Dictionnaire national et anecdotique par M. De l’Épithète/Section complète - C

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C

CAHIERS : c’est le recueil des instructions dont chaque province a chargé ses députés aux états-généraux. Les circonstances imprévues, le zele, le patriotisme & la nuit mémorable du 4 août, ont obligé les représentans de l’assemblée nationale à déroger à leurs cahiers ; l’adhésion ultérieure des provinces a rendu ou rendra cette dérogation légale. Voyez Doléances.

CAISSE : autrefois c’étoit un coffre où l’on mettoit des especes, aujourd’hui c’est un carton où l’on met des billets.

Caisse d’escompte : établissement protégé par l’ancien régime et conservé provisoirement par le nouveau. Il a été de la plus grand utilité à l’état, c’est-à-dire, au trésor royal, qui alors signifioit la même chose. Il lui a prêté généreusement 70 millions, qu’on assure n’avoir pas été fournis en billets de caisse. Aujourd’hui que cet établissement n’a plus que des billets, il sert la nation (car on ne dit plus l’état) avec le même zele, & si la médaille civique ou nationale est due à quelqu’un, c’est bien aux actionnaires de cette association philantropique.

Ces arrêts de surséance qui flétrissent les particuliers qui les obtiennent, seront pour la caisse d’escompte des titres du civisme le plus glorieux qu’ils puissent insérer dans leurs archives. « C’est pour secourir l’état, c’est pour faire vivre les rentiers, nos peres, dirons nos enfans, que ces bons citoyens ont été en état de faillite. Après avoir donné leur or, il ne leur restoit plus que leur sang & leurs billets ; à l’époque de la révolution plusieurs ont été prêts à nous prodiguer ce sang comme ils prodiguent leurs billets ».

Caisse nationale : à établir en 1791 au plus tard. C’est dans cette caisse, qui réellement en sera une, que les 83 départements verseront leurs contributions ; ce sera la nation qui l’administrera elle-même ; & les bons qu’elle donnera pour y puiser seront de véritables bons. Ils seront ostensibles, ainsi que les motifs pour lesquels ils auront été délivrés, car cette caisse n’aura point de livre rouge.

Caisse de l’extraordinaire : déjà établie : elle est destinée à recevoir les contributions extraordinaires motivées par les circonstances & le patriotisme, telles que le quart des revenus, & les dons patriotiques. M. de Canteleu, représentant de la nation, avoit été nommé administrateur de cette caisse. On sait qu’il avoit accepté cet emploi sous le bon plaisir de l’assemblée nationale, & qu’il s’en est défait sans hésiter, lorsqu’il a été décrété que tout emploi étoit incompatible avec le titre à jamais honorable de représentant de la nation.

Nota. La commune de Paris vient, dit-on, d’ordonner que, pour le service des trois caisses, il sera créé un nouveau corps de pompiers.

CAPITALISTE : ce mot n’est connu qu’à Paris & dans quelques villes de France. Il désigne un monstre de fortune, un homme au cœur d’airain, qui n’a que des affections métalliques. Il n’a point de patrie, il est domicilié sans être citoyen ; & cet être isolé ne craint point que la fiscalité s’exerce sur son bien, qui est immense. Parle-t-on de l’impôt territorial, il s’en moque, il ne possede pas un pouce de terre. S’agit-il de l’impôt du quart, il s’en rit ; comment le taxera-t-on ? Du temps de l’ancien régime, ce bien chéri il le tenoit dans son porte-feuille ; depuis la révolution il l’a réalisé, & cette opération a fait disparoître le numéraire qu’on cherche par-tout. Ainsi que les Arabes du désert, qui viennent de piller une caravane, enterrent leur or de peur que d’autres brigands ne surviennent ; ainsi les capitalistes ont enfoui notre argent, oui, enfoui sans ressource, perdu, mort ; si vous en voulez d’autre, battez monnoie. Voyez Billets de caisse.

CARTE : carte d’entrée pour les assemblées de districts ; délivrée à tous citoyens sur leur quittance de capitation ; elle porte le nom du district, le numéro que le citoyen occupe dans le rôle de ce district, & est signée par trois commissaires. On a jugé que ce passeport étoit nécessaire pour écarter des assemblées toute espece d’intrus. Tout homme qui n’est par porteur d’un uniforme ou d’un costume imposant doit s’attendre à exhiber sa carte à l’instant même où il voit entrer avec lui des gens à qui on le la demande pas. Il ne doit point se formaliser dans le nouveau régime comme dans l’ancien, quoique l’habit ne fasse pas le moine, le moine est jugé par l’habit.

