Discours sur les psaumes (Augustin)/Psaumes CXXXI à CXL

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Discours sur les psaumes : Psaumes CXXXI à CXL
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)

DISCOURS SUR LE PSAUME 131[modifier]

SERMON AU PEUPLE, EN PRÉSENCE DE SÉVÈRE, ÉVÊQUE DE MILÈVE.[modifier]

L’ESPÉRANCE EN DIEU.[modifier]

David porta ta douceur au point d’épargner Saül qui cherchait à le tuer. Ce nom, qui signifie la main forte, fut porté par un guerrier qui détruisit ses ennemis, et qui fut la figure du Christ vainqueur du diable et de ses anges. L’Église qui est le corps, le temple du Christ, combat pour lui ; elle a fait vœu d’être sa cité, d’être habitée par lui. Comme David ne voulait aucun repos avant d’avoir trouvé un lieu pour le Seigneur, et comme s’il cherchait ce lieu en lui-même, ainsi fait tout homme qui enseigne le bien et le pratique. Ainsi en fait-il de tous ceux qui embrassèrent la foi et n’eurent plus qu’un cœur et qu’une âme, tandis que ceux qui cherchent leurs propres intérêts, rencontrent souvent le trouble et les procès. Abstenons-nous donc, sinon de toute possession, du moins de tout attachement aux possessions, de l’amour de nous-mêmes. Tous les biens de cette vie ne sont que te rêve d’un homme qui ne trouve plus rien à sou réveil. Le Prophète appelle tabernacle du Seigneur l’Église militante, et sa maison la Jérusalem du ciel. Cette maison ou l’Église est en Ephrata eu prophétisée, et dans les lieux incultes, chez les Gentils. Nous entrerons chez le Dieu de Jacob afin qu’il nous possède, et non afin de posséder notre héritage que nous dissiperions comme le prodigue. Nous adorerons le lieu où il a reposé ses pieds, c’est-à-dire dans l’humilité, sans croire qu’il nous suffise d’être enfants d’Abraham selon la chair ; car il faut en faire les œuvres, œuvres surtout de charité ; que nos pieds soient affermis par l’humilité.

C’est au Christ de s’élever le premier, et à prendre son repos ; l’Église viendra ensuite, elle qui est l’arche de sa sanctification. Que les prêtres aient la justice, les saints la joie, mais ne détournez pas la face de votre Christ, c’est-à-dire ne laissez pas périr tout Israël, prière qui fut exaucée dans les apôtres, et dans les juifs qui se convertirent à la Pentecôte. Dieu change parfois ses œuvres extérieures, mais jamais ses desseins. Or, son dessein est de mettre sûr le trône de David le Christ qui sortira de lui sans la participation d’aucun homme. Par les enfants des enfants de David, il faut entendre les bennes œuvres de ces enfants, et s’ils sont réellement des hommes, ils ne pourront siéger sur te trône qu’à la condition de garder l’alliance de Dieu. Ce trône sera le nôtre, à la même condition. C’est en Sion que nous reposerons avec Dieu. Les veuves qu’il veut bénir sont les âmes qui ne comptent que sur lui, et l’Église est une veuve que Dieu écoute, mieux que le juge inique de l’Évangile ; les pauvres cernant rassasiés, s’ils ont faim et soif de ta justice ; les riches également, s’ils sont panures dans le même sens. Les prêtres seront revêtus du Christ, tes saints revêtus de joie, tous affermis dans le Christ qui sens sauve et nous gouverne.


1. Il eût été juste, mes bien-aimés, que notre frère, notre collègue dans l’épiscopat, lui que nous voyons au milieu de nous tous, nous fil entendre sa parole. C’est une faveur qu’il ne nous a point refusée cependant, et qu’il n’a fait que différer. J’en donne avis à votre charité, afin que vous soyez avec moi témoins de sa promesse. Mais il n’était point hors de propos que je me soumisse le premier à son injonction. Il m’a arraché, en effet, mon consentement, et a voulu être aujourd’hui mon auditeur, à la condition que je serais ensuite le sien ; car unis par les liens de la charité, nous sommes tous les auditeurs du Maître unique, dont la chaire est dans les cieux[1]. Écoutez donc avec attention le psaume que nous apporte aujourd’hui l’ordre suivi dans nos explications. Il a aussi pour titre « Cantique des degrés », et il est un peu plus long que les autres. Nous nous arrêterons donc seulement quand nous y serons forcés, afin que, si Dieu nous en fait la grâce, nous puissions l’expliquer tout entier. Or, comme vous n’êtes plus ignorants au point que nous devions tout éclaircir, c’est à vous de nous aider, en vous rappelant nos entretiens passés, afin que je ne sois pas forcé de vous expliquer tout, comme si vous l’ignoriez encore. Sans doute, nous devons être toujours nouveaux, parce que le vieil homme ne doit point se glisser en nous ; mais il faut croître, il faut progresser. À propos du progrès, l’Apôtre nous dit : « Bien que l’homme extérieur se détériore en nous, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour[2] ». Que le progrès en nous ne consiste pas à passer de l’homme nouveau au vieil homme, que la nouveauté, au contraire, aille en croissant.
2. « Seigneur, souvenez-vous de David et de toute sa douceur, souvenez-vous du serment qu’il fit au Seigneur, du vœu qu’il fit au Dieu de Jacob[3] ». David, ainsi que nous l’apprend l’histoire, était homme, roi d’Israël, fils de Jessé. Il était doux, selon la remarque de l’Écriture qui relève en lui cette vertu, et sa douceur fut portée au point qu’il rendit le bien pour le mal à Saül qui le persécutait[4]. Il pratiqua envers lui l’humilité, jusqu’à l’appeler roi, et se dire lui-même un chien. Et quoique devant Dieu il fût plus grand que ce roi, il n’eut pour lui ni fierté, ni hauteur ; mais il cherchait plutôt à l’apaiser par son humilité, qu’à l’irriter par son orgueil. Il eut même Saül en sa disposition, et Dieu le lui livra, afin qu’il en fît ce qu’il voulait. Mais parce qu’il n’avait point reçu l’ordre de le faire mourir, que Saül était seulement en son pouvoir, et un homme cependant peut user de sa puissance, il aima mieux user en douceur du pouvoir que Dieu lui avait donné. En lui donnant la mort, il se serait délivré d’un violent ennemi, mais eût-il pu dire : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent[5] ? » Saül entra dans une caverne où était David, sans savoir que David y fût[6] ; il y venait pour se reposer. Or, David se leva doucement derrière lui et sans être aperçu, puis il coupa un morceau de son vêtement, afin de le lui montrer ensuite, et de lui faire comprendre que, l’ayant eut entre les mains, c’était volontairement et non par nécessité qu’il l’avait épargné et ne lui avait point donné la mort. C’est peut-être cet acte de douceur qu’il fait valoir maintenant quand il dit : « Seigneur, souvenez-vous de David et de toute sa mansuétude ». Ce que je vous en dis, mes frères, c’est ce qui est consigné dans les saintes Écritures. Toutefois, dans les psaumes comme dans toute prophétie, il est de coutume de ne point s’arrêter à la lettre, mais de chercher les figures, au moyen du sens littéral. Et votre charité sait bien que dans tous les psaumes, c’est un homme que nous entendons parler, et que cet homme unique a une tête et un corps la tête est dans les cieux, le corps est sur la terre ; mais où est la tête, le corps doit aller à son tour. Je n’indique point ici quelle est la tête, ou quel est le corps, je parle à des chrétiens instruits.
3. C’est donc l’humilité de David, la douceur de David que notre psaume chante ici en disant à Dieu : « Seigneur, souvenez-vous de David et de toute sa mansuétude ». Dans quelle fin, « Seigneur, vous souviendrez-vous de David ? Souvenez-vous qu’il jura devant le Seigneur, qu’il fit un vœu, au Dieu de Jacob ». Souvenez-vous-en, Seigneur, afin qu’il accomplisse la promesse qu’il à faite. David fait une promesse qu’il peut accomplir, et néanmoins il supplie le Seigneur d’accomplir le vœu qu’il a fait. Il y a de la ferveur dans son vœu, mais de l’humilité dans sa prière. Que nul ne compte sur ses forces pour accomplir ce qu’il a promis. Dieu qui l’engage à faire des vœux, l’aide aussi à les accomplir. Voyons donc ce qu’il a promis par son vœu, et nous comprendrons comment nous devons voir en David une figure. Le nom de David signifie, qui est fort de la main. Or, David était un grand guerrier. Plein de confiance dans le Seigneur son Dieu, il termina heureusement toutes ses guerres, et détruisit tous ses ennemis. Dieu le protégea selon qu’il était nécessaire pour le bien de ses États ; et nous montrait, sous la figure de ce roi, celui dont la main forte devait terrasser dans ses ennemis, le diable et ses anges. Car tels sont les ennemis que renverse l’Église. Et par quel moyen ? Par sa douceur ; et ce fut par sa douceur que notre roi put vaincre le diable. Celui-ci s’emportait, celui-là supportait. Celui qui s’emportait fut vaincu, celui qui supportait fut vainqueur. C’est par la même douceur que l’Église, qui est le corps du Christ, triomphe de ses ennemis. Que sa main soit forte, qu’elle triomphe en agissant. Mais comme elle est le corps du Christ, elle est aussi un temple, une maison, une cité et celui qui est la tête de ce corps, habite aussi cette maison, sanctifie ce temple, règne dans la cité. Voilà tout ce qu’est l’Église, et ce qu’est aussi le Christ. Quel vœu donc avons-nous fait à Dieu, sinon d’être son temple ? Nous ne pouvons rien lui offrir de plus agréable, que de dire avec le prophète Isaïe[7] : « Possédez-nous ». En fait de biens terrestres, c’est faire une faveur à un père de famille que lui donner quelques terres à posséder : il n’en est pas de même dans l’Église : c’est à l’héritage même qu’il est avantageux d’être possédé par Dieu.
4. Que signifie donc cette parole : « Il a juré devant le Seigneur, il a fait un vœu au Dieu de Jacob ? » Voyons quel est ce vœu. Jurer, c’est donner plus de force à une promesse. Considérez le vœu de David, avec quelle ardeur, quel transport d’amour, quel brûlant désir, il l’avait fait, et cependant il implore le secours du Seigneur afin de l’accomplir : « Seigneur, souvenez-vous de David et de toute sa douceur ». C’est dans cette mansuétude qu’il a fait un vœu à Dieu, afin d’être son temple. « Je n’entrerai pas dans mon palais, je ne monterai point sur mon lit de repos ; je ne donnerai pas le sommeil à mes yeux ». C’est peu selon lui de refuser le sommeil à ses yeux, et il ajoute : « Ni l’assoupissement à mes paupières, ni le repos à mes tempes, jusqu’à ce que j’aie trouvé une demeure au Seigneur, un tabernacle au Dieu de Jacob[8] ». Où cherchait-il un lieu pour le Seigneur ? S’il avait la douceur, c’était en lui qu’il le cherchait. Comment pouvait-il être un lieu pour le Seigneur ? Écoute le Prophète : « Sur qui reposera mon Esprit ? Sur celui qui est humble et tranquille, et redoutant ma parole[9] ». Veux-tu être une demeure pour le Seigneur ? Sois humble, calme, redoutant sa parole, et tu seras ce que tu cherches, Si ce que tu cherches ne s’effectue en toi-même, de quoi te servira qu’il s’effectue en un autre ? Quelquefois, il est vrai, Dieu se sert d’un prédicateur pour opérer le salut d’un autre, et de cet autre seulement, si ce prédicateur se contente de dire sans pratiquer ; et ainsi sa langue prépare à Dieu une demeure chez un autre, mais lui-même n’est point cette demeure. Mais l’homme qui pratique le bien qu’il enseigne, et qui l’enseigne en le pratiquant, devient lui-même la demeure de Dieu, de même que l’homme qu’il enseigne ; car tous ceux qui croient ne font qu’une seule demeure pour Dieu. Car Dieu habite le cœur, et tous ceux qui sont unis par la charité n’ont qu’un même cœur.
5. Combien de milliers d’hommes embrassèrent la foi, mes frères, quand ils apportaient aux pieds des Apôtres les biens qu’ils avaient vendus[10] ! Mais que dit l’Écriture à leur sujet ? Ils devinrent sans aucun doute le temple de Dieu ; et non seulement chacun d’eux était le temple du Seigneur, mais ils l’étaient tous ensemble. Ils étaient donc la demeure du Seigneur. Et pour vous montrer qu’ils ne formaient tous ensemble qu’un seul temple de Dieu, voilà que l’Écriture nous dit : « Ils n’avaient tous en Dieu qu’un seul « cœur et qu’une seule âme[11] ». Mais plusieurs ne préparent point en eux une demeure pour Dieu, parce qu’ils recherchent leurs propres intérêts, aiment ce qui leur appartient, se réjouissent d’être puissants, n’aspirent qu’à leur bien propre. Mais l’homme qui veut préparer en lui une demeure à Dieu, doit se réjouir du bien de tous, et non de son propre bien. C’est ce que firent les premiers fidèles à l’égard de leurs biens, ils en firent les biens de tous. Mais était-ce là perdre ce qui était à eux ? S’ils eussent possédé seuls, et que chacun eût possédé son bien propre, il n’eût possédé que sa seule propriété ; mais en rendant commun ce qui lui appartenait en propre, il faisait que tout ce qui appartenait aux autres était aussi à lui. Que votre charité veuille bien écouter. C’est des biens que nous possédons en propre que naissent les procès, les inimitiés, les discordes, les guerres entre les hommes, les tumultes, les dissensions, les scandales, les injustices, les homicides. De quels biens ? Des biens que nous possédons en propre. Est-ce pour les biens que nous avons en commun qu’il y a des procès ? L’air, nous le possédons en commun ; le soleil, nous le voyons en commun. Bienheureux ceux qui préparent une demeure à Dieu, de manière à ne point jouir de leur bien propre. Tel est donc l’état que décrivait le Prophète en disant : « Je n’entrerai point dans le tabernacle de ma maison ». C’était là un bien particulier, et il savait que ce bien particulier l’empêchait de préparer en lui-même une demeure à Dieu, et il énumère tout ce qui lui est propre : « Je n’entrerai point dans le tabernacle de ma maison jusqu’à ce que j’aie trouvé ». Et quand vous aurez trouvé une demeure pour Dieu, ô Prophète, entrerez-vous donc dans votre maison ? Ou bien ne ferez-vous pas votre maison de ce lieu où vous aurez trouvé une demeure pour Dieu ? Pourquoi ? Parce que vous serez vous-même la demeure du Seigneur, et que vous serez dans l’unité avec ceux qui sont sa demeure.
6. Abstenons-nous donc, mes frères, de toute possession privée, ou du moins de tout attachement, sinon de toute possession, et nous préparons une demeure à Dieu. C’est beaucoup pour moi, dit quelqu’un. Or, vois qui tu es pour préparer une demeure à Dieu. Mais si quelque sénateur, ou même, sans être sénateur, si l’intendant de quelque puissant du siècle voulait demeurer chez toi et te disait : Voilà tel objet qui me blesse ; quand même cet objet te plairait, tu l’enlèverais afin de ne point blesser un homme dont tu brigues l’amitié. Or, de quoi peut te servir l’amitié d’un homme ? Peut-être n’y a-t-il aucune protection à espérer, et qu’un danger à courir. Plusieurs en effet ne couraient aucun danger avant d’être liés avec des grands, et n’ont trouvé que de plus grands périls dans ces liaisons tant ambitionnées, Mais désire en toute sécurité l’amitié du Christ. Il veut loger chez toi ; fais-lui une place. Qu’est-ce à dire : Fais-lui une place ? Aime-le sans t’aimer toi-même. T’aimer toi-même, c’est lui fermer la porte. L’aimer, c’est au contraire la lui ouvrir. Si tu lui ouvres, et qu’il entre, tu ne périras pas en t’aimant, puisque tu seras avec celui qui t’aime.
7. « Je n’entrerai point dans ma maison, je ne monterai point sur mon lit de repos ». Un bien privé, quand un homme y trouve son repos, donne de l’orgueil ; aussi le Prophète nous dit-il : « Je ne monterai point ». Qu’un homme, en effet, possède un bien propre, il en devient nécessairement orgueilleux. Il veut s’en prévaloir contre un autre, et tous deux ne sont que chair. Hélas ! mes frères, qu’est-ce que l’homme ? Un peu de chair, Et qu’est-ce que l’autre homme ? Encore un peu de chair. Et toutefois la chair d’un riche s’élève contre la chair d’un pauvre, comme si cette chair avait apporté quelque chose en naissant, ou devait emporter quelque chose à la mort. Tout son avantage n’est qu’une plus grande enflure. Mais celui qui veut trouver une demeure pour le Seigneur lui dit : « Je ne monterai point sur la couche de mon repos ».
8. « Je ne donnerai point de sommeil à mes yeux ». Il en est beaucoup qui dorment sans préparer un lieu au Seigneur. Et voilà que l’Apôtre les réveille : « Levez-vous, ô vous qui dormez, sortez d’entre les morts, et le Christ vous illuminera[12] ». Et dans un autre endroit : « Nous qui sommes enfants de la lumière, veillons et soyons sobres : car ceux qui dorment, dorment la nuit, et ceux qui s’enivrent, s’enivrent la nuit[13] ». Il entend par la nuit, l’iniquité dans laquelle s’endorment ceux qui désirent les biens terrestres. Or, toutes ces félicités qui brillent en ce monde ressemblent aux songes d’hommes endormis. Et de même qui voit en songe un trésor, est riche durant son sommeil ; mais à peine est-il éveillé qu’il redevient pauvre : de même toute la joie que donnent les biens de ce monde n’est que la joie d’un songe ; ces hommes endormis s’éveilleront contre leur gré s’ils ne savent point s’éveiller quand il en est temps, et ils verront que tout cela n’était qu’un songe qui s’est évanoui, selon le mot de l’Écriture : « Comme le songe d’un homme qui s’éveille[14] ». Et ailleurs : « Ces hommes ont dormi leur sommeil, et n’ont o plus rien trouvé dans leurs mains de toutes leurs richesses[15]. Ils ont dormi leur sommeil », le sommeil est passé, « et ils n’ont plus rien trouvé dans leurs mains », parce que dans leur sommeil ils ne voyaient que des richesses passagères. Ainsi donc doit parler celui qui veut trouver en lui une place pour le Seigneur : « Je ne donnerai aucun sommeil à mes yeux ». Or, il en est qui ne dorment pas, mais qui sommeillent. Ils se désaffectionnent quelque peu des choses temporelles, puis s’en rapprochent bientôt ; ils laissent aller leur tête comme dans l’assoupissement. Eveille-toi, dissipe ton sommeil ; car ce sommeil amènera ta chute. Le Psalmiste veut refuser le sommeil à ses yeux, l’assoupissement à ses paupières, afin de trouver une place au Seigneur.
9. « Ni repos à mes tempes », dit encore le psaume. C’est du repos des tempes que le sommeil vient aux yeux ; car les tempes environnent les yeux. Quand le sommeil arrive, il appesantit les tempes ; et c’est dans les tempes que l’on sent une pesanteur quand l’on va dormir ; et quand cette pesanteur devient sensible, le sommeil est bien proche ; et y laisser aller ses yeux, c’est donner du repos aux tempes, et le sommeil vient ; tandis que refuser aux tempes ce même repos, c’est chasser le sommeil. Dès lors qu’un objet temporel te devient agréable et te porte au péché, voilà que tes tempes s’alourdissent. Veux-tu t’éveiller, ne point dormir, pas même sommeiller ? Ne te livre point à ce plaisir, car tu y trouveras plus d’amertume que de charmes. Avec ces pensées, tu frottes pour ainsi dire ton front, dissipant ton sommeil et préparant une place au Seigneur.
10. « Jusqu’à ce que je trouve un lieu au Seigneur, un tabernacle au Dieu de Jacob ». Il est vrai qu’on appelle quelquefois tabernacle de Dieu la maison de Dieu, et maison de Dieu le tabernacle de Dieu ; cependant, mes frères, à proprement parler, le tabernacle de Dieu serait l’Église en cette vie, et la maison de Dieu la céleste Jérusalem, où nous irons un jour. Car, le mot de tabernacle ou de tente rappelle des soldats en campagne, en guerre ; les soldats ont des tentes quand ils font des sièges, des expéditions ; de là ce mot de contubernales, donné aux soldats qui habitent sous la même tente. Tant que nous avons un ennemi à combattre, nous sommes sous la tente avec Dieu. Mais quand le temps du combat sera passé, quand sera venue cette paix qui est au-dessus de tout ce que nous pouvons comprendre, selon le mot de saint Paul : « La paix de Dieu qui est au-dessus de toute intelligence[16] » ; quelque effort, en effet, que fasse notre pensée, elle ne saurait comprendre cette paix, tant que notre esprit est sous le poids de notre corps : quand donc sera venue cette paix, nous serons alors dans la maison, et comme nul adversaire ne nous attaquera, nous n’aurons plus besoin de tente. Nous ne marcherons plus au combat, nous demeurerons pour louer Dieu. Qu’est-il dit, en effet, à propos de cette maison ? « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles[17] ». Nous gémissons sous la tente, nous bénirons Dieu dans la maison. Pourquoi ? Parce que c’est le propre des exilés de gémir, le propre de ceux qui sont dans la patrie de louer Dieu. Mais d’abord, cherchons ici-bas une tente au Dieu de Jacob.

11. « On nous a dit qu’elle était en Ephrata ». Qui « Elle ? » La demeure de Dieu. « On nous a dit qu’elle était en Ephrata ; nous l’avons trouvée dans les campagnes boisées[18] ». L’a-t-il trouvée à l’endroit qu’on lui avait indiqué ; ou bien a-t-il entendu un endroit, et l’a-t-il trouvée dans un autre ? D’abord, cherchons ce que signifie Ephrata qu’on lui a indiqué, puis nous chercherons ces campagnes des forêts où il a trouvé la demeure de Dieu. Ephrata est un mot hébreu qui signifie miroir, si nous en croyons à ceux qui nous ont laissé l’interprétation des mots hébreux pour nous en donner l’intelligence ; car ils ont d’abord traduit l’hébreu en grec, puis le grec a été traduit en latin. Plusieurs, en effet, se sont appliqués à l’étude approfondie des Écritures. Si donc Ephrata signifie miroir, c’est dans un miroir que l’on a entendu parler de cette habitation trouvée dans les campagnes boisées. Or, le miroir reflète une image. Et toute prophétie est une image de l’avenir. Cette maison future de Dieu nous a donc été prédite sous une image prophétique. Car, on nous en a parlé dans un miroir, c’est-à-dire, « nous en avons ouï parler en Ephrata. Nous l’avons trouvée dans les campagnes boisées ». Quelles sont ces campagnes boisées ? des champs pleins de bois ; non point de ces bois dont on dit : cette forêt a tant d’arpents. Mais un lieu boisé est un lieu inculte et sauvage. On trouve, dans certains exemplaires, des lieux sauvages. Quelles étaient donc ces campagnes boisées, sinon les nations incultes ? Quelles étaient ces campagnes boisées, sinon ces campagnes couvertes des broussailles de l’idolâtrie ? Et néanmoins, dans ces broussailles de l’idolâtrie, nous avons trouvé un lieu pour le Seigneur, une tente pour le Dieu de Jacob. « Ce que nous avons entendu dans Ephrata, nous l’avons trouvé dans les campagnes boisées » ; ce qui a été prêché en figure aux Juifs a été manifesté aux Gentils par la foi.

12. « Nous entrerons dans ses tabernacles[19] ». Dans les tabernacles du Dieu de Jacob. Ceux qui entrent pour habiter sont aussi ceux qui entrent pour être habités eux-mêmes. Tu entres dans ta maison pour l’habiter, dans celle de Dieu pour être habité. Dieu vaut mieux qu’une maison, et quand il aura commencé à habiter en toi, il te donnera le bonheur. Et s’il n’habite en toi, tu seras malheureux. Il voulut s’appartenir, ce fils qui dit dans l’Évangile : « Donnez-moi la portion de l’héritage qui doit m’échoir[20] ». Cette part se pouvait conserver entre les mains de son père, et n’eût pas été dissipée avec les femmes de mauvaise vie. Il reçut donc cette part qui fut mise en son pouvoir ; et il s’en alla dans un pays lointain la dissiper avec des prostituées. Puis il souffrit la faim, se souvint de son père, retourna vers lui afin de se rassasier de son pain. Entre donc dans cette maison afin d’être habité, de n’être point à toi, mais à Dieu. « Nous entrerons dans ses tabernacles ».

13. « Nous adorerons dans le lieu où ses pieds se sont reposés ». Les pieds de qui ? Du Seigneur, ou de la maison du Seigneur ? Car le lieu où le Prophète nous dit qu’il faut l’adorer, c’est la maison du Seigneur. « Nous adorerons dans le lieu où ses pieds se sont reposés ». Ce n’est que dans sa maison que le Seigneur nous exauce pour la vie éternelle. Or, celui-là fait partie de la maison du Seigneur, qui est lié par la charité aux pierres vivantes qui la composent. Mais celui-là tombe, qui n’a point la charité, et la maison n’en demeure pas moins après sa chute. Que nul n’ose menacer cette maison, quand il commence à en devenir une pierre en quelque sorte, et qu’il veut tomber, comme si l’on pouvait nuire à cette maison. Tel fut l’orgueil qui s’empara du premier peuple juif, et lui fit dire que le Seigneur, qui avait fait à Abraham son père de si magnifiques promesses relativement à sa postérité, ne saurait y manquer ; et tranquilles sur cette promesse de Dieu, ils commettaient toutes sortes de désordres, dans la persuasion qu’il leur pardonnerait leurs péchés, non point en considération des mérites de ces criminels, mais en considération des mérites d’Abraham, dont tous les enfants, quelle que soit leur dépravation, seraient néanmoins rassemblés pour lui former une maison d’éternelle durée. Mais que dit Jean ? « Race de vipères[21] ». Ces enfants d’Abraham venaient à lui pour recevoir le baptême de la pénitence, et il ne leur dit point : race d’Abraham, mais race de vipères. Car ils ressemblaient à ceux qu’ils imitaient. Dès lors, ils n’étaient plus enfants d’Abraham, mais enfants des Amorrhéens, des Chananéens, des Gergéséens, des Jébuséens, et de tous ceux qui péchaient contre Dieu. Ils en étaient les fils, puisqu’ils en imitaient les actions. « Race de vipères donc, qui vous a enseigné à fuir la colère à venir ? Faites de dignes fruits de pénitence, et ne dites point : Nous avons Abraham pour père ; car Dieu peut, de ces pierres, susciter des enfants d’Abraham[22] ». En parlant de la sorte, Jean voyait sans doute quelques pierres dans les campagnes boisées, et desquelles surgirent des enfants d’Abraham. Car ces fils d’Abraham sont bien plus ceux qui ont imité ses vertus, que ceux qui sont nés de sa chair. Que personne dès lors ne menace la maison de Dieu, en disant : Je me retire et la maison tombera.
Il lui est avantageux d’entrer dans le, corps de l’édifice et d’avoir la charité ; car s’il tombe, la maison n’en subsistera pas moins. C’est pourquoi, mes frères, la maison de Dieu subsiste dans ceux qu’il a prédestinés, et dont il a prévu la persévérance. C’est d’eux qu’il est dit : « Où ses pieds se sont reposés ». Il en est, en effet, qui ne persévèrent point, et en qui ne reposent point ses pieds. Ils ne sont donc point de l’Église, et n’appartiennent point à ce qui est aujourd’hui le tabernacle, et plus tard le palais. Mais où se sont reposés les pieds du Seigneur ? « Parce que l’iniquité abonde », nous dit le Sauveur, « la charité de plusieurs se refroidira[23] ». Or, ses pieds ne se reposent point en ceux dont la charité se refroidit. Mais que dit ensuite le Sauveur ? « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé[24] ». C’est en ceux-là que se reposent ses pieds : c’est là que tu dois adorer, c’est-à-dire, sois de ceux en qui se reposent les pieds du Seigneur.
14. Mais si dans cette parole : « Où se sont arrêtés ses pieds », tu veux voir les pieds de la maison elle-même : que tes pieds demeurent fermes dans le Christ ; et tes pieds seront fermes dans le Christ, si tu persévères en lui. Qu’est-il dit, en effet, du diable ? « Celui-là est homicide dès le commencement, et il n’est point demeuré ferme dans la vérité[25] ». Ses pieds donc ne se sont point arrêtés. De même il est dit des orgueilleux : « Que le pied de l’orgueil ne me heurte point, que la main des pécheurs ne m’ébranle point. Là sont tombés ceux qui commettent l’iniquité, ils ont été repoussés, et n’ont pu demeurer fermes[26] ». Ils forment donc la maison de Dieu, ceux dont les pieds sont fermes. Aussi, que dit Jean dans ses transports de joie : « L’Époux est celui à qui est l’Épouse ; mais l’ami de l’Époux est celui qui se tient debout et qui écoute ». S’il ne demeure ferme, il ne l’écoute pas. « Cet ami est plein de joie à la voix de l’Époux[27] ». C’est avec raison qu’il demeure ferme, puisqu’il se réjouit à la voix de l’Époux ; car il tomberait bientôt s’il se réjouissait de sa propre voix. Vous comprenez dès lors pourquoi sont tombés ceux qui ont mis leur joie dans leur propre parole. Cet ami de l’Époux disait : « C’est là celui qui baptise »[28]. Il en est qui disent : C’est nous qui baptisons. Mais dans l’enivrement de leur parole ils n’ont pu tenir fermes ; et dès lors ils n’appartiennent pas à cette maison dont il est dit : « Là se sont reposés ses pieds ».
15. « Levez-vous, Seigneur, entrez dans votre repos[29] ». C’est au Christ endormi que l’on dit : « Levez-vous ». Car vous savez qui dormi, et qui s’est levé ensuite. C’est lui qui dit en certain endroit des psaumes : « J’ai dormi tout agité[30] ». C’est donc avec raison qu’on lui dit : « Levez-vous, Seigneur, pour votre repos ». Vous ne serez plus agité : « Car le Christ ressuscitant d’entre les morts, ne meurt plus, la mort n’aura plus aucune puissance sur lui[31] ». C’est lui qui dit encore dans un autre psaume : « J’ai dormi, j’ai sommeillé, et je me suis levé, parce que le Seigneur m’a pris sous sa garde[32] ». C’est donc à celui qui a dormi, que l’on dit ici : « Levez-vous, Seigneur, entrez dans votre repos, vous et l’arche de votre sainteté ». C’est-à-dire : Levez-vous afin que se lève aussi l’arche de sainteté, que vous avez sanctifiée. Il est notre chef, son arche est son Église : il s’est levé le premier, et l’Église se lèvera ensuite. Or, le corps n’oserait se promettre de ressusciter si la tête ne l’avait fait la première. « Levez-vous, Seigneur, pour votre repos, vous et l’arche de votre sanctification ». Quelques-uns ont prétendu que cette arche de la sanctification désignait le corps du Christ né de la Vierge Marie ; en sorte que cette invitation : « Levez-vous, Seigneur, vous et l’arche que vous avez sanctifiée », signifierait : Levez-vous avec votre corps, afin que les incrédules puissent le toucher. « Levez-vous, Seigneur, pour votre repos, vous et l’arche de votre sainteté ».
16. « Que vos prêtres soient revêtus de justice, et vos saints dans la joie[33] ». Quand vous vous lèverez d’entre les morts, pour aller à votre Père, que ce sacerdoce royal soit revêtu de foi, car « c’est de la foi que vit le juste[34] » ; et qu’après avoir reçu le gage de l’Esprit-Saint, les membres se réjouissent dans l’espérance de la résurrection, qui a précédé dans le chef ; puisque c’est à eux que l’Apôtre a dit : « Réjouissez-vous dans l’espérance »[35].
17. « A cause de David votre serviteur, ne détournez point les regards de votre Christ[36] ». C’est au Père que l’on dit : « Ne détournez point la face de votre Christ, en considération de David votre serviteur ». Car le Seigneur a été crucifié en Judée, et crucifié par les Juifs ; c’est pendant qu’ils le troublaient qu’il a dormi. Après avoir dormi entre les mains de ces furieux, il s’est levé pour les juger ; et il a dit en quelque endroit : « Ressuscitez-moi, et je me vengerai d’eux[37] ». Il s’est vengé déjà, et doit se venger encore. Les Juifs savent bien ce qu’ils ont souffert après avoir fait mourir le Seigneur. Ils ont été bannis complètement de cette ville où ils l’avaient mis à mort. Mais quoi ! tous ceux de la race de David, de la tribu de Juda, ont-ils donc péri ? Non, car plusieurs d’entre eux embrassèrent la foi, c’est de là que sortirent ces milliers d’hommes qui crurent en Jésus-Christ après sa résurrection. Ils s’emportèrent jusqu’à le crucifier, et quand ils virent les miracles qui s’opéraient au nom du crucifié, ils n’en furent saisis que d’une plus grande frayeur, en voyant éclater la puissance de celui qui avait paru si faible entre leurs mains : et alors touchés de componction, ils crurent que la divinité était vraiment cachée dans cet homme[38] qu’ils avaient regardé comme un autre homme, puis ils demandèrent conseil aux Apôtres. « Faites pénitence, leur fut-il répondu, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ notre Seigneur[39] ». C’est donc parce que le Christ est ressuscité pour juger ceux qui l’ont crucifié, et qu’il a détourné son visage des Juifs, pour le tourner vers les Gentils, que le Prophète paraît le supplier en faveur des restes d’Israël, en disant : « A cause de David votre serviteur, ne détournez point la face de votre Christ ». Si la paille est condamnée, que le bon grain soit recueilli. Que les restes soient sauvés[40], comme le dit Isaïe. Or, ces restes ont été sauvés, puisque c’est de là que vinrent les douze Apôtres, et ces frères au nombre de plus de cinq cents à qui le Seigneur se montra après sa résurrection[41] ; de là ces milliers d’hommes qui se firent baptiser et apportèrent aux pieds des Apôtres le prix de leurs biens[42]. Ainsi donc fut accomplie cette prière que le Prophète adresse au Seigneur : « A cause de David votre serviteur ne détournez point la face de votre Christ ».
18. « Le Seigneur a juré à David dans sa vérité, et il ne s’en repentira point[43] ». Qu’est-ce à dire : « Il a juré ? » Il a confirmé sa promesse par lui-même. Qu’est-ce à dire : « Il ne s’en repentira point ? » Il ne changera point. Car Dieu n’est touché d’aucune douleur de repentir, et il ne se trompe en rien, pour avoir besoin de corriger ses actes. Mais de même que chez l’homme le repentir lui fait changer ses actes, de même quand on dit que Dieu se repent, on doit attendre quelque changement. Mais ce changement se fait autrement en Dieu, bien qu’il conserve le nom de repentir, et autrement en toi. Tu le fais, toi, parce que tu t’es trompé ; mais Dieu le fait, parce qu’il veut châtier ou délivrer. Quand il se repentit d’avoir élevé Saül à la royauté, il le changea, ainsi, qu’il est écrit. Et dans le même endroit l’Écriture dit : « Il se repentit » ; et néanmoins un peu après elle ajoute que « Dieu n’est point semblable à l’homme pour se repentir[44] ». Dès lors quand, par le conseil de son immuable sagesse, il vient à changer ses œuvres, ce changement non dans ses desseins, mais dans ses œuvres, se nomme repentir. Mais la promesse faite à David ne doit point être changée. De même qu’il est dit encore : « Le Seigneur l’a juré, et ne s’en repentira point : tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech[45] ». De même, comme la promesse qu’il a faite est sans changement, et doit nécessairement subsister à jamais, le Prophète a dit : « Le Seigneur a juré à David dans sa vérité et il ne s’en repentira point ; je mettrai sur ton trône le fruit de tes entrailles[46] ». Le Prophète pouvait dire tout aussi bien : Le fruit de tes reins ; pourquoi dès lors a-t-il voulu dire, « le fruit de tes entrailles ? ». En parlant ainsi il eût dit vrai ; mais il a préféré dire « le fruit de vos entrailles », afin de nous mieux préciser que le Christ est né d’une femme sans la participation d’aucun homme.
19. Pourquoi donc ? « Le Seigneur a juré à David dans sa vérité : Je placerai sur ton trône le fruit de tes entrailles ; si tes enfants gardent mon alliance, et mes témoignages que je leur enseignerai, leurs enfants seront à jamais assis sur ton trône ». Si tes enfants sont fidèles à mon alliance, leurs enfants seront osais à jamais. Les pères méritent pour les enfants. Mais qu’arriverait-il, si les fils de David gardaient l’alliance, et non les petits-fils ? Pourquoi le bonheur des enfants est-il dû aux mérites des pères ? Que dit en effet le Prophète ? « Si tes enfants gardent mes témoignages, leurs enfants seront assis pour l’éternité ». Il ne dit point : Si tes enfants gardent mon alliance, ils s’assiéront sur ton trône ; et si leurs enfants la gardent à leur tour, ils seront de même assis sur ton trône ; mais il dit : « Si tes enfants gardent mon alliance, leurs enfants seront assis sur ton trône ». À moins que le Prophète, par leurs enfants, n’entende leurs œuvres. « Si tes enfants », est-il dit, « gardent ma loi, et les préceptes que je leur enseignerai, leurs enfants seront assis sur ton trône » ; c’est-à-dire, le fruit de leurs œuvres sera de s’asseoir sur ton trône. Maintenant, en effet, mes frères, nous tous qui travaillons dans le Christ, nous tous qui tremblons à sa parole, qui nous efforçons par tous les moyens d’accomplir sa volonté, qui gémissons en lui demandant de nous aider à pratiquer ce qu’il commande, sommes-nous donc assis déjà sur ces trônes de félicité qui nous sont promis ? Nullement ; mais dans l’espérance de cet avenir nous observons les préceptes. C’est à cette espérance que l’on donne le nom de fils, puisque pour l’homme qui vit ici-bas, l’espérance est dans les enfants, le fruit dans les enfants encore. Aussi pour abriter leur avarice, les hommes disent-ils qu’ils font des économies pour leurs enfants : leur refus à quelque pauvre est couvert du voile de la piété, car leurs enfants sont leur espérance. Car tous les hommes qui vivent selon l’esprit du monde, ont l’espoir, disent-ils, d’avoir des enfants, de les laisser après eux. C’est dans ce sens que le Prophète donnerait le nom de fils à leur espérance, quand il dit : « Si vos enfants gardent mon alliance et les préceptes que je leur enseignerai, leurs fils seront assis éternellement sur votre trône » ; c’est-à-dire que leur fidélité portera des fruits tels que leur espérance ne sera point illusoire, et qu’ils arriveront où ils espèrent arriver. Donc ici-bas les hommes qui ont de l’espérance dans l’avenir, sont en quelque sorte des pères ; et ils sont comme des enfants quand ils ont acquis ce qu’ils espéraient, et ont en quelque sorte enfanté, engendré par leurs œuvres ce qu’ils possèdent. C’est là ce qui leur est réservé pour après eux, puisque le nom de postérité, ou ceux d’après, désigne ordinairement les enfants.
20. Mais si par enfants vous voulez entendre des hommes, il faut leur appliquer aussi ces paroles : « Si tes enfants gardent mon alliance et les préceptes que je leur enseignerai », en sorte que tel serait le sens : « Si tes enfants gardent mon alliance et les préceptes que je leur enseignerai, ainsi que leurs enfants », s’ils les gardent également ; en sorte qu’il y aurait une distinction, et que la promesse de s’asseoir sur le trône serait pour les enfants de David, et les enfants de ces enfants, mais à la condition que tous garderont ces préceptes. Qu’arrivera-t-il donc, s’ils ne les gardent point ? La promesse de Dieu sera-t-elle donc nulle ? Point du tout. Le Prophète n’a parlé de la sorte, n’a fait cette promesse, que dans la prévision de Dieu ; et qu’est-ce qu’a prévu Dieu, sinon qu’ils croiront ? Et afin que nul ne crût qu’il pouvait se soulever contre les promesses de Dieu, comme s’il dépendait de lui que cette promesse divine fût accomplie ou non, voilà que le Prophète nous dit que Dieu a promis avec serment, ce qui montre que l’accomplissement est infaillible. Pourquoi néanmoins dire : « S’ils gardent ? » Afin que la promesse de Dieu ne te donne aucune présomption, et ne te porte à négliger son alliance. La garder, c’est être fils de David ; la négliger, c’est n’être plus fils de David ; et Dieu n’a rien promis qu’aux fils de David. Tu ne saurais dire : Je suis fils de David, si tu es dégénéré. Les Juifs ne sauraient s’appeler ainsi, quoique nés de sa race. Ils le font, il est vrai, mais c’est une folie. Car le Seigneur leur a porté ce défi : « Si vous êtes les enfants d’Abraham, faites les œuvres d’Abraham[47] ». Il leur en refusait le nom, parce qu’ils n’en imitaient pas les œuvres. Comment nous appeler fils de David, nous qui ne sommes point de sa lignée selon la chair ? Nous ne pouvons être ses fils qu’en imitant sa foi, qu’en servant Dieu comme il l’a servi. Si donc tu ne veux acquérir par de saintes actions ce que tu ne saurais espérer par la naissance, comment s’accomplira pour toi la promesse de t’asseoir sur le trône de David ? Et si elle n’est accomplie en toi, crois-tu qu’elle sera sans effet ? Comment Dieu trouvera-t-il sa demeure dans les campagnes boisées ? Comment ses pieds pourront-ils demeurer fermes ? Quel que tu sois, cette maison subsistera.
21. « Car le Seigneur a choisi Sion, il l’a choisie pour en faire son habitation[48] ». Sion, c’est l’Église, c’est la Jérusalem d’en haut, la cité de la paix, à laquelle nous nous hâtons d’arriver, qui est encore dans l’exil, non pas dans les anges, mais en nous, et dont la partie meilleure attend l’arrivée de l’autre, De là nous sont venues les saintes lettres qu’on lit chaque jour. Telle est la cité, telle est Sion que le Seigneur a choisie.
22. « C’est le lieu de mon repos dans les siècles des siècles[49] ». C’est Dieu qui parle et qui dit : C’est mon repos, c’est là que je me repose. Quel amour de Dieu pour nous, mes frères ! il repose, dit-il, quand nous reposons. Dieu n’est jamais dans l’agitation, et n’a pas besoin de reposer comme nous, mais il dit qu’il se repose, parce que nous trouvons en lui notre repos. « C’est là que j’habiterai, parce que je l’ai choisie »[50].
23. « Je comblerai ses veuves de bénédictions, et ses pauvres je les rassasierai de pain3 ». Toute âme est veuve dès qu’elle se voit dénuée de tout secours autre que celui de Dieu. Quelle peinture, en effet, l’Apôtre nous fait-il de la veuve ? « Celle qui est vraiment veuve et désolée », nous dit-il, « a mis sa confiance dans le Seigneur ». Or, il parlait de ces veuves que nous appelons tous ainsi dans l’Église. Car il avait dit : « Celle qui vit dans les délices est morte, quelque vivante qu’elle soit », et il ne la compte pas au nombre des veuves. Mais que dit-il à propos des veuves saintes ? « Celle qui est vraiment veuve et désolée a mis son espérance dans le Seigneur, et persévère nuit et jour dans les prières et les saintes supplications ». Puis il ajoute « Pour celle qui vit dans les délices, elle est morte, quelque vivante qu’elle soit[51] ». Pourquoi donc l’autre est-elle veuve ? Parce qu’elle n’a d’autre secours que celui de Dieu. Des femmes qui ont leurs maris, tirent des secours de ces maris une certaine vanité ; une femme veuve paraît abandonnée, et son appui n’en est que plus solide. Toute l’Église n’est donc qu’une seule veuve. Elle est veuve dans les hommes, veuve dans les femmes, veuve dans les personnes mariées, veuve dans les femmes qui ont un Époux, veuve dans les jeunes gens, veuve dans les vieillards, veuve dans les vierges. Toute l’Église ne forme qu’une seule veuve, et une veuve abandonnée en ce monde ; si elle comprend son état, si elle est persuadée de sa viduité, elle trouve près d’elle un fort appui. Ne reconnaissez-vous pas, mes frères, cette veuve dans l’Évangile, quand le Seigneur nous dit qu’il faut toujours prier, et ne jamais cesser de prier ? « Il y avait », dit-il, « dans une ville, un juge qui ne craignait pas Dieu, et ne s’inquiétait point des hommes ; et chaque jour une veuve s’en venait le trouver en disant : Faites-moi justice de mon adversaire ». Or, à force de l’importuner, elle le fatigua enfin. « Car ce juge qui ne craignait pas Dieu, et qui n’avait aucun souci des hommes, se dit en lui-même : Quoique je n’aie nulle crainte de Dieu, nul souci des hommes, je lui rendrai néanmoins justice, à cause de son importunité[52] ». Si ce juge corrompu entendit cette veuve, de peur qu’elle ne l’importunât davantage, Dieu pourrait-il ne pas exaucer son Église, qu’il exhorte lui-même à la prière ?
24. De même : « Ses pauvres, je les rassasierai de pains ». Qu’est-ce à dire, mes frères ? Soyons pauvres, et nous serons rassasiés. Il est des hommes enflés des honneurs du monde, des hommes orgueilleux, qui sont chrétiens ; ils adorent Jésus-Christ, mais ne sont pas rassasiés ; ils ne sont rassasiés que de leur orgueil, qu’ils ont en abondance. C’est d’eux que le psaume a dit : « Nous sommes un sujet d’opprobre pour ceux qui sont dans l’abondance, et de mépris pour les superbes[53] ». ils sont dans l’abondance, et mangent sans être rassasiés. Or, qu’a dit le Psalmiste à leur sujet ? « Tous les riches de la terre ont mangé[54] ». Ils adorent le Christ, ils ont pour le Christ de la vénération, ils invoquent le Christ, mais ils ne sont point rassasiés de sa sagesse et de sa justice. Pourquoi ? Parce qu’ils ne sont point pauvres. Quant aux pauvres, c’est-à-dire aux humbles de cœur, plus ils ont faim et plus ils mangent, et ils ont d’autant plus faim qu’ils sont plus détachés du monde. Un homme rassasié dédaigne tout ce que tu peux lui offrir ; il n’a pas faim. Mais donne-moi un affamé, donne-moi ceux dont il est dit : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés[55] », et ils seront ces pauvres dont il est dit ici : « Quant à ses pauvres, je les rassasierai de pains ». Aussi dans ce même psaume où il est dit : « Tous les riches de la terre ont mangé et ont adoré », il est dit encore, à propos des pauvres et dans le sens de notre psaume : « Que les pauvres mangent, et ils seront rassasiés, et ils loueront le Seigneur, ceux qui le recherchent »[56]. Au même endroit où l’on dit que « les riches ont mangé et ont adoré », on dit encore, à propos des pauvres : « Qu’ils mangent et ils seront rassasiés ». Pourquoi, en parlant des riches qui ont adoré, n’est-il pas dit qu’ils sont rassasiés, et pourquoi, en parlant des pauvres, est-il dit qu’ils sont rassasiés ? De quoi sont-ils rassasiés ? Quelle est, mes frères, cette satiété ? C’est Dieu lui-même qui est leur pain. Or, afin que ce pain fut un lait pour nous, il est descendu sur la terre, et il a dit à ses disciples : « Je suis le pain vivant descendu du ciel[57] ». Aussi le psaume que je viens de citer a-t-il dit : « Que les pauvres mangent, et ils seront rassasiés ». De quoi seront-ils rassasiés ? Écoute la suite : « Et ceux qui recherchent le Seigneur le loueront ».
25. Soyez donc pauvres, soyez parmi les membres de cette veuve, n’ayez de secours qu’en Dieu seul. Votre argent n’est rien, il ne vous sera d’aucun secours. Beaucoup sont tombés à cause de leur argent, l’argent a causé leur perte : beaucoup ont été recherchés des voleurs à cause de leur argent ; ils eussent été en sûreté, s’ils n’eussent possédé ce qui les a fait rechercher. Beaucoup ont compté sur la puissance de leurs amis : ces puissants sur lesquels ils comptaient sont tombés et ont entraîné dans leur chute ceux qui comptaient sur eux. Voyez ce que le genre humain nous offre chaque jour. Que voyez-vous d’extraordinaire dans mes paroles ? Ce n’est pas seulement l’Écriture qui nous l’apprend, vous le pouvez lire dans toute la terre. Apprenez donc à ne point compter ni sur l’argent, ni sur l’amitié des hommes, ni sur les honneurs et les vanités du siècle. Méprise tout cela, et si tu le possèdes et que tu le méprises, remercie Dieu. Mais si tu en es enflé, ne considère pas quand est-ce que tu deviendras la proie des hommes, tu es déjà la proie du diable. Or, si tout cela ne te donne point de présomption, tu seras parmi les membres de cette veuve qui est l’Église, et dont il est dit : « Je comblerai sa veuve de mes bénédictions » ; tu seras ce pauvre dont il est dit : « Quant à ses pauvres, je les rassasierai de pains ».
26. Toutefois, mes frères, il est bon de vous le dire, on rencontre l’orgueil chez un pauvre, et l’humilité chez un riche : nous en voyons chaque jour. Quelquefois tu entends un pauvre qui gémit sous l’oppression d’un riche, et quand ce riche puissant l’opprime, le pauvre est humble ; quelquefois il ne l’est pas même à ce moment, il est encore orgueilleux ; ce qui nous montre comme il serait, s’il avait quelque bien. C’est donc par le cœur, et non par la bourse qu’on est pauvre selon Dieu. On rencontre parfois un homme dont la maison est bien remplie, qui a de vastes domaines, de riches maisons de campagne, beaucoup d’or et d’argent, et qui sait qu’il n’y doit point mettre sa confiance, qui s’humilie devant Dieu, et emploie ses richesses en bonnes œuvres ; son cœur s’élève tellement en Dieu, qu’il comprend, non seulement que ses richesses ne servent de rien, mais qu’elles entravent sa marche, si Dieu ne le conduit, et ne vient à son secours ; et le voilà au nombre des pauvres qui sont rassasiés de pains. On en voit un autre qui mendie et qui est orgueilleux, ou s’il n’est orgueilleux, c’est qu’il n’a rien, mais qui voudrait avoir de quoi s’enorgueillir. Or, Dieu n’a aucun égard au bien que l’on possède, mais au bien que l’on voudrait posséder ; et il juge selon ce désir, qui nous fait aspirer aux biens temporels, mais non sur ces biens que nous n’avons pu acquérir. De là cette parole de l’Apôtre à l’égard des riches : « Ordonnez aux riches de ce monde de n’être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne en abondance tout ce qui est nécessaire à la vie ». Que feront-ils donc de leurs richesses ? Le même Apôtre continue en disant : « Qu’ils soient riches en bonnes œuvres ; qu’ils donnent facilement, et fassent part de leurs biens ». Et vois que dans ce cas ils sont pauvres en cette vie : « Qu’ils se fassent un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin qu’ils embrassent la vie éternelle[58] ». Quand ils la posséderont, c’est alors seulement qu’ils seront riches ; mais, qu’ils se reconnaissent pauvres, jusqu’à ce qu’ils la possèdent. C’est ainsi que Dieu compte parmi ses pauvres qu’il rassasie de pains, ceux qui sont humbles de cœur, qui sont affermis dans la double charité, quels que soient d’ailleurs les biens qu’ils possèdent.
27. « Je revêtirai ses prêtres du salut, et ses saints tressailliront d’allégresse[59] ». Nous voici à la fin du psaume, que votre charité veuille bien écouter quelque peu : « Je revêtirai ses prêtres du salut, et ses saints tressailliront d’allégresse ». Quel est notre salut, sinon le Christ Notre-Seigneur ? Qu’est-ce à dire dès lors : « Je revêtirai ses prêtres du salut ? Vous tous », dit saint Paul, « qui êtes baptisés en Jésus-Christ, vous avez revêtu le Christ[60]. Et ses saints tressailliront d’allégresse ». D’où leur viendra cette allégresse ? De ce qu’ils sont revêtus du salut, non par eux-mêmes ; car « ils sont lumière », il est vrai, mais « dans le Seigneur[61] » ; auparavant ils étaient ténèbres. De là vient que le psaume ajoute : « C’est là que j’établirai la force de David[62] » ; afin que l’on se confie dans le Christ qui sera la grandeur de David. Le mot corne, du Prophète, signifie grandeur. Or, quelle sera cette grandeur ? Non pas une grandeur charnelle, car tous les os sont enveloppés de chair, mais la corne s’élève au-dessus de la chair. Cette corne est donc une grandeur spirituelle. Or, en quoi consiste l’élévation spirituelle, sinon à mettre sa confiance dans le Christ ; à ne pas dire : C’est moi qui agis, moi qui baptise ; mais bien : « C’est le Christ qui baptise ? » C’est là qu’est la grandeur de David. Et afin que vous sachiez que telle est la grandeur de David, écoutez ce que dit ensuite le Prophète : « J’ai préparé une lampe à mon Christ ». Quelle est cette lampe ? Vous le savez déjà par les paroles de Jean : « Il était une lampe ardente et brûlante[63] ». Et que dit encore Jean ? « C’est lui qui baptise ». C’est donc en lui que tressailliront les saints, que tressailliront les prêtres : car tout le bien qui est en eux, ne vient point d’eux, mais de Celui qui a le pouvoir de baptiser. Quiconque dès lors est baptisé vient en son temple avec sécurité ; parce que le baptême ne vient point d’un homme, mais de celui en qui Dieu a établi la puissance de David.
28. « En lui fleurira ma sainteté[64] » En qui ? En mon Christ. Car cette expression : À mon Christ, est la parole du Père, qui dit : « Je comblerai sa veuve de bénédiction, et ses pauvres, je les rassasierai de pains. Ses prêtres, je les revêtirai du salut, et ses saints tressailliront d’allégresse ». Celui qui a dit : « C’est là que j’établirai la force de David », c’est Dieu le Père ; lui qui dit encore : « J’ai préparé une lampe à mon Christ », car le Christ est tout à la fois notre Christ, et le Christ du Père. Il est notre Christ, puisqu’il nous sauve et nous gouverne, de même qu’il est notre Seigneur, et le Fils du Père ; mais il est Christ, et pour nous et pour son Père. S’il n’était point le Christ, du Père, il ne serait point dit plus haut : « A cause de David votre serviteur, ne détournez point la face de votre Christ, Sur lui s’épanouira la fleur de ma sainteté ». C’est dans le Christ qu’elle fleurit. Que nul d’entre les hommes n’ose se l’attribuer, puisque c’est le Christ qui sanctifie ; autrement cette parole ne serait point vraie : « C’est en lui que s’épanouira la fleur de ma sanctification ». La gloire de ma sanctification s’épanouira. La sanctification du Christ est donc dans le Christ, et c’est dans le Christ que réside le pouvoir de Dieu dans la sanctification. « Elle fleurira », dit le Prophète, ce qui signifie la gloire. C’est quand les arbres fleurissent qu’ils sont dans leur beauté. Donc la sanctification est dans le baptême, qui lui donne sa fleur et sa gloire. Comment le monde entier s’est-il incliné devant cette beauté ? Parce que c’est la beauté du Christ, Mettez-la au pouvoir des hommes, comment fleurira-t-elle, puisque toute chair n’est que du foin, et toute la beauté de la chair n’est que la beauté d’une herbe[65] ?


DISCOURS SUR LE PSAUME 132[modifier]

SERMON AU PEUPLE, EN FAVEUR DES MOINES ET CONTRE LES DONATISTES.[modifier]

LE MOINE, OU L’UNITÉ DE CŒUR.[modifier]

C’est le bonheur pour des frères de demeurer dans l’unité qui a enfanté leu monastères. Ceux qui le comprirent les premiers furent les Apôtres, puis les disciples qui n’avaient qu’un seul cœur. Comparez le moine catholique, humble et sobre, avec le Circoncellion ivrogne et furieux. Qu’il y ait de faux moines, cela tient à l’humanité, puisque ni parmi ceux qui gouvernent l’Église, ni parmi ceux qui servent Dieu dans le calme, ni parmi les gens du monde, tous ne seront point sauvés. Les hérétiques donnent à leurs solitaires le nom d’Agonistiques, du mot agon, combat ; puissent-ils justifier ce nom en combattant pour le Seigneur ! Les catholiques les appellent moines, de monos, seul, ou plusieurs en un seul par l’âme. Ils peuvent bien nous reprocher le nom de moines, eux qui ne reconnaissent l’unité ni dans l’Église ni dans les âmes.

Cette unité ressemble au parfum sur la tête d’Aaron, ou du souverain prêtre, lequel descend sur sa barbe, ou sur le signe de sa force, comme les Apôtres, comme Étienne le premier martyr, qui triomphe par la charité. Le parfum descend sur le bord du vêtement ou sur l’Église, qui est sans tache, puisqu’elle est purifiée dans le sang du Christ, sans ride puisqu’elle est étendue sur la croix. Ce bord est celui d’en haut qui donne passage à la tête, parce que le Christ entre chez nous par la charité fraternelle. Comme la rosée d’Hermon ; c’est-à-dire que tout cela s’accomplit en nous par la grâce de Dieu. Hermon signifie lumière d’en haut, et désigne le Christ, qui donne le calme et la paix, et dès lors l’unité des âmes. C’est dans celte paix que nous devons louer le Seigneur ; et si nous ne pouvons le trouver sur la terre, habitons dans le ciel par l’âme.


