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Dollard des Ormeaux et ses compagnons/Texte entier

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Le Comité du Monument Dollard des Ormeaux (p. -tdm).



DOLLARD
DES
ORMEAUX




La maquette du monument par Alfred Laliberté


Le comité du monument Dollard des Ormeaux :

Jean-Baptiste Lagacé, président
Émile Vaillancourt, secrétaire
Montarville Boucher de la Bruère, trésorier
J.-C. Walsh
V.-E. Beaupré
Georges-Hermyle Baril



          DOLLARD
                                              DESORMEAUX
ET SES COMPAGNONS


⚜ ⚜ ⚜

NOTES ET DOCUMENTS
PAR
E.-Z. MASSICOTTE
CONSERVATEUR DES ARCHIVES JUDICIAIRES DE MONTRÉAL

AVEC UNE INTRODUCTION

PAR
ÆGIDIUS FAUTEUX
BIBLIOTHÉCAIRE DE SAINT-SULPICE

⚜ ⚜ ⚜

MONTRÉAL
Le comité du Monument Dollard des Ormeaux
mcmxx


droits réservés
Canada, 1920



justification du tirage



Il a été tiré de cet ouvrage :
 Cent exemplaires (réservés) sur papier couché teinté, numérotés à la presse de 1 à 100 et autographiés par le président et le secrétaire du comité.
 Trois cents exemplaires sur papier façon vélin.

Introduction


Notre histoire ne le cède à celle d’aucun autre pays en traits de valeur ou en actions éclatantes. Pour rivaliser avec les plus glorieuses, il ne lui manque que d’être mieux connue.

Lorsque des historiens ou des poètes aux accents plus puissants auront enfin fait retentir au delà des bornes de notre territoire les magnifiques exploits der paladins de la Nouvelle-France, les peuples ravis confesseront volontiers qu’il n’y a pas d’épopée plus belle, plus haute et plus sublime que celle de nos temps héroïques.

Or, parmi les grands faits d’armes dont s’enorgueillissent les annales canadiennes il en est un qui domine tous les autres par la beauté du geste et par l’importance du résultat. C’est le sacrifice de Dollard et de ses seize compagnons que la piété du Canada français s’apprête à célébrer incessamment.

À cette occasion, il nous semble qu’il n’est pas sans intérêt de rechercher quelle est l’histoire vraie du combat du Long-Sault et l’on nous permettra sans doute de nous y arrêter quelques instants.

De cet événement d’importance capitale nous n’avons à proprement parler que deux récits absolument contemporains, celui de l’auteur anonyme de la Relation de 1659-1660 et celui du Père Chaumonot reproduit par la mère Marie de l’Incarnation dans sa lettre du 25 juin 1660.

Voilà toutes nos sources d’information directe, à l’exception d’une brève entrée de quatre lignes dans le Journal des Jésuites, et surtout de l’acte de sépulture des dix-sept combattants consigné au registre de Ville-Marie, acte sans lequel nous ne connaîtrions pas les noms aujourd’hui glorieux des sauveurs de la Nouvelle-France, mais qui ne nous apprend pour ainsi dire rien sur la bataille elle-même et sur ses péripéties.

À ces sources, cependant, il convient d’ajouter les témoignages à peu près contemporains de M. Dollier de Casson dans son Histoire du Montréal et de M. François Vachon de Belmont dans son Histoire du Canada.

Ces deux sulpiciens, arrivés au pays, le premier en 1666 et le second vers 1680, ont vécu assez près des événements qu’ils racontent pour en parler avec l’autorité nécessaire ; ils ont connu, sinon les acteurs mêmes du drame, du moins leurs parents et leurs amis.

Ces quatre récits synoptiques présentent dans le détail d’assez nombreuses divergences. Aucun ne s’accorde par exemple quant à la durée du combat, quant à l’étendue de la défection du contingent sauvage et quant au nombre des prisonniers restés aux mains de l’ennemi. Ainsi, s’il faut en croire le P. Chaumonot, quatorze sauvages seraient restés fidèles jusqu’au bout à Dollard et à ses compagnons, tandis que la Relation de 1659-1660 laisse entendre et M. Dollier de Casson dit expressément, que seuls les 17 Français, Anontaha et les 4 Algonquins ont mérité l’honneur du complet sacrifice. D’après le P. Chaumonot, quatre Français et 4 Hurons auraient été faits captifs par les Iroquois et ensuite brûlés. L’auteur de la Relation de son côté parle de 5 Français et de 4 Hurons prisonniers. Enfin M. Dollier de Casson nous apprend que les bourreaux iroquois durent se contenter d’une seule victime, tous les autres combattants ayant été heureusement sauvés par la mort de la torture et du bûcher. Et nous ne parlons pas des diverses péripéties de la lutte qui varient considérablement de l’un à l’autre annaliste.

Toutes ces divergences cependant, s’expliquent aisément. Le combat du Long-Sault s’est passé en plein pays sauvage et aucun rien est revenu de ceux qui auraient pu en fournir un rapport absolument fiable.

La première nouvelle en fut apporté à Ville-Marie le 3 juin par un Huron nommé Louis, qui avait réussi à s’échapper des mains des Iroquois. Ce Huron, qui était sans doute de ceux amenés de Québec par Anontaha, n’eut rien de plus pressé que de regagner sa mission après une aussi terrible aventure et c’est de lui que le P. Chaumonot tient le récit qui nous a été conservé par la Mère de l’Incarnation. Comment se fait-il que le Père Lalemant, l’auteur présumé de la Relation de 1659-1660, nous ait laissé du même événement un récit si différent alors qu’il écrivait dans le même temps que le Père Chaumonot, et pour ainsi, dire tout près de lui ? Cela, au premier abord, paraît assez singulier. L’un et l’autre, sous l’émotion de la première nouvelle, se sont empressés de consigner par écrit le récit du désastre, tel qu’ils le recevaient de bouches différentes, impuissants qu’ils étaient d’ailleurs à en contrôler l’exactitude. Il est évident que l’informateur du Père Lalemant est autre que celui du Père Chaumonot. Peut-être était-ce cette fois l’un des quatre sauvages qui accompagnèrent Mme d’Ailleboust de Ville-Marie à Québec en août 1660.

M. l’abbé Faillon, qui, en se basant sur les sources originales, a fait du combat du Long-Sault le récit le plus vivant et le plus complet qu’il sera probablement jamais possible d’attendre, parait avoir accepté les versions de M. Dollier de Casson et de M. de Belmont presque partout où elles ne concordaient pas avec celles des deux missionnaires jésuites. Nous ne croyons pas que le savant sulpicien ait été animé en cria par le moindre esprit de partialité envers des confrères. Patient chercheur et passé maître en cette science critique que ne connaissaient pas et que n’auraient d’ailleurs pas pu appliquer les annalistes contemporains, il a pesé un à un tous les faits et de récits parfois contradictoires il est parvenu à dégager ce qui nous paraît être le plus pris de l’exacte vérité.

Il ne faut pas s’étonner que les relations les moins fidèles soient celles qui ont été écrites au lendemain même du combat du Long-Sault. Les Hurons rescapés qui en ont fourni la matière n’avaient qu’un pouvoir d’expression bien rudimentaire, et comme il paraît assez qu’ils se découvrirent à la fin de ceux qui s’enfuirent et non de ceux qui restèrent, l’on comprend qu’ils aient coloré quelque peu différemment leurs rapports.

M. Dollier de Casson et M. de Belmont ont écrit dix et vingt ans après le drame, mais M. Dollier de Casson surtout, qui est le plus proche et dont le récit est beaucoup plus circonstancié que celui de M. de Belmont, a eu l’avantage de ne pas recueillir seulement des rumeurs. Pendant le temps qui s’était écoulé depuis la mort de Dollard et de ses seize compagnons, on avait pu démêler peu à peu, et dans la mesure du possible, ce qu’il pouvait y avoir d’exagéré ou d’inexact dans les premiers récits de sauvages fort sujets à caution. Une tradition solide avait eu la chance de se former et l’historien du Montréal venait à propos pour la recueillir alors qu’elle était encore dans toute sa force vivante.

Il est temps cependant de noter que les quatre récits dont nous venons de parler s’accordent sur tous les points essentiels ou principaux. Nous pouvons et nous devons regretter de n’être pas renseignés de façon plus complète et plus sûre sur chacune des péripéties qui ont marqué le sacrifice de Dollard et de ses compagnons, car rien de ce qui touche à cet exploit sublime d’où dépendit le sort de notre race française en Amérique ne saurait nous être indifférent, mais cela ne diminue en rien leur héroïsme qu’ils aient lutté huit jours au lieu de dix, ou vingt contre sept cents au lieu de tente.

Ce que nous savons d’une façon indiscutable et parfaitement historique, c’est que, il y a aujourd’hui 260 ans, vers la fin d’avril 1660, dix-sept jeunes Français, âgés pour la plupart de 20 à 30 ans, ayant à leur tête, comme le plus vaillant, Adam Dollard, sieur des Ormeaux, entreprirent courageusement de barrer la route à la horde iroquoise menaçant Ville-Marie et jurèrent d’y réussir ou d’y perdre leur vie ; que cette petite troupe, acceptant à la dernière heure l’appui problématique d’une quarantaine de Sauvages que leur courage avait d’abord enflammés, s’engagèrent résolument sur la route de la victoire ou de la mort après s’être muni du pain des forts et après avoir jeté à leurs parents et amis au dernier tournant, un suprême adieu mille fois plus émouvant que le "morituri te salutant" des gladiateurs antiques ; que, une fois à leur poste de combat, ces braves enfermés dans un misérable fort de pieux luttèrent sans repos et sans trêve pendant plusieurs jours contre un ennemi quarante fois supérieur en nombre, ne se laissant abattre ni par la lâche défection de la plupart de leurs alliés d’occasion ni par leurs propres souffrances ; qu’ils moururent enfin jusqu’au dernier, l’épée ou le mousquet à la main, après avoir vendu si chèrement leur vie que leurs vainqueurs effrayés du nombre de leurs morts s’en retournèrent dans leurs pays pour ne plus reparaître. Voilà ce que nous savons, et c’est assez pour couvrir cette poignée de héros d’une gloire immortelle.

Personne toutefois n’a été sans remarquer avec quelle extrême simplicité les annalistes jésuites racontent cette héroïque aventure. Tandis que nous nous sentons transportés d’admiration devant un aussi admirable fait d’armes, ils en parlent presque froidement. Point d’épithètes laudatives et nulle trace de lyrisme.

Il ne leur parait pas nécessaire d’enterrer ces dix-sept morts dans le linceul des phrases, car ils se rendent bien compte que les simples faits, dans leur éloquente sécheresse, leur sont un témoignage assez glorieux. Chacun de leur côté ils n’ont entendu dresser que le procès verbal d’un grand devoir accompli et d’un éminent service rendu.

C’est que l’héroïsme, si rare aujourd’hui, était pour ainsi dire la monnaie courante en ces temps primitifs de notre colonie.

Aux 370 et quelques habitants qui composaient alors le bourg de Ville-Marie, le sacrifice de Dollard et de ses compagnons devait presque paraître une action ordinaire. Les femmes elles-mêmes étaient habituées à voir la mort de près et souvent on les vit faire le coup de feu contre l’Iroquois en s’exposant au plus imminent danger.

Quant aux hommes, ils s’appelaient Maisonneuve, Charles Le Moyne, Lambert Closse et Zacharie Dupuis, et il n’y en avait peut-être pas un qui n’eût à maintes reprises risqué sa vie pour le salut de la bourgade.

Rappelons-nous le beau témoignage rendu par la sœur Marin dans ses Annales à la bravoure déjà légendaire des contemporains de Dollard des Ormeaux : "Ce qui soit dit à la louange des premiers habitants de Montréal qui méritèrent par leur valeur de passer tous unanimement pour bons soldats par les coups généreux qu’ils firent contre les ennemis qui, de leur part, leur en voulaient aussi plus qu’aux autres terres habitées du Canada à cause, disent-ils, que celles-ci leur appartiennent et que leurs ancêtres y ont toujours demeuré comme en leur habitation de choix et d’élection."

Que tous les colons de la Nouvelle-France aient cependant compris à sa juste valeur le sacrifice de Dollard et de ses compagnons, cela ne fait aucun doute. Tous ceux qui en ont parlé à l’époque sont d’accord pour proclamer que la colonie en fut sauvée. Le Journal des Jésuites même, dans sa courte mention de quatre lignes, n’oublie pas d’enregistrer « qu’une armée de 700 Iroquois préparée pour venir à Québec fut divertie pour ce coup par ce rencontre. » Le Père Chaumonot déclare encore plus nettement que les 17 Français ont été les victimes qui ont sauvé le pays, « car il est certain, ajoute-t-il que sans cette rencontre, nous étions perdus sans ressources… »

Mais voici qu’à la fin du XVIIe siècle, un retour singulier se produit. La mémoire de Dollard et de ses compagnons parait soudain s’effacer. Une ou deux générations à peine ont passé et les petits-fils de ceux qu’ils ont si généreusement sauvés ont déjà oublié jusqu’au nom des héros du Long-Sault. Nous ne connaissons pas de plus mélancolique illustration du beau vers du poète :

Le vrai tombeau des morts est le cœur des vivants.

Vers 1722 Bacqueville de la Potherie publie son Histoire de l’Amérique septentrionale et essaye d’y retracer les commencements de la Nouvelle-France. Rien n’y apparaît du souvenir de Dollard et de compagnons.

Le Père Charlevoix, dans son Histoire de la Nouvelle-France de 1744 ne nous parle pas davantage. Comment le consciencieux jésuite a-t-il pu négliger un événement aussi remarquable, aussi digne d’attention ? N’a-t-il pas eu connaissance des copieuses relations écrites en 1660 par les Pères de son ordre ? Il est difficile de le croire et cependant le silence du Père Charlevoix ne peut guère s’expliquer que par une longue intermittence dans la tradition orale sur laquelle il se serait principalement basé.

Mais il est peut-être encore plus étrange de constater le même oubli dans les Annales de la Sœur Morin. Ces Annales sont consacrées en grande partie précisément aux commencements de Ville-Marie et la vénérable religieuse qui les a rédigées était contemporaine de Dollard au même degré que M. Dollier de Casson, ayant fait son entrée à l’Hôtel-Dieu de Montréal en 1669, ou 9 ans seulement après le tragique combat du Long-Sault. Ce n’est que longtemps plus tard, il est vrai, et sur son vieil âge, que la sœur Morin entreprit ses mémoires pour l’édification des plus jeunes religieuses, ses compagnes, et le souvenir du Dollard avait alors évidemment cessé d’être aussi vivace.

Nous avons en ce moment sous les yeux une chronologie manuscrite de l’histoire du Canada écrite vers le milieu du 18e siècle par un sulpicien de Montréal ; les événements les plus ordinaires y sont abondamment relatés, et cependant, à la date de 1660, il n’apparaît pas qu’un certain Dollard et seize Français avec lui, aient, non pas même sauvé la colonie d’une ruine imminente, mais seulement, perdu leur vie au milieu d’un combat.

