Cours d’agriculture (Rozier)/HERSE

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 476-482).


HERSE. Instrument avec lequel on recouvre de terre le grain nouvellement semé, ou qui sert à briser les mottes & à unir la superficie du sol, après l’avoir labouré. HERSER, c’est employer cet instrument tiré par des chevaux, des mules, des bœufs, &c.


CHAPITRE PREMIER.

Description des différentes Herses.


La première herse, sans doute, a été formée d’un assemblage de fagots d’épines attachés à une pièce de bois, & chargés d’une quantité suffisante de pierres ou de bois pour leur donner une pesanteur convenable. Cette idée est la plus simple, & il faut convenir que, lorsque les arêtes des sillons sont bien marquées, cette herse grossière est suffisante lorsque la terre a été labourée dans des temps opportuns, parce qu’elle se trouve alors sans mottes. (Voy. le mot Labour). Aucune herse n’unit aussi parfaitement la superficie de la terre que celle-ci ; mais comme le frottement brise bientôt les rameaux épineux, & qu’il faut sans cesse les suppléer par de nouveaux, on a trouvé plus expédient d’en former de solides, & capables de servir pendant une longue suite d’années. C’est la plus mauvaise de toutes les économies d’avoir de mauvais instrumens d’agriculture : on est sans cesse à les réparer ; & quoique toutes les petites réparations accidentelles soient à chaque fois peu coûteuses, leurs dépenses mises bout à bout, ne laissent pas d’offrir à la fin de l’année un capital qui étonne, & souvent supérieur à celui d’une construction à neuf.

Admettons que ces déboursés ne soient pas aussi forts que je les présente ; mais ne comptera t-on pas pour beaucoup la perte du temps employé à ces réparations ? souvent un seul jour perdu, ou dont on n’a pas profité pour les semailles, devient irréparable lorsque les pluies équinoxiales commencent : les mois d’octobre & novembre 1783 en sont la preuve. Une pièce se casse, il faut envoyer à la ville ou au village, chez le charron, le maréchal ou le forgeron ; & voilà une journée perdue pour un valet, & plusieurs chevaux. Si on s’imagine que le paysan ait des instrumens de rechange, ou que longtemps avant l’époque de s’en servir, il les visite, il examine s’ils sont en état, on se trompe grossièrement ; le paysan vit du jour le jour, & ne voit pas plus loin. Sur ce fait, je m’en rapporte au témoignage de ceux qui font cultiver.

Pour construire solidement une herse, on doit choisir du bois très-sec, coupé au moins depuis deux ans, & tenu dans un lieu naturellement sec, & exposé à un grand courant d’air ; enfin, si on le peut, enlever tout aubier, (voy. ce mot), tout bois imparfait, & n’employer que le cœur de l’arbre. Quelque forme que l’on donne à la herse, il importe beaucoup que l’assemblage soit fait avec la plus grande précision ; autrement les pièces ballotteront, soit dans les moratoires, soit dans les entailles, & les pièces de l’instrument seront bientôt divisées, séparées & brisées. Si le bois n’est pas bien sec, on aura beau faire entrer des chevilles de bois ou de fer dans les trous qui les attendent ; la pièce prendra de la retraite, les trous s’élargiront, & les chevilles tomberont l’une après l’autre avant la fin de la journée, pour peu que la chaleur soit active. Ce que je dis des pièces de bois s’applique également à celui dont on fabrique les chevilles. Le cultivateur prévoyant, a grand soin de faire armer les angles des assemblages avec des bandes de fer. Outre qu’elles assurent la solidité générale de l’instrument, elles s’opposent à la retraite du bois & à la désunion des parties.

Les herses, en général, doivent avoir de six à huit pieds de longueur sur autant de largeur, & les dents espacées de cinq pouces, sur autant de longueur en saillie ; leur partie antérieure tranchante & pointue à sa base, ronde ou quarrée à la postérieure. Les proportions des pièces de bois, sont de six à huit pouces de surface sur quatre à cinq d’épaisseur. La Pl. XIX représente les herses les plus connues, décrites & gravées dans le Dictionnaire Encyclopédique, édition in-fol.

Herse Quarrée. Fig. I. A B, palonier, auquel on attache les chevaux. Il devient inutile si on se sert de bœufs, parce que la corde CD se prolonge & est fixée à leur joug. EF, grand bras ; EG, tête ; GH, second bras ; O, bras du milieu ; PP, petit bras ; KLMN, batte. Cette herse a vingt-cinq dents ; Fig. 2, profil de la herse, vu du côté du bras GH.

