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Cours d’agriculture (Rozier)/VERS À SOIE

La bibliothèque libre.
Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 604-674).


VERS À SOIE.


Plan du travail sur les vers à soie.


CHAPITRE PREMIER. Histoire naturelle du ver à soie.
Section première. Du ver.
605
Sect. II. Des mues du ver à soie.
ibid.
Sect. III. Du cocon & de la chrysalide.
607
Sect. IV. Du papillon.
608
Sect. V. Des différentes espèces de vers à soie.
609
CHAP. II. Observations générales sur la pureté de l’air dans l’éducation du ver à soie.
611
CHAP. III. Du logement destiné aux vers à soie.
Section première. Des emplacemens nuisibles.
613
Sect. II. De l’emplacement favorable pour un atelier de vers à soie.
614
Sect. III. De l’intérieur de l’atelier.
615
Sect. IV. Des effets ou meubles nécessaires dans un atelier.
618
Sect. V. Du local destiné à la première éducation.
623
Sect. VI. De l’infirmerie pour les vers malades.
ibid.
CHAP. IV. De la feuille de mûrier.
Section première. De la qualité de la feuille considérée comme nourriture du ver à soie.
624
Sect. II. De la manière de cueillir la feuille.
625
Sect. III. Du temps propre à la cueillir.
627
Sect. IV. De la manière de conserver les feuilles.
629
CHAP. V. De la couvée.
Section première. Du choix de la graine.
630
Sect. II. De l’époque & de la manière de faire éclore la graine.
632
CHAP. VI. Des premiers soins après que les vers sont éclos.
Section première. De la chaleur convenable aux vers.
639
Sect. II. De la propreté indispensable pendant l’éducation.
641
CHAP. VII. Maladies des vers.
Section première. De la rouge.
643
Sect. II. Des vaches, ou gras, ou jaunes.
644
Sect. III. Des morts blancs ou tripés.
646
Sect. IV. Des harpions ou passis.
647
Sect. V. De la luzette, ou luisette, ou clairette.
ibid.
Sect. VI. Des dragées.
648
Sect. VII. Des maladies occasionnées par la qualité de la feuille.
ibid.
CHAP. VIII. De la manière de gouverner les vers à soie, dans leurs différens âges.
Section première. Conduite des vers depuis leur naissance jusqu’à la première mue ou premier âge.
650
Sect. II. Du temps & de la manière de deliter.
653
Sect. III. Du second âge, depuis la fin de la première mue, jusqu’a la fin de la seconde.
654
Sect. IV. Du troisième âge, depuis la fin de la seconde mue, jusqu’à la fin de la troisième.
655
Sect. V. Du quatrième âge, depuis la fin de la troisième mue, jusqu’a la fin de la quatrième.
656
Sect. VI. De la grande brisse ou frèze.
ibid.
CHAP. IX. De la montée des vers à soie.
Section première. De l’époque où le ver est prêt à coconner.
658
Sect. II. Manière de disposer les tables pour recevoir les vers prêts à coconner.
ibid.
Sect. III. Des accidens à craindre à l’époque de la montée.
660
CHAP. X. Du temps où il faut décoconner ou déramer.
661
CHAP. XI. Manière d’étouffer les cocons pour empêcher la chrysalide de se former en papillon.
662
CHAP. XII. Du choix des cocons pour graine, de l’accouplement des papillons, de la ponte.
663
CHAP. XIII. Des moyens de conserver la graine jusqu’au temps de la couvée.
667
CHAP. XIV. Est-il avantageux de faire plusieurs éducations de vers à soie, dans le courant de la même année ?
668
Note relative à la double éducation des vers à soie, faite dans la même année.
ibid.


CHAPITRE PREMIER.

Histoire naturelle du Ver à soie.


Section Première.

Du ver.

Geoffroi, dans son Histoire abrégée des insectes, place le papillon du ver à soie dans la troisième section des insectes à quatre ailes farineuses, sans trompe, & dont les antennes en forme de peigne, vont en décroissant depuis la base jusqu’à l’extrémité. La chenille de ce papillon est à peau rase, & elle se forme en chrysalide dans une coque formée de sa substance.

La chenille ou larve du ver à soie, a la tête formée par deux espèces de calottes sphériques, dures, écailleuses, sur lesquelles on remarque des points noirs. Ces deux calottes sont les yeux de l’insecte. Sa bouche est placée à la partie antérieure de la tête ; elle est armée de deux fortes mâchoires, qui lui servent à ronger les feuilles. À la lèvre inférieure, on voit un petit trou, qui est la filière, d’où sort le brin de soie qui forme le cocon.

Lorsque le ver sort de la coque, sa couleur est cendrée, & quelquefois d’un rouge brun tirant sur le noir. Après la première mue, cette couleur s’éclaircit & devient d’un blanc jaunâtre. Ce ver a neuf anneaux ; le dernier est l’anus, ou l’ouverture par laquelle l’insecte rend ses excrémens. Chaque anneau est marqué, sur les côtés, d’une tache de couleur plus foncée que celle de la peau : elle est en forme de boutonnière, & présente une ouverture ou trachée, par laquelle l’insecte respire. On nomme ces ouvertures, stigmates. Ce nombre d’ouvertures destinées à la respiration, prouve combien le ver à soie a besoin de respirer.

les six premières pattes sont exactement les enveloppes de celles que le papillon aura. Elles sont écailleuses & attachées aux trois premiers anneaux ; les autres sont membraneuses, & resteront dans la dépouille de la chrysalide.

Section II.

Des mues du ver à soie.

La chenille, ou le ver à soie, éprouve quatre maladies qu’on nomme mues, parce qu’il se dépouille de sa peau Ces mues sont des époques critiques, pendant lesquelles l’insecte souffre. Après la dernière, il fait son cocon, s’y transforme en chrysalide, & en sort ensuite sous la forme de papillon. Voici la description du mécanisme de la mue, d’après les observations de M. de Sauvage.

« La mue qui fait la séparation de l’âge du ver à soie, n’est pas un sommeil ou un temps de repos ; c’est un état de langueur, & d’un travail pénible : il s’agit de se dépouiller d’une surpeau, qui, ne croissant pas comme le ver, commence à le gêner, & ne sauroit enfin le contenir plus long temps. Il y va de sa vie s’il ne peut en venir à bout. Cet état revient six fois pendant la vie du ver ; quatre avant de filer, & deux au-dedans du cocon. Il en vient chaque fois à ce terme, dans des intervalles plus ou moins longs, selon qu’il est plus ou moins hâté pour prendre la mesure d’alimens, nécessaire à l’accroissement de chaque âge ».

« Le ver à soie travaille à se dépouiller ou à muer d’abord après la frèze. La révolution qui commence à s’opérer sous sa peau, lui ôte peu-à-peu l’envie & le pouvoir de manger & de marcher. Dès qu’on s’en apperçoit, il faut retrancher la dose des repas, qui ne serviroit qu’a épaissir la litière… Enfin lorsque ses dents ne peuvent plus agir, il cesse tout-à-coup de manger. Ceux qui sont au voisinage du bord des claies ou de quelqu’autre corps ferme & solide, vont s’y établir en quittant, seulement pour un temps, la litière qu’ils regagnent bientôt : ils trouvent dans ces nouvelles places des points plus fixes, pour faire avec avantage les efforts nécessaires à la mue ».

« Tandis que notre insecte conserve encore la liberté des mouvemens, il s’occupe à filer une soie blanche très-déliée, dont il apporte le réservoir en naissant. Ce fil destiné à le garantir des chutes dans sa jeunesse, s’il vivoit sur les arbres dans les champs, lui sert encore dans cette occasion pour l’aider à se dépouiller. Il en attache des brins par-tout aux environs de son corps, pour retenir sa peau en arrière, lorsqu’il se portera lui-même en avant. On juge que les vers à soie sont sains & vigoureux, lorsque la litière est bien garnie de ces fils ».

« Le ver étant amarré de la sorte, sa tête déjà déridée à la frèze, commence à s’enfler ; il la tient élevée & ordinairement immobile comme le reste du corps : elle a quelque peu de transparence, parce que le ver s’est vidé dans les hautes & basses voies, de tout excrément. On apperçoit cette transparence en regardant le ver à travers le jour d’une fenêtre, ou à la lueur d’une lumière ; mais moins distinctement aux deux premières mues qu’aux suivantes. Son museau paroît pointu & plus alongé ; cette partie à laquelle les crochets ou dents, & les yeux qui en terminent la tête, sont attachés, est une écaille faire en calotte, qui tombe séparément de la peau, & renaît comme elle à chaque mue ».

« Cette écaille ne croît pas pendant la durée d’un âge, & elle n’est pas même susceptible d’extension comme la peau : elle s’en détache tout naturellement peu-à-peu, à mesure que celle-ci s’enfle & se détend. Les mouvemens convulsifs dont la tête du ver paroît de temps en temps agitée, achèvent la séparation. La nouvelle enveloppe qui se forme en-dedans, & qui doit avoir plus de volume que la précédente, fait effort pour l’acquérir : elle se fait jour à travers la fente, ou la commissure de l’écaille avec la peau… Comme elle acquiert toujours plus de liberté pour s’étendre, elle pousse en dessous l’ancien museau, & le chasse en avant ; ce qui fait paraître toute la tête pointue & plus alongée. Ce museau ou écaille qui n’est plus qu’un vain masque vide, & qui ne tient presqu’à rien, tombe enfin de lui-même, ou bien le nouvel animal l’arrache, lorsque ses crochets ou ses pattes écailleuses sont dégagées ».

« Lorsque l’écaille est entièrement séparée, l’ouvrage est bien avancé ; elle laisse une ouverture fort étroite, n’ayant à la vérité que le calibre du premier anneau, qui ne se fend pas, & ne se crevasse pas, comme on l’a cru ; mais elle est suffisante pour laisser passer le corps de l’insecte qui, en s’allongeant & se rétrécissant par de petits efforts multipliés, se débarrasse par-là d’un fourreau qui n’est plus de mesure ».

« Nous avons dit que le ver à soie qui se dispose à la mue, avoit eu soin de bonne heure, d’amarrer ce fourreau d’une façon solide. Une liqueur qui transpire de son corps, & dont il paroît tout mouillé au sortir de la mue, se répandant entre la nouvelle & la vieille peau, en facilite la séparation, & prévient les frottemens douloureux. C’est alors que l’insecte industrieux, s’aidant du mouvement vermiculaire qu’il donne à son corps de bas en haut, en fait avancer le premier anneau en dehors… Dès que ses pattes du devant sont libres, il les accroche à quelque point, & il achève de se dégager en tirant en avant. La vieille peau fixée par les cordons de soie, & par les crochets des deux appendices de l’anus, reste derrière le ver, aplatie, & à la place où il s’étoit d’abord établi… Quand la mue est faite à propos, & sans être pressée par la chaleur, le dépouillement est si parfait, que l’intérieur de ses trachées ou stigmates, par où respire l’animal, se renouvelle, & il en sort de longs filets qui en tapissoient le dedans ».

« Ce qui aide encore à cette séparation, c’est que le ver ayant donné à sa vieille peau, toute l’extension dont elle étoit susceptible, en se gorgeant de nourriture pendant la frèze, elle doit devenir un peu lâche dès que l’animal diminue de grosseur en se vidant de ses excrémens. Si la partie du corps comprise sous les anneaux restoit aussi enflée que la tête, ou bien si la peau ne perdoit pas de son ressort par la longue tension, il seroit probablement impossible au ver de se dépouiller ».

« Ce détail, où tout n’est pas de simple curiosité, fera mieux sentir les raisons des pratiques qu’on met en œuvre, avant, pendant, & après la mue ».

Section III.

Du cocon & de la chrysalide.

Lorsque le ver à soie a choisi la place qui lui convient pour établir son cocon, il emploie le premier jour à fixer les points d’appui, où il attache la soie qu’il tire de l’intérieur de son corps, par l’ouverture désignée sous le nom de filière. Le second, il forme le commencement de sa coque, & en multipliant les fils, il s’y enferme. Le troisième, il y est entièrement caché ; enfin les jours suivans se servant toujours du même brin, sans le casser, il s’y ensevelit complettement, & son tombeau est à son point de perfection : alors il se change en chrysalide. (Voyez ce mot). On estime que le seul brin de soie qui a formé un cocon ordinaire, occuperoit plus d’une lieue de longueur. Je ne voudrois pas garantir ce fait, facile cependant à vérifier. Si on ouvre ce cocon, on le trouve uni & lisse dans son intérieur. Il renferme la chrysalide qui est brune, plus pointue à sa partie inférieure, mobile, & comme articulée. C’est elle qui forme le ventre de l’animal. La supérieure est plus ferme, plus renflée ; elle fournit la tête, le corselet & les ailes de l’animal, lorsqu’il abandonne cette dépouille pour devenir insecte parfait, c’est-à-dire, papillon. Il s’agit actuellement de sortir du cocon, dont le tissu est composé d’innombrables contours de fils, que la force de l’homme a de la peine à séparer. Dans l’état de chrysalide, l’insecte a conservé une liqueur dissolvante de la soie ; lorsqu’il est papillon, il répand cette liqueur sur le bout du cocon, par lequel il veut sortir ; la soie se dissout par les efforts de l’animal qui pousse continuellement avec sa tête ; enfin il parvient à faire un trou où son corps peut passer ; alors il paroît sur le cocon, encore humide de la liqueur dont il s’est servi pour briser les fils qui le tenoient en captivité.

Section IV.

Du papillon.

Son corps est composé de trois parties principales ; savoir, la tête, le corselet, & le ventre. La tête a deux antennes garnies de barbe de chaque côté, disposées comme les dents d’un peigne. Elles partent du point situé entre les deux yeux. Ceux-ci sont gros, formés par une membrane transparente & à facettes. Le corselet est la partie entre la tête & le ventre ; il est composé de plusieurs pièces écailleuses & assez fortes, auxquelles les pattes & les ailes sont attachées. L’insecte, dans son état de ver, avoit beaucoup de stigmates pour respirer, qu’il conserve dans son état de papillon ; elles sont recouvertes par de longs poils qu’on est obligé de couper pour les appercevoir. Les deux premières sont placées sur une espèce de cou membraneux, qui joint la tête au corselet. Au-dessous du corselet, sont attachées les pattes, au nombre de six ; la cuisse tient au corps & est suivie de la jambe qui est terminée par le tarse ou pied composé de cinq articulations. Les tarses sont terminés par des griffes ou crochets, au moyen desquels le papillon se tient ferme sur les places où il repose.

Les ailes sont au nombre de quatre ; deux supérieures & deux inférieures, couvertes de petites écailles blanchâtres. La membrane composée de deux feuillets qui forment l’aile, est diaphane, transparente, & n’a point de couleur par elle-même ; elle est sillonnée par des nervures auxquelles s’attachent les écailles. La ailes sont molles, pendantes, & paroissent, à la vue, fort épaisses.

Le ventre est composé d’anneaux qui ont également leurs stigmates cachés par des poils & des écailles, semblables à celles des ailes. À l’extrémité postérieure du ventre, sont placées les parties de la génération.

Le papillon mâle est beaucoup plus petit que le papillon femelle. Le ventre de ce dernier est plus volumineux, plus renflé & plus élargi à son extrémité. La femelle se meut pesamment & avec peine ; le mâle, au contraire, est vif & sémillant.

Ces papillons n’ont besoin d’aucune nourriture ; ils ne jouissent de cet état parfait, que pour reproduire leur espèce. À peine sont-ils sortis du cocon qu’ils secouent leurs ailes, en battent avec une rapidité incroyable & s’accouplent ensuite. Peu de temps après le mâle meurt. La femelle ne tarde pas à pondre des œufs très petits : ils sont d’abord d’un blanc cendré ; ensuite jaunes blancs ; enfin l’air leur donne une couleur brune, plus ou moins foncée. Ce sont ces œufs qu’on nomme graine de vers à soie.

Section V.

Des différentes espèces de vers à soie.

En Europe nous ne connoissons qu’une seule espèce de vers à soie. Ceux qui diffèrent en couleur, ou qui produisent des cocons blancs, ne sont que des variétés occasionnées par des causes que les meilleurs observateurs n’ont pas encore pu découvrir. Il y a des années où l’on voit beaucoup de vers à soie noirs, dans une éducation ; d’autres fois ils sont très-rares, & à peine en apperçoit-on quelques-uns. Si l’on ne met que des cocons blancs pour avoir de la graine, les vers qui en proviendront feront des cocons blancs en très-petite quantité, & les jaunes domineront toujours. Ce fait est certain, & constaté par l’expérience que j’en ai faite ; d’où je conclus que nous n’avons que des variétés, & non pas des espèces. Il en est de même des vers qui produisent des gros & des petits cocons, dont la couleur varie. Ces différences dépendent du climat ou de la nourriture ; mais elles ne constituent pas une espèce.

En 1757, la veuve Lottin mit eu vente, à Paris, un livre dont le titre étoit : l’Art de cultiver les mûriers blancs & d’élever les vers à soie. Il est dit dans cet ouvrage : « Les Chinois, outre le ver à soie domestique qu’ils ont connu avant toutes les autres nations, en ont deux espèces qui sont sauvages, & qui pourroient être d’une très-grande utilité en Europe, si on les introduisoit, parce qu’on a le profit de la soie sans avoir l’embarras de les élever. Les Chinois appellent ces deux espèces de vers sauvages, Tsuen-Kien, & Tyan-Kien. Ils sont semblables à des chenilles ; mais l’espèce tsuen-kien, est plus grosse & plus noire que nos vers à soie, & les autres se trouvent dans les champs, sur les arbres & sur les buissons ; mais on remarque qu’ils préfèrent les jeunes feuilles de chêne. »

« Ces vers sauvages ne font point de coque comme les vers domestiques. La soie consiste en de longs fils qu’ils attachent aux arbres & aux buissons, apparemment pour s’y suspendre, ou pour aller de branche en branche, & ces arbustes sont quelquefois tous couverts de ces fils, que les Chinois ont grand soin de ramasser ».

« La soie de ces vers sauvages est moins fine que celle des vers domestiques ; mais elle a plusieurs qualités que n’a pas la soie ordinaire : elle résiste mieux au temps, elle est fort épaisse, ne se coupe jamais, & elle se lave comme la toile. Les Chinois en font une étoffe qu’ils appellent Kien-cheu, & qu’on prendroit pour un gros droguet quand on ne la connoît pas ; mais elle est tellement estimée que quelquefois elle est aussi chère que le satin, ou que les plus belles soies de la Chine. Quand elle est d’une certaine bonté, rien n’est capable, pour ainsi dire, de la gâter, l’huile même n’y fait point de taches. Il faut que le Kien-cheu soit bien estimé en Chine ; puisqu’on le contrefait avec la soie ordinaire, afin de la mieux vendre ».

« Au reste, il y a bien de la différence entre la soie de Tsuen-Kien, & celle de Tyan-Kien. Les fils de la première espèce sont d’un gris roux, ceux de la seconde sont plus noirs ; mais tellement mêlés de plusieurs couleurs, que souvent la même pièce est divisée en raies jaunes, grises & blanches ».

« Les Chinois ont encore une autre espèce de vers à soie, différente des vers domestiques, & qui est aussi comme sauvage. Voici comment ils profitent du travail de ces vers… il y a en Chine une espèce de mûrier appelé ché ou yesang, qui croît dans les forêts, & qui est petite & sauvage. Les feuilles de ce mûrier sont petites, rondes, terminées en pointe, dentelées sur les bords ; leur fruit ressemble au poivre, leurs branches sont épineuses ».

« Dans certains cantons, aussitôt que les mûriers commencent à pousser leurs feuilles, on fait éclore l’espèce de vers en question, dont on a eu soin de ramasser la graine, l’année précédente, dans les forêts, & l’on distribue les vers éclos sur ces arbres, afin qu’ils s’y nourrissent & y fassent leur soie. Ils deviennent plus gros que les vers domestiques, ils font leur coque de même ; & quoique la soie n’ait ni la beauté, ni la finesse de la soie ordinaire, elle ne laisse pas d’être très-utile. Les Chinois ne prennent pas d’autres soins de ces vers, sinon de les distribuer sur les mûriers, & d’en ramasser les coques lorsqu’ils ont filé leur soie. Aussi ne négligent-ils pas les mûriers sauvageons dont nous parlons : ils percent, dans les forêts où ils croissent, divers sentiers, pour avoir la facilité de les émonder, & d’en chasser les oiseaux. Ils les cultivent d’ailleurs comme les vrais mûriers, & les plantent fort au large. Quand il reste sur ces arbres des feuilles auxquelles les vers n’ont pas touché dans le cours du printemps, ils les arrachent en été, parce qu’ils prétendent que celles du printemps suivant, seroient corrompues par la communication d’un reste de vieille sève ».

Il est bien étonnant que les voyageurs éclairés qui passent d’Europe en Chine, ne se soient jamais occupés de nous donner des détails exacts sur la culture des mûriers, & sur l’éducation des vers à soie, telle qu’on la pratique en Asie. Il est bien plus étonnant encore, que les amateurs d’agriculture & d’histoire naturelle, envoyés par les souverains dans les diverses parties de notre globe, pour faire des recherches, n’ayent pas eu une mission particulière de passer en Chine le temps nécessaire pour s’occuper des objets économiques de l’agriculture de ce peuple industrieux, & de nous rapporter les graines des arbres, & les œufs des différens vers à soie. Pourquoi n’y enverroit-on pas aussi un chimiste instruit dans l’art de la tenture, pour connoître les procèdes, les plantes ou minéraux, dont les Chinois se servent. Ces sortes de voyages seroient infiniment plus utiles que les conquêtes les plus brillantes, qui coûtent la vie à des milliers d’hommes, pour lesquelles on dépense des richesses immenses, & qui sont presque toujours le sujet de nouvelles guerres.

CHAPITRE II.

Observations générales sur la pureté de l’air dans l’éducation du ver à soie.

L’éducation des vers à soie, faite en Europe, est bien différente de celle qu’ils reçoivent dans l’Asie. Dans notre climat, nous avons réduit cet insecte à un état de domesticité, absolument nécessaire pour profiter avec avantage de son travail. Continuons d’observer cette méthode. L’éducation champêtre ou en plein air, n’a jamais réussi. Indépendamment du climat, ou de la température de l’air que nous ne pouvons pas changer, les vers à soie seroient exposés à bien des accidens, qui les détruiroient en grande partie, & peut-être entièrement.

Ce qui a porté à faire des expériences sur l’éducation en plein air, c’est qu’on la pratique en Chine. Mais il faut observer que l’espèce de vers à soie, ainsi élevée, n’est pas celle pour laquelle nous travaillons, & que les Chinois eux-mêmes soignent comme nous. Ces sortes d’expériences n’ont eu aucun succès. Il nous faudroit l’espèce de ver, & l’arbre qui le nourrit, & peut-être réussirions-nous mal dans notre climat.

L’éducation du ver à soie, doit avoir pour base le plus grand rapprochement possible des lois de la nature. En plein champ, il respire à son aise un air pur qui se renouvelle à tout moment. La conformation de son corps prouve ce besoin ; il a une multiplicité de stigmates destinées à faire passer l’air aux poumons ; mais cet air si souvent inspiré & respiré, se vicie par les exhalaisons dont il se charge dans son passage. Il est prouvé par un grand nombre d’expériences que l’air respiré par les animaux se corrompt tellement, qu’il les fait mourir, s’ils sont obligés de le respirer continuellement. C’est un air impur ou méphitique (consultez ce mot), d’autant plus dangereux, qu’il y a long-temps qu’il n’a point été débarrassé des vapeurs dont il s’est chargé.

L’air qui entre dans nos poumons, n’est pas absolument pur, quoiqu’il soit propre à être inspiré. Celui des villes & des plaines n’a qu’un quart d’air pur ou déphlogistiqué ; les trois autres quarts sont un air phlogistiqué ou méphitique, c’est-à-dire, mortel.

En entrant dans un atelier de vers à soie, on peut juger par soi-même & par la difficulté qu’on a de respirer, combien l’air intérieur y est altéré. Deux causes principales y concourent : 1°. l’air inspiré & respiré par les vers, & la transpiration de cette multitude d’insectes renfermés dans un petit espace ; 2°. la putréfaction de leurs excrémens & des feuilles donne l’air mofétique, & les autres émanations ou altérations du corps, l’air méphitique. Le premier est le plus dangereux.

J’ai voulu dans le temps me rendre raison, pourquoi les vers, lors de leurs mues, cherchoient autant qu’ils pouvoient, & quand ils n’étoient point dérangés, à se placer sur les bords des tables. Je soupçonne que c’étoit pour jouir d’un plus grand courant d’air, & plus pur que celui qu’ils respiroient dans le milieu. Cette observation étoit encore plus frappante sur les tablettes inférieures que sur les supérieures, parce que l’air mofetisé & méphitisé, est de beaucoup plus pesant que l’air atmosphérique ; & par conséquent, les vers des tablettes inférieures ont moins de facilité à respirer, que ceux des tablettes supérieures, puisque l’air impur occupe toujours la région inférieure, à cause de sa pesanteur, occasionnée par les vapeurs dont il est surchargé.

Quoique ce raisonnement fût conforme aux lois de la bonne physique, je déterminai à m’en convaincre par l’expérience. À cet effet, je plaçai des vers, après leur troisième mue, au bas d’une haie de mûriers, taillée en charmille & située au midi, afin qu’ils y passassent leur quatrième mue : les vers avoient gagné la sommité de la haie, & ils étoient presque tous sur la partie supérieure taillée horizontalement. Des vers de même âge, de la même tablette, enfin toutes circonstances égales, furent placés sur des mûriers, également taillés en charmille, mais ayant un grand air des deux côtés ; ils firent leur quatrième mue indistinctement au milieu de la hauteur & sur le replat. Dans le premier cas, le grand air leur manquoit donc, puisque tous gagnèrent le haut pour respirer plus à leur aise. Dans le second, il étoit donc suffisant, puisque tous muèrent à la place qu’ils occupoient lorsque la mue commença. Il est donc clair, & comme la nature l’indique eu donnant plusieurs stigmates aux vers à soie, qu’ils ont besoin de beaucoup d’air libre, parce qu’ils en inspirent & respirent une grande quantité. Il suit de ce principe, qu’il est important d’éloigner de l’atelier tous les objets capables de vicier l’air, & qu’il doit être tenu avec propreté. Il faut, par une suite de ce même principe, renouveler l’air très-souvent. Presque toutes les maladies accidentelles que les vers à soie éprouvent, proviennent de cette cause, c’est-à-dire, d’un air vicié & corrompu.

M. Tenon, dans ses recherches sur la cause de la plus ou moins grande mortalité des malades dans les hôpitaux, a reconnu & démontré, que l’hôpital où il périssoit le moins de malades, étoit celui où chaque individu avoit sept toises cubes d’air à respirer. Concluons maintenant du grand au petit, & dans l’éducation des vers à soie, ne perdons jamais de vue ce principe. La nature a donné au ver à soie un grand nombre de stigmates pour respirer. Cet insecte a donc besoin d’une grande quantité d’air ; mais comme il se vicie par l’usage, il est donc très-nécessaire de le renouveler, afin qu’il soit plus pur.