CITOYEN : dans l’ancien régime on ne savoit pas ce que c’étoit ; on se qualifioit simplement de bourgeois de Paris, & cette qualité vouloit dire qu’on n’en voit point. Dans le nouveau régime, citoyen est pris civilement & moralement ; c’est un membre de la société, qui, non-seulement acquitte les charges civiles, mais encore est rempli des sentimens qu’inspire l’heurese liberté dans laquelle nous vivons.

Citoyen actif : c’est à Paris celui qui paie directement l’impôt.

Citoyen éligible : c’est, dans la nouvelle constitution, c’est-à-dire dans la constitution à faire, celui qui paie en impôt à la nation la valeur d’un marc d’argent, ou celui qui lui en fait le don. Il pourra être nommé électeur par ses concitoyens dans les assemblées primaires, & d’élection en élection devenir représentant de la nation, qui est le comble de la gloire à laquelle puisse aspirer un citoyen.

Depuis que ceci a été imprimé, il a été décrété que l’éligibilité en raison du marc n’auroit lieu qu’à le seconde législature.

Citoyen qui brigue l’honneur d’être élu : les districts en sont pleins, & rien ne prouve mieux le civisme qui anime les braves Parisiens ; MM. les procureurs, MM. les avocats ne sont pas les seuls qui le manifestent ; il en est même des artistes, peres de familles, qui portent le dévouement patriotique jusqu’à quitter leur établi deux fois la semaine pour assister aux assemblées de districts ; ils n’y pérorent pas, à la vérité, mais ils donnent des idées aux co-assistans qui les entourent ; on remarque leur zele, ils sont nommés commissaires, & du commissariat au perron de l’hôtel-de-ville il n’y a qu’une enjambée ; il n’est aucun citoyen enthousiaste qui, arrivé à ce perron, ne puisse justement prétendre au Manege.

Citoyen qu’on doit élire : les aristocrates prétendent que c’est le propriétaire qui doit être préféré. Les avocats, qui ne sont sûrement pas des aristocrates, ont protesté contre cette prétention : les procureurs sont intervenus, & ont adhéré à la protestation des avocats. La partie des citoyens qui hantent les districts ont fait droit sur la demande : procureurs & avocats sont élus par préférence, ils le méritent ; ils font les affaires des districts comme celles de leurs cliens ; la génération future sera étonnée d’un civisme aussi rare ; elle regrettera de n’avoir plus d’avocats & de procureurs à élire.

Citoyen enrôlé : celui qui a pris du service dans la milice nationale (Voyez milice nationale.) De toutes les classes de citoyens celle-ci est la plus précieuse ; elle s’arrache à ses foyers pour défendre ceux de ses freres, à qui l’âge ou la santé ne permettent point de s’armer ; car il n’y a que l’âge & la santé qui puissent dispenser d’une obligation aussi sacrée.

Tout ce que nous avons de mieux dans Paris s’est empressé de s’enrôler. Qui auroit dit que cette jeunesse brillante qui, naguere donnoit tous ses soins aux beau-sexe, soit devenue tout-à-coup martiale, & insensible aux fatigues des camps ; je je dis des camps, parce que le service des premiers momens de la révolution a été aussi rude ; aussi périlleux que celui des camps.

C’est en vain que des aristocrates ont reproché à nos jeunes gens de ne s’être enrôlés que pour porter des épaulettes ; qu’ils vouloient tous être officiers ; & qu’après la nomination de ces derniers, une infinité d’entr’eux se sont fait rayer du rôle militaire ; qu’ils se font tirer l’oreille pour faire leur service ; qu’il faut commander vingt personnes de garde pour en avoir six, & que la plupart se font représenter dans les gardes par des va-nuds-pieds indignes de porter l’habit national.

On répond à ces détracteurs, jaloux de voir la révolution s’opérer par les bons offices de cette milice nationale qu’ils voudroient ridiculiser. On leur répond que les fautes de quelques inconsidérés ne doivent point être attribuées à tout un corps qui s’est montré tel qu’il étoit dans l’expédition du 6 octobre, & dans la capture importance faite aux Champs-Elisées ; que quand tout le monde montoit la garde, sans doute il y a eu des gens qui se sont fait remplacer comme ils ont pu. Mais depuis, combien tout a changé ! le service est devenu personnel & à honneur ; il s’est fait avec une ponctualité qu’on auroit à peine attendue de vieilles légions. Répondez, mauvais citoyens, dans ces premiers temps, comment vouliez-vous que les femmes qu’on commandoit de garde l’eussent montrée, si elles n’eussent point trouvé des citoyens de bonne volonté qui la montoient ? Braves soldats ! continuez à nous défendre, & laissez l’envie ronger son frein.

