Discours sur les psaumes (Augustin)/Psaumes XXI à XXX

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Discours sur les psaumes : Psaumes XXI à XXX
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)

PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME 21.[modifier]

LES DÉTAILS DE LA PASSION[modifier]

Dans le premier discours saint Augustin expose le sens des paroles de David relatives à la passion, les insultes des Juifs, le crucifiement, le partage des vêtements de Jésus-Christ ; puis les effets de l’Eucharistie. Dans le second discours, il s’applique à démontrer contre les Donatistes le règne universel de Jésus-Christ, qu’ils veulent scinder et restreindre à leur parti.

POUR LA FIN, SUR LE SECOURS DU MATIN, PSAUME DE DAVID (Ps. 21,1).[modifier]


1. Pour la fin, ou pour Jésus-Christ qui chante lui-même sa résurrection. Ce fut le matin du premier jour, après le sabbat, que s’opéra cette résurrection[1], par laquelle il fut reçu dans la vie éternelle, « et soustrait ainsi à l’empire de la mort[2] ». Tout le psaume s’applique à la personne du Crucifié car il commence par ces paroles que prononce le Sauveur, lorsque, du haut de la croix, il poussa un grand cri, représentant alors h vieil homme dont il avait revêtu la mortalité ; car notre vieil homme a été cloué à la croix avec lui[3] :
2. « O Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur moi ; pourquoi m’avez-vous abandonné, bien loin de me secourir[4] ? » Vous n’avez garde de me secourir, puisque votre salut est loin des pécheurs[5]. « Les cris de mes péchés vous implorent », car cette prière n’est point celle d’un juste, mais d’un homme chargé de fautes. Celui qui prie à la croix, est en effet le vieil homme, qui ne sait pourquoi le Seigneur l’a délaissé. Ou bien encore : « Les rugissements de mes péchés vous empêchent de me secourir ».
3. « Seigneur, je vous invoquerai pendant le jour, et vous ne m’exaucerez point[6]. » O Dieu, dans les prospérités de cette vie, je vous demanderai qu’elles ne changent point, et vous ne m’écouterez point, parce que cette prière sera celle de mes péchés. « Je vous invoquerai la nuit, et ce ne sera point une folie pour moi ». Si, dans les malheurs de cette vie, je vous demande le bonheur, vous ne m’exaucerez pas non plus. Et vous en agirez ainsi, non pour me jeter dans la folie, mais pour m’apprendre ce qu’il vous est agréable que je vous demande, non plus dans ces prières du péché qui désire la vie du temps, mais dans les supplications d’une âme qui se tourne vers vous, pour avoir la vie éternelle.
4. « Mais vous habitez dans la sainteté, vous, la gloire d’Israël ». Vous habitez le Saint des saints, et de là vient que vous n’écoutez point les prières défectueuses du péché. Vous êtes la gloire de celui qui vous contemple, et non de celui qui chercha sa propre gloire en goûtant le fruit défendu, en sorte que lei yeux de son corps furent ouverts, et qu’il voulut se dérober à votre présence et se cacher[7]. 5. « En vous ont espéré nos pères[8] ». Tous ces justes, qui n’ont point cherché leur gloire, mais la vôtre. « Ils ont espéré, et vous les avez sauvés ».
6. « Ils ont crié vers vous, et vous les avez délivrés[9] ». Ils vous ont fait entendre, non la voix des péchés qui éloigne le salut, et c’est pourquoi vous les avez délivrés. « Ils ont espéré en vous, et ils n’ont pas été confondus ». Vous n’avez pas trompé l’espérance qu’ils avaient mise en vous, parce qu’ils ne comptaient point sur eux-mêmes.
7. « Pour moi, je suis un ver de terre et non plus un homme[10] ». Pour moi, qui ne parle plus en Adam, mais qui suis Jésus-Christ, sans aucun germe je suis né dans la chair, afin d’être, eu l’homme, au-dessus des hommes ; et de la sorte, l’orgueil humain ne dédaignera plus mon abaissement. « Je suis l’opprobre des hommes, le rebut de la populace ». Cet abaissement a fait de moi le rebut des hommes, au point que l’on disait, comme un outrage et une malédiction : « Pour toi, sois son disciple[11] » ; tant le peuple avait de mépris pour moi.
8. « Tous ceux qui me voyaient, m’insultaient[12] ». j’étais la dérision de tous ceux qui me voyaient. « Ils parlaient des lèvres, et branlaient la tête ». Ils parlaient des lèvres, et non du cœur.
9. Car c’est par dérision qu’ils disaient, en branlant la tête : « Il a mis son espoir dans le Seigneur, que le Seigneur le délivre ; qu’il le sauve, s’il lui est cher[13] ». Telles étaient les paroles qui couraient sur leurs lèvres.
10. « C’est vous, Seigneur, qui m’avez tiré des entrailles maternelles[14] ». C’est vous qui n’avez tiré, non seulement du sein d’une vierge, car telle est la condition de tout homme, de naître en sortant du sein de sa mère ; mais vous m’avez tiré du sein de cette nation juive où est encore enveloppé dans les ténèbres, sans arriver à la lumière du Christ, celui qui met son salut dans l’observation extérieure du sabbat, dans la circoncision, et autres cérémonies. « Vous êtes mon espérance dès la mamelle de ma mère ». Seigneur, vous êtes mon espoir, non seulement depuis que j’ai sucé les mamelles de la Vierge, car vous l’étiez bien auparavant ; mais depuis que vous m’avez arraché aux mamelles, comme aux entrailles de la synagogue, afin de me soustraire au lait d’une coutume charnelle.
11. « Vous êtes mon ferme appui dès le sein de ma mère[15] ». Dès le sein de cette synagogue qui m’a rejeté au lieu de me porter, et si je ne suis point tombé, c’est que vous m’avez soutenu. « Dès le ventre de ma mère, vous êtes mon Dieu ». Oui, « dès le ventre de ma mère », car nonobstant cette enveloppe charnelle, je ne vous ai point oublié comme le petit enfant.
12. « Vous êtes mon Dieu ; ne vous éloignez pas de moi, parce que l’affliction est proche[16] ». Puisque vous êtes mon Dieu, ne vous éloignez pas de moi, aux approches de la tribulation, qui est déjà dans ma chair. « Car il n’y a personne qui me vienne en aide ». Qui me soutiendra, si ce n’est vous ?
13. « Voilà qu’une foule de jeunes taureaux m’ont environné[17] ». Les attroupements d’un peuple dissolu font cercle autour de moi. « Des taureaux puissants m’ont investi ». Et les chefs de ce peuple, joyeux de mon oppression, m’ont assiégé à leur tour.
14. « Ils ont ouvert leur bouche contre moi[18] ». Leur bouche a livré passage, non point aux paroles de vos saintes Écritures, mais aux cris de leurs passions. « Tel un lion saisit sa proie et rugit ». La proie de ce lion, ce serait moi que l’on saisit et que l’on amène, et son rugissement : « Crucifiez-le, crucifiez-le[19]
15. « Je me suis écoulé comme l’eau, tous e mes os se sont dispersés[20] ». Je me suis écoulé comme l’eau, quand mes persécuteurs sont tombés ; et mes disciples qui faisaient la solidité de l’Église ou de mon corps, se sont dispersés par la crainte. « Mon cœur s’est fondu comme la cire, au milieu de mes entrailles[21] ». Ces paroles que la Sagesse a consignées à mon sujet dans les livres saints, demeuraient incomprises, comme des paroles dures et cachées ; mais depuis qu’à la flamme de mes douleurs elles se sont comme liquéfiées, elles sont devenues évidentes, et se sont gravées dans la mémoire de mon Église.
16. « Ma vigueur s’est desséchée comme l’argile[22] ». Mes douleurs ont desséché mes forces, non comme l’herbe, mais comme l’argile que le feu rend plus dure. « Ma langue s’est attachée à mon palais ». Ceux par qui je devais parler ont gardé mes préceptes en eux-mêmes. « Vous m’avez réduit à la poussière de la mort ». Vous m’avez jeté entre les mains de ces impies destinés à la mort, et que le vent balayera de la surface de la terre.
17. « Des chiens sans nombre m’environnent[23] ». Voilà que j’étais environné de gens qui aboyaient, non plus au nom de la vérité, mais au nom de la coutume. « Le conseil des méchants m’a assiégé ; ils ont percé mes mains et mes pieds ». Ils ont percé de clous mes mains et mes pieds.
18. « Ils ont compté tous mes os[24] » compter tous mes os étendus sur la croix. « Pour eux, ils m’ont regardé, ils m’ont considéré attentivement ». Pour eux, c’est-à-dire dans la même aversion, ils m’ont regardé et considéré.
19. « Ils se sont partagé mes vêtements, et ont tiré ma robe au sort[25] ».
20. « Pour vous, Seigneur, n’éloignez pas de moi votre secours[26] ». Mais vous, ô Dieu, ressuscitez-moi sans retard, et non point à la fin du monde, comme les autres hommes. « Pourvoyez à ma défense ». Veillez sur moi, afin que nul ne me nuise.
21. « Arrachez mon âme au glaive[27] » : préservez mon âme des langues schismatiques ; « et mon unique à la puissance des chiens » : Délivrez mon Église de ce peuple qui aboie, au nom de ses coutumes.
22. « Sauvez-moi de la gueule du lion. » Sauvez-moi de cette bouche qui m’offre un royaume temporel. « Epargnez à ma faiblesse la corne des rhinocéros[28] » : préservez mon humilité des hauteurs de ces orgueilleux qui s’élèvent d’une manière exclusive et ne souffrent aucun rival.
23. « Je redirai votre nom à mes frères[29] ». J’annoncerai votre nom aux humbles, qui sont mes frères, et qui s’aiment réciproquement, comme je les ai aimés. « Je chanterai vos louanges au milieu de mon Église ». C’est avec joie que je publierai votre gloire dans mon Église.
24. « Bénissez le Seigneur, vous qui le craignez[30] ». Vous qui craignez le Seigneur, ne cherchez point votre gloire, mais louez le Seigneur. « Chantez sa gloire, vous tous, enfants de Jacob ». Glorifiez Dieu, vous tous enfants de celui que servit son aîné.
25. « Craignez-le tous, vous qui êtes enfants d’Israël ». Qu’ils craignent le Seigneur, tous ceux qui sont régénérés dans une vie nouvelle, et préparés à la vision de Dieu. « Car il n’a point dédaigné, ni rejeté la prière du pauvre[31] ». Il n’a témoigné aucun mépris pour la prière, cette prière qui était celle du pauvre sans enflure, étranger aux pompes frivoles, et non celle du pécheur dont les vices crient vers Dieu, et qui ne voulait point quitter cette vie misérable. « Il n’a point détourné de moi son visage », comme il l’a fait pour celui qui disait : « Je crierai vers vous, et vous ne m’écouterez point. Il m’a exaucé, quand j’ai crié vers lui ».
26. « C’est vous que je veux louer[32] ». Car je ne recherche point la gloire pour moi, puisque je me glorifie en vous qui habitez le sanctuaire, et que vous, gloire d’Israël, vous écoutez le saint qui : vous invoque. « C’est dans votre Église si étendue que je publierai votre gloire ». Je vous bénirai dans cette Église répandue par toute la terre. J’offrirai mes vœux, en présence de ceux qui craignent mon Dieu. J’offrirai le sacrement de mon corps et de mon sang, devant ceux qui craignent le Seigneur.
27. « Les pauvres mangeront et seront rassasiés[33] ». Ils mangeront, ceux qui sont humbles, qui méprisent le monde, et ils m’imiteront, et de la sorte, ils ne désireront point les biens de ce monde, et ne craindront point la pauvreté. « Ceux qui cherchent le Seigneur, le béniront ». Car c’est de l’âme qu’il rassasie, que déborde sa louange. « Leurs cœurs vivront dans l’éternité ». Car il est lui-même l’aliment de notre cœur.
28. « Les nations les plus reculées se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui[34] ». Elles s’en souviendront ; car Dieu était en oubli pour ces peuples nés dans la mort, et n’ayant de tendance que pour les biens extérieurs ; et alors tous les confins de la terre se tourneront vers le Seigneur. « Tous les peuples de la terre se prosterneront en sa présence ». Tous les peuples de l’univers l’adoreront damas leurs cœurs.
29. « C’est au Seigneur de régner, et il dominera les nations[35] ». C’est au Seigneur, et non aux hommes superbes qu’appartient l’empire, et il dominera les nations.
30. « Tous les riches de la terre ont mangé, puis adoré ». Les riches de la terre ont mangé l’humble chair de leur maître, et, bien qu’ils n’en aient pas été rassasiés comme les pauvres, jusqu’à imiter Jésus-Christ, ils l’ont néanmoins adoré. « Ils tomberont en sa présence, tous ceux qui s’abaissent sur la terre ». Dieu seul voit la chute de tous ceux qui se lassent de converser dans le ciel, et qui préfèrent étaler, ici-bas, l’apparence du bonheur aux yeux des hommes qui ne voient pas leur ruine.
31. « Mon âme, à son tour, vivra pour lui[36] ». Et mon âme qui paraît morte aux yeux des hommes, parce qu’elle méprise le monde, s’oubliera, pour vivre en Dieu. « Et ma postérité le servira ». Mes œuvres, ou ceux que je porterai à croire en lui, le serviront.
32. « Elle sera prédite pour le Seigneur, la génération à venir[37] ». Les fidèles du Nouveau Testament seront célébrés à la louange du Seigneur. « Et les cieux publieront sa justice ». Les évangélistes annonceront sa justice. « Au peuple qui doit naître, et que le Seigneur a fait[38] » ; au peuple que la foi doit engendrer au Seigneur.

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 21[modifier]

Discours prêché à la solennité de la Passion.


1. Je ne dois point garder sous silence, et vous devez écouter ce que le Seigneur n’a pas voulu taire dans ses saintes Écritures. La passion de Notre-Seigneur est arrivée une fois, nous le savons ; une seule fois le Christ est mort, l’innocent pour les coupables[39]. Nous le savons, nous en avons la certitude, nous croyons d’une foi inébranlable, « que Jésus-Christ une fois ressuscité d’entre les u morts ne meurt plus, et que la mort n’aura plus d’empire sur lui[40] ». Ainsi l’a dit saint Paul : et de peur que nous ne venions à oublier ce-qui s’est fait une fois, nous en célébrons chaque année la mémoire. Est-ce à dire que Jésus-Christ meurt chaque fois que nous célébrons la Pâque ? Néanmoins ce souvenir annuel nous remet en quelque sorte sous les yeux ce qui s’est fait une fois, et nous émeut aussi vivement que si nous voyions le Christ appendu à la croix, non pour lui insulter, mais pour croire en lui. Car à la croix il fut persillé, et on l’adore aujourd’hui qu’il est dans le ciel. N’est-il plus insulté aujourd’hui, et avons-nous encore à nous indigner contre les Juifs qui l’ont tourné en dérision à la croix, et non dans son règne céleste ? Et qui donc se moque aujourd’hui du Christ ? Plût à Dieu qu’il n’y en eût qu’un seul, que deux, qu’on pût même les compter ! Toute la paille qui est dans son aire, se rit de lui, et le bon grain gémit de voir le Seigneur insulté. Je veux en gémir avec vous ; car voici le temps des pleurs. Nous célébrons la Passion du Sauveur ; c’est le temps de gémir, le temps de pleurer, le temps de confesser nos fautes et d’en implorer le pardon. Et qui de nous pourrait verser autant de larmes qu’en méritent ses incomparables douleurs ? Écoutons le Prophète : « Qui donnera, dit-il, de l’eau à ma tête, et à mes yeux une source de larmes[41] ? » Non, une source de larmes, fût-elle réellement dans mes yeux, ne suffirait point, quand nous voyons le Christ persiflé lorsque la vérité est si claire, et quand nul ne peut dire : Je ne savais pas. Car c’est à celui qui possède l’univers entier, que l’on ose bien en offrir une partie ; c’est à celui qui est assis à la droite de son Père, que l’on dit : Qu’y a-t-il ici qui vous appartienne ? et au lieu de toute la terre, on ne lui montre que l’Afrique.
2. Que deviennent, mes frères, les paroles que vous venez d’entendre ? Que ne pouvons-nous les écrire avec des larmes ? Quelle est cette femme qui vint avec des parfums[42] ? De qui était-elle un symbole ? N’est-ce point de l’Église ? Que figurait le parfum qu’elle portait ? N’est-ce point cette bonne odeur dont l’Apôtre a dit : Nous sommes en tous lieux la bonne odeur de Jésus-Christ[43] ? Et saint Paul nous désigne aussi l’Église ; car en disant : « nous sommes », il s’adresse aux fidèles. Et que leur dit-il ? Nous sommes en tous lieux la bonne odeur de Jésus-Christ. Voilà donc saint Paul qui nous dit que les fidèles sont partout la bonne odeur de Jésus-Christ, et l’on ose le contredire ? on soutient que l’Afrique seule est une bonne odeur, que le reste du monde n’a qu’une odeur fétide ? Qui donc affirme que nous sommes en tous lieux la bonne odeur du Christ ? L’Église. C’est cette bonne odeur que figurait ce vase de parfums répandu sur le Sauveur. Voyons si le Christ ne l’atteste pas lui-même. Quand des hommes zélés pour leurs intérêts, avares et voleurs, c’est-à-dire quand Judas disait de ce parfum : « Pourquoi le perdre ainsi ? on aurait pu vendre ce parfum précieux et en faire le bien des pauvres[44] ». Quand il voulait vendre ainsi la bonne odeur de Jésus-Christ, que lui répond le Sauveur ? « Pourquoi, dit-il, contristez-vous cette femme ? Ce qu’elle a fait pour moi, est une bonne œuvre[45] ». Qu’ai-je à dire encore, quand le Sauveur ajoute : « Partout où sera prêché l’Évangile dans tout l’univers, on dira à la louange de cette femme ce qu’elle vient de faire[46] ». Que peut-on ajouter à ces paroles ou en retrancher ? Comment prêter l’oreille à ces calomniateurs ? Le Seigneur a-t-il menti ou s’est-il trompé ? Qu’ils choisissent, et qu’ils nous disent ou que la vérité a pu mentir, ou que la vérité a pu se tromper. « Partout où l’Évangile sera prêché », dit Jésus-Christ. Et comme si on lui demandait : Où donc sera-t-il prêché ? « Dans tout l’univers », répond-il. Écoutons notre psaume, voyons s’il parle dans le même sens. Écoutons ce chant lugubre, et d’autant plus digne de nos larmes que l’on chante pour des sourds. Je serais étonné, – mes frères, que l’on chantât ce psaume aujourd’hui chez les Donatistes. Pardonnez-moi, mes frères, si je vous confesse mon étonnement, muais j’atteste le Christ miséricordieux, que je regarde ces hommes comme des pierres, s’ils n’entendent pas ces choses. Comment parler plus clairement, même à des sourds ? On peut lire dans ce psaume la passion du j Christ aussi clairement que dans l’Évangile, et toutefois, il a été composé je ne sais combien d’années avant que le Sauveur fût né de la vierge Marie : c’était le héraut qui annonçait le juge à venir. Lisons-le donc, autant que nous le permettra le peu de temps qui nous reste, non pas autant que le voudrait notre douleur, mais, ainsi que je l’ai dit, autant que nous le permettra l’heure avancée.
3. « O Dieu, mon Dieu, regardez-moi : Pourquoi m’abandonner ainsi ? » Ce sont les mêmes paroles que nous avons entendues à la croix, quand le Seigneur s’est écrié : « Eli, Eli », c’est-à-dire, mon Dieu, mon Dieu « Lama sabachtani ? » Pourquoi m’avez-vous abandonné ? L’Évangéliste a traduit ces paroles, et dit que le Seigneur s’écria en hébreu : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’abandonnez-vous ? » Que voulait dire le Seigneur ? Car Dieu ne l’avait pas abandonné, puisque lui-même est Dieu, que le Fils de Dieu est Dieu, que le Verbe de Dieu est Dieu. Écoutons dans son premier chapitre, cet Évangéliste qui répandait au-dehors la surabondance qu’il avait puisée dans le cœur de Jésus[47] ; voyons si le Christ est Dieu. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Ce Verbe donc, qui était Dieu, « s’est fait chair pour habiter parmi nous n. C’est ce Verbe qui était Dieu, et qui, s’étant fait chair, disait pendant qu’il était cloué à la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur moi, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » À quoi bon parler de la sorte, sinon parce que nous étions là nous-mêmes, et que l’Église est le corps de Jésus-Christ[48] ? Pourquoi dire : « Mon Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur moi, m’auriez-vous donc abandonné ? » sinon pour stimuler notre attention, et nous dire en quelque manière : « C’est de moi qu’il est parlé dans ce psaume ? Les cris de mes péchés éloignent de moi le salut ». Quels péchés avait celui dont il est dit : « Qu’il n’a commis aucune faute, et que le mensonge ne s’est point trouvé dans sa bouche[49] ? » Comment peut-il dire : « mes péchés n, sinon parce qu’il implore le pardon de nos fautes, et qu’il a voulu qu’elles devinssent ses fautes, afin que sa justice devînt notre justice ?
4. « Mon Dieu, je crierai vers vous pendant le jour, et vous ne m’exaucerez point ; « pendant la nuit, et ce ne sera point une folie pour moi[50] ». Ainsi parle-t-il de lui-même, de vous, de moi ; car il parlait au nom de son corps mystique qui est l’Église. À moins peut-être, mes frères, que vous ne croyiez que le Seigneur craignait de mourir quand il disait : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi[51] ». Le soldat n’est jas plus valeureux que le général. « Il suffit au serviteur de ressembler au maître[52] ». Toutefois saint Paul, ce champion du roi Jésus, s’écriait : « Je me sens pressé des deux côtés, j’ai le vif désir d’être dégagé des liens du corps pour être avec Jésus-Christ[53] ». Va-t-il désirer la mort pour être avec le Christ, quand ce même Christ craignait de mourir ? Qu’est-ce donc, sinon qu’il portait en lui notre infirmité, et qu’il parlait de la sorte au nom des fidèles déjà établis en son corps mystique, et qui pourraient encore craindre la mort ? De là vient que cette prière était la prière des membres, et non du chef. Il en est de même de ces paroles : « J’ai crié vers vous le jour et la nuit, et vous ne m’exaucerez point ». Beaucoup en appellent à Dieu dans l’affliction et ne sont point exaucés ; mais c’est pour leur salut, et non parce qu’ils sont insensés. Paul demanda d’être délivré de l’aiguillon de la chair et ne l’obtint point ; il entendit cette réponse : « Ma grâce te suffit, car la vertu use perfectionne dans la faiblesse[54] ». Dieu donc ne l’exauça point ; et ce refus, loin de l’accuser de folie, devait le former à la sagesse ; car l’homme doit comprendre que Dieu est médecin, et que l’affliction est un remède pour nous guérir et non un châtiment qui aboutisse à la damnation. Pour vous guérir, on brûle, on tranche, et vous criez ; le médecin est sourd à vos désirs, il cherche uniquement à vous guérir.
5. « Pour vous, ô gloire d’Israël, vous habitez dans le sanctuaire[55] ». Vous habitez en ceux que vous sanctifiez, et à qui vous faites comprendre que si vous repoussez des demandes, c’est pour le bien de ceux qui supplient, et que vous en exaucez d’autres pour leur propre perte. Ce fut pour l’avantage de saint Paul que Dieu rejeta sa prière, et pour la confusion de Satan qu’il accueillit la sienne. Il avait demandé de tenter Job, ce qui lui fut accordé[56]. Les démons demandèrent d’entrer dans les pourceaux, et Jésus le leur permit[57]. Ainsi les démons sont exaucés, l’Apôtre ne l’est pas : mais ils sont exaucés pour leur confusion ; et dans l’intérêt de son salut, l’Apôtre ne le fut point. « Ce n’est point pour me convaincre de folie. Vous êtes la gloire d’Israël et vous habitez dans vos saints ». Pourquoi n’exaucez-vous pas même ceux qui sont à vous ? Mais pourquoi parler ainsi ? Souvenez-vous de dire toujours : Grâces à Dieu, devant cette foule d’assistants, et plusieurs sont venus qui ne viennent point d’ordinaire. Je dis donc pour tous que l’affliction n’est pour le chrétien qu’une épreuve, s’il n’abandonne pas le Seigneur. Quand l’homme est heureux au-dehors, le chrétien est dans un délaissement intérieur. Le feu est mis à la fournaise, et cette fournaise de l’orfèvre est le symbole d’un grand mystère. Il y a là de l’or, il y a de la paille, il y a du feu qui agit dans un lieu resserré. Le feu est le même, l’effet en est bien différent ; il réduit la paille en cendre et ôte à l’or ses scories. Ceux en qui habite le Seigneur deviennent ainsi meilleurs par l’affliction, ils sont éprouvés comme l’or. Si donc le démon notre ennemi demande quelqu’un et qu’il l’obtienne de Dieu, alors, soit dans les maladies corporelles, soit dans la perte des biens, soit dans la mort de ses proches, que le chrétien maintienne son cœur entre les mains de celui qui ne l’abandonne et qui ne paraît fermer l’oreille à sa douleur que pour écouter ensuite sa prière avec miséricorde. L’artisan qui nous a faits sait ce qu’il doit faire, il sait aussi comment nous réconforter. C’est un habile architecte qui a construit l’édifice, il sait réparer ce qui a pu s’en écrouler.
6. Écoutez encore ce que dit le Prophète : « En vous ont espéré nos pères ; ils ont espéré, et vous les avez délivrés[58] ». Nous savons, pour l’avoir lu dans les Écritures, combien de nos pères Dieu a délivrés, parce qu’ils espéraient en lui, Il a délivré de l’Égypte tout le peuple d’Israël[59]. Il a délivré les trois jeunes hommes des flammes de la fournaise ; il a délivré Daniel de la fosse aux lions[60], et Susanne d’une accusation mensongère[61] : tous l’invoquèrent, tous furent délivrés ( Id. 13). A-t-il fait défaut à son Fils, au point de ne point l’exaucer sur la croix ? Pourquoi donc n’est-il pas délivré à l’instant, celui qui a dit : « Nos pères ont espéré en vous, et vous les avez délivrés ? »
7. « Pour moi, je suis un ver et non pas un homme[62] ». Un ver et non pas un homme. L’homme aussi est un ver, mais celui-ci est un ver et non pas un homme. Pourquoi pas un homme ? Parce qu’il est Dieu. Pourquoi s’est-il abaissé au point de se dire « un ver ? » Est-ce parce qu’un ver naît de la chair spontanément comme le Christ est né de la vierge Marie ? Il est donc un ver ? Et toutefois il n’est pas un homme. Pourquoi un ver ? Parce qu’il est mortel, parce qu’il est né de la chair, parce qu’il est né d’une vierge et sans le concours d’aucun homme. Pourquoi n’est-il pas un homme ? Parce que le Verbe était au commencement, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu[63].
8. « Je suis l’opprobre des hommes, le rebut de la populace[64] ». Voyez combien il a souffert ; et avant le récit de sa passion, afin de l’écouter avec des gémissements plus sincères, voyez d’abord les douleurs qu’il endure et ensuite voyez pourquoi. Quel est le fruit de sa passion ? Voilà que nos pères ont espéré et ont été délivrés de l’Égypte. Et, comme je l’ai dit, tant d’autres l’ont invoqué, et sans aucun retard ont été délivrés dès cette vie, sans attendre la vie éternelle. Job lui-même, livré à Satan qui l’avait demandé, en proie aux ulcères et aux vers[65], recouvra néanmoins la santé dès cette vie, et des richesses doubles de celles qu’il avait perdues[66]. Pour le Sauveur, il est flagellé, et nul secours ; il est couvert de crachats, et nul secours ; il est souffleté, et nul, secours ; il est élevé en croix, et nulle délivrance ; il s’écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné[67] ? » et nul secours. Pourquoi donc, mes frères ? Pourquoi tout cela ? Quelle est la récompense de tant de douleurs ? Tout ce qu’il endure est une rançon. Que peut-il acheter au prix de tant de douleurs ? Récitons le psaume et voyons ce qu’il contient. Cherchons d’abord ce qu’il a souffert, et ensuite pourquoi : et comprenons combien sont ennemis du Christ ceux qui confessent les douleurs qu’il a endurées et qui lui en dérobent le prix. Écoutons donc tout cela dans le psaume, et voyons ce qu’il a souffert et pour quel motif. Retenez ces deux points : qu’a-t-il souffert et pourquoi ? J’explique maintenant ce qu’il a souffert, sans trop m’y arrêter : les paroles du psaume vous l’expliqueront mieux que moi. Voyez, chrétiens, ce qu’endure le Seigneur ; il est « l’opprobre des hommes et le rebut de la populace ».
9. « Tous ceux qui me voyaient me persiflaient, ils parlaient des lèvres et branlaient la tête. Il a espéré en Dieu, que Dieu le délivre, que Dieu le sauve puisqu’il se plaît en lui n. Mais pourquoi les Juifs parlaient-ils ainsi ? C’est parce que le Christ s’était fait homme, et qu’ils le traitaient en homme.
10. « Parce que c’est vous qui m’avez tiré du sein maternel[68] ». Parleraient-ils ainsi contre ce Verbe qui était au commencement, ce Verbe qui était en Dieu ? Mais ce Verbe, par qui tout a été fait, n’a été tiré des entrailles maternelles que parce que le Verbe a été fait chair et a habité parmi nous. « Parce que vous m’avez tiré du sein de ma mère, vous êtes mon Dieu dès que j’ai sucé la mamelle[69] ». Avant tous les siècles vous êtes mon Père, mais vous êtes mon Dieu depuis que j’ai sucé la mamelle.
11. « Du sein de ma mère, j’ai été reçu dans vos bras », afin que vous fussiez mon unique espérance ; c’est l’homme, et l’homme dans sa faiblesse, le Verbe fait chair, qui parle ainsi. « Dès le sein de ma mère, vous êtes mon Dieu[70] ». Non point mon Dieu par vous-même ; par vous-même vous êtes mon Père ; et mon Dieu seulement depuis que j’ai passé par le sein de ma mère.
12. « Ne vous éloignez pas de moi ; car la tribulation est proche, et il n’y a personne pour me secourir[71] ». Voyez comme il est abandonné, et malheur à nous, s’il nous abandonnait. « Il n’y a personne pour nous secourir ».
13. « De jeunes taureaux sans nombre, des taureaux puissants m’ont environné[72] ». Voilà le peuple et le prince, le peuple ou les jeunes taureaux sans nombre, les princes ou les taureaux puissants.
14. « Ils fondent surmoi, la gueule entr’ouverte, comme le lion qui déchire et qui rugit[73] ». Écoutez ces rugissements dans l’ Évangile : « Crucifiez-le, crucifiez-le[74] ».
15. « Je me suis répandu comme l’eau, et mes ossements ont été dispersés[75] ». Il appelle ossements, les disciples les plus fermes, car les os sont la solidité des corps. Quand ces ossements furent-ils dispersés ? Quand il leur dit : « Voilà que je vous envoie, comme des brebis au milieu des loups[76] ». Il dispersa donc ses disciples les plus solides, et il se répandit comme l’eau. L’eau répandue lave ou arrose ; le Christ s’est répandu comme l’eau, pour laver nos souillures et arroser nos âmes. « Mon cœur s’est fondu comme une cire au milieu de mes entrailles ». C’est son Église qu’il appelle ses entrailles. Comment son cœur est-il devenu comme une cire ? Son cœur, c’est l’Écriture, ou plutôt la Sagesse renfermée dans les saintes Écritures. L’Écriture était un livre fermé, que nul ne comprenait ; le Seigneur a été cloué à la croix, et alors elle est devenue claire comme la cire liquéfiée, et les plus faibles esprits ont pu la comprendre. C’est de là que le voile du temple a été déchiré[77] et, ce qui était voilé, mis à découvert.
16. « Ma force a été durcie comme l’argile[78] ». Admirable expression pour dire mon nom s’est affermi par mes douleurs. De même que l’argile est molle avant de passer par le feu, et solide quand elle en sort ; de même le nom du Seigneur, méprisé avant la passion, en est sorti glorieux. « Ma langue s’est attachée à mon palais ». Comme ce membre n’est utile que pour-parler, le Sauveur appelle sa langue, les prédicateurs, et ils se sont attachés à son palais pour puiser la sagesse dans ses secrètes profondeurs. « Et vous m’avez réduit à la poussière de la mort ».
17. « Voilà qu’une meute de chiens m’environne, que le conseil des méchants m’assiège[79] ». Voyez encore l’Évangile. « Ils ont percé mes mains et mes pieds ». Alors s’ouvrirent ces plaies, dont un disciple incrédule toucha les cicatrices. Il avait dit : « Si je ne mets mon doigt dans la blessure des clous, je ne croirai point ». Jésus lui dit alors : « Venez, mettez votre doigt, ô incrédule ». Et il y mit sa main, et il s’écria « Mon Seigneur, et mon Dieu ». Et Jésus : Parce que tu m’as vu, tu as cru ; bienheureux ceux qui croient sans voir[80]. « Ils ont percé mes mains et mes pieds ».
18. « Ils ont compté tous mes os[81] », quand il était étendu sur la croix. On ne peut mieux exprimer l’extension du corps sur la croix, qu’en disant : « ils ont compté tous mes os ».
19. « Ils m’ont regardé, ils m’ont considéré attentivement[82] ». Ils ont considéré, mais sans comprendre ; ils ont regardé, mais sans voir. Leurs yeux voyaient la chair, mais leur cœur ne s’élevait pas jusqu’au Verbe. « Ils se sont partagé mes vêtements ». Ses vêtements sont les sacrements. Remarquez, mes frères, que ses vêtements ou ses sacrements ont bien pu être divisés par l’hérésie ; mais il y avait là une robe, que nul ne peut diviser. « ils ont tiré ma robe au sort ». « Il y avait là », dit l’Évangéliste, « sa tunique tissue d’en haut[83] ». Donc, tissue dans le ciel, tissue par le Père, tissue par l’Esprit-Saint. Quelle est cette robe, sinon la charité que l’on ne peut partager ? Quelle est cette robe, sinon l’unité ? On la tire au sort, parce que l’on ne peut la diviser. Les hérétiques ont bien pu diviser les sacrements, mais non diviser la charité. Impuissants à la partager, ils se sont retirés, mais elle demeure dans son intégrité. Le sort l’a donnée à quelques-uns ; celui qui la possède, est en sûreté ; car nul ne peut le jeter hors de l’Église catholique ; et si l’homme du dehors commence à l’avoir, on l’y introduit, comme le rameau d’olivier porté par la colombe[84].
20. « Pour tous, ô mon Dieu, n’éloignez pas de moi votre secours[85] ». Ainsi en fut-il, et Dieu le ressuscita le troisième jour. « Pourvoyez à ma défense ».
21. « Arrachez mon âme à la framée[86] » ; c’est-à-dire à la mort. Une framée est un glaive, et par le glaive il a voulu entendre la mort. « Et mon unique à la main des chiens ». Cette âme, et cette unique, c’est son âme et son corps ; c’est son Église qu’il appelle unique. « A la main », c’est-à-dire au pouvoir des chiens. Qui sont les chiens ? Ceux qui aboient commue des chiens, sans savoir à qui ils s’en prennent. On ne leur fait rien, et néanmoins ils aboient. Que fait au chien un passant ? le chien l’aboie pourtant. Aboyer aveuglément, sans savoir ni contre qui, ni pour qui, c’est là être chien.
22. « Sauvez-moi de la gueule du lion[87] ». Vous connaissez ce lion rugissant qui rôde autour de nous, cherchant quelqu’un à dévorer[88]. « Epargnez à mon humilité la corne du rhinocéros ». Il n’appelle rhinocéros que les orgueilleux ; aussi a-t-il ajouté : « Mon humilité ».
23. Vous avez entendu les douleurs que le Christ a endurées, et les prières qu’il a faites pour en être délivré : considérons, maintenant, pourquoi il a souffert. Mais voyez d’abord, mes frères, à quoi bon porter le nom de chrétien, quand on n’est point dans cet héritage pour lequel le Christ a souffert ? Nous avons entendu ce qu’il a enduré ; qu’on comptât ses os, qu’on le tournât en dérision, qu’on partageât ses vêtements, qu’on tirât sa robe au sort, qu’on dispersât ses ossements ; c’est ce que nous apprend le psaume, et ce que nous lisons dans l’Évangile. Voyons pourquoi. O Christ, Fils de Dieu, vous ne souffririez point, si vous ne le vouliez pas, montrez-nous donc le fruit de votre passion. Écoutez, nous dit-il, quel est ce fruit : je ne le cache point ; mais l’homme est sourd à mes paroles. Écoutez donc bien quel est ce fruit acheté par mes douleurs. « J’annoncerai votre nom à mes frères ». Voyons s’il ne prêche le nom du Seigneur à ses frères, que dans une partie du monde. « J’annoncerai votre nom à mes frères, je vous chanterai au milieu de l’Église[89] ». C’est ce qui s’accomplit maintenant. Mais voyons quelle est cette Église : « Je vous chanterai au milieu de l’Église ». Voyons donc l’Église pour laquelle il a souffert.
24. « Louez le Seigneur, vous qui le craignez[90] ». L’Église du Christ est donc partout où l’on craint et où l’on bénit Dieu. Or, voyez, mes frères, si dans ces jours il n’y a point de sens dans le chant de l’Amen, et de l’Alléluia qui retentit par toute la terre. Est-ce que Dieu n’y est pas craint ? Est-ce que le Seigneur n’y est pas béni ? Voilà que Donat s’en vient nous dire : Il n’y a plus de crainte, et le monde entier a péri, il a tort de dire le monde entier ; n’en restera-t-il donc qu’une faible part en Afrique ? Mais le Christ n’a-t-il donc pas une parole pour fermer la bouche à ces prédicateurs ? N’a-t-il pas une parole pour leur arracher la langue ? Cherchons, nous la trouverons peut-être. Quand le Christ doit u bénir Dieu au milieu de l’Église », c’est de notre Église qu’il parle. « Bénissez le Seigneur, « vous qui craignez Dieu n. Voyons si nos adversaires louent le Seigneur, afin de coin-prendre si c’est bien d’eux qu’il parle, s’il est béni dans leur Église. Comment bénissent-ils le Christ, ceux qui prêchent qu’il a perdu toute la terre, que le diable l’a conquise sur lui, qu’il ne lui en reste qu’une partie ? Mais voyons encore, et que le psaume parle avec plus de clarté, qu’il s’explique avec plus d’évidence ; qu’il n’y ait plus besoin d’interprétation, qu’il mie reste aucun doute. « Glorifiez-le, race entière de Jacob ». Peut-être diront-ils encore : C’est nous qui sommes la race de Jacob. Voyons s’ils sont en effet cette race,
25. « Qu’il soit craint de toute la postérité d’Israël[91] ». Qu’ils disent encore qu’ils sont la race d’Israël, nous leur permettons de le dire. « Car il n’a point méprisé ni rejeté la prière des pauvres ». De quels pauvres ? de ceux qui ne présumaient point d’eux-mêmes. Jugeons par là s’ils sont pauvres, ceux qui disent : « Nous sommes justes », quand Jésus-Christ dit lui-même : « Les cris de mes péchés éloignent de moi le salut[92] ». Mais qu’ils disent encore ce qu’il leur plaira. « Il n’a point détourné de moi son visage, et quand je criais vers lui il m’a exaucé[93] ». En quoi l’a-t-il exaucé, pour quel motif ?
26. « Vous êtes l’objet de ma louange[94] ». Il met sa gloire en Dieu pour nous apprendre à ne point présumer de l’homme. Qu’ils disent encore ce qu’ils voudront. Déjà ils commencent à sentir l’effet du feu qui s’approche : « Car nul ne peut se dérober à sa chaleur[95] ». Qu’ils disent encore : Nous ne présumons pas non plus en nous-mêmes, et c’est en Dieu que nous mettons notre gloire ; qu’ils disent même : « Je chanterai vos louanges dans une grande assemblée ». Il me semble qu’ici le Christ les touche au cœur. Qu’est-ce, mes frères, qu’une grande Église ? Appellerait-on grande Église un coin de la terre ? Une grande Église, c’est l’univers entier. Quelqu’un voudrait-il contredire le Christ ? Voici vos paroles, ô Christ : « Je chanterai vos louanges dans une grande Église » ; dites-nous donc quelle est cette Église ! Vous êtes resserré dans un coin de l’Afrique ; vous avez perdu le monde entier, vous avez versé votre sang pour tous ; mais l’ennemi a envahi vos domaines. Si nous parlons ainsi, mes frères, c’est comme pour l’interroger, car nous savons ce qu’il y aurait à répondre. Supposons néanmoins que nous ignorons ce qu’il dit : sa réponse n’est-elle point : Attendez, je vais parler de manière à lever tous les doutes ? Écoutons donc ce qu’il va dire. Pour moi, je voulais prononcer, et ne point laisser aux hommes la liberté d’interpréter cette parole du Christ : « Dans une grande Église ». Et tu viens me dire qu’il est resserré à l’une des extrémités ? Ils oseront encore nous dire : Notre assemblée est grande, que dites-vous de Bagaï et de Tamugade ? Si le Christ n’a plus un mot pour les confondre, ils diront que la Numidie seule est cette grande Église.
27. Voyons encore, écoutons Jésus-Christ. « J’accomplirai mes vœux en présence de ceux qui le craignent[96] ». Quels sont les vœux du Christ ? le sacrifice qu’il offrit à Dieu. Savez-vous quel sacrifice ? Les fidèles savent les vœux accomplis par le Christ en présence de ceux qui le craignaient. Car voici ce qui suit : « Les pauvres mangeront et seront rassasiés[97] ». Bienheureux donc ces pauvres qui mangent ainsi pour être rassasiés ! Donc, les pauvres mangent. Quant aux riches, ils ne sont pas rassasiés, parce qu’ils n’ont pas faim. Les pauvres mangeront. Il était un pauvre, ce Pierre le pêcheur, et Jean cet autre pêcheur, et Jacques son frère[98], et même le publicain Matthieu[99]. Ils étaient des pauvres, tous ces autres qui mangèrent et qui furent rassasiés, parce qu’ils souffrirent comme la victime qu’ils mangeaient. Car le Christ a donné ses douleurs comme il a donné ses festins ; c’est celui qui souffre comme lui, qui est rassasié. Les pauvres l’imitent, car ils souffrent pour suivre les traces de Jésus-Christ. « Ces pauvres mangeront ». Comment sont-ils pauvres ? « C’est qu’ils louent le Seigneur, ceux qui le recherchent[100] ». Les riches se louent eux-mêmes, les pauvres louent le Seigneur. Comment donc sont-ils pauvres ? C’est qu’ils bénissent le Seigneur, qu’ils recherchent le Seigneur, et que le Seigneur est le trésor des pauvres ; d’où vient que leur maison est dénuée, tandis que leur cœur est plein de richesses, Que le riche travaille à remplir ses coffres, le pauvre cherche à remplir son cœur : et quand leur cœur est enrichi, ils bénissent le Seigneur, ceux qui le recherchent. Voyez, mes frères, en quoi consiste la richesse de ces vrais pauvres ; elle ne loge, ni dans les coffres, ni dans les greniers, ni dans tes celliers. « Leurs cœurs vivront dans l’éternité ».
28. Écoutez-moi donc, mes frères. Le Christ a souffert, il a enduré tout ce que vous avez entendu ; nous avons cherché le but de ses douleurs, et il s’est mis à nous dire : « J’annoncerai votre nom à mes frères, je vous chanterai au milieu de l’Église ». Mais ils répliquent : Nous sommes cette Église. « Qu’il soit redouté dans la postérité d’Israël ». Et eux de dire : Nous sommes la postérité d’Israël. « Il n’a point rejeté ni dédaigné la « prière des pauvres ». Ils disent encore Nous sommes ces pauvres. « Il n’a pas détourné de moi son visage ». Jésus-Christ, notre Seigneur, n’a pas détourné sa face de lui-même, ou de son corps, qui est l’Église. « En vous est ma louange ». Et vous voulez vous louer vous-mêmes. Mais, nous répondront-ils, c’est bien lui que nous chantons aussi. « Je remplirai mes vœux en présence de ceux qui le craignent ». Les fidèles savent que c’est un sacrifice de paix, un sacrifice de charité, le sacrifice de son corps : nous ne pouvons aujourd’hui nous étendre à ce sujet. « Je remplirai mes vœux devant ceux qui me craignent ». Mangez, publicains, mangez pêcheurs, mangez, imitez le Seigneur, souffrez, et vous serez rassasiés. Le Seigneur lui-même est mort ; les pauvres meurent à leur tour, et la mort des disciples vient s’ajouter à la mort du maître. Pourquoi ? montrez-m’en l’utilité. « Les extrémités de la terre se ressouviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui[101] ». Hélas ! mes frères, pourquoi nous demander ce que nous répondrons aux partisans de Donat ? Ce psaume que nous lisons ici aujourd’hui se ht encore aujourd’hui chez eux. Gravons-le sur nos fronts, marchons avec lui, ne donnons aucun repos à notre langue, et répétons sans cesse : Le Christ a souffert, voilà que ce négociant divin nous montre ce qu’il vient d’acheter, son sang qu’il a répandu en est le prix. Il portait ce prix dans une bourse divine ; et cette bourse s’est répandue sous le coup d’une lance impie, et il en est sorti la rançon du monde entier. Que viens-tu me dire, ô hérétique ? N’est-ce point le prix de l’univers entier ? l’Afrique seule serait-elle rachetée ? tu n’oserais le dire. Tout l’univers a été racheté, diras-tu, mais il a échappé au Christ. Quel ravisseur a donc fait perdre au Christ ce qui lui appartenait ? « Voilà que tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui ». Que ces paroles vous suffisent donc. S’il était dit : Les confins de la terre, et non, « tous les confins de la terre », ils pourraient nous répliquer : Nous avons en Mauritanie ces confins de la terre. Mais, ô hérétique, il a dit : « Tous les confins de la terre », oui, « tous » ; où donc pourras-tu fuir, pour éviter cette réponse ? Nul moyen d’échapper ; il ne te reste que la porte pour entrer.
29. Toutefois, mes frères, je ne veux pas établir une dispute, de peur que l’on attribue quelque valeur à mon discours. Écoutez donc le psaume, et lisez-le. Voilà que le Christ a souffert, son sang est répandu ; voilà d’une part le Rédempteur, et d’autre part la rançon. Qu’on me dise l’objet racheté. Mais pourquoi le demander ? puisqu’on pourrait me répondre O insensé, à quoi bon les questions ? Tu as un livre, et dans ce livre le prix de la rançon, et l’objet racheté. Vous pouvez y lire : « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui ». Oui, les confins de la terre s’en souviendront. Mais les hérétiques l’ont oublié, aussi le leur lit-on chaque année. Croyez-vous qu’ils prêtent l’oreille, quand le lecteur répète : « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui ? » Mais ce n’est peut-être qu’un verset, et vous aviez l’esprit distrait, ou vous parliez au voisin, quand on a lu ce passage ; voyez pourtant comme il le répète, et force les sourds d’entendre : « Toutes les nations de la terre se prosterneront pour l’adorer ». Il est encore sourd, et n’entend pas plus, frappons de nouveau. « Au Seigneur appartient l’empire, et il dominera les nations ». Retenez bien, mes frères, ces trois versets. Aujourd’hui on les chante aussi chez eux, à moins qu’ils ne les aient effacés. Pour moi, mes frères, je suis tellement frappé, tellement hors de moi-même, qu’une telle surdité, une telle dureté de cœur me jette dans la stupeur, et je me prends à douter quelquefois s’ils ont ces passages dans leurs livres. Aujourd’hui tous les fidèles accourent à l’Église, aujourd’hui tous prêtent l’oreille attentivement à la lecture de ce psaume, tous demeurent en suspens à cette lecture. Mais fussent-ils inattentifs, n’y a-t-il que ce seul verset : « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui ? » Vous vous éveillez, vous frottez encore vos yeux : « Et les peuples de la terre se prosterneront en sa présence ». Vous vous réveillez, vous êtes encore assoupis, écoutez : « Au Seigneur appartient l’empire, et il dominera toutes les nations ».
30. Que pourraient-ils répliquer ? je ne sais ; qu’ils s’en prennent aux saintes Écritures, et non plus à nous. Voilà le livre, qu’ils le combattent. À quoi sert de dire : C’est nous qui avons sauvé les Écritures, qu’on aurait brûlées ? Elles sont sauvées pour te brûler, ô hérétique. À quoi bon les sauver ? Ouvre-les donc pour les lire. Tu les a sauvées, et tu les combats. Pourquoi sauver de la flamme ce que tu effaces de la langue ? Je n’en crois rien, je ne puis croire que tu les aies sauvées ; non, tu ne les as pas sauvées, je n’en crois rien. Les nôtres, au contraire, ont raison de dire que tu les as livrées, il prouve sa trahison, celui qui refuse d’exécuter un testament qu’on lui alu. On le lit devant moi, et je m’y rends ; devant toi, et tu contestes. Quelle main l’a jeté au feu ? Est-ce la main de celui qui l’accepte et le suit, ou la main de celui qui est chagrin qu’il existe encore, et qu’on le puisse lire ? Mais je ne veux plus connaître le sauveur de ce livre ; peu importe de quelle manière et dans quelle caverne on l’ait trouvé, c’est le testament de notre père ; je ne connais ni les voleurs qui voulaient le soustraire, ni les persécuteurs qui le voulaient brûler : de quelque part qu’il nous vienne, il doit être lu. Pourquoi disputer ? Nous sommes frères, à quoi bon plaider ? Notre père n’est point mont sans testament. Il en a fait un, et il est mort ; après sa mort, il est ressuscité. On dispute sur l’héritage d’un défunt, tant que le testament n’est pas devenu public : dès que le testament se produit en public, tous gardent le silence, afin qu’on l’ouvre et qu’on le lise. Le juge l’écoute avec attention, les avocats se taisent, les huissiers font faire silence, tout le peuple demeure en Suspens, pour laisser lire les paroles d’un défunt, qui est sans mouvement dans le sépulcre. Cet homme est donc sans vie sous la pierre, mais ses paroles ont une valeur : et c’est quand Jésus-Christ est assis dans le ciel, que l’on conteste son testament ? Ouvrez donc, et lisons. Nous sommes frères, pourquoi ces disputes ? Soyons plus paisibles, notre père ne nous a pas laissés sans testament. Et celui qui a fait ce testament, vit dans l’éternité, il entend nos voix, il connaît celle qui est à lui. Lisons donc, à quoi bon disputer ? Prenons possession de l’héritage, quand nous l’aurons trouvé. Ouvrez le testament, et lisez donc un des premiers psaumes : « Demande-moi e. Mais qui parle ainsi ? Peut-être n’est-ce pas Jésus-Christ. Vous avez encore au même endroit : « Le Seigneur m’a dit : Vous êtes mon Fils, c’est aujourd’hui que je vous ai engendré[102] ». Donc est-ce le Fils de Dieu qui parle, ou le Père qui parle à son Fils ? Et que dit-il à ce Fils ? « Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et ton empire embrassera tous les confins de la terre ( Id. 8.) ». Souvent, mes frères, quand on conteste au sujet d’un champ, on s’enquiert des possesseurs qui avoisinent, et entre tel ou tel voisin, on cherche l’héritier à qui il est échu ou qui en est l’acheteur. Auprès de quels voisins s’informer ? Auprès de ceux qui possèdent les propriétés environnantes. Mais celui qui n’a aucune borne à son héritage n’a aucun voisin, Or, de quelque part que vous vous tourniez, c’est le Christ qui est possesseur. Tu as en héritage les confins de la terre, viens, possède avec moi la terre entière. Pourquoi m’intenter un procès pour m’appeler en partage ? Viens ici, c’est un avantage de perdre ton procès puisque tu auras le tout. Quel sujet pour toi de disputer ? J’ai lu le testament, et tu disputes encore ? Viendras-tu nous objecter qu’il a dit : « Les confins de la terre, et non, tous les confins ? Lisons donc alors. Qu’avons-nous lu ? « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui. Toutes les nations de la terre se prosterneront en sa présence. L’empire est au Seigneur, et il dominera les nations ». C’est donc à lui et non à vous qu’appartient la domination. Reconnaissez donc et le Seigneur votre maître, l’héritage du Seigneur.
31. Mais vous aussi, qui voulez avoir une possession à part, et non plus avec nous dans l’unité du Christ, car vous voulez dominer sur la terre et non régner avec lui dans le ciel, vous possédez vos demeures. Nous sommes allés quelquefois les trouver, mes frères, et pour leur dire : Cherchons la vérité, trouvons la vérité. Et eux de nous répondre : Gardez ce que vous avez ; tu as tes brebis, j’ai les miennes ; laissez mes brebis en paix comme j’y laisse les vôtres. Grâces à Dieu, j’ai mes brebis, et il a ses brebis, qu’a donc racheté le Christ ? Ah ! qu’elles ne soient ni à toi ni à moi, ces brebis, mais bien à celui qui les a rachetées, à celui qui les a marquées de son caractère ! « Ni celui qui plante n’est rien, ni celui qui arrose, mais c’est Dieu qui donne l’accroissement[103] ». Pourquoi donc avoir tes brebis et moi mes brebis ? Si le Christ est avec toi, que mes brebis y aillent aussi, car elles ne sont pas à moi ; et si le Christ est avec nous, que tes brebis y viennent aussi, puisqu’elles ne sont pas à toi. Qu’elles entrent dans leur héritage en nous baisant le front et les mains, et que les enfants étrangers disparaissent. Elles ne m’appartiennent pas, dit-il. Qu’est-ce à dire ? Voyons si elles ne vous appartiennent pas, voyons si vous n’en avez pas revendiqué la possession. Je travaille au nom du Christ, toi au nom de Donat ; car si c’est pour le Christ, le Christ est partout. Tu dis « Le Christ est ici[104] », et moi je dis qu’il est partout. « Enfants, louez le Seigneur, bénissez le nom du Seigneur ».D’où viendra cette louange ? Et jusqu’où ira-t-elle ? « De l’Orient jusqu’au couchant, bénissez le nom du Seigneur[105] ». C’est là l’Église que je vous montre, c’est là ce qu’a acheté le Christ et ce qu’il a racheté, c’est pour cela qu’il a donné son sang. Mais toi, que dis-tu ? C’est aussi pour lui que je recueille. « Celui qui ne ramasse « point avec moi, te répond-il, celui-là disperse[106] ». Or, tu divises l’unité, tu veux un domaine à part. Pourquoi donc avoir le nom du Christ ? C’est parce que tu as prétendu que le nom fût comme un titre qui garantît ta possession. N’est-ce point là ce que font plusieurs à l’égard de leur maison ? Pour la garantir contre l’avidité d’un larron puissant, le maître y place le titre d’un autre homme puissant, titre mensonger. Il veut être possesseur de sa maison, et pour se l’assurer, il met au frontispice un titre d’emprunt, afin qu’en lisant ce nom d’un homme puissant dans le monde, un ravisseur soit saisi de frayeur et s’abstienne de toute violence. C’est ce que firent nos hérétiques lorsqu’ils condamnèrent les Maximianistes. Ils allèrent trouver les juges, et pour montrer des titres qui les fissent regarder comme évêques, ils récitèrent les canons de leur concile. Alors le juge demanda : Est-il ici quelque autre évêque du parti de Donat ? L’assemblée répondit : Nous ne reconnaissons qu’Aurèle qui est catholique. Dans la crainte des lois, ils n’ont parlé que d’un seul évêque. Mais pour se faire écouter du juge, ils empruntaient le nom du Christ et couvraient de ses titres leur possession. Que le Seigneur le leur pardonne dans sa bonté, et qu’il revendique son héritage partout où il retrouve ses titres ; sa miséricorde est assez grande pour leur faire cette grâce, et pour ramener dans son Église tous ceux qu’il rencontrera sous le nom du Christ. Voyez, mes frères, quand un prince trouve ses titres sur quelque domaine, n’a-t-il pas le soin de le revendiquer en disant : S’il n’était mon domaine, il ne porterait pas mes titres ? J’y trouve mon nom, le domaine est à moi ; tout domaine m’appartient quand il porte mon nom. Change-t-il jamais ses titres ? Le titre d’autrefois est le titre d’aujourd’hui ; l’héritage peut changer de maître et non de titre. De même, quand ceux qui ont reçu le baptême du Christ reviennent à l’unité, nous ne changeons pas les titres, nous ne les effaçons point ; mais nous reconnaissons les titres de notre roi, le nom de notre prince. Que disons-nous ? Héritage infortuné, sois le domaine de celui dont tu portes les titres ; tu portes le nom du Christ, ne sois donc pas l’héritage de Donat.
32. C’est beaucoup nous étendre, mes frères ; mais gardez-vous d’oublier ce que nous avons lu. Je vous le répète, et il faut souvent le redire ; au nom de ce jour sacré, ou plutôt, des mystères que l’on y célèbre, je vous en supplie, n’oubliez pas ces paroles : « Toutes les nations de la terre se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui. Tous les peuples de la terre se prosterneront en sa présence. L’empire est au Seigneur, et il dominera les peuples ». En face d’un titre si clair, si authentique de la possession du Christ, fermez l’oreille aux paroles d’un imposteur. Toute contradiction est la parole d’un homme, ceci est la parole de Dieu.


