Cours d’agriculture (Rozier)/MARE

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Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 427-429).


MARE. Amas des eaux pluviales & dormantes. L’insouciance & la paresse empêchent que les hommes n’ouvrent les yeux sur leurs besoins & sur leur santé, & plus souvent encore l’habitude ne leur permet pas d’examiner s’il est possible de se passer des mares, & si leur suppression est utile. En Normandie, par exemple, chaque métairie a sa mare destinée à abreuver les bestiaux, & même souvent les hommes : elles sont peu dangereuses dans un climat aussi tempéré, aussi pluvieux, comparé à celui d’un très-grand nombre d’autres provinces du royaume ; mais s’il survient une longue sécheresse, les chaleurs y seront nécessairement vives, & très-vives : dès-lors, manque d’eau, corruption de cette eau à mesure qu’elle diminuera, corruption dans l’air, épidémie pour les hommes, épizooties pour les animaux. On a en effet remarqué que les épizooties putrides, charbonneuses, inflammatoires & gangréneuses survenoient toujours après les sécheresses. Plusieurs causes y concourent ; mais la plus puissante est la corruption de l’eau dont les animaux s’abreuvent. Ce qui a lieu quelquefois dans le nord du royaume, est très-commun dans les provinces du midi. Si les mares, au lieu d’avoir une étendue disproportionnée, avoient une profondeur capable de contenir la même quantité d’eau, le mal seroit moindre, parce que la putréfaction de l’eau commence par les bords, & gagne de proche en proche la totalité : au-lieu que si la mare, coupée quarrément ou circulairement, étoit dans toutes ses parties entourée de murs, bien corroyés avec de l’argille en dehors, ou des murs en béton, (voyez ce mot) l’eau seroit contenue sur une plus grande hauteur ; & lorsqu’elle diminueroit, ce seroit pérpendiculairement. Il suffiroit de ménager sur un des côtés (le plus commode pour le service de la métairie) une pente d’eau qui se prolongeroit jusqu’au fond de la mare : enfin, le fond & la pente seroient pavés. L’eau ainsi resserrée ayant moins de surface, se conservera plus fraîche, & éprouvera moins d’évaporation, qui a lieu en raison des surfaces, & de leur peu de profondeur. La fraîcheur de l’eau est un point essentiel à la conservation de la santé des bestiaux : plus l’eau est échauffée, moins elle contient d’air, moins elle est digestive, & plus elle est pesante. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre un pèse liqueur (voyez sa figure & son usage au mot Distillation) que l’on plonge dans l’eau que l’on vient de faire bouillir : placez le même pèse-liqueur dans la même eau, avant de la faire bouillir, & vous verrez une très-grande différence dans leur pesanteur spécifique. Plus l’eau se corrompt, & plus elle perd de cet air, principe vivifiant. Doit-on après cela être étonné s’il survient des épizooties ?

Si l’on persiste à conserver les mares, qu’elles soient du moins pavées & environnées de murs, ainsi qu’il a été dit ; mais qu’elles soient aussi tenues dans le plus grand état de propreté. J’entends, par ce mot propreté, qu’on n’y laisse croître aucune herbe dont les débris concourent à la putréfaction de l’eau ; qu’on détruise avec le plus grand soin les crapauds, les grenouilles, &, s’il est possible, toute espèce d’insecte. On ne fait pas assez attention que le frai d’un seul crapaud, d’une seule grenouille, après que les œufs sont éclos, se répand en forme de gelée, & qui couvre plusieurs pieds de superficie ; que cette gelée répand au-dehors ce qu’on appelle odeur marécageuse, & qu’elle infecte l’eau. Combien de fois n’ai-je pas vu les animaux forcés de boire une eau verdâtre, boueuse, remplie de vers, &c., & leurs conducteurs avoir la stupidité de penser que cette eau les engraissoit. (Consulter le mot Abreuvoir, afin de ne pas répéter ici ce qui a été dit à ce sujet) Enfin, avant l’entrée de l’hiver, on doit mettre à sec ces mares, & enlever toute la boue, la crasse & le sédiment qui en tapisse le fond. C’est le moyen le plus prompt & le plus sûr de détruire les insectes.

En bonne règle, & par humanité, le gouvernement est dans le cas d’ordonner la suppression de toutes les mares, puisque la santé des hommes & des animaux y est intéressée, surtout dans les provinces où la chaleur est ordinairement forte & vive. Mais où mènera-t-on boire les bestiaux ? comment remplacer ces mares, &c. ? Il est aisé de répondre à toutes les objections que l’on peut faire.

Je réponds, 1°. Il n’est point, ou presque point de pays où l’on ne puisse rassembler les eaux pluviales dans des citernes. (Consultez ce mot, ainsi que celui de Béton) 2°. Il n’est point de pays où l’on ne puisse creuser des puits : il est plus commode, moins coûteux & plus expéditif de pratiquer des mares, cela est vrai ; mais peut on comparer cet avantage avec celui de la santé des hommes & des animaux ! De plus, combien de fois l’eau manquant dans ces mares, est-on obligé de conduire chaque jour, & à plusieurs lieues, les bestiaux pour les abreuver. Le paysan ne voit que le moment présent, il songe peu à l’avenir, & ne s’imagine pas que l’eau stagnante & putréfiée, soit capable de lui occasionner des maladies graves & sérieuses. (Voyez le mot Étang)

Il n’existe aucun endroit dans le royaume où l’on ne puisse trouver de l’eau à une certaine profondeur. Peu d’exceptions combattent cette assertion générale. Alors si la dépense qu’exige la construction d’un puits très-profond, est trop forte pour un seul particulier, c’est à la communauté des habitans à fournir les fonds nécessaires, en se cotisant tous au marc la livre de leurs impositions. Mais comme, dans le nombre, il est rare qu’il ne se trouve des privilégiés, des exempts, ceux-ci ne doivent pas moins y contribuer en raison de la valeur de leurs possessions. La première construction une fois faite, l’entretien est peu considérable. Si un projet si louable éprouve des oppositions, ce sera à coup sûr de la part des gros tenanciers. Il en sera ici comme du partage des communaux. (Voyez ce mot) ils se considèrent comme des êtres isolés qui ne vivent que pour eux, & ils ne font pas attention que, dans une épizootie, ils supportent les plus grosses pertes, pour avoir mal entendu leurs intérêts, & sur-tout pour n’avoir vu que le moment présent.