle se rabattroit sur les châtaignes, & par son séjour les roussiroit & leur donneroit un goût de fumée. On place toutes les autres ouvertures en opposition, afin que le vent trouve une issue qui soit dans sa direction, & qu’il entraîne & chasse sans obstacle la fumée. Si on plaçoit la claie dans une cage de murs, qui ne pourroit pas avoir des ouvertures aux quatre faces, il ne faudroit en pratiquer que sur les faces libres & opposées, & en augmenter le nombre. »

« Lorsque l’on veut se servir de la claie construite avec toutes ces précautions, on a soin que les sétons ou bâtons de grille soient bien nets, tant par-dessus que par-dessous, avant qu’on y place les châtaignes. Dès qu’elles y sont, l’homme préposé à la conduite du séchoir, doit avoir la plus grande attention de balayer chaque jour le dessous des poutres du plancher, afin d’enlever la suie & la poussière qui prendroient feu. »

« L’on place les châtaignes par lit sur la claie, & dès qu’on en a mis trois ou quatre sacs, on allume le feu par-dessous, ainsi qu’on le dira. On les fait suer d’abord, & dès qu’elles ont sué, on suspend le feu pendant une demi-journée, pour laisser refroidir les châtaignes ; alors on les met de côté, & l’on couvre les parties dégarnies des châtaignes qui ont sué, de nouvelles châtaignes fraîches, en observant de mettre les châtaignes qui ont sué par-dessus les châtaignes fraîches, & l’on continue le feu pour faire suer celles-ci. Lorsque toute la claie est garnie de châtaignes qui ont également sué, on entretient un feu doux pendant deux à trois jours, on l’augmente ensuite par degrés. Cet instant est le plus critique pour le succès de l’opération. La graduation du feu est une chose essentielle. Après neuf ou dix jours de feu continuel qu’on a augmenté par degrés, on retourne les châtaignes avec une pelle : l’on continue ensuite à gouverner le feu de la même manière qu’auparavant, jusqu’à ce qu’on soit assuré que les châtaignes sont suffisamment sèches. On le reconnoît en en faisant battre un boisseau ; si elles sont seches, elles se dépouilleront de leur peau intérieure. »

« On fait le feu avec de grosses buches de châtaignier, couvertes tout autour de poussier de châtaignes, & à son défaut, de celui de la sciure de bois : on évite, par cet arrangement, que le feu ne fasse de la flamme, parce qu’on veut qu’il produise beaucoup de fumée. On ne lui donne qu’une petite ouverture au milieu, pour lui procurer de l’air. On observe outre cela, de placer toujours le feu sous une des poutres de la claie, & de le changer de place de temps en temps, afin de faire sécher également par-tout les châtaignes, si la claie en est entièrement couverte. »

« Lorsque les châtaignes sont bien sèches, on les tire de dessus la claie, & on les bat pour les dépouiller de leur peau. Pour cette opération, qui s’exécute tout de suite après que les châtaignes ont été enlevées de dessus la claie, il est nécessaire d’avoir un banc très-fort, dont la surface supérieure soit unie, & dont la largeur soit proportionnée à la quantité de châtaignes qu’on se propose de battre. On bat ordinairement vingt septiers de châtaignes à la fois, & ce travail occupe deux hommes. Pour renfermer ces vingt septiers, on forme un sac d’une bonne toile grise, qui est ouvert par les deux bouts : avant que d’y mettre les châtaignes sèches, on fait tremper ce sac dans l’eau, où l’on a fait bouillir du son ; afin de donner à la toile plus de souplesse. »

« L’un des deux hommes tient le sac par un bout, pendant que l’autre le remplit de châtaignes sèches, avec une mesure connue. On le lie par les deux extrémités, & après l’avoir placé sur le banc, ils frappent tous deux avec des bâtons, cinquante ou soixante coups. Ils brisent ainsi l’écorce extérieure, & détachent en même temps la peau intérieure qui mettoit à couvert la substance farineuse de la châtaigne. Un des hommes ouvre le sac, tire les châtaignes battues, & les met dans un van que l’autre présente. Il les agite & les vanne, & par cette opération il sépare celles qui ne sont pas encore dépouillées de leur peau d’avec celles qui en ont le moins retenu : on remet les premières dans le sac pour être battues de nouveau. Il est nécessaire de tremper, de temps à autre, le sac dans l’eau, sans quoi il seroit déchiré par les battages. »