Herse Triangulaire, Fig. 3, faite de deux bras assemblés à mi-bois en D, sous un angle de soixante degrés, & écartés par trois traverses. La première traverse a deux chevilles ou dents ; la seconde, quatre ; & la troisième, sept ; & chaque bras, six ; ce qui fait en tout vingt-cinq ; c’est la moins compliquée & la meilleure. Dans plusieurs endroits, on fixe en C la corde qui la tire ; alors, pour peu que la corde soit courte, la tête s’élève, & souvent le premier rang des chevilles touche à peine la terre : cependant le point essentiel est que la herse se promène très-horizontalement. Il vaut beaucoup mieux fixer la corde en A, & même y placer un anneau de fer. On objectera que, lorsque l’on va ou lorsque l’on revient du hersage, on est obligé de retourner l’instrument les chevilles en l’air, & ainsi la boucle & l’anneau de fer seront bientôt usés par le frottement. L’objection est réelle, & mérite d’être réfutée. Supposons donc la herse renversée sur la tête des chevilles, il s’agit d’attacher la corde en E sur la première traverse, & de tenir la corde courte. Dans ce cas, la tête de la herse sera nécessairement relevée de quelques pouces, & ne portera pas sur la boucle & sur l’anneau. D’ailleurs, touchant le sol par moins de points de contact, il y aura moins de frottement, & les bêtes auront moins de peine à la traîner ; enfin, rien n’empêche que la partie de l’anneau qui pénètre dans le bois, ne soit retenue de l’autre côté, ou par un écrou, ou par une broche de fer qui traversera la cheville de l’anneau, & lorsqu’on voudra aller ou revenir des champs, il suffira de retourner sens dessus dessous l’anneau & sa boucle, & de les fixer avec l’écrou ou avec la goupille.

Dans le pays où l’on laboure avec la charrue appelée araire, (voyez le mot Charrue), on a des herses, Fig. 4, armées de deux rangs de dents sur les pièces CCCC. Les traverses D en sont dépourvues, & leur unique usage est de maintenir les pièces D. Les unes ont un crochet de fer fixe, désigné en A, ou des boucles & un anneau, comme on l’a représenté en B. C’est à ces deux points que les cordes s’attachent pour se réunir ensuite à la longueur de sept à huit pieds en une seule qui répond, ou au palonier des chevaux, ou au joug des bœufs. Les chevilles de cette herse sont en bois, & n’ont que trois pouces de saillie. Elle est destinée à briser les mottes, & non à recouvrir la semence, parce qu’elle l’a déjà été par un labour exprès de l’araire ou d’une petite charrue à oreille ou versoir. Somme totale, elle produit peu d’effet, sur-tout si on le compare avec celui des deux charrues précédentes.

Tout ce qui presse sur la terre, en brise les mottes & comble le sillon avec la terre meuble de ses arêtes. On a en conséquence imaginé le rouleau, qui applanit la terre, brise les mottes, & enterre assez mal le grain. La Figure 5 représente le rouleau simple B avec son brancard fait de deux trémelles A B, assemblées par une traverse CC,

La Figure 6 représente les herses roulantes armées de chevilles ou dents, ou dents de fer, & leur brancard. La Figure 7 fait voir le profil de la herse, Fig. 6.

Dans les provinces où les charrues à avant-train & à roues sont introduites, je ne vois pas pourquoi on ne se serviroit pas de roues pour les herses, puisqu’il est géométriquement démontré que les roues facilitent le tirage & diminuent singulièrement la peine des animaux. Dans plusieurs endroits on attache en F, (Figure 3) une herse de même forme, puis une troisième à l’extrémité F de cette seconde ; par ce moyen on herse tout à la fois une bien plus grande superficie de terrain, ce qui diminue d’autant l’opération, mais fatigue beaucoup plus le bétail. Dans ce cas, les roues produiroient le meilleur effet.

Souvent les herses ne dont pas assez lourdes pour écraser les mottes ; alors on ajoute & on fixe des pierres sur la herse, & si le conducteur est assez adroit pour garder son équilibre, il se place sur la herse, & de-là, comme sur un char, il conduit ses mules ou ses chevaux. Il faut être exercé dans cette pratique, car l’on court souvent le risque de ne pouvoir résister aux soubre-sauts, & d’être culbuté.