DISCOURS SUR LE PSAUME 22[modifier]

LES PÂTURAGES DU SEIGNEUR.[modifier]

L’Église par la bouche du Prophète s’applaudit d’être le troupeau que dirige la houlette du bon pasteur, qui la conduit dans les pâturages sacrés de l’Eucharistie.

PSAUME POUR DAVID.[modifier]


1. C’est l’Église qui s’adresse au Christ « Le Seigneur me dirige et rien ne me manquera[107] ». Le Seigneur Jésus est mon pasteur, et je ne manquerai de rien.
2. « Il m’a placé dans un lieu de pâturage[108] ». Il m’a placé, pour me nourrir, dans ce lieu de pâturage qui commence par me conduire à la foi. « Il m’a entretenu le long des eaux salutaires ». Il m’a fait grandir par les eaux du baptême, qui rendent la force et la santé à ceux qui ont langui.
3. « Il rend la force à mon âme, et me fait marcher dans les sentiers de la justice, pour la gloire de son nom[109] » Il m’a conduit dans les sentiers étroits de sa justice, où peu savent marcher ; non point à cause de mes mérites, mais pour la gloire de son nom.
4. « Quand même je marcherais au milieu des ombres de la mort ». Dussé-je marcher au milieu de cette vie, qui est l’ombre de la mort. « Je ne craindrai aucun mal, parce que vous êtes avec moi[110] ». Je ne craindrai aucun mal, parce que vous habitez dans mon cœur par la foi, et maintenant vous êtes avec moi, afin qu’après les ombres de la mort, je sois avec vous. « Votre verge et votre houlette, voilà ce qui m’a consolé ». Votre discipline est pour moi comme la verge qui ramène les brebis au bercail, comme la houlette qui se fait sentir aux enfants plus avancés, qui passent de la vie animale à la vie spirituelle ; loin de m’affliger, elles m’ont consolé, puisque vous prenez soin de moi.
5. « Vous avez préparé, sous mes yeux, un banquet, à l’encontre de ceux qui me persécutent[111] ». Après la verge qui maintenait, dans le bercail et dans les pâturages, mon enfance et ma vie animale, après cette verge est venue pour moi la houlette, et alors vous avez préparé un festin sous mes yeux, afin que le lait de l’enfance[112] ne fût plus mon aliment, mais que, devenu plus grand, je prisse une nourriture qui me fortifiât contre ceux qui me persécutent. « Vous avez répandu sur ma tête une huile parfumée ». Vous avez donné à mon cœur une joie spirituelle. « Quelle délicieuse ivresse dans la coupe que vous m’avez donnée[113] ! » Combien est doux votre breuvage qui, nous fait oublier les vains plaisirs !
6. « Et votre miséricorde me suivra tous les jours de ma vie[114] » ; c’est-à-dire tant que je suis en cette vie mortelle, qui n’est pas la vôtre, mais la mienne. « Afin que j’habite la maison du Seigneur, dans les jours éternels ». Elle me suivra, non seulement ici-bas, mais elle me donnera la maison du Seigneur, pour la vie éternelle.


DISCOURS SUR LE PSAUME 23[modifier]

L’ASCENSION DU CHRIST.[modifier]

Le Prophète chante ici le triomphe de Jésus-Christ, il le voit s’élever au ciel et dominer ces puissances diaboliques qui s’étaient fait rendre les honneurs divins.

PSAUME DE DAVID LE LENDEMAIN DU SABBAT (Ps. 23,1.)[modifier]


1. Psaume de David sur la glorieuse résurrection, qui eut lieu le matin du premier jour après le sabbat, jour que depuis nous appelons dimanche ou jour du Seigneur.
2. « La terre et tout ce qu’elle contient est au Seigneur, l’univers et tous les peuples qui l’habitent[115] » ; puisque sa gloire est proposée partout à la foi des nations, et que son Église embrasse l’univers entier. « C’est lui qui l’a fondée sur les mers ( Id. 3.) ». Il a solidement assis cette même Église sur les flots du siècle, qui doivent lui être soumis, et ne jamais lui nuire. « Et il l’a élevée au-dessus des fleuves ». Comme les fleuves s’en vont à la mer, ainsi l’homme insatiable se répand dans le monde : mais l’Église les domine, et refoulant, par la grâce, les mondaines convoitises, elle se prépare au moyen de la charité à la gloire immortelle.
3. « Qui s’élèvera jusqu’à la montagne du Seigneur[116] ? » Qui pourrait atteindre les sommets de la justice divine ? « Ou qui habitera son sanctuaire ? » Et après s’être élevé dans ce sanctuaire affermi sur les mers, élevé au-dessus des fleuves, qui pourra s’y maintenir ?
4. « Celui qui a les mains innocentes et le cœur pur ». Qui donc pourra s’élever à ces hauteurs et s’y maintenir, sinon l’homme aux œuvres innocentes, et au cœur pur ? « Qui n’a point reçu son âme en vain »[117]. Qui n’a point laissé son âme s’attacher à tout ce qui est périssable, mais qui, fier de son immortalité, lui a fait désirer l’éternité qui est constante et immuable. « Et qui n’a jamais été parjure ». Et qui agit envers ses frères, sans artifice, mais avec la simplicité et la vérité de tout ce qui est éternel.
5. « Celui-à recevra la bénédiction du Seigneur, et la miséricorde du Dieu son sauveur »[118].
6. « Telle est la génération de ceux qui cherchent le Seigneur ». Ainsi naissent tous ceux qui le cherchent, qui cherchent la face du Dieu de Jacob[119]. Diapsalina incompréhensible ». ils cherchent la face de ce même Dieu qui a donné la primauté au plus jeune frère.
7. « Ouvrez les portes, ô vous qui êtes princes ». Vous qui cherchez la domination sur les hommes, enlevez ces portes de la cupidité et de la crainte, que vous avez établies, de peur qu’elles ne vous nuisent. « Elevez-vous, portes éternelles »[120]. Portes de la vie éternelle, portes de la renonciation au monde et du retour à Dieu. « Et le roi de gloire entrera ». Alors entrera ce roi en qui nous pouvons nous glorifier sans orgueil ; qui brisa les portes de la mort, s’ouvrit les portes du ciel, accomplissant ainsi ce qu’il a dit : « Réjouissez-vous, car j’ai vaincu le monde ».
8. « Quel est ce roi de gloire ? » La nature humaine demande avec stupeur : « Quel est ce roi de gloire ? C’est le Seigneur fort et puissant »[121], que vous avez cru faible et vaincu. « Le Seigneur puissant dans la guerre ». Touchez ses plaies, vous les trouverez fermées, et l’infirmité humaine rendue à l’immortalité. Elle est achevée cette glorification du Seigneur qui devait éclater sur la terre, où elle a combattu contre la mort.
9. « Ouvrez donc vos portes, ô princes »[122]. Que d’ici nous puissions aller au ciel. Qu’elle retentisse de nouveau, la trompette prophétique. « Enlevez, princes des cieux, ces portes par lesquelles vous entrez dans l’âme de ceux qui adorent la milice du ciel[123] ; élevez-vous, portes éternelles ». Portes de l’éternelle justice, de la charité, de la chasteté, par lesquelles notre âme s’unit au seul vrai Dieu, sans offrir à tant d’autres qu’on appelle des dieux, un culte adultère. « Et le roi de gloire entrera ». Il entrera, ce roi de gloire, qui doit s’asseoir à la droite de son Père afin d’intercéder pour nous[124].
10. « Quel est ce roi de gloire ? » D’où le vient cette stupeur[125], ô prince des puissances de l’air, et pourquoi cette question : « Quel est ce roi de gloire ? C’est le Seigneur des Vertus qui est ce roi de gloire[126] ». Il est ressuscité, celui que tu as tenté naguère, et il te marche sur la tête, il s’élève au-dessus des anges, celui que tentait l’ange prévaricateur. Que nul d’entre vous, désormais, ne se rue à l’encontre et nous barre le passage, afin de se faire adorer par nous, comme un Dieu : ni principauté, ni ange, ni vertu ne nous sépare désormais de la charité de Jésus-Christ[127]. Il est mieux pour nous d’espérer dans le Seigneur que dans les princes[128] ; afin que celui qui se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur[129]. Il est vrai que dans les dispositions de ce monde ces esprits de l’air sont des vertus, mais « c’est le Seigneur des vertus qui est le roi de gloire ».


DISCOURS SUR LE PSAUME 24[modifier]

ESPOIR EN DIEU.[modifier]

Sentiments de confiance, d’humilité et de confiance avec lesquels on doit recourir à Dieu dans les adversités de la vie présente.

POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID[130][modifier]


1. C’est Jésus-Christ qui parle ici, mais au nom de son Église. Car tout ce que renferme le psaume s’applique mieux au peuple chrétien converti à Dieu.
2. « C’est vers vous, Seigneur, que j’élève mon âme »[131], par de spirituels désirs, elle qui rampait sur la terre par ses charnelles convoitises. « Mon Dieu, j’ai mis en vous mon espoir, et je n’en rougirai point »[132]. Seigneur, ma confiance en moi m’a réduit à ces infirmités de la chair ; j’abandonnais Dieu pour être moi-même comme un Dieu, et voilà que le moindre animal me fait craindre la mort, et que j’ai dû rougir de mon orgueil dérisoire ; maintenant que j’espère en vous seul, plus de confusion pour moi.
3. « Que mes ennemis ne me tournent plus en dérision[133] ». Qu’ils ne me persiflent point, ceux dont les suggestions occultes et empoisonnées sont autant de pièges ; et qui en me criant : Courage, courage, m’ont avili de la sorte. « Car la déception n’est plus pour ceux qui espèrent en vous ».
4. « Que ceux-là soient couverts d’opprobre, ceux qui font avec moi des actes futiles ». Honte à ceux qui font le mal pour acquérir les biens qui passent. « Mais vous, Seigneur, montrez-moi vos voies, ouvrez-moi vous-même vos sentiers »[134] ; qui ne sont point spacieux, et qui ne conduisent pas la foule à sa perte ; enseignez-moi ces sentiers étroits qui sont les vôtres et que peu connaissent[135].
5. « Faites-moi marcher dans votre vérité », et fuir l’erreur. « Enseignez-moi », puisque de moi-même je ne connais que le mensonge. « C’est vous, ô Dieu, qui êtes mon Sauveur, vous que j’ai attendu tout le jour »[136]. Banni par vous du paradis[137], errant dans les régions lointaines[138], je ne puis retourner à vous si vous ne venez au-devant de moi ; et pendant le cours de cette vie terrestre, votre miséricorde attendait mon retour.
6. « Souvenez-vous, Seigneur, de vos miséricordes »[139]. Souvenez-vous, Seigneur, de vos œuvres miséricordieuses, car les hommes vous accusent d’oubli. « Souvenez-vous de ces bontés qui sont éternelles ». N’oubliez point surtout que vos miséricordes ont commencé avec le monde. Car elles sont inséparables de vous, puisque vous avez assujetti l’homme pécheur à la vanité, mais dans l’espérance, et que vous avez donné à votre créature de si nombreux et si grands sujets d’espérance.
7. « Ne gardez aucun souvenir des fautes de ma jeunesse, et de mon ignorance »[140]. Ne réservez point de châtiment aux fautes que j’ai commises par une témérité audacieuse, et par ignorance, qu’elles soient effacées à vos yeux. « O Dieu, souvenez-vous de moi selon votre miséricorde ». Souvenez-vous de moi, non point selon cette colère dont je suis digne, mais selon cette miséricorde qui est digne de vous. « A cause de votre bonté », et non point à cause de mes mérites.
8. « Le Seigneur est plein de douceur et d’équité »[141]. De douceur, puisqu’il prend en pitié les pécheurs et les impies, jusqu’à leur pardonner leurs fautes passées, mais aussi de justice, car après la grâce de la vocation et du pardon, grâce que nous n’avons point méritée, il exigera au jour du dernier jugement des mérites proportionnés à ces grâces. « Aussi fera-t-il connaître sa loi à ceux qui s’égarent en chemin », car c’est pour les conduire dans la voie, qu’il leur a fait miséricorde.
9. « Il dirige les humbles dans la justice »[142]. C’est lui qui conduira les hommes doux, et qui, au jour du jugement, ne jettera point dans l’effroi ceux qui suivent sa volonté, qui ne résistent pas à la sienne pour lui préférer la leur. « Il enseignera ses voies à ceux qui sont doux ». Il enseignera ses voies, non point à ceux qui les veulent dépasser, comme s’ils étaient eux-mêmes plus capables de se diriger, mais à ceux qui ne savent ni lever la tête, ni regimber quand on leur impose un joug doux et un fardeau léger.[143]
10. « Toutes les voies du Seigneur ne sont que miséricorde et vérité »[144]. Quelles voies peut enseigner le Seigneur, sinon cette miséricorde qui se laisse fléchir, et cette vérité qui le rend incorruptible ? Il exerce la première en nous pardonnant nos fautes, et la seconde en jugeant nos mérites. De là vient que toutes les voies du Seigneur se réduisent aux deux avènements du Fils de Dieu, l’un pour exercer la miséricorde et l’autre le jugement. Celui-là donc arrive à Dieu par le chemin tracé, qui reconnaît que sans aucun mérite il est délivré de ses fautes, qui renonce à l’orgueil, et redoute le sévère examen d’un juge dont il a éprouvé la secourable clémence. « Pour ceux qui recherchent son alliance et sa loi ». Car ils reconnaissent la miséricorde du Seigneur dans son premier avènement, sa justice dans le second, ceux qui recherchent avec douceur et mansuétude le testament par lequel il nous a rachetés pour la vie éternelle, au prix de son sang, qui étudient ses témoignages dans les prophètes et dans les évangélistes.
11. « A cause de votre nom, vous serez miséricordieux pour mes fautes qui sont en si grand nombre »[145]. Non seulement vous avez couvert du pardon les fautes que j’ai commises avant d’arriver à la foi ; mais le sacrifice d’un cœur contrit vous adoucira en faveur de mes péchés qui sont nombreux, car la véritable voie elle-même n’est pas sans achoppement.
12. « Quel est l’homme qui craint le Seigneur » et qui s’achemine ainsi vers la sagesse ? « Le Seigneur lui dictera ses lois dans la voie qu’il a choisie »[146]. Le Seigneur lui prescrira ses ordres dans la voie qu’il a choisie, volontairement choisie, et il ne péchera plus impunément.
13. « Son âme se reposera dans l’abondance des biens, et sa postérité aura la terre en héritage »[147]. Ses œuvres lui vaudront la possession solide d’un corps renouvelé par la résurrection.
14. « Le Seigneur est la force de ceux qui le craignent »[148]. La crainte ne paraît convenir qu’aux faibles, mais le Seigneur est la force de ceux qui le craignent. Et le nom du Seigneur, glorifié dans l’univers entier, fortifie ceux qui ont de la crainte pour lui. « Et il leur découvre son alliance ». Il leur fait connaître son alliance, car les nations et les confins de la terre sont l’héritage du Christ.
15. « Mes yeux sont constamment tournés vers le Seigneur ; parce que c’est lui qui retirera mes pieds du piège »[149]. Je n’ai point à craindre les périls de la terre quand je ne la regarde point, et celui que je contemple dégagera mes pieds du piège.
16. « Jetez les yeux sur moi, et prenez-moi en pitié, parce que je suis pauvre et unique »[150]. Je suis ce peuple unique, conservant l’esprit d’humilité dans votre Église, qui est unique et ne souffre ni schisme ni hérésie.
17. « Les tribulations de mon cœur se sont multipliées »[151]. Mon cœur s’est fort affligé quand j’ai vu l’iniquité s’accroître et la charité se refroidir. « Délivrez-moi de ces tristes nécessités ». Comme il m’est nécessaire de souffrir ainsi pour conquérir le salut par la persévérance finale[152], épargnez-moi ces nécessités.
18. « Voyez mon abaissement et mon labeur »[153]. Voyez que je m’abaisse, et que l’orgueil de ma justice ne me jette point en dehors de l’unité ; voyez mon labeur à supporter les hommes déréglés qui m’environnent. « Et pardonnez-moi mes péchés ». En considération de douloureux sacrifices, pardonnez-moi mes fautes, non seulement celles de ma jeunesse et de l’ignorance avant que je crusse en vous, mais celles que m’ont fait commettre la faiblesse et les ténèbres de cette vie depuis que je marche dans la foi.
19. « Considérez combien s’est accru le nombre de mes ennemis »[154]. Non seulement j’en rencontre au-dehors, mais encore dans la communion de l’Église. « Ils m’ont poursuivi d’une haine injuste ». Ils m’ont haï quand je les aimais.
20. « Soyez le gardien de mon âme et délivrez-moi »[155]. Gardez mon âme, de peur que je n’en vienne à imiter les méchants, et délivrez-moi de la peine que j’endure d’être mêlé avec eux. « Je ne serai point confondu, parce que j’ai espéré en vous ». Qu’ils ne s’élèvent point contre moi à ma confusion, car c’est cri vous et non en moi que j’ai mis mon espoir.
21. « Les hommes innocents et droits se sont attachés à moi, parce que je vous ai attendu, ô mon Dieu »[156] Les cœurs purs et droits ne me sont pas unis comme les méchants par la seule présence corporelle, mais par leur inclination pour l’innocence et la justice, parce que je ne vous ai point abandonné pour imiter les méchants ; mais je vous ai attendu et vous attends encore, jusqu’à ce que vous passiez au van la dernière de vos moissons.
22. « Délivrez Israël, ô mon Dieu, de toutes ses afflictions »[157]. Seigneur, rachetez votre peuple que vous avez préparé à voir votre lumière, délivrez-le, non seulement de toutes les tribulations du dehors, mais de celles qu’il endure à l’intérieur.

PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME 25.[modifier]

LA PURETÉ DE L’ÉGLISE[modifier]

Ce psaume est le chant de la véritable innocence : il peut s’appliquer à l’Église purifiée en Jésus-Christ, ou à l’âme fidèle, qui chante son bonheur et qui ne goûte ce bonheur que dans l’innocence.

POUR DAVID[158][modifier]


1. David ici pourrait s’entendre, non plus de Jésus-Christ médiateur dans son humanité mais de l’Église parfaitement établie dans le Christ.
2. « Jugez-moi, Seigneur, parce que j’ai marché dans l’innocence »[159]. Jugez-moi, Seigneur, car après avoir été prévenu par votre bonté, j’ai quelque mérite dans mon innocence, dont j’ai gardé les sentiers. « Et mon espoir dans le Seigneur ne sera point ébranlé ». Et néanmoins, je mets ma con-tance non en moi, mais dans le Seigneur, et je ne serai point ébranlé.
3. « Eprouvez-moi, Seigneur, et sondez mon âme »[160], Toutefois, de peur qu’une infirmité secrète n’échappe à mes regards éprouvez-moi, Seigneur, et tentez-moi ; faites-moi connaître, non plus à vous qui voyez tout, mais à moi-même et aux hommes. « Faites passer au feu mes reins et mon cœur ». Appliquez à mes pensées et à mes convoitises un remède qui les purifie comme le feu. « Car votre miséricorde est toujours devant mes yeux »[161]. De peur que ce feu ne me consume entièrement, j’ai toujours devant les yeux, non plus mes mérites, mais bien cette miséricorde, par laquelle vous m’avez fait embrasser une semblable vie. « Et votre vérité m’a plu ». J’ai pris à dégoût tout ce qui n’est en moi que mensonge, votre vérité m’a plu, et c’est en elle et avec elle que j’ai pu vous plaire.
4. « Je ne me suis pas assis dans les assemblées de vanité ». Je n’ai point cherché pour mon cœur la société de ceux qui s’efforcent de trouver dans la jouissance des biens passagers un bonheur impossible. « Et je ne m’unirai point aux artisans de l’iniquité »[162]. Et comme telle est la source de toutes les iniquités, je n’aurai point de secrètes intelligences avec les hommes du crime.
5. « J’ai en horreur l’assemblée des méchants »[163]. Pour qu’il en résulte une assemblée de vanité, il faut que les méchants se réunissent, et je hais ces réunions. « Je ne veux point m’asseoir avec les impies ». Je ne veux donc point m’asseoir dans une semblable réunion, avec les impies, je n’y mettrai point mon bonheur. « Je ne m’assiérai point avec les impies ».
6. « Je laverai mes mains parmi les justes »[164]. Je ferai des œuvres saintes parmi les saints, avec les âmes saintes, je laverai ces mains qui saisiront vos sublimes hauteurs. « Et j’étreindrai vos autels, ô mon Dieu ».
7. « Afin d’entendre la voix de vos louanges »[165]. Afin d’apprendre à vous bénir. « Et de raconter toutes vos merveilles ». Quand je saurai vous louer, j’annoncerai toutes vos merveilles.
8. « Seigneur, j’ai aimé la beauté de votre maison », ou de votre Église, « et le lieu où habite votre gloire »[166] ; le lieu où c’est pour vous une gloire d’habiter.
9. « Ne perdez point mon âme avec les impies »[167]. Ne perdez donc pas avec ceux qui vous haïssent, mon âme, qui se plaît dans la beauté de votre demeure. « Et ma vie avec celle des hommes sanguinaires ». De ces hommes qui haïssent le prochain. Car deux préceptes font l’ornement de votre demeure.
10. « Leurs mains sont souillées d’iniquités »[168]. Ne me perdez point avec ces hommes impies et sanguinaires dont les œuvres sont mauvaises. « Leur droite est remplie de présents ». Et ce qui leur était donné pour acquérir le salut éternel, ils l’ont fait servir à se procurer les biens de ce monde et ont regardé la pitié comme un trafic[169],

11. « Pour moi, qui ai marché dans l’innocence, rachetez-moi dans votre piété[170] ». Que le prix inestimable du sang de mon Dieu me délivre complètement et que votre miséricorde ne m’abandonne jamais.

12. « Mon pied s’est maintenu dans la voie droite[171] ». Mon amour ne s’est point écarté de la justice. « Je vous bénirai, Seigneur, dans vos assemblées ». Seigneur, je ne laisserai point ignorer vos bontés à ceux que vous appelez ; car à l’amour pour vous, je joins l’amour du prochain.

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 25[modifier]

LA PURETÉ[modifier]

Saint Augustin accommode le psaume à cette pensée que nous devons tolérer les méchants dans l’Église, ce qui parait être contre les Donatistes qui donnaient pour prétexte de leur séparation, les désordres des chrétiens, et contre les chrétiens faibles, que scandalise le mélange des bons et des méchants. Il engage les bons à faire fructifier eu eux les dons de Dieu.

1. Votre sainteté a comme nous entendu lire ce passage de saint Paul : « Il faut », dit-il, « selon la vérité que nous enseigne Jésus-Christ, vous dépouiller du vieil homme selon lequel vous avez vécu autrefois, et qui se corrompt en suivant l’illusion de ses convoitises. Renouvelez-vous dans l’intérieur de votre âme, et revêtez-vous de l’homme nouveau qui est créé à la ressemblance de Dieu, dans la justice et dans une sainteté véritable[172] ». Et de peur que l’on ne s’imagine qu’il faut nous dépouiller d’un objet sensible comme d’un vêtement, et nous revêtir à. l’extérieur comme on prend un vêtement, comme s’il fallait quitter une robe pour en prendre une autre, et qu’une pensée si terrestre n’empêchât les hommes d’accomplir à l’intérieur et d’une manière spirituelle, ce que l’Apôtre nous recommande, il nous explique aussitôt ce que signifie se dépouiller du vieil homme et revêtir le nouveau. Car, le reste de ce qu’on a lu ne tend qu’à nous le faire comprendre. Il semble répondre à cette question : Comment me dépouiller du vieil homme et revêtir le nouveau ? Serai-je comme un troisième homme qui en quitte un vieux que j’avais, pour en prendre un nouveau que je n’avais pas ? En sorte qu’il y aurait trois hommes, et que celui du milieu quitterait l’ancien pour s’attacher au nouveau ? De peur donc qu’une telle pensée ne nous embarrasse, et que n’ayant point accompli le précepte, nous ne trouvions une excuse dans l’obscurité du passage, saint Paul ajoute : « C’est pourquoi renoncez au mensonge et dites la vérité ». C’est là se dépouiller du vieil homme et revêtir le nouveau. « C’est pourquoi donc, renoncez au mensonge, et que chacun dise la vérité à son prochain, parce que nous sommes membres les uns des autres[173] ».