Citoyens, ou gens de couleur : dans nos îles, c’est ainsi qu’on appelle une classe d’hommes issus du commerce d’un blanc avec une négresse, ou d’une blanche avec un negre. La plupart des gens de couleur, au Cap, sont propriétaires. À ce titre, ils ont prétendu avoir le droit d’être représentés à l’assemblée nationale, ce que les blancs des îles ne vulent point, mais ce que les blancs du continent trouvent très-juste.

M. l’abbé Grégoire, qui avoit déja fait entendre les plaintes d’une caste infortunée, (les Juifs) a plaidé la cause des gens de couleur ; il a peint à sa maniere, c’est-à-dire, avec énergie & vérité, l’état d’humiliation dans lequel les blancs des îles tenoient leurs enfans ou leurs parens les gens de couleur.

« Il leur est défendu, dit-il, de prendre des noms européens, d’exerce la médecine & la chirurgie, à peine de 300 livres d’amende, ou de punition corporelle ; il leur est défendu de manger avec des blancs, d’user des mêmes étoffes, de se servir de voitures, de passer en France, de porter des armes, &c. &c.

» Il leur est ordonné de ne prendre d’autre qualification, que celle de mulâtres libres, &c.

» Quelles que soient les vertus des gens de couleur & leurs richesses, ils ne sont point admis aux assemblées paroissiales : dans les spectacles ils sont à l’écart… il sont à l’écart encore dans les temples où les religion rapproche tous les hommes, mais où le mépris des blancs ose encore poursuivre ces malheureux, &c. &c. »

M. l’abbé Grégoire raconte que dans un temps de détresse, en 1762, un juge de police du Cap eut la cruauté de rendre une ordonnance qui défendit aux boulangers de vendre du pain aux gens de couleur, même libres, sous peine de 500 livres d’amende. On auroit de la peine à croire une pareille atrocité, si elle n’étoit dénoncée par un apôtre de la vérité. L’impitoyable cadi du Cap prétendoit-il que ces infortunés se fissent anthropophages ? Ô nature ! combien de fois ces blancs que vous avez favorisés vous ont outragée !

CIVISME : c’est l’amour de la patrie intra muros, & patriotisme, cet amour extra muros[1] : un citoyen a du civisme, un soldat a du patriotisme.

L’auteur du dictionnaire raisonné, déja cité, a écrit douze mortelles pages pour définir le mot civisme ; il l’a fait d’une maniere lumineuse, & a conclu qu’esprit de corps est une branche du civisme. D’après cette définition, quel est donc l’homme d’assez mauvaise foi pour oser dire que les parlemens n’ont point de civisme, que le clergé n’a point de civisme, qu’une partie de la noblesse n’a point de civisme ? Que de citoyens vous réintégrez Monsieur le raisonneur !…

CLERGÉ : un des trois ci-devant ordres qui composoient la nation. C’étoit le premier ; & quand les ouailles l’oublioient, il savoit le leur rappeller, non par esprit d’orgueil, car les membres de cet ordre, à certains égards, ont toujours vécu comme les apôtres ; mais pour réclamer leurs droits, leurs immunités, leurs priviléges, & les concessions qui leur avoient été faites. Leur conscience leur disoit sans cesse : vos droits sont divins, vos immunités immémoriales, vos priviléges légitimes, & les concessions qui vous ont été faites sont sacrées : vous devez les soutenir. Les temps sont changés. Le nouveau régime a dit : 10,000 livres de rente de droit divin sont exorbitantes, les titres des immunités, surannés ; les priviléges, contraires aux droits de l’homme ; & les concessions, usurpées ou surprises. Le clergé, en adoptant les opinions du nouveau régime, va devenir un corps de citoyens désintéressés. Il va se reposer sur nous de son bien-être, il ne se mêlera plus des biens de cette terre qui n’est qu’un passage, & les seuls biens spirituels seront de son ressort ; il s’occupera à prier le ciel de nous les dispenser. Voyez Assemblée du clergé.

Haut clergé : cette dénomination désignoit les prélats, tels que les archevêques, évêques & abbés commendataires, &c. C’étoit cette partie du clergé qui accordoit les dons gratuits, & qui, pour en effectuer un de quatre millions, faisoit un emprunt de vingt millions pour distribuer en aumônes les 16 excédens. Le haut clergé administroit encore les décimes que se chargeoit de payer le bas clergé, classe qui comprenoit les curés & autres petits bénéficiers, qui, à raison de 6 à 700 liv. par tête, les uns dans les autres, faisoient la besogne des grands administrateurs. Cet article clergé haut & bas, dans la prochaine édition de ce dictionnaire, sera mis dans la classe des mots hors d’usage & à insérer dans l’appendice qu’on trouve à la fin de ce livre.