On peut ajouter à ces différentes espèces de herses la charrue à quatre coutres qui en tient lieu ; mais a bien prendre, je préfère les herses ordinaires. La herse qui tient au semoir (Voyez ce mot) si varié, sur-tout si prôné il y a 20 à 25 ans, est aujourd’hui reléguée sous les hangars, non parce qu’elle est inutile, mais uniquement parce que c’est une machine, & que toute machine livrée entre les mains des paysans, est bientôt rompue, brisée & anéantie, à moins qu’ils ne soient accoutumés à s’en servir depuis leur enfance.


CHAPITRE II.

De l’opération de herser.


Doit-on herser après chaque labour, ou simplement après les semailles, soit pour recouvrir le grain, soit pour briser les mottes ? C’est un très-grand problème qu’on ne peut résoudre que par une multitude d’exceptions. Examinons les principales. Je conviens qu’à chaque labourage, si on herse, on n’aura pas des mottes, ou on en aura moins, & la superficie du sol bien aplatie, permettra de mieux sillonner par le labour suivant ; voilà l’avantage de l’opération ; mais n’en résulte-t-il aucun inconvénient ? j’en vois plusieurs. Par exemple, plus la superficie d’un terrain en pente sera unie, & plus il y aura de terre entraînée par la première pluie d’orage. Admettons qu’il n’y ait point d’orage, mais des pluies fines & de longue durée ; les molécules de terre, divisées & séparées par le labour, se réuniront, se taperont les unes près des autres, & le but du labour sera manqué. La même chose arrivera dans la plaine, & arrivera incontestablement toutes les fois que le grain de terre sera tenace, ou ce qu’on appelle terre forte. Il ne pleut pas toujours, il est vrai ; les labours se succèdent d’assez près, je conviens de tout cela ; mais dans une grande métairie, où pour l’ordinaire on n’a jamais que le nombre d’animaux suffisans à la culture, les labours ne peuvent pas être si rapprochés qu’on le pense, & il ne faut que quinze jours d’inconstance dans la saison pour retarder de plus d’un mois les travaux du labourage, puisqu’il faut donner à la terre le temps de ressuyer avant d’y mettre la charrue, autrement elle se lèveroit par bandes, par mottes, & le résultat du travail seroit précisément l’opposé de ce que l’on veut obtenir. C’est donc multiplier les travaux, dans un temps où l’on n’est jamais assez en avance, soit par l’inconstance des saisons, soit par le défaut de bras, soit par le manque de bestiaux surnuméraires. Admettons qu’on ait en son pouvoir la direction des saisons, les bras & les animaux nécessaires, enfin tout ce qu’on peut désirer. Je ne crains pas de dire que l’on manque son but, parce que les labours sont autant pour diviser & ameublir la terre, amener celle de dessous à la superficie, & retourner celle de dessus, que pour présenter au soleil & aux impressions météoriques, la plus grande surface & la plus grande profondeur possibles. Or, si on herse après chaque labour, la seule terre de la surface jouit de ces influences météoriques qui sont le premier & le plus nécessaire des amendement, (Voyez ce mot, & le dernier chapitre du mot Culture). D’ailleurs, la chaleur & la lumière du soleil qu’il faut compter pour beaucoup, pénètrent bien moins une surface plane qu’une surface profondément sillonnée, & dont le rehaussement de chaque côté du sillon forme un abri, (Voyez ce mot & ses effets caractérisés en grand au mot Agriculture, chapitre des abris & des climats ; ces renvois, évitent des répétitions).

Les partisans du hersage prétendent qu’il s’opposer à l’évaporation des principes de la terre, & que cette évaporation augmente en raison de la profondeur & de la largeur des sillons. Cette objection est simplement spécieuse & rien de plus. Les principes constituant la végétation, répandus dans la terre, & attractifs ; de semblables principes disséminés dans l’atmosphère, (voyez les mots déja cités) sont l’humus, ou proprement dit, terre végétale, l’eau, les sels, l’huile & l’air. Or, on a vu, sans les articles cités, que leur combinaison ne pouvoit avoir lieu que par la chaleur qui établit la fermentation ; la fermentation, leur décomposition, & de leur décomposition la formation de la sève, ou substance dans l’état savonneux. De tous ces principes quel est celui susceptible de s’évaporer ? c’est l’eau ; mais cette eau n’entraînera pas les sels, les huiles, à moins qu’on ne les suppose des huiles essentielles & volatiles ; (c’est ce qu’il faudroit prouver).