On vient d’établir le principe général, qui doit être le guide des personnes sensées, dans l’éducation du ver à soie. Maintenant, que doit-on penser des éducations faites dans des rez-de-chaussée, dont les planchers sont très-bas, qui ne sont éclairés que par de petits larmiers placés sur un seul côté, & où souvent l’air & la lumière n’entrent que par la porte ? de ces rez-de-chaussée humides, où le feu qu’on y fait attire une grande masse d’humidité ? de ces lieux voisins d’une cour boueuse, remplie de fumier, ou attenante à des écuries ou bergeries ? Chaque année, l’expérience apprend aux personnes qui élèvent des vers à soie, dans de tels endroits, qu’elles perdent leur temps. Si elles ont une bonne récolte sur dix, c’est un phénomène dû à des circonstances heureuses, qu’on ne peut ni prévoir, ni se ménager. Lorsque le local dont on peut disposer n’est pas convenable, il y a beaucoup plus de profit à vendre sa feuille & son temps à ceux qui peuvent avoir une éducation avantageuse.

CHAPITRE III.

Du logement destiné aux vers à soie.

Section Première.

Des emplacemens nuisibles.

L’endroit destiné a l’éducation des vers à soie se nomme coconnière, magnanïere, magnonière, magnaudière, &c. Toutes ces dénominations importent peu au fond de la chose, pourvu que le local soit convenable.

Dans la construction d’un atelier, il faut éviter le voisinage des rivières, des ruisseaux, & surtout les eaux stagnantes. L’humidité, jointe à la chaleur nécessaire aux vers, accélère la putréfaction de toute espèce de substance animale & végétale ; toute putréfaction de ce genre produit l’air mofétque, le plus mauvais de tous. Il faut éviter encore que l’atelier soit appuyé contre des rochers assez élevés pour empêcher la libre circulation de l’air, ou humides au point que l’eau filtre à travers les scissures. Un autre inconvénient, est qu’ils réfléchissent les rayons du soleil, & occasionnent dans l’atelier une chaleur suffoquante, dont les vers sont très-incommodés.

Le voisinage des bois, des forêts, n’est pas moins dangereux. Outre la transpiration des plantes, qui augmente l’humidité atmosphérique, elles attirent encore celle de l’air & la conservent fortement. Le second principe pour une bonne éducation, est donc d’aligner toutes les causes extérieures de l’humidité. On ne doit pas espérer d’y parvenir, si l’atelier est placé dans le fond d’un vallon étroit, & surtout dominé par des hautes montagnes ; si les rayons du soleil y parviennent trop tard dans la matinée ; s’ils se retirent trop tôt dans l’après-midi. Dans le premier cas, l’humidité s’y concentre, la lumière du soleil y arrive tout-à-coup & trop chaude, la chaleur naturelle est quadruplée par la réfraction des rayons, enfin elle est étouffante. Si le sommet des montagnes prive l’atelier de la lumière, trop à bonne heure dans l’après-midi, le serein y sur-abonde, l’atelier est plongé dans un bain de vapeurs, qui, malgré les plus grandes précautions, pénétreroit jusqu’aux vers. Chaque propriétaire doit faire l’application de ce qui vient d’être dit, à son local, en corriger les défauts, & tâcher de le rapprocher du degré de perfection de l’atelier dont je vais parler

Section II.

De l’emplacement favorable pour un atelier de vers à soie.

Je suppose qu’un propriétaire veuille construire un atelier commode & favorable à l’éducation des vers à soie, & qu’il soit libre de choisir le local. L’expérience lui prouvera que le plus convenable est celui qu’on construit sur une petite monticule environnée d’un grand courant d’air, où l’on plante trois ou quatre peupliers d’Italie, ou tels autres arbres qui s’élèvent beaucoup sans trop étendre leurs branches, & qui par ce moyen donnent peu d’ombrage. Ces arbres sont les agitateurs de l’air, le mouvement de leurs branches contribue à le renouveler.

Chaque pays a son vent dominant ou désastreux, occasionné par des circonstances purement locales ; telles sont les chaînes de certaines montagnes qui brisent ou font refluer les vents ; telles sont les forêts qui les attirent, les marais, les étangs qui les chargent de miasmes ; enfin telles autres causes locales que je ne puis prévoir ni décrire, mais dont chacun connoît dans son pays les funestes effets, sans chercher à en découvrir la cause physique & toujours agissante. L’atelier seroit très-mal place sous la direction de ces funestes courans d’air.

L’exposition du nord est visiblement mauvaise, puisque le ver à soie exige constamment un degré de chaleur déterminé. Il y a des cantons où le vent d’est est insoutenable, & accompagné de la plus grande humidité ou d’une chaleur suffoquante : dans d’autres, il annonce des jours purs & sereins. Dans les régions qui ont au midi de grandes chaînes de montagnes très-élevées, le vent qui en vient est toujours froid, surtout si elles sont couvertes de neige, ou simplement humides ; mais il est brûlant, quand le sol en est sec, & dans l’été ce vent terrible brûle tous les végétaux qui sont sur sa direction. Le vent du couchant en général est froid & pluvieux : lorsqu’il ne souffle pas, la chaleur du soir est la plus forte & la plus incommode de la journée. Je pourrois encore citer des exemples, ou pour mieux dire, des faits ; mais ceux-là suffisent pour prouver qu’il n’y a pas de règle générale applicable à tous les cantons & à tous les climats. Chacun doit s’appliquer à connoître son climat & les variations auxquelles il est exposé, & ne point s’en rapporter aveuglement à l’opinion qu’un auteur donne dans son ouvrage, qui peut souvent produire de grandes erreurs.

Je dirai donc à présent, si toutes les circonstances sont égales : 1°. choisissez l’emplacement du levant au midi, celui qui reçoit les premiers rayons du soleil, mais qui en est à l’abri depuis trois heures jusqu’au soir ; donnez au bâtiment la direction du nord au midi, en observant que sa plus grande face soit au levant.

3°. Qu’il soit percé sur toutes ses faces d’un nombre suffisant de fenêtres larges & élevées, afin d’avoir la facilité d’établir un courant d’air à volonté dans tous les sens, suivant le besoin, & afin de procurer beaucoup de lumière dans l’atelier. On a tort de croire que les vers se plaisent dans l’obscurité. Ce fait est faux, & démontré tel par l’expérience. Dans un atelier éclairé par un seul côté, on voit les vers se porter vers l’endroit d’où vient la lumière : en observant, l’on se convaincra de cette vérité, & il est bien à propos de s’accoutumer à observer ; c’est le moyen d’éviter de tomber dans l’erreur.

4°. Chaque fenêtre sera garnie 1°. de son contre-vent à l’extérieur, en bois double & bien fermant ; 2°. de son châssis garni en vitres, ou en toile, ou en papier huilé. Les vitres & le papier sont préférables à la toile. Le tout doit être bien conditionné. Les persiennes, ou abats-jours, ne peuvent point suppléer les contre-vents. Il ne suffit pas de garantir les vers à soie d’une trop grande clarté, mais du froid ou de la chaleur, & les contre-vents sont plus propres pour cet effet. Suivant les climats, c’est une sage précaution de se pourvoir de paillassons, ou de toiles piquées pour boucher intérieurement les fenêtres du côté du nord ou du couchant, lorsque le besoin le commande.

5°. L’atelier doit être composé de trois pièces ; savoir, 1°. d’un rez-de-chaussée qui servira pour déposer les feuilles à mesure qu’on les apportera des champs, lorsqu’elles ne seront pas humides par l’effet de la pluie ou de la rosée ; 2°. d’un premier étage exactement carrelé, & dont les murs seront bien recrépis : ce sera l’atelier proprement dit ; 3°. d’un grenier bien aéré, pour y étendre les feuilles, lorsqu’elles seront humides. Les fenêtres seront garnies de contre-vents. Il ne faut pas craindre de multiplier les fenêtres, dans ces trois pièces, puisqu’on sera libre d’ouvrir les croisées & de les fermer, selon que les circonstances l’exigeront. On aura par conséquent la facilité de garantir les vers à soie du froid ou de la chaleur, selon qu’il sera nécessaire. L’expérience prouve, qu’on est souvent dans la circonstance où l’on ne sauroit avoir trop de fenêtres, afin de renouveler l’air promptement, ou de faire sécher la feuille. Lorsque les vers sont à la brisse ou grandde frèze, on en sent la nécessité, lorsqu’il faut déliter.

Section III.

De l’intérieur de l’atelier.

L’atelier doit être d’une grandeur proportionnée à la quantité de vers à soie qu’on veut élever. Il vaut mieux qu’il soit plus grand, que s’il étoit trop petit ; parce que rien n’est plus nuisible aux progrès d’une éducation, dont on espère des avantages, qu’un emplacement où les vers sont trop pressés, & entassés les uns sur les autres. Ce qui fait manquer la plupart des éducations faites dans les campagnes, c’est parce que le paysan ne fait pas cette observation, qu’il ne calcule la récolte de cocons que sur la quantité de graine qu’il met, sans savoir s’il pourra loger tous ses vers. Une autre erreur, est encore celle de ne pas mettre éclore la graine, en proportion des mûriers qu’on a. On devroit toujours compter sur un reste de feuilles, plutôt que d’être dans la nécessité d’en acheter.

Les auteurs qui ont écrit sur l’éducation des vers à soie, conviennent en général, qu’une once de graine contient à-peu-près quarante mille œufs, qui doivent par conséquent produire quarante mille vers à soie, en supposant que la couvée réussisse bien. Quoi qu’il en soit, une expérience assez générale a prouvé qu’il falloit, pour conduire à terme mille vers, environ cinquante livres de feuilles. Celui qui n’a pas l’habitude de juger au coup-d’œil la quantité de feuilles qu’un arbre peut fournir, après l’avoir dépouillé, pèsera la feuille & jugera ensuite par comparaison, quel doit être le produit réel de ses autres arbres. L’habitude lui apprendra à juger & à estimer le poids des feuilles de chaque arbre, sans se tromper de beaucoup, s’il répète ce procédé. Lorsqu’on connoît le produit des arbres, c’est-à-dire, la quantité des feuilles qu’ils donnent, il faut aussi apprendre à juger du nombre des vers épars sur une tablette de grandeur donnée : alors on peut savoir, à peu de chose près, la quantité de feuilles dont on a besoin pour une éducation déterminée.

Je suppose que le propriétaire qui bâtit un atelier pour des vers à soie, sache combien il en peut élever ; alors ils disposera le logement selon cette connoissance. On a remarqué qu’ils réussissoient assez bien dans les salles vastes & élevées des vieux châteaux. On a attribué ce succès à l’épaisseur des murs, au petit nombre de petites fenêtres, dont elles étoient éclairées. On a prétendu que ces murs étaient propres à garantir du froid & de la chaleur. Cela est vrai ; mais ils contractent l’humidité. Dans la saison des vers à soie, le froid n’est jamais assez considérable pour pénétrer les murs simples de nos habitations. D’ailleurs, comme on le dira dans la suite, l’art corrigera ce mal passager, s’il survient. La véritable cause de la réussite, est la grande élévation des planchers de ces sortes de salles, leur vaste étendue, ce qui procure aux vers une masse d’air très considérable, de sorte qu’ils respirent fort à l’aise. Ils sont en quelque sorte comme le malade dans l’hôpital, dont parle M. Tenon, qui a huit toises cubes d’air à respirer.

On dira peut-être, que le pauvre habitant de la campagne, ne met pas le même appareil pour l’éducation de ses vers, qui réussissent assez bien, quoiqu’ils soient logés dans des endroits bas, humides & étouffés. Je répondrai, 1°. qu’avant d’affirmer ce succès, il conviendroit de vérifier la quantité de graine qu’ils ont mise pour éclore, & la quantité de cocons qui en est provenue. Alors on jugeroit jusqu’à quel point a été la mortalité. Il faut encore observer, qu’il est très-rare que le paysan convienne de bonne foi combien il a mis de graine ; il en accuse toujours moins, parce qu’il ne s’en rapporte qu’à ses connoissances, ou pour mieux dire à sa routine, dans la conduire des vers à soie ; & il tâche de sauver son amour-propre par un aveu qui est rarement sincère. 2°. Il faudroit encore prouver s’ils ont en seulement deux bonnes années sur dix. Alors on se convaincra, que les circonstances accidentelles, & la manière d’être des saisons, ont singulièrement contribué au succès. On se hâte de juger, mais on est lent à réfléchir, à remonter aux principes & à comparer les circonstances. 3°. Dans le plan que je propose, il s’agit d’atteindre à la perfection, autant qu’il est possible, en suivant les principes physiques ; & non pas de suivre des routines qui contrarient les lois de la nature. Il vaudroit tout autant dire, que les vers à soie peuvent être élevés dans une cave, où la température de la chaleur est toujours égale, où il n’y a à craindre ni le grand jour, ni la transition subite du chaud au froid, ni enfin les éclairs, le tonnerre, &c…

Un atelier simple doit être composé de trois pièces : 1°. d’une chambre pour la première éducation, c’est-à-dire, destinée à élever les vers dès qu’ils sortent de la coque, jusqu’à la première mue. 2°. De l’atelier proprement dit, qui sera de vingt pieds de largeur, sur quarante de longueur, & dont la hauteur, sous le plancher, sera au moins de douze pieds. 3°. D’une infirmerie destinée à loger les vers malades. L’atelier, suivant les proportions indiquées, peut contenir les vers à soie provenant de sept onces de graine.

En supposant qu’un seul atelier ne fût pas suffisant pour un riche propriétaire en mûriers, seroit-il plus avantageux de donner quatre-vingts pieds de longueur, ou d’établir un second atelier à la suite du premier, tous deux séparés par un mur, & ne communiquant ensemble que par une seule porte ? Cette question mérite d’être discutée.

Si l’on est dans les climats où l’on redoute les froids tardifs du printemps, & que l’on emploie le même nombre de feux pour échauffer l’atelier de quatre-vingts pieds de longueur, je le préfère à deux autres de quarante pieds, si les fenêtres sont bien closes, avec les précautions indiquées ci-dessus, & si on sait ménager la chaleur produite par les fourneaux. On objectera qu’un grand bâtiment présente plus de surface à l’air extérieur, & par conséquent au froid : mais dans la supposition donnée, la surface ne sera-t-elle pas la même ? Que produit donc le mur de séparation ? Rien ou presque rien. Ainsi en bâtissant, on économisera la construction d’un mur de refente, & on laissera au grand atelier une circulation d’air plus considérable, sans diminuer la masse de chaleur qui doit y régner. Dans les chaleurs suffoquantes, dans un temps lourd & bas, on reconnoîtra l’avantage d’un atelier d’une vaste étendue… Dans les climats plus méridionaux, où l’on ne craint pas les froids tardifs ; plus l’atelier sera spacieux, mieux les vers y réussiront. Si on lui donne quatre-vingts pieds de longueur, le plancher doit être élevé de treize à quatorze pieds. Si on craint la dépense de la construction d’un second atelier, on peut élever un étage au-dessus du premier, lequel sera toujours terminé par un grenier, pour les raisons que j’en ai données.

Sur un atelier de quarante pieds de longueur, il doit y avoir quatre ouvertures ou trappes, placées près des murs à la distance de dix pieds les unes des autres. Elles seront pratiquées dans la partie du plancher, ou de la voûte, qui sépare le premier du rez-de-chaussée. Le pourtour de l’ouverture sera en bois de chêne très-sec, & recevra dans son entaille, d’un pouce au moins, la trappe ou porte également en bois de chêne, fixée par des charnières. Cette porte ne doit pas excéder le niveau du carrelage. Semblables ouvertures, & en pareil nombre, communiqueront de l’intérieur de l’atelier au grenier, & seront placées en sens opposé aux premières, afin de renouveler l’air plus promptement, & sur une plus grande superficie tout à la fois. Celles-ci fermeront aussi exactement que les premières, & pourront, au moyen d’une ficelle ou d’un contre-poids, être ouvertes ou fermées de l’intérieur de l’atelier. On prévoit leur usage ; par la suite on en connoîtra l’importance.

Section IV.

Des effets ou meubles nécessaires dans un atelier.

Par les effets nécessaires dans un atelier, j’entends parler 1°. des instrumens propres à communiquer la chaleur. 2°. Des tablettes destinées à supporter les vers à soie. 3°. Des claies ou clayons qui servent à les changer de place, ou à les transporter d’un endroit dans un autre. 4°. Des échelles ou marche-pieds. 5°. Des thermomètres.

1°. Des procédés pour communiquer ou conserver la chaleur. Cet article est presque inutile pour les pays vraiment méridionaux, où l’on a plus besoin d’un air frais que de chaleur. L’usage le plus ordinaire, pour donner de la chaleur dans un atelier, est d’avoir de grandes terrasses ou bassines en cuivre ou en fer, où l’on met du charbon pour le faire allumer à l’air extérieur, & le rapporter ensuite, dans l’atelier. La précaution est indispensable, autrement les hommes & les vers, périroient asphyxiés par la vapeur mortelle du charbon. Pourquoi cette vapeur est-elle mortelle ? c’est que pendant l’ignition le charbon rend air fixe (consultez ce mot) qu’il contenoit. Or comme l’air atmosphérique ne contient qu’un quart ou un tiers d’air pur ou vital, il est donc dans l’ordre des lois physiques, que la grande quantité d’air fixe du charbon, vicie & détruise l’action du peu d’air vital répandu dans l’atmosphère. Avec la précaution de faire allumer le charbon hors de l’atelier, on a fait, il est vrai, évaporer une grande partie de son méphitisme ; mais il n’en conserve encore que trop jusqu’à ce qu’il soit entièrement consumé. Ce brasier allumé qu’on rapporte dans l’atelier produit son effet, il échauffe l’atmosphère intérieure, mais en même temps il la vicie & la corrompt. Il est facile d’en juger par la difficulté, que ressent un homme à respirer, lorsqu’il entre pour la première fois dans un lieu semblable. On dira : les ouvriers s’y habituent, pourquoi les vers ne s’y accoutumeroient-ils pas ? La supposition n’est pas exacte. L’ouvrier va, vient, il entre, il sort, il n’y couche pas. À tout moment il a la facilité de dégorger ses poumons de l’air infect, & d’en respirer un plus pur : le ver, au contraire, est forcé de vivre dans le même bain d’air méphitisé. Il faut encore observer que ces bassines pleines de feu échauffent trop subitement l’intérieur de râtelier, & le ver demande une chaleur douce & égale dans tous les temps. La braise, il est vrai, n’est pas aussi délétère que le charbon dans sa première ignition, mais personne n’osera dire qu’elle ne produit aucun effet funeste. Des expériences malheureuses & souvent répétées ont fait & font payer par des asphixies les suites de l’ignorance ou du préjugé. On doit toujours se rappeler, que la nature a pourvu les vers de seize stigmates pour respirer ; elle indique donc par ce nombre le besoin qu’ils ont continuellement de respirer un air pur. J’ose affirmer que l’insalubrité de l’air, & la chaleur mal ménagée, sont les causes principales de leurs maladies. La feuille en occasionne aussi ; mais elles seroient moins dangereuses si elles n’étoient précédées par celles que le mauvais air procure. Ainsi il faut exclure tous les vaisseaux où l’on met du feu, quoiqu’on ait la précaution de le couvrir de cendres. Il est essentiel de le suppléer par des poëles, dont nous allons examiner les effets.

La matière combustible ne brûle dans un poële qu’autant que le feu est entretenu par un courant d’air frais & humide. Ce principe est trop bien reconnu en physique pour avoir besoin d’être discuté. Il attire certain frais du dehors de l’atelier en dedans. Pour vous en convaincre, prenez une bougie allumée, présentez-en la flamme à l’ouverture d’une serrure ; quand même il y auroit plusieurs portes dans l’atelier, vous verrez que la flamme approchée vers toutes les serrures, se dirigera en dedans. Cette flamme suit donc le courant d’air attiré par le poële échauffé. On suppose que toutes les fenêtres soient fermées. Le courant d’air frais n’occupe donc que la partie basse de l’atelier, & sa partie supérieure est beaucoup plus échauffée, par la tendance naturelle que l’air échauffé par le poële, a de gagner la région supérieure. La chaleur est donc inégale dans l’atelier. Voilà un défaut… Le courant d’air frais attire l’humidité de l’atmosphère de l’atelier. Sans humidité point de flamme : le fer rougit au feu ardent sans flamber ; mais si dans cet état on jette un peu d’eau par-dessus, une petite flamme paraît aussitôt. Un poële absorbe donc l’humidité de l’atmosphère de l’atelier ; par conséquent il est trop sec & moins propre à être respiré. Voici un fait à l’appui de ce que j’avance. Dans les serres où les poëles sont employés, on place au-dessus, des terrines pleines d’eau, dont l’évaporation rend à l’air une humidité proportionnée à celle que les poëles absorbent. Sans cette précaution il ne resterot pas une feuille aux arbres qu’on veut conserver. C’est donc un défaut dans un atelier qu’un air trop sec. La cheminée seroit donc préférable, si elle pouvoit échauffer un grand atelier sans beaucoup de dépense : mais cela n’est pas possible. Quel est donc le moyen d’échauffer un atelier sans nuire aux qualités de l’air nécessaire à la respiration, & de distribuer la chaleur par-tout également ? Voilà la question que je me propose de résoudre, sans craindre d’attaquer les pratiques en usage.

Pour un atelier de quatre-vingts pieds de longueur, je demande 1°. quatre poêles, & deux pour celui de quarante pieds. Ils seront placés en dehors, au rez-de-chaussée de l’atelier, & entretenus par l’air extérieur. 2°. Dans la partie du mur correspondante au fourneau, & dans l’épaisseur de sa maçonnerie, on placera des tuyaux de six pouces de diamètre, en fonte ou en terre cuite à l’épreuve du feu. 3°. La partie de maçonnerie qui touche le fourneau, sera garnie en argile bien corroyée, à l’épaisseur d’un pouce, ou en plâtre. Sans cette précaution, la chaleur réduiroit en poussière le mortier, en détruisant le lien qui unit le sable & la chaux. Si l’on ne craint pas la dépense, on supplée les tuyaux en terre cuite par des pierres taillées suivant cette forme. 4°. Ces tuyaux monteront perpendiculairement dans l’épaisseur du mur, jusqu’à un pied au-dessus du plancher qui sépare l’atelier du rez-de-chaussée. 5°. À ce point le tuyau formera un coude, pour s’emboîter avec les tuyaux de l’atelier. La partie coudée aura une porte qui donnera la facilité de nétoyer les tuyaux. 6°. Ceux de l’atelier seront en fonte ou en tôle, ou en terre à l’épreuve du feu. Si on ne craint pas la dépense, on les a en faïence. 7°. Ces tuyaux seront éloignés du mur, de six ou huit pouces, & soutenus, selon le besoin, par des collets de fer scellés dans le mur. 8°. Un peu au-dessous de l’étage supérieur, ils seront ouverts ou fermés à volonté, par une soupape, dont le fil de fer qui la fera mouvoir, sera à la portée des ouvriers. 9°. Enfin ce tuyau passera à travers l’étage supérieur, & se terminera à deux pieds au-dessus de son toit.

Suivant les lois de la physique, la chaleur, la flamme, la fumée, suivent nécessairement le courant d’air. L’expérience prouve qu’étant renfermées dans des tuyaux, elles se portent à de très-grandes distances. C’est à nous à savoir en tirer le parti le plus convenable à nos besoins. En multipliant les tuyaux dans un atelier, nous distribuons la chaleur qu’ils apportent, qui se perdroit dans l’atmosphère extérieure. La plus petite courbure d’un tuyau, est quelquefois suffisante pour faire circuler dans le contour d’un appartement, la chaleur apportée par un seul tuyau. Les cheminées à la Franklin prouvent tout le parti qu’on peut retirer de la chaleur. D’après ma propre expérience, je puis assurer que des tuyaux de plus de quatre-vingt-dix pieds, ne nuisent point à la sortie de la fumée. En suivant ce procédé, deux poêles peuvent suffire pour un atelier-de quatre-vingts pieds.

J’ai dit qu’il falloit que les tuyaux fussent à six ou huit pouces de distance du mur. En voici la raison. S’ils touchoient le mur, il absorberoit trop de chaleur, en raison de celle que l’air extérieur lui soutireroit continuellement, au préjudice de l’air intérieur ; parce que tous les fluides tendent à se mettre en équilibre. Les ouvriers mal-adroits peuvent heurter ces tuyaux ; il est facile de prévenir cet inconvénient, en plaçant une balustrade qui les avertira de les éviter.

Si on adopte cette méthode, on se convaincra, 1°. qu’elle est plus économique que les autres, puisqu’on profite de toute la chaleur. 2°. Que les vers peuvent aisément être toujours à la même température, au moyen des trappes qu’on ouvre ou qu’on ferme, suivant le besoin. 3°. Que l’air n’est point vicié par la fumée, ni par l’air méphitique qui s’exhale du charbon. 4°. Que la chaleur de l’atmosphère étant insuffisante, on y supplée, en jetant dans les poêles quelques matières combustibles. 5°. Que la chaleur douce, étant une fois concentrée dans l’atelier, y est fixée, n’ayant pas d’issue pour s’échapper ; & quoiqu’elle attire un peu d’air extérieur, on est toujours maître de la tenir au degré convenable, à très-peu de frais. Pour fixer la chaleur dans l’atelier, on pourroit établir un tambour à la porte extérieure, qu’on n’ouvriroit qu’autant que l’autre seroit fermée. Heureux les hommes qui habitent les climats où ces précautions ne sont pas nécessaires. C’est principalement dans l’endroit où les vers font leur première mue, qu’il faut être attentif aux changemens & à la pureté de l’air.

2°. Des tablettes. Il est question d’un atelier uniquement destiné à l’éducation des vers à soie : par conséquent les montans & les tablettes doivent être à demeure. La partie inférieure des montans, sera enclavée dans le carrelage, & la supérieure attachée par des goussets en fer, contre les chevrons du plancher. À la distance de dix-sept à dix-huit pouces du carrelage, ils seront percés d’une mortoise de chaque côté, dans laquelle entrera la traverse qui, bien chevillée, assujettira les deux montans. Une nouvelle traverse sera placée plus haut de la même manière, à la distance de dix-sept ou dix-huit pouces de la première ; & ainsi de suite, suivant les mêmes proportions, jusqu’au plancher supérieur. Le nombre des montans doit être proportionné à la pesanteur & à la longueur des tablettes qu’ils supporteront. Disposés dans la largeur des tablettes, ils seront à la distance de trois pieds, & dans la longueur, de six à sept. On se sert communément de chevrons de sapin de quatre pouces d’équarrissage, polis à la varlope sur toutes leurs faces. Pour des tablettes de quatorze à quinze pieds de longueur, & placées sur la largeur de râtelier, trois paires de montans de la force indiquée, suffisent. C’est la même chose, si on les dirige sur la longueur. Je demande encore qu’une traverse semblable aux précédentes & de la même force, réunisse les montans les uns aux autres, afin que toutes les tablettes ne fassent qu’un corps. Cette traverse sera placée au niveau de la tablette supérieure, pour servir d’appui à l’échelle dont les ouvriers ont besoin pour distribuer la feuille, changer les vases, nétoyer les tables, &c. Pour rendre le service commode, il faut laisser entre les tablettes séparées les unes des autres, & formant un corps, ou atelier, un espace de trente-six pouces, afin que les ouvriers aillent & viennent sans se gêner réciproquement. D’après une pareille disposition, on dira peut-être que je perds beaucoup de terrain, & qu’il seroit facile de nourrir plus de vers à soie, en laissant des allées moins larges. Je conviens de ce fait ; mais je demande à mon tour, aux partisans de l’entassement, combien ils retirent de cocons des quarante mille œufs que contient une once de graine, en supposant que l’année soit bonne ? S’ils sont de bonne foi, ils avanceront qu’ils n’ont pas le tiers des quarante mille. L’air vicié, qui est un effet de l’entassement, est la cause de cette mortalité qui réduit la récolte au tiers de ce qu’elle devroit être. Je dis plus : trois cents cocons pèseront à peine une livre. Il faudra, peut-être, quatorze livres de cocons pour obtenir une livre de soie. Où est donc l’avantage d’une telle éducation ? Suivant ma méthode, la perte des vers, élevés dans un air pur, à une chaleur douce & sans être entassés, ne sera pas du quart. Les cocons seront plus fermes, plus pesans ; la soie plus forte & plus belle. Voilà des faits dont chacun peut se convaincre, en prenant la peine d’essayer, & de juger ensuite quelle est la meilleure manière de procéder. Des vers dont la vie a été d’une durée longue & douloureuse, ne peuvent faire que des cocons d’une qualité très-médiocre.