2. N’allez point vous imaginer, mes frères, qu’on ne doive dire la vérité qu’aux chrétiens, et que le mensonge se puisse dire aux païens. Parlez selon la vérité à votre prochain ; et votre prochain est celui qui est comme vous, né d’Adam et d’Eve. Nous sommes tous parents au point de vue de la naissance humaine ; mais nous sommes frères d’une autre manière, et par l’espérance de l’héritage céleste. Vous devez donc, traiter comme votre prochain, tout homme, avant même qu’il soit au Christ. Car vous ne savez ce qu’il est devant Dieu, vous ignorez les desseins de Dieu sur lui. Tel adore des pierres et vous en riez ; un jour il se convertit, il adore le Seigneur, et devient plus pieux que vous, qui naguère le trouviez ridicule. Nous avons donc des frères cachés dans ces hommes qui ne sont point encore enfants de l’Église, comme il y a des enfants de l’Église, qui se cachent bien loin de nous. C’est Pourquoi, dans notre ignorance de l’avenir, voyons dans tout homme notre prochain, non seulement en vertu de cette nature humaine, qui nous fait partager avec lui le même sort ici-bas ; mais encore en vertu de l’héritage céleste, car nous ignorons ce que deviendra celui qui n’est rien maintenant.
3. Écoutez donc ce que saint Paul appelle encore se dépouiller du vieil homme, et revêtir le nouveau. « Bannissons tout mensonge, et que chacun dise la vérité à son prochain : parce que nous sommes membres les uns des autres. Mettez-vous en colère, mais ne péchez point ». Si vous vous mettez en colère contre votre serviteur qui a fait une faute, fâchez-vous contre vous-même, afin de ne point pécher. « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère »[174]. Cela se comprend, mes frères, du temps qu’elle doit durer. Car, si dans la faiblesse humaine, si dans l’infirmité de cette chair mortelle que nous portons, la colère se glisse chez un chrétien, elle ne doit point être durable, ni aller jusqu’au lendemain. Bannis-la de ton cœur, avant que se lève cette lumière visible, de peur que la lumière invisible ne t’abandonne. Toutefois, on peut bien donner à ce passage un autre sens, et l’entendre du Christ qui est pour nous la vérité, le soleil de justice non plus ce soleil qu’adorent les païens et les Manichéens, et qui luit aux yeux des pécheurs ; mais cet autre soleil qui est la lumière pour la nature humaine, et la joie des anges. Quant aux hommes, si les yeux de leurs cœurs sont trop faibles pour en supporter l’éclat, ils se purifient par la pratique des commandements, de manière à pouvoir le contempler. Quand ce soleil habitera dans l’homme par la foi, gardez-vous alors de laisser prévaloir la colère qui s’élève en vous, au point que le Christ se couche sur votre colère, ou plutôt qu’il abandonne votre âme, car il lui répugne d’habiter avec la colère. On dirait en effet qu’il s’éteint pour vous, quand c’est vous qui vous éteignez pour lui : car la colère invétérée devient une haine ; et quand il y a haine, il y a homicide. Car saint Jean l’a dit : « Quiconque hait son frère est homicide »[175]. Il a dit encore « Quiconque hait son frère demeure dans les ténèbres »[176]. Il n’est pas étonnant qu’un homme soit dans les ténèbres quand le soleil est couché pour lui.
4. Tel est peut-être encore le sens de ce que vous avez entendu dans l’Évangile : « La barque était en danger sur le lac, et Jésus dormait »[177]. Car nous voguons sur un certain lac où ne manquent ni les vents ni les tempêtes ; chaque jour les tentations du siècle sont sur le point de submerger notre navire. D’où cela vient-il, sinon de ce que Jésus est endormi ? Si Jésus ne dormait pas en toi, tu n’essuierais point ces bourrasques, mais tu jouirais du calme intérieur parce que Jésus veillerait avec toi. Qu’est-ce à dire que Jésus dort ? C’est que votre foi en Jésus-Christ est assoupie. Alors s’élèvent les tempêtes sur le lac de cette vie, tu vois l’impie fleurir, le juste dans l’affliction, c’est là l’épreuve, c’est le flot qui s’élève. Et ton âme s’écrie : Est-ce donc là, Seigneur, votre justice, que le méchant soit dans la joie, le juste dans la peine ? Tu t’en prends à Dieu. Est-ce donc là votre justice ? Et le Seigneur te répond : Est-ce donc là ta foi ? Est-ce là ce que je t’ai promis ? Est-ce pour t’épanouir en cette vie que tu es chrétien ? Tu t’affliges de voir dans la joie ces méchants, qui doivent être tourmentés avec le diable. Pourquoi ces murmures ? Pourquoi te troubler au bruit des flots et des tempêtes de cette vie ? C’est que Jésus dort, ou plutôt que ta foi en Jésus-Christ est assoupie dans ton cœur. Que fais-tu pour sortir du danger ? Eveille donc Jésus, et dis-lui : Maître, nous périssons »[178]. – Ce lac peu sûr nous effraie, nous périssons. Jésus s’éveillera, ou plutôt la foi en Jésus-Christ reviendra dans ton cœur ; et à la lumière de la foi, tu verras en ton âme que les biens donnés aujourd’hui aux méchants, ne doivent point leur demeurer toujours. Car ils doivent, ou leur échapper dès cette vie, ou du moins leur échapper à la mort. Pour toi, ce qui t’est promis, doit demeurer éternellement. Pour eux le bonheur n’a qu’un temps, il s’évanouit bientôt. « Il s’épanouit comme la fleur d’une herbe ; or, toute chair est une herbe, et l’herbe s’est desséchée, et la fleur est tombée, tandis que la parole du Seigneur demeure éternellement »[179]. Tourne donc le dos à tout ce qui tombe, et la face à tout ce qui demeure. Quand le Christ s’éveillera, ton cœur ne sera plus battu par la tempête, ni ta barque submergée par les flots : parce que ta foi commandera aux vents et aux tempêtes, et le danger disparaîtra. C’est à cela, mes frères, que reviennent ces conseils que nous donne l’Apôtre de nous dépouiller du vieil homme « Mettez-vous en colère, mais ne péchez point ; que le soleil ne se couche point sur votre colère, et ne donnez aucune prise au démon »[180]. Le vieil homme lui donnait donc prise ; qu’il n’en soit point ainsi du nouveau. « Que celui qui dérobait, ne dérobe plus »[181]. Donc, le vieil homme dérobe, que le nouvel homme ne dérobe plus. Celui-là est homme aussi, c’est le même homme, il était Adam, qu’il devienne Jésus-Christ ; il était le vieil homme, qu’il soit le nouveau ; et le reste qui vient ensuite.
5. Mais voyons plus attentivement dans le psaume, que tout chrétien qui avance en perfection dans l’Église, doit souffrir les méchants dans l’Église. Toutefois, celui qui leur ressemble ne les connaît point, car le plus souvent ceux qui se plaignent des méchants sont méchants à leur tour ; et un homme en santé supportera plus facilement deux malades, que deux malades ne se supporteront mutuellement. Voici donc, mes frères, ce que nous disons : L’Église ici-bas est une aire à battre le grain. Nous l’avons souvent répété, nous le disons encore. Il y a dans cette aire de la paille et du bon grain. Gardons-nous de chercher à séparer la paille, avant que Dieu ne vienne, le van à la main. Que nul, avant ce temps, ne sorte de l’aire, comme s’il ne pouvait supporter les pécheurs : de peur que l’oiseau ne le trouve hors de l’aire et ne l’amasse avant qu’il soit entré dans les greniers célestes. Écoutez, mes frères, ce que cela signifie. Quand on commence à battre, les grains ne se touchent pas à travers les pailles, ils sont pour ainsi dire étrangers, à cause des pailles qui les séparent. Quiconque ne regarde la grange que de loin, n’aperçoit que des pailles ; il a peine à discerner le bon grain, s’il n’approche plus près, s’il n’avance la main, s’il ne souffle avec sa bouche, afin que ce souffle fasse une séparation. Il arrive donc, parfois, que les bons grains sont tellement séparés l’un de l’autre, tellement étrangers, que le chrétien qui avance en piété se croit seul. Cette pensée, mes frères, fut une tentation pour Élie, et ce grand prophète, comme l’Apôtre nous l’a rappelé, s’écriait : « Seigneur, ils ont tué vos Prophètes, renversé vos autels, et je suis demeuré seul, encore veulent-ils me faire mourir ». Mais qu’est-ce que Dieu lui répond ? « Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont point fléchi le genou devant Baal »[182]. Dieu ne dit point : il y en a deux ou trois qui vous ressemblent, mais bien : Ne vous croyez pas seul, il y en a sept mille avec vous, et vous vous croyez seul ? Voici donc brièvement la recommandation que j’avais commencé à vous faire. Que votre sainteté m’écoute avec attention, et je prie Dieu qu’il touche vos cœurs dans sa miséricorde, afin que vous la compreniez, de manière qu’elle agisse et fructifie en vous. Écoutez donc en un mot : Que celui qui est encore méchant, ne croie point que nul autre n’est bon, et que, celui qui est bon, ne s’imagine pas être le seul. Comprenez-vous bien ? Je vous le répète, soyez attentifs : Que celui qui est méchant, qui interroge sa conscience, et n’en reçoit qu’un mauvais témoignage, ne s’imagine point que nul autre n’est bon ; que celui qui est bon, ne se croie pas le seul, et qu’il ne craigne pas, malgré sa justice, d’être mêlé aux méchants ; viendra le temps où il sera séparé. Aussi, aujourd’hui avons-nous chanté « Ne perdez pas mon âme avec les impies, et ma vie avec celle des hommes sanguinaires »[183]. Qu’est-ce à dire : « Ne perdez pas « avec les impies ? » ne me perdez pas, confondu avec eux. Pourquoi craint-il une même ruine ? Je crois qu’il dit à Dieu : Vous nous souffrez maintenant que nous sommes confondus, mais n’enveloppez pas dans une même ruine ceux que vous laissez confondus. Tel est le sens du psaume, que je veux examiner à ta hâte avec vous, parce qu’il est court.
6. « Jugez-moi, Seigneur »[184]. Ce vœu d’être jugé, est un vœu désagréable, et peut être dangereux pour lui. Quel est ce jugement qu’il invoque ? sa séparation d’avec les méchants. C’est ce jugement de séparation qu’il désigne clairement dans un autre psaume : « Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause de celle d’un peuple qui n’est pas saint »[185]. Nous voyons là le sens de cette parole : « Jugez-moi ». Que les bons et les méchants n’aillent point au feu éternel, comme aujourd’hui on voit ces bons et ces méchants entrer dans l’Église, pour ainsi dire sans aucun discernement. « Jugez-moi, Seigneur ». Et pourquoi ? « C’est que, pour moi, j’ai marché dans mon innocence, et que mon espoir dans le Seigneur ne sera point ébranlé »[186]. Quel est cet « espoir dans le Seigneur ? » Celui-là chancelle parmi les méchants, qui n’a point mis son espoir en Dieu. De là sont venus les fauteurs des schismes. Ils ont tremblé en se voyant parmi les méchants, eux qui étaient pires, ils ont rougi d’être bons au milieu des impies. Ah ! s’ils eussent été le bon grain, ils eussent toléré la paille dans la grange, jusqu’au jour du vanneur. Mais comme ils n’étaient que la paille, voilà qu’un souffle s’est élevé, a prévenu le van du Seigneur, et enlevé de la grange cette paille qu’il a jetée parmi les épines. Une paille a été enlevée, mais ce qui est resté, n’est-il que froment ? Il n’y a que la paille qui s’envole avant la séparation, et néanmoins il reste de la paille et du froment ; et au temps de la séparation cette paille sera vannée. Voilà ce que dit le Prophète : « J’ai marché dans mon innocence, et mon espoir dans le Seigneur ne sera point ébranlé ». Si je n’avais espéré que dans un homme, je verrais peut-être cet homme tomber dans le désordre et ne point suivre ces voies de la justice qu’il apprendra à connaître ou même qu’il enseigne dans l’Église, mais s’égarer dans celles que Satan lui a montrées. Si donc mon espérance était dans un homme, elle chancellerait et tomberait avec cet homme chancelant et tombant ; mais comme elle est dans le Seigneur, elle est inébranlable.
7. « Éprouvez-moi, Seigneur, et sondez mon âme, dit ensuite, le Prophète, faites passer au feu mes reins et mon cœur »[187]. Qu’est-ce à dire : « Passez au feu mes reins et mon cœur ? » – Passez au feu mes convoitises et mes pensées. Les reins se disent ici des convoitises, et le cœur des pensées, afin que mes pensées ne s’arrêtent pas au mal, et que le mal m’excite pas mes désirs. À quel feu passer mes reins ? au feu de votre parole. À quel feu passer mon cœur ? au feu de votre esprit. C’est de ce feu qu’il est dit ailleurs : « Que nul ne peut se dérober à son action »[188], et dont le Seigneur a dit à son tour : « Je suis venu apporter le feu sur la terre »[189].
8. Le Prophète continue : « C’est que votre miséricorde est devant mes yeux, et que votre vérité m’a plu »[190]. C’est-à-dire, je n’ai point cherché à plaire aux hommes, mais j’ai voulu vous plaire dans cet intérieur où pénètrent vos yeux, peu soucieux de déplaire aux hommes qui voient le dehors, comme l’a dit l’Apôtre : « Que chacun éprouve ses actions, et alors il pourra se glorifier dans lui-même, et non dans un autre »[191].
9. « Je ne me suis point assis dans les assemblées de vanité »[192]. Quel est le sens de cette expression : « Je ne me suis point assis ? » Écoutez, mes frères. En disant : « Je ne me suis point assis », il en appelle à Dieu qui voit tout. Vous pouvez être absent d’une réunion, et pourtant y siéger. Par exemple, vous n’êtes pas au théâtre, mais des pensées théâtrales absorbent votre esprit, contrairement à cette parole : « Passez au feu mes reins », alors vous êtes assis au théâtre, nonobstant votre absence corporelle. Mais il peut arriver qu’un ami vous y fasse entrer et vous y retienne, ou qu’un office de charité vous force à vous y asseoir. Comment cela est-il possible ? Il peut arriver qu’un chrétien ait une bonne œuvre à faire qui le force de s’asseoir dans l’amphithéâtre : il voulait délivrer je ne sais quel gladiateur ; alors il a bien pu s’asseoir, et attendre que parût celui qu’il voulait délivrer. Cet homme, nonobstant sa présence corporelle, ne s’est pas assis dans les assemblées de la vanité. Qu’est-ce que s’y asseoir ? C’est être de cœur avec les assistants. Si votre cœur n’y est pas, nonobstant votre présence vous n’y êtes point assis ; si votre cœur y est, vous êtes assis malgré votre absence. « Je ne m’unirai point aux artisans de l’iniquité ; car j’ai en horreur l’assemblée des méchants »[193]. Vous voyez donc que « s’asseoir avec les impies », se dit de l’intérieur.
10. « Je laverai mes mains parmi les justes »[194]. Non point avec une eau visible. C’est laver tes mains, que d’avoir pour tes œuvres des pensées pures et innocentes aux yeux de Dieu. Il est aussi sous l’œil de Dieu, cet autel dont s’est approché le prêtre qui s’est offert le premier pour nous. L’autel est donc sacré, et nul ne peut l’embrasser, s’il n’a lavé ses mains avec les âmes justes. Beaucoup, il est vrai, s’en approchent indignement, et Dieu souffre pour un temps que ses sacrements soient profanés. Toutefois, mes frères, en serait-il de la Jérusalem céleste, comme des murailles qui nous environnent ? Point du tout, et si vous entrez avec les méchants dons les murailles de cette Église, vous n’entrerez pas avec les méchants dans le sein d’Abraham. Ne craignez donc point de purifier vos mains. « J’embrasserai l’autel du Seigneur » : cet autel où tu offres tes vœux à Dieu, où tu répands tes prières, où ta confiance est pure, où tu dis à Dieu ce que tu es ; et si quelque chose eu toi pouvait déplaire à Dieu, celui qui reçoit tes aveux te guérirait. Lave donc tes mains parmi les justes, embrasse l’autel du Seigneur afin d’entendre la voix de ses louanges.
11. C’est en effet ce qui suit : « Afin d’entendre la voix de vos louanges et de publier vos merveilles »[195]. Qu’est-ce à dire : « Entendre la voix de vos louanges ? » C’est-à-dire, afin que je comprenne. Entendre, en effet, devant Dieu, ce n’est point percevoir des sons que beaucoup entendent, et que beaucoup d’autres n’entendent pas. Combien entendent pour nous, qui sont sourds à l’égard de Dieu ! Combien ont des oreilles, mais non ces oreilles dont Jésus parlait, quand il s’écriait : « Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre »[196]. Que signifie donc entendre la voix de la louange ? Je le dirai, s’il m’est possible, avec le secours de Dieu et de vos prières. Entendre la voix de la louange, c’est comprendre intérieurement, que tout ce qui est en toi corrompu par le péché, vient de loi ; que tout ce qu’il y a de bon et de juste, vient de Dieu. Entends donc la voix de la louange, de manière à ne point te louer toi-même, quelle que soit ta justice. Louer ta bonté, c’est devenir mauvais. L’humilité t’avait fait bon, l’orgueil te rend méchant. Tu avais cherché la lumière dans ta conversion, et voilà que cette conversion t’a rendu lumineux, tu es devenu éclatant. Mais à qui t’es-tu converti ? à toi-même ? Si tu pouvais être illuminé en retournant à toi-même, tu ne serais jamais dans les ténèbres, parce que tu serais toujours avec loi. D’où te vient donc la lumière ? de ta conversion vers ce qui n’était pas toi. Et qu’est-ce qui n’était pas toi ? Dieu qui est la lumière. Tu n’étais pas lumière, à cause de tes péchés. Voulant faire entendre aux fidèles cette voix de la louange, l’Apôtre leur dit : « Autrefois vous étiez ténèbres, et maintenant vous êtes lumière »[197]. Que signifie : « Vous u étiez autrefois ténèbres », sinon que le vieil homme était eu vous ? Maintenant vous êtes lumière, et ce n’est pas sans raison, qu’après avoir été ténèbres, vous êtes lumière, puisque vous avez été éclairés. Garde-toi de te croire lumière par toi-même : la lumière est « celle qui éclaire tout homme venant en ce monde »[198] Quant à toi, ta nature, la volonté perverse, ton éloignement de Dieu t’avaient rendu ténébreux, et maintenant tu es lumière. Mais, de peur d’enorgueillir ceux qu’il félicite en disant : « Vous êtes lumière », l’Apôtre ajoute : « Dans le Seigneur ». Car il dit : « Vous fûtes autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur ». Si donc il n’y a pas de lumière en dehors du Seigneur, et si vous êtes lumière, précisément parce que vous êtes en lui, « qu’avez-vous, que vous n’ayez reçu ? Et si vous l’avez reçu, pourquoi vous glorifier comme si vous ne l’aviez pas reçu ? »[199] Tel est, dans un autre endroit, le langage de l’Apôtre aux hommes orgueilleux, et qui veulent s’attribuer les dons de Dieu, se glorifier du bien qu’ils ont, comme s’il venait d’eux-mêmes. Qu’avez-vous, leur dit-il, que vous n’ayez reçu ? Si vous l’avez, pourquoi vous en glorifier, comme si vous ne l’aviez pas reçu ? Celui qui donne à l’humble, enlève aux superbes ; car celui qui peut donner, peut reprendre. C’est là le sens, mes frères, si toutefois je vous l’ai fait comprendre, autant que je le voulais ; mais si ce n’est autant que je l’aurais voulu, c’est du moins comme je l’ai pu ; tel est le sens de ces paroles : « Je laverai mes mains avec les justes, et j’embrasserai votre autel, ô mon Dieu, afin d’entendre la voix de votre louange » ; c’est-à-dire, afin que le bien qui est en moi, ne me donne point une confiance présomptueuse en moi, mais une confiance en vous qui me l’avez donné, et que je ne cherche point ma gloire en moi-même, mais la vôtre et en vous. Aussi le Prophète a-t-il ajouté : « Afin que j’écoute la voix de votre louange, et que je raconte vos merveilles ». Oui, vos merveilles, et non les miennes.
12. Et maintenant, mes frères, voyez l’homme qui aime Dieu, qui a mis sa confiance en Dieu, le voilà au milieu des méchants, et il demande à Dieu de n’être point perdu avec ces méchants, parce que Dieu est infaillible dans ses jugements. Pour toi, si tu vois des hommes réunis dans un même lieu, lu les crois égaux en mérite ; mais sois sans crainte, le Seigneur ne peut se tromper. Tu as besoin d’un souffle pour séparer la paille du bon grain ; tu veux un vent qui souffle, et comme tu n’es pas toi-même ce souffle puissant, tu souhaites que le vent vienne à ton aide ; et quand en vannant tu secoues la paille et le froment, le vent chasse tout ce qui est léger, et respecte ce qui a du poids. Tu as donc recours au vent pour démêler ce qui est dans ta grange. Mais Dieu a-t-il besoin qu’on l’aide à juger, pour ne point perdre les bons avec les méchants ? Sois donc sans crainte, et demeure en toute sécurité, même avec les méchants ; et dis avec le Prophète : « Seigneur, j’ai aimé la splendeur de votre maison »[200]. Cette maison de Dieu, c’est l’Église, qui renferme sans doute beaucoup d’impies ; mais la splendeur de cette maison de Dieu est dans les justes et dans les saints : et telle est la splendeur que j’aime en elle. « J’ai aimé ce lieu où habite votre gloire ». Quel est le sens de ces paroles ? Ces paroles, je l’avoue, ont encore le sens, quelque peu obscur, exposé plus haut Que le Seigneur me vienne en aide, et dispose vos cœurs à l’attention. Qu’est-ce que Je Prophète appelle : « Ce lieu où réside voire gloire ? » Il vient de dire : « La splendeur de votre maison » ; et, pour expliquer cette splendeur, il ajoute : « Le lieu où réside votre gloire ». Il ne lui suffit pas de dire : « Le lieu qu’habite le Seigneur » ; mais : « Le lieu où réside la gloire de Dieu ». Quelle est cette gloire de Dieu ? C’est d’elle que je disais tout à l’heure, que celui qui devient bon, ne se glorifie pas en lui-même, mais bien en Dieu[201]. « Car tous ont péché, et tous ont besoin de la gloire de Dieu »[202]. Ceux-là, dès lors, en qui le Seigneur habite, de manière à se glorifier lui-même de ses dons, qui ne veulent point s’attribuer et revendiquer comme leur bien ce qu’ils ont reçu de Dieu, ceux-là forment la splendeur de la maison de Dieu. L’Écriture ne les distinguerait point si spécialement, s’il n’y en avait d’autres qui possèdent les dons de Dieu, à la vérité, mais qui, loin de se glorifier en Dieu, se glorifient en eux-mêmes : ils ont en effet les dons de Dieu, mais ne contribuent point à la splendeur de son palais. Car ceux qui contribuent à la splendeur de cette habitation, et en qui réside sa gloire, sont le lieu qu’habite sa gloire. Mais en qui réside la gloire de Dieu, sinon en ceux qui se glorifient de telle sorte qu’il en résulte, non leur propre gloire, mais celle du Seigneur ? Donc, parce que j’ai aimé la gloire de votre maison, c’est-à-dire tous ceux qui sont à vous et qui recherchent votre gloire, parce que je n’ai point mis ma confiance dans un homme, que je n’ai point donné mon assentiment aux impies, que je ne veux ni entrer ni m’asseoir dans leurs assemblées ; parce que telle a été ma conduite dans l’Église de Dieu, quelle sera ma récompense ? Le verset suivant nous donne la réponse : « Ne perdez pas mon âme avec les impies, et ma vie avec les hommes sanguinaires »[203].
13. « Leurs mains sont pleines d’iniquités, leurs droites souillées de présents »[204]. Les présents ne sont pas seulement la richesse, l’or, l’argent, les objets précieux ; et tous ceux qui les reçoivent, ne les reçoivent pas en présents pour cela. L’Église en reçoit quelquefois, et même Pierre en reçut, le Seigneur en reçut, il eut une bourse, et l’argent qu’on y jetait, Judas le dérobait[205]. Qu’est-ce que recevoir des présents ? Celui qui juge d’une manière inique, non seulement par amour de l’or ou de l’argent, ou d’autres richesses, mais par vaine gloire, reçoit un présent, et un présent des plus vains. Il a ouvert la main pour recevoir le témoignage d’une langue étrangère, et il a perdu le témoignage de sa conscience, Donc « leurs mains sont pleines d’iniquités, et leurs droites souillées de présents ». Vous voyez, mes frères, qu’ils sont sous l’œil de Dieu, ceux dont les mains ne sont point entachées d’iniquités, dont la droite n’est pas souillée de présents ; ils sont sous l’œil de Dieu, et ne peuvent dire qu’à lui seul : Vous le savez, Seigneur ; à lui seul ils peuvent dire : « Ne perdez pas mon âme avec les impies, et ma vie avec les hommes sanguinaires » ; lui seul peut voir qu’ils ne reçoivent aucun présent. Ainsi, mes frères, deux hommes ont à vider un différend devant un serviteur de Dieu ; chacun ne voit de justice que dans sa cause. S’il croyait sa cause injuste, il n’aurait point recours au juge. L’un se croit dans la justice, l’autre aussi. On se présente au juge. Avant la sentence, chacun dit : Nous acceptons votre arbitrage, à Dieu ne plaise que nous rejetions votre sentence ! Pour vous, que dites-vous ? prononcez selon vos vues, seulement, prononcez : Anathème à moi si je cherche à contredire. Tous deux aiment le juge avant la sentence. Toutefois, cette sentence à prononcer condamnera l’un des deux, et nul ne sait qui sera condamné. Si le juge veut plaire à tous deux, il reçoit en présent la louange des hommes. Et ce présent qu’il accepte, voyez quel présent il lui fait perdre. Il reçoit une parole qui fait du bruit et qui passe, il perd la parole que l’on répète, qui ne passe point ; car la parole de Dieu se dit toujours, sans passer jamais ; et la parole de l’homme s’évanouit, à mesure qu’on la profère. Il perd ce qui est immuable, pour avoir ce qui est futile. Mais s’il n’a que Dieu en vue, il prononcera une sentence contre l’un d’eux, tenant ses regards sur Dieu, qu’il écoute en jugeant ainsi. Quant à celui que condamne cette sentence, peut-être ne pourrait-il la faire cesser, surtout s’il n’est point du ressort du droit ecclésiastique, mais des lois des princes, ils ont la déférence envers l’Église a rendu lotis ses jugements irrévocables ; mais s’il ne peut faire cesser la sentence, loin de jeter les veux sur lui-même, il les tourne aveuglément vers le juge, qu’il déchire de tout son pouvoir. Il a voulu, dit-il, plaire à mon adversaire, il a favorisé le riche, il en a reçu des présents, il a craint de le blesser. Il accuse donc son juge d’avoir reçu des présents. Qu’un pauvre ait une affaire contre un riche, et que l’on prononce en faveur du pauvre ; le riche tient le même langage. Il a reçu des présents. Quels présents peut faire un pauvre ? Il a vu, dit-il, sa pauvreté, il a craint le blâme s’il jugeait au désavantage du pauvre, et voilà qu’il a étouffé la justice et porté une sentence contre la vérité. Si donc ces récriminations sont inévitables, comprenez que Dieu seul voit ceux qui reçoivent les présents et ceux qui les rejettent, et que devant lui seulement, ceux qui les refusent, peuvent dire : « Pour moi, j’ai marché dans l’innocence, délivrez-moi, prenez-moi en pitié, mon pied est demeure dans la voie droite[206] ». Sans doute, j’ai pu être ébranlé par les scandales et les efforts de ceux qui se récriaient avec une téméraire audace contre mon jugement, mais « mon pied est demeuré dans le sentier droit ». Pourquoi, dans le chemin droit ? parce qu’il avait dit plus haut : « J’espère dans le Seigneur, et je ne serai point ébranlé »[207].
14. Quelle est sa conclusion ? « Je vous bénirai, Seigneur, dans les grandes assemblées »[208]. C’est-à-dire, ce n’est point moi que je bénirai dans les églises, comme si j’étais assuré des hommes, mais c’est vous que je bénirai par mes œuvres : et bénir Dieu dans les assemblées, mes frères, c’est vivre de manière que les œuvres de chacun soient une gloire pour le Seigneur. Bénir le Seigneur par la langue, et le maudire par des actes, ce n’est point le bénir dans les assemblées ; presque tous le bénissent de la langue ; mais pas tous par les œuvres. Quelques-uns le bénissent en paroles, et d’autres par les actions. Mais ceux dont les actes sont en désaccord avec les paroles, font blasphémer le Seigneur. Et ceux qui n’entrent point dans l’Église, bien que le vrai motif qui les empêche d’être chrétiens, soit l’attachement pour leurs désordres, prennent pour excuse les mauvais chrétiens, et ils s’applaudissent, ils se trompent eux-mêmes en disant : Pourquoi m’exciter à devenir chrétien ? Un chrétien m’a trompé, et moi, jamais ; un chrétien s’est parjuré envers moi, et moi, jamais. Ce langage les détourne du salut, et c’est en vain, non seulement qu’ils ont quelques qualités, mais qu’ils ne sont qu’à demi mauvais ; de même qu’un homme qui est dans les ténèbres ouvrira vainement les yeux, de même c’est en vain qu’il est en face de la lumière, s’il veut les fermer. C’est là l’image d’un païen, et j’en parle volontiers à cause de leur vie honnête en apparence ; il ouvre les yeux, mais il est dans les ténèbres, parce qu’il ne connaît point le Seigneur qui est sa lumière ; quant au chrétien qui vit dans le désordre, il est, je l’avoue, dans la lumière de Dieu, mais ses yeux sont fermés. Dans sa dépravation, il refuse de voir celui ami nom duquel il est, en plein jour, un aveugle, que ne vivifie aucun rayon de la véritable lumière.

PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME 26.[modifier]

ESPOIR EN DIEU.[modifier]

David a pu, dans ce psaume, exprimer les douleurs de son exil, mais son langage convient parfaitement aux membres de l’Église militante, qui se consolent au milieu des fatigues de cette vie par l’espérance du repos et de la félicité dont ils jouiront dans la maison de Dieu.

POUR DAVID, AVANT QU’IL AIT REÇU L’ONCTION[209].[modifier]


1. Ce langage est celui du soldat du Christ qui arrive à la foi. « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qu’aurai-je à craindre ? »[210] C’est le Seigneur qui me fait la grâce de le connaître et de me sauver, qui pourra m’arracher à lui ? « Il est le protecteur de ma vie, qui une fera trembler ? »[211] C’est le Seigneur qui doit repousser l’assaut et les embûches de mes ennemis, nul ne me fera peur.
2. « Des pervers s’approchent de moi pour dévorer ma chair »[212]. Des méchants s’approchent de moi pour me connaître, m’insulter, et se préférer à moi, quand je veux m’améliorer ; leur dent maligne va dévorer, Lion pas moi, mais bien maies désirs charnels. « Ces ennemis qui me persécutent ». Non seulement ceux qui viennent au nom de l’amitié me blâmer et me détourner de mon dessein, mais encore mes ennemis « Ont chancelé à leur tour et sont tombés ». En agissant ainsi, pour défendre leur propre sera-liment, ils sont devenus faibles pour embrasser une croyance meilleure, et se sont pris à haïr cette parole qui me fait agir contre leur volonté.
3. « Que des armées campent autour de moi, mon cœur m’en sera point ému »[213]. Que la foule de mes contradicteurs conspire et se soulève contre moi, mon cœur ne les craindra pas au point de se ranger avec eux. « Qu’on me livre un assaut, j’en redoublerai d’espérance ». Que les persécutions du monde viennent fondre sur moi, j’affermirai mon espoir dans cette prière que médite mon cœur.
4. « J’ai fait une demande au Seigneur. Et je la lui ferai encore ». Ce que j’ai demandé au Seigneur, je le demanderai encore. « C’est d’habiter dans la maison de Dieu, tous les jours de ma vie »[214]. C’est que, durant mon séjour ici-bas, nulle affliction ne me sépare du nombre de ceux qui gardent l’unité de la foi dans l’univers entier. « C’est que je contemple un jour la beauté du Seigneur ». C’est que la persévérance dans la foi me découvre l’ineffable beauté du Seigneur, et que je la puisse contempler face à face. « Et que je sois protégé comme son temple », et que la mort, absorbée enfin par la victoire, me revête d’immortalité, et fasse de moi le temple du Seigneur.
5. « Parce qu’il m’a caché dans son pavillon, au jour de mes malheurs »[215]. Parce que dans cette chair mortelle, dont le Verbe s’est revêtu, il m’a ménagé un abri contre ces tentations auxquelles est assujettie ma vie mortelle. « Il m’a reçu dans le secret de son tabernacle ». Il m’a protégé, quand la foi qui justifie était dans mon cœur[216].
6. « Il m’a établi sur le roc ». Et afin de m’amener au salut, par la manifestation de ma foi[217], il m’a donné la force de la confesser au grand jour. « Et voilà qu’il m’a fait grandir au-dessus de mes ennemis[218] ». Que me réserve-t-il pour l’avenir, puisque, dès aujourd’hui, mon corps est mort au péché, et que mon esprit, je le sens, est soumis à la loi de Dieu, sans se laisser assujettir aux rébellions de la loi du péché ?[219] « J’ai jeté les yeux de toutes parts, et j’ai offert à Dieu, dans son tabernacle, une hostie de louanges »[220]. J’ai vu que l’univers croit maintenant au Christ, et parce qu’il s’est un moment humilié pour nous, je l’aï béni dans mon allégresse : c’est là l’hostie que je lui ai offerte. « Je chanterai, je bénirai le Seigneur ». Mon cœur et mes œuvres lui témoigneront ma joie.
7. « Seigneur, exaucez la voix que j’élève jusqu’à vous »[221]. Exaucez, ô Dieu, cette voix du cœur, que mes vifs désirs élèvent jusqu’à vos oreilles. « Prenez-moi en pitié, exaucez-moi ». Ayez pitié de moi, exaucez ma prière.
8. « Mon cœur vous a dit : J’ai cherché votre face »[222]. Ce n’est point devant les hommes que j’ai prié ; mais dans le secret où vous entendez seul, mon cœur vous a dit : Je cherche une récompense, non point hors de vous, mais dans vos regards bienveillants, « C’est ce regard, ô mon Dieu, que je veux chercher ». Ce regard, je le chercherai sans cesse ; rien de vil ne saurait me plaire ; mon amour pour vous sera sans bornes, parce que rien ne m’est plus précieux.
9. « Ne détournez point de moi votre face »[223], afin que je trouve ce que je cherche. « Ne vous éloignez point de votre serviteur dans votre colère » ; de peur qu’en vous cherchant, je ne m’attache à d’autres objets. Quel châtiment plus douloureux pour celui qui vous aime, et qui cherche dans votre face l’éclat de la vérité ? « Venez à mon aide ! » Quand pourrais-je vous trouver, sans votre secours ? « Ne m’abandonnez point, ne me méprisez point, ô Dieu, mon Sauveur »[224]. Ne méprisez point un mortel qui ose rechercher un Dieu éternel : c’est vous, ô mon Dieu, qui guérissez la plaie de mon péché.
10. « Voilà que mon père et ma mère m’ont abandonné »[225]. Voilà que le royaume de ce monde, que la cité d’ici-bas, qui m’ont donné pour un temps cette vie mortelle, m’ont délaissé parce que j’aspirais à vous posséder, et que je méprisais ce qu’ils pouvaient m’offrir ; car ils ne peuvent me donner ce que je ne cherche avidement. « Mais le Seigneur m’a recueilli ». Il m’a recueilli, ce Dieu qui peut se donner à moi.
11. « Seigneur, montrez-moi les sentiers que je dois suivre »[226]. Je m’efforce d’aller à vous, je commence par la crainte la haute entreprise d’arriver à la sagesse ; enseignez.moi, Seigneur, la voie que je dois suivre, de peur que je ne m’égare, et que votre croyance ne m’abandonne. « Daignez me conduire dans la voie droite, pour confondre mes ennemis ». Dans vos étroits sentiers, faites-moi prendre le chemin droit. Car il ne suffit point d’entreprendre, puisque l’ennemi ne cessera de me harceler, jusqu’à mon arrivée.
12. « Ne me livrez pas à la rage de mes persécuteurs ». Ne souffrez pas que ceux qui m’affligent se rassasient de mes peines. « Voilà que de faux témoins s’élèvent contre moi »[227]. Des hommes se sont levés pour m’accuser faussement, afin de me détacher et de m’éloigner de vous, comme si je cherchais ma gloire parmi les hommes. « Et l’iniquité a menti contre elle-même ». Mais l’iniquité n’a pu s’applaudir que de sa fausseté ; car elle ne m’a point ébranlé, et c’est de là qu’une plus belle récompense m’a été promise dans le ciel.
13. « Je suis certain de voir les biens du Seigneur dans la terre des vivants »[228]. Et parce que le Seigneur a souffert ces persécutions avant moi, si, à mon tour, je méprise les langues de ces hommes dévoués à la mort, « car la bouche qui ment, tue l’âme »[229], je suis certain de voir les biens du Seigneur, dans la terre des vivants, où il n’y a plus de fausseté.
14. « Attends le Seigneur, agis avec force ; affermis ton âme, et attends le Seigneur »[230]. Quand donc s’accomplira cette promesse ? Au mortel d’accuser la difficulté, à l’amour d’accuser la lenteur ; écoute néanmoins la voix infaillible qui dit : « Attends le « Seigneur ». Souffre courageusement le feu qui brûle tes reins, et vaillamment celui qui brûle ton cœur, ne regarde pas comme refusé ce que tu n’as pas reçu. Contre le désespoir et la défaillance, écoute cette parole : « Attends le Seigneur ».

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 26

ESPOIR EN DIEU[modifier]

Saint Augustin paraphrase le psaume en forme d’homélie, il s’empare des expressions et des sentiments du Prophète pour encourager les chrétiens en butte ici-bas à la persécution et attirer en eux le désir du vrai bonheur.