1. Notre psaume est court, mais célèbre et fort connu. « Qu’il est bon, qu’il est agréable pour des frères d’habiter ensemble[66] ». Il y a tant de douceur dans ce verset qu’on le chante quand même on ne connaîtrait point le Psautier. Il est doux comme est douce la charité qui réunit les frères dans une même demeure. Qu’il soit bon, qu’il soit agréable pour des frères d’habiter ensemble, c’est là ce qui n’a besoin ni d’explication ni de commentaire. Mais dans a suite il faut frapper, afin que la porte s’ouvre. Néanmoins, afin que ce premier verset nous donne le sens de tout le psaume, considérons si ce n’est point de tous les chrétiens qu’il est dit : « Combien il est bon, combien il est agréable pour des frères d’habiter ensemble », ou s’il n’y en a pas quelques-uns des plus parfaits qui demeurent ensemble, et sur qui tomberait cette bénédiction qui ne serait point dès lors pour tous, mais pour quelques-uns seulement, d’où elle se répandrait sur les autres.
2. Cette parole du psaume, ce chant suave, cette ravissante mélodie que l’on trouve dans le cantique même et dans le sens a enfanté les monastères. Tel est le chant qui a excité les frères à demeurer ensemble ; ce verset a été pour eux une trompette éclatante : elle a retenti dans l’univers entier, et ceux qui étaient divisés se sont réunis. Ce cri de Dieu, ce cri du Saint-Esprit, ce cri prophétique n’était pas entendu dans la Judée, et toutes les contrées de la terre l’ont entendu. Ceux qui l’entendaient chanter demeuraient sourds à cette parole du psaume, et il s’est trouvé que ceux-là ont prêté l’oreille dont il est dit : « Voilà qu’ils le verront, ceux qui n’ont pas entendu parler de lui, et ceux qui une l’ont pas entendu comprendront[67] ». Toutefois, mes bien-aimés, à bien considérer, c’est dans la muraille de la circoncision que cette bénédiction a pris sa source. Tous les Juifs, en effet, ont-ils péri ? Et d’où viennent les Apôtres, fils des Prophètes, fils de ceux que l’on a secoués[68] ? expression que vous comprenez. D’où viennent encore ces cinq cents disciples, qui virent le Seigneur après sa résurrection, et que mentionne saint Paul[69] ? D’où encore ces cent vingt qui étaient réunis dans un même lieu, après la résurrection et l’ascension du Seigneur, et sur lesquels descendit en ce lieu le Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte, envoyé selon la promesse du Sauveur ? Tous venaient du peuple juif, et ont les premiers habités ensemble ; ils vendaient leurs biens, et en apportaient le prix aux pieds des Apôtres, comme nous lisons dans les Actes des Apôtres ; « et on le distribuait à ceux qui avaient besoin, et nul ne revendiquait rien en propre, mais toutes choses leur étaient communes ». Que signifie « ensemble », ou « en un », in unum? L’Écriture nous répond : « Ils n’avaient qu’une même âme, et un même cœur en Dieu[70] ». Voilà ceux qui ont compris les premiers : « Combien il est bon, combien il est agréable pour des frères d’habiter dans l’unité », Ils sont les premiers pour l’avoir entendu, mais ne sont point les seuls, car cet amour, cette union des frères ne s’est point arrêté en eux. Cette allégresse de la charité, ce vœu que l’on fait à Dieu, ont passé à ceux qui les suivaient. Il y a là, en effet, un vœu fait à Dieu, et il est dit « Promettez à votre Dieu, et tenez à votre promesse ». Toutefois, il est mieux de ne faire aucun vœu, que d’en faire un sans le tenir[71]. Mais notre âme doit être fervente à faire des vœux et à les acquitter, de peur qu’en se croyant trop faible pour les acquitter, elle ne soit tiède à les faire. Mais jamais elle ne s’acquittera si elle compte le faire par elle-même.
3. C’est d’un mot de notre psaume qu’est venu le nom de moines, et je vous en fais la remarque afin qu’on ne prenne pas un tel nom pour une injure aux catholiques. Quand vous reprochez aux hérétiques les désordres des Circoncellions, afin qu’ils en rougissent pour leur salut, ils vous objectent les moines. Voyez d’abord s’il est possible de les comparer ; vous seriez embarrassés d’exprimer votre pensée. Mais vous n’avez besoin que d’inviter chacun à regarder les uns et les autres ; oui, qu’on regarde seulement et qu’on compare. Qu’avez-vous besoin de parler ? Que l’on compare des ivrognes avec des hommes sobres, des hommes sans frein avec des hommes mesurés, des furieux avec des hommes simples, des vagabonds avec des hommes qui vivent enfermés ensemble. Mais, nous disent-ils, que signifie ce nom de moines ? Avec combien plus de raison leur dirons-nous : Que signifie le nom de Circellions ? Mais, disent-ils, Circellions n’est point leur nom. Peut-être les appelons-nous d’un nom qui est altéré. Vous dirons-nous leur nom tout entier ? On les nomme peut-être Circoncellions, et non Circellions. Si tel est leur nom, qu’ils nous en donnent le sens. Car on les nomme Circoncellions parce qu’ils errent en vagabonds autour des cellules. Ils vont çà et là, sans avoir de demeures fixes ; ils font ce que vous savez, ce que les hérétiques, bon gré, mal gré, ne peuvent ignorer.
4. Toutefois, mes bien-aimés, il y a aussi de faux moines et nous en connaissons ; mais la sainte fraternité n’a point péri, parce que des hommes se donnent pour ce qu’ils ne sont point. Il y a de faux moines, comme il y a de faux clercs et de faux fidèles. Tous les états de vie, mes frères, les trois dont je vous ai quelquefois parlé, et même souvent, si je ne me trompe, renferment des bons et des méchants. C’est de ces trois genres de vie qu’il est dit « Deux hommes seront dans les champs, l’un sera pris, l’autre sera laissé[72] ; « deux seront dans un lit, l’un sera pris, l’autre laissé ; deux femmes à la meule, l’une sera prise, l’autre laissée[73] ». Ceux-là sont dans un champ, qui gouvernent l’Église. De là ce mot de l’Apôtre, et voyez s’il n’était pas dans un champ : « J’ai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu a donné l’accroissement[74]3 ». Par ceux qui sont dans un lit, l’Évangile entend ceux qui aiment le repos, car le symbole du repos c’est un lit ; ceux qui ne se mêlent point à la foule ni au tumulte du monde, qui servent Dieu dans la tranquillité : et pourtant l’un sera pris et l’autre sera laissé. Il y a des bons comme il y a là des méchants. Ne vous étonnez pas que l’on trouve là des réprouvés, il y en a quelquefois de cachés qu’on ne découvrira qu’à la fin. Deux sont à la meule, et il désigne ici des femmes, parce qu’il a voulu indiquer les gens du monde. Pourquoi à la meule ? Parce qu’ils sont dans le monde comme dans un moulin. Le monde, en effet, tourne comme une meule ; malheur à ceux qu’elle brise. Les bons d’entre les fidèles y sont de telle sorte, que l’un périt et l’autre se sauve. Il en est qui imitent le monde par amour pour le monde, et deviennent trompeurs et dissimulés. D’autres y sont, comme le dit l’Apôtre : « Usant du monde comme s’ils n’en usaient pas, car la figure du monde passe, et je veux que vous soyez sans inquiétude[75] ». Tu entends celle qui sera prise à la meule. Il est constant que les riches sont exposés à un plus grand nombre de péchés. Engagés dans plus d’affaires, administrant de plus grands biens, ayant de plus hauts emplois, il est difficile pour eux de ne point commettre plus de fautes ; et c’est d’eux qu’il est dit « Qu’un chameau passera plus facilement dans le trou d’une aiguille qu’un riche n’entrera dans le royaume des cieux[76] ». Et comme les Apôtres s’affligeaient au sujet de ceux dont ils désespéraient, le Seigneur leur dit pour les consoler : « Ce qui est impossible à l’homme est facile à Dieu[77] ». Comment Dieu nous rend-il cela facile ? Écoute l’Apôtre, et ne néglige pas ses préceptes : « Ordonnez aux riches du siècle », dit-il, « de n’être point orgueilleux[78] ». Car on trouve souvent un pauvre qui est orgueilleux, un riche qui est humble, un chrétien qui considère avec raison que toutes les choses d’ici-bas passent et s’écoulent, qu’il n’a rien apporté en ce monde, qu’il n’en saurait rien emporter ; qui médite sur le riche de l’Évangile, brûlant dans les flammes de l’enfer, et demandant qu’une goutte d’eau tombât du doigt de celui qui désirait autrefois les miettes qui tombaient de sa table[79]. Ceux qui méditent ces vérités suivent l’avis de l’Apôtre : « De ne mettre point leur espérance dans les richesses qui u sont incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie. Qu’ils soient riches en bonnes œuvres, qu’ils donnent facilement, et s’amassent ainsi un trésor ». Et quel bien leur en reviendra-t-il ? « Qu’ils s’amassent un trésor et un bon fondement pour l’avenir, afin d’embrasser la vie véritable[80] ». Voilà celle qui sera prise à la meule. Mais tout homme qui sera semblable à ce riche qui était revêtu de pourpre et de du lin, qui faisait chaque jour bonne chère et qui méprisait le pauvre couché à sa porte, celui-là sera laissé. Car l’une sera prise à la meule et l’autre sera laissée.
5. Ezéchiel, à son tour, parle de trois personnes qui désignent bien ces trois catégories : « Quand le Seigneur jettera son glaive sur la terre, dût-on trouver parmi eux Noé, Daniel et Job, ils ne délivreront pas leurs fils et leurs filles, mais ils seront seuls sauvés[81] ». Ces justes étaient déjà délivrés, mais ces trois noms étaient trois types. Noé désigne ceux qui gouvernent l’Église, parce qu’il gouverna l’arche au temps du déluge[82]. Daniel choisit la vie paisible, et servit Dieu dans le célibat, c’est-à-dire sans rechercher le mariage. C’était un homme saint, dont la vie s’écoulait en de saints désirs[83], qui passa par beaucoup d’épreuves, et qui fut trouvé comme l’or le plus pur. Quel n’était pas son calme, puisqu’il fut trouvé tranquille au milieu des lions ? Dès lors, le nom de Daniel, qui fut appelé un homme de désirs[84], mais des chastes et saints désirs, indique les serviteurs de Dieu dont il est dit : « Combien il est bon, combien il est agréable, pour des frères, d’habiter ensemble ». Job désigne cette femme qui sera prise à la meule. Il avait une Épouse, il avait des enfants, il avait de grandes richesses[85], et tels étaient ses grands biens en cette vie, que le diable lui reprochait de ne point servir Dieu gratuitement, mais pour les biens qu’il avait reçus de lui. Tel fut le reproche de l’ennemi à ce saint homme, et dans ses épreuves Job montra qu’il servait Dieu gratuitement, non pour ce qu’il avait reçu, mais bien pour celui qui avait donné. Quand une ruine soudaine, une triste épreuve lui eut tout enlevé, enlevé son héritage, enlevé ses héritiers, pour ne lui laisser que sa femme, encore n’était-ce point pour consolation, mais pour le comble de l’épreuve, il dit ces paroles que vous connaissez : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; il est arrivé ce qu’il a plu au Seigneur, que le nom du Seigneur soit béni ». Alors s’accomplit en lui ce que nous chantons, si tant est que nous le chantions par nos mœurs : « Je bénirai le Seigneur en tout temps sa louange sera toujours en ma bouche »[86]. Ces trois hommes sont donc trois types humains, que nous avons retrouvés dans les trois états de l’Évangile.
6. Que nous disent maintenant ceux qui nous reprochent avec insolence le nom de moines ? Ils diront peut-être : Nous n’appelons point les nôtres Circoncellions ; c’est vous autres qui leur donnez ce nom par mépris, car nous ne les appelons pas ainsi. Qu’ils nous disent alors comment ils les nomment, et vous entendrez. Ils les appellent Agonistiques. C’est là un beau nom, il faut l’avouer, si la réalité y répondait. Mais que votre charité voie avec nous ; que ceux qui nous disent : Montrez-nous où est écrit ce nom de moines, veuillent bien nous montrer où est écrit celui d’Agonistiques. Nous les appelons ainsi, disent-ils, à cause de leurs combats. Car ils combattent, et saint Paul dit de lui-même « qu’il a bien combattu[87] ». Il en est qui combattent contre le démon, et qui remportent la victoire ; soldats de Jésus-Christ, ils se nomment Agonistiques ou combattants. Plût à Dieu qu’ils fussent les soldats du Christ, et non les soldats du diable, eux dont le mot, louange de Dieu[88], est plus à craindre que le rugissement du lion, ils osent bien nous reprocher que nos frères saluent les hommes qu’ils rencontrent par cette parole : Grâces à Dieu[89]. Que signifie, nous disent-ils : Grâces à Dieu ? Es-tu donc sourd au point de ne pas comprendre ce que signifie : Grâces à Dieu ? Parler ainsi, c’est remercier Dieu. Or, vois si un frère ne doit pas rendre grâce à Dieu quand il rencontre un frère. Quand ceux qui demeurent en Jésus-Christ se voient mutuellement, n’y a-t-il pas lieu de se féliciter ? Et pourtant vous riez de notre grâce à Dieu, tandis que les hommes pleurent votre louange à Dieu. Mais puisque vous nous avez expliqué votre nom d’Agonistiques, puissent-ils justifier cette appellation, puissent-ils être combattants, nous y applaudissons. Que Dieu leur donne de combattre le diable, et non le Christ dont ils persécutent l’Église. Puisque vous les appelez Agonistiques ou combattants, et que vous trouvez une raison de ce nom dans le mot dc saint Paul : « J’ai combattu un bon combat[90] » ; pourquoi ne pourrions-nous pas nous servir du nom de moines, quand le psaume nous dit : « Combien il est bon, combien il est agréable pour des frères d’habiter ensemble » ou en un. Or, monos signifie un, et non pas un indifféremment : en effet, un se trouve dans une foule, mais une foule composée de plusieurs ne saurait se dire un, monos, c’est-à-dire seul : car monos signifie un seul. Donc ceux qui vivent en commun, de manière à ne former qu’un seul homme, et à réaliser en eux cette parole de l’Écriture, « un cœur et une âme[91] », peuvent être plusieurs corporellement, mais non plusieurs âmes ; plusieurs corps, mais non plusieurs cœurs. Voilà bien monos, c’est-à-dire un seul. De là ce seul malade qui était guéri à la piscine. Qu’ils nous répondent ceux qui nous rejettent le nom de moines comme une insulte ; qu’ils nous disent pourquoi cet homme paralytique depuis trente-huit années répondit au Seigneur : « Aussitôt que l’eau est troublée, je n’ai personne pour m’y jeter, et un autre descend avant moi[92] ». Un malade était descendu, un autre n’y descendait plus : un seul était guéri, et nous figurait l’unité de l’Église. Il est vrai qu’ils ont raison d’insulter à l’unité, ceux qui se sont séparés de l’unité. C’est justement que le nom de moines leur déplaît, eux qui ne veulent pas demeurer dans l’unité avec leurs frères, qui ont abandonné le Christ afin de suivre Donat. Votre charité vient d’entendre la recommandation de l’unité d’un seul ; réjouissons-nous donc avec le Psalmiste et voyons ce qui suit. Le psaume est court, nous pouvons avec la grâce de Dieu le parcourir rapidement. Ce que nous avons dit déjà, nous éclairera sans doute pour la suite, bien qu’on y trouve des obscurités.
7. « Voilà combien il est bon, combien il est agréable pour des frères d’habiter ensemble ». Dire voilà, c’est montrer. Pour nous, mes frères, nous le voyons et nous en bénissons le Seigneur ; nous le prions de pouvoir dire à notre tour : Voilà. Mais à quoi va-t-il comparer ces frères ? Que le Prophète nous le dise : « Comme un parfum répandu sur la tête d’Aaron, qui descend le long de sa barbe, et jusque sur le bord de son vêtement[93] ». Qu’était-ce que Aaron ? Le grand prêtre. Quel est le véritable prêtre, sinon celui qui est entré seul dans le Saint des saints ? Quel est ce prêtre, sinon celui qui a été victime et prêtre ? sinon celui qui, ne trouvant dans le monde rien que d’immonde à offrir à Dieu, s’offrit lui-même ? Sur sa tête est le parfum, parce que le Christ tout entier comprend l’Église. Mais c’est de la tête que descend le parfum. Notre tête, c’est le Christ crucifié et enseveli, et qui est ressuscité pour monter au ciel. Telle est la tête qui a envoyé l’Esprit-Saint ; où ? Sur sa barbe. Car la barbe est le symbole de la force, elle est le propre d’une jeunesse vigoureuse, alerte et robuste. De là vient qu’en parlant de ces sortes d’hommes, nous disons : c’est un barbu. Ce fut donc sur les Apôtres que ce parfum descendit tout d’abord ; il descendit sut ceux qui soutinrent les premiers chocs du monde ce fut sur eux que descendit l’Esprit-Saint. Et eux aussi qui avaient commencé à demeurer ensemble, in unum, souffrirent persécution ; mais comme le parfum était descendu sur la barbe, ils la souffrirent sans être vaincus. Déjà la tête avait précédé, et avait fait couler le parfum, et après un si grand exemple, qui eût pu vaincre la barbe qui en était pénétrée ?
8. C’est dans cette barbe qu’était le bienheureux Étienne. Et n’être pas vaincu, cela consiste à ne pas laisser vaincre notre charité par nos ennemis. Ceux qui ont persécuté les saints ont cru avoir vaincu ; les premiers frappaient, les seconds étaient frappés ; les premiers égorgeaient, les seconds étaient égorgés. Qui n’aurait cru que les uns étaient vainqueurs, les autres vaincus ? Mais parce que la charité n’a pas été vaincue, voilà que le parfum est descendu sut sa barbe. Écoutez Étienne. La charité fut violente en lui ; il était violent pour eux quand ils l’écoutaient, et il pria pour eux quand ils le lapidaient. Quel était son langage quand ils l’écoutaient ? « Têtes dures, hommes incirconcis du cœur et des oreilles, vous avez toujours résisté à l’Esprit-Saint[94] ». Voilà la barbe. Est-il flatteur ? Est-il timide ? En entendant ces reproches qui les flétrissaient (car l’emportement d’Etienne n’était que l’emportement des paroles, mais son cœur était plein de charité pour eux, et en lui la charité ne fut pas vaincue) ; ceux-ci donc n’eurent que de la haine contre ses paroles, ils étaient ténèbres et fuyaient la lumière, elles voilà qui prennent des pierres pour lapider Étienne. Les paroles d’Etienne les avaient frappés comme des pierres, et leurs pierres frappèrent Étienne Est-ce pendant qu’on le lapidait, ou pendant qu’on l’écoutait que notre Saint avait plus raison de s’emporter ? Toutefois il était doux quand on le lapidait, emporté quand on l’écoulait. Pourquoi ce transport quand on l’écoulait ? Parce qu’il voulait changer ses auditeurs. Mais les pierres qui tombaient sur lui ne purent vaincre sa charité : parce que le parfum divin était descendu de la tête sur la barbe, et la tête lui avait dit : « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent[95] ». Il avait ouï de cette tête clouée à la croix cette parole : « Mon Père, pardonnez-leur, parce qu’ils ne savent ce qu’ils font[96] ». C’est ainsi que de la tête le parfum était descendu sur la barbe, et quand on lapidait ce fervent disciple, il mit le genou en terre en s’écriant : « Seigneur, ne leur imputez pas ce péché[97] ».
9. Ces saints étaient commue la barbe. Car beaucoup étaient courageux et enduraient de grandes persécutions. Mais si de la barbe ce parfum n’était descendu plus bas encore, nous n’aurions point aujourd’hui de monastères, Nous en avons, parce qu’il est descendu sur le bord du vêtement : car c’est ainsi que dit le psaume : « Qui est descendu sur le bord de son vêtement ». Voilà que l’Église a suivi, et du vêtement du Seigneur a fait éclore des monastères. Car le vêtement sacerdotal est le symbole de l’Église. Telle est la robe dont l’Apôtre a dit que le Christ a voulu « faire paraître devant lui une Église pleine de gloire, sans tache et sans ride[98] ». Elle est purifiée, afin de n’avoir aucune tache ; elle est étendue, afin de n’avoir aucune ride. Où donc ce divin foulon l’a-t-il étendue, sinon sur la croix ? Nous voyons chaque jour les foulons qui mettent les manteaux en croix, en quelque sorte, afin qu’étendus sur des croix, ils n’aient aucune ride, Qu’est-ce donc que le bord du vêtement ? Oui mes frères, que faut-il comprendre par les bords du vêtement ? Le bord, c’est la fin du vêtement. Or, que faut-il comprendre par cette fin ? Que l’Église, à la fin des temps, aura des frères qui habiteront ensemble ou en un ? Ou bien ce bord ne désignerait-il pas la perfection, car c’est le bord qui achève le vêtement, et alors ceux-là seraient parfaits parce qu’ils sauraient habiter en un ? Mais ceux-là sont parfaits qui accomplissent la loi. Or, comment la loi du Christ est-elle accomplie en ces frères qui demeurent ensemble ? Écoute l’Apôtre : « Portez mutuellement vos fardeaux, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ[99] ». Tel est le bord du vêtement. Toutefois, mes frères, comment pouvons-nous comprendre que tel est le bord du vêtement, dont parle notre psaume, et où descend le parfum ? Je ne crois pas qu’il soit ici question des bords qui forment les côtés du vêtement. Il y a des bords en effet sur les côtés. Mais de la barbe, le parfum a pu descendre sur le bord qui est près de la tête, et où s’ouvre le passage de la tête. C’est l’état de ceux qui demeurent ensemble : en sorte que de même que c’est par ces bords que passe la tête de l’homme qui veut se vêtit, de même le Christ qui est notre tête, entre chez nous par la concorde fraternelle, afin que nous nous revêtions de lui, et que son Église lui demeure unie.
10. Que dit encore le Prophète ? « Comme la rosée d’Hermon qui descend sur les montagnes de Sion[100] ». Dans ces paroles, mes frères, le Prophète veut nous marquer que la grâce de Dieu est parmi les frères qui demeurent en un : que ce n’est point un effet de leurs forces, ni de leurs mérites, mais que c’est par un don de Dieu, une de ses grâces, comme la rosée qui nous vient du ciel. Car ce n’est point la terre qui peut se la donner, et tout ce qu’elle produit sécherait bientôt, si la pluie ne venait d’en haut. Il est dit quelque part dans un psaume : « Vous ménagez, ô Dieu, une pluie volontaire à votre héritage[101] ». Pourquoi dire volontaire ? C’est qu’elle n’est point due à nos mérites, et qu’elle nous vient de sa bienveillance. Quel bien avons-nous pu mériter, nous qui sommes pécheurs ? Quel bien avons-nous pu mériter, au milieu de nos iniquités ? Adam vient d’Adam, et sur cet Adam beaucoup de péchés. Qu’un homme vienne au monde, c’est Adam qui vient au monde, un damné qui vient d’un damné, et qui surcharge Adam par les péchés de sa vie. Or, quel bien a mérité Adam ? Et toutefois Dieu dans sa miséricorde a aimé, l’Époux a aimé cette Épouse, qui n’était point belle, mais qu’il voulait embellir. C’est donc la grâce de Dieu que le Prophète appelle la rosée d’Hermon.
11. Mais vous devez savoir ce qu’est Hermon. C’est une montagne assez éloignée de Jérusalem ou de Sion. Dès lors il y a de quoi nous surprendre dans cette parole du Prophète : « Comme la rosée d’Hermon qui descend sur les montagnes de Sion », puisque la montagne d’Hermon est éloignée de Jérusalem, et qu’elle est, dit-on, au-delà du Jourdain. Cherchons donc un sens dans la signification d’Hermon. C’est un nom hébreu, dont le sens nous est donné par ceux qui savent cette langue. Or, Hermon signifie lumière élevée. Du Christ nous vient la rosée, puisque nul autre que le Christ n’est une lumière élevée. Comment dès lors est-il une lumière élevée ? D’abord sur la croix, ensuite dans le ciel. Il a été élevé sur la croix quand il s’est humilié ; mais son humiliation n’a pu être que relevée. Ce qu’il y avait de l’homme diminuait de plus en plus, comme il est arrivé à Jean ; mais ce qui était de Dieu devait croître eu Jésus-Christ Notre-Seigneur : c’est encore ce qui est marqué par leur naissance. Car selon la tradition de l’Église, Jean est né le huit des kalendes de juillet, quand les jours commencent à diminuer, et Notre-Seigneur, le huit des kalendes de janvier, quand les jours commencent à croître. Écoute Jean qui nous dit : « Quant à lui, il doit croître, et moi diminuer[102] ». Or, voilà ce que marque leur genre de mort. Le Seigneur fut élevé en croix, et Jean diminué de la tête. Le Christ est donc une lumière élevée ; et de là vient la rosée d’Hermon. Mais vous qui voulez habiter ensemble, soupirez après cette rosée, soyez-en trempés. Sans cela vous ne pourrez posséder ce dont vous faites profession, comme vous ne pourrez avoir le courage de le professer, si le Christ ne vous fait entendre son tonnerre dans votre cœur. Vous ne pourrez persévérer, s’il cesse de rassasier vos âmes, parce que cet aliment sacré descend sur les montagnes de Sion.
12. Déjà, nous le savons, « les montagnes de Sion » sont grandes en Sion. Qu’est-ce que Sion ? L’Église. Et quelles sont les montagnes dans l’Église ? Les grands. Ceux qui sont les montagnes sont aussi désignés par la barbe, et par le bord du vêtement. Car la barbe n’a d’autre sens que la perfection. Il n’y a donc pour habiter ensemble que ceux qui ont la charité parfaite. Car ceux qui n’ont point la charité parfaite en Jésus-Christ, lors même qu’ils demeurent ensemble deviennent odieux, imposteurs, troublent les autres par leur turbulence, et cherchent à les critiquer ; de même que dans un attelage, un cheval fougueux non seulement ne tire point, mais par ses ruades brise tout l’attelage. Mais quiconque a reçu cette rosée d’Hermon, qui descend sur les montagnes de Sion, il est tranquille, calme, humble, tolérant, et la prière coule sur ses lèvres au lieu du murmure. Dans un endroit de l’Écriture on lit cette belle description des murmurateurs : « Le cœur de l’insensé est comme la roue d’un chariot[103] ». Pourquoi comparer au chariot le cœur de l’insensé ? Il porte du foin et crie. Car la roue d’un char ne peut qu’elle ne crie. Ainsi en est-il de beaucoup de frères ; ils demeurent ensemble, mais de corps seulement. Quels sont donc ceux qui habitent véritablement ensemble ? Ceux dont il est dit : « Ils n’avaient tous qu’un même cœur et une même âme en Dieu : nul ne considérait comme à lui lien de ce qu’il possédait, mais tous leurs biens étaient en commun[104] ». Les voilà donc désignés et caractérisés ceux qui sont figurés par la barbe, figurés par le bord du vêtement, et qui sont au nombre des montagnes de Sion. S’il y a parmi eux des murmurateurs, qu’ils se souviennent de cette parole du Seigneur : « L’un sera pris, l’autre laissé[105] ».
13. « Car c’est là que le Seigneur veut qu’on le bénisse[106] ». Où veut-il qu’on le bénisse ? Parmi les frères qui demeurent en un. C’est là qu’il veut être béni, là que bénissent ceux qui demeurent ensemble dans la concorde. Car on ne saurait le bénir dans la division : et c’est en vain que tu diras que ta langue bénit le Seigneur, si ton cœur est muet ; car alors la bouche bénit et le cœur maudit. « Ils bénissaient de la bouche et maudissaient dans le cœur[107] ». Est-ce moi qui tiens ce langage ? Le Prophète a voulu désigner quelqu’un par ces paroles. C’est bénir Dieu que prier, et en continuant ta prière, tu maudis ton ennemi. Est-ce là ce que tu as appris du Seigneur, qui dit « Aimez vos ennemis[108] ? » Si tu pratiques ce commandement, si tu pries pour ton ennemi, c’est « là que le Seigneur a commandé qu’on « le bénisse » ; c’est là que tu auras « la vie dans le siècle », c’est-à-dire dans l’éternité. Chez beaucoup l’amour de cette vie leur fit maudire leurs ennemis : et pourquoi, sinon à cause de cette vie et de certains avantages mondains ? Où donc ton ennemi t’a-t-il fait souffrir pour te forcer à le maudire de la sorte ? Est-ce sur la terre que tu as souffert ? Abandonne la terre et monte au ciel. Mais, diras-tu, comment puis-je habiter le ciel, moi qui suis revêtu de chair, absorbé par la chair ? Élevé ton cœur, où ton corps doit aller ensuite. Ne ferme pas l’oreille quand on dit : Les cœurs en haut. Oui, que ton cœur soit en haut, et nul ne l’y fera souffrir. C’est ce que nous voyons très bien dans le psaume suivant.

DISCOURS SUR LE PSAUME 133[modifier]

CONTINUATION DU SERMON PRÉCÉDENT.[modifier]

Bénir le Seigneur dans ses parvis, c’est se mettre au large par la charité ; le bénir pendant la nuit, c’est le bénir pendant la tribulation ; se tenir debout, c’est persévérer : bénissons-le de la voix, et surtout des œuvres. Ainsi Job le bénit dans la nuit de ses épreuves, et fut victorieux sur son fumier. Il était trempé de la grâce d’Hermon. Le Prophète, après avoir exhorté au pluriel, appelle la bénédiction sur un seul, parce que plusieurs ne font qu’un par la charité : et la charité seule mérite la bénédiction.


1. « Voici le moment, bénissez le Seigneur, ô vous tous qui servez le Seigneur, vous qui vous tenez dans la maison du Seigneur, dans le parvis de la maison de notre Dieu[109] ». Pourquoi ajouter « dans le parvis ? » Le parvis, c’est l’endroit le plus vaste de la maison. Se tenir dans le parvis, c’est n’être point à l’étroit, mais au large en quelque sorte. Demeure au large, et tu pourras aimer ton ennemi, car tu n’aimeras plus ces biens dans lesquels ton ennemi peut te resserrer. Comment sauras-tu que tu es dans le parvis ? Demeure dans la charité et tu es dans le parvis. La charité est toujours au large, la haine toujours à l’étroit. Écoute l’Apôtre : « Haine et indignation, tribulation et détresse dans toute âme de l’homme qui fait le mal[110] ». Que dit-il au contraire de l’ampleur de la charité ? « La charité de Dieu est répandue dans vos cœurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné[111] ». Quand vous écoutez l’effusion, comprenez l’ampleur ; et quand vous entendez l’ampleur, comprenez les parvis du Seigneur et vous aurez une véritable bénédiction du Seigneur, si vous ne maudissez point vos ennemis. Car l’Esprit de Dieu s’adresse à ceux qui souffrent la tribulation, afin qu’ils se glorifient dans ces mêmes tribulations, et leur dit : « Voici le moment, bénissez le Seigneur, vous tous qui servez le Seigneur ». Qu’est-ce à dire, « voici le moment ? » En cette vie. Dès que les tribulations seront passées, il est évident que nous n’aurons qu’à bénir Dieu, comme il est dit : « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles[112] ». Ceux qui doivent bénir Dieu incessamment, commencent ici-bas à bénir le Seigneur ; ils commencent au milieu des tribulations, des épreuves, des angoisses, au milieu des adversités du monde, au milieu des embûches de l’ennemi, des fraudes et des assauts du diable. Voilà ce que signifie : « Dès maintenant bénissez le Seigneur, vous qui êtes serviteurs du Seigneur, qui vous tenez debout dans les parvis de la maison du Seigneur ». Qu’est-ce à dire « qui vous tenez debout ? » Qui persévérez. Car il est dit de celui qui fut Archange, qu’« il ne se tint pas debout dans la vérité[113] ». Il est dit au contraire de l’ami de l’Époux : « Cet ami de l’Époux se tient debout et l’écoute, et il tressaille de joie à la voix de l’Épouse[114]. »
2. Donc « ô vous, qui vous tenez dans la maison du Seigneur, dans les parvis de la maison du Seigneur, pendant la nuit élevez vos mains vers son sanctuaire, et bénissez le Seigneur[115] ». Il est facile de bénir Dieu pendant le jour, c’est-à-dire, dans la prospérité ; mais la nuit est triste, et le jour est joyeux. Quand tout est bien pour toi, tu bénis le Seigneur. Quand vient au monde le fils que tu as désiré, tu bénis le Seigneur. Quand ton Épouse est délivrée du danger de l’enfantement, tu bénis le Seigneur. Quand ton fils qui était malade est guéri, tu bénis le Seigneur. Mais si la maladie de ton fils t’a fait recourir aux devins et aux sortilèges, alors si ce n’est de la langue, c’est du moins par tes mœurs que tu as maudit le Seigneur, tu l’as maudit par tes mœurs et par ta vie. Ne le glorifie pas de bénir Dieu de la langue, si ta vie est une malédiction contre lui. Comment, diras-tu, ma vie est-elle une malédiction ? Parce que l’on jette les yeux sur ta vie, et l’on dit : Voilà un chrétien, voilà ce que sont les chrétiens. C’est à cause de toi qu’on blasphème le Christ. Et lorsque ta vie est une malédiction, à quoi reviennent les bénédictions de ta langue ? Bénissez donc le Seigneur, quand ? Pendant la nuit. Quand Job l’a-t-il béni ? Dans la nuit la plus triste. Il avait perdu tous ses biens, perdu ses enfants, à qui il les réservait. Quelle triste nuit, mes frères ! Mais voyons s’il ne bénit pas Dieu pendant cette nuit : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté, comme il a plu au Seigneur il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni[116] ». Qu’elle était noire, cette nuit ! Frappé d’un ulcère de la tête aux pieds, il se dissolvait et s’en allait en pourriture. C’est alors qu’Eve osa bien le tenter : « Parle contre ton Dieu et meurs ». Écoute comme il bénit Dieu pendant la nuit : « Vous avez parlé », lui dit-il, « comme une femme insensée. Si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas recevoir les maux[117] ? » Voilà ce que dit le psaume : « Pendant les nuits, élevez vos mains vers le sanctuaire, et bénissez le Seigneur ». Que dit Job ? « Vous avez parlé comme une femme insensée ». Adam est en pourriture et il repousse Eve comme pour lui dire : Qu’il te suffise d’avoir fait de moi un mortel ; tu as prévalu dans le paradis, tu seras vaincue sur le fumier. C’est là, mes frères, le don précieux de Dieu. Mais d’où nous vient cette grâce, sinon de ce que la rosée de l’Hermon avait trempé cette âme, de ce que le Seigneur avait donné la suavité afin que la terre produisît son fruit[118] ? « Pendant la nuit élevez vos mains vers le sanctuaire, et bénissez le Seigneur ».
3. « Que le Seigneur vous bénisse de Sion, lui qui a fait le ciel et la terre[119] ». C’est au pluriel que le Prophète exhorte d’abord à bénir le Seigneur, puis il n’en bénit qu’un seul parce qu’il a réuni plusieurs en un seul, et qu’« il est bon que les frères demeurent ensemble[120] », Les frères sont au pluriel ; mais demeurer en un, c’est là le singulier. « Que le Seigneur donc vous bénisse de u Sion, lui qui a fait le ciel et la terre s. Que nul d’entre vous ne dise : Cette bénédiction n’est point venue sur moi. De qui penses-tu qu’il soit dit : « Que le Seigneur te bénisse de Sion ? » Il bénit l’unité : sois donc l’unité, et tu auras part à cette bénédiction.

DISCOURS SUR LE PSAUME 134[modifier]

SERMON AU PEUPLE.[modifier]

LES ŒUVRES DU SEIGNEUR.[modifier]

Bénir ou blasphémer le Seigneur, ce n’est point l’agrandir, ni l’amoindrir, c’est pour nous que nous faisons l’un ou l’autre. Mais pour le bénir, il faut avoir le cœur pur, être debout dans sa maison, et non tombé dans le péché. Nous ne pouvons de nous-mêmes que le bénir. Le Seigneur est bon, non comme les créatures qui tirent de lui leur bonté ; il est la bonté même, et en comparaison de lui, nulle créature ne saurait dire complètement : Je suis. Impuissants à le contempler en lui-même, bénissons-le dans ses œuvres. Il nous a donné le pain des anges, en se faisant homme, afin que l’homme pût manger ce pain dès cette vie, et s’élever jusqu’à lui. Son nom : Je suis celui qui suis, paraît trop relevé, et il se proportionne à notre faiblesse, en prenant celui de Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob. Il est tel, non seulement pour les Juifs, mais aussi pour les Gentils qui ont part à l’héritage par la foi, tandis que les enfants du royaume sont bannis. Tandis qu’il a livré aux anges les autres nations, il a choisi spécialement Jacob, non par son propre mérite, mais bien par sa grâce. Ainsi a-t-il greffé l’olivier sauvage sur l’olivier franc. Le Prophète qui est entré dans le sanctuaire de Dieu, nous dit du Seigneur qu’il surpasse tous les dieux, qu’il fait sa volonté, et que louer le Seigneur est le seul acte que nous ne fassions point par quelque contrainte, et que Dieu plaît au juste même dans l’épreuve, et non par l’appât de la récompense. Tel est le sacrifice de louanges, toujours agréable à Dieu, toujours en notre pouvoir. Quant à nous, la loi du péché est un obstacle à notre volonté, en nous-mêmes. Mais Dieu fait sa volonté : dans son Église, c’est-à-dire dans le ciel, symbole des hommes spirituels ; sur terre, symbole des hommes charnels qui doivent obéir ; dans la mer ou chez les infidèles, dans les abîmes ou dans le secret des cœurs. Il fait venir les nuées ou les prédicateurs, des confins de la terre où ils prêchent l’Évangile, et résout les tonnerres en pluie, changeant sa colère en miséricorde, il tire de ses trésors es vente, ou les prédicateurs de sa grâce.

Les châtiments des princes et des pays sont des symboles. Tuer les premiers-nés de l’Égypte, c’est donner la mort à la foi, dans l’Égypte ou dans la persécution, chez les hommes ou chez les hérésiarques, et chez les bêtes, ou le vulgaire qui les imite. Pharaon ou dispersion est le symbole du schisme, Selon la tentation des yeux, les Amorrhéens ceux qui ont le cœur plein de fiel. Og est la fermeture, barre le chemin qui conduit à Dieu, de là Basan ou confusion. Chanaan est celui qui sera humilié par le jugement. Dieu exerce encore ces châtiments d’une manière spirituelle. Il a jugé son peuple en séparant les bons des méchants ; en délaissant les Juifs, il s’est fait une maison d’Israël dans les Gentils qui fléchissent le genou et méprisent leurs idoles. Les obstinés d’entre les idolâtres ont égorgé les chrétiens, mais Dieu prévaut coutre eux par sa grâce, et chaque jour ils embrassent la foi.