Les tablettes seront en planches, assez fortes & bien sèches. Elles seront assemblées par feuillures, affermies par trois traverses clouées par dessous, dont une à chaque extrémité, & l’autre au milieu de la longueur. La surface où les vers seront placés, sera blanchie à la varlope. Elles seront entaillées aux quatre coins qui touchent les montans, de manière à être fixes sur leurs supports. Elles n’excéderont pas les montans, dont l’épaisseur sera renfermée dans les tablettes.

Il y a des auteurs qui conseillent de garnir les tablettes d’un rebord de douze à quinze lignes de hauteur, pour empêcher la chute des vers. Cette précaution est inutile & nuisible. Les vers monteront sur ce rebord, & tomberont de même : les ordures resteront dans les angles. Pour éviter la perte des vers qui meurent par leur chute, on peut garnir la tablette inférieure d’un rebord en toile de six pouces de largeur, elle amortira le coup occasionné par la chute. D’autres auteurs ont proposé de diminuer graduellement de quelques pouces la largeur des tablettes de haut en bas : mais le nombre des vers qui périt par les chutes est trop peu considérable pour perdre cet espace. En ayant la précaution de les tenir au large, & de donner plus de feuilles au milieu qu’aux bords, on évitera les chutes, parce que les vers ne tombent qu’en cherchant leur nourriture.

S’il étoit possible de se procurer facilement, & à peu de frais, des roseaux, ou cannes, comme en Provence, je préférerois les tablettes faites avec leurs bois refendus & enlacés, aux tablettes de planches, quoiqu’elles exigent plus de montans ou supports. Les interstices qui se trouvent entre les mailles, donnent passage à la circulation de l’air & entretiennent le courant, même à travers la litière & les feuilles : elles sont plus économiques que les planches.

Au surplus, de quelque nature que soient les tablettes, il faut les tenir dans une grande propreté, tous les jours les balayer, les nétoyer, les frotter avec de la paille, surtout si les excrémens des vers y sont attachés, comme il arrive, s’ils ont la diarrhée.

3°. Des claies & clayons. Les claies sont de petites corbeilles d’osier de vingt-quatre à trente pouces de longueur, sur douze à quinze de largeur. Les clayons, celles d’un plus petit diamètre. Leurs rebords ont un pouce & demi de hauteur environ. Il est essentiel qu’elles soient faites avec des osiers menus & dépouillés de leur écorce. Ces claies servent à contenir les vers, à mesure qu’ils sortent de l’œuf, & même jusqu’après leur première mue. Elles sont ensuite employées pour les changer d’une tablette à une autre. Leur nombre doit être proportionné au service de l’atelicer.

4°. Des échelles & marche-pieds. Les premières, faites en bois léger mais solides, sont préférables aux marche-pieds, qui sont plus lourds & incommodes à manier. On appuie les échelles contre les traverses qui réunissent toutes les tablettes ; alors elles sont solides, & l’on peut faire le service commodément & sans danger.

5°. Des thermomètres. (Consultez ce mot) Il est bon d’en avoir plusieurs, soit à liqueur colorée, soit au mercure. Il faut s’en procurer qui soient terminés en spirale plutôt qu’en boule, & dont les graduations soient bien espacées. Ceux dont la base est en spirale, sont très-sensibles à la plus légère impression de chaleur ou de froid ; les points de graduation n’étant pas trop rapprochés, ils sont plus aisés à distinguer. Le nommé Assier-Perica, à Paris, fait très-bien les thermomètres à spirale.

Section V.

Du local destiné à la première éducation.

Il faut un certain degré de chaleur dans l’atmosphère, pour que l’œuf du ver à soie éclose sans le secours de l’art. Comme il est nécessaire de nourrir le jeune ver avec de la feuille tendre, il faut recourir à l’art, & procurer à la couvée une chaleur artificielle à un degré convenable, pour faire éclore les œufs dans le même temps. Afin d’éviter la dépense du bois & du charbon, on aura un endroit peu spacieux, facile à échauffer, & dans lequel on puisse renouveler l’air à volonté.

Le local destiné à la première éducation, n’exige pas la disposition d’un atelier en règle, tel qu’il vient d’être décrit : cet ordre de tablettes est inutile, puisqu’on tient les vers sur des claies jusqu’après la première mue, & même la seconde, si l’éducation n’est pas forte. On peut donc les faire éclore dans l’infirmerie, & les y garder jusqu’après la première ou seconde mue. Nous allons parler de ce local.

Section VI.

De l’infirmerie pour les vers malades.

C’est un lieu destiné à loger les vers malades ou trop foibles, après leur mue. Je regarde cette précaution comme très-importante. Les vers qu’on nomme traînards, parce qu’ils sont foibles, restent presque toujours ensevelis sous les feuilles, où ils périssent étouffés par le mauvais air qui y est concentré. Tant qu’ils vivent, ils sont incommodés par l’agitation de ceux qui sont vigoureux, & qui ne leur laissent que les côtes des feuilles. Dans les épidémies, le bon sens prescrit de séparer les malades de ceux qui se portent bien, si l’on ne veut pas tout perdre. Dans tous les cas l’infirmerie est démontrée nécessaire. À cet objet de salubrité se réunit une économie réelle : car, ou il faut jeter les vers malades ou traînards, afin qu’ils ne consomment pas la feuille inutilement ; ou les placer à l’extrémité des tables pour les faire vivre.

Si les vers placés au bout des tables viennent à mourir, ils nuiront aux autres par la putréfaction de leurs corps. Les ouvriers ont beau être vigilans & soigneux, il y aura toujours du danger, parce qu’un ver malade vicie lui-même l’air pendant qu’il vit, à plus forte raison dès qu’il est mort, surtout dans un endroit chaud. Ainsi le meilleur moyen, est de les séparer absolument des autres, aussitôt qu’on soupçonne qu’ils languissent.

Une infirmerie doit être en petit, un atelier tel qu’on l’a décrit : il suffit d’y avoir un petit nombre de tablettes pour loger les vers malades, ou simplement des claies, lorsque l’éducation n’est pas considérable. Enfin il faut proportionner le local au nombre, de même que dans une ville on bâtit un hôpital, dont la grandeur est proportionnée à sa population. Mais il faut surtout qu’on ait une très-grande facilite d’en renouveler l’air promptement, lorsqu’il est nécessaire. On doit comprendre l’importance de ce moyen : car la plus grande partie des vers qui périssent, ne meurent que par les effets d’un air vicié.

CHAPITRE IV.

De la feuille de mûrier.

Section première.

De la qualité de la feuille considérée comme nourriture du ver à soie.

Il faut consulter l’article Mûrier, afin d’éviter les répétitions, & surtout le chapitre XII, sur la qualité de la feuille.

Le mûrier pourroit être appelé arbre de soie, puisque son écorce est un assemblage de fibres soyeuses, qui se prolongent dans les pétioles des feuilles, & de-là dans toutes les nervures, & même dans leurs écorces supérieures & inférieures jusqu’au parenchyme ou substance molle & verte qu’elles renferment. Ce parenchyme est encore un mucilage soyeux, ou au moins d’une nature gluante, qui légèrement macéré dans l’eau, s’étend en manière de fil de soie. Le ver se nourrit donc d’une matière soyeuse, il ne la crée pas, mais il la prépare dans son estomac, comme l’abeille y prépare le miel & la cire. Quoi qu’il en soit de ces assertions, que je laisse à examiner aux naturalistes, toutes les feuilles ne sont pas également bonnes pour la nourriture des vers, comme il a été dit au chapitre XII déjà cité. On n’obtiendra jamais une soie de bonne qualité, lorsque les vers seront nourris avec la feuille d’un arbre planté dans un terrain gras & humide, & rarement une éducation réussit lorsqu’elle est faite avec cette sorte de feuille.

La meilleure feuille est celle d’un terrain sec, pierreux, sablonneux & élevé. Les arbres produisent moins que les précédens, toutes choses égale d’ailleurs, mais leurs feuilles sont plus savoureuses, & le principe nutritif n’est point trop délayé dans l’eau de la végétation. Si on mâche quelques-unes de ces feuilles, on reconnoîtra à la saveur, qu’elles sont plus mucilagineuses, plus douces, plus sucrées, que celles des mûriers plantés dans un terrain humide. Il est facile de prévoir combien il y a de nuances entre les principes nutritifs de ces arbres. 1°. Relativement à leur âge. Les feuilles d’un jeune arbre sont trop aqueuses, les sucs moins élaborés que celles des arbres faits & même vieux. La différente qualité du vin fait avec le raisin d’une jeune ou d’une vieille vigne, confirme ce que j’avance. 2°. Relativement à leur exposition. Le produit des mûriers plantés au nord, est toujours au-dessous du médiocre. Il est facile d’en comprendre la cause. Les feuilles des arbres plantés au levant & au midi, sont préférables à toutes les autres. Celles des côteaux l’emportent de beaucoup sur celles de la plaine. 3°. Relativement aux espèces de mûriers. La feuille du sauvageon fournit la soie la plus fine, mais elle est difficile à cueillir, & l’arbre en produit peu. La rose s’effeuille facilement, ainsi que l’arbre greffé : leurs feuilles sont plus grandes, plus larges, mieux étoffées, & leurs sucs moins épurés. Quant aux mûriers à gros fruit noir, vulgairement dits d’Espagne, leurs feuilles ne peuvent convenir, dans nos climats, qu’à la nourriture des vers après la quatrième mue, jusqu’au moment de la montée. Il vaut encore mieux s’en passer, parce que cette espèce de feuille a trop de sucs, & est fort aqueuse. De ces généralités qui se modifient suivant les climats, passons à des détails de pratique.

Nous avons dit que l’air vicié & respiré par les vers étoit la cause principale de leurs maladies. La qualité des feuilles leur en occasionne aussi. Celles de mûriers sont leur unique aliment. Donnons-leur donc une nourriture saine & qui leur convienne. Avant de décider quelle est la meilleure, examinons une question importante, qui est de savoir, s’il est avantageux ou non, de dépouiller, chaque année, le mûrier de ses feuilles ; s’il est nuisible de l’en dépouiller seulement en partie.

Le mûrier est un arbre étranger à l’Europe ; & quoiqu’il y soit aujourd’hui un des arbres les plus robustes, & qui craigne le moins les vicissitudes des saisons, & les intempéries subites ou extrêmes, il n’en conserve pas moins la manière d’être qui lui est propre, sans craindre d’accident du dépouillement de ses feuilles. Il n’en est pas de même de nos arbres indigènes ; une pareille dépouille leur nuiroit beaucoup & les feroit mourir, si elle avoit lieu tous les ans. Quoique l’on puisse dépouiller le mûrier chaque année, sans qu’il en résulte les mêmes dangers que les autres arbres éprouveroient, s’ils subissoient une pareille dépouille, je dirai au cultivateur, d’après ma propre expérience, qu’il fera très-bien de conserver successivement un certain nombre d’arbres, sans les effeuiller, surtout l’année qui suit une taille un peu forte. Je dirai encore : observez attentivement les mûriers l’année qui suit celle du repos, examinez la force de leurs pousses, la belle couleur de leurs feuilles ; & pour dissiper tous vos doutes, pesez un sac de cette feuille, comparez-en le poids avec un pareil sac de feuille des autres arbres effeuillés l’année précédente, & vous jugerez que la première est mieux nourrie : par conséquent l’arbre qui l’a produite est dans un meilleur état que l’autre. Il seroit à propos de laisser le mûrier se reposer tous les cinq ou six ans. Ce repos doit être déterminé suivant la force de sa végétation.

Lorsqu’on ne cueille les feuilles d’un mûrier, qu’au quart, au tiers ou à la moitié, on nuit essentiellement à l’arbre ; les feuilles qui restent absorbent & détournent la sève, ce qui arrête le développement des yeux qui contiennent la feuille de l’année suivante.

Section II.

De la manière de cueillir la feuille.

Le propriétaire désire, avec le moins d’argent possible, faire récolter le plus qu’il est possible de feuilles ; il a raison dans un sens, mais il perd dans un autre ; 1°. parce qu’on abyme les branches de ses arbres ; 2°. parce qu’on leur gâte beaucoup de feuilles. Toutes celles qui sont froissées, mâchées, meurtries, déchirées, sont autant de feuilles perdues, parce que le suc s’en extravase, s’en corrompt facilement par le contact de l’air ; enfin le ver ne les mange que lorsque pressé par la faim, il ne trouve pas autre chose. Il n’y a donc point d’économie de s’en servir, puisqu’on a payé inutilement le prix de la cueillette, du transport, &c.

Les journalières ont pour habitude, & afin d’accélérer l’ouvrage, disent-elles, de tenir d’une main le sommet d’un rameau, & de couler leur autre main sur toute la longueur de haut en bas, afin de détacher les feuilles. L’opération est expéditive ; mais elles écorchent l’écorce, & attaquent le bourgeon, ou œil, que la feuille nourissoit. La raison dicte donc de cueillir la feuille de bas en haut. Ce que je vais dire paroîtra peut-être bien singulier, bien minutieux ; mais il est bon d’exercer la critique. Je soutiens qu’une femme commodément placée sur son échelle, avancera autant qu’une autre ouvrière, en se servant de ciseaux, & en coupant chaque feuille l’une après l’autre. Il est vrai qu’à la fin de la journée elle aura plus souvent remué la main, mais elle aura moins eu d’agitation & moins de peine. (Il ne s’agit pas ici des mûriers à branches chiffonnes, ni de ceux à feuilles étroites, menues, en bouquets). Il résulte deux avantages de l’opération du ciseau ; 1°. le travail va presque aussi vite, & la journalière coupe les feuilles dans la circonférence où sa main peut s’étendre ; 2°. le pétiole ou bout de la queue, qui reste attaché à l’arbre, est au bourgeon qui doit repousser, ce que le bout de pétiole est aux greffes que l’on fait au mois d’août. Si on le supprime, la greffe périt. D’après cette idée si simple & si conforme au but de la nature, je fis l’expérience dont je viens de donner le résultat. La comparaison des dépenses en journées, suivant les deux méthodes, fut, je l’avoue, en faveur de la première, de bien peu de chose ; mais mes arbres s’en portèrent beaucoup mieux ; & toutes circonstances égales, ils feuillèrent beaucoup plutôt que les autres ; enfin la belle verdure de leurs feuilles m’annonça bientôt l’utilité de l’opération.

On ne manquera pas de m’objecter qu’il n’est pas possible qu’une femme tenant des ciseaux d’une main, ne soit pas excédée de fatigues, lorsqu’il faudra avec l’autre prendre chaque feuille à part, pour la mettre dans le tablier attaché devant elle, en manière de sac, ou même dans un sac suspendu à l’une des branches ou à l’échelle. C’est précisément ce que je désire que l’on évite, comme une coutume établie contre tout principe raisonnable. 1°. La chaleur que le corps communique aux feuilles contenues dans la vaste ceinture de l’ouvrière, accélère sa fermentation. 2°. La feuille est un peu moins froissée dans le tablier que dans le sac, où on la presse & la serre afin qu’il y en entre davantage. Or l’expérience de tous les jours, de tous les temps, n’apprend-elle pas que plus la feuille de mûrier est pressée, plus elle fermente, & plus promptement et s’échauffe & se gâte ? La même expérience apprend que pareille feuille est très-nuisible aux vers, & leur occasionne des maladies sérieuses. La prudence dicte donc d’éloigner le plus qu’il est possible ce genre d’altération. Si on gagne quelque chose par la prompte cueillette de la feuille, on perd le double & le triple du bénéfice par la mortalité des vers.

Afin de ne pas tomber dans cet abus criant, afin de ne pas multiplier la dépense inutilement, je demande que l’on étende sur la terre de grands draps pour recevoir les feuilles coupées par la cueilleuse. De cette manière, elles restent saines, intactes & entières ; elles ne s’échauffent pas, parce qu’elles sont environnées d’un grand courant d’air ; enfin lorsque les draps en sont couverts, on les relève doucement les uns après les autres, on réunit les feuilles sur un seul que l’on porte à l’ombre. Elles y restent ainsi jusqu’au moment où elles doivent être transférées à l’atelier. C’est le moment de nouer les toiles par les quatre coins, afin qu’elles ne tombent pas dans le chemin ; mais on aura la précaution de ne pas trop les serrer. Si dans l’endroit où l’on cueille les feuilles, on ne peut pas se procurer de l’ombre, elles seront recouvertes par une toile, avec la précaution de tenir soulevées plusieurs de leurs extrémités, afin que par-dessus il règne un courant d’air. En suivant ce procédé, les feuilles rendues dans l’atelier seront presqu’aussi fraîches que si elles sortoient de l’arbre. Enfin on aura une nourriture excellente pour les vers, & on ne se sera pas écarté des lois de la nature, objet unique & qu’on ne doit jamais perdre de vue.

Section III.

Du temps propre à la cueillir.

Si on étoit maître des saisons, si on disposoit à son gré des nuages, je dirois : ne cueillez les feuilles que lorsque le soleil luit, lorsqu’il a dissipé l’humidité causée par la transpiration des feuilles, & surtout par la rosée ; mais souvent l’éloignement du champ planté en mûriers, avec l’atelier des vers, quelquefois la continuité ou la fréquence des pluies momentanées, occasionnent beaucoup d’embarras. L’expérience de tous les temps & de tous les lieux, a prouvé que la feuille mouillée, donnée telle aux vers, après leurs deux premières maladies naturelles, ou mues, ou changement de peau, leur en cause de très-graves & même de mortelles. Il est donc indispensable & urgent que l’art vienne au secours, en un mot que toute humidité soit dissipée avant de présenter la feuille aux vers. C’est pourquoi j’ai conseillé, en parlant des ateliers, de ménager par-dessus & sous le comble du toit, la même étendue en greniers que celle des ateliers. La même raison m’a engagé à prescrire que les tuyaux des poêles passassent à travers le plancher qui couvre l’atelier, & vinssent sortir par le toit de la maison, & encore mieux se rendre tous dans des gaines de cheminées, ménagées aux deux extrémités.

On se contente communément d’étendre les feuilles dans les bas, ou partie inférieure de l’atelier. Ce local est excellent pour les maintenir dans leur fraîcheur, lorsque la saison est belle, & lorsqu’il fait chaud ; mais ces bas deviennent insuffisans ou nuisibles, lorsque la saison est décidée à la pluie, comme il arrive quelquefois, ou même lorsque la pluie ne dure que quelques jours ; parce qu’alors toute l’atmosphère est humide, & par conséquent son humidité tend à se mettre en équilibre avec celle du magasin à feuilles. On ne peut donc pas en tenir les fenêtres ouvertes, & l’humidité reste concentrée dans le magasin. Le feu des cheminées, la chaleur des poëles, en dissiperont en vapeur, il est vrai, une partie ; mais pour peu qu’en les pousse, la chaleur réunie à l’humidité accélérera la fermentation des feuilles, & par conséquent leur décomposition, enfin leur putréfaction. Dans le grenier, au contraire, l’espace est immense, les feuilles peuvent être étendues sur des toiles, & n’être pas amoncelées les unes sur les autres ; enfin la chaleur des tuyaux de poëles correspondans dans la cheminée, y établira un point de réunion de chaleur plus fort que celui qui subsiste dans le grenier, & par conséquent elle y établira, 1°. un courant d’air que suivra l’humidité ; 2°. attirera tout le mauvais air disséminé dans le grenier, & produit par la transpiration des feuilles. En remuant de temps à autre ces feuilles sans les froisser, elles seront bientôt sèches, & en état d’être données aux vers sans crainte de leur nuire. Cependant si les tuyaux de poële ne donnoient pas une chaleur suffisante, & capable d’établir un grand courant d’air, il conviendroit de faire un feu clair & ardent dans l’une des deux cheminées des extrémités, & non pas dans toutes les deux à la fois, parce que nécessairement l’une ou l’autre tireroit mal, attendu que les courans d’air se contrarieroient. Ce n’est donc pas en raison de la chaleur qui résulte de ce feu, que je propose ce moyen, puisque cette chaleur, quelque activité que l’on suppose au feu, doit être comptée pour peu, en raison de la vaste étendue du grenier ; mais je le propose comme le meilleur & le plus sûr des ventilateurs, quand même tous les vitraux du grenier seroient fermés. Ils sont inutiles dans cette circonstance pour accélérer le courant d’air ; celui qui vient par l’escalier, & du reste de l’intérieur de la maison, suffit pour chasser & faire passer avec lui dans la cheminée, toute l’humidité produite par les feuilles étendues sur le plancher du grenier ; tout courant d’air un peu fort dessèche dix fois plus vite que la chaleur & que le gros soleil. C’est une vérité démontrée en physique & sur laquelle je n’insisterai pas.

Toute espèce de mouillure de pluie sur les feuilles est-elle également nuisible aux vers ? M. l’abbé Sauvages, à si juste titre connu par son excellent Traité sur les mûriers & sur l’éducation des vers, & qui mérite encore plus de l’être par ses vertus & la douceur de son caractère, s’explique ainsi : « J’ai fait deux ou trois fois l’épreuve de servir à mes vers de la feuille légèrement arrosée, ou plutôt aspersée avec de l’eau de pluie, & je vis clairement que certaines pluies ne leur donnaient point de mal, tandis que d’autres les tuoient : il venoit à ces derniers, d’abord après avoir mangé, une goutte de liqueur brune à la bouche, qui est le signe ordinaire lorsqu’ils sont empoisonnés. J’ai essayé de donner, une année, de deux eaux de pluie, tombée en différens temps ; j’en arrosai deux paquets de feuilles séparées, & un troisième le fut avec de l’eau de puits. Les vers qui mangèrent de ce dernier, & l’un des deux autres, rendirent la plupart la goutte brune & périrent. Ceux qui avoient mangé les feuilles de l’autre paquet, n’eurent point de mal : les vers étoient du même âge, élevés ensemble & jouissant, selon les apparences, d’une santé égale.

» Il n’y a pas de doute que les eaux de pluie ne diffèrent les unes des autres, selon la nature des lieux où s’élèvent les vapeurs, qui en font la matière. C’est de là qu’elles tirent leurs bonnes ou mauvaises qualités ».

Je pense à ce sujet comme M. l’abbé Sauvages ; (consultez l’article Pluie) il est constant qu’une pluie d’orage doit être plus dangereuse, considérée comme eau, que la même eau d’une pluie qui se soutient depuis plusieurs jours, parce que celle d’orage balaye subitement, & se charge de toutes les émanations répandues dans l’atmosphère, tandis que lorsque la pluie est de durée, celle qui tombe après la première ou la seconde heure, n’y trouve plus aucune matière à s’approprier. Quoi qu’il en soit, le fait rapporté par M. l’abbé Sauvages confirme la fatale expérience que la feuille mouillée nuit aux vers  ; que s’il y a des exceptions, elles sont rares ; enfin que comme le cultivateur n’est pas en état de distinguer l’essence de ces pluies, il doit par nécessité les regarder toutes comme funestes, & agir en conséquence.

Section IV.

De la manière de conserver les feuilles.

Si la saison est belle, la chose est facile ; il suffit de les étendre sur des toiles, ou sur des planches dans les rez-de-chaussée de l’atelier ; & de peur de les amonceler les unes sur les autres, de leur donner le plus qu’il est possible de superficie, en contact avec l’air atmosphérique. Un bon cultivateur suppléoit les planches & les toiles par un filet qu’il avoit lui-même fabriqué. Ce filet divisé en plusieurs pièces, couvroit tout le sol de l’atelier. Il réunissoit les quatre coins d’une partie du filet, & transportoit ainsi les feuilles dans la magnanière sans les froisser & sans être maniées deux fois. Si le carrelage du rez-de-chaussée est humide naturellement, les planches sont à préférer aux filets, quoiqu’elles nécessitent une opération de plus dans le transport des feuilles. On les réunit assez facilement avec un râteau à dents de bois, & il sert également à les éparpiller.

Un abus impardonnable est de laisser passer la nuit, ou un temps considérable, aux feuilles renfermées ou pressées dans les sacs ou dans les toiles, parce qu’elles s’y échauffent promptement & beaucoup. À quelque heure qu’elles arrivent dans l’atelier, il est indispensable de ne pas attendre un seul instant à les répandre sur les tablettes ou sur les carreaux.

Afin de rassembler dans le même tableau tous les abus qui naissent de la négligence ou de l’absurde insouciance des propriétaires & des journaliers, il suffit de considérer que les cueilleuses entassent les feuilles dans des sacs, à mesure qu’elles les ramissent ; que ces feuilles passent ainsi la journée entière ; que ces sacs pleins, sont tenus au gros soleil ; enfin que le soir arrive, ils sont amoncelés sur une charrette, fortement assujettis & pressés par la corde de la charrette, afin qu’ils ne tombent pas dans la route. Voilà donc, pendant près de douze heures, des feuilles comprimées, froissées, meurtries. Quelle détérioration n’éprouveront+elles donc pas encore, si pendant la nuit on les laisse dans le sac ? J’ai vu de ces feuilles tellement échauffées, qu’on tenoit avec peine la main dans leur sac. Le paysan attribue cet échauffement, ainsi que les maladies des vers, qui en sont la suite nécessaire, à sort, à maléfice, jetés par de méchantes gens ; & c’est leur ignorante & leur manque de prévoyance qui font l’office des méchantes gens. Cueillez avec les précautions indiquées ; transportez d’une manière ou d’une autre, en comprimant & froissant les feuilles le moins qu’il sera possible ; enfin, sans perdre un seul instant, qu’elles soient étendues & remuées de temps à autre dans un lieu pas trop sec, afin qu’elles conservent leur souplesse & leur fraîcheur. Tel est le point essentiel, qui préviendra presque toutes les maladies des vers.