« On laisse quelques jours en tas les châtaignes, après qu’elles ont été dépouillées de leur peau ; ensuite on les remet dans le sac : enfin on les vanne, on les trie, & on met à part celles qui sont marchandes. »

« Comme il tombe une certaine quantité de châtaignes dans la poussière formée des débris de l’écorce extérieure & de la pellicule, on a soin de les en tirer. Cette poussière se nomme brisat. Ce brisat sert à engraisser les bestiaux, parce qu’outre la pellicule, il contient des morceaux de la substance des châtaignes. »

« Une claie ou batille, telle qu’on l’a décrite, est très-propre à l’éducation des vers à soie qu’on place sur la grille, lorsqu’ils sont sortis de la troisième mue ou même de la seconde. En faisant un feu convenable par-dessus, on parvient à donner à tout l’intérieur du bâtiment, une chaleur qui va jusqu’au dix-huitième & vingtième degré du thermomètre de Réaumur. »

« Quoiqu’on ait l’habitude de faire sécher une certaine quantité de châtaignes dans les principaux domaines du Limosin, cependant il manque à cette pratique tant de circonstances essentielles, qu’on est bien éloigné d’en tirer tout ce qu’il seroit possible d’en attendre, puisque toute la pratique des habitans de cette contrée se réduit à étendre sur une claie fort grossière, des châtaignes, à les exposer à l’action de la fumée, & à les garder lorsqu’elles sont sèches avec leur écorce & leur pellicule. »

« Les châtaignes, ainsi gardées, acquièrent une couleur noirâtre, & deviennent mollasses lorsqu’on les fait cuire ; la plupart ont un goût d’empyreume très-marqué, au lieu que ce fruit, préparé suivant les procédés des Cévennes, se conserve très-ferme ; & après la cuisson, il a un petit goût sucré assez agréable, & presqu’aussi bon que celui dont on vient de faire la récolte. »

« La châtaigne, dans l’état de parfaite dessiccation où la méthode des Cévennes l’a amenée, peut se conserver non-seulement pendant tout l’hiver, mais encore d’une année à l’autre, sans rien perdre de sa bonté.

CHAPITRE VIII.

De la Préparation des Châtaignes.


La châtaigne fait une des principales ressources pour la nourriture des habitans des montagnes pendant plusieurs mois de l’année, & souvent leur unique nourriture.

On les prépare, soit vertes, soit sèches, en les faisant cuire simplement dans l’eau, quelquefois un peu salée, quelquefois avec des feuilles de céleri, de sauge, &c. suivant le goût des particuliers. Les vertes sont cuites ainsi, soit enveloppées de leur écorce, soit lorsqu’elles en sont dépouillées. La seconde manière est de les rôtir à la flamme dans une poêle de fer ou de terre percée de trous ; la troisième, sous la cendre chaude ; la quatrième, dans un moulin à rôtir le café ; mais, dans ces trois cas, l’écorce de chaque châtaigne doit avoir été légèrement coupée avec un couteau, & il faut que la coupure pénètre jusqu’à la substance blanche du fruit. On court risque, sans cette précaution, de les voir éclater avec force, & la substance de la châtaigne dissipée avec les cendres & les charbons allumés, que l’explosion entraîne au loin. Lorsqu’on se sert du moulin à café, elles cuisent plus également, leur goût est moins altéré, & il faut avoir le soin d’y laisser une châtaigne entière, dont l’écorce ne soit pas coupée comme les autres : dès que celle-ci éclate, elle annonce que les autres sont cuites, qu’il est temps de retirer du feu le tambour du moulin, & d’en sortir les châtaignes.