1. Le Seigneur notre Dieu, voulant nous adresser des paroles consolantes, en nous voyant réduits par son juste arrêt à manger notre pain à la sueur de notre front[231], daigne emprunter notre langage pour nous parler, afin de nous montrer, non seulement qu’il nous a créés, mais encore qu’il habite avec nous. Nous avons entendu et en partie chanté les paroles du psaume. Si nous disons que ces paroles sont les nôtres, craignons de n’être pas dans le vrai, puisqu’elles appartiennent plus à l’Esprit-Saint qu’à nous. Pourtant il y aurait une évidente fausseté à dire que ce sont là nos paroles, puisqu’elles ne sont que les gémissements d’âmes dans la peine ou bien ces cris pleins de douleur et de larmes, qui retentissent d’un bout à l’autre du psaume, seraient-ils de Celui qui ne peut être dans la détresse ? Dieu est miséricordieux, mes frères, et nous misérables. Celui qui est assez compatissant pour daigner adresser la parole à des malheureux, a daigné prendre aussi le langage du malheur, Il est donc vrai de dire, que ces paroles sont les nôtres et qu’elles ne nous appartiennent point ; que c’est la voix de l’Esprit-Saint, et que néanmoins elle n’est pas la sienne. C’est la parole de l’Esprit-Saint, puisqu’elle n’est dans notre bouche que par son inspiration ; mais elle n’est point sa parole, en ce sens qu’il ne ressent ni la misère ni la fatigue, et ces paroles sont les cris de la douleur et du travail. Elles sont nos paroles, puisqu’elles témoignent de notre misère ; mais elles ne viennent point de nous, puisque c’est à sa grâce que nous devons de pouvoir gémir.
2. « Psaume de David, avant qu’il ait reçu l’onction »[232]. Tel est le titre du psaume : « Psaume de David, avant qu’il ait reçu l’onction ». C’est-à-dire, avant qu’il fût oint, car il reçut l’onction royale[233]. Il n’y avait alors d’onction que pour le roi et pour le prêtre et ces deux hommes qui recevaient l’huile sainte, étaient la figure du Christ seul roi et seul prêtre, et appelé Christ, de l’onction qu’il a reçue. Et non seulement notre chef a reçu l’onction, mais nous aussi qui sommes sont corps. Il est donc notre roi, parce qu’il nous dirige et nous gouverne ; il est prêtre, parce qu’il intercède pour nous[234]. Il est encore le seul prêtre qui soit en même temps victime. Car la victime du sacrifice, qu’il offrit à Dieu, n’est autre que lui-même : et il n’eût pu trouver en dehors de lui une victime raisonnable, très pure, capable de nous racheter par l’effusion de son sang, comme l’agneau sans tache, et de nous incorporer à lui comme ses membres, et de nous faire avec lui un seul et même Christ. C’est pourquoi tous les chrétiens participent à l’onction, qui, dans l’Ancien Testament, était l’apanage exclusif de deux personnes. D’où il suit que nous sommes le corps du Christ, puisque nous avons tous reçu l’onction ; et que nous sommes tous en lui des christs et un seul Christ, car la tète et les membres composent le Christ dans son intégrité. Cette onction doit perfectionner en nous la vie spirituelle qui nous est promise. Ce psaume est donc la prière d’une âme soupirant après cette vie spirituelle, et demandant avec instance la grâce qui sera parfaite en nous, à notre dernier jour. Aussi a-t-il pour titre : Avant l’onction. Car nous recevons, ici-bas, l’onction dans le sacrement, et le sacrement est la figure de ce que nous devons être un jour. Et cet avenir inconnu et ineffable, voilà ce que nous devons désirer, ce qui doit nous faire gémir quand nous recevons le sacrement, afin qu’un jour nous jouissions de cette réalité dont le sacrement est un symbole.
3. Voici donc le psaume : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, que pourrai-je craindre ? »[235] C’est lui qui m’éclaire ; arrière les ténèbres ! c’est lui qui est mon salut, arrière l’infirmité ! En marchant dans la force et dans la lumière, qu’ai-je à craindre ? Ce salut qui vient de Dieu n’est point un salut qu’on puisse m’arracher ; ni sa lumière un flambeau que l’on puisse éteindre. C’est donc Dieu qui nous éclaire, et nous qui sommes éclairés, c’est Dieu qui nous sauve, et nous qui sommes sauvés. Si donc c’est Dieu qui est lumière, nous qui sommes éclairés, lui qui est sauveur, nous qui sommes sauvés, sans lui nous ne serions que ténèbres et que faiblesse. Ayant donc en lui une espérance ferme, fondée, inébranlable, qui pouvons-nous craindre ? Le Seigneur est donc ta lumière, le Seigneur est ton sauveur. Crains encore, si tu trouves une puissance plus grande. J’appartiens donc au Dieu plus puissant que tous, car il est le Tout-Puissant ; c’est lui qui m’éclaire, lui qui me sauve ; je le crains, et n’ai pas d’autre crainte. « C’est le Seigneur qui protège ma vie, qui pourrait me faire peur ? »
4. « Des pervers s’approchaient pour dévorer ma chair, mes ennemis, mes persécuteurs ont chancelé, et sont tombés »[236]. Qu’ai-je donc à redouter ? Qui serait à craindre pour moi ? Qui me ferait peur, et pourquoi trembler ? Voilà que mon persécuteur chancelle et tombe. Et pourquoi me persécuter ? « Pour dévorer ma chair ». Qu’est-ce que ma chair ? Mes affections charnelles. Qu’ils sévissent donc avec fureur en me persécutant, rien de moi ne peut mourir, que ce qui est mortel. Il y a chez moi quelque chose que la persécution ne saurait atteindre, c’est le sanctuaire qu’habite mon Dieu. Que mes ennemis mangent ma chair ; une fois ma chair consumée, je serai tout esprit, l’homme spirituel. Et même le Seigneur m’a promis un salut si complet, que cette chair mortelle, qui semble être pour un temps la proie de mes persécuteurs, ne périra pas éternellement, et que les membres doivent espérer pour eux-mêmes cette résurrection qu’ils ont admirée dans leur chef. Que peut craindre mon âme, quand le Seigneur y habite ? Que pourra craindre ma chair, quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité ? Voulez-vous voir comment ces persécuteurs, qui dévorent notre chair, ne sont cependant point à craindre pour elle ? « Il est semé un corps animal, il ressuscitera un corps spirituel ». Quelle ne doit donc pas être la confiance de celui qui comprend : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, que puis-je craindre ? Il protège ma vie, qui me ferait peur ? » Un prince est environné de ses gardes et ne craint rien ; un mortel gardé par d’autres mortels est plein d’assurance, et quand ce mortel sera gardé par le Dieu immortel, il craindra et tremblera ?
5. Écoutez maintenant quelle doit être la confiance de celui qui parle ainsi : « Que des armées campent autour de moi, mon cœur n’en sera point ému »[237]. Un camp est fortifié, mais qu’y a-t-il de plus fort que Dieu ? « Qu’on me livre un assaut ». Que me ferait un assaut ? Peut-il m’enlever mon espérance ? Peut-il m’arracher le don du Tout-Puissant ? Celui qui donne est invincible, et le don qu’il fait ne peut être ravi. Ravir le don, ce serait vaincre le donateur. Donc, mes frères, ces biens temporels eux-mêmes, nul ne peut nous les-ravir que celui qui nous les a donnés. Pour les biens spirituels qu’il nous accorde, il ne les reprend que si tu les perds ; mais les biens temporels, les biens de la santé, c’est Dieu qui nous les enlève, puisque nul autre ne le peut s’il n’en a reçu de lui le pouvoir. Nous savons, pour l’avoir lu dans Job, que le diable même[238], qui paraît avoir reçu pour cette vie le plus grand pouvoir, ne peut rien sans la permission de Dieu. Il a reçu quelque puissance sur les biens abjects, lui qui a perdu les plus grands et les plus relevés. Son pouvoir n’est pas même l’effet de sa colère, mais la peine de sa condamnation. Lui non plus n’a donc de pouvoir star nous que par la permission de Dieu. C’est ce que nous voyons dans le livre cité, et le Seigneur, dit dans l’Évangile : « Cette nuit, le démon a demandé de vous passer au crible comme le froment, mais j’ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille point »[239]. Dieu lui accorde ce pouvoir, afin de nous punir ou de nous éprouver. Donc, si nul ne peut nous ravir le don de Dieu, ne craignons que Dieu seul. Quels que soient les frémissements contre nous, quelle que soit l’insolence de tout autre ennemi, rassurons notre cœur.
6. « Qu’on me livre un assaut, c’est en elle que je veux espérer ». Qui, elle ? « J’en ai demandé une au Seigneur »[240]. Il met au féminin le bienfait qu’il a sollicité, comme s’il disait : J’ai fait une seule demande. Dans la conversation, par exemple, nous autres latins mettons souvent deux au – féminin et non au masculin ; l’Écriture a dit de la même manière : « J’en ai demandé une au Seigneur, je la réclamerai ». Voyons ce qu’a demandé celui qui n’a plus aucune crainte. Quelle sécurité d’âme ! Voulez-vous ne rien craindre aussi ? Demandez cette seule grâce que demande uniquement celui qui ne craint rien mais qu’a-t-il demandé, afin de ne rien craindre ? « J’ai fait une demande au Seigneur, et j’y reviendrai ». Telle est l’occupation de ceux qui marchent dans la voie droite. Quelle est donc cette demande, cette grâce unique ? « C’est d’habiter dans le palais du Seigneur tous les jours de ma vie ». Elle est unique, parce qu’on appelle palais la demeure où nous devons être éternellement. On appelle maisons les demeures d’ici-bas, que l’on appellerait mieux des tentes, puisque les tentes sont pour les voyageurs, qui sont une certaine milice et qui livrent des assauts à l’ennemi. Donc, s’il y a des tentes, il est visible qu’il y a des ennemis. Car habiter les mêmes tentes, c’est être compagnon sous la tente, ce qui se dit des soldats, vous le savez. Donc ici-bas est la tente, là-haut est le palais. Mais on abuse de la ressemblance pour appeler tente ce qui est maison, et souvent encore, le même abus fait appeler maison ce qui est une tente. Toutefois, le ciel est à proprement parler le palais, ici-bas nous sommes sous des tentes.
7. Dans un autre psaume, le Prophète nous marque avec précision ce qui nous occupera dans cette demeure : « Bienheureux, ô mon Dieu, ceux qui habitent votre demeure, ils vous béniront dans les siècles éternels »[241]. Telle est la passion violente, pour parler ainsi, tel est l’amour qui dévore comme une flamme celui qui désire passer tous les jours de sa vie dans la maison du Seigneur, et par ces jours à passer dans la maison de Dieu, il entend non pins des jours qui finiront, mais des jours éternels. Il en est de ces jours comme des années dont il est dit : « Et vos années, Seigneur, ne finiront point »[242]. Car les jours de la vie éternelle ne sont qu’un seul jour sans fin. Il dit donc au Seigneur : « C’est là mon désir, c’est là ma prière unique ; celle que je répéterai ». Et comme si nous lui disions : Que ferez-vous dans la maison de Dieu ? Quel plaisir y goûterez-vous ? Quelle joie y sollicitera votre cœur ? Quelles délices alimenteront votre joie ? Car vous n’y demeurerez point si vous n’y êtes heureux. D’où vous viendra cette félicité durable ? Ici-bas les plaisirs de l’homme sont variés, et l’on appelle malheureux celui qui est privé de ce qu’il aime. Les hommes ont des goûts différents, et l’on appelle heureux celui qui paraît avoir ce qu’il aime. Toutefois, celui-là est vraiment heureux, non qui possède ce qu’il aime, mais bien qui aime ce qui est aimable. Il est quelquefois plus malheureux de posséder ce que l’on aime que d’en être privé. Il est malheureux d’aimer ce qui peut nuire, plus malheureux encore de le posséder. Quand notre amour est dépravé, Dieu met sa bonté à nous refuser ce que nous aimons ; et c’est dans sa colère qu’il nous accorde ce que nous avons tort d’aimer. Saint Paul nous l’enseigne clairement, quand il dit des anciens que « Dieu les a livrés aux désirs de leurs cœurs »[243]. Il leur a donc livré ce qu’ils désiraient, mais pour leur damnation. Il nous dit encore que Dieu rejette nos demandes : « Trois fois », dit-il, « j’ai prié le Seigneur de me délivrer (de l’aiguillon de la chair), et il m’a répondu : Ma grâce te suffit, car la vertu se fortifie dans la faiblesse »[244]. Dieu donc livra les philosophes aux désirs de leurs cœurs, et rejeta la prière de saint Paul. Il exauce les uns pour leur damnation, il refuse à l’autre pour son bien spirituel. Mais quand l’objet de nos désirs est d’accord avec la volonté de Dieu, sans aucun doute, il nous l’octroiera. Et ce que nous devons désirer uniquement, c’est d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de notre vie.
8. Il y a toutefois, pour les hommes, dans nos demeures terrestres, des délices et des joies bien diverses ; et chacun veut choisir pour l’habiter le lieu où rien ne blessera son âme, et où elle trouvera de nombreux agréments ; que ces agréments disparaissent et l’homme cherche ailleurs. Ayons la curiosité de demander au psalmiste, et qu’il veuille bien nous dire ce qu’il doit faire, ce que nous ferons avec lui, dans cette agréable demeure où il désire, où il souhaite si vivement, où il demande comme grâce unique au Seigneur d’habiter tous les jours de sa vie. Que faites-vous là, dites-moi ? quel est l’objet de vos désirs ? Écoutez sa réponse : « C’est de contempler la beauté du Seigneur »[245]. C’est là ce que je désire, et voilà pourquoi je veux habiter dans la maison du Seigneur, tous les jours de ma vie. Spectacle immense, contempler la beauté du Seigneur même ! Quand la nuit d’ici-bas sera écoulée, il veut se reposer à la lumière de Dieu. Notre nuit sera passée alors, et le matin se lèvera pour nous. Aussi est-il dit dans un autre psaume : « Au matin je serai debout, et je vous contemplerai »[246]. Maintenant que je suis tombé, je ne puis vous contempler ; mais alors je me tiendrai debout et je vous contemplerai. C’est l’homme qui parle ainsi, car c’est l’homme qui est tombé, et si nous ne fussions tombés, le Messie ne serait point venu pour nous relever. Nous sommes donc tombés, et il est descendu. Il est remonté, et nous sommes relevés : « Car nul ne peut remonter, si d’abord il n’est descendu »[247]. Celui qui était tombé est relevé, celui qui était descendu est remonté. S’il est remonté seul, n’allons point nous décourager. Car il n’est descendu que pou-r nous relever ; et alors nous nous tiendrons debout, et nous contemplerons, et nous serons comblés de joie. Voilà tout ce que j’ai dit, et vous vous récriez sous le poids du désir de cette beauté que vous ne voyez pas encore. Elevez votre cœur au-dessus de tout ce qui vous est ordinaire, élevez votre intelligence au-dessus de toutes ces pensées Charnelles, qui vous viennent des convoitises du corps, et qui vous représentent je ne sais quels fantômes. Bannissez tout de votre esprit, renoncez à tout ce qui se présentera, et confessant la faiblesse de votre cœur, dites à propos de toute pensée qui vous viendra dans l’esprit : Ce n’est point cela ; si c’était là ce que l’on me promet, il ne me viendrait point à la pensée. De cette manière, vous aspirez à quelque bien. Quel bien ? Le bien de tout bien, d’où découlent tous les biens, et auquel on ne peut rien ajouter de bien. Partout ailleurs, tu diras un homme de bien, une bonne terre, un bon édifice, un bon animal, un bon arbre, une bonne santé, un bon naturel, tu ajoutes à la qualité de bien ; mais ici, c’est le bien simplement, le bien d’où vient à tout le reste la bonté, le bien d’où découlent tous les autres biens : telle est la beauté du Seigneur que nous contemplerons. Voyez, mes frères : si tout ce que l’on appelle ici-bas des biens, a pour nous des charmes ; si nous sommes épris d’un bien qui n’est pas le bien par lui-même ; car tout ce qui est mobile n’est pas par lui-même un bien ; jugez quel sera le charme du beau immuable, éternel, et demeurant toujours le même. Car ce que l’on appelle ici-bas des biens, n’aurait pour nous aucun attrait, s’il n’avait réellement quelque chose de bien ; et il n’y aurait là rien de bien, s’il ne découlait de celui qui est simplement le bien. 9. Voilà pourquoi, dit le Prophète, je veux habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie. Je vous ai exposé ce motif : « C’est pour contempler la beauté du Seigneur ». Mais pour que je contemple sans relâche, pour que rien ne me trouble dans cette contemplation, que nulle suggestion ne m’en détourne, que nulle puissance ne m’en arrache, que je ne sois en butte à nulle jalousie et que je goûte en paix les délices du Seigneur, mou Dieu, que doit-il m’arriver ? La protection du Seigneur. Non seulement donc je veux contempler la beauté du Seigneur, dit le Prophète, mais je veux être « protégé comme son temple ». Pour qu’il me protège comme son temple, je deviendrai son temple en effet, et je serai sous sa garde. En est-il d’un temple du vrai Dieu comme des temples des idoles ? Les idoles sont à couvert dans leurs temples, mais le Seigneur notre Dieu protège lui-même son temple, et je serai en sûreté. Le contempler sera mon bonheur, sa protection sera ma sûreté. Autant ma contemplation sera parfaite, autant le sera sa protection ; et plus sera parfait le bonheur de la contemplation, plus ma sainteté sera inaccessible à la corruption. À ces deux paroles : « Je contemplerai et je serai protégé », nous pouvons ramener celles qui commencent le psaume : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qu’aurai-je à craindre ? » Le Seigneur est ma lumière, puisque je contemplerai sa beauté. Il est mon salut, puisqu’il me protégera comme son temple.
10. Mais pourquoi Dieu nous accordera-t-il cette grâce pendant l’éternité ? « Parce qu’il m’a caché dans son pavillon au jour de mes malheurs[248] ». J’habiterai donc dans son palais tous les jours de ma vie, afin de contempler la beauté du Seigneur et d’être protégé comme son temple. D’où me vient cependant la confiance d’y arriver un jour ? « C’est qu’il m’a recueilli dans son pavillon au jour de mes malheurs ». Il n’y aura plus alors de jours mauvais pour moi, mais c’est dans les jours difficiles de cette vie que le Seigneur a jeté sur moi les yeux. Si donc il me regarde avec une telle bonté quand je suis si éloigné de lui, que sera-ce quand je jouirai de lui ? Je n’agissais donc point avec témérité, quand je lui faisais cette prière unique, et mon cœur ne me disait point : quelle demande, et à qui la fais-tu ? Oses-tu bien t’adresser à Dieu, misérable pécheur ? Oses-tu bien espérer de contempler le Seigneur, faible créature au cœur souillé ? Oui, j’ose bien l’espérer, non pas de moi, mais de son ineffable bonté ; cet espoir n’est point une présomption chez moi, mais un gage de sa tendresse. Celui qui me témoigne tant de bonté dans le cours de mon pèlerinage, m’abandonnera-t-il au terme, « lui qui m’a recueilli dans son pavillon, en des jours mauvais ? » Nos jours mauvais sont les jours de cette vie. Autres sont les jours mauvais pour les impies, et autres pour les fidèles. S’il n’y avait pas de jours mauvais pour ceux qui ont la foi, mais qui sont encore éloignés du Seigneur, car, selon l’Apôtre, « nous sommes loin du Seigneur, tant que nous habitons un corps »[249] ; que signifierait cette parole de l’Oraison dominicale : « Délivrez-nous du mal ? »[250] si nous ne sommes pas au jour des malheurs. Mais les jours mauvais sont bien différents pour ceux qui n’ont pas la foi : Dieu néanmoins ne les méprise pas, puisque Jésus-Christ est mort pour eux[251]. Que notre âme donc s’enhardisse, et demande au Seigneur ce bien qui est unique ; elle l’obtiendra et le possédera en toute sûreté. Si elle est tant aimée dans sa laideur, que sera-ce quand elle sera purifiée ! « Il m’a recueilli dans son pavillon, au jour de mes malheurs, il m’a protégé dans le secret de son sanctuaire »[252]. Quel est le secret de son sanctuaire ? Qu’entendre par là ? Le tabernacle avait, ce semble, plusieurs parties à l’extérieur ; mais il y avait, à l’intérieur du temple, un lieu mystérieux appelé sanctuaire secret. Qu’était ce sanctuaire ? Le grand prêtre seul y pénétrait[253]. Et peut-être est-ce le Pontife qui est lui-même ce tabernacle secret du Seigneur. Car il s’est formé un corps du tabernacle de notre chair, et il est devenu pour nous un asile mystérieux ; et de la sorte, les membres qui croient en lui, fouineraient le tabernacle, et lui-même en serait le lieu secret. « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ »[254], a dit l’Apôtre.
11. Veux-tu comprendre que tel est le sens de l’Apôtre ? La pierre, c’est le Christ[255]. Écoute ce qui suit : « Il m’a recueilli dans son tabernacle au jour de mes malheurs, il m’a caché à l’ombre de son sanctuaire ». Tu voulais connaître le secret de ce sanctuaire ; écoute la suite : « Il m’a élevé sur la pierre mu. Donc il m’a élevé sur le Christ. Tu t’es humilié dans la cendre, et Dieu t’a élevé sur la pierre. Mais le Christ est au ciel, et toi sur la terre. Écoute la suite : « Dès maintenant, il a élevé ma tête au-dessus de la tête de mes ennemis ». Dès maintenant, avant que je fusse arrivé à ce palais que je veux habiter tous les jours de ma vie, avant que je fusse arrivé à contempler le Seigneur, « dès aujourd’hui, il a élevé ma tête au-dessus de mes ennemis ». Je suis persécuté, il est vrai, par les ennemis du corps de Jésus-Christ ; il est vrai que je ne suis point complètement au-dessus de mes ennemis : toutefois « le Seigneur a élevé ana tête au-dessus de tous mes adversaires ». Déjà notre chef, qui est le Christ, est au ciel ; et pourtant nos ennemis peuvent encore sévir contre nous, puisque nous ne sommes pas élevés au-dessus d’eux ; mais notre chef est dans le ciel d’où il a dit : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? »[256] Il montrait ainsi qu’il est en nous ici-bas ; donc, nous sommes en lui au ciel, puisque, « dès aujourd’hui, il a élevé ma tête au-dessus de mes ennemis ». Tel est le gage que nous avons de notre union éternelle par la foi, l’espérance et la charité, avec notre chef qui est dans le ciel ; c’est que lui-même demeure avec nous sur la terre, jusqu’à la consommation des siècles[257], par sa divinité, sa bonté, son unité.
12. « J’ai jeté les yeux de toutes parts, et j’ai offert dans son tabernacle un sacrifice de louanges »[258]. Nous offrons une hostie de jubilation, une hostie de joie, une hostie de félicitation, une hostie d’actions de grâces, qui demeure au-dessus de toute expression. Où l’offrons-nous ? Dans son tabernacle, dans la sainte Église. Quelle est cette hostie ? Une joie infinie, inénarrable, que nulle parole ne peut exprimer. Telle est cette hostie d’allégresse. Où la chercher et où la trouver ? En cherchant de toutes parts. « J’ai jeté les yeux partout », dit le Prophète, et « j’ai offert dans son tabernacle une hostie d’acclamation ». Que ton âme s’adresse à toute créature, et toute créature te répondra : C’est Dieu qui m’a faite. Tout le beau d’une œuvre d’art fait l’éloge de l’ouvrier, et ton admiration pour l’Ouvrier suprême grandira, à mesure que tu considéreras ses œuvres. Tu vois le ciel, c’est le chef-d’œuvre de Dieu. Tu vois la terre, c’est Dieu qui l’a couverte de ces plantes sans nombre, de ces germes variés à l’infini, qui l’a peuplée d’animaux. Parcours une seconde fois les cieux et la terre, que rien ne t’échappe ; de toutes parts tu entendras publier la gloire du Créateur ; et ces beautés si diverses des créatures forment un concert harmonieux en l’honneur de celui qui les a faites. Qui pourra nous expliquer toute la création ? Qui en dira – les merveilles ? Qui pourrait chanter dignement les cieux, la terre, les mers, et tout ce qu’ils renferment ? Ce ne sont là toutefois que des créatures visibles. Qui chantera dignement les anges, les trônes, les dominations, les principautés, les puissances ? Qui pourra louer dignement ce qu’il y a de vital en nous, qui anime notre corps, qui fait mouvoir nos membres, qui agit sur nos sens, qui embrasse tant de choses par la mémoire, qui nous fait discerner par l’intelligence ? Si le langage humain devient si pauvre quand il s’agit des créatures de Dieu, comment louer le Créateur, à moins qu’à défaut de paroles, nous n’ayons recours à des acclamations ? « J’ai cherché partout et j’ai offert au Seigneur, dans son tabernacle, une hostie d’acclamation ».
13. On peut donner à ces paroles un autre sens qui me paraît plus en harmonie avec la suite du Psaume. L’interlocuteur dit qu’il a été élevé sur le rocher, qui est le Christ ; que sa tête, qui est aussi le Christ, a été élevée au-dessus de ses ennemis : il veut donc nous faire comprendre que lui-même, élevé sur le rocher, a été encore, dans son chef adorable, élevé au-dessus de ses ennemis ; faisant allusion à la gloire de l’Église à qui ses persécuteurs ont dû céder la victoire ; et comme cette victoire est la conversion de l’univers entier à la foi de Jésus-Christ : « J’ai jeté les yeux partout », dit le Prophète, « et j’ai offert à Dieu, dans son tabernacle, une hostie de bénédiction » ; c’est-à-dire, j’ai considéré la foi de tout l’univers, cette foi qui élève ma tête bien au-dessus de mes persécuteurs, et dans le temple du Seigneur, ou plutôt dans cette Église qui embrasse le monde, je l’ai béni, avec une joie ineffable.
14. « Je bénirai le Seigneur, je chanterai des hymnes en son honneur » Tranquilles alors, nous chanterons le Seigneur sans crainte, et sans crainte nous le bénirons, quand nous contemplerons sa beauté, quand il nous protégera comme son temple, et quand la mort, absorbée dans sa victoire, nous aura délivrés de la corruption[259]. « Que dire à présent que nous avons exposé les joies que nous devons goûter, quand notre prière unique sera exaucée ? Que dire maintenant ? Seigneur, exaucez ma voix »[260]. Gémissons donc maintenant, prions maintenant : pour le malheureux, il n’y a qu’à gémir, pour l’indigent, qu’à prier. La prière passera, et fera place aux jubilations ; les pleurs passeront et feront place à la joie. Maintenant donc, pendant que nous sommes dans les jours mauvais, ne cessons d’invoquer le Seigneur, de lui adresser l’unique prière ; que cette prière ne soit jamais interrompue, jusqu’à ce qu’enfin, par sa grâce et sous sa direction, nous arrivions à le contempler. « Écoutez, Seigneur, ma voix qui crie vers vous ; ayez pitié de moi, exaucez-moi »[261]. Telle est sa demande unique, tant que puissent durer son invocation, ses gémissements et ses larmes, il ne fait qu’une seule demande. Il a mis fin tous ses désirs, il ne lui reste que celui d’être exaucé.
15. Voyez la prière qu’il a réellement faite : « Mon cœur vous a dit : J’ai cherché votre face »[262]. C’est le même sens qu’il exprimait tout à l’heure : « Je veux contempler la beauté du Seigneur, mon cœur vous a dit : J’ai cherché votre face ». Si nous mettions notre joie à contempler le soleil d’ici-bas, ce n’est pas notre cœur qui dirait : « J’ai recherché votre face ». Mais plutôt les yeux de notre corps. Mais à quel autre notre cœur peut-il dire : « J’ai recherché votre face », sinon à celui qui n’est visible qu’aux yeux du cœur ? La lumière sensible est pour les yeux du corps, mais la lumière divine pour ceux du cœur. Or, voulez-vous voir cette lumière qui est faite pour les yeux du cœur ? car c’est Dieu lui-même, comme l’a dit saint Jean. « Dieu est lumière, et il n’y a point de ténèbres en lui »[263] ; voulez-vous donc voir cette lumière ? Purifiez l’œil qui la voit : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu. »[264]
16. « Mon cœur vous a dit : J’ai cherché votre face ; c’est votre face, ô mon Dieu, que je rechercherai ». Je n’ai fait au Seigneur qu’une seule demande, et je la ferai toujours, c’est de voir votre face : « Ne détournez donc point de moi votre visage » Voyez comme il s’arrête à cette unique demande : Voulez-vous aussi l’obtenir ? N’en faites aucune autre. Fixez-vous uniquement à celle-là, puisque seule elle vous suffira. « Mon cœur vous a dit : J’ai cherché votre face ; et cette face, ô mon Dieu, je la rechercherai. Ne détournez point de moi votre visage : dans votre colère, ne vous détournez point de votre serviteur »[265]. On ne pouvait rien dire de plus magnifique et de plus divin. Ils comprennent, ceux qui l’aiment véritablement. Tout autre mettrait son bonheur à jouir sans fin de ces biens terrestres qu’il aime par-dessus tout : il n’offrirait à Dieu ses adorations et ses prières qu’afin d’en obtenir de vivre longtemps dans ces délices, de ne perdre aucun objet de ses affections terrestres, ni son or, ni son argent, aises domaines dont la vue peut lui procurer une jouissance, de ne voir mourir ni ses amis, ni ses enfants, ni son Épouse, ni ses clients ; il voudrait toujours vivre dans la possession de ses biens. Mais parce qu’il ne le peut toujours, et qu’il sait qu’il mourra, dans le culte qu’il rend à Dieu, dans ses prières, liasses gémissements, il se contentera peut-être de lui demander ces biens pendant toute sa vieillesse. Que Dieu lui dise : Je te fais immortel avec ces biens ; il acceptera l’immortalité comme un grand bienfait, et il ne pourrait contenir les transports de sa joie. Tel n’est point le désir de celui qui n’a fait au Seigneur qu’une seule demande. Que peut-il donc souhaiter ? de contempler la beauté du Seigneur, tous les jours de sa vie. De même encore celui qui, dans le service de Dieu, ne se proposerait aucun autre but et ne craindrait, dans la colère de Dieu, que de perdre quelqu’un des biens temporels qu’il pourrait posséder. Ce n’est point là ce que craint celui qui parle ici, puisqu’il permet à ses ennemis « de manger sa chair »[266]. Que craint-il donc de la colère de Dieu ? Qu’elle ne le prive de l’objet de son amour. Qu’a-t-il aimé ? Votre face, ô mon Dieu. Il regarderait comme un effet de la colère divine que le Seigneur détournât de lui son visage : « Ne vous détournez point de votre serviteur dans votre colère »[267]. On pourrait peut-être lui répondre : Pourquoi redouter qu’il se détourne de toi dans sa colère ? S’il se détournait de toi dans sa colère, tu aurais moins à craindre ses vengeances ; et si tu tombes entre ses mains dans sa colère, il la déchargera sur toi. Tu dois donc souhaiter qu’il se détourne de toi dans sa colère. Non, répond-il, car il sait ce qu’il souhaite. La colère de Dieu, pour lui, c’est de lui dérober sa face. Mais si Dieu te rendait immortel au milieu de ces délices et de ces joies voluptueuses ? Ce n’est point là ce que je désire, nous répond le chaste ami de Dieu ; tout ce qui n’est point lui-même n’a aucune douceur pour moi. Loin de moi tout autre don que le Seigneur voudrait me faire qu’il se donne à moi lui-même. « Ne vous détournez point de votre serviteur, dans votre colère ». Quelquefois le Seigneur se détourne de nous, mais sans colère aussi, plusieurs lui disent-ils : « Détournez votre visage de mes péchés »[268]. Détourner sa face de tes péchés, ce n’est donc point se détourner de toi dans sa colère. Qu’il détourne donc sa face de vos péchés, mais non de vous.
17. « Soyez mon aide, ne m’abandonnez pas »[269], car je suis dans la voie ; je vous ai demandé uniquement d’habiter dans votre maison, tous les jours de ma vie, de contempler vos beautés, et d’être protégé comme votre temple. C’est là l’unique bien que je demande, et je suis dans la voie qui y conduit. Peut-être me direz-vous : Efforce-toi, marche, je t’ai donné le libre arbitre, tu as ta volonté ; marche dans la voie, aime la paix, recherche-la ; garde-toi de t’écarter du chemin[270], de t’arrêter en chemin, de regarder en arrière : marche avec persévérance, parce que « celuilà sera sauvé, qui aura persévéré jusqu’à la fin »[271]. Avec le libre arbitre, tu crois pouvoir marcher ; ne présume rien de toi-même ; que le secours t’abandonne, et il n’y aura pour loi que défaillance en chemin, que chute, égarement, immobilité. Dites-lui donc : Il est vrai, Seigneur, que vous m’avez donné une volonté libre, et que sans vous mes efforts ne sont rien. « Soyez mon aide, ne m’abandonnez pas ; ne me rejetez pas, ô Dieu, qui êtes mon salut »[272]. Vous m’aiderez, car je suis l’ouvrage de vos mains ; vous n’abandonnez pas vos créatures.
18. « Voilà donc que mon père et ma mère m’ont abandonné »[273]. Il se fait petit enfant devant Dieu et le choisit pour son père, le considère comme sa mère. Dieu est un père, parce qu’il crée, parce qu’il appelle à son service, parce qu’il ordonne, parce qu’il gouverne ; il est une mère, parce qu’il réchauffe, qu’il nourrit, qu’il allaite, qu’il porte dans son sein, « Mon père donc et ma mère m’ont abandonné ; mais le Seigneur m’a pris » pour me diriger et me nourrir. Des parents qui doivent mourir ont engendré ; des fils mortels ont succédé à des parents mortels ; ils sont nés pour succéder, après le décès des parents : mais celui qui m’a créé, ne mourra point ; et moi, je ne me séparerai jamais de lui. « Mon père et ma mère m’ont abandonné, mais le Seigneur m’a recueilli ». En dehors de ces deux parents, de cet homme et de cette femme qui ont été pour nous Adam et Eve, et nous ont donné une vie corporelle, nous avons, ou plutôt nous avons eu un autre père, et une autre mère. Le démon qui est le père de ce siècle, était notre père quand nous étions dans l’infidélité ; car le Seigneur dit aux infidèles : « Vous avez le diable pour père »[274]. Si donc c’est là le père de tous les impies qui agit sur les enfants rebelles[275], qu’elle sera leur mère ? Il est une certaine cité que l’on nomme Babylone ; c’est la cité des enfants de perdition, depuis l’Orient jusqu’à l’Occident : à elle appartient l’empire de la terre. Elle est la capitale de ce que vous appelez la République, que vous voyez vieillir de jour en jour, et décroître. C’est elle qui fut d’abord notre mère, c’est en elle que nous avons pris naissance. Nous avons depuis connu un autre père, et nous avons quitté le diable. Comment oserait-il approcher de ceux qu’a recueillis un Dieu tout-puissant ? Nous connaissons une autre mère, la Jérusalem céleste ou la sainte Église dont une portion encore est en exil sur la terre ; et nous avons quitté Babylone. « Mon père et ma mère m’ont abandonné » : ils n’ont plus aucun bien à me faire ; et quand ils paraissaient m’en faire quelqu’un, c’était vous qui me le faisiez, ô mon Dieu, et je le leur attribuais.
19. Qui peut, si ce n’est Dieu seul, faire en ce bas monde quelque bien à l’homme ? Qui peut lui rien enlever, sans l’ordre ou la permission de Dieu qui nous a tout donné ? Mais les hommes, dans leur folie, croient tenir ces richesses des démons qu’ils adorent, et souvent ils se disent en eux-mêmes que Dieu leur est nécessaire pour la vie éternelle, pour la vie éternelle, vie toute spirituelle, mais que pour les biens de cette vie, il faut rendre un ermite à ces puissances diaboliques. O hommes insensés t vous donnez donc la préférence à ces biens qui vous font adorer les démons ; car ou vous préférez le culte des démons, ou si vous ne l’aimez mieux, c’est du moins autant. Dieu, cependant, ne peut souffrir que l’on partage l’encens entre ses autels et ceux du démon, dût-on lui rendre les plus grands honneurs, et pour eux, les restreindre de beaucoup. Comment ? me diras-tu, ne sont-ils donc point nécessaires pour les biens d’ici-bas ? Nullement. Ne devons-nous pas craindre au moins qu’ils ne nous soient nuisibles ? Ils ne peuvent nous nuire que si Dieu le permet. Toujours ils sont prêts à nous nuire, et vos supplications ne fléchiront point leur désir implacable de faire le mal. Tel est le caractère distinctif de leur malice. Donc, le culte que vous leur rendrez ne peut aboutir qu’à offenser Dieu, qui dans sa juste vengeance vous livrera en leur pouvoir : impuissants à vous nuire, si Dieu vous eût été favorable, ils feront de vous vira jouet de leur malice, parce que vous l’aurez offensé. Pour vous montrer, ô vous qui avez ces pensées, que votre culte aux démons est inutile, même pour les biens temporels, n’y a-t-il donc jamais eu de naufrage pour aucun adorateur de Neptune ? et nul de ceux qui l’ont en horreur n’est-il arrivé au port ? Toutes les mères qui invoquent Junon obtiennent-elles un enfantement heureux, et toutes celles qui l’ont en horreur n’ont-elles qu’un enfantement malheureux ? Comprenez donc par là, mes frères bien-aimés, combien est grande la folie des hommes qui veulent adorer les démons pour en obtenir les biens temporels. S’il faut les adorer pour en obtenir ces biens, leurs adorateurs seuls devraient posséder les grandes fortunes. Et quand même il en serait ainsi, il nous faudrait encore renoncer à de pareils dons, pour faire à Dieu l’unique prière. Mais il y a de plus que Dieu seul peut donner ces biens, et qu’adorer les démons, c’est l’offenser. Arrière donc notre père et notre mère ; arrière Satan, arrière la cité de Babylone ! Vive le Seigneur qui nous recueille pour nous consoler par les biens du temps, et nous rendre heureux par ceux de l’éternité ! « Mon père et ma mère m’ont abandonné, mais le Seigneur m’a recueilli ».
20. Nous voilà donc recueillis par le Seigneur, après avoir fui Babylone et le démon qui la gouverne ; car c’est le diable qui dirige les impies, qui est le prince du monde, le prince des ténèbres. De quelles ténèbres, direz-vous ? Des pécheurs, des impies. Aussi l’Apôtre dit-il à ceux qui ont embrassé la foi : « Vous étiez autrefois ténèbres, maintenant vous êtes lumière en Jésus-Christ »[276]. Maintenant que Dieu nous a recueillis, que devons-nous dire ? « Seigneur, établissez-moi la loi que je dois accomplir dans votre voie ». Tu oses bien demander une loi ? Et si le Seigneur te répondait : Cette loi, l’accompliras-tu ? l’observeras-tu si je te la donne ? Il n’oserait la demander, si d’abord il n’avait dit : Le Seigneur m’a recueilli. Il ne la demanderait point, s’il n’avait dit d’abord : Venez à mon aide. Si donc vous êtes mon soutien, si vous me recueillez, « donnez-moi, Seigneur, une loi que j’accomplisse dans votre voie ». Etablissez-moi une loi dans votre Christ. Car c’est la voie elle-même qui nous a parlé, et nous a dit : « lestais la voie, la vérité et la vie »[277]. La loi dans le Christ est une loi de miséricorde. Il est la sagesse dont il est écrit : « Elle a sur la langue « une loi de clémence »[278]. Si vous êtes coupable d’infraction à cette loi, faites-en l’aveu, et vous en obtiendrez le pardon de Celui qui répandu son sang pour vous. Seulement, ayez soin de ne point abandonner la voie, et dites-lui : « Soyez-mon protecteur, et dirigez-moi dans le sentier de la justice, à cause de mes ennemis »[279]. Donnez-moi une loi, mais ne me privez pas de votre miséricorde. Dans un autre psaume, le Prophète a dit : « Celui qui vous a dicté la loi, vous donnera aussi la miséricorde »[280]. Ces paroles donc : « Fixez-moi, Seigneur, une loi que j’accomplisse dans votre voie », regardent le précepte. Qu’est-ce qui nous désigne sa miséricorde ? « Dirigez-moi », dit le Prophète, « dans la voie du bien, à cause de mes ennemis ».
21. « Ne me livrez pas aux volontés de mes persécuteurs »[281] ; c’est-à-dire, ne permettez pas que j’acquiesce à leurs désirs. Car si tu es uni d’âme et de volonté à celui qui te persécute, ce n’est pas ta chair qu’il dévore en quelque sorte, mais bien mon âme par la perversité qu’il t’inspire. « Ne m’abandonnez pas aux volontés de mes persécuteurs ». Abandonnez-moi entre leurs mains, si vous le voulez. Telle était la prière que faisaient les martyrs, et il les a livrés aux mains des persécuteurs. Mais que leur en livrait-il ? La chair seulement. C’est encore ce qui est écrit dans le livre de Job : « La terre a été livrée aux mains de l’impie[282] ; c’est-à-dire, la chair est entre les mains des persécuteurs. « Gardez-vous de me livrer », non pas ma chair, mais moi. C’est moi l’âme qui vous parle, moi l’esprit qui vous parle. Je ne vous dis point : Gardez-vous de livrer ma chair aux mains de mes persécuteurs ; mais. « Gardez-vous de me livrer aux volontés de o mes persécuteurs ». Comment les hommes sont-ils abandonnés aux volontés de ceux qui les persécutent ? « Voilà que des témoins menteurs se sont levés contre moi ». D’abord, par cela même qu’ils sont des témoins menteurs, qu’ils entassent les accusations contre moi, et me déchirent par une foule de calomnies, si – vous m’abandonnez à leurs volontés, je mentirai à mon tour, je deviendrai leur complice, et sans avoir aucune part à votre vérité, je m’associerai à leurs mensonges contre vous. « Des témoins menteurs se sont élevés contre moi, et l’iniquité a menti contre elle-même »[283]. À elle-même, non pas à moi. Qu’elle soit victime de ses faussetés, et non pas moi. Si vous me livrez aux volontés de mes persécuteurs, c’est-à-dire, si je m’associe à leur dessein, l’iniquité n’aura point menti pour elle seule, mais encore pour moi ; qu’ils déchaînent au contraire toute leur fureur, et s’efforcent d’entraver ma course, pourvu que vous ne m’abandonniez pas à leurs volontés, et que je n’embrasse pas leurs desseins pervers, alors je demeurerai ferme, je subsisterai dans la vérité, et les mensonges de l’iniquité tourneront contre elle et non contre moi.
22. Après tant de dangers, tant de fatigues, tant d’obstacles, accablé par les vexations de ses persécuteurs, haletant, harassé, mais toujours ferme et plein de confiance dans celui qui l’a recueilli, qui le soutient, qui le conduit, qui le gouverne, le Prophète en revient à sa demande-unique ; il a parcouru des yeux toutes les créatures en tressaillant de joie, il a gémi sous le poids du labeur, il soupire enfin et s’écrie : « Je crois que je verrai les biens du Seigneur, dans la terre des vivants[284] ». O biens de mon Dieu, qui êtes si doux ! biens impérissables, biens incomparables, biens éternels, biens immuables ! Quand vous verrai-je, ô biens de mon Dieu ? Je crois que je vous verrai, mais non sur la terre où l’on meurt. « Je crois que je verrai les biens du Seigneur sur la terre des vivants ». Il me délivrera de cette terre où l’on meurt, ce Dieu qui a daigné, par amour pour moi, venir sur la terre des mortels, et mourir entre les mains des mortels. « Je crois que je verrai le Seigneur dans la terre des vivants ». Telle est sa parole quand il sou pire, sa parole quand il est accablé, sa parole au milieu de dangers sans nombre ; et cependant il espère tout de la bonté de ce même Dieu, à qui il a dit : « Seigneur, établissez-moi une loi ».
23. Et que lui dit celui-là même qui adonné la loi ? Écoutons cette voix du Seigneur, voix d’encouragement et de consolation qui nous vient d’en haut. Écoutons la voix de celui qui nous tient lieu de ce père et de cette mère qui nous ont quittés. Écoutons-la, car lui-même a entendu nos gémissements, il a compris nos sanglots, il a considéré nos désirs et la seule prière que nous lui faisons cette unique demande, il l’a favorable 1 ment accueillie par la médiation de Jésus. Christ, notre avocat ; et tant que durera notre pèlerinage en cette vie, qui éloigne de nous ses promesses, sans toutefois nous en priver, il nous répète : « Attends le Seigneur ». En lui tu n’attendras pas un Dieu menteur, un Dieu qui se trompe, un Dieu qui ne puisse trouver de quoi vous donner. C’est le Tout-Puissant qui vous a promis, celui qui est fidèle par excellence, celui qui est la vérité même. « Attends donc le Seigneur, et travaille en homme de cœur ». Ne te laisse pas abattre, afin de n’être point avec ceux dont il est dit : « Malheur à ceux qui ont perdu la constance »[285]. Attends le Seigneur, c’est là ce qu’il dit à tous les hommes, bien qu’il ne parle qu’à un seul. Nous ne sommes qu’un en effet, en Jésus-Christ, nous sommes le corps du Christ, nous qui n’avons qu’un seul désir, ne formons qu’un seul vœu, qui gémissons en ces jours de tristesse, qui croyons voir les biens du Seigneur dans la terre de la vie. C’est à nous tous qui sommes un, en un seul Jésus-Christ, qu’il est dit : « Attends le Seigneur, agis avec courage, affermis ton âme et attends le Seigneur ». Que peut-il dire encore, sinon répéter ce que vous avez entendu ? « Attends le Seigneur, agis en homme de cœur ». Celui donc qui a manqué de confiance, est un efféminé, un homme sans vigueur. Que les hommes écoutent cette parole, que les femmes la comprennent aussi, car l’homme et la femme ne sont qu’un en Jésus-Christ, qui est un seul homme. Mais il n’est plus ni homme ni femme, celui qui vit en Jésus-Christ[286]. « Attends le Seigneur, agis en homme de cœur ; affermis ton âme et attends le Seigneur ». C’est par la confiance que tu posséderas le Seigneur, tu posséderas celui que tu auras attendu. Libre à toi de former d’autres désirs, si tu trouves un objet plus grand, plus digne, plus suave.

DISCOURS SUR LE PSAUME 27[modifier]

LE CHRIST A SA RÉSURRECTION.[modifier]

Tout le psaume est consacré à célébrer la gloire de la résurrection et l’aveuglement des Juifs. Ils ont voulu donner la mort du Christ, et il est ressuscité pour soutenir ses élus. Quant aux Juifs incrédules, ils ont perdu la vie éternelle. De là un double démenti donné à leur perversité.

PSAUME DE DAVID.[modifier]


1. L’interlocuteur du psaume, c’est le médiateur dont le bras a été fort dans le combat de sa passion. Les malheurs qu’il paraît appeler sur ses ennemis, ne sont pas tant des imprécations que la prophétie de leur châtiment : de même que dans l’Évangile, s’il parle des villes qui ont vu ses miracles sans croire en lui[287], il prédit les malheurs qui les menacent, beaucoup plus qu’il ne les frappe d’anathème.
2. Seigneur, mes cris s’élèvent jusqu’à nous, ne retirez pas de moi votre parole, ô « mon Dieu ». Je crie vers vous, Seigneur mon Dieu, ne séparez point en moi votre Verbe de l’humanité dont je suis revêtu. « Si jamais vous retirez de moi votre parole, je userai semblable à ceux qui s’en vont au sépulcre »[288]. L’union de votre Verbe éternel avec moi fait que je ne ressemble point aux autres hommes, qui naissent dans les profondes misères du siècle, où l’on ne connaît pas plus votre Verbe que si vous gardiez le silence. « Exaucez, ô mon Dieu, la voix de mes supplications, lorsque je crie vers vous.et que j’élève mes mains vers votre saint temple »[289] : quand je suis cloué à la croix, pour le salut de ceux qui deviendront votre saint temple en croyant en vous.
3. « Ne confondez pas mon âme avec les pécheurs, ne me perdez pas avec ceux qui commettent l’iniquité, avec ceux qui ont pour le prochain des paroles de paix »[290] : avec ceux qui me disent « Maître, nous savons que vous venez de Dieu[291] mais le mal est dans leur cœur » : mais leur cœur n’est ouvert qu’aux pensées perverses.
4. « Traitez-les selon leurs œuvres ». Il est juste que vous leur rendiez selon leurs actions : « Châtiez-les selon la perversité de leurs desseins ». Car en s’étudiant au mal, ils ne peuvent trouver le bien. « Traitez-les selon les œuvres de leurs mains »[292]. Bien que leurs œuvres servent au salut des autres, rendez-leur néanmoins ce que mérite l’œuvre qu’ils méditaient. « Rendez-leur ce qu’ils méritent ». Puisque, au lieu de la vérité qu’ils entendaient, ils n’ont voulu redire que la fausseté, qu’ils soient dupes de leurs propres mensonges. 5. « Aussi n’ont-ils rien compris dans les œuvres du Seigneur »[293]. Comment savons-nous qu’ils se sont trompés eux-mêmes ? C’est qu’« ils n’ont rien compris aux œuvres du « Seigneur ». Tel est leur premier châtiment. Leur esprit pervers s’est attaqué à l’homme en Jésus-Christ, et ils n’ont point connu qu’il était Dieu, ni dans quel dessein du Père il s’était revêtu de notre chair. « Ni dans les œuvres « de ses mains ». Les œuvres si visibles, qui s’opéraient sous leurs yeux, ne les ont point ébranlés. « Vous les détruirez, Seigneur, et ne les rétablirez jamais ». Qu’ils ne puissent me nuire, et qu’ils échouent dans leurs machinations artificieuses contre mon Église.
6. « Béni soit le Seigneur, qui a écouté la voix de ma prière »[294].
7. « Le Seigneur est ma force et mon soutien »[295]. C’est le Seigneur qui me fortifie en rie telles souffrances, et qui me soutient en m’accordant la résurrection et l’immortalité. « En lui mon cœur a espéré, et il a obtenu le secours ; et ma chair a refleuri ». Elle a ressuscité. « Je le bénirai de toute mon âme ». Et ceux qui croiront en moi béniront le Seigneur, non plus par la crainte comme sous la loi, mais avec une volonté libre en se conformant à la loi et comme je suis en eux, c’est moi qui bénirai le Seigneur.
8. « Le Seigneur est la force de son peuple »[296]. Non point de ce peuple qui ignore la justice de Dieu et qui s’efforce d’établir la sienne[297] mais de ce peuple qui ne croit point â sa propre force : car c’est le Seigneur qui soutient son peuple dans sa résistance au démon parmi les difficultés de cette vie. « Il est le protecteur de ceux que son Christ a sauvés ». En sorte qu’après avoir sauvé son peuple par son Christ et soutenu son courage dans les combats, il l’établira dans une paix sans fin.
9. « Seigneur, sauvez votre peuple et bénissez votre héritage »[298]. Ma chair a refleuri, et je vous adresse ma prière ; car vous m’avez dit : « Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage[299] ». Sauvez votre peuple, bénissez votre héritage, puisque tout ce qui est à moi vous appartient[300] ». Dirigez-les, élevez-les en gloire pour l’éternité ». Dirigez-les en cette vie, et d’ici-bas, élevez-les à la vie éternelle.


DISCOURS SUR LE PSAUME 28[modifier]

L’ÉGLISE DE DIEU ET LA PRÉDICATION DE L’ÉVANGILE.[modifier]

Ce Psaume nous expose les merveilles que doit opérer, dans les peuples de la gentilité, cette voix de Dieu qui se fait entendre et qui arrive à tous les cœurs par l’Évangile. C’est le Christ qui prend aussi possession de tous les hommes.

PSAUME POUR DAVID, A L’ACHÈVEMENT DU TABERNACLE[301].[modifier]


1. Psaume en l’honneur du Médiateur, à la main forte, pour l’achèvement de son Église en ce monde terrestre, où elle doit chaque jour livrer bataille au démon.
2. C’est le Prophète qui parle : « Présentez, ô Fils de Dieu, présentez au Seigneur les fils des béliers ». Présentez-vous au Seigneur, vous que les Apôtres, ces chefs du bercail, ont enfantés par l’Évangile. « Offrez au Seigneur l’honneur et la gloire »[302]. Que vos œuvres soient pour Dieu une gloire et une louange. « Rendez gloire au nom du Seigneur ». Chantez sa gloire dans le monde entier. « Adorez le Seigneur devant la gloire de son sanctuaire »[303]. Adorez le Seigneur dans vos cœurs dilatés et sanctifiés. Car vous êtes vous-mêmes sa royale et sainte habitation.
3. « Voix du Seigneur sur les eaux ». Voix du Christ sur les peuples. « Le Seigneur a tonné dans sa majesté ». Du milieu de la nuée de sa chair, le Seigneur nous a prêché la pénitence d’une voix effrayante et majestueuse. « L’Eternel est sur les grandes eaux »[304], Le Seigneur Jésus a fait entendre sa voix sur les peuples, qu’il a glacés d’effroi ; il les a convertis à sa loi et a voulu habiter en eux.
4. « Voix du Seigneur, pleine de force Déjà la voix du Seigneur est en eux et leur donne la puissance. « Voix du Seigneur pleine de gloire »[305]. La voix de Dieu opère en eux de grandes choses.
5. « Voix du Seigneur qui brise les cèdres ». La voix du Seigneur brise le cœur des superbes et les humilie. « Le Seigneur brise les cèdres du Liban »[306]. Le Seigneur va briser par la pénitence ceux qui se prévalent d’uni noblesse tout à fait terrestre, il va les confondre en choisissant des hommes que le monde méprise[307], pour faire éclater en eux la puissance divine.
6. « Il les brisera, comme le jeune taureau du Liban »[308]. Il abaissera leur orgueilleuse hauteur, les réduira à s’humilier comme celui qui, semblable au jeune taureau, a été conduit à la boucherie par les grands de ce monde. Car « les rois et les grands de la terre se sont levés, et ont conspiré contre le Seigneur et contre son Christ. Et le bien-aimé a été comme le fils des licornes ». Car lui, le bien-aimé, le Fils unique du Père, s’est dépouillé de sa noblesse ; il s’est fait homme semblable au fils des Juifs qui n’ont point connu la justice de Dieu[309] et qui s’applaudissaient avec orgueil de leur propre justice, comme de l’unique justice.
7. « Voix du Seigneur, qui divise les traits de flammes »[310]. Voix du Seigneur qui s’ouvre un passage au travers de ceux qui le persécutent avec la haine la plus implacable, et n’en reçoit aucune blessure, ou qui jette la division parmi ses persécuteurs les plus acharnés ; il fait dire aux uns : « Ne serait-il pas le Christ » ; et aux autres : « Non, mais il séduit le peuple »[311][312]. Il jette ainsi la division dans leur foule insensée, amène les uns à l’aimer, et abandonne les autres à leur propre malice.
8. « Voix du Seigneur, qui ébranle les déserts »[313]. Voix du Seigneur qui ébranle, pour les amener à la foi, ces nations qui n’avaient jadis ni espoir, ni Dieu en cette vie[314], et où n’habitait aucun homme, c’est-à-dire aucun prophète, aucun prédicateur de la parole de Dieu. Et il ébranlera le désert de Cadès ». Alors il mettra en évidence la sainte parole de ses Écritures, abandonnée aux Juifs qui ne la comprenaient point.
9. « Voix du Seigneur qui perfectionne les cerfs »[315]. La voix du Seigneur amène tout d’abord à la perfection ceux qui savent surmonter et repousser les langues envenimées. « Il mettra au jour les forêts ». Il leur découvrira les obscurités des livres saints, les ombres de ses mystères, afin qu’ils y paissent en liberté. « Et chacun le glorifiera dans son temple ». Et dans son Église, quiconque est régénéré dans l’éternelle espérance, bénit le Seigneur selon le don qu’il a reçu de l’Esprit-Saint.
10. « Le Seigneur habite le déluge »[316]. Tout d’abord le Seigneur habite les grandes eaux de ce monde, en la personne des saints, qu’il conserve dans son Église comme dans une arche[317]. « Le Seigneur s’assiéra pour régner éternellement ». Ensuite, il s’assiéra pour régner éternellement dans ses élus.
11. « Le Seigneur donne la force à son peuple »[318]. Parce que le Seigneur doit fortifier son peuple dans sa lutte contre les tempêtes et les ouragans du monde car il ne lui a point promis la paix ici-bas. « Le Seigneur bénira son peuple dans la paix ». Le même Dieu qui bénira son peuple lui donnera la paix en lui-même ; car il a dit : « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix »[319].


PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME 29.[modifier]

L’ÉGLISE, OU LE TEMPLE CONSACRÉ A DIEU.[modifier]

Chaque membre de l’Église ou de Jésus-Christ peut tenir le langage de ce psaume. Et ce que peut dire Jésus-Christ à propos de sa résurrection, et quand il se prépare à se consacrer un temple dans les fidèles, tout fidèle sorti du péché peut se l’appliquer, et se considérer comme un temple consacré à Dieu.

POUR LA FIN, PSAUME CHANTÉ A LA DÉDICACE D’UN LIEU SACRÉ, POUR DAVID[320].[modifier]


1. Pour la fin. Chant joyeux de la résurrection, qui a renouvelé non seulement le corps de Jésus-Christ, mais de toute l’Église, et l’a changé en un corps immortel. Dans le psaume précédent, la tente que nous devons habiter pendant la durée de la guerre s’achevait ; maintenant il s’agit de faire la dédicace de ce palais, que nous devons habiter dans une paix éternelle.
2. C’est le Christ qui parle ici dans son intégrité : « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez relevé »[321]. Je chanterai votre grandeur, parce que vous m’avez protégé. « Et que vous n’avez point réjoui mes ennemis de ma ruine ». Vous n’avez point permis que ceux qui, tant de fois dans l’univers entier, ont cherché à m’écraser sous le poids des persécutions, se réjouissent à mon sujet.
3. « Seigneur, mon Dieu, j’ai crié vers vous et vous m’avez guéri »[322]. Je vous ai invoqué, Seigneur mon Dieu, et je ne suis plus chargé d’un corps sujet à la mort ou à la maladie.
4. « Seigneur, vous avez retiré mon âme du tombeau, vous m’avez séparé de ceux qui descendent dans l’abîme »[323]. Vous m’avez sauvé d’un profond aveuglement et des bas-fonds d’une chair corruptible.
5. « Saints du Seigneur, célébrez ses louanges ». Le Prophète voit dans l’avenir ce qu’il annonce, et il s’écrie dans ses transports : « Saints du Seigneur, célébrez ses louanges, et rendez témoignage à la mémoire le sa sainteté »[324]. Et confessez qu’il n’a point oublié cette sainteté dont il vous a gratifiés : quoique le temps qui sépare la sanctification de la récompense paraisse long à vos désirs.
6. « Son indignation amène la vengeance ». Il a vengé sur vous le premier péché que vous expiez par la mort. « Mais sa volonté donne la vie »[325]. Cette vie éternelle, à laquelle vous ne pouviez revenir de vos propres forces, il vous la donne, par un acte de sa bonne volonté. « Le soir s’écoulera dans les pleurs ». Ce soir a commencé quand la lumière de la sagesse s’est éteinte en l’homme pécheur, et qu’il a été condamné à la mort : à dater de ce soir fatal, des pleurs doivent couler, tant que le peuple de Dieu attendra, dans les travaux et les épreuves, le jour du Seigneur. « Au matin, nous serons dans la joie ». Il attendra jusqu’au matin, où il tressaillera dans la joie de la résurrection future, que nous annonce comme une fleur matinale la résurrection du Christ.
7. « En mes jours d’abondance, j’ai dit : Je ne serai jamais ébranlé »[326]. Pour moi, peuple, moi qui parlais dès l’abord, dans mes jours d’abondance, et quand je ne ressentais pas la disette, j’ai dit : « Je ne serai point ébranlé ».
8. « Seigneur, dans votre bonté, vous m’avez affermi dans ma félicité »[327]. Mais, Seigneur, j’ai compris que cette richesse me venait de votre bonté et non de moi, quand « vous avez détourné de moi votre face, et que je suis tombé dans le trouble », car mes fautes vous ont fait détourner votre visage, et je suis tombé dans le trouble, quand votre lumière s’est éteinte pour mes yeux.
9. « Je crierai vers vous, Seigneur, je vous supplierai, ô mon Dieu »[328]. Quand je me souviens de mes jours de trouble et de misère et que je m’y crois encore engagé, j’entends alors la voix de votre premier-né, de celui qui est mon chef et qui doit mourir pour moi, et qui s’écrie : « J’en appelle à vous, Seigneur ; c’est vous que je supplierai, ô mon Dieu ! »
10. « Qu’est-il besoin de verser mon sang, si je dois m’en aller en pourriture ?[329] Est-ce que cette poussière pourra vous glorifier ? » Si je ne ressuscite pas aussitôt, si mon corps est en proie à la pourriture, « est-ce que vous tirerez votre gloire de cette poussière », ou de cette troupe d’impies que ma résurrection doit justifier ? « Ou bien, pourra-t-elle annoncer votre vérité »[330]. C’est-à-dire, pourront-ils annoncer aux autres la vérité du salut ?
11. « Le Seigneur m’a écouté et m’a pris en pitié, il a été mon protecteur »[331]. Il n’a point permis que son saint devînt la proie de la corruption »[332].
12. « Vous avez changé mon deuil en joie »[333]. Moi, votre église, qui ai reçu ce premier-né d’entre les morts, je chante à la dédicace de votre palais : « Vous avez changé mon deuil en joie ; vous avez déchiré mon cilice pour me revêtir de joie »[334]. Vous avez écarté le voile de mes péchés et la tristesse de ma mortalité, pour me revêtir de ma robe première et d’une joie impérissable.
13. « Afin que ma gloire vous chante, et que nul aiguillon ne me meurtrisse »[335]. Afin qu’il n’y ait plus aucun deuil pour moi ; mais que ma gloire chante vos louanges, et non plus mon humilité, puisque vous m’avez tiré de l’abaissement, et que la conscience de mon péché, la crainte de la mort et du jugement ne perce plus mon cœur. « Seigneur, mon Dieu, je vous bénirai éternellement ». C’est là ma gloire, ô mon Dieu, de proclamer hautement à votre louange qu’il n’y a rien en moi de moi-même, et que tout bien vient de vous, ô Dieu, qui êtes tout en tous[336].

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 29[modifier]

LA GLOIRE DU CHRÉTIEN APRÈS CETTE VIE.[modifier]

Dans ce discours, saint Augustin nous montre que Jésus-Christ, notre chef, ayant reçu sa consécration dans le ciel, nous devons l’y recevoir aussi et l’y suivre. Et nous y arriverons, en bénissant Dieu, ou en le glorifiant dans nos douleurs, pour le bénir ensuite dans sa gloire.


1. Assurément nous avons chanté : « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez relevé, et que vous n’avez point donné à mes « ennemis la joie de ma ruine »[337]. Si les saintes Écritures nous ont fait connaître nos ennemis, nous comprenons la vérité de ce cantique mais si la prudence de la chair nous a jetés dans l’illusion au point que nous ne connaissions plus ce qu’il nous faut combattre[338], nous trouvons, dès l’abord du psaume, une difficulté insoluble pour nous. De qui pensons-nous sont ce chant d’actions de grâces, cette voix qui bénit Dieu dans son allégresse et qui s’écrie : « Je vous exalterai, Seigneur, parce que nous m’avez relevé, et que vous n’avez point donné à mes ennemis la joie de ma ruine ? » Considérons d’abord que c’est Notre-Seigneur qui, dans cette humanité dont il a daigné se revêtir, a pu fort bien s’approprier ces paroles du Prophète. Devenir homme, c’est contracter nos infirmités, et, devenu infirme, il devait prier. Nous venons de voir, en lisant cet Évangile, qu’il se sépara de ses disciples pour entrer au désert, où ils allèrent le chercher et le trouvèrent. Étant à l’écart, il priait, et ses disciples lui dirent en le retrouvant : « Les hommes vous cherchent. Allons prêcher, répondit-il, en d’autres lieux, en d’autres bourgades ; car c’est pour cela que je suis venu »[339]. À n’envisager Notre-Seigneur Jésus-Christ que dans sa divinité, qui est celui qui prie ? à qui adresse-t-il sa prière ? quel en est le sujet ? Un Dieu peut-il prier ? s’adresser à son égal ? Quel motif de prier peut avoir celui qui est toujours heureux, toujours tout-puissant, toujours immuable et éternel, coéternel au Père ? Si nous écoutons cette voix de tonnerre, qu’il a fait retentir, comme à travers la nuée, par saint Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu, toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui, en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière a lui dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise »[340] ; nous ne trouvons jusque-là ni prière, ni sujet de prière, ni occasion de prière, ni désir de prier ; mais quand il est dit plus bas : « Et le Verbe s’est fait « chair, et il a demeuré parmi nous »[341] : vous avez un Dieu que vous devez prier, et un homme qui priera pour vous. Car l’Apôtre tenait ce langage après la résurrection de Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est assis à la droite de Dieu, dit-il, et qui intercède pour nous[342]. Pourquoi intercéder pour nous ? Parce qu’il a daigné se rendre notre médiateur.[343] Qu’est-ce qu’être médiateur entre Dieu et les hommes ? Je ne dis point entre son Père et les hommes, mais bien entre Dieu et les hommes. Qu’est-ce que Dieu ? C’est le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Que sont les hommes ? Dès pécheurs, des impies, de chétifs mortels. Donc, entre la Trinité et les hommes infirmes et coupables, un homme s’est fait médiateur, homme innocent, il est vrai, et néanmoins infirme : afin que dans son innocence il pût vous approcher de Dieu, et dans son infirmité s’approcher de vous. C’est ainsi que le Verbe fait chair, ou le Verbe fait homme est devenu médiateur entre Dieu et les hommes. Sous le nom de chair on entend les hommes. De là cette parole : « Toute chair verra le salut de Dieu »[344]. Toute chair, c’est-à-dire tous les hommes. L’Apôtre dit aussi « Nous n’avons pas à combattre contre la chair « et le sang », c’est-à-dire contre les hommes, « mais contre les principautés, les puissances, « les princes de ce monde et de ces ténèbres »[345], dont nous parlerons plus tard, avec le secours de Dieu. Car cette distinction nous est nécessaire pour l’intelligence de ce psaume, que nous avons entrepris de vous expliquer au nom du Seigneur. Toutefois j’ai cité aujourd’hui ces quelques exemples, afin que vous sachiez que la chair désigne tous les hommes, et que dire : « Le Verbe s’est fait chair », ce soit pour vous : Le Verbe s’est fait homme.
2. Ce n’est pas sans raison que j’ai fait ces remarques. Vous devez savoir, mes frères, qu’il y eut autrefois certains hérétiques nommés Apollinaristes, et peut-être y en a-t-il encore aujourd’hui quelques-uns. Plusieurs d’entre eux ont erré en parlant de cette humanité dont s’est revêtue la sagesse de Dieu, pour habiter en elle personnellement, non plus comme dans les autres hommes, mais selon cette parole du Prophète : « Votre Dieu, ô Dieu, vous a marqué d’une huile de joie, qui vous élève au-dessus de tous ceux qui doivent la partager avec vous »[346], c’est-à-dire d’une onction plus grande que celle des autres hommes : de peur que l’on ne vînt à – croire que l’onction du Christ ressemble à celle des hommes, des autres justes, des patriarches, des Prophètes, des Apôtres, des martyrs, et de tout ce qu’a produit de grand la race humaine. Nul autre homme ne fut plus grand que Jean-Baptiste, et des fils de la femme aucun ne l’a surpassé[347]. Si vous cherchez quelle fut sa grandeur, il suffit de dire que c’est Jean-Baptiste. Mais celui à qui Jean ne se trouvait pas digne de dénouer les souliers[348], qu’était-il donc, sinon plus que tous les autres hommes. Même en son humanité, il avait plus de grandeur que tout autre homme. Comme Dieu, dans sa divinité, comme Verbe qui était au commencement, Verbe qui était en Dieu, Verbe qui était Dieu, il est égal au Père, et bien au-dessus de toute créature. Mais nous parlons ici de l’humanité. Quelqu’un de vous, mes frères, croira peut-être que cet homme dont la sagesse divine a daigné se revêtir, était égal au reste des hommes. Dans le corps humain, il y a une grande différence entre la tête et les autres membres, bien que les membres ne forment à la vérité qu’un seul et même corps, néanmoins la tête est bien supérieure au reste des membres. Dans tous les autres, vous n’avez de sentiment que par le tact ; c’est en touchant qu’ils sentent, mais c’est par la tête que vous entendez, que vous voyez, que vous flairez, que vous goûtez, que vous touchez. Si telle est la supériorité de la tête sur les autres membres, quelle ne sera pas l’excellence de celui qui est le chef de l’Église, ou de cet Homme que Dieu a voulu établir médiateur entre Dieu et les hommes ? Donc, ces hérétiques ont dit que l’homme, dont le Verbe s’est revêtu, quand le Verbe s’est fait chair, n’avait point l’esprit humain, et seulement une âme privée de l’intelligence humaine. Vous voyez de quoi l’homme est composé ; de l’âme et du corps. Mais il y a dans l’âme de l’homme quelque chose de plus que dans l’âme des bêtes. Car les bêtes aussi ont une âme, de là leur nom d’animaux ; et on ne les appellerait point animaux, si elles n’avaient une âme ; nous voyons aussi qu’elles ont la vie. Qu’a donc de plus l’homme qui le marque à l’image de Dieu ? C’est qu’il comprend, c’est qu’il raisonne, c’est qu’il discerne le – bien du mal ; c’est en cela qu’il est fait à l’image et à la ressemblance de Dieu. Il y a donc en lui quelque chose, que n’ont pas les animaux. Et quand il méprise sa supériorité sur les bêtes, il détruit en lui, il efface, et en quelque sorte il dégrade l’image de Dieu ; en sorte que c’est à ces hommes qu’il est dit : « Gardez-vous de ressembler au cheval et au mulet qui sont sans intelligence »[349]. Ces hérétiques ont donc soutenu que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’avait point l’esprit humain, ni ce que les Grecs appellent logikon, ce que nous appelons la raison, cette partie de l’âme qui raisonne et que n’ont point les animaux. Quelle est donc leur doctrine ? Ils enseignent que le Verbe de Dieu était, dans son humanité, ce que l’esprit est en nous. L’Église les a rejetés, la foi catholique les a eus en horreur, et ils ont formé une secte hérétique. La foi catholique a déclaré que cet homme, dont la sagesse divine a daigné se revêtir, n’avait rien de moins que les autres hommes, pour ce qui est de l’intégrité de nature ; mais que l’excellence de la personne le rendait supérieur aux autres hommes. Car on peut dire des autres qu’ils participent au Verbe de Dieu, puisque le Verbe de Dieu est en eux ; mais aucun d’eux ne peut être appelé Verbe de Dieu, comme l’a été celui-ci dans l’Évangile : « Le Verbe s’est fait chair »[350].
3. D’autres hérétiques, issus de ces derniers, ont refusé à cet Homme-Dieu, à ce Jésus-Christ, médiateur entre Dieu et les hommes, non seulement la raison, mais l’âme humaine. Ils ont soutenu qu’il était Verbe et chair, mais qu’il n’y avait en lui ni raison humaine, ni hie humaine. Voilà ce qu’il, s enseignaient. Qu’était donc Jésus-Christ, selon eux ? Le Verbe et la chair. L’Église les a rejetés aussi et séparés de ses brebis, de la vraie et simple croyance, et a déclaré, comme je viens de le dire, que l’homme médiateur eut tout ce qui est de l’homme, à l’exception du péché. Si en effet, nous voyons en lui beaucoup d’actions corporelles, qui nous démontrent qu’il avait un corps véritable, et non un corps fictif ; comment voulons-nous entendre qu’il avait un corps ? Ainsi, il marche, il s’assied, il dort, il est saisi, flagellé, souffleté, cloué à la croix, il meurt. Ôtez le corps, et rien de tout cela n’aura lieu. Comme donc à toutes ces marques de l’Évangile nous reconnaissons que le Christ avait un corps véritable, ainsi que lui-même l’atteste après sa résurrection, quand il dit : « Touchez et voyez, un esprit n’a point une chair et des os, comme vous m’en voyez »[351] ; comme à ces indices et à ces actes, nous croyons, nous comprenons, nous reconnaissons que Notre-Seigneur Jésus-Christ avait un corps, ainsi d’autres particularités de la nature nous font croire qu’il avait une âme. Avoir faim et soif, sont des œuvres de l’âme ôtez l’âme, et le corps inanimé ne sentira plus ces besoins. S’ils soutiennent que ces besoins étaient fictifs, nous ne verrons non plus que de la fiction dans ce qui est dit du corps ; mais si la vérité des actions corporelles nous fait conclure à la vérité du corps, la vérité des actions de l’âme nous fera conclure que l’âme aussi était véritable.
4. Quoi donc ? ô homme qui m’écoutes, le Seigneur s’est fait infirme comme toi, sans doute, mais ne va point te comparer à lui. Tu n’es qu’une créature, et lui est créateur. Que le Verbe Fils de Dieu, que ton Dieu se soit fait homme, ce n’est point une raison de comparer cet homme avec toi-même, mais bien de l’élever au-dessus de toi, puisqu’il est ton médiateur, et au-dessus de toute créature, puisqu’il est Dieu : et de comprendre enfin que celui qui se fait homme pour toi, peut bien s’abaisser à prier pour toi ; et si la prière n’est point une dérogation à sa dignité, il peut aussi, sans dérogation, dire pour toi ces paroles : « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez élevé, et que vous n’avez point donné à mes ennemis la joie de ma ruine ». Mais si nous n’entendons bien de quels ennemis il s’agit, nous fausserons ces paroles, en les mettant dans la bouche de Jésus-Christ. Comment le Christ dira-t-il avec vérité : « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez élevé, et que vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine ? » Comment cela serait-il vrai, de son humanité, de sa faiblesse, de sa chair ? car il fut un sujet de triomphe pour ses ennemis, lorsqu’ils le crucifièrent, qu’ils le saisirent, qu’ils le flagellèrent, qu’ils le souffletèrent, en lui disant : « Prophétise-nous, ô Christ »[352]. Cette joie qu’ils eurent nous force en quelque sorte de croire à la fausseté de ces paroles : « Et vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine ». Ensuite, quand il était à la croix, ils passaient ou s’arrêtaient, ils le fixaient en branlant la tête et en disant : « Voyez ce Fils de Dieu, il a sauvé les autres et ne peut se sauver lui-même ; qu’il descende de la croix et nous croirons en lui »[353]. Ne tressaillent-ils pas en lui jetant ces injures ? Que devient donc cette parole : « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez élevé, et que vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine ? »
5. Peut-être cette parole n’est-elle point de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais de l’homme, mais de l’Église entière, du peuple chrétien parce qu’en Jésus-Christ tous les hommes ne font qu’un seul homme, et que tous les chrétiens unis ne forment qu’un seul homme. Peut-être est-ce l’homme lui-même, l’unité chrétienne qui dit : « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez relevé, et que vous n’avez pas permis que mes ennemis aient la joie de ma ruine ». Mais comment cela peut-il être vrai à leur sujet ? Les Apôtres n’ont-ils pas été saisis, frappés, battus de verges, mis à mort, cloués à la croix, brûlés vifs, condamnés aux bêtes, ces hommes dont nous célébrons aujourd’hui la mémoire ? Quand les hommes les traitaient de la sorte, ne tressaillaient-ils pas de leur ruine ? Comment donc le peuple chrétien même peut-il dire : « Je vous exalterai, ô Dieu, parce que vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine ? »
6. Nous le comprendrons si nous nous arrêtons au titre du psaume. Ce titre est en effet : « Pour la fin, psaume pour David, chanté « à la dédicace de son palais »[354]. C’est dans ce titre que nous espérons trouver le secret d’élucider cette question. Un jour sera dédié cet édifice que l’on construit aujourd’hui. Cet édifice qui est l’Église se construit maintenant, plus tard on en fera la dédicace ; or, à cette dédicace éclatera la splendeur du peuple chrétien, splendeur cachée aujourd’hui. Laissons donc nos ennemis sévir contre nous, et nous humilier, faire non plus ce qu’ils veulent, mais ce que Dieu leur permet. Il ne faut pas attribuer à nos ennemis tout le mal qu’ils nous font endurer ; il nous vient quelquefois du Seigneur notre Dieu. Car le Médiateur nous a montré par son exemple que quand il permet que les hommes nous nuisent, il ne leur en donne point la volonté, mais seulement le pouvoir. Tout méchant trouve eu lui-même la volonté de nuire ; mais la puissance de nuire n’est point abandonnée à sa discrétion. Cette volonté le rend coupable ; mais la puissance du mal lui vient des dispositions mystérieuses de la Providence divine, qui lui permet d’agir, afin de châtier l’un, de mettre l’autre à l’épreuve, de couronner un troisième. De châtier les uns, comme il permit autrefois aux étrangers, en grec allophuloi, d’asservir le peuple d’Israël, qui avait péché contre son Dieu[355]. De mettre les autres à l’épreuve, comme il permit au diable de tenter Job[356]. A Job le triomphe, au démon la honte. De couronner les autres, comme il livra les martyrs aux persécuteurs. Les martyrs furent égorgés, et leurs bourreaux se crurent vainqueurs : ceux-ci obtinrent aux yeux du monde un faux triomphe, ceux-là une couronne invisible, mais réelle. Donc le pouvoir des méchants entre dans les vues de la Providence divine ; mais la volonté de nuire appartient à l’homme, qui ne donne pas toujours la mort comme il le voudrait.
7. Voilà donc le Seigneur lui-même, juge des vivants et des morts, qui se présente à la barre d’un tribunal, devant un homme ; ce n’est pas un vaincu, mais il veut apprendre à tout soldat la manière de combattre ; et quand le juge lui dit, avec une menace pleine d’orgueil : « Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de t’absoudre ou de t’envoyer à la mort ? » il réprime cette insolence, par une réponse qui doit lui ôter toute enflure : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi », lui dit-il, « s’il ne t’était donné d’en haut »[357]. Et Job, dont le diable venait de tuer les enfants et de dissiper tous les biens, que répond-il ? « Dieu a donné, Dieu a ôté ; ainsi qu’il a plu au Seigneur, il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni »[358]. Que l’ennemi ne s’applaudisse point de son œuvre : pour moi, dit-il, je sais qui lui en adonné le pouvoir ; au démon la volonté de nuire, mais à Dieu le pouvoir d’éprouver les hommes. Quand son corps est couvert de plaies, voici venir sa femme, qui lui est laissée, comme une autre Eve, pour venir en aide au démon, non pour consoler son Époux ; elle essaie de l’ébranler, et lui dit, parmi ses outrages : « Parlez contre Dieu et mourez »[359]. Et ce nouvel Adam fut plus ferme sur son fumier, que le premier dans le paradis. Le premier Adam prêta l’oreille à sa femme[360], dans ce paradis, dont il se fit chasser. Le second Adam, sur son fumier, repoussa la femme, et mérita d’entrer dans le paradis. Et ce nouvel Adam, assis sur son fumier, qui enfantait l’immortalité au dedans, quant au-dehors il était la pâture des vers, que dit-il à sa femme ? « Tu as parlé comme une femme insensée : « si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas accepter les maux[361] ? » Il dit encore que c’est la main de Dieu qui est sur lui, quand c’est le diable qui l’a frappé ; parce que son attention ne s’arrêtait pas à celui qui frappait, mais à celui qui permettait. Le diable, à son tour, appelle main de Dieu ce pouvoir qu’il sollicitait. Car voulant trouver des crimes dans cet homme juste à qui Dieu rendait témoignage, Satan dit à Dieu : « Est-ce en vain que Job rend un culte au Seigneur ? Ne l’avez-vous pas entouré comme d’un rempart, lui, sa maison, et tous ses biens ? Vous avez béni le travail de ses mains, et ses possessions se sont accrues sur la terre ; vous l’avez comblé de si grands biens, que c’est pour cela qu’il vous sert. Mais étendez votre main sur lui, frappez tout ce qui lui appartient, et vous verrez s’il vous bénira »[362]. Que signifie : « Étendez votre main », quand lui-même voulait frapper ? Comme il ne pouvait lui-même frapper, il appelle main de Dieu, ce pouvoir de frapper qu’il reçoit du Seigneur.
8. Que dirons-nous donc, mes frères, à la vue de ces grands maux, que nos ennemis ont fait endurer aux chrétiens, de leur délire, de leur joie féroce ? Quand sera-t-il donc visible, que leur joie était fausse ? Quand les uns seront couverts de honte, et les autres dans l’allégresse, à l’avènement du Seigneur notre Dieu, qui viendra, portant dans ses mains les récompenses de chacun ; aux impies, la damnation ; aux justes, le royaume ; aux pécheurs, la société avec le diable ; aux bons, la société avec Jésus-Christ. Quand le Seigneur se montrera de la sorte, et que les justes se lèveront avec une grande force ; je vous cite les saintes Écritures, souvenez-vous de ces paroles du livre de la Sagesse : « Les justes donc se lèveront avec une grande force coutre ceux qui les auront tourmentés ; et ceux-ci diront en eux-mêmes, se repentant et gémissant dans l’angoisse de leur esprit : « Que nous a servi l’orgueil, que nous a rapporté le vain étalage de nos richesses ? Toutes ces choses ont passé comme l’ombre »[363]. Et que diront-ils, à propos des justes ? « Comment leur place est-elle parmi les enfants de Dieu, et leur partage avec les saints ? » Alors se fera la dédicace de cet édifice que l’on construit aujourd’hui dans la tribulation ; et c’est alors que ce peuple de Dieu chantera dans sa joie : « Je vous exalterai, Seigneur, « parce que vous m’avez soutenu, et que vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine ». Cette parole sera donc vraie dans le peuple de Dieu, qui est aujourd’hui dans l’oppression, qui gémit aujourd’hui sous le poids de tant d’épreuves, de tant de scandales, de tant de persécutions, de tant d’angoisses. Quiconque n’avance point dans la vertu, ne connaît point dans l’Église ces douleurs de l’âme, et s’imagine que tout est en paix : mais qu’il avance, et il se trouvera dans l’oppression. Ce ne fut que quand l’herbe eut poussé et produit son fruit, que l’ivraie parut aussi[364]. « Et quiconque multiplie la science multiplie aussi la douleur »[365]. Qu’il avance, et il verra où il en est : qu’il y ait du fruit, et l’ivraie se montrera. Le mot de saint Paul est bien vrai, et depuis le commencement jusqu’à la fin du monde, on ne l’effacera point : « Tous ceux » dit-il, « qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ, souffriront persécution ; quant aux méchants et aux imposteurs, ils se fortifieront de plus en plus dans le mal, marchant dans l’erreur et y jetant les autres »[366]. N’est-ce point là, le sens de ces paroles du psaume : « Attends le Seigneur, agis avec « force, affermis ton âme, et attends le Seigneur ? »[367]. C’était peu d’avoir dit une fois : « Attends le Seigneur », il le répète, de peur qu’on ne vînt à se lasser après avoir attendu deux, trois, ou quatre jours sans que la persécution prît fin. Il ajoute alors : « Agis avec force » ; puis : « Affermis ton cœur ». Et comme il doit en être ainsi depuis le commencement jusqu’à la fin du monde, il répète à la fin le mot du commencement : « Attends le Seigneur ». Les maux qui t’affligent passeront, celui que tu attends viendra ; il essuiera tes sueurs, il séchera tes larmes, et tu n’auras plus à pleurer. Ici-bas, gémissons dans la tribulation, selon cette parole de Job : « La vie de l’homme, sur la terre, n’est-elle pas une épreuve »[368].
9. Toutefois, mes frères, en attendant ce jour où se fera la dédicace de l’édifice, considérons que déjà la dédicace en est faite dans celui qui est notre chef ; la dédicace de l’édifice est donc effectuée, déjà, et dans le faîte, et dans la pierre fondamentale. Mais le faîte, me direz-vous, est en haut ; la pierre fondamentale, est en bas ; et peut-être y a-t-il erreur à moi, de dire que le Christ est cette base ; il en est plutôt le faîte, puisqu’il est monté aux cieux, pour s’asseoir à la droite de son Père. Néanmoins, je ne crois pas m’être trompé ; car l’Apôtre a dit : « Nul ne peut poser une base autre que celle qui a été posée, et cette base est Jésus-Christ : si l’on élève sur cette base un édifice en or, en argent ou en pierres précieuses »[369]. Ceux qui mènent une vie sainte, qui honorent et qui bénissent Dieu, qui sont patients dans les tribulations, qui soupirent après la patrie, ceux-là bâtissent en or, en argent, en pierres précieuses ; ceux qui aiment encore le monde, qui sont encore impliqués dans les affaires d’ici-bas, enchaînés par des affections charnelles à leurs domaines, à leurs Épouses, à leurs enfants, et qui néanmoins demeurent chrétiens, de sorte que leur cœur ne se sépare point du Christ, et ne, met rien avant le Christ, de même qu’en construisant on ne met rien avant la base ; ceux-là bâtissent, à la vérité, mais en bois, en foin, en paille. Or, que dit saint Paul après cela ? « Le feu éprouvera l’ouvrage de chacun ». Le feu de l’épreuve et de la tribulation ; cette flamme qui a éprouvé ici-bas plusieurs martyrs, et qui éprouvera la race humaine au dernier jour. Il s’est trouvé des martyrs qui avaient de ces liens du monde. Combien de riches et de sénateurs ont enduré la mort ! Cependant quelques-uns d’entre eux bâtissaient en bois, en foin, en paille, à cause des soins et des affections de la chair et du monde ; mais comme ils avaient le Christ pour base, et qu’ils construisaient sur cette pierre fondamentale, le foin a brûlé, et eux ont subsisté sur le fondement. C’est ce que nous dit l’Apôtre : « Si l’ouvrage de quelqu’un subsiste, il en recevra la récompense »[370], et sans aucune perte ; car il trouvera ce qu’il a aimé. Qu’a donc fait à ces hommes le feu de la tribulation ? Il les a éprouvés : « Si l’ouvrage de quelqu’un subsiste, il en recevra la récompense ; mais celui dont l’œuvre sera consumée par le feu, en subira un dommage ; il sera néanmoins sauvé, mais comme par le feu »[371]. Or, n’être pas atteint du feu, est bien différent d’être sauvé en passant par le feu. D’où vient ce salut ? De la base de l’édifice. Que cette base ne s’éloigne donc jamais de notre cœur. Ne pose jamais cette base sur le foin, c’est-à-dire ne préfère point le foin ou la paille à cette pierre fondamentale, en sorte que la première place dans ton cœur soit donnée à la paille, la seconde au Christ ; et s’il vous est encore impossible d’en bannir cette paille totalement, que la première place soit pour le Christ, et la seconde seulement pour la paille.
10. Le Christ est donc pour nous la pierre fondamentale. Et comme je le disais, la dédicace de notre faîte a eu lieu, et ce faîte est aussi notre pierre fondamentale ; mais ordinairement cette pierre est en bas, dans un édifice, tandis que le faîte est en haut. Comprenez bien mon langage, mes frères, peut-être Dieu m’aidera-t-il à parler clairement. Il y a deux sortes de poids, on appelle poids cette rapidité avec laquelle tout objet tend à regagner sa place : tel est le poids. Vous prenez à la main une pierre, aussitôt vous en sentez le poids qui pèse sur cette main, parce qu’elle cherche son centre. Voulez-vous voir ce qu’elle cherche ? Retirez votre main, elle tombe à terre et y repose : elle est parvenue à la place qu’elle cherchait, elle a trouvé son centre. Ce poids est comme un mouvement spontané, sans âme ni sentiment. Il y a d’autres objets qui ont une tendance à s’élever. Jetez de l’eau sur de l’huile, son poids l’entraîne aussitôt en bas. Elle cherche sa place, elle veut être à son rang, et il est contraire à la nature de l’eau d’être sur l’huile. Donc jusqu’à ce qu’elle soit à sa place naturelle, et qu’elle trouve son centre, elle éprouve un mouvement continuel. Mais au contraire, jetez de l’huile sur de l’eau : qu’un vase d’huile, par exemple, tombe dans l’eau, dans la mer, ou dans un lac, et s’y brise, l’huile ne peut se tenir en dessous : et de même que l’eau jetée sur l’huile tend à descendre au fond du vase, l’huile, au contraire, jetée sur l’eau, tend par son poids à s’élever à la surface. Si donc, mes frères, il en est ainsi, quelle est la tendance réciproque du feu et de l’eau ? Le feu s’élève et cherche sa place en haut l’eau cherche aussi sa place que lui assignera son poids. Une pierre descend en bas, il en est de même des bois, des colonnes, de la terre, qui servent à construire des habitations. Tout cela est du nombre des objets que leur poids fait descendre. Il est donc visible par là qu’ils ont en bas le fondement qui les soutient, puisqu’ils y sont entraînés par leur poids naturel ; et que sans cette base de sustentation, tout croulerait, puisque tout a sa tendance vers la terre. C’est donc en bas qu’il faut poser un fondement aux corps qui ont une tendance à descendre. Mais l’Église de Dieu, construite sur la terre, fend à s’élever au ciel. C’est donc là qu’est sa pierre fondamentale, qui est Jésus-Christ Notre-Seigneur, assis à la droite de son Père. Si donc, mes frères, vous avez compris que la dédicace de notre pierre fondamentale est déjà faite, écoutons et parcourons brièvement tout le psaume.
11. « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez élevé, et que vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine »[372]. À quels ennemis ? Aux Juifs. Par la dédicace de la pierre fondamentale, nous devons entendre la dédicace de notre palais à venir. Ce qui se dit aujourd’hui de la pierre fondamentale, se doit dire alors du palais tout entier. Quels sont donc ces ennemis dont il est question ? Sont-ce les Juifs ou bien le diable et ses anges, qui ont dû s’enfuir couverts de honte, à la résurrection du Christ ? Le prince de la mort eut la douleur de voir la mort vaincue. « Et vous n’avez pas souffert que mes ennemis se réjouissent à mon sujet » ; car les enfers n’ont pu me retenir.
12. « Seigneur, mon, Dieu, j’ai crié vers « vous et vous m’avez guéri »[373]. Le Seigneur avant sa passion pria son Père[374] sur la montagne, et son Père le guérit. Comment guérir celui qui n’a point langui ? Est-ce le Verbe Dieu, ce Verbe qui est la divinité, qui a été guéri ? Non, mais il portait une chair mortelle, il portait ta blessure, celui qui devait t’en guérir. Cette chair a donc été guérie. Quand ? À la résurrection du Christ. Écoute l’Apôtre, et constate une véritable guérison « La mort », dit-il, « a été ensevelie dans son triomphe. O mort ! où est donc ton aiguillon ? O mort ! où est ta prétention ? »[375]. Ce sera donc à nous de chanter un jour ce triomphe que Jésus-Christ chante aujourd’hui.
13. « Seigneur, vous avez retiré mon âme du tombeau ». Il n’est pas besoin d’expliquer ce passage. « Vous m’avez séparé de ceux « qui descendent dans l’abîme »[376]. Qui donc descend dans l’abîme ? Tous les pécheurs qui se plongent dans le gouffre. Car cet abîme, c’est la profondeur du siècle ; et qu’est-ce que la profondeur du siècle ? C’est l’océan de la luxure et de l’iniquité. Celui-là dès lors descend dans l’abîme, qui se plonge dans la luxure et dans les terrestres convoitises. Tels furent les persécuteurs du Christ. Mais que dit-il ici ? « Vous m’avez sauvé de ceux qui « descendent dans l’abîme ».
14. « Saints du Seigneur, célébrez ses louanges »[377]. Puisque votre chef est ressuscité, vous qui êtes ses membres, espérez pour vous ce que vous voyez en lui : espérez pour les membres ce que vous croyez pour la tête. C’est un proverbe ancien et réel, que là où est la tête, là sont aussi les membres. Jésus-Christ, notre chef, est au ciel ; c’est là que nous le suivrons. Il n’est point demeuré dans l’abîme, il est ressuscité pour ne plus mourir ; pour nous, non plus, il n’y aura plus de mort quand nous aurons passé par la résurrection. Dans la joie de ces promesses, « chantez donc au Seigneur, vous qui êtes ses saints, et rendez témoignage au souvenir de sa sainteté »[378]. Qu’est-ce : « Rendez témoignage au souvenir ? » Vous l’avez oublié, mais lui s’est souvenu de vous.
15. « Sa colère amène le châtiment, et la vie est dans sa volonté ». Le châtiment est dans son indignation contre le pécheur : « Au jour où vous en mangerez, vous mourrez »[379]. Nos parents y portèrent une main rebelle, et furent chassés du paradis, parce que sa colère amène le châtiment ; mais ce châtiment n’est point sans espérance, car « la vie est dans sa volonté ». Qu’est-ce à dire « dans sa volonté ? » Non pas dans nos propres forces, non plus que dans nos propres mérites ; mais il nous a sauvés, parce qu’il l’a voulu ; et non parce que nous en étions dignes. De quoi le pécheur peut-il être digne, sinon du châtiment ? Il nous a donné la vie, et s’il la conserve au pécheur, que ne réserve-t-il pas au juste ?
16. « Le soir s’écoulera dans les pleurs »[380]. Ne vous effrayez point si le Prophète nous parle de gémir après nous avoir dit : « Chantez dans la joie » ; le chant est l’expression de la joie, la prière celle du gémissement. Gémissez donc sur votre état présent, chantez votre avenir ; gémissez de la réalité actuelle, chantez votre espérance. « Le soir s’écoulera dans les pleurs ». Quel est « ce soir qui voit les pleurs ? » Le soir, c’est le moment où le soleil se couche. Or, le soir s’est couché pour l’homme, c’est-à-dire cette lumière de la justice qui est la présence de Dieu en nous. Que nous dit donc la Genèse de l’expulsion d’Adam ? Dieu se promenait dans le paradis ; et il s’y promenait vers le soir. Déjà le pécheur s’était caché dans l’ombre des arbres, il voulait éviter la face de Dieu[381], qui faisait auparavant ses délices. Déjà s’était couché pour lui le soleil de la justice, et la présence de Dieu lui était à charge. Alors commença pour lui cette vie mortelle. « Le soir s’écoulera dans les pleurs ». Tu seras longtemps dans les pleurs, ô pauvre humanité ; tu as Adam pour père, et tu lui es devenue semblable : et nous aussi nous venons d’Adam ; et tous les fils qui sont nés jusqu’alors, et qui doivent naître à l’avenir, sont fils d’Adam comme leurs pères. « Le soir s’écoulera dans les larmes, et au matin éclatera la joie ». Quand se lèvera pour les fidèles cette lumière qui a délaissé les pécheurs. Car le Seigneur Jésus est sorti du tombeau le matin[382], afin de faire espérer, à tout l’édifice, cette dédicace déjà faite dans la pierre fondamentale. Pour Notre-Seigneur, le soir fut le moment de sa-sépulture ; et le matin eut lieu sa résurrection, au troisième jour. Toi aussi tu as été enseveli au soir dans le paradis, et tu es ressuscité le troisième jour. Comment le troisième jour ? À suivre le cours des temps, il y a un jour avant la loi, un second jour sera le temps de la loi, le troisième, le temps de la grâce. Ce que votre chef a montré en lui-même pendant ces trois jours, se manifestera aussi en vous dans les trois jours de cette vie. En quel temps ? C’est au matin qu’il faut être dans l’espérance et dans l’allégresse ; maintenant, c’est le temps de la douleur et des gémissements.
17. « En mes jours d’abondance, j’ai dit : Je ne serai jamais ébranlé »[383]. Dans quelle abondance l’homme a-t-il pu dire : « Je ne serai jamais ébranlé ? » Nous entendons ici, mes frères, l’homme vraiment humble. Qui donc est ici-bas dans l’abondance ? Personne. Quelle serait l’abondance de l’homme ? Les misères et la douleur. Pour les riches, direz-vous, il est une abondance. Plus ils possèdent, plus ils sont pauvres. Les convoitises les dévorent, les passions les agitent, les craintes les déchirent, les chagrins les dessèchent : où est donc leur abondance ? L’homme avait l’abondance dans le paradis terrestre, quand rien ne lui manquait, et qu’il jouissait de Dieu ; mais il a dit : « Je ne serai point ébranlé éternellement ». Comment a-t-il pu dire : « Je ne serai jamais ébranlé ? » Quand il écouta cette parole : « Goûtez et vous serez comme des dieux » ; lorsqu’à cette parole du Seigneur : « Au jour où vous en mangerez, vous mourrez », le diable opposait celle-ci : « Vous ne mourrez point »[384]. L’homme alors trop crédule écoutait les suggestions du diable et disait : « Je ne serai point ébranlé à jamais ».
18. Mais le Seigneur avait dit vrai en menaçant d’enlever au superbe ce qu’il avait donné à l’homme humble, en le créant ; et le Prophète ajoute : « Seigneur, dans votre bonté, vous aviez réuni en moi la beauté et la force »[385] : c’est-à-dire, je n’avais de moi-même ni force ni beauté ; toute ma beauté, toute ma force me viennent de vous : cette bonté qui vous déterminait à me créer, vous avait fait unir en moi la beauté à la force, Et pour me montrer que je devais à votre volonté d’être ainsi, « vous avez détourné de moi votre face, et je suis tombé dans le trouble »[386]. Dieu détourna sa face de ce pécheur qu’il expulsait du paradis. Alors, dans son exil, qu’il s’écrie et qu’il dise : « Je crierai vers vous, Seigneur, je vous supplierai, ô mon Dieu »[387]. Dans le paradis, tu n’auras pas à crier, mais à chanter le Seigneur ; point a gémir, mais à jouer : tu en es chassé, il faut gémir, il faut crier. Celui qui abandonne l’orgueilleux, revient à l’homme qui, sent sa misère. « Car Dieu résiste aux superbes et donne la grâce aux humbles »[388]. Je crierai donc vers vous, ô mon Dieu ; Seigneur, « je vous supplierai ».
19. Ce qui suit maintenant est propre à Notre-Seigneur, qui est notre pierre fondamentale : « Qu’est-il besoin de verser mon sang, si je dois m’en aller en pourriture ? »[389]. Quel est l’objet de sa prière ? La résurrection, Si je descends dans la corruption, dit-il, et que ma chair s’en aille en pourriture comme celle des autres hommes, pour ressusciter au dernier jour, à quoi bon répandre mon sang ? Si ma résurrection ne s’effectue maintenant, je ne la prêcherai à personne, je ne gagnerai aucun disciple ; mais pour que j’annonce à quelqu’un vos merveilles, vos louanges, la vie éternelle, il faut que je ressuscite en ma chair et qu’elle ne s’en aille pas en corruption. Si elle doit s’en aller comme celle des autres hommes, qu’est-il besoin de verser mon sang ? « La poussière vous confessera-t-elle, ou prêchera-t-elle votre vérité ? » Il y a deux confessions, l’une des péchés, l’autre des louanges. Dans le malheur, nous confessons à Dieu nos péchés, avec componction ; dans la joie, nous chantons avec allégresse la justice de Dieu : gardons-nous toutefois d’être jamais sans aucune confession.
20. « Le Seigneur m’a écouté et m’a pris en pitié ». De quelle manière ? Souvenez-vous de la dédicace du palais. Le Seigneur a écouté, il a pris en pitié. « Il s’est fait mon protecteur »[390].
21. Écoutez maintenant sa résurrection. « Vous avez changé mon deuil en joie : vous avez déchiré mon sac, pour me faire une ceinture d’allégresse »[391]. Quel sac ? Ma mortalité. Un sac est tissu de poils de chèvres et de boucs : et chèvres et boucs ont leur place parmi les pécheurs[392]. Le Seigneur n’a donc pris parmi nous que le sac, et non le mérite du sac ; ce mérite du sac est le péché, tandis que le sac est la mortalité. Lui donc qui ne méritait pas la mort, s’est revêtu d’un corps mortel à cause de toi. Celui qui est pécheur mérite la mort ; mais celui qui n’a commis aucune faute, ne mérite point le sac. C’est lui qui s’écrie en un autre endroit : « Pour moi, quand ils me tourmentaient, je me couvrais d’un cilice »[393]. Qu’est-ce à dire : « Je me revêtais d’un cilice ? » J’opposais à mes persécuteurs ce que je tiens du cilice. Afin que ses persécuteurs le prissent pour un homme, il se dérobait à leurs yeux ; parce qu’ils étaient indignes de voir celui qui s’était revêtu d’un cilice. Vous avez donc rompu le sac « que je portais pour me faire une ceinture d’allégresse ».
22. « Afin que ma gloire vous chante, et que nul aiguillon ne me meurtrisse ». Ce qui s’est accompli dans le chef s’accomplira aussi dans les membres. Qu’est-ce à dire : « Que je ne sois point-aiguillonné ? » Que je ne passe plus par la mort. Car Jésus-Christ fut meurtri à la croix, quand il reçut un coup de lance. Notre chef s’écrie donc : « Que je ne sois plus aiguillonné », ou que je ne meure plus. Mais nous, quel est notre langage à l’égard de cette dédicace du palais ? Que la conscience ne nous stimule plus par l’aiguillon du péché ; que tout nous soit pardonné, et alors nous serons libres. « Afin que je vous chante dans ma gloire », dit le Prophète, et non dans mon humiliation. Si cette gloire est la nôtre, elle est aussi du Christ, parce que nous sommes le corps du Christ. Pourquoi ? Parce que le Christ même, assis à la droite de Dieu, doit dire à quelques-uns : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ». Il est dans le ciel et il est sur la terre ; dans le ciel en lui-même, sur la terre en nous. Que dit-il donc ? « Afin que je vous chante dans ma gloire, et que je ne redoute plus aucun aiguillon ». Ici c’est moi qui gémis dans mon humilité ; là haut, je vous chanterai dans ma gloire. Et enfin : « Seigneur, mon Dieu, je vous confesserai éternellement ». Qu’est-ce à dire : « Je vous confesserai éternellement ? » Je vous louerai dans l’éternité, car nous avons dit qu’il y a une confession de louanges et que la confession ne se dit pas seulement des péchés. Confesse donc aujourd’hui ce que tu as fait contre Dieu, et tu chanteras ensuite la bonté du Seigneur à ton égard. Qu’as-tu fait ? des péchés. Qu’a fait le Seigneur ? Il te pardonne ton iniquité, à condition que tu confesses tes fautes, afin que tu chantes ses louanges dans l’éternité, et que tu ne sois plus aiguillonné par le péché.

PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME 30.[modifier]

LE JUSTE PERSÉCUTÉ[modifier]

Le peuple de Dieu environné des scandales de l’idolâtrie mettait sa confiance dans le Seigneur. Il en est de même du Christ dont le psaume est une prophétie, et qui remet son âme entre les mains de son Père avec l’espoir de la recouvrer bientôt par la résurrection. Le fidèle aussi, eu butte aux persécutions, doit se confier au Seigneur qui ne t’abandonnera point.

POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID EN EXTASE[394].[modifier]


1. Pour la fin, psaume pour David ou pour notre médiateur, qui a montré dans les persécutions une main puissante. Le mot d’extase ajouté au titre, marque cette exaltation de l’esprit qui est l’effet de la frayeur ou d’une révélation. Mais le psaume qui nous occupe, nous montre principalement cette crainte qu’éprouve le peuple de Dieu en face de la persécution de tous les païens, et de la foi qui s’affaiblissait sur la terre. C’est le médiateur qui parle tout d’abord, et ensuite le peuple qu’il a racheté par l’effusion de son sang lui rend ses actions de grâces, puis à la fin il parle longuement dans son trouble, ce qui est l’effet de l’extase. Deux fois le Prophète parle en son propre nom ; peu avant la fin, puis à la fin.
2. « J’ai mis en vous mon espoir, Seigneur, et je ne serai jamais confondu »[395]. Seigneur, mon espérance en vous ne sera point confondue, tant qu’on n’insultera en moi qu’un homme semblable aux autres hommes. « Dans votre justice, délivrez-moi et sauvez-moi ». Dans votre justice, délivrez-moi de l’abîme de la mort, séparez-moi de ceux qu’il engloutit.
3. « Prêtez l’oreille à mes cris »[396]. Exaucez-moi dans mon humilité, approchez-vous de moi. « Hâtez-vous de me délivrer ». N’attendez point pour moi comme pour ceux qui croient en moi, la fin des temps pour me délivrer des pécheurs. « Soyez pour moi un Dieu propice ». Protégez-moi en Dieu. « Soyez pour moi une forteresse et sauvez-moi », comme un asile sûr où je trouve le salut par la fuite.
4. « C’est vous qui êtes ma force et mon refuge »[397]. Car vous me donnez le courage pour endurer les persécutions de mes ennemis, vous êtes l’asile où je puis leur échapper, « Pour la gloire de votre nom, vous serez mon guide et mon aliment »[398]. Afin de faire connaître votre nom à tous les peuples, j’accomplirai en tout votre volonté, et en amenant les Saints, vous compléterez mon corps mystique et lui donnerez sa stature parfaite ?
5. « Vous me tirerez du piège qu’ils ont caché pour moi »[399]. Vous m’arracherez aux embûches secrètes qu’ils me tendent. « Parce que c’est vous qui êtes mon protecteur ».
6. « Je remets mon âme entre vos mains »[400], Je confie à votre puissance, cette âme que je recevrai bientôt. « Vous m’avez racheté, Seigneur, Dieu de vérité ». Que le peuple racheté par les souffrances de son Dieu, et qui chante la gloire de son chef, s’écrie avec transport : « Vous m’avez racheté, Seigneur, vous qui êtes le Dieu de vérité ».
7. « Vous haïssez les adorateurs de la vanité et du néant »[401]. Vous haïssez ceux qui s’attachent à la fausse félicité de ce monde. « Mais moi, Seigneur, j’ai mis mon espoir en vous ».
8. « Je me réjouirai, je triompherai dans votre miséricorde », qui ne me trompe jamais. « Parce que vous rivez regardé mon humiliation »[402], par laquelle vous m’avez assujetti à la vanité, mais avec l’espérance. « Vous avez arraché mon âme à l’angoisse s Vous avez délivré mon âme des tourments de la crainte, afin qu’elle pût vous servir librement dans la charité. -
9. « Vous ne m’avez point resserré dans les mains de mes ennemis »[403]. Vous ne m’avez point resserré, de manière à m’ôter tout moyen d’aspirer après ma délivrance, à m’abandonner pour jamais sous la puissance du démon qui nous embarrasse dans les convoitises de cette vie, et nous effraie par la mort. « Vous avez affermi mes pas dans la voie spacieuse ». La résurrection du Sauveur, que je connais, la mienne qui m’est promise, dégagent mon amour des étreintes de l’effroi et lui ouvrent la voie spacieuse de la liberté.
10. « Ayez pitié de moi, ô Dieu, parce que je suis dans l’affliction »[404]. D’où vient chez mes persécuteurs cette cruauté soudaine qui m’inspire de l’effroi ? « Ayez pitié de moi, ô Dieu ». Ce n’est point la mort qui m’effraie, mais bien les tortures et les douleurs. « La colère a jeté le trouble dans mes yeux ». Craignant d’être abandonné, je vous suppliais du regard, et la colère y a jeté le trouble. « Il s’en est de même de mon âme et de mes entrailles ». Cette même colère a aussi troublé non âme et ma mémoire, qui me rappelait et les douleurs de mon Dieu pour moi, et ses promesses.
11. « Ma vie a défailli dans la souffrance »[405]. Ma vie est de confesser votre nom, mais elle a défailli dans la douleur, quand l’ennemi a dit : Les chrétiens à la torture jusqu’à l’abjuration. « Mes années s’écoutent dans les gémissements ». On n’abrège point par la mort ces jours que je dois passer ici-bas, mais on me laisse vivre, et vivre dans les gémissements. « La disette affaiblit ma vigueur ». Mon corps a besoin de santé, et on ne lui épargne pas les tourments ; j’ai besoin de mourir et on me le refuse ; dans ce double besoin, mon espoir s’affaiblit. « Et mes ossements sont dans le trouble ». Et le trouble vient ébranler ma constance.
12. « Plus que tous mes ennemis, je suis devenu un objet d’opprobre »[406]. Tous mes ennemis sont des impies, et néanmoins ils ne subissent le châtiment de leurs crimes que jusqu’à l’aveu : pour moi, ma confusion est plus grande, j’avoue ma faute, et au lieu de la mort, je rencontre la douleur. « Mes voisins y trouvent de l’excès ». C’est là ce qui paraît excessif à ceux qui s’approchaient de moi pour vous connaître, et pour embrasser ma foi. « Ceux qui me connaissent en sont dans la stupeur ». La vue de mes souffrances a frappé d’horreur et de crainte ceux qui me connaissent. « Ceux qui me voyaient au-dehors s’enfuyaient loin de moi ». Ceux qui ne comprenaient pas mon espoir intérieur et invisible, se jetaient dans les joies visibles et superficielles.
13. « Je suis dans l’oubli comme un mort effacé du cœur »[407]. Ils m’ont oublié comme si j’étais mort dans leur cœur. « Je suis pour eux comme un vase brisé ». Je me suis cru inutile au service de Dieu, en vivant ici-bas, sans lui gagner personne, car chacun craignait de s’attacher à moi.
14. « J’ai entendu le blâme de la multitude qui m’environnait »[408]. Dans mon pèlerinage ici-bas, j’ai reçu les outrages de la foule qui m’environnait, qui suivait le cours du siècle, et qui refusait de retourner avec moi dans la patrie éternelle. « Et comme ils s’assemblaient contre moi, ils cherchaient les moyens de surprendre mon âme ». Pour amener à leurs complots mon âme qui pouvait leur échapper par la mort, ils ont formé le dessein de m’éloigner de la mort.
15. « Mais moi, Seigneur, j’ai mis en vous mon espoir ; j’ai dit : Vous êtes mon Dieu »[409]. Car vous n’êtes point changé et vous ne châtiez que pour sauver.
16. « Mon sort est entre vos mains »[410]. Mon sort est en votre puissance. Car je ne vois en moi aucun mérite qui ait fixé votre choix, pour me séparer de tous les hommes pécheurs. S’il est en vous quelque dessein juste et caché qui vous ait porté à me choisir, pour moi, je l’ignore, et c’est le sort qui m’a donné une part dans la robe du Seigneur[411]. « Délivrez-moi des mains de mes ennemis et de mes persécuteurs »[412].
17. « Projetez sur votre serviteur le reflet de votre face »[413]. Faites connaître à tous les hommes qui ne pensent pas que je vous appartienne, que votre face est toujours attentive à mon sujet, et que je suis votre serviteur. « Sauvez-moi dans votre miséricorde ».
18. « Seigneur, que je ne sois point confondu, parce que c’est vous que j’invoque »[414]. O Dieu, que je n’aie pas à rougir, devant ceux qui m’insultent, d’avoir eu recours à vous. « Quant aux impies, qu’ils rougissent, et soient conduits aux enfers ». Qu’ils soient dans la confusion et dans les ténèbres, ceux qui adorent la pierre.
19. « Silence aux lèvres trompeuses »[415]. En faisant connaître aux peuples vos sacrements établis pour moi, imposez silence aux lèvres qui me calomnient, « qui profèrent l’outrage contre le juste, avec mépris et dédain ». Qui aboient l’outrage contre le Christ, et qui, dans leur orgueil, ne voient en lui qu’un méprisable crucifié.
20. « Combien est grande, ô Dieu, votre douceur ! »[416]. C’est le Prophète qui s’écrie, dans son admiration et à la vue de si grandes merveilles : « Seigneur, combien est grande cette douceur, que vous réservez à ceux qui vous craignent ». Vous aimez ceux-là mêmes que vous châtiez ; mais de peur qu’une trop grande sécurité ne les porte au relâchement, vous leur dérobez la douceur de votre amour, quand il leur est avantageux te vous craindre. « Mais vous la laissez sentir à ceux qui espèrent en vous ». Vous en laissez goûter la suavité à ceux qui ont mis en vous leur espoir. Car vous ne les privez point de ce qu’ils ont espéré jusqu’à la fin avec tant de persévérance. « En présence des enfants des hommes ». Car les enfants des hommes, qui ne vivent plus selon le vieil Adam, mais selon le Fils de l’homme, « que vous cacherez dans le secret de votre face », n’ignorent plus quelle demeure éternelle vous réservez, dans le secret de votre science, à ceux qui espèrent en vous. « Loin des hommes perturbateurs ». En sorte que nul homme ne les vienne troubler.
25. « Vous les mettrez dans votre demeure à l’abri des contradictions des langues »[417]. Mais tant qu’ils seront ici-bas exposés aux langues fourbes qui leur disent : Qui connaît votre langage, qui est revenu d’outre-tombe ? vous les mettrez à l’abri de cette croyance aux actions humaines et aux douleurs temporelles du Christ en cette vie.
22. « Béni soit le Seigneur qui a fait éclater « sa miséricorde dans la ville qui m’environne »[418]. Béni soit le Seigneur, car après le rude châtiment des persécutions, il a fait éclater sa miséricorde dans l’univers entier, et à tous les peuples de la terre.
23. « Pour moi, j’ai dit dans mon extase, ce peuple reprend la parole et s’écrie : Pour moi, dans ma stupeur, et sous le glaive implacable des païens ; voilà que je suis repoussé loin de vos regards ». Car si vous aviez l’œil sur moi, vous ne me laisseriez pas dans ces douleurs. « Aussi, avez-vous entendu la voix de ma prière, quand je criais vers vous »[419]. Alors, Seigneur, vous avez fait trêve au châtiment, et pour montrer que vous prenez soin de moi, vous avez exaucé la voix de ma prière, qui s’exhalait à grands cris sous le poids de ma douleur.
24. « Aimez le Seigneur, vous qui êtes ses saints ». Dans l’admiration de ce qu’il voit, le Prophète invite encore les hommes à louer Dieu. « Aimez le Seigneur », dit-il, « ô vous qui êtes ses saints, parce que le Seigneur cherche la vérité[420]. Et si le juste à peine est sauvé, où se cacheront le pécheur et l’impie[421] ? Aux superbes il rendra largement leurs dédains ». Il aura des châtiments sévères pour ceux qui ne cèdent point aux convictions de la vérité, retenus qu’ils sont par un orgueil excessif.
25. « Fortifiez-vous, affermissez vos cœurs »[422]. Ne cessez de faire le bien, afin de récolter au temps de la moisson. « O vous, qui espérez dans le Seigneur ». C’est-à-dire, espérez dans le Seigneur, vous qui le craignez et le servez dignement.

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 30.

PREMIER SERMON. – ÉPREUVES ET ESPOIR DU CHRIST.[modifier]

Dans ce premier sermon, qui embrasse environ le tiers du psaume, et qui dut être prêché quelques jours après la fête des saints Apôtres, saint Augustin nous montre quelle est l’unité du Christ et de l’Église, la même qu’entre ta tête et les membres du corps humain, il bénit Dieu et s’étend quelque peu sur les tentations et les nécessités de cette vie.


1. Pénétrons, autant qu’il nous sera possible, dans les mystères du psaume que nous venons de chanter, afin d’en tirer un discours qui tombe dans vos oreilles pour se graver dans vos cœurs. En voici le titre : « Pour la fin, psaume pour David, dans son extase »[423]. Nous savons ce que signifie « pour la fin u, si nous connaissons le Christ. Puisque l’Apôtre a dit : « Le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront »[424], ce n’est point une fin qui anéantit, mais une fin qui perfectionne ; car on emploie le mot fin en deux sens : ou quand il s’agit d’exprimer l’anéantissement de ce qui était, ou quand il faut préciser l’achèvement de ce qui était commencé. Donc, « pour la fin », signifie pour le Christ.
2. « Psaume pour David : extase ». Le mot grec extase, autant qu’on peut le traduire en latin, se dit en un seul mot, transport ; et le transport de l’esprit s’appelle ordinairement extase. Mais par transport de l’esprit on peut entendre deux choses, ou la crainte excessive, ou cette application aux choses du ciel qui nous lait oublier toutes les choses terrestres. Telle fut l’extase des saints à qui Dieu révéla des secrets bien supérieurs au monde terrestre. Tel fut le ravissement d’esprit, c’est-à-dire l’extase, dont saint Paul nous dit en parlant de lui : « Si nous sommes hors de nous-mêmes, c’est pour Dieu. Si nous devenons s plus calmes, c’est pour nous ; parce que d’amour de Jésus-Christ nous presse »[425]. C’est dire : Si nous voulions conformer nos actes et arrêter notre contemplation exclusivement aux choses qui nous sont révélées dans nos ravissements, nous ne serions plus avec vous, mais nous serions dans les choses du ciel, ayant pour vous une sorte de mépris. Comment pourriez-vous, d’un pas faible, nous suivre dans ces régions célestes et intérieures, si d’une part la charité de Jésus-Christ ne vous pressait, « lui qui ayant la nature de Dieu, n’a pas cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu, mais qui s’est anéanti, prenant la forme d’un esclave »[426] ; si d’autre part nous ne considérions que nous sommes vos serviteurs, et que, pour n’être point ingrats envers celui qui nous a élevés à de plus hautes faveurs, loin de dédaigner ceux qu’il a moins favorisés, nous devons, pour le salut des faibles, nous abaisser au niveau de ceux qui ne peuvent avec nous contempler ce qu’il y a de sublime ? « Si donc nous sommes ravis en esprit », dit l’Apôtre, « c’est vers Dieu ». Car il voit ce que nous voyons dans l’extase, lui seul nous révèle ses secrets. Celui qui nous parle ainsi, dit encore qu’il fut ravi et élevé jusqu’au troisième ciel, et qu’il entendit des paroles mystérieuses qu’il n’est pas donné à l’homme de redire. Tel fut ce ravissement d’esprit, qu’il ajoute : « Si ce fut avec son corps ou sans son corps, je ne le sais point ; Dieu le sait »[427]. Si donc tel est le ravissement, si telle est l’extase que nous marque le titre du psaume, nous devons attendre de grandes révélations de la part de celui qui l’a chanté, c’est-à-dire du Prophète, et de l’Esprit-Saint par l’organe du Prophète.
3. Si l’extase ici doit se prendre pour l’effroi, le texte du psaume ne contredira point cette autre signification. Car il semble que le Prophète va parler de la souffrance qui s’allie avec la crainte. Mais de qui cette frayeur ? Est-ce de Jésus-Christ ? car le psaume porte « pour la fin o, et par cette fin nous entendons le Christ. Cette frayeur serait-elle notre frayeur ? Car nous est-il possible de l’attribuer au Christ aux approches de la passion, puisqu’il était venu pour souffrir ; et pouvait-il craindre en voyant arriver cette mort qu’il était venu chercher ? S’il n’y avait en lui qu’un homme, et nullement un Dieu, sa résurrection ne lui causerait-elle pas plus de joie que sa mort ne lui cause de crainte ? Toutefois, comme il a daigné prendre la forme de l’esclave, et par ce moyen nous revêtir de lui, voilà que celui qui n’a pas dédaigné de se revêtir de nous pour nous transfigurer en lui, voudra bien aussi prendre notre langage, afin que nous puissions nous approprier ses paroles. Tel est l’ineffable commerce, l’échange merveilleux, la révolution divine opérée dans ce monde par le céleste négociateur. Il vient recueillir les outrages et nous combler d’honneurs ; il vient se rassasier de douleurs, et nous donner le salut ; il vient passer par la mort, et nous donner la vie. Sur le point de mourir dans ce qu’il tient de notre nature, il fut saisi de frayeur, non pas en lui, mais dans ce qui est de nous ; car il dit alors que son âme était triste jusqu’à la mort[428], et nous tous alors nous étions en lui. Sans lui, en effet, nous ne sommes rien ; en lui il y a le Christ et nous avec lui. Pourquoi ? Parce que dans son intégrité, le Christ comprend sa tête et son corps. C’est la tête qui est le Sauveur, qui a racheté le corps, et qui est déjà remonté au ciel : le corps est cette Église qui souffre sur la terre[429]. Mais si le corps ne tenait à la tête par les liens de la charité, de manière que tête et corps ne formassent qu’un seul homme, il n’aurait pu faire ce reproche à un fameux persécuteur : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter »[430]. Car alors il était assis dans le ciel, où nul homme ne peut l’atteindre ; et comment les persécutions de Saul contre les chrétiens pouvaient-elles l’offenser ? Il ne dit point : Pourquoi persécuter mes saints, mes serviteurs ; mais bien : « Pourquoi me persécuter ? » c’est-à-dire moi, dans mes membres. La tête criait pour les membres, le chef transfigurait ces membres en lui-même. La langue en effet parle au nom du pied. Que notre pied soit meurtri dans une foule, la langue s’écrie aussitôt : Vous marchez sur moi. Elle ne dit point : Vous écrasez mon pied, mais elle se plaint qu’on l’écrase quand nul ne la touche, parce qu’elle n’est point séparée du pied qui souffre. On peut donc, dans un sens analogue, appeler cette extase une frayeur. Qu’ajouterai-je, mes frères ? Si nulle crainte ne devait agiter ceux qui vont souffrir, le Seigneur dirait-il à Pierre, en lui annonçant les souffrances qui l’attendent, ces paroles que nous venons d’entendre à la fête des Apôtres : « Lorsque vous étiez plus jeune, vous mettiez vous-même votre ceinture, et vous alliez où vous vouliez, mais quand vous aurez vieilli, un autre vous ceindra et vous mènera où vous ne voudrez pas ». Or, il parlait ainsi, dit l’Évangéliste, marquant de quelle manière il devait mourir[431]. Si donc l’apôtre saint Pierre, cet homme si parfait, alla contre son gré où il ne voulait point aller, il mourut contre son gré, mais reçut de sou plein gré la couronne du martyre, qu’y a-t¨-il d’étonnant, si le trépas des justes et même des saints n’est pas exempt de toute crainte ? La crainte nous vient de l’infirmité humaine, mais l’espérance vient de la promesse divine, Ta frayeur, ô homme, vient de toi, mais l’espérance est un don qui te vient de Dieu. Il est bon que ta frayeur te fasse connaître à toi-même, afin qu’à ta délivrance tu rendes gloire à ton Créateur. Que l’homme tremble, puisqu’il est faible, mais cette crainte n’est pas un abandon de la divine miséricorde. C’est à cause de la crainte que le Prophète commence notre psaume, en s’écriant : « Seigneur, j’ai mis en vous mon espoir, et je ne serai point confondu »[432]. Voyez, il craint et il espère ; sa crainte, vous le voyez, n’est point sans espérance. Le trouble que ressent parfois notre cœur, n’en éloigne pas toute consolation divine.
4. C’est donc le Christ qui parle ici par son Prophète ; oui, j’ose le dire, c’est le Christ. Il dira dans le cours du psaume de ces choses qui paraissent peu convenir au Christ, à notre chef par excellence, et surtout à ce Verbe qui était Dieu au commencement, et en Dieu ; souvent encore il y aura des paroles qui paraîtront peu d’accord avec Celui qui a pris la forme de l’esclave, et qui l’a prise au sein d’une vierge : et néanmoins c’est le Christ qui va parler, parce que le Christ est dans les membres du Christ. Et afin que vous compreniez que la tête et le corps ne forment qu’un seul Christ, lui-même nous dit en parlant du mariage : « Ils seront deux dans une seule chair ; donc ils ne seront plus deux, mais une seule chair. » Mais parle-t-il de tout mariage ? Écoutez l’apôtre saint Paul : « Ils seront deux dans une même chair », est-il dit. « Ce sacrement est grand ; je dis dans le Christ et dans l’Église »[433]. Ainsi la tête et le corps, de même que l’Époux et l’Épouse, seront deux et ne formeront en quelque sorte qu’une même personne. C’est encore cette unité de personnes, unité par excellence, que nous marque le prophète Isaïe, car le Christ prophétisant par sa bouche, disait : « Il m’a séparé d’une couronne comme un jeune Époux, il m’a donné la robe de l’Épouse »[434]. C’est lui qui se donne en même temps pour l’Époux et pour l’Épouse ; or, pourquoi s’appeler l’Époux et l’Épouse, sinon parce qu’ils seront deux dans une même chair ? Et si deux n’ont qu’une même chair, pourquoi deux n’auraient-ils pas une seule et même voix ? Que Jésus-Christ parle donc, puisque l’Église parle en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en l’Église ; puisque le corps tient à la tête, et la tête au corps. Écoutez l’Apôtre, qui nous explique ce mystère plus clairement : « De même que notre corps, qui est un, a néanmoins plusieurs membres, et que tous ces s membres du corps, bien que nombreux, ne e sont néanmoins qu’un seul corps, ainsi en est-il du Christ »[435]. En parlant des membres du Christ, ou des fidèles, il ne dit pas : Ainsi en est-il des membres du Christ ; mais il donne le nom de Christ à tout ce qu’il vient d’énumérer. Comme le corps est unique, et a néanmoins plusieurs membres ; mais tous les membres du corps, quoique nombreux, ne forment qu’un même corps : ainsi le Christ est multiple dans ses membres, unique dans son corps. Nous sommes donc tous ensemble en Jésus-Christ notre chef, et sans ce chef nous n’avons aucune valeur. Pourquoi ? Unis à notre chef, nous sommes la vigne ; mais séparés du chef, ce qu’à Dieu ne plaise, nous ne sommes plus que des sarments retranchés, inutiles à tout usage pour les vignerons, et seulement destinés au feu. Aussi lui-même dit-il dans l’Évangile : « Je suis la vigne, et vous sen êtes les branches, mon Père est le vigneron » ; et encore : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire »[436]. Seigneur, si nous ne pouvons rien faire sans vous, nous pouvons tout avec vous. Car tout ce qu’il fait par nous, c’est nous qui paraissons le faire. Il peut beaucoup, il peut tout sans nous, et nous, rien sans lui.
5. Donc, mes frères, que l’on prenne l’extase pour une frayeur ou pour un ravissement d’esprit, toutes les paroles du psaume conviennent au Christ. Chantons-le donc, dans le corps du Christ, chantons-le tous comme n’étant qu’un seul homme, parce que tous nous formons en lui l’unité, et disons : « C’est en vous, Seigneur, que j’ai mis mon espoir, et je ne serai point couvert d’une éternelle confusion ». Je crains par-dessus tout cette confusion qui dure pendant l’éternité ; il y a en effet une confusion passagère qui est utile, alors que l’âme se trouble à la vue de ses péchés, que cette vue lui fait horreur, que cette horreur la fait rougir de honte, et que cette honte la porte à se corriger. C’est pourquoi saint Paul a dit : « Quelle gloire tirez-vous alors de ces désordres qui vous font rougir aujourd’hui ? »[437]. C’est dire que ces fidèles rougissent, non pas des faveurs actuelles, mais des fautes passées. Loin de nous, chrétiens, de craindre cette confusion ; et même si on ne l’a point ici-bas, on l’aura dans l’éternité. Et cette confusion éternelle arrivera quand s’accomplira cet oracle : « Leurs iniquités s’élèveront contre eux pour les accusent »[438]. Et quand leurs iniquités les accuseront, le troupeau des réprouvés sera jeté à la gauche, comme des boucs séparés des brebis, et ils entendront : « Allez au feu éternel préparé à Satan et à ses anges ». Pourquoi ? demanderont-ils. « C’est que j’ai eu faim, et vous ne m’avez point donné à manger »[439]. Ils dédaignaient, ici-bas, de donner un morceau de pain au Christ qui avait faim, de lui donner à boire quand il avait soif, de le couvrir quand il était nu ils dédaignaient de recevoir l’étranger, de visiter le malade ; ils dédaignaient, et quand ils entendront ces reproches, ils seront couverts de confusion, et cette confusion sera éternelle. C’est là ce que redoute celui qui parle ici dans la frayeur ou dans le ravissement de son esprit, et qui s’écrie : « Seigneur, j’ai mis en vous mon espoir, et ma confusion ne sera point éternelle ».
6. « Délivrez-moi, sauvez-moi dans votre justice »[440]. Si vous n’avez égard qu’à ma justice, vous me condamnerez. « Mais délivrez-moi dans votre justice ». Il y a, en effet, une justice de Dieu, qui devient aussi la nôtre, par le don que Dieu nous en fait. Mais elle est appelée justice de Dieu, de peur que l’homme ne vienne à croire qu’il a cette justice par lui-même. Car voici les paroles de saint Paul : « La foi est imputée à justice, à l’homme qui croit en celui qui justifie l’impie »[441]. Qu’est-ce que justifier l’impie ? C’est le rendre juste d’impie qu’il était. Or, les Juifs ont cru pouvoir accomplir la justice par leurs propres forces, et ils ont heurté contre la pierre d’achoppement et la pierre de scandale[442], et n’ont point connu la grâce du Christ. Ils ont reçu la loi qui les a rendus coupables, mais non délivrés de leurs fautes. Que dit encore le même Apôtre à ce sujet ? « Je leur rends ce témoignage qu’ils ont du zèle pour Dieu, mais non point selon la science »[443]. Qu’est-ce à dire que le zèle des Juifs n’est point selon la science ? Ecoute, pourquoi n’est-il point selon la science ? « Car ne connaissant point la justice de Dieu, mais s’efforçant d’établir leur propre justice, ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu »[444]. Si donc leur zèle n’est point selon la science, parce qu’ils ignorent la justice qui vient de Dieu, et qu’ils s’efforcent d’établir leur propre justice, comme s’ils pouvaient devenir justes par eux-mêmes, dès lors ils n’ont point connu la grâce de Dieu, et n’ont pas voulu du salut gratuit. Qui donc est sauvé gratuitement ? C’est celui en qui le Sauveur ne trouve rien à couronner, mais seulement à damner, rien qui mérite la faveur, tout ce qui mérite le supplice. S’il agit dans la rigueur de la loi qu’il a posée, il doit damner le pécheur. Mais, d’après cette loi, qui délivrerait-il ? Car il trouve des péchés dans tous les hommes. Lui seul est sans péché, qui nous trouve tous pécheurs. Voilà ce que dit l’Apôtre : « Tous ont péché, tous ont besoin de la gloire de Dieu »[445]. Qu’est-ce à dire, qu’ils ont besoin de la gloire de Dieu ? Besoin d’être délivrés par Dieu et non par toi. Impuissant à te délivrer toi-même, tu as besoin d’un libérateur. De quoi te glorifier encore ? Pourquoi tirer vanité de la loi et de la justice ? Ne vois-tu pas, en toi-même, ce qui se sert de toi pour te combattre ? N’entendras-tu point ce noble athlète avouant sa faiblesse et demandant du secours dans la lutte ? N’entendras-tu point l’athlète du Seigneur qui, dans sa lutte, implore l’assistance de celui qui préside aux combats ? Car il n’en est pas du Seigneur qui te voit combattre, comme de celui qui donne des spectacles, si tu combats dans l’amphithéâtre. Celui-ci pourra bien te décerner des prix, si tu es vainqueur, mais il ne peut te secourir dans le danger. Ce n’est point ainsi que Dieu te regarde. Vois donc avec attention celui qui dit : « Selon l’homme intérieur, je fais mes délices de la loi de Dieu, mais je sens dans mes membres une autre loi qui combat contre la loi de l’esprit, et me tient captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur »[446]. Pourquoi est-ce une grâce ? Parce qu’elle est donnée gratuitement. Comment est-elle donnée gratuitement ? Parce que les mérites ne l’ont point précédée, et que la bonté de Dieu t’a prévenu. À lui donc la gloire de notre délivrance ? « Tous ont péché, et ont besoin de la gloire de Dieu. C’est en vous, Seigneur, que j’ai placé mon espérance », et non point en moi : « ma confusion ne sera pas éternelle » ; parce que j’espère en celui qui ne confond point notre attente. « Délivrez-moi dans votre justice, et sauvez-moi ». Puisque vous ne trouvez en moi aucune justice, délivrez-moi par la vôtre ; c’est-à-dire, que je sois délivré par cette même cause qui me justifie, qui d’impie me rend à la piété, de méchant me fait juste, d’aveugle me rend à la lumière, qui me relève de mes chutes, et change mes larmes eu joie. Voilà ce qui me délivre, et non point moi-même. « Sauvez-moi dans votre justice, et délivrez-moi ».
7. « Inclinez vers moi votre oreille »[447]. C’est là ce qu’a fait le Seigneur quand il nous envoya son Christ. Il nous a envoyé celui qui baissait la tête pour écrire du doigt sur lu terre, quand on lui présenta une femme adultère à condamner[448]. Mais lui s’était baissé vomi la terre, ou plutôt Dieu s’était abaissé jusqu’à l’homme, à qui il a été dit : « Tu es terre, et tu retourneras en terre »[449], Car ce n’est point d’une manière corporelle que Dieu incline vers nous son oreille, et il n’est point circonscrit dans les membres d’un corps. Loin de nos pensées tout fantôme humain, Dieu est vérité. La vérité n’a point une forme anguleuse, ou sphérique, ou oblongue. Elle est présente partout où les yeux du cœur s’ouvrent pour la regarder. Or, Dieu incline son oreille vers nous, quand il fait descendre sur nous sa miséricorde. Mais est-il un plus grand acte de miséricorde que de nous donner son Fils unique, non pas afin qu’il vive avec nous, mais afin qu’il meure pour nous ? « Inclinez vers moi votre oreille ».
8. « Hâtez-vous de me délivrer[450] ». Dieu l’a déjà exaucé quand il dit : « Hâtez-vous ». Ce mot doit nous faire comprendre que cette durée accordée à l’écoulement successif des siècles et qui nous paraît longue, n’est qu’un instant. Une durée n’est point longue, si elle doit finir. Depuis Adam jusqu’à nos jours, bien du temps s’est écoulé ; beaucoup plus assurément qu’il n’en reste à écouler. Si Adam vivait encore, pour mourir actuellement, de quoi lui servirait d’exister encore, et d’avoir tant vécu ? Pourquoi donc cette promptitude : « Hâtez-vous ? » C’est que le temps s’envole, et ce qui vous paraît long, est court aux yeux de Dieu. Cette rapidité, le Prophète l’avait comprise dans son extase, et il s’écriait : « Hâtez-vous de me secourir. Soyez pour moi un Dieu protecteur, soyez mon asile et sauvez-moi. » Soyez pour moi une retraite assurée, soyez mon Dieu protecteur, soyez – mon lieu de refuge. Souvent je me trouve dans le péril, je cherche à fuir ; mais où fuir ? Dans quel asile serai-je en sûreté ? Dans quelle montagne ? Dans quelle caverne ? Dans quelle enceinte fortifiée ? Dans quels remparts ? Quelle citadelle m’abritera ? Quels boulevards pourront m’environner ? Partout où je vais, je me retrouve. O homme ! la fuite peut te dérober à tout ce que tu voudras, excepté à ta conscience. Entre dans ta maison pour reposer sur ta couche, rentre dans ton cœur, tu n’y trouveras aucun abri entre les poursuites de ta conscience, contre les remords de ton péché. Mais le Prophète s’écrie : Hâtez-vous de me secourir, délivre-moi dans votre justice, afin de me pardonner mes fautes, et d’établir en moi votre justice. Vous serez pour moi un asile, c’est en vous que je veux me réfugier. Car où puis-je aller pour vous fuir ? Dieu te poursuit dans sa colère, où trouver un asile ? Écoute ce que dit ailleurs le Prophète qui craint sa colère « Où irai-je devant votre esprit ? où fuir devant votre face ? Si je monte au ciel, vous y êtes ; si je descends dans les enfers, vous voilà »[451]. En quelque lieu que je puisse aller, je vous rencontre. Si vous êtes irrité contre moi, je vous y trouve pour me châtier, et pour m’assister, si vous m’êtes favorable. Toute ma ressource est donc de m’enfuir vers vous, et non loin de vous. Pour échapper à un maître dont tu es l’esclave, tu cherches un asile dans ces lieux où il n’est plus maître. Pour échapper au Seigneur, cherche un asile en Dieu, car tu ne peux te dérober à Dieu. Tout est présent, tout est à découvert aux yeux du Tout-Puissant. C’est donc vous, ô Dieu, qui serez mois refuge, dit le Prophète. Mais si je ne suis guéri, comment fuir ? Guérissez-moi donc, et je courrai vers vous. Car si vous ne me guérissez, je ne puis marcher, et comment fuir ? Où peut aller, où pourrait fuir cet homme, laissé à demi mort sur le grand chemin, couvert de blessures par les voleurs, et qui ne peut marcher ? Cet homme négligé par le prêtre qui passe outre, négligé par le lévite qui passe outre, et que prend en pitié le Samaritain qui vient à passer[452], ou plutôt le Seigneur qui a pitié du genre humain. Samaritain signifie gardien. Mais qui nous gardera, si le Seigneur nous abandonne ? C’est donc avec raison que dans ces paroles outrageantes des Juifs à Jésus-Christ : « N’avons-nous pas raison de dire que vous êtes « un Samaritain et un possédé du démon ? »[453] le Sauveur repousse un outrage et accepte l’autre : « Pour moi », dit-il, « je ne suis point possédé du démon ». Il ne dit point : Je ne suis pas un Samaritain, voulant nous faire entendre qu’il est notre gardien. Il a donc pris en pitié ce malheureux, s’en est approché, a bandé ses plaies, l’a conduit à l’hôtellerie, accomplissant envers lui les devoirs de la miséricorde ; déjà cet homme peut marcher et même fuir. Mais où fuir, sinon vers le Seigneur qu’il a choisi pour son asile ?
9. « C’est vous qui êtes ma force et mon refuge, et à cause de votre nom, vous serez mon guide et mon aliment »[454]. Ce n’est point à cause de mes mérites, « mais à cause de votre nom » ; pour faire éclater votre gloire, et non parce que j’en suis digne. « Vous serez mon guide », afin que je ne m’égare pas loin de vous. « Vous serez mon aliment », afin que je devienne assez fort pour prendre la nourriture des anges. Car celui qui nous a promis la céleste nourriture, nous donne ici-bas du lait, dans sa tendresse maternelle. Comme la nourrice fait passer par sa chair cette nourriture que son enfant trop jeune est incapable de prendre encore, et la lui donné avec son lait (car l’enfant ne reçoit de sa mère, et par le canal de la chair, que la nourriture qu’il aurait prise à table), ainsi le Seigneur, pour faire passer en nous sa sagesse comme un lait divin, se présente à nous, revêtu de chair humaine. C’est donc le corps de Jésus-Christ, qui dit ici : « Vous serez mon aliment ».
10. « Vous me délivrerez du piège qu’ils m’ont tendu en secret »[455]. Voici la passion qui commence à paraître. « Vous me délivrerez du piège qu’ils m’ont tendu en secret ». Non seulement cette passion qu’a dû endurer le Seigneur Jésus ; mais les pièges du démon sont tendus jusqu’à la fin du monde ; et malheur à qui se laisse prendre à ces pièges, et tout homme y tombe, s’il ne met son espoir en Dieu, s’il ne dit : « C’est en vous que j’espère, ô mon Dieu, et je ne tomberai point dans la confusion éternelle : sauvez-moi dans votre justice et délivrez-moi »[456]. L’embûche de l’ennemi est tendue, elle est prête. Il a mis dans cette embûche l’erreur et la crainte l’erreur pour nous enlacer, la crainte pour nous briser, et nous enlever. Pour toi, ferme à l’erreur la porte des convoitises, ferme à la terreur la porte de la timidité, et tu échapperas aux pièges. Celui qui est ton chef, t’a enseigné par lui-même cette manière de combattre, lui qui a voulu, pour t’instruire, être en butte à la tentation. Il fut tenté d’abord par la convoitise, car le diable essaya d’ouvrir chez lui la porte des désirs, quand il lui dit : « Commandez que ces pierres deviennent des pains. Adorez-moi, et je vous donnerai tous ces royaumes. Jetez-vous en bas, car il est écrit : Il a ordonné à ses anges de vous prendre dans leurs mains, de peur que vous ne heurtiez votre pied contre la pierre »[457]. Tous ces attraits sont les amorces de la convoitise. Mais quand il vit se fermer les portes de la convoitise en celui qui souffrait d’être tenté pour nous, il fit des essais contre la porte de la crainte, et lui prépara la passion. C’est ce que nous dit l’Évangéliste : « Après avoir épuisé toutes les tentations, Satan s’éloigna de lui pour un temps »[458]. Qu’est-ce à dire : Pour un temps ? Qu’il devait revenir ensuite et diriger ses efforts du côté de la crainte, puisqu’il avait échoué sur le terrain des convoitises. Tout ce corps du Christ sera dont tenté jusqu’à la fin. Aussi, mes frères, quand on lançait contre les chrétiens je ne sais quels édits de persécution, c’est ce corps du Christ, et ce corps tout entier qui était heurté ; delà ce mot du Psalmiste : « On m’a poussé comme un monceau de sable, pour me faire tomber, et le Seigneur m’a soutenu »[459]. Mais quand finirent les maux qui heurtaient le corps entier de l’Église, pour le pousser à sa chute, la tentation devint partielle. Le corps du Christ est mis à l’épreuve ; s’il ne souffre pas dans une Église, il souffre dans une autre. Elle n’a plus à craindre la fureur d’un empereur, mais elle-endure les vexations d’un peuple méchant, Quels ravages lui fait subir la populace ! Quels maux n’endure-t-elle point de la part de ces chrétiens, de ceux qui sont embarrassés dans les filets de Satan, et qui se multiplient tellement, qu’ils submergent les barques dans cette pêche du Sauveur qui précéda la passion[460] ! Les épreuves ne lui manquent point dès lors. Que nul ne se dise : Ce n’est plus le temps des persécutions. Celui qui tient cm langage se promet la paix ; et quiconque se promet la paix, est surpris dans sa sécurité. Que le corps entier de Jésus-Christ s’écrie donc : « Vous me délivrerez de ces embûches qu’ils m’ont tendues en secret » ; car notre chef-a été délivré du piège que lui tendaient en secret ceux dont l’Évangile nous annonçait naguère qu’ils diraient un jour : « Voici l’héritier, venez, tuons-le, et nous posséderons l’héritage », et qui prononcèrent leur condamnation, quand il leur fut demandé : « Quel châtiment doit infliger le maître à ces colons pervers ? Il fera périr ces méchants d’une manière misérable », répondirent-ils, « et louera sa vigne à d’autres vignerons. Quoi ! » reprit le Sauveur, « n’avez-vous pas lu aussi : La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la pierre de l’angle » ?[461] » Il nous explique ainsi que « rejeter la pierre, pour ceux qui bâtissaient », c’était « chasser l’héritier hors de la vigne, et le tuer ». Lui donc a été sauvé. Notre chef est en haut ; il est libre, Attachons-nous à lui par l’amour, afin d’y être plus inséparablement unis par l’immortalité, et disons tous : « Vous me délivrerez de ces pièges qu’ils m’ont tendus en secret, parce que vous êtes mon protecteur »[462].
11. Mais écoutons la parole que le Seigneur prononça sur la croix : « Je remets mon âme entre vos mains »[463]. Quand nus voyons dans l’Évangile que Jésus-Christ répète ces paroles du psaume, ne doutons plus que ce soit lui qui parle ici. Tu lis dans l’Évangile que le Christ a dit : « Je remets mon âme entre vos mains ; et baissant la tête, il rendit l’esprit »[464]. Son dessein, en répétant ces paroles, a été de t’apprendre que c’est lui qui parle dans ce psaume. C’est donc lui qu’il faut y chercher : souviens-toi qu’il a voulu qu’on le cherchât aussi dans cet autre psaume, pour le secours du matin : « Ils ont percé mes mains et mes pieds : ils ont compté mes os, ils m’ont regardé, ils m’ont considéré attentivement, ils se sont partagé mes vêtements, et ont tiré ma robe au sort »[465]. Et pour t’apprendre que c’est en lui que tout cela s’est accompli, il récita le commencement du psaume : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous délaissé ? »[466] Et toutefois c’était au nom de ses membres qu’il parlait ainsi, car jamais le Père n’abandonna son fils unique. « Vous m’avez racheté, Seigneur, Dieu de vérité ». Vous êtes le Dieu de vérité, car vous faites ce que vous avez promis, et nulle de vos promesses n’est sans effet.
12. « Vous haïssez ceux qui s’attachent inutilement à la vanité ». Qui s’attache à la vanité ? Celui qui meurt par la crainte de la mort. La crainte de la mort le fait mentir, et il meurt avant même de mourir, lui qui ne mentait qu’afin de vivre. Tu mens, pour ne pas mourir, et alors tu as le mensonge et la mort : en voulant te dérober à une mort que tu peux différer un peu, mais non éviter, tu encours une double mort, celle de l’âme, et ensuite celle du corps. D’où vient ce malheur, sinon de ton attachement aux vanités ? C’est que ce jour qui fuit a de l’attrait pour toi, tu fais tes délices du temps qui s’envole, dont tu ne peux rien retenir, qui au contraire t’emporte avec lui. « Vous haïssez ceux qui s’attachent sans profit à la vanité. » Pour moi, qui n’aime point la vanité, je mets en Dieu mon espoir. Tu espères dans ton argent, c’est t’éprendre de la vanité ; tu espères dans les honneurs, dans le faste de la grandeur humaine, c’est t’éprendre de la vanité ; tu espères dans quelque ami puissant, c’est t’éprendre de la vanité. Quand tu as uni ton espoir en tout cela, ou bien tu l’abandonnes par la mort ; ou, si tu vis, tout vient à périr, et ton espoir est trompé. C’est de cette vanité, que le Prophète Isaïe disait : « Toute chair n’est que de l’herbe, et toute sa gloire n’est que la fleur d’une herbe : l’herbe se dessèche et la fleur tombe, mais la parole du Seigneur demeure éternellement »[467]. Pour moi, loin d’imiter ceux qui espèrent dans la vanité, s’attachent à la vanité, j’ai mis mon espoir en Dieu qui n’est point la vanité.
13. « Je me réjouirai, je triompherai dans votre miséricorde », et non dans ma propre justice. « Car vous avez regardé ma bassesse, vous avez arraché mon âme aux vicissitudes, et vous ne m’avez point resserré entre les mains de mes ennemis »[468]. Quelles sont ces vicissitudes dont nous voulons que notre âme soit délivrée ? qui pourra les énumérer ? qui en dira l’étendue ? qui surtout nous dira combien elles sont à fuir, à éviter ? Une première peine, et peine cruelle parmi les hommes, c’est de ne point connaître le cœur du prochain, de soupçonner presque toujours les sentiments d’un ami fidèle, et d’avoir presque toujours bonne opinion d’un ami infidèle. Déplorable nécessité ! Que fais-tu pour voir dans les cœurs ? de quel regard les verras-tu, homme faible et misérable ? Que fais-tu pour voir aujourd’hui le cœur de ton frère ? Tu n’as rien à faire. Mais une misère plus déplorable encore, c’est que tu ne sois pas ce que ton cœur sera demain. Que dirai-je des autres misères de notre nature ? Il nous faut mourir, et nul ne veut mourir. Nul ne veut ce qui doit lui arriver de gré ou de force. Déplorable condition, de rejeter ce que l’on ne saurait éviter. Car si nous le pouvions, nous ne consentirions jamais à mourir : nous souhaiterions de devenir comme les anges, mais par un certain changement, et non en passant par la mort, comme l’a dit l’Apôtre : « Dieu nous donnera une autre maison, Une maison qui ne sera point faite par la main des hommes, une maison éternelle dans le ciel. C’est pourquoi nous gémissons, désirant être revêtus de la gloire de cette maison céleste comme d’un second vêtement. Si toutefois nous sommes trouvés vêtus, et non pas nus. Pendant que nous sommes dans ce corps comme dans une tente, nous gémissons sous sa pesanteur, parce que nous désirons, non pas d’être dépouillés, mais d’être comme revêtus par-dessus ; en sorte que ce qu’il y a de mortel, soit absorbé par la vie »[469]. Nous voulons arriver au royaume de Dieu, mais non par le chemin de la mort ; et toutefois la nécessité vient nous dire : Tu en viendras là. Tu ne veux point en venir là, ô homme fragile, et c’est par là que Dieu est venu jusqu’à toi. Quelle dure nécessité aussi, de vaincre nos désirs vieillis, nos habitudes invétérées ! Vaincre une habitude, c’est un douloureux combat, tu le sais. Tu vois bien que tes actes sont mauvais, sont détestables, malheureux, et néanmoins tu t’obstines : ce que tu as fait hier, tu le feras demain. Si mon langage te déplaît à ce point, combien ta propre pensée doit te peser ! Et néanmoins tu retomberas encore. D’où vient cet entraînement ? Qui peut l’assujettir jusque-là ? Y a-t-il dans tes membres une loi contraire à la loi de ton esprit ? crie alors : « Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort ? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur »[470]. Et alors s’accomplira en toi ce que je disais tout à l’heure : « Pour moi j’ai mis mon espoir dans le Seigneur : je tressaillirai et je triompherai dans votre miséricorde, parce que vous avez jeté les yeux sur mon humiliation, et arraché mon âme aux assujettissements de cette vie ». D’où vient que ton âme a été dégagée de ces assujettissements, sinon parce que Dieu a jeté un regard sur ton humilité ? Si tu ne te fusses humilié, il ne t’aurait point exaucé en dégageant ton âme des sujétions de la vie. Il s’humiliait, celui qui disait : « Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort ? » Mais ils ne s’humiliaient point, ceux qui, « méconnaissant la justice de Dieu, et voulant établir leur propre justice, ne se sont point soumis à celle de Dieu »[471].
14. « Vous ne m’avez point resserré entre les mains de mon ennemi »[472] : non point de ton voisin ni de ton copartageant, ni de ce compagnon d’armes que tu as blessé, ni de quelqu’un de ta propre ville que tu as peut-être offensé par tes injures. Nous nous sommes mis dans l’obligation de prier pour tous ceux-là. Mais nous avons un autre ennemi qui est le diable, l’antique serpent. Tous, nous échapperons à sa puissance par la mort, si notre mort est sainte. Quiconque meurt dans le péché, est jeté par cette mort funeste entre les mains du diable, pour être avec lui condamné à un supplice sans fin. C’est donc le Seigneur notre Dieu qui nous arrache aux étreintes de l’ennemi ; et cet ennemi veut nous prendre par le moyen de nos convoitises. Or, nos convoitises, quand elles grandissent au point de nous assujettir, elles s’appellent des nécessités. Donc, une fois que le Seigneur aura délivré notre âme de ces nécessités, quelle prise aura le démon sur nous, pour nous assujettir à sa puissance ?
15. « Vous avez affermi mes pas dans la voie spacieuse »[473]. Assurément la voie est étroite[474] ; étroite pour l’âme servile, mais large pour l’amour ; l’amour élargit ce qui est trop resserré. « Vous avez affermi mes pas », dit-il, « dans la voie spacieuse », de peur que mes pieds, trop à l’étroit, ne vinssent à s’embarrasser, et par cet embarras causer ma chute. Qu’est-ce à dire : « Vous avez mis mes pieds dans un lieu spacieux ? » Vous m’avez rendu faciles ces œuvres de justice, autrefois si pénibles : tel est le sens de cette parole : « Vous avez mis mes pieds dans un lieu spacieux ».
16. « Ayez pitié de moi, mon Dieu, parce que je suis dans l’affliction ; votre colère jetée le trouble dans mes yeux, dans mon âme et dans mes entrailles ; ma vie a défailli dans la souffrance, et mes années dans les gémissements »[475]. Que cela suffise à votre charité, mes frères ; une autre fois, avec le secours de Dieu, nous achèverons le reste de notre dette, afin de terminer le psaume avant notre départ.