1. C’est un devoir bien doux, mes frères, que le devoir auquel nous exhorte ce psaume, et nous devons nous réjouir d’y trouver tant de douceur. « Louez le nom du Seigneur[121] », nous dit-il. Et aussitôt il ajoute, pour nous montrer combien il est juste de louer le Seigneur : « Louez-le, vous qui êtes ses serviteurs ». Quoi de plus juste ? Quoi de plus digne ? Quoi de plus agréable ? Ne pas louer Dieu, c’est pour ses serviteurs l’orgueil, l’ingratitude, l’impiété. Et ne pas louer Dieu, qu’est-ce autre chose qu’éprouver sa sévérité ? Quelle que soit l’ingratitude chez un serviteur, et quoiqu’il s’abstienne de louer son maître, il n’en est pas moins son serviteur. Loue, ne loue pas, tu es toujours serviteur : louer le Seigneur, c’est le rendre propice ; ne point le louer, c’est l’offenser. L’exhortation du psaume est donc bonne, elle est utile, et dès lors il vaut mieux chercher le vrai moyen de louer Dieu, que mettre en doute s’il faut le louer. « Louez donc le nom du Seigneur ». C’est le psaume qui nous engage, le Prophète qui nous engage, l’Esprit de Dieu qui nous engage, le Seigneur lui-même qui nous engage à louer le Seigneur. Ce n’est point lui, mais nous que grandissent les louanges que nous lui donnons ; tes louanges n’élèvent point le Seigneur, tes blasphèmes ne l’abaissent point. Mais toi, en louant sa bonté, tu en deviens meilleur, et pire en le blasphémant. Pour lui, il demeure ce qu’il est dans sa bonté. Si Dieu lui-même apprend à ceux qui ont bien mérité de lui, précisé sa parole, gouverné son Église, béni son nom, obéi à ses préceptes, s’il leur apprend à garder dans le secret d’une bonne conscience la joie d’une sainte vie, à ne pas se laisser corrompre par les louanges, ni abattre par les outrages des hommes ; à combien plus forte raison Dieu lui-même qui nous donne ces leçons, qui est essentiellement immuable, ne sera ni agrandi par tes louanges, ni amoindri par tes outrages ! Mais comme c’est à nous que revient l’avantage de louer le Seigneur, c’est par un effet de ses miséricordes, et non de ses exigences qu’il nous ordonne de le faire. Écoutons donc ce qu’il nous dit : « Louez le nom du Seigneur, louez-le, vous qui le servez ». Rien n’est plus juste pour des serviteurs que de louer leur maître. Quand vous seriez destinés à servir à jamais, vous devriez toujours bénir le souverain maître ; à combien plus forte raison devez-vous le bénir tant que vous êtes serviteurs, afin de mériter d’être ses enfants !
2. Mais il est écrit dans un autre psaume : « C’est aux cœurs droits que convient la louange[122] » ; puis dans un autre endroit : « Ce n’est point à la bouche du pécheur qu’il sied de louer Dieu[123] » ; et ailleurs encore : « Je trouve mon honneur dans le sacrifice de louange, et telle est la voie dans laquelle je lui montrerai le salut de Dieu[124] » Et un peu après : « Dieu a dit au pécheur : Pourquoi raconter mes justices, et faire passer mon alliance par ta bouche ? Toi qui as pris en haine mes lois, et rejeté loin de toi mes discours[125] ». Or, de peur que cette parole : « Louez le Seigneur, vous qui le servez », ne fasse croire à quelque mauvais serviteur qui pourrait se trouver dans cette grande famille, qu’il lui est avantageux de louer le Seigneur, voilà que le Psalmiste ajoute pour caractériser ceux qui doivent louer le Seigneur : « Vous tous qui vous tenez debout dans la maison du Seigneur, dans le parvis de la maison de notre Dieu[126] ». « Qui vous tenez debout », non pas qui tombez. Or, on dit de ceux-là qu’ils se tiennent debout qui persévèrent dans la pratique des commandements, qui servent Dieu avec une foi sans déguisement, une espérance ferme, une charité sincère, qui honorent l’Église, sans donner par une vie honteuse aucun scandale à ceux qui veulent y venir et qui se heurtent souvent en chemin contre la pierre d’achoppement. Donc, « ô vous qui vous tenez debout dans la maison du Seigneur, louez le nom du Seigneur ». Témoignez votre reconnaissance, car vous étiez dehors, vous voilà debout dans l’intérieur. Donc, puisque vous voilà debout, est-ce peu pour vous que l’objet de vos louanges vous ait relevés quand vous étiez couchés, vous ait fait tenir debout dans sa maison, qu’il vous ait donné de le connaître, de le louer ? Est-ce donc pour nous un chétif bienfait que d’être fermes dans la maison du Seigneur ? Ne devons-nous pas reconnaître la bonté de Dieu qui nous a placés ici pendant notre exil, dans cette maison qui est le tabernacle de l’exil, et où nous sommes debout ? Ne devons-nous point penser d’où nous vient cette fermeté ? Ne faut-il point comprendre que tous les impies ne cherchent point le Seigneur, et qu’il a trouvé lui-même ceux qui ne le cherchaient point, qu’en les trouvant il les a relevés, qu’en les relevant il les a appelés, qu’en les appelant il les a introduits, et les a fait tenir fermes dans sa maison ? Quiconque médite ces pensées, et n’est point ingrat, se méprise par amour pour Dieu qui lui a fait tant de grâces. Et comme il n’a rien à rendre au Seigneur pour de tels bienfaits, que lui reste-t-il, sinon de rendre grâces, sans pouvoir s’acquitter ? Or, l’action de grâce consiste à prendre le calice du Seigneur et à bénir son nom. Que peut donner un serviteur à son maître en échange des biens qu’il en a reçus[127] ? Donc, « ô vous qui êtes fermes dans la maison du Seigneur, dans les parvis de la maison de notre Dieu, bénissez le Seigneur[128] ».
3. Mais que vous dirai-je pour vous inviter à louer le Seigneur ? « Que le Seigneur est bon ». Un seul mot renferme toute la louange du Seigneur : « Le Seigneur est bon ». Mais bon, non point de cette bonté que l’on retrouve dans ses créatures. Car le Seigneur a fait très bonnes toutes ses œuvres[129] ; non seulement bonnes, mais très bonnes. Le ciel, la terre et tout ce qu’ils renferment, voilà des œuvres bonnes, et même très bonnes. Mais si toutes ces œuvres de Dieu sont bonnes, quelle doit être la bonté de celui qui les a faites ? Et toutefois, quelle que soit la bonté des créatures, bien que la bonté du Créateur soit incomparablement plus grande, on ne trouve à dire de lui rien de mieux, sinon que « le Seigneur est bon », pourvu que l’on comprenne que de cette bonté vient tout ce qui est bon. Car c’est lui qui a lait tout ce qui est bon ; tandis que sa bonté ne lui vient de personne. Il est bon par sa bonté même, et n’emprunte nullement la bonté d’ailleurs ; il est bon par lui-même, et non en demeurant attaché à quelque autre bien. « Pour moi, il m’est bon de m’attacher à Dieu[130] » qui, pour être bon, n’a pas besoin d’un autre, tandis que toutes les créatures ont besoin de lui pour être bonnes. Voulez-vous entendre comment sa bonté lui est propre ? Comme on interrogeait le Seigneur, il répondit : « Nul n’est bon si ce n’est Dieu seul[131] ». Telle est cette bonté particulière à Dieu, sur laquelle je ne veux point passer légèrement, et que je ne puis néanmoins suffisamment vous expliquer. Je crains d’être condamné comme ingrat, si je ne fais que l’effleurer : et je crains aussi de succomber sous le poids des louanges de Dieu, si j’entreprends de l’expliquer. Écoutez néanmoins, mes frères, et les louanges que je lui donne, et l’aveu de mon insuffisance, de sorte que mes louanges, fussent-elles incomplètes, ma bonne volonté du moins lui soit agréable. Qu’il accepte ma bonne volonté, et pardonne à mon impuissance.
4. Je me sens pénétré d’une indicible douceur quand j’entends dire : « Le Seigneur est bon » ; et après avoir considéré et parcouru des yeux toutes les créatures extérieures, après avoir compris que toutes viennent de Dieu, quelque plaisir qu’elles me causent, je reviens à Dieu qui en est l’auteur, afin de comprendre « combien le Seigneur est bon ». Mais dès que je pénètre en lui-même, autant qu’il m’est possible, je trouve qu’il m’est plus intérieur que moi-même, et bien supérieur à moi-même, puisqu’il est tellement bon qu’il n’a besoin de rien pour être bon. Sans lui, je ne saurais louer les créatures ; mais sans les créatures, je trouve qu’il est parfait, qu’il n’a besoin de rien, qu’il est immuable, qu’il n’a recours au bien de personne pour devenir meilleur, qu’il rie redoute aucun mal qui pourrait l’amoindrir. Et que dirai-je encore ? Parmi les créatures, je trouve que le ciel est bon, que le soleil est bon, que la lune est bonne, que les étoiles sont bonnes, que la terre est bonne, que tout ce qu’elle produit et soutient par les racines est bon ; que tout ce qui marche et se meut est bon, que tout ce qui vole dans les airs, ou nage dans les eaux est bon. J’ajoute même que l’homme est bon : car « du bon trésor de son cœur, l’homme bon tire de bonnes choses[132] ». Je dis que l’ange est bon, non point cet ange qui est tombé par orgueil, et qui s’est fait diable ; mais celui qui adhère à son Créateur par l’obéissance. Je dis que toutes ces créatures sont bonnes, mais j’y joins en même temps leurs noms ; le ciel est bon, l’ange est bon, l’homme est bon : quant à Dieu, je ne saurais mieux l’appeler que le bien. Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même a dit : « L’homme est bon[133] » ; et aussi : « Nul n’est bon, si ce n’est Dieu seul[134] ». N’était-ce point nous stimuler à chercher et à distinguer entre le bien qui est tel par un autre bien, et le bien par lui-même ? Combien donc est bon celui qui donne la bonté à tout ce qui est bon ! Tu ne saurais trouver aucun bien qui ne tire de lui sa bonté. Comme ce bien qui donne la bonté, existe par lui-même, il a aussi sa bonté par lui-même. On ne saurait dire des œuvres qu’il a faites, qu’elles n’existent point ; et on ne lui, fait pas injure en disant des œuvres qu’il a faites qu’elles ne sont point. Pourquoi les eût-il faites si elles n’existent point ? ou qu’aurait-il fait, si ce qu’il a fait n’est point ? Tout ce qu’il a fait existe donc ; mais comparant à Dieu même ce qui est son œuvre, Dieu a dit de lui comme si lui seul existait : « Je suis celui qui suis » ; et encore : « Tu diras aux enfants d’Israël : Celui « qui est m’a envoyé vers vous[135] ». Il ne dit point : C’est le Seigneur tout-puissant, miséricordieux, juste. En le disant, il dirait vrai, mais il retranche tous ces attributs par lesquels on pourrait le désigner et le dire Dieu, pour affirmer qu’il s’appelle celui qui est ; et comme si tel était son nom, « voici », dit-il, « ce que tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous ». Dieu est, en effet, de telle sorte que toutes ses créatures comparées à lui ne sont point. Hors de là, elles sont, puisqu’il les a faites. Mais comparées à lui, elles ne sont point : car être véritablement, être sans changement, il n’y a que Dieu qui soit ainsi. Il est, en effet, celui qui est, comme le bien des biens est le bien. Considérez et voyez que dans tout ce que vous louez en dehors de lui, c’est la bonté que vous louez. Louer ce qui n’est pas bon est une folie. Louer un homme injuste à cause de son injustice, n’est-ce pas être injuste ? Louer un voleur à cause de ses larcins, n’est-ce pas y prendre part ? De même que louer un juste à cause de sa justice, c’est s’associer à lui, du moins par la louange ? Car tu ne louerais pas l’homme juste, si tu ne l’aimais ; et tu ne l’aimerais pas, si tu n’avais en toi quelque justice. Si donc tout ce que nous louons n’obtient nos éloges que par la bonté, tu ne saurais avoir pour louer Dieu un motif plus grand et plus solide que sa bonté. Donc, « louez le Seigneur parce qu’il est bon ».
5. Jusques à quand parlerons-nous de sa bonté ? Qui peut concevoir en son cœur, ou mesurer combien le Seigneur est bon ? Mais rentrons en nous-mêmes, reconnaissons Dieu en nous, et bénissons l’ouvrier dans ses œuvres, puisque nous sommes impuissants à le contempler en lui-même. Il est vrai que nous le pourrons un jour, quand notre cœur sera purifié par la foi, de manière à trouver sa joie dans la vérité : mais maintenant, comme nous ne saurions le voir, considérons ses œuvres, afin de ne point demeurer sans le bénir. « Louez donc le Seigneur », ai-je dit, « parce qu’il est bon ; chantez son nom parce qu’il est doux ». Dieu pourrait être bon, sans être doux, s’il ne te donnait à goûter cette douceur ; mais il s’est montré bon pour les hommes, au point de leur envoyer un pain du ciel, de livrer pour qu’il devînt un homme et mourût pour les hommes, son propre Fils qui est égal à lui-même, qui est tout ce qu’il est ; et ainsi ce que tu es peut te faire goûter ce qui n’est pas encore. Goûter la douceur de Dieu surpassait tes forces ; d’une part elle était trop éloignée, trop relevée, et d’autre part, tu étais trop abaissé, trop plongé dans la boue. À cette effroyable distance, il t’a envoyé un médiateur. Homme, tu ne pouvais aller à Dieu, et Dieu s’est fait homme, afin que toi qui es homme, et qui ne saurais t’approcher de Dieu, mais de l’homme, tu pusses par l’homme arriver à Dieu ; et que Jésus-Christ homme fût médiateur entre Dieu et les hommes[136]. S’il n’eût été qu’un homme, en suivant ce que tu es toi-même, tu n’aurais pas poussé plus avant ; s’il n’eût été qu’un Dieu, impuissant à comprendre Dieu, tu n’eusses pu arriver jusqu’à lui or, Dieu s’est fait homme, afin qu’en suivant cet homme, ce qui est possible pour toi, tu pusses parvenir à Dieu, ce que tu ne pouvais faire. C’est donc lui qui est médiateur, et qui est ainsi devenu doux pour nous. Quoi de plus suave que le pain des anges ? Comment Dieu aie serait-il pas doux, quand l’homme a mangé le pain des anges[137] ? Car l’ange n’a point une nourriture, et l’homme une nourriture. Cette nourriture, c’est la vérité, c’est la sagesse, c’est la force de Dieu ; mais tu ne saurais en jouir, à la manière des anges. Comment les anges peuvent-ils jouir de lui ? Tel qu’il est : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; c’est par lui que tout a été fait[138] ». Mais toi, comment peux-tu l’atteindre ? Parce que « le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous[139] ». Afin que l’homme pût manger le pain des anges, le Créateur des anges s’est fait homme : « Chantez donc son nom parce qu’il est doux ». Si vous l’avez goûté, chantez-le ; chantez le Seigneur, si vous avez goûté combien il est doux ; si vous goûtez quelque part une douceur, bénissez-le. Quel est l’homme si ingrat envers son cuisinier ou son panetier, qui ne le remercie point par une louange, quand il a trouvé quelques délices dans un ragoût ? Si nous ne gardons point le silence dans ces sortes de bien, le garderons-nous pour l’auteur de tous ces biens ? « Chantez son nom parce qu’il est doux ».
6. Et maintenant voyez ses œuvres. Il vous fallait peut-être des efforts pour voir le bien de tous les biens, le bien sans lequel rien n’est bien, le bien qui, sans tout le reste, est le souverain bien ; vous faisiez des efforts pour le voir, et peut-être qu’une telle tension d’esprit demeurait sans succès. Je juge de vous par moi-même, c’est là que j’en suis. Mais s’il est un homme, comme cela est fort possible, qui ait l’esprit plus pénétrant que moi, et qui tienne le regard de son âme longtemps fixé sur ce qui est ; que cet homme loue Dieu comme il le peut, et beaucoup mieux que nous ne pouvons nous-mêmes. Toutefois remercions le Seigneur qui, dans notre psaume, a tellement conditionné sa louange, que les forts et les faibles puissent la chanter. Quand il envoyait son serviteur Moïse et lui disait : « Je suis celui qui suis » ; et encore : « Tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous[140] » ; comme cet Être par soi-même était difficile à saisir pour l’esprit humain, et comme c’était un homme envoyé vers des hommes, quoiqu’il ne fût point envoyé par un homme, le Seigneur tempéra sa louange, et dit de lui-même ce que l’on pouvait comprendre, même avec douceur, et sans s’arrêter à un honneur auquel ne pouvait atteindre celui qui l’honorait. « Va », dit-il, « et dis aux enfants d’Israël : Le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac et Dieu de Jacob m’a envoyé vers vous ; c’est là mon nom pour l’éternité[141] ». Assurément, Seigneur, votre nom est bien tel que vous l’avez dit : « Je suis : Celui qui est m’a envoyé vers vous ». Pourquoi changer votre nom, et vous appeler, « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, et Dieu de Jacob ? » Ne te semble-t-il pas que sa raison suprême te répond : dire : « Je suis celui qui suis », est vrai, mais tu ne saurais comprendre. Dire : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob », c’est vrai aussi, et tu comprends ? « Je suis celui qui suis », c’est un langage qui m’est propre ; dire : « Je « suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le « Dieu de Jacob », c’est un langage à ta portée. Et si tu te perds dans ce que je suis en moi-même, comprends ce que je suis pour toi. Mais de peur qu’on ne vînt à croire que ce nom u Je suis celui qui suis o ; et encore : « Celui qui est m’a envoyé vers vous », c’est là son seul nom dans l’éternité ; tandis que : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob », serait un nom temporel : le Seigneur après avoir dit : « Je suis celui qui suis » ; et encore : « Celui qui est m’a envoyé vers vous », n’a pris aucun soin de dire que ce nom lui fût éternel ; car on le comprend, bien qu’il ne le dise point. Il est en effet, et il est véritablement, et dès lors qu’il est dans la force du terme, il n’a ni commencement ni fin. Quant à ce qu’il est à cause des hommes : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob », de peur qu’il ne s’élève, dans notre âme certaine inquiétude, parce que c’est là un nom temporel et non pas un nom éternel, Dieu nous rassure, et nous fait passer du temps à la vie éternelle. « C’est là », dit-il, « mon nom pour l’éternité », non pas qu’Abraham soit éternel, ni Isaac éternel, ou Jacob éternel, mais parce que Dieu les rend éternels ensuite et sans fin. Ils n’auront pas de fin, bien qu’ils aient eu un commencement.
7. Dans Abraham, Isaac et Jacob, voyez, mes frères, toute l’Église, voyez toute la postérité d’Israël, et non seulement la postérité selon la chair, mais aussi la postérité selon la foi. C’est aux Gentils que s’adressait l’Apôtre quand il disait : « Si donc vous êtes du Christ, vous êtes la postérité d’Abraham, les héritiers selon la promesse[142] ». Nous avons donc reçu tous la bénédiction de Dieu en Abraham, en Isaac, et en Jacob. Car Dieu a béni un certain arbre, il en a fait un olivier, comme l’a dit l’Apôtre, cet arbre des saints Patriarches, dont la fleur a été le peuple de Dieu. Or, cet olivier a été taillé et non arraché, les branches orgueilleuses en ont été retranchées ; c’est-à-dire les blasphémateurs, les impies du peuple Juif. Il est resté des branches bonnes et utiles ; puisque c’est de là que sont venus les Apôtres ; et comme ces branches utiles étaient demeurées, la divine miséricorde y a greffé cet olivier sauvage des Gentils à qui l’Apôtre a dit : « Pour toi qui u n’étais qu’un olivier sauvage, tu as été inséré sur l’olivier franc, et tu as part à la sève de l’olive. Ne t’élève point contre les branches. Si tu te glorifies, ce n’est point toi qui portes la racine, mais la racine qui te porte[143] ». Tel est l’arbre unique appartenant à Abraham, à Isaac, à Jacob, et je dirai même que l’olivier sauvage qui a été greffé, tient plus d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, que les branches retranchées. Une fois rompues, ces branches ne sont plus de l’arbre, tandis que l’olivier sauvage, qui n’en était pas, en est maintenant ; les unes, par leur orgueil, ont mérité d’être retranchées, tandis que l’autre par son humilité a mérité d’être inséré : les unes sont séparées de la racine, l’autre s’y tient attaché. Dès lors, quand vous entendez nommer l’Israël de Dieu, Israël qui appartient à Dieu, ne vous regardez point comme étrangers. Vous étiez, il est vrai, l’olivier sauvage, maintenant vous êtes l’olivier franc, ayant part à la sève de l’olivier. Voulez-vous voir comment l’olivier sauvage a été inséré en Abraham, en Isaac, et en Jacob, afin de ne point croire que vous n’appartenez point à cet arbre, parce que vous n’êtes point de la postérité d’Abraham selon la chair ? Quand le Sauveur admira la foi de ce Centenier, qui n’appartenait point au peuple d’Israël, mais au peuple des Gentils, il s’écria : « C’est pourquoi, je vous le dis, beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident ». Voilà bien le sauvageon dans la main de celui qui va le greffer : « Beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident ». Nous voyons ce qu’il va greffer, mais voyons où il va le greffer : « Et ils reposeront », dit-il, « avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux ». Voilà donc ce qu’il doit greffer, et où il doit l’insérer. Que dit-il à propos des branches naturelles ? « Quant aux enfants du royaume, ils seront jetés dans les ténèbres extérieures ; c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents[144] ». Voilà ce qui est prédit, ce qui est accompli.
8. Donc « chantez au Seigneur, parce qu’il est doux ». Et voyez ce qu’il fait pour nous. « Parce que le Seigneur a choisi Jacob, il s’est fait d’Israël un héritage[145] ». Louez-le, bénissez-le puisqu’il nous a fait une telle grâce. Je ne vous énumère que des bienfaits que vous ne puissiez comprendre. Il a subordonné aux anges les autres nations ; quant à Jacob, il l’a choisi pour lui, il s’est fait un héritage d’Israël. Il s’est fait de son peuple un champ qu’il cultive, qu’il ensemence lui-même. Bien qu’il ait créé toutes les nations, il a subordonné les autres aux anges, il s’est réservé celle-ci pour la posséder, la conserver ; c’est ce peuple de Jacob qu’il a choisi. Est-ce à cause de son mérite ou bien par sa grâce ? Avant qu’ils fussent nés, dit l’Apôtre, Dieu avait prononcé que « l’aîné servirait le plus jeune ». Or, quel mérite pouvaient-ils avoir avant leur naissance, avant de pouvoir penser au bien ou au mal ? Que Jacob ne s’élève donc point, qu’il ne se glorifie point, qu’il n’attribue rien à ses mérites ; car avant tout mérite, il a été connu, prédestiné, choisi ; il ne doit donc point son élection à ses mérites, mais à la grâce de Dieu qui l’a choisi et vivifié[146]. Il en est de même de toutes les nations ; pour être greffé sur l’olivier franc, qu’avait mérité l’olivier sauvage, avec ses fruits amers, et sa stérilité ? C’était un arbre des forêts, et non du champ du Seigneur ; et toutefois, le Seigneur par sa miséricorde l’a inséré sur l’olivier franc. Mais il n’était pas encore inséré quand le Seigneur « se choisit Jacob, et fit d’Israël sa possession ».
9. Que dit ensuite le Prophète ? « Parce que je connais moi-même combien le Seigneur est grand »[147]. Son âme s’est élevée dans les régions supérieures, au-dessus de la chair et des créatures, et a reconnu que le Seigneur est grand. Tous ne peuvent le voir et le connaître ; qu’ils bénissent ses œuvres : « Il est doux ; le Seigneur a choisi pour lui Jacob, il a fait d’Israël son héritage ». Bénis-le de cette grâce. Car « pour moi, j’ai connu que le Seigneur est grand ». C’est le Prophète qui nous parle ainsi ; lui qui est entré dans le sanctuaire du Seigneur, et qui a peut-être « entendu de ces choses ineffables, qu’il n’est point au pouvoir de l’homme de redire[148] » ; qui a dit aux hommes ce qu’il pouvait en dire, et retenu pour lui ce qu’il y avait d’indicible. Écoutons-le donc en ce que nous pouvons comprendre, et croyons-le dans ce qui est incompréhensible. Écoutons cette parole facile pour tous : « Le Seigneur a choisi Jacob, il s’est fait d’Israël un héritage » ; croyons ce que nous ne pouvons comprendre, car il a connu que le Seigneur est grand ». Si nous lui disions : Expliquez-nous sa grandeur, nous vous en supplions ; ne nous répondrait-il pas : Celui dont je vois la grandeur ne serait pas grand, si je la pouvais expliquer ? Qu’il en revienne donc aux ouvrages de Dieu, pour nous en parler. Qu’il ait dans sa conscience cette grandeur de Dieu, qu’il a vue, qu’il propose à notre foi, et où il ne saurait diriger nos regards ; mais qu’il nous énumère quelques-unes des œuvres de Dieu. Si nous ne pouvons en voir, comme lui, la grandeur, que du moins sa bonté nous apparaisse dans des œuvres que nous puissions comprendre. « Pour moi », nous dit-il, « j’ai compris combien le Seigneur est grand, et de combien notre Dieu surpasse tous les autres dieux ». Quels dieux ? « Bien qu’il y en ait », nous dit l’Apôtre, « qui soient appelés dieux dans le ciel et sur la terre, et qu’il y ait ainsi plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, il n’y a néanmoins qu’un seul Dieu, qui est le Père, d’où procèdent toutes choses, et qui nous a faits pour lui, et un seul Seigneur Jésus-Christ par qui toutes choses ont été faites, et nous sommes par lui[149] ». Que les hommes soient donc appelés dieux ; puisqu’il est dit : « Le Seigneur s’est assis dans la synagogue des dieux » ; et encore : « J’ai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut[150] », Dieu n’est-il point au-dessus des hommes ? Mais est-ce beaucoup que Dieu soit élevé au-dessus des hommes ? Dieu est supérieur aux anges, puisque les anges n’ont pas créé Dieu, mais Dieu a créé les anges ; et le Créateur est nécessairement supérieur à ses œuvres. Or, le Prophète connaissant la grandeur de Dieu, et voyant sa supériorité sur toute créature, non seulement corporelle, mais spirituelle, s’écrie qu’il est « le grand roi, sur tous les dieux ». C’est lui le Dieu souverain, qui n’a aucun Dieu au-dessus de lui-même. Qu’il nous raconte ses œuvres, qui sont à notre portée.
10. « Le Seigneur a fait selon sa volonté, dans le ciel, sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes[151] » Qui peut comprendre ces choses ? qui peut énumérer les œuvres du Seigneur dans le ciel, sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes ? Et toutefois si nous ne pouvions tout comprendre, au moins devons-nous croire fermement que dans le ciel, sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes, tout ce qu’il y a de créatures vient de Dieu : parce que c’est lui qui a tout fait dans le ciel et sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes, ainsi que nous l’avons dit. Il n’a fait par contrainte aucune de ses œuvres, mais « il a fait tout ce qu’il lui a plu de faire ». Sa volonté seule a été la cause de toutes ses œuvres. Voilà que tu bâtis une maison ; mais si tu n’en voulais point bâtir, tu demeurerais sans abri ; c’est donc la nécessité qui te force de bâtir cette maison, et non pas une volonté libre. Tu fais un vêtement ; mais si tu ne le faisais, tu marcherais tout nu. C’est donc la nécessité, et non pas une volonté libre, qui t’amène à faire ce vêtement. Il en est de même quand nous plantons une vigne sur des coteaux, quand nous jetons une semence en terre ; si nous ne le faisions, nous manquerions de nourriture : tout cela est l’œuvre de la nécessité. Dieu agit par bonté et n’a besoin d’aucune de ses œuvres. « Il a donc fait ce qu’il a voulu ».
11. Est-il une œuvre que nous fassions par une volonté libre ? Car tout ce que nous avons énuméré est l’œuvre de la nécessité si nous ne l’eussions fait, il nous eût fallu demeurer dans la pauvreté, dans l’indigence. Trouverons-nous quelque chose qui soit l’œuvre de notre volonté libre ? Oui, assurément, c’est quand nous louons Dieu par amour. Car tu fais cela d’une volonté libre, quand tu aimes ce que tu loues ; ce n’est point l’effet de la nécessité, mais du plaisir que tu y trouves. De là vient que les justes et les saints ont trouvé de la douceur en Dieu, même quand il les châtiait ; il leur plaisait même dans ce qui inspire à l’injuste de la répulsion et sous le fléau de Dieu, dans l’affliction, dans les peines, dans les plaies, dans la pauvreté, ils bénissaient Dieu ; sa conduite même sévère ne leur a point déplu. C’est là aimer gratuitement, et non par l’appât d’une récompense ; car Dieu que nous aimons gratuitement sera lui-même notre suprême récompense : et tu dois l’aimer de manière à ne pas cesser de le désirer pour récompense, puisque lui seul peut te rassasier ; c’est ce que Philippe désirait quand il disait : « Montrez-nous le Père et cela nous suffit[152] ». Et c’est avec raison, puisque nous le faisons par une volonté libre, et que nous devons le faire librement ; puisque nous le faisons par attrait, nous le faisons avec amour : et quand même il nous châtierait, il ne doit pas nous déplaire, puisqu’il est toujours juste. C’est là ce que nous dit le Prophète en chantant ses louanges : « Seigneur, les vœux que je vous offrirai sont dans mon cœur, et les louanges que je dois vous rendre[153] ». Et ailleurs : « Je vous offrirai des sacrifices volontaires[154] ». Qu’est-ce à dire, « je vous offrirai des sacrifices volontaires ? » Je vous bénirai de bonne volonté. Car « c’est le sacrifice de louanges, dit le Seigneur, qui me glorifiera »[155]. Si l’on te forçait d’offrir à ton Dieu un sacrifice qui lui fût agréable et selon la loi, comme l’on offrait autrefois des sacrifices qui figuraient l’avenir, tu ne saurais peut-être trouver dans tes troupeaux un taureau convenable, et parmi tes chèvres un bouc qui fût digne de l’autel du Seigneur, ni dans tes étables un bélier qui pût être offert en sacrifice ; et dans ton impuissance à trouver ce que tu dois faire, tu dirais peut-être à Dieu : J’ai voulu, mais je n’ai pu. Mais en fait de louanges, oseras-tu dire : J’ai voulu, et je n’ai pu ? Vouloir, c’est une louange. Car Dieu ne demande point tes paroles, mais ton cœur. Car enfin, tu pourrais dire : Je n’ai point de langue. Qu’un homme devienne muet par quelque maladie, il n’a point de langue et n’en loue pas moins le Seigneur. Si le Seigneur avait des oreilles de chair, s’il avait besoin que la voix résonnât pour l’entendre, n’avoir plus de langue, ce serait n’avoir plus de louanges à lui offrir ; mais comme c’est le cœur qu’il cherche et le cœur qu’il regarde, il est témoin de ce qui se lasse à l’intérieur, il est juge, il t’approuve, il t’aide, il te couronne[156] ; il lui suffit de ta volonté. Si tu le peux, confesse-le de bouche pour être sauvé ; si tu ne saurais, crois dans ton cœur pour être juste. C’est ton cœur qui loue, ton cœur qui bénit, ton cœur qui offre de saintes victimes sur l’autel de ta conscience ; et l’on te répond : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[157] ».
12. Dieu donc, dans sa toute-puissance, « a fait selon sa volonté toutes ses œuvres dans le ciel et sur la terre » ; mais toi, dans ta maison, tu ne fais point ce que tu voudrais. Pour lui, u il a fait tout ce qu’il a voulu, dans « le ciel et sur la terre » ; toi, fais ce que tu voudras, même dans ton champ. Tu veux bien souvent, et tu ne saurais faire ta volonté dans ta maison. Une Épouse te contredit, des enfants te contredisent, un domestique a souvent l’audace de te contredire, et tu ne fais point ce que tu voudrais. Mais, diras-tu, je fais ma volonté, et je sais châtier quiconque ose désobéir ou contredire. Tu ne fais pas même cela toutes les fois que tu le voudrais souvent tu veux châtier sans le pouvoir faire ; tu menaces quelquefois, et tu es surpris par la mort avant d’avoir mis tes menaces à exécution. Et jusque dans toi-même, fais-tu ce que tu veux ? Mets-tu un frein à tes passions ? Admettons ce frein, empêche-t-il tes passions de se soulever ? Tu voudrais, je le crois, ne ressentir aucun chatouillement de tes passions ; et néanmoins : « La chair se soulève contre l’esprit, et l’esprit contre la chair, de manière que vous ne faites point ce que vous voulez[158] ». Tu me fais donc pas en toi-même ce que tu voudrais : « Mais Dieu a fait tout ce qu’il a voulu dans le ciel et sur la terre ». Puisse-t-il te donner la grâce de faire en toi-même ce que tu voudras ! si lui-même ne te soutient, tu ne feras pas en toi-même ta volonté. Il ne faisait point en lui-même sa volonté non plus, celui qui disait : « La chair se soulève contre l’esprit, et l’esprit se soulève contre la chair, en sorte que vous ne faites point votre volonté » : et en gémissant sur lui-même, il ajoute : « Selon l’homme intérieur, je trouve du plaisir dans la loi de Dieu, muais je sens dans mes membres une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit, et qui me tient captif sous la loi du péché qui est dans mes membres[159] » ; et comme, non seulement dans sa maison, non seulement dans son champ, mais pas même dans sa chair et dans son esprit, il n’accomplissait sa volonté, il poussait des cris vers Dieu qui « a fait tout ce qu’il a voulu dans le ciel et sur la terre » ; qui a dit : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera e du corps de cette mort[160] ? » et à qui Dieu dans sa bonté, dans sa douceur, suggéra comme une réponse : « La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur[161] ». Telle est, mes frères, la douceur qu’il faut aimer, la douceur qu’il faut louer. Comprenez que Dieu qui « a fait tout ce qu’il a voulu, dans le ciel et sur la terre », fera aussi en vous ce que vous voulez, et qu’avec son secours vous accomplirez votre volonté. Mais, tant que vous êtes impuissants, confessez votre faiblesse, et quand vous pourrez, criez vers lui ; de la terre où vous êtes abattus, rendez-lui grâces ; une fois debout, ne vous enorgueillissez point. C’est donc le Seigneur qui « a fait sa volonté dans le ciel, sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes ».
13. « Lui qui fait venir les nuées des extrémités de la terre[162] ». Nous voyons ces œuvres du Seigneur dans ce qu’il a créé. Des extrémités de la terre, les nuées viennent au milieu, et répandent la pluie : tu ne sais d’où elles sont venues. Donc ce mot du Prophète, « des extrémités de la terre », ou du fond de la terre, ou des alentours de la terre, nous indique de quel endroit Dieu tire les nuées, mais toujours de la terre. « Il résout les tonnerres en pluie ». Sans pluie les tonnerres seraient effrayants, mais ne donneraient rien. « Dieu résout les tonnerres en pluie ». Il tonne et tu trembles ; il pleut, et tu te réjouis. « Dieu donc résout les tonnerres en pluie » : celui qui t’a effrayé, te donne de la joie. « C’est lui qui tire les vents de ses trésors » : c’est-à-dire d’une cause que tu ignores : et toutefois tu dois à Dieu d’être assez pieux pour croire que le vent mie soufflerait point si celui qui l’a fait ne lui en avait donné l’ordre, si le Créateur ne l’avait produit.
14. Voilà donc ce que nous voyons dans la création, et nous en louons Dieu, nous l’admirons, nous le bénissons : voyons ce qu’il fait parmi les hommes en faveur de son peuple. « C’est lui qui a frappé les premiers-nés de l’Égypte[163] ». Tout cela est écrit de Dieu afin de te le faire aimer, et non écrit pour te le faire craindre. Mais vois que dans sa colère il fait aussi sa volonté. « Il a frappé les premiers-nés de l’Égypte, depuis l’homme jusqu’à la bête. Il a envoyé ses signes et ses prodiges au milieu de toi, ô Égypte[164] ». Vous connaissez tout cela ; vous avez lu tout ce que la puissance du Seigneur a opéré en Égypte par Moïse, pour effrayer, pour frapper, pour humilier les Égyptiens orgueilleux. « Contre Pharaon, et contre tous ses serviteurs ». C’est peu de ce qui arriva en Égypte ; qu’a-t-il fait pour son peuple après l’en avoir tiré ? « Il a frappé plusieurs nations », qui possédaient cette terre que Dieu voulait donner à son peuple. « Il a tué de puissants rois : Seon, roi des Amorrhéens, et Og, roi de Basan, et tous les royaumes de Chanaan[165] ». Tous ces faits que le Psalmiste, ne fait qu’effleurer sont racontés dans les autres livres sacrés, et le Seigneur signala sa puissance. À la vue de ses vengeances contre les impies, crains pour toi-même. Car Dieu ne les a exercées que pour te les faire éviter, te détourner de leurs voies, et t’exempter de sa colère. Considère néanmoins que la vengeance du Seigneur est sur toute chair. Ne t’imagine point qu’il ne voie point tes fautes, ou qu’il te méprise, ou qu’il dorme : vois dans tes lectures les preuves de ses bienfaits, et crains à la lecture de ses vengeances. Il est tout-puissant, et pour consoler, et pour châtier. De là vient l’utilité de ces lectures. Or, quand un homme de bien voit ce qu’a souffert un méchant, il se purifie de toute malice, de peur de tomber dans une telle épreuve, un tel châtiment. Ces lectures donc vous sont très utiles. Qu’a fait ensuite le Seigneur ? Il a chassé les impies, « et a donné leur terre en héritage, pour être l’héritage d’Israël son serviteur[166] ».
15. Voici maintenant les transports de la louange : « Seigneur, votre nom subsistera éternellement[167] » après tout ce que vous avez fait. Que vois-je en effet dans vos œuvres ? J’élève mes regards sur votre création dans le ciel, je considère cette partie la plus basse que nous habitons, et j’y vois vos bienfaits dans les nuées, dans les vents, et dans les pluies. Je considère votre peuple : vous l’avez tiré de la maison de la servitude, vous avez fait éclater vos merveilles au milieu de ses ennemis, vous l’avez vengé de ceux qui le persécutaient, vous avez chassé les impies de leur terre, vous avez tué leurs rois et donné leur terre à votre peuple : voilà ce que j’ai vu, et, plein de vos louanges, j’ai dit : « Seigneur, votre nom subsistera éternellement ».
16. Nous voyons à la lettre ce que le Prophète vient de marquer, nous le savons, nous en louons Dieu. Mais s’il y a dans tout cela des symboles, ne vous impatientez point quand je vous les explique de mon mieux. Voilà que l’on peut appliquer aux hommes ce que le Prophète a dit de Dieu qu’« il a fait dans le ciel : et la terre tout ce qu’il a voulu ». La voûte céleste désigne les hommes spirituels, et la terre les hommes charnels : ces deux catégories forment l’Église de Dieu, comme le ciel et la terre, et aux spirituels appartient la prédication, comme l’obéissance aux hommes charnels. Car « les cieux aussi annoncent la gloire de Dieu, et le firmament publie l’œuvre de ses mains[168] ». Car si la terre de Dieu ne désignait pas son peuple, l’Apôtre ne dirait point : « Vous êtes l’édifice de Dieu, vous êtes le champ qu’il cultive ; comme un sage architecte, j’ai posé le fondement, mais un autre bâtit dessus[169] ». Nous sommes donc l’édifice du Seigneur, le champ du Seigneur. « Quel est l’homme », dit-il, « qui plante une vigne, et qui n’en récolte pas le fruit ? Moi j’ai planté, Apollo a arrosé, mais c’est Dieu qui donne l’accroissement[170] ». Doive, aussi bien que dans le ciel et sur la terre, le Seigneur a fait tout ce qu’il a voulu dans son Église, et dans ses prédicateurs, et dans ses peuples. C’est peu que Dieu l’ait fait dans ceux-là, « il a fait dans la mer et dans tous les abîmes, selon ses volontés ». La mer désigne tous les infidèles qui n’ont pas encore la foi ; et Dieu a fait en eux selon sa volonté. Les infidèles ne sévissent que par la permission de Dieu, et quand ils sont dépravés, on ne tire d’eux aucune vengeance que ne la permette celui qui a fait toutes les nations. Parce que la nier est la mer, et non la terre, peut-elle donc pour cela se soustraire à la puissance de Dieu ? « Il a fait selon sa volonté et dans la mer et dans tous les abîmes ». Quels sont les abîmes ? Le secret des cœurs chez les mortels, les profondes pensées des hommes. Comment Dieu y agit-il selon sa volonté ? « Parce que le Seigneur interroge le juste et l’impie ; mais celui qui aime l’iniquité hait son âme[171] » Où le Seigneur peut-il le sonder ? Il est écrit ailleurs : « C’est dans les pensées de l’impie que Dieu l’interroge[172]. Le Seigneur fait donc selon sa volonté dans tous les abîmes ». Le cœur qui est bon est caché, le cœur qui est méchant nous est caché aussi, le cœur qui est bon est un abîme, comme le méchant est un abîme ; mais tout cela est à découvert pour Dieu à qui rien n’échappe. Il est la consolation du cœur qui est bon, le tourment d’un cœur pervers. Donc « il a fait selon sa volonté dans le ciel, sur la terre, dans la mer, et dans tous les abîmes ».
17. « Il fait venir les nuées des extrémités de la terre[173] ». Quelles nuées ? Les prédicateurs de sa vérité : c’est à propos de ces nuées que dans sa colère contre sa vigne il a dit « Je donnerai ordre à mes nuées de ne répandre aucune pluie sur elle[174] ». C’est peu d’avoir fait venir de Jérusalem ou d’Israël ces nuées qu’il envoya prêcher son Évangile dans l’univers entier, selon ce qui est prédit de ces nuées : « Leur voix a retenti sur toute la terre, et le bruit de leurs paroles jusqu’aux confins du monde[175] ». Cela est peu ; mais comme le Seigneur a dit lui-même : « Cet Évangile du royaume sera prêché dans tout le monde pour servir de témoignage à toutes les nations[176] », il fait venir les nuées des confins de la terre. Car à mesure que s’étendra la prédication de l’Évangile, comment les prédicateurs de cet Évangile seraient-ils des confins de la terre, si le Seigneur n’y suscitait des nuées ? Or, que fait-il au sujet de ces nuages ? « Il résout les tonnerres en pluie ». Ses menaces se changent en miséricorde, ses tonnerres deviennent la pluie. Comment ses terreurs se changent-elles en rosée ? Quand le Seigneur te menace par ses Prophètes, ou par ses Apôtres, et que tu es dans la crainte, n’est-ce pas un tonnerre qui t’effraie ? Mais quand la pénitence te corrige, que tu vois en cela un acte de miséricorde, l’éclat du tonnerre se change en pluie. « C’est lui qui tire les vents de ses trésors ». Je crois que ces mêmes prédicateurs sont tout à la fois des vents et des nuées ; nuées à cause de la chair, vents à cause de l’esprit. On voit les nuées, on sent les vents qu’on ne voit point. Enfin, parce que nous voyons que la chair vient de la terre, le Prophète nous dit que Dieu « les fait sortir des extrémités de la terre ». Il nous avait marqué d’où le Seigneur fait venir les nuées : et quant aux vents, comme on ne sait d’où vient l’esprit de l’homme[177], il nous dit que « Dieu tire les vents de ses trésors ». Un peu d’attention, mes frères, et voyons le reste.
18. « C’est lui qui a frappé les premiers-nés de l’Égypte, depuis les hommes jusqu’aux bêtes[178] ». Que Dieu par sa miséricorde conserve nos premiers-nés, puisqu’ils nous viennent de sa faveur. C’est un pénible châtiment, c’est une plaie bien cruelle que la mort des premiers-nés. Quels sont les premiers-nés pour nous ? Nos premiers-nés sont les œuvres par lesquelles nous servons Dieu. Car nous avons pour prémices la foi ; c’est par là que nous commençons. Il a été dit à l’Église : « Tu viendras et tu passeras outre, en commençant par la foi[179][180] ». Or, nul ne commence une vie sainte, sinon par la foi. C’est donc la foi qui est notre premier-né. Conservons bien la foi, et le reste Peut suivre. Ce qui fait que les hommes deviennent de plus en plus purs, qu’ils font des progrès dans la vertu, qu’ils mènent une vie plus sainte, et que l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour, selon cette parole de l’Apôtre « Bien que l’homme extérieur s’en aille en corruption, l’homme intérieur néanmoins se renouvelle de jour en jour[181] » ; c’est la foi qui vit en nous dans sa pureté primitive ; et c’est de cette foi première que l’Apôtre a dit : « Non seulement les autres créatures, mais nous-mêmes qui avons les prémices de l’Esprit » ; c’est-à-dire, nous qui donnons à Dieu les prémices de notre esprit, ou notre foi qui est comme notre premier-né ; « néanmoins nous gémissons en nous-mêmes, dans l’attente de l’adoption, qui sera la délivrance de notre corps[182] ». Si donc c’est une grande faveur de Dieu que la conservation de notre foi, c’est un grand châtiment que la mort de nos premiers-nés, lorsque les hommes en viennent à perdre la foi dans les persécutions de l’Église. Car on n’afflige l’Église que pour détruire la foi, et l’Égypte signifie affliction. Quiconque dès lors afflige l’Église, quiconque jette le scandale dans l’Église, eût-il le nom de chrétien, celui-là perd son premier-né. Il ne sera plus qu’un infidèle, un homme vide, n’ayant que le nom et le signe ; mais son premier-né est enseveli dans son cœur. C’est au point que si vous lui parlez d’une vie sainte, des espérances de la vie éternelle, de la crainte des flammes inextinguibles, il ricane en lui-même, et, s’il en a l’audace en votre présence, il vous dira d’une lèvre grimaçante : Quel est celui qui en est revenu ? Les hommes parlent comme il leur plaît. Et pourtant il est chrétien ; mais comme il afflige l’Église, son premier-né est mort, sa foi est morte : et cela « depuis l’homme jusqu’à la bête ». Je vous dirai toute ma pensée, mes frères. Le mot d’homme signifie pour moi, dans le sens spirituel, les savants, à cause de l’âme qui est raisonnable, et qui fait l’homme proprement dit ; par la bête, j’entends les ignorants, et qui ont la foi néanmoins, autrement ils n’auraient pas de premiers-nés. Il y a des savants qui affligent l’Église, en faisant des schismes et des hérésies. On ne saurait dès lors trouver en eux la foi, puisqu’ils sont devenus l’Égypte, ou l’affliction pour le peuple de Dieu. Leurs Premiers-nés sont frappés de mort : ils entraînent après eux des troupes ignorantes, et telle est la bête du psaume. C’est donc par l’effort de leur persécution contre l’Église que meurt la foi chez les persécuteurs. Les premiers-nés meurent donc et chez les savants et chez les ignorants ; parce que Dieu a frappé de mort les premiers-nés des Égyptiens, « depuis l’homme jusqu’à la bête ».
19. « Il a envoyé des signes et des prodiges contre toi, ô Égypte, contre Pharaon, et contre tous ses serviteurs[183] ». Ce Pharaon était roi d’Égypte. Écoutez ce nom, et voyez comment le Seigneur en agit ainsi. Dans toute nation le roi est le premier ; or, l’Égypte signifie l’affliction, et Pharaon, la dispersion. L’affliction a donc pour roi la dispersion ; parce que tout homme qui afflige l’Église ne le fait qu’en se dispersant. Ils sont dispersés afin de l’affliger ; car le roi ouvre la marche, elle peuple suit ; la dispersion d’abord, l’affliction ensuite, Écoutez, écoutez bien ces noms, qui sont mystérieux et pleins de sagesse. Pas un seul de ces noms qui ont servi aux vengeances du Seigneur, ne saurait s’entendre en bien.
20. « Il a frappé plusieurs nations, il a tué des rois puissants ». Quels rois et quelles nations ? « Seon, roi des Amorrhéens[184] ». Écoutez ces noms pleins de mystères. Le Seigneur, est-il dit, tua Seon, roi des Amorrhéens. Il le tua sans aucun doute, et puisse-t-il le tuer dans le cœur de tous ses serviteurs, dans toutes les épreuves de l’Église ! Puisse sa main ne cesser de donner la mort à de tels rois et à de tels peuples ! car Seon signifie tentation des yeux, et ces Amorrhéens signifient les cœurs pleins d’amertume. Voyez maintenant si nous pouvons comprendre que les cœurs pleins d’amertume aient pour roi la tentation des yeux. La tentation des yeux n’est autre que le mensonge, qui a une couleur, mais nulle solidité. Mais comment s’étonner que les gens pleins d’amertume aient un roi, et pour roi le mensonge ? Si tout d’abord il y avait dans l’Église du mensonge et de la dissimulation, il n’y aurait point de cœurs amers. Il y a de l’amertume parce qu’il y a de l’hypocrisie. La tentation des yeux vient tout d’abord, l’amertume ensuite ; et c’est dans le démon qu’elle a marché tout d’abord. Car n’est-ce point déjà une tentation des yeux « qu’il se transforme en ange de lumière[185] ? » Que la main du Seigneur tue l’un et les autres ; l’un, afin qu’il ne séduise plus ; les autres, afin qu’ils se corrigent. Car ce roi est mis à mort chez tout homme qui condamne l’hypocrisie, et qui aime la vérité. La main de Dieu ne cesse de faire ces sortes de meurtres. Il le fit à la lettre contre ce prince ; il le fait d’une manière spirituelle et accomplit ce qu’il ne montrait alors qu’en figure. Il mit aussi à mort un autre roi et un autre peuple : « Et Og, roi de Basan ». Quelle impiété chez celui-ci ! Og désigne la fermeture, et Basan la confusion. Un roi qui ferme le chemin vers Dieu est un roi méchant. Voilà ce que fait le diable, qui nous oppose toujours ses inventions, ses idoles, qui se pose lui-même comme nécessaire, au moyen de ses magiciens sacrilèges, de ses augures, de ses aruspices, de ses devins, de son culte démoniaque, et ferme le chemin qui conduit à Dieu. De même que le Christ nous ouvre la voie qui avait été fermée, selon cette parole d’un de ceux qu’il a rachetés : « Grâce à mon Dieu, je traverserai la muraille[186]3 » ; de même le diable ne cherche qu’à fermer la voie, pour nous empêcher de croire en Dieu. C’est en effet la croyance en Dieu qui nous ouvre le chemin[187]. Mais si la voie nous est fermée par l’incrédulité, que reste-t-il aux incrédules, sinon la confusion, quand viendra celui qu’a repoussé leur incrédulité ? Pourquoi ? Parce que la fermeture vient d’abord, et ensuite la confusion. La fermeture marche en avant comme roi, la confusion vient ensuite comme peuple. Ceux que le démon enferme afin qu’ils ne croient point au Christ, seront confondus quand le Christ apparaîtra, et leurs iniquités s’élèveront contre eux-mêmes. Alors les impies diront dans leur confusion : De quoi nous a servi notre orgueil[188] ? Voilà, mes frères, de grands mystères. La dispersion est le roi de l’affliction, et les peuples ne sont désunis que pour être affligés. Oui, voilà de grands mystères. La tentation des yeux, ou la fausseté, est le roi des cœurs amers ; ils trompent afin de répandre leur amertume. La fermeture est le roi de la confusion ; car on ferme d’abord tout chemin à la foi, et il ne reste que la confusion pour le moment où viendra celui en qui l’on n’a point voulu croire. Dieu tua aussi tous les « royaumes de Chanaan ». Ce nom de Chanaan signifie prêt à l’humiliation. Or, l’humiliation désignerait un certain bien, pourvu qu’elle fût utile ; mais quand elle est dure pour l’homme humilié, elle devient une peine. S’il n’y avait une peine dans l’humiliation, l’Évangile ne dirait point : « Quiconque s’élève sera humilié[189] ». Un châtiment qui doit mous humilier n’est donc pas un bienfait. Chanaan dès lors est ici un orgueilleux. Tout impie, tout infidèle élève son cœur ; il refuse de croire en Dieu. Mais cet orgueil est destiné à l’humiliation pour le jour du jugement : c’est alors qu’il sera humilié contre son gré. Car il y a des vases de colère, qui ne sont faits que pour la perdition[190]. ici-bas qu’ils s’élèvent, qu’ils raillent, qu’ils prennent le pas sur les fidèles, décochent sur eux leurs sarcasmes, et leurs blasphèmes sur les chrétiens. Qu’ils traitent de fable ce que nous disons du jugement ; cet échafaudage d’orgueil est destiné à l’humiliation. Quand viendra ce juge dont l’annonce provoque leur dérision, alors sera humilié non pour son salut, mais pour son supplice, celui qui s’élève maintenant avec orgueil. Maintenant il n’est pas humilié ; mais il est destiné à l’humiliation, c’est-à-dire destiné à la damnation, destiné à l’expiation.
21. Voilà donc tout ce que Dieu détruit ; il le détruisit autrefois visiblement, quand nos pères sortirent de la terre d’Égypte ; aujourd’hui il le détruit d’une manière spirituelle, et sa main ne cessera de le faire jusqu’à la fin des siècles. Et pour nous empêcher de croire que Dieu ait alors épuisé sa puissance, le Prophète ajoute : « Votre nom, Seigneur, est pour toujours » ; c’est-à-dire, voire miséricorde, votre main puissante ne cesse, dans le cours des siècles, de faire ce que vous faisiez alors en figure : « Car tout ce qui arrivait alors aux Juifs était figuratif ; on l’a consigné, afin de nous en instruire, nous qui venons à la fin des temps. Seigneur, votre mémoire s’étend de génération en génération[191] ». Or, il y a génération et génération ; il est une génération qui nous met au nombre des fidèles, en nous faisant renaître par le baptême, et une génération qui nous fait ressusciter d’entre les morts, et nous met au nombre des anges pour la vie éternelle. Mais votre mémoire, ô mon Dieu, est au-dessus de l’une et de l’autre de ces générations, parce que le Seigneur n’a point oublié de nous appeler dès aujourd’hui, et qu’il n’oubliera point alors de nous couronner. « Votre mémoire, Seigneur, passera de génération en génération ».
22. « Car le Seigneur a jugé son peuple[192] ». Tout cela s’est accompli dans le peuple juif. Mais a-t-il cessé d’agir, après avoir introduit son peuple dans la terre promise ? Il le jugera sans doute : « Le Seigneur a jugé son peuple, et il se laissera fléchir par ses serviteurs. » Déjà il a jugé son peuple, et sans parler du jugement à venir, il a fait éclater ses jugements sur le peuple juif. Qu’est-ce à dire que ce peuple est jugé ? Que les justes en sont séparés, qu’il n’y demeure que les injustes. Si je me trompe, ou si l’on m’accuse d’erreur, parce que j’ai dit que ce peuple a déjà subi son jugement, écoutons cette parole du Seigneur : « Je suis venu dans ce monde pour juger, afin que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles[193] ». Les orgueilleux sont devenus aveugles, et les humbles ont été éclairés. « Le Seigneur a donc jugé son peuple ». Isaïe a parlé de ce jugement : « Et maintenant, ô toi, maison de Jacob, marchons dans la lumière du Seigneur »[194]. C’est peu encore, qu’est-il dit ensuite ? Car Dieu a abandonné son peuple, la maison d’Israël. La maison de Jacob est en effet la maison d’Israël, et dire Jacob c’est dire Israël. Vous connaissez les saintes Écritures, et il me semble qu’il vous revient à l’esprit que Jacob, voyant un ange qui luttait contre lui, reçut alors le nom d’Israël[195]. Jacob est donc le même homme, la même personne qu’Israël ; et dès lors la maison de Jacob ou la maison d’Israël, c’est une même nation, un même peuple. Et voilà que Dieu appelle l’un et rejette l’autre. Et maintenant tu ne saurais le désavouer, ô maison de Jacob, tu as tué le Christ, tu as branlé la tête devant la croix, tu as raillé celui qui y était pendu, tu as dit : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix[196] ». Le Médecin a prié pour ces frénétiques : « Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce qu’ils font »[197]. Voilà tout ce que tu as fait. Et maintenant, crois en celui que tu as mis à mort, et bois le sang que tu as répandu. Toi donc, ô maison de Jacob, je veux t’exposer par le témoignage d’Isaïe ces paroles du Psalmiste : « Le Seigneur a jugé son peuple, et il se laissera fléchir par ses serviteurs ». Il faut comprendre que Dieu a jugé son peuple, lorsque dans ce même peuple il a séparé les bons des méchants, les fidèles des infidèles, les Apôtres des Juifs menteurs. Voilà, comme j’avais commencé à vous le dire, ce que le Seigneur nous annonçait par son Prophète : « Après ces malheurs que tu as endurés, ô maison de Jacob, venez, marchons à la lumière du Seigneur ». Pourquoi, vous dis-je, « venez et « marchons à la lumière du Seigneur ? » De peur qu’en demeurant dans le judaïsme, vous n’arriviez pas au Christ. Pourquoi en effet ? Le Christ n’a-t-il pas été toujours prophétisé dans ce même peuple ? Il est vrai ; mais maintenant il a délaissé son peuple, qui est la maison d’Israël. Viens donc, ô maison de Jacob, puisque le Seigneur a délaissé son peuple qui est la maison de Jacob ; viens, ô maison d’Israël, puisque le Seigneur a délaissé son peuple la maison d’Israël. Pourquoi celle-ci vient-elle et l’autre est-elle délaissée, sinon parce que tel est le jugement du Seigneur « Que ceux qui ne voient point verront, et que ceux qui voient seront aveugles[198] ? » Et le Seigneur l’a exercé sur son peuple. Il a donc fait la séparation ; mais n’y trouvera-t-il personne à rétablir dans son royaume ? Assurément il trouvera quelqu’un. « Mais il se laissera fléchir par ses serviteurs. Il n’a point repoussé », dit l’Apôtre, « ce peuple qu’il s’était choisi[199] ». Et quelle preuve en donne-t-il ? « Car, moi aussi, je suis Israélite ». Donc le Seigneur a jugé son peuple, « en séparant les bons des méchants » ; c’est-à-dire « en se laissant fléchir par ses serviteurs ». Par qui ? Par les Gentils. Combien de Gentils sont venus à lui par la foi ! Combien de campagnes, combien de déserts viennent à lui maintenant ! Ils viennent de là en troupes sans nombre, ils veulent croire et nous leur disons : Que voulez-vous ? Connaître la gloire de Dieu. Croyez, mes frères, que cette réponse dans les campagnes nous jette dans l’admiration et dans la joie. Ils viennent je ne sais d’où, stimulés par je ne sais qui. Que dis-je, je ne sais par qui ? Je le sais bien au contraire ; puisque « personne », dit le Seigneur, « ne vient à moi, si mon Père ne l’attire[200] ». Ils viennent à l’Église, et des forêts, et du désert, et des montagnes les plus éloignées et les plus abruptes, et tous ou presque tous nous tiennent le même langage, en sorte que nous reconnaissons que c’est Dieu qui les instruit. Ainsi s’accomplit celle parole prophétique : « Ils seront tous instruits par Dieu[201] ». Nous leur demandons : Que désirez-vous ? Et ils nous répondent : Voir la gloire de Dieu. « Car tous ont péché, et tous ont besoin de la gloire du Seigneur[202] ». Ils croient, ils sont consacrés à Dieu, ils veulent qu’on leur donne un clergé. N’est-ce point ainsi que s’accomplit cette parole : « Il se laissera fléchir par ses serviteurs ? »
23. Après avoir ainsi tout disposé dans un ordre sacré, l’Esprit de Dieu jette aux idoles des nations que méprisent leurs adorateurs, cette suprême ironie : « Les idoles des nations ne sont que de l’or et de l’argent ». Lorsque Dieu fait ainsi sa volonté dans le ciel et sur la terre, quand il a jugé son peuple, et s’est laissé fléchir par les supplications de ses serviteurs, que peut-on dire d’une idole, sinon qu’elle est méprisable et non adorable ? Pour nous porter à couvrir d’un souverain mépris toutes ces idoles des nations, peut-être croirons-nous que le Prophète aurait dû dire : Les idoles des nations sont du bois et de la terre, du gypse ? Je ne parle point ainsi, nous dit le Prophète, ces matières sont trop viles ; mais je désigne ce qui est pour les hommes un objet d’amour, ce qu’ils regardent comme précieux, et je dis : « Les idoles des nations sont de l’or et de l’argent[203] ». C’est bien de l’or, c’est bien de l’argent. Mais parce qu’il y a du brillant dans l’argent, du brillant dans l’or, ont-ils vraiment des yeux pour voir ? Comme c’est de l’or, comme c’est de l’argent, cela peut être utile à un avare, mais non à l’homme religieux, ou plutôt cela n’est pas utile même à l’avare, seulement à l’homme qui sait s’en servir, qui sait le donner pour acquérir le trésor du ciel ; mais enfin, puisque l’or et l’argent sont inanimés, pourquoi donc, ô hommes, en faire des dieux ? Ne voyez-vous pas que ces dieux que vous fabriquez ne voient point ? « Ils ont des yeux et ne verront pas ; ils ont des oreilles, et n’entendront pas ; ils ont des narines, et ne sentiront pas ; ils ont une bouche, et ne parleront point ; ils ont des mains, et n’en feront rien ; ils ont des pieds, et ne marcheront point[204] ». Un artisan peut faire tout cela, un argentier, un orfèvre a pu faire des yeux, des oreilles, des narines, une bouche, des mains et des pieds ; mais ce qu’il n’a pu donner, c’est la lumière aux yeux, ni l’ouïe aux oreilles, ni la voix à la bouche, ni l’odorat aux narines, ni la marche aux pieds.
24. O homme, tu ris de ton ouvrage, si tu connais celui qui t’a fait, Mais qu’est-il dit de ceux qui ne le connaissent pas ? « Que tous ceux qui les font leur deviennent semblables, et tous ceux qui y mettent leur confiance[205] ». On croirait, mes frères, qu’il se forme dans ces hommes une certaine ressemblance avec les idoles, non point dans leur chair, sans doute, mais dans l’homme intérieur. Car ils ont des oreilles et n’entendent point, car c’est pour eux que Dieu crie : « Que celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre[206]. Ils ont des yeux et ne voient point » ; car ils ont assurément les yeux du corps, mais non les yeux de la foi. Enfin on voit celte prophétie accomplie dans toute la terre. Voyez en effet ce qu’a dit le Prophète ; il n’y a rien d’allégorique, rien de figuratif. Écoutez une prophétie dans le sens propre, très simple et très clair, et voyez comme elle s’est accomplie. « Le Seigneur », dit le Prophète, « a prévalu contre eux[207] » ; ainsi dit Sophonie. C’est contre ceux qui lui résistaient, qui s’obstinaient, qui égorgeaient les fidèles, et faisaient des martyrs sans le savoir, que « le Seigneur a prévalu ». Et comment a-t-il prévalu ? C’est dans son Église que nous voyons à quel point il a prévalu contre eux. Ils voulaient faire disparaître les chrétiens peu nombreux, les tuer ; ils ont répandu leur sang, et le sang de ces hommes égorgés a produit une telle moisson de chrétiens, que les martyrs sont devenus supérieurs à leurs bourreaux. Ils ont d’abord tué les chrétiens pour soutenir leurs idoles, et ces idoles, ils cherchent maintenant un lieu pour les abriter. Le Seigneur n’a-t-il donc point prévalu contre eux ? Vois si Dieu ne fait point ce qui vient après cette parole : « Le Seigneur a prévalu contre eux ? » Qu’a-t-il fait selon le Prophète ? « Il a exterminé tous les dieux des nations de la terre ; chacun l’adorera dans les lieux où il se trouve, toutes les îles des nations l’adoreront[208] ». Qu’est-ce que tout cela, mes frères ? Cela n’est-il pas prédit ? Cela n’est-il pas accompli ? Nos yeux ne le voient-ils pas comme ils le lisent ? Quant à ceux qui sont demeurés dans l’idolâtrie, ils ont des yeux pour ne point voir, des oreilles pour ne pas entendre. Ils ne sentent point cette odeur dont l’Apôtre a dit : « Nous sommes en tout lieu la bonne odeur du Christ[209] ». Que leur sert d’avoir des narines, et de ne point sentir l’odeur du Christ, odeur si suave ? C’est bien en eux que s’accomplit, et pour eux qu’est dite cette parole : « Que tous ceux qui les font leur deviennent semblables, et u tous ceux qui y mettent leur confiance ».
25. Mais chaque jour les miracles de Notre-Seigneur Jésus-Christ leur font embrasser la foi ; chaque jour s’ouvrent les yeux des aveugles et les oreilles des sourds ; chaque jour revient l’odorat à ceux qui n’en avaient point, la langue des muets se délie, les mains des paralytiques reprennent le mouvement, les pieds des boiteux se redressent, et de ces pierres sortent les enfants d’Abraham, à qui l’on dit maintenant : « Bénissez le Seigneur, maison de Jacob », vous tous qui êtes les enfants d’Abraham. Bien que les enfants d’Abraham soient venus de la pierre[210], il est évident qu’ils sont plutôt la maison d’Israël, qu’ils appartiennent à la maison d’Israël, puisqu’ils sont la postérité d’Abraham, non point selon la chair, mais selon la foi. « Maison d’Israël, bénissez le Seigneur ». Mais prenons l’expression à la lettre en l’appliquant au peuple d’Israël ; c’est de là que vinrent les Apôtres qui embrassèrent la foi, avec des milliers de circoncis. « Maison d’Israël, bénissez le Seigneur ; maison d’Aaron, bénissez le Seigneur ; maison de Lévi, bénissez le Seigneur[211] ». Peuples, bénissez le Seigneur, c’est-à-dire, en général, « maison d’Israël » : bénissez-le, vous qui êtes les chefs, c’est-à-dire « maison d’Aaron » ; bénissez-le, vous qui êtes ses ministres, c’est-à-dire « maison de Lévi ». Qu’est-il dit des autres nations ? « Bénissez le Seigneur, vous tous qui craignez le Seigneur ».
26. Chantons donc tous d’une voix unanime les paroles suivantes : « Bénissez le Seigneur en Sion, lui qui demeure en Jérusalem[212] ». Donc Sion est dans Jérusalem. Sion signifie regard, et Jérusalem vision de la paix. Dans quelle Jérusalem dois-tu habiter ? Dans celle qui est tombée ? Non, mais dans celle qui est notre mère, qui vient du ciel et dont il est dit : « Celle qui était délaissée a plus d’enfants que celle qui a un Époux[213] ». Maintenant donc le Seigneur est en Sion, puisque nous sommes en sentinelle jusqu’à ce qu’il vienne. Dès maintenant toutefois nous sommes en Sion, tant que nous vivons d’espérance. Une fois notre course achevée, nous habiterons cette cité qui ne sera jamais en ruine, puisque le Seigneur habite en elle et s’en est constitué le gardien ; c’est l’éternelle Jérusalem, la vision de la paix ; de cette paix, mes frères, que nulle bouche ne saurait assez louer, de cette paix où nous n’aurons aucun ennemi ni dans l’Église, ni au-dehors de l’Église ni dans notre chair, ni dans notre pensée. La mort sera absorbée dans sa victoire[214], et, devenus citoyens de Jérusalem, de la cité de Dieu, nous verrons Dieu dans la joie d’une paix éternelle.


DISCOURS SUR LE PSAUME 135[modifier]

LES DIVINES MISÉRICORDES.[modifier]

Dieu exerce envers ceux qu’il a délivrés une miséricorde éternelle, non qu’il reste quelque misère dont il les délivre continuellement, mais la félicité, dont il les a mis en possession, sera sans fin. Bénissons le Seigneur sans attendre de lui rien de temporel, puisque les bienfaits de sa miséricorde sont sans fin. Ces dieux et ces seigneurs que surpasse le véritable Dieu sont les hommes à qui la parole de Dieu a été adressée, et les démons qui sont les dieux des nations. Les anges ne sont point appelés dieux, afin de nous détourner de leur rendre un culte. – Parmi les œuvres de Dieu, ce qui appartient à sa miséricorde, c’est notre délivrance ; les autres œuvres de la création appartiennent à sa bonté. Seul il fait les œuvres merveilleuses, comme les astres et les cieux, avec intelligence, c’est-à-dire avec son Verbe. Il affermit la terre au-dessus des eaux qui l’environnent. Ces cieux avec l’intelligence peuvent désigner les saints qui s’élèvent bien haut par la spiritualité, les astres marqueraient les différents dons chez les saints, et la terre, la foi solide. Il a détruit Pharaon, ou nos péchés, en nous faisant traverser ta mer Rouge du baptême ; pour nous encore il renverse les puissances diaboliques, Seon, roi des Amorrhéens, ou la tentation et le murmure ; Og, roi de Basan, ou la confusion des damnés ; il nous introduit dans l’héritage du Christ, qui nous donne sa chair comme une nourriture.


1. « Rendez grâces au Seigneur, parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle[215] ». Ce psaume est une hymne de louanges, et un même refrain termine chaque verset. Quoique l’on accumule tous les motifs de bénédictions, c’est toujours la miséricorde de Dieu qui est relevée particulièrement, et à laquelle a voulu rendre un solennel hommage en terminant chaque verset, celui qui a été l’organe de l’Esprit-Saint, dans la composition du psaume. Or, il me souvient que dans le psaume cent-quinzième qui commence comme celui-ci, comme l’exemplaire que j’avais sous les veux ne porte pas que sa miséricorde est éternelle, mais qu’elle est dans les siècles, j’ai demandé ce qu’il nous fallait entendre de préférence. Le grec porte en effet eis ton aiona, que l’on peut traduire par dans le siècle, ou par éternellement. Mais il serait long de répéter ici ce que je vous ai dit alors selon mon pouvoir. Dans ce psaume, au contraire, au lieu de porter dans le siècle, comme beaucoup d’autres, mon manuscrit porte, sa miséricorde est dans l’éternité. Sans doute après le jugement que Dieu exercera à la fin des siècles suries vivants et sur les morts, qui mettra les justes en possession de la vie éternelle et assignera la flamme éternelle aux méchants, il n’y aura plus personne à qui Dieu fasse : miséricorde ; et néanmoins on peut comprendre comme éternelle celte miséricorde que Dieu fait à ses saints et à ses fidèles : non point qu’ils soient ta proie d’une misère éternelle, et qu’ils aient éternellement besoin de miséricorde, mais parce que la félicité que Dieu dans sa miséricorde départit aux malheureux, afin de mettre un terme à leur misère, et commencer ainsi leur bonheur, sera sans fin ; et dès lors sa miséricorde sera éternelle. Qu’en nous la justice vienne succéder à l’iniquité, la santé à la maladie, le bonheur à la misère, la vie à la mort, l’immortalité à la mortalité, c’est là un effet de sa miséricorde. Or, comme l’état où nous devons arriver sera éternel, sa miséricorde sera donc éternelle aussi. Dès lors, « confessez au Seigneur », c’est-à-dire, louez le Seigneur en confessant « qu’il est bon ». Et de cette confession n’attendez rien de temporel ; car « sa miséricorde est éternelle », c’est-à-dire que le bienfait qu’il vous accordera dans sa miséricorde sera sans fin. Quant à cette bonté dont parle notre psaume : Quoniam bonus, on lit agathos dans le grec, au lieu que dans le psaume cent-quinzième, ce qui est exprimé par bonus, l’est en grec par Xrestos. C’est pourquoi quelques-uns l’ont traduit, parce qu’il est doux. Toutefois agathosne veut pas dire une bonté quelconque, mais la bonté par excellence.
2. Le Psalmiste continue : « Confessez au Dieu des dieux que sa miséricorde est éternelle. Confessez au Seigneur des seigneurs que sa miséricorde est éternelle[216] ». Quels sont ces dieux et ces seigneurs, qui ont pour Dieu et pour Seigneur celui qui est le vrai Dieu, voilà ce qu’il convient de rechercher. L’Écriture nous montre dans un autre psaume que des hommes sont appelés dieux, ainsi : « Dieu s’est assis dans l’assemblée des dieux, et du milieu il juge les dieux » ; et un peu après : « J’ai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut, et toutefois vous mourrez de même que les hommes, vous tomberez comme un des princes[217] ». Tel est, le passage que le Seigneur nous cite dans l’Évangile quand il dit : « N’est-il pas écrit dans votre loi : J’ai dit, vous êtes des dieux ? Si elle a nommé dieux ceux à qui la parole du Seigneur fut adressée, et l’Écriture ne saurait être vaine, comment moi que le Père a sanctifié, et envoyé au monde, m’accusez-vous de blasphème, parce que j’ai dit : Je suis le Fils de Dieu[218] ? » Si donc ils sont appelés des dieux, ce n’est point que tous soient bons, c’est que la parole de Dieu leur a été adressée. S’ils étaient ainsi nommés à cause de leur bonté, Dieu ne les jugerait pas ainsi. Car aussitôt qu’il a dit : « Dieu a pris séance dans l’assemblée des dieux », le Psalmiste ne dit point : Du milieu d’eux il discerne les hommes des dieux, comme pour assigner une différence entre Dieu et l’homme ; mais il dit : « Au milieu il juge les dieux ». Puis il ajoute : « Jusques à quand vos jugements seront-ils injustes[219] ? » et le reste : ce qui évidemment, ne s’adresse pas à tous, mais à quelques-uns, puisqu’il ne parle que d’après son discernement ; et pourtant c’est au milieu des dieux qu’il fait ce discernement.
3. Mais, dira-t-on, si l’on appelle dieux ces hommes à qui la parole de Dieu a été adressée, faut-il appeler de ce même nom les anges, puisque l’égalité avec les anges est la plus grande récompense que l’on ait promise aux justes et aux saints ? Je ne sais pas si dans toutes les Écritures on pourrait trouver ou du moins trouver facilement un passage qui nomme clairement dieux les anges ; mais quand il est dit du Seigneur Dieu, qu’il est « terrible sur tous les autres dieux[220] », le Psalmiste semble vouloir justifier cette expression en ajoutant : « C’est que les dieux des nations sont des démons ». C’est à propos de ces dieux que le Psalmiste a dit que Dieu est terrible dans ses saints, dont il a fait des dieux, et qui doivent effrayer les démons. C’est en effet ce qu’on lit ensuite : « Quant au Seigneur, il a fait les cieux ». Ils ne sont donc point appelés des dieux, sans aucune addition ; mais les dieux des nations : toutefois le Prophète a dit plus haut : « Il est terrible par-dessus tous les dieux », et non par-dessus tous les dieux des nations, bien qu’il l’ait voulu faire entendre, en, disant aussitôt : « Car tous les dieux des nations ». On dit, il est vrai, que l’hébreu ne l’exprime point ainsi, mais qu’il est dit : « Les dieux des nations sont des simulacres ». En ce cas, mieux vaut en croire les Septante, qui ont traduit avec l’assistance de ce même Esprit qui avait dit d’abord ce qui est dans le texte hébreu. C’est en effet sous l’action du même Esprit-Saint qu’il a fallu traduire ainsi cette parole : « Les dieux des nations sont des démons », afin de nous faire mieux comprendre ce qui est dans l’hébreu : « Les dieux des nations sont des simulacres », et de nous montrer qu’il n’y a dans les idoles rien que des démons. Le simulacre, en effet, qui s’appelle en grec, idole, et dont le nom a passé dans le latin, a des yeux, mais ne voit point, et tout ce qu’énumère le psaume au sujet de ces idoles privées, de tout sens ; d’où vient, qu’on ne saurait les effrayer, puisque l’effroi n’est que pour les êtres sensibles. Comment donc est-il dit à propos du Seigneur : « Il est terrible sur tous les autres dieux, car les dieux des nations sont des idoles » ; si ce n’est que, par idoles, il faut comprendre les démons que l’on peut effrayer ? De là cette parole de saint Paul : « Nous savons que l’idole n’est rien[221] » : restreignant l’idole à la matière qui est privée de sens. Et comme on aurait pu se persuader que nulle nature vivante et sensible ne fait ses délices des sacrifices des païens, l’Apôtre ajoute : « Mais les sacrifices des païens sont offerts aux démons et non à Dieu. Or, je ne veux point que vous ayez part aux sacrifices des démons »[222]. Si donc nul endroit des saintes Écritures ne nous prouve que les anges ont été appelés des dieux, la raison qui m’en vient présentement à l’esprit, c’est afin que ce nom ne puisse porter les hommes à rendre aux anges le culte souverain, qu’on nomme en grec liturgie ou latrie. Aussi eux-mêmes ont-ils soin d’en détourner les hommes, puisque cet honneur n’est dû qu’à celui qui est leur Dieu et le Dieu des hommes. Le nom d’anges, en latin messagers, leur convient donc beaucoup mieux, ce nom qui a plus d’analogie à leur emploi qu’à leur nature, et nous fait comprendre qu’ils dirigent notre culte vers le Dieu dont ils sont les ambassadeurs. Ainsi l’Apôtre a tranché en, quelques mots la question qui nous occupe, quand il a dit : « S’il est en effet des êtres appelés dieux dans le ciel et sur la terre, de manière à constituer plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, pour nous néanmoins il n’est qu’un seul Dieu, Père d’où procèdent toutes choses, qui nous a faits pour lui, et un seul Seigneur Jésus-Christ, par qui tout a été fait, et nous sommes par lui[223] ».
4. Confessons donc au Dieu des dieux, et au Seigneur des seigneurs, que sa miséricorde est éternelle ; « à lui seul qui fait les grands miracles[224] ». De même que tout verset se clôt par ces mots : « Parce que sa miséricorde est éternelle », de même à la tête de chacun, bien qu’on ne l’ait point mis, il faut sous-entendre : « Confessez au Seigneur » ; ce que le texte grec nous fait voir clairement, Le latin nous le montrerait également si nos traducteurs avaient pu rendre la même expression. Ils l’auraient fait dans ce verset, en disant : « A celui qui fait des miracles[225] ». Car si nous disons : « Celui qui fait des miracles », on lit dans le grec : « A celui qui fait des miracles » ; ce qui nous force à sous-entendre : « Confessez ». S’ils ajoutaient seulement le pronom et nous disaient : « A celui qui fait des miracles », ou « qui a fait », ou qui a « affermi », on comprendrait facilement qu’il faut sous-entendre : « Confessez ». Mais le texte est devenu tellement obscur que celui qui ne saurait examiner le texte grec, ou qui néglige de te faire, est porté à penser, qu’il y a dans le texte : « Qui a fait les cieux, qui a affermi la terre, qui a fait les grands flambeaux, parce que sa miséricorde est éternelle » ; en ce sens que Dieu aurait fait ces œuvres précisément par un effet de cette éternelle miséricorde, tandis qu’il n’y a pour appartenir à sa miséricorde que ceux qu’il délivre de la misère ; et que la création du ciel, de la terre, et des astres1, loin d’être une œuvre de miséricorde, est une œuvre de bonté pour celui dont toutes les créatures sont excellentes. Créer, en effet, c’était donner la vie à toutes choses ; mais l’œuvre de sa miséricorde est de nous purifier de nos péchés, et de nous délivrer d’une misère éternelle. C’est donc à nous que s’adresse le Psalmiste quand il dit : « Confessez au Dieu des dieux, confessez au Seigneur des seigneurs ». Confessez « à celui qui seul fait de grandes merveilles » ; confessez « à celui qui a fait le ciel par son intelligence » ; confessez « à celui qui a affermi la terre sur les eaux » ; confessez « à celui qui seul fait les grands flambeaux » ; et à la fin de chaque verset, il nous dit pourquoi nous devons le confesser, « c’est que sa miséricorde est éternelle »[226].
5. Mais pourquoi dire qu’« il a fait seul de grandes merveilles ? » Est-ce parce qu’il a fait de nombreux prodiges par le moyen des hommes et des anges ? Il y a certaines merveilles que Dieu fait lui seul, et que nous énumère le Psalmiste en disant : « Qui a fait le ciel par son intelligence, qui a affermi la terre sur les eaux, qui a fait seul de grands corps de lumière[227] ». Le Psalmiste a mis ici le mot seul, parce que Dieu a fait les autres œuvres par l’intermédiaire des hommes. Après avoir dit que Dieu a fait seul les grands corps de lumière, il nous les énumère en disant : « Le soleil pour présider au jour, la lune et les étoiles pour présider à la nuit ». Ensuite il commence l’énumération des œuvres que Dieu a faites par les anges, ou par les hommes. « Il a frappé l’Égypte avec ses premiers-nés[228] », et le reste. Dieu donc a fait toutes les créatures, non par l’intermédiaire d’une autre créature ; mais lui seul. Le Prophète rapporte seulement ici quelques-unes des créatures les plus excellentes, les cieux spirituels, la terre visible, pour nous faire juger du reste. Or, comme il y a aussi des cieux visibles, après avoir spécifié les flambeaux, il nous avertit de regarder comme l’œuvre de Dieu tout ce qu’il y a de corporel dans le ciel.
6. Toutefois cette expression : « Il a fait les cieux dans la raison », ou comme d’autres ont traduit, « dans l’intelligence », a fait demander si le Prophète voulait dire que Dieu a fait les cieux intelligibles, ou s’il les a faits dans sa raison ou son intelligence, c’est-à-dire dans sa sagesse, ainsi qu’il est dit ailleurs : « Vous avez tout fait dans votre sagesse[229] », nous insinuant que c’est par le Verbe, son fils unique. Mais s’il en est ainsi, s’il nous faut comprendre que Dieu a tout fait dans son intelligence, pourquoi le Prophète ne parle-t-il ainsi que du ciel, taudis que Dieu a tout fait dans sa sagesse ? Ou bien le Prophète ne voulait-il l’exprimer ici seulement, que pour nous faire comprendre qu’il est sous-entendu ailleurs ; en sorte que le sens serait : « Il a fait les cieux avec intelligence, il a affermi la terre sur les eaux », en sous-entendant aussi, « avec intelligence ». « Lui qui a fait seul les grands corps de lumière, le soleil pour présider au jour, la lune et les étoiles pour présider à la nuit » ; encore « avec intelligence », Mais alors pourquoi dire seul, si c’est avec la raison ou l’intelligence, c’est-à-dire dans la sagesse qui est le Verbe unique ? Ne serait-ce point parce que la Trinité, au lieu d’être trois dieux, n’est qu’un seul Dieu, et qu’alors, dire que Dieu a fait seul toutes ces choses, signifierait que Dieu les a faites sans le secours d’aucune créature ?
7. Mais que signifie : « Il a affermi la terre sur les eaux ? » Voilà qui est obscur ; car la terre a plus de poids que l’eau, en sorte que l’on peut croire qu’au lieu d’être portée par les eaux, c’est elle au contraire qui les porte. Mais, sans vouloir minutieusement défendre nos Saintes Écritures contre ceux qui s’imaginent avoir trouvé sur ce point des raisons péremptoires, quoi qu’il en soit, nous avons toujours sous la main ce sens facile à comprendre, que la terre habitée par les hommes, qui contient les animaux terrestres, et que l’Écriture appelle aussi l’aride, ainsi qu’il est écrit : « Que l’aride paraisse, et Dieu appela l’aride du nom de terre[230] », que cette terre est fondée sur les eaux, en ce sens qu’elle domine les eaux qui lui forment une ceinture. Quand on dit, en effet, d’une ville maritime, qu’elle est bâtie sur la mer, on n’entend point dire par là qu’elle est sur la mer comme la voûte d’un pont est au-dessus des eaux, ou comme le vaisseau qui court sur les flots ; mais on dit qu’elle est sur la mer, parce qu’elle domine la mer qui est moins élevée. C’est ainsi qu’il est dit que Pharaon s’élança « sur les eaux[231] » ; tel est le texte grec traduit par les latins, « vers les eaux » ; ainsi encore il est dit que le Seigneur « était assis sur le puits[232] », parce que l’un et l’autre dominaient le puits et le fleuve, l’un près du fleuve, l’autre près du puits.
8. Si cette expression du Prophète : « Dieu fit les cieux par son intelligence », peut avoir un sens qui nous regarde plus spécialement, comme si les cieux étaient les saints de Dieu, parvenus à cette spiritualité qui n’est plus seulement la foi aux choses divines, mais l’intelligence même ; ceux qui ne peuvent s’élever jusque-là, et qui s’en tiennent lune foi très ferme, auraient pour symbole cette terre qui est inférieure aux cieux. Et comme ils demeurent inébranlables dans cette foi qu’ils ont reçue au baptême, il est dit : « Il a affermi la terre sur les eaux ». De même il est écrit qu’en Jésus-Christ Notre-Seigneur sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science[233]. Or, qu’il y ait une différence entre la sagesse et la science, nous en avons d’autres preuves dans les saintes Écritures, et surtout dans les saintes paroles de Job, qui nous définit en quelque sorte l’une et l’autre : voici en effet ces paroles : « Il dit à l’homme : La sagesse consiste dans la piété, et la science à s’abstenir du mal[234] ». Nous sommes autorisés, dès lors, à faire consister la sagesse dans la connaissance et dans l’amour de celui qui subsiste toujours, qui est toujours immuable, c’est-à-dire Dieu, Cette piété, en effet, en laquelle consiste la sagesse, se nomme en grec Theosebeia, que l’on pourrait traduire en latin par culte de Dieu. Et cette science qui consiste à s’abstenir du mal[235], qu’est-ce autre chose que vivre avec précaution et prudence, au milieu d’une nation dépravée et corrompue, et comme dans les ténèbres de ce monde, afin que tout fidèle, s’abstenant de l’iniquité, ne soit point confondu dans les ténèbres, mais qu’il s’en éloigne par sa propre lumière ? Saint Paul, afin de faire ressortir quelque part l’harmonie qui se trouve entre les différents dons que Dieu fait aux hommes, met ceux-ci en avant : « L’un reçoit de l’Esprit-Saint le discours de la sagesse » ; c’est là, je crois, « Le soleil pour présider au jour : « l’autre, du même Esprit, le discours de la science », ce qui marque la lune. Les étoiles aussi pourraient être désignées dans ces paroles : « Un autre reçoit le don de foi, par le même Esprit, un autre reçoit le don de guérir les malades, un autre le don des miracles, un autre le don de prophétie, un autre le don de parler diverses langues, un autre le don de les interpréter, un autre le discernement des esprits[236] ». Il n’y a en effet aucun de ces dons qui ne soit nécessaire, dans cette nuit du monde ; une fois qu’elle sera écoulée, ils ne seront d’aucune utilité ; de là vient l’expression « pour éclairer la nuit ». Le texte porte in potestatem, et dit « au pouvoir de la nuit », ou « du jour », c’est-à-dire la puissance d’éclairer le jour ou la nuit ; ce qui convient parfaitement aux dons spirituels, puisque Dieu a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu[237]. « Il a frappé l’Égypte avec ses premiers-nés » ; il a frappé le monde avec tout ce qui paraît éclatant dans le monde.
9. « Il a tiré Israël du milieu de l’Égypte ». Il a tiré du milieu des méchants ses saints et ses fidèles. « Avec une main puissante, et un bras élevé[238] ». Quel bras plus puissant et plus élevé que celui dont il est dit : « A qui le bras du Seigneur a-t-il été montré[239] ? Lui qui a séparé la mer Rouge en deux parts ». Il fait encore aujourd’hui cette division, puisque le même baptême donne aux uns la vie, aux autres la mort. « Il a conduit Israël par le milieu de cette mer ». Il conduit aussi à travers le bain de la régénération son peuple renouvelé. « Il a renversé Pharaon et toute sa puissance dans la mer Rouge ». Par le baptême, il donne la mort au péché de ses serviteurs, et à toutes ses traces. « Il a conduit son peuple par le désert ». Il nous fait aussi traverser le désert et les aridités de cette vie, de peur que nous n’y périssions, « Il a frappé de grands rois et mis à mort des rois puissants ». Il frappe, il met à mort par nous les puissances diaboliques, les esprits de malice. « Seon, roi des Amorrhéens » ; c’est-à-dire, ce germe inutile, ce foyer de tentation, que signifie Seon, le roi des Amorrhéens ou de l’amertume « Et Og, roi de Basan ». Og, ou celui qui amasse, roi de Basan ou de la confusion. Que peut amasser le diable, sinon la confusion ? « Il a donné leur terre en héritage, en héritage à Israël son serviteur ». Ceux que le démon possédait, Dieu les donne en héritage à la race d’Abraham qui est le Christ. « Il s’est souvenu de nous dans notre humiliation, et nous a rachetés de nos ennemis[240] », par le sang de son Fils unique. « Il donne la nourriture à toute chair » ; c’est-à-dire à tout le genre humain, non seulement aux Israélites, mais encore aux Gentils ; et c’est de cet aliment qu’il est dit : « Ma chair est vraiment une nourriture[241]. Confessez au Dieu du ciel que sa miséricorde est éternelle. Confessez au Seigneur des seigneurs que sa miséricorde est éternelle[242] ». Cette expression, « ami Dieu du ciel », me paraît en d’autres termes la répétition de cette autre, « au Dieu des dieux », car le Prophète ajoute ici précisément ce que déjà il avait ajouté plus haut : « Confessez au Seigneur des seigneurs ». Quels que soient ceux que l’on nomme « dieux », confessez au Seigneur des seigneurs ; car « s’il est des êtres appelés dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre, et qu’ainsi il y ait plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, néanmoins il n’y a pour nous qu’un seul Dieu, le Père d’où procèdent toutes choses, et qui nous a faits pour lui ; et un seul Seigneur Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites, et nous sommes par lui »[243] : et auquel nous confessons que « sa miséricorde est éternelle ».