Tant que la saison est sèche, le rez-de-chaussée de l’atelier suffit à la dessiccation & entretien convenable des feuilles. Mais lorsque la feuille a été cueillie mouillée, ou lorsque les pluies continuent, ou lorsqu’enfin l’air atmosphérique est trop chargé d’humidité, il convient alors, dès qu’elles arrivent des champs, de les transporter dans l’étage supérieur de l’atelier proprement dit, ou grenier, & de les y étendre ainsi qu’il a été dit ; & que chaque couche de feuille soit la moins épaisse qu’il est possible. C’est dans ces cas surtout, qu’il convient d’établir un feu vif & clair dans l’une des deux cheminées, de fermer presque toutes les portes & fenêtres, & de ne laisser ouverte que la seule porte qui correspond à l’escalier, surtout si elle est placée à l’extrémité correspondante à la cheminée. Elle seule établira un grand courant d’air attiré par le feu de la cheminée, elle dissipera bien vite & l’humidité causée par la pluie, & celle causée par la transpiration des feuilles. On peut, afin d’éviter la main-d’œuvre, avoir une ou plusieurs trappes, communiquant du grenier à l’atelier, par lesquelles on y feroit tomber les feuilles sur des filets, & les magnonières la distribueroient ensuite aux vers. Les fenêtres multipliées dans ce grenier, ouvertes ou fermées à propos, deviendront de bons ventilateurs, lorsque l’air extérieur ne sera pas absolument trop humide.

CHAPITRE V.

Section Première

Du choix de la graine.

Les Auteurs sur l’éducation des vers à soie ne sont pas d’accord sur cette question : Faut-il se procurer chaque année de la graine étrangère, telle que celle d’Espagne, de Piémont & de Sicile ; ou employer celle de ses propres vers à soie ? L’expérience a prouvé 1°. que la graine d’Espagne & d’Italie, réussit très-bien à la troisième & quatrième année seulement. 2°. Que la graine du pays, provenant d’une bonne éducation, réussit aussi fort bien. Mais si les circonstances rendent l’éducation mauvaise, la graine qu’on obtiendra sera d’une mauvaise qualité : alors il est à propos de la changer, ou pour mieux dire de s’en procurer de l’étranger, ou du pays même, si l’éducation a été meilleure que chez soi.

Il faut observer que le commerce de la graine de vers à soie est exposé à quelques friponneries, lorsqu’on n’a pas des correspondans fidèles. En voici une, parmi bien d’autres. Ceux qui achètent des cocons pour les faire filer, en séparent les blancs pour les vendre aux fabricans de fleurs artificielles. Avant de les livrer, & afin qu’ils fassent moins de volume, ils les coupent en deux, enlèvent la chrysalide, & la placent dans un endroit chaud où elle se change en papillon, & pond ensuite les œufs. Il est aisé de comprendre que cet insecte contrarié dans sa marche naturelle, a souffert ; sa génération doit donc s’en ressentir. Il ne faut pas s’en rapporter aux marchands de cocons pour avoir de la graine ; ils ont grand soin d’en offrir aux pauvres habitans des campagne, parce que s’ils faisoient grainer chez eux, ils choisiroient les meilleurs cocons, & le marchand n’y trouveroit pas son compte. D’ailleurs, il est intéressé à vendre la graine qu’il a des cocons blancs & des autres qui percent malgré ses soins.

Autrefois une once de graine produisoit quatre-vingts ou cent livres de cocons. Dix livres de cocons & douze au plus, donnoient une livre de soie. Aujourd’hui à peine a-t-on trente ou quarante livres de cocons, d’une once de graine, & il faut quinze ou seize livres de cocons pour une livre de soie. Cette différence provient en grande partie du mauvais choix de la graine. Ainsi je ne saurois trop recommander aux personnes qui font des éducations de vers à soie, de faire grainer chez elles, en choisissant les meilleurs cocons. Je parlerai de ce procédé à la fin de ce travail.

La bonne graine a une couleur d’un gris foncé & ardoisé ; quand on l’écrase entre les ongles des deux pouces, elle cède avec bruit & pétillement ; il en sort une humeur visqueuse & transparente. Ainsi une graine écrasée sans pétillement & sans qu’il en sorte une liqueur visqueuse, est mauvaise.

Voici encore un autre procédé pour connoître si la graine est bonne, & pour la séparer de celle qui est mauvaise. Ayez un vase plein d’eau aux deux tiers, versez doucement votre graine. Celle qui sera bonne ira au fond, étant bien remplie de liqueur visqueuse ; la mauvaise étant vide surnagera. Enlevez la mauvaise, & versez la bonne sur un linge suspendu, que vous aurez préparé pour cet effet. Faites-la sécher promptement, en la faisant passer successivement sur différens linges doux & secs, jusqu’à ce que toute l’humidité soit bue par les linges. Pour être plus certain qu’elle sera bien sèche quand on la mettra couver, on peut la laisser pendant deux ou trois jours se ressuyer sur des linges, qu’on change toutes les douze heures. Il est très-essentiel qu’elle soit parfaitement sèche, lorsqu’on la mettra dans les nouets ou dans les boîtes ; autrement l’humidité jointe à la chaleur, amèneroit la fermentation, & la couvée seroit perdue.

La graine qui surnage est mauvaise pour deux raisons ; 1°. parce qu’elle n’a pas été fécondée, & alors elle est de couleur jonquille : malgré cela, elle contient une humeur gluante & transparente. On la nomme graine vierge. Des auteurs prétendent qu’elle éclôt & qu’il en sort un ver à soie. L’expérience ne m’a jamais prouvé ce fait contraire aux lois générales de la nature. Quoi qu’il en soit de cette assertion, en supposant que la graine non-fécondée produise des vers, ils doivent être chétifs, foibles, & des consommateurs de feuilles sans profit. Le meilleur expédient est donc de les jeter. 2°. La graine peut être mauvaise, & surnager quoiqu’elle ait été fécondée, parce qu’elle aura été desséchée : alors elle n’est propre à rien, & ce seroit en vain qu’on prendroit la peine de la faire éclore.

Section II.

De l’époque & de la manière de faire éclore la graine.

Imitons la nature dans ses opérations. C’est le seul livre à consulter. Elle prépare par des gradations insensibles la chaleur nécessaire au développement des graines, des germes, des œufs ; elle n’agit pas ordinairement par sauts & par bonds. Chaque être a, s’il est permis de s’expliquer ainsi, son temps d’incubation. On peut retarder même d’une année l’époque où les œufs du ver à soie écloront, en les tenant dans un lieu où la température de l’atmosphère soit au-dessous du degré de chaleur convenable à la sortie du ver de sa coque ; mais l’art ne retardera qu’avec beaucoup de peine le développement des boutons du mûrier. Le ver à peine éclos doit se nourrir de sa feuille la plus tendre ; & comme la main de l’Éternel a fixé la feuille de mûrier pour la seule nourriture de cet insecte, il a donc également marqué le degré convenable à sa sortie de la coque. Cependant quoique le ver à soie & les mûriers soient acclimatés en France depuis plus de deux siècles, le ver a toujours retenu quelques qualités propres au pays d’où il a été transporté. Il convient donc que dans l’éclosion du ver, l’art seconde un peu la nature, & trompe la différence des climats que l’homme a rapprochés par son industrie intéressée… La coque de l’œuf du ver est criblée de pores, comme celle de l’œuf de la poule. C’est par ces pores que s’opère la transpiration qui, dans l’œuf de poule, occasionne le vide que l’on remarque ; & la diminution de sa partie glaireuse plus ou moins considérable selon le temps & le lieu où on le conserve ; mais la transpiration ne peut pas exister sans qu’il existe en même-temps une inspiration, puisque les poumons des petits poulets d’Indes, &c. éclos dans leurs œufs, & avant leur sortie, sont déja dilatés par l’air, au point, qu’en prêtant une oreille attentive, on entend leur gloussement ou petits cris. Ils diffèrent en cela de l’enfant dont le poumon ne se dilate, dont les bronches vésiculeuses ne s’ouvrent que lorsqu’il est sorti du ventre de sa mère. C’est alors que commence son inspiration & sa respiration. Il faut conclure de ces points de faits, établis ici pour bases fondamentales, que les différens procédés établis pour l’éclosion, sont pour la plûpart dangereux, & cependant c’est de ce point capital que dépend en grande partie la suite d’une bonne & heureuse éducation.

Quand doit-on faire couver ? Cette question est importante. Si on s’en rapporte à Chomel, à Isnard, la lune joue un grand rôle, & ils cherchent à le prouver par de longs raisonnemens ; les rapporter ici, ce seroit encore accréditer, & peut-être renouveler pour plusieurs lecteurs trop crédules, une erreur aussi absurde qu’elle est ancienne. (Consultez l’article Lune) Peu importe qu’elle soit nouvelle, pleine ou en déclin. Interrogez la saison, le moment du développement des feuilles sur le mûrier, & vous aurez un guide plus certain que la lune.

L’homme veut toujours mettre du sien, & jusque dans les plus simples opérations de la nature, il croit en savoir plus qu’elle & la gouverner. Plusieurs propriétaires pensent faire des merveilles en lavant les graines, avant de les faire éclore, dans du vin vieux & spiritueux ; mais comme ce procédé est simple, d’autres ont voulu renchérir & ont préféré les vins, ou muscats, ou de Malaga, ou de Chypre, &c. La première expérience, cent & cent fois répétée, a prouvé à l’observateur sans prévention, qu’une éducation ainsi préparée ne réussissoit pas mieux que celle dont l’éclosion avoit été simple & naturelle. La même expérience a prouvé que de tous les œufs imbibés avec des vins liquoreux, aucun n’a éclos. L’homme de bon sens devoit en être convaincu par avance, puisqu’il étoit clair que la seule partie aqueuse devoit se dissiper par l’évaporation, & que l’abondante partie sucrée & visqueuse de ces vins se colleroit sur l’œuf, s’y dessécheroit comme un vernis, & enfin en boucheroit à tel point les pores, que le malheureux insecte y mourroit étouffé. Que conclure ? qu’il est plus profitable aux propriétaires de faire boire leur vin aux magnaniers, que de le sacrifier en pure perte dans une opération inutile ou dangereuse.

La poussée de la feuille du mûrier est l’indice certain du moment où l’on doit faire éclore ; première maxime.

Plus, toutes circonstances égales, la poussée des feuilles & l’éclosion sont hâtives, & plus on doit compter sur une bonne & heureuse éducation ; seconde maxime. Elles exigent quelques observations.

Si dans nos climats les saisons suivoient une marche progressive & constante, ces deux maximes seroient vraies à la rigueur. Des gelées tardives, & surtout dans les pays rapprochés des montagnes, détruisent dans une nuit les effets d’une végétation mise en activité par une continuité de beaux jours. Dans ces circonstances aussi critiques que fâcheuses, si un propriétaire a fait éclore toute sa graine, il n’a plus d’espoir, puisque la gelée a broui toutes les feuilles des mûriers. Ses vers resteront-ils douze, quinze à vingt jours sans manger ? ils mourront de faim, à moins que par une sage prévoyance, il ait garanti du froid soit un certain nombre d’arbres, soit une certaine étendue de mûriers disposés en haie ou en palissade élevée. La chose est possible & on ne sauroit trop prendre une telle précaution ; mais pour celui qui vit du jour au jour, qui le lamente dans ce cas sans songer au lendemain, il ne lui reste d’autre parti que de jeter ses vers, & sa récolte est perdue pour cette année. S’il achète de la nouvelle graine, elle sera d’un prix exorbitant ; & comme la seconde éclosion aura été très-tardive, le succès de son éducation sera très-incertain. La prudence dicte donc d’avoir ou moins toujours en réserve, une double provision de graines. Le pis aller sera d’avoir de la graine inutile, ou que l’on vendra encore aux insouciant qui renvoient toujours du jour au jour. La perte sera modique ; & peut-on la comparer à celle d’une récolte entière ? Rien n’empêche que le propriétaire vigilant ne soit à l’abri des événemens, puisqu’il est le maître de les prévoir, & qu’il y remédie en effet avec un peu d’attention. Dans tous les cas, qu’il ait 1°. double provision de graines ; 2°. des palissades de mûriers suffisantes pour attendre qu’en cas de gelée, la seconde feuille soit revenue sur les mûriers. Dans les commencemens, lorsque les vers sont encore jeunes, ils consomment bien peu de feuilles ; & si pendant les jours de gelées tardives, on a soin de couvrir avec des toiles, avec des paillassons les palissades de mûriers, on est assuré d’avoir assez de ces premières feuilles pour attendre la poussée des nouvelles. Alors la récolte entière sera sauvée par cette petite attention. L’amateur, dans la seule vue de conserver les fruits de ses arbres en espalier, ne craint pas de faire la dépense des toiles ; & le cultivateur, pour lequel la récolte de la soie est d’une bien plus grande importance, négligeroit ces petits moyens ! C’est le cas de lui dire comme Hercule : aide-toi & le ciel t’aidera.

Lorsque l’hiver a été rude & qu’il s’est prolongé jusqu’en avril, l’observation prouve que l’on n’a plus à redouter les gelées tardives. C’est alors qu’il faut pousser par l’art l’éclosion des vers, afin qu’ils soient montés avant les chaleurs étouffantes du mois de juin. Dans ce cas, la poussée des feuilles est prompte, & son développement rapide. Mais si l’hiver a été précoce, doux, sans caractère bien prononcé, on doit alors ne mettre couver que la moitié de la graine, à moins qu’on n’ait pris les précautions indiquées ci-dessus. En voici encore une bien simple & bien facile, indiquée par l’excellent auteur, M. Boissier de Sauvages, de l’ouvrage intitulé : Éducation des vers à soie. Lorsque par imprévoyance, ou par impossibilité, on ne s’est pas procuré par avance des espaliers que l’on peut tenir à l’abri du froid, on peut y suppléer pour avoir de la feuille hâtive, en piquant de bonne heure en terre, de jeunes scions de mûriers, au pied d’un mur exposé au midi, & en les arrosant souvent. Ces précautions prouvent donc la nécessité de faire éclore de bonne heure, afin de soustraire les vers à la chaleur du mois de juin.

Il est encore une observation essentielle à faire. Il faut que le ver quand il éclôt, & dans tout son premier âge, soit nourri avec de la feuille tendre. Dans moins d’un mois, elle aura pris tout son accroissement, alors elle est trop dure pour lui. C’est donc la manière d’être de la saison & du climat en général, qui annonce l’époque à laquelle on doit mettre éclore. La vie du ver est en général de 45 à 50 jours, lorsque rien ne la contrarie, & lorsque la saison marche d’un pas égal ; lorsque la saison est naturellement retardée, il convient par art, c’est-à-dire par une chaleur artificielle plus soutenue d’accélérer les mues du ver, & par conséquent de diminuer sa vie comme ver. On en parlera dans la suite. Venons aux différens procédés mis en usage pour l’éclosion.

La quantité d’œufs que l’on doit mettre éclore, même en une seule fois, doit être proportionnée à l’espace que ces mêmes vers occuperont par la suite, même en supposant qu’ils soient très à l’aise. Si on se rappelle ce qui a été dit ci-dessus de la configuration & organisation extérieure du ver, on verra de quel nombre de stigmates ou ouvertures de la trachée artère le ver est pourvu ; d’où l’on conclura combien l’animal inspire & respire, & par conséquent quelle quantité considérable d’air pur il vicie. Ce fait est prouvé de nouveau par l’expérience de tous les jours. Qu’un particulier mette éclore une once de graine, & qu’il ait un vaste appartement destiné dans le temps à recevoir les vers, souvent il retirera de cette once un quintal de cocons, tandis que celui dont les appartemens seront petits, bas & resserrés, tirera à peine trente livres de cocons par once de graine, s’il en a mis éclore plusieurs onces, & s’il a nourri les vers.

Il y a deux manières de faire éclore la graine, ou par art, ou spontanément un peu aidé par l’art, & même sans art suivant les climats.

1°. Par art. Plus la graine a été tenue dans un lieu frais & humide, & plus elle est dure à éclore. La méthode la plus usitée dans nos campagnes, est de diviser la graine en paquets, chacun d’une, deux, trois & même de quatre onces ; de placer ces graines au milieu d’une toile fine, douce, un peu usée ; dont on réunit les quatre coins, & qu’on lie ensuite fortement avec un fil, en observant cependant de laisser plus de moitié de vide dans chaque sachet. Ces sachets sont tenus suspendus dans des poches de toile ou de coton, blanches de lessive, & n’étant imprégnées d’aucune mauvaise odeur. Des femmes, des jeunes filles placent pendant le jour ces poches, ou entre deux de leurs jupes, ou entre leur chemise & leurs jupes. Pendant la nuit ces poches sont placées dans leur lit, à côté d’elles, afin de maintenir à peu-près le même degré de chaleur à l’incubation des graines. Une fois ou deux, dans les 24 heures, on délie les sachets, on remue la graine afin que celle du milieu revienne sur les bords, & successivement celle des bords dans le milieu, pour égaliser autant qu’il est possible l’incubation : cette méthode réussit du plus au moins, & elle est sujette à des inconvéniens.

La chaleur est trop concentrée, trop étouffée ; l’air n’est pas assez renouvelé, ni l’évaporation de l’œuf assez dissipée. La preuve en est que si on ne remuoit pas la graine, on la trouveroit agglutinée l’une à l’autre par l’humidité de la transpiration. D’ailleurs est-on assuré que la transpiration insensible de la personne qui porte les sachets, est pure & saine, que sa sueur abondante ne nuira pas aux graines, & que l’une & l’autre ne vicieront pas l’air ambiant de ces graines ? Qui pourra répondre que pendant la nuit, la personne couchée ne se roulera pas sur les sachets & n’écrasera pas la graine ? La chaleur procurée à la graine, par cette méthode, n’est estimée que de dix-huit à vingt degrés ; mais on peut l’évaluer de vingt-deux à vingt-quatre, lorsqu’elle est placée dans le sein d’une jeune personne.

Il y a des personnes qui couvent réellement la graine, en restant couchées pendant tout le temps de l’incubation, afin de lui procurer le même degré de chaleur. Elles se trompent, car la chaleur est plus forte pendant le sommeil, que pendant le réveil. Qui n’a pas éprouvé ce fait, en se réveillant en sueur, tandis qu’on a à peine chaud, lorsqu’on demeure dans le lit sans dormir ? D’autres exposent la graine au soleil, dans des boîtes garnies de papier ; elles les mettent ensuite entre des oreillers échauffés au soleil ou devant le feu. Cette méthode seroit préférable à la première, si l’on étoit assuré d’une continuité de beaux jours, nécessaires pour cette opération, & si après avoir retiré la graine du soleil, on lui procuroit le même degré de chaleur ; ce qui n’est pas toujours praticable.

2°. De l’incubation spontanée. Elle a lieu lorsque le ver éclôt, par le seul effet de la chaleur de l’atmosphère, comme les chenilles éclosent sur les arbres. Cette méthode est la meilleure dans les pays où l’on ne craint pas le retour du froid, & où la chaleur s’étant une fois fait sentir, elle augmente tous les jours progressivement. Dans ces climats, il faut laisser agir la nature, & se contenter de placer la graine dans des boîtes, à l’épaisseur de deux lignes au plus.

Il y a peu de climats en France qui jouissent de cet avantage, sans que l’on soit obligé d’avoir recours à l’art, que je crois très-nécessaire pour faire éclore les vers également. Je puis dire, d’après ma propre expérience, que dans nos provinces, les vers éclos naturellement ne réussissent jamais bien, parce qu’il est rare de les voit éclore dans le temps ou les mûriers bourgeonnent. Or pour qu’ils réussissent, il faut absolument qu’ils ayent de la feuille tendre à manger, dès qu’ils sont éclos.

On doit se ressouvenir, que j’ai parlé d’une infirmerie pour les vers malades : c’est dans cet endroit qu’il faut déposer la graine pour la faire éclore, parce qu’il est facile de l’échauffer au degré nécessaire pour cet objet. La graine sera dans des boîtes, ou sur des claies légères, à l’épaisseur de deux lignes ; le fond sera garni en papier doux, & la graine couverte avec un papier pareil.

Lorsqu’on transporte la graine dans le lieu indiqué, elle sort d’un endroit frais où elle a été conservée : il ne faut donc pas lui donner tout de suite trop de chaleur. Le passage subit de la fraîcheur à une chaleur trop forte, lui nuiroit beaucoup, en occasionnant tout de suite une transpiration trop considérable de la liqueur visqueuse qui est la nourriture du germe. Il suffit que la chaleur soit de huit à dix degrés. On se procure aisément cette température avec un peu de feu ; & si le thermomètre montoit trop, alors on introduit l’air extérieur en ouvrant une fenêtre ou une porte. Enfin on tâche d’établir un courant d’air, pour obtenir la température désirée.

Pendant le premier jour, la graine sera à la chaleur de huit à dix degrés seulement ; le second, de dix à douze, & les jours suivans, de quinze à dix-huit. Cependant, il faut observer, que si la feuille pousse, il faut presser la graine, afin que les vers, au moment de leur naissance, n’ayent pas une feuille trop dure. Dans ce cas, il convient d’augmenter la chaleur graduellement de dix-huit à vingt ; on peut même la porter jusqu’à vingt-cinq degrés sans danger, pourvu qu’on aille peu à peu. Il n’y a que le passage trop subit d’un foible degré de chaleur à un plus fort, qui soit nuisible. Ainsi en allant doucement, il n’y aura rien à craindre pour la couvée. Lorsque la graine est constamment à la température de quinze à seize degrés, elle est neuf à onze jours à éclore. Dans les deux derniers jours, il est à propos de la pousser jusqu’à vingt, mais toujours graduellement ; les vers éclosent alors avec plus de facilité & également.

Quand la graine est disposée, comme il vient d’être dit, pendant les trois ou quatre premiers jours, on la visite deux fois par jour ; on lève le papier qui la couvre, & avec la barbe d’une plume on la remue, on l’égalise, & ensuite on la recouvre. Les autres jours, il suffit de la remuer une fois le matin ou le soir.

À mesure que la graine approche du moment d’éclore, sa couleur cendrée devient blanchâtre. Avec l’habitude d’observer, on peut connoître le temps où les vers éclosent. S’ils sont noirs ou d’un brun foncé, c’est un signe certain d’une bonne santé : mais lorsqu’ils sont rougeâtres, on peut les jeter : ils consommeroient de la feuille, sans qu’il en résultât aucun avantage. Il arrive quelquefois que des vers éclosent en petit nombre avant les autres : ils ne valent pas la peine d’être gardés. Les soins qu’ils exigeroient ne seroient point compensés par le profit qu’on en retireroit. Dans une bonne éducation, tous les vers doivent aller également, c’est-à-dire, avoir leurs mues en même-temps ou à peu d’heures de distance, afin qu’ils montent tous ensemble pour coconner ; ce qui évite beaucoup de peine & de soins.

Aussitôt qu’on s’aperçoit, par le changement de couleur de la graine, que les vers sont sur le point d’éclore, on met sur les boîtes une feuille de papier, criblée de petits trous très rapprochés, qui couvre toute la graine. On place sur ce papier, quelques feuilles tendres & fraîches, mais sans être humides. À mesure que le ver sort de sa coque, il passe par les trous du papier pour venir chercher la feuille. Je le répète : il faut que la feuille soit tendre, fraîche & point humide. Cette première nourriture contribue essentiellement à la santé des vers, pour toute la durée de leur vie. Si la feuille est humide, elle leur donne la diarrhée, & les affoiblit au point que souvent ils ne supportent pas la première mue. Si elle est dure, ils ne peuvent pas la ronger ; ils souffrent de la faim, & ils traînent une vie languissante. Si quelqu’un doute de ces effets, qu’il en fasse l’expérience sur quelques douzaines de vers, & il se convaincra de la vérité de mon assertion.

Les vers éclos dans le même jour, seront mis dans des boîtes numérotées, suivant l’ordre des levées. La première sera numérotée 1, la seconde 2 ; ainsi de suite pour toutes les autres. Ou fait les levées deux fois par jour, le matin & le soir. Depuis sept heures du matin jusqu’à neuf, c’est le temps où l’on trouve le plus de vers éclos. Les Chinois portent l’attention pour les levées jusqu’au scrupule, car ils les font toutes les heures. Faire une levée, c’est prendre sur la boîte, où est la graine, tous les vers montés sur les feuilles ; il ne faut pas les prendre avec les doigts, mais avec une épingle très-longue, afin de ne pas les toucher, pour ne pas risquer de les blesser.

Les vers des boîtes numérotées ne doivent point être mêlés : on parvient à les égaliser, c’est-à-dire, à les faire muer à-peu-près dans le même temps, par l’ordre des données. Voici comment on s’y prend. Lorsque tous les vers sont éclos & placés dans les boîtes numérotées suivant l’ordre de leur naissance, on donne à manger aux vers, en commençant par le dernier numéro, jusqu’à ce qu’on arrive au premier. On comprend, à présent, l’utilité de numéroter les boîtes. Lorsque la couvée a bien réussi, il est rare qu’en suivant le procédé que je viens d’indiquer, on ne parvienne pas à faire muer les vers dans le même temps ; s’il y a beaucoup de différence dans les levées, il faut en mettre dans les données, c’est-à-dire, donner une demi-heure ou une heure plus tard aux premiers qu’aux derniers.

Quoiqu’on soit très-attentif au degré de chaleur qui est nécessaire pour faire éclore les vers à soie, il est non-seulement très-rare, mais il n’arrive jamais qu’ils éclosent en même temps ; après le second jour, on n’a plus que des traînards : ainsi je suis d’avis qu’après avoir fait des levées, pendant deux jours, il faut jeter le reste de la graine, qui exigeroit des soins minutieux, sans qu’il en résultât un avantage capable d’en dédommager. Pour cette raison, il faut toujours mettre un tiers de graine de plus ; c’est-à-dite, si on veut une nourriture de deux onces, il faut en mettre trois, parce que dans une masse de graine, tous les œufs ne sont pas également féconds ; une partie peut être desséchée par l’évaporation : d’ailleurs, comme je l’ai dit, malgré tous les soins qu’on prend, tous les vers n’éclosent pas en même temps, il y a toujours des traînards ou tardifs, qu’il faut sacrifier.

Ce qui contribue beaucoup à avoir des vers tardifs, c’est l’épaisseur de la graine dans les boîtes ou dans les nouets. Il est presque impossible alors de procurer le même degré de chaleur à tous les œufs : les vers qui se trouvent au fond, ont de la peine à gagner la surface, pour passer par les trous du papier & monter sur la feuille ; ils peuvent être les premiers éclos & les derniers levés. Je ne puis donc trop recommander de bien égaliser la graine dans les boîtes ; qu’elle n’y soit point pressée ni trop épaisse, & qu’elle soit remuée deux fois par jour, comme je l’ai dit plus haut. Ces soins paroissent minutieux, mais ils sont très-importans pour avoir une bonne éducation ; il n’y a que l’expérience qui puisse en faire connoître la nécessité, & je suis bien assuré d’avoir l’approbation des personnes qui font des éducations.

CHAPITRE VI.

Des premiers soins après que les vers sont éclos.

Section Première.

De la chaleur convenable aux vers.