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 30.

DEUXIÈME SERMON. – CONTRE LES DONATISTES.[modifier]

Ce sermon, qui embrasse le second tiers du psaume, a pour objet les douleurs et les gémissements de l’Église à cause des mauvais chrétiens et des Donatistes.


1. Reportons, mes frères, notre attention sur la suite du psaume, et considérons-nous dans la personne du Prophète. Car si nous comprenons que nous sommes dans un temps d’affliction, nous aurons de la joie, au jour de la récompense. Je vous ai fait remarquer, mes frères, en exposant les premiers versets de notre psaume, que c’est Jésus-Christ qui parle ; je ne vous ai point déguisé que le Christ ici se doit dire du chef et des membres ; et il me semble que les témoignages des Écritures que j’ai cités, établissaient, avec la dernière évidence et de manière à n’en pas laisser douter, que le Christ s’entend de la tête et du corps, de l’Époux et de l’Épouse, du Fils de Dieu et de l’Église, du Fils de Dieu fait homme pour nous, afin d’élever les fils des hommes à la qualité de fils de Dieu ; afin que, par un sacrement ineffable, ils fussent deux dans une même chair, comme ils sont deux dans une même voix chez les Prophètes. Le psalmiste a donc remercié Dieu par ces paroles : « Vous avez regardé favorablement ma bassesse ; vous avez arraché mon âme à ses sujétions, vous ne m’avez point resserré entre les mains de mon ennemi, et vous avez mis mes pieds au large[476].) ». Telles sont les actions de grâces de l’homme échappé à la tribulation, de tous les membres du Christ échappés à la douleur et aux embûches. « Ayez pitié de moi, Seigneur », s’écrie-t-il de nouveau, « parce que je suis opprimé ». S’il est opprimé, il est à l’étroit ; comment disait-il alors : « Vous avez mis mes pieds au large ? » Comment ses pieds sont-ils au large, s’il est encore dans l’oppression ? À moins peut-être qu’il n’y ait qu’une seule voix, comme il n’y a qu’un seul corps qui parle ; mais que plusieurs membres soient au large et d’autres à l’étroit, c’est-à-dire que plusieurs trouveraient faciles les œuvres de justice, tandis que d’autres gémiraient dans l’angoisse ? Car si les membres n’étaient point dans des situations différentes, l’Apôtre ne dirait point : « Si un membre souffre, tous les autres souffrent avec lui ; et si un membre reçoit de l’honneur, tous les autres s’en réjouissent avec lui »[477]. Quelques églises, par exemple, ont la paix, d’autres sont dans la tribulation ; chez celles qui sont en paix, les pieds sont au large, tandis qu’ils sont à l’étroit chez celles qui sont dans l’angoisse : mais la douleur des uns afflige ceux qui sont en paix, et la paix des autres console ceux qui souffrent. Il y a donc dans lu corps une telle unité, que tout schisme en est banni, et le schisme n’est que le fruit de la dissension. La charité forme le lien, le lien resserre l’unité, l’unité conserve la charité, la charité arrive aux splendeurs éternelles. Que le corps donc s’écrie au nom de quelques membres : « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis dans l’angoisse, votre colère a jeté le trouble dans mes yeux, dans mon âme et dans mes entrailles »[478].
2. Cherchons alors d’où vient cette tribulation, puisque, tout à l’heure, l’interlocuteur paraissait s’applaudir de sa délivrance, ainsi que de la justice dont Dieu avait généreusement enrichi son âme, et du large espace que la charité avait tracé à ses pieds. D’où vient donc cette affliction, sinon peut-être de cette parole qu’a dite le Seigneur : « Et comme abondera l’iniquité, la charité de plusieurs se refroidira »[479]. Car, après que le Seigneur eut recommandé le petit nombre des saints, il fit jeter le filet à la mer, et l’Église prit de l’accroissement, d’innombrables poissons furent saisis, selon cette prédiction : « J’ai publié ces merveilles, je les ai prêchées, et les auditeurs se sont multipliés à l’infini ? »[480] Aussi les barques ont-elles failli être submergées, les filets rompus, comme il est dit de la première pêche du Seigneur avant la passion[481]. Telle est donc la foule qui se presse dans nos églises, aux fêtes de Pâques, et que leurs murailles trop étroites peuvent à peine contenir. Comment cette multitude n’affligerait-elle point celui qui voit dans les spectacles, dans les amphithéâtres, les mêmes hommes qui remplissaient naguère nos églises ? Quand il voit dans les infamies, ceux qui tout à l’heure chantaient les louanges de Dieu ? Quand il entend le blasphème dans ces bouches qui répondaient : Amen ? Toutefois qu’il persévère, qu’il s’obstine, qu’il ne s’affaiblisse pas au milieu de cette foule innombrable des méchants, puisque le bon grain ne perd rien au milieu des pailles, jusqu’à ce qu’il soit vanné et mis au grenier, c’est là qu’il sera au milieu des saints, à l’abri de toute poussière qui pourrait le troubler. Qu’il persévère, car le Seigneur lui-même, après avoir dit que « le grand nombre d’iniquités fera refroidir la charité de beaucoup », veut empêcher que cette foule d’iniquités ne fasse chanceler nos pas et ne cause notre chute, et pour maintenir les fidèles, pour les consoler, pour les encourager, il ajoute ces paroles : « Celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin »[482].
3. Considérons que telle est l’affliction de l’interlocuteur du psaume. Cette affliction devrait lui arracher des plaintes, puisque toute affliction porte à la tristesse, et néanmoins dans sa douleur il se dit en colère, et il s’écrie : « Ayez pitié de moi, car la colère a troublé mes yeux ». Pourquoi cette colère, si vous êtes dans l’affliction ? Il s’irrite contre les péchés des autres. Qui ne serait transporté de colère en voyant des hommes qui confessent de bouche le Seigneur, et qui le renient par leurs mœurs ? Qui ne s’irriterait, en voyant des hommes renoncer au monde en parole et non en réalité ? Qui verrait froidement les frères dresser des embûches à leurs frères, et devenir parjures dans ce baiser qu’ils se donnent en recevant les sacrements ? Et qui dirait tous ces sujets de colère pour le corps du Christ qui vit intérieurement de son esprit, et qui gémit comme le bon grain mêlé avec la paille ? À peine sont-ils visibles ceux qui gémissent de la sorte, qui entrent dans ces colères ; comme on voit à peine le grain quand on le foule dans l’aire. Quiconque ne saurait point le nombre d’épis jetés dans l’aire pourrait croire qu’il n’y a que de la paille ; mais sous ce monceau que l’on croirait être entièrement de la paille, le vanneur découvrira beaucoup de bon grain. C’est donc dans ces fidèles qui gémissent en secret, que s’irrite celui qui a dit ailleurs : « Le zèle de votre maison me dévore »[483]. Et dans un autre endroit, à la vue du grand nombre des méchants, il s’écrie : « La défaillance m’a saisi « à la vue de tous ceux qui abandonnent votre loi »[484], et plus loin encore : « J’ai vu les prévaricateurs et j’ai séché dans l’angoisse »[485].
4. Toutefois il est à craindre que cette colère n’arrive jusqu’à la haine ; car une colère n’est point encore la haine. On se fâche contre un fils, on ne le hait point pour cela : tu conserves l’héritage à celui qui tremble de-vaut ton irritation ; et ta colère même n’a d’autre but que de prévenir sa ruine qu’amèneraient ses dérèglements. La colère n’est donc pas encore la haine, et souvent nous sommes loin de haïr l’homme contre lequel nous sommes en colère. Mais que cette colère dure quelque peu dans notre âme, qu’elle n’en soit pas bannie promptement, elle grandit et se tourne en haine. C’est pour nous engager à étouffer toute colère avant qu’elle arrive à la haine, que l’Écriture nous avertit « de ne point laisser coucher le soleil sur, notre colère »[486]. On rencontre parfois un chrétien qui a de la haine, et qui reprend chez un autre un acte de colère ; il fait un crime à un autre de sa colère, et lui-même nourrit de la haine ; il a une poutre dans son œil, et il blâme son frère d’avoir une paille dans le sien[487]. Cette paille néanmoins, ce petit rejeton, deviendra une poutre, s’il n’est arraché promptement. Le psalmiste ne dit donc point : Mon œil s’est fermé de colère, mais « s’est troublé ». L’extinction serait l’effet de la haine et non de la colère. Voyez que la haine éteindrait complètement son œil « Celui-là », dit saint Jean, « qui hait son frère est encore dans les ténèbres »[488]. Donc l’œil est d’abord troublé par la colère avant d’arriver aux ténèbres ; mais veillons à ce que la colère ne dégénère point en haine, et que notre œil ne s’éteigne point. « La colère a jeté le trouble dans mes yeux », dit le psalmiste, « et dans mon âme et dans mes entrailles », c’est-à-dire, a troublé tout ce qui est au dedans de moi, car les entrailles désignent l’intérieur. Il est quelquefois permis de s’irriter contre les méchants, les pervers, les violateurs de la loi, les gens de mauvaise vie, mais il n’est point permis de crier. Or, cette colère qui ne doit pas éclater en cris, est chez nous un trouble intérieur. Le mal est parfois si grand, qu’on ne peut même le reprendre.
5. « Ma vie a langui dans la douleur, et mes années dans les gémissements »[489]. « Ma vie », dit le Prophète, « est une douloureuse défaillance ». Saint Paul a dit aussi : « Nous vivons maintenant, si vous demeurez fermes dans le Seigneur »[490]. Tous ceux qui ont trouvé la perfection dans l’Évangile et dans la grâce, ne vivent plus que pour les autres. Car il n’y a plus pour eux-mêmes nécessité de vivre ici-bas. Mais comme les autres ont besoin de leurs services, alors s’accomplit en eux ce mot de l’Apôtre : « J’ai le vif désir d’être dégagé des liens du corps, et d’être avec Jésus-Christ, ce qui est sans comparaison le meilleur ; mais il est plus avantageux pour vous que je demeure en cette vie »[491]. Donc, pour l’homme qui voit que ses services, ses travaux, sa prédication demeurent sans fruit chez les autres, sa vie languit dans l’indigence. Funeste indigence ! faim déplorable ! Car ceux que nous gagnons à Dieu, sont pour l’Église une nourriture. Que dis-je, une nourriture ? Oui, elle la fait passer par son corps, de même que toute nourriture en nous passe par notre corps. Telle est l’œuvre de l’Église par les saints ; elle a faim de ceux qu’elle veut gagner, et quand elle a pu les gagner, elle s’en fait une sorte de nourriture. C’est l’Église que figurait saint Pierre, quand il vit descendre du ciel un vaste linceul contenant toutes sortes d’animaux, des quadrupèdes, des reptiles, des oiseaux, lesquels, à leur tour, figuraient toutes les nations. Le Seigneur nous montrait que l’Église devait absorber tous les peuples de la terre, et les changer en son corps ; aussi dit-il à Pierre : « Tue, et mange »[492]. Tue et mange, ô sainte Église, ô Pierre, puisque sur cette pierre je bâtirai mon Église[493]. Tue d’abord, mange ensuite ; tue ce qu’ils sont, et fais-les ce que tu es. Quand on prêche l’Évangile, et que le prédicateur voit que les hommes n’en tirent aucun avantage, pourquoi ne s’écrie-t-il pas : « Ma vie s’affaisse dans la douleur, et mes années dans les gémissements. Ma vigueur s’affaiblit dans l’indigence, et le trouble est dans mes os ? »[494] Les années que nous passons ici-bas s’écoulent dans les gémissements. Pourquoi ? « Parce que l’iniquité abonde, et que la charité de plusieurs se refroidit »[495]. Ce sont des gémissements et non de hauts cris. Quand l’Église voit la foule courir à sa perte, elle dévore ses propres plaintes, et dit à Dieu : « Du moins mes gémissements ne sont point secrets pour vous »[496]. Cette parole d’un autre psaume, et qui s’accorde bien avec celui-ci, veut dire : mes gémissements peuvent être cachés pour les hommes, et jamais pour vous ils ne sont en oubli. « Ma force languit dans l’indigence, et le trouble est dans mes os ». Nous avons déjà fait connaître cette indigence. Par ossements, on entend les hommes forts de l’Église ; ceux qui ne craignent point les persécutions, s’émeuvent quelquefois des iniquités de leurs frères.
6. « Je suis plus en opprobre que tous mes ennemis, c’est un excès pour mes voisins, un effroi pour ceux qui me connaissent ». Quels sont les ennemis de l’Église ? Les païens et les Juifs ? La vie d’un mauvais chrétien est pire que leur vie. Voulez-vous comprendre comment elle est plus dépravée ? Le prophète Ezéchiel compare ces ennemis à des sarments inutiles[497]. Supposez que les païens sont les arbres d’une forêt qui est en dehors de l’Église, on peut encore en tirer quelque partie, comme un ouvrier trouve un morceau qui lui convient dans des bois ouvrables ; s’il y trouve des nœuds, des courbures, de l’écorce, il tranche, il scie, il aplanit, afin de l’approprier à l’usage des hommes. Mais le bois de sarment ne donne aucun fruit, et s’il est retranché de la vigne, l’ouvrier n’en peut rien faire, il n’est bon qu’à être jeté au feu. Écoutez bien, mes frères ; partout on préfère au bois des forêts le sarment qui tient à la vigne, car alors il donne du fruit ; mais quand la serpe du vigneron l’a séparé de la vigne, on lui préfère le bois des forêts, dont l’ouvrier peut tirer parti, tandis que le bois de sarment n’est recherché que par celui qui fait du feu. À la vue donc de cette grande foule qui mène dans l’Église une vie désordonnée le Prophète s’écrie : « Mon opprobre est bien supérieur à celui de mes ennemis ». Ils vivent plus mal en participant à mes sacrements, que ceux qui n’y ont pris aucune part. Pourquoi ne pas le dire franchement en latin, quand nous expliquons un psaume ? Et si nous sommes plus réservés en d’autres temps, du moins que la nécessité d’exposer ce que nous traitons, nous donne la liberté de réprimer les désordres. « Plus que tous mes ennemis, je suis dans l’opprobre ». C’est de ceux-là que saint Pierre a dit : « Leur dernier état devient pire que le premier ; il eût mieux valu pour eux qu’ils ne connussent point la voie de la justice, que de retourner en arrière, après l’avoir connue, et d’abandonner la loi sainte qui leur avait été donnée ». Mais dire « qu’il eût été meilleur pour eux de ne point connaître la voie de la justice », n’est-ce point juger que nos ennemis, placés hors de l’Église, sont dans une position meilleure que les chrétiens qui vivent dans le désordre, surchargeant ainsi et suffoquant l’Église ? « Il eût mieux valu », dit cet apôtre, « ne pas connaître la voie de la justice, que de retourner en arrière après l’avoir connue, et d’abandonner la loi sainte qui leur a été donnée »[498]. Voyez ensuite quelle horrible comparaison il fait à leur sujet : « Il leur est arrivé ce que dit un proverbe bien vrai : Le chien est retourné à son vomissement »[499]. Et puisque tant de chrétiens semblables encombrent nos églises, le petit nombre des bons qui s’y trouvent, ou plutôt l’Église par la voix de ce petit nombre, n’a-t-elle pas raison de s’écrier : « Plus que tous mes ennemis je suis un objet d’opprobre ; c’est le comble pour mes voisins ; c’est un effroi pour ceux qui me connaissent ? » Je suis au comble de l’opprobre aux yeux de tues voisins, c’est-à-dire, ceux qui s’approchaient de moi pour embrasser la foi, ou ceux qui étaient le plus près de moi, ont cédé à la répulsion en voyant la vie désordonnée des mauvais et des faux chrétiens. Combien d’hommes, voyez-vous, mes frères, qui voudraient être chrétiens, et qui reculent devant les mœurs dépravées des mauvais chrétiens ! Ce sont là nos voisins qui s’approchaient de nous, et qui ont reculé devant l’excès de nos opprobres.
7. « Ceux qui me connaissent en sont dans l’effroi ». Pourquoi tant craindre ? « Ceux qui me connaissent », dit le psalmiste, « sont dans l’effroi ». Qu’y a-t-il de si effrayant pour un homme, de voir dans le désordre une si grande foule, de trouver dans la dépravation ceux dont il avait les meilleures espérances ? Il craint alors que tous ceux qu’il a crus bons ne leur soient semblables, et presque toute âme honnête alors devient suspecte. Quel homme ! dit-on. Comment descend-il si bas ? Comment le surprend-on dans ces infamies, dans ces actes hideux, dans ces actions détestables ? Tous les chrétiens, pensez-vous, ne lui ressemblent-ils point ? Tel est le sens de cette parole : « Ceux qui me connaissent sont dans l’effroi », ceux mêmes qui nous connaissent le plus, sont dans la défiance envers nous. Et si tu n’es soutenu par ta propre conscience, supposé que tu en aies une, tu croiras que nul autre ne te ressemble. Toutefois un homme se soutient par la conscience qu’il a de lui-même, et dans sa vie régulière, il se dit : O toi, qui trembles que tous les autres ne soient mauvais, l’es-tu donc toi-même ? Non, répond la conscience. Mais, si tu ne l’es pas, es-tu le seul pour en être à ce point ? Prends garde que l’orgueil chez toi ne dépasse leur dépravation. Loin de toi de te croire seul. Eue aussi, accablé d’ennui en voyant la foule innombrable des impies, s’écriait : « Ils ont égorgé vos prophètes, et détruit vos autels ; voilà que je suis seul, et ils me cherchent pour me faire mourir ». Mais que lui répondit le Seigneur ? « Je me suis réservé sept mille hommes, qui n’ont pas fléchi les genoux devant Baal »[500]. Donc, mes frères, le remède à tous ces scandales, est que vous ne pensiez jamais mal de vos frères. Soyez humblement ce que vous voulez qu’ils soient, et – vous ne penserez point qu’ils puissent être ce que vous-mêmes n’êtes point. Et néanmoins ceux qui nous connaissent, ceux mêmes qui nous ont mis à l’épreuve, doivent rester dans la crainte.
8. « Ceux qui me voyaient fuyaient loin de moi »[501]. Ceux qui ne m’ont point connu, sont dignes de pardon, même en s’éloignant de moi ; mais ceux-là mêmes qui m’ont vu s’éloignent de moi. Si donc ceux qui m’avaient vu, prenaient la fuite au-dehors, et loin de moi (quoique, à proprement parler, ils ne fuyaient pas au-dehors, puisque jamais ils n’étaient entrés à l’intérieur, car s’ils fussent entrés à l’intérieur, ils m’eussent connu ; c’est-à-dire ils eussent connu le corps du Christ, les membres du Christ, l’unité du Christ) ; si, dis-je, ils s’enfuient au-dehors, voilà ce qu’il y a de plus déplorable, d’insupportable même, que cette foule qui m’a vu s’enfuie loin de moi ; c’est-à-dire qu’après avoir connu ce qu’est l’Église, ils s’en aillent dehors former contre cette Église des schismes et des hérésies. Aujourd’hui, par exemple, tu vois un homme, qui est né chez les Donatistes, il ne sait où est l’Église ; il demeure dans la religion où il est né, tu ne pourras lui arracher cette foi qu’il a sucée avec le lait de sa nourrice. Mais donnez-moi un homme, oui un homme qui feuillette l’Écriture, qui la lit, qui la prêche. Est-il possible qu’il n’y trouve point ces paroles « Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et ton domaine s’étendra jusqu’aux confins de la terre ? »[502] N’y verra-t-il point : « Tous les confins de la terre seront ébranlés et se tourneront vers le Seigneur, et tous les peuples de l’univers se prosterneront devant lui ? »[503]. Si donc tu trouves ici l’unité de l’univers entier, pourquoi chercher au-dehors, afin de t’aveugler toi-même, et de jeter les autres dans ton aveuglement ? « Ceux qui me voyaient », c’est-à-dire ceux qui connaissaient ce qu’est l’Église, qui l’envisageaient dans les Écritures, « ont pris la fuite au-dehors et loin de moi ». Pensez-vous, mes frères, que tous les hérésiarques, dans les différentes parties du monde, n’aient point vu dans les divines Écritures, que l’Église n’est annoncée que comme la société qui doit embrasser l’univers entier ? Je vous le dis en vérité, mes frères : assurément nous sommes tous chrétiens, ou du moins tous nous portons le nom de chrétiens, tous nous sommes marqués au sceau du Christ ; les Prophètes ont parlé du Christ plus obscurément que de l’Église ; et si je ne me trompe, c’est que l’Esprit de Dieu leur montrait dans l’avenir, que les hommes formeraient des sectes à l’encontre de l’Église, soulèveraient contre elle de fortes discussions, et accepteraient plus facilement le Christ. C’est pour quoi le point qui devait être le plus contesté, a été annoncé, précisé avec plus de clarté, plus d’évidence, afin que cette évidence devînt un témoignage contre ceux qui ont lu ces prophéties, et néanmoins sont sortis de l’Église.
9. Je n’en veux citer qu’un seul exemple. Abraham, qui est notre père, non parce que nous sommes sortis de lui, mais parce que nous imitons sa foi, était juste et agréable à Dieu ; sa foi lui obtint dans sa vieillesse un fils nommé Isaac, et que Dieu lui avait promis de Sara son Épouse[504]. Dieu lui commanda de lui immoler ce même fils ; et alors sans hésiter, sans délibérer, sans mettre en question l’ordre du Seigneur, sans regarder comme mauvais l’ordre qu’a pu intimer Celui qui est la bonté même, Abraham conduisit son fils pour le sacrifier, lui mit le bois sur les épaules, et étant arrivé à l’endroit marqué, il leva la main pour le frapper : à la voix du Seigneur, il abaissa cette main levée par son ordre[505]. Pour obéir, il allait frapper, et pour obéir il s’abstint ; toujours il obéit, jamais il n’est timide. Toutefois, afin que le sacrifice fût achevé, et qu’on ne s’éloignât point sans effusion de sang, il se trouva là un bélier dont les cornes étaient embarrassées dans un buisson ; Abraham l’immola et le sacrifice fut achevé. Examinez cette histoire : c’est une figure symbolique de Jésus-Christ. Mais enfin, faisons jaillir la lumière par la discussion, soulevons les voiles afin de voir ce qu’ils cachent. Isaac, ce fils unique et bien-aimé, figurait le Fils de Dieu ; il porte le bois comme le Christ porta sa croix[506] ; enfin ce bélier désignait encore Jésus-Christ. Qu’est-ce en effet qu’être attaché par les cornes, sinon être attaché au bois de la croix ? C’était là une figure de Jésus-Christ. Mais il fallait aussitôt prédire l’Église, et après avoir annoncé la tête, annoncer le corps ; l’Esprit-Saint, l’Esprit de Dieu veut à l’instant prédire l’Église à Abraham, et rejette les figures. C’était en figure qu’il annonçait le Christ et c’est ouvertement qu’il prédit l’Église ; voici ce qu’il dit à Abraham : « Parce que tu as obéi à ma voix, et que tu n’as pas épargné ton fils unique à cause de moi, je te bénirai, je multiplierai ta descendance comme les étoiles du ciel, et comme le sable des mers, et toutes les nations de la terre seront bénies en celui qui sortira de toi »[507]. Presque partout le Christ est prédit par les prophètes, sous les voiles du symbole, tandis que l’Église l’est directement : afin que ceux-là puissent la voir qui doivent se déclarer contre elle, et que s’accomplisse cri eux cette iniquité prédite par le psalmiste « Ceux qui me voyaient s’enfuyaient au-dehors et loin de moi ». Ils sont sortis du milieu de nous, dit saint Jean, à propos de ces apostats, mais ils n’étaient pas de nous[508].
10. « J’ai été mis en oubli, comme un mort effacé du cœur »[509]. On m’oublie, je suis tombé dans l’oubli, ceux qui m’ont vu m’ont oublié, comme si j’étais mort dans leur cœur. Je suis oublié comme le mort effacé du cœur ; je suis tomme un vase inutile »[510]. Pourquoi est-il comme le vase inutile ? Il se fatiguait, et ne servait à personne : il s’est alors considéré comme un vase, et comme il ne servait à personne, il s’appelle un vase inutile.
11. « J’ai entendu le blâme de ceux qui m’environnaient »[511]. Ils sont nombreux ceux qui demeurent autour de moi pour m’assaillir de leurs blâmes. Quelles imprécations ne font-ils point contre les mauvais chrétiens, imprécations qui retombent sur les chrétiens en général : « Celui qui jette sur nous le reproche ou le blâme, s’en vient-il dire : Voyez ce que font ceux des chrétiens qui sont mauvais ? Non, mais bien sans aucune distinction : Voilà ce que font les chrétiens. Tel est cependant le langage de ceux qui m’environnent, c’est-à-dire qui tournent autour de moi sans entrer. Pourquoi tourner ainsi et n’entrer point ? C’est qu’ils aiment le cercle du temps. Ils n’entrent pas dans la vérité parce qu’ils n’aiment pas l’éternité ; attachés qu’ils sont aux choses temporelles, et comme liés à la roue ; c’est d’eux que le Prophète a dit ailleurs : « Faites-leur des princes mobiles comme la roue »[512] ; et encore : « Les impies tournent comme dans un cercle »[513]. Dans leurs complots contre moi, « ils délibéraient des moyens de me ravir mon âme ». Que signifie : « Ils délibéraient sur les moyens de me ravir mon âme ? » C’est-à-dire sur les moyens de m’amener à leur dépravation. Pour ceux qui maudissent l’Église, sans entrer dans son giron, c’est peu de n’y entrer point, ils veulent encore nous en faire sortir au moyen de leurs calomnies. Mais s’ils te font sortir de l’Église, ils se sont emparés de ton âme, ils ont surpris ton assentiment ; alors tu es autour de l’Église, et non plus en elle.
12. Pour moi, au milieu de tant d’opprobres, de tant de scandales, de tant de maux et de tant de pièges, ne trouvant au-dehors que l’injustice, au dedans que désordres, cherchant de toutes parts des hommes que je pusse imiter, sans néanmoins en trouver, qu’ai-je fait ? à quel parti me suis-je arrêté ? « J’ai mis en vous mon espoir, ô mon Dieu ». Rien de plus avantageux, ni de plus sûr. Tu voulais prendre je ne sais qui pour modèle, et tu ne l’as point trouvé bon ; ne pense plus à l’imiter. Tu en as cherché un second, et je ne sais quoi te déplaît en lui ; tu en cherches lin troisième qui ne te plaît pas davantage ; faut-il que tu périsses, parce que ni l’un ni l’autre ne te plaisent ? Cesse d’espérer dans un homme, car « maudit celui qui a mis dans un homme son espoir[514] ». Vouloir t’appuyer sur un homme, l’imiter, en dépendre, c’est ne vouloir que du lait pour nourriture ; c’est ressembler à des enfants qui veulent toujours la mamelle, alors même qu’il n’est plus convenable. Prendre du lait, vouloir que la nourriture ne nous arrive que par le canal de la chair, c’est là vouloir vivre par un homme. Sois donc en état de manger à table, de prendre cette nourriture qu’il prend, ou que peut-être il n’a jamais prise. Il est peut-être utile pour toi de n’avoir trouvé qu’un mauvais homme dans celui que tu croyais homme de bien, de n’avoir sucé dans cette mamelle que tu cherchais comme celle de ta mère, qu’une amertume qui t’en a repoussé, afin que cette déception te fît chercher une plus solide nourriture. C’est ce que font tous les jours les nourrices pour les enfants difficiles à sevrer ; elles mettent sur leurs mamelles quelque chose d’amer, afin que ces enfants, repoussés par le dégoût, quittent la mamelle et recherchent la table. Disons donc : « C’est « en vous, Seigneur, que j’ai mis mon espoir ; « j’ai dit : Vous êtes mon Dieu u. C’est vous, qui êtes mon Dieu ; arrière Donat ! arrière Cécilien, ni l’un ni l’autre n’est mon Dieu, Ce n’est pas au nom d’un homme que je vis, c’est au nom de Jésus-Christ que je m’attache. Écoute ce que dit saint Paul : « Est-ce que c’est Paul qui a été crucifié pour vous, ou bien est-ce au nom de Paul que vous êtes baptisés ? »[515]. Je périrais si j’étais du parti de Paul, comment ne pas périr si je suis du parti de Donat ! Arrière donc les noms des hommes, les crimes des hommes, les rêveries des hommes ! « C’est en vous, Seigneur, que j’ai mis mon espoir ; j’ai dit : C’est vous qui êtes mon Dieu. Ce n’est point un homme, quel qu’il soit ; c’est vous qui êtes mon Dieu. L’un avance, l’autre meurt ; pour Dieu, il n’y a ni mort ni progrès ; il n’y a nul progrès puisqu’il est parfait, comme nulle mort puisqu’il est éternel. « J’ai dit au Seigneur : C’est vous qui êtes mon Dieu ».
13. « Mon sort est entre vos mains »[516]. Non pas entre les mains des hommes, mais entre vos mains. Quel est mon sort ? Pourquoi l’appeler sort ? Le nom de sort ne doit point vous faire croire à des sortilèges. Le sort n’a rien de mauvais, mais dans le doute il indique aux hommes la volonté de Dieu. Les Apôtres eux-mêmes jetèrent le sort pour choisir un successeur à ce Judas qui périt après avoir trahi le Sauveur, ainsi qu’il était écrit de lui : « Il s’en est allé à sa place » : le suffrage des hommes en avait choisi deux, et l’un de ces deux fut choisi par le jugement de Dieu. Car il fut consulté pour savoir lequel des deux il voulait pour apôtre, et le sort tomba sur Matthias »[517]. Qu’est-ce donc : « Mon sort est entre vos mains ? » Autant que j’en puis juger, il appelle sort, la grâce par laquelle nous sommes sauvés. Pourquoi donner le nom de sort à la grâce de Dieu ? Parce que, dans le sort, il n’y a point de choix, mais la volonté de Dieu. Dire en effet : Celui-ci a fait le pacte, cet autre non, c’est considérer les mérites ; et quand on pèse lus mérites, il y a un choix, et non plus un sort : et lorsque Dieu ne trouve en nous aucun mérite, il nous, sauve par le sort de sa volonté, c’est-à-dire parce qu’il le veut, et son parce que nous en étions dignes, voilà le sort. C’est avec raison que la tunique du Sauveur, tissue de haut en bas[518], symbole de la charité éternelle, et que les bourreaux ne pouvaient partager, fut tirée au sort ; ceux qui l’eurent ainsi sont l’image de ceux qui partagent le sort des saints. « C’est la grâce qui nous sauve au moyen de la foi, et cela ne vient point de vous (c’est bien là le sort), cela ne vient point de vous, mais c’est un don de Dieu. Ce n’est point là le bénéfice de vos œuvres » (comme si vous aviez fait des œuvres capables de vous en rendre dignes), « ce n’est point le bénéfice de vos œuvres, afin que nul ne s’en glorifie. Nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ dans les bonnes œuvres »[519]. Le sort, en ce sens, est comme une secrète volonté de Dieu. C’est donc un sort à l’égard des hommes, un sort qui émane de la secrète volonté de Dieu, en qui n’habite pas l’injustice[520]. Car il ne fait point acception des personnes, mais sa justice cachée est un sort pour vous.
14. Redoublez donc d’attention, mes frères, et voyez comment l’apôtre saint Pierre vient confirmer cette doctrine. Quand Simon le Magicien, baptisé par Philippe, s’attachait à lui sur la foi des miracles opérés en sa présence[521], les Apôtres vinrent à Samarie, où le magicien lui-même avait embrassé la foi et reçu le baptême. Ils imposèrent les mains sur les fidèles nouvellement baptisés, qui reçurent le Saint-Esprit et se mirent à parler diverses langues. Simon fut saisi d’admiration et d’étonnement à la vue de ce miracle qui faisait descendre le Saint-Esprit sur des hommes auxquels d’autres hommes imposaient les mains : il désira, non point cette grâce, mais cette puissance, non ce qui le saurait délivrer, mais ce qui devait satisfaire sa vanité. Absorbé par ce désir, et le cœur plein d’orgueil, d’une impiété diabolique, d’un amour de grandeur qui méritait d’être abattu, il dit aux Apôtres : « Combien faut-il vous donner d’argent pour que le Saint-Esprit descende sur les hommes à qui j’imposerai les mains ? »[522] Cet homme qui ne cherchait que les choses temporelles, qui se tenait seulement autour de l’Église, pensait pouvoir à prix d’argent acheter le don de Dieu. Il crut qu’avec de l’argent il se rendrait maître de l’Esprit-Saint, et que les Apôtres seraient cupides, comme il était lui-même orgueilleux et impie. Mais Pierre lui dit : « Que ton argent périsse avec toi, qui as cru que le don de Dieu se peut acquérir à prix d’argent. Tu n’as ni part ni sort dans cette foi » ; c’est-à-dire, tu n’appartiens pas à cette grâce que nous avons reçue gratuitement, puisque tu as pensé pouvoir avec de l’argent acheter un don qui est gratuit. Et parce qu’il est gratuit, il prend le nom de sort : « Tu n’as ni part ni sort dans cette croyance ». Je me suis étendu quelque peu, afin que cette expression : « Mon sort est entre vos mains », ne vous inspirât aucune terreur. Quel est ce sort ? L’héritage de l’Église. Quelles en sont les bornes ? Les bornes du monde. « Je te donnerai les nations en héritage, et ta possession s’étendra jusqu’aux confins de la terre[523] ». Que l’homme ne vienne donc point m’en promettre je ne sais quelle partie. « Mon sort, ô mon Dieu, est entre vos mains ». Que cela vous suffise aujourd’hui, mes frères ; demain, au nom et avec le secours de Dieu, nous vous expliquerons le reste du psaume.

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 30.[modifier]

TROISIÈME SERMON. – ESPOIR DU JUSTE.[modifier]

Nos ennemis à combattre sont le démon et les chrétiens indignes. Repoussons l’un, séparons-nous des autres. Comment sou devons invoquer Dieu. Confusion des pécheurs. Nécessité de confesser hautement Jésus-Christ. Bonheur que Dieu fait goûter à ceux qui espèrent en lui.