DISCOURS SUR LE PSAUME 136[modifier]

SERMON AU PEUPLE.[modifier]

BABYLONE, OU LA CAPTIVITÉ DE CETTE VIE.[modifier]

Babylone et Jérusalem sont confondues ici-bas, et seront séparées au dernier jour. Cependant nous ne pouvons louer le Seigneur qu’en Sion dont le souvenir fait couler nos larmes sur les fleuves de Babylone, ou sur tout ce qui est passager comme le fleuve, gloire, éclat, richesses. Asseyons-nous ; c’est-à-dire, humilions-nous, sans nous confier au courant, et fussions-nous heureux selon Babylone, aspirons à Sion, où notre joie sera éternelle.

Nos harpes sont les saintes Écritures ; le saule est un arbre stérile, comme ces mondains à qui nous ne saurions parler de religion ; y suspendre nos harpes, c’est garder le silence avec eux. Mais Babylone c’est la captivité, et le Christ nous rachète, comme le Samaritain soulagea cet homme que des voleurs avaient laissé à demi mort sur le chemin de Jéricho. Ces voleurs sont le diable et ses anges, lui qui entra dans le cœur de Judas, comme il entre en ceux qui lui ouvrent leur cœur par les désirs de la chair, qui ne vient le bonheur que dans la satisfaction des sens, mais ne comprennent point renoncement volontaire, ne le voient point pratiquer chez les chrétiens. Ils nous interrogent sur notre religion, mais sans vouloir l’embrasser ; il faut alors suspendre nos harpes ; comment chanter sur la terre étrangère, ou à des hommes incapables de nous comprendre ? Tel était le riche qui interrogeait le Sauveur dans l’Évangile : Que ferai-je pour avoir la vie éternelle ? Vendez vos biens, donnez-en le prix aux pauvres. C’est là le cantique des riches ; celui des pauvres, c’est d’éviter les désirs insatiables.

Ces arbres pourront cesser d’être stériles ; alors nous parlerons. Cette main droite qui doit s’oublier, c’est la main des bonnes œuvres, qui tarissent quand nous oublions Jérusalem ; la gauche est celle des œuvres temporelles, et quant à nos aspirations vers le ciel se mêlent des aspirations terrestres, notre main gauche connaît les œuvres de la main droite. D’autres, donnant la préférence aux biens temporels, font de la droite la gauche, et deviennent étrangers à Jérusalem. Pour habiter, cette ville, ayons soif de la justice ; que notre langue soit muette si nous ne chantons ce qui est de Sion, si notre joie n’est plus la jouissance de Dieu. Quant aux fils d’Edom qui ont vendu leur droit d’aînesse, qui sont l’homme charnel, ils ne posséderont point le royaume de Dieu devenu le partage de Jacob qui donna la préférence aux biens spirituels, ils ont voulu nous détruire, Dieu les a soumis à l’esclavage. La fille de Babylone nous a persécutés par ses scandales ; bienheureux qui brisera les passions qu’elle a fait naître en nous contre la pierre qui est le Christ.

1. Vous n’avez pas oublié, sans doute, ce que je vous ai dit plusieurs fois, ou plutôt ce que j’ai rappelé à votre souvenir, que tout homme instruit dans l’Église doit savoir de quelle patrie nous sommes citoyens, quel est le lieu de notre exil, que le péché est la cause de cet exil, et que la grâce qui nous fait retourner dans la patrie, c’est la rémission du péché, la justification qui nous vient de la bonté de Dieu. Vous avez entendu aussi, vous savez que deux grandes sociétés confondues de corps, mais séparées par le cœur, traversent les siècles jusqu’à la fin du monde ; l’une qui a pour fin la paix éternelle, et qui est Jérusalem, l’autre qui trouve sa joie dans la paix du temps, et qu’on appelle Babylone. Si je ne me trompe, vous connaissez aussi le sens de ces noms ; vous savez que Jérusalem signifie vision de la paix, et Babylone confusion. Jérusalem était retenue captive à Babylone, mais pas totalement, puisqu’elle a aussi pour citoyens les anges ; mais en ce qui regarde seulement les hommes prédestinés à la gloire de Dieu, qui doivent être par l’adoption les cohéritiers de Jésus-Christ, et qu’il a rachetés de la captivité au prix de son sang. Quant à cette partie de Jérusalem qui demeure en captivité à Babylone, à cause de ses péchés, elle commence d’en sortir dès ici-bas par le cœur, au moyen de la confession des péchés et de l’amour de la justice ; mais à la fin des siècles elle en sera séparée, même corporellement. Ainsi l’avons-nous annoncé dans ce psaume, que nous avons expliqué à votre charité, et qui commence de la sorte « C’est dans Sion qu’il faut vous louer, ô mon Dieu, et en Jérusalem qu’on doit vous rendre ses vœux[244] ». Or, aujourd’hui nous avons chanté : « Assis à Babylone, sur le bord des fleuves, nous avons pleuré au souvenir de Sion[245] ». Remarquez-le, dans l’un il est dit que « c’est dans Sion qu’il faut chanter des hymnes à Dieu » ; et dans l’autre : « Assis à Babylone sur le bord des fleuves, nous avons pleuré au souvenir de Sion », de cette Sion où il convient de chanter des hymnes à Dieu.
2. Quels sont donc les fleuves de Babylone, et qu’est-ce pour nous de nous asseoir et de pleurer au souvenir de Sion ? Si nous en sommes en effet les citoyens, non contents de chanter ainsi, nous pleurons réellement. Si nous sommes citoyens de Jérusalem ou de Sion, et si au lieu de nous regarder comme des citoyens, nous nous tenons pour captifs dans cette Babylone, ou dans cette confusion du monde, il nous faut non seulement chanter ces paroles, mais en reproduire les sentiments dans nos cœurs, et soupirer avec une pieuse ardeur après la cité éternelle. Dans cette cité appelée Babylone, il y a des citoyens qui l’aiment et qui y cherchent la paix du temps, bornant à cette paix leur espérance, y fixant toute leur joie, y trouvant leur fin, et nous les voyons se fatiguer beaucoup pour les intérêts d’ici-bas. Qu’un homme néanmoins s’y acquitte fidèlement de ses emplois, sans y chercher ni l’orgueil, ni l’éclat passager d’une gloire périssable, d’une haïssable arrogance, mais agissant avec droiture, autant que possible, aussi longtemps que possible, envers tous s’il est possible, autant qu’il peut voir que tout cela est terrestre, et envisager la beauté de la cité céleste, Dieu ne le laissera point à Babylone ; il l’a prédestiné à être citoyen de Jérusalem. Dieu comprend qu’il se regarde comme captif et lui montre cette autre cité à laquelle il doit aspirer, pour laquelle il doit tenter les plus grands efforts, en exhortant de tout son pouvoir ses compagnons d’exil à y arriver un jour. Aussi, notre Seigneur Jésus-Christ dit-il : « Celui qui est fidèle dans les moindres choses l’est aussi dans les grandes » ; et plus loin : « Si vous n’avez pas été fidèles dans ce qui n’est point à vous, qui vous donnera ce qui vous appartenait[246] ? »
3. Toutefois, mes bien-aimés, écoutez quels sont les fleuves de Babylone. On entend par fleuves de Babylone tout ce que l’on aime ici-bas et qui est passager. Voilà un homme qui s’est adonné à l’agriculture, par exemple, qui cherche à s’enrichir par ce moyen, y applique son intelligence, y met son plaisir. Qu’il en considère la fin, et qu’il voie que l’objet de son amour n’est point un fondement de Jérusalem, mais un fleuve de Babylone. Un autre nous dit : C’est un noble emploi que celui des armes : tout laboureur craint le soldat, lui obéit, tremble devant lui ; si je suis laboureur, je craindrai le soldat ; si je suis soldat, le laboureur me craindra. O insensé, tu te jettes à corps perdu dans un autre fleuve de Babylone, et fleuve plus turbulent, plus rapide encore que le premier. Tu veux qu’on te craigne au-dessous de toi, crains ceux d’au-dessus : celui qui te craint peut tout à coup te devenir supérieur, mais celui que tu dois craindre ne te sera jamais inférieur. Le barreau, dit celui-ci, est une noble carrière, l’éloquence est une grande puissance ; en toute occasion des clients sont suspendus en quelque sorte à la langue d’un patron qui parle bien, et de ses lèvres attendent la perte ou le gain d’une affaire, la mort ou la vie, la ruine ou le salut. Mais tu ne sais où tu vas. Voilà un autre fleuve de Babylone, un fleuve bruyant dont le flot bondit contre les rochers qu’il frappe. Mais vois au moins que ce flot passe, vois qu’il s’écoule, et si tu vois qu’il passe et qu’il s’écoule, prends garde qu’il ne t’entraîne. Il est beau, dit un autre, de naviguer et dc négocier, de connaître beaucoup de provinces, de faire du gain partout, de n’être attaché à aucune ville sous la dépendance de quelque puissant, de voyager toujours, d’absorber son esprit par des affaires multipliées, des pays divers, et de retourner enfin avec des richesses considérables. C’est encore là un fleuve de Babylone ; quand consolideras-tu ces richesses ? Quand sauras-tu compter sur ces gains, et te reposer en sûreté ? Plus tu es riche, et plus tu es craintif. Un naufrage peut te mettre à nu, et c’est avec raison que tu pleureras dans le fleuve de Babylone, parce que tu n’auras voulu ni t’asseoir, ni pleurer sur ses bords.
4. Donc les autres citoyens de la sainte Jérusalem, comprenant qu’ils sont en captivité, méditent sur les désirs humains, sur ces diverses passions qui entraînent avec violence, qui poussent et précipitent dans la mer ; voilà ce qu’ils voient, et au lieu de se jeter dans les fleuves de Babylone, ils se tiennent assis sur les fleuves de Babylone, pour pleurer, ou sur les mondains qu’entraînent ces fleuves, ou sur eux-mêmes qui ont mérité d’être à Babylone, bien qu’ils y soient assis, c’est-à-dire humiliés. Donc, « sur les fleuves de Babylone, nous avons pleuré au souvenir de Sion ». O sainte Sion, où tout demeure et rien ne s’écoule ! qui nous a précipités dans ces flots rapides ? Pourquoi nous sommes-nous séparés de ton divin Architecte, et de ta société sainte ? Nous voici au milieu des flots qui nous poussent tumultueusement et qui nous entraînent ; c’est à peine si quelqu’un peut s’échapper en saisissant les saules du rivage. Dans notre captivité, asseyons-nous humblement sur les fleuves de Babylone sans être assez audacieux pour nous précipiter dans les flots, ni assez orgueilleux pour lever la tête, au milieu de nos amertumes et de nos malheurs ; mais asseyons-nous et pleurons. Asseyons-nous sur les fleuves de Babylone, et non sous les fleuves ; que notre humilité n’aille point jusqu’à nous y plonger Assieds-toi sur le fleuve, non dans le fleuve, non sous le fleuve : assieds-toi humblement, parle, mais non comme à Jérusalem. C’est là que tu seras debout, selon cette espérance que chante un autre psaume : « Nos pieds se tenaient debout dans les parvis de Jérusalem[247] ». C’est là que tu seras élevé en gloire, si tu veux ici-bas t’humilier dans la pénitence et dans la confession. C’est donc dans les parvis de Jérusalem que nos pieds se tenaient debout. « Mais sur les fleuves de Babylone nous étions assis, pleurant au souvenir de Sion ». C’est donc le souvenir de Sion qui doit faire couler nos larmes.
5. Beaucoup en effet répandent les larmes de Babylone, parce qu’ils goûtent les joies de Babylone. La joie d’un gain, la douleur d’une perte, sont également de Babylone. Tu dois donc pleurer, mais au souvenir de Sion. Si le souvenir de Sion t’arrache des larmes, tu dois aussi pleurer, quand même selon Babylone tu serais heureux. Aussi est-il dit dans un psaume : « J’ai trouvé la tribulation et la douleur, et j’ai invoqué le Seigneur[248] ». Que signifie, « j’ai trouvé ? » Il y avait je ne sais quelle affliction à chercher, et qu’il a trouvée, ce semble, après l’avoir cherchée. Et qu’a-t-il gagné en la trouvant ? Il a invoqué le nom du Seigneur. Que tu rencontres l’affliction, ou que l’affliction te rencontre, sont choses bien différentes. Car le Prophète nous dit ailleurs : « Les douleurs de l’enfer m’ont trouvé[249] ». Que signifient ces paroles : « Les douleurs de l’enfer m’ont rencontré ? » Qu’est-ce à dire encore : « J’ai rencontré la douleur et la tribulation ? » Quand l’affliction vient tout à coup fondre sur toi, et bouleverser toutes les affaires temporelles qui faisaient tes délices ; quand une douleur vient inopinément t’assaillir, d’où tu étais loin de l’attendre, alors te voilà triste, et la douleur d’en bas t’a rencontré. Tu te croyais en haut et tu étais à terre, en proie à cette affliction de l’enfer, tu t’es trouvé en bas lorsque tu te croyais bien supérieur. Tu t’es trouvé dans un profond abattement, accablé d’un ami auquel tu avais bien compté échapper ; c’est la douleur d’en bas qui t’a rencontré. Lorsque tu es heureux, au contraire, que tout te sourit dans le monde, que la mort a épargné les tiens, que dans tes vignes rien n’est desséché, rien n’est endommagé par la grêle, rien n’est stérile, rien ne s’aigrit dans tes vins, rien n’avorte dans les troupeaux, rien ne te fait déchoir des dignités que tu occupes dans le monde, lorsque tes amis vivent, et te gardent leur amitié, que tes clients sont nombreux, tes enfants soumis, tes serviteurs respectueux, ton Épouse dans un parfait accord ; c’est là, dit-on, une maison heureuse ; trouve alors une douleur, si tu le peux, et ensuite invoque le Seigneur. Elle te paraît contradictoire, cette parole de Dieu qui nous dit de pleurer dans la joie, de nous réjouir dans la douleur. Écoute celui qui se réjouit dans l’affliction « Nous nous glorifions », dit l’Apôtre, « au milieu de la tristesse[250] ». Quand l’homme pleure dans sa joie, vois s’il n’a pas trouvé l’affliction. Que chacun examine la joie qui a fait tressaillir son âme, qui l’a enflée d’un certain orgueil, qui t’a élevée et lui a fait dire r Je suis heureuse. Qu’il voie si ce n’est point une félicité qui s’écoule, et s’il peut s’assurer qu’elle sera éternelle. S’il n’en a point la certitude, s’il voit que tout ce qui constitue son bonheur n’est que d’un moment, c’est là le fleuve de Babylone, qu’il s’asseye au-dessus et qu’il pleure. Or, il s’assiéra et pleurera s’il se ressouvient de Sion. O bienheureuse paix que nous contemplerons en Dieu ! Sainte égalité dont nous jouirons avec les anges ! Sainte vision, spectacle incomparable ! Il est vrai qu’il y a des charmes aussi qui vous retiennent à Babylone ; loin de vous tous ces liens, loin de vous leur séduction ! Autres sont les consolations de la captivité, autres les joies de la liberté. « Assis sur les fleuves de Babylone, nous avons pleuré au souvenir de Sion ».
6. « Aux saules de ses rivages nous suspendîmes nos cithares[251] ». Ils ont leurs harpes, les habitants de Jérusalem ; ils ont les saintes Écritures, les préceptes ; les promesses de Dieu, les pensées de l’autre vie ; mais quand ils se trouvent au milieu de Babylone, ils suspendent ces harpes aux saules du rivage. Le saule est un arbre stérile, et dont le nom ici ne signifie rien de bon, bien qu’ailleurs il puisse avoir un autre sens. Mais ici, ne voyons sur les fleuves de Babylone que des arbres stériles. Les fleuves de Babylone les arrosent, et néanmoins ils ne produisent aucun fruit. De même qu’il est des hommes cupides, avares, stériles en bonnes œuvres, ainsi en est-il des citoyens de Babylone, qui ressemblent aux arbres de ces contrées, s’abreuvent de toutes les voluptés passagères, comme des eaux des fleuves de Babylone. Tu y cherches du fruit sans en trouver jamais. Quand nous rencontrons ces hommes, nous nous trouvons avec ceux qui sont au milieu de Babylone. Il est en effet une différence bien grande entre le milieu de Babylone et l’extérieur. Il en est qui ne sont pas au milieu, qui ne sont point si profondément plongés dans les convoitises et les voluptés mondaines. Mais ceux qui sont complètement adonnés à la malice, pour parler ouvertement, sont au milieu de Babylone, bois stériles, comme les saules de Babylone. Lorsque nous les rencontrons, et que nous les voyons tellement stériles, qu’on trouve à peine en eux rien qui les puisse ramener à la vraie foi, ou aux bonnes œuvres, ou à l’espérance de la vie éternelle, ou au désir d’être délivrés de cette mortalité qui les tient en servitude, nous savons les Écritures, nous pourrions leur en parler ; mais ne trouvant en eux aucun fruit, par où nous puissions commencer, nous nous détournons en disant : Ils ne goûtent point encore ces vérités, ils ne les comprennent point. Quoi que nous puissions dire, ils ne l’accueilleront qu’avec défaveur, avec répugnance. Mais nous abstenir des saintes Écritures, c’est suspendre nos harpes aux saules du rivage, et ces saules ne sont que des arbres stériles saturés de voluptés passagères, comme des fleuves de Babylone.
7. Et voyez si ce n’est point là ce que nous donne la suite du psaume « Aux saules qui couvraient ces eaux, nous suspendîmes nos cithares. Là, ceux qui nous avaient emmenés captifs nous demandèrent des cantiques, et ceux qui nous avaient arrachés à la patrie, des hymnes », sous-entendez « nous demandaient ». Ils exigeaient de nous des cantiques et des hymnes, ceux qui nous ont emmenés captifs. Quels sont, mes frères, ceux qui nous ont emmenés en captivité ? Quels hommes nous ont imposé le joug de la servitude ? Jérusalem subit autrefois le joug des Perses, des Babyloniens, des Chaldéens, et des rois de ces contrées, et cela depuis la composition des psaumes, et non lorsque David les chantait. Mais, nous vous l’avons déjà dit, ce qui arrivait littéralement en cette ville était la figure de ce qui devait nous arriver, et il est facile de nous montrer que nous sommes en captivité. Nous ne respirons point encore l’atmosphère de cette liberté que nous espérons ; nous ne jouissons pas de la pure vérité ni de cette sagesse immuable, qui néanmoins renouvelle toutes choses[252]. Les terrestres voluptés ont pour nous des charmes, et chaque jour il nous faut combattre les suggestions des coupables convoitises : à peine pouvons-nous respirer, même pendant la prière : c’est alors que nous sentons notre captivité. Mais qui nous a réduit à cet esclavage ? Quels hommes ? quelle nation ? quel roi ? Si nous sommes rachetés, nous étions donc captifs. Qui nous a rachetés ? le Christ. Des mains de qui nous a-t-il rachetés ? du diable. Le diable donc et ses anges nous ont emmenés en captivité, et n’eussent pu nous emmener sans notre consentement. C’est donc nous qui sommes emmenés captifs, et je vous ai dit par qui ; c’est par ces mêmes voleurs qui blessèrent cet homme de l’Évangile qui descendait de Jérusalem à Jéricho, et qu’ils laissèrent à demi mort[253]. C’est lui que rencontra notre gardien, c’est-à-dire le samaritain, car samaritain signifie gardien, et à qui les Juifs faisaient ce reproche : « N’avons-nous pas raison de dire que vous êtes un samaritain et un possédé du démon[254] ? » Pour lui, repoussant l’un de ces outrages, il accepta l’autre : « Je ne suis point possédé du démon », répondit-il, mais il n’ajouta pas, ni samaritain ; et, en effet, si ce divin Samaritain ne veille sur nous, c’en est fait de nous. Donc ce samaritain passant près de cet homme abandonné par les voleurs, vit ses blessures, et le recueillit comme vous savez. De même qu’on appelle voleurs ceux qui nous ont infligé les plaies du péché, on les regarde aussi comme des vainqueurs qui nous emmènent en captivité, à cause de l’assentiment que nous donnons à notre servitude.
8. Ces vainqueurs donc qui nous ont emmenés, le diable et ses anges, quand nous ont-ils parlé et demandé les cantiques de Sion ? Que faut-il comprendre par là, sinon que c’est le diable qui parle et qui agit en ceux qui nous font les mêmes questions ? « Pour vous », dit l’Apôtre, « qui étiez morts par vos péchés et par vos crimes, qui marchiez autrefois selon l’esprit de ce monde, selon le principe des puissances de l’air, cet esprit qui agit maintenant sur les enfants de la rébellion, parmi lesquels nous avons été tous autrefois[255] ». Saint Paul nous fait voir qu’il a été racheté, et qu’il sort déjà de Babylone. Et toutefois, que dit-il encore ? Qu’il nous reste à combattre nos ennemis. Et pour nous détourner de haïr ces hommes qui nous persécutent, l’Apôtre éloigne de notre pensée toute animosité contre les hommes, en nous signalant cette lutte avec ces esprits invisibles, contre lesquels nous devons combattre. « Ce n’est point », nous dit-il en effet, « contre la chair et le sang que vous avez à combattre », c’est-à-dire contre les hommes que vous voyez, qui paraissent vous faire souffrir et vous persécuter ; car il vous est ordonné de prier pour eux. « Ce n’est donc point contre la chair et le sang que nous avons à combattre », c’est-à-dire contre les hommes, « mais bien contre les principautés, contre les puissances, contre les princes de ce monde ténébreux[256] ». Que veut-il dire par ce monde ? Les amateurs du monde. Ce sont eux qu’il appelle ténèbres, c’est-à-dire les hommes injustes, les scélérats, les infidèles, les pécheurs : ces hommes qu’il félicite quand ils reviennent à la foi, en leur disant : « Vous étiez autrefois ténèbres, aujourd’hui vous êtes la lumière dans le Seigneur[257] ». Il nous met donc en lutte avec ces principautés qui nous ont emmenés captifs.
9. De même que le diable entra jadis dans Judas et lui fit trahir son Seigneur[258], ce qu’il n’eût point fait si Judas ne lui eût ouvert son cœur ; de même, au milieu de Babylone, un grand nombre de méchants, par des convoitises charnelles et coupables, ouvrent leurs cœurs au diable et à ses anges, qui agissent en eux et par eux, quand ils nous questionnent et nous disent : Exposez-nous vos raisons. Les païens pour la plupart nous viennent dire : Expliquez-nous pourquoi l’avènement du Christ, de quoi sert le Christ au genre humain ? Depuis cet avènement le monde n’est-il pas dans un état pire qu’auparavant, et les hommes d’alors n’étaient-ils pas plus heureux que maintenant ? Que les Chrétiens nous disent le bien que nous a fait le Christ ; en quoi l’avènement du Christ a-t-il amélioré la condition des hommes ? Tu le vois, si les théâtres, si les amphithéâtres, si les cirques subsistaient dans leur entier, si rien ne dépérissait à Babylone, si les hommes se plongeaient dans toutes sortes de plaisirs, chantant et dansant au son d’abominables refrains, s’ils jouissaient en paix et en toute sécurité des compagnes de leurs débauches, s’ils ne craignaient point la faim dans leur maison, ceux qui applaudissent aux bouffons ; si toutes ces voluptés coulaient sans ruine et sans trouble, si l’on pouvait s’y plonger sans crainte, les temps seraient heureux, et le Christ aurait apporté sur la terre une grande félicité. Mais parce que Dieu châtie l’iniquité, parce qu’il arrache des cœurs les convoitises de la terre, afin d’y planter l’amour de Jérusalem ; parce que cette vie est mêlée d’amertume, afin que nous désirions la vie éternelle ; parce que Dieu instruit les hommes par le châtiment, les redresse par une correction paternelle afin de leur taire éviter la damnation, le Christ n’a apporté aucun bien, le Christ n’a apporté que des maux ! En vain tu énumères à cet homme les biens dont nous sommes redevables à Jésus-Christ, il n’y comprend rien. Tu lui parles de ceux qui suivent à la lettre ce que nous venons d’entendre dans l’Évangile ; « qui vendent leurs biens « pour en donner le prix aux pauvres, afin d’avoir un trésor dans le ciel, et de suivre le Sauveur[259] ». Tu lui dis : Voilà les biens apportés par le Christ. Combien distribuent leurs biens aux pauvres, et se font pauvres eux-mêmes, non par nécessité, mais volontairement, et suivent Dieu dans l’espérance du royaume des cieux ! Ils se rient de ces pauvres comme d’insensés : Et voilà, disent-ils, les biens du Christ, perdre ses possessions, et s’appauvrir pour donner aux pauvres ? Que répondre à un tel homme ? Tu ne comprends pas, lui diras-tu, les biens du Christ ; tu es absorbé par un autre, qui est l’adversaire du Christ, et à qui tu as ouvert ton cœur. Tu jettes les yeux sur les temps anciens, et ces temps te paraissent plus heureux ; comme des olives pendantes à l’arbre, au souffle des vents, ainsi les hommes s’imaginaient jouir d’un certain air de liberté, en promenant çà et là leurs vagues désirs. Mais voici que l’on jette l’olive sous le pressoir ; car elle ne pouvait demeurer toujours sur l’arbre, et l’année touchait à sa fin, Ce n’est pas sans raison que plusieurs de nos psaumes sont intitulés : « Pour les pressoirs[260] ». Liberté sur l’arbre, écrasement au pressoir. Tu as remarqué, en effet, que l’avarice augmente à mesure que les biens du monde sont broyés et pressurés ; vois aussi que la continence augmente à son tour. D’où vient cet aveuglement qui ne te laisse voir que le marc coulant dans les rues, et te dérobe l’huile pure qui coule dans les vases ? Et cela n’est pas sans figure. L’homme qui fait le mal est connu publiquement : mais l’homme qui se convertit à Dieu, qui se purifie des souillures de ses coupables désirs, celui-là demeure caché ; car le marc coule visiblement au pressoir, ou plutôt du pressoir, tandis que l’huile coule secrètement dans les réservoirs.
10. Vous applaudissez à mes paroles, vous en tressaillez ; parce que déjà vous pouvez vous asseoir sur les fleuves de Babylone et y pleurer. Quant à ceux qui nous ont emmenés captifs, dès qu’ils sont entrés dans le cœur des hommes, dès qu’ils en ont pris possession, et qu’ils nous interrogent par leur organe, en nous disant : « Chantez-nous les paroles de vos cantiques » ; expliquez-nous pourquoi est venu le Christ, et qu’est-ce que l’autre vie ? Je veux croire, mais donnez-moi la raison qui m’oblige à croire : ô homme ! lui dirai-je, comment ne pas t’obliger à croire ? Tu es absorbé dans tes coupables désirs, et si je te parle des biens de la Jérusalem d’en haut, tu ne les comprendras point : il faut chasser de ton cœur ce qui le remplit, afin d’y mettre ce qui n’y est point. Ne t’engage donc point aisément à parler à cet homme ; c’est un saule, un bois stérile. Ne touche point ta harpe, n’en tire aucun son, mieux vaut la suspendre. Mais il insistera : chantez vos cantiques, dira-t-il, dites-moi les raisons de votre toi ; ne voulez-vous donc pas m’instruire ? Ton dessein d’écouter n’est pas sincère, et ce n’est point pour mériter qu’elle s’ouvre que tu frappes à la porte ; tu es plein de celui qui m’a fait captif, c’est lui qui m’interroge par ta bouche. Il est astucieux, il est fourbe dans ses questions : il ne cherche point à s’instruire, mais à reprendre. Je me tais donc et je suspends ma harpe.
11. Mais que dira-t-il encore ? « Chantez-nous vos hymnes, donnez-nous vos concerts, chantez-nous les cantiques de Sion ». Que répondre ? Tu es de Babylone, lui dirons-nous, tu fais partie de Babylone, c’est Babylone qui te nourrit, Babylone qui parle par ta bouche ; tu ne saisis que le reflet d’un moment, tu ne sais point méditer ce qui est éternel, tu ne comprends pas même tes questions. « Comment chanter les cantiques du Seigneur sur la terre étrangère[261] ? » C’est bien cela, mes frères. Parlez de nos vérités, quelque peu que vous les connaissiez, et voyez combien de railleries vous devez essuyer de la part de ces chercheurs de vérités, qui sont pleins de fausseté. Répondez à ces hommes qui vous demandent ce qu’ils ne peuvent comprendre, et dites-leur avec la hardiesse de notre saint cantique : « Comment chanter les cantiques du Seigneur dans la terre étrangère ? »
12. Mais, ô peuple de Dieu, ô corps du Christ, nobles exilés, car vous êtes d’ailleurs, et non d’ici, comprenez que vous êtes entre leurs mains ; et quand ils vous disent : « Chantez-nous vos hymnes, faites retentir vos concerts, chantez-nous les cantiques de Sion », gardez-vous de vous attacher à eux, de rechercher leur amitié, de craindre de leur déplaire, de trouver du goût à Babylone et d’oublier Jérusalem. Voyez ce que cette crainte suggère au Prophète, écoutez la suite. Car il a souffert celui qui a chanté ces paroles, et cet homme, c’est nous si nous voulons ; il a subi toutes ces questions que lui adressaient, de toutes parts, des hommes aux paroles flatteuses, mais à la critique amère, aux louanges trompeuses, qui demandent ce qu’ils ne sauraient comprendre, et ne veulent point rejeter ce qui remplit leur cœur. Or, au milieu de ces foules importunes, le Prophète se trouvant en péril a relevé bien haut son âme au souvenir de Sion, et a même voulu s’astreindre par une espèce de serment : « Sainte Jérusalem, si jamais je t’oublie[262] ». Ainsi dit-il au milieu des discours de ceux qui le retiennent captif, au milieu des paroles mensongères, des paroles insidieuses de ces hommes demandant toujours sans vouloir comprendre.
13. De ces hommes était ce riche qui interrogeait le Sauveur : « Maître, que ferai-je, pour avoir la vie éternelle[263] ? » Questionner au sujet de la vie éternelle, n’était-ce point demander un cantique de Sion ? « Observez les commandements », lui dit le Sauveur. Et ce fastueux de répondre : « Je les ai tous accomplis dès mon enfance ». Le Seigneur lui parle donc des cantiques de Sion, bien qu’il sût qu’il ne comprendrait point ; mais il voulait nous donner un exemple des conseils que plusieurs semblent nous demander, au sujet de la vie éternelle, et qui nous comblent d’éloges, jusqu’à ce que nous répondions à leurs demandes. À propos de ce jeune homme, il nous apprend à répondre à ces questionneurs insidieux : « Comment chanter les cantiques du Seigneur sur la terre étrangère ? » Voici sa réponse : « Voulez-vous être parfait ? Allez, vendez ce que vous possédez, et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, puis venez et suivez-moi ». Afin d’apprendre les cantiques de Sion, qu’il se dégage de tout empêchement, qu’il marche librement et sans aucun fardeau ; alors il comprendra quelque peu les cantiques de Sien. Ce jeune homme s’en alla triste. Disons derrière lui : « Comment chanter les cantiques de Sion dans la terre étrangère ? » Il s’en alla, il est vrai, mais le Seigneur ne laissa point les riches sans espérance. Car les Apôtres disaient : « Qui donc pourra être sauvé ? » Et le Sauveur répondit : « Ce qui est impossible aux hommes est facile à Dieu ». Les riches ont leur règle ; ils ont pour eux un cantique en Sion, cantique dont l’Apôtre a dit : « Ordonnez aux riches de ce monde de n’être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance « dans les richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie ». Précisant ensuite ce qu’ils ont à faire, l’Apôtre enfin touche de la harpe, et ne la suspend point : « Qu’ils soient riches en bonnes œuvres », dit-il, « qu’ils donnent de bon cœur, qu’ils fassent part de leurs biens, qu’ils s’amassent un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin d’embrasser la vie éternelle[264] ». Tel est pour les riches le cantique de Sion, d’abord de ne point s’enorgueillir. Car les richesses élèvent le cœur, et le fleuve entraîne ceux qui s’élèvent. Que leur est-il donc recommandé ? Avant tout de ne point s’enorgueillir. Qu’ils évitent dans les richesses l’effet des richesses mêmes, qu’ils évitent l’orgueil ; car c’est le mal que produisent naturellement les richesses dans les hommes peu défiants. L’or n’est pas mauvais sans doute, puisque Dieu l’a créé ; mais l’avare devient mauvais, quand il délaisse le Créateur pour s’attacher à la créature. Qu’il se prémunisse dès lors contre l’orgueil, et s’assoie sur le fleuve de Babylone. Car lui recommander de ne point s’enorgueillir, c’est lui dire de s’asseoir. Qu’il ne se confie point dans les richesses qui sont incertaines, et qu’il se tienne assis sur les fleuves de Babylone. Mettre sa confiance en des biens inconstants, c’est se laisser entraîner par le fleuve ; mais s’humilier, éviter l’orgueil, se délier des richesses incertaines, c’est se tenir assis sur le fleuve de Babylone et soupirer vers la Jérusalem éternelle au souvenir de Sion, et, pour parvenir à Sion, donner son bien aux pauvres. Tel est pour les riches le cantique qui leur vient de Sion. Qu’ils travaillent dès lors, qu’ils touchent la harpe, et sans perdre un instant, quand ils rencontreront un homme qui leur dira : Que fais-tu ? c’est perdre tes biens que faire autant d’aumônes : amasse pour tes enfants. Quand, dis-je, ils rencontreront de ces hommes incapables de comprendre nos œuvres, et qu’ils trouveront en eux le saule stérile, qu’ils ne s’arrêtent pas à rendre raison de leurs œuvres, à les faire connaître, qu’ils suspendent leurs harpes aux saules de Babylone. Mais en dehors de ces saules, qu’ils chantent, qu’ils travaillent sans relâche. Ce n’est point perdre que faire l’aumône. Confié à ton esclave, ton dépôt serait en sûreté ; confié au Christ, sera-t-il en péril ?
14. Vous venez d’entendre le cantique de Sion pour les riches, écoutez celui des pauvres, C’est toujours saint Paul qui parle : « Nous n’avons rien apporté en ce monde, et sans aucun doute nous n’en pouvons rien emporter ; ayant de quoi vivre, de quoi nous vêtir, nous devons être contents. Quant à ceux qui veulent s’enrichir, ils tombent dans la tentation et en des désirs sans nombre, insensés et nuisibles, qui plongent l’homme dans la mort et dans la perdition[265] », Voilà les fleuves de Babylone. « Or, l’avarice est la racine de tous les maux ; quelques-uns de ceux qui en sont possédés, se sont égarés de la foi, et se sont jetés dans de grandes douleurs[266] ». Ces deux hymnes sont-ils donc en contradiction ? Voyez ce que l’on dit aux riches, « de ne point s’enfler d’orgueil, ni se confier dans les richesses qui sont incertaines[267] », de faire des bonnes œuvres, des aumônes, de s’amasser pour l’avenir un trésor et un fondement solide. Aux pauvres, qu’est-il dit ? « Ceux qui veulent s’enrichir, tombent dans la tentation ». On ne dit point : Ceux qui sont riches ; mais « ceux qui veulent s’enrichir ». Autrement, s’ils étaient déjà riches, l’autre cantique serait pour eux. On dit aux riches de donner, aux pauvres de ne point désirer.
15. Mais quand vous vous trouvez avec ces hommes qui ne comprennent point les cantiques de Sion, suspendez, vous ai-je dit, vos harpes aux saules du rivage : différez ce que vous devez dire. Ces arbres peuvent cesser d’être stériles, changer de nature et porter de bons fruits : c’est alors que nous pourrons chanter et qu’ils nous comprendront. Mais avec ceux qui contredisent toutes nos paroles, qui font des questions insidieuses, et s’obstinent contre les vérités qu’ils entendent, ne cherchez jamais à leur plaire, craignez d’oublier Jérusalem ; que cette Jérusalem de la terre n’ayant qu’une même âme, parce que la paix du Christ a réuni toutes les âmes en une seule, que cette captive s’écrie : « Si jamais je t’oublie, ô sainte Jérusalem, que ma main droite s’oublie elle-même[268] ». Quelle imprécation, mes frères ! « Que ma main droite s’oublie elle-même ». Quel effroyable serment ! Notre main droite, c’est la vie éternelle ; notre gauche, la vie d’ici-bas, Toute œuvre pour la vie éternelle est l’œuvre de la droite. Si, dans tes actions, au désir de la vie éternelle se trouve mêlé quelque amour de la vie temporelle, ou d’une louange humaine, ou de quelque avantage mondain, ta main gauche connaît alors ce que fait ta main droite. Or, vous connaissez le précepte de l’Évangile : « Que votre main gauche ignore ce que fait votre main droite[269]. Si donc je t’oublie, ô Jérusalem, que ma main droite s’oublie elle-même ». Et c’est ce qui est arrivé ; la parole du Prophète est plus une prédiction qu’un souhait. Car, à tout homme qui oublie Jérusalem, il arrive que sa droite elle-même s’oublie. Car la vie éternelle subsiste en – elle-même ; pour eux, ils demeurent dans les plaisirs du temps, et se font une droite de ce qui est la gauche.
16. Soyez attentifs à mes paroles, mes frères, et je veux vous parler autant que Dieu m’en fera la grâce pour le salut de tous. Il vous souvient peut-être que je vous ai entretenus de certains hommes, qui se font une droite de ce qui est la gauche ; c’est-à-dire qui donnent la préférence aux biens temporels, qui y placent leur bonheur, dans leur ignorance du vrai bonheur, de la véritable droite[270]. L’Écriture les nomme étrangers, comme n’appartenant pas à Jérusalem, mais à Babylone : c’est d’eux qu’il est dit en quelque endroit des psaumes : « Délivrez-moi, Seigneur, de la main des enfants étrangers, dont la bouche dit le mensonge, et dont la droite est une droite d’injustice ». Et le Psalmiste continue en disant : « Leurs fils sont comme de nouveaux plants d’oliviers ; leurs filles sont parées comme des temples ; leurs celliers sont pleins, s’épanchant de l’un dans l’autre ; leurs brebis sont fécondes, et s’en vont en foule de l’étable ; leurs vaches sont grasses, leurs clôtures ne sont point en ruine, et nul bruit sur leurs places publiques[271] ». Jouir de ce bonheur, est-ce donc être coupable ? Non, sans doute ; mais d’en faire la droite, Puisque telle est la gauche. Aussi, que dit le Prophète ? « Ils ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens ». Or, c’est parce qu’ils l’ont proclamé heureux que leur bouche a dit des vanités. Mais toi, ô Prophète, tu es citoyen de Jérusalem, puisque tu n’oublies pas Jérusalem, de peur que ta droite ne s’oublie ; voilà que ces hommes ont dit la vanité en chantant le bonheur d’un peuple qui possède ces richesses : pour toi, chante-nous les hymnes de Sion. « Bienheureux », nous dit-il, « le peuple dont le Seigneur est le Dieu[272] ». Sondez vos cœurs, mes frères, voyez si vous avez soif des biens de Dieu, si vous soupirez après la cité de Dieu, la sainte Jérusalem, si vous désirez la vie éternelle. Que tout bonheur terrestre soit la gauche pour vous, et qu’il soit votre droite, celui que vous posséderez toujours. Si vous avez la gauche, n’y mettez point votre confiance ; ne reprenez-vous pas ceux qui veulent manger de la gauche ? Si vous croyez votre table déshonorée, parce qu’on y mange de la sorte, quelle injure n’est-ce point pour celle du Seigneur, que prendre pour la gauche ce qui est la droite, et pour la droite ce qui est la gauche ? Que faire alors ? « O Jérusalem, si jamais je t’oublie, que ma main droite s’oublie elle-même ».
17. « Que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens de toi[273] ». C’est-à-dire, que je demeure muet si ton souvenir s’efface de ma mémoire. Que dire, en effet ; de quoi parler, si l’on ne parle des cantiques de Sion ? Notre langue est elle-même le cantique de Jérusalem. Chanter notre amour pour ce bas monde, c’est une langue étrangère, une langue barbare, et que nous avons apprise dans notre captivité. Il sera donc muet pour Dieu, celui qui aura oublié Jérusalem. Mais c’est peu de s’en souvenir ; ils s’en souviennent aussi, ses ennemis qui la veulent détruire. Quelle est, disent-ils, cette cité ? Quels sont ces chrétiens ? Quelle est leur vie ? Encore s’ils n’étaient plus ! Voilà que la nation captive a vaincu ceux qui la tenaient en captivité, et toutefois ils murmurent, ils frémissent, ils veulent détruire la cité sainte étrangère parmi eux, comme autrefois Pharaon voulut détruire le peuple de Dieu, quand il faisait mettre à mort tout enfant mâle, et ne réservait que les filles : il étouffait la force et nourrissait la convoitise. C’est donc peu de s’en souvenir, vois quel souvenir tu en as. Il est des souvenirs de haine et des souvenirs d’amour. Aussi après avoir dit : « Si jamais je t’oublie, ô sainte Jérusalem, que ma main droite s’oublie elle-même. Que ma langue s’attache à mon palais, si tu ne vis dans ma mémoire », le Prophète ajoute : « Si Jérusalem n’est pas toujours la première de mes joies ». Car, la joie suprême pour nous, c’est de jouir de Dieu, c’est de goûter en toute sécurité le bonheur d’une société paisible, et de l’union fraternelle. Là, nulle tentation violente, nul attrait dangereux ne pourra nous atteindre, le bien seul aura pour nous des charmes. Toute nécessité disparaîtra et fera place au bonheur suprême. « Si Jérusalem n’est point la première de mes joies ».
18. Le Prophète en appelle au Seigneur, contre les ennemis de la cité : « Souvenez-vous, Seigneur, des fils d’Edom[274] ». Or, Edom est ici le même qu’Esaü, et vous avez entendu tout à l’heure à la lecture de l’Apôtre : « J’ai aimé Jacob, et haï Esaü[275] ». C’étaient deux frères dans un même sein, deux jumeaux dans les entrailles de Rébecca, deux fils d’Isaac, petits-fils d’Abraham. Néanmoins ils naquirent, l’un pour être admis à l’héritage, l’autre pour en être exclu. Or, cet Esaü fut l’ennemi de son frère, parce que ce frère qui était le plus jeune lui ravit la bénédiction paternelle, et qu’ainsi s’accomplit cet oracle : « L’aîné servira le plus jeune[276] ». Or, nous commençons à comprendre quel est l’aîné, quel est le plus jeune, et quel est cet aîné assujetti au plus jeune. Le peuple juif paraissait l’aîné, et le peuple chrétien le plus jeune selon le temps. Et voyez comme l’aîné est assujetti au plus jeune. Ils sont les colporteurs de nos livres, car c’est de leurs livres que nous vient la vie. Mais pour donner à ces qualifications d’aîné et de plus jeune tin sens plus général, l’aîné, c’est l’homme charnel, et le plus jeune, l’homme spirituel ; car l’homme charnel est le premier, l’homme spirituel vient ensuite. C’est l’Apôtre qui nous le dit clairement : « Le premier homme est l’homme terrestre formé de la terre ; le second est l’homme céleste qui vient du ciel : comme le premier est terrestre, ses enfants sont terrestres, et comme le second est céleste, ses enfants sont célestes. Comme donc nous avons porté l’image de l’homme e terrestre, portons aussi l’image de l’homme céleste ». Un peu auparavant havait dit : « Ce n’est point le corps spirituel qui a été formé le premier ; c’est le corps animal, et ensuite le spirituel[277] ». L’expression « animal » a le même sens que charnel. À sa naissance l’homme est d’abord animal, homme charnel. S’il sort de la captivité de Babylone, pour retourner à Jérusalem, il est renouvelé, il se fait en lui une régénération selon l’homme nouveau et intérieur ; il est le plus jeune par le temps, et l’aîné par la puissance. Esaü est donc le type de tous les hommes charnels, et Jacob le type de tous les hommes spirituels ; ces derniers sont élus, les premiers sont réprouvés. L’aîné veut-il être élu ? qu’il devienne le plus jeune. Il est appelé Edom, à cause de ce mets de lentilles qui est roux, c’est-à-dire, qui a une couleur rougeâtre. Ces lentilles étaient cuites et préparées, Esaü les demanda à Jacob son frère, il poussa l’envie de manger ces lentilles jusqu’à céder son droit d’aînesse, dignité que son frère acquit en échange du mets si convoité ; et, par cette convention, l’un devenant le plus jeune l’autre l’aîné, cet aîné fut assujetti au plus jeune, et fut surnommé Edom[278]. Or, selon le témoignage des hommes instruits dans cette langue, Edom veut dire sang, signification qu’il a aussi dans notre langue punique. Ne vous en étonnez point, c’est au sang qu’appartiennent toutes les personnes charnelles. « Or, ni la chair ni le sang ne posséderont le royaume de Dieu[279] ». Edom n’a aucune part à ce royaume, tandis qu’il est le partage de Jacob, qui se priva d’un mets charnel, pour un honneur spirituel. Mais il eut pour ennemi Esaü, car tous les hommes charnels sont ennemis des hommes spirituels : quiconque ne recherche que le présent, persécute ceux qu’il voit occupés des biens éternels. Or, que dit contre ces hommes le Prophète qui ne perd point de vue Jérusalem, et qui demande à Dieu d’être délivré de sa captivité ? « Souvenez-vous, Seigneur, des fils d’Edom ». Délivrez-nous des hommes charnels, qui suivent cet Edom, qui sont nos frères aînés, mais qui sont aussi nos ennemis. Ils sont nés les premiers, mais ceux qui sont nés ensuite les ont devancés ; car la convoitise charnelle a humilié les uns, et le mépris de cette convoitise élève les autres. Ils vivent, mais pour nous porter envie et nous persécuter.
19. « Souvenez-vous, Seigneur, des enfants d’Edom au jour de Jérusalem ». Ce jour de Jérusalem est-il bien le jour de la douleur, le jour de la captivité pour Jérusalem, ou le jour de son bonheur, le jour de sa délivrance, le terme de sa course qui sera l’éternité ? « Seigneur », dit le Prophète, « n’oubliez pas les enfants d’Edom ». Desquels ? « De ceux qui disent : Détruisez, détruisez Jérusalem jusqu’en ses fondements ». Donc, souvenez-vous du jour où ils voulaient détruire Jérusalem. Combien de persécutions l’Église n’a-t-elle pas endurées ? Avec quelle fureur les fils d’Edom, ou les hommes charnels, soumis au diable et à ses anges, qui adorent les pierres et le bois, qui obéissent aux convoitises de la chair, avec quelle fureur ne criaient-ils point Mort aux chrétiens, mort aux chrétiens : que pas un seul n’échappe détruisez jusqu’aux fondements ? N’est-ce point là leur cri ? Et, dans ce langage atroce, les persécuteurs n’ont-ils pas été rejetés de Dieu, et les martyrs couronnés ? « Détruisez », disent-ils, « détruisez jusqu’aux fondements ». Ainsi disent les enfants d’Edom : « Détruisez, détruisez », et Dieu crie à son tour : « Soyez assujettis[280] ». Laquelle de ces paroles sera victorieuse, sinon la parole de Dieu qui a dit : « L’aîné sera assujetti au plus jeune[281] ? Détruisez, détruisez jusqu’en ses fondements ».
20. Puis s’adressant à Babylone : « O fille de Babylone », s’écrie le Prophète, « malheur à toi[282] ». Malheur à toi dans ton allégresse, malheur dans ta confiance, malheur dans tes inimitiés. « Malheur à toi, fille de Babylone ». Cette même cité est nommée Babylone et fille de Babylone ; comme on dit Jérusalem et fille de Jérusalem, Sion et fille de Sion, l’Église et la fille de l’Église. Le nom de fille s’entend de la succession, le nom de mère désigne sa supériorité. Tout d’abord il y eut une ville de Babylone ; mais des habitants ont-ils subsisté jusqu’aujourd’hui ? Par la succession des temps elle est devenue fille de Babylone. « Malheur à toi donc, ô fille de Babylone, bienheureux celui qui te rendra les maux que tu nous a faits[283] ». Malheur à toi, honneur à lui.
24. Qu’as-tu fait, et que faut-il te rendre ? Écoute bien. « Heureux celui qui te rendra tous les maux que tu nous a faits ». De quels maux veut-il parler ? C’est là ce qui termine le psaume : « Bienheureux celui qui saisira tes enfants et les brisera contre la pierre[284] ». Tel est son malheur, et bienheureux celui qui la traitera comme elle nous a traités. Or, si nous cherchions quel est ce traitement : « Bienheureux », dit le Prophète, « celui qui saisira tes enfants et les brisera contre la muraille ». Tel est ce traitement. Que nous a fait cette Babylone ? Nous l’avons chanté dans un autre psaume : « Les paroles des méchants ont prévalu contre nous[285] ». À notre naissance, Babylone ou la confusion du siècle nous a enveloppés, et dans notre enfance nous a en quelque sorte suffoqués dans ses erreurs si diverses et si multipliées. Voilà un nouveau-né qui sera un jour citoyen de la Jérusalem d’en haut, qui l’est déjà par la prédestination de Dieu, mais qui est encore pour un temps dans la captivité. Comment saura-t-il aimer, sinon ce que lui inspirent son père et sa mère ? Or, les voilà qui l’instruisent, qui le forment à l’avarice, à la rapine, aux mensonges de chaque jour, à l’idolâtrie et au culte des démons, aux coupables pratiques des enchantements et des ligatures. Que fera cet enfant, dans un âge si tendre, qui n’a des yeux que pour voir ce que font ses aînés ; que peut-il faire, sinon de suivre leur exemple ? C’est donc ainsi que Babylone nous a persécutés dans notre enfance : mais, à mesure que nous avons grandi, Dieu nous a fait la grâce de le connaître et de nous détourner des errements de nos pères. C’est la prédiction que je vous ai signalée dans l’explication du même psaume[286] : « Les nations viendront à vous des extrémités de la terre et diront : Véritablement nos pères ont adoré le mensonge et la vanité qui ne leur ont servi de rien[287] ». C’est le langage que tiennent des hommes dans leur force : on les avait mis à mort dans leur jeune âge, en leur faisant suivre ces vanités ; qu’ils repoussent bien loin ces vanités, qu’ils reprennent une vie nouvelle en Dieu, en s’avançant dans la vertu et se vengeant de Babylone. Or, que peuvent-ils lui rendre ? Ce qu’elle nous a fait. Que ses enfants soient étouffés : ou plutôt, qu’on les brise contre la muraille et qu’ils meurent. Mais quels sont ces enfants de Babylone ? Les convoitises coupables qui naissent en nous. Il en est qui ont à livrer de rudes combats contre leurs passions invétérées. Qu’une passion vienne à poindre dans ton cœur, avant qu’elle ne se fortifie contre toi par l’habitude, quand ce n’est qu’une passion nouvellement formée, ne lui laisse pas le temps de grandir par l’habitude, mais étouffe-la dès sa naissance. Et si tu crains qu’elle ne meure pas même en l’étouffant, brise-la contre la pierre. « Or, cette pierre c’est le Christ[288] ».
22. Que vos harpes, mes frères, ne cessent de retentir par vos bonnes œuvres ; chantez-vous mutuellement les cantiques de Sion. Autant vous aimez d’écouter, autant il faut aimer de pratiquer ; si vous ne voulez être à Babylone, abreuvés de l’eau de ses fleuves, mais ne rapportant aucun fruit. Mais soupirez après la Jérusalem éternelle : c’est là que l’espérance nous a devancés, que nos œuvres nous y suivent ; c’est là que nous serons avec le Christ. Maintenant notre chef c’est le Christ, lui qui nous gouverne d’en haut : c’est dans cette cité bienheureuse que nous jouirons de ses embrassements, et que nous serons égaux avec les anges. C’est là ce que de nous-mêmes nous n’oserions même soupçonner sans les promesses de l’infaillible vérité. Portez donc là vos désirs, mes frères, que ce soit jour et nuit l’objet de vos pensées. Quelque bonheur qui vous sourie dans le monde, ne vous en élevez point ; ne raisonnez point avec vos convoitises. Votre ennemi est-il grand ? tuez-le contre la pierre ; est-il petit ? brisez-le contre la pierre ; grands ou petits, tuez-les, brisez-les contre la pierre. Que la pierre triomphe ; bâtissez sur la pierre, si vous ne voulez être emportés ou par le fleuve, ou par l’ouragan, ou par les pluies. Afin de vous armer contre les séductions du monde, faites croître et grandir dans vos cœurs le désir de la Jérusalem éternelle. À la captivité qui passera, succédera le bonheur, le dernier ennemi sera vaincu, et, affranchis de la mort, nous triompherons avec notre roi.


DISCOURS SUR LE PSAUME 137[modifier]

SERMON AU PEUPLE EN LÀ FÊTE DE SAINTE CRISPINE.[modifier]

GLOIRE A DIEU.[modifier]

Le psaume est une confession, non des péchés, mais des louanges, comme celle de Jésus-Christ dans l’Évangile ; et confesser Dieu de tout son cœur, c’est lui offrir un holocauste de louanges, ou le sacrifice parfait, qui est le chant avec les anges, ou du ce bonheur spirituel que l’on peut goûter ici-bas, même au milieu des tourments, qui est offert à Dieu dans son temple ou dans l’âme, et dans les biens qu’il nous a procurés. Nous confesserons la miséricorde qui prend le pécheur en pitié, et nous incline vers les pauvres, et la vérité par laquelle Dieu accomplit ses promesses, et que nous devons exercer dans nos jugements. Dieu a glorifié son saint nom en choisissant la race d’Abraham, d’où est issu le Christ qui a envoyé les apôtres prêcher l’Évangile. Hâtez-vous de m’exaucer, dit le Prophète qui sait ce qu’il doit demander à Dieu, qui demande, comme Crispine, les biens éternels. Il demande en effet la multiplication, non de la famille, ni des richesses, mais de son âme. Les vices sont dans l’âme, et le Prophète veut être multiplié en vertu. – Rois de la terre, confessez Dieu : c’est ce qu’ils font chaque jour ; qu’ils s’humilient parce qu’ils ont entendu les oracles des Écritures, aujourd’hui prêchées sur toute la terre, comme le figurait à Gédéon l’aire trempée de rosée. Qu’ils chantent, non leur gloire, mais celle de Dieu ; qu’ils soient humbles, parce que Dieu regarde favorablement les humbles, et ne voit les orgueilleux que de loin ou en s’éloignant d’eux. Marcher dans la tribulation, c’est marcher en cette vie qui est pleine de tribulations, et la vie éternelle est au prix de notre patience. La main de Dieu ou bien s’appesantit sur nous à cause du péché, ou bien nous venge de ceux qui nous insultaient et dont plusieurs ont embrassé la foi ; sa droite nous sauve, parce que sa droite est la place des bonnes œuvres, tandis que la gauche est celle des biens d’ici-bas que Dieu n’accorde pas toujours à ses élus. Seigneur, vous rendrez pour moi, c’est-à-dire vous me vengerez de mes ennemis, ou vous payerez ma dette envers le Seigneur, car le Christ qui ne devait rien, a payé pour nous. La miséricorde du Seigneur est pour l’éternité et non pour un temps : puisse-t-il ne pas mépriser l’ouvrage de ses mains !