On ne peut pas dire que le ver à soie craigne tel ou tel degré de chaleur, dans nos climats, quelque considérable qu’il soit. Originaire de l’Asie, il supporte dans son pays natal une chaleur, certainement plus forte qu’il ne peut l’éprouver en Europe ; mais il craint le passage subit d’un foible degré de chaleur à un plus fort. On peut dire, en général, que le changement trop rapide du froid au chaud & du chaud au froid, lui est très-nuisible ; dans son pays, il n’est pas exposé à ces sortes de vicissitudes ; voilà pourquoi il y réussit très-bien, & sans exiger tous les soins que nous sommes obligés de lui donner. Dans nos climats, au contraire, la température de l’atmosphère est très-inconstante ; & sans le secours de l’art, nous ne pourrions pas la fixer dans les ateliers, où nous faisons l’éducation des vers à soie.

Une longue suite d’expériences a prouvé qu’en France, le seizième degré de chaleur, indiqué par le thermomètre de Réaumur, étoit le plus convenable aux vers à soie. Il y a des éducateurs qui l’ont poussé jusqu’à dix-huit, & même jusqu’à vingt, & les vers ont également bien réussi. Il ne faut pas perdre de vue ce principe, que le ver à soie ne craint pas la chaleur, mais un changement trop prompt d’un état à l’autre : ainsi, en le faisant passer, dans le même jour, du seizième degré au vingtième, je suis persuadé qu’il en éprouveroit un mal-aise fort nuisible à sa santé. S’il arrive qu’on soit obligé de pousser les vers à cause de la feuille, dont il n’est pas possible de retarder les progrès, on doit le faire graduellement, de sorte qu’ils s’aperçoivent à peine du changement. Le ver à soie souffre autant par les variations de la chaleur, que par la difficulté de respirer, s’il est dans un mauvais air.

M. Boissier de Sauvages va nous apprendre, d’après les expériences qu’il a faites, jusqu’à quel degré on peut pousser la chaleur, dans l’éducation des vers à soie, sans craindre de leur nuire.

« Une année que j’étois pressé par la pousse des feuilles, déja bien écloses, dès les derniers jours d’avril, je donnai à mes vers environ trente degrés de chaleur aux deux premiers jours, depuis la naissance, & environ vingt-huit pendant le reste du premier & du second âge ; mes vers ne mirent que neuf jours, depuis la naissance jusqu’à la seconde mue inclusivement. Les personnes du métier qui venoient me voir, n’imaginoient pas que mes vers à soie pussent résister à une chaleur qui, dans quelques minutes, les faisoit suer elles-mêmes à grosses gouttes. Les murs & les bords des claies étoient si chauds qu’on n’y pouvoit endurer la main : tout devoit périr, disoit-on, & être brûlé ; cependant tout alla au mieux, &, à leur grand étonnement, j’eus une récolte abondante ».

» Je donnai dans la suite vingt-sept à vingt-huit degrés de chaleur au premier âge, vingt-cinq ou vingt-six au second ; & ce qu’il y a de singulier, la durée des premiers âges de ces éducations-ci, fut à-peu-près égale à celle de la précédente, dont les vers avoient eu plus de chaleur ; parce qu’il y a peut être un terme au-delà duquel on n’abrège plus la vie des insectes, quelque chaleur qu’ils éprouvent. Il est vrai que mes vers avoient eu dans cette éducation & dans l’éducation ordinaire, un pareil nombre de repas ; mais ce qu’il y a de plus singulier encore, c’est que les vers ainsi hâtés dans les deux premiers âges, n’employoient que cinq jours d’une mue à l’autre dans les deux âges suivans, quoiqu’ils ne fussent qu’à une chaleur de vingt-deux degrés ; tandis que les vers qui, dès le commencement, n’ont point été poussés de même, mettent, à une chaleur toute pareille, sept à huit jours à chacun de ces mêmes âges ; c’est-à-dire, au troisième & au quatrième. Il semble qu’il suffit d’avoir mis ces petits animaux en train d’aller, pour qu’ils suivent d’eux-mêmes la première impulsion ou le premier pli qu’on leur a fait prendre ».

» Celui dont nous venons de parler, qui opère une croissane rapide, donne en même-temps à mes insectes une vigueur & une activité qu’ils portent dans les âges suivans ; ce qui est un avantage dans l’éducation hâtée, c’est-à-dire, poussée par la chaleur, & qui, outre cela, prévient beaucoup de maladies. Cette éducation hâtée, abrège la peine & le travail, & délivre plutôt l’éducateur des inquiétudes qui, pour peu qu’il ait de sentiment, ne le quittent guere jusqu’à ce qu’il ait déramé ».

» Pour suivre cette méthode, il convient de faire beaucoup d’attention à la saison plus ou moins avancée, à la poussée plus ou moins rapide de la feuille, & si elle n’est pas ensuite arrêtée par les froids… D’un autre côté, si la poussée de la feuille est tardive, & qu’elle soit suivie de chaleurs qui durent long-temps, & comme on doit ordinairement s’y attendre, & que cependant on ne fasse que peu de feu aux vers à soie, ils n’avancent gueres, on prolonge leur jeunesse ; cependant la feuille croît & durcit ; elle a pour eux trop de consistance ; c’est le cas de les hâter par une éducation prompte & chaude, afin que leurs progrès suivent ceux de la feuille, ce qui est un point essentiel ».

» Si les éducateurs se décident de bonne heure pour cette méthode, ils mettront couver, s’ils sont sages, au moins huit jours plus tard que leurs voisins qui suivent la méthode ordinaire, & ils calculeront la durée des âges ; ou bien ils s’arrangeront de façon que la fin de l’éducation tombe au temps où la feuille a pris toute sa croissance ».

Avant de terminer cet article, il reste encore des observations à faire. 1o. Si dans l’atelier, il règne un grand courant d’air, soit par l’attraction qui a lieu de celui d’une porte par le feu d’une cheminée, ce courant d’air excite une sensation froide sur le ver, par l’évaporation de sa chaleur ; alors les vers, pour se soustraire à la fraîcheur, se rejoignent les uns contre les autres, afin de se servir mutuellement d’abris, ou bien, ils se portent tous vers le côté de la tablette le moins exposé à ce courant d’air, ou enfin, ils se cachent autant qu’ils peuvent dessous ou derrière les feuilles qui deviennent pour eux une espèce de paravent. D’après les dispositions de l’atelier, dont j’ai donné la description, il est facile de n’avoir que le courant d’air que l’on désire, & l’on est toujours le maître de graduer la chaleur, & de la maintenir au degré jugé nécessaire suivant les circonstances. 2°. Si l’atelier n’est éclairé que d’un seul côté, & que la partie la plus voisine des fenêtres reçoive directement la lumière du soleil, on verra les vers fuir cette lumière autant qu’il dépendra d’eux. Le trop grand jour les fatigue. Il est donc essentiel que l’atelier soit éclairé au moins de deux côtés ; que l’on puisse y modérer la trop grande clarté, afin que le ver se plaise également sur tous les points des claies ou des tablettes. Ils aiment à être à leur aise, ils mangent plus tranquillement, & ils en profitent mieux.

Section II.

De la propreté, indispensable pendant l’éducation.

Si on se rappelle la description du ver à soie, on se rappellera également que la nature lui a donné seize stigmates ou trachées-artères pour respirer, par conséquent qu’il a besoin de beaucoup d’air pur ; & que par l’inspiration & la respiration, il en vicie. J’insiste sur ce point, parce que je le regarde comme la base première d’une bonne éducation. La conséquence à tirer est donc qu’on ne doit laisser dans l’atelier aucune matière sujette à corruption & à putréfaction, parce que dans sa décomposition elle donne de l’air fixe ou air mortel, qui augmente la mauvaise qualité de celui de l’atmosphère dans laquelle l’animal respire. À cet égard, l’insouciance du paysan est extrême, il n’y fait même pas attention. Chez lui le sol de l’atelier est souvent couvert d’un pouce ou deux de débris de feuilles ou de crottin de vers. S’il balaye, il pousse & amoncelle toutes les ordures dans un coin, où par leur amoncellement, la fermentation agit plus fortement, & les putréfie plus vite… D’autres ne changent la litière des vers qu’après chacune de leurs mues. Ensuite on est étonné que la plus grande partie de ces petits animaux périssent successivement, ou de langueur, ou même par des maladies épidémiques.

À quel signe doit-on reconnoître qu’on doit changer la litière, opération qu’on nomme déliter ? Est-ce lorsque la litière est parvenue à plusieurs pouces d’épaisseur ? Cette indication devient vague & ne dit rien, puisqu’elle tient en raison de l’âge des vers, qui augmente le volume de leurs excrémens, ou en raison de la chaleur & du froid (ils mangent plus lorsqu’il fait chaud que lorsqu’ils ont froid) ; ou enfin relativement à la quantité de feuilles que l’éducateur leur donne ou de trop ou pas assez. L’indication la plus suivie en général est celle-ci : lorsqu’en passant la main sous la litière, on la trouve humide, c’est le moment de la changer. J’ose dire que cette indication est abusive ; parce qu’entre l’humidité & la moisissure qui survient, il n’y a qu’un pas ; tout comme il n’y a qu’un pas entre la moisissure & la putréfaction, surtout si elle est aidée par la chaleur. Je ne vois qu’un seul moyen efficace ; c’est de la changer petit à petit toutes les 24 heures, excepté pendant les époques des mues.

À cet effet, tenez vos vers toujours à l’aise sur des claies ou sur des tablettes ; le matin, au repas qu’on leur donne, ne jetez des feuilles que la quantité suffisante pour couvrir la moitié de la longueur des tablettes. Alors les vers se porteront tous de ce côté, & même pour les y mieux forcer, diminuez un peu sur le côté opposé la quantité de feuilles, dans le repas qu’on leur donne le soir : alors pressés par la faim, ils courront avec rapidité à la feuille nouvelle, & se hâteront d’abandonner l’ancienne. On dira peut-être que ce procédé augmente la consommation des feuilles. Cela ne peut pas être, & produit un effet tout contraire. L’animal, à moins qu’il ne soit pressé par un vif besoin, ne mange pas la feuille qu’il a piétinée pendant long-temps, ni celle qui est échauffée par la litière, ou qui a contracté une saveur, ou une odeur désagréable en séjournant sur la litière. Ainsi le procédé que j’indique est donc plus économique que le procédé ordinaire. Si sur la partie de la tablette où l’on n’a point jeté de feuilles, ou si dans la litière de ce côté, il reste quelques vers, ce sont des traînards, des foibles, des languissans qui demandent à être séparés des autres, & portés à l’infirmerie, ainsi qu’il sera dit ci-après.

Lorsque les vers sont tous sur le côté où l’on a jeté la feuille nouvelle, alors on enlève toute la litière du côté opposé ; & sans différer, on la porte dans un lieu très-éloigné de atelier. Ce qui dans un jour a été pratiqué sur un côté, on le pratique de même le lendemain pour l’autre, & ainsi de suite : d’où il résulte que toutes les quarante-huit heures la litière est complettement enlevée, & qu’elle n’a jamais trop d’épaisseur ; que les vers malades ne peuvent pas s’y cacher, enfin qu’elle n’a pas le temps de devenir humide, encore moins de moisir, de se putréfier, ni de vicier l’air atmosphérique de l’atelier.

L’expérience a prouvé que si l’on jette sur la litière déja très-épaisse & même moisie, de la chaux en poudre, l’alcali de cette chaux neutralise les émanations de ce corps fermentant, qu’elles ne sont plus nuisibles aux vers, & que les vers ne sont en aucune manière affectés par cette poussière de chaux, quoiqu’elle les touche ; enfin qu’ils mangent sans inconvénient la feuille un peu recouverte de fine poussière de cette chaux. Cet expédient peut être réellement utile, lorsque l’on manque essentiellement de bras pour le service de l’atelier, mais dans toute autre circonstance, si l’on délite entièrement dans les quarante-huit heures, il est impossible que la litière nuise aux vers.

Que l’atelier soit exactement balayé une & même deux fois par jour suivant le besoin ; que chaque fois on ait soin d’arroser le plancher, soit pour empêcher que la poussière ne s’élève & n’incommode les vers, soit parce que l’eau attire & absorbe de l’air atmosphérique une grande quantité d’air fixe, & par conséquent en débarrasse le premier au grand avantage des vers. Cet arrosement doit être plus copieux & plus souvent répété, lorsque la chaleur extérieure est étouffante, & surtout lorsque le temps est lourd, bas, chargé d’électricité, & par conséquent à l’approche des orages qu’annoncent le tonnerre. Enfin éloignez scrupuleusement de l’atelier toute espèce de fleurs, & surtout toute espèce de fruits, même les mûres, parce que de tous les fruits cette espèce est une de celles qui donnent plus d’air fixe. En général, les fleurs en produisent moins que les fruits.

Les habitans de la campagne s’imaginent faussement que brûler des parfums, des herbes odoriférantes, du lard, du vieux cuir, &c. est un excellent remède, & une pratique salutaire dans l’éducation des vers à soie. Bannissez-les absolument, même celle du vin bouillant, dans lequel on a mis de la muscade & du girofle, & qui est en grande recommandation dans certains cantons. La plupart de ces fumigations semblent détruire pour un moment les miasmes de l’air fixe ; mais dans le fait elles servent seulement à les masquer, à les envelopper pour un temps ; & comme elles n’ont aucune propriété pour les neutraliser, elles sont donc complettement inutiles. Les vers, pendant ces fumigations, & les exhalaisons de ces prétendus parfums, paroissent un peu plus gaillards & dispos ; mais leur mal-aise recommence bientôt après. Cependant je ne nie pas que l’ustion du vieux cuir, qui produit une émanation ou volatilisation d’alcalis, ne concoure un peu à neutraliser l’acide de l’air fixe. Malgré cela, je persiste & persisterai toujours à dire qu’il vaut mieux démiphitiser l’air atmosphérique de l’atelier, en établissant à propos & autant de fois que le besoin l’exigera, un nouveau courant d’air pur ; ce qui s’exécutera sans peine par les ventouses ou petites ouvertures pratiquées sous le toit du plancher supérieur, & au niveau du carrelage de l’atelier, ainsi qu’il a été dit en décrivant l’escalier… La propreté ; et quoi encore ? la propreté : renouvelez l’air à mesure qu’il se méphitise ; alors vous bannirez les maladies si fréquentes, & souvent si subites & si dangereuses dans les éducations.

CHAPITRE VII.

Maladies des vers.

Section Première.

De la rouge.

Cette maladie est ainsi dénommée de la couleur rouge, plus ou moins foncée, qu’offre à l’œil la peau du ver, au moment, ou peu de temps après qu’il est sorti de sa coque. Les vers attaqués de cette maladie paroissent engourdis & comme asphyxiés. Leurs anneaux se dessèchent eu à peu, & ils ressemblent alors de véritables momies. Leur couleur rouge devient blanche.

Cette maladie ne fait pas toujours mourir les vers qui en sont attaqués à la première mue, ni même aux suivantes. Quelquefois ils ne meurent qu’après la quatrième mue, lorsqu’ils ont consommé la feuille inutilement. Si leur existence se prolonge jusqu’à cette époque, ils ne conservent pas leur couleur rouge ; il seroit facile de les reconnoître & de les séparer des autres. Ils prennent une teinte beaucoup plus claire, qui les rend méconnoissables à l’œil le plus habitué à observer. Quelquefois ils vont jusqu’à la montée, & ils font des cocons de nulle valeur, qu’on nomme vulgairement casignons, parce qu’ils sont mous & mal tissus.

La rouge est occasionnée par deux causes : 1°. par la trop grande chaleur que l’œuf a éprouvée pendant l’incubation, qui a desséché la partie fluide ou l’humeur visqueuse renfermée dans la coque, qui devoit servir de nourriture au germe : en étant privé, le ver est sorti foible, malade, enfin mal constitué pour avoir souffert. 2°. Par le passage subit du froid au chaud, ou du chaud au froid. Le moyen de prévenir cette maladie, est donc d’en détruire la cause, & certainement il est très-facile. Que la graine soit toujours au même degré de chaleur ; & s’il est nécessaire de l’augmenter, comme il peut arriver suivant les circonstances, dont j’ai parlé plus haut, il faut que l’augmentation soit graduelle, & non pas précipitée.

Lorsque la couvée est infectée de cette maladie, on ne doit en attendre aucun succès. Le meilleur expédient, est de la jeter, & de se procurer de la nouvelle graine. Tous les soins qu’on prendroit des vers seroient en pure perte. Au reste, lorsqu’on ménage la chaleur, comme je l’ai prescrit, cette maladie ne peut pas avoir lieu. Sur toute la couvée, on peut trouver quelques vers, & c’est-là un petit accident auquel on doit s’attendre, même en prenant les précautions les plus exactes & les plus rigoureuses.

Section II.

Des vaches, ou gras, ou jaunes.

Quelques Auteurs divisent cette maladie en trois classes ; mais les caractères spécifiques qu’ils en donnent ne me paroissent point assez prononcés pour être de leur sentiment. Il se peut faire, que la variété des noms, pour la même maladie, suivant les différens cantons, soit la cause de cette distinction en trois classes. J’avoue que dans un pays elle peut présenter des circonstances qu’on n’appercevra pas dans un autre. Malgré cela, je persiste à croire que cette maladie est la même, à quelques modifications près, insuffisantes pour lui donner un caractère qui la différencie essentiellement.

Voici quels sont les véritables caractères de cette maladie ; 1°. la tête du ver est enflée : 2°. la peau qui recouvre ses anneaux a le luisant d’un vernis ; 3°. les anneaux sont gonflés ; 4°. la circonférence de l’ouverture des stigmates est d’un jaune plus ou moins foncé ; 5°. le ver donne une eau jaune, qui paroît telle sur la feuille.

Cette maladie se manifeste communément à la seconde mue ; elle est rare aux autres, & plus encore à la quatrième.

M. Constant du Castelet, un des premiers & des meilleurs écrivains sur l’éducation des vers à soie, dit « que cette maladie est occasionnée par une eau visqueuse & acide, qui pénètre les deux ampoules ou sacs que les vers ont aux flancs, & qui étant mêlée avec la gomme, dont ils doivent former leur fil, s’oppose à la perfection de la cuite de cette même gomme, & cause à toutes les parties de l’insecte une tension générale qui lui fait alonger les pieds : bientôt après il devient mou, ensuite il se raccourcit & crève sur la litière. L’humeur âcre qui en sort tue tout autant de vers qu’elle en touche : c’est ce que semblent prévoir ceux qui sont attaqués de cette peste, car ils fuient les autres & se retirent aux bords des tablettes. S’ils n’ont pas le temps ou la force d’y arriver, ils crèvent au milieu de leur litière. Ceux qui se portent bien les fuient aussi & se retirent à l’écart ».

» Les causes, suivant l’Auteur cité, de cette maladie mortelle, sont 1°. de leur avoir donné à manger une feuille cueillie humide, ou gardée dans un endroit humide ou mal propre. 2°. S’ils ont mangé une feuille remplie de fibres amères & dégoûtantes, telle que celle des mûriers qui ont moins de cinq ans. 3°. De les avoir nourris d’une feuille trop tendre, tandis qu’ils auroient eu besoin d’une nourriture plus solide, ainsi qu’il arrive presque toujours, lorqu’on a la manie des vers à soie hâtifs. On se procure un mûrier, qui à la faveur d’une exposition chaude & avantageuse, pousse sa feuille prématurément, & suffit pour nourrir le ver à soie, quelquefois jusqu’à la seconde mue : mais cette feuille finie, on est obligé de leur donner d’une autre qui est à peine épanouie, quoiqu’ils ne dussent manger alors qu’une feuille plus avancée. 4°. Lorsqu’on les a laissés sur la litière trop accumulée, soit pour leur avoir donné trop abondamment de la feuille, ou lorsqu’au lieu d’emporter leur litière toutes les fois qu’on les rechange, on en fait un tas dans leur loge ».

J’admets dans toute son étendue la quatrième cause indiquée par M. du Castelet. Quant aux autres, malgré la vénération que j’ai pour ses opinions, je ne les regarde que comme des causes très-éloignées, quoiqu’elles soient réellement nuisibles à la santé des vers. J’ajouterai encore, que les indications extérieures de la maladie sont trop vagues, & ne la désignent pas assez.

La maladie dont il est question est occasionnée par l’air mofétique, des corps en putréfaction : il faut bien le distinguer de l’air fixe ou méphitique, qui s’exhale des corps dans leur première fermentation, soit acide, soit vineuse. On appellera, si l’on veut, le premier air, inflammable, quoiqu’il y ait quelque différence. Or cet air mofétique reconnoît pour cause ; 1°. le peu de renouvellement de l’air atmosphérique de l’atelier, surtout dans les angles & dans les parties où cet air n’est point agité. Tous les jours nos hôpitaux en offrent de funestes exemples sur les malades. 2°. La vapeur qui s’exhale de la litière, pressée & accumulée, & surtout lorsque la moisissure commence à la gagner, ainsi que la chaleur produite par la fermentation. C’est un air mortel. Il n’est donc pas surprenant que les vers le fuient, & gagnent le bord des tablettes, pour venir respirer un air plus pur, ou moins infecté. Tenez l’atelier dans une grande propreté ; ayez soin d’y renouveler l’air, par les moyens que j’ai indiqués ; enlevez souvent la litière ; vous détruirez par ces moyens simples, les causes de la mortalité des vers.

Dès qu’on s’aperçoit que quelques vers sont attaqués de cette maladie, on doit craindre qu’elle ne se communique aux autres. Il faut donc les examiner avec attention, & sur le moindre doute enlever ceux qu’on croit attaqués, & les transporter dans l’infirmerie, où le seul changement d’air peut les remettre, si la maladie a fait peu de progrès. Quant à ceux qui sont reconnus pour avoir réellement cette maladie, il n’y a d’autre expédient à prendre, que de les jeter dans le fumier, de les y enterrer, afin que les poules ne les mangent pas, ce qui pourroit les empoisonner.

Section III.

Des morts blancs ou tripés.

M. Rigaud de Lisle, habitant à Crest, est, je crois, le premier qui ait distingué cette maladie des autres. « Le ver, dit-il, étant mort, conserve son air de fraîcheur & de santé ; il faut le toucher pour reconnoître qu’il est mort. Alors on ne peut mieux le comparer qu’à une tripe ».

Cette sorte de mort subite, est causée par l’air fixe ou méphitique, & souvent elle est accélérée par la manière d’être de l’air atmosphérique extérieur. Si la chaleur est forte & soutenue, le temps bas & chargé d’électricité, toutes ces causes réunies, augmentent la première fermentation acide de la litière, & même des feuilles placées dans le dépôt, si elles sont accumulées les unes sur les autres. Alors l’abondance d’air méphitique émané de la litière, fait mourir subitement les vers.

Pour prévenir le mal, abandonnez toute espèce de fumigation, qu’on a très-grand tort de conseiller en pareil cas : tenez les fenêtres de l’atelier exactement fermées, excepté une ou deux qui seront ouvertes du côté du nord : ouvrez tous les soupiraux entre le plancher supérieur de l’atelier & l’étage au-dessus : enfin arrosez largement & à plusieurs reprises dans le jour, les carreaux avec de l’eau ; elle absorbera la sur-abondance de l’électricité atmosphérique de l’atelier. Voilà ce que pratiquent les laitières dans le temps des orages, afin d’empêcher le lait de tourner ; & ce moyen leur réussit. Je puis assurer, d’après l’expérience, que les vers ne seront point incommodés ni par l’air ni par l’eau. Ces précautions sont très-utiles dans les temps d’orage, où au moment de jouir de la plus belle récolte, on la perd dans un jour presqu’entièrement. Ces accidens sont fréquens dans nos provinces du midi. Ils le seront beaucoup moins en faisant usage du procédé que je viens d’indiquer.

L’air méphitique, n’est pas la seule cause de la mort prompte des vers ; l’électricité atmosphérique y contribue au moins autant, & de la même manière qu’elle concourt à faire tourner le lait, & à la prompte & étonnante putréfaction des corps animalisés, surtout du poisson de mer. Quoi qu’il en soit de cette opinion, voici un fait qui prouve la justesse de son application sur les vers à soie.

Une année je disposai des fils de fer, assez minces, le long des quatre tablettes réunies par leurs supports ; ces mêmes fils de fer furent prolongés sur toute la longueur des supports ; enfin, tous réunis par le bas & sur le carreau de la chambre, ils traversoient le mur & alloient se plonger dans une citerne pleine d’eau. Les autres tablettes de l’atelier, ne furent pas ainsi armées de conducteurs électriques. La saison fut, par fois, orageuse, cependant exempte de ces grandes chaleurs suffoquantes, qu’on éprouve quelquefois. La litière de toutes les tablettes de l’atelier, étoit changée aussi souvent que je l’ai conseillé : ainsi toutes les circonstances furent égales. Je ne crains pas de certifier que sur toutes les tablettes armées de conducteurs, les vers à soie furent constamment plus alertes, plus sains que sur toutes les autres ; enfin que les tablettes non armées, voisines de celles qui l’étoient, se ressentirent un peu du bienfait des conducteurs. Après cela, sera-t-on étonné que l’observation ait engagé les paysans à armer avec de la vieille feraille, le dessous des nids où les poules doivent couver ? De graves auteurs ont traité cette pratique de puérilité : avant de la condamner, il convenoit d’avoir suivi l’expérience.

Section IV.

Des harpions ou passis.

Ces dénominations vulgaires ont passé des provinces méridionales dans celles du nord, lorsque l’éducation des vers à soie y a été connue. Harpìon dérive du mot griffe ou serre ; passis de souffrir.

Cette maladie n’est pas réellement distincte de la rouge, elle n’en est qu’une modification. Elle se manifeste dès les premiers jours de la naissance du ver, par une couleur jaune ; celle des passis est un peu plus foncée. Il faut voir ce qui a été dit de la rouge. Ces deux dernières maladies, c’est-à-dire, les vers qu’on nomme harpions, passis, deviennent tels par les mêmes causes qui donnent la maladie qu’on appelle la rouge. On reconnoît les vers malades, 1°. à leur couleur, tirant sur le jaune. 2°. Ils sont effilés, leur peau ridée & plus courts que ceux du même âge. 3°. Ils alongent leurs pattes grêles & crochues. 4°. Ils mangent peu, languissent & sont dans un état de marasme. Il faut traiter ces vers comme ceux attaqués de la rouge : c’est pourquoi je renvoie à cet article, qui est la première section du chapitre septième, sur la maladie des vers--à-soie.

Lorsque les passis sont rares après la première mue, on peut essayer de les soigner à l’infirmerie : mais comme je suis persuadé qu’ils ne seront jamais bien, il vaut mieux les jeter ; & si, avant la première mue, on s’aperçoit que la couvée en est entièrement infectée, pour lors j’insiste pour qu’on ait recours à de la nouvelle graine. Je ne dirai plus rien à ce sujet, je ne ferois que me répéter ; il suffit d’ajouter, qu’il faudra un peu pousser les vers de cette seconde couvée, en suivant les procédés de M. Sauvages, que j’ai cité. Prenez garde que je dis qu’il faut pousser les vers, & non pas la couvée ; on tomberoit dans l’inconvénient qu’on cherche à réparer. Que la couvée se fasse petit à petit, afin que les œufs ne soient pas trop desséchés par la chaleur : on vient de voir les inconvéniens qui en résultent.