1. Il nous reste un peu plus du tiers de ce psaume sur lequel nous avons déjà parlé deux fois, et je vois néanmoins qu’il faut en finir aujourd’hui. C’est pourquoi je prie de me pardonner, si je ne m’arrête point aux endroits qui sont clairs, afin de nous occuper de ceux qui ont besoin d’explication. Dans beaucoup de passages, le sens se présente naturellement à l’esprit, d’autres ont besoin d’être quelque peu éclaircis, d’autres enfin, quoique peu nombreux, exigent beaucoup d’attention pour être compris. Afin donc de mesurer le temps à vos forces et aux nôtres, voyez et reconnaissez avec nous ces passages qui sont clairs, louez-y Dieu : priez si le psaume est une prière, gémissez quand il gémit, tressaillez s’il est dans l’allégresse, espérez s’il espère, et craignez s’il exprime la crainte. Tout ce qui est écrit ici doit nous servir de miroir.
2. « Délivrez-moi des mains de mes ennemis, et de ceux qui me persécutent[524] ». Faisons nous-mêmes cette prière, et que chacun de nous la fasse à propos de ses ennemis. Il est bon, et nous devons demander à Dieu qu’il nous délivre des mains de ceux qui nous haïssent. Mais faisons bien la part des ennemis. Il faut prier pour les uns, et prier contre les autres. Nous ne devons avoir aucune haine contre ceux qui nous haïssent, quels qu’ils soient ; si tu hais celui qui te fait souffrir, au lieu d’un méchant, il y en a deux. Aimons donc celui-là même qui nous persécute, afin qu’il demeure seul dans sa malice, Les ennemis contre lesquels il nous faut prier, sont le diable et ses anges, qui nous envient le royaume des cieux, qui ne peuvent souffrir que nous occupions ces places d’où ils sont bannis ; demandons que notre âme soit délivrée de leurs mains. Car les hommes deviennent souvent leurs instruments jusque dans la haine qu’ils ont pour eux. Aussi saint Paul, nous avertissant des précautions que nous devons prendre contre ces ennemis, dit ami chrétiens persécutés, et qui devaient endurer, tantôt les soulèvements, tantôt les fourberies, tantôt la haine des hommes : « Vous n’avez pas à combattre contre la chair et le sang, c’est-à-dire contre les hommes, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les princes de ce monde[525] ». De quel monde ? Est-ce du ciel et de la terre ? A Dieu ne plaise ! Il n’y a d’autre prince de ce monde que celui qui l’a créé. De quel monde veut donc parler l’Apôtre ? De ceux qui aiment monde. Aussi a-t-il ajouté comme explication : « Ce que j’appelle monde, ce sont ses ténèbres ». Quelles sont ces ténèbres, sinon les impies et les infidèles ? Et en effet, quand ils ont quitté leur état d’infidélité et d’impiété pour devenir pieux et fidèles, l’Apôtre leur parle ainsi : « Vous n’étiez autrefois que ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur : et vous avez à combattre » leur dit-il, « contre les esprits de malice répandus dans les airs, contre le diable et ses anges »[526]. Vous ne voyez pas vos ennemis et vous les surmontez, « Arrachez-moi, Seigneur, aux mains de mes ennemis et de mes persécuteurs ».
3. « Projetez sur votre serviteur le reflet de votre face, et sauvez-moi dans votre miséricorde »[527]. Nous avons dit hier[528], si toutefois ceux qui ont entendu le discours d’hier s’en souviennent, que les principaux persécuteurs de l’Église sont les chrétiens qui refusent de vivre selon la foi. Ils sont l’opprobre de l’Église et lui font subir la violence de leur haine : qu’on les reprenne, qu’on les empêche de vivre dans le désordre, qu’on leur donne le moindre avertissement, aussitôt ils trament nue vengeance dans leurs cœurs et cherchent l’occasion d’éclater. C’est au milieu de ces chrétiens que gémit le Prophète, ou plutôt nous gémissons nous-mêmes : car ils sont nombreux, et c’est à peine si, dans cette grande foule, on peut discerner quelques fidèles, amine dans l’aire on voit peu de ce bon grain que le van doit séparer de la paille, afin qu’il remplisse les greniers du Seigneur[529]. C’est donc au milieu d’eux qu’il dit en gémissant : « Projetez sur votre serviteur le reflet de votre face ». On regarde volontiers somme un opprobre que tous les chrétiens, et ceux qui vivent saintement, et ceux qui vivent dans le désordre, portent le même nom, soient tous marqués d’un même sceau, s’approchent tous d’un même autel, soient tous purifiés dans un même baptême, redisent tous la même oraison dominicale et assistent tous à la célébration des mêmes mystères. Quand pourra-t-on connaître ceux qui gémissent et ceux pour qui l’on gémit, si Dieu ne projette sur son vrai serviteur le reflet de sa face ? Mais que signifie : « Projetez sur votre serviteur le reflet de votre face ? » Faites voir que je vous appartiens ; et que le chrétien impie ne puisse dire qu’il vous appartient, car alors le psalmiste aurait dit en vain : « Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause de celle d’un peuple impie »[530]. Ces mots : « Séparez ma cause », ont le même sens que : « Projetez sur votre serviteur la lumière de votre face ». Et néanmoins, pour effacer tout orgueil, ou toute volonté de faire valoir sa propre justice, il ajoute ces paroles : « Sauvez-moi dans votre miséricorde » ; c’est-à-dire, non point à cause de ma justice non plus que de mes mérites, mais « par votre miséricorde » ; non que j’en sois digne, mais parce que vous êtes miséricordieux. Ne me traitez point avec la sévérité d’un juge, mais avec votre bonté inépuisable pour le pardon. « Sauvez-moi dans votre miséricorde ».
4. « Seigneur, je ne serai pas confondu, parce que je vous ai invoqué »[531]. Le Prophète nous donne la grande raison pour laquelle il ne sera point confondu, « c’est qu’il vous a invoqué, ô mon Dieu ». Voulez-vous frustrer dans son espoir celui qui vous implore ? Voulez-vous que l’on dise : « Où est « donc ce Dieu, l’objet de son espoir ? » Mais quel est l’homme, fût-il impie, qui n’invoque pas le Seigneur ? Si donc le Prophète ne pouvait dire d’une manière plus spéciale, et qui n’a rien de commun avec les autres : « Je vous ai invoqué », il n’oserait aucunement exiger de son invocation une telle récompense. Car il entendrait dans sa pensée cette réponse que lui ferait le Seigneur en quelque manière : Pourquoi me demander de n’être point confondu ? Pour quelle raison ? Parce que tu m’as invoqué ? Mais chaque jour les hommes ne me prient-ils point, afin de venir à bout des adultères mêmes qu’ils méditent ? Dans leurs invocations, n’osent-ils pas appeler la mort sur ceux dont ils convoitent l’héritage ? Chaque jour encore, ne m’invoquent-ils pas pour mener à bonne fin la fraude qu’ils méditent ? Pourquoi donc baser la grande récompense que tu exiges sur cette parole : « Que je ne sois pas confondu, puisque je vous ai invoqué ? » Ils invoquent à la vérité, répond le Prophète, mais ce n’est pas nous qu’ils invoquent. Tu invoques le Seigneur quand tu l’appelles en toi-même ; car l’invoquer, c’est le supplier de venir en toi, et en quelque sorte dans la maison de ton cœur. Mais inviter un tel père de famille, tu n’oserais le faire, si tu ne savais lui préparer une habitation convenable. Que le Seigneur en effet te réponde et te dise : Sur ton appel, me voici, où entrer ? Puis-je subir toutes les ordures de ta conscience ? Si tu invitais le moindre de mes serviteurs à entrer dans ta maison, n’aurais-tu pas soin d’y mettre d’abord la propreté ? Voilà que tu m’appelles dans ton cœur, et ce cœur est plein de rapines. Ce lieu où tu appelles un Dieu est plein de blasphèmes, plein d’adultères, plein de rapines, plein de fraudes, plein de convoitises honteuses, et c’est là que tu me fais entrer ! Comment le Prophète a-t-il parlé de ces hommes dans un autre psaume ? Ils n’ont point invoqué le Seigneur[532], dit-il ; sans aucun doute, ils l’avaient invoqué, et néanmoins ils ne l’ont pas invoqué. Je réponds en quelques mots à la question qui vient d’être soulevée : pourquoi un homme exige-t-il une si grande récompense, quand il ne peut alléguer uniquement que le mérite « d’avoir invoqué Dieu », et quand nous voyons tant de méchants l’invoquer aussi, telle est la question qu’il est bon de résoudre. Je dis donc un seul mot à l’avare : Tu invoques le Seigneur ? Pourquoi l’invoquer ? Pour qu’il m’enrichisse, répond-il. C’est donc le gain que tu invoques et non le Seigneur. Ces richesses tant convoitées ne se peuvent acquérir ni par ton serviteur, ni par l’intermédiaire de ton fermier, ni de ton client, ni de ton ami, ni de tes domestiques, et alors tu as recours au Seigneur, tu fais du Seigneur l’entremetteur de tes profits. C’est trop avilir Dieu. Veux-tu invoquer le Seigneur ? Invoque-le gratuitement. Est-ce donc peu pour ton avarice que le Seigneur vienne en toi ? Et s’il y vient sans or ni argent, tu ne voudras point de lui ? Dans toutes ces créatures de Dieu, qu’est-ce qui pourra te suffire, si lui-même ne te suffit point ? C’est donc avec raison que le Prophète a dit : « Que je ne sois pas confondu, puisque je vous ai invoqué ». Invoquez le Seigneur, ô mes frères, si vous ne voulez être confondus. Celui qui tient ce langage redoute une certaine contusion, dont il a parlé au premier verset : « J’ai mis en vous mon espoir, ô mon Dieu, je ne serai point confondu pour l’éternité ». Et pour nous bien préciser la confusion qu’il redoute, qu’a-t-il ajouté, après avoir dit : « Que je ne sois point confondu, parce que je vous ai invoqué ? Honte aux impies », dit-il, « et qu’ils soient conduits dans les enfers », qu’ils tombent dans cette confusion qui sera éternelle.
5. « Silence aux lèvres menteuses, qui profèrent l’outrage contre le juste avec orgueil et dédain[533] ». Ce juste, c’est le Christ. De combien de lèvres débordent contre lui l’outrage avec le dédain de l’orgueil ? D’où viennent cet orgueil et ce dédain ? C’est qu’en venant dans son humilité, il a paru méprisable ana orgueilleux. Comment voulez-vous que des hommes qui raffolent des honneurs ne méprisent point celui qui s’est soumis à tant d’outrages ? Comment ne serait-il pas méprisé par ceux qui font si grand cas de la vie, celui qui a voulu mourir ? Comment n’auraient-ils pas du mépris pour un crucifié, ceux qui regardent comme un opprobre la mort de la croix ? Comment des riches n’auraient-ils pas du mépris pour ce créateur du monde, qui mène ici-bas une vie pauvre ? Tout ce quels hommes recherchent passionnément, Jésus-Christ s’en est abstenu, non par impuissance de le posséder, mais afin que son abstention nous en inspirât le mépris : et c’est pour cet qu’il encourt le mépris de tous ceux qui en raffolent. Tout fidèle qui voudra marcher dans les voies du Christ, et imiter ce qu’on lui enseigne de l’humilité de son divin Maître, sert méprisé dans le Christ, parce qu’il est membre du Christ. Il y a donc mépris pour la tête et pour les membres, et par conséquent pour Jésus-Christ tout entier, parce qu’il y a justice et dans le chef et dans les membres. H tant que Jésus-Christ tout entier soit méprisé par les impies et par les superbes, afin que nus paroles soient accomplies à leur sujet : « Silence aux lèvres menteuses, qui, avec le mépris et le dédain, versent l’iniquité sur le juste ». Quand seront-elles réduites an silence ? Ici-bas ? Jamais. Chaque jour elles profèrent des cris contre les chrétiens, principalement contre les humbles ; chaque jour elles aboient l’outrage et le blasphème : ces langues impies attisent ainsi les douleurs de la soif qui doit les consumer dans l’enfer, où elles désireront la moindre goutte d’eau sans l’obtenir[534]. Ce n’est donc pas maintenant que doivent se taire les lèvres des impies. Mais quand ? Quand leurs iniquités s’élèveront contre eux pour les confondre, ainsi qu’il est écrit dans la Sagesse : « Alors les justes se tiendront avec une grande fermeté contre ceux qui les ont tourmentés. Ceux-ci diront à leur tour : Voilà donc ceux que nous avons couverts d’insultes et d’outrages. Les voilà comptés parmi les enfants de Dieu, et leur partage est avec les saints ! Insensés que nous étions, nous regardions leur vie comme une folie »[535]. Alors seront réduites au silence les lèvres de ceux qui, avec le mépris de l’orgueil, profèrent l’outrage contre le juste. Aujourd’hui ils vous disent : Où est votre Dieu ? Qu’est-ce que vous adorez ? Que voyez-vous ? Vous croyez et votas souffrez ; votre peine, voilà ce qui est certain ; mais votre espérance est incertaine. Mais elles se tairont, ces lèvres menteuses, quand nous aurons recueilli ce bien qui est certain, et que nous espérons.
6. Considère alors ce qu’ajoute le Prophète, après avoir imposé silence aux lèvres menteuses qui profèrent avec mépris et dédain l’outrage contre le juste. Celui qui gémit de la sorte a considéré lui-même et ers esprit, de l’œil intérieur il a vu les biens de Dieu, il a vu ces biens qui ne se voient que dans le secret, et que l’impie ne saurait voir. Il a vu dès lors ces impies distiller l’outrage contre le juste avec un orgueilleux dédain, parce qu’ils n’ont des yeux que pour les biens du monde, et nullement pour les biens à venir qu’ils ne savent pas même se figurer en pensée, Mais pour faire apprécier aux hommes les biens à venir, tandis qu’il nous ordonne le tolérer seulement et non d’aimer ceux de cette vie, le voilà qui s’écrie : « Combien est grande, ô mon Dieu, votre douceur ! »[536] Que l’impie me demande ici : Où est donc ce trésor de douceur ? Je lui répondrai : Comment pourrais-je montrer ce trésor de douceur, quand la fièvre de l’iniquité t’a fait perdre le goût ? Si tu ne connaissais le miel, tu n’en vanterais pas la douceur avant de l’avoir goûté. En, ton cœur n’a plus de palais pour goûter ces sortes de biens ; que faire alors ? Comment te les montrer ? Je ne vois personne à qui je puisse dire : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux[537]. Combien est grand, ô mon Dieu, le trésor de douceur que vous avez « caché pour ceux qui vous craignent ! »[538] Qu’est-ce à dire « caché ? » Que vous leur réservez et non que vous refusez, de sorte qu’eux seuls peuvent y arriver ; car c’est un bien qui ne peut être commun aux bons et aux méchants ; et ces premiers y arrivent par la crainte. Tant qu’ils ont la crainte, ils n’y sont point arrivés encore ; mais ils espèrent y arriver, et ils commencent par la crainte. Rien n’est plus doux qu’une sagesse impérissable ; mais le commencement de toute sagesse est la crainte du Seigneur[539]. Et cette sagesse, « vous la réservez à ceux qui vous craignent. »
7. « Vous l’avez fait sentir à ceux qui espèrent en vous, en présence des fils des hommes »[540]. Non point : vous l’avez fait sentir en présence des fils des hommes, mais bien « à ceux qui espèrent en vous en présence des fils des hommes » ; c’est-à-dire, vous avez fait goûter votre douceur à ceux qui espèrent en vous devant les enfants des hommes. C’est en ce sens que le Seigneur a dit : « Celui qui renonce à moi devant les hommes, je le renierai aussi devant mon Père »[541]. Donc si tu espères dans le Seigneur, espère devant les hommes ; ne cache point ton espérance au fond de ton cœur, ne crains pas de confesser que tu es chrétien, même devant ceux qui t’en font un crime. Mais à qui fait-on un crime aujourd’hui d’être chrétien ? Il y a si peu d’hommes qui ne le soient point, qu’il nous sied mieux de leur reprocher de ne l’être pas, qu’à eux de nous reprocher de l’être. J’ose néanmoins vous le dire, mes frères : commence, ô toi qui m’écoutes, commence à vivre en chrétien, et vois si tu n’en recevras pas des reproches, de ces chrétiens qui sont chrétiens de nom seulement, et non par la vie et les mœurs. Personne ne comprend mes paroles, s’il n’en a fait l’expérience. Écoute donc bien mes paroles, et fais-y réflexion. Veux-tu vivre en chrétien ? veux-tu suivre les traces de ton Sauveur ? Que l’on t’en fasse un crime et tu en rougis, et cette fausse honte te fait tout abandonner. Te voilà hors du bon chemin. Il te semble que tu crois de cœur pour être justifié, mais tu as perdu ceci : « Il faut confesser de bouche pour arriver au salut »[542]. Si donc tu veux marcher dans la voie du Seigneur, il faut manifester ton espérance même devant les hommes, c’est-à-dire ne rougir jamais de cette espérance. De même que Dieu vit dans ton cœur, qu’il soit aussi dans ta bouche : car ce n’est point en vain que le Christ a voulu que son signe fût marqué sur notre front, qui est le siège de la pudeur ; c’est afin que le chrétien ne rougisse point des opprobres du Christ. Si donc tu en agis de la sorte en présence des hommes, si devant eux tu ne rougis point du Christ, si devant les fils des hommes tu ne renies le Christ uni par tes œuvres ni par tes paroles, espère que Dieu te fera sentir sa douceur.
8. Quel est le verset suivant ? « Vous les cacherez dans le secret de votre face »[543]. Quel est ce lieu ? Le Prophète ne dit point : Vous les cacherez dans votre ciel ; ni : Vous les cacherez dans votre paradis ; ni : Vous les cacherez dans le sein d’Abraham. Car les saintes Écritures donnent beaucoup de noms à ces lieux que doivent habiter les saints dans la vie future. N’attachons aucun prix à tout ce qui n’est pas Dieu. Qu’il soit lui-même notre habitation, ce Dieu qui veille sur nous, pendant notre habitation en cette vie : c’est en effet le langage que tenait plus haut le psalmiste : « Soyez pour moi un Dieu protecteur et un lieu de refuge »[544]. Donc nous serons cachés dans la face de Dieu. Mais attendriez-vous que je vous expliquasse la retraite qui est dans la face de Dieu ? Purifiez vos cœurs, afin que celui que vous invoquez puisse y entrer et les éclairer. Sois pour lui une demeure ici-bas, et il sera ta demeure éternelle ; qu’il habite en toi, et tu habiteras en lui. Si tu le caches en cette vie en ton cœur, il te cachera dans sa face en l’autre vie. « Vous les cacherez », dit le Prophète, mais où ? « dans le secret de votre face contre le « trouble des hommes ». Il n’y a plus de trouble pour ceux que dérobe cet asile mystérieux ; plus de trouble dans le secret de votre face. Mais dès ici-bas, l’homme qui se voit en butte aux outrages des autres, parce qu’il sert Jésus-Christ, dont le cœur se réfugie en Dieu, mettant ainsi son espoir dans sa douceur, est-il assez heureux, selon vous, pour trouver dans la face du Seigneur un asile contre le trouble des hommes qui l’outragent, et un asile dont il ressente le bonheur ? Il entre en effet dans la face de Dieu, s’il est en état d’y entrer, c’est-à-dire si sa conscience n’est point chargée, si elle n’est point pour lui un fardeau en disproportion avec la porte étroite. « Vous les cacherez donc dans le secret de votre face, contre le trouble des hommes ; vous les protégerez dans votre demeure contre les langues discordantes »[545]. Un jour donc, vous les cacherez dans le secret de votre face contre le trouble des hommes ; afin que nul trouble humain ne puisse désormais les atteindre. Mais jusque-là, pendant que leur pèlerinage en cette vie expose vos serviteurs à des contradictions nombreuses, que ferez-vous pour eux ? « Vous les protégerez dans votre tente ». Quelle est cette tente ? C’est l’Église d’ici-bas, ainsi appelée parce qu’elle est voyageuse sur cette terre. Caria tente est l’abri des soldats en campagne. Telle est la tente à proprement parler, mais la maison n’est pas une tente. C’est à toi de combattre alors que tu n’es qu’un voyageur en campagne, afin qu’après avoir été sous l’abri de la tente, tu aies dans la maison une réception glorieuse. Car le ciel sera éternellement ton palais, si tu vis saintement sous la tente, C’est donc sous votre tente, ô Dieu, que vous leur offrez un abri contre les langues de contradiction. On ne voit que des langues contradictoires, que des hérésies, que des schismes qui dogmatisent, une foule de langues qui contredisent la vraie doctrine : pour toi, va chercher un abri sous la tente du Seigneur, adhère à l’Église catholique sans t’écarter des règles de la vérité, et tu trouveras dans ce tabernacle un abri contre les contradictions des langues.
9. « Béni soit le Seigneur, parce qu’il a signalé sa miséricorde dans la ville qui m’environne »[546]. Quelle est cette ville qui m’environne ? Le peuple de Dieu n’habitait que la Judée, qui paraît être au milieu du monde ; où l’on célébrait les louanges du Seigneur, où on lui offrait des sacrifices : où la prophétie publiait incessamment pour l’avenir les merveilles que nous voyons s’accomplir : ce peuple paraissait donc au milieu des nations. C’est là ce qui fixe l’attention du Prophète, et il voit que l’Église de Dieu sera au milieu des nations, que tous les peuples environnaient le peuple juif assis au milieu d’eux ; il appelle ces peuples divers la cité qui l’environne. Il est vrai, Seigneur, que vous avez fait éclater à Jérusalem votre miséricorde ; c’est là que le Christ a souffert, là qu’il est ressuscité, de là qu’il est monté aux cieux, là qu’il a opéré tant de prodiges : mais vous êtes plus admirable encore d’avoir fait éclater votre miséricorde dans cette ville qui l’environne, c’est-à-dire d’avoir tait tomber votre miséricorde comme une rosée sur toutes les nations, de n’avoir point enfermé dans Jérusalem, comme dans un vase, vos parfums exquis, d’avoir en quelque sorte brisé le vase, pour que le parfum se répandit dans le monde, et qu’ainsi fût accomplie cette parole de l’Écriture : « Votre nom est comme un parfum répandu »[547].C’est ainsi que vous avez fait éclater vos miséricordes dans la cité qui m’environne. Le Christ en effet s’est élevé au ciel, il est assis à la droite de son Père, dix jours après il a envoyé l’Esprit-Saint[548] : et pleins du Saint-Esprit, les disciples se sont mis à prêcher les merveilles du Christ, puis ils ont été lapidés, meurtris, chassés[549]. Bannis en quelque sorte de cette ville unique, ils sont devenus par le feu divin comme des torches ardentes qui ont porté dans la forêt du monde la ferveur du Saint-Esprit, et la lumière de la vérité ; et le Seigneur a fait éclater sa miséricorde dans la cité environnante.
10. « Pour moi, j’ai dit dans mon extase ». Rappelez-vous le titre du psaume : voici l’extase dont il est parlé. Pesez bien les paroles voici ce qu’il dit : « Pour moi, j’ai dit dans mon extase : Me voilà rejeté loin de vos yeux ». J’ai dit dans ma frayeur, c’est là ce que signifie : « J’ai dit dans mon extase ». Il a été dans la stupeur, en face de je ne sais quelle tribulation, comme il y en a tant. Il s’est vu le cœur plein de frayeur et de trouble, et il s’est écrié : « Me voilà rejeté loin de vos yeux ». Si j’étais caché dans votre face, je ne craindrais pas de la sorte ; si vous aviez l’œil sur moi, je ne serais point dans cette frayeur. Mais, comme il est écrit dans un autre psaume : « Quand je disais : Mon pied est ébranlé, votre miséricorde, ô mon Dieu, me soutenait aussitôt ». Et voilà que même ici le Prophète ajoute : « Aussi avez-vous entendu la voix de ma prière ». Parce que j’ai fait un humble aveu, et que j’ai dit : « Me voilà repoussé loin de vos yeux » ; parce que, sans orgueil, j’ai accusé mon propre cœur, et que me sentant chanceler dans l’épreuve, j’ai crié vers vous : voilà que vous avez entendu ma prière ; ainsi s’accomplit ce que j’ai cité de l’autre psaume. Car ces paroles : « J’ai dit dans mon extase : Me voilà rejeté loin de vos yeux », reviennent à celles-ci : « Quand je disais : Mon pied chancelle ». Et celles-ci : « Votre miséricorde, ô mon Dieu, me soutenait », ont le même sens que ces autres : « Vous avez entendu, Seigneur, la voix de ma prière ». Voyez tout cela s’accomplir en saint Pierre ; il voit le Seigneur marchant sur les eaux, et le prend pour un fantôme. Le Seigneur s’écrie : « C’est moi, ne crains rien ». Pierre s’enhardit et répond « Si c’est vous, Seigneur, commandez-moi d’aller à vous sur les eaux »[550] ; par là je verrai si c’est bien vous, si je puis, sur votre parole, faire ce que vous faites. Et le Seigneur : Venez ; et la parole de celui qui ordonne devient la force de celui qui obéit. Venez, dit Jésus, et Pierre descend de la barque ; il commence à marcher, il va sans crainte parce qu’il espère en Jésus : mais au souffle d’un vent violent, la crainte le saisit. « J’ai dit dans mon extase : Me voilà rejeté loin de vos yeux ». Et comme il commençait à enfoncer, il s’écria : Seigneur, je péris. Et Jésus lui tendant la main le souleva en disant : Homme de peu de foi, pourquoi douter ? J’ai dit dans ma frayeur : « Me voilà rejeté loin de vos yeux » ; et quand il va périr dans la mer : « Vous avez, Seigneur, entendu ma voix quand j’en appelais à vous ». Cet appel à Dieu n’est point de la voix, mais du cœur. Beaucoup parlaient du cœur, et dont les lèvres se taisaient, et beaucoup aussi parlaient des lèvres, sans rien obtenir, parce que leur cœur était fort éloigné. Si donc tu veux crier vers Dieu, crie du fond du cœur, puisque c’est là qu’il écoute. Lorsque je criais vers vous, dit le Prophète, vous avez entendu la voix de ma prière.
11. Après en avoir fait une si douce expérience, à quoi nous engage le Prophète ? « Aimez le Seigneur, vous qui êtes ses saints »[551]. Comme s’il nous disait : Croyez-en à mon expérience ; dans l’affliction j’ai invoqué le Seigneur, qui n’a – point frustré mon attente ; j’ai mis en Dieu mon espoir, qui n’a pas été confondu : il a mis la lumière dans mes pensées, et m’a rassuré dans mon trouble. « Aimez le Seigneur, vous qui êtes ses saints » : c’est-à-dire, aimez le Seigneur, vous qui n’aimez pas le monde, ou vous qui êtes ses saints. Dirai-je, en effet, d’aimer le Seigneur à celui qui aime l’amphithéâtre ? Dirai-je d’aimer le Seigneur à celui qui aime et les mimes et les pantomimes, qui est enclin à l’ivrognerie, qui est épris des pompes du siècle, de toutes les vanités, de toutes les folies de l’erreur ? J’aime mieux leur dire : Apprenez à ne pas aimer, afin d’apprendre à aimer ; détournez-vous, afin de vous retourner ; répandez, afin de vous remplir ensuite. « Aimez le Seigneur, ô vous qui êtes ses saints ».
12. « Car le Seigneur recherche la vérité »[552]. Vous le savez, mes frères, on voit aujourd’hui beaucoup d’hommes s’adonner au mal, beaucoup d’autres s’élever dans leur vanité, mais le Seigneur doit rechercher la vérité. « Il rendra au centuple à ceux qui agissent principalement par orgueil ». Supportez-les donc jusqu’à ce que vous les portiez à la tombe, souffrez-les jusqu’à ce que vous en soyez délivrés : car il faut que Dieu recherche la vérité et châtie ceux qui n’agissent que par orgueil. Mais, diras-tu, quand le fera-t-il ? À sa volonté. Sois assuré qu’il le fera, ne doute nullement de sa justice, et quant au moment de l’exercer, ne va pas témérairement donner des conseils à Dieu. Il est certain qu’il recherchera la vérité, qu’il punira ceux qui agissent par excès d’orgueil. Il le fait pour quelques-uns dès cette vie ; nous en avons été témoins, nous avons reconnu sa justice. En effet, quand le Seigneur humilie ceux qui le craignent, et qui ont pu jeter de l’éclat dans les dignités du monde, leur humiliation ne les a point abattus, parce qu’ils n’avaient point banni Dieu de leur cœur ; leur élévation est alors Dieu lui-même. Job paraissait humilié, après avoir essuyé la perte de ses biens, la perte de ses enfants, la perte et des biens qu’il réservait en héritage[553], et de ceux qui devaient en hériter ; il demeure sans héritage, et ce qui est plus triste, sans héritier ; il demeura seul avec son Épouse, qui était pour lui non plus une consolatrice, mais plutôt un instrument du diable[554] : il paraissait humilié ; voyez s’il était misérable, et s’il n’était point caché dans la face de Dieu. « Je suis sorti nu du sein de ma mère », s’écria-t-il, « et nu je retournerai dans « la terre : le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur, ainsi a-t-il été fait : que le nom du Seigneur soit béni »[555]. C’est la perle de la louange offerte à Dieu, et quelle en est la source ? Voyez, l’extérieur est pauvre, et à l’intérieur il y a des trésors. Cette perle des louanges de Dieu sortirait-elle de sa bouche, s’il n’avait un trésor enfoui dans son cœur ? Vous qui soupirez après les richesses, ce sont là les trésors qu’il vous faut convoiter, et que vous ne perdrez point dans un naufrage. Quand ces hommes sont humiliés, gardez-vous de les croire malheureux. Ce serait une erreur, car vous ne connaissez point leurs richesses intérieures. Frivoles amateurs du monde, vous les jugez d’après volas-mêmes ; en perdant ces biens, vous ne trouvez plus que la misère, Gardez-vous de les juger ainsi, ils ont en eux-mêmes une source de joie. Leur maître habite en eux, il est leur pasteur, il les console intérieurement. Une chute n’est vraiment déplorable que pour ceux qui mettent leur espérance dans cette vie. Ôtez-leur ce qui brille au-dehors, il ne leur reste que la fumée d’une mauvaise conscience. Ils n’ont plus rien qui les puisse consoler, rien par où se répandre au-dehors, rien par où ils puissent rentrer en eux-mêmes, sans gloire mondaine, sans aucun don spirituel, ils sont dans un déplorable dénuement. C’est ainsi que Dieu en traite beaucoup dès ce monde, mais pas tous. S’il n’en traitait aucun, la divine Providence semblerait s’endormir, et s’il les châtiait tous, la patience divine disparaîtrait. Mais toi, ô chrétien, tu as appris à souffrir, et non à te venger. Voudrais-tu donc te venger, ô chrétien, quand le Christ n’est point encore vengé ? Quelle injure as-tu endurée qu’il n’ait point dû essuyer ? N’a-t-il pas le premier souffert pour toi, lui qui ne méritait pas de souffrir ? La tribulation est pour toi comme le creuset pour l’or ; si toutefois tu es de l’or et non point de la paille, ce feu alors te fortifiera sans te réduire en cendres.
13. « Aimez le Seigneur, vous qui êtes ses saints, parce que le Seigneur recherche la vérité et doit châtier ceux qui se livrent à l’orgueil ». Mais quand les châtier ? Si du moins il les châtiait de nos jours ! si je les voyais aujourd’hui humiliés, renversés dans la poussière ! Écoutez ce qui suit : « Agissez en hommes », ne laissez pas vos mains s’abattre dans la tribulation, ni vos genoux s’affaisser. « Agissez en hommes, et que votre cœur soit inébranlable ». Ayez donc le cœur, la force d’endurer et de souffrir tous les maux de cette vie. Mais à qui le Prophète adresse-t-il ces paroles : « Agissez en hommes et que votre cœur soit inébranlable ? » Est-ce aux hommes épris du monde ? Pas du tout. Mais écoutez quels sont ceux qu’il encourage : « Vous tous qui espérez dans le Seigneur ».

  1. Mt. 28,1
  2. Rom. 6,9
  3. Id. 6
  4. Ps. 21,2
  5. Id. 118,155
  6. Id. 21,3
  7. Gen. 3
  8. Ps. 21,5
  9. Id. 6
  10. Id. 5
  11. Jn. 9,28
  12. Ps. 21,8
  13. Id. 9
  14. Id. 10
  15. Id. 11
  16. Id. 12
  17. Id. 13
  18. Ps. 21,14
  19. Jn. 19,26
  20. Ps. 21,15
  21. Id.
  22. Id. 16
  23. Id. 17
  24. Id. 18
  25. Id. 19
  26. Ps. 21,20
  27. Id. 21
  28. Id. 22
  29. Id. 23
  30. Id. 24
  31. Id. 25
  32. Id. 26
  33. Ps. 21,27
  34. Id. 28
  35. Id. 29
  36. Id. 31
  37. Id. 32
  38. Ps. 21,32
  39. 1 Pi. 3,18
  40. Rom. 6,9
  41. Jer. 9,1
  42. Mt. 26,7
  43. 2 Cor. 2,14
  44. Mt. 26,8
  45. Id. 10
  46. Id. 13
  47. Jn. 13,23
  48. Eph. 1,23
  49. 1 Pi. 2,23
  50. Ps. 21,4
  51. Mt. 26,39
  52. Id. 10,25
  53. Phil. 1,23
  54. 2 Cor. 12,9
  55. Ps. 21,4
  56. Job. 1,11
  57. Mt. 8,31
  58. Ps. 21,5
  59. Exod. 12,51
  60. Dan. 3
  61. Id. 14
  62. Ps. 21,7
  63. Jn. 1,1
  64. Ps. 21,7
  65. Job. 1,11
  66. Id. 42,11
  67. Mt. 28
  68. Ps. 21,8-9
  69. Ps. 21,10
  70. Id. 11
  71. Id. 12
  72. Id. 13
  73. Id. 14
  74. Jn. 19,6
  75. Ps. 21,15
  76. Mt. 11,6
  77. Mt. 27,51
  78. Ps. 21,16
  79. Id. 17
  80. Jn. 20,25-28
  81. Ps. 21,18
  82. Id. 19
  83. Jn. 19,27
  84. Gen. 8,11
  85. Ps. 21,20
  86. Id. 21
  87. Id. 22
  88. 1 Pi. 5,8
  89. Ps. 21,23
  90. Id. 24
  91. Id. 25
  92. Ps. 21,2
  93. Id. 25
  94. Id. 26
  95. Ps. 18,7
  96. Ps. 21,26
  97. Ps. 21,27
  98. Mt. 4,18
  99. Id. 9,9
  100. Id. 9,9
  101. Ps. 21,30
  102. Ps. 2,7
  103. 1 Cor. 3,7
  104. Mt. 24,23
  105. Ps. 112,1
  106. Mt. 12,30
  107. Ps. 22,1
  108. Id. 2
  109. Id. 3
  110. Ps. 22,4
  111. Id. 5
  112. 1 Cor. 3,2
  113. Ps. 22,5
  114. Ps. 22,6
  115. Id. 2
  116. Id. 4
  117. Ps. 23,6
  118. Id. 7
  119. Id. 8
  120. Jn. 16,33
  121. Ps. 23,8
  122. Id. 9
  123. 2 R. 18,10
  124. Rom. 8,34
  125. Eph. 2,2
  126. Ps. 23,10
  127. Rom. 8,38-39
  128. Ps. 118,9
  129. 1 Cor. 1,31
  130. Ps. 24,1
  131. Id. 2
  132. Ps. 24,2
  133. Ps. 24,3
  134. Id. 4
  135. Mt. 7,13-14
  136. Ps. 24,5
  137. Gen. 3,13
  138. Lc. 15,17
  139. Ps. 24,6
  140. Id. 7
  141. Id. 8
  142. Ps. 24,9
  143. Mt. 11,30
  144. Ps. 24,10
  145. Id. 11
  146. Ps. 24,12
  147. Id. 13
  148. Id. 14
  149. Id. 15
  150. Id. 16
  151. Id. 17
  152. Mt. 10,22
  153. Ps. 24,18
  154. Id. 19
  155. Id. 20
  156. Id. 21
  157. Id. 22
  158. Ps. 25,1
  159. Id.
  160. Id. 2
  161. Id. 3
  162. Id. 4
  163. Ps. 25,5
  164. Id. 6
  165. Id. 7
  166. Id. 8
  167. Id. 9
  168. Id. 10
  169. 1Ti. 6,5
  170. Psa. 25,11
  171. Psa. 25,12
  172. Eph. 4,21-22
  173. Eph. 4,5
  174. Eph. 4,26
  175. Jn. 3,15
  176. Id. 2,9
  177. Lc. 8,23
  178. Id. 24
  179. Isa. 40,8
  180. Eph. 4,26-27
  181. Id. 28
  182. 1 R. 19,10
  183. Ps. 25,9
  184. Id. 1
  185. Ps. 42,1
  186. Ps. 25,1
  187. Id. 2
  188. Id. 18,7
  189. Lc. 12,49
  190. Ps. 25,3
  191. Gal. 6,4
  192. Ps. 25,4
  193. Id. 5
  194. Id. 6
  195. Ps. 25,7
  196. Mt. 13,9
  197. Eph. 5,8
  198. Jn. 1,9
  199. 1 Cor. 4,7
  200. Ps. 25,8
  201. 1 Cor. 1,31
  202. Rom. 1,23
  203. Isa. 25,9
  204. Id. 10
  205. Jn. 12,6
  206. Ps. 25,11-12
  207. Ps. 25,1
  208. Id. 22
  209. Ps. 26,1
  210. Id. 2
  211. Id.
  212. Id.
  213. Id. 4
  214. Ps. 26,1
  215. Id. 5
  216. Rom. 10,10
  217. Id.
  218. Ps. 26,6
  219. Rom. 8,10
  220. Ps. 25,6
  221. Ps. 26,7
  222. Id. 8
  223. Id. 9
  224. Id.
  225. Id. 10
  226. Id. 11
  227. Ps. 26,12
  228. Id. 13
  229. Sag. 1,11
  230. Ps. 26,14
  231. Gen. 3,9
  232. Ps. 26,1
  233. 1 Sa. 16,13
  234. Rom. 8,31
  235. Ps. 26,2
  236. Ps. 26,4
  237. Ps. 25,3
  238. Job. 1
  239. Lc. 22,31
  240. Ps. 26,4
  241. Ps. 83,5
  242. Id. 101,28
  243. Rom. 1,24
  244. 2 Cor. 12,8-9
  245. Ps. 26,4
  246. Id. 5,5
  247. Jn. 3,13
  248. Ps. 26,5
  249. 2 Cor. 5,6
  250. Mt. 6,13
  251. Rom. 5,6
  252. Ps. 26,5
  253. Héb. 11,3
  254. Col. 3,3
  255. 1 Cor. 10,4
  256. Act. 9,4
  257. Mt. 28,20
  258. Ps. 26,6
  259. 1 Cor. 15,54
  260. Ps. 26,7
  261. Id. 7
  262. Id. 8
  263. Jn. 1,5
  264. Mt. 5,8
  265. Ps. 26,9
  266. Ps. 26,2
  267. Id. 9
  268. Ps. 70,11
  269. Id. 26,9
  270. Id. 32,15
  271. Mt. 19,22
  272. Ps. 21,5
  273. Id. 10
  274. Jn. 8,44
  275. Eph. 2,2
  276. Eph. 5,8
  277. Jn. 14,6
  278. Prov. 31,26
  279. Ps. 26,11
  280. Ps. 83,8
  281. Id. 26,12
  282. Job. 9,24
  283. Ps. 26,12
  284. Ps. 26,13
  285. Sir. 2,16
  286. Gal. 3,28
  287. Mt. 11,20
  288. Ps. 28,1
  289. Id. 2
  290. Id. 3
  291. Jn. 3,2
  292. Ps. 27,4
  293. Id. 5
  294. Id. 6
  295. Id. 7
  296. Ps. 27,8
  297. Rom. 10,3
  298. Ps. 27,9
  299. Id. 2,8
  300. Ps. 27,9
  301. Ps. 28,1
  302. Id.
  303. Id. 2
  304. Ps. 28,3
  305. Id. 4
  306. Id. 5
  307. 1 Cor. 1,28
  308. Ps. 28,6
  309. Rom. 10,3
  310. Ps. 28,7
  311. Jn. 7,12
  312. Ps. 28,8
  313. Ps. 28,8
  314. Eph. 2,12
  315. Ps. 28,9
  316. Id. 10
  317. Gen. 7
  318. Ps. 28,11
  319. Jn. 14,27
  320. Ps. 29,1
  321. Ps. 29,2
  322. Id. 3
  323. Id. 4
  324. Id. 5
  325. Id. 6
  326. Ps. 29,7
  327. Id. 8
  328. Id. 9
  329. Id. 10
  330. Id.
  331. Id. 11
  332. Id. 15,10
  333. Id. 29,12
  334. Id.
  335. Id. 13
  336. 1 Cor. 15,28
  337. Ps. 29,1
  338. Eph. 6,12
  339. Mc. 1,35-38
  340. Jn. 1,1-5
  341. Id. 14
  342. Rom. 8,34
  343. 1 Tim. 2,5
  344. Lc. 3,6
  345. Eph. 6,12
  346. Ps. 44,8
  347. Mt. 11,11
  348. Mc. 1,7
  349. Ps. 31,9
  350. Jn. 1,14
  351. Lc. 24,39
  352. Mt. 26,68
  353. Id. 27,42
  354. Ps. 29,1
  355. Jug. 10,7 ; 13,1
  356. Job. 1,12
  357. Jn. 19,10-11
  358. Job. 1,21
  359. Id. 2,9
  360. Gen. 3,4
  361. Job. 2,10
  362. Job. 1,9-11
  363. Sag. 5,1.8-9
  364. Mt. 13,26
  365. Eccl. 1,18
  366. 2 Tim. 3,12-13
  367. Ps. 26,14
  368. Job. 7,1
  369. 1 Cor. 3,11
  370. Id. 13
  371. Id. 14,15
  372. Ps. 29,2
  373. Id. 3
  374. Mt. 26,39
  375. 1 Cor. 15,54
  376. Ps. 29,4
  377. Ps. 29,5
  378. Id. 6
  379. Gen. 2,17
  380. Ps. 29,5
  381. Gen. 3,8
  382. Mt. 28,1
  383. Ps. 29,7
  384. Gen. 3,4-5
  385. Ps. 29,8
  386. Gen. 3,23
  387. Id. 9
  388. Jac. 4,6
  389. Ps. 29,10
  390. Ps. 29,11
  391. Id. 12
  392. Mt. 25,32
  393. Ps. 34,3
  394. Ps. 30,1
  395. Id. 2
  396. Id. 3
  397. Id. 4
  398. Ps. 30,4
  399. Id. 5
  400. Id. 6
  401. Id. 7
  402. Id. 5
  403. Id. 9
  404. Ps. 30,10
  405. Id. 2
  406. Id. 12
  407. Ps. 30,13
  408. Id. 14
  409. Id. 15
  410. Id. 16
  411. Jn. 19,24
  412. Ps. 30,16
  413. Id. 17
  414. Id. 18
  415. Id. 19
  416. Ps. 30,20
  417. Id. 21
  418. Ps. 30,22
  419. Id. 23
  420. Id. 24
  421. 1 Pi. 4,18
  422. Ps. 30,25
  423. Ps. 30,1
  424. Rom. 10,4
  425. 2 Cor. 5,13
  426. Phil. 2,6
  427. 2 Cor. 12,2
  428. Mt. 26,38
  429. Eph. 5,23
  430. Act. 9,4
  431. Jn. 21,18
  432. Ps. 30,2
  433. Mt. 19,5-6 ; Eph. 5,31-32
  434. Isa. 61,10
  435. 1 Cor. 12,12
  436. Jn. 15,5
  437. Rom. 6,21
  438. Sag. 4,20
  439. Mt. 25,41
  440. Ps. 30,2
  441. Rom. 4,5
  442. Id. 11,32
  443. Id. 10,2
  444. Id. 3
  445. Id. 23
  446. Rom. 7,22-25
  447. Ps. 30,3
  448. Jn. 8,6
  449. Gen. 3,19
  450. Ps. 30,3
  451. Ps. 38,7-8
  452. Lc. 10,30
  453. Jn. 8,48
  454. Ps. 30,4
  455. Ps. 30,5
  456. Id. 2
  457. Mt. 4,4.9-6
  458. Lc. 4,13
  459. Ps. 117,13
  460. Lc. 5,7
  461. Mt. 21,38-42
  462. Ps. 30,5
  463. Id. 6
  464. Lc. 23,46 ; Jn. 19,30
  465. Ps. 21,17-19
  466. Id. 2
  467. Isa. 11,6
  468. Ps. 30,8
  469. 2 Cor. 5,1-4
  470. Rom. 7,23
  471. Id. 10,3
  472. Ps. 30,9
  473. Id.
  474. Mt. 7,14
  475. Ps. 30,10-11
  476. Ps. 30,8-9
  477. 1 Cor. 12,26
  478. Ps. 30,10
  479. Mt. 24,12
  480. Ps. 39,6
  481. Lc. 5,6
  482. Mt. 24,13
  483. Ps. 68,10
  484. Id. 118,53
  485. Id. 158
  486. Eph. 4,28
  487. Mt. 7,3
  488. Jn. 2,11
  489. Ps. 30,11
  490. 1 Thes. 3,8
  491. Phil. 1,23-24
  492. Act. 2,13
  493. Mt. 16,18
  494. Ps. 30,11
  495. Mt. 24,12
  496. Ps. 37,10
  497. Ez. 15,2
  498. 2 Pi. 2,20-21
  499. Id. 22
  500. 1 R. 19,10 ; Rom. 11,3
  501. Ps. 30,12
  502. Ps. 2,8
  503. Id. 21,28
  504. Gen. 21,2
  505. Id. 20,3
  506. Jn. 19,17
  507. Gen. 21,16-18
  508. Jn. 2,19
  509. Ps. 30,13
  510. Id.
  511. Id. 14
  512. Id. 82,14
  513. Id. 11,9
  514. Jer. 17,5
  515. 1 Cor. 1,13
  516. Ps. 30,16
  517. Act. 1,26
  518. Jn. 19,23
  519. Eph. 2,8-10
  520. Rom. 9,14
  521. Act. 8,13 ss
  522. Id.
  523. Ps. 2,8
  524. Ps. 30,16
  525. Eph. 6,12
  526. Eph. 5,8 ; 6,12
  527. Ps. 30,17
  528. Sermon précédent n. 2 et suiv
  529. Mt. 3,12
  530. Ps. 42,1
  531. Id. 30,18
  532. Ps. 13,5 ; 52,6
  533. Ps. 30,19
  534. Lc. 16,24
  535. Sag. 5,1-5
  536. Ps. 30,20
  537. Id. 33,9
  538. Ps. 30,20
  539. Prov. 1,7 ; Ps. 110,10
  540. Ps. 30,20
  541. Mt. 10,33
  542. Rom. 10,10
  543. Ps. 30,21
  544. Id. 3
  545. Ps. 30,21
  546. Id. 22
  547. Cant. 1,2
  548. Act. 1,9
  549. Id. 8,1
  550. Mt. 14,26-32
  551. Ps. 30,24
  552. Ps. 30,24
  553. Job. 1
  554. Id. 2,3
  555. Id. 1,21