1. Le titre de notre psaume est court et simple : il ne nous arrêtera point, car nous connaissons celui que figurait David, et même nous nous reconnaissons en lui, puisque nous sommes les membres de son corps. Reconnaissons donc ici la voix de l’Église et réjouissons-nous d’être les enfants de celle que nous avons entendu chanter. Tout le titre du psaume est dans ces mots : « A David lui-même ». Voyons ce qui est dit à David.
2. « Je vous confesserai, Seigneur, dans toute l’effusion de mon âme[289] ». Le titre d’un psaume nous en indique ordinairement le sens intime : mais ici, comme il se borne à nous dire que c’est un chant pour David, c’est le premier verset qui nous indique le sujet de tout le psaume. « Je vous confesserai, Seigneur, dans toute l’effusion de mon âme ». Écoutons donc cette confession. Mais auparavant je vous rappelle que dans les saintes Écritures, cette expression, confesser au Seigneur, s’entend de deux manières, d’une confession des péchés, et d’une confession de louanges. Chacun connaît la confession des péchés, mais il en est peu pour connaître la confession de louanges. La première est tellement connue que quand nous rencontrons dans les Écritures ces paroles : « Je vous confesserai, Seigneur », ou « nous vous confesserons », la coutume de l’entendre ainsi fait que nos mains cherchent à frapper nos poitrines, tant les hommes sont habitués à ne voir dans la confession que celle des péchés. Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ était-il un pécheur, lui qui dit dans l’Évangile : « Je vous confesse, ô mon Père, Seigneur du ciel et de la terre ? » La suite nous montre ce qu’il confessera ; et nous indique une confession de louanges, et non l’aveu des péchés. « Je vous confesse », dit-il, « ô mon Père, Dieu du ciel et de la terre, parce que vous avez dérobé ces choses aux sages et aux prudents, pour les révéler aux petits[290] ». Il a donc loué son Père, il a loué Dieu, qui ne méprise point les humbles, mais les superbes ; et la confession que nous allons entendre dans notre psaume est une confession de louanges et d’actions de grâces. « Seigneur », dit-il, « je vous confesserai de tout mon cœur ». C’est donc mon cœur tout entier que je mets sur l’autel de votre confession, c’est un holocauste de louanges que je viens vous offrir. Car on appelle holocauste ce sacrifice où tout est consumé ; puisque olon, en grec, se traduit en latin par totum, tout entier. Or, vois comment il offre un holocauste spirituel celui qui dit : « Seigneur, je vous confesserai de tout mon cœur ». Oui, que la flamme de votre amour embrase entièrement mon cœur ; que rien de ce qui est à moi ne m’appartienne plus, ni ne me fasse replier sur moi-même ; que tous mes désirs soient pour vous, toute mon ardeur pour vous, tout mon amour pour vous, que je sois embrasé de vous-même. « Seigneur, je vous confesserai de tout mon cœur, parce que vous avez entendu les paroles de ma bouche ». De quelle bouche, sinon de la bouche de mon cœur ? Nos cœurs aussi ont une voix que Dieu entend, bien qu’elle n’arrive pas à l’oreille de l’homme. Ils criaient sans doute, les accusateurs de Suzanne, mais ils ne levaient pas les yeux au ciel : tandis que Suzanne silencieuse criait de tout son cœur. De là vient qu’elle mérita d’être exaucée, eux d’être châtiés[291]. Nous avons donc une bouche intérieure ; c’est là que nous prions, et de là encore que nous prions. Et si nous avons préparé à Dieu un logis, une demeure, c’est là que nous lui parlons, là que nous sommes exaucés : car il n’est pas éloigné de chacun de nous : « c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être[292] ». Il n’y a que le péché qui nous éloigne de Dieu. Renverse la muraille du péché qui s’élève entre toi et Dieu, et tu seras avec celui que tu implores. « Vous avez entendu les paroles de ma bouche », dit le Prophète, « et je vous confesserai ».
3. « Je vous chanterai des hymnes en présence des anges ». Ce n’est point en présence des hommes, c’est en présence des anges que je vous chanterai des hymnes. Mon psaltérion, c’est ma joie. La joie qui me vient des choses d’ici-bas est avec les hommes, celle qui me vient des choses d’en haut est avec les anges. Car l’impie ne connaît point la joie du juste. « Il n’y a point, en effet, de joie pour l’impie, a dit le Seigneur[293] ». L’impie trouve sa joie dans la taverne, le martyr dans sa chaîne. Quelle n’était pas la joie de cette Crispine dont nous célébrons aujourd’hui la fête ? Sa joie était d’être livrée aux persécuteurs, d’être traînée devant les tribunaux, d’être enfermée dans les cachots, d’être exposée avec ses chaînes, d’être élevée sur le chevalet, d’être écoutée, d’être condamnée : tout cela lui donnait de la joie, et quand ces misérables croyaient à sa misère, elle était dans la joie aux yeux des anges.
4. « Je vous adorerai dans votre saint temple[294] ». Quel est ce saint temple ? Celui où nous devons habiter, où flous devons adorer. Car nous courons pour adorer Dieu. Notre cœur gonflé veut enfanter, et cherche où il pourra le faire. Or, quel est ce lieu où il faut adorer Dieu ? Quel est ce monde ? Quel est cet édifice ? Quel est son trône dans le ciel, au milieu des étoiles ? Nous le cherchons dans les saintes Écritures et nous le trouvons dans la Sagesse : « Pour moi », dit-elle, « j’étais avec lui, et chaque jour je faisais ses délices ». Puis elle chante les œuvres de Dieu et nous indique son trône. Quel est-il ? « Quand Dieu », dit-elle, « affermissait les nuées en haut, quand il établissait son trône au-dessus des vents[295] ». Mais son trône est aussi son temple. Où donc irons-nous ? Est-ce par-dessus les vents qu’il nous faudra l’adorer ? S’il faut l’adorer par-dessus les vents, les oiseaux l’emportent sur nous. Mais si nous appelons âmes les mêmes vents, c’est-à-dire, si les vents sont une figure symbolique des âmes, selon cette expression d’un autre psaume : « Il a volé sur les ailes des vents[296] » c’est-à-dire sur les vertus des âmes, ce qui fait qu’un souffle de Dieu prend le nom de vent ou d’âme ; non point qu’il nous faille entendre par là ce vent qui pousse notre corps et qui est sensible, mais quelque chose d’invisible qui échappe à la perspicacité de nos yeux, à la sensibilité de nos oreilles, au discernement de l’odorat, à la perception du goût, au toucher des mains : mais une certaine vie, qui nous anime et que l’on appelle âme ; si, dis-je, nous entendons ainsi les vents, il n’est pas nécessaire de chercher des ailes visibles, pour voler avec les oiseaux et adorer Dieu dans son temple ; mais nous trouverons que Dieu est assis au-dessus de nous-mêmes, si nous voulons lui être fidèles. Voyez si tel n’est point le sens de ces paroles de l’Apôtre : « Le temple de Dieu est saint et vous êtes ce temple[297] ». Il est certain néanmoins, il est évitent que Dieu habite dans les anges. Donc lorsque dans la joie qui nous vient des biens spirituels, et non des biens terrestres, nous chantons des hymnes à Dieu en présence des anges, cette congrégation des anges devient le temple de Dieu, et nous adorons le Seigneur dans son temple. Quant à l’Église de Dieu, elle est sur la terre et dans le ciel ; l’Église de la terre se compose de tous les fidèles, l’Église du ciel de tous les anges. Mais le Seigneur des anges est descendu vers l’Église d’ici-bas, et ses anges le servaient, lui qui était venu pour nous servir[298]. « Car », nous dit-il, « ce n’est point pour être servi, mais pour servir, que je suis venu[299] ». Que nous a-t-il servi, sinon ce qui fait aujourd’hui notre nourriture et notre breuvage ? Si donc le Maître des anges a bien voulu nous servir, ne désespérons pas d’être un jour les égaux des anges. Celui qui est plus grand que les anges, s’est donc abaissé jusqu’à l’homme, le Créateur des anges s’est revêtu de l’homme, le Maître des anges est mort pour l’homme. « Je vous adorerai dans votre saint temple » : c’est-à-dire, dans ce temple qui n’est pas fait de la main des hommes[300], mais que vous avez fait.
5. « Je confesserai votre nom dans votre miséricorde et votre vérité ». Tels sont les deux attributs que nous voulons chanter, comme il est dit dans un autre psaume « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité[301] ». Tels sont, ô mon Dieu, les deux attributs que nous confessons. Votre miséricorde et votre vérité ; c’est par la miséricorde que vous jetez sur le pécheur un regard favorable, et par la vérité que vous tenez à vos promesses. « Je vous confesserai dans votre miséricorde et dans votre vérité ». Et c’est là ce que je veux vous rendre selon les forces que je tiens de vous, en exerçant la miséricorde et la vérité ; la miséricorde par l’aumône, la vérité dans mes jugements. C’est en cela que Dieu nous aide, en cela que nous méritons Dieu ; et dès lors, toutes les voies du Seigneur sont la miséricorde et la vérité ; il ne vient à nous par aucune autre voie, et nous n’avons aucune autre voie pour aller à lui.
6. « Car vous avez glorifié par-dessus tout votre saint nom ». Que signifie cette louange, mes frères ? Dieu glorifia son saint nom sur Abraham : « Car Abraham crut en Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice[302] ». Les autres nations sacrifiaient aux idoles, et servaient les démons. D’Abraham naquit Isaac, et Dieu fut glorifié en cette maison vint ensuite Jacob, et Dieu fut encore glorifié, et il nous dit : « Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob[303] ». De là naquirent les douze patriarches et le peuple d’Israël que Dieu délivra de l’Égypte, le conduisant à travers la mer Rouge, l’exerçant dans le désert, l’établissant dans la terre promise après en avoir chassé les nations. Le nom du Seigneur fut donc glorifié en Israël. C’est de ce peuple encore que sortit la Vierge Marie ; de là le Christ notre Seigneur, qui est mort pour nos péchés, qui est ressuscité pour notre justification[304], remplissant les fidèles du Saint-Esprit, et les envoyant prêcher à tous les peuples : « Faites pénitence, car le royaume des u cieux approche[305] ». C’est ainsi que Dieu glorifie son nom sur toutes choses.
7. « Au jour où je vous invoquerai, hâtez-vous de m’exaucer[306] ». Pourquoi « hâtez-vous ? » C’est que vous-même l’avez dit : « Tu parleras encore, quand je dirai : Me voici[307] ». Pourquoi « hâtez-vous ? » Parce que je ne demande plus une félicité terrestre ; mais le nouveau Testament m’apprend à former de saints désirs. Je ne demande ni la terre, ni une fécondité charnelle, ni la santé passagère, ni l’humiliation de mes ennemis, ni les richesses, ni les honneurs ; je ne veux rien de cela : « hâtez-vous donc de me secourir. » Donnez-moi ce que je demande, puisque vous m’avez appris ce que je dois demander. Disons au Prophète : Est-ce là ce que vous demandez ? Écoutons à notre tour, qu’il dise de quoi son cœur est gros, et voyons ce qu’il demande ; apprenons de lui à demander, pour mériter de recevoir. Tu es venu à l’église aujourd’hui faire je ne sais quelle demande ; de bonne foi, qu’es-tu venu demander ? Tu avais dans le cœur je ne sais quel désir : puisse-t-il être innocent, bien que charnel ! Mais arrière ce qui est injuste, arrière ce qui est charnel ! Apprends ce qu’il faut demander, ce que tu célèbres aujourd’hui. Tu célèbres la mémoire d’une sainte et bienheureuse femme, et tu aspires peut-être à une félicité terrestre. Embrasée du désir de la sainteté, elle renonça au bonheur qu’elle avait ici-bas : elle abandonna ses enfants qui pleuraient leur mère et l’accusaient de cruauté, parce que, dans son impatience de recevoir la couronne céleste, elle s’était dépouillée en quelque sorte de toute pitié humaine. Or, ne savait-elle point ce qu’elle désirait, ce qu’elle foulait aux pieds ? Loin de là, elle savait chanter devant les anges de Dieu, aspirer à leur société, à leur amitié chaste et pure, où elle ne connaîtrait plus la mort, mais le juge qui ne saurait être surpris par aucun mensonge. Une telle vie est-elle donc dénuée de tout bien ? Au contraire, c’est là qu’est le seul bien, le bien qui n’est mélangé d’aucun mal, dont on jouit en toute sécurité, avec une entière avidité, sans que nul nous dise : Modérez-vous. Ici-bas il est fâcheux, il est même très dangereux de nous réjouir de nos biens terrestres, de peur que cette complaisance ne devienne de l’attachement, que cette joie immodérée ne soit notre perte. Pourquoi, en effet, Dieu prend-il soin de mêler aux joies de cette vie quelques tribulations, sinon afin que ces tribulations et ces amertumes nous apprennent à n’aspirer qu’aux délices éternelles ?
8. Voyons donc ce que demande le Prophète, ce qui lui fait dire avec raison : « Hâtez-vous de m’exaucer ». Que demandez-vous, ô Prophète, pour que Dieu vous exauce promptement ? « Vous me multiplierez ». Cette multiplication peut s’entendre en bien des sens. Il y a multiplication dans la génération terrestre, selon cette première bénédiction donnée à notre nature, et que nous avons entendue : « Croissez et multipliez, emplissez la terre, et soumettez-la[308] ». Est-ce bien cette multiplication que voulait David quand il disait : « Hâtez-vous de m’exaucer ? » Il est vrai que cette multiplication a son avantage, et ne vient que de la bénédiction du Seigneur. Que dirai-je des autres sens de multiplier ? Chez l’un, c’est l’or qui se multiplie ; chez l’autre, c’est l’argent ; ici c’est le bétail, et là c’est la famille ; celui-ci voit ses terres se multiplier, celui-là tous ces biens à la fois. Il est plusieurs manières de se multiplier sur la terre ; la plus heureuse est de voir ses enfants se multiplier : et toutefois, pour l’homme avare, cette fécondité même devient incommode ; il redoute la pauvreté pour ceux qui naissent en grand nombre. Cette sollicitude en a poussé beaucoup à l’impiété : oubliant qu’ils étaient pères, ils se sont dépouillés de tout sentiment d’humanité, jusqu’à exposer leurs enfants, et en faire des étrangers ; une mère rejette son fils que recueille celle qui n’est pas mère, l’une affectant le mépris, l’autre l’amour ; l’une vainement mère selon la chair, l’autre plus véritablement mère par la charité. Si donc il y a tant de multiplications, tant de manières de multiplier, quelle est cette multiplication qui fait dire au Prophète : « Hâtez-vous de m’exaucer ? – Vous « me multiplierez », dit-il. Nous sommes impatients de savoir en quoi. Écoutons alors : « Dans mon âme », dit-il. Non pas dans ma chair, mais dans mon âme : « c’est dans l’âme que je serai multiplié ». Peut-on rien ajouter, et la multiplication à l’égard de l’âme serait-elle bien un bonheur sans retard ? C’est dans l’âme, en effet, que les soins se multiplient pour l’homme, et l’on pourrait le croire encore multiplié dans son âme quand les vices y sont nombreux, Celui-ci n’est qu’avare, celui-là qu’orgueilleux, cet autre que libertin ; mais tel autre est tout à la fois avare, et orgueilleux, et libertin ; il y a donc multiplication dans son âme, et pour son malheur. Cette multiplication est plutôt la pauvreté que l’abondance. Vous donc, ô saint Prophète, qui avez dit : « Hâtez-vous de me secourir », qui éloignez de vous tout ce qui est charnel, tout ce qui est terrestre, tout désir mondain, que voulez-vous dire à Dieu « Vous me multiplierez dans mon âme ? » Expliquez-nous votre désir. « Vous me multiplierez dans mon âme », dit-il, « par la vertu ». Voilà clairement ce qu’il souhaite, voilà son désir sans aucune confusion. S’il disait simplement : « Vous me multiplierez », on pourrait s’arrêter à quelque chose de terrestre ; il ajoute « dans mon âme » ; et, pour éloigner toute pensée du vice dans l’âme, il ajoute encore, « par la vertu ». Vous n’avez plus rien à désirer, si vous voulez dire à Dieu avec une sainte franchise : « Hâtez-vous de me secourir ».
9. « Que tous les rois de la terre vous confessent, ô mon Dieu ». Ainsi en sera-t-il, mes frères, ainsi en est-il, et en est-il tous les jours ; c’est ce qui nous montre que cette parole n’est pas vaine, et que le Prophète lisait dans l’avenir. « Que tous les rois de la terre vous confessent, ô mon Dieu[309] ». Mais que ces rois eux-mêmes, quand ils vous confessent, quand ils vous louent, ne vous demandent rien de terrestre. Que peuvent, en effet, désirer les rois de la terre ? N’ont-ils pas le souverain pouvoir ? Quelle que soit l’ambition d’un homme sur la terre, elle ne dépasse point le pouvoir suprême. Coin ment s’élever plus haut ? Il faut sans doute un pouvoir suprême, et néanmoins plus elle est élevée, plus elle est dangereuse. Et dès lors, plus les rois sont élevés en dignité sur la terre, plus ils doivent s’humilier devant Dieu. Pourquoi en agissent-ils de la sorte ? « Parce qu’ils ont entendu toutes les paroles de votre bouche ». O mon Dieu, « toutes les paroles de votre bouche ! » La loi et les Prophètes étaient ensevelis chez je ne sais quelle nation, c’étaient là « toutes les paroles de votre bouche » ; mais on ne trouvait que chez le peuple juif « toutes ces paroles de votre bouche ». C’est en l’honneur de cette nation que l’Apôtre a dit : « Quel est donc l’avantage des Juifs ? ou de quoi sert la circoncision ? L’avantage des Juifs est grand de toute manière, d’abord parce que c’est à eux que les oracles de Dieu ont été confiés[310] ». C’est là qu’étaient les paroles de Dieu. Mais voici Gédéon, saint personnage, au temps des Juges : voyez quel signe il demande au Seigneur : « Je mettrai une toison dans l’aire », dit-il : « que la toison soit baignée, et que l’aire demeure sèche[311] ». Ce qui fut accompli : l’aire demeura sèche, et la toison fut baignée. Puis il demanda un second signe, « que l’aire soit baignée complètement, et que la toison demeure sèche ». Ce qui fut accompli, l’aire fut trempée et la toison demeura sèche. D’abord la toison fut baignée, tandis que l’aire demeurait sèche, puis la toison demeura sèche, tandis que l’aire était baignée. Mais celte aire, que figurait-elle selon vous ? N’est-ce pas l’univers entier ? Que signifie la toison ? La nation juive au milieu de l’univers ; elle ales sources de la grâce, non point en évidence, mais sous le voile du mystère, la tenant cachée sous les symboles, comme la pluie dans la toison. Mais le temps vint où la pluie devait être visible dans l’aire ; elle y est manifestée sans aucun voile. Ainsi donc s’est accomplie cette parole : « Seigneur, que tous les rois de la terre vous confessent ». Pourquoi, Israël, cacher cette précieuse rosée ? combien de temps la voulais-tu cacher ? La toison est enfin pressée, et de toi est sortie la pluie. Il n’y a que le Christ pour donner à la pluie sa douceur, et il n’y a que le Christ que tu ne voies pas clans les Écritures, quand les Écritures sont faites pour lui seul. Mais, « que tous les rois de la terre vous confessent, ô mon Dieu, puisqu’ils ont entendu toutes les paroles de votre bouche ».
10. « Qu’ils chantent dans les voies du Seigneur, parce que la gloire du Seigneur est grande[312] ». Que les rois de la terre chantent dans les voies du Seigneur. Dans quelles voies ? Dans celles dont il est dit plus haut : « Dans votre miséricorde et dans votre vérité parce que toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité[313] ». Que les rois ne soient donc point orgueilleux, mais humbles ; qu’ils chantent dans les voies du Seigneur, s’ils ont l’humilité ; qu’ils aiment et ils chanteront. Nous voyons des voyageurs chanter ; ils chantent et se hâtent d’arriver. Il est des chants criminels, cornue les chants du vieil homme ; mais à l’homme nouveau appartient le chant nouveau. Que les rois de la terre marchent donc aussi dans vos voies, oui, dans vos voies, qu’ils marchent et qu’ ils chantent. Que doivent-ils chanter ? Que c’est la gloire du Seigneur qui est grande, et non celle des rois.
11. Considère de quelle manière le Prophète veut que tous les rois chantent dans les voies du Seigneur, en portant le Seigneur avec humilité, et sans s’élever contre lui. Qu’arriverait-il, en effet, s’ils s’élevaient ? « Car le Seigneur est le Très-Haut, et regarde les humbles[314] ». Les rois veulent-ils que Dieu les regarde ? Qu’ils soient humbles. Mais en s’élevant dans leur orgueil pourraient-ils échapper à ses regards ? Bien que le Prophète ait dit que Dieu regarde les humbles, garde-toi de l’orgueil, et ne dis point dans ton âme : Si Dieu regarde les humbles, voilà qu’il ne me verra point, et je ferai ce qui me plaira. Qui pourrait me voir ? Ce ne sont point les hommes, et Dieu ne veut point me voir parce que je ne suis pas humble, et qu’il n’a des regards que pour l’humilité ; je puis agir à mon gré. O insensé, tiendrais-tu ce langage si tu savais ce qu’il t’est bon d’aimer ? Si Dieu ne veut point te voir, n’y a-t-il pas de quoi trembler dans le dédain qu’il a pour toi ? Si cet homme haut placé, ce grand du monde ne prend pas garde à ton salut, dans son attention pour un autre, quelle peine dans ton âme ! Et quand le Seigneur te dédaigne, tu te crois en sûreté ? Si le Sauveur ne te voit point, le voleur t’observe. Et néanmoins le Seigneur te voit aussi. Ne t’imagine pas qu’il ne te voit point, prie, au contraire, afin de mériter d’être vu par celui qui te voit. Car il est dit que « les yeux du Seigneur sont sur les justes ». Mais écoutons encore : « Et ses oreilles attentives à leurs prières[315] ». Or, les hommes d’iniquité qui se croient en sûreté, parce que les yeux du Seigneur ne sont point sur eux, ne doivent-ils pas trembler quand le Seigneur n’a point d’oreilles pour leurs prières ? N’est-il pas plus avantageux que ses yeux soient sur nous et ses oreilles attentives à nos prières ? Mais dès lors que tu fais ce que tu ne voudrais pas que Dieu embrassât de ses regards, tu ne mérites pas qu’il prête l’oreille à tes prières et toutefois, en commettant le mal, tu ne détournes pas de toiles regards du Seigneur, Voyons en effet la suite du psaume : « Les yeux du Seigneur, sont sur ceux qui font le mal ». Pourquoi ? « Afin d’effacer de la terre jusqu’à leur mémoire ». Tu vois bien que Dieu te voit, et tu ne saurais lui échapper. Si donc le Seigneur voit tes actions, pourquoi ne pas faire ce qui mériterait ses faveurs ? Mais que dit encore le Prophète ? « Parce que la gloire du Seigneur est grande, parce que le Seigneur est le Très-Haut, et qu’il regarde les humbles ». Il semble ne pas regarder ce qui est élevé. « Il regarde ce qui est en bas », dit le Prophète. Et « ce qui est élevé ? Il le regarde de loin ». Que nous reviendra-t-il dès lors de notre orgueil ? D’être vus de loin, mais non de n’être point vus. Or, ne te rassure point, en pensant que le regard de Dieu est moins perçant, parce qu’il te voit de loin. Pour toi, sans doute, l’œil est moins perspicace, quand tu vois de loin : mais Dieu te voit parfaitement, quoique de loin, et sans être avec toi, Tout se résume donc, non pas à être vu moins parfaitement, mais à n’être point avec celui qui te voit, Que nous rapportera l’humilité, au contraire ? « Le Seigneur est près de ceux qui ont le cœur contrit[316] ». Que l’orgueilleux s’élève tant qu’il voudra : Dieu habite les hauteurs, Dieu habite les cieux. Veux-tu qu’il s’approche de toi ? Abaisse-toi. Car plus tu t’élèveras, plus il sera au-dessus de toi. « Il regarde de loin ce qui est élevé ».
12. « Si je marche au milieu de la tribulation, vous me donnerez la vie ». Cela est vrai, mes frères : quelles que soient vos tribulations, confessez le Seigneur, invoquez sa bonté, et il vous délivrera et vous donnera la vie. Toutefois il nous faut entendre ici quelque chose de plus intime qui nous rattache à Dieu et nous fasse dire : « Hâtez-vous de me secourir ». Le Prophète avait dit : « Il voit de loin ce qui est élevé » : or, ces hauteurs orgueilleuses ne connaissent point la tribulation. Non, dis-je, elles ne connaissent point cette affliction dont il est dit ailleurs : « J’ai rencontré la tribulation et la douleur, et j’ai invoqué le nom du Seigneur[317] ». Est-il extraordinaire que la tribulation te vienne heurter ? Si tu as quelque pouvoir, trouve toi-même la tribulation. Mais, diras-tu, où est l’homme qui trouve la tribulation ? Où est même celui qui la cherche ? Tu es au milieu de la tribulation, et tu ne le sais pas ? Cette vie est-elle donc une légère affliction ? Si ce n’est pas une tribulation, ce n’est pas un exil ; mais si c’est un exil, ou tu n’aimes point la patrie, ou tu es dans l’affliction. Où est l’homme sans affliction, et qui ne désire être avec ce qu’il aime ? Mais d’où vient que tu ne trouves point là une affliction ? C’est que tu es sans amour. Aime l’autre vie, et tu verras que celle-ci n’est que tribulation : quel qu’en soit l’éclat, de quelques délices qu’elle nous rassasie et nous fasse regorger ; tant que nous ne goûterons pas cette joie qui n’est mêlée d’aucune tentation et que Dieu nous réserve pour la fin, nous sommes dans la tribulation. Comprenons donc, mes frères, la douleur qui fait dire : e Si je marche au milieu de la tribulation, vous me donnerez la vie. Son langage ne signifie point r S’il m’arrivait quelque tribulation, vous m’en délivreriez. Que veut-il dire alors ? « Si je marche au milieu de la tribulation, vous me donnerez la vie » : c’est-à-dire, vous ne me donnerez la vie qu’à la condition que je marcherai au milieu de la tribulation. « Si je marche au milieu de la tribulation, vous me donnerez la vie. Malheur à celui qui rit, bienheureux ceux qui pleurent[318]. Si je marche au milieu de la tribulation, vous me donnerez la vie ».
13. « Vous avez étendu votre main plus que mes ennemis furieux, et votre droite m’a sauvé ». Que ces ennemis frémissent de rage, que peuvent-ils contre moi ? Me voler, me dépouiller, me proscrire, m’envoyer en exil, me faire passer par les tourments et par la douleur ; et enfin, s’il leur est permis, me donner la mort. Peuvent-ils aller plus loin ? Mais vous, Seigneur, « vous avez étendu votre main contre ces ennemis furieux » : cette main, vous l’avez étendue au-delà de tout ce qu’ils peuvent me faire. Ils ne peuvent en effet me séparer de vous ; mais votre vengeance va plus loin, puisque vous me tenez encore éloigné : « Vous avez étendu votre main contre mes ennemis furieux ». Que mon ennemi s’arme de fureur, il ne me sépare point de mon Dieu. Mais vous, Seigneur, vous tardez encore de m’unir à vous ; dans l’exil, vous me châtiez encore, vous me sevrez encore de vos joies et de vos douceurs ; vous ne m’enivrez pas encore de l’abondance de votre maison, et ne m’abreuvez pas au torrent de vos délices. « C’est en vous qu’est la source de la vie, et c’est à votre lumière que nous verrons la lumière[319] ». Mais voici que je vous ai consacré les prémices de mon esprit, je crois en vous, et suis soumis par l’esprit à la loi de Dieu[320] : cependant nous gémissons encore intérieurement, dans l’attente de l’adoption qui sera la délivrance de notre corps[321]. À nous pécheurs, Dieu a donné cette vie dans laquelle Adam doit être accablé, travailler à la sueur de son front, tandis que la terre ne produit que des chardons et des épines[322]. Quel ennemi eût pu nous accabler davantage ? « Votre main, ô mon Dieu, s’est donc étendue sur moi, plus encore que la colère de mes ennemis », non toutefois jusqu’à me pousser au désespoir, car nous lisons ensuite : « Et votre droite m’a sauvé ».
14. On pourrait comprendre toutefois : « Vous avez étendu votre main sur la colère de mes ennemis », en ce sens que mes ennemis s’irritaient, et que votre main m’a vengé de leur colère. « Le pécheur verra et frémira, il grincera des dents et séchera de dépit[323] ». Où sont-ils ceux qui criaient : Plus de chrétiens sur la terre, périsse leur nom ! Ils sont morts ou convertis. Donc, « vous avez u étendu votre main contre la colère de mes ennemis », pendant que, selon la parole du Psalmiste, « ces ennemis m’accablaient d’outrages. Quand mourra-t-il ? Quand périra « son nom[324] ? » Quand le nom chrétien disparaîtra-t-il de la terre ? Ainsi disaient-ils, et déjà une partie a embrassé la foi, une partie a disparu ; le peu qui reste est dans la crainte. Quelle n’était point la colère de nos ennemis quand le sang des martyrs coulait de toutes parts ? Comme ils se promettaient alors d’exterminer de la terre jusqu’au nom des chrétiens ! « Vous avez étendu votre main contre la colère de mes ennemis, et votre droite m’a sauvé ». Voilà que les persécuteurs des martyrs s’enquièrent aujourd’hui des fêtes des martyrs, ou pour y adorer Dieu, ou pour s’y enivrer ; mais ils les recherchent. « Vous avez étendu la main contre la colère de mes ennemis, et votre droite m’a sauvé ». Elle m’a procuré le salut que je désirais. Il y a un salut qui appartient à la droite du Seigneur, comme il y a un salut qui appartient à la gauche. C’est dans la gauche qu’est le salut temporel et charnel, et dans la droite le salut éternel avec les anges : aussi est-il dit que le Christ est assis à la droite de Dieu[325], maintenant qu’il est immortel. Sans doute il n’y a en Dieu ni droite ni gauche ; mais la droite de Dieu s’entend de ce bonheur suprême, ainsi nommé parce qu’on ne saurait le montrer aux yeux. Telle est la droite qui m’a donné le salut, mais non un salut temporel. Crispine fut mise à mort, mais Dieu l’avait-il donc abandonnée ? Il ne la sauva point de sa gauche, mais il la sauva de sa droite. Quels ne furent point les tourments des Macchabées[326] ! Les trois enfants au contraire bénissaient Dieu en marchant au milieu des flammes[327]. Aux uns le salut vint de la droite de Dieu, aux autres de la gauche. Quelquefois donc il n’accorde pas à ses saints le salut de la gauche, mais toujours celui de la droite ; quant aux impies, il leur accorde parfois le salut de la gauche, mais non celui de la droite. Les bourreaux de Crispine avaient la santé du corps ; elle mourut et ils vivent. À eux le salut de la gauche, à Crispine le salut de la droite. « Et votre droite m’a sauvé ».
15. « Seigneur, vous rendrez, et non moi[328] ». Ce n’est point moi qui rendrai, mais vous. Que mes ennemis se livrent à leur fureur, vous leur rendrez ce que je ne puis leur rendre. « C’est vous, Seigneur, qui rendrez pour moi ». Jetez les yeux sur notre chef, qui nous a donné l’exemple afin que nous suivions ses traces. « Lui qui n’a point commis le péché, et dans la bouche de qui ne s’est point trouvé le mensonge : quand on le maudissait, il ne répondait point par la malédiction, il disait : Seigneur, vous leur rendrez pour moi ; quand on le jugeait, il ne menaçait point, mais il s’abandonnait à celui qui le jugeait avec injustice[329] ». Que signifie : « Seigneur, vous leur rendrez pour moi ? Pour moi », répond-il, « je ne cherche point ma gloire, il est quelqu’un qui la cherche et qui juge[330]. Mes bien-aimés », dit l’Apôtre, « ne cherchez point à vous venger, mais laissez passer la colère ; car il est écrit : La vengeance est à moi, c’est moi qui la ferai, dit le Seigneur[331]. Seigneur, vous me vengerez, et non pas moi ».
16. Il est un autre sens qu’il ne faut pas négliger, qui est peut-être même préférable : « Seigneur Jésus-Christ, vous rendrez, et non pas moi ». Car si je rends, j’ai pris ; mais vous, Seigneur, vous avez payé sans avoir pris. « Seigneur, vous rendrez à ma place ». Voyez comme il rend pour nous ; on vient réclamer le tribut, et on exigeait le didrachme, ou deux drachmes pour tout homme ; on vient donc réclamer le tribut au Sauveur, ou plutôt, non point à lui, mais à ses disciples, et on leur dit : « Votre maître ne paye-t-il point le tribut ? » Ils l’allèrent dire au Sauveur ; et celui-ci : « De qui les rois de la terre exigent-ils le tribut ? de leurs enfants ou des étrangers ? Des étrangers », répondirent-ils. « Donc les enfants sont libres », dit le Sauveur. « Toutefois, afin de ne point les scandaliser, allez », dit-il à Pierre, « et jetez votre hameçon à la mer, et au premier poisson qui sortira de l’eau ouvrez la bouche, vous y trouverez un statère » c’est-à-dire deux didrachmes ; car le statère est une pièce de monnaie qui vaut quatre drachmes. « Vous le trouverez là et vous le donnerez pour moi et pour vous[332]. Seigneur vous rendrez à ma place ». Il est donc heureux pour nous d’avoir le premier poisson pris à l’hameçon, saisi à l’hameçon, le premier sorti de la mer, le premier-né d’entre les morts. C’est dans sa bouche que nous trouvons deux didrachmes, ou quatre drachmes, c’est-à-dire que dans sa bouche nous trouvons les quatre Évangiles. Or, ces quatre drachmes nous délivrent de toute exaction de la part du monde : car au moyen des quatre Évangiles nous ne sommes plus en dette, puisque tous nos péchés nous sont remis. Le Christ a donc payé pour nous ; rendons grâces à sa miséricorde. Il ne devait rien, et dès lors il n’a point payé pour lui, mais pour nous. « Voilà », dit-il, « que vient le prince du monde, et il ne trouvera rien en moi ». Qu’est-ce à dire, « il ne trouvera rien en moi ? » Il ne trouvera en moi aucun péché, il n’a aucun motif de m’envoyer à la mort. Mais afin », dit-il, « que tous comprennent que je fais la volonté de mon Père, levez-vous, sortons d’ici[333] ». En quel sens, « levez-vous, sortons d’ici ? » c’est-à-dire, ce n’est point par nécessité, mais volontairement que je souffre, rendant ce que je ne dois point. « Seigneur, vous rendrez pour moi ».
17. « Seigneur, votre miséricorde est pour l’éternité ». Que désirer ? Non pas le jour de l’homme. « Je n’ai éprouvé aucune peine à vous suivre, Seigneur, et je n’ai point désiré le jour de l’homme, vous le savez[334] ». Si la bienheureuse Crispine, votre témoin, avait désiré le jour de l’homme, elle eût renié le Christ ; elle eût vécu plus longtemps ici-bas, mais elle ne vivrait point éternellement. Elle a préféré la vie éternelle à une vie quelque peu prolongée sur la terre. Enfin « votre miséricorde, Seigneur, est pour l’éternité », et je rie veux pas être délivrée pour un temps. « Elle est éternelle, cette miséricorde qui vous a fait délivrer les martyrs, en les retirant promptement de cette vie. « Seigneur, votre miséricorde est éternelle ».
18. « Ne méprisez pas les œuvres de vos mains ». Je ne vous demande point, Seigneur, de ne pas mépriser l’œuvre de mes mains ; ces œuvres ne me donnent point d’orgueil. « Sans doute mes mains ont cherché le Seigneur pendant la nuit et je n’ai pas été trompé[335] » ; et toutefois, je ne vante pas l’œuvre de mes mains ; je crains qu’en les examinant, vous n’y trouviez plus de fautes que d’œuvres méritoires. « Ne méprisez donc pas l’œuvre de vos mains », voyez en moi votre ouvrage et non le mien ; voir le mien, c’est le condamner, le vôtre, c’est le couronner. Tout ce qu’il y a de bien en moi me vient de vous, et dès lors vous appartient plus qu’à moi. J’entends en effet l’Apôtre : « C’est par la grâce que vous êtes sauvés au moyen de la foi ; et cela ne vient pas de vous, c’est un don de Dieu : cela ne vient point de vos œuvres, afin que nul ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ, dans les bonnes œuvres[336] ». Soit donc, ô mon Dieu, que vous nous regardiez comme des hommes, soit que vous nous considériez comme sortis de l’impiété pour devenir des justes, « ne méprisez pas, ô mon Dieu, l’ouvrage de vos mains ».


DISCOURS SUR LE PSAUME 138[modifier]

SERMON AU PEUPLE.[modifier]

LES BONS ET LES MÉCHANTS DANS L’ÉGLISE.[modifier]

Le pain que nous devons manger à la sueur de notre front, c’est le Christ, chef de l’Église tirée de sou cœur comme Eve du côté d’Adam. De là vient que dans notre psaume et dans beaucoup d’autres, c’est le Christ qui parle, tantôt comme chef, tantôt au nom des membres. S’il appelle Dieu Seigneur, c’est dans son humanité. Le Seigneur donc l’a connu quand il s’est assis et quand il s’est levé, c’est-à-dire dans sa passion et dans sa résurrection, ou dans l’homme qui s’abaisse par l’aveu, et s’élève par l’espérance. Dieu voit de loin nos pensées, quand nous sommes éloignés de lui par le péché, comme le prodigue loin de son père ; il voit nos sentiers et le terme de nos égarements, aussi nous afflige-t-il afin de nous rappeler à lui. Nous ne saurions le voir tel qu’il est ; il prenait une forme créée afin de parler à Moïse, qui le vit, mais seulement quand il lut passé, c’est-à-dire en sa passion, comme tes Juifs, qui le virent sans reconnaître qu’il était Dieu. Seulement après qu’ il fut passé, à la Pentecôte, Pierre leur dit ce qu’ils devaient faire. Telle est la science de Dieu qu’il faut qu’il nous donne. En vain nous voulons le fuir, il est dans le ciel où nous nous élevons par la vertu, et dans l’abîme pour nous châtier, si nous y descendons par le péché. Allons aux extrémités de la mer, ou à la fin des siècles, avec les voiles de la charité, et Dieu nous conduira, autrement la fatigue nous ferait tomber dans la mer. Au milieu des scandales de cette vie, qui est la nuit, le Christ sera notre lumière ; nous retomberons dans les ténèbres par le péché, et en tes défendant nos ténèbres s’obscurciront ; le Seigneur les éclaire par le châtiment, et quand nous reconnaissons que ce châtiment vient de Dieu. Job était dans la lumière du monde, ou dans la prospérité ; c’était une lumière dans la nuit, et alors il regarda les ténèbres ou le malheur du même œil que la lumière ou la prospérité, parce que Dieu, sa lumière intérieure, était le maître de ses affections, et l’avait reçu dès le sein de sa mère ou de Babylone qui met sa joie dans les prospérités temporelles, comme la synagogue dégénérée, figuier sans fruit. Pour nous, le mal c’est le péché. La majesté de Dieu est terrible ; il nous a formé un os intérieur ou donné cette force de souffrir, et avec joie, que n’avaient point les Apôtres avant la passion. Nonobstant leur imperfection le Seigneur les maintint dans son livre ; ils s’égarèrent pendant que le Sauveur était avec eux, puis revinrent à lui, s’affermirent, et se multiplièrent. Alors les méchants suscitèrent des schismes en disant à d’autres : Éloignez-vous de moi ; ou plutôt, ils s’éloignèrent de l’Église, sous prétexte qu’il y a des méchants. Mais être avec des méchants, ce n’est point approuver leurs œuvres ; je les hais d’une haine parfaite, réprouvant les œuvres, aimant les hommes, de même que Moïse frappait les coupables et priait pour eux. Que le Seigneur nous éprouve, et nous conduise dans la voie éternelle qui est le Christ.