COALITION : ce terme a passé de la physique dans la politique ; je crois qu’on doit cette transmutation à M. de Mirabeau. En physique, c’est l’action de plusieurs parties réunies qui reçoivent une même nutrition, & ont une commune croissance ; au figuré, c’est-à-dire, en politique, c’étoit l’accord secret de plusieurs membres qui reçoivent aussi une même nutrition, & l’auteur du mot supposoit qu’il y avoit coalition entre les membres du clergé & quelques membres de la noblesse ; coalition entre la noblesse & les ministres, sur-tout lorsqu’il étoit question du veto.

Ce mot a fait quelque fortune.

COCARDE NATIONALE : c’est la livrée de notre liberté ; elle a eu lieu, on l’arbora le jour même que le prince Lambesc osa ensanglanter le palais de son roi ; elle devint le signal de la fraternité patriote, & distingua les bons citoyens des aristocrates qui tramoient notre perte.

Cette cocarde a varié ; elle a été verte 48 heures : mais on foula bientôt cette couleur aux pieds, quand on s’apperçut que les hussards qui poursuivoient nos citoyens dans la plaine de Mont-Rouge & du côté de Saint-Cloud portoient des habits verds, & qu’elle étoit la couleur de nos plus cruels ennemis. On prit celles de la ville de Paris, blanc, bleu & aurore ; à cette derniere on substitua la rouge ; mais à la promulgation de la loi martiale on reprit l’aurore que la couleur du feu a remplacée. Toutes ces cocardes se fabriquoient ordinairement à Paris. Cependant vers le mois d’Octobre, quelques militaires entreprirent d’en élever une manufacture à Versailles ; comme les couleurs n’étoient pas absolument patriotiques, les dames de Paris, non les marchandes de modes, mais les dames dites de la halle, allerent saisir la manufacture. Depuis, Paris est seul resté en possession de faire nos cocardes ; & nous prévenons les gens de provinces que ce sont les bonnes, que Versailles le titre à présent de Paris, parce que les manufacturiers sont parties pour l’étranger.

COMITÉ : depuis la révolution ce mot a remplacé celui de conseil, & même celui de bureau.

Il y a des comités à l’assemblée nationale, pour rédiger les plans de constitution, de finance, de jurisprudence, &c. Un politique a proposé d’organiser les comités de l’assemblée géographiquement, pour éviter, dit-il, l’esprit de parti, il n’y a eu lieu à délibérer. Ces comités proposent, font un travail sur tel ou tel objet, & le communiquent à l’assemblée nationale, pour décréter avec ou sans amendement.

Il n’en est pas ainsi de la commune de Paris, qui a des comités de subsistances, de police & militaires, &c. Le travail fait dans ces bureaux a le plus souvent force de loi, & comme la prudence & l’intégrité ont toujours guidé nos représentans de la commune, ces loix ont été des chefs-d’œuvre de sagesse ; il est même plusieurs de ces comités qui se sont faits à ce sujet une réputation distinguée, & c’est avec reconnoissance que je m’empresse de les citer.

Le comité des recherches, par exemple, a mis la plus grande sagacité à découvrir les conjurations formées & à former ; il a montré sur-tout son zele dans l’affaire de M. de Bezenval : le rapport qu’il en a fait est un modele de modération & de perspicacité.

Le comité de police a toujours été le plus ardent protecteur de la liberté de la presse, sur-tout quand il avoit dans son sein M. de Maissemi : il n’y avoit qu’une seule chose qu’il n’a jamais voulu permettre ; c’est la proclamation des journaux par les colporter. Voyez le mot proclamer.

Le comité des subsistances est celui qui a éprouvé les plus grandes difficultés, d’autant plus grandes sans doute que son administration commençoit ; cependant il a su se mettre au-dessus des circonstances : il a envoyé dans les campagnes des citoyens actifs qui ont découvert les accaparemens, & l’abondance a régné dans Paris ; on a écrit chez l’étranger, des grains ont abordé dans nos ports ; on assure même que le président de ce comité qui avoit des relations dans le Levant & les îles de l’Archipel, y a fait plusieurs demandes qui ont eu le plus grand succès, ce qui étoit beaucoup plus certain que d’attendre des grains de l’Amérique. D’ailleurs le Levant, sur-tout la Grece, est un pays à bled : elle en exporte beaucoup à Marseille.