Cette ingratitude et ce silence ont ainsi duré jusque vers le milieu du siècle dernier. En 1837 même, Michel Bibaud, écrivant la première Histoire du Canada qui eût quelque prétention au genre histoire, n’a pas une seule ligne à consacrer au glorieux épisode de Carillon. Cette belle page de notre histoire est pour lui lettre morte ; il ne l’a pas connue, car comment expliquer autrement qu’il n’en ait pas parlé.

Ce n’est qu’en 1840, en effet, après que Bibaud eût publié, son Histoire que la mémoire de. Dollard fut enfin ressuscitée, d’un long oubli, par la mise au jour de l’Histoire, du Canada par M. de Belmont.

Vingt-huit ans plus tard, en 1868, parut pour la première fois l’Histoire du Montréal de M. de Casson dont le manuscrit comme celui de M. de Belmont était resté, depuis un siècle et demi, enfoui, sous les casiers poudreux des bibliothèques de France.

Ces deux publications si opportunes furent une révélation pour tous : elles contribuèrent largement à ramener l’attention des chercheurs sur nos origines et elles réapprirent au peuple canadien une foule de choses qu’il avait depuis longtemps oubliées. Un des plus notables services qu’elles aient rendus est peut-être, d’avoir retiré de l’oubli complet où ils étaient enfoncés les héros du Long-Sault et d’avoir préparé la réparation d’honneur à laquelle ils avaient droit après cent cinquante ans de la plus impardonnable ingratitude. L’auteur de la Relation de 1659-1660 ne croyait sans doute pas si bien dire lorsqu’il constatait que la fortune semblait avoir refusé à Dollard et à ses compagnons la gloire de leur sainte et généreuse entreprise.

À partir de 1840, avec la publication de l’Histoire du Montréal, Dollard et les siens commencent à rentrer dans leurs droits. Ils sont, pour de bon réintégrés dans la gloire et cette jois pour y rester. Les historiens s’en emparent et leur font enfin dans nos annales la place qu’ils ont méritée. M. l’abbé Ferland, M. Faillon, et Françis Parkman à la suite, ont célébré l’exploit du Long-Sault si hautement qu’il ne peut plus sortir maintenant de la mémoire des hommes. Les glorieux combattants de 1660 ne descendront plus jamais du piédestal d’admiration où les a enfin dressés la reconnaissance du peuple canadien.

Sans avoir besoin d’être auréolé par la légende, par la seule vertu de son dévouement historiquement, constaté, Dollard est devenu le héros par excellence du Canada français. De tous nos valeureux ancêtres, c’est celui sur lequel notre souvenir s’arrête avec le plus de complaisance et avec le plus de fierté. Mieux qu’aucun autre il incarne toutes les belles qualités dont s’honore à juste titre la noble race française : enthousiasme, désintéressement et bravoure.

L’admiration que nous éprouvons devant le sacrifice de Dollard et ses compagnons est entière et sans mélange ; nous sentons pleinement qu’il est impossible à l’âme humaine de s’élever plus haut. À la fois preux et martyrs, nos héros canadiens unissent les deux gloires les plus belles.

M. Émile Faguet, analysant à sa façon raisonnante l’esprit de sacrifice, dans son traité du Devoir, cherche à s’expliquer après Nietzche, l’état d’âme du soldat qui souhaite de tomber sur le champ de bataille pour sa patrie victorieuse et qui, dans le triomphe de la patrie, trouve le triomphe de son vœu suprême.

“Si je voulais, dit-il, m’acharner à trouver un atome d’amour de soi dans l’acte en question, je dirais peut-être : le citoyen qui meurt pour sa patrie, l’homme qui meurt pour sauver les passagers de son vaisseau ou les voyageurs de son train, s’enivrent de cette pensée qu’ils seront bénis et glorifiés, qu’ils laissent à leur famille l’héritage d’un héroïsme et cela, — puisque nous ne pouvons jamais nous figurer morts absolument, anéantis, — ils le sauront, ils le sauront un peu, ils en auront quelque sentiment confus qui sera une joie. Après tout, le désir de la gloire posthume, de la gloire qui s’attachera à une œuvre que nous ne publierons pas durant notre vie, — n’a pas d’autre raison d’être et ne peut s’analyser qu’ainsi. Oui, il doit y avoir, subsconsciemment, quelque chose comme cela dans l’âme du héros qui se sacrifie.”

M. l’abbé Paillon a répondu d’avance à cette analyse subtile qui diminue trop la valeur morale des plus beaux dévouements :

“Dollard et ses compagnons, écrit-il, méritent avec d’autant plus de justice les hommages de notre admiration et de notre reconnaissance que le motif de leur dévouement a été plus noble, plus sublime, plus pur. Dans toute l’histoire profane, on ne trouve rien de plus audacieux, de plus magnanime, que cette résolution de nos dix-sept braves, conçue avec tant de courage et soutenue jusqu’à la fin avec tant de constance et d’intrépidité. On voit, il est vrai, chez les Grecs et chez les Romains, des hommes se sacrifier pour leur patrie ; mais quand on connaît jusqu’où l’amour de la gloire profane les portait à des actions éclatantes dans l’espérance de se survivre à eux-mêmes après leur mort, on n’est pas surpris que cette passion ait pu leur faire mépriser la vie… Il faut à l’homme raisonnable des motifs d’intérêt personnel pour le déterminer au sacrifice de lui-même, et ce dévouement pur et désintéressé dont nous voyons tant d’exemple dans les martyrs, ne peut être inspiré que par la certitude inébranlable des espérances de la Foi. Ce fut ce motif qui détermina Dollard et ses compagnons d’armes à la résolution inouïe de se battre jusqu’au dernier soupir…

Éloignés de douze cents lieues de leur patrie, perdus au-delà de l’Océan dans des pays inhabités, ils étaient assurés que leur mémoire périrait avec eux et qu’aucun historien ne raconterait leurs actions.”

Mais la dette du peuple canadien envers les héros de Carillon n’était pas entièrement payée par ce culte intérieur d’admiration et de reconnaissance qu’il leur conservait. À ces cœurs hardis d’un triple airain qui avaient couru si magnanimement pour notre salut au devant de la plus atroce mort, il fallait l’hommage du bronze. M. Paillon l’avait bien compris lorsque, en 1865, dans sa monumentale Histoire de la Colonie française, il formulait “le vœu de voir élever un four, dans la cité de Ville-Marie, un monument splendide qui rappelât d’âge en âge, avec les noms des dix-sept braves, l’héroïque action du Long-Sault”. Après plus d’un demi-siècle, le vœu du vénérable abbé est sur le point d’être réalisé. Dans quelques jours, dans quelques semaines tout au plus, nous verrons se dresser sur la plus vaste de nos places publiques, aux acclamations de toute une race reconnaissante, le monument commémoratif de Dollard et de ses compagnons. Ce monument, on le sait, sera digne, autant qu’il peut, l’être, des incomparables héros qu’il doit honorer.

L’artiste qui l’a taillé, y a mis toute son âme de canadien français ; son patriotisme a grandi encore son talent et lui a permis de produire une des plus vibrantes œuvres d’art dont puisse s’honorer encore notre jeune pays.

Si le temps et l’espace ne nous manquaient, l’occasion serait propice ici de faire l’histoire de ce beau mouvement de l’œuvre du monument Dollard, mouvement commencé il y a 10 ans et qui approche maintenant de son point culminant.

Chose digne de remarque, c’est un de nos concitoyens de langue anglaise, M. J. C. Wakh, alors rédacteur du Herald, qui, le premier, en 1910, à l’approche du 250e anniversaire de la mort de Dollard, suggéra de célébrer avec l’éclat qui convenait ce glorieux événement.

Héritier lui-même d’une race qui s’y connaît en sacrifice et en dévouement, il avait tout ce qu’il faut pour comprendre et pour admirer l’acte sublime des héros du Long-Sault. Nous lui devons cette justice de consigner ici sa généreuse initiative.

Nous n’avons pas besoin de dire que cette voix eût vite fait de trouver un écho dans les cœurs canadiens-français. Des le début, le mouvement atteignait toute son intensité. Un comité de citoyens se formait aussitôt et, se mettant à l’œuvre sans larder, trouvait le moyen, grâce à son patriotisme agissant, d’organiser en peu de temps une démonstration qui, sans avoir le caractère grandiose de celle que l’on prépare, n’en marqua pas moins dignement le 250e anniversaire à célébrer. Les membres de ce comité, qui, ayant été à la peine, méritent d’être aussi à l’honneur, étaient MM. J. B. Lagacé, l’abbé J. Mélançon, Philippe Hébert, J. C. Walsh, l’abbé Ph. Perrier, l’abbé A. Deschamps, Ihnri Hébert, Adrien Hébert, Séraphin Boucher, M. D., V. E. Beaupré, Joseph Dumais, M. Lacerte, Dr J. E. Dubé, L. I. Rind, Élie Asselin, M. D., G.-A. Marsan, J. Bourgouin, M. D., Montarrille Boucher de la Bruire et Émile Vaillancourt.

C’est le 29 mai 1910 qu’eut lieu la première démonstration Dollard, sur la Place d’Armes, au cœur de la cité. Le spectacle, fut à la fois simple et beau.

Nous ne pouvons résister au plaisir d’en rappeler un des épisodes les plus émouvants d’après le récit qu’en fait M. René Bazin, un grand ami du Canada, sur la foi d’un témoin oculaire :

“Ce jour-là, la place d’armes était décorée de drapeaux…

Le 65e bataillon, en grande tenue, formait la haie au pied de la statue. Au fond de la vaste place, on vit s’ouvrir le portail de l’église Notre-Dame et toute une foule nouvelle se joindre à celle qui attendait. L’Archevêque prit place dans une tribune. Tout le monde était debout. Alors, le capitaine Banc, du 65e, s’avança jusqu’au piédestal du monument où est représentée, en bas-relief, la belle mort : des dix-sept enfanta de Ville-Marie. D’une voix forte, il appela :

— Adam Dollard des Ormeaux ?

Et il y eut un grand silence sur la place. Après une minute, une voix sortie des rangs des soldats, répondit :

— Mort au champ d’honneur !

Les clairons sonnèrent et les tambours battirent. Les hommes présentèrent les armes. Le capitaine reprit l’appel :

— Jacques Brassier ? Jean Tavernier ? Nicolas Tillemont ? Laurent Hébert ? Alonie de l’Estres ? Nicolas Jousselin ?

Quand il eut, nommé les seize compagnons, la voix qui répondait dit :

— Tous morts au champ d’honneur !

Les mots s’en allèrent à travers la grande place, comme le vent et la pluie que chacun reçoit. Les clairons sonnèrent de nouveau. Il y eut des milliers de cœurs qui frémirent d’émotion ; il y en eut beaucoup qui prièrent ; il y eut des hommes qui pleurèrent parce que la vraie-gloire est une amitié de nos âmes.”

Mais l’œuvre du comité consistait principalement à préparer l’apothéose définitive, celle du 260e anniversaire. Il s’y est employé consciencieusement et avec le succès le plus complet. Au début de l’année 1914 il avait déjà recueilli, avec l’aide de dévoués zélateurs et en particulier de la toujours agissante Association de la Jeunesse catholique, les vingt mille dollars requis pour l’érection du monument projeté.

Ces souscriptions étaient faites en grande partie de l’obole du pauvre et les enfants des écoles y prirent largement leur part. On a même pu, avec le surplus obtenu, ériger un premier monument commémoratif sur le site même du combat, à Carillon, le 25 mai 1919.

À l’occasion du triomphe définitif de Dollard et de ses compagnons, le comité que la nation a chargé du soin de leur mémoire a jugé fort à propos d’accompagner le monument de bronze d’un commentaire littéral qui l’illustrait et l’expliquât. Il a confié cette tache à M. E.-Z. Massicotte et il ne pouvait mieux choisir. M. Massicotte est un amoureux fervent de notre histoire nationale et depuis des années, penché sur les paperasses poudreuses et presque indéchiffrables de nos archives locales, il s’emploie, avec la patience d’un bénédictin, à débrouiller nos origines. L’on ne compte déjà plus les services inappréciables qu’il a rendus à l’histoire canadienne, et particulièrement à l’histoire de Ville-Marie, objet de sa prédilection toute spéciale. Personne ne pourra plus écrire l’histoire de notre ville sans recourir aux travaux de M. Massicotte qui continue à amasser, pierre par pierre, les matériaux nécessaires au grand œuvre attendu.

Dans ce petit livre dont il a voulu faire comme la somme du combat du Long-Sault, l’érudit archiviste a tenté d’assembler en un seul faisceau tout ce que l’on peut connaître et apprendre sur Dollard et ses seize compagnons.

La partie principale du travail consiste en deux études que M. Massicotte a déjà publiées dans le Canadian Antiquarian and Numismatic Journal en 1912 et 1913, mais qu’il convenait de rééditer aujourd’hui.

Ces deux études sont le fruit d’un travail persévérant et représentent plusieurs années de patientes et pénibles recherches. L’auteur s’y applique à nous faire connaître, non pas le drame du Long-Sault dont nous savons à peu près tout ce que nous pouvons savoir, mais les acteurs même du drame dont nous ne savons malheureusement que bien peu de chose.

D’où venait Dollard des Ormeaux ? De quel coin de France tirait-il son origine ? Était-il de la race des Normands aventureux ou des Bretons au cœur de chêne ? Dans quelles circonstances a-t-il quitté sa patrie ?

Et chacun de ses seize compagnons, qui étaient-ils, quelle était leur naissance, comment vécurent-ils jusqu’au suprême sacrifice ?

Voilà autant de questions auxquelles nous souhaiterions ardemment une réponse, parce qu’il n’y a pas un détail de l’existence de ces héros surhumains qui puisse nous laisser indifférents. M. Massicotte n’est pas parvenu à lever complètement l’ombre qui enveloppe les combattants de Carillon, car la tâche est impossible, mais il a fait sur eux plus de lumière qu’aucun autre avant lui. Il a restitué à Dollard son vrai nom que les historiens s’étaient employés à difigurer, il a a admirablement reconstitué le cadre de sa brève existence dans Ville-Marie, et sur chacun de ses compagnons qui, ayant partagé avec lui le péril ont droit à une gloire égale, il nous a fourni des détails abondants. Son travail restera comme un monument pieux élevé à la mémoire de nos magnanimes aïeux. Il traduit éloquemment la reconnaissance que nous devons aux grands morts par lesquels nous vivons, et qui découle naturellement de tous les cœurs bien nés, suivant les beaux vers du poète :

Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie
Ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie.
Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau.
Toute gloire près d’eux passe et tombe éphémère,
Et, comme ferait une mère,
La voix d’un peuple entier les berce en leur tombeau.

ÆGIDIUS FAUTEUX.


Le groupe principal du monument.

NOTES ET DOCUMENTS


Adam Dollard des Ormeaux et ses compagnons ont vécu à Montréal avant le combat du Long-Sault et leurs noms figurent dans les registres de l’état civil, dans les actes notariés et dans les documents sous seing privé.