Dès que les vers de cette dernière couvée seront éclos, on aura recours à la feuille la plus tendre. Aussi-tôt après la première mue, on les poussera par la chaleur, afin que les autres mues soient plus rapprochées.

Section V.

De la luzette, ou luisette, ou clairette.

Le nombre des vers attaqués de cette maladie, est communément peu considérable ; elle se manifeste après les mues, mais plus ordinairement après la quatrième ; elle ne provient pas d’un défaut dans la couvée, comme quelques-uns le prétendent ; il faut plutôt en attribuer la cause à quelque défectuosité dans l’accouplement & dans la ponte : les vers, attaqués de cette maladie, mangent comme les autres & font les mêmes progrès en longueur, & non pas en grosseur. Cette maladie se manifeste par la couleur du ver qui devient d’un rouge clair & ensuite d’un blanc sale. En l’observant avec attention, on s’appercevra qu’il laisse tomber, par ses filières, une goutte d’eau visqueuse, & que son corps est transparent ; ce qui l’a fait nommer luzette, nom vulgairement donné à ces insectes qui répandent de la lumière pendant la nuit. Dès qu’on découvre des luzettes dans les tables, il faut les jeter ; ces vers mangent la feuille, sans qu’on puisse attendre qu’ils feront un cocon.

Après la quatrième mue, on trouve quelquefois des luzettes disposées à faire un cocon ; elles se donnent beaucoup de mouvement & vont de côté & d’autre pour trouver à se placer. Il ne faut pas attendre qu’elles s’épuisent par leurs courses & qu’elles perdent toute leur soie ; puisqu’elles sont arrivées à ce point, il faut en profiter : pour cet effet, on les place dans des paniers où il y a des branchages secs.

Section VI.

Des dragées.

Ce n’est point une maladie du ver à soie, puisque son cocon est fait lorsqu’on le nomme dragée. Un cocon dragée ne renferme pas une chrysalide, mais un ver raccourci & blanc comme une dragée. Voilà d’où provient cette dénomination. Si le ver, après avoir fait son cocon, n’a pas pu se transformer en chrysalide, c’est une preuve qu’il a souffert. Mais quelle est cette espèce de maladie ? personne n’a pu encore la désigner. On trouve des éducations entières, dont tous les cocons sont dragées en très-grande partie. Au surplus il ne faut pas s’en affliger ; la soie de ces cocons est d’une aussi bonne qualité que celle des autres. On n’éprouve de la perte qu’en vendant les cocons, parce qu’ils sont très-légers : mais si on les fait filer à son profit, on sera au pair. On connoît un cocon dragée en l’agitant. Le ver desséché & renfermé fait un bruit sec, que les autres cocons ne rendent pas.

Section VII.

Des maladies occasionnées par la qualité de la feuille.

1°. Du miellat. (consultez ce mot) Sur le mûrier, le miellat est une sécrétion gommeuse un peu âcre. La feuille miellée occasionne aux vers des purgations qui les rendent foibles & languissans. Si cette sécrétion est abondante sur les feuilles, elle s’oppose à la transpiration, en se collant aux ouvertures des stigmates ; & les vers en périssent, sur-tout à l’approche des mues, parce qu’ils n’ont pas la force de se dépouiller de l’ancienne peau. D’ailleurs, quand ils n’éprouveroient pas la difficulté de respirer, ni de changer de peau, il est toujours vrai & démontré, par l’expérience, que les excrémens des vers devenus fluides & dysentériques, ont une prompte tendance à la fermentation putride, & qu’il résulte de cette putridité, qu’une plus grande quantité d’air atmosphérique de l’atelier est fortement viciée. Dès qu’on s’aperçoit que les excrémens des vers sont fluides, il faut renouveler l’air de l’atelier, par les procédés déjà indiqués, & changer la litière.

Si on a de l’eau courante, on place les feuilles dans des corbeilles, pour les laver à grande eau. Elle suffira pour dissoudre & entraîner le miellat qui est sur les feuilles de mûrier ; si on n’a pas une eau courante, on trempe les feuilles dans des baquets, à plusieurs reprises, en ayant attention de changer l’eau. Aussitôt que le lavage est fait, on étend les feuilles sur des draps à l’ombre, où elles égouttent pendant quelques minutes ; ensuite on les porte dans le grenier où on les étend au large, & on a soin d’ouvrir les fenêtres, afin d’établir un prompt & fort courant d’air. Lorsqu’on n’a pas de grenier, on étend les feuilles à l’ombre & au courant de l’air ; on les agite de temps en temps, en prenant les coins des draps sur lesquels elles sont, pour les secouer. Par ce moyen, celles du fond viennent en dessus ; l’on répète cette opération, jusqu’à ce que la feuille soit sèche, & en état d’être transportée au magasin.

On suit communément une autre méthode, mais le lavage est préférable à tous égards. La voici. On amoncelle dans des sacs la feuille miellée, & même on l’y presse beaucoup. Dans cet état, elle fermente promptement. L’air fixe qui s’en dégage, ainsi que les autres causes de la fermentation, concourent à dissoudre le miellat. Aussitôt que le miellat est détaché par la fermentation, on porte les feuilles dans un endroit frais, bien aéré ; on les étend & on les remue, jusqu’à ce qu’elles ayent perdu l’odeur de la fermentation.

Une feuille de cette sorte a subi deux altérations, celle du miellat & celle de la fermentation : elle est donc plus mauvaise que si elle n’en avoit subi qu’une. En séchant, elle n’acquiert pas ce qu’elle a perdu par l’évaporation à la suite de la fermentation. Le lavage est donc préférable, puisqu’il n’altère pas la qualité de la feuille, au moins d’une manière aussi sensible.

Quoi qu’il en soit de toutes ces méthodes, il est hors de doute que la feuille miellée nuit aux vers d’une manière très-pernicieuse ; par conséquent il vaut mieux les faire jeûner que de leur en donner. D’ailleurs tous les mûriers, quoique dans le même canton, ne sont pas affectés du miellat.

2°. De la rouille des feuilles. (Voyez le 8e. vol., pag. 643.) Les mûriers placés dans un terrein bas, dans des vallées étroites, près des rivières & des ruisseaux, ou dans des champs trop fumés, ont souvent leurs feuilles tachées de la rouille. Le ver à soie a de la répugnance à manger cette feuille tachée par la rouille, à moins qu’il ne soit pressé par la faim. S’il est nourri avec cette sorte de feuille, pendant plusieurs jours, il souffre, il languit, il s’épuise, parce qu’il n’a pas une nourriture assez abondante, eu égard à son appétit. Il ronge toute la partie verte de la feuille, & laisse celle qui est rouillée. Ses progrès sont donc retardés, par le défaut d’une bonne nourriture, ou qui n’est pas assez abondante. Par conséquent, lorsque la feuille rouillée n’auroit pas d’autre défaut que celui de ne pas nourrir suffisamment les vers, & de les retarder, il suffiroit pour qu’on dût se dispenser de la leur donner.

S’il survient de la pluie après quelques taches de rouille, elles sont délavées, & la feuille continue à prendre son accroissement, sans que la rouille fasse d’autres progrès. Dans cet état on peut la donner aux vers. Afin qu’ils ne souffrent pas, il faut multiplier les données, ou les faire plus fortes, parce que la feuille rouillée n’est point aussi substantielle que celle qui ne l’est pas. D’ailleurs, à volume égal, le ver a moins à manger, puisqu’il laisse la partie rouillée, qui est dure & presque sans suc.

Quand on a la prévoyance d’avoir plus de mûriers qu’on a de vers à nourrir, on peut se dispenser de leur donner de la feuille rouillée, parce qu’il est rare que tous les arbres en soient attaqués, quand même ils seroient dans le même canton. Toutes choses égales d’ailleurs, il faut rejeter la feuille rouillée, si on peut en avoir d’autre. Au reste on ne peut pas dire que la feuille rouillée occasionne aucune maladie aux vers ; son seul inconvénient est de n’être pas une nourriture assez substantielle, & qu’au lieu d’un sac de feuille, qu’on donneroit aux vers, & qui seroient bien nourris, souvent deux ou trois de feuille rouillée, ne suffisent pas. Voilà par conséquent un surcroît de dépense en feuilles & en journées pour la cueillir. Dans une grande éducation il faut tout calculer.

CHAPITRE VIII.

De la manière de gouverner les vers à soie dans leurs différens âges.

Section première.

Conduite des vers depuis leur naissance jusqu’à la première mue, ou premier âge.

Aussitôt que le ver est sorti de sa coque il cherche à manger : c’est pour cette raison qu’il fait des efforts, pour se tirer de la gêne où il est au fond des boîtes, & qu’il tâche de gagner le papier percé, dont la graine est couverte. Lorsqu’il est bien conduit, par une chaleur douce & modérée, il mange, dans la journée une quantité de feuilles dont le poids égale celui de son corps. Mais comme son appétit augmente en raison de la chaleur qu’il éprouve, il mange davantage lorsque le degré de chaleur est plus fort. Voilà ce qu’a éprouvé M. Boissier de Sauvages dans son éducation hâtée, ainsi que je l’ai dit plus haut. Il est donc très-important, dans tous les âges du ver, d’observer le degré de chaleur de l’atelier, afin de se régler pour les données.

Dans les premiers jours de la naissance des vers, choisissez la feuille la plus tendre, par exemple, celle de la bourrette de mûrier, ou des jeunes sauvageons. N’en cueillez, pour ainsi dire, que pour le besoin du moment. Cette feuille tendre se flétrit promptement, & dans cet état le ver la dédaigne. Si vous faites la provision pour la journée, après la donnée, remettez le surplus dans un endroit frais, mais point humide ; elle y prendroit une saveur désagréable, & les vers la dédaigneroient. Dans ces premiers jours, il est essentiel de leur donner une nourriture qui les flatte, & l’on ne peut pas mieux y réussir qu’en leur offrant une feuille tendre & bien fraîche.

Plusieurs Auteurs conseillent de hacher la feuille, & l’expérience en démontre la nécessité, lorsqu’elle est large & un peu trop forte : 1°. les petits morceaux présentent plus de bords, & l’on sait que les vers attaquent & rongent la feuille par les bords. 2°. Les vers ont plus de facilité pour se disperser également, puisqu’une feuille coupée en plusieurs morceaux présente infiniment plus de bords, & alors chaque ver trouve sans peine à se placer pour manger. À mesure qu’il grossit, on hache la feuille moins menue, & l’on cesse cette opération après la seconde mue.

Pour faire les levées, la feuille hachée n’est pas commode ; je préférerois, dans ce cas seulement, de donner les feuilles entières, afin de les prendre par le pétiole, lorsqu’elles sont bien couvertes de vers.

On n’est pas d’accord sur le nombre des repas qu’on doit donner aux vers nouvellement nés. Les uns n’en veulent qu’un seul, d’autres deux, trois & même quatre. Lorsqu’on ne donne qu’un repas, la feuille doit être distribuée avec abondance : qu’en résulte-t-il ? la feuille se flétrit avant que le ver ait mangé selon son appétit, & il la dédaigne. Le ver souffre donc de la faim, & la feuille est perdue. Un autre inconvénient assez grave, est, que la litière étant composée d’une feuille tendre, se décompose & pourrit promptement ; les vers respirent donc de bonne heure un mauvais ait ; ce qui présage des accidens pour les âges suivans. Ce n’est pas à l’époque de la naissance des vers, qu’ils exigent des soins pénibles : il suffit d’avoir un peu d’assiduité à les veiller, & à fournir à leurs besoins. La méthode la plus générale, est celle des trois repas ; un de grand matin, le second à midi, & le troisième le soir. Quand on veut donner toutes les six heures, il faut répandre la feuille avec économie. C’est une erreur pernicieuse de donner aux vers à tout moment : 1°. c’est une perte de feuille inutile ; 2°. on augmente la litière, qui fermente facilement & donne un mauvais air ; 3°. le ver mange sans appétit ou se promène sur la feuille ; 4°. il n’a pas le temps de repos nécessaire pour sa digestion. Lorsqu’il est réglé dans ses repas, il se jette avec avidité sur la feuille fraîche qu’on lui donne, la mange sans rien perdre, & il profite beaucoup mieux.

Dans une éducation hâtive, aidée par une chaleur de vingt-six à vingt-huit degrés, les repas doivent être de deux en deux heures pendant les deux premiers jours, & les suivans on les réduit à six par jour pour le reste de l’éducation.

Quelle quantité de feuilles doit-on donner à chaque repas ? L’éducateur intelligent qui a fixé le nombre des repas à trois ou à quatre, juge après le premier, de ce qu’il doit donner au second. Si les vers n’ont laissé que les nervures des feuilles, s’ils lèvent & agitent les têtes avec impatience, lorsqu’il vient pour leur donner le second repas, il augmente un peu la quantité de la feuille. Il faut avoir une attention scrupuleuse de répandre la feuille également par tout, afin que les vers trouvent à manger facilement, sans être obligés de s’entasser les uns sur les autres. Lorsqu’on apperçoit des clairières, c’est-à-dire des places vides, on y jette des feuilles pour y attirer les vers. Il faut qu’ils soient à leur aise dans tous les âges de leur éducation, & aussitôt qu’on s’aperçoit qu’ils sont trop rapprochés, on jette de la feuille hors de la place qu’ils occupent, afin qu’ils s’y portent.

Dans le premier âge des vers, il n’est pas aussi aisé de les éclaircir que dans les suivans, à cause de la petitesse de leur corps. Voici la manière la plus simple d’opérer cet éclaircissement. Donnez aux vers de la feuille nouvelle, sans être hachée ; si vous avez retardé la donnée d’une demi-heure, ils se jeteront sur cette feuille avec avidité, & dans un instant elle en sera couverte. Alors on prend les feuilles par leurs pétioles & on les place sur d’autres claies. Cette manière est plus expéditive, que celle, de soulever, avec une aiguille à tricoter, la couche de feuilles où reposent les vers. On ne craint pas de les meurtrir, puisqu’on ne les touche point. C’est en éclaircissant les vers, qu’on peut juger de leurs progrès. Plus ils seront à leur aise, mieux ils profiteront. À cet âge ils occupent très-peu d’espace ; ainsi on a toujours plus de local qu’il ne faut pour les étendre.

Le moment de la première mue approche, la nature a pourvu à ce que l’animal acquière la force convenable pour passer heureusement ce temps pénible, en augmentant son appétit pendant 24 heures, & quelquefois un peu plus. Cette disposition à manger est appelée petite-frèze. À la seconde mue, elle dure trente-six heures, à la troisième, quarante-huit, à la dernière, soixante. À cette époque, un repas de plus est nécessaire, & la donnée sera plus forte. Cet appétit extraordinaire étant satisfait, l’insecte a plus de force ; son corps rempli d’alimens, se gonfle, sa eau se détend, & la mue s’opère facilement. (Voyez le commencement de cet article sur le mécanisme de la mue).

Voici ce que dit M. de Sauvages, à l’époque de la mue. « On a diminué la dose des repas à la veille de la mue, & on l’a réglé sur le foible appétit de la plus forte masse des vers, & ensuite sur celui des traîneurs, ou ceux qui sont les derniers à s’aliter. Si l’on n’avoit pas cette attention, les vers les premiers alités se trouveroient entre deux couches de feuilles ou de litière, qui, vu l’humidité qu’elle concentre, ne peut être desséchée que par une forte chaleur, ne peut manquer de moisir, & les vers de s’en ressentir tôt ou tard ».

» Pour éviter de trop épaissir la couche de litière, dès que les deux tiers des vers sont alités, on interrompt tout-à-fait les repas au hasard de laisser en souffrance les traîneurs que l’on sacrifie au plus grand nombre. Ces traîneurs, outre le jeûne forcé qu’ils éprouvent, sont encore exposés à leur tour à être ensevelis sous la litière ; car dès que les premiers vers alités, ou environ les deux tiers du total, se sont dépouillés, on reprend les repas & on leur en sert deux ou trois sur la même place, jusqu’à ce que le reste ait mué à un petit nombre près. On tire alors tous ces nouveaux vers de la litière pour les porter à la place qu’on leur a préparée ».

Si on a levé les vers, soit pour les éclaircir ou pour les changer de litière, on aura peu de traîneurs ; tous ceux qui se portent bien muent en même-temps, à quelques heures près. Ainsi l’on n’aura point de vieille litière à la veille de la mue, & les données qui auroient été forcées pour les traîneurs, n’auront pas lieu, & les vers alités ne croupiront pas dans une atmosphère mal saine. Dès que le ver commence à amarer son corps avec les fils de soie, on ne doit plus le déranger. En touchant à la litière on détruiroit les points d’appui qu’il s’est préparé pour faciliter sa mue : il seroit obligé d’en fournir d’autres, ce qui l’épuiseroit, & le rendroit incapable de muer.

Pendant la mue une chaleur trop forte fatigue les vers. Le degré le plus favorable est de dix-huit à vingt. Si elle est au-dessous de quinze, la mue est pénible, & le ver se morfond. Les bonnes mues ne doivent durer que trente heures, ou trente-six au plus. Après la mue il ne faut pas presser les repas ; il est à propos que la plus grande quantité ait mué. À cette époque on peut supprimer un ou deux repas, sans danger : par ce moyen, on donne aux autres le temps de se dépouiller.

On reconnoît que la mue a été bonne : 1°. lorsque les vers s’agitent avec vivacité dès qu’on souffle légèrement sur eux ; 2°. s’ils ne peuvent pas être contenus dans l’espace qu’ils occupoient auparavant ; 3°. quand ils sont parfaitement égaux en grosseur & en longueur ; 4°. S’ils se jettent avec avidité sur la feuille ; 5°. lorsqu’ils ne quittent pas la litière pour errer sur le bord des tables ; 6°. lorsqu’on trouve peu de traîneurs, de malades ou de morts sur la vieille litière.

Au premier âge le ver à soie a sur son corps des poils longs qui disparaissent en partie, à mesure qu’il avance & fait des progrès. Sa couleur d’un brun foncé s’éclaircit de même en devenant plus gros & plus long.

Section II.

Du temps & de la manière de déliter.

Déliter, c’est ôter le ver à soie de dessus la litière, formée par les débris des feuilles & par ses excrémens. Quand faut-il déliter ? le plus souvent qu’il est possible ; les vers en seront beaucoup mieux, n’étant pas exposés à respirer un air vicié. Comment faut-il déliter ? de la même manière que j’ai dit qu’il falloit éclaircir. (Voyez la section précédente). On regardera cette méthode comme minutieuse, mais je soutiens qu’elle est excellente pour entretenir les vers en bon état, & c’est de là que dépendent les succès de l’éducation. Voici la méthode de M. Sauvages, on la trouvera plus expéditive ; mais est-elle meilleure ? Je m’en rapporte à l’expérience.

« Les magnaniers qui donnent peu de chaleur à leurs vers, & beaucoup de feuilles, ce qui est le plus ordinaire, sont sujets à voir la litière s’épaissir sous leur bétail, & doivent être attentifs à en prévenir les mauvais effets. Le remède est de déliter plus fréquemment, lorsque la litière acquiert plus de deux doigts d’épaisseur. On délite de deux façons dans les deux premiers âges ; ou en enlevant entièrement la litière, ou en n’en retranchant que la moitié ; ce qu’on appelle châtrer. Si au besoin de déliter se joint celui d’éclaircir, on enlève tout à fait la litière. On prépare pour cet effet des claies garnies de leurs papiers, le tout séché au feu. On donne un repas de feuilles entières, (ainsi qu’il a été dit ci-dessus, & l’opération est la même). Pour les traînards on resserre la litière en la plissant sous la claie ; les vers épars & les traînards se rendront sur les plis, si on a soin d’y jeter de la nouvelle feuille. Dès que tout est ramassé, on porte ces derniers venus vers leurs camarades, après avoir reconnu leur état de santé. Quant aux douteux & aux malades, on les sépare ».

» S’il n’est question que de châtrer la litière ou d’en diminuer l’épaisseur, on le fait en beaucoup moins de temps, & sans plus de peine. On prend la litière à deux mains par un des bouts pour la soulever à la fois, faisant en sorte de ne pas la déchirer ; tandis qu’on la soutient par dessous avec le papier de la claie : alors on en fait rabattre ou tomber une moitié sur l’autre en la pliant en deux. Pour faciliter l’opération & empêcher en même-temps que les vers des deux côtés ne se mêlent, on met une feuille de papier lissé dans le pli. Une moitié de la litière se présentant de cette façon, par dessous ou à l’envers, on en sépare aisément un lit ou une couche, qui soit la moitié ou environ de l’épaisseur. Cela fait, on remet cette moitié à sa première place en la prenant par dessous le papier lisse ou du côté des vers, & l’on opère sur l’autre de la même manière. Les différentes parties de la litière étant liées & entrelacées dans les commencemens, soit par l’affàissement, soit par les fils de soie que les jeunes vers ont filé, on la manie tout d’une pièce, & sans la séparer, pour peu qu’on y apporte d’attention & d’adresse ».

» On observera encore sur cela ; 1°. que quand on a délité, ou changé la litière, & que les vers ont eu ensuite deux repas, ils risquent moins de passer à travers les trous de la claie & de se perdre. On peut alors tirer les papiers de dessous la litière, qui sera par leur secours plus exposée à l’air, & moins sujette à l’humidité. 2°. Dans les bonnes éducations ordinaires, on se contente de châtrer la litière, une ou deux fois, selon le besoin d’une mue à l’autre, pendant les deux premiers âges ».

Section III.

Du second âge, depuis la fin de la première mue, jusqu’à la fin de la seconde.

À cette époque, la couleur du ver prend une teinte de petit gris, ou gris de perle, parsemée de petites taches noires, mais peu visibles. Les anneaux près de la tête sont d’un gris plus clair. La longueur du ver est, à cet âge, de quatre lignes. Deux ou trois jours après la mue, on distingue sur le milieu du dos deux croissans noirs, placés à côté l’un de l’autre, & dont les pointes sont tournées vis-à-vis les unes des autres.

L’éducation des vers à soie n’exige pas à cette époque d’autres soins que ceux qu’on a déja pris. Comme ils occupent encore peu d’espace, on peut les garder dans l’infirmerie, mais toujours sur des claies numérotées, par les raisons que j’en ai données. On aura soin que tous les vers d’égale force soient ensemble. C’est le cas de faire avancer les derniers afin qu’ils atteignent les premiers. J’ai déja indiqué le moyen qu’il faut prendre, qui consiste à devancer les repas des derniers, & même à leur en donner un de plus, dans la journée. Tout cela doit être combiné avec le degré de chaleur. Cette attention ne paroîtra pas minutieuse aux éducateurs intelligens, qui comprennent combien il est important que tous les vers marchent d’un pas égal vers le terme de leur carrière, qui est la montée ou le coconnage. Quand on a des vers de plusieurs couvées, ou qui ne muent pas dans le même temps, c’est un embarras très-considérable. Je le répète encore, faites, à cet âge, tout votre possible pour que tous les vers de la même couvée muent en même temps.

Il faut continuer à donner de la feuille tendre, & même la hacher, si elle est forte, surtout à l’approche de la seconde mue.

Section IV.

Du troisième âge, depuis la fin de la seconde mue, Jusqu’à la fin de la troisième.

Ne cessez pas d’égaliser les vers après la levée, comme il a été dit. Ils ont fait beaucoup de progrès, car la longueur de leur corps est de dix à douze lignes. Au second jour après la mue, la couleur de leur peau est plus claire & devient un peu blanche. On peut connoître à cet âge, par la couleur des pattes, quelle sera celle du cocon. Si elles sont blanches, le cocon le sera aussi, & si elles sont jaunes, il sera jaune. Les vers commencent à cette époque à consommer beaucoup plus de feuilles que dans l’âge précédent : on aura attention que les données soient plus fortes ; mais on observera toujours dans toutes les données de ne pas répandre la feuille trop épais, sous prétexte que les vers mangent beaucoup. Il vaudroit mieux faire une donnée de plus. Le ver dédaigne la feuille piétinée & échauffée ; s’il ne la mange pas, elle épaissit la litière. J’ai déja dit combien il en résultoit d’inconvéniens.

À cette époque, on met les vers sur les tablettes, en suivant le numéro des claies. Si on n’a pas réussi à les égaliser par les procèdes que j’ai indiqués, il faut toujours essayer d’en venir à bout, dans l’espérance qu’on réussira au moins à la quatrième mue. L’étendue de la surface des tablettes, doit être proportionnée a la quantité de vers. Ceux qui proviennent d’une once de graine, doivent par la suite occuper un espace de soixante pieds carrés, lorsque l’éducation réussit. Il est bien rare qu’on leur accorde autant d’espace. Cependant l’expérience prouve, que plus ils sont resserrés, plus il en meurt, & la raison en est évidente : ceux qui languissent & qui se remettroient s’ils étoient à l’aise, sont étouffés ; ceux qui survivent deviennent malades, à cause du mauvais air qu’ils respirent. Plus ils seront au large, mieux ils réussiront. Voilà une vérité que l’expérience confirme chaque année, rarement il y a des vers malades lorsqu’ils sont au large. N’avez-vous de la place que pour une once de graine, n’en mettez pas deux : vous aurez plus de cocons avec cette seule once, qu’avec deux. J’aurai de la peine à convaincre le simple habitant des campagnes, qui dit, que deux onces donnent plus de vers à soie, qu’une. Cela est vrai, s’il a un emplacement pour cette quantité.

SECTION V.

Du quatrième âge, depuis la fin de la troisième mue, jusqu’à la fin de la quatrième.

Observez à cet âge, comme à tous les autres, la même propreté pour les vers, & ayez soin qu’ils soient au large. Plus ils grossissent, plus ils exigent d’attention relativement à l’air qu’il est nécessaire de renouveler, parce qu’ils en vicient beaucoup plus, puisque leur corps augmente de volume considérablement. Ils en respirent une plus grande quantité, que dans les âges précédens. Il faut changer la litière tous les jours, ou tous les deux jours au moins. Leurs excrémens augmentent en raison de leur nourriture & du volume de leur corps. Or étant beaucoup plus gros, & mangeant considérablement, la litière doit augmenter de même. Toutes circonstances égales, plus les vers sont au large & tenus avec propreté, mieux ils se portent ; par conséquent on peut attendre qu’ils feront de très-beaux cocons.

Au sortir de la quatrième mue le ver a 20 ou 22 lignes de longueur. Sa tête est grosse, son corps gros & ramassé, & le dernier anneau épaté. Il paroît un peu couleur de chair, mais il s’éclaircit deux ou trois jours après, lorsqu’il commence à entrer dans la grande frèze ou brisse.

Section VI.

De la grande frèze ou brisse.

Pendant les deux ou trois premiers jours après la quatrième mue, on donne les repas plus abondans de quatre en quatre heures. On a dû réserver pour cette époque la meilleure feuille & la plus nourrissante, telle que celle des vieux arbres, plantés dans des terreins secs, qui cependant fournissent une bonne végétation. Quelquefois la grande faim du ver à soie, qu’on appelle brisse, se manifeste le second jour après la mue. Il ne faut pas la provoquer par une chaleur trop forte, j’en dirai la raison ; alors il n’y a plus de règle ni d’économie ; satisfaites l’appétit des vers, donnez-leur autant de feuilles qu’ils peuvent en manger ; mais ayez soin de changer fréquemment la litière ; j’en ai déja dit la nécessité. Cet appétit dévorant dure quelquefois pendant sept ou huit jours, mais il est beaucoup plus fort pendant les derniers.