Dans plusieurs provinces, soit du royaume, soit de l’étranger, la châtaigne séchée sur les claies est portée au moulin à blé, & réduite en farine. On l’entasse dans des pots de terre bien bouchés, & elle s’y conserve pendant plusieurs années. C’est avec cette farine qu’on prépare des espèces de galettes que les Corses, nomment la polenta, c’est-à-dire, la farine de la châtaigne cuite dans l’eau, & continuellement remuée jusqu’à ce que le tout ait acquis une consistance tenace qui ne s’attache plus au doigt. Quelques-uns substituent le lait à l’eau, pour varier les assaisonnemens. Le désir de satisfaire le goût par la diversité des apprêts, a fait imaginer, en Limosin, une préparation, au moyen de laquelle le fruit acquiert un goût & une saveur très-agréables. Elle est fondée sur les principes d’une physique toujours admirable dans les procédés les plus communs : on en doit la description au même M. Desmarets. »

« On commence par peler les châtaignes, en ôtant la peau extérieure : cette opération se fait dès la veille du jour où l’on se propose de faire cuire les châtaignes. Les domestiques dans les maisons des particuliers, & les ouvriers dans les métairies, s’occupent de ce soin pendant la veillée. »

» Ils détachent assez facilement, avec un couteau, la peau extérieure par partie ; mais il n’en est pas de même de la pellicule intérieure qui est adhérente à la substance de la châtaigne, & qui est comme collée par-dessus, parce qu’elle s’insinue dans les sinus profonds de ce fruit, & en revêt les parois. Voici les procédés employés pour dépouiller la châtaigne de cette pellicule, appelée tan en Limosin. »

« On met pour cela de l’eau dans un pot de fonte de fer. (Il n’y a pas de ménage, dans cette province, qui n’ait ce meuble de cuisine si nécessaire.) On emplit ce pot à peu près à la moitié ; & lorsque l’eau est bouillante, on y met, avec une écumoire, les châtaignes pelées dès la veille. On ménage l’eau, comme nous l’avons observé, parce que si elle excédoit la surface des châtaignes, elle gêneroit dans l’opération du déboiradour. On laisse le pot sur le feu, & on remue les châtaignes avec une écumoire, jusqu’à ce que l’eau chaude ait pénétré la substance du tan, & ait produit un gonflement qui détruit son adhérence au corps de la châtaigne. On s’assure de ce point précis, en tirant du pot quelques châtaignes, & en les comprimant sous les doigts. Lorsqu’elles s’échappent par la compression, en se dépouillant de tout leur tan sans autre effort, on retire bien vite le pot du feu, & l’on procède à l’opération du déboiradour. »

« Cet instrument est composé de deux barres de bois attachées, en forme de croix de S. André, au milieu de leur longueur, par une cheville, autour de laquelle les bras des barres mobiles peuvent s’ouvrir en s’éloignant, ou se fermer en se rapprochant. On a pratiqué le long des deux bras qui sont destinés à entrer dans le pot, plusieurs coches entamées sur leurs quatre arrêtes ; car ils ont une forme carrée. »

« On enfonce ces deux bras de barres un peu écartés dans le pot, au milieu des châtaignes ; & avec les deux autres bras on tourne en ouvrant & fermant. Par cette action réitérée, les châtaignes s’en échappent, glissent entre les parois du pot & les deux bras des leviers ; alors elles se dépouillent du tan qui les couvroit, & qui obéit au moindre frottement, au moyen de l’état de ramollissement qu’il a éprouvé dans l’eau, à mesure qu’on tourne le déboiradour. On suit des yeux le progrès du dépouillement de la pellicule, & l’on voit le tan s’élever à la surface des châtaignes, s’accumuler le long des parois intérieures du pot, tout autour des bords : enfin, les châtaignes paroissent toutes blanchies : c’est le terme dont on se sert pour exprimer le résultat du dépouillement de la pellicule. »

« On les retire en cet état du pot avec une écumoite, & on en met une certaine quantité sur un grelou ou greloir : c’est une espèce de crible à large voie, dont le tissu est formé par deux rangées de lattes fort minces, de bois de châtaignier ; elles sont entrelacées les unes dans les autres à angle droit, en forme de natte, & placées à une distance de quatre à cinq lignes, qui est la largeur des trous qu’on y a ménagés. À chaque fois qu’on met des châtaignes sur le grelou, on les agite en tournant, pour achever de les dépouiller du tan qui les abandonne, ou en s’attachant aux inégalités du grelou, ou en passant à travers les vides. On verse les châtaignes dans un plat ; on secoue le grelou pour emporter le tan qui s’est engagé dans les inégalités ; on y remet d’autres châtaignes, & l’on réitère les mêmes opérations, jusqu’à ce que toutes les châtaignes aient passé successivement sur le grelou. »