Je conviens cependant, que si la terre est dans une siccité complette, les combinaisons des principes ne pourront avoir lieu, puisque les corps ne réagissent les uns sur les autres, que lorsqu’ils sont tenus en dissolution. Ainsi, admettons que la combinaison dont il s’agit soit suspendue ; mais il n’est pas moins vrai que pendant ce temps la terre en opère une nouvelle avec les météores aériens, & peut-être dans cet état, est plus susceptible que dans tout autre, de s’approprier leurs principes. Une simple & facile expérience va le prouver. Prenez une de ces grosses mottes de terre jetée sur le faîte du sillon par la charrue, & qui pendant une sécheresse de deux ou trois mois aura été exposée aux rosées, aux impressions de l’air, à la lumière & à la chaleur du soleil ; remplissez un vase avec cette terre ; remplissez un autre vase avec la terre qui n’aura pas reçu les impressions de cet astre ; semez, arrosez au besoin, en observant que toutes circonstances soient égales, & vous verrez dans lequel des deux vases seront les plantes d’une plus belle végétation. Sans recourir à cette expérience dont des tours de mains peuvent changer les produits, tout le monde a sous les yeux celle de la terre lessivée par les salpêtriers, dont ils auront tellement extrait les sels & les huiles, qu’on tenteroit en vain de semer, & dans laquelle aucune graine ne germera ; mais si on laisse cette terre sans addition quelconque, exposée aux effets météoriques pendant quelques mois, les salpêtriers en retireront comme auparavant, du nitre, & une eau-mère huileuse. D’où sont donc venus ces nouveaux principes à cette terre, sinon de l’air ?

Ces deux expériences prouvent donc d’une manière complette, non-seulement l’inutilité, mais encore l’abus de herser après chaque labour.

L’évaporation, ajoute-t-on, ressemble à la distillation, & dans la distillation, les huiles essentielles & volatiles s’élèvent avec l’eau : donc il y a plus d’évaporation des principes lorsque la terre est sillonnée. Cette objection que je présente dans toute sa force, est, de toutes celles qu’on a faites, la plus avantageuse au problème des fréquens hersages, puisque si l’on suppose la combinaison savonneuse déjà formée, il est clair que l’eau ne peut s’évaporer sans entraîner avec elle une partie de la portion huileuse ou graisseuse, rendue soluble & miscible par l’intermède des sels, & la disperser dans l’immense réservoir atmosphérique. La solution tient à ceci : la perte des principes existans dans la terre égale-t-elle le recouvrement qu’elle en fait en absorbant ceux de l’atmosphère ?

Labour d’été vaut fumier, dit un ancien & très-bon proverbe de nos agriculteurs, & ils ont raison, puisque c’est dans cette saison qu’il existe plus de chaleur, que la lumière du soleil agit le plus longtemps sur la terre, que l’air est plus chargé d’électricité, enfin, que la terre reçoit en plus grande abondance les impressions météoriques ; mais ces labours, si justement préconisés, ne doivent pas être fréquens à cette époque, sans quoi ils nuiroient plus qu’ils ne seroient utiles ; d’ailleurs, les mauvaises herbes sont rares dans cette saison, & leur petit nombre n’oblige pas à multiplier les labours. Je n’ai cessé de répéter que les meilleurs labours étoient ceux faits immédiatement avant l’hiver, aussitôt après l’hiver, au printemps, dans le milieu de l’été, & au moment de semer. Certes, d’un intervalle à l’autre, la terre, quoique sillonnée, a le temps de se tasser, de former une croûte qui s’oppose à une trop libre évaporation. Si d’un labour à un autre il survient une ou plusieurs pluies, il est clair que cette croûte aura assez de consistance pour s’y opposer. Je ne veux pas dire qu’il n’y aura aucune évaporation, cela est impossible, autrement la terre resteroit toujours pénétrée d’eau, & jamais son humidité ne se dissiperoit.

