Cours d’agriculture (Rozier)/NEUF (Cheval)

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NEUF. (Cheval) On se sert de cette expression dans l’intention de désigner un cheval qui n’ait jamais travaillé ; ce qui donne à entendre qu’il est d’une plus grande valeur étant exempt des altérations qu’occasionne l’usure et que produisent la maladresse, l’ignorance et la cupidité.

Mais trouve-t-on, dans le commerce, beaucoup de ces animaux véritablement neufs ? La plupart de ceux qu’on présente comme tels, sont effectivement neufs pour le service auquel on va les soumettre ; mais vendus à quatre ou cinq ans pour le roulage, pour la poste, pour les armées, pour le service des villes, etc., ils ont presque tous été soumis à des travaux divers, soit dans les pays où ils sont nés, soit plus généralement chez des cultivateurs voisins ou éloignés qui les achètent jeunes et qui les élèvent. Quand ces travaux sont proportionnés au développement et à la force des individus, et qu’ils consistent dans un exercice qui excite, qui assouplit, plutôt que dans un travail qui fatigue, qui épuise, ils sont favorables ; ce n’est que quand ils excèdent les moyens, qu’ils occasionnent des altérations fâcheuses.

Les chevaux qu’on tire des haras sauvages, s’étant débattus dans les filets mis en usage pour les prendre, résistant encore plus que les autres à l’éducation qui doit les rendre propres au service, ne peuvent pas davantage passer pour neufs dans le sens rigoureux de l’expression.

Avant d’être vendus comme neufs, on les fait passer par quelques circonstances qu’il n’est pas inutile d’exposer.

Quant aux chevaux que fournit l’éducation ordinaire, on les a d’abord fait travailler, ainsi qu’où vient de le dire, ensuite ils sont engraissés, c’est-à-dire soufflés, suivant le langage des nourrisseurs ; puis on les exerce à faire belle montre, c’est-à-dire qu’on les place en montant sur un terrain qui les hausse du devant, afin que l’encolure soit mieux rouée, qu’ils soient assis sur leurs reins, sur leurs jarrets, ce qui donne au cheval un air plus gracieux ; mais, pour leur faire prendre à volonté cette position pénible, il faut qu’ils reçoivent bien des coups de fouet, bien des saccades du bridon à longue branche, appelé briade.

Cette position, amenée pour éblouir les yeux du demi-connoisseur, a coûté à l’animal des efforts répétés des reins et sur-tout des jarrets, efforts suivis d’une certaine roideur de l’épine, et de refoulemens osseux appelés courbe, éparvin jardon, etc.

Ceux qu’on achète pour être mis au service du carrosse sont soumis encore à une autre éducation, qui n’est pas moins pénible : c’est de les dresser à traîner le charriot. On y place d’abord un cheval qui a l’habitude de ce service ; on attèle en avant le cheval neuf que l’on conduit à deux longes. S’il se défend, on lui met un torche-nez ; on le détermine à coups de fouet : il se porte tumultueusement en avant, quelquefois il fait les pointes et se renverse ; enfin les efforts réitérés qu’il fait encore ajoutent un degré de plus aux altérations précédentes ; quelques uns ne peuvent plus reculer qu’avec peine, et l’usure est avancée dans ce prétendu cheval neuf.

C’est la force, la contrainte, qui font de même l’éducation du cheval de selle ; du galop le plus précipité, on le fait passer à l’arrêt le plus subit ; il s’accule sur ses reins et sur ses jarrets ; (Voyez l’article Acculer) et après quatre ou cinq jours de ces leçons barbares, traînant son derrière, il ne montre que trop combien ces ébranlemens lui ont été nuisibles.

Il résulte de ces considérations que les chevaux qui ont été le moins usés, que l’on a formés graduellement à l’obéissance et au service auquel on les soumet dans la suite, sont les meilleurs, quoiqu’ils ne soient pas neufs. La douceur et la patience sont les moyens de les façonner, de les conserver et de les consolider. Étant ainsi dressés, étant ainsi conservés, ils ont, à cinq ans, toute la force qui les rend d’un très-long service. Ne souffrant d’aucune partie, ils exécutent tous les mouvemens qu’on sait leur demander comme il convient. On voit des chevaux de la sorte qui sont avancés en âge, et qui ont beaucoup travaillé, en qui on remarque les jambes saines, nettes, c’est-à-dire sans marques d’usure, parce qu’on les a gouvernés avec méthode ; tandis que d’autres encore jeunes, sont ruinés sur leurs jambes, étant bouletés, arqués, rampins, droits sur leurs jambes, ayant des courbes, des éparvins, des formes, des vésigons, des molettes, etc. (Voyez Accroissement, Âge, Accoutumer, Avilir, Graisse, Fluxion périodique.)

(Ch. et Fr.)