Le comité militaire ; je parle ici de celui qui a fait le travail, qui a organisé notre milice. Ce travail a répondu à l’opinion qu’on en avoit conçue. En pouvoit-il être autrement ? Les coopérateurs étoient d’anciens officiers, dont quelques-uns avoient plus de trente ans de service fait à Paris, & qui, par conséquent, connoissoient parfaitement l’espece d’armes qui convenoit à la capitale ; quelques détracteurs cependant se sont récriés sur le grand nombre d’officiers de l’état-major qui sont tous soldés. Ils les ont trouvés même trop soldés. À quoi serviront, ont-ils dit, 10 aides de camps généraux ? Avons-nous quelques batailles à donner ? une armée où il y a cent mille combattans en compte à peine 4 ! Ces envieux, qui n’ont jamais fait la guerre que dans leurs cabinets, ignorent-ils le terrain qu’occupent nos 30000 citoyens soldats ou soldats citoyens ? Ont-ils conçu que, le jour d’une fête ou d’appareil, il faut de l’ensemble, & que pour l’établir, ce nombre d’aides de camps sera à peine suffisant lorsqu’il faudra parcourir Paris en même-temps & dans toutes ses dimensions.

Comité dans les districts : aussi divisés en comité civil & comité militaire, & organisés à-peu-près comme ceux de la commune. Cependant c’est absolument le sort qui y porte les sujets & non les talens. Dans les mois de septembre, octobre, le comité militaire du district de l’abbaye étoit composé d’un marchand faïancier, d’un moine de Saint-Benoît, d’un avocat aux conseils, &c. &c. Il y avoit cependant deux personnes qui auroient été capables de diriger parfaitement une expédition militaire ; l’une étoit un chirurgien, & l’autre un officier qui avoit été chargé pendant plus de 25 ans du complettement d’un régiment de dragons, emploi qu’il avoit rempli avec tant d’intelligence que S. M. l’avoit décoré de la croix. Il ne faut qu’une bonne tête dans un comité pour mener les choses à bien.

COMMISSAIRE : signifie toute autre chose que dans l’ancien régime où il désignoit, 1°. un agent du despotisme ; car il y a des gens qui n’oublieront jamais qu’un jugement pas commissaire & un assassinat étoient à-peu-près synonymes ; 2°. commissaire équivaloit à ce que chez les Turcs on appelle cadi ; la jurisprudence de ces deux officiers de justice étoit absolument la même. Le cadi françois, ou le commissaire, qui quelquefois étoit logé dans une allée, vous écrivoit de vous rendre à son hôtel pour affaire qui vous concernoit. Chez les gens un peu au fait, cette lettre restoit sans réponse ; mais adressée à un pauvre diable elle mettoit l’inquiétude dans sa famille, l’épouse se désespéroit, & les enfans croyoient déja voir leur pere dans les fers. M. le commissaire, ou plutôt son clerc, qui étoit aussi un personnage, amendoit arbitrairement & désamendoit de même. Rien n’étoit plus inique que ces amendes de police ; & de plus corsaire que le receveur. Ce mot se trouve dans l’appendice de mots à oublier. Fasse le ciel qu’à la premiere édition MM. les commissaires des districts ne me forcent point à la remettre dans le dictionnaire !

Aujourd’hui le mot de commissaire signifie toute autre chose : c’est un citoyen zélé qui n’a pas désemparé le district, & qui est membre d’un des comités où le civisme & l’équité font la loi.

Un commissaire de district traite d’égal à égal avec un citoyen déposant ou amené pardevant lui ; il n’a point la morgue de l’ancien commissaire, ni son astuce ; il fait écrire ou écrit ce qu’on dépose, & ne le commente point. Les commissaires de districts vivent entre’eux dans la plus grande union, & sont des freres unis à des freres, qui tous ne veulent que le bien du public. Un aristocrate qui verroit ces freres attablés se porter les santés de la nation, de notre maire & de M. de la Fayette ; cet aristocrate, dis-je, creveroit de dépit ; & cette scene désespérante, il n’est pas de semaine qu’il n’eût le désagrément de la voir se renouveller.

COMPLOT : entreprise tramée contre notre liberté. La providence qui veille sur cette liberté, n’a pas permis qu’aucun complot fût mis à exécution. Quand une de ces entreprises ténébreuses est formée par des gueux, on l’appelle un complot ; lorsque ce sont des aristocrates, ou des gens d’une certaine considération, elle prend le nom de conjuration. (Voyez ce mot.)

Nota. Il en a été de plusieurs complots comme des brigands ; ils n’existoient que dans la tête des folliculaires. Il y a entr’autres un de ces Messieurs qui a toujours un complot tout prêt ; c’est sa piece de remplissage, comme dans le journal de Paris étoient autrefois les articles signés P… Chaque fois que la feuille dont il est question insere un complot, on prévient la veille les comploteurs, ou vendeurs de papiers-nouvelles, que la feuille du lendemain parlera du complot. Aussi-tôt cet avis se propage, on va à la bourse, (Voyez ce mot) & l’imprimeur porte le tirage du chiffon à trois mille de plus.