Il nous a donc été possible de glaner dans ces anciennes archives des renseignements assez peu connus sur les jeunes braves qui sauvèrent la Nouvelle-France.

Nous donnons d’abord les notes et les documents relatifs à Dollard ; ceux qui concernent ses compagnons ont été rassemblés dans une seconde partie.


DOLLARD À MONTRÉAL


Si l’on ouvre l’Histoire de la colonie française, à la page 389 du tome II, on voit que l’abbé Faillon émet l’opinion que Dollard des Ormeaux vint à Montréal, avec de Maisonneuve et les Sulpiciens, en 1657, et cet auteur en trouve la preuve dans le fait que Dollard appose sa signature, au bas d’un acte de Basset ; en date du 18 novembre 1657.

Cette affirmative est-elle fondée ?

Il y a deux documents, dans le greffe de Basset qui portent à l’extérieur la date du 18 novembre 1657. L’un d’eux est une cession et transport de terre par Charles Le Moyne à deux colons : Fontaine et Jousset. L’autre, est la copie du même contrat avec, au bas, à la date du 17 septembre 1658, un transport du tiers de la dite terre par Fontaine et Jousset à Adrien Léger. Or c’est à la rédaction de ce dernier acte que Dollard est présent ![1]

Dans le registre du tabellionnage, ces deux pièces sont aussi placées à la date du 18 novembre 1657.

Faudrait-il dire que Dollard ne vint à Ville-Marie qu’en septembre 1658 et que l’hypothèse de l’abbé Faillon tombe en entier. Il y a là matière à réflexion.

Toutefois, il serait difficile de supposer qu’il ait demeuré à Montréal plus tôt, car alors comment expliquer qu’il n’eut pas été présent le 29 décembre 1657, au contrat de mariage de Jacques Le Ber et de Jeanne Le Moyne, puis, le 18 février 1658, à celui de Michel Messier et de Anne Le Moyne, tandis qu’il assiste, le 15 septembre 1658 au contrat de Jacques Mousseaux et de Marguerite Soviot ?

Jacques Le Ber, avait à peu près l’âge de Dollard et ils ont dû être en continuelle relation. De plus ces mariages des deux sœurs de Charles Le Moyne, l’un des plus considérables habitants de Ville-Marie étaient de ces événements dans lesquels un officier de la garnison ne pouvait s’abstenir de figurer. Aussi, y voit-on Lambert Closse, sergent-major, et même Jacques Vautier, simple sergent.

Mais entre le 10 septembre 1658 et le 15 novembre 1659, Dollard est présent et signe à seize actes divers passés devant maître Basset, et sa présence est attestée dans deux autres actes du même notaire.[2]

Par contre, il n’apparaît qu’une fois dans les actes de l’état civil et c’est en qualité de parrain d’Élisabeth, fille aînée de Lambert Closse et d’Élisabeth Moyen, mariés l’année précédente.

Dans cet acte, daté du 3 octobre 1658, l’officiant qualifie Dollard de « volontaire », et l’on suppose que notre personnage n’était qu’attaché à la garnison, ou encore qu’il y avait pris du service librement.

Basset lui donne parfois le titre de commandant et parfois celui d’officier.

Que signifie ce titre de commandant porté aussi par M. de Belestre ?

Dollard était-il, hiérarchiquement au-dessus de Lambert Closse à qui M. de Maisonneuve avait déjà confié l’administration de Montréal ?

Cela n’est pas très clair, d’autant que l’historien Faillon attribue presque l’insistance que met Dollard, au mois d’avril 1659, à ne pas attendre Closse, Le Moyne et de Belestre, à ce qu’il « était bien aise d’avoir le commandement de ce parti, afin de se distinguer par des coups de valeur qui lui servissent pour dissiper quelques difficultés qu’il avait eues, disait-on, en France ».[3]

Autrement dit, si Lambert Closse, Charles Le Moyne et Picoté de Belestre avaient été de l’expédition, il aurait eu des supérieurs ou des égaux. Il reste, cependant, à débattre si c’eût été par suite de leur grade ou de leur expérience.

Cette question en provoque une autre.

Dollard avait-il l’intention de s’établir à Montréal, ou ne voulait-il qu’y séjourner temporairement ?

Une brève allusion, dans un document classifié récemment, autorise, croyons-nous, à présumer qu’il voulait demeurer ici et qu’il avait même obtenu une concession ou une promesse de concession de M. de Maisonneuve.

En effet, le 2 mai 1661, le gouverneur de Montréal concède à M. de Belestre, une terre de trente arpents « tirant vers Sainte-Marie, à commencer proche le fleuve ».[4]

Cette terre est sise entre celle de Jean Valliquet dit Laverdure et celle de Paul Benoit dit le Nivernois.

M. de Belestre la reçoit à charge d’y bâtir maison et payer entre autres choses « à la succession de feu Adam Dollard, la somme de 79 livres, 10 sols, pour 53 journées d’hommes que le défunt a employé à faire travailler sur la dite concession. »

La terre que nous venons de mentionner avait déjà été cédée à Silvestre Vacher dit Saint-Julien, le 10 mai 1659.

Celui-ci n’en avait joui que peu de temps, car il se fit tuer par les Iroquois en octobre 1659, vers le lac aux Loutres (aujourd’hui, partie Sud du quartier Notre-Dame de Grâce).

Dollard n’en eut donc la propriété, tout au plus, que cinq mois, exactement comme le premier concessionnaire.

Il nous a paru qu’on aimerait à savoir où se trouvait ce lopin de terre et voici le résultat de nos recherches.

M. de Belestre acquit la concession de son voisin Valliquet et le tout, après plusieurs transactions successives fut acheté par MM. Georges Fullum et Louis Parthenais qui ont laissé leurs noms à deux rues traversant ces biens-fonds.

Ne serait-il pas convenable de partager cet honneur avec les illustres colons Dollard et de Belestre ?

L’inventaire des biens meubles de Dollard indique à ne pas s’y méprendre qu’il ne vivait pas dans le luxe, car il possédait moins d’effets mobiliers que la plupart des habitants, même célibataires, qui décèdent avant lui. La somme totale de son avoir, après l’estimation qu’on en fait, n’aurait été que de 85 livres de vingt sols.

Néanmoins, cet inventaire, lorsqu’on le compare aux pièces contemporaines ou antérieures de même espèce, laisse apercevoir aussitôt, que le défunt était d’une caste différente de celle des colons ordinaires.

Ceci ressort de la variété de sa modeste garde-robe et de la présence d’objets de toilette qu’on ne trouve pas mentionnés auparavant.

Cet inventaire nous apprend encore que Dollard avait formé une société avec le fameux Picoté de Belestre, arrivé en 1659.

Cette société devait avoir pour but le défrichement et la culture de terres en vues d’un établissement futur. Cela se pratiquait fréquemment et il y en a plusieurs exemples dans les archives.

L’existence de cette société expliquerait pourquoi tous les biens que laisse Dollard sont en la possession de M. de Belestre.

À la fin de l’inventaire, suivant la coutume, se trouve le chapitre des dettes dues par le défunt. Celles-ci ne s’élèvent qu’à 21 livres, mais tous les créanciers n’y figurent pas.

En outre, Dollard devait 48 livres à Jean Aubuchon en vertu du billet que nous reproduisons ici et qu’il rédigea trois ou quatre jours avant son départ ; plus, une somme de 30 livres au chirurgien Louis Chartier, car lorsque ce dernier


Le serment (Bas-relief du monument)

se noie, à Montréal, le 20 juillet 1660, deux mois après le

trépas de Dollard, Basset découvre dans les papiers de Chartier, un autre billet consenti par Dollard ; enfin, dans l’inventaire de René Doussin (16 mai 1660) Basset lui-même déclare que Doussin lui devait la somme de 9 livres « pour reste d’une plus grande somme par luy respondue pour deffunt le sr Dollard. »[5]

Aubuchon et Chartier avaient probablement jugé inutile de présenter leurs réclamations sachant bien qu’ils ne pouvaient être remboursés par la succession.

M. de Maisonneuve, dut écrire la pénible nouvelle en France et attendre des informations, car ce n’est qu’un an après l’inventaire, qu’il ordonne la vente des biens de Dollard.

Cette vente excita peu d’intérêt.

C’est le jeune tabellion du lieu, Bénigne Basset qui offre les articles aux acheteurs, le dimanche, 13 novembre 1661, « audevant de la porte du sieur Jean Gervaise. »

L’acte qui devait, en relater les péripéties était dressé d’avance, en sorte que le « commis au greffe et tabellionnage » n’avait qu’à remplir les blancs qu’il avait ménagés à la suite de la description de chaque article.

Cinq de ces articles ne tentèrent pas les enchérisseurs et, en tout, la vente rapporta 41 livres, 7 sols, soit $8.27. Rappelons-nous, cependant qu’on achetait à cette époque pour une livre (20 sous) ce qu’on paye aujourd’hui cinq à dix fois plus.

Il n’entre pas dans le cadre de cette petite étude de traiter du combat du Long-Sault. On en trouve les détails les plus circonstanciés dans les Relations des Jésuites, dans la lettre du R. P. Chaumonot (reproduite par la mère Marie de l’Incarnation, puis par M. Benjamin Sulte dans les Mémoires de la Société royale), dans l’Histoire du Montréal de l’abbé de Casson, et, enfin dans l’Histoire de la colonie française de l’abbé Faillon. Ce dernier a fondu les écrits de ses prédécesseurs en un seul.

À ce sujet, citons M. Sulte : « C’est M. Faillon qui a le mieux décrit le siège du Long-Sault et c’est M. Parkman qui a le mieux traduit cette belle page… en se l’attribuant. »

Cette phrase ironique mais juste est la première d’une étude que M. Sulte a consacrée au lieu où Dollard a combattu[6] et cette étude est à lire en entier par ceux qui désirent être complètement renseignés.

N’allons pas oublier que l’abbé P. Rousseau, P.S.S. a repris le récit de son confrère, l’abbé Faillon, et qu’il l’a condensé avec bonheur dans son Histoire de la vie de M. de Maisonneuve.


LE VÉRITABLE NOM DU HÉROS.


À en croire certains auteurs, le sauveur de Ville-Marie aurait eu, à sa disposition, autant de vocables qu’un hidalgo espagnol. Pourtant, Adam Dollard, sieur des Ormeaux est bien la seule et correcte appellation par laquelle on doit le désigner. Daulat et Daulac sont des déformations qu’il faut bannir impitoyablement.

Jugez-en. Dans le greffe de Basset on trouve la signature de notre personnage aux dates suivantes : 15 septembre, 17 septembre, 8 octobre, 12 octobre, 23 octobre, 13 novembre, 15 décembre, et 20 décembre 1658, 2 janvier, 12 janvier, 26 février, 16 mars, 18 mars, 3 octobre et 15 novembre 1659, et partout il signe Dollard[7] ainsi que dans le billet qu’il remet à Jean Aubuchon.

Dans le même greffe, il est mentionné aux actes suivants : 10 septembre 1658, 7 avril 1659, 18 avril, 26 mai, 22 juillet, 6 novembre, 9 novembre 1660 ; 12 mai et 13 novembre 1661, puis dans la concession de M. de Maisonneuve, du 2 mai 1661, et partout, encore, on lit Dollard.

Dans le seul acte de l’état civil où il apparaît personnellement (3 octobre 1658), il ne signe pas, non plus que les autres personnes qui participent à la cérémonie, mais l’officiant écrit Dolard.[8]

On voit donc que dans toutes les pièces publiques connues à Montréal, le héros du Long-Sault, de son vivant, n’a jamais eu d’autre nom que Adam Dollard, sieur des Ormeaux.

Sa mort va changer cela.

C’est dans son acte de décès que la première altération se produit. Là, le rédacteur écrit Daulat.

Cette orthographe s’excuse parce qu’en prononçant mollement, il n’y a pour l’oreille qu’une imperceptible nuance entre Dollard et Daulat. Ceci admis, le mot Daulac devrait s’expliquer comme suit :

Au XVIIe et au XVIIIe siècles, dans plusieurs manuscrits, le t final, ne saurait se différencier d’un c.

Par exemple, dans Basset, on peut tout aussi bien lire Archambauc qu’Archambaut, Souarc que Souart, Branssac que Branssat, etc.

Voilà une des sources de l’erreur, mais en voici une autre. À cette époque, pour plusieurs, la syllabe ac finale avait la valeur d’un a aigu. Rien d’étonnant, ne disons-nous pas encore tabac et estomac ! Aussi peut-on lire, dans certains documents Frontena et Michilimakina ! Dans nombre de pièces, les scribes écrivent Branssac, toutefois, ce personnage signe toujours Branssat.[9]

Donc, les historiens Dollier de Casson et Vachon de Belmont ont pu écrire indifféremment Daulac ou Daulat parce que la prononciation était identique.

Au surplus, les abbés de Casson et de Belmont, si les copistes ne leur ont pas joué de mauvais tours, ce dont nous sommes convaincus, auraient écrits certains noms d’une façon plus que bizarre, tels : Sœur Brussolle pour Brésoles, sœur Moillac pour Maillet[10], sœur Maer pour Macé[11], Lagachetière pour La Lochetière, Clos pour Closse, Dalleq pour Dallet, etc.[12]

C’est à compter de l’introduction de ces manuscrits au Canada (celui de M. de Belmont en 1837, et publié en 1840, puis celui de M. de Casson en 1845 et publié en 1868), que quelques-uns de nos historiens donnèrent carrière à Daulac.

Cependant, Garneau paraît être le seul qui accepte cette orthographe sans objection, parce qu’il n’a pu se renseigner aux minutes du tabellionnage de Montréal.[13]

Lorsque le manuscrit de M. Dollier nous parvint, Jacques Viger se chargea de l’annoter et il crut devoir enregistrer une protestation discrète basée sur le seul fait qu’il avait vu, en 1847, l’inventaire des biens du héros où son nom était écrit Adam Dollard.

Évidemment, M. Viger ignorait que la signature de Dollard fut conservée, puisque, quelques pages plus loin, il prend la peine de dire au sujet de certains Montréalais : « Écrivons Le Ber, Le Moyne et Migeon de Branssat, car c’est ainsi que ces dignes chrétiens signaient ».

Par ailleurs, le manuscrit de M. de Casson et les annotations de M. Viger, bien qu’étant connus des historiens, ne furent imprimés qu’en 1868, soit dix ans après la mort de M. Viger.

L’abbé Ferland, dans son Cours d’histoire qui parut en 1861, conserva Daulac (I, 455) se réservant le privilège de lancer, dans une note, une nouvelle déformation : « Il est nommé Dolard dans les Relations, Daulard dans quelques actes publics[14] ; il semble que c’était là son véritable nom, puisqu’il le prend dans le testament qu’il fit avant son départ. »

L’abbé Ferland est le seul auteur qui affirme que Dollard fit un testament. N’a-t-il pas donné, à quelques textes, une portée plus grande qu’ils ne comportent ?[15]

Quoiqu’il en soit, en admettant (sous réserve) ce document que personne n’a vu depuis, peut-on imaginer que Dollard, pour une fois, et sur une pièce d’une telle importance, eût signé autrement qu’il signait d’habitude ?