« Après toutes ces manipulations, les châtaignes sont blanchies, mais elles ne sont pas cuites ; on a même eu l’attention de ménager la chaleur de l’eau pour que le tan fût seulement ramolli : car l’action du déboiradour, & celle du grelou sur les châtaignes qui auroient éprouvé un commencement de cuisson, les réduiroit en petits grumeaux qui s’échapperoient par les trous du grelou ; ce qui produiroit, sur la totalité, un déchet fort considérable. »

« On procède ensuite à la cuisson des châtaignes ; pour cela on jette l’eau qui est dans le pot, & qui dans le peu de temps que les châtaignes y ont séjourné, s’est chargée d’une partie extractive, dont l’amertume est insupportable. On verse de l’eau froide sur les châtaignes blanchies ; on les lave pour emporter le reste du tan, & peut-être celui de l’eau amère qu’elles pourroient avoir conservé : enfin, on les remet dans le pot de fer qu’on a bien lavé, & où on a mis de l’eau dans la quelle on a fait fondre un peu de sel. Quelques personnes emploient l’eau chaude, d’autres se contentent de l’eau froide. On varie beaucoup pour la quantité d’eau, mais je pense qu’il vaut mieux employer l’eau chaude pour cette seconde opération, & en ménager la quantité. »

« Lorsque le pot a été rempli de châtaignes, avec toutes ces attentions, on le place sur le feu, & on le fait bouillir pendant quelques minutes : cela suffit pour donner aux châtaignes le degré de cuisson convenable, & achever d’extraire la partie amère dont elles sont imprégnées ; pour lors on verse l’eau par inclinaison, en retenant les châtaignes avec le couvercle du pot. Cette eau est fort colorée & très-amère ; cependant, comme elle est salée, certaines personnes la mettent à part par économie, & la conservent pour servir, avec une petite addition de sel, à l’opération du lendemain. »

« On achève la cuisson des châtaignes, en plaçant, sur un feu doux, le pot où il n’est resté que les châtaignes sans eau ; on facilite cet effet en garnissant le couvercle avec un gros linge qui concentre la chaleur ; on retourne le pot pour qu’il présente ses différens côtés à l’action du feu, afin que la chaleur se distribue également dans toute la masse des châtaignes. »

« Par ces attentions, les châtaignes perdent l’eau extractive & surabondante qui les pénétroit, & à mesure qu’elles s’essuient & se cuisent, elles acquièrent alors un goût, une saveur que n’ont point celles qui ont été cuites à l’eau avec toutes leurs peaux, & même celles qu’on a fait cuire sous la cendre. »

« On les retire du pot après un certain temps, & on a soin d’éviter qu’elles ne contractent un goût de brûlé, en s’attachant trop aux parois intérieures du pot. Celles qui touchent à ces parois, sont les plus recherchées par les friands, parce qu’elles sont plus rissolées & plus privées de leur eau extractive ; & par une raison contraire, celles qui sont au centre du pot sont moins bonnes, se grumèlent, parce qu’elles n’ont pas acquis une certaine consistance. On met les unes & les autres sur un petit panier plat ; on les couvre d’un linge plié en trois ou quatre doubles, & on laisse d’un côté une légère ouverture, pour qu’on puisse en prendre à mesure qu’on les mange. »

« Ce mets est destiné pour le déjeûné, & c’est un spectacle fort agréable de voir les ouvriers d’une métairie, rassemblés autour d’un panier couvert de linge ; le silence qui règne parmi eux, l’attention avec laquelle chacun tire les châtaignes de dessous le linge, en choisissant toujours les plus rondes, parce qu’ils les regardent comme les meilleures, forment un tableau amusant. »

« Cette préparation a deux avantages, outre celui de développer la saveur sucrée des châtaignes. Le premier consiste à présenter les châtaignes dégagées de leurs peaux, & dans un état où il est beaucoup plus aisé de les manger : le déjeûné dont on a parlé, servi en châtaignes cuites & recouvertes de leurs peaux, dureroit une heure & demie ou deux, au lieu qu’il est terminé en un quart-d’heure. En second lieu, si on mangeoit les châtaignes cuites avec leurs peaux, on auroit beaucoup de déchet ; car la partie de la châtaigne qui tient à la peau, seroit une perte. On conçoit à présent les raisons qui ont fait adopter généralement cette méthode, dans un pays où la consommation des châtaignes est si considérable. »

