Cours d’agriculture (Rozier)/FALUN

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Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 432-434).


FALUN, Histoire Naturelle, Économie rurale. On donne ce nom à un amas très-considérable de débris marins réduits en poussière, que l’on trouve dans la Touraine, province de France. Les endroits creusés pour extraire le falun, se nomment falunières. L’étendue de terrein qu’occupe ce dépôt, est d’environ trois lieues & demie de longueur, sur une longueur moins considérable ; il est vrai que l’on n’en a pas encore fixé au juste les limites. L’épaisseur de cette couche n’est pas mieux connue ; la plus grande profondeur où l’on ait creusé jusqu’à présent des falunières, est de vingt pieds : on n’a pas été plus avant, à cause de l’eau qui y source de tous côtés. Quelle immense quantité de coquilles ! quel dépôt ! ajoutons, aussi quel trésor ! car l’industrie humaine a su en tirer parti, & ces dépouilles marines deviennent tous les jours un excellent engrais pour les terres qui les recouvrent.

L’origine de cet amas de débris de coquilles presque réduites en poussière, formant une masse de plus de vingt pieds d’épaisseur sur plus de trois lieues de longueur, éloigné de la mer de plus de trente-six lieues, n’est pas aussi facile à donner qu’on le pense : l’attribuer tout amplement à un courant de mer, qui, retenu & brisé par les collines voisines, a laissé déposer ces fragmens qu’il rouloit avec ses eaux, c’est donner une explication simple de ce fait singulier & peut-être unique d’histoire naturelle. Abandonnons-la aux physiciens qui s’occupent de la nature en grand, & considérons les falunières par rapport à leur exploitation & à leur utilité. Les observations suivantes serviront pour les pays où l’on viendra à en rencontrer de pareilles.

Lorsqu’un paysan de ce canton veut faluner sa terre, il examine d’abord si dans son district il se trouve des indices de falun. Cette substance se montre quelquefois à la surface, mais ordinairement elle est recouverte d’une couche de terre de quelques pieds d’épaisseur. Les endroits bas, aquatiques, peu couverts d’herbes, promettent du falun proche de la surface de la terre ; il sonde, & dès que la couche de terre a plus de neuf à dix pieds ; il n’en fait pas la fouille, parce que la dépense deviendroit trop considérable. Lorsqu’on est assuré de la présence du falun, on rassemble un grand nombre d’ouvriers ; il est rare qu’on en emploie moins de quatre-vingts à la fois, & quelquefois le nombre va à plus de cent cinquante. On ouvre des trous quarrés, à peu près de trois à quatre toises de longueur ; la première couche de terre enlevée, & le premier falun tiré & jeté sur les bords du trou, le travail se partage ; une partie des travailleurs creuse, tandis que l’autre épuise l’eau.

Comme la plaine où se trouve le falun est basse, que la masse elle-même de falun est comme une éponge, il n’est pas étonnant qu’elle soit perpétuellement imbibée d’eau qui coule par-tout où elle trouve une issue. Pour être moins fatigué par l’affluence des eaux, on ouvre communément les falunières vers le commencement d’octobre.

On creuse les trous en forme de gradins ; c’est là-dessus que se placent les ouvriers, depuis l’orifice du trou jusqu’à son fond. Pendant que les uns avec des seaux puisent & étanchent l’eau, les autres enlèvent le falun : pour aller plus vite, l’eau dans les seaux, & le falun dans des corbeilles montent de main en main jusqu’à l’ouverture, à peu près comme l’on voit les maçons ou les couvreurs distribués sur un échelle, depuis le bas d’une maison jusqu’à son faîte, se passer de main en main la tuile ou l’ardoise. L’eau est jetée d’un côté du trou, & le falun d’un autre ; on ne met tant de célérité dans ce travail, que parce que l’eau source fort vite, & auroit bientôt inondé tout l’ouvrage ; aussi commence-t-on le travail de très-grand matin, & est-on obligé de l’abandonner vers les trois ou quatre heures de l’après-midi. Un trou une fois abandonné, on n’y revient plus ; il est moins pénible & plus avantageux d’en percer un second, que d’épuiser le premier. L’eau filtrée à travers ces débris de coquilles est claire, limpide & sans mauvais goût ; cela vient sans doute de ce que la masse de falun n’est composée absolument que de coquilles sans sable, ni pierre, ni terre.

La masse de falun nécessaire retirée du trou, égouttée & desséchée, s’étend dans les champs comme la marne. Comme les terres de ce canton sont de nature différente, la quantité de falun nécessaire pour chaque terre n’est pas la même ; il y a des terres qui en demandent jusqu’à trente à trente-cinq charretées par arpent ; tandis que dans d’autres, quinze ou vingt suffisent.

La nature du falun bien reconnue pour n’être qu’un dépôt de coquilles & de madrépores, en un mot, de productions marines, il est facile de voir qu’il diffère essentiellement de la marne, qui n’est qu’une terre calcaire mêlée de sable &’d’argile. Aussi les terres que féconde la marne, ne le sont-elles pas par le falun ; ou, pour parler plus juste, le falun ne doit pas être considéré positivement comme un engrais dont les sels & les huiles animale & végétale fournissent abondamment le principe savonneux aux plantes, mais plutôt comme un corps maigre & sec, qui disséminé à travers les molécules de la terre, les tient écartées & assez éloignées les unes des autres pour laisser un jeu libre aux combinaisons qui doivent se former dans le sein de la terre, & porter la vie dans les racines de chaque plante. Cet amendement artificiel donne à la terre où on l’emploie, la qualité de ne conserver que la quantité d’eau convenable à la végétation, de ne pas s’affaisser par les pluies d’orage, & de fournir par sa décomposition une certaine portion d’air fixe & de terre soluble, qui sont si essentiels aux plantes. Pour remplir ces trois objets, il faut que le falun soit extrêmement divisé, soit naturellement à sa sortie du trou, soit par son séjour & son mélange avec la terre végétale. Aussi son effet est moins sensible les premières années que les suivantes ; alors le falun se trouve, par les labours & la culture, divisé, atténué & répandu uniformément. (Voyez les mots Amendement, Craie, Culture & Engrais) M. M.