N’importe l’alarme était donnée et c’est le distingué abbé Faillon qui devait faire la lumière.

Daulat ou Daulac ayant été créés par deux historiens sulpiciens, il était dans l’ordre que cette erreur fut réparée, tout d’abord, par un des membres de cette illustre Compagnie.

Il le fit carrément et avec d’autant plus de mérite que lui-même avait déjà écrit plusieurs fois Daulac.

Relisons donc la note qu’il inséra dans son Histoire de la colonie (vol. II, p. 389) :

« M. Souart, dans le registre mortuaire de Villemarie (sic) appelle cet officier Adam Daulat, et M. de Belmont, dans son Histoire du Canada, le nomme Daulac, après M. Dollier de Casson. Nous avons suivi nous-même cette orthographe dans la Vie de la Sœur Bourgeoys. Mais ayant eu occasion de consulter les actes de Basset, nous avons vu que ce notaire écrivait Dollard, ce que fait aussi l’auteur de la Relation de 1660. C’est là la véritable orthographe de ce nom, ainsi que le montre la propre signature de ce brave militaire, qui écrivait constamment Dollard, et quelquefois Des Ormeaux Dollard. »

Voulant concilier tout le monde, Parkman inventa une explication qui a cours dans certains milieux.

Daulac, selon ce grave historien, serait le nom exact du héros et Dollard, son nom populaire, c’est-à-dire une sorte de sobriquet.[16]

Rien de plus absurde que cette supposition dénuée de tout fondement. Cependant, elle a été acceptée par Mlle Caruthers, elle est citée dans la magnifique édition américaine des Relations des Jésuites, etc.

Bref, il y aurait une brochure à faire sur ce sujet fertile mais pourquoi s’attarder ?

Quand un homme a de l’instruction, qu’il sait signer et très bien, nul n’a le droit d’écrire le nom de cet homme à sa fantaisie. C’est lui-même qui en fixe l’orthographe, parce que c’est son bien personnel.




Le départ (Bas-relief du monument)


INVENTAIRE DES BIENS MEUBLES
DE DEFFUNT ADAM DOLLARD
DU VI - 9BRE
1660.

Inventaire de biens meubles appartenant à deffunt Adam Dollard sieur desormeaux Vivant Commandant en la garnison du fort de Ville-marie, en lisle de Montréal Trouvé en la possession de Pierre Picote sr de Belestre aussy commandant en lad. Garnison fait par moy Commis Au greffe et tabellionnage dud lieu Soubsigné Ce 6ie. 9bre.-1660.

Premieremt.

Trouvé un Coffre de bois fermant a clef dans lequel Il sest Trouvé les choses qui suivent, Ice-luy Brisé &c et estimé la some de quatre Livres cy 
 IIII tt
Item Une espée a manchée prisée 
 XX s
Item Un petit Justacorps avec Une petitte Culotte fort Usé le tout de droguet prisé et estimé la some de quarante Sols cy 
 XL s
Item Un meschant Justacorps gris doublé dune fort meschante Revesche de mesme Couleur, Avec Un meschant hault de chausse de mesme estosfe prisé et estimé le tout Ensemble La somme de trois livres cy 
 III tt
Item Une paire de bas Blancs tels quels prisé et estimé la somme de Cinqte Sols cy 
 L s
Item Un baudrier de Vache dangletere avec boucles de fer prisé et estimé la some de Cinquante Sols Cy 
 L s
Item Un Justacorps Avec Une Ringrave[18] dont les bas blancs Le tout de drap de ceau[19] le tout prisé et estimé ensemble la soe de dix huit livres cy 
 XVIII tt[17]

(En marge de l’item ci-dessus :)

Ner. que les hardes de cet article
ont esté rendus Au Sr de brigeat[20]
par ordre de monsieur le gouverneur
dauta. quelles estaient aluy.

Item, Un fort meschant Calçon façon de chamois prisé et estimé, la somme de Vingt Sols cy 
 XX s
Item, Un bonnet de Nuict, de laine blanche double avec deux Coiffes prisé et estimé la somme de trente Sols cy 
 XXX s
Item Trois chemises Telles quelles prisées et estimées ensemble La Some de Sept livres dix Sols cy 
 VII tt X s
Item Un petit pacquet de Meschant Linge prisé et estimé ensemble La some de trois livres cy 
 III tt
Item deux pacquets de canons Rouges et bleufs prisé et estimé ensemble la some de 
  
Item. Une petite seringue destin Commun prisé et estimé la some. de Vingt Sols cy 
 XX s
Item. Une Trousse de mouton doublé de velours rouge telle quelle Avec pigne de buis rompu un petit pigne façon descaille tortue Avec Une petitte brosse prisé et estimé ensemble la somme de (les mots “quarante sols cy” ont été rayés et remplacés par) trente sols 
 XXX s
Item, Un meschant chappeau Noir prisé et estimé la some. de Vingt sols cy 
 XX s
Item, Une meschante paire de Raquettes Sauvages prisé et estimées la somme de quatre livres cy 
 IIII tt.
Item. Une Valize de Cuir telle quelle prisé et estimé La somme de Trois livres cy 
 III tt.

Chapitre des tiltres et pappiers

Item, Une facture du sieur Mousnier parafé & coté 
 A.
Item, Une missive du Sr. Jobart en datte du 12 8bre 1659 parafé et cotté 
 B.
Item. Un petit mémoire, parafé et cotté 
 C
Item. Un Reçu de guillaume Cousture po. deux minots de bled parafé & cotté 
 D.
Item. Un aquiet du sr. de St Jacques de la soc. de Vingt, livres parafé & cotté 
 E.
Item Une societte faite entre Led deffunt et le sieur de bestre’.[21] en date du XXIe 9bre 1659 parafé et Cotté 
 F.
Item. Une petit memoire de quelques Journées fournies aud deffunt par Avenue du hann. (?) dud lieu Cotté. 
 G.
Item. Un aut. Memoire des debtes dud deffunt parafé et Cotté 
 H
fait clos et arresté par moy Commis au greffe et tabellionnage de Villemarie Soubsigné, Après avoir chargé led sieur de belestre de toutes les choses mentionnées au présent Inventaire mesme des tiltres et pappiers Avec deffences de sen dessaisir Jusqua ce Il en soit ordonné par Justice A peine de l’ordce. Ce qu’il a promis fa. et les Représenter toute fois et qualités quil en sera Requis et a signé. Ce Jour et an que dessus.
 
De Belestre
Basset.
Nore
Chapire. des debtes deubs par led deffunt aux cy après desnommes suivant Leurs declaraons.
 
Le 14’. 9bre. 1660 
  
Déclaré par Jacques Beauchamp, po. Sept Journées dhiver a 30 S par Jo. cy 
 X tt X s
plus deux Journées et demye a 40 S 
 V tt
plus po. son blanchissage pendant six mois 
 VII tt X s
plus po. La façon de quatre chemises et aut. menu Linge. 
 IIII tt
plus po. Vente dUn chappeau noir 
 IIII tt
Déclaré par le sr. Jullien de Rouvray Luy estant deux, pour Une grande Corne dans laquelle il y avait Une livre de poudre.


VENTE DES MEUBLES DE DEFFT. ADAM
DOLLARD DU 13’. 9BRE


1661.


Du Dimanche XIII. 9bre. 1661


Vente des biens meubles demeurez Après le Decedz de deffunt Adam Dollard Sr. Desormeaux, Vivant officier en la garnison du fort de Villemarie, fait par le Commandement de monsieur Le gouverneur, faisant laqlle. Vente en la présence

A esté par moy Comis. Au greffe et tabellionnage dud. lieu ey Apres Soubsigné, proceddë, après lavoir publiée, Dellivrez et Subgtrastez en la manière Accoustumée, Au plus offrant et dernier enchérisseur, aux personnes et aux Som’es des deniers qui ensuivent

Du Treiziesme Jour de Novembre mil six Cent Soixante et Un, heure de Relevée, Au devant de la porte de La maison du Sr. Jean Cervaise habitant aud lieu de Villemarie.


Premierement

Un Coffre de bois ferment à clef, dellivré A

A la somme de

Item. Un petit Juste-au-corps Avec une petitte Culotte fort Usée, le tout de droguet, dellivré A toussaint hunault —

A la somme de quarante deux Sols XL II s

Item. Un très meschant Juste-au-corps gris, doublé d’une fort meschante revesche de mesme couleur avec un très meschant haut de chausse de mesme estoffe dellivré A Jacques Beauchamp A la somme de quatre livres six sols, cy.

IIII tt VI s

Item. Une paire de bas blancs tels quels, dellivrés A Nicolas hubert dit la Croix A la somme de quatre livres dix huict Sols cy. IIII tt XVIII s

Item. Un Baudrier de Vache dangloterre avec boucles de fer, dellivré A Pierre Raguideau A la somme de quatre Livres cy 
 IIII tt.
Item. Un fort meschant Calson fasson de Chamois dellivré A Gilles Lozon chaudronnier A la somme de quatre livres cy 
 IIII tt.
Item. Un bonnet de nuiet de laine blanche Avec deux Coiffes de toile dellivré Avec un meschant chapeau noir Aud. Lozon A la somme de Trois tt seize sols cy 
 III tt XVI s
Item. Trois chemises telles quelles dellivrées Au Sr. Jean Gervaise A la somme de douze Livres dix sols cy
XXII tt X s
Item. Un petit pacquet de meschant linge, dellivré A Jacques beauchamp A La somme de trois livres Sept Sols cy 
 III tt VII s

Item. Deux pacquets de. Canons de Verre ( ?) rouges et bleufs dellivré A

A la some de

Item. Une petite seringue destin commun dellivré A

A la somme de.
Item. Une trousse de Mouton doublée de velours rouge telle quelle, un pigne de bouys rompu, Un aut. petit pigne fasson descaille Tortue Avec une petitte brosse, dellivré a Laurens Archambault A La some. de Trente trois sols cy 
 XXXIII

Item. Un meschant chappeau noir dellivré A

A la somme de.

Item. Une Vazise (sic) de cuir telle quelle dellivré A

A la somme de
Basset.

Concession de trente arpents de

terre à Pierre Picoté de

Belestre du 2e Mai

1661.


Paul de Chomedy Gouverneur de LIsle de Montréal en la Nouvelle france. Suivant Les Pouvoirs et commissions qui Nous ont esté donnez par Messieurs Les Associez pour la Conversion des Sauvages en la Nouvelle france en lad Isle et Seigneurie dIcelle, Nous Avons Donné et Concédé, Donnons et Concédons Au sieur Pierre Picoté de Belestre La quantité de Trente Arpens de terre Tirant Vers Sainte Marie. Scavoir dix Perches de large Proche la grande Rivière sur deux autres perches de Profondeur, tirant au Nord Ou’est quart dou’est, Tenant dUn costé A Jean Valliquet dit la Verdure d’Autre Costé A Paul Benoist dit le Nivernois, Plus dix perche de large Sur Cinquante de Profondeur Suivant le Mesme Run de Vent Joignant Icelle Aboutissant A la Concession dudit Valliquet, Plus dix aues’. Perches de large, Sur Cinquante de Profondeur suivant le mesme Run de Vent Joignant Lesd. deux Cents perches Aboutissant A la concession du dit Paul Benoist, faisant Ensemble lad. quantité de Trente Arpens de terre. Pour en Jouir par led. sieur de Belestre, ses Successeurs et Ayant Cause, A perpétuité et en Toute propriété Aux charges, Clauses et Conditions qui Sensuivent. Scavoir quIl Sera obligé de desfricher Lesd. y faire Bastir Une Maison, et payer par chaque Arpent Touttes Les Années Trois deniers de Censives Ausd’. Seigneurs de Montréal et Aues’. droicts Seigneuriaux quand le Cas Escherra Suivant la Coustume de Paris, et laisser les chemins que le gouverneur de Montreal Jugera necessaire po. la Commodité publique, Et Aussy a la Charge de Payer A la succession dud Deffunct sieur Dollard, la somme de Soixante et dix neuf livres dix Sols pour Cinquante Trois journées dhomme que led. deffunct sieur Dollard a Employées A faire Travailler sur lad Concession, fait Au fort de Villemarie, en lad Isle Le Deuxie’ Jour de May 16c. soixante et un.

Signé, Paul de Chomedey Sans parraphe.

Colla’onné A Son Original en pappier prêté par led sieur de Belestre et A LInstant Retiré, par moy Nore et tabellion en la terre et Seigneurie de LISle de Montréal soubsigné.

Le Cinquies’. décembre 16c soixante et Six.

Basset
Nore &c.



Fac-similé du billet promissoire de Dollard

TRANSCRIPTION :


Jay soubzigné confesse debvoir a jean haubichon, la somme de quarente cinq livres Plus trois livres que je luy promes payer A mon retour fait a Villemarie le quinze avril mil six cent soixante,
DOLLARD.
(avec paraphe).


LES COMPAGNONS DE DOLLARD



Aux notes et aux documents qui précèdent nous ajoutons les renseignements que nous avons pu grouper sur les héros qui partagèrent le sort de leur chef valeureux.


En route


Au mois d’avril 1660, Dollard des Ormeaux conçoit le projet d’aller porter la guerre à l’ennemi au-dessus de Montréal, « ce qu’on n’avait point encore tenté »[22].

Il en reçoit la permission du gouverneur de l’île et embauche un certain nombre de jeunes gens. M. Dollier parle de 15 ou 16, au premier départ, puis d’un dix-septième, au second. Or il meurt trois personnes le 19 avril, et ils étaient 17 au Long-Sault ; la troupe devait donc se composer, tout d’abord, de 19 volontaires, ou bien, suivant l’hypothèse de l’abbé Faillon, Dollard s’adjoignit trois nouveaux combattants la seconde fois.

C’est le jeune commandant qui semble faire la plus grande partie des frais de l’expédition, sinon tous, puisqu’il emprunte, quatre jours avant son départ, la somme de 48 livres de Jean Aubuchon. C’est, probablement, aussi vers le même temps qu’il obtient la somme de 30 livres du chirurgien Chartier et une autre somme du notaire Basset[23].

Le but de ces braves, suivant M. de Casson, était de « faire quelque coup de main »[24] ; suivant l’abbé Faillon, d’aller à la rencontre de l’armée de barbares qui voulaient annihiler les Français du Canada[25] et, suivant le testament de Valets, reproduit plus loin « de courir sur les petites bandes iroquoises » ; ce qui laisserait supposer qu’ils partaient faire ce qu’on nommerait, aujourd’hui, une guerre d’escarmouches ou de guérillas.

Quoiqu’il en soit, l’entreprise est hasardeuse et ceux qui y prennent part « font le pacte de ne pas demander quartier », se confessent, communient et, ajoute M. de Casson, décident « tous de faire leur testament. »

Le 19 avril, nos braves se mettent en route.