1. Nous avions préparé un psaume assez court, que nous avions recommandé au lecteur de chanter ; mais, au moment venu, quelque méprise lui a fait prendre l’un pour l’autre. Et toutefois, nous aimons mieux, dans cette méprise du lecteur, suivre la volonté de Dieu, que la nôtre en reprenant notre dessein. Ne vous en prenez donc pas à moi, si la longueur de celui-ci me force à vous retenir un peu plus longtemps ; croyez plutôt que Dieu n’a pas voulu nous imposer tan travail inutile. Ce n’est point sans raison que, pour châtiment de notre premier péché, nous devons manger notre pain à la sueur de notre front[337]. Voyez seulement s’il y a ici quelque pain. Or, il y a du pain, s’il y a le Christ ; car il a dit : « Je suis le pain vivant descendu du ciel[338] ». Cherchons aussi dans les Prophètes ce pain qui s’est montré dans les Évangiles. Ils ne l’y trouvent point, ceux qui ont encore un voile sur le cœur[339], comme l’a compris hier votre charité. Mais nous, pour qui le sacrifice du soir, offert sur la croix par le Seigneur, a déchiré ce voile[340], afin de nous découvrir les secrets du temple ; tant qu’on nous prêche le Christ, ce ne peut être que dans le travail et dans les sueurs que nous mangerons notre pain.
2. Or, dans les Prophètes, Notre-Seigneur Jésus-Christ parle quelquefois comme notre tête, car il est le Christ notre Sauveur, assis à la droite de son Père. C’est pour nous qu’il est né de la Vierge, et qu’il a souffert tout ce que vous savez sous Ponce-Pilate ; son sang innocent est notre rançon ; il l’a répandu pour nous racheter de l’esclavage où le diable nous retenait, en nous remettant nos péchés, et en effaçant de son sang la cédule qui nous retenait dans nos dettes[341]. C’est lui qui est le guide, l’Époux, le rédempteur de son Église, qui est notre tête. S’il est tête, il a un corps : et ce corps c’est la sainte Église, qui est aussi son Épouse, et à laquelle saint Paul dit : « Vous êtes le corps du Christ et ses membres[342] ». Le Christ tout entier est donc formé de la tête et du corps, aussi bien que l’homme dans sou intégrité : car c’est de l’homme et pour être à l’homme que la femme a été formée ; et il est dit à propos du premier mariage : « Ils seront deux dans une seule chair[343] ». Et saint Paul dit que cette parole n’a pas été dite sans un grand mystère à propos du premier homme et de la première femme, qui figuraient le Christ et l’Église. Voici en effet l’explication de l’Apôtre : « Ils seront deux dans une même chair », nous dit-il : « ce sacrement est grand, je l’entends « du Christ et de l’Église[344] ». « Adam », nous dit-il, « est la figure de l’Adam à venir[345] ». Si donc Adam est un symbole de l’Adam futur, comme Eve fut tirée du flanc d’Adam pendant son sommeil, ainsi du flanc du Christ pendant son sommeil, c’est-à-dire, pendant qu’il mourait sur la croix, et ouvert par un coup de lance, découlèrent les sacrements dont l’Église est formée. Aussi, dans un autre psaume, nous parle-t-il ainsi de sa passion : « Pour moi, j’ai dormi, j’ai pris mon sommeil, et je me suis éveillé, parce que le Seigneur m’a soutenu[346] ». Ce sommeil s’entend donc de sa passion, et dès lors Eve formée du côté d’Adam qui sommeille, c’est l’Église tirée du flanc du Christ souffrant. C’est donc parfois en son nom et parfois en notre nom que Jésus-Christ parle dans les saintes Écritures, car il s’identifie avec nous, selon cette parole : « ils seront deux dans une même chair ». C’est pourquoi dans l’Évangile, à propos du mariage, il ajoute : « Ils ne sont donc plus deux, mais une même chair[347] ». Une même chair, parce qu’il a emprunté sa chair à notre nature mortelle ; mais il ne dit point une même divinité, puisqu’il est créateur, tandis que nous sommes créatures. Dès lors tout ce que dit le Sauveur au nom de cette humanité appartient à cette tête qui est remontée dans les cieux, et à ces membres qui souffrent sur la terre dans l’exil : et ce fut au nom de ces membres souffrants que Saul persécutait, qu’il s’écria du haut du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[348] ? » Écoutons donc le Seigneur Jésus qui parle dans cette prophétie. Car si les psaumes ont été chantés avant que le Seigneur naquit de la Vierge Marie, ils ne l’ont pas été avant qu’il fût le souverain Seigneur. Le Créateur du monde a toujours été, mais, dans le temps, il est né d’une créature. Croyons à sa divinité, et autant qu’il est en nous, croyons qu’il est égal à son Père ; mais cette divinité égale au Père a pris part à notre mortalité, non par notre nature, mais en se revêtant de la nôtre, mais qu’à notre tour nous pussions participer à sa divinité, non par notre nature, mais par la sienne.
3. « Seigneur, vous m’avez éprouvé et m’avez connu[349] ». Que Notre-Seigneur Jésus-Christ tienne ce langage, qu’il dise lui-même « Seigneur », s’adressant au Père. Son Père toutefois n’est son Seigneur que parce qu’il a daigné naître selon la chair ; Père de Dieu, Seigneur de l’homme. Veux-tu savoir de qui il est Père ? D’un Fils égal à lui. « Étant de la nature de Dieu », a dit saint Paul, « il n’a pas cru qu’il y eût usurpation pour lui de s’égaler à Dieu ». C’est de cette nature que Dieu est Père, de celui qui lui est égal en nature, qui est son Fils unique, né de sa substance. Mais par bonté pour nous, afin de nous rétablir, de nous faire participants de sa divinité, de nous remettre sur le chemin de la vie éternelle, en prenant part à notre nature, avons-nous dit, qu’a-t-il fait selon l’Apôtre, et qu’est-ce qu’il ajoute à ces paroles : « Lui qui avait la nature de Dieu, n’a pas cru qu’il y eût usurpation à se dire égal à Dieu ? Mais il s’est anéanti », dit le même Apôtre, « en revêtant la forme de l’esclave, en se rendant semblable à l’homme, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui[350] ». Égal au Père dans sa nature divine, il a pris la forme de l’esclave, devenant ainsi moindre que son Père. Lui-même nous dit l’un et l’autre dans l’Évangile. Ici : « Mon Père et moi sommes un[351] » ; là : « Mon Père est plus grand que moi[352] ». « Mon Père et moi sommes un » ; selon la nature divine ; « Mon Père est plus grand que moi », selon la forme de l’esclave. Dès lors que le Père est en même temps Seigneur, Père selon la nature divine, et Seigneur selon la forme de l’esclave, que son Fils unique s’écrie, sans aucun étonnement ni scandale de notre part : « Seigneur, vous m’avez éprouvé et m’avez connu ». « Éprouvé et connu », est-il dit, non point que Dieu ne l’ait point connu d’abord, mais en ce sens qu’il l’a fait connaître aux autres. « Vous m’avez éprouvé et m’avez connu ».
4. « Vous m’avez connu quand je me suis assis, et quand je me suis levé[353] ». Que veut dire ici s’asseoir ? que veut dire se lever ? S’asseoir, c’est s’abaisser. Le Seigneur s’est donc abaissé dans sa passion, il s’est levé dans sa résurrection. « Vous avez connu cela », est-il dit, c’est-à-dire, vous l’avez voulu, vous avez approuvé, cela s’est fait selon votre volonté. Si nous voulons entendre la voix de notre chef, dans la personne des membres, disons à notre tour : « Vous m’avez connu quand je me suis assis, et quand je me suis levé ». L’homme s’assied, quand il s’humilie par la pénitence ; il se lève quand, après la rémission des péchés, il se redresse par l’espérance de la vie éternelle. Aussi est-il dit dans un autre psaume : « Levez-vous après vous être assis, vous qui mangez un pain de douleur[354] ». Les pénitents mangent un pain de douleur, eux qui disent dans un autre psaume encore : « Mes larmes sont devenues pour moi un pain, le jour et la nuit[355] ». Qu’est-ce à dire : « Levez-vous après vous être assis ? » Ne vous élevez qu’après vous être humiliés. Beaucoup en effet veulent se lever avant de s’être assis, et paraître justes avant de s’être avoués pécheurs. Si donc nous appliquons ces paroles à notre chef : « Vous e m’avez connu quand je me suis assis, et quand je me suis levé », elles doivent s’entendre de sa passion et de sa résurrection ; si nous entendons ces paroles des membres : « Vous m’avez connu quand je me suis assis et quand je me suis levé », signifiera, j’ai confessé devant vous mes péchés, et j’ai été justifié par votre grâce.
5. « Vous avez compris de loin mes pensées ; vous avez recherché ma route et mon gîte, et prévu toutes mes voies[356]. Que veut dire de loin? Quand je suis encore dans mon exil, avant que je sois arrivé à cette patrie bienheureuse, vous avez connu mes pensées. Vois ce plus jeune fils dans l’Évangile : c’est lui qui est devenu le corps de Jésus-Christ, puisque l’Église est venue de la gentilité. C’est ce plus jeune fils qui s’en était allé au loin. Le père de famille avait en effet deux fils ; l’aîné ne s’était pas éloigné, mais il travaillait dans les champs : il est la figure de ces saints personnages de la loi qui accomplissaient les préceptes et les œuvres de la loi. Quant au reste des hommes, ils s’en étaient allés bien loin, se plongeant dans l’idolâtrie. Quoi de plus éloigné de celui qui t’a fait, que l’image que tu viens de faire ? Le plus jeune des fils s’en alla donc, emportant son bien, comme nous l’apprend l’Évangile, et le dissipant en profusions avec des femmes débauchées : pressé par la faim, il s’attache à un prince de ces contrées ; et celui-ci l’envoya paître les pourceaux auxquels il enviait leur nourriture, sans pouvoir s’en rassasier. Accablé par le labeur, la misère, la tribulation, l’indigence, il se souvint de son père, et voulut revenir à lui ; et il se dit : « Je me lèverai, et j’irai à mon Père ». « Je me lèverai », dit-il, car il s’était assis. Reconnais-le donc, c’est lui qui dit ici : « Vous avez connu quand je me suis assis, et quand je me suis levé ». Je me suis assis dans l’indigence, et je me suis levé en désirant votre pain. « Vous avez compris de loin mes pensées ». Car je m’étais éloigné de vous, mais où n’est point celui que j’avais abandonné ? « Vous avez compris de loin mes pensées ». Aussi le Seigneur dit-il dans l’Évangile, que son Père alla au-devant de lui quand il revenait[357] ; parce qu’il avait parfaitement compris de loin ses pensées. « Vous avez recherché ma route et mon gîte ». « Ma route », dit le Prophète : quelle route, sinon cette route funeste qu’il avait suivie pour s’éloigner de son père, comme s’il eût pu se cacher et se dérober à sa vengeance ? Aurait-il été réduit à cette misère, en serait-il venu à garder les pourceaux, si son père n’eût voulu le châtier de loin, afin de le recevoir et l’embrasser de tout près ? C’est donc un fugitif qui parle ici, un fugitif pris au fait, et poursuivi par la juste vengeance d’un Dieu qui châtie nos affections secrètes, quelque part que nous allions, quelque lointaine que soit notre fuite ; c’est, dis-je, un fugitif pris au fait qui s’écrie : « Vous avez connu ma route et mon joint d’arrêt ». Qu’est-ce à dire, mon sentier ? le sentier de mes égarements. Qu’est-ce à dire, mon point d’arrêt ? jusqu’où je me suis avancé. « Vous avez connu mon sentier et mes bornes ». Ce point d’arrêt, tout éloigné qu’il fût, n’était pas loin de vos yeux. Je m’étais écarté bien loin et néanmoins vous étiez là. « Vous avez recherché mon sentier, et mon point d’arrêt ».
6. « Vous avez prévu toutes mes voies[358] ». Le Prophète ne dit point vu, mais prévu. Avant mon départ, avant que j’eusse parcouru ces voies, vous les aviez prévues, et vous m’avez laissé les parcourir dans l’affliction, afin que, fatigué de l’affliction, je revinsse à vos sentiers. « Car il n’y a point de déguisement sous ma langue ». Pourquoi parler ainsi ? Je vous en fais l’aveu, j’ai marché dans mes voies, je me suis éloigné de vous ; je me suis séparé de vous qui étiez mon bien et, heureusement pour moi, j’ai rencontré le malheur loin de vous ; heureux loin de vous, je ne fusse point revenu vers vous. C’est donc en confessant ses péchés, en proclamant qu’il est justifié, non par ses propres mérites, mais par la grâce, que le corps de Jésus-Christ a raison de dire : « Ma langue ne cache point la ruse ».
7. « Voilà que vous, Seigneur, connaissez ce qui est récent et ce qui est ancien[359] ». Ce qui est récent, ou mon dernier état quand je gardais les pourceaux ; ce qui est ancien, ou mon premier état quand je vous ai demandé la part de ma substance. Mon premier état n’était qu’un prélude à mes malheurs plus récents. Notre premier péché, c’est notre chute en Adam, notre dernier châtiment est dans cette vie mortelle pleine de douleurs et de périls. Et puisse-t-il être notre dernier ! Il le sera sans doute si nous voulons revenir à Dieu ; car il y aura pour les impies un autre dernier châtiment quand on leur dira : « Aller au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges[360] ». Pour nous, mes frères, qui jusqu’à présent avons abandonné Dieu, qu’il nous suffise d’un labeur qui doit subsister durant cette vie mortelle. Souvenons-nous du pain de notre Père, du bonheur que nous goûtions près de lui : qu’elles n’aient aucun attrait pour nous les gousses des pourceaux, les doctrines des démons. « Voilà, Seigneur, que vous avez connu mon état récent, et mon état ancien » ; l’état récent, l’abîme où je suis tombé ; mon état ancien, ou quand je vous ai offensé. « C’est vous qui m’avez formé, et qui avez posé votre mais sur moi ». « Vous m’avez formé » : où ? Dans cette mortalité, afin d’y endurer les peiner pour lesquelles nous sommes nés. Nul en effet ne saurait naître, si Dieu ne l’a formé dans le sein de sa mère, et il n’est aucune créature dont Dieu ne soit l’artisan. Mais « vous m’avez formé » dans cette vie de douleurs, « et vous avez posé sur moi votre main » vengeresse, qui abat l’orgueilleux ; car Dieu ne terrasse l’orgueilleux que pour son bien, et le relever, s’il devient humble : « Vous m’avez formé, et vous avez posé votre main sur moi ».
8. « Votre science de moi est admirable ; elle s’élève, et je ne saurais l’atteindre ». Écoutez attentivement quelque chose d’obscur, sans doute, mais que l’on ne saurait comprendre sans un extrême plaisir. Moïse était pour Dieu un serviteur fidèle, et Dieu conversait avec lui dans la nuée, en lui tenant un langage sensible : il lui parlait par l’entremise de quelque créature, c’est-à-dire qu’il ne lui parlait point par sa propre substance, mais en prenant une figure corporelle qui formait des sons, et des sons capables d’arriver à l’oreille d’un homme. Car c’est ainsi que Dieu lui parlait, et non comme il le fait dans sa substance. Comment parle-t-il dans sa substance ? La parole de Dieu est le Verbe de Dieu, et le Verbe de Dieu, c’est le Christ ce Verbe n’est point sonore et passager, mais il demeure d’une manière immuable, ce Verbe par qui tout a été fait[361]. C’est à ce Verbe, qui est aussi la sagesse de Dieu, qu’il est dit : « Vous les changerez, et ils seront changés, mais pour vous, vous demeurez le même[362] ». Et dans un autre endroit, l’Écriture a dit de la Sagesse : « Immuable en elle-même, elle renouvelle toutes choses[363] ». Cette Sagesse donc, toujours stable, si l’on peut parler ainsi, ce que l’on fait parce qu’elle ne change pas, et non qu’elle soit immobile ; cette Sagesse qui est toujours dans le même état, qui ne varie ni selon les temps ni selon les lieux ; qui n’est point ici d’une manière, et là d’une autre manière, ni maintenant autre qu’auparavant, c’est la parole de Dieu. Lis cette parole qu’entendait Moïse arrivait à l’homme par le moyen des syllabes et des sons passagers ; et cela n’aurait point lieu si Dieu ne prenait quelque forme créée pour émettre ces paroles. Moïse donc savait que celte parole de Dieu lui arrivait par des créatures intermédiaires et corporelles : or, il désira de voir la face même de Dieu, et il dit à Dieu qui parlait avec lui : « Si j’ai trouvé grâce devant vous, montrez-vous à moi ». Son désir était violent, et à la faveur de cette familiarité dont Dieu l’honorait, si l’on peut ainsi parler, il voulait lui arracher cette grâce de voir sa majesté, sa face, autant que l’on peut dire face en parlant de Dieu. Mais le Seigneur lui répondit : « Tu ne saurais voir ma face ; car l’homme ne me verra point sans mourir, mais je te placerai dans le creux d’un rocher, et je passerai, et te couvrirai de ma main : quand je serai passé, tu me verras par-derrière[364] ». Ces paroles toutefois ont donné lieu à une autre énigme, ou obscurité : « Quand je serai passé, tu me verras par-derrière », dit le Seigneur, comme s’il avait d’une part une face, et d’autre part un dos. Loin de nous de concevoir de telles pensées d’une si incomparable majesté. Pour un homme qui aurait de telles pensées, qu’importe que les temples soient fermés ? il se formerait une idole dans son cœur. Il y a donc dans ces paroles un grand symbole. Le Seigneur parlait à son, serviteur, avons-nous dit, par l’intermédiaire de telle forme créée qu’il lui plaisait, et dans laquelle nous entrevoyons la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, dans sa nature divine, est égal au Père, invisible comme le Père aux yeux des hommes. Car si la sagesse des hommes est invisible aux yeux de la chair, comment pourraient-ils voir la Sagesse de Dieu ? Mais comme au temps marqué le Seigneur devait prendre notre chair, et se rendre visible aux yeux de la chair, afin de guérir intérieurement notre esprit quand il faudrait nous apparaître de la sorte, voilà qu’il prédit ceci à Moïse d’une manière figurée, en disant : « Tu ne saurais voir ma face, mais quand je serai passé tu me verras par-derrière ». Je te couvrirai de ma main afin que tu ne puisses voir ma face. Mais, pour le Seigneur, quel est le sens de passer, sinon ce que nous dit l’Évangéliste : « Quand vint l’heure pour Jésus de passer de ce monde à son Père[365] ? » Pâques, en effet, signifie passage. Car Pâques, en hébreu, se traduit en latin par transitus ou passage. Que signifie néanmoins : « Tu ne verras pas ma face, mais tu me verras par-derrière ? » Qui donc figurait Moïse, quand il lui dit : « Tu ne verras pas ma face, mais tu me verras par-derrière, et cela quand je passerai ; et de peur que tu ne voies ma face, je mettrai ana main sur toi ? » Il appelle sa face ce qui a d’abord paru de lui, et le voir par-derrière c’est voir son passage de ce monde à l’heure de sa passion. Il apparut aux Juifs, et ils ne le connurent point. Ce sont eux que figurait Moïse quand on lui disait : « Tu ne saurais voir ma face ». Mais pourquoi ne l’ont-ils pas connu dans sa chair ? Parce que la main de Dieu s’était appesantie sur eux. Le prophète Isaïe avait dit en effet « Appesantis le cœur de ce peuple, et obscurcis ses yeux[366] ». Et ce sont eux qui ont dit dans le psaume : « Votre main s’est appesantie sur nous[367] ». Donc, afin qu’ils ne connussent point la divinité du Christ, (car s’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire[368], et, s’il n’eût été crucifié, son sang n’eût point racheté le monde), que fait le Seigneur, sinon ce que dit saint Paul des richesses de la sagesse et de la science de Dieu, quand il s’écrie : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu, que ses jugements sont incompréhensibles, et ses voies insondables ! Qui a connu les desseins de Dieu, ou est entré dans ses conseils ? Qui lui adonné le premier pour en attendre une récompense ? Tout est de lui, par lui, en lui. À lui seul gloire et honneur dans les siècles des siècles ». L’Apôtre s’exprime ainsi parce qu’il avait dit plus haut : « L’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât, et que de cette manière tout Israël fût sauvé[369] ». Les juifs donc sont tombés en partie dans l’aveuglement, à cause de leur orgueil, parce qu’ils se disaient justes, et dans leur aveuglement ils ont crucifié le Seigneur. Il les a couverts de sa main, afin qu’ils ne pussent le voir durant son passage de ce monde à son Père. Examinons s’ils l’ont vu par-derrière après son passage. Le Seigneur ressuscite ; il apparaît aux disciples[370], et à tous ceux qui avaient cru en lui non point à ceux qui l’avaient crucifié, parce que sa main était sur eux jusqu’à ce qu’il fût passé. Il monte au ciel après avoir vécu quarante jours avec ses disciples, et, le jour de la Pentecôte, il leur envoie le Saint-Esprit. Remplis de l’Esprit-Saint, ils commencent à parler diverses langues, eux qui étaient nés dans une seule, n’en avaient appris qu’une seule. À la vue d’un tel miracle, grand effroi chez tous les bourreaux du Seigneur ; des milliers d’entre eux, touchés jusqu’au fond du cœur, demandèrent aux Apôtres ce qu’ils devaient faire, quand on leur eut prêché le Christ, et dans la surprise où ils étaient que des hommes sans lettres pussent parler diverses langues. L’apôtre saint Pierre alors leur parle du Christ qu’ils avaient insulté à la croix, qu’ils avaient raillé comme un homme assujetti à la mort, qu’ils défiaient surtout parce qu’il ne descendait pas de la croix, quoique sortir du tombeau fût un miracle bien plus grand que descendre du gibet. Et quand on leur eut annoncé le Christ, « que faut-il donc faire ? » demandèrent-ils. Eux qui avaient si cruellement traité le Seigneur qu’ils voyaient, demandent ce qui pourra les sauver ; et on leur répond : « Faites pénitence, que chacun de vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et vos péchés vous seront remis[371] ». Ce fut alors qu’ils virent par-derrière celui dont ils n’avaient pu voir la face. Sa main était sur leurs yeux, non pour toujours, mais tant qu’il passerait. Après son passage, il ôta sa main de leurs yeux. Quand cette main fut ôtée, ils dirent aux disciples : « Que ferons-nous ? » D’abord pleins de fureur, ils sont pleins de piété ; à la colère succède la timidité, à la dureté la souplesse, à l’aveuglement la lumière.
9. Il me semble entendre dans ce psaume la voix des Gentils qui se souviennent à leur tour de leur incrédulité. « Car le Seigneur a renfermé tous les hommes dans l’incrédulité, afin de les prendre tous en pitié[372]. Vous m’avez formé, vous avez mis votre main sur moi. Votre science de moi est admirable, elle s’élève et je ne saurais l’atteindre ». C’est-à-dire : vous avez mis votre main sur moi, vous m’avez paru admirable, et quoique je fusse avec vous, je ne vous comprenais pas. Qu’il m’était facile de voir le visage de mon père, quand je lui disais : « Donnez-moi le bien qui me doit échoir ». Mais depuis que je suis dans cette région lointaine, et que je meurs de faim[373], que la douleur est devant moi, je ne puis recouvrer ce que j’ai perdu. « Votre science de moi est infiniment admirable ». À cause de mon péché, cette science est pour moi un mystère, elle est incompréhensible. Quand l’orgueil ne m’avait point éloigné de vous, je pouvais vous contempler. « Votre science de moi est admirable, elle s’élève, et je ne pourrai l’atteindre ». Sous-entendez, par moi-même. « Je ne pourrai l’atteindre par mes forces » ; et quand je le pourrai ce sera par vous.
10. Vous le voyez, ce fugitif ne saurait fuir assez loin pour se dérober aux regards de celui qu’il veut fuir. Où pourra-t-il fuir, lui dont la fuite est mesurée ? Voyez ce qu’il dit : « Où me dérober à votre Esprit ? L’Esprit du Seigneur a rempli l’univers entier[374] ». En quel lieu du monde échapper à cet esprit dont le monde est plein ? « Où me cacher à cet esprit, me dérober à votre face ? » il cherche un lieu pour échapper à la colère du Seigneur. Où pourra-t-il s’en aller, celui qui veut fuir le Seigneur ? Quand on recueille un fugitif, on lui demande quel maître il fuit, et si l’on reconnaît que c’est l’esclave d’un homme peu puissant, on le reçoit sans crainte ; on se dit alors : le maître de cet esclave ne saurait me rechercher. Mais si l’on reconnaît qu’il appartient à quelque maître puissant, on ne le reçoit point, ou du moins on ne le fait qu’avec crainte. Car un homme, fût-il puissant, peut encore être trompé. Mais où donc n’est pas Dieu ? Qui peut tromper Dieu ? qui peut se dérober à Dieu ? À qui Dieu ne pourra-t-il point reprendre son serviteur fugitif ? Où donc ira-t-il, ce fugitif, pour se dérober à la face de Dieu ? Il se tourne et se retourne, pour chercher où fuir.
11. « Si je monte vers les cieux, vous y êtes, si je descends dans l’abîme, vous voilà[375] ». Infortuné fugitif, tu le reconnais donc, tu ne saurais fuir bien loin de celui que tu veux fuir. Voilà qu’il est partout ; et toi, où iras-tu ? Mais dans son malheur, il lui vient une pensée, que lui inspire celui qui veut le rappeler dans sa bonté. « Si je monte vers le ciel, vous y êtes ; si je descends dans l’abîme, vous voilà ». Si je m’élève, je vous rencontre pour m’humilier ; si je me dérobe, je vous trouve pour me rechercher, et non seulement pour me rechercher, mais pour suivre mes pas. Si je m’élève dans ma justice, je vous rencontre, ô vous la justice véritable. Si le péché me plonge dans les profonds abîmes, dédaignant[376] l’aveu de mes fautes jusqu’à dire : « Qui m’a vu ? Car dans l’enfer qui vous confesse son péché[377] ? » voilà que je vous y rencontre comme vengeur. Où donc puis-je aller pour me soustraire à vos regards, c’est-à-dire pour ne point sentir votre colère ?
12. Voici donc le remède qu’il a trouvé. Ainsi, dit-il, je fuirai votre face, ainsi je fuirai votre Esprit : j’éviterai la vengeance de votre Esprit, la vengeance de votre face, par quel moyen ? « Si je prends mes ailes pour voler directement et habiter aux extrémités de la mer[378] ». C’est ainsi que je puis échapper à votre face. Mais est-ce bien aux extrémités de la mer qu’il faut aller pour éviter celui dont il est dit : « Si je descends dans l’abîme, vous voilà ? » Comment ne serait-il point aux extrémités des mers, celui qui est présent jusque dans les abîmes ? Mais je sais, dit-il, comment échapper à votre colère. Je prendrai mes ailes, non pour un vol oblique, mais pour un vol direct, de manière à ne point m’élever par un orgueil présomptueux, ni me plonger dans l’abîme du désespoir. Quelles sont dès lors les ailes qu’il veut prendre, sinon les deux ailes, les deux préceptes de la charité qui renferment la loi et les Prophètes[379] » ? Si je reprends, dit-il, ces ailes, pour m’enfuir aux extrémités des mers, je fuirai de votre face à votre face, de votre face irritée à votre face bénigne. Qu’est-ce, en effet, que l’extrémité des mers, sinon la fin des siècles ? C’est là qu’il faut diriger notre vol par l’espérance et le désir, avec les deux ailes de la charité. Point de repos pour nous que nous ne soyons aux extrémités de la mer. Nous reposer ailleurs, c’est tomber dans ses abîmes. Prenons notre essor jusqu’aux extrémités de la mer, suspendons-nous aux deux ailes de la charité : élevons-nous jusqu’à Dieu par l’espérance, et avec une espérance nourrie par la foi prévoyons cette extrémité de la mer.
13. Mais voyez, mes frères, celui qui nous conduira ; c’est celui-là même dont nous voulons fuir le visage irrité. Que dit en effet le Prophète ? « Si je descends au fond de l’abîme, vous voilà. Si je reprends mes ailes pour un vol direct ». « Si je reprends », dit-il : donc il avait perdu ces ailes. « Si je reprends mes ailes pour un vol direct, si j’habite aux extrémités de la mer, c’est votre main qui va m’y conduire, votre droite m’y amener[380] ». Méditons ces paroles, mes frères bien-aimés ; qu’elles soient notre espérance, notre consolation. Reprenons par la charité ces ailes que la convoitise nous a fait perdre. La convoitise est pour nos ailes une glu qui nous a privés de liberté dans notre essor, c’est-à-dire privés de ces souffles de liberté que donne l’Esprit de Dieu. Arrachés à ces courants, nous avons perdu nos ailes pour tomber en quelque sorte sous la puissance de l’oiseleur. Or, c’est de là que nous a rachetés par son sang celui que nous avons fui pour être pris. Il nourrit nos ailes par ses préceptes nous les étendons, maintenant qu’elles ne sont plus engluées. N’aimons point la mer, volons aux extrémités de la mer. Arrière toute crainte, arrière aussi toute présomption au sujet de nos ailes ; car, en dépit de ces ailes, si Dieu ne nous élève, si Dieu ne nous conduit, de lassitude et de fatigue nous tomberons dans les gouffres de la mer, parce que nous aurons trop présumé de nos forces. Il nous faut donc des ailes, et il faut que Dieu nous conduise ; car il est notre soutien. Nous avons sans doute notre libre arbitre, mais avec ce même libre arbitre, que pouvons-nous sans le secours de celui qui nous commande ? « C’est là que me conduira votre main, que m’amènera votre droite ».
14. Mais que dit-il en lui-même, en considérant la longueur du chemin ? Et j’ai dit : « Peut-être les ténèbres vont-elles me couvrir[381] ». Voilà que je crois au Christ, voilà que je m’élève sur les deux ailes de la charité, et néanmoins l’iniquité se multiplie dans le monde, et parce que l’iniquité se multiplie, la charité de plusieurs se refroidit. Ainsi l’a dit le Seigneur : « Comme l’iniquité abondera, la charité de plusieurs se refroidira[382] ». Que faire, dira-t-on, parmi tant de scandales, tant de péchés, tant de tentations qui nous jettent chaque jour dans le trouble, tant de suggestions criminelles qui nous assiègent sans relâche ? Comment arriver à l’extrémité de la mer ? J’entends dans la bouche de Dieu cette parole terrible : « Parce que l’iniquité se multipliera, la charité de plusieurs se refroidira ». Puis il ajoute « Celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin[383] ». Or, à la vue d’un chemin si long, je me suis dit : « Peut-être les ténèbres vont-elles me couvrir, et la nuit sera ma lumière dans mes délices » La nuit est devenue ma lumière, parce que dans la nuit j’avais désespéré de pouvoir franchir une si vaste mer, de fournir une si longue route, et d’arriver à l’extrémité en persévérant jusqu’à la fin. Grâces à celui qui m’a recherché dans ma fuite, qui a meurtri mes épaules de son fouet, qui, en m’appelant à lui, m’a rappelé de la mort, qui a fait de ma nuit même une lumière. Car la nuit c’est notre vie entière comment cette nuit est-elle éclairée ? C’est que le Christ est descendu dans cette nuit. Il a pris une chair de ce siècle ténébreux, et a éclairé la nuit pour nous. La femme qui avait perdu une drachme alluma un flambeau[384]. La sagesse de Dieu avait perdu une drachme ; et qu’est-ce qu’une drachme ? Une pièce de monnaie qui porte l’image de notre chef. L’homme a été créé à l’image de Dieu[385], puis il s’est perdu. Or, que fait la femme dans sa sagesse ? Elle allume une lampe. Cette lampe est un vase de terre, mais elle contient une lumière qui fait retrouver la drachme. La lampe de la sagesse, la chair du Christ, est donc faite en terre ; mais elle brille par son Verbe et retrouve ceux qui étaient perdus. « Et la nuit est devenue une lumière dans mes délices ». La nuit a eu des délices pour moi. C’est le Christ qui fait nos délices. Voyez quelle est maintenant la joie qu’il nous cause. D’où viennent ces acclamations, ces trépignements de joie, sinon de vos délices ? Et d’où viennent ces délices, sinon de la lumière qui a éclairé notre nuit, sinon de ce que l’on nous prêche le Christ notre Seigneur ? Il vous a cherchés avant que vous l’eussiez cherché, et il vous a trouvés afin que vous pussiez le trouver. « Et la nuit m’a éclairé dans mes délices ».
15. « Devant vous les ténèbres n’ont point d’obscurité[386] ». Toi donc, n’obscurcis pas tes ténèbres ; car Dieu ne les obscurcit point ; mais plutôt il les éclaire, et c’est à lui que le Psalmiste a dit ailleurs : « C’est vous qui allumerez mon flambeau, Seigneur mon Dieu, vous illuminerez mes ténèbres[387]4 ». Or, quels sont les hommes qui obscurcissent leurs ténèbres que le Seigneur n’obscurcit point ? Les méchants, les pervers, les pécheurs sont ténèbres ; tant qu’ils ne confessent point les fautes qu’ils ont commises, mais cherchent même à les défendre, ils obscurcissent leurs ténèbres. Donc, avoir péché, c’est être déjà dans les ténèbres ; mais confesser humblement tes ténèbres, c’est mériter qu’elles soient éclairées ; les défendre, c’est les épaissir davantage. Or, comment échapper à ces doubles ténèbres, lorsque de simples ténèbres étaient si accablantes ? Mais quand est-ce que le Seigneur n’obscurcit point nos ténèbres ? Quand il ne laisse point nos fautes impunies ; quand il nous châtie et nous redresse par les tribulations de cette vie. Sachezle bien, mes frères, cette misère dans laquelle nous voyons gémir le genre humain n’est qu’une douleur qui nous guérit, et non un arrêt qui nous châtie. Partout vous voyez la douleur, partout la crainte, partout l’angoisse, partout le travail pénible. C’est un trésor qui grossit, mais par nos misères. Si donc le Seigneur nous avertit, par tant de plaies, de ne point obscurcir encore nos ténèbres, reconnaissons sa main qui nous afflige et bénissons Dieu qui mêle aux douceurs de cette vie de saintes amertumes, de peur que dans l’aveuglement des terrestres délices nous ne désirions point les biens éternels, que nous ne souhaitions que la mer n’ait aucune borne, pour n’habiter jamais les confins de la mer. Que les flots de la mer se soulèvent donc ; plus ils s’agiteront dans leur fureur, et plus la colombe s’élèvera sur ses ailes. Ce n’est donc point le Seigneur qui obscurcit nos ténèbres, puisqu’à nos péchés, il entremêle des châtiments, et des amertumes à nos plaisirs corrupteurs. Mais nous, n’obscurcissons pas nos ténèbres, en défendant nos péchés, et la nuit aura une lumière dans nos délices, « parce que ce n’est point vous qui obscurcirez nos ténèbres ».
16. « Et la nuit est lumineuse comme le jour ». « La nuit ressemble au jour », est-il dit ; le jour, c’est la félicité du siècle ; et la nuit, c’est l’adversité ; mais si nous reconnaissons que nos péchés ont mérité les maux que nous souffrons, si nous trouvons des douceurs dans les châtiments d’un père, évitant ainsi l’arrêt sévère du juge, les ténèbres de cette nuit deviendront pour nous une lumière dans cette nuit. Mais si elle est nuit, quelle peut en être la lumière ? Elle est nuit, parce que le genre humain y est dans l’égarement. C’est la nuit, parce que nous ne sommes point encore arrivés à ce jour qui n’est point resserré entre celui d’hier et celui de demain, qui est l’éternel aujourd’hui, sans matin ni soir. Nous sommes donc ici-bas dans la nuit ; et toutefois cette nuit a sa lumière et ses ténèbres. Nous en avons dit en général pourquoi elle est nuit : quelle est la lumière de cette nuit ? La prospérité, le bonheur de ce monde, les joies passagères, les honneurs temporels, sont comme une lumière pour cette nuit ; tandis que le malheur, les tribulations amères, les ignominies en sont comme les ténèbres. Dans cette nuit, dans cette mortalité de la vie humaine, les hommes ont leur lumière, et i ! s ont leurs ténèbres ; la lumière, c’est la prospérité, les ténèbres l’adversité. Mais dès que le Christ habite une âme par la foi, dès qu’il promet une autre lumière, qu’il inspire et donne la patience, qu’il avertit l’homme de ne mettre point sa complaisance dans les prospérités du monde, pour n’être point abattu par l’adversité ; le fidèle commence à concevoir de l’indifférence pour ce monde, à ne s’élever point dans la prospérité, à ne point se laisser abattre par le malheur. Mais il bénit Dieu en toutes choses, non seulement dans l’abondance, mais aussi dans la disette ; non seulement dans la santé, mais aussi dans la maladie. Il justifie alors cette parole du psaume : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours en ma bouche[388] ». Si c’est toujours, ce sera dès lors, et quand la nuit éclaire et quand la nuit est obscure ; et quand la prospérité te sourit, et quand l’adversité te vient attrister, que sa louange soit toujours en ta bouche ; et alors se réalisera ce que dit le psaume : « Les ténèbres et la lumière sont une même chose pour lui ». Ses ténèbres ne m’accablent point, parce que sa lumière ne m’élève point.
17. Job était dans cette lumière ; il avait tout en abondance. Nous parler de ses grands biens, c’est nous décrire tout d’abord la lumière de sa nuit ; car c’était une lumière dans sa nuit que les biens et les richesses qu’il possédait. Or, l’ennemi crut qu’un si saint homme servait Dieu seulement à cause des grands biens dont il l’avait comblé, et il demanda qu’ils lui fussent enlevés. Alors sa nuit qui avait eu sa lumière fut changée en ténèbres. Job savait néanmoins que, soit lumière, soit ténèbres, c’est toujours la nuit quand nous sommes éloignés de Dicta ; et il avait pour lumière intérieure Dieu lui-même, lumière intérieure qui le rendait indifférent à la clarté ou aux ténèbres de cette autre nuit. C’est pourquoi, comme il servait Dieu fidèlement dans la lumière de cette nuit, c’est-à-dire dans l’abondance, que dit-il quand il eut tout perdu et que les ténèbres le couvrirent ? « Dieu a donné, Dieu a ôté comme il a plu au Seigneur, il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni[389] ». Je suis dans la nuit de cette vie. Le Seigneur qui habite mon âme, avait éclairé cette nuit de quelques consolations, en me donnant des biens temporels ; voilà qu’il éteint cette lumière temporelle, et la nuit devient pour moi ténébreuse. Mais « parce que ses ténèbres sont pour moi comme sa lumière le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur il a été fait : que le nom du Seigneur soit béni ». Cette nuit ne m’attriste point ; car ses ténèbres sont pour moi comme sa lumière. L’une et l’autre passent, afin que ceux qui sont dans la joie soient comme n’y étant pas, et ceux qui pleurent comme ne pleurant point. « Car les ténèbres du Seigneur sont pour nous comme sa lumière ».
18. « Parce que c’est vous, Seigneur, qui êtes le maître de mes reins ». Ce n’est point sans raison que ses ténèbres sont comme sa lumière ». Le Seigneur me possède intérieurement, il est le maître non seulement de mon cœur, mais aussi de mes reins ; non seulement de mes pensées, mais aussi de mes affections. C’est donc lui qui possède ce qui pourrait me donner quelque jouissance dans la lumière de cette nuit, lui qui possède mes reins, et je ne puis trouver de plaisir que dans la lumière intérieure de sa sagesse. Quoi donc ? La prospérité d’ici-bas, le bonheur de cette vie, les honneurs, les richesses, la famille, n’ont-ils donc pour toi aucun charme ? Aucun, et pourquoi ? Parce que « ses ténèbres et sa lumière sont une même chose pour moi ». D’où te vient cette indifférence, que les lumières et les ténèbres de cette vie soient une même chose pour toi ? « C’est que vous êtes, Seigneur, le maître de mes reins ; vous m’avez reçu dès le sein de ma mère ». Mais dans le sein de ma mère je n’étais indifférent ni aux ténèbres de cette nuit, ni à ses lumières ; car ce sein de ma mère, c’est la coutume de ma cité. Et quelle est ma cité ? celle qui m’a enfanté dans l’esclavage. Or, nous connaissons cette Babylone dont nous avons parlé hier, et qu’abandonnent tous ceux qui embrassent la foi, qui soupirent après la lumière de la Jérusalem céleste. Voici donc mon langage : dès le sein de ma mère, le Seigneur m’a reçu ; de là mon indifférence pour les ténèbres de cette nuit comme pour sa lumière. Mais quiconque est encore dans les entrailles de Babylone sa mère, se réjouit des prospérités de ce monde, se laisse abattre par les misères de cette vie, ne connaît de joie que celle d’un bonheur temporel, ni de douleur que celle des maux temporels. Sors donc des entrailles de Babylone, commence à chanter un hymne au Seigneur ; sors, oui sors de ses entrailles, elle Seigneur te recevra dès le sein de ta mère, Quel Dieu ? le Dieu de l’apôtre saint Paul qui a dit : « Quand il a plu à Dieu qui m’a appelé dès le sein de ma mère, de me faire « connaître son Fils[390] ». Quelle était cette mère de Paul ? la synagogue. Qu’avait-il appris dans la synagogue, sinon ce que savaient, ce qu’apprenaient les Juifs et tout le peuple ? Il ne restait plus chez cette nation que le nom du culte de Dieu, on n’y voyait plus les œuvres : ils avaient la parole de Dieu comme un arbre porte des feuilles, mais sans aucun fruit. C’est ce figuier que le Seigneur fit si cher en le maudissant, comme vous le savez[391]. Il y avait trouvé des feuilles, mais de fruit, aucun ; il nous montrait là le symbole d’un autre arbre. On n’était pas, en effet, au moment des figues[392] ; or, le Créateur du ciel et de la terre pouvait-il ignorer ce que chacun savait ? Celui-là donc qui appela Paul dès le sein de sa mère est aussi celui qui nous a choisis dès le sein de la nôtre. Quelle est notre mère ? Babylone. Une fois sortis de ses entrailles, concevons une autre espérance, Dieu, mes frères, nous a promis d’autres joies ; qu’une nouvelle espérance nous fasse porter des fruits. Il n’y a désormais d’autre mal pour nous que d’offenser Dieu et de n’arriver pas aux biens qu’il nous a promis ; il n’y a d’autre bien que de mériter Dieu et d’arriver à ses divines promesses. Que sont les biens de cette vie, comme les maux de cette vie ? N’ayons pour eux que de l’indifférence ; puisque nous voyant reçus par Dieu dès le sein de notre mère, nous disons : « Les ténèbres de « cette vie sont pour nous comme ses lumières ». Le bonheur de ce monde ne sera point notre bonheur, ni ses misères notre malheur, Il nous faut pratiquer la justice, aimer la foi, espérer en Dieu, aimer Dieu, aimer aussi notre prochain. Aux travaux de cette vie succédera une lumière inextinguible, un jour sans fin tout ce qui est lucide ou ténébreux en cette vie, ne dure qu’un moment « Vous êtes, Seigneur, le maître de mes reins, vous m’avez reçu dès le sein de ma mère ».
19. « Je vous confesserai, Seigneur, à cause  de l’éclat terrible de votre magnificence ». « Votre magnificence est terrible » u, Seigneur, puisque nous en admirons l’éclat, et que notre joie est mêlée de crainte. Nous craignons en effet qu’en nous élevant de vos dons, nous ne méritions de perdre ce que nous avions obtenu par l’humilité. « Je vous confesserai, parce que l’éclat de votre magnificence est terrible ; vos œuvres sont admirables, et mon âme le sait ». Mon âme le sait très bien depuis que vous m’avez reçu dès le sein de ma mère ; mais auparavant votre science était trop élevée au-dessus de moi, je n’y pouvais atteindre. Elle me surpassait, et me laissait dans l’impuissance. D’où vient que maintenant cette âme connaît vos œuvres, sinon parce que la nuit a pour moi une lumière dans mes délices ? sinon parce que vous êtes maître de mes reins ? sinon parce que vous m’avez reçu dès le sein de ma mère ?
20. « Mes ossements que vous avez formés en secret ne vous sont point cachés[393] ». Le mot latin os veut dire ici ossement, c’est ce que nous indique le grec Ostoun ; autrement, en effet, on pourrait croire qu’il fait ora au pluriel, et le traduire par bouche, et non os qui fait ossa. « Mes ossements donc », dit le Prophète, « que vous avez faits en secret, ne vous sont point inconnus ». J’ai donc certains ossements secrets ; parlons plutôt ainsi, et disons ossum: il vaut mieux être fautif en grammaire que inintelligible pour le peuple. Donc, dit le Prophète, j’ai un ossement secret, c’est vous qui avez fait cet ossement secret, et qui n’est point secret pour vous. Vous l’avez caché, mais l’avez-vous caché pour vous-même ? Cet os que vous m’avez fait en secret, les hommes ne le voient pas, ne le connaissent pas ; mais vous le connaissez, vous qui l’avez fait. De quel ossement veut-il parler, mes frères ? Cherchons-le, il est dans le secret. Mais comme nous parlons en chrétiens, et à des chrétiens, nous trouverons bientôt de quel os il est question. C’est la force intérieure ; car la solidité, la force, est désignée par les ossements, Il y a donc une force intérieure de l’âme, dès qu’on ne se laisse point abattre. Que les tourments, que les tribulations, que les difficultés du siècle viennent à sévir, la force invisible qui nous vient de Dieu ne saurait être abattue, et ne cède point. C’est de Dieu que nous vient cette force de patience, dont il est dit dans un autre psaume : « Toutefois, mon âme sera soumise à Dieu, car c’est de lui que me vient la patience[394] ». Écoute aussi l’apôtre saint Paul, qui a bien cette force : « Comme tristes, et néanmoins toujours dans la joie[395] ». D’où vient la tristesse ? Des injures, des opprobres, des fléaux, des plaies, des lapidations, des emprisonnements et des chaînes. Or, les persécuteurs eux-mêmes ne les persécuteraient point s’ils n’espéraient les affliger. Eux qui n’avaient point une force intérieure, jugeaient les autres d’après leur propre faiblesse ; mais les persécutés qui avaient cette force, paraissaient tristes à l’extérieur, et se réjouissaient en Dieu à qui n’échappait point cet ossement secret que lui-même avait fait en eux. Cet ossement secret que Dieu nous a fait, saint Paul nous en parle clairement dans ces paroles : « Non seulement nous sommes dans la joie, mais nous nous réjouissons dans les tribulations ». C’est peu de n’être point triste, tu vas jusqu’à te glorifier ? Qu’il te suffise de n’être point triste. C’est peu pour des chrétiens, dit l’Apôtre, mais tels sont les ossements que Dieu m’a faits dans le secret, que si je ne me glorifie, c’est peu de n’être point abattu. De quoi nous glorifier ? des tribulations ; car nous savons que la tribulation engendre la patience. Vois comment cette force a été consolidée dans notre cœur : « Nous savons que la tribulation engendre la patience, la patience la pureté, la pureté, l’espérance ; or, l’espérance n’est pas vaine, car l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné[396] », Ainsi a été formé cet ossement secret, qui est solide jusqu’à nous faire un titre de gloire de nos tribulations. Mais les hommes nous croient malheureux, parce qu’ils ne connaissent point notre force intérieure. « L’ossement que vous m’avez fait cri secret n’est point secret pour vous, et ma substance est dans les entrailles de la terre ». Ma substance donc est dans ma chair, ma substance est dans les entrailles de la terre et toutefois j’ai au dedans de moi un os que vous avez formé, qui m’empêchera de céder aux persécutions de ce bas monde, où est aussi ma substance. Qu’y a-t-il d’étonnant que l’ange ait de la force ? Ce qui est surprenant, c’est que la chair ait de la force. Or, d’où vient la force de la chair, la force d’un vase d’argile, sinon de cet os que Dieu y a mis secrètement ? « Et ma substance est dans les entrailles de la terre ».
21. Que dira le Prophète de ceux qui sont moins forts ? Nous l’avons dit en effet, c’est le Christ qui nous parle en ce psaume. Mais en beaucoup d’endroits, comme il a parlé au nom du corps, voyons ce qu’il dit au nom du chef, sans qu’il paraisse néanmoins distinguer s’il donne la parole à l’un ou à l’autre. Car distinguer, ce serait diviser, et ils ne seraient plus deux dans une seule chair[397]. Mais s’ils sont deux dans une seule chair, rien d’étonnant qu’ils soient aussi deux dans une même voix. Quand Notre-Seigneur Jésus-Christ mourut sur la croix, les disciples n’avaient point encore cet ossement intérieur, ils n’étaient point encore affermis dans la patience ; ils ne se connaissaient point, ils ignoraient leurs forces. Pierre osa promettre qu’il souffrirait et mourrait avec son maître, pauvre malade qui ne connaissait point son mal, et que connaissait le médecin suprême. Mais qu’arriva-t-il ? J’irai avec vous jusqu’à la mort, avait-il dit. « Je vous dis en vérité qu’avant le chant du coq vous me renoncerez trois fois[398] ». Or, la prédiction du médecin se trouva plus vraie que la présomptueuse parole du malade, Dès lors, en nous disant : « Un ossement que vous m’avez fait en secret n’est point caché pour vous », le Prophète parle au nom de ceux qui ont cet os intérieur, cette force que montra dans sa passion notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, qui s’est assis quand il lui a plu, levé quand il lui a plu, endormi quand il lui a plu, éveillé quand il lui a plu car, nous dit-il, « j’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la reprendre[399] ». Mais qu’est-il dit de ceux en qui cette force n’était ni formée, ni affermie ? Qu’en dit le Sauveur ? Vois ce qu’il en dit à son Père « Vos yeux ont vu mon imperfection[400] ». Mon imperfection dans ce même Pierre qui promettait pour ne pas tenir, qui comptait sur lui-même pour tomber : vos yeux l’ont vue ; car il est écrit que le Seigneur regarda Pierre qui, après son triple renoncement, se ressouvint de la prédiction du Sauveur ; puis sortit dehors et pleura amèrement[401]. Ce fut le regard de Dieu qui fit couler ces larmes, « parce que vos yeux », dit le Prophète, « ont vu mon imperfection ». Cette imperfection qui le fait chanceler pendant la passion du Sauveur, le conduirait infailliblement à la mort ; mais voilà que vos yeux l’ont vu, et non seulement lui, mais tous ceux qui furent tremblants jusqu’à ce que la résurrection du Sauveur les raffermît. Il fut évident pour leurs yeux que la mort n’avait point détruit dans le Sauveur ce qu’elle avait frappé, et alors se forma en eux cet ossement secret qui les empêcha de craindre la mort. « Vos yeux ont vu mon imperfection ; tous seront écrits dans votre livre » ; non seulement les hommes parfaits, mais aussi les hommes imparfaits. Que les imparfaits ne craignent point, mais qu’ils s’avancent. Qu’ils ne craignent pas, dis-je, et néanmoins qu’ils n’aiment pas leur imperfection, qu’ils ne demeurent point où ils ont été trouvés. Seulement, qu’ils s’avancent autant qu’il est en eux ; chaque jour un pas, chaque jour un progrès : toutefois sans s’éloigner du corps du Seigneur, afin que dans cette unité de corps qui unit ensemble tous les membres, ils méritent que le Sauveur ait dit en leur nom : « Vos yeux ont vu mon imperfection ; et tous seront écrits dans votre livre ».
22. « Ils s’égareront pendant le jour, et personne parmi eux ». Le jour, c’était encore Notre-Seigneur Jésus-Christ. De là cette parole : « Marchez tant que vous avez la lumière[402] ». Mais ceux qui doivent errer pendant le jour, ce sont les imparfaits qui sont en lui. Eux encore n’ont vu qu’un homme dans Notre-Seigneur Jésus-Christ ; ils ont cru que la divinité n’était point cachée en lui, et que loin d’être un Dieu caché, il était simplement ce qu’il paraissait ; voilà ce qu’ils ont cru. Pierre, en effet, et nous parlons de lui surtout parce que nous trouvons en lui un exemple de cette faiblesse qui ne doit point nous faire désespérer, Pierre, quand Jésus demanda ce que les hommes disaient de lui, répondit : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Et le Seigneur ajouta : « Tu es heureux, Simon fils de Jona, car ni la chair ni le sang ne t’ont révélé ceci, mais mon Père qui est dans les cieux ». Pourquoi heureux ? Parce que Pierre l’a proclamé fils de Dieu. Mais au même endroit, et dans la suite du discours, le Seigneur vint à parler de sa passion qui approchait. Or, le même Pierre qui l’avait proclamé Fils de Dieu, craignit qu’il ne mourût comme fils de l’homme. Car le Christ était Fils de Dieu et fils de l’homme tout ensemble : Fils de Dieu par cette nature divine qui le rendait égal à Dieu ; fils de l’homme par cette forme de l’esclave[403] qui le rendait inférieur à son Père[404]. Il devait bientôt souffrir dans cette forme de l’esclave. Pourquoi donc Pierre craignait-il que la nature de Dieu ne pérît avec la nature de l’esclave, et n’espérait-il pas au contraire que la nature de l’esclave ressusciterait avec la nature divine ? A « Dieu ne plaise », lui dit-il, « Seigneur, veillez sur nous ». Et le Seigneur, de cette même voix dont il l’avait appelé bienheureux : « Arrière, Satan », lui dit-il, « tu ne comprends pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes[405] ». Parce qu’il avait dit « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant », il entendit cette réponse : « Ni le sang ni la chair ne te l’ont révélé, mais mon Père qui est dans le ciel » ; c’est par là que tu es Pierre, que tu es bienheureux. Maintenant que sa réponse ne venait point de la révélation du Père, mais de la faiblesse de la chair, il est appelé Satan. « Tu ne comprends pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes ». Ainsi dit le Christ, mes frères ; il avait vécu au milieu d’eux, il avait commandé aux vents[406], il avait devant eux marché sur les flots[407], sous leurs yeux encore il avait ressuscité un mort de quatre jours[408], sous leurs yeux il avait opéré de si grandes merveilles, et néanmoins ils furent saisis de crainte au moment de sa passion, comme s’ils eussent perdu celui en qui ils auraient mis une vaine confiance. Mais « c’est pendant le jour qu’ils doivent s’égarer, et personne parmi eux ». Personne, pas même celui qui a dit : « Avec vous jusqu’à la mort ». Le Christ avait dit en effet : « Voici l’heure que vous me laisserez seul, et que chacun ira de son côté. Mais je ne suis point seul, car mon Père est avec moi[409] ». Son Père était avec lui, et il était avec son Père ; comme son Père était en lui, et lui en son Père ; et son Père et lui ne sont qu’un[410] ; et ses disciples craignent à sa mort. Pourquoi, sinon parce qu’ils ont erré pendant le jour, et que nul n’est en eux ? « Ils s’égareront pendant le jour, et nul n’est en eux ».
23. Mais que signifie : « Ils s’égareront pendant le jour ? » Est-ce à dire qu’ils périront ? Que deviendrait alors : « Vos yeux ont vu mon imperfection, et tous seront écrits dans votre livre ? »[411] Quand donc se sont-ils égarés pendant le jour ? Quand ils n’ont pas connu le Sauveur qui était avec eux. Qu’est-il dit ensuite ? « Grande est à mes yeux la gloire de ceux qui vous aiment, ô mon Dieu ». Ceux-là mêmes qui se sont égarés pendant le jour, sans que personne fût en eux, sont devenus vos amis, et jouissent à mes yeux d’une gloire éclatante. Après la résurrection de leur maître, ils ont acquis cet ossement secret, et eux qui avaient tremblé lors de sa passion, eurent la force de mourir pour lui. « Grande est à mes yeux la gloire de ceux qui vous aiment, ô mon Dieu, et leurs principautés sont devenues inébranlables ». Ils sont devenus Apôtres, chefs de l’Église, conduisant les béliers du troupeau : « Et leurs principautés sont affermies d’une manière inébranlable ».
24. « Je les compterai, et ils seront plus nombreux que le sable des mers[412] ». De ces hommes qui ont erré pendant le jour, n’ayant personne avec eux, est née une si grande multitude, que, comme le sable de la mer, elle ne peut être comptée que par Dieu. Le Prophète a dit en effet : « Ils sont plus nombreux que le sable des mers », et néanmoins il venait de dire : « Je les compterai ». Et ceux qui sont comptés seront plus nombreux que le sable des mers ; or, il peut compter le sable de la mer, celui qui a compté les cheveux de notre tête[413]. « Je les compterai, et ils seront plus nombreux que le sable des mers ».
25. « Je me réveille, et je suis encore avec vous ». Qu’est-ce à dire, je me lève, et me voilà encore avec vous ? Voilà que je suis mort, que j’ai été enseveli, et bien que je sois ressuscité, ils ne comprennent pas encore que je sois avec eux. « Je suis encore avec vous », c’est-à-dire, pas encore avec eux, puisqu’ils ne me connaissent point encore. Il est dit en effet dans l’Évangile qu’après la résurrection du Sauveur, les disciples ne le reconnurent point aussitôt quand il leur apparut. On peut encore donner un autre sens. « Je me suis levé et je suis encore avec vous », désignerait le temps pendant lequel Jésus-Christ demeure caché à la droite de son Père, avant qu’il se manifeste dans cette gloire dont il doit briller en venant juger les vivants et les morts.
26. Il va nous dire ensuite ce que le mélange des pécheurs, et le schisme de l’hérésie doit lui faire endurer dans son corps qui est l’Église, pendant cet intervalle de temps, qui s’écoule depuis sa résurrection, alors qu’il est à la droite de son Père. Voici ce qu’il dit en effet : « Si vous mettez à mort l’impie, ô mon Dieu, hommes de sang retirez-vous de moi ; car tu diras en toi-même : c’est en vain qu’ils prendront leurs villes[414] ». Il semble qu’on doive construire ainsi la phrase : « Si vous donnez la mort au pécheur, c’est en vain qu’ils prendront leurs villes ». Car le Prophète regarde comme frappés de mort les hommes à qui l’enflure de l’orgueil fait perdre ta grâce qui est la vie. « L’Esprit-Saint en effet évite le déguisement dans la discipline, et se dérobe aux esprits sans intelligence[415] ». La mort des pécheurs vient donc de ce que leur intelligence, obscurcie par les ténèbres, les éloigne de la vie de Dieu, L’orgueil étouffe en eux la confession de leurs fautes ; ils meurent, et voilà que se réalise en eux cette parole : « Pas plus dans un mort que dans un homme qui n’existe point, il n’y a de confession[416] ». C’est là prendre en vain leurs villes, c’est-à-dire leurs peuples vains, qui s’attachent à leurs vaines pratiques. Orgueilleux de leur renommée de justice, ils entraînent le peuple à rompre le lien de l’unité, et se font suivre comme plus justes par des aveugles et des ignorants. Or, comme ils prennent souvent occasion de se séparer de l’unité du Christ en blâmant les méchants, avec lesquels ils feignent de ne point vouloir de communion ; comme il peut se faire qu’ils ne flétrissent pas seulement les coupables dont ils semblent vouloir éviter la malice, mais qu’ils disent encore le mal véritable de ceux qui leur ressemblent, et parmi lesquels gémit le froment du Christ, tout en gardant le lien de l’unité[417], voilà que le Prophète s’interrompt pour s’écrier : « Loin de moi, hommes de sang ; car tu diras dans ta pensée : C’est en vain qu’ils s’empareront de leurs villes » ; c’est-à-dire, ce qui sera cause qu’ils séduiront leurs peuples pour les porter au schisme, et les corrompre par leurs propres vanités, « c’est que tu diras dans ta pensée : Hommes de sang, éloignez-vous de moi ». C’est-à-dire qu’en punition de leur orgueil, l’âme de ces pécheurs sera mise à mort, et dès lors c’est en vain qu’ils s’empareront de leurs cités, ou de leurs peuples, en les retranchant de l’Église, pour les entraîner dans la vanité de leurs erreurs ; et ainsi choqués par le mélange des pailles, ils brisent l’unité et se séparent du bon grain. Le Prophète avertit donc le bon grain, ou les véritables fidèles, de ne point se séparer ouvertement des méchants avant que l’aire soit vannée, de peur d’abandonner les bons qui sont encore parmi eux, mais de dire en quelque sorte tacitement, par une vie pure et une conduite bien différente : « Loin de moi, hommes de sang ». C’est en effet le langage que tient le bon grain par la voix de Dieu, voix qui est dans notre pensée, comme Dieu le tient dans la pensée de son peuple saint. Mais quels sont, mes frères, les hommes de sang, sinon les hommes de haine ? Selon cette parole de saint Jean : « Celui qui hait son frère est homicide[418] ». Ces pécheurs donc, mis à mort, ne pouvant comprendre comment, dans la pensée des bons, Dieu dit aux méchants : « Hommes de sang, éloignez-vous de moi », leur font un crime de leur communion avec les méchants, et en se séparant d’eux à cause de ces calomnies, « ils prennent en vain leurs cités ». Cette parole que les bons ne disent aux méchants que dans leur pensée, se fera entendre ouvertement dans ce dernier jour, quand notre chef élevant la voix : « Je ne vous ai jamais connus », leur dira-t-il, « éloignez-vous de moi, vous tous ouvriers d’iniquité[419] ».
27. Et maintenant, dit le corps du Christ, ou l’Église, pourquoi ces calomnies des superbes, comme si les péchés des autres pouvaient me souiller ? pourquoi se séparer de moi « afin de prendre en vain leurs cités ? N’ai-je point haï, ô mon Dieu, ceux qui vous haïssaient[420] ? » Pourquoi ces hommes plus méchants veulent-ils me forcer à une séparation corporelle des méchants, me faire arracher le bon grain avec l’ivraie, avant le temps de la moisson[421] ; me détourner de supporter la paille avant que l’aire soit vannée[422] ; me porter à déchirer le filet de l’unité, avant que tous les poissons soient parvenus à la fin des siècles, comme sur le rivage où l’on fait le discernement[423] ? Ces sacrements que je reçois sont-ils des méchants ? Tolérer leur vie et leurs mœurs, est-ce donc communiquer avec eux ? « N’ai-je donc point haï, ô mon Dieu, ceux qui vous haïssaient ? N’ai-je point séché de dépit à la vue de vos ennemis ? » Quand le zèle de votre maison me dévorait[424], n’est-ce point avec dégoût que je voyais les insensés ? Un profond ennui ne s’emparait-il pas de moi, à la vue de ceux qui délaissaient votre loi[425] ? Quels sont, en effet, vos ennemis, sinon les hommes qui témoignent par leur vie qu’ils haïssent vos préceptes ? Et puisque je les hais, pourquoi ceux qui s’emparent en vain de leurs villes s’en viennent-ils me calomnier, et rejeter sur moi les péchés de ceux que je déteste, et au sujet desquels m’enflammait de dépit mon zèle pour la maison de Dieu ? Mais alors, que devient ce précepte « Aimez vos ennemis ? » Sont-ce vos ennemis qu’il faut aimer, et non ceux de Dieu ? « Faites du bien », est-il dit, « à ceux qui vous haïssent[426] ». Il n’est point dit : À ceux qui haïssent Dieu. De là cette parole de l’interlocuteur : « N’ai-je point haï, Seigneur, ceux qui vous haïssaient ? » Il ne dit point : Ceux qui me haïssent. Et encore. « La vue de vos ennemis m’irritait », et non des miens. Mais ceux qui nous haïssent, qui sont nos ennemis, précisément parce que nous servons Dieu, ne haïssent-ils pas le Seigneur, ne sont-ils pas ses ennemis ? De tels ennemis, ne devons-nous donc pas les aimer ? N’est-ce point au nom du Seigneur qu’ils souffrent persécution, ceux à qui il est dit : Priez pour ceux qui vous persécutent ? Écoute ce qui suit.
28. « Je les poursuis d’une haine parfaite ». Que signifie une haine parfaite ? Je haïssais en eux l’iniquité, j’aimais ce que vous y aviez fait. Poursuivre d’une haine parfaite, c’est ne point haïr les hommes à cause de leurs vices, ne point aimer les vices à cause des hommes. Vois, en effet, ce qu’ajoute le Prophète « Ils sont devenus mes ennemis ». Ils ne sont plus ennemis de Dieu seulement, ils sont ses ennemis. Comment donc accomplir à leur égard ce qu’il a dit lui-même : « Je les poursuivais d’une haine parfaite » ; et ce précepte du Seigneur : « Aimez vos ennemis ? » Comment accomplir ces prescriptions, sinon au moyen de cette haine parfaite qui porte à les haïr parce qu’ils sont injustes, à les aimer, parce qu’ils sont hommes ? Dans l’Ancien Testament, quand le peuple charnel était retenu dans le devoir par les châtiments visibles, comment haïssait les pécheurs cet homme qui appartenait par l’esprit au Nouveau Testament, ce Moïse, fidèle serviteur de Dieu, qui priait pour eux, et comment ne les haïssait-il point, lui qui leur donnait la mort, sinon qu’il les haïssait d’une haine parfaite ? Il avait pour l’iniquité qu’il châtiait une haine si parfaite, qu’il aimait en même temps le coupable jusqu’à prier pour lui.
29. Maintenant donc que le corps du Christ gémit pour un temps parmi les pécheurs dont il sera séparé au dernier jour : maintenant que ces pécheurs sans vie, calomniant les bons au sujet de leur mélange avec les méchants, et se séparant eux-mêmes des bons et des innocents, bien plus encore que des méchants, prennent en vain leurs villes, au point qu’il reste néanmoins beaucoup de méchants qui ne les suivent point dans leur schisme, qui demeurent dans cette confusion, pour exercer la patience des bons, que fera dans cet état de choses le corps du Christ, qui produit par la patience[427] trente, soixante, et jusqu’à cent pour un ? Que fait cette Épouse du Christ au milieu des filles, comme le lis au milieu des épines ? Que dit-elle ? Quelle est sa pensée ? Quelle est la beauté intérieure de cette fille du roi[428] ? Écoute sa prière : « Eprouvez-moi, ô Dieu, et connaissez mon cœur[429] ». Éprouvez vous-même, ô mon Dieu, et connaissez ; que ce ne soit point l’homme, ni l’hérétique : ils ne sauraient m’éprouver, ni connaître mon cœur où pénètrent vos regards, ce qui vous montre que je ne donne aucun assentiment aux actes des pécheurs, tandis qu’ils s’imaginent que les péchés des autres peuvent me souiller. Voyez encore lorsque, dans mon exil si lointain, je gémis avec le Prophète dans un autre psaume, c’est-à-dire que je garde la paix avec ceux qui la haïssent[430], jusqu’à ce que je parvienne à la vision de la paix, ou à cette Jérusalem qui est notre mère, l’éternelle cité des cieux, les voilà qui pointillent, qui calomnient, qui se séparent, qui « reçoivent leurs villes », non pour l’éternité, mais pour la vanité. « Éprouvez-moi donc, ô Dieu, et connaissez mon cœur ; sondez-moi, et connaissez mes sentiers ». Que veut dire le Prophète ? Écoutons la suite.
30. « Et voyez s’il y a en moi quelque trace d’iniquité ; conduisez-moi dans la voie éternelle[431] ». « Sondez mes sentiers », dit le Prophète, c’est-à-dire mes desseins et mes pensées : « Et voyez s’il y a en moi quelque trace de l’iniquité », soit que je l’aie commise, soit que j’y aie consenti : « Et conduisez-moi dans la voie éternelle » Qu’est-ce à dire, sinon conduisez-moi dans le Christ ? Qui est, en effet, la voie éternelle, sinon celui qui est aussi la vie éternelle ? Or, celui-là est éternel qui a dit : « Je suis la voie, la vérité et la vie[432] ». Si donc vous trouvez dans mes voies quelque chose qui déplaise à vos yeux, parce que ma voie est mortelle ; pour vous, « conduisez-moi dans la voie éternelle », où l’on ne voit nulle injustice : « Si quelqu’un, en effet, vient à pécher, nous avons pour avocat auprès du Père, Jésus-Christ qui est juste. C’est lui qui intercède pour nos péchés[433] » ; c’est lui qui est la voie éternelle sans aucune faute, et la vie éternelle sans châtiment.
31. Il y a là une grande figure, mes frères. De quelle manière l’Esprit parle-t-il avec nous ? Comment fait-il nos délices dans l’obscurité de cette nuit ? Pourquoi, mes frères, je vous le demande, ces vérités ont-elles plus de douceurs à proportion de leur obscurité ? Dieu, par d’ineffables secrets, nous prépare un breuvage d’amour. Il donne un tour admirable à ses paroles, en sorte que, dussions-nous dire ce que vous savez déjà, la connaissance vous en paraît nouvelle, parce qu’on le tire de passages qui vous paraissaient obscurs, Ne saviez-vous point, en effet, mes frères, qu’il nous faut tolérer les méchants dans l’Église de Dieu, sans y faire aucun schisme ? Ne saviez-vous point déjà que dans ce filet, qui contient de bons et de mauvais poissons, il faut demeurer jusqu’à ce que le filet soit amené sur le rivage, et qu’il ne faut point le déchirer ; que sur le rivage seulement on fera la séparation, afin de mettre les bons poissons dans des vaisseaux, et de jeter les mauvais ? Voilà ce que vous saviez, sans toutefois comprendre ces versets de notre psaume : je vous ai expliqué ce que vous ne compreniez pas, et vous y avez trouvé ce que vous saviez.

DISCOURS SUR LE PSAUME 139[modifier]

SERMON PRÊCHÉ AU PEUPLE DANS UNE ASSEMBLÉE D’ÉVÊQUES.[modifier]

L’ÉGLISE AU MILIEU DES MÉCHANTS.[modifier]

Quiconque appartient au Christ doit soupirer après la justice, mais non se séparer des méchants dont le discernement n’appartient qu’à Dieu. Aimons dans les méchants ce que Dieu a fait, haïssons ce qu’ils font.

« Pour la fin », ou pour le Christ fin de la loi, « à David », ou au Christ, fils de David selon la chair. L’homme méchant dont l’interlocuteur veut être délivré, c’est le diable, appelé aussi l’homme ennemi ; c’est encore l’homme vicieux qui se nuit à lui-même et aux autres par l’exemple, homme que nous devons essayer de corriger. Il médite le crime, et m’oppose la guerre ou des projets que je dois combattre, il aiguise sa langue et a le venin du serpent dans ses paroles hypocrites ; il cherche à supplanter mes démarches, c’est-à-dire ou à m’arrêter dans la voie de Dieu, ou à m’en faire sortir. Leur opposer la prière. Les superbes ou suppôts de Satan cachent leurs pièges contre le juste, s’efforçant de l’entraîner, comme Satan entraîna l’homme. Au lieu de porter envie au juste, soyez justes, la volonté suffit. Ce piège de cordes tendu par les méchants, c’est le péché ajouté à lui-même, fil par fil, non fil droit mais tordu ; piège tendu, e long des préceptes ; suivons ceux-ci, nous éviterons l’autre. Le Prophète veut que le Seigneur écoute la voix, ou la vie de sa prière, et non un vain son. Il en appelle à Dieu contre les scandales, demande la véritable force qui le fera persévérer, lui donnera la résistance des martyrs, lui fera voir le piège. Ceux qui sont pris dans le cercle de l’erreur tourneront sans fin, s’épuiseront à mentir, seront exposés aux charbons ardents, qui consumeront les uns, rallumeront les autres.

Ce grand parleur qui ne peut subsister, c’est l’homme qui se jette au-dehors, qui cherche l’occasion de paraître ; aimons l’intérieur, n’instruisons que par nécessité. Le mal qui s’attaque à l’homme d’iniquité lui donne la mort, au juste il meurtrit la chair sans atteindre l’âme. Le pauvre auquel Dieu fera justice est celui qui a faim et soif de la justice, et qui obtiendra l’objet de ses désirs ; les justes confesseront le nom du Seigneur, c’est-à-dire qu’ils n’attribueront rien à leur propre justice, mais tout à la divine miséricorde, et à cause de leur justice, ils verront Dieu.