COMMUNE : le dictionnaire raisonné dit que c’est le nom qu’on emprunte sans nécessité pour désigner ce qui, en France, a toujours été appellé le tiers-état, comme étant le troisieme après le clergé & la noblesse. Ce livre, qui a paru dans les premiers jours de janvier 1790, contient souvent des choses qui n’étoient bonnes à dire qu’à nos peres, & qui sont aujourd’hui d’une fausseté notoire. Le mot commune a un autre sens : la commune, ou la commune de Paris, désigne l’assemblée des représentans des districts de cette capitale. À la rigueur, il signifie tous les citoyens en corps. (Voyez Assemblée de la commune.)

CONJURATION : je l’ai définie au mot Complot. (Voyez ce mot.)

Parmi les trames infernales que le despotisme au désespoir a ourdies contre notre liberté, on pourroit distinguer plusieurs conjurations, si toutes elles n’étoient problématiques, ou du moins si l’on ne s’efforçoit pas de nous les rendre telles.

La plus fameuse (mais qui ne fut pas la premiere), est celle qui a donné lieu à la révolution, qui a déterminé un tas d’hommes illustres à voyager, & forcé un autre tas, qui n’avoit pas de goût pour les voyages, à paroître citoyens. Le bruit public donne à cette conjuration des chefs que je n’ose nommer… Lorsque je doute de leur crimes, & que je me plais à en douter, les circonstances qu’on me cite, les préjugés qu’on a contr’eux, approchent si fort de la conviction, que la plume me tombe des mains, & que le respect, non pour les coupables, mais pour le principal offensé à qui ils tiennent, me contient dans le silence.

Dans la seconde conjuration, il n’y a eu que des bouteilles cassées ; c’étoit un complot de cabaret, que j’aurois inséré dans cet article, si le public ne lui donnoit encore des chefs illustres.

On donne un seul chef à la troisieme conjuration que le public nomme, & que terre étrangere contient. On pourroit dire ici ce qu’un des compagnons de Pizarre disoit à ce général, lorsque les Péruviens voulurent faire une contre-révolution : Quoi ! encore un Inca ! Et que nous importe que les Incas soient nos ennemis, réparti Pizarre, quand le soleil est pour nous ?[2]

Si la premiere conjuration étoit atroce, la troisieme ne fut qu’extravagante.

La quatrieme conjuration dont il est fort question, est celle dont on accuse le marquis de Favras, qui jure que c’est un conte, & n’est pas le seul qui le jure. Mais ce conte, tout aussi extravagant, tout aussi absurde que celui qui l’a précédé, prend un tour de probabilité qui pourra nuire à M. de Favras, qui, s’il a un démenti, auroit un vilain soufflet, avec d’autant plus de raison qu’il n’est réclamé par aucun canton.

Je ne mets point au nombre des conjurations, des voyages faits en Dauphiné, des coalitions réelles ou supposées, des assemblées tenues aux Augustins, & les projets d’enrôlement de la rue Mazarine, &c. &c. Je n’aurois jamais fini si je voulois mentionner tout ce qu’on a tramé, & tout ce qu’on n’a osé tramer. Au reste, M. Du … travaille à une histoire des conjurations qui fera une terrible histoire, si M. Des …, son ami, lui tient parole, & revoit le manuscrit. Ce dernier est comme Crébillon pere, il broie du sang.

Au reste, le lecteur qui est pressé de lire, & a le bon esprit de ne croire qu’un centieme de ce qui est écrit, peut s’en tenir, en attendant, aux révolutions-Tournon.

CONSIDÉRATION : prendre en considération, c’est s’occuper de quelque chose, ou simplement concevoir le projet de s’en occuper. Cette expression a été adoptée par l’assemblée nationale ; par les représentans de la commune, d’après l’assemblée nationale ; par les districts, à l’instar de la commune ; & enfin elle a été admise dans les cercles où ces protecteurs, que Gresset qualifie si bien, vous promettent de prendre en considération telle ou telle chose. Un clerc de notaire à qui l’on recommandoit l’expédition d’un acte, répondoit qu’il le prendroit en considération.

CONSTITUTION : l’auteur du dictionnaire raisonné est embarrassé de savoir si ce mot est étranger ou françois. Il étoit étranger avant la révolution ; l’assemblée nationale travaille à le rendre françois. La constitution formera le corps de loi qui convient à un peuple libre pour vivre sous un roi sans cesser d’être libre. Ce sera le pacte fait entre le pere & ses enfans : on remarque seulement que les enfans sont majeurs, & stipulent comme tels.