L’expédition est à peine rendue à une île que l’abbé Faillon croit être l’île Saint-Paul, qu’elle vient en contact avec une bande iroquoise. Après un court engagement, l’ennemi s’enfuit, mais Duval est tué, puis Juillet et Soulard se noient accidentellement, en voulant échapper aux Iroquois.[26]

L’abbé de Casson n’indique pas la cause de l’accident, mais s’inspirant d’un autre passage de cet historien, l’abbé Faillon conjecture que Juillet et Soulard durent leur trépas à leur inhabileté.

Cela nous semble difficile à admettre pour Juillet, et nous en parlons à sa notice.

Dollard revient à Montréal avec les dépouilles de l’ennemi et repart aussitôt.

M. de Casson dit que l’expédition est arrêtée pendant huit jours à Sainte-Anne-du-Bout-de-l’Île… « par un petit rapide, » et c’est ici qu’il attribue le délai à leur manque d’expérience dans l’art de ramer.

Ne serait-ce pas, plutôt, la crue des eaux, les glaces, une divergence d’opinion entre les Français et les Sauvages de la troupe, etc., qui auraient occasionné ce retard ?

Le combat, parfaitement décrit par l’abbé Faillon, eut lieu le 25 ou le 26 mai, selon l’abbé Dollier qui se base, sans doute, sur l’acte de décès, mais c’est une erreur, car, le 25 de mai, l’autorité procédait déjà, à Montréal, à l’inventaire des biens de Boisseau, et, le 26, à ceux de Valets et de Doussin.[27]

Les abbés de Belmont et Faillon ont adopté, avec raison la date du 21 mai, qui est beaucoup plus vraisemblable.

La colonie montréalaise fut un certain temps sans connaître l’étendue exacte du désastre, puisque, après coup, on ajouta, en marge de l’acte de décès que Robert Jurie avait réussi à s’échapper et qu’il avait gagné la France, ce qui semble être faux.


Les testaments


C’est à l’abbé de Casson que nous devons l’assertion qu’ils « firent tous leur testament », et comme elle est très plausible, on l’a généralement acceptée. Cependant, il faut noter qu’il écrit vers 1673, soit treize ans après l’événement et que le greffe de Ville-Marie, ainsi qu’on le verra bientôt, n’était probablement pas en état de l’éclairer, si tant est qu’il ait songé à cette source d’informations, car il paraît plutôt s’en tenir à la tradition.

Prenons, toutefois, son assertion à la lettre.

Étant donné que 20 personnes ont fait partie de cette expédition, il a dû exister 20 testaments.

Eh bien ! malgré les recherches ardues auxquelles les historiens, grands et petits, se sont livrés depuis un demi-siècle et plus, on ne connaît que deux testaments.

Autant d’actes sous seing privé ou notariés auraient-ils pu disparaître ?

Nous sommes certains que cinq des braves du Long-Sault savaient écrire et signer, or, à l’exception de celui de Tavernier, en date du 17 avril, aucun testament olographe n’a été retrouvé.

Six autres de ces braves déclarent dans des pièces publiques qu’ils ne savent signer et nous ignorons la science calligraphique des neuf derniers. En supposant que cinq de ces neuf ignoraient l’art d’écrire, ce qui n’est pas exagéré[28] Basset, le seul notaire à Montréal, aurait dû rédiger onze testaments… et il n’y en a qu’un seul dans son étude ; celui de Valets, en date du 18 avril.

Plus que cela, c’est le seul que ce même Basset mentionne dans le registre des « minutes du tabellionnage », qu’il dresse en 1674.

Basset, avouons-le, ne fut pas un modèle d’ordre. Dans ses démêlés avec les seigneurs et le juge civil et criminel de Montréal, on lui reprocha de ne pas prendre soin des documents du greffe de la seigneurie[29].

Nous pouvons même ajouter qu’il n’a pas énuméré tous ses actes, dans le registre de 1674, car en faisant le répertoire de son étude, nous avons constaté plusieurs omissions ; toutefois, il faut lui rendre ce témoignage, qu’il n’a jamais oublié une telle quantité d’actes du même quantième[30].

L’abbé Ferland est le seul auteur qui laisse presque entendre qu’il aurait vu le plus précieux de ces testaments, celui de Dollard, mais il détruit toute confiance dans son assertion, en disant que le testateur aurait signé Daulard, ce qui est en contradiction absolue avec toutes les autres pièces publiques connues, notamment avec le billet que Dollard remet à Aubuchon, le 15 avril 1660.

D’ailleurs, vers l’époque où l’abbé Ferland préparait son Cours d’histoire, l’abbé Faillon, avec son armée de secrétaires, exécutait des fouilles dans les archives du district de Montréal et ne trouvait que les testaments de Valets et de Tavernier[31], car il serait absurde de penser qu’il aurait passé celui de Dollard sous silence.

Ce testament de Valets acquiert, aujourd’hui, une importance singulière par l’usage qu’on en a fait.

Contrairement, ce que plusieurs ont cru jusqu’à nos jours, l’abbé Faillon n’en donne que la substance, et l’on ne reconnaîtrait pas le document en question, s’il n’avait eu la précaution de l’indiquer, suivant sa louable habitude.

Relisons ce passage :

« Nous avons sous les yeux le testament d’un de ces héros chrétiens, dicté par lui-même, au notaire public de Ville-Marie, la veille même du départ, 18 avril 1660. Il déclare que : « Désirant aller en partie de guerre, avec le sieur Dollard, pour courir sur les Iroquois, et ne sachant comment il plaira à Dieu de disposer de sa personne dans ce voyage, il institue, en cas qu’il vienne à périr, un héritier universel de tous ses biens, à la charge seulement de faire célébrer, dans la paroisse de Ville-Marie, quatre grand’s messes et d’autres pour le repos de son âme. » (Greffe de Ville-Marie. Actes de Basset, 18 avril 1660. Testament de Jean Vallets). (Faillon, H. de la C. F. II, 414).

Si, maintenant, vous voulez bien comparer avec la transcription exacte et entière que nous donnons de cette pièce, en plus de son fac-similé, à la fin de cette étude, vous noterez d’abord, qu’au lieu de « courir sur les Iroquois », il faut lire « cour (sic) sur les pettites bandes hiroquoises » et plus loin, au lieu « de sa personne en ce voyage », il faut lire : « de sa personne en ce dit voyage et d’autres »… et plus loin, encore, au lieu de « quatre grand’s-messes et d’autres », il faut lire : « quatre grandes messes hautes »[32].

On le voit, l’abbé Faillon n’a pas cité un texte, ce n’est qu’un résumé d’où sont exclus des mots essentiels, peut-être, pour la compréhension exacte de l’idée que le testateur se faisait de l’expédition dans laquelle il s’engageait.

Néanmoins, ce résumé nous permet de démontrer que d’autres historiens qui font allusion aux testaments de Dollard et ses compagnons comme s’ils les avaient eus sous les yeux, n’ont fait que copier ce qu’on vient de lire.

Le très estimable et intéressant abbé Rousseau, par exemple, reproduit l’extrait d’un testament sans dire lequel, et, on croirait qu’il le transcrit, mais c’est, à n’en pas douter dans Faillon qu’il puise : cela se constate par les omissions et les erreurs de lecture que nous venons de signaler.

Voici le passage en question :

« Ayant ainsi réglé avec le ciel, ils (Dollard et ses compagnons) voulurent aussi régler leurs affaires d’ici-bas, et l’on peut voir au greffe de cette ville le testament à peu près uniforme de ces héros chrétiens rédigés par maître Benigne Rasser (sic)[33], notaire public, sous la date du 18 avril 1660.

« Désirant aller en parti de guerre avec le sieur Dollard, pour courir sus aux Iroquois et ne sachant comment il plaira à Dieu de disposer de ma personne dans ce voyage, j’institue — en cas que je vienne à périr — un tel héritier universel à tous mes biens, à la charge seulement de faire célébrer dans la paroisse de Ville-Marie, quatre grand’messes et d’autres pour le repos de mon âme.  » (Rousseau, Histoire de la vie de M. Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve, p. 152).

N’est-il pas évident qu’il s’est contenté du texte de l’abbé Faillon, et qu’il n’a, tout au plus, que changé « sur les Iroquois », par « sus aux Iroquois » et mis le pronom à la première personne ?

S’il était venu au greffe il n’aurait pas été aussi affirmatif.

Passons à Mgr Tanguay :

« Nous avons, dit-il, retrouvé dans les minutes du greffe de Montréal, le testament de la plupart de ces braves, passé le 16 (sic) avril 1660. Une clause entre autres se lit comme suit :

« Désirant aller en parti de guerre avec le sieur Dollard pour courir sur les Iroquois et ne sachant comment il plaira à Dieu de disposer de ma personne dans ce voyage, j’institue, en cas de mort, un héritier universel de tous mes biens, à la charge de faire célébrer, dans la paroisse de Ville-Marie, quatre grandes messes et d’autres pour le repos de mon âme. » (Tanguay, Mémoires de la Société royale, 1e série I, 45).

C’est avec de légères variantes : « sur les Iroquois » et « en cas de mort » le texte de l’abbé Rousseau ou celui de l’abbé Faillon.

Mgr Tanguay ne semble donc, pas plus que les autres, avoir « retrouvé les testaments » qui nous occupent ; en outre, il commet, dans son récit, trois petites erreurs : le testament qu’il cite n’est pas du 16 avril, il donne à Doussin le prénom d’Étienne, et pour lui Grenet devient Guenet.

En fin de compte, ces testaments, s’ils ont existé, ne sont pas tous de la même date, ils n’ont pas tous été dressés par Basset et il est improbable qu’ils aient, tous été déposés au greffe de Montréal, car, dans ce cas, un plus grand nombre de ces pièces nous auraient été conservées.

Ne pourrait-on pas supposer que certains d’entre ces jeunes gens, se sont contentés de donner leur peu de biens verbalement ? ou encore, sans amoindrir leur héroïsme, que ne s’en allant pas à une mort inévitable, ils aient jugé inutile de déranger le tabellion de la seigneurie ? Cette dernière hypothèse pourrait se soutenir par le texte intégral des testaments de Valets et de Tavernier et par le billet promissoire que Dollard fait, le 15 avril, « payable à son retour. »


Récapitulation


La seule liste des noms de ceux qui ont pris part à cet événement prodigieux se trouve dans l’acte de l’abbé Souart à qui le pays, de ce chef, doit une reconnaissance spéciale.

Cette page du modeste registre de l’état civil de Ville-Marie, a une si grande valeur qu’on nous permettra de la reproduire encore une fois en lui adjoignant une transcription fidèle.

En disséquant les renseignements que cet acte contient, ainsi que ceux que nous avons puisés ailleurs nous obtenons les tableaux suivants :


Âge
 
21 ans : Martin   26 ans Augier et Lecomte ;
23 ans : Boisseau 27 ans : Hébert, Robin et Valets ;
24 ans : Crusson et Jurie ; 28 ans : Tavernier ;
25 ans : Brassier, Grenet, Josselin,
Dollard et Tiblemont ;
30 ans : Doussin ;
31 ans : Delestres ;

Âge inconnu : Duval, Juillet et Soulard.


Signature d’Adam Dollard Sr Des Ormeaux. Il ne signe ainsi
qu’une fois. D’ordinaire il signe Dollard, simplement.


Signature de René Doussin.


Signature de Jean Tavernier.

Sur les cinq héros du Long-Sault qui savaient signer, on ne trouve les signatures

que des trois ci-dessus.
Instruction

Savent signer : Dollard, Delestres, Doussin, Josselin et Tavernier.

Ne savent point signer : Grenet, Juillet, Jurie, Lecompte, Martin et Valets.


Sur les neuf autres nous ne connaissons rien à se sujet, sauf que six d’entre eux ne semblent pas avoir signé leurs contrats d’engagement, en 1653.


Dates de leur arrivée à Montréal


1647 ou plus tôt : Blaise Juillet.

1653 : Brassier, Crusson, Doussin, Duval, Josselin, Lecompte, Robin, Tavernier et Valets.

1658 ou plus tôt : Augier, Boisseau, Delestres, Dollard, Grenet, Hébert, Jurie, Martin, Soulard et Tiblemont.

Nous mettons : 1658 ou plus tôt, parce que dans la liste manuscrite de la recrue de 1659, conservée au Séminaire de Montréal, aucun de ces noms ne figure.

Enfin, un seul était marié : Blaise Juillet.


Notes biographiques

Augier dit Desjardins


Prénom : Christophe ; âge : 26 ans.

Nul autre renseignement. Tanguay, Dictionnaire généalogique I, 18, le nomme Augé, et à la page 197, Augier. Il n’y a aucune raison de modifier l’orthographe de l’acte de décès.

Boisseau dit Cognac

Prénom : Jacques ; âge : 23 ans.

Basset fait l’inventaire de ses biens le 25 mai 1660. Cet acte débute ainsi : “ Inventaire des biens meubles appartenant à deffunt Jacques Boisseau dit Cognac, trouvez en la maison et possession de Fiacre Ducharne dit la Fontaine[34]… en la présence de Lambert Closse ”… Il n’y a que trois items : “ Un meschant matelas estimé 50 sols ; deux chapeaux estimés 30 sols et une paire de mitaine de castor ”, non estimée.

Au chapitre des dettes, on constate qu’il doit 15 livres à Louis Chartier, chirurgien ; 7 livres, 18 sols à l’abbé D. Galinier et 30 sols à Jean Milot.

La vente eut lieu, un an plus tard, le 19 avril 1661.

Une “ très meschante paire de raquettes ” qui ne figure pas dans l’inventaire est vendue 46 sols à Simon Le Roy et le matelas offert à 40 sols ne trouve pas acheteur.

Brassier

Prénom : Jacques ; âge : 25 ans.

Le seul renseignement qu’on possède sur son compte est la note suivante : “ Étant à la rade de Saint-Nazaire, pour mettre à la voile avec M. de Maisonneuve, il déclare, le 20 juin 1653, en présence du notaire Belliotte, avoir reçu de la Compagnie de Montréal, 27 livres en avancement de ses gages ”… Il avait environ 18 ans lorsqu’il partit de France avec la recrue de 1653 (Faillon, Hist. de la Col. franc. II, 536).

Crusson dit Pilote

Prénom : François ; âge : 24 ans.

Voici tout ce que l’on sait de lui :

« On ignore le nom de son pays… Avant de quitter la rade de Saint-Nazaire, il déclara le 20 juin 1653, en présence du notaire Belliotte, avoir reçu sur ses gages, 60 livres de la Compagnie de Montréal. » Il avait 17 ans lors de son engagement. (Faillon, ib., 538).

Delestres

Prénom : Alonié ; âge : 31 ans ; profession : chaufournier.

Il est présent au contrat de mariage de Marin Heurtebise et d’Estiennette Alton (Basset, 9 décembre 1659), et il devait signer, mais l’acte est détérioré ; quelques signatures sont à peine visibles et une autre, probablement la sienne, a été découpée.

Dans cet acte Basset le nomme Allonée Delaistre.

Doussin

Prénom : René ; 30 ans ; profession : meunier et soldat.