La grande faim des vers est en proportion de la chaleur qu’ils éprouvent : si celle de l’atelier est maintenue à vingt-cinq degrés, ils se hâteront de manger, mais ils resteront un jour ou deux de moins à la brisse ; alors leurs cocons seront minces, peu soyeux, ou, comme on dit, mal étoffès. Plus la brisse se prolonge, (cependant jusqu’à un certain point) meilleur est le cocon. Sa durée ordinaire doit être de six à sept jours, & au plus de huit. Or si la chaleur en diminue la durée, l’éducateur doit donc employer les moyens propres à la prolonger, afin que le ver ait le temps nécessaire pour préparer la matière soyeuse de son cocon. Dans ce cas il faut donner de l’air frais dans l’atelier, ce qui est très-facile, lorsqu’il est disposé tel que je l’ai décrit. Alors les vers mangeront plus long-temps, & leurs cocons seront meilleurs. Si la saison est trop chaude, & qu’on ne puisse pas rafraîchir l’atelier en ouvrant les portes ou les fenêtres, arrosez les planchers plusieurs fois dans la journée, &, ayez, dans l’atelier, plusieurs vaisseaux remplis d’eau. Il en résultera deux bons effets, 1°. l’eau absorbera l’air méphitique répandu dans l’atelier. 2°. La chaleur fera évaporer cette eau ; de cette évaporation produira une sensation de fraîcheur : d’ailleurs l’air sera moins sec & plus facile à respirer. Ces procédés bien simples préviendront la touffe, maladie commune dans les provinces les plus méridionales.

La touffe est occasionnée par l’excessive chaleur de l’air extérieur, qui vicie celui de l’atelier. Cela arrive principalement dans un temps bas, lourd & pesant : l’électricité dont l’air est surchargé, excite une prompte fermentation, soit dans les feuilles à demi-rongées, soit dans leurs débris, soit enfin dans les excrémens des vers ; il en résulte la putridité, & un méphitisme plus ou moins accéléré & plus ou moins funeste. La touffe est en raison de ces genres d’altération. Les personnes accoutumées à fréquenter les ateliers, distinguent aisément l’existence de cette maladie en y entrant. Il faut faire usage des moyens que je viens d’indiquer, & on peut y ajouter le procédé suivant. Dans un plat de terre bien vernissé, jetez une poignée de nitre ou salpêtre ; avec un charbon allumé mettez-y le feu. La déflagration du nitre donnera beaucoup d’air pur, qui corrigera celui de l’atmosphère & le rendra plus propre à être respiré. C’est dans ce cas sur-tout qu’on s’appercevra des bons effets des conducteurs électriques dont j’ai parlé. Les fumigations, les parfums brûlés, sont des procédés plus nuisibles qu’utiles. S’il en résulte quelques bons effets, c’est lorsque la fumée peut facilement être chassée par un courant d’air frais & pur. Dans ce cas, c’est le courant d’air qui corrige celui de l’atelier.

Voici une autre méthode qui réussit assez bien, mais elle est longue & fatigante : elle consiste à plonger, par poignée, les vers dans l’eau froide pendant quelques momens, & à les remettre ensuite sur les tables. M. Sauvages S’est convaincu par l’expérience, qu’un ver pouvoit demeurer pendant un quart-d’heure dans l’eau sans y périr : l’expérience a encore prouvé que des vers suffoqués par l’immersion, revenaient à la vie, en les soumettant simplement à l’impression d’un air frais. Les effets de la touffe sont rares. On reconnoît les vers qui en sont attaqués à la couleur de leur peau qui est blafarde. Ils reprennent leur couleur naturelle, soit après le bain, soit après que l’air a été renouvelé. On ne craint pas la touffe dans un atelier bien construit & armé de conducteurs. En général, toutes les fois qu’on peut renouveler l’air promptement & avec facilité, qu’on tient les vers avec propreté, qu’on ne les laisse pas sur une litière échauffée, on ne doit pas craindre qu’ils éprouvent la touffe.

CHAPITRE IX.

De la montée des vers à soie.

Section Première.

De l’époque où le ver est prêt à faire son cocon.

Sur les derniers jours de la brisse, la longueur du corps du ver à soie, est depuis trente-six lignes environ jusqu’à quarante ou quarante-deux. Il est si plein que sa peau n’est plus susceptible d’extension. Sa grande faim est tellement rassasiée qu’il dédaigne la meilleure feuille. Sa couleur devient claire & transparente ; ce changement s’opère d’abord aux anneaux près de la tête, & ainsi de suite jusqu’à l’extrémité de son corps. Cette transparence est occasionnée par l’expulsion successive des alimens, qui, à cette époque, diffèrent en couleur & en consistance, de ceux des autres âges : ils sont verdâtres & mous. L’insecte ainsi vidé n’a plus la même grosseur. Lorsqu’il est parvenu à cet état, les éducateurs disent qu’il est mûr, ou qu’il est tourné. Dans cet état il est plus alerte, il se met a courir de côté & d’autre, il gagne le bord des tablettes ; & quand on ne le surveille pas, il grimpe par les montans & va chercher à faire son cocon, ou dans la partie inférieure de la tablette supérieure, ou au plancher, ou dans l’encoignure des murs ; enfin dans l’endroit qu’il trouve le plus convenable. À cette époque, on peut voir le brin de soie sortir de sa filière ; il en laisse des traces par tout où il passe. Lorsqu’il est arrivé à ce point, il faut sans plus tarder le placer au pied de la bruyère où l’on veut qu’il monte. Il ne tardera pas à grimper, à s’amarrer, & à s’ensevelir dans son cocon, d’où il ne sortira plus qu’après s’être transformé en papillon.

Section II.

Manière de disposer les tables pour recevoir les vers prêts à coconner.

Pour faire coconner les vers à soie, on se sert communément de bruyère, parce qu’elle est commune. On peut employer de même toutes sortes d’arbrisseaux, ou de rameaux, même les pieds de lavande, si commune sur les montagnes, & le chiendent. De quelque espèce que soient les rameaux qu’on veut employer, il faut 1°. qu’ils soient très-secs. Pour cet effet, on les coupe d’avance afin qu’ils ayent le temps de sécher étant exposés à l’air & au soleil. Si cela ne suffisoit pas & qu’on fût pressé, on les passeroit au four, après en avoir sorti le pain. 2°. Lorsqu’ils sont bien secs, on les bat, on les secoue pour les dépouiller de toutes leurs feuilles qui embarasseroient le ver dans son travail, ou se mêleroient au premier tissu du cocon. 3°. Si les rameaux ou le chiendent sont terreux, il faut les laver à grande eau & les laisser sécher parfaitement. 4°. Dès que les vers à soie sont à la quatrième mue, il faut préparer la bruyère ou les rameaux, dont on aura besoin, afin de les avoir sous la main, lorsque les vers seront prêts à monter. Enfin comme c’est un ouvrage qu’il faut faire, on peut le commencer même plutôt, avant d’être trop pressé, soit pour cueillir la feuille, soit pour donner tous ses soins aux vers, qui en exigent beaucoup après la quatrième mue.

La meilleure manière de placer la bruyère pour recevoir les vers à soie, est de faire des cabanes, ou des voûtes sur les tablettes. Voici comment on y procède. On dispose les rameaux en petits paquets, & on les place près à près les uns des autres, en appuyant le pied sur la tablette inférieure, & en pliant le sommet en forme de demi-ceintre au-dessous de la tablette supérieure, comme s’il s’agissoit de la soutenir. Le côté opposé étant garni de même, l’ensemble formera une voûte, qu’on nomme avec raison cabane. Le bas de la voûte doit être étroit, le milieu s’élargit à mesure que le sommet s’étend. Qu’on se représente plusieurs voûtes en maçonnerie, jointes ensemble par leurs côtés, on aura une idée parfaite des cabanes.

L’ouverture des cabanes doit être du côté de la largeur des tablettes, c’est-à-dire, qu’il faut les construire suivant la largeur, & non pas suivant la longueur. Par cette disposition le service est plus facile ; on peut placer les vers dans toute la longueur de la voûte, ce qu’on ne pourroit pas faire, si elles étoient disposées différemment ; & le courant d’air est bien ménagé. Les rameaux formant la voûte seront espacés de manière que le ver puisse pénétrer sans peine entre les brins, afin qu’ayant tous les points d’appui nécessaires, il puisse se placer sans peine où il veut, & y attacher les premiers supports de son cocon. Sans cette précaution il n’y auroit que le devant des cabanes bien garni.

Lorsqu’on ne veut pas être surpris par la montée, on a la précaution d’avoir à l’avance deux tablettes disposées en cabanes. On travaille aux autres avec moins de précipitation. On porte les vers hâtifs dans ces premières cabanes, & les tablettes sur lesquelles ils étoient, sont tout de suite disposées comme les premières.

Il faut être bien attentif de ne porter les vers à la cabane, qu’au moment où ils sont disposés à monter. Sans cette précaution il faudroit leur donner de la feuille pour les nourrir, & changer la litière, dont la putréfaction seroit plus prompte & plus funeste dans un espace très-resserré. Il est nécessaire d’avoir la même attention pour les vers qui ne mangent plus, & qui ne demandent qu’à faire leur cocon. Il ne faut pas les laisser errer sur les tables ; ils perdent beaucoup de soie en cherchant à s’amarrer, & ils s’épuisent. Dans cet état, ils sont incapables de faire un bon cocon : quelquefois leur corps épuisé se métamorphose en chrysalide sans faire de cocon.

Section III.

Des accidens à craindre à l’époque de la montée.

Voici la question que je me propose d’examiner. Les secousses produites dans l’air par les coups de tonnerre, le bruit occasionné dans le voisinage ou dans l’atelier même, sont-ils capables de faire tomber les vers à soie de la bruyère ? L’opinion la plus commune est, que les secousses occasionnées dans l’air, soit par le bruit du tonnerre, soit par celui des coups de fusil, font tomber les vers de la bruyère ; aussi les habitans de la campagne redoutent-ils les effets du tonnerre, & si les vers ne réussissent pas à la montée, & que le tonnerre se soit fait entendre, ils le regardent comme la seule cause de la perte de leur éducation. Par la même raison, ils évitent avec soin de faire du bruit, par la crainte de déranger les vers dans leur travail.

Mais si l’on consulte l’expérience, l’on se convaincra, que ni le bruit du tonnerre, ni celui d’une forte mousqueterie ne font point tomber les vers, & qu’ils continuent à travailler, comme s’ils étoient dans l’endroit le plus solitaire : voici un fait qui confirme ce que j’avance. Il y a environ trente-cinq ou quarante ans, que chez M. Thomé, grand éducateur de vers, un des premiers qui ait écrit sur la culture des mûriers & l’éducation des vers à soie, nous tirâmes, en présence de plusieurs témoins dignes de foi, plusieurs coups de pistolet, dans l’atelier même, lorsque les vers étoient au plus fort de la montée. Un seul tomba, & il fut reconnu par tout le monde qu’il étoit malade, & qu’il n’auroit pas coconné. Personne ne révoquera en doute le témoignage de M. Sauvages, qui répéta chez lui la même expérience, sans qu’il en résultât aucun effet. L’opinion générale est donc démentie par l’expérience, enfin par des faits absolument contraires à ce qu’elle veut propager.

La secousse occasionnée dans l’air par le bruit du tonnerre, ne nuit donc en aucune manière aux vers qui filent leurs cocons. Mais la fulguration, les éclairs, le bruit, annoncent un amas d’électricité dans l’atmosphère qui se décharge, ou d’un nuage qui en a en sur-abondance, sur un autre qui en a moins ou point du tout ; ou enfin entre des nuages & la terre, jusqu’à ce que l’électricité soit en équilibre dans la masse totale. Cet équilibre ne peut point s’établir, sans que des êtres foibles n’en soient affectés. Ne voit-on pas des personnes dont les nerfs sont délicats ou trop électriques par eux-mêmes, avoir des convulsions & même la fièvre dans pareilles circonstances ? Est-il donc étonnant, que des vers remplis de soie, qui, comme on le sait, devient électrique par le frottement, mais sans transmettre son électricité aux corps qui l’environnent, ne soient cruellement fatigués & tourmentés par leur électricité propre, & par la surcharge qu’ils reçoivent de celle de l’atmosphère ? Si à cette première cause, une seconde vient se joindre, on reconnoîtra évidemment ce qui occasionne la chute des vers, & on ne l’attribuera plus aux secousses produites dans l’aîr par le bruit du tonnerre, &c.

Avant que l’orage se décide, le temps est bas, lourd & pesant ; la chaleur si suffocante qu’on peut à peine respirer ; la vapeur semble accabler la nature, on ne ressent pas le vent le plus léger, on ne voit pas une seule feuille agitée ; les substances animales se putréfient promptement, enfin la touffe se manifeste plus ou moins en raison de l’air atmosphérique, & surtout de celui de l’atelier. Les vers peuvent donc éprouver une asphixie dans ces momens critiques. Le tonnerre & les éclairs, indiquent le mal, mais ne font pas le mal. Il faut donc employer les moyens que j’ai indiqués en parlant de la touffe. Il en résultera de bons effets.

CHAPITRE X.

Du temps où il faut décoconner ou déramer.

Voici l’époque où l’éducateur va jouir du fruit de son travail, de ses peines &, de ses soins, par une récolte de cocons. S’il a gouverné ses vers à soie, en observateur qui cherche à s’instruire, il jugera de même si les procédés employés sont couronnés par un succès certain. Enfin les personnes qui pensent qu’il faut mettre beaucoup de graine, sans considérer si elles pourront loger tous les vers qui en proviendront, sauront ce qu’une once a produit, & ce qu’elle produiroit en observant ce que j’ai dit à ce sujet.

Déramer, ou décoconner, c’est enlever la bruyère des tablettes, dont on s’étoit servi pour faire des cabanes, afin d’en séparer les cocons. Quelle est la véritable époque de cette opération ? aussitôt que le ver à soie a jeté sa dernière matière soyeuse ou son dernier fil. Mais comme il travaille dans l’intérieur de son cocon, nous ne pouvons pas connoître l’instant où il finit son ouvrage. D’après plusieurs expériences, on s’est convaincu, en ouvrant des cocons, à différentes époques, que le ver à soie étoit quatre jours à filer son cocon. À la fin de ce terme, on peut donc le détacher de la bruyere. Si tous les vers d’une même éducation montoient dans la même journée, à la cinquième on pourroit déramer. Il est à propos, lorsqu’on vend ses cocons, de ne pas les laisser dans la bruyère, plus long-temps qu’il n’est nécessaire pour leur perfection, parce qu’ils sèchent, & le poids diminue, ce qui est une perte pour le vendeur. Quant à la qualité de la soie, elle n’en est point altérée.

Mais quoique les vers soient bien gouvernés, il est très-difficile qu’ils marchent tous d’un pas égal. Dans la même éducation il y a toujours une différence de plusieurs heures dans les mues, ainsi que je l’ai observé. Cette même différence doit avoir lieu à la montée. Ainsi, quoiqu’il soit certain que le ver ne mette que quarre jours à faire son cocon, il ne faut pas rigoureusement déramer au cinquième ; d’ailleurs ils ne travaillent pas tous avec une activité égale ; les uns sont trois, les autres quatre, & peut-être cinq jours & plus à perfectionner leur ouvrage. Il est donc prudent d’attendre huit ou dix jours avant de déramer, en comptant depuis le commencement des premiers cocons.

Lorsqu’on détache les cocons de la bruyère, on doit avoir l’attention d’en séparer la première bave, qu’on nomme bourre, & les petits brins de feuille des rameaux, ou de la bruyère, qui peuvent être attachés aux fils de soie. C’est un soin qu’il faut recommander principalement aux enfans qu’on emploie à cet ouvrage. Quand on laisseroit une livre de bourre sur cent livres de cocons, ce seroit beaucoup, & elle suffiroit pour déparer la récolte, qui n’offriroit pas un coup-d’œil favorable à l’acheteur.

CHAPITRE XI.

Manière d’étouffer les cocons pour empêcher la chrysalide de se former en papillon.

Il seroit bien avantageux de fiser les cocons aussitôt qu’ils sont enlevés de la bruyère. La soie en seroit plus belle, mieux lustrée, le brin plus fort & plus facile à tirer. Mais cela n’est pas pratiquable pour les personnes qui font le commerce d’acheter des cocons pour les faire filer : elles ne pourroient jamais réunir des fileuses en assez grand nombre. On peut différer la naissance des papillons, en tenant les cocons dans un endroit frais, mais pas humide, parce que la qualité de la soie en seroit altérée ; malgré cette précaution, les papillons percent au bout d’un mois, & quelquefois plutôt.

L’usage le plus ordinaire est d’étouffer les cocons pour faire mourir la chrysalide, & la nécessité prescrit ce moyen, sans lequel on perdroit une récolte entière. La méthode la plus ordinaire pour cet effet, est d’avoir de grands paniers dans lesquels on met les cocons ; on les couvre avec des chiffons de vieux linge ou d’étoffe ; dans cet état on les porte au four, après en avoir retiré le pain ; ils y restent environ une heure. Si la chaleur est trop forte, le brin de soie peut être calciné, alors il se rompt à tout moment pendant le tirage. Il est dont très-important de s’assurer du degré de chaleur du four, avant d’y mettre les cocons. Le quatre-vingtième degré, qui est celui de l’eau bouillante, suffit pour faire mourir le ver.

Cette méthode est la plus usitée, parce qu’elle est facile, & n’occasionne pas de dépense : mais elle a l’inconvénient de nuire à la qualité de la soie, de dessécher le fil, de lui enlever la partie gommeuse qui le rend si beau & si lustré. Pour s’en convaincre, il suffit 1°. de comparer des cocons passés au four, avec ceux qui n’ont pas subi cette opération : ces derniers sont en effet plus beaux, ils ont tout leur brillant, tandis que les autres ont une couleur pâle & qui n’est point lustrée. 2°. La soie des cocons qui n’ont pas subi l’épreuve du four, a une couleur plus belle & mieux lustrée ; comparez-la avec la soie des autres cocons.

L’immersion des cocons dans l’eau bouillante doit faire mourir le ver, sans altérer autant la qualité de la soie, que la chaleur du four, qui dessèche trop le fil, & surtout la partie gommeuse qui lui donne le lustre. Voilà une expérience que je propose aux observateurs. Aussitôt que les cocons seroient sortis de l’eau, on les mettroit sur des claies très-claires où ils égoutteroient & sécheroient promptement.

CHAPITRE XII.

Du choix des cocons pour graine, de l’accouplement des papillons & de la ponte.

Avant de vendre les cocons ou de les faire filer, il faut choisir sur la totalité, ceux dont on a besoin, afin d’avoir de la graine pour l’année suivante. Rapportez-vous-en à vous-même, vous serez toujours plus assurés de votre récolte, en suivant les procèdes que je vais indiquer, que si vous donnez votre confiance aux marchands. On compte communément une livre de cocons pour avoir une once de graine. Il arrive quelquefois qu’elle en donne plus, & d’autres fois moins : par conséquent, il ne faut pas être rigoureusement exact sur le poids, & en mettre un peu plus, afin de n’être pas trompé dans son calcul. Ainsi je crois, qu’en mettant un sixième ou un huitième au-dessus de la livre, on aura au moins une once de graine.

Il seroit à désirer qu’on pût distinguer parmi les cocons, ceux qui renferment les chrysalides qui donneront un papillon mâle ou femelle. Il y a des bonnes femmes qui prétendent avoir cette connoissance, & elles assurent que les cocons bien arrondis aux deux bouts donneront des femelles, & ceux qui sont un peu pointus, des mâles. Ces indices sont très-incertains. J’ai vu choisir des cocons très-arrondis, qui produisoient autant de papillons mâles que de femelles ; & quoiqu’on ait chaque année l’attention de ne prendre que des cocons bien arrondis, tantôt on a plus de mâles, tantôt plus de femelles. On est heureux, lorsqu’on a à-peu-près autant des uns que des autres. Pour avoir des connoissances un peu moins équivoques, des amateurs devroient observer la sortie des papillons, & examiner ensuite le cocon d’où ils sont sortis. En observant avec une attention très-scrupuleuse, la couleur & le tissu du cocon, peut-être pourroit-on acquérir des indices plus certains que ceux qu’on prétend avoir.

Dans le choix des cocons, il faut toujours prendre ceux des rames dont les vers ont été les plus hâtifs à monter. Cette promptitude à coconner, est une preuve qu’ils ont joui d’une bonne santé pendant tout le cours de leur éducation, ce qui est une présomption favorable pour la génération qu’ils donneront. Il est encore très-certain, qu’un ver qui a été paresseux dans ses mues, & dont la vie a été prolongée au-delà du cours ordinaire, a souffert : son cocon sera donc d’une qualité médiocre, & le papillon qui en sortira, moins vigoureux que si le ver eût été toujours bien portant. Par la même raison, il faut dédaigner les cocons des vers qu’on a mis dans des paniers, où ils ont été couverts & étouffés, pour les obliger à coconner. Il y a des habitans de campagne, peu éclairés, qui, par une économie mal entendue, prennent ces cocons pour avoir de la graine, de même que ceux qui sont tachés. Voici leur raisonnement. Ces cocons donneront des papillons comme les autres. Si nous les laissons dans le tas, ils dépareront notre récolte, & nous la vendrons moins. Mais ils ne font pas attention que les papillons sortis de ces cocons seront foibles, puisque le ver aura souffert : la graine se ressentira de ce vice, ainsi que les vers qui en proviendront. Quant aux cocons qui sont tachés, si c’est par un accident extérieur, ils sont bons ; mais la tache peut aussi être la preuve que la chrysalide ait souffert, & alors le papillon ne sortira peut-être pas.

Il ne faut pas prendre les cocons doubles pour avoir de la graine. Ils sont ainsi nommés, parce qu’ils contiennent deux chrysalides. Il est facile de les distinguer des autres, par leur tissu grossier, serré ; par la bourre épaisse dont ils sont enveloppés ; enfin par leur couleur un peu grisâtre, & en général toujours différente de celle des autres de la même éducation. Les papillons des cocons doubles sont aussi bons que les autres pour reproduire leur espèce, il y auroit même de l’avantage à les y destiner ; mais le cocon étant très-épais, d’un tissu fort & serré, le papillon a beaucoup de peine à le percer, & il en sort épuisé ; par conséquent il est peu propre à reproduire son espèce. Ne pourroit-on pas aider le papillon dans son travail ? oui, si l’on savait comment il est disposé dans sa coque, & par quel bout il sort. Le meilleur moyen seroit d’ouvrir le cocon, & d’attendre le changement de la chrysalide en papillon. Il resteroit toujours à savoir si cette opération ne nuiroit point à la chrysalide, en l’exposant à l’air avant le terme fixé par la nature. Voila encore une expérience à faire ; je la propose aux éducateurs qui ont le temps & la facilité de l’entreprendre. La réussite seroit très-avantageuse, c’est-à-dire, si la graine qui proviendroit de ces papillons, étoit bonne. La soie qu’on retire des cocons doubles est d’une qualité bien inférieure à celle des simples : elle est grossière, & on ne peut pas l’employer pour les étoffes fines. On en fait communément des bas, qui ne sont pas beaux, quoiqu’ils soient de durée.

Il y a des cocons de quatre couleurs ; le blanc, le vert-céladon, l’incarnat pâle, & l’orangé. La première couleur est recherchée, parce qu’on vend plus cher les cocons, qui sont ordinairement destinés à faire des fleurs. On a soin d’en mêler quelques-uns parmi ceux qui sont destinés pour la graine. Les deux couleurs suivantes sont les plus estimées. On préfère communément les petits cocons au gros, avec raison, car l’expérience a démontré, dans le tirage, qu’un petit cocon Piémontois ou Espagnol, fournit plus de soie qu’un gros. Leur tissu est serré, le fil mince, & leur parchemin épais. Quand on les presse avec deux doigts, on a plus de peine à les faire céder, que les gros.

Lorsqu’on a fait le choix de la quantité de cocons, dont on veut avoir les papillons, il faut s’assurer de la vie de la chrysalide, en secouant chaque cocon auprès de l’oreille, avant de l’enfiler. Si elle est morte & détachée du cocon, elle rend un bruit aigre ; le muscardin ou cocon dragée, rend le même bruit. Mais lorsque la chrysalide est vivante, elle rend un bruit sourd, & elle a moins de jeu dans le cocon. Quand on enfile les cocons en forme de chapelet, il faut enlever toute la bourre qui enveloppe le cocon ; elle embarrasseroit les pattes du papillon au sortir de la coque. Pour former un chapelet, il faut percer légèrement le cocon avec l’aiguille, de façon que le fil ne passe pas dans l’intérieur.

Après avoir enfilé tous les cocons destinés pour graine, on suspend les chapelets à des perches ou à des clous enfoncés dans le mur, & l’on attend que le papillon sorte. Il faut les placer dans un endroit tempéré, afin que la chrysalide ne soit pas trop hâtée. Depuis la perfection du cocon, elle reste quinze ou vingt jours, avant sa métamorphose en papillon. À cette époque, il faut visiter les chapelets tous les matins, depuis le lever du soleil jusqu’à huit ou neuf heures ; c’est le temps où l’on trouve les papillons sortis de leur coque. On les enlève tout de suite pour les placer sur une table destinée à les recevoir, & où on les fait accoupler. Cette table sera couverte d’une vieille étoffe, telle que du voile ou de l’étamine, afin que le papillon puisse aisément s’y cramponner. On place sur le mur de pareils morceaux de vieille étoffe, sur lesquels on porte les femelles après l’accouplement ; on a soin de relever la partie inférieure de ces morceaux d’étoffe en forme de bourrelet, pour recevoir la graine qui pourroit tomber à terre sans cette précaution.

Aussitôt qu’on a vu quelques papillons, il faut tous les matins visiter les chapelets, ôter les papillons de dessus les cocons, & les placer sur la table, les mâles d’un côté, les femelles de l’autre. Si on en trouve qui soient déja accouplés, on les prend par les ailes, & on les transporte doucement sur la table. Les mâles sortent plus promptement que les femelles, & dans une matinée on en a quelquefois plus que de femelles. Après l’accouplement on met les surnuméraires de côté, pour servir le lendemain, en cas de besoin. On distingue aisément le mâle de la femelle ; il est d’une taille & d’un corsage plus mince qu’elle, & beaucoup plus vif. Ses antennes sont garnies de cils ou poils noirs, plus serrés que ceux de la femelle : le battement de ses ailes est continuel, précipité ; la vitesse de ce mouvement semble annoncer le besoin & le désir de s’accoupler. La femelle a une marche lente, elle traîne pesamment son ventre qui est très-gros : ses antennes sont peu garnies de poil, & pendent de chaque côté.