« Quoique l’eau dans laquelle on a préparé les châtaignes soit amère, cependant on la réserve avec le tan & quelques petits débris de la substance farineuse de la châtaigne, qui s’en détachent lors des opérations du déboiradour & du grelou, & on la donne aux cochons qu’on engraisse. Ils en sont friands, & l’on prétend que le lard des cochons auxquels on en donne régulièrement pendant quelques mois, acquiert un très-bon goût, sur-tout lorsqu’on ajoute une petite quantité de châtaignes. »

Plusieurs auteurs, après s’être copiés les uns & les autres, affirment d’un ton tranchant, que dans l’Auvergne, le Limosin, la Corse, on fait du pain de châtaignes. Nous avons décrit les différentes manières de les préparer dans ces provinces ; & M. Parmentier, sans cesse occupé de l’examen des substances qui peuvent servir de nourriture aux peuples, dit qu’il est de la dernière impossibilité de faire réellement du pain avec la farine de châtaigne ou de marron.


CHAPITRE IX.

Des propriétés alimenteuses & médicamenteuses de la Châtaigne & du Marron.


Dans le nombre des espèces, plusieurs sont destinées, par la nature, à être mangées vertes, & d’autres à subir la dessiccation. La bori, par exemple, la moins sucrée de toutes, en vert, est la meilleure étant séchée ; & les marrons ont bien plus de goût étant séchés au soleil.

On a conclu très-mal à propos, de ce que la châtaigne fait la nourriture d’une très-grande partie des habitans de nos montagnes, qu’ils faisoient du pain avec la farine seule, ou mêlée avec la farine des graminées. L’impossibilité est démontrée par les observations & les expériences de M. Parmentier. D’ailleurs si on parcourt les pays à châtaignes, on se convaincra qu’on n’en fait pas du pain. Il est constant que si la chose avoit été possible, elle auroit eu lieu, parce que la farine réduite en pain est la nourriture la plus saine, la plus économique, & la préparation qui se conserve le plus facilement.

Les châtaignes fraîches sur-tout, & les châtaignes vertes sont beaucoup plus venteuses que les sèches ; elles contiennent une si grande quantité d’air, qu’on est forcé d’entailler la peau avant de les faire rôtir. Les marrons bouillis se digèrent plus facilement que les marrons rôtis. La meilleure manière de les manger, & la plus saine, est à la Limosine ; autrement elles conservent cette eau amère & astringente dont on a parlé, toujours nuisible aux personnes sujettes aux calculs des reins, à l’engorgement des viscères, aux coliques ; elles constipent, oppressent, &c. ; dépouillées de leurs peaux, ainsi qu’il a été dit, elles calment l’irritation des bronches, la toux essentielle, la toux catarrale ; elles sont très-propres à rétablir les convalescens des maladies d’automne, & sur-tout les enfans qui restent bouffis, pâles, maigres, avec un gros ventre, peu d’appétit, &c. La châtaigne pilée & broyée avec du vinaigre & de la farine d’orge, amollit les duretés des mamelles, & dissipe le lait qui s’y est grumelé.

La volaille engraissée avec les châtaignes, acquiert une chair ferme & de bon goût.


Châtaigne, Médecine vétérinaire. Espèce de corne molle & spongieuse, dénuée de poils, qui se trouve placée dans les extrémités antérieures du cheval, au-dessus de l’articulation du genou, tandis que dans les extrémités postérieures, elle occupe le dessous de l’articulation du jarret.

Le volume de la châtaigne est médiocre dans les jambes sèches & peu chargées de poils & d’humeurs, plus considérable dans celles où les liqueurs abondent.

Sa consistance augmente en dureté à mesure que le cheval vieillit, parce que les vaisseaux s’oblitérant alors peu à peu, toutes les parties se dessèchent.

Loin d’arracher la châtaigne comme on le pratique assez souvent à la campagne, lorsqu’elle est considérable, on doit, au contraire, la couper, dans la crainte d’occasionner une plaie. M. T.