Abandonnons le mot pour ne penser qu’à la chose. Lorsque l’assemblée nationale, malgré vents & marées, sera parvenue à la confection de cette constitution, nos maux seront finis, & les beaux jours de la France commenceront. Nous n’avons point d’autres vœux à former, & l’assemblée point d’autre affaire qui doive l’occuper. Ce sera sur le frontispice de ce code fameux que les noms des représentans seront inscrits pour parvenir à la postérité, qui aura plus à se louer de la révolution que nous ; parce qu’une révolution ne se fait point sans que la machine ne s’en ressente un peu. Le cultivateur qui, exposé aux rayons du soleil, plante l’arbre qui doit ombrager ses enfans, est le type de notre situation.

L’édifice de la constitution s’éleve sur les démolitions du repaire où s’étoient réfugiés les abus ; & les vaines clameurs des hommes que ces abus faisoient subsister ne détourneront point l’attention des ouvriers qui travaillent à ce glorieux monument. Je plains les malheureux qui se trouveront pris sous les décombres de cette démolition, si c’est le poids des années qui les empêche de fuir ; mais je ne dois aucune commisération à celui qui, au lieu de se dégager, s’en tient au clabaudage. — Qu’avoit-il à faire ? — Se rendre utile dans le nouveau bâtiment. Avocats de greniers qui criez que tout est perdu, écoutez Louis XIV, dans son discours du 4 février, lorsqu’il vous dit : j’aurois bien des pertes à compter aussi moi, si, au milieu des plus grands intérêts de l’état, je m’arrêtois à des calculs personnels ; & ce prince qui trouve une pleine & entiere compensation dans l’accroissement du bonheur de la nation ; (dont vous ne vous souciez gueres) vous donne le seul conseil que vous ayez à suivre, au lieu de bavarder, c’est de cesser d’être malfaisans pour devenir utiles.

La démarche faite par le roi, démarche qui l’immortalise à jamais, vient de donner à la constitution un caractere sacré que sans doute elle avoit déja aux yeux des bons citoyens, mais que les aristocrates s’efforçoient de lui contester. Pour les confondre, le prince jure de défendre, de maintenir cette constitution, & d’élever son fils dans ces principes. Ennemis de vos freres, odieux libellistes, qui avez cherché à semer la division dans les provinces, en faisant accroire au peuple que le vœu de l’assemblée n’étoit pas celui du prince, écoutez, calomniateurs, écoutez votre arrêt prononcé par le monarque lui-même, lorsqu’il se plaint aux représentans de la nation des funestes résultats de vos menées incendiaires : « Vous qui pouvez influer par tant de moyens sur la confiance publique, leur dit ce prince, éclairez sur ses véritables intérêts le peuple qu’on égare… ce bon peuple qui m’est si cher, & dont on m’assure que je suis aimé quand on veut me consoler de mes peines. Ah ! s’il savoit à quel point je suis malheureux à la nouvelle d’un attentat contre les fortunes, ou d’un acte de violence contre les personnes, peut-être il m’épargneroit cette douloureuse amertume[3] » !

Ah sire ! s’il vous l’épargnera ! en pouvez-vous douter, quand vous venez de déchirer le voile que de vils démagogues avoient placé entre vous & ce peuple dont vous avez toujours été adoré ! Vous allez le voir tomber à vos pieds, fondre en larmes, & abjurer un moment d’erreur en maudissant les scélérats qui l’avoient égaré.

CONSTITUTIONNEL : un décret ou un article décrété est dit constitutionnel quand il doit faire partie de la constitution ; le prince l’accepte provisoirement. Voyez Accepter.

CONTRE-RÉVOLUTION : mot nouveau, il a vu le jour peu après celui de révolution. (Voyez ce mot.) Contre-révolution désigne le coup de main qui remettroit le despotisme ministériel sur ses pieds, & feroit passer les aristocrates du fond de cale sur le tillac ; on sait ce qu’ils ont tenté pour opérer cette manœuvre. En effet, par la contre-révolution, un corps fameux ou qui a été fameux, avoit l’espoir de recouvrer la suprématie & des minuties mondaines auxquelles il tient encore ; un autre corps non moins fameux, ressuscitoit ses privileges. Les aventuriers obtenoient des places[4], les scélérats avoient aussi l’espoir de faire quelques coups de mains, & les parlementaires de voir renaître les beaux jours. Les pensionnaires remontoient leur cuisine, & les capitalistes (c’est-à-dire, les usuriers ou les agioteurs), leur porte-feuille.