Lorsqu’on a ramassé tous les papillons, mâles & femelles, (ce qu’on doit faire tous les matins) il faut procéder à l’accouplement de cette manière. Placez une femelle sur le morceau d’étoffe, dont la table est couverte, & mettez un mâle à côté d’elle. Suivez toujours la même ligne, en mettant la femelle & le mâle à côté l’un de l’autre. Quand une ligne est finie, commencez-en une autre jusqu’à ce que tous les papillons de la journée soient employés. S’il y a des mâles ou des femelles surnuméraires, placez-les sur une autre table jusqu’au lendemain que vous pourrez les accoupler. Il n’y a pas à craindre qu’ils viennent trouver & déranger ceux qui sont accouplés, attendu qu’ils ne font pas usage de leurs ailes pour voler, & qu’ils marchent très-lentement. Aussitôt que le mâle est près de la femelle, il bat des ailes avec une vitesse extrême, & il s’accouple tout de suite.

La fécondité de la femelle dépend de la durée de l’accouplement, qui doit être de neuf ou dix heures. Alors on les sépare doucement, pour porter la femelle sur le morceau d’étoffe qui est sur le mur, où elle fait sa ponte pendant la nuit. On réserve les mâles, qui paroissent encore vigoureux, pour le lendemain, afin de les donner aux femelles, s’il n’y en avoit pas de nouveaux, qu’il faut toujours préférer à ceux qui ont servi.

Quand on ne sépare pas le mâle de la femelle, l’accouplement dure quelquefois pendant dix-huit ou vingt heures, ce qui est très-nuisible à la ponte, car la femelle meurt quelquefois sans avoir pondu, ou après avoir pondu une centaine d’œufs au plus. Si l’accouplement ne dure pas assez, les femelles pondent peu, & souvent des œufs stériles. Lorsqu’on les sépare au bout de deux ou trois heures, on ne peut le faire qu’avec beaucoup de peine, & alors on occasionne des tiraillemens aux organes qui rendent la ponte plus difficile & moins abondante. Une femelle accouplée pendant neuf ou dix heures, pond au moins cinq cent œufs avec facilité. Lorsque la ponte est finie, la femelle tombe épuisée de dessus le morceau d’étoffe ; ou on l’ôte, pour faire place aux autres, dès qu’on s’aperçoit qu’elle ne pond plus.

L’endroit où l’on fait accoupler les papillons ne doit point être trop chaud ; il vaut mieux qu’il soit un peu frais. Il faut préférer l’exposition du nord, à celle du midi. Lorsque la chaleur est considérable, la femelle se sépare du mâle au bout de deux ou trois heures, pond quelques œufs & s’accouple de nouveau. Cette sorte de libertinage est très-nuisible aux pontes, elles réussissent mal, sont peu nombreuses & les œufs ne sont pas tous également fécondés. Il est donc très-important de ne point placer les papillons dans un endroit trop chaud.

Les personnes qui veillent aux accouplemens doivent, 1°. visiter les chapelets chaque jour, vers les six ou sept heures du matin. C’est le temps où les papillons sortent le plus ordinairement. On y va aussi de temps en temps dans la journée, afin d’ôter les papillons qui pourroient être sortis, & qui s’accoupleroient sur les cocons. 2°. Tous les papillons qu’on trouvera sortis, seront placés sur les morceaux d’étoffe, comme je l’ai dit. 3°. Pendant la durée de l’accouplement, qui est ordinairement de neuf, dix & quelquefois douze heures, on ira examiner s’il n’y a pas des mâles & des femelles séparés, afin de les rapprocher, de la manière que je l’ai observé. 4°. On remarquera les femelles obstinées à se séparer, pour les placer sur un morceau d’étoffe différent de celui où l’on mettra celles dont l’accouplement étoit complet, afin de ne pas confondre les œufs bien fécondés avec ceux qu’on doute l’avoir été comme il faut. 5°. On aura une grande attention à ne pas mettre les mâles nouveaux venus, avec les anciens qui ont déja servi. Ces derniers seront jetés, si les nouveaux sont assez nombreux pour servir aux accouplement. 6°. On tiendra la porte & les fenêtres fermées, de l’endroit où sont les papillons, afin que les poules ne puissent pas y aller pour les manger. Elles en sont très-friandes. On les en régale, si on veut, lorsque la ponte est finie.

CHAPITRE XIII.

Des moyens de conserver la graine jusqu’au temps de la couvée.

Lorsque toutes les femelles ont fini leur ponte, il faut les jeter. On laisse les morceaux d’étoffe sur lesquels la graine est collée, attachés au mur, pendant quinze jours environ, si l’endroit n’est pas trop chaud ; autrement il seroit nécessaire de les placer dans un endroit frais, afin d’éviter la fermentation que pourroit occasionner une chaleur trop forte, & peut-être le développement du germe, qui sans être suivi de la naissance du ver, lui nuiroit considérablement. On évitera avec soin de balayer, & de ne rien faire qui puisse occasionner de la poussière : elle se colleroit sur la coque fraîche des œufs, en boucheroit les pores, & le germe courroit risque d’être étouffé. Au bout de quinze ou vingt jours, on détache les morceaux d’étoffe de dessus le mur, & l’on dispose la graine de façon qu’on puisse la conserver jusqu’à l’année suivante.

Il faut user des mêmes précautions pour conserver la graine, que pour la ponte ; c’est-à-dire, qu’on doit éviter de la tenir dans un endroit chaud, où elle éclôroit infailliblement au bout d’un certain temps. Placez-la donc dans un endroit frais, mais sans être humide, car elle seroit exposée à la moisissure ou à la fermentation, & alors elle seroit gâtée. Je n’approuve pas la méthode des personnes qui détachent la graine des morceaux d’étoffe, quinze ou vingt jours après la ponte, pour la placer dans des pots de terre vernissés, ou dans des vases d’étain. Elle peut s’échauffer, si elle est trop entassée. On est obligé de la visiter souvent, de la remuer. Sans cette précaution, on court les risques de la fermentation.

J’aime beaucoup mieux la méthode simple des magnaniers. Voici en quoi elle consiste. Quinze jours environ après la ponte, ils détachent du mur les morceaux d’étoffe sur lesquels la graine est collée, ils mettent un vieux linge blanc de lessive, par-dessus, & font un rouleau de chaque morceau. Tous ces rouleaux sont mis dans un sac suspendu au plancher & à un courant d’air. Si la chaleur devient trop forte, le sac est porté dans un endroit frais, mais pas humide, & déposé dans un coffre ou dans une armoire. Lorsque la chaleur diminue, le sac qui renferme la graine, est de nouveau suspendu au plancher dans un endroit ou il a un courant d’air. Dès que l’hiver approche, on promène encore le sac, & on le suspend au plancher de la chambre, où l’on fait le ménage. Si le froid devient rigoureux, le sac est suspendu au ciel du lit du côté des pieds, & aussitôt que le froid cesse d’être rigoureux, il est remis au plancher de la chambre où l’on fait le ménage. Quoiqu’on y fasse du feu presque tout le jour, la chaleur n’y est jamais assez considérable pour qu’elle soit nuisible à la graine. En suivant ce procédé, on est presque assuré que la graine sera toujours à-peu-près à la même température, & qu’au temps de la couvée elle éclôra également.

Relativement à ce procédé, il ne faut pas me citer nos chenilles indigènes, dont les œufs passent l’hiver en pleine campagne, exposés à toutes les intempéries de la saison, & qui cependant éclosent au printemps ; & dire que les soins minutieux qu’on prend pour conserver la graine des vers à soie sont inutiles. Je répondrois à ce raisonnement : 1°. Après un hiver rigoureux, n’y a-t-il pas moins de chenilles, qu’après un hiver doux ? Le froid a donc fait périr une grande quantité d’œufs. 2°. Le ver à soie n’est pas indigène à notre climat ; il faut donc le rapprocher du sien, & qu’il s’aperçoive peu du changement, si nous ne voulons pas altérer l’espèce. Tout cela doit être un effet de nos soins. 3°. Le ver à soie peut vivre, coconner, se métamorphoser, pondre sur les arbres, dans le pays d’où il est originaire. Dans notre pays, au contraire, il périroit s’il étoit abandonné à lui-même. 4°. Les Chinois, comme je l’ai observé dans le cours de cet article, font des éducations de vers à soie, comme nous ; ils en prennent les mêmes soins. Cependant leur climat est bien plus chaud que le nôtre : leur soie tant vantée, est le fruit des éducations domestiques. Continuons donc d’avoir les mêmes soins, si nous voulons réussir dans nos éducations.

J’avoue, qu’il n’y a qu’une très-forte gelée capable de faire périr le germe des œufs, qui y seroient exposés. Mais sans le faire périr, elle retarde son développement ; & comme tous les œufs ne l’éprouveroient pas également, la couvée seroit très-inégale, ce qui est un grand défaut dans une éducation ; on a beaucoup de peine à le réparer malgré les soins les plus assidus. La chaleur est encore plus dangereuse que le froid, & même que la gelée. Car si la graine venoit à s’émouvoir quand on la met dans les nouets ou dans les boîtes, elle seroit étouffée dès les premiers jours. Pour bien hiverner la graine, il faut se conformer au temps, & la changer de place selon les circonstances, c’est-à-dire, suivant la température qu’on éprouve.

Aussitôt que le temps de la couvée approche, il faut la détacher des morceaux d’étoffe sur lesquels elle est collée. On prend la lame d’un couteau très-mince, & point affilée ; on la passe entre l’étoffe & la graine, qui se détache aisément.

CHAPITRE XIV.

Est-il avantageux de faire plusieurs éducations de vers à soie dans le courant de la même année[1] ?

Il y a trois ans environ qu’un éducateur de vers à soie, nommé Bertezen, démontra à la Société d’agriculture de Paris, qu’on pouvoit en faire trois éducations dans le courant de la même année. Je ne l’ai point connu, il est mort. Je vais donc parler à ceux qui pourroient tenir à son opinion, que je regarde comme une erreur en économie.

Un agriculteur occupé de s’instruire, pour faire part de ses connoissances à la classe des cultivateurs qui n’a pas le loisir ni les moyens de faire des expériences, doit bien prendre garde de ne pas trop se passionner pour l’objet qu’il cherche à approfondir par ses observations. Il peut en naître des erreurs bien funestes. Un amateur qui a la manie des vers à soie, ne voudroit voir que des mûriers dans ses champs. Celui qui aime les abeilles, placeroit des ruches par-tout, sans considérer si le canton peut les nourrir, &c. Je pourrois citer des exemples de ces sortes de folies, & nommer des personnes que la manie des vers à soie a ruinées. Suivons le cours des saisons, en faisant chaque chose dans son temps. Ne forçons pas la nature ; mais recevons ses bienfaits sans la contraindre à nous donner plus qu’elle ne peut.

Il y a deux questions à résoudre. La première : Est-il possible de faire plusieurs éducations de vers à soie ? La seconde : Seroit-il avantageux de l’entreprendre ?

Quant à la première question, j’avoue la possibilité d’avoir deux & même trois couvées de vers à soie. dans le courant de la même année. Lorsque l’été est très-chaud, nous voyons les chenilles se métamorphoser en chrysalides de bonne heure, se changer en papillons, faire leur ponte qui éclôt bientôt, & nous donner une seconde génération de chenilles. Mais on remarque aussi, que l’année suivante les chenilles sont beaucoup plus rares, parce que la dernière ponte, trop tardive, réussit mal. Par la même raison, nous pouvons avoir dans la même année, deux ou trois couvées de vers à soie en ayant recours à l’art. Cette possibilité admise, examinons quelle seroit la nature des vers à soie, à leur seconde ou troisième génération, dans la même année.

Dans le cours d’une année, la nature accorde au ver à soie, comme aux autres chenilles, une existence de quarante ou cinquante jours, au plus. Après cette durée, il s’ensevelit dans sa coque, s’y transforme en chrysalide, & en sort, au bout de quinze jours environ, sous la forme de papillon. Il fait aussitôt sa ponte, & meurt quelques jours après. Dans l’éducation domestique le ver à soie étant bien soigné, ne vit que trente-cinq ou quarante jours au plus. Si la nature a borné son existence à quarante jours, dans son état de ver, à dix ou douze, dans l’état de papillon, le reste du temps est donc nécessaire pour la perfection de la seconde génération. Si l’art vient à l’accélérer, il est probable que ce sera au préjudice du ver, qui sortira de l’œuf avant le terme fixé par la nature ; & si l’art, au lieu de deux générations, en produit trois, la dernière sera encore plus foible que la seconde.

Maintenant, je vais examiner en économiste ; 1°. s’il est possible de faire deux éducations de vers à soie dans la même année ; 2°. s’il est avantageux de l’entreprendre ; 3°. s’il est utile de propager l’éducation des vers à soie dans les pays du Nord.

Je ne dis point qu’il soit physiquement impossible de faire deux éducations de vers à soie, mais qu’il est impossible d’avoir une seconde éducation avec les avantages de la première. Bien plus, j’ose avancer que c’est perdre son temps, & s’exposer à être obligé de renoncer à cette branche d’économie, pour les années suivantes. Voici sur quoi je fonde mon opinion.

Première difficulté par rapport aux arbres. Le mûrier est le seul arbre, dont la feuille puisse nourrir le ver à soie, & lui fournir la matière propre à filer son cocon. Il est inutile d’insister sur ce fait, tout le monde en convient. Si le mûrier est le seul arbre qui donne des feuilles propres à la nourriture des vers à soie, le cultivateur est donc intéresse à le ménager, & surtout à ne pas l’épuiser par une seconde cueillette de ses feuilles. Les amateurs de nouveautés regardent ceci comme un paradoxe, ou comme un ancien préjugé. Il faut les convaincre. Le mûrier est un arbre utile, dont on a fait aussi un arbre d’agrément, à cause de la beauté de son feuillage. Qu’on le compare avec celui qui est dépouillé tous les ans, il paroîtra en meilleur état que lui. Le dépouillement de ses feuilles lui est donc nuisible ! Ce fait est si certain, que les agriculteurs intelligens taillent les mûriers qui en ont besoin, aussitôt qu’ils sont dépouillés, afin qu’ils ayent moins de feuilles à pousser, & que les jeunes scions puissent se fortifier par la seconde séve. Or, si au lieu d’une cueillette on en fait deux, le mûrier donnera une troisième feuille dans la même année, par conséquent ce sera un effort de séve qui tournera à son préjudice, puisque la séve qui produit de nouvelles feuilles, sera en diminution de celle qui auroit fortifié les nouvelles pousses. L’arbre s’affaiblira, buissonnera & périra peut-être au bout de deux ou trois ans.

Un arbre se nourrit par les feuilles comme par les racines. Les feuilles sont des suçoirs par lesquels la plante tire de l’air les principes qui forment la séve descendante. Les racines élaborent & attirent les élémens de la séve montante. Ainsi, comme dit M. Bonnet, « les végétaux sont plantés dans l’air, à-peu-près comme ils le sont dans la terre. Les feuilles sont aux branches, ce que le chevelu est aux racines. L’air est un terrain fertile où les feuilles puisent abondamment des nourritures de toute espèce ». D’après ces vérités, il est constant que le dépouillement des feuilles est nuisible aux arbres, puisqu’on les prive d’une partie des organes qui leur transmettent la nourriture dont ils ont besoin.

Deuxième difficulté par rapport à la qualité de la nourriture des vers. Dès qu’ils sont éclos, ils ont besoin de manger ; il faut donc leur distribuer une feuille très-tendre. Où la trouver à l’époque d’une seconde couvée ? Les derniers arbres dépouillés sont les seuls qui ayent une feuille naissante : ira-t-on la cueillir à peine sortie du bouton ? C’est le moyen d’épuiser l’arbre, & l’exposer à mourir l’année suivante, en lui ôtant les feuilles qui alloient réparer ses pertes. Les sommités des premiers arbres cueillis peuvent fournir quelques feuilles tendres ; mais suffiront-elles jusqu’à la seconde mue ? hachera-t-on la feuille ? Cette opération la divisera sans la rendre plus tendre. À l’époque d’une seconde couvée, qui seroit dans le courant de juillet, la chaleur est excessive, la sécheresse souvent très-grande ; la feuille du mûrier doit donc être très-dure : les vers en mangeront peu & lentement ; par conséquent leur existence sera plus prolongée que celle des vers de la première couvée. À cet inconvénient, il faut ajouter celui des orages & des touffes. J’ai dit plus haut combien ils étoient nuisibles aux vers.

Troisième difficulté. Défaut des personnes nécessaires pour une seconde éducation. À l’époque de la première éducation des vers à soie, qui commence en mai & finit en juin, il n’y a pas des travaux pressans à faire dans es champs ; on peut donc se livrer à l’éducation des vers à soie, sans que les autres objets d’agriculture en souffrent. Les femmes soignent les vers à soie ; les hommes vont cueillir la feuille & chercher la bruyère pour la montée. Pendant le temps de l’éducation, tout le monde est occupé aux vers à soie. La récolte des cocons est à peine finie, que la fenaison demande des bras : il faut ensuite moissonner, battre les gerbes ; certainement personne ne reste sans occupation dans une ferme. À cette même époque, une partie des femmes est occupée au tirage de la soie, les jeunes personnes à tourner le dévidoir ; ce travail étant fini, tout le monde passe au moulinage de la soie où il est occupé pendant tout l’hiver. Le battage des grains est à peine fini que la vendange approche, ensuite la cueillette des noix, des châtaignes, des olives ; la récolte du sarrasin, des pommes de terre, &c. Trouvez donc du monde qui puisse se livrer à une seconde ou troisième éducation de vers à soie, sans que les autres récoltes en souffrent.

Il faut encore considérer, que les personnes qui ont suivi une éducation de vers à soie, ont besoin de se livrer à des occupations, qui leur permettent de respirer un air pur. Celui des ateliers, malgré toutes les attentions de la propreté, est toujours chargé de méphitisme ; quand on le respire continuellement, on peut en être incommodé ; & je suis persuadé, qu’une personne qui passeroit quatre ou cinq mois à faire des éducations de vers à soie, courroit le risque de tomber malade, pour avoir respiré un mauvais air pendant longtemps.

En supposant qu’on eût assez de personnes pour entreprendre une seconde éducation de vers à soie, seroit-il avantageux de le faire ? Non : j’ai déja démontré combien un second dépouillement étoit nuisible aux mûriers. J’ajouterai encore, qu’il seroit même à propos de leur accorder du repos à la troisième année, bien loin de les dépouiller deux fois : lorsque la taille a été un peu forte, il ne faudroit pas les effeuiller l’année qui la suit, afin de donner aux pousses le temps de se fortifier. Pour faire une seconde éducation sans cueillir deux fois les mûriers, on pourroit en avoir de réserve : mais pourquoi multiplier les travaux ? Ne vaut-il pas mieux réunir ces deux éducations dans le temps où l’on trouve avec facilité des personnes pour s’en occuper ? Est-ce le local qui manque ? Si les moyens ne permettent pas de l’augmenter, il faut savoir se borner, & ne pas entreprendre plus qu’on ne peut faire. C’est une mauvaise spéculation que celle de vouloir trop embrasser. L’économie rurale est une sorte de commerce qu’il faut proportionner avec ses facultés & ses talens, si l’on ne veut pas se ruiner. Le naturaliste dit : par les secours de l’art, je puis avoir trois générations de vers à soie dans la même année ; donc je puis faire trois éducations & avoir trois récoltes de cocons. Cela est vrai. Mais l’économiste doit dire : une bonne éducation suffit, il est avantageux de l’entreprendre, de la suivre avec soin, on est presque assuré du succès. Quant à une seconde, comment la nourrir sans nuire aux arbres ; comment la gouverner sans porter préjudice aux autres productions de la terre qui demandent nos soins ? Il n’y a donc aucun avantage à l’entreprendre. Laissons les amateurs de nouveautés exercer leur curiosité sur ces objets.

La soie est un objet de luxe ; faut-il lui sacrifier ceux qui sont de nécessité ? Tout le monde répondra : non. Voilà cependant ou nous conduiroit le systême de certains éducateurs de vers à soie. Multipliez les mûriers, à la bonne heure : mais jamais au préjudice des arbres, dont les productions nous sont nécessaires. J’ai vu des cultivateurs sacrifier tout aux mûriers, en faire des plantations dans des terrains qui ne pouvoient plus donner d’autres productions, parce que les arbres étoient trop rapprochés. J’en ai vu d’autres arracher des noyers pour les remplacer par des mûriers. Voilà le plus mauvais système qu’on puisse imaginer. Un noyer dans toute sa force vaut dix mûriers pour le produit ; & dans un ménage, l’huile est bien plus nécessaire que la soie.

On peut me dire que l’usage de la soie est très-commun ; que nous sommes obligés d’en faire venir de l’étranger. À cela je réponds, qu’il seroit à désirer que le luxe eût des bornes ; & alors la soie que nous récoltons pourroit suffire. Cependant il ne faut pas s’imaginer que la soie de France puisse remplacer dans nos fabriques l’organsin de Piémont, ni les belles soies de Nankin ; leurs qualités dépendent du climat. D’ailleurs, si nous retirons des soies de l’étranger, nous les renvoyons ouvrées dans toute l’Europe, ainsi que bien d’autres productions de notre sol.

Seroit-il avantageux de propager l’éducation des vers à soie dans les pays du nord de la France ? Observez que je n’attaque pas la possibilité de cette partie d’économie dans les pays que je viens de citer. Je crois que par les semis on pourroit élever des mûriers, & en quelque sorte les naturaliser au nord de la France comme au midi ; par conséquent on pourroit y faire des éducations de vers à soie. Mais il s’agit de savoir si cette partie économique seroit aussi avantageuse au nord comme au midi. Je ne le crois pas. Voici sur quoi j’établis mon opinion. Le mûrier est un arbre originaire des pays chauds ; en le propageant dans des pays froids, il exigera plus de soins, il sera exposé à plus de dangers, surtout à ceux de la gelée, dont les suites lui sont très-funestes. Le mûrier vient par-tout, dit-on ; cela est vrai ; mais il faut faire une grande différence entre végéter & prospérer, entre les feuilles provenant d’une bonne ou d’une mauvaise végétation. Le mûrier vient en Prusse comme en Provence & en Languedoc, mais il végète en Prusse & prospère en Provence.

La qualité de la feuille influe beaucoup plus sur la bonne éducation des vers à soie, que le climat où ils sont élevés. Par le secours de l’art, les vers à soie peuvent ressentir par-tout le degré de chaleur du climat d’où ils sont originaires ; cependant avec beaucoup moins d’avantage, parce qu’il faudra les tenir exactement renfermés dans les ateliers, afin de ne pas perdre la chaleur des poêles ; & alors l’air se vicie, n’étant pas renouvelé. Mais on ne peut pas remédier de même à la qualité de la feuille, dont la bonté dépend absolument du climat. La grande chaleur soutenue & sans pluie, qui règne dans les climats méridionaux, épure la sève ; la feuille du mûrier est nourrie paf des sucs plus raffinés, & le principe soyeux n’est point noyé dans une sève trop aqueuse. Dans les pays du nord au contraire, où les pluies sont fréquentes au printemps, & la chaleur très-douce, la végétation en général est belle, les feuilles du mûrier sont grandes, bien vertes, remplies de jus, parce que la sève est très-aqueuse, la chaleur étant trop foible pour faire évaporer en partie l’eau mêlée avec la sève. Il en est de même de tous les végétaux : les fruits, quoique très-beaux, ont beaucoup moins de saveur que ceux des pays méridionaux. Or, si dans le nord la qualité des feuilles du mûrier ne peut pas égaler celle des feuilles du mûrier du midi, les cocons des vers à soie seront par conséquent inférieurs : ainsi on ne peut se promettre qu’une soie d’une qualité médiocre, dont le débit sera peu avantageux, & ne dédommagera pas des frais de l’éducation des vers à soie.

Les gelées tardives sont encore un inconvénient très-à craindre dans les pays du nord, où malheureusement elles sont fréquentes. Elles peuvent arriver au moment où tous les mûriers sont feuillés, & alors il faut abandonner les vers éclos. Ces gelées nuisent au mûrier pour les années suivantes, en attaquant les sommités des jeunes pousses, qui meurent par l’effet de la gelée, de sorte que la séve étant arrêtée, les branches poussent latéralement, & l’arbre buissonne.

La bonne qualité de la soie dépend de celle de la feuille du mûrier ; celle-ci du climat. Il faut donc laisser aux pays qui jouissent de ces avantages, les vers à soie a élever. D’ailleurs, dans le nord, on a d’autres productions qui dédommagent de celle de la soie.

    les agriculteurs prudens furent saisis d’une double crainte, & dirent : ou l’on perdra cette année la récolte de la soie, en renonçant à élever des vers, lorsque la feuille du mûrier repoussera ; ou, si on ne veut pas y renoncer, on forcera le mûrier à une troisième pousse de ses feuilles ; ce qui l’affaiblira considérablement. Dans cette incertitude, une partie des agriculteurs a embrassé ce dernier parti ; d’autres ayant à cœur la conservation de leurs mûriers, ont fait le sacrifice de la récolte de la soie, pour cette année, & ont fait tailler les arbres. Une troisième opinion s’est élevée. Elle conseille de hasarder la couvée des vers à soie, & propose en même temps de tailler les mûriers, aussitôt qu’ils auront été dépouillés de leurs feuilles ; mais ce dernier procédé n’est pas du goût des agriculteurs, qui prétendent que la taille faite pendant la chaleur, est nuisible au mûrier… Cette diversité d’opinions, ajoute le rédacteur de ce journal, prouve que nous manquons d’expériences, d’observations & de faits, pour établir quelque chose de certain, dans la circonstance actuelle ». Il invite les agriculteurs à des expériences sur une matière aussi importante.

    Dans le même journal, n°. 41, du 12 octobre 1787, le rédacteur rend compte d’un discours de don Mariano Mandra-Many, sur les encouragemens à accorder aux cultivateurs qui feroient une seconde éducation de vers à soie, en Espagne, dans les royaumes de Grenade, de Murcie & de Valence. Il exhorte les agriculteurs à faire des essais, à en donner le résultat, ainsi que des soins particuliers qu’ils auront pris des mûriers, pour réparer le mal causé par une seconde spoliation de leurs feuilles… les agriculteurs de Murcie & de Valence, n’ont point voulu tenter une seconde éducation, par la crainte de perdre leurs mûriers… Le plus grand obstacle à une seconde éducation, sera toujours celui d’avoir moins de feuilles de mûriers, l’année qui suivra une seconde éducation, & de risquer la perte des arbres…

    Après cet extrait littéral du journal de Florence, je ne me permettrai aucune réflexion sur les trois éducations successives des vers à soie, que le sieur Bertezen a faites à Paris ; encore moins sur celles qu’il avoit faites à Londres précédemment.

  1. Quelques Auteurs modernes ont avancé qu’en Italie, & surtout dans la Toscane, on étoit dans l’usage de faire deux éducations de vers à soie. J’ai habité ce pays pendant plusieurs années, sans avoir connoissance de ce fait. Je ne me suis pas permis de le nier, & je pouvois cependant le faire sur la réputation dont jouissent les Toscans, d’être bons agriculteurs : mais voici la preuve du contraire, que j’extrais de la Feuille d’agriculture de Florence, n°. 19, du 11 mai 1787.

    « Une bruine hors de saison, ayant détruit en très-grande partie la feuille des mûriers,