Voici ce qu’on lit au sujet de son arrivée : « On ne connaît… pas le nom de son pays… Il faisait néanmoins partie de la recrue de 1653 et, étant sur le navire, il déclara, devant le notaire Belliotte, avoir reçu 119 livres de la Compagnie de Montréal, en avancement de ses gages… Il avait alors 23 ans. » (Faillon, ib., 541)

À la page 416, du même volume, l’abbé Faillon le nomme Doussin, sieur de Sainte Cécile.

Dans le « Registre des Minutes du tabellionnage de Montréal », à l’intitulé de l’inventaire des biens meubles de defunt Louis Biteaux dit Saint-Amant, (Basset, 19 février 1658), il apparaît qu’il avait existé autrefois, outre ce document, une pièce qui n’a pas été retrouvée et qui est décrite ainsi : “Ensemble, un acte de société fait entre led. Biteaux et René Doussin, le 25 septembre 1656.”

À partir de 1658, il est déclaré présent plusieurs fois dans les actes de Basset.

Le 10 janvier 1658 (Basset), il cesse de faire partie d’une société pour opérer les moulins de l’île et dont les autres membres étaient Michel Louvard et Louis Biteaux, meuniers.

Le 19 février 1658, à l’inventaire des biens de Biteaux, on voit que le défunt devait 10 livres à Doussin. Celui-ci est présent et signe Doussein. C’est la seule fois qu’il orthographie son nom de cette manière.

Le 13 novembre 1658 (Basset), Bertrand de Rennes lui cède les droits et actions qu’il a sur trois arpents de terre acquis d’Honoré Langlois. Le cédant s’oblige d’en rendre deux arpents labourables à la charrue aux semences prochaines. Dollard est présent.

Le 20 novembre, Doussin paye 106 livres 15 sols à de Rennes qui lui en donne quittance en présence de Dollard.

Le même jour, Doussin cède la moitié de son acquisition à François Piron dit la Vallée.

Le 18 mars 1659 (Basset), Doussin et Piron vendent les trois arpents de terre sus mentionnés au caporal Pierre Raguideau, sieur de Saint-Germain. C’est dans cet acte, qu’en qualité de témoin, Dollard signe : des Ormeaux Dollard.

Le 23 octobre 1659 (Basset), Doussin est présent et signe au contrat de mariage de Daniel Panier avec Marie Polo, puis il assiste à la cérémonie du mariage, au mois de novembre suivant.

Le 15 novembre 1659 (Basset), il est présent et signe au contrat de mariage de Pierre Raguideau avec Marguerite Rebours.

Les deux derniers actes dans lesquels figure le nom de ce vaillant soldat sont l’inventaire de ses biens, en date du 26 mai 1660 et la vente d’iceux, un an plus tard, soit le 17 avril 1661.

Le premier de ces documents débute ainsi :

« Inventaire des hardes trouvées en la maison de deffunt Jean de Saint-Père, à la pointe Saint-Charles et en la possession de Jacques Morin… Lambert Closse est présent. La valeur des biens, selon Basset, est de 25 livres, 15 sols.

Il est dû au défunt 257 livres, 10 sols et il doit environ 415 livres.

Après Blaise Juillet, c’est le plus riche compagnon de Dollard.

Au chapitre de ses dettes, on remarque un article indiquant qu’il était en excellents termes avec son chef : « Déclaré par moy commis (Basset), La somme de neuf Livres pour reste de plus grande somme par Luy respondue pour deffunt Le Sr Dollard… cy ix Livres. »

Duval

Prénom : Nicolas ; profession : serviteur au fort.

Il vint en ce pays en 1653 et voici ce que nous en dit l’historien de la colonie française :

« Nicolas Duval, de Forge, en Brie, aujourd’hui département de Seine-et-Marne, arrondissement de Fontainebleau, canton de Montereau, fut engagé par M. de la Dauversière le premier mai 1653[35], et déclara, le 20 juin suivant, avoir reçu, en avancement de ses gages, 75 livres de la Compagnie de Montréal. » (Faillon ib.,542.)

En 1655, il reçut 500 livres pour s’établir à Ville-Marie en prenant l’engagement ordinaire de rendre cette somme s’il quittait un jour l’île de Montréal. (Faillon ib., 188).

Dans son ordonnance du 18 janvier 1659, défendant la vente des boissons enivrantes en gros et en détail, sans un ordre par écrit, M. de Maisonneuve dit qu’il en est venu à ce remède extrême parce que certains habitants se livrent à des excès de boissons et au jeu, qu’ainsi ils s’endettent considérablement, si bien que désespérant de s’acquitter, il y en a trois « qui n’ont vue d’autre voye que de se dérober… par une fuite dangereuse. » Finalement, il mentionne à l’appui… l’évasion de Ville-Marie, de Sébastien Dupuy, Nicolas Duval et Pierre Papin qui furent repris à quatre lieues de l’habitation.

Sa mort, au champ d’honneur, rachète pleinement cette faute d’un moment.

Grenet

Prénom : Simon ; âge : 25 ans.

Le 5 octobre 1659 (Basset), Jacques Morin lui abandonne trois arpents de terre de bois abattu, à la pointe Saint-Charles qu’il a loués de Jean Pichard.

Le 19 octobre suivant, Grenet cède lui-même ses droits à Jacques Beauchamp.

Mgr Tanguay dans les Mémoires de la Société royale, 1e série, Vol. I, l’a nommé Guenet.

Trois ans après son décès, on trouve dans la milice de la Sainte-Famille un nommé Guillaume Grenet. On ne sait s’ils étaient parents.

Hébert dit Larivière

Prénom : Laurent ; âge : 27 ans.

Aucun autre renseignement.

Josselin

Prénom : Nicolas ; âge : 25 ans.

“ Nicolas Jousselin ou Josselin, de Solesmes, aujourd’hui arrondissement de la Flèche, canton de Sablé, s’engagea par contrat signé de sa main et promit à M. de la Dauversière, le premier mai 1653, devant le notaire Lafousse, à la Flèche, de faire partie de la recrue pour Ville-Marie. Arrivé sur le bâtiment qui devait le porter, il reconnut avoir reçu de la Compagnie de Montréal 75 livres, en avancement de ses gages, et signa l’acte de cette reconnaissance, dressé par le notaire Belliotte. Il était alors âgé de 18 ans.” (Faillon ib. 548.)


Juillet dit Avignon

Prénom : Blaise ; âge : environ 32 ans ; profession : charpentier et cultivateur.

Juillet vint en ce pays en 1647 ou plus tôt, car dans un des plus anciens actes connus à Montréal et qui est considéré comme le troisième contrat de concession, Juillet est dit avoir une terre voisine de celle qui est accordée à Simon Richomme. (Maisonneuve, 13 janvier 1648.)

Cette mention n’implique pas, cependant, qu’il eut, dans le moment, autre chose qu’une simple promesse, car M. de Maisonneuve n’en fait l’acte par écrit que le 30 octobre 1650.[36]

Quelques mois plus tard, le 10 février 1651, le notaire Ameau des Trois-Rivières rédigeait son contrat de mariage avec Antoinette de Liercourt, et il y a toute apparence que la cérémonie se fit au même endroit.

Le 5 et le 12 février 1651 : Inventaire des biens de Michel Chauvin (greffe de Saint-Père), il apparaît en qualité de créancier et de débiteur.

Dans le greffe de Lambert Closse (18 septembre 1651), il est présent au contrat de mariage de Jean de Saint-Père et de Mathurine Godé.

Le 20 juillet, précédent (1651), il est parrain d’un sauvage.

À l’inventaire des biens de défunt Augustin Hébert dit Jolicœur, 2 juin 1654 (greffe Closse), il est porté sur la liste des créanciers ; Cette même année, il reçoit du gouverneur une gratification de 400 livres en s’engageant à demeurer dans l’île de Montréal. (Archives du Séminaire)

En 1655 (30 mars et 4 avril)[37], il est un des habitants de Ville-Marie, qui consentent à payer cent sous par an pour les services du chirurgien Bouchard.

On voit, au registre des minutes du tabellionnage, que le 18 juin 1655, Juillet fait une transaction avec Catherine Lorrion, veuve de Pierre Vilain. Cette pièce est disparue.

Le 3 octobre 1658, au baptême de son fils Louis, c’est, l’ex-gouverneur de la Nouvelle-France, Louis d’Ailleboust qui est parrain et Jeanne Mance qui est marraine.

Juillet est lui-même parrain d’un enfant de Pierre Richomme le 22 juin 1659.

C’est la dernière fois que son nom est mentionné dans un acte public, de son vivant.

On sait qu’il trouva la mort au cours de l’engagement du 19 avril. L’abbé Faillon (II, 399), nous l’avons déjà dit, attribue sa noyade au fait qu’il n’était pas habitué à la navigation en canot.

Cela nous paraît difficile à admettre. À l’époque de son décès, Juillet était ici depuis treize ans, au moins, et comme les moyens de locomotion étaient très réduits en ces temps anciens, peut-on supposer qu’il n’ait pas eu l’occasion d’apprendre à ramer ? D’ailleurs son acte de décès, ni M. de Casson n’indiquent la cause immédiate de son trépas.

Ainsi que nous l’avons fait remarquer l’expédition part au commencement du printemps, et bien des hypothèses peuvent expliquer l’accident. C’est le moment de la grande crue des eaux, et, alors, le courant est très rapide chaque côté de l’île Saint-Paul ; à cette époque de l’année, le fleuve charroie des glaçons isolés, toujours dangereux pour les canotiers ; entre l’île de Montréal et l’île Saint-Paul, il y a quantité de rochers à fleur d’eau, enfin, un faux mouvement de Soulard qui, lui, devait être novice, voilà autant de causes qui ont pu faire chavirer l’embarcation.

Moins de deux mois après sa mort, le 11 juin 1660, Basset rédige le contrat de mariage de sa veuve avec Hughes Picard, et le 13 juin, sur l’ordre de M. de Maisonneuve, Picard est nommé tuteur des quatre enfants du défunt et Lambert Closse, curateur.

Le 20 juin, est dressé un procès-verbal de ses biens, dans lequel on remarque qu’il avait sur sa terre, une maison de maçonne et charpente de 36 pieds par 18 pieds ; un bâtiment pouvant servir de grange, ni clos ni couvert, mais avec 200 de bonnes planches et clous pour le couvrir. Son “roulant” est relativement considérable. Notons : 2 bœufs, 1 vache, 1 veau, 3 cochons, 1 charrue, 2 fusils, 1 épée, 5 chaudières, 1 marmitte, 1 gril, 1 cramatière, une pelle à feu, des tenailles, poêles à frire, cuillers à pot, broches, tripiers, réchaux, de la vaisselle d’étain, des outils, etc., 1 capot bleu, 1 manteau, 1 justacorps et haut de chausse, un caleçon de frise, des seaux ferrés, deux cabannes, une armoire, des coffres de bois et dix barriques.

C’est le richard de la troupe.

Juillet a encore des descendants en ce pays, car ses quatre enfants se marièrent et eurent une nombreuse postérité.


Fac-similé du testament de Jean Valets.

Jurie

Prénom : Robert ; âge : 24 ans.

On le nomme généralement Jurée, mais Basset écrit bien lisiblement, partout, Jurie et nous adoptons cette orthographe. Un acte de Basset du 7 janvier 1660, nous apprend que Paul Benoist dit le Nivernois, charpentier, qui possédait la terre avoisinant celle de Dollard, au pied du courant Sainte-Marie, donne à Robert Jurie, “ pour le temps et espace qu’il a du gouverneur… la jouissance de certaine quantité de terre qu’il a défriché… a raison de 17 minots de grain, bled froment, pois ou bled d’Inde, par an… pendant iceluy bail.”

D’après le texte de l’acte de décès, on crut qu’il avait réussi à s’échapper des Iroquois, à gagner New-York et à repasser en France, mais on sut, plus tard, que cela était faux et il doit être un des quatre qui furent torturés et brûlés.

Lecompte

Prénom : Jean ; âge : 26 ans.

“ Lecomte, nous dit l’abbé Faillon, demeurait sur la paroisse de Chemiré, en Charnie, pays du Maine, aujourd’hui arrondissement du Mans, canton de Loué. Il s’engagea à l’âge de 21 ans, par contrat passé à la Flèche entre lui et MM. de Maisonneuve et de la Dauversière, le 30 mars 1653 (notaire de Lafousse), à aller à Ville-Marie, et le 20 juin suivant, il déclara dans la rade de Saint-Nazaire, avoir reçu de la Compagnie de Montréal, 120 livres en avancement des gages qu’elle lui avait assurés. (Faillon ib, 550.)

L’abbé Faillon ajoute qu’il faut le distinguer d’un autre Jean Lecompte de la ville d’Orléans qui fut tué avec Closse en 1662.

Ajoutons qu’au contrat de mariage de Pierre Cabazié[38] (Bassfet, 30 mars 1669), un troisième Jean Lecompte est présent.

Il est donc assez difficile de démêler lequel de ces Jean Lecompte, concernent les actes suivants :

Le 12 janvier 1659 (Basset) dans l’inventaire des biens de Jean de Saint-Père, est un état de ce qui a été payé à diverses personnes par la femme du défunt, Mathurine Godé, et on remarque qu’un nommé Jean Lecompte a reçu 10 livres pour du bois de chauffage fourni à la famille.

La même année, un Jean Lecompte est témoin au mariage de Marin Heurtebise.

Le 5 avril 1660 (Basset) un Jean Lecompte transporte à Jean de Niau, les droits et actions qu’il peut avoir… sur quatre arpents de terre sis sur la concession des héritiers du défunt Jean de Saint-Père.

Martin

Prénom : Louis ; âge : 21 ans ; profession : vacher.

Le 22 février 1660, il achète deux articles à la vente des biens meubles de cette pauvre Madeleine Fabrecque, morte l’automne précédent, quelques jours après son arrivée de France. Dans cet acte on le dit vacher, et il déclare ne savoir signer.

On trouve dans l’Histoire de M. de Maisonneuve par l’abbé Rousseau, qu’il y avait à Montréal une fonction de vacher public et Louis Martin en fut peut-être le titulaire. Cette fonction, nous dit cet auteur, “consistait à garder les animaux dans la commune et au besoin de sonner l’alarme.”

Robin dit Desforges

Prénom : Étienne ; âge : 27 ans.

“ Le lieu de sa naissance et celui où il passa son engagement sont également inconnus. Il fit partie de la recrue de 1653, et étant sur le Saint-Nicolas, de Nantes, qui allait mettre à la voile, il reconnut avoir reçu de la Compagnie de Montréal 79 livres en avancement des gages qu’elle lui avait assurés. (Belliotte, notaire.) » (Faillon ib., 557.)

Soulard

Prénom : Mathurin ; profession : charpentier.

Tout ce que l’on sait de lui, c’est qu’il était charpentier du fort et qu’il se noya avec Juillet, le 19 avril 1660.

Tavernier

Prénom : Jean ; âge : 28 ans ; profession : armurier.