Mais les politiques du café de Foy, même avant le 4 février, regardoient une contre-révolution comme impossible. Les politiques du Luxembourg n’étoient pas de cet avis, & ceux de la terrasse des Feuillans croyoient que ceux du Luxembourg n’avoient pas tort. D’un autre côté, il n’étoit pas un bon citoyen qui ne fît des vœux pour que les politiques du café de Foy eussent raison. Depuis le discours du roi ceux-ci ont voulu doubler les enjeux, & leurs adversaires ont en vain essayé de retirer les leurs.

CONTRIBUTION PATRIOTIQUE : c’est celle qui n’est point due de rigueur, & que la nation n’obtient que des bonnes intentions, que du zele des patriotes ; cette contribution a été fixée au quart du revenu de chaque individu. Voyez le mot Quart.

Il est encore une autre contribution patriotique, c’est celle que paie ou paiera le citoyen qui voudra devenir éligible ; elle est fixée à un marc d’argent. Ce moyen de rendre un citoyen actif, trouvé par quelques membres de l’assemblée nationale contre le gré de quelques[5] autres membres, a été applaudi par toute la nation ; il deviendra sur-tout très-utile au trésor national.

CÔTÉ : dans la salle de l’assemblée nationale, c’est telle ou telle partie de cette salle : on a dit le côté de la noblesse, on dit encore le côté du clergé. On lit dans plusieurs journaux (sur-tout ceux qu’on proclame) « tel côté de la salle a crié bravo, & tel côté a hué ; tel côté étoit pour le veto absolu, tel côté pour le suspensif, & tel autre le rejettoit avec indignation[6] ».

Il faut observer que depuis qu’on est au manege, on ne distingue plus que deux côtés, le droit & le gauche ; mais il faut bien observer aussi que le côté droit n’est pas le côté gauche.

CLUB : qu’il est très-important de savoir qu’on prononce Clob, ainsi que quelques journaux nous en ont prévenus, vient de l’Anglois ; le dictionnaire raisonné a manqué une belle occasion lorsqu’il n’en a pas parlé ; mais cet ouvrage est loin d’être complet, & ne renferme que 18 mots qui, à la vérité sont savamment paraphrasés.

Club donc signifie société, coterie, lieu de rendez-vous ; c’est ce que nos Flamands appellent estaminette, excepté qu’au Club on ne joue point, & qu’on ne s’occupe que de politique.

Le nombre des Clubs est infini à Londres, & Paris s’empresse d’imiter Londres.

Dans la capitale des Bretons on connoît le Club de la révolution ; tout le monde a été pénétré de reconnoissance & d’enthousiasme à la lecture de l’adresse que ce Club a fait remettre à l’assemblée nationale. Et les Bretons ont trouvé la réponse des Francs digne d’un peuple libre. Voyez Anglois.

Nous avons ici le Club patriotique ; il est aussi distingué par ses sentimens que par ses membres.

On soupçonne un Club anti-patriotique ; ce dernier a ses agapes, & approche un peu plus de l’estaminette que les autres. Voyez Impartiaux.

Note : il y en a beaucoup qui ne different de la tabagie que par le nom.

Remarque : Club, par une bizarrerie de la langue Angloise, signifie aussi coup de bâton ; si nous l’adoptons jamais dans ce sens, alors il ne pourra plus recevoir l’épithete de patriotique. Cette remarque est d’un membre dy lycée qui n’est d’aucune académie.

CURÉ : avant ou après la révolution, il signifiera toujours un pasteur respectable, qui consacre son existence au bien-être des ouailles qui lui sont confiées. Les curés forment la partie apostolique du clergé, & ne sont pas mieux rentés que ne l’étoient les saint apôtres ; ils cultivent la vigne du seigneur de concert avec les prélats, c’est-à-dire, que ces derniers regardent & que les autres travaillent. Mais les prélats à qui appartient la denrée, ont soin de la mettre en réserve ou à profit.

L’assemblée nationale a décrété que les curés à l’avenir cultiveroient cette vigne pour leur compte, & que les vicaire auroient part à la vendange.

  1. Je n’explique point ces mots d’intrà & d’extrà muros. Ils ont frappé les oreilles de nos petites maîtresses lors de la nomination des députés qui devoient représenter le banlieue de Paris. M. Target est député de Paris pour les citoyens extrà muros.
  2. Les Incas se disoient enfans du soleil ; c’étoit une race royale.
  3. Ce morceau est extrait du discours du roi, prononcé le 4 février, jour à jamais fatal pour nos ennemis & les siens ; car les siens sont les nôtres.
  4. Il ne faut pas de contre-révolution pour cela.
  5. Je crois que ce dernier quelques est employés dans le sens de plusieurs ; & plusieurs signifie quelquefois beaucoup. Note de l’éditeur.
  6. À l’époque du veto on distinguoit encore trois côtés, comme à l’époque des pensions on en distinguoit quatre. Note de l’éditeur.