1. Mes seigneurs et frères[434] m’ont ordonné, et par eux le Seigneur de tous, de vous exposer ce psaume autant qu’il m’en donnera la force. Puisse-t-il exaucer vos prières, et mettre dans ma bouche ce que je dois dire, ce que vous devez entendre, et qu’ainsi la parole de Dieu nous soit avantageuse à tous. Si elle ne l’est pas quelquefois pour tous, c’est que tous n’ont pas la foi[435]. Or, cette foi est dans l’âme comme une racine vivace qui permet à la pluie d’aboutir au fruit ; tandis que l’infidélité, les erreurs du diable, et les mauvais désirs qui sont la racine de tous les maux[436], ressemblent aux racines de l’épine qui changent en pointes aigués la bienfaisante rosée.
2. Vous avez remarqué, je crois, ce que contient le psaume, quand on le chantait c’est une plainte, un gémissement, c’est une prière qu’adresse à Dieu le corps du Christ confondu avec les méchants. C’est toujours lui qui parle dans ces sortes de prophéties c’est lui qui est pauvre, qui n’est point rassasié, qui a pour la justice[437] cette faim et cette soif que Dieu promet de rassasier un jour. Mais, jusqu’à ce moment, qu’il ait faim, qu’il ait soif ici-bas, qu’il gémisse, qu’il frappe et qu’il cherche. Qu’il résiste aux charmes de l’exil, ne regarde point comme sa patrie ce siècle dont le Christ est venu nous délivrer. Car le Christ a voulu devenir notre tête, la tête d’un certain corps ; puisqu’on ne saurait donner le nom de tête à ce qui n’a point un corps dont il soit le chef. Donc, si le Christ est la tête, c’est qu’il y a un corps dont il est la tête. Or, la sainte Église est le corps de ce chef auguste, et nous en sommes les membres, si nous aimons notre chef. Écoutons donc les paroles de ce corps, c’est-à-dire les nôtres, si nous sommes dans le corps du Christ ; quiconque n’en est point, fait nombre avec ceux au milieu desquels il gémit. Dès lors, ou bien tu feras partie du corps, tu gémiras au milieu des méchants, ou bien tu ne seras point de ce corps mystique, et alors tu feras partie des méchants parmi lesquels ce corps gémit aujourd’hui ; tu seras donc ou membre dans le corps du Christ, ou ennemi du corps du Christ. Or, ces ennemis du corps du Christ, ou ses adversaires, ne doivent pas s’entendre dans un même sens, et n’agissent point de la même manière. Celui qui règne en eux, qui s’en fait des instruments, est plein d’astuce. Toutefois, le Christ en délivre beaucoup de sa tyrannie et ils se rangent parmi ses membres ; il n’appartient qu’à celui qui les a rachetés de son sang et à leur insu, de les connaître et d’en connaître le nombre. D’autres, sans appartenir au corps du Christ, persévèrent dans leur malice et sont connus de celui à qui rien n’est inconnu. Mais en attendant, comme ceux qui ont leur place parmi ses membres, sans être arrivés à la résurrection future, laquelle mettra fin à tout gémissement et fera place à la louange, de laquelle toute affliction disparaîtra, pour être remplacée par une éternelle allégresse ; comme ceux-là ne possèdent point ce bonheur en réalité, mais seulement en espérance, ils gémissent dans leur impatience, ils supplient Dieu de les délivrer des méchants, parmi lesquels sont forcés de vivre les bons eux-mêmes. Chacun, en effet, n’est pas libre de s’en séparer en toute sûreté ; celui-là seul qui ne peut se tromper doit en faire le discernement. Qu’est-ce à dire, qui ne peut se tromper ? Qui ne saurait mettre le méchant à gauche, et le bon à droite. Pour nous, tant que nous sommes en cette vie, il nous est difficile de nous connaître nous-mêmes ; combien serions-nous téméraires de nous prononcer au sujet des autres ? Tel est méchant aujourd’hui, et nous ne savons ce qu’il sera demain ; tel que nous haïssons est peut-être notre frère, et nous ne le savons pas. Nous pouvons donc en sûreté haïr dans les méchants leur malice, et aimer la créature de manière à aimer l’œuvre de Dieu, à haïr l’œuvre de l’homme ; car c’est Dieu qui a fait l’homme, et c’est l’homme qui a fait le péché ; aime alors ce que Dieu a fait, et hais ce qu’a fait l’homme ; et tu poursuivras ainsi l’œuvre de l’homme, en dégageant l’œuvre de Dieu.
3. « Pour la fin, psaume à David[438] ». Ne cherchons d’autre fin que la fin marquée par saint Paul : « Le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront[439] ». Donc, lorsque le psaume nous dit : « Pour la fin », que vos cœurs se tournent vers le Christ. Le titre d’un psaume est comme un héraut qui nous crie : Il viendra, c’est de lui que je parle, c’est le Christ que je vais chanter. Et par ces mots : « A David lui-même », je n’entends que celui qui viendra dans la lignée de David selon la chair[440]. Car le nom rappelle ici la race, race de David selon la chair, race bien supérieure à David selon l’esprit ; race antérieure non plus à David, mais à Abraham[441] ; non plus à Abraham, mais à Adam ; non plus à Adam, mais au ciel, à la terre, à tous les anges, à toutes les Puissances, à toutes les Vertus, aux choses visibles et aux choses invisibles. Pourquoi ? C’est que pour exister, « toutes choses ont été faites par lui, sans qui rien n’a été fait[442] ». C’est donc parce qu’il est de la lignée de David, non point en sa divinité, puisqu’en elle il est le créateur de David ; mais seulement selon la chair, qu’il a daigné prendre le nom de David dans les prophéties ; envisageons la fin, puisque c’est à « David lui-même » que l’on chante notre psaume ; écoutons la voix de son corps, et soyons membres de ce même corps. Que la voix que nous avons entendue soit notre voix ; prions et disons ce qui suit.
4. « Arrachez-moi, Seigneur, au pouvoir de l’homme méchant[443] » ; non pas d’un seul, mais de toute la race ; non pas de ses instruments seulement, mais du prince même, c’est-à-dire du diable. Mais pourquoi dit-il de l’homme, si c’est du diable ? C’est que lui-même est appelé homme d’une manière figurée : « L’homme ennemi vint et sema de l’ivraie par-dessus » ; et quand les serviteurs viennent demander au Père de famille : « N’avez-vous pas semé de bon grain ? d’où « vient qu’il y a de l’ivraie ? » il répond : « C’est l’homme ennemi qui a fait cela[444] ». C’est donc de cet homme méchant que tu dois de tout ton pouvoir demander à Dieu ta délivrance ; « car tu n’as pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les Principautés et contre les Puissances, contre les princes des ténèbres de ce monde, c’est-à-dire contre les princes des pécheurs[445] ». C’est ce que nous avons été nous-mêmes ; écoutons en effet ce que dit l’Apôtre : « Autrefois vous étiez ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur[446] ». Devenus lumière, non pas en nous, mais dans le Seigneur, prions non seulement contre les ténèbres, c’est-à-dire contre les pécheurs qui sont encore au pouvoir du diable ; mais contre le diable qui est leur prince, et qui agit dans les enfants de l’incrédulité[447]. « Délivrez-moi de l’homme injuste » ; c’est-à-dire du méchant qui est aussi injuste. Il est appelé méchant, par cela même qu’il est injuste : et ne croyons pas qu’un homme injuste puisse être bon. Il est beaucoup d’hommes injustes qui ne paraissent nuire à personne, qui n’ont ni cruauté, ni aigreur, qui ne persécutent, qui n’affligent personne : et néanmoins ils sont injustes, d’une autre manière, parce qu’ils sont adonnés à la luxure, à l’intempérance, à la débauche. Comment serait innocent cet homme qui se nuit à lui-même ? Car être innocent, c’est ne pas nuire ; on ne l’est plus dès qu’on se nuit. Et comment un homme qui se nuit peut-il ne pas te nuire ? Mais, diras-tu, en quoi me nuit-il ? Il n’en veut pas à mon bien, il n’attente pas à ma vie ; il se repaît de ses débauches, met sa joie dans ses voluptés ; mais s’il a de honteux plaisirs, ils ne flétrissent que lui-même ; que m’importe, dès lors qu’il ne m’offense point ? Il t’offense du moins par son exemple, car il vit près de toi et t’invite à faire ce qu’il fait. Quand tu le vois prospérer malgré ses dérèglements, n’es-tu point porté à aimer ses actes ? Si tu ne cèdes point à ses désirs, il te donne au moins occasion de résister. Comment donc cet homme ne te nuisait-il en rien, puisque tu ne surmontes qu’avec peine l’impression qu’il a faite en ton cœur ? Tout homme injuste est donc un méchant, il faut qu’il nuise, ou par ses flatteries, ou par ses violences. Quiconque le rencontrera, quiconque tombera dans ses pièges, éprouvera combien est dangereux ce qu’il croyait innocent. Les épines, mes frères, ne blessent point dans leur racine ; arrache-les de terre, touche cette racine, et vois si tu ressens aucune douleur ; et néanmoins ce qui te meurtrit à la surface, vient de cette racine. Ne vous laissez donc point surprendre par ces hommes flatteurs et inoffensifs en apparence, mais adonnés aux plaisirs de la chair, esclaves de leurs honteuses convoitises ; ne vous laissez point surprendre. Quelle que soit leur douceur en apparence, ils sont des épines par la racine. Souvent ils consomment dans la débauche tout ce qu’ils possèdent, et quelle fureur ensuite à recouvrer ce qu’ils ont dissipé ! Vont-ils reculer devant la rapine, devant les projets de fraudes, les machinations de friponnerie ? Tu vois déjà la méchanceté de cet homme, que tu croyais inoffensif. Tu voyais en lui un ivrogne, et il te paraissait homme de bien ; tu le vois voleur, tu crains d’être volé ; les épines sont sorties de la racine. Lorsque les racines te paraissaient douces, tu devais les brûler, si tu le pouvais, il n’en serait point sorti de quoi te meurtrir aujourd’hui. Vous donc, mes frères, qui êtes le corps du Christ et ses membres, qui gémissez au milieu des méchants, quand vous rencontrerez de ces hommes qui se laissent entraîner à des passions criminelles, à de pernicieuses voluptés, n’épargnez ni le blâme, ni le châtiment, ni le feu. Brûlez la racine, afin qu’il n’en sorte aucun aiguillon. Si vous ne le pouvez, soyez assurés qu’ils seront un jour vos ennemis. Ils peuvent garder le silence, ils peuvent dissimuler leurs iniquités, ils ne sauraient vous aimer. Et dès lors qu’ils ne sauraient vous aimer que par haine pour vous, ils doivent chercher à vous nuire ; votre langue et votre cœur doivent dire à Dieu : « Délivrez-moi, Seigneur, de l’homme du mal, délivrez-moi de l’homme injuste ».
5. « Ils ont médité le crime dans leur cœur[448] ». Que vous importe que leur langue n’ose point dire au-dehors, si la haine est dans leur cœur ? Le Prophète nous tient ce langage à cause de ceux qui n’ont sur les lèvres que des paroles de douceur. Ils ont la parole du juste, mais non le cœur du juste. Pourquoi, en effet, le Prophète ajouterait-il « Dans leur cœur ils ont médité le crime ? » Délivrez-moi de ces hommes, signalez votre puissance en m’arrachant à leurs mains. Il est aisé de se défendre contre des inimitiés déclarées, il est aisé de se soustraire à un ennemi évident et manifeste, qui montre son iniquité sur ses lèvres ; mais celui-ci est dangereux, parce qu’il est caché ; il est difficile à éviter, parce que la douceur est sur ses lèvres et le mal dans son cœur. « Dans leur cœur ils ont médité le crime : tout le jour ils « projetaient des guerres contre moi ». Qu’est-ce à dire, « des guerres ? » Ils m’opposaient chaque jour des choses que je devais combattre. Car c’est du cœur de ces hommes que sort tout ce que doit combattre un chrétien. Sédition, schisme, hérésie, trouble, contradiction, tout cela ne sort que des pensées que l’on tenait secrètes, alors que le bien était sur les lèvres. « Tout le jour ils m’opposaient des guerres ». Tu entends des paroles de paix, mais le dessein belliqueux n’abandonne point leurs cœurs. Car « tout le jour » signifie sans interruption, ou tout le temps.
6. « Ils ont aiguisé leur langue comme celle du serpent[449] ». Vous cherchez encore l’homme en eux, mais voyez à quoi ils ressemblent. Le serpent a le plus de ruse, le plus d’habileté pour nuire ; c’est pour cela qu’il se glisse. Il n’a pas même de pieds qui vous laissent entendre sa marche. Sa route est marquée d’une traînée qui paraît douce, mais qui n’est pas droite. Il se coule doucement, il rampe afin de nuire ; ainsi ces hommes renferment un venin caché sous une douceur apparente. De là cette parole du Prophète : « Ils ont sous les lèvres le venin de l’aspic ». Le Prophète nous dit ici sous les lèvres, afin de nous montrer que sous les lèvres et sur les lèvres sont bien différents. Il stigmatise ouvertement ces hommes, quand il dit ailleurs : « Ils ont des paroles de paix avec leur prochain, et le mal est dans leurs cœurs[450] ».
7. « O Dieu, défendez-moi contre la main des pécheurs, délivrez-moi des hommes injustes[451] ». Ceux-ci sont connus, ils sont visibles ; il n’est point nécessaire ici de comprendre, mais d’agir, il faut prier sans demander qui ils sont. Mais le Psalmiste nous montre dans la suite comment nous devons prier contre ces hommes. Il en est qui prient contre les méchants d’une manière imparfaite. « Ils ont résolu de me faire tomber », dit le Prophète. Cela peut s’entendre encore d’une manière charnelle. Chacun a son ennemi, qui cherche à le tromper dans une affaire, à s’emparer de son argent, quand ils ont commerce ensemble ; chacun a son ennemi dans son voisin, qui cherche à lui nuire dans sa maison, à lui causer quelque dommage, qui médite la ruse, qui a recours àla fraude, qui cherche à nuire par toutes les machinations que lui suggère le diable » cela est hors de doute. Ce n’est point contre ces maux qu’il faut nous mettre en garde, mais contre leurs embûches pour nous attirer à eux, c’est-à-dire pour nous séparer du corps de Jésus-Christ et nous faire entrer dans leur corps. De même, en effet, que le Christ est le chef des bons, de même le diable est le chef des méchants. « Ils ont résolu de supplanter mes démarches ». Qu’est-ce à dire, « supplanter mes démarches ? » Ce n’est point pour te tromper dans une affaire que tu as avec lui, ni pour te tendre quelque piège dans un procès que tu soutiens coutre lui. Mais il a supplanté tes démarches, s’il t’a empêché de marcher dans la voie de Dieu, s’il t’a fait chanceler quand tu marchais droit, s’il t’a fait tomber dans la voie, ou jeté hors de la voie, ou retardé dans la voie, ou fait reculer dans la voie. Agir ainsi contre toi, c’est te supplanter, te tromper. Arme-toi de la prière contre de semblables pièges, afin de ne point perdre le patrimoine du ciel, ni ton héritage avec le Christ ; car tu dois vivre éternellement avec Celui qui t’a fait son cohéritier, Tu n’es pas, en effet, l’héritier d’un homme à qui tu doives succéder à la mort, mais de celui avec qui tu dois vivre dans l’éternité.
8. « Les superbes ont caché les pièges qu’ils me dressent[452] ». Le Prophète comprend eu un seul mot le corps du diable, quand il dit « les superbes ». De là vient que souvent ils se disent justes, en dépit de leurs iniquités. Delà rien de plus pénible pour eux que l’aveu de leurs fautes. Dans la fausseté de leur justice ils doivent nécessairement porter envie aux vrais justes. Car nul ne porte envie à un autre dans ce qu’il ne veut pas être en effet, ou du moins paraître. L’un porte envie à tes richesses, ou bien parce qu’il désire ces richesses qu’il t’envie, Ou bien parce qu’il veut paraître riche ; un autre porte envie à ton illustration, à ta noblesse, ou bien lui-même aspire à un rang distingué, ou veut que l’on croie à sa distinction. Il en est ainsi de tous les biens, ou du moins de tout ce que le monde regarde comme des biens ; un homme envie chez toi ce qu’il voudrait, ou posséder, ou même posséder à un degré supérieur, ou dont il veut se donner les apparences. Or, ceux qui n’ont qu’une fausse justice veulent se donner les apparences de la justice véritable ; et dès lors s’ils rencontrent un juste, ils doivent lui porter envie et s’efforcer de lui faire perdre ce dont ils se glorifient. De là viennent toutes les séductions, toutes les trahisons. Tel fut tout d’abord le dessein du diable qui, après sa chute, fut jaloux de l’homme demeuré fermé : et comme il a perdu le royaume des cieux[453], il ne voulut point que l’homme y parvînt, il ne le veut point encore ; tous ses efforts sont d’empêcher l’homme d’arriver au ciel d’où lui-même est tombé. Comme donc il est orgueilleux, et dès lors comme il est envieux à cause de son orgueil, tous les membres dont il est la tête sont orgueilleux et jaloux. Armons-nous de la prière contre lui qui ne saurait se convertir, mais en faveur de ceux qui le peuvent encore, et disons à l’homme injuste : Pourquoi, dans ton injustice, porter envie à l’homme juste ? Afin de te donner à toi-même l’apparence de la justice ? Prends la voie la plus courte, fais le bien, et tu paraîtras facilement ce que tu seras en effet. Sois juste, et tu aimeras celui dont tu étais jaloux ; tu seras toi-même ce qu’il t’est pénible de voir en lui, tu t’aimeras en lui, et lui en toi. Ni ton envie contre le riche ne te donnera le pouvoir d’être riche, ni ton envie contre un homme illustre, un noble sénateur, ne te donnera l’illustration et la dignité, ni ton envie contre un homme doué de beauté, ne t’embellira toi-même, ni ton envie contre un homme courageux ne te donnera du courage ; mais si tu portes envie au juste, il ne tient qu’à toi, sois ce qu’il t’est pénible de voir dans un autre. Ce que tu n’es point, et ce qu’est un autre, ne s’achète point, cela se donne gratuitement et promptement : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[454] ».
9. Ces hommes superbes m’ont donc caché un piège ; ils ont cherché à supplanter mes démarches, et qu’ont-ils fait ? « Ils ont tendu devant mes pieds des filets de cordes ». Quelles cordes ? C’est là une expression des saintes Écritures, et nous en trouvons le sens quelque part. Ce fut avec des cordes que Jésus fat un fouet pour chasser du temple ceux qui le profanaient par le trafic[455], nous montrant ainsi ce que signifient les cordes car chacun est lié par les cordes de ses péchés[456] », dit ailleurs l’Écriture. Et Isaïe nous dit clairement : « Malheur à ceux qui traînent leurs péchés comme une longue chaîne[457] ». Pourquoi les appeler une chaîne ? Parce que tout pécheur qui persévère dans le péché ajoute au péché des péchés nouveaux : et quand il devrait se corriger par l’aveu, il l’augmente en défendant ses fautes, ce que la confession aurait pu dissiper, et souvent du péché qu’il commet il prétend se faire un rempart contre ceux qu’il a commis. Tel a commis un adultère, et il médite un homicide pour n’être point tué lui-même ; au péché il ajoute le péché. S’il a commis un homicide, au lieu d’un crime, il craint pour deux ; et quand il voit ses craintes se multiplier, au lieu de diminuer ses crimes, il pense au contraire à en ajouter de nouveaux ; il a recours aux maléfices, et c’est son troisième crime. Une fois qu’on arrive à ce point, où est le pécheur qui réfléchit, qui termine la chaîne de ses péchés ? Elle est donc bien une corde ; et, en effet, filer une corde c’est y ajouter des fils, et non des fils droits, mais retors. Ainsi le crime ajouté au crime, est une corde qui se prolonge, et le pécheur ne songe point à rompre son malheureux tissu, il n’est occupé qu’à l’augmenter, à l’étendre, à l’allonger ; en sorte qu’à la fin le voilà pieds et mains liés, et jeté dans les ténèbres extérieures[458]. Tels sont donc les péchés qu’ils tendent comme des filets aux justes, quand ils les veulent entraîner au mal qu’ils font eux-mêmes. De là le mot du Prophète : « Ils ont tendu devant mes pieds des filets de cordes » ; c’est-à-dire : ils me veulent faire tomber au moyen de leurs péchés. Mais où sont tendus ces pièges ? « Le long des sentiers ils ont mis des pierres d’achoppement ». Non pas dans les sentiers, mais près des sentiers. Vos sentiers sont les préceptes du Seigneur ; or, ils ont placé des pièges le long de ces sentiers ; pour toi, ne t’en écarte pas, tu ne tomberas point dans ces scandales, Ne viens pas dire : Si Dieu leur défendait de me tendre des pièges le long des sentiers, ils n’en tendraient point. Il a permis au contraire qu’ils missent le long des sentiers ces pierres de scandale, pour t’empêcher de t’écarter du sentier. « Le long des sentiers ils ont placé des pierres de scandale ».
10. Qu’ai-je à faire ? Quel remède au milieu de tant de maux, de tant d’épreuves, de tant de périls ? « J’ai dit au Seigneur. « Vous êtes mon Dieu ». Ceux-là sont des hommes, et n’ont rien de commun avec moi ; mais vous, Seigneur, vous êtes Dieu, et mon Dieu. « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu[459] ». Sainte prière qui donne la confiance. Mais Dieu n’est-il pas aussi leur Dieu ? De qui n’est-il pas Dieu, celui qui est le Dieu véritable ? Il l’est néanmoins plus particulièrement de ceux qui jouissent de lui, qui le servent, qui se font un bonheur de lui être soumis. Il est vrai que les méchants lui sont soumis également, en dépit de leur orgueil. Mais les uns appellent Dieu pour les couronner, les autres veulent secouer son joug parce qu’il doit les condamner. Quant à l’homme d’iniquité, qui ne veut point avoir le Seigneur pour son Dieu, où fuira-t-il le Dieu de tous ? Le bien pour lui est de se convertir au Dieu de tous, et par cette conversion d’en faire son Dieu, et au milieu de tant de criminels, de séducteurs, d’hypocrites, d’orgueilleux, de dire à Dieu devenu son Dieu par sa conversion : « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, Écoutez, e Seigneur, la voix de mes supplications », Ces paroles sont simples, faciles à comprendre ; et pourtant il y a un certain intérêt à se demander pourquoi le Prophète n’a pas dit : « Écoutez ma prière », et comment il semble donner plus d’expression au sentiment de son cœur, quand il dit : « La voix de ma prière », ce qui donne la vie à ma prière, ce qui l’anime, non point le son de mes paroles, mais la vie de mes paroles. Tout autre bruit sans âme peut bien s’appeler un son ; mais pas une voix. La voix, en effet, est le propre des êtres animés, vivants. Combien sont nombreux ceux qui prient Dieu, sans avoir le sentiment de Dieu, une pensée digne de Dieu ! Ils peuvent avoir le son de la prière, mais non la voix de la prière, puisque leur prière est sans vie. Elle avait donc une voix, la prière de notre interlocuteur ; car il vivait, il comprenait que Dieu était son Dieu, il voyait qu’il le délivrerait, et il sentait de quels maux il serait délivré.
11. Pour la signaler donc à l’oreille de Dieu, qu’il s’écrie : « Seigneur, Seigneur ». Vous Seigneur, Seigneur, c’est-à-dire vous qui êtes véritablement Seigneur, non Seigneur à la manière des hommes, non Seigneur comme ceux qui achètent à prix d’argent, mais Seigneur qui nous avez rachetés de votre sang. « Seigneur, Seigneur, vous, la force de mon salut[460] » ; c’est-à-dire qui donnez la force à mon salut. Qu’est-ce à dire « la force de mon salut ? » Le Prophète se plaignait des scandales et des pièges des pécheurs, de ces hommes pervers apostés par le diable pour aboyer autour de lui et tendre des embûches, de ces orgueilleux jaloux des justes, au milieu desquels nous sommes forcés de vivre tant que nous sommes ici-bas dans l’exil. Le Sauveur lui-même nous a prédit qu’il y aura beaucoup de semblables scandales quand il dit : « L’iniquité doit abonder, et parce que l’iniquité abondera, la charité se refroidira dans plusieurs ». Mais il ajoute, pour nous consoler : « Quiconque aura persévéré jusqu’à la fin sera sauvé[461] ». L’interlocuteur a donc tout considéré, et saisi de crainte à la vue de tant d’iniquités, il se réfugie dans l’espérance ; car celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin. Il fait des efforts pour persévérer, et voyant combien la route est longue et difficile, il invoque celui qui lui ordonne de persévérer, afin d’obtenir la persévérance parfaite. Je serai certainement sauvé, dit-il, si je persévère jusqu’à la fin ; mais la persévérance qui seule peut me donner le salut est une force ; vous donc, Seigneur, qui êtes la force de mon salut, c’est vous qui me faites persévérer pour arriver au salut. « Seigneur, Seigneur, vous êtes la force de mon salut ». Mais d’où vient que j’espère que vous êtes pour moi la force du salut ? « Votre ombre a protégé ma tête au jour du combat ». Maintenant encore je suis en guerre ; guerre au-dehors contre les faux justes, guerre au dedans contre mes convoitises : « Car je vois dans mes membres une autre loi, contraire à la loi de l’esprit, et qui me tient captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur[462] ». Donc, fatigué de cette guerre, il jette les yeux sur les faveurs de Dieu, et comme la chaleur du combat épuise ses forces, il semble qu’il trouve un ombrage qui lui rend la vie : « Votre ombre a protégé ma tête au jour du combat », c’est-à-dire dans l’ardeur du combat, de peur que je ne fusse épuisé par la fatigue.
12. « Seigneur, en considération de mon désir, ne m’abandonnez pas au péché[463] ». C’est le bien que doit me procurer votre ombrage ; il éteindra en moi les ardeurs qui me consumeraient. Et quelle force aurait contre moi l’impie en dépit de ses fureurs ? Les méchants ont sévi contre les martyrs, ils les ont emmenés, chargés de chaînes, jetés en prison, frappés du glaive, exposés aux bêtes, consumés dans les flammes. Voilà ce qu’ils ont fait ; mais Dieu ne les a point livrés aux pécheurs, parce qu’ils ne s’y sont point livrés par leur désir. Telle est donc la grâce qu’il faut demander à Dieu de toutes tes forces : c’est que Dieu ne te livre point au pécheur en t’abandonnant à ton désir, car ton désir ouvre l’entrée au diable. Le voilà qui te propose un gain et te porte à la fraude ; mais sans fraude ce gain est impossible : ce gain c’est l’appât, la fraude c’est l’hameçon. Attention à l’appât, afin de voir l’hameçon ; tu ne saurais avoir le gain sans la fraude ; mais commettre la fraude, c’est se prendre à l’hameçon. Et toutefois je n’entends pas le mot se prendre dans ce sens qu’on te découvrira : on peut échapper, oui échapper aux hommes ; mais à Dieu, est-ce possible ? Tu seras donc pris et livré, et mis à mort ; car tout homme qui agit de la sorte est son propre bourreau. C’est là qu’est l’appât, là qu’est l’hameçon : refrène tes désirs, tu échapperas au piège ; mais te laisser dominer par la convoitise de l’appât, c’est te mettre le cou dans le piège, et tu seras la proie du vautour des âmes : « Ne me livrez point au pécheur, en m’abandonnant à mon désir ». C’est là l’ombrage au jour du combat. L’ardeur produit le désir ; mais ce désir est tempéré par l’ombre du Seigneur, afin que nous puissions refréner notre fougue, et que notre ardeur ne nous entraîne point dans le piège. « Ils ont formé des desseins contre moi : ne m’abandonnez pas, de peur qu’ils ne s’en glorifient ». Le Psalmiste nous dit ailleurs : « Ceux qui m’affligent seront dans l’allégresse, s’ils me voient ébranlé[464] ». Ainsi en est-il d’eux, parce qu’il en est ainsi du diable. Qu’il séduise l’homme, le voilà qui se réjouit, qui triomphe : il s’élève parce que l’homme est abaissé. Mais pourquoi cet abaissement de l’homme, sinon parce qu’il a eu le tort de s’élever ? Or, celui qui triomphe de sa chute sera humilié. Tel est le sort, en effet, de tous ceux qui mettent leur joie dans le mal on les voit pour un temps se glorifier, s’enorgueillir, lever la tête. N’ayez aucune part dans leur joie, ils ont l’appât dans la bouche et l’hameçon en même temps. Leurs délices feront leur perte. « Ne m’abandonnez pas, de peur qu’ils ne s’en élèvent », c’est-à-dire, de peur qu’ils ne s’enorgueillissent, qu’ils ne triomphent de moi.
13. « Le commencement de leur circuit, le travail de leurs lèvres les couvrira[465] ». Pour moi, dit le Prophète, je serai couvert par l’ombre de vos ailes ; car vous m’avez préparé un ombrage pour le jour de la guerre. Mais eux, qui les couvrira ? « La tête de leur circuit », c’est-à-dire l’orgueil. Qu’est-ce à dire : leur circuit ? C’est-à-dire qu’ils tourneront sans fin et ne s’arrêteront jamais, qu’ils marcheront dans le cercle de l’erreur, dont la route est sans bornes. Quiconque s’avance dans un chemin droit, a son point de départ et son arrivée ; mais dans un cercle on n’arrive jamais. Tel est le labeur des impies, dont il est dit plus clairement dans un autre psaume : « Les impies marchent dans un cercle[466] ». Mais la tête ou le commencement de leur circuit, c’est l’orgueil. Et comment l’orgueil est-il « ce labeur de leurs lèvres ? » C’est que tout orgueilleux est dissimulé, et que tout homme dissimulé est menteur[467]. Or, mentir est un travail pour l’homme ; car la vérité on la pourrait dire très facilement. La peine consiste à rendre un mensonge vraisemblable. Car si l’on veut dire la vérité, c’est chose facile, puisque la vérité se dit sans effort. C’est donc de cet homme que le Prophète a dit à Dieu Votre ombre me protégera, Seigneur ; mais pour eux, leur mensonge les couvrira, et ce mensonge est le travail de leurs lèvres. « Voilà qu’il a mis au monde l’injustice : il a conçu la douleur et a enfanté l’iniquité[468] ». Toute œuvre mauvaise porte sa peine, et toute œuvre perverse que l’on médite, a pour guide le mensonge ; car la vérité ne se trouve que dans le bien. Et parce que chacun se trouve mal à l’aise dans le mensonge, que dit la Vérité ? « Venez à moi, vous tous qui êtes dans la peine et dans l’accablement, et je vous soulagerai[469] ». C’est la même voix qui nous dit dans un autre psaume : « Enfants des hommes, jusques à quand serez-vous pesants de cœur ? pourquoi vous éprendre de la vanité et rechercher le mensonge[470] ? » Voyez plus clairement ailleurs la peine du mensonge : « Ils ont appris à leur langue à dire le mensonge, ils se sont fatigués à commettre l’iniquité[471] ». « Le commencement de leur détour, la peine de leurs lèvres les couvrira ».
14. « Des charbons ardents tomberont sur eux, sur la terre, et vous les rejetterez[472] ». Que veut dire sur la terre ? Encore en cette vie, ici-bas, « des charbons de feu tomberont sur eux, et vous les rejetterez ». Quels sont ces charbons de feu ? Nous connaissons des charbons ; mais sont-ils différents de ceux dont nous allons parler ? Ceux-ci me paraissent un châtiment, tandis que ceux dont nous avons parlé sont un moyen de salut. L’Écriture, en effet, nous parle de charbons à propos d’un homme qui cherche du secours contre es langues trompeuses : « Que vous donnera-t-on, ou comment vous défendre contre une langue trompeuse ? Les flèches aiguës du Tout-Puissant avec des charbons désolateurs[473] », c’est-à-dire la parole de Dieu qui traverse les cœurs, y fait mourir le vieil homme et naître l’amour, les exemples des hommes qui sont morts pour reprendre une vie nouvelle, qui étaient noircis par le vice, et ont brillé par la vertu. Des charbons, en effet, sont les ténèbres, la couleur l’indique. Mais quand la flamme de la charité en approche, et qu’ils revivent de morts qu’ils étaient, qu’ils écoutent ce que leur dit saint Paul : « Vous étiez autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur[474] ». C’est sur de tels charbons, mes frères, que nous jetons les yeux quand, blessés par les flèches du Seigneur, nous voulons changer de vie, et que nous en sommes détournés par les langues perverses des hommes, dont le Prophète se plaignait tout à l’heure. Ils s’efforcent de nous éloigner de la voie de la vérité, de nous porter à préférer leurs erreurs, et noms disent que si nous entreprenons une vie plus sainte, nous ne pourrons achever. Nous jetons alors les yeux sur ces charbons, et voilà que celui qui n’était hier qu’un ivrogne est sobre aujourd’hui ; tel hier était adultère, qui aujourd’hui est chaste ; tel autre voleur hier est aujourd’hui bienfaisant. Ce sont là tous des charbons de feu. Or, l’exemple de ces charbons nous fait des blessures avec les flèches du Seigneur, et je ne crains pas de dire blessures, quand l’Épouse des Cantiques s’écrie : « L’amour m’a blessé[475] ». Alors la paille est incendiée, et de là vient que ces charbons sont appelés désolateurs. Ils consument le foin, mais ils purifient l’or. L’homme alors passe de la mort à la vie, et devient lui-même un charbon ardent, comme autrefois l’Apôtre, qui d’abord était persécuteur, blasphémateur, véritable ennemi, un charbon noir et éteint ; mais une fois qu’il eut obtenu miséricorde[476], il fut rallumé par le souffle du ciel ; la voix du Christ lui donna une vie nouvelle, nulle tache de noirceur ne demeura en lui, et il embrasa les autres de la flamme qui embrasait son cœur. Est-ce donc ainsi qu’il nous faut comprendre ces charbons de feu qui doivent tomber suries méchants, et les renverser ? Rien ne nous empêche de l’entendre ainsi. J’entrevois dans ces paroles un sens qui est assez probable, et irrépréhensible. J’entends que ces charbons tomberont sur eux pour les renverser, mais ils tomberont sur les uns pour les allumer, sur les autres pour les renverser. Car ce charbon rallumé l’a dit : « Aux uns, nous sommes une odeur de mort pour la mort ; aux autres, une odeur de vie pour la vie[477] ». Ils voient les justes au cœur enflammé, à la lumière éclatante, et l’envie contre eux les fait tomber. Voilà ce que signifient ces charbons de feu qui tombent sur eux sur la terre, et qui les renversent. Qu’est-ce à dire, sur la terre ? Pendant qu’ils sont encore en cette vie ; outre cette peine qui est réservée aux impies, ces charbons les renversent, avant qu’ils encourent les flammes éternelles. « Des charbons enflammés tomberont sur eux, ici-bas, et les renverseront. Ils ne pourront subsister dans leurs misères ». Le malheur fondra sur eux, et ils ne pourront le supporter ; quant au juste, il se tient debout dans le malheur, comme se tient debout celui qui nous dit « Nous nous glorifions dans nos tribulations, sachant que la tribulation engendre la patience, la patience la pureté, la pureté l’espérance ; or, l’espérance n’est point confondue, parce que l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[478] ». Mais sur les hommes dont nous parlons, que l’affliction, que la misère tombe sur eux, et ils ne peuvent la supporter, ils tombent, Et quand ils ne peuvent supporter les malheurs qui viennent tondre sur eux, ils tombent dans le crime, parce qu’ils sont livrés au pécheur, abandonnés à leurs désirs.
15. « Le grand parleur ne marchera point droit sur la terre[479] ». Le grand parleur aime le mensonge. Quel est en effet son plaisir, sinon de parler ? Peu lui importe ce qu’il dise, pourvu qu’il parle. Or, un tel homme ne saurait toujours marcher droit. Mais, comment doit être un serviteur de Dieu enflammé de ces charbons, et devenu lui-même un charbon salutaire ? Il doit se plaire à écouter plus qu’à parler, comme il est écrit : « Que tout homme soit prompt à écouter, lent à parler[480] ». Il doit même désirer, s’il est possible, de n’être point obligé de parler, de répondre, d’enseigner. Car je le dis à votre charité, mes frères, si nous vous parlons maintenant, c’est pour vous instruire. Combien vaudrait-il mieux que nous fussions tous instruits, que nul n’ait rien à enseigner à l’autre ; qu’il n’y eût ni l’homme qui parle ni l’homme qui écoute, mais que tous fussent occupés à écouter celui-là seul à qui il est dit : « Vous me ferez entendre une parole de joie et d’allégresse[481] ». Aussi Jean ne se réjouissait-il ni de ce qu’il prêchait, ni de ce qu’il parlait, mais de ce qu’il écoutait. « L’ami de l’Époux, dit-il en effet, se tient debout et l’écoute, et s’il tressaille à cette voix de l’Époux[482] ». Je dirai en un mot, mes frères, à votre charité comment chacun doit s’éprouver sur ce point : il ne s’agit pas de ne jamais parler, mais de le faire quand le devoir l’exige ; que l’on ait dans le cœur l’amour du silence, et que l’on soit prêt à instruire au besoin. Or, quand faut-il instruire ? Quand on rencontre un ignorant, un homme sans instruction. Qu’un homme se plaise à instruire, il sera toujours bien aise de rencontrer un ignorant ; mais avoir la charité, vouloir l’instruction pour tous, ce n’est plus désirer qu’il y ait des ignorants à instruire ; alors exercer la science, ou faire preuve de science, ne sera plus une œuvre volontaire, mais une œuvre de nécessité. Que ta joie soit d’écouter Dieu ; que la nécessité seule t’engage à parler ; et tu ne seras point le grand parleur que l’on ne saurait diriger. Pourquoi vouloir parler, sans vouloir écouter ? Toujours être dehors, sans jamais rentrer en toi-même ? Celui qui t’instruit est dans ton cœur ; mais, pour toi, instruire c’est sortir de toi-même pour parler à ceux qui sont au-dehors. Or, c’est à l’intérieur que nous écoutons la vérité, et nous parlons à ceux qui sont au-dehors de notre cœur. Dire en effet que nous avons dans le cœur ceux à qui nous pensons, c’est dire que nous en avons une certaine image intérieure. Car s’ils étaient au dedans de nous, ils sauraient ce qui est dans notre cœur, et ils n’auraient aucun besoin de notre parole. Mais si tu aimes l’action du dehors, crains aussi l’orgueil du dehors, crains de ne pouvoir entrer par la porte étroite, de peur que Dieu ne puisse te dire : « Entre dans la joie de ton maître[483] » ; et comme tu as aimé ce qui était au-dehors, crains au contraire qu’il ne te dise : « Liez-lui les mains et les pieds, et jetez-le dans les ténèbres extérieures[484] » ; parole qui nous apprend que c’est un mal d’être jeté à l’extérieur, un grand bien de rentrer à l’intérieur. Que dit-il en effet au bon serviteur ? « Entre dans la joie de ton maître ». Et au méchant serviteur ? « Jetez-le dans les ténèbres extérieures ». N’aimons donc point ce qui est au-dehors, mais ce qui est à l’intérieur. Mettons notre joie dans l’intérieur ; quant à l’extérieur, subissons-le, mais dégageons-en notre volonté. « Le grand parleur ne marchera pas droit sur la terre ».
16. « Le mal poursuivra l’homme inique pour la mort ». Les maux fondent sur lui, et il ne saurait subsister ; voilà pourquoi le Prophète s’écrie qu’ils le poursuivront comme des chasseurs à sa mort. Le mal est venu fondre sur beaucoup d’hommes de bien, sur beaucoup de justes ; le mal a paru les rencontrer. Au contraire, il dit ici que le mal les poursuivra, parce que chacun cherche à se dérober au mal ; mais quand il en est surpris, il en devient comme la proie. Toutefois, n’y a-t-il que le méchant qui se dérobe au méchant, quand il en est poursuivi ? N’est-il pas dit aux bons : « S’ils vous poursuivent dans une ville, fuyez dans une autre[485] ? » Donc, quand les méchants persécutaient les bons ou les martyrs, quand ils s’en rendaient maîtres, ils les chassaient, comme dit le Prophète, mais non pour la mort. La chair a été meurtrie, l’âme couronnée ; l’âme a été expulsée de la chair, mais la chair n’a rien subi qui pût nuire à l’avenir. La chair a été brûlée, a été frappée, a été déchirée ; mais pour être dans les mains du persécuteur, était-elle arrachée des mains du Créateur ? Celui qui l’a créée de rien ne peut-il point lui donner un état meilleur ? Donc, en saisissant les justes, les méchants fondaient sur eux comme des chasseurs, mais non pour leur mort. Mais pour ces hommes grands parleurs, et qui ne marchent pas droit, le mal fondra sur eux pour les détruire entièrement. Pourquoi ? Parce qu’ils ne subsisteront pas dans leur misère.
17. « Je connais que le Seigneur fera justice au pauvre[486] ». Ce pauvre n’est donc point grand parleur. Car le grand parleur veut l’abondance, et ne peut souffrir la pauvreté. Ceux-là sont pauvres à qui le Prophète a dit : « Frappez et l’on vous ouvrira, cherchez et vous trouverez, demandez et il vous sera donné[487] ». Celui-là est pauvre, dont il est dit : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés[488] ». Ils gémissent parmi les scandales des méchants, ils en appellent à leur chef, afin qu’il les délivre de l’homme méchant, qu’il les arrache à l’homme de l’iniquité, aux mains des hommes injustes. Tels sont les hommes dont le Seigneur ne dédaignera point la cause : quelles que soient leurs afflictions en cette vie, leur gloire doit éclater quand leur chef apparaîtra. Parce que ces hommes sont sur la terre, saint Paul leur dit « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ[489] ». Nous sommes donc des pauvres, notre vie est cachée, appelons notre pain céleste. Car il est un pain vivant qui descend du ciel[490], et celui qui nous fortifie en chemin nous rassasiera dans la patrie. Maintenant il rétablit nos forces afin de nous faire vivre. Mais il nous faut endurer la faim jusqu’à ce que nous soyons rassasiés. « Je connais que le Seigneur fera justice au pauvre et vengera l’indigent ». Il montrera aux hommes d’iniquité comme il aime ses pauvres. Ce que le Prophète appelle riches, ce sont les orgueilleux ; ce qu’il nomme pauvres, ce sont les humbles ; il appelle riches ceux que l’abondance dispense de chercher, pauvres ceux que leurs désirs font soupirer. Dieu leur fera justice.
18. « Toutefois les justes confesseront votre nom[491] ». Quand vous prendrez leur cause en main, quand vous leur rendrez justice, ils confesseront votre nom ; ils n’attribueront rien à leurs mérites, mais ils attribueront tout à votre miséricorde. « Toutefois les justes confesseront votre nom ». Et quand ils confesseront votre nom de manière à ne rien attribuer à leur justice, quelque grande qu’elle soit, comment se fera-t-il qu’ils dresseront leur cœur ? Tourner leur cœur vers eux-mêmes, c’est le rendre tortueux ; le tourner vers Dieu, c’est le redresser. Dès lors, où trouveront-ils leur bien, leur repos, leur joie, leur félicité ? En eux-mêmes ? Non, mais en celui qui les a fait lumière. « Maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur[492] », dit saint Paul. Vois ce que dit ensuite le Prophète, vois sa conclusion : « Les hommes droits habiteront dans votre face ». Ils n’ont habité en eux-mêmes que pour leur perte, leur félicité sera d’habiter dans votre face. Aimer leur face, c’était manger leur pain à la sueur de leur front[493]. Qu’ils reviennent, essuyant leur sueur, mettant fin à leurs travaux et à leurs gémissements, et votre face, ô mou Dieu, leur donnera l’abondance. Ils ne chercheront rien de plus, parce qu’il n’est rien de meilleur, ils ne s’éloigneront plus de vous, et vous ne les éloignerez plus. Qu’est-il dit en effet du Christ après sa résurrection ? « Vous me comblerez de joie par la lumière de votre face[494] ». S’il ne nous montrait sa face, Dieu ne serait point notre joie. Ce qui nous porte à purifier notre face, c’est l’espoir de jouir de la face de Dieu. « Car nous sommes les enfants de Dieu, et ce que nous serons ne nous apparaît pas encore ; nous savons que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui ; car nous le verrons tel qu’il est[495]. Puisque les justes habiteront dans la lumière de son visage ». Faut-il croire que ce sera la face du Père, et non celle du Fils ? ou bien la face du Fils et non celle du Père ? Doit-on admettre que le Père, le Fils et l’Esprit-Saint n’ont en quelque sorte qu’une même face ? Voyons si le Fils ne nous aurait point promis de nous montrer sa face pour combler notre joie. C’est Dieu lui-même qui nous a fait lire ce passage de l’Évangile, qui est proprement la confirmation de notre psaume. Voici en effet ce que dit le Sauveur : « Celui qui écoute mes préceptes et les met en pratique, est celui qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et moi je l’aimerai, et me montrerai à lui »[496]. Quelle récompense nous promet-il, mes bien-aimés ? Ne le voyaient-ils donc pas, ceux à qui il promettait de se montrer ? N’était-il pas devant eux ? Ne voyaient-ils pas son visage en sa chair ? Comment voulait-il se montrer à ceux qui le voyaient ? Mais les disciples le voyaient tel que les Juifs le crucifièrent ; or, un Dieu était caché dans cette chair et les hommes pouvaient voir un homme, mais non un Dieu, quoiqu’il fût dans cet homme ; car « Bienheureux ceux dont le cœur est pur, parce qu’ils verront Dieu[497] ». Il mettait donc sous les yeux des justes et des impies la nature humaine, mais il réservait aux saints et aux hommes purs de voir la nature divine ; afin d’être notre joie et de nous réserver dans la lumière de sa face un bonheur sans fin.


DISCOURS SUR LE PSAUME 140[modifier]

SERMON AU PEUPLE.[modifier]

LA CHARITÉ.[modifier]

Les vérités du salut sont répétées sous des formes variées pour les soustraire à l’ennui. Aimer Dieu et son prochain t rien de plus simple que ce précepte, qui renferme néanmoins la loi et les Prophètes, qui est tout le christianisme, qui vivifie, tandis que l’amour des méchants est une glu qui les perd.

Le Christ est la fin de la loi, et l’objet de la loi c’est la charité émanant d’un cœur pur, ce qui fait qu’elle n’existe point chez les méchants. Or, aimer le prochain selon Dieu, c’est la vraie charité à laquelle se réduit tonte l’Écriture, c’est-à-dire au Christ qui parle dans notre psaume. S’il y a quelque chose qui puisse paraître indigne de lui, cela s’applique à son corps qui lui est uni. C’est donc au nom de tous ses membres qu’il crie vers Dieu, surtout à son agonie, et que l’Église crie jusqu’à la fin du monde. Cette élévation des mains, comme le sacrifice du soir, c’est la mort de Jésus sur la croix et vers le soir : il parlait alors au nom des hommes dont Dieu s’était éloigné à cause de leurs péchés. Si donc il parle des péchés, parce qu’il s’en est fait la caution, qui d’entre ses membres se croira sans péché ? Il veut à sa bouche non une barrière, mais une porte, afin de confesser ses fautes ; de ne point chercher à les défendre, comme ceux qui se justifient eux-mêmes, comme le Pharisien, moins juste que la pécheresse. Cette malheureuse accuse ses fautes et ne les rejette pas sur Dieu, comme tant d’autres, comme les élus des Manichéens, qui rejettent leurs fautes sur la race ténébreuse, combinée avec la substance divine, d’où la créature dont ils sont une portion. Dès lors le mal en eux vient de cette race, et eux sont innocents. Ils craignent d’ouvrir la terre au moyen de la charrue, de peur de déchirer Dieu lui-même ; ils sont ainsi les sauveurs de Dieu. Le juste me réprimera dans sa miséricorde, c’est-à-dire par charité, et je n’écouterai point tes flatteries des pêcheurs, ma gloire sera dans le témoignage de ma conscience. Soyons sévères contre nous, afin que Dieu nous épargne, haïssons ce que nous avons mis en nous, et dès lors nous serons en partie justes parce que nous goûterons la loi de Dieu, et en partie pécheurs, parce que nous ressentirons dans nos membres la loi de la chair. Essayons de nous réformer à l’image de Dieu ; châtions notre chair qui est pour nous comme une Épouse, afin de la recevoir un jour purifiée et immortelle. Que les louanges des pécheurs ne nous amollissent point, bientôt ils se prendront à dire : Remettez-nous nos dettes. C’est là que tout homme doit en venir, en évitant d’abord les fautes graves, puis les fautes journalières de la langue, puis enfin les imperfections dans b prière. Quant aux impies, que sont leurs sages comparés à la pierre ou au Christ, dont la parole prévaudra ; parole qui envoie les agneaux au milieu des loups, et ces agneaux sont morts à la suite de leur maître, et leur sang que l’on méprisait a fécondé l’Église. Quant à ceux qui ont manqué de courage, comme Pierre, ils en appellent à Dieu, mais ne l’accusent point et pleurent leur faute. Le Seigneur a prédit ces défaillances quand il a dit : Je suis seul jusqu’après mon passage, et après ce passage ou la Pâque, j’attirerai toutes choses à moi ; car le grain de froment sera tombé en terre pour y mourir, et alors il portera son fruit.