La comparaison de l’évaporation par les sillons n’est pas exacte avec la distillation, ni même avec l’évaporation des fumiers frais & amoncelés. Dans les deux cas, la chaleur est extérieure ou intérieure, & elle est infiniment plus forte que celle des émanations du soleil, reçues par la terre. Il faut que l’eau ait acquis le degré 80 à 90 pour bouillir, ainsi que pour en séparer l’esprit ardent promptement & en grande masse. Dans quel pays la terre reçoit-elle une égale chaleur, & même dans quel pays acquiert-elle la chaleur du fumier en fermentation ? En vérité, c’est donner dans l’extrême, & d’une proposition qui peut, en quelque sorte, être vraie dans sa généralité, en faire des applications erronées, fausses & dangereuses. La plupart des écrivains sur l’agriculture n’ont pas assez réfléchi sur la circulation perpétuelle de l’évaporation des fluides de la terre dans l’atmosphère & l’absorption que la terre fait à son tour de ces mêmes fluides devenus aériens, & différemment combinés de ce qu’ils étoient lors de leur sortie de la terre. J’ose dire que de cette agissante & continuelle circulation, dépendent en très-grande partie la fertilité des terres & la beauté de la végétation. En voici une preuve sans réplique. Boyle mit une branche de saule dans un vase plein de terre, qu’il avoit pesé exactement. Au bout de cinq ans, cette branche avoit acquis 165 livres de poids ; & la terre n’avoit pas perdu deux onces du sien. Cette plante avoit donc puisé sa substance, ou dans l’eau dont on l’avoit arrosée, ou dans l’air. Hales poussa l’expérience plus loin : il pesa également la terre & la quantité d’eau employée chaque fois à l’arrosement d’une même branche de saule ; enfin, en dernière analyse, il vit clairement que le poids de la branche excédoit de beaucoup & celui de l’eau & des arrosemens, & celui de la terre.

D’après ce qui vient d’être dit, je crois pouvoir conclure avec raison qu’on ne sauroit ouvrir de trop larges sillons, leur donner la plus grande surface, afin de leur faciliter la plus forte absorption possible des influences météoriques, par conséquent que les hersages sur chaque labours, sont aussi nuisibles que les trop fréquens labours.

J’ai insisté sur ces objets, parce que cette préjudiciable coutume existe dans plusieurs de nos provinces, & qu’elle est conseillée par plusieurs auteurs qui parlent agriculture du fond de leur cabinet, & qui n’ont jamais suivi la marche de la nature. Ils ont poussé encore plus loin la singularité, puisqu’ils ont été jusqu’à dire que herser fréquemment tenoit lieu de labours.

Si les mottes de terre sont un obstacle au labourage, rien n’empêche de herser à une ou à plusieurs reprises, au moment & avant de labourer ; dans ce cas l’opération est bien vue, & elle est très-utile. Mais elle suppose qu’on se servira de herses fortes, pesantes, ou rendues telles par l’addition de quelque poids, sans quoi la herse légère voltigerait sur les mottes & ne les écraseroit pas. Herser avant de labourer réunit encore l’avantage d’arracher & d’entraîner à l’extrémité du champ une infinité de mauvaises herbes qui embarrasseroient la marche de la charrue.

Lorsqu’on a semé ou pendant qu’on sème le blé, s’il survient une pluie capable d’imbiber la terre, on doit attendre, pour passer la herse, que le sol soit ressuyé, & préférer de voir quelque grains de blé enlevés par les oiseaux ou par les fourmis, plutôt que de serrer & pétrir cette terre sans bien recouvrir le grain.

Après les gelées d’hiver, c’est le cas de herser les blés, ou plutôt d’y faire passer le rouleau. L’effet des gelées est de faire occuper un espace plus grand à la terre humectée, une plus grande surface, un plus grand diamètre que ceux qu’elle avoit auparavant. La gelée en soulève les molécules au moyen de l’eau glacée. Plus la terre sera humectée à cette époque, & plus le collet des racines du blé sera déterré ; alors le rouleau affaisse la terre & chausse les racines, mais il ne faut pas opérer lorsque la terre est encore trop humide ; on en sent assez les raisons sans les détailler.

Quelquefois, malgré les plus grands soins, la herse ne peut briser ces grosses mottes durcies par la sécheresse ; si la herse les enterre dans les sillons, le grain qui se trouvera dessous ne pourra germer, ou bien s’il germe, il lui sera impossible de vaincre l’obstacle qu’il rencontre, & il périra. La prudence exige dans ce cas, qu’avant de semer le champ on y fasse passer des femmes armées de maillets de bois, à long manches, & capables de briser ces mottes ; on sèmera, on hersera ensuite, & s’il le faut, les femmes recommenceront l’opération du maillet. Cette précaution est souvent de rigueur dans les provinces méridionales où on se hâte de profiter des pluies casuelles de l’été pour labourer.