Arriva en ce pays en 1653. « Nous ne connaissons ni les circonstances de son engagement ni le lieu de sa naissance. Le surnom de la Lochetière qu’on lui donnait à Ville-Marie pourrait faire soupçonner qu’il était venu des environs de Loches. Quoiqu’il en soit, Jean Tavernier, qui avait passé son contrat d’engagement ailleurs qu’à la Flèche, se rendit au lieu de l’embarquement, déclara le 20 juin 1653, devant le notaire Beliotte avoir reçu de la Compagnie de Montréal, 97 livres en avancement de ses gages, et signa de sa main cette déclaration. À Ville-Marie il se distingua par la sincérité de ses sentiments religieux et par son courage.[39] On ne doit pas le confondre avec un autre brave colon, également surnommé la Lochetière, déjà passé en Canada, où il avait donné des preuves éclatantes d’intrépidité et de valeur et qui s’appelait Étienne Thibault... » (Faillon ib., 559.)

Le surnom de « la Lochetière » ne lui est donné que dans l’acte de décès. Basset le nomme Jean Tavernier, sieur de la Forest dans deux actes de 1659.

Mgr Tanguay, volume I, page 560, le nomme Tavernier dit la Hochetière ainsi que l’abbé Faillon, volume II, page 415, ce qui est ni conforme à l’acte de décès, ni à l’étymologie du nom tel que le même abbé Faillon l’établit dans le passage que nous venons de citer.

Ce n’est, qu’à partir de 1657, que Tavernier apparaît dans les documents publics.

Le mai 1657 (greffe de Saint-Père), il est présent, et signe au contrat de mariage de Pierre Gadois et Marie Pontonnier. Le 14 septembre 1658 (greffe Basset), il est présent et signe aux contrats de mariage de Michel Louvard et François Nadeau, puis de Simon Le Roy et Jeanne Godart. Le 5 novembre de la même année, il est présent à une vente de terre par Jean Milot à la fabrique de Ville-Marie.

Le 2 octobre 1659, Claude Antoine Jobard lui transporte le travail qu’il a fait sur quatre arpents de la concession de Charles Le Moyne, à la pointe Saint-Charles. Le Moyne s’était engagé à remettre ce travail sur une concession que Jobard devait acquérir.

Pour les droits de Jobard, Tavernier lui paye 270 livres en « bon castor gras, loyal et marchand. »

Trois jours plus tard, il est présent au contrat de mariage d’André Heurtebise et de Denise Lemaître, puis, le 9 décembre suivant, au contrat de mariage de Marin Heurtebise et d’Étiennette Alton.

C’est dans ces deux dernières pièces qu’on le surnomme « Sieur de la Forest ».

Son testament paraît avoir été écrit sous la dictée de Bailly qui devait avoir quelques connaissances légales, car il est témoin à une quantité d’actes. Le texte du testament est reproduit plus loin.

Tiblemont

Prénom : Nicolas ; âge : 25 ans ; profession : serrurier.

Faillon, II, 415 et Tanguay, I, 568, le nomment Tillemont. Cependant, l’abbé Souart nous semble bien avoir écrit Tiblemont dans l’acte de décès, seul document où ce nom est mentionné.

Valets

Prénom : Jean ; âgé : 27 ans ; profession : menuisier.

Arriva en 1653. « Jean Valets (ou Valleys) de la paroisse de Teillé, pays du Main, aujourd’hui arrondissement du Mans, canton de Ballon, s’engagea à l’âge de 20 ans par contrat passé entre lui et MM. de Maisonneuve et de la Dauversière, le 30 mars 1653, à la Flèche, à joindre la recrue qui devait partir prochainement pour Ville-Marie (De Lafousse, notaire). » (Faillon, II, 560.)

En 1654, il reçut de M. de Maisonneuve 500 livres pour s’établir à Ville-Marie à condition d’y résider. (Faillon, II, 188.)

Le 21 décembre 1654, Fiacre Ducharne et Jean Valets s’engagent à bâtir, pour leur usage commun, une maison sur un arpent de terre dans l’enclos désigné pour la ville, avec promesse de défricher des terres lorsqu’ils pourraient le faire sans avoir à redouter les embuscades des Iroquois. (Faillon, II, 191.)

Le même jour, les mêmes colons s’obligent, envers la Compagnie de Montréal, de monter les fusils dont M. de Maisonneuve aurait besoin, à raison de 3 livres, 10 sous, et les pistolets au prix de 2 livres. (Faillon, II, 198.)

Le 30 mars 1655 (greffe Closse), Valets est un de ceux qui s’engagent à verser 100 sous par année au chirurgien Bouchard, pour ses soins.

Le 9 octobre 1658, il est mentionné au procès verbal des immeubles de Julien Daubigeon.

Ainsi que nous l’avons déjà dit, son testament, par le fait qu’il est le seul dont on ait cité des extraits, acquiert une importance considérable, aussi le reproduisons-nous ici, en fac-similé et en transcription.

Ajoutons que le nommé Pichard, à qui Valets léguai ses biens, ne fut pas beaucoup plus heureux que le donateur car le 14 avril 1661, il était tué à la pointe Saint-Charles.

L’inventaire des biens de Valets se fit par Basset et présence de Lambert Closse, le 26 mai 1660. Voici l’entête de cette pièce : « Inventaire des hardes trouvées en la maison et possession de Jean Pichard à la pointe Saint-Charles… » On y constate que Valets était en bon état de fortune.

Parmi ses papiers est un bail de 4 arpents de terre, par Jacques Le Moyne successeur de Jean de Saint-Père, audit Valets et Jacques Morin.

Ses dettes s’élèvent à 39 livres, 5 sols.



DONATION FAITE PAR
JEAN VALETS
A Jean Pichard en dotte
DU 18’. AVRIL 1660



Pardevant Bénigne Basset commis au greffe et tabellionnage de Villemarie en lisle de Montréal et tesmoins desnommez et Soubznez. fut présent en Sa personne Jean Valets de pnt, en ce lieu, lequel désirant aller en party avec Lesr. Dollard, cour sur les petittes bandes hiroquoises et nos Ennemis, Et ne scachant comme Il plaira A Dieu disposer de luy penda. Ced. temps., A Volontairement fait et Constitué pour héritier Irrévocable en Cas qu’il Vienne faute de sa personne en Ced.’ Voiage et au’es qu’il pourroit faire cy après, La personne de Jean pichard habitant de Ce Lieu Auquel Il ven et Entend quapres son deceds Luy estre propre tous ses biens meubles et Immeubles présents, A la charge par led pichard, de ſe. celebrer en cette parroisses quatre grandes messes hautes pour le repos de Son Ame et de payer Ses debtes qui Aucunes peut debvoir Ainsy ſe. luy plaise, Promette. &c Obligeant &c Renonçant &c fait et passé A Villemarie en lestude du Nre lan GVI[40] Soixante ce dix huictiesme Jour dAvril Après Midy en pnce des sieurs Jean le Mercher dit la Roche et louis chartier tesmoins A ce requis et Soubzsignez Apres qe. led Valets a dit et déclaré ne scavoir escrire ni signer de Ce Enquis suiv. lordce.

Jean le Mercher
Chartier
Basset
Nore


Fac-similé du testament olographe de Jean Tavernier.


TESTAMENT DE JEAN TAVERNIER
DU 17 AVRIL 1660


Jay sousbssine confesse Jehan Tavernier de mon propre gré et volonté promest et donne a Lesglise de Montréal quatre arpens de terre qui sont en labitacion de charles Le moinne et, en jouyront jousque a tant que le dit moyne en aye de faict autant sur habitation dudit tavernier-un mot en rature.

Je donne aussi labitation que Monsieur le gouverneur luy a donnée a la Rivière St. Pierre à la charge que messieurs les Pbres diront au jour de Ste Anne une Messe haulte, et une le jour de St Jean baptiste a lintention du dit tavernier et ses Père et Mère et en cas que ledit tavernier meurt et sil ne meurt pas le sousbsiné sera cassé et de nulle valleur deux mots en rature faict en pressence de francois baillif et de Jehan prestot dont le dit prestot a déclaré ne scavoir siner ont siné F. bailly Jen tavernier faict ce 17 davril 1660

Jay soubsiné confesse Jehan tavernier donne a Maistre Jehan Millot tout ce quil a entre mains sans que aucun le puisse troubler ni empescher de ce faire paier ce qui est deub audit tavernier et si quelquun le trouble que ce soit a sa confusion, pour ce qui est du Revenu de La dite terre M Millot partagera avec Olivier Cherbonneau et fera aracher les souches pour passer La charue faict en pressence de francois baillif et Jehan prestot dont le dit presto a déclaré ne scavoir siner et ont siné dont il y a quatre most en rature f. bailly. (avec paraphe)


Jean Tavernier faict le 17 avril 1660.


Jean milot a déclaré en ma présence accepter la donation dudict Jean tavernier mentionner cy dessus et pour cequi est du revenu de la terre a partager avecq Charbonneau Il a consenty que leglise on Jouisse et luy cedde cequel y pouvait pretendre faict le 30 mai 1660

Paul de Chomedey
(Sur une feuille annexée)

Memoyre de ce que je doibst dont je prie maistre Jean Millot de paier

premièrement a Mr le Moyne 
 23 tt 7 s
Mr. du bois 
 20 tt
a Messieurs les pbres 
 36 tt
Monsieur Lambert de (mots incompréhensibles) 
 15 tt
A Jehan prestrot 
 50 tt
a chauvin 
 3 tt 10 s
a Mr de St André 
 36 tt

Le beausseron un manteau de (incompréhensible) dou_ Blé et 18 pieds de merizier écari

a monsieur Lamble ( ?) 
 6 tt
a La Vigne 
 3 tt 10 s
a Jacques morin 
 22 tt 7 s 6 d


Fac-similé de l’acte de décès de Dollard et de ses compagnons.

ACTE DE DÉCÈS
LE 3e DE JUIN 1660

Nous avons receu nouvelles par Un huron qui sestoit Sauvé dentre les mains des Iroquois qui L’avoient pris prisoiner au combat qui s’estoit fait 8 jours auparavant entre Lesd Iroquois qui estoient au nombre de huiet cent Et dix sept francois de cette habitation et quatre Algonquins et environ quarante hurons au pied du long Saut que treize de nosd francois avoient esté tuez sur la place et quatre emmenez prisoniers lesquels du depuis nous avons appris par dautres hurons qui Se Sont Sauvez avoir esté cruellemt bruslez par lesd Iroquois en leur pays. Or les noms desd francois morts estoient.

Adam Daulat commandent aagé de 25 ans
Jacques Brassier 25 ans
Jean Tavernier dit La lochetière armurier 28 ans
Nicolas Tiblemont serrurier 25 ans.
Laurent hebert dit la Riviere 27 ans.
Alonié de l’estre chaufournier, 31 ans.
Nicolas Josselin, 25 ans.
Robert Jurie 24 ans. No’ avons appris quil s’est
sauvé par les hollandais et retourné en France
Jacques Boisseau, 23 ans
Louys Martin 21 ans
Christophe Augier dit des Jardins 26 ans.
Estienne Robin dit des forges 27 ans.
Jean Valets, 27 ans.
René Doucin 30 ans.
Jean Lecompte 26 ans
Simon Grenet 25 ans
francois Crusson dit Pilote, 24 ans.

Transcription de l’acte de décès.
APPENDICE
(Extraits de la Relation des Jésuites pour l’année 1660.)

Quarante de nos Hurons qui faisaient l’élite de tout ce qui nous restait ici de considérable, conduits par un capitaine assez fameux, nomme Anahotaha, partirent de Québec sur la fin de l’hiver, pour aller à la petite guerre, et dresser des embûches aux Iroquois, à leur retour de la chasse. Ils passèrent par les Trois-Rivières, et là six Algonquins se joignirent à eux, sous le commandement de Miti8emeg, capitaine de considération. Étant arrivés ensuite à Montréal, ils trouvèrent que dix-sept Français, gens de cœur et de résolution, avaient déjà lié partie dans le même dessein qu’eux, s’immolant généreusement pour le bien public et pour la défense de la religion. Ils avaient choisi pour leur chef, le sieur Dollard, homme de mise et de conduite : et quoiqu’il ne fût arrivé de France que depuis assez peu de temps, il se trouva tout-à-fait propre pour ces sortes de guerre, ainsi qu’il l’a bien fait paraître, avec ses camarades, quoique la fortune semble leur avoir refusé la gloire d’une si sainte et si généreuse entreprise.

Nos sauvages heureux de grossir leur nombre d’une bande si leste et si résolue, s’embarquent pleins d’un nouveau courage, et, nos Français se joignant à eux, rament avec joie, dans l’espérance de surprendre au plus tôt l’ennemi. Leur marche se faisait de nuit pour n’être point découverts, et les prières étaient réglées tous les matins et tous les soirs, s’adressant tous à Dieu publiquement, chacun en sa langue ; de sorte qu’ils faisaient trois chœurs bien agréables au ciel, qui n’avait jamais vu ici de si saints soldats, et qui recevait bien volontiers des vœux conçus en même temps, en français, en algonquin et en huron.

Le sault Saint-Louis et les autres rapides ne leur coûtent rien à passer ; le zèle et l’ardeur d’une si sainte expédition leur fait mépriser la rencontre des glaces, et le froid des eaux fraîchement fondues, dans lesquels il se jetaient vigoureusement, pour traîner eux-mêmes leurs canots entre les pierres et les glaçons. Ayant gagné le lac Saint-Louis, qui est au-dessus de l’Isle de Montréal, ils détournent à droite, dans la rivière qui mène aux Hurons et vont se poster au-dessous, du sault de la Chaudière, pour y attendre les chasseurs iroquois, qui, selon leur coutume, le doivent passer file à file, en retournant de leur chasse d’hiver.

Nos guerriers ne s’y furent pas plus tôt rendus, qu’ils furent aperçus par cinq Iroquois qui venaient à la découverte, et qui remontèrent en diligence pour avertir tous les chasseurs de se réunir et de quitter la posture de chasseur pour celle de guerrier. Le changement est bientôt fait ; la petite hache à la ceinture au lieu d’épée, le fusil à la pointe du canot et l’aviron en main, voilà l’équipage de ces soldats. Ils se rassemblent donc, et les canots chargés de deux cents Onnontagheronnons, s’étant joints, ils naviguent en belle ordonnance et descendent gravement le sault, au-dessous duquel, nos gens surpris d’une si prompte et si réglée démarche, se voyant bien plus faibles en nombre, se saisissent d’un méchant reste de fort, bâti en ce quartier-là depuis l’automne par nos Algonquins ; ils tâchent de s’y gabionner du mieux qu’ils peuvent.

L’Onnontagheronnon fait ses approches, et ayant reconnu l’ennemi, l’attaque avec furie ; mais il est reçu si vertement, qu’il est obligé de se retirer avec perte ; ce qui le fait songer à ses ruses ordinaires, désespérant d’en venir à bout par la force ; et afin d’amuser nos gens pendant qu’il appelle à son secours les Agniehronnons, qui avaient leur rendez-vous aux Isles de Richelieu, il fait semblant de vouloir parlementer. Les Algonquins et les Hurons semblent y vouloir prêter l’oreille, mais nos Français ne savent ce que c’est que de paix avec ces barbares qui n’ont jamais traîté d’accomodement, qu’on ne soit aperçu de leurs fourbes bientôt après ; c’est pourquoi, lorsque tout paraissait fort paisible d’un côté du fort, de l’autre nos gens, se trouvant attaqués par trahison, ne furent pas surpris ; ils firent de si bonnes décharges sur les assaillants, qu’ils les contraignirent de se retirer pour la seconde fois, bien étonnés qu’une petite poignée de Français pût faire tête à deux cents Iroquois.