1. Tout à l’heure, quand on lisait l’Épître, vous avez entendu, mes frères, ce que l’Apôtre nous conseille et nous demande : « Persévérez », dit-il, « et veillez dans la prière, priant aussi pour nous, afin que Dieu nous ouvre une porte à la prédication de sa parole, afin que j’annonce le mystère de Jésus-Christ, et que je puisse le manifester comme il convient[498] ». Permettez qu’à mon tour j’use de ces mêmes paroles ; car il y a dans les saintes Écritures de profonds mystères qui sont voilés pour n’être point avilis, que l’on recherche pour s’exercer, et que l’on nous découvre pour nous servir de nourriture. Le psaume que nous venons de chanter est obscur en beaucoup d’endroits. Quand nous l’examinerons avec le secours du Seigneur, pour en tirer les vérités qu’il cache, vous reconnaîtrez dans mes paroles ce que vous connaissez déjà, mais ce qui est répété sous bien des formes, afin que la variété de l’expression sauvegarde la vérité contre tout ennui.
2. Que pouvez-vous, mes frères, apprendre et connaître de plus grand, de plus salutaire que ceci : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces et de tout ton esprit ; et tu aimeras ton prochain comme toi-même ? » De peur que ces deux préceptes ne vous paraissent peu considérables, « voilà », dit le Sauveur, « qu’ils renferment la loi et les Prophètes[499] ». Tout ce que l’on peut dès lors, ou concevoir d’utile dans l’esprit, ou proférer de la langue, ou tirer de quelque page des livres sacrés, n’a d’autre but que la charité. Or, cette charité n’est point chose commune. On dit aussi des méchants qu’ils sont liés entre eux par l’association d’une conscience criminelle ; on dit qu’ils s’aiment, qu’ils ne peuvent se séparer, qu’ils prennent plaisir à converser ensemble, qu’ils se recherchent en cas d’absence, qu’ils se réjouissent dès qu’ils se retrouvent. C’est l’amour infernal ; il est comme une glu qui ne peut que nous faire tomber, il n’a point d’ailes pour nous élever au ciel. Quelle est donc la charité que l’on distingue et qui se détache de tout ce que l’on appelle amour ? Cette charité véritable est propre aux chrétiens, et saint Paul l’a définie, et bien qu’elle soit divine et dès lors infinie, il la circonscrit dans des limites qui la séparent de tout autre amour. « La fin de la loi », dit-il, « est la charité ». Il pouvait s’en tenir là, comme en d’autres endroits, parlant à des hommes instruits, il disait : « La plénitude de la loi, c’est la charité[500] ». Il ne dit point quelle charité ; il n’en dit rien ici, parce qu’il l’a dit ailleurs. On ne saurait, on ne doit pas dire tout et à toute heure. Il dit donc simplement : « La plénitude de la loi, c’est la charité ». Qu’est-ce que la charité, diras-tu ? Quelles qualités doit-elle avoir ? Écoute un autre passage : « La fin du précepte est la charité émanant d’un cœur pur ». Voyez maintenant si cette charité qui émane d’un cœur pur existe parmi les voleurs. Un cœur pur dans la charité, c’est l’amour de l’homme selon Dieu ; puisque c’est ainsi que tu dois t’aimer toi-même, afin que la règle soit juste : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Si tu n’as pour toi qu’un amour mauvais et inutile, quel avantage reviendra-t-il à ton prochain quand tu aimeras de la sorte ? Or, comment t’aimeras-tu d’un amour mauvais ? L’Écriture nous l’insinue, elle qui ne flatte personne, qui te convaincra que, loin de t’aimer, tu vas même jusqu’à te haïr. « Celui-là hait son âme », dit-elle, « qui aime l’iniquité ». Crois-tu donc qu’aimer l’iniquité, ce soit t’aimer toi-même ? Illusion, mou frère. Aimer ainsi le prochain, c’est le conduire à l’iniquité, et ton amour sera pour lui un piège. Donc « la charité qui est selon Dieu vient d’un cœur pur, d’une bonne conscience, d’une foi sans déguisement ». La charité ainsi définie par l’Apôtre a deux préceptes : l’un d’aimer Dieu, l’autre d’aimer le prochain. Ne cherchez rien autre chose dans l’Écriture, et que nul ne vous enseigne un autre précepte. Un passage de l’Écriture a-t-il de l’obscurité, la charité y est assurément recommandée : dans un passage clair, on trouve la charité clairement. Si l’Écriture n’était jamais claire, elle ne serait point une pâture ; si elle n’était obscure, elle ne serait point un exercice. Cette charité crie d’un cœur pur, d’un cœur semblable à celui qui parle dans notre psaume ; et pour vous le dire en un mot, c’est le Christ.
3. Vous entendrez néanmoins ici des paroles qui vous paraîtront indignes de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et un homme peu instruit me croira téméraire d’avoir dit que c’est le Christ qui est l’interlocuteur de notre psaume. Comment, en effet, peut-on entendre de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de cet Agneau sans tache en qui seul on ne trouve point de péché, qui seul a pu dire en toute vérité : « Voici le prince du monde, mais il ne trouvera rien en moi[501] », c’est-à-dire aucune faute, aucun péché ; lui qui seul a payé ce qu’il n’avait point dérobé[502] ; qui seul a versé un sang innocent, ce Fils unique de Dieu, qui s’est revêtu de notre chair non pour perdre rien de ce qu’il était, mais pour nous enrichir ; comment, dis-je, peut-on entendre de lui ces paroles : « Mettez, Seigneur, une garde à ma bouche, et à mes lèvres une barrière qui les environne ; n’inclinez pas mon cœur vers les paroles de malice, pour trouver des excuses dans les péchés[503] ». Paroles dont le sens est évidemment : Seigneur, gardez ma bouche par votre loi sainte, qu’elle en soit comme la porte et la barrière, afin que mon cœur ne se laisse point aller à des paroles méchantes. Quelles paroles de malice ? Celles dont on veut couvrir ses péchés ; de peur, dit le Prophète, que je ne cherche à excuser mes fautes plutôt que de les avouer. De telles paroles ne sauraient évidemment s’appliquer à Jésus-Christ ; quels péchés a-t-il commis en effet qu’il dût confesser plutôt que défendre ? Ces paroles sont les nôtres, et néanmoins c’est bien le Christ qui parle. Mais comment est-ce Jésus-Christ qui parle, si ces paroles sont les nôtres ? Mais où est cette charité dont je vous parlais ? Ne savez-vous point que c’est elle qui nous unit avec Jésus-Christ ? Cette charité crie du fond de nos cœurs vers Jésus-Christ, et du cœur de Jésus-Christ vers nous. Comment la charité va-t-elle de nos cœurs au Christ ? « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé[504] ». Comment, du cœur de Jésus-Christ, vient-elle jusqu’à nous ? « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ?[505] » Vous êtes le corps et les membres du Christ[506], nous dit l’Apôtre. Si donc il est la tête et nous le corps, ce n’est qu’un seul homme qui parle ; eh ! soit la tête, ou les membres, ce n’est qu’un même Christ. La tête doit parler au nom des membres ; voyez ce qui se passe d’ordinaire, d’abord comment il n’y a que notre tête qui parle au nom des membres voyez ensuite comment elle parle au nom de tous les membres. Qu’on te marche sur le pied, la tête crie aussitôt : Tu marches sur uni. Qu’on te blesse à la main, c’est encore la tête qui dit : Tu me blesses. Nul n’a touché la tête, mais elle répond en vertu de l’union des membres. La langue est dans la tête ; elle prend le rôle de tous les membres et porte la parole au nom de tous. Écoutons donc le Christ qui nous parle dans ce sens, et que chacun, demeurant uni intimement au corps du Christ, reconnaisse en lui sa propre voix. Il tiendra parfois un langage où nul d’entre nous ne pourra se reconnaître, qui ne conviendra qu’à ce Chef auguste, et toutefois il ne se sépare point de nous pour ne parler que d’une manière propre à lui seul ; et quand il a parlé en son nom, il ne dédaigne point de parler comme nous. C’est de lui et de l’Église qu’il est dit : « Ils seront deux dans une seule chair[507] ». C’est pourquoi lui-même a dit à ce sujet dans l’Évangile « Dès lors ils ne sont plus deux, mais une seule chair[508] ». Ces vérités ne vous sont point nouvelles, et vous les avez entendues bien souvent, mais il est nécessaire d’y revenir selon les occasions, d’abord parce que les paroles de l’Écriture que nous expliquons sont tellement liées qu’elles sont répétées en beaucoup d’endroits, ensuite parce que cette répétition a son utilité. Les soins de cette vie ont leurs épines, qui étouffent la bonne semence ; et le Seigneur a dû nous répéter ce que le monde nous fait oublier.
4. « Seigneur, j’ai crié vers vous, exaucez-moi[509] ». Nous pouvons tous parler ainsi. Ce n’est point moi qui tiens ce langage, c’est le Christ tout entier. Toutefois ce langage convient plus particulièrement au corps ; car sur la terre, le Christ qui était en sa chair pria son Père, au nom de tout son corps, et pendant qu’il priait des gouttes de sang coulaient de tout son corps, comme l’affirme l’Évangile : « Pendant qu’il redoublait ses prières, il sua du sang[510] ». Que figurait le sang qui coulait de son corps, sinon les souffrances des martyrs dans toute l’Église ? « Seigneur, j’ai crié vers vous, exaucez-moi ; soyez attentif à la voix de ma prière, quand je crierai vers vous ». Tu pensais qu’après avoir dit : « J’ai crié vers vous, tu n’avais plus à crier. Tu as crié, il est vrai ; mais ne te rassure pas encore. La fin de la tribulation est la fin de tes cris mais si la tribulation doit durer dans l’Église, et dans l’Église du Christ jusqu’à la fin du monde, qu’elle ne dit pas seulement : « J’ai crié vers vous », qu’elle dise encore : « Soyez attentif à la voix de ma prière quand je crierai vers vous ».
5. « Que ma prière s’élève en votre présence comme un parfum, que l’élévation de mes mains soit comme le sacrifice du soir[511] ». Tout chrétien reconnaît que ce passage s’applique au chef qui mourut quand le jour inclinait vers le soir, qui donna sa vie sur la croix pour la reprendre, et ne la perdit point contre son gré[512]. Et toutefois il nous figurait nous-mêmes dans ce sacrifice ; quelle partie de lui était clouée à la croix, sinon celle qu’il a reçue de nous ? Et comment se pourrait-il faire que Dieu abandonnât son Fils unique, qui est avec lui un seul et même Dieu ? Et néanmoins quand cette chair si faible était clouée à la croix où notre vieil homme a été crucifié avec lui[513], dit saint Paul, ce fut dans notre humanité qu’il s’écria : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné[514] ? » Ce sacrifice du soir est donc la passion du Christ, la croix du Seigneur, la victime salutaire, l’holocauste agréable à Dieu. Ce sacrifice du soir devint à la résurrection la grâce du matin. La prière qui s’élève d’un cœur fidèle est donc le parfum qui s’élève des saints autels. Rien n’est devant Dieu plus agréable que cette odeur : qu’elle soit l’odeur de tous les fidèles.
6. « Notre vieil homme », dit l’Apôtre, « a été crucifié avec le Christ, afin que le corps du péché soit détruit et que désormais nous ne soyons plus esclaves du péché[515] ». De là vient qu’après cette parole du psaume : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné, loin de mon salut », il est dit aussitôt : « Les paroles de mes péchés ». De quels péchés, si l’on considère le chef ? Et toutefois lui-même nous montre que la parole du psaume lui appartient, puisqu’il prononça ces mêmes paroles, ce même verset. Il n’y a plus ici de conjectures humaines, et nul chrétien ne saurait recourir à la négation. Ce que je lis dans le psaume, je l’entends dans la bouche du Seigneur. Dans ce même psaume encore je retrouve ce que je lis dans l’Évangile : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os, ils m’ont regardé, ils m’ont considéré attentivement, ils ont divisé mes vêtements et tiré ma robe au sort[516] ». Tout cela était prédit, tout est accompli. « Nous avons vu ces choses comme nous les avions entendues[517] ». Si donc Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous figurait dans l’union de son corps, et qui était sans péché, a dit : « Ce sont les paroles de mes péchés », ce qu’il a dit au nom de son corps ; qui d’entre ses membres osera dire qu’il est sans péché, à moins d’avoir l’effronterie de se targuer d’une fausse justice, et d’accuser le Christ de fausseté ? Confesse donc, ô membre du Christ, ce que la tête a prononcé en ton nom. Pour nous porter à faire cet aveu, et à ne point nous croire justes en présence de celui qui est le seul juste, et qui justifie l’impie[518], il fait aussi parler son corps dans notre psaume : « Mettez, « Seigneur, une garde sûre à ma bouche, une porte qui environne mes lèvres[519] ». Il ne dit pas une barrière, claustrum, mais une porte, ostium. On ouvre et on ferme une porte : si donc c’est une porte, il faut l’ouvrir, il faut la fermer ; l’ouvrir pour avouer ses fautes : qu’on la ferme quand il s’agit de les excuser. Ce sera ainsi une porte qui gardera, et non qui ruinera.
7. De quoi nous servira cette porte qui doit nous maintenir ? Quelle prière fait le Christ au nom de ses membres ? « N’inclinez point », dit-il, « mon cœur vers les paroles de la malice ». Qu’est-ce à dire, « mon cœur[520] ? » Le cœur de l’Église, le cœur de mon corps. Écoutez ces paroles qui sont devenues une règle pour nous. « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[521] ? » et pourtant nul ne le touchait alors. « J’ai eu faim, et vous m’avez nourri ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire », et le reste. Mais eux : « Quand vous avons-nous vu avoir faim ou soif ? » Et le Christ : « Quand vous l’avez fait au moindre de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait[522] ». Il n’y a rien ici d’extraordinaire pour aucun chrétien, surtout pour ceux qui ont des règles fixes pour comprendre le reste des Écritures ; ces expressions ne les surprendront point, ou du moins ils se corrigeront promptement. Comme donc les justes doivent dire : Seigneur, pourquoi dites-vous : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ? » Quand vous avons-nous vu avoir faim ? » et que Jésus répondra : « Le faire au moindre de mes frères, c’était me le faire à moi-même » ; de même tenons ce langage au Christ dans le plus intime de notre homme intérieur, car c’est là qu’il daigne habiter par la foi[523]. Car il n’est absent d’aucun de nous, nous ne saurions l’en accuser, puisqu’il nous dit lui-même : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles[524] ». Disons-lui donc aussi nous-mêmes que c’est sa parole que nous entendons dans ce Psaume : c’est lui en effet qui dit : « L’élévation de mes mains est le sacrifice du soir », nul ne saurait le contredire. Dis-lui donc ce qui vient ensuite : « Mettez une garde à ma bouche, une porte qui retienne mes lèvres ; et n’inclinez pas mon cœur vers des paroles de malice, pour chercher des excuses dans mes péchés ». Pourquoi, Seigneur, faites-vous cette prière ? Quels péchés avez-vous à excuser ? Il nous répond : Quand le moindre des miens fait cette prière, c’est moi qui la fais ; comme il répond ailleurs : « Quand vous l’avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait[525] ».
8. Mais que deviendras-tu, ô membre du Christ, alors que ton cœur ne sera point incliné vers les paroles de malice, pour chercher des excuses au péché, avec les hommes qui commettent l’iniquité, et que tu n’auras point de part avec leurs élus ? Car voici ce qui suit : « Et je n’aurai aucune part avec leurs élus ». Quels sont leurs élus ? Ceux qui se justifient eux-mêmes. Quels sont leurs élus ? Ceux qui se croient justes et méprisent les autres, comme faisait dans le temple ce Pharisien qui disait : « Seigneur, je vous rends grâces de ce que je ne suis point comme le reste des hommes[526] ». Quels sont leurs élus ? « Si cet homme était un prophète, il saurait quelle est la femme qui est à ses pieds »[527]. Reconnaissez-vous ici le langage d’un autre Pharisien qui avait invité le Sauveur, quand une femme pécheresse de cette ville vint se jeter à ses pieds ? Cette femme sans pudeur, naguère effrontée dans ses débauches, plus effrontée encore dans l’affaire de son salut, s’en vient dans une maison étrangère ; mais celui qui était à table n’était point un étranger pour elle. Elle n’était point non plus une étrangère suivant quelqu’un des conviés, mais une servante suivant son maître. Elle s’approcha de ses pieds parce qu’elle voulait suivre ses traces ; elle les lava de ses larmes, les essuya de ses cheveux. Or, quels sont les pieds du Christ, sinon ces hommes par qui il a parcouru le monde entier ? « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, qui évangélisent les biens[528] ! » Combien ont reçu ces pieds du Seigneur de manière à mériter la récompense du juste, parce qu’ils ont reçu le juste ; qui ont reçu le Prophète au nom du Prophète, afin de recevoir la récompense du Prophète ! « Et quiconque donnera à boire, seulement un verre d’eau froide à l’un des plus petits en qualité de mon disciple, en vérité je vous le déclare, il ne perdra point sa récompense[529] ». Quiconque reçoit dans ces sentiments les pieds du Seigneur, que donne-t-il, sinon tout ce qu’il a de superflu dans sa maison ? Ce n’était point sans quelque mystère qu’elle essuyait les pieds du Sauveur avec ses cheveux, parce que les cheveux sont un superflu. Tout ton superflu devient nécessaire, si tu en uses pour les pieds du Sauveur. Cette femme voulait donc être guérie, et connaissait ses plaies. Mais si la plaie est grande, le médecin est-il impuissant ? Les Pharisiens ne voulaient point que des impurs approchassent d’eux, ils évitaient le contact des pécheurs, et quand ils n’avaient pu l’éviter, ils se lavaient ; ce qu’ils faisaient presque à chaque heure, non seulement pour eux, mais pour leurs instruments, pour leurs lits, pour leurs coupes, leurs plats, ainsi que le Seigneur en fait mention dans l’Évangile[530]. Donc ce Pharisien connaissait la femme qui était venue aux pieds du Sauveur, et la repoussait de peur que sa propre sainteté n’en reçût quelque atteinte ; sa pureté n’était en effet qu’extérieure, mais non dans l’âme, et comme elle n’était point dans son âme, elle n’était que fausse à l’extérieur comme donc ce Pharisien la repoussait, et que le Seigneur ne la repoussait point, il s’imagina que le Seigneur ne la connaissait point, et il se dit en lui-même : « Si cet homme était un prophète, il connaîtrait quelle est cette femme qui est à ses pieds[531] ». Il ne dit point : il la repousserait, mais il saurait ce qu’elle est, comme si la repousser devait être la conséquence de la connaître. Donc parce qu’il ne la repoussait point, il en conclut à coup sûr qu’il ne la connaissait point. Mais le Seigneur avait l’œil sur cette femme, et l’oreille sur le cœur du Pharisien. Entendant ce qu’il pensait, il lui proposa cette parabole que vous connaissez : « Un créancier avait deux débiteurs : l’un devait cinq cents deniers, et l’autre cinquante. Et comme ils n’avaient pas de quoi payer, il fit grâce à tous deux. Or, dites lequel des deux l’aime le plus. Simon répondit : Je crois que c’est celui à qui il a le plus remis. Jésus lui dit : Vous avez bien jugé. Et, se tournant vers la femme, il dit à Simon : Voyez-vous cette femme ? Je suis entré en votre maison, et vous ne m’avez point donné d’eau pour laver mes pieds ; celle-ci a arrosé mes pieds de ses larmes, et elle les a essuyés avec ses cheveux. Vous ne m’avez point donné de baiser ; mais elle, depuis qu’elle est entrée, n’a cessé de baiser mes pieds ; vous n’avez point donné de parfum à ma tête, elle m’a oint de parfums. C’est pourquoi je vous le déclare beaucoup de péchés lui ont été remis, parce qu’elle a beaucoup aimé[532] ». Pourquoi ? Parce qu’elle a confessé ses fautes, qu’elle a pleuré, que son cœur ne s’est point incliné vers les paroles de malice pour chercher des excuses à ses péchés, qu’elle n’a point eu de part avec leurs élus, c’est-à-dire avec ceux qui défendent leurs désordres.
9. Cette femme en effet ne manquerait point d’excuses, si son cœur se tournait vers les paroles de la malice. Chaque jour, celles qui lui ressemblent par l’infamie, des femmes débauchées, des femmes adultères, criminelles, ne viennent-elles pas excuser leurs péchés ? Qu’elles ne soient point découvertes, elles nient ; qu’elles soient surprises et convaincues, que leur faute soit publique, elles ont des excuses. Avec quelle facilité elles se défendent ! combien leur excuse est prompte, sacrilège, et néanmoins ordinaire ! Si Dieu ne l’avait point voulu, je n’aurais pu le faire ! Telle est la volonté de Dieu, la volonté de la fortune, la volonté du destin. Qu’elle est loin de dire : « Seigneur, je l’ai dit : Ayez pitié de moi » ; de dire avec cette pécheresse qui vient aux pieds du médecin : « Guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous[533] », Et quels sont, mes frères, ceux qui allèguent une pareille défense ? Ce ne sont pas des ignorants, mais des savants. Ils s’asseyent, ils supputent les astres, leurs distances, leur cours, leur révolution, leur arrêt, leurs mouvements ; ils observent, ils décrivent, ils font des conjectures. On les dirait savants, grands personnages. Tous ces raisonnements savants et spécieux, c’est la défense du péché. Tu seras un adultère, parce que Vénus est pour toi ; homicide parce que Mars préside à ta naissance. C’est donc Mars qui est homicide, et non pas toi ; Vénus qui est adultère, et non pas toi ; prends garde néanmoins d’être condamné au lieu de Vénus et de Mars. Car c’est Dieu qui te condamnera, et il sait parfaitement que c’est toi qui commets ces crimes, et qui oses dire au juge qui t’a vu ce n’est pas moi. Quant à cet astrologue, à ce vendeur de fables qui sont autant de pièges, car il te fait acheter ta propre mort, car tu achètes à l’astrologue la mort à prix d’argent, toi qui refuses la vie gratuite offerte parle Christ ; que cet astrologue voie sa femme, quelque peu libre dans ses allures, échanger le coup d’œil avec des étrangers, s’asseoir souvent aux fenêtres ; n’ira-t-il pas l’en arracher, la frapper, lui donner une sévère leçon ? Que cette femme lui réponde : Frappe Vénus, si tu le peux, mais pas moi ; ne lui dira-t-il pas : Insensée ! Autre est ce qui convient à un directeur, et autre ce que l’on donne à un acheteur. Quels sont donc leurs élus ? Ce sont les élus des méchants, les élus des impies, avec lesquels nous ne devons avoir aucune part, c’est-à-dire, avec lesquels on ne doit former aucune société. Quels sont-ils encore ? Des hommes qui se croient justes, qui méprisent les autres comme pécheurs, ainsi que faisaient les Pharisiens[534] ; ou qui atténuent, qui excusent leurs fautes, quand elles ont une certaine évidence, une certaine publicité, de peur qu’on en rejette le blâme sur eux ; et qui, pour se disculper de toute action criminelle, osent tout rejeter sur Dieu qui a ainsi créé l’homme, ou ainsi disposé les étoiles, ou qui est peu soucieux de nos actions. Telles sont les offenses des élus du siècle. Mais qu’un membre du Christ, que le corps du Christ que le Christ lui-même dise au nom de son corps : « Ne détournez point mon cœur vers les paroles de malice, pour chercher des excuses ou pécher avec les hommes qui commettent l’iniquité, et je n’aurai point de part avec leurs élus ».
10. Vous le savez, mes frères, et il ne faut point le passer sous silence, on donne le nom d’élus, chez les Manichéens, à ceux qui paraissent avoir une justice plus éminente, être au premier degré de la vertu. Que ceux qui le savent s’en souviennent, ceux qui l’ignoraient l’apprendront. Les élus de Dieu, ce sont les saints, l’Écriture nous l’enseigne[535]. Mais eux ont usurpé cette qualification pour se l’approprier d’une manière particulière, et on ne les reconnaît qu’au nom d’élus. Quels sont donc ces élus ? Des hommes tels que si tu leur dis : Tu as péché, ils ont recours à ces excuses impies, pires que toutes les autres, et plus sacrilèges. Ce n’est pas moi qui ai péché, mais la gent ténébreuse. Or, quelle est cette gent ténébreuse ? Celle qui a fait la guerre à Dieu. C’est elle qui pèche, lorsque tu pèches toi-même ? Oui, répond-il, parce que je suis mêlé à elle. Mais qu’a donc craint Dieu qui t’a mêlé à elle ? Car ils disent que cette race ténébreuse se révolta contre Dieu avant la création du monde, et que Dieu, craignant que son royaume ne fût renversé par les chocs impétueux de cette race ennemie, envoya chez elles ses membres, sa substance, ce qu’il est en un mot ; s’il est de l’or, ce fut de l’or qu’il envoya ; s’il est lumière, ce fut la lumière, enfin il envoya ce qu’il est, le mêla dans les entrailles de ce peuple ténébreux, disent-ils, et en fabriqua ainsi le monde. Et nous, disent-ils, qui sommes des âmes, nous sommes faits des membres de Dieu ; mais nous sommes resserrés ici-bas dans les entrailles de ce peuple ténébreux, et toutes les fautes que l’on nous attribue sont les péchés de ce peuple. Ils paraissent en effet se laver du péché ; mais ils ne sauraient excuser ni leur Dieu de toute crainte, ni la substance même de leur Dieu de la souillure corruptible. Car si Dieu est incorruptible, s’il est immuable, s’il est au-dessus de tout changement et de toute souillure, enfin s’il est impénétrable, que peut lui faire ce peuple ténébreux ? Quelle que soit l’impétuosité de ses efforts, comment porter l’effroi chez celui qui est impénétrable, inviolable, supérieur à toute souillure, à tout changement, à toute corruption ? Si Dieu est tel que nous le disons, il est cruel, en vous jetant là, bien que vous soyez impuissants à lui nuire. Pourquoi vous y jeter ? Voilà que cette nation ténébreuse était dans l’impuissance de lui nuire en aucune façon ; et lui vous fait un tort très grave, il vous a été plus hostile que cette nation, qui pouvait, il est vrai, vous nuire à son tour. Vous avez pu être tourmentés, pu être esclaves, pu être souillés, pu être corrompus ; donc Dieu l’a pu aussi. Un morceau en quelque sorte, une faible portion de sa nature pu vaincre la masse entière. Car ce qu’il a jeté là, et ce qui est demeuré sont de même qualité ; ils l’avouent eux-mêmes ; ils reconnaissent deux substances, une substance d’une part, et une substance d’autre part. C’est ce que disent leurs livres ; s’ils le nient, on le peut lire et les convaincre.
11. Quoi donc ? pour ne rien dire de plus, mes frères, pour ne pas entrer plus avant dans ces doctrines impies et criminelles voyez dans ce commencement même sur quel terrain ils se placent pour combattre. Voyez comme ils sont terrassés, et en disant que la race ténébreuse s’est heurtée contre Dieu, eux-mêmes sont pris dans le choc de leurs paroles. Car ils n’ont aucun moyen de répliquer ou d’échapper. Mais, ô détestable, ô faux élu, tu veux défendre ton péché, afin de ne point paraître coupable, même après avoir commis quelque faute ; tu cherches à qui renvoyer ta faute, et tu la rejettes sur la race ténébreuse. Vois néanmoins si ce n’est point sur Dieu que tu la fais retomber. Car, cette nation ténébreuse que vous supposez, te dirait, si elle en avait le pouvoir, pourquoi m’accuser ? Ai-je pu, ou non, quelque chose contre Dieu ? Si, oui, je suis plus forte que lui ; si, non, pourquoi me craint-il ? S’il ne me craint point, pourquoi t’envoyer ici pour te faire tant souffrir, toi un de ses membres, toi sa substance ? S’il n’a rien craint, il est donc envieux ; et s’il n’a point la crainte, c’est la cruauté qui l’a fait agir. Quelle injustice pour lui à qui l’on ne pouvait nuire, et qui permet que l’on nuise tant à ses membres ! Ou bien pouvait-on lui nuire ? il n’était donc pas incorruptible. Et dès lors que tu veux défendre ton péché, tu ne saurais louer Dieu. La louange de Dieu ne deviendrait point ta perte, si tu ne t’élevais de la tienne. Commence donc par t’accuser, et alors tu loueras Dieu. Reprends les paroles des psaumes si en horreur chez vous, et dis : « Pour moi, j’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez ri mon âme, parce que j’ai péché contre vous ». J’ai dit : C’est moi qui ai péché, ce n’est ni la fortune, ni le destin, ni la gent ténébreuse. Si donc c’est toi qui as péché, vois comment s’élargit cette louange de Dieu, où tu étais à l’étroit quand tu voulais défendre ton péché. Il est mieux d’être à l’étroit dans tes péchés, et au large dans la louange de Dieu. Vois comme la confession de ta faute relève sa gloire ; car il est juste quand il châtie ton obstination, et miséricordieux quand il te délivre en vertu de ton aveu. « N’inclinez donc point mon cœur vers les paroles de malice, pour chercher des excuses à mes péchés », que je n’accuse plus la race ténébreuse d’avoir fait ce que j’ai fait moi-même.
12. « Avec les hommes qui commettent l’iniquité ». Quelle iniquité ? Exposons quelqu’une de leurs doctrines détestables. Écoutez une pratique abominable des Manichéens, qui est publique et dont ils font l’aveu. Ils soutiennent qu’il est mieux pour un homme d’être usurier que laboureur. Tu en demandes la raison, et ils la donnent. Vois si cette raison ne mériterait pas mieux le nom de démence. Donner son argent à usure, disent-ils, ce n’est point blesser la croix de la lumière (beaucoup ne comprennent point cette expression, mais je l’expliquerai) ; au lieu que le laboureur, disent-ils, blesse beaucoup la croix de la lumière. Qu’est-ce que la croix de la lumière, diras-tu ? Ils répondent que ce sont les membres de Dieu, qui ont été pris dans ce combat, puis mêlés au monde entier ; qui sont dans les arbres, dans les plantes, dans les herbes, dans les fruits. C’est donc blesser les membres de Dieu, que fendre la terre avec la charrue ; les blesser que arracher une herbe de la terre, les blesser que détacher un fruit d’un arbre. Et cet homme, pour ne point commettre un homicide supposé dans un champ, commet tin véritable homicide par l’usure. Il refuse un morceau de pain à un mendiant ; tu lui en demandes la cause : c’est de peur que ce pauvre ne prenne et ne lie dans la chair cette vie qui est dans le pain, et qu’ils soutiennent être un membre de Dieu, une substance divine. Mais vous donc, pourquoi mangez-vous ? N’avez-vous donc point une chair ? Pour nous, disent-ils, Manichéens éclairés par la foi, nous élus, nous purifions par nos prières et par nos psaumes cette vie qui est dans ce pain, et nous l’envoyons dans les trésors célestes. Tels sont en effet les élus, que loin d’avoir Dieu pour Sauveur, ce sont eux qui sauvent Dieu. C’est là, disent-ils, le Christ crucifié dans le monde entier. Pour moi, j’avais cru d’après l’Évangile que le Sauveur c’est le Christ ; selon vos livres, au contraire, c’est vous qui êtes les sauveurs du Christ. Voilà ce qui fait de vous des blasphémateurs, et dès lors vous ne serez point sauvés par le Christ. Quoi donc ? vous laisserez mourir de faim un mendiant, vous lui refuserez un morceau, de peur que le membre de Dieu qui est dans ce morceau ne vienne à pleurer ? Votre fausse pitié pour ce morceau de pain, vous fait commettre envers uni homme un véritable meurtre. Que sont donc leurs élus ? « N’inclinez pas mon cœur vers les paroles de la malice, et je ne communiquerai pas avec leurs élus ».
13. « Le juste me reprendra par charité, et me fera des reproches[536] ». Voyez le pécheur qui fait des aveux ; il aime qu’on le reprenne par pitié, et non qu’on lui donne de fausses louanges. « Le juste me reprendra par charité » ; s’il est juste, s’il a de la miséricorde, il me reprendra quand il me verra pécher. Voilà ce que disent quelques membres de Jésus-Christ, à propos de quelques membres du Christ ; et ils le disent dans un même corps. Le Seigneur daigne parler dans la personne de celui qui reprend, il ne méprise le rôle ni de celui qui reprend, ni de celui que l’on doit reprendre. Tous ses membres sont en lui, et c’est lui qui dit : « Le juste me reprendra ». Quel est le juste qui vous reprendra ? La tête reprend tous les membres. « Le juste me reprendra dans sa miséricorde, et me fera des reproches ». Il me réprimera, mais dans sa miséricorde ; il me réprimera, mais sans me haïr ; et il me réprimera d’autant plus qu’il n’a point de haine contre moi. Pourquoi donc l’interlocuteur en rend-il des actions de grâces ? Parce qu’il est écrit : « Reprends le sage, et il t’en aimera[537] ». Le juste me reprendra, mais sera-ce en me persécutant ? Loin de là. Il est plutôt à réprimer lui-même, s’il réprime par haine. Par quel motif réprime-t-il ? « Par charité ; et il me fera des reproches ». Par quel motif ? par charité. « Le parfum du pécheur n’oindra point ma tête ». Qu’est-ce à dire : le parfum du pécheur n’oindra point ma tête ? Ma tête ne s’élèvera point par la flatterie. Une fausse louange est une flatterie, et la fausse louange du flatteur, c’est l’huile, du pécheur. Aussi quand on s’est ri de quelqu’un par une fausse louange, dit-on communément : Je lui ai parfumé la tête. Aimez donc la réprimande charitable d’un juste, et non les louanges dérisoires du flatteur. Ayez des parfums en vous-mêmes, et vous ne rechercherez point le parfum des pécheurs. Les vierges sages de l’Évangile portaient leur huile avec elles[538], c’est-à-dire que leur conscience leur rendait témoignage. L’huile est le symbole de la gloire, elle brille au-dehors, elle a de l’éclat. Mais cette gloire doit être bonne, être une véritable gloire, afin qu’on la renferme à l’intérieur et dans les vases qui lui conviennent. Écoute ce que signifie dans des vases : « Que l’homme s’éprouve lui-même, et alors il aura sa gloire en lui-même et non dans un autre[539] ». Qui signifie dans ses vases ? Écoute le même Apôtre : « Notre gloire, en effet, c’est le témoignage de notre conscience[540] ».
14. Enfin, parce que tu es dans le corps du Christ, assujetti encore à une certaine mortalité, sois juste à tes propres yeux, sois juste coutre toi. Tu es pécheur ; venge le Seigneur contre toi, reviens à ta conscience, inflige-toi des peines, sois ton propre bourreau. De cette manière tu offres à Dieu un sacrifice. « Si le sacrifice avait pu vous plaire », dit un pécheur, « je vous l’aurais offert, mais vous ne prendrez nul plaisir à l’holocauste[541] ». Quoi donc ? Dieu n’agrée-t-il aucun sacrifice ? « Le sacrifice agréable à Dieu est l’âme brisée de douleur ; Dieu ne rejette pas un cœur contrit et humilié[542] ». Humilie donc ton cœur, brise ton cœur, sois le bourreau de ton cœur, et tu te réprimeras ainsi dans la miséricorde. Sévir contre toi, ce n’est point te haïr. Tu seras alors juste dans la partie corrigée, et pécheur dans ra partie à corriger. Tu es injuste puisque tu te déplais à toi-même, et tu es juste, à cause du déplaisir que tu éprouves de ce qui est injuste en toi. Veux-tu voir combien tu es juste ? Tu condamnes en toi ce que Dieu condamne ; tu es uni de volonté avec Dieu, et tu hais en toi, non point ce qu’il a fait, mais ce qu’il hait. Mais dès que tu hais en toi ce que tu as fait, ce que Dieu hait, et qu’il n’a point fait, tu as pour toi de la sévérité, et Dieu de la miséricorde : il t’épargnera, parce que tu ne t’es pas épargné. Depuis que tu te vois du même œil que Dieu, que tu prends plaisir dans sa loi, que tu condamnes en toi ce que la loi condamne, que tu ne vois en toi qu’avec déplaisir ce qui déplaît aux yeux de Dieu, vois combien tu es juste en cela : toutefois, depuis que tu es tombé, tu as fait ce qui déplaît à Dieu, la fragilité de tes humaines faiblesses te porte à le faire encore, tu es encore sous le poids de l’infirmité de la chair, tu gémis en ton âme d’y ressentir une révolte, et sous ce rapport tu es inique et pécheur.
15. Comment se peut-il, diras-tu, que je sois en partie juste, et en partie pécheur ? Que dis-tu là ? Nous serions embarrassés, nous croirions être en contradiction, si l’autorité de saint Paul ne nous soutenait. Écoute ce mot de l’Apôtre, afin de ne plus m’accuser en me comprenant mal : « Je me plais », dit-il, « dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur[543] ». Voilà un juste. Car n’est-ce pas être juste que se plaire dans la loi de Dieu ? Mais dès lors, de quelle manière sera-t-il pécheur ?[544] « Je vois dans mes membres une autre loi qui résiste à la loi de l’esprit, et qui m’enchaîne sous la loi du péché »[545]. Je dois encore me combattre moi-même, et je ne suis pas dans une entière conformité avec l’image de mon Créateur ; je commence à me rétablir, et ces traits que j’ai réformés rue font haïr ce qu’il y a de difforme en moi-même. Et tant que je suis ainsi, que puis-je espérer ? « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur »[546]. La grâce de Dieu, qui a commencé à retailler en toi quelques traits, la grâce de Dieu répand sa douceur, afin que chez toi l’homme intérieur se plaise dans la loi de Dieu ; ce qui a déjà commencé de te guérir achèvera sa tâche. Gémis, pendant que tu sens tes plaies, corrige-toi et sois odieux pour toi-même.
16. « Je ne combats pas », dit saint Paul, « comme si je frappais en l’air ; mais je châtie mon corps, et je le réduis en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres je ne sois réprouvé moi-même[547] ». Châtier son corps, est-ce le haïr ? Châtier un serviteur, est-ce haïr ce serviteur ? Donner la discipline à un fils, est-ce le haïr ? Et, pour aller plus loin encore : ta chair est pour toi comme une Épouse. Saint Paul dit en effet : « Nul n’a jamais haï sa propre chair ; il la nourrit au contraire, et en prend soin, comme le Christ a soin de son Église[548] ». La chair est donc pour nous comme une Épouse, et nul n’a de haine contre sa propre chair. Toutefois, qu’est-il dit ailleurs ? « La chair à des convoitises contraires à l’esprit, et l’esprit des convoitises contraires à la chair ». Ta chair s’élève donc contre toi, comme ferait une Épouse ; aime-la et corrige-la, jusqu’à ce que la paix se rétablisse entre l’âme et le corps également réformés. Quand ce bonheur arrivera-t-il ? Pourquoi t’écrier maintenant : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort[549] ? » Ton corps sera-t-il donc séparé de toi, afin que tu sois en sécurité ? Et que signifie : « Nous gémissons en nous-mêmes, attendant l’adoption, qui sera la rédemption de notre corps[550] ? » Il passera donc de la mortalité à l’immortalité, et alors il n’y aura plus de combat, la mortalité n’opposant plus de résistance. Dès lors châtie ton corps, réduis en servitude cette chair que tu recevras ensuite ; qu’elle soit maintenant en défaillance, afin de subsister alors. Elle ne peut être complètement réparée ici-bas, tant que nous portons un corps mortel. Que son poids ne te courbe point, ne te brise point : porte-la, châtie-la, corrige-la : elle sera rétablie au dernier jour. « Et parce que nul n’a jamais haï sa chair, ta chair ressuscitera. Mais comment ? Sera-ce pour lutter encore[551] ? « Il faut », dit l’Apôtre, « que ce corps corruptible soit revêtu de l’incorruption, et que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité[552] ».
17. Quand donc on nous dit : « Il me reprendra, il me corrigera », que ce juste soit ton frère, qu’il soit ton prochain, qu’il soit ton voisin, qu’il soit toi-même, c’est dans la miséricorde qu’il faut te reprendre et te corriger. « Le parfum du pécheur n’oindra pas ma tête ». Que dois-je faire, me diras-tu ? Je suis en butte à des flatteurs, qui m’assiègent constamment de leurs caresses, qui louent en moi ce qui me déplaît, qui élèvent en moi ce que je blâme, qui blâment en moi ce qui m’est cher ; des adulateurs, des trompeurs, des séducteurs. C’est un grand homme, disent-ils, que Gaïus Seius, par exemple ; c’est un grand homme, un savant, un homme sage, mais pourquoi est-il chrétien ? Il a de la science, il est lettré, il est sage. S’il est très sage, approuve-le d’être chrétien. S’il est savant, il a bien choisi. Dans cet homme que tu loues, ce qui est blâmable à tes yeux, c’est ce qui plaît aux siens. Que faire alors ? Que ces louanges ne t’amollissent point, c’est le parfum du pécheur. Mais il ne cesse de se répéter. Qu’il n’en oigne tas ta tête, c’est-à-dire que ces louanges ne te causent point de joie, n’y mets aucune complaisance, aucun assentiment, aucun bonheur ; ce pécheur apporte le parfum de la flatterie, mais ta tête n’en a pas été touchée, elle résiste à toute élévation, à toute enflure. Qu’il y ait orgueil ou enflure, cela forme un poids, et te renverse. « L’huile du pécheur n’oindra point ma tête ».
18. « Encore un peu, et ma prière subsistera dans ce qui leur fait plaisir ». Attends, dit le Christ ; c’est maintenant qu’ils me blâment. Dans les premiers temps du Christianisme, tout était blâmé chez les chrétiens. « Attends encore, et ma prière bientôt leur fera plaisir ». Le temps viendra où ces milliers d’hommes qui se frappent la poitrine auront enfin le dessus, eux qui disent : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent[553] ». Quel est le nombre de ceux qui rougissent de frapper leur poitrine ? Qu’ils nous blâment, supportons-les. Qu’ils nous blâment qu’ils nous haïssent, qu’ils nous accusent, qu’ils nous calomnient : « Bientôt notre prière leur fera plaisir » ; le temps viendra que nos prières feront leurs délices. Qu’ils s’élèvent dans leur propre force, comme s’ils étaient justes, ils succomberont dans la lutte : ils seront brisés parce qu’ils se seront élevés avec orgueil ; entraînés par leurs péchés, ils se reconnaîtront injustes, et alors s’accomplira ce qu’ont prédit les Prophètes : ils craindront le jugement, le regard de l’âme se fixera sur une conscience coupable, et ils prendront goût à cette prière : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent ». Aveugles discoureurs, qui défendez vos péchés ! voilà ce que disent aujourd’hui les peuples, et l’on entend sans cesse le brait des poitrines que l’on meurtrit. Le tonnerre se fait entendre dans ces nuées qu’habite le Seigneur. Où sont vos verbiages ? où est cette jactance : Je suis juste, je n’ai fait aucun mal ? Après avoir considéré dans les saintes Écritures les règles de la justice, quelle que soit ta piété, tu trouveras toujours en toi le péché. Tu as fait des progrès, tu adores un seul Dieu, c’est bien ; tu ne l’abandonnes point pour recourir aux idoles, aux devins, aux sortilèges, aux aruspices, aux augures, aux maléfices : ce qui est une fornication à l’égard de Dieu ; tu fais nombre déjà parmi les membres du Christ, jette donc les yeux sur les péchés qui se commettent parmi les hommes, Tu ne commets ni homicide, ni adultère avec la femme de ton voisin, tu ne fais aucune injure à ton Épouse en faveur d’une autre femme, tu n’es souillé d’aucune débauche, ta main s’abstient de tout larcin, ta langue de tout parjure, ton cœur de tout désir du bien d’autrui, déjà tu es juste. Mais prends garde au reste, et ne va point t’enorgueillir. Ta langue est-elle sans aucune faute ? ne t’échappe-t-il pas quelque parole dure ? Mais qu’y a-t-il en cela d’important ? Qu’y a-t-il d’important ? « Quiconque dira à son frère : Tu es un fou, sera condamné au feu de l’enfer ![554] ». Tout ton orgueil frémit à cette parole. Que cet homme n’agisse point de manière que Dieu paraisse blasphémé par quelque impiété, qu’il ne lui arrive de blesser personne, de faire à un autre ce qu’il ne veut point qu’on lui fasse, j’y consens ; mais sa langue ? qui la domptera ? Je suppose que tu l’as domptée, et pourtant où est l’homme assez parfait pour cela ? Mais enfin tu l’as domptée ; que diras-tu de tes pensées ? Que lire de cette foule tumultueuse de désirs qui se révoltent ? Tes membres n’en sont-ils jamais les instruments ? Je le crois néanmoins et je le vois. Cependant les pensées t’inclinent, t’enlèvent, même tandis que tu es à prier à genoux. Ton corps est prosterné, ta tête inclinée, tu confesses tes péchés, tu adores Dieu ; je vois où le corps est prosterné, et je cherche où voltige l’esprit ; je vois où les membres sont étendus, voyons si l’attention est debout, si elle est fixée sur ce même Dieu qu’elle adore ; si elle n’est pas emportée par l’ouragan des pensées, comme par un coup de vent tempétueux qui la jette çà et là. Si tu conversais avec moi, et que tu vinsses à me quitter pour parler à ton serviteur, que lirais-je ? quand même, sans me faire aucune demande, tu me parlerais comme à ton égal, ne verrais-je pas là une injure ? Or, c’est là ce que tu fais chaque jour avec Dieu. Et de qui parlé-je, mes frères ? D’un homme qui n’adore qu’un seul Dieu, qui confesse le Christ, qui sait que le Père, le Fils et le Saint-Esprit tout un seul Dieu, qui ne commet aucune fornication spirituelle en adorant les démons, qui ne leur demande aucun secours, qui se sent uni à la sainte Église catholique, dont nul ne proclame les fraudes, dont nul voisin la trop faible ne saurait se plaindre, qui ne tend aucun piège à la femme étrangère, et se contente de la sienne, ou même qui s’en abstient, se conduisant en ce point selon leçons de l’Apôtre[555], quand il y a consentement mutuel, ou qui n’est même pas engagé dans le mariage. Tel est l’homme coupable encore des fautes que j’énonce.
19. Il est donc venu le temps prédit par ces paroles : « Attendez encore, et ma prière leur fera plaisir », soit la prière que le Christ nous a enseignée, soit celle qu’il offre pour nous. Dans tous ces péchés de chaque jour, quelle est donc notre espérance, sinon de dire avec une profonde humilité de cœur cette parole de l’Oraison dominicale, qui déjà fait nos délices, et qui, au lieu de défendre nos péchés, est le langage de l’aveu : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent[556] » ; et d’avoir pour avocat auprès du Père, Jésus-Christ, qui est juste et victime de propitiation pour nos péchés[557] ? Qu’ils parlent maintenant, ces orgueilleux : ils sont vaincus par le nombre, et vaincus par la multitude des peuples, toute la terre, de l’Orient à l’Occident, bénit le Seigneur. Que peut gagner le petit nombre dans ses disputes ? Ils sont juges parmi les impies Mais qu’importe ? Vois la suite du psaume. « Auprès de la pierre, leurs juges sont engloutis[558] ». Qu’est-ce à dire qu’ils sont engloutis près de la pierre ? « Cette pierre était le Christ[559] ». Ils sont engloutis auprès de la pierre. « Auprès », c’est-à-dire si l’on compare à la pierre ces juges, ces grands, ces puissants, ces savants. On les appelle juges, comme s’ils devaient juger des mœurs et porter des décisions. Ainsi l’a dit Aristote. Mais comparez Aristote à la pierre, et il disparaît. Qui est Aristote ? Qu’il écoute, ainsi dit le Christ, et il tremble dans les enfers. Ainsi parle Pythagore, ainsi dit Platon. Comparez-les à la pierre, comparez leur autorité à l’autorité de l’Évangile, comparez ces orgueilleux au Crucifié. Disons – leur : Vous avez gravé vos écrits dans le cœur des superbes ; lui, a planté sa croix dans le cœur des rois. Enfin il est mort, et il est ressuscité ; pour vous, vous êtes morts, et je ne veux point examiner quelle sera votre résurrection. Donc « leurs juges sont absorbés auprès de la pierre ». Ils semblent parler encore jusqu’à ce qu’on les compare à cette pierre. C’est pourquoi, si nous trouvons que l’un d’entre eux a dit ce qu’a dit le Christ, nous devons nous en réjouir, mais non le suivre. Mais il a parlé avant le Christ. Dire la vérité, est-ce donc exister avant la vérité ? O homme, considère le Christ, non quand il est venu à toi, mais quand il t’a créé. Un malade aussi pourrait dire : Je suis tombé malade avant l’arrivée du médecin. Il n’est venu qu’après, sans doute ; mais il est venu parce que tu étais venu auparavant.
20. Voyez donc la suite du psaume : « Encore un peu, et ma prière fera partie de leurs délices ». Mais il y aura beaucoup de contradicteurs. « Leurs juges sont engloutis auprès de la pierre ». Ma parole a prévalu sur leurs paroles. Ils ont dit quelque chose de savant, moi j’ai dit la vérité. Autre est de louer l’éloquence, autre de louer la vérité. « Ils entendront mes paroles, parce qu’elles ont prévalu ». Pourquoi ont-elles prévalu ? Quel est celui de ces hommes que l’on a surpris dans un sacrifice, aujourd’hui prohibé par les lois, qui ne l’ait nié aussitôt ? Où est celui que l’on a surpris devant une idole, et qui n’a crié aussitôt : Je ne l’ai point fait, qui n’a craint d’être convaincu ? Tels étaient les ministres du diable. Mais comment les paroles de Dieu ont-elles pu prévaloir ? « Voilà », dit-il, « que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui ne peuvent tuer l’âme ; mais craignez celui qui peut jeter au feu de l’enfer, et l’âme et le corps[560] ». Il nous effraie, nous donne l’espérance, enflamme notre charité. Ne craignez point la mort, nous dit-il. La craignez-vous ? Je meurs le premier. Craignez-vous qu’un cheveu tombe de votre tête ? Je ressuscite le premier, et tout entier. C’est donc avec raison que vous avez entendu les paroles de votre maître qui ont prévalu, lis parlaient et on les faisait mourir ; ils tombaient et néanmoins se tenaient debout. Et qu’est-il arrivé du meurtre de tant de martyrs, sinon que la victoire a été donnée aux paroles du Maître, et que de cette terre comme arrosée du sang des témoins du Christ, a germé partout la moisson de l’Église ? « Ils entendront mes paroles », dit l’interlocuteur, « parce qu’elles ont prévalu ». D’où vient qu’elles ont prévalu ? Nous l’avons dit déjà : parce qu’elles étaient prêchées par des hommes sans peur. De quoi n’avaient-ils aucune peur ? Ni de l’exil, ni de la perte des biens, ni de la mort, ni de la croix. Non seulement ils ne craignaient pas la mort, mais ils ne craignaient pas même la croix qui est la plus terrible mort. Le Seigneur s’y soumit, afin que ses disciples non seulement ne redoutassent point la mort ; mais afin que nul genre de mort ne pût les intimider. Ces paroles ont donc prévalu, parce qu’elles ont été prêchées par des hommes sans peur.
21. Mais ces trépas de, tant de martyrs, qu’ont-ils produit ? Écoute : « Comme la graisse de la terre est répandue sur les guérets, ainsi nos ossements sont dispersés près du sépulcre[561] ». Les ossements des martyrs ou des témoins du Christ sont dispersés sur le bord du sépulcre. On a tué les martyrs, et ces hommes ont en quelque sorte Prévalu jusque dans la mort. Les persécuteurs n’ont prévalu que pour donner la victoire ans paroles du Christ par la prédication. Et qu’est-il arrivé de cette mort des saints ? « Comme la graisse de la terre est étendue sur les guérets, nos ossements sont dispersés sur le bord du sépulcre ». Qu’est-ce que « la graisse de la terre répandue sur la terre ? » Nous savons que cette graisse de la terre est quelque chose de fort méprisable ; car ce qui est vil aux yeux des hommes donne à la terre sa fécondité. Il est dit dans un autre psaume que les corps des saints demeuraient étendus sur la terre, sans qu’il y eût personne pour les ensevelir. Mais tous ces corps des saints sont la graisse de la terre. De même, en effet que les guérets s’engraissent de ce qui est vil et abject, ainsi la terre a été engraissée de ce que le monde a méprisé, en sorte qu’il en est résulté pour l’Église une moisson plus abondante. Vous le savez, mes frères, ce qui engraisse les guérets, c’est ce que l’on regarde comme vil, que je ne veux pas, et qu’il ne faut pas nommer ; voilà ce qui féconde la terre, ce qui en est l’engrais ; les hommes la méprisent, le rejettent comme une ordure. Mais qu’a fait Dieu, pour me servir des paroles d’un autre psaume ? « Il a relevé le pauvre de la poussière, et l’indigent de son fumier, afin de le placer parmi les princes, parmi les princes de son peuple[562] ». On l’a donc étendu sur la terre, comme un fumier, jeté çà et là : ainsi était couché Lazare couvert d’ulcères, et pourtant il fut porté par les anges au sein d’Abraham[563]. « La mort de ses élus est précieuse aux yeux du Seigneur[564] » ; comme le fumier que le monde méprise est précieux aux yeux du laboureur qui en connaît l’utilité, la graisse qu’il doit donner à la terre ; il sait ce que préfère la terre, ce qu’elle en prendra, et quelle abondante moisson il en résultera. Mais tout cela est méprisable aux yeux du monde. Or, ne savez-vous point que « Dieu a choisi ce qui est méprisable, ce qui n’est rien comme ce qui est quelque chose, afin de détruire ce qui est[565] ? » C’est du fumier que furent tirés Pierre et Paul ; on les méprisait en leur donnant la mort ; maintenant que la terre est engraissée, que s’élève la moisson de l’Église, oie va ce qu’il y a de plus grand, ce qu’il y a de plus noble dans le monde, où va tout d’abord l’Empereur quand il arrive à Rome ? Est-ce au palais impérial, ou bien au tombeau du pêcheur ? « Comme la graisse est répandue sur les guérets, ainsi nos ossements sont dispersés près du sépulcre ».
22. « Seigneur, mes yeux sont vers vous, en vous est mon espoir, ne laissez point périr mon âme[566] ». Les martyrs ont subi les tourments, beaucoup y ont cédé. Or, comme le Prophète venait de dire à propos de la captivité pendant la persécution : « Comme la graisse de la terre est répandue sur les guérets, ainsi nos ossements sont dispersés près du sépulcre » : il se souvient que plusieurs ont manqué de courage, que beaucoup se sont trouvés en danger, et alors du milieu de ces dangers de la persécution une prière s’échappe de son âme : « C’est vers vous, Seigneur, que j’élève mes yeux ». Peu n’importent les menaces de ceux qui m’environnent : « C’est sur vous, ô mon Dieu, que s’arrêtent mes regards ». Mes yeux s’arrêtent plus sur vos promesses que sur leurs menaces. Je sais ce que vous avez souffert pour moi, et ce que vous m’avez promis. « Seigneur, mes yeux sont vers vous, en vous est mon espoir, ne laissez point périr mon âme ».
23. « Préservez-moi du piège qu’ils ont caché devant moi[567] ». Quel est ce piège ? Si tu consens, je te pardonne. L’appât de ce piège est l’amour de la vie ; si l’oiseau aime cet appât, il tombe dans le piège ; mais si l’oiseau est de nature à dire : « Je n’ai point désiré les jours de l’homme, vous le savez[568] », ses yeux ne se détourneront point de Dieu, et lui-même dégagera ses pieds du piège[569]. « Préservez – moi du piège qu’ils ont placé devant moi, et des scandales de ceux qui cornu mettent l’iniquité ». Le Prophète marque ici deux points qu’il faut distinguer avec soin : qu’on lui a tendu un piège, et qu’il y a scandale de la part de ceux qui ont cédé aux persécuteurs en apostasiant ; il prie Dieu de le préserver de l’un et de l’autre. D’une part les menaces des persécuteurs, d’autre part la chute des timides ; je crains que les uns ne m’effraient, que les autres ne m’entraînent avec eux. Voilà ce qui t’arrivera si tu n’obéis promptement, me dit celui-ci : « Préservez-moi des pièges qu’ils m’ont tendu ». Voilà que ton frère s’est soumis, dit celui-là : « Préservez-moi des chutes de ceux qui commettent l’iniquité » ».
24. « Des pécheurs tomberont dans ses filets[570] ». Que veut dire ceci, mes frères : « Des pécheurs tomberont dans ses filets ? » Non pas tous les pécheurs, mais quelques pécheurs qui sont pécheurs au point d’aimer cette vie, et de la préférer à la vie éternelle ; ceux-là tomberont dans ses filets. Mais que dis-je ? tous ceux qui aiment la vie tomberaient-ils dans ses filets ? Que seraient devenus vos disciples, ô Christ ? Dans le feu de la persécution ils vous abandonnèrent, et s’en allèrent chacun de son côté : vous l’aviez prédit, parce que vous le saviez d’avance ; car cela n’arriva point parce que vous l’aviez prédit, et ce n’est point vous qui vous êtes renié dans aucun d’eux. Mais enfin, ceux qui vous étaient le plus attachés s’enfuirent quand la persécution éclata contre vous, et que vos ennemis vinrent vous saisir pour vous clouer à la croix. Et le seul qui avait osé vous promettre de vous suivre jusqu’à la mort, apprit du médecin qu’il était malade et ce qu’il lui arriverait. Il avait la fièvre et se croyait en santé, le médecin lui touchait la veine du cœur. Enfin arriva la tentation, arriva l’épreuve, arriva l’accusation. On le met à la question, et ce n’est point une grande puissance, mais une esclave, mais unie femme, et il succombe devant la question d’une servante. Trois fois il renie son Maître. Après la première négation il se souvient de ce qui lui a été dit, et renie une seconde fois ; à cette seconde négation, il se souvient encore et renie une troisième fois. Le Seigneur l’avait prédit, mais ne l’avait ni commandé, ni imposé. Et si l’on croit que Pierre n’a pas été coupable, parce que le Seigneur l’avait prédit, Judas ne sera point coupable de l’avoir trahi, parce que le Seigneur avait prédit qu’il le ferait. Loin de nous cette doctrine ; c’est la doctrine de ces élus qui excusent leurs péchés plutôt qu’ils ne les confessent. Jetons plutôt les yeux sur saint Pierre lui-même. Pourquoi pleurer, s’il n’est point pécheur ? N’interrogeons chez Pierre que les larmes de Pierre : nous n’avons pas sur lui de témoins plus fidèles. « Il pleura amèrement[571] », dit l’Évangile. Il n’était pas encore prêt à souffrir : « Tu me suivras plus tard[572] », lui fut-il dit. Affermi par la résurrection du Seigneur, il devait être plus constant dans la suite.
25. Le temps n’était donc point venu de disperser ces ossements le long du sépulcre. Voyez, en effet, combien vinrent à faillir, sans excepter ceux qui lui étaient le plus attachés et qui succombèrent à Leur tour. D’où vient cette faiblesse ? « Je suis seul, jusqu’à ce que j’aie passé ». C’est la suite du psaume. Le Prophète avait dit plus haut : « Préservez-moi, Seigneur, des pièges qu’ils m’ont tendus, et des scandales de ceux qui commettent l’iniquité ». « Des pièges et des scandales » ; de ceux qui effraient et de ceux qui tombent. Mais comme dans sa passion ceux-là succombèrent qui étaient les premiers, qui devaient être les guides et les colonnes de l’Église, alors cette parole du psaume n’était pas accomplie en eux : « J’ai affermi ses colonnes[573] ». Que dit-il ici : « Je suis seul, jusqu’à ce que j’aie passé ? » C’est le chef qui tient ce langage. « Je suis seul, jusqu’à ce que j’aie passé ». Qu’est-ce à dire seul? C’est vous seul, Seigneur, qui souffrez dans votre passion, vous seul que vos ennemis font mourir. « Je suis seul jusqu’à ce que j’aie passé. » Qu’est-ce à dire, « jusqu’à ce que j’aie passé ? » L’Évangile nous dit : « Quand vint pour Jésus-Christ l’heure de passer de ce monde à son Père[574] ». Qu’est-ce à dire, « jusqu’à ce que j’aie passé, sinon de ce monde à son Père ? Car alors j’ai affermi ses colonnes, c’est-à-dire les colonnes de la terre, quand ils ont appris par ma résurrection à ne pas craindre la mort. « Jusqu’à ce que je sois passé, je suis seul » ; mais quand je serai passé je me multiplierai ; beaucoup suivront mon exemple, beaucoup souffriront pour mon nom. Je suis seul, jusqu’à ce que j’aie passé ; mais quand je serai passé, beaucoup ne seront qu’un avec moi. « Je suis seul, jusqu’à ce que j’aie passé ». Écoutez le mystère de cette parole. D’après l’expression grecque, le mot Pâque semblerait avoir le sens de passion, car pasxein signifie souffrir ; mais dans la langue hébraïque, ceux qui l’ont étudiée ont traduit Pascha par passage. Car si nous interrogeons ceux qui connaissent le grec, ils nous diront que Pascha n’est pas un mot grec Passion se traduit en grec par pathos et non par Pascha. Donc Pâques signifie passage, comme nous l’ont appris les savants hébreux qui nous ont traduit ce que nous devons lire, Donc, aux approches de la passion, l’Évangéliste se sert de cette même expression : « Quand vint l’heure », dit-il, « où Jésus devait passer de ce monde à son Père ». C’est la même expression employée par le Prophète : « Je suis seul jusqu’à ce que j’aie passé ». Après la Pâque, je ne serai plus seul ; après mon passage je ne serai plus seul, beaucoup m’imiteront, beaucoup me suivront. Mais s’ils me suivent alors, que sera-ce en attendant ? « Je suis seul jusqu’à ce que j’aie passé ». Pourquoi le Seigneur dit-il dans notre psaume : « Je suis seul jusqu’à ce que j’aie effectué mon passage ? » Qu’avons-nous expliqué ? Si nous l’avons compris, écoute alors les paroles du Sauveur dans l’Évangile : « En vérité, en vérité, je vous le déclare », nous dit-il, « si le grain de froment ne tombe en terre pour y mourir, il demeure seul ; mais s’il meurt, il produit beaucoup de fruits ». Voilà ce qu’il disait en ce même endroit où il dit encore : « Quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai toutes choses à moi[575]. Si donc le grain de froment ne tombe à terre pour y mourir, il demeure seul ; mais qu’il vienne à mourir, et il rapportera beaucoup de fruits ». Ce grain devait donc produire une abondante moisson ; mais attends, il faut qu’il meure ; car si le grain ne tombe à terre, et ne meurt, il est toujours seul.
26. Donc il était seul avant de passer parle mort. Aussi Pierre alors n’avait-il pas encore assez de force ; il devait avoir la force de le suivre, et non de le précéder. Car avant le Christ, nul n’est mort pour le Christ, c’est-à-dire pour confesser ce nom du Christ qui nous fait chrétiens. Beaucoup sont morts, il est vrai, et sont des martyrs ; beaucoup de Prophètes sont morts de la sorte, et toutefois ils ne mouraient point parce qu’ils annonçaient le Christ, mais parce qu’ils reprochaient aux hommes leurs péchés, qu’ils s’opposaient à leurs désordres avec une sainte liberté. On les regarde comme des martyrs, et avec raison ; car s’ils ne sont point morts pour confesser le nom du Christ, ils sont morts pour la vérité. Il est si vrai que nul n’est mort pour le nom du Christ, c’est-à-dire pour confesser le nom du Christ, avant que ce grain ne tombât sur la terre, lui qui dit ici : « Je suis seul, jusqu’à ce que j’aie passé », que Jean lui-même, qu’on venait de mettre à mort, et qu’un roi impie venait d’immoler à une jeune danseuse, n’est point mort pour avoir confessé le Christ. Il pouvait être mis à mort pour ce sujet et par plusieurs. Si un seul homme l’a fait mourir, et pour un autre motif, à combien plus forte raison pouvait-il être mis à mort par tous ceux qui mirent à mort le Christ ? Car c’est au Christ que Jean rendait témoignage. Ceux qui entendaient le Christ voulaient le mettre à mort, et ils n’y eussent point mis celui qui lui rendait témoignage. Qu’on se soit soulevé contre Jean à cause du Christ, Jean ne l’aurait point renié. Il y avait en lui de grandes forces, qui l’ont fait appeler l’ami de l’Époux[576] ; il était plein de grâces, supérieur en vertu : « Parmi les enfants des hommes, nul n’était plus grand que Jean-Baptiste[577] ». L’orage se souleva donc contre celui qui n’avait point de telles forces : il se souleva contre Pierre, et non contre Jean ; Pierre ne reçut la force que plus tard, il était faible alors. On interroge au sujet du Christ celui qui n’avait point la force encore ; et celui qui était doué de forces ne souffrit aucune persécution au sujet du Christ, afin de ne point prévenir le Christ en mourant pour son propre nom. Les Juifs ne firent pas mourir cet homme rendant témoignage à ce même Christ qu’ils crucifièrent ; Hérode lui donna la mort parce qu’il lui disait : « Il ne vous est point permis d’avoir la femme de votre frère[578] », puisque ce frère n’était point mort sans postérité. Il mourait sans doute pour la vérité, pour l’équité, pour la justice ; c’est pour cela qu’il est saint, qu’il est martyr ; mais il n’est pas mort pour ce nom qui nous rend Chrétiens. Pourquoi, sinon afin d’accomplir cet oracle : « Je suis seul, jusqu’à ce que j’aie passé ? »

  1. Mt. 23,10
  2. 2 Cor. 4,16
  3. Ps. 131,1-2
  4. 1 Sa. 14,4 ss
  5. Mt. 6,12
  6. 1 Sa. 24,4
  7. Isa. 26,13
  8. Ps. 131,3-5
  9. Isa. 66,2
  10. Act. 4,35
  11. Id. 13,32
  12. Eph. 5,1-4
  13. 1 Thes. 5,5-7
  14. Ps. 70,1.20
  15. Id. 75,6
  16. Philipp. iv, 7.
  17. Ps. lxxxiii, 5.
  18. Id. cxxxi, 6
  19. Ps. cxxxi, 7
  20. Lc. xv, 12
  21. Mt. 3,7
  22. Id. 8,9
  23. Mt. 24,12
  24. Id. 13
  25. Jn. 8,44
  26. Ps. 35,12-13
  27. Jn. 3,29
  28. Id. 1,33
  29. Ps. 131,8
  30. Id. 56,5
  31. Rom. 7,9
  32. Ps. 3,6
  33. Id. 131,9
  34. Rom. 1,17
  35. Id. 12,12
  36. Ps. 131,10
  37. Id. 11,11
  38. Act. 2,37
  39. Id. 38
  40. Isa. 10,21
  41. Rom. 9,27 ; 1 Cor. 15,6
  42. Act. 2,41 ; 15,34
  43. Ps. 131,11
  44. 1 Sa. 15,11-29
  45. Ps. 109,4
  46. Id. 131,12
  47. Jn. 8,39
  48. Ps. 131,13
  49. Id. 14
  50. Id. 13
  51. 1 Tim. 5,5-6
  52. Lc. 18,1-8
  53. Ps. 122,4
  54. Id. 21,30
  55. Mt. 5,6
  56. Ps. 21,27
  57. Jn. 6,41
  58. 1 Tim. 6,17-19
  59. Ps. 131,16
  60. Gal. 3,27
  61. Eph. 5,8
  62. Ps. 131,17
  63. Jn. 5,35
  64. Ps. 131,18
  65. Isa. 40,6
  66. Ps. 132,1
  67. Isa. 52,15
  68. Ps. 126,4
  69. 1 Cor. 15,6
  70. Act. 1,2-4
  71. Eccl. 5,4
  72. Mt. 24,40
  73. Lc. 17,34-35
  74. 1 Cor. 3,6
  75. Id. 7,31-32
  76. Mt. 19,24
  77. Mt. 19,26
  78. 1 Tim. 6,17
  79. Lc. 16,24
  80. 1 Tim. 6,19
  81. Ez. 14,13-16
  82. Gen. 7,14
  83. Dan. 10,11
  84. Dan. 10,11
  85. Job. 1,23
  86. Ps. 33,2
  87. 2 Tim. 4,7
  88. Salut des Circoncellions
  89. Salut des Moines
  90. 2 Tim. 4,7
  91. Act. 4,32
  92. Jn. 5,5-7
  93. Ps. 139,2
  94. Act. 6,51
  95. Mt. 5,41
  96. Lc. 23,34
  97. Act. 7,59
  98. Eph. 5,27
  99. Gal. 6,2
  100. Ps. 132,3
  101. Id. 67,10
  102. Jn. 3,30
  103. Sir. 33,5
  104. Act. 4,32
  105. Mt. 24,40
  106. Ps. 132,3
  107. Id. 61,5
  108. Mt. 5,44
  109. Ps. 133,1
  110. Rom. 2,8-9
  111. Id. 5,3
  112. Ps. 83,5
  113. Jn. 8,44
  114. Id. 3,29
  115. Ps. 133,2
  116. Job. 1,14-21
  117. Id. 2,7-10
  118. Ps. 84,13
  119. Id. 133,3
  120. Id. 132,1
  121. Ps. 134,1
  122. Ps. 32,1
  123. Sir. 15,9
  124. Ps. 49,23
  125. Ps. 51,16-17
  126. Id. 134,2
  127. Ps. 115,12-13
  128. Id. 134,3
  129. Gen. 1,31
  130. Ps. 72,28
  131. Mt. 19,17
  132. Id. 12,35
  133. Mt. 19,35
  134. Mc. 10,18
  135. Exod. 3,14
  136. 1 Tim. 2,5
  137. Ps. 77,25
  138. Jn. 1,1
  139. Id. 14
  140. Exod. 3,14
  141. Exod. 3,15
  142. Gal. 3,29
  143. Rom. 11,17-18
  144. Mt. 8,11-12
  145. Ps. 134,4
  146. Rom. 9,11-13
  147. Ps. 134,5
  148. 2 Cor. 12,4
  149. 1 Cor. 8,5-6
  150. Ps. 81,1-6
  151. Ps. 134,8
  152. Jn. 14,8
  153. Ps. 55,12
  154. Id. 53,8
  155. Id. 49,23
  156. Rom. 1,10
  157. Lc. 2,14
  158. Gal. 5,17
  159. Rom. 7,22-23
  160. Id. 24
  161. Id. 25
  162. Ps. 124,7
  163. Ps. 134,8
  164. Id. 9
  165. Id. 10,11
  166. Id. 12
  167. Id. 17
  168. Ps. 18,2
  169. 1 Cor. 3,9-10
  170. Id. 9,7 ; 3,6
  171. Ps. 10,6
  172. Sag. 1,9
  173. Ps. 134,7
  174. Isa. 5,6
  175. Ps. 18,5
  176. Mt. 24,14
  177. Jn. 3,8
  178. Ps. 134,8
  179. Cant. 4,8
  180. selon les LXX
  181. 2 Cor. 4,16
  182. Rom. 8,23
  183. Ps. 134,9
  184. Ps. 134,10-11
  185. 1 Cor. 11,14
  186. Ps. 17,30
  187. Jn. 14,6
  188. Sag. 5,8
  189. Lc. 14,11 ; 18,14
  190. Rom. 9,22
  191. 1 Cor. 10,11
  192. Ps. 134,14
  193. Jn. 9,39
  194. Isa. 2,5-6
  195. Gen. 32,28
  196. Mat. 27,39-43
  197. Luc. 23,34-35
  198. Jn. 9,39
  199. Rom. 11,1-2
  200. Jn. 6,1-2
  201. Isa. 54,13 ; Jn. 6,45
  202. Rom. 3,23
  203. Ps. 134,15
  204. Id. 16,17
  205. Id. 18
  206. Mt. 11,15
  207. Soph. 2,11
  208. Id.
  209. 2 Cor. 2,15
  210. Mt. 3,9
  211. Ps. 134,20
  212. Ps. 134,21
  213. Isa. 54,1 ; Galat. 4,26-27
  214. 1 Cor. 15,51
  215. Ps. 135,1
  216. Ps. 135,2-3
  217. Id. 81,1.6-7
  218. Jn. 10,31-36
  219. Ps. 81,12
  220. Id. 95,4
  221. 1 Cor. 8,4
  222. Id. 10,20
  223. 1 Cor. 8,4-6
  224. Ps. 135,4
  225. To poiesanti.
  226. Ps. 135,5
  227. Id. 3-7
  228. Id. 8-10
  229. Ps. 103,24
  230. Gen. 1,9-10
  231. Exod. 8,15
  232. Jn. 4,6
  233. Col. 2,3
  234. Job. 28,28
  235. Phil. 2,15
  236. 1 Cor. 12,8-10
  237. Jn. 1,12
  238. Ps. 135,11-12
  239. Isa. 53,1
  240. Psa. 135,23-24
  241. Jn. 6,56
  242. Psa. 135,26
  243. 1Co. 8,5-6
  244. Ps. 64,2
  245. Id. 136,1
  246. Lc. 16,10-12
  247. Ps. 121,2
  248. Id. 114,3-4
  249. Id. 17
  250. Rom. 5,3
  251. Ps. 136,2
  252. Sag. 7,27
  253. Lc. 10,30 ss
  254. Jn. 8,48
  255. Eph. 2,1-3
  256. Id. 6,12
  257. Id. 5,8
  258. Jn. 13,27
  259. Mt. 19,21
  260. Ps. 8,80-83
  261. Ps. 136,4
  262. Id. 5
  263. Mt. 19,6
  264. 1 Tim. 6,17-19
  265. 1 Tim. 6,7-9
  266. Id. 10
  267. Id. 17,19
  268. Ps. 136,5
  269. Mt. 6,3
  270. Voir discours sur le Ps. 120, n. 8
  271. Ps. 143,7-8
  272. Id. 15
  273. Ps. 136,6
  274. Id. 7
  275. Gen. 25,30
  276. Rom. 9,13 ; Gen. 25,23
  277. 1 Cor. 15,46-49
  278. Gen. 25,29-31 ; 27,36-87
  279. 1 Cor. 15,50
  280. Gen. 25,23
  281. Rom. 9,13
  282. Ps. 136,8
  283. Id. 9
  284. Id.
  285. Id. 64,4
  286. Voir discours sur le Ps. 64, n. 6
  287. Jer. 16,19
  288. 1 Cor. 10,4
  289. Ps. 137,1
  290. Mt. 11,23
  291. Dan. 13,34
  292. Act. 17,27-28
  293. Isa. 48,22 ; 57,21
  294. Ps. 137,2
  295. Prov. 8,27-30
  296. Ps. 17,11
  297. 1 Cor. 3,17
  298. Mt. 4,11
  299. Id. 20,28
  300. Act. 17,24
  301. Ps. 24,10
  302. Gen. 15,6 ; Rom. 4,3
  303. Exod. 3,6
  304. Rom. 4,25
  305. Mt. 3,2
  306. Ps. 137,3
  307. Isa. 58,9
  308. Gen. 1,28
  309. Ps. 137,4
  310. Rom. 3,1-2
  311. Jug. 6,36-40
  312. Ps. 137,5
  313. Id. 24,10
  314. Ps. 137,5
  315. Id. 33,16
  316. Ps. 33,15-18
  317. Id. 114,3
  318. Lc. 6,21
  319. Ps. 35,9-10
  320. Rom. 7,25
  321. Id. 8,23
  322. Gen. 3,18-19
  323. Ps. 111,10
  324. Id. 40,6
  325. Mc. 16,19
  326. 2 Mac. 7,3 ss
  327. Dan. 3,24
  328. Ps. 137,8
  329. 1 Pi. 2,21-23
  330. Jn. 8,50
  331. Rom. 12,19
  332. Mt. 17,23-26
  333. Jn. 14,30-31
  334. Jer. 17,16
  335. Ps. 76,3
  336. Eph. 2,8-10
  337. Gen. 3,19
  338. Jn. 6,41
  339. 2 Cor. 3,14
  340. Mt. 27,51
  341. Col. 2,13-14
  342. 1 Cor. 12,27
  343. Gen. 2,24
  344. Eph. 5,31-32
  345. Rom. 5,14
  346. Ps. 3,6
  347. Mt. 19,6
  348. Act. 9,4
  349. Ps. 138,1
  350. Phil. 2,6-7
  351. Jn. 10,30
  352. Id. 14,28
  353. Ps. 138,2
  354. Ps. 126,2
  355. Id. 41,4
  356. Id. 138,3-4
  357. Lc. 15,11-20
  358. Ps. 138,4
  359. Ps. 138,5
  360. Mt. 25,41
  361. Jn. 1,3
  362. Ps. 101,27
  363. Sag. 7,27
  364. Exod. 33,9-23
  365. Jn. 13,1
  366. Isa. 6,10
  367. Ps. 31,4
  368. 1 Cor. 2,8
  369. Rom. 11,25-26.33-36
  370. Jn. 20,14 ; 21,1 ss
  371. Act. 2,38
  372. Rom. 11,32
  373. Lc. 15,12-17
  374. Sag. 1,7
  375. Ps. 138,8
  376. Prov. 18,3
  377. Ps. 11,6
  378. Ps. 138,9
  379. Mt. 22,40
  380. Ps. 138,10
  381. Ps. 138,11
  382. Mt. 24,12
  383. Id. 13
  384. Lc. 15,8
  385. Gen. 1,27
  386. Ps. 138,12
  387. Id. 17,29
  388. Ps. 33,2
  389. Job. 1
  390. Gal. 1,15-16
  391. Mt. 21,19
  392. Mc. 11,13
  393. Ps. 138,15
  394. Ps. 61,6
  395. 2 Cor. 6,10
  396. Rom. 5,3-5
  397. Eph. 5,31-32
  398. Mt. 26,34-35 ; Lc. 22,33-34
  399. Jn. 10,18
  400. Ps. 138,16
  401. Lc. 22,61-62
  402. Jn. 12,35
  403. Phil. 2,6-7
  404. Jn. 14,28
  405. Mt. 16,13-23
  406. Id. 8,26
  407. Id. 14,25
  408. Jn. 11,39-44
  409. Jn. 16,32
  410. Id. 10,30-38
  411. Ps. 138,17
  412. Id. 18
  413. Mt. 10,30
  414. Ps. 138,19-20
  415. Sag. 1,5
  416. Sir. 17,26
  417. Mt. 3,22
  418. Jn. 3,15
  419. Mt. 7,23
  420. Ps. 138,21
  421. Mt. 13,30
  422. Mt. 21,12
  423. Id. 13,47
  424. Ps. 68,10
  425. Id. 118,53
  426. Mt. 5,44
  427. Mt. 13,23 ; Lc. 8,15
  428. Ps. 44,14
  429. Id. 138,23
  430. Id. 119,7
  431. Ps. 138,24
  432. Jn. 14,6
  433. Jn. 2,1
  434. Des évêques, sans doute, réunis alors
  435. 2 Thes. 3,2
  436. 1 Tim. 6,10
  437. Mt. 5,6
  438. Ps. 139,1
  439. Rom. 10,4
  440. Id. 1,3
  441. Jn. 8,58
  442. Id. 1,3
  443. Ps. 139,2
  444. Mt. 13,25-28
  445. Eph. 6,12
  446. Id. 5,8
  447. Id. 2,2
  448. Ps. 139,3
  449. Ps. 139,4
  450. Id. 27,8
  451. Id. 139,5
  452. Ps. 139,6
  453. Gen. 3,1
  454. Lc. 2,14
  455. Jn. 2,15
  456. Prov. 5,22
  457. Isa. 5,18
  458. Mt. 22,13
  459. Ps. 139,7
  460. Ps. 139,8
  461. Mt. 24,12-13
  462. Rom. 7,23-25
  463. Ps. 139,9
  464. Ps. 12,5
  465. Id. 139,10
  466. Ps. 11,9
  467. Sir. 10,15
  468. Ps. 7,15
  469. Mt. 11,28
  470. Ps. 4,3
  471. Jer. 9,5
  472. Ps. 139,11
  473. Ps. 119,3-4
  474. Eph. 5,8
  475. Cant. 2,5
  476. 1 Tim. 1,13
  477. 2 Cor. 2,16
  478. Rom. 5,3-5
  479. Ps. 139,12
  480. Jac. 1,19
  481. Ps. 50,10
  482. Jn. 3,29
  483. Mt. 25,21-23
  484. Id. 22,13
  485. Id. 10,23
  486. Ps. 139,13
  487. Mt. 7,7
  488. Id. 5,6
  489. Col. 3,3
  490. Jn. 6,41
  491. Ps. 139,14
  492. Eph. 5,8
  493. Gen. 3,19
  494. Ps. 15,11
  495. Jn. 3,2
  496. Jn. 14,21
  497. Mt. 5,8
  498. Col. 4,2-4
  499. Mt. 22,37-40
  500. Rom. 13,10
  501. Jn. 14,30
  502. Ps. 68,5
  503. Id. 140,3-4
  504. Jol. 2,32
  505. Act. 9,4
  506. 1 Cor. 12,27
  507. Gen. 24
  508. Mt. 19,6
  509. Ps. 140,1
  510. Lc. 22,44
  511. Ps. 140,2
  512. Mt. 27,46-50
  513. Rom. 6,6
  514. Ps. 21,2 ; Mat. 17,46
  515. Rom. 6,6
  516. Ps. 21,17-19
  517. Id. 47,9
  518. Rom. 4,5
  519. Ps. 111,3
  520. Id. 4
  521. Act. 9,4
  522. Mt. 25,35-40
  523. Eph. 3,17
  524. Mt. 28,20
  525. Mt. 25,40
  526. Lc. 18,11
  527. Id. 7,39
  528. Isa. 52,7 ; Rom. 10,15
  529. Mt. 10,41-42
  530. Mt. 23,21
  531. Lc. 7,39
  532. Lc. 7,36-47
  533. Ps. 11,5
  534. Lc. 18,9
  535. Mt. 24,22-24.31
  536. Ps. 140,5
  537. Prov. 9,8
  538. Mt. 25,4
  539. Gal. 6,4
  540. 2 Cor. 1,12
  541. Ps. 50,18
  542. Id. 19
  543. Rom. 7,22
  544. Id. 25
  545. 1 Cor. 9,26-27
  546. Rom. 7
  547. Eph. 5,29
  548. Gal. 5,11
  549. Rom. 7,24
  550. Rom. 8,23
  551. Eph. 5,29
  552. 1 Cor. 15,53
  553. Mt. 6,12
  554. Mt. 5,22
  555. 1 Cor. 7,5
  556. Mt. 6,12
  557. Jn. 2,1
  558. Ps. 140,6
  559. 1 Cor. 10,4
  560. Mt. 10,16-28
  561. Ps. 140,7
  562. Id. 112,7-8
  563. Lc. 16,20-22
  564. Ps. 115,15
  565. 1 Cor. 1,28
  566. Ps. 140,8
  567. Id. 9
  568. Jer. 17,16
  569. Ps. 24,15
  570. Ps. 140,10
  571. Mt. 26,75
  572. Jn. 13,36
  573. Ps. 74,4
  574. Jn. 13,1
  575. Jn. 12,24-25.32
  576. Jn. 3,29
  577. Mt. 11,11
  578. Id. 14,3-11