Ils eussent sans doute eu la confusion toute entière, et eussent été défaits entièrement, comme ils ont avoué, si les Français sortis du fort l’épée à la main ou si les Agniehronnons ne fussent pas arrivés peu de temps après au nombre de cinq cents, avec des cris si horribles et si puissants, que toute la terre circonvoisine semblait être pleine d’Iroquois.

Le fort est environné de tous les côtés, on fait feu partout jour et nuit ; les attaques se font rudes et fréquentes, pendant lesquelles nos Français firent toujours admirer leur résolution, leur vigilance, et surtout leur piété, qui leur faisait employer à la prière le peu de temps qu’ils avaient entre chaque attaque ; de sorte que sitôt qu’ils avaient repoussé l’Iroquois, ils se mettaient à genoux, et ne s’en relevaient, point que pour les repousser encore, et ainsi pendant dix jours que dura ce siège, ils n’avaient que deux fonctions, prier et combattre, faisant succéder l’une à l’autre, avec l’étonnement de nos Sauvages, qui s’animaient à mourir généreusement par de si beaux exemples.

Comme l’ardeur du combat était grande, et les attaques presque continuelles, la soif pressait plus nos gens que l’Iroquois. Il fallait essuyer une grêle de plomb, et aller à la pointe de l’épée puiser de l’eau à la rivière, qui était à deux cents pas du Fort, dans lequel on trouva enfin, à force de fouir, un petit filet d’eau bourbeuse, mais si peu, que le sang découlait des veines des morts et des blessés, bien plus abondamment que l’eau de cette source de boue.

Cette nécessité mit le Fort en telle extrémité, que la partie ne paraissant plus tenable aux sauvages qui y étaient, ils songèrent à traiter de paix, et députèrent quelques ambassadeurs au camp ennemi, avec de beaux présents de porcelaine, qui font en ce pays toutes les grandes affaires de la paix et de la guerre. Ceux-ci furent reçus des Iroquois avec de grands cris, soit de joie, soit de moquerie, mais qui donnèrent de la frayeur à nos sauvages, desquels une trentaine étant invités par leurs compatriotes hurons, qui demeuraient parmi les Iroquois, à se rendre avec assurance de la vie, sautèrent malgré tous les autres par-dessus la palissade, et laissèrent le Fort bien affaibli par une si insigne lâcheté, qui donna espérance aux Iroquois de se rendre maîtres des autres sans coup férir, ou par des menaces, ou par de belles paroles. Quelques députés s’approchèrent pour cela du Fort, avec les ambassadeurs qui en étaient sortis ; mais nos Français qui ne se fiaient point à tous ces pourparlers, firent sur eux une décharge inopinée, et jetèrent, les uns morts par terre, et mirent les autres en fuite. Cet affront aigrit tellement les Iroquois, qu’ils vinrent à corps perdu et la tête baissée, s’attacher à la palissade, et se mirent en devoir de la saper à coups de haches, avec un courage qui leur faisait fermer les yeux à tous les dangers et aux décharges continuelles qu’on faisait sur eux. Il est vrai que pour se garantir de la plus grande partie de cette grêle, ils firent des mantelets de trois bûches liées côte à côte, qui les couvraient depuis le haut de la tête jusqu’à la moitié des cuisses, et par ce moyen ils s’attachèrent au-dessous des canonniers des courtines, lesquelles n’étant pas flanquées, ils travaillaient à la sape avec assez d’assurance.

Nos Français employèrent tout leur courage et toute leur industrie en cette extrémité ; les grenades leur manquant, ils y suppléèrent par le moyen des canons d’une partie de leurs fusils qu’ils chargèrent à crever, et qu’ils jetèrent sur leurs ennemis ; ils s’avisèrent même de se servir d’un baril de poudre, qu’ils poussèrent par-dessus la palissade ; mais, par malheur, ayant rencontré une branche en l’air, il retomba dans le Fort, et y causa de grands désordres : la plupart de nos Français eurent le visage et les mains brûlées du feu, et les yeux aveuglés de la fumée que fit cette machine ; de quoi les Iroquois prenant avantage, se saisirent de toutes les meurtrières, et de dehors tiraient et tuaient dans le Fort ceux qu’ils pouvaient découvrir dans l’épaisseur de la fumée ; ce qui les anima de telle sorte, qu’ils montèrent sur les pieux, la hache à la main, descendirent dans le Fort de tous côtés, et y remplirent tout de sang et de carnage, avec tant de furie qu’il n’y demeura que cinq Français et quatre Hurons en vie, tout le reste ayant été tué sur la place, avec le chef de tous nommé Anahotata qui, se voyant prêt à expirer, pria qu’on lui mît la tête dans le feu, afin d’ôter à l’Iroquois la gloire d’emporter sa chevelure. “Laudavi magis mortuos quam viventes”. Ce fut sans doute dans cette pensée du Sage, qu’un de nos Français fit un coup surprenant : car voyant que tout était perdu, et s’étant aperçu que plusieurs de ses compagnons blessés à mort vivaient encore, il les acheva à grands coups de hache, pour les délivrer par cette inhumaine miséricorde, des feux des Iroquois. Et de fait, la cruauté succédant à la fureur, deux Français ayant été trouvés parmi les morts, avec quelque souffle de vie qui leur restait, on les fit la proie des flammes ; au lieu d’huile pour adoucir leurs plaies, on y fourra des tisons allumés et des alênes toutes rouges ; au lieu du lit pour soutenir les membres de ces pauvres moribonds, on les coucha sur la braise : en un mot on brûla cruellement ces pauvres agonisants dans toutes les parties du corps, tant qu’ils demeurèrent en vie.

Pour les cinq autres Français, avec tout le reste des captifs, tant ceux qui se sont rendus volontairement, que ceux qui ont été pris, on les oblige de monter sur un échafaud, ou on leur fait les premières caresses des prisonniers. On présente aux uns du feu à manger, on coupe les doigts aux autres, on brûle les jambes et les bras à quelques autres : tous enfin reçoivent les marques de leur captivité.

Ce spectacle d’horreur si agréable aux yeux des Iroquois, ne le fut pas moins, je m’assure, aux yeux des anges, quand un des pauvres prisonniers hurons, se souvenant des instructions qu’on lui avait faites, se mit à se faire prédicateur et à exhorter tous ces patients à souffrir constamment ces cruautés, qui passeraient bientôt, et seraient suivies du bonheur éternel, puisque ce n’était que pour la gloire de Dieu et pour le zèle de la religion, qu’ils avaient entrepris cette guerre contre les ennemis de la foi. Je ne sais si l’Église naissante a vu rien de plus beau dans ses persécutions : un barbare prêcher Jésus-Christ, et faire d’un échafaud une chaire de docteur, et si bien faire que l’échafaud se change en chapelle pour ses auditeurs, qui, parmi leurs tourments et au milieu des feux font leurs prières comme s’ils étaient aux pieds des autels, et ils ont toujours continué à les faire pendant leur captivité, s’y exhortant, les uns les autres lorsqu’il se rencontraient.

Après que la première rage des Iroquois fut rassasiée par la vue de leurs prisonniers, et par ces coups d’essai de leur cruauté, ils font le partage de leurs captifs : deux Français sont donnés aux Agnieronnons, deux aux Onnontagheronnons, le cinquième aux Onnei8theronnons pour leur faire goûter à tous de la chair des Français, et leur faire venir l’appétit et l’envie d’en manger, c’est-à-dire, les inviter à une sanglante guerre pour venger la mort d’une vingtaine de leurs gens tués en cette occasion. Après la distribution, on décampe, et l’on quitte la résolution prise de venir inonder sur nos habitations, pour mener au plus tôt dans le pays ces misérables victimes, destinées à repaître la rage et la cruauté de la plus barbare de toutes les Nations. Il faut ici, donner la gloire à ces dix-sept Français de Montréal, et honorer leurs cendres d’un éloge qui leur est dû avec justice, et que nous ne pouvons leur refuser sans ingratitude. Tout était perdu s’ils n’eussent péri, et leur malheur a sauvé ce pays, ou du moins a conjuré l’orage qui venait y fondre, puisqu’ils en ont arrêté les premiers efforts, et détourné tout-à-fait le cours.

(Passage d’une lettre de la Mère Marie de l’Incarnation adressée à son fils, en date du 25 juin 1660.)

«…… Voici comme le révérend père Chaumonnot en parle dans une lettre qu’il écrit, sur la déposition d’un Huron qui s’est sauvé, et qui a vu tout ce qui s’est passé.

Dès le mois d’avril 1669, dix-sept braves Français volontaires de Montréal, prirent le dessein de se hasarder pour aller faire quelque embuscade aux Iroquois, ce qu’ils firent avec l’approbation et l’agrément de ceux qui commandaient. Ils partirent accompagnés de quarante sauvages, tant Hurons qu’Algonquins, bien munis de tout ce qui leur était nécessaire. Ils arrivèrent le premier jour de mai suivant en un fort qui avait été fait l’automne passé par les Algonquins au pied du Long-Sault, au-dessus de Montréal. Le lendemain, jour de dimanche, deux Hurons qui étaient allés à la découverte rapportèrent qu’ils avaient vu cinq Iroquois qui venaient vers eux, aussi pour découvrir. L’on consulta là-dessus ce qui était à faire. Un Huron opina qu’il fallait descendre à Montréal, parce que ces Iroquois pouvaient être les avant-coureurs de l’armée qu’on nous avait annoncé devoir venir fondre sur nous, ou que s’ils n’étaient pas des espions de l’armée, ils étaient au moins pour avertir les chasseurs de cette embuscade, et par cet avis la rendre inutile. Annotacha, fameux capitaine huron, résista fortement à cette proposition, accusant de couardise et de lâcheté celui qui l’avait faite. On suivit le sentiment de ce dernier, et l’on demeura dans ce lieu, dans le dessein de faire le jour suivant une contrepalissade pour fortifier celle qu’ils avaient trouvée, et qui n’était pas de défense. Mais les Iroquois, qui étaient les Onnontageronons, ne leur donnèrent pas le loisir, car peu de temps après, on les vit descendre sur la rivière au nombre de deux cents. Nos gens, qui faisaient alors leurs prières, étant surpris, n’eurent le loisir que de se retirer dans cette faible retraite, laissant dehors leurs chaudières qu’ils avaient mises sur le feu pour préparer leur repas. Après les huées et les salves de fusils de part et d’autre, un capitaine onnontageronon avança sans armes jusqu’à la portée de la voix pour demander quelles gens étaient dans ce fort, et ce qu’ils venaient faire. On lui répond que ce sont des Français, Hurons, et Algonquins au nombre de cent hommes, qui venaient au-devant des Nez-Percés. Attendez, réplique l’autre, que nous tenions conseil entre nous, puis je viendrai vous revoir ; cependant ne faites aucun acte d’hostilité, de crainte que vous ne troubliez les bonnes paroles que nous portons aux Français à Montréal. Retirez-vous donc, dirent les nôtres, à l’autre bord de la rivière, tandis que nous parlementerons de notre part. Ils désiraient cet éloignement de l’ennemi, pour avoir la liberté de couper des pieux, afin de fortifier leur palissade. Mais tant s’en faut que les ennemis allassent camper de l’autre côté, qu’au contraire ils commencèrent à dresser une palissade vis-à-vis de celle de nos gens, qui, à la vue des ouvriers, ne laissèrent pas de se fortifier le plus qu’ils purent, entrelaçant les pieux de branches d’arbres et remplissant le tout de terre et de pierres à hauteur d’homme, en sorte néanmoins qu’il y avait des meurtrières à chaque pieu gardées par trois fusiliers. L’ouvrage n’était pas encore achevé que l’ennemi vint à l’assaut. Les assiégés se défendirent vaillamment, tuèrent et blessèrent un grand nombre d’Iroquois sans avoir perdu un seul homme. La frayeur qui se mit dans le camp de l’ennemi leur fit prendre la fuite à tous, et les nôtres s’estimaient déjà heureux de se voir quittes à si bon marché. Quelques jeunes gens sautèrent la palissade pour couper la tête au capitaine Sonnontatonan, qui venait d’être tué, et l’érigèrent en trophée au bout d’un pieu sur la palissade. Les ennemis étant revenus de la frayeur extraordinaire dont ils avaient été saisis, se rallièrent et, durant sept jours et sept nuits entières grêlèrent nos gens de coups de fusils. Durant ce temps-là ils brisèrent les canots des nôtres, et en firent des flambeaux pour brûler les palissades, mais les décharges étaient si fréquentes qu’il ne leur fut jamais possible d’en approcher. Ils donnèrent encore une seconde attaque plus opiniâtre que la première ; mais les nôtres la soutinrent si courageusement, qu’ils prirent la fuite pour la seconde fois. Vingt d’entre eux se retirèrent si loin, qu’on ne les revit plus depuis. Quelques Ounontageronons dirent depuis à Joseph qu’ils tenaient captif, que si les nôtres les eussent suivis les battant en queue, ils les eussent tous perdus. Hors le temps des deux attaques, les coups que tirait l’ennemi sur la palissade n’étaient que pour empêcher les assiégés de fuir, et pour les arrêter en attendant, le secours des Onnieronons qu’ils avaient envoyé quérir aux îles de Richelieu.

Que d’incommodités souffraient cependant nos Français ! le froid, la puanteur, l’insomnie, la faim et la soif les fatiguaient plus que l’ennemi. La disette d’eau était si grande, qu’ils ne pouvaient plus avaler la farine épaisse dont les gens de guerre ont coutume de se nourrir en ces extrémités. Ils trouvèrent un peu d’eau dans un trou de la palissade, mais étant partagée à peine en eurent-ils pour se rafraîchir la bouche. La jeunesse faisait de temps en temps quelques sorties par-dessus les pieux, car il n’y avait point de portes, pour aller quérir de l’eau à la faveur de quantité de fusiliers qui repoussaient l’ennemi ; mais comme ils avaient perdu leurs grands vaisseaux, ils n’en portaient que de petits qui ne pouvaient fournir à la nécessité de soixante personnes, tant pour le boire que pour la sagamité. Outre cette disette d’eau, le plomb commença à manquer ; car les Hurons et les Algonquins voulant répondre à chaque décharge des ennemis, tant de jour que de nuit, eurent bientôt consumé leurs munitions. Les Français leur en donnèrent autant qu’ils purent mais enfin ils furent épuisés comme les autres. Que feront-ils donc à l’arrivée de cinq cents Agnieronnons et Onnieronons qu’on est allé quérir ? Ils sont résolus de combattre en généreux Français et de mourir en bons chrétiens. Ils s’étaient déjà exercés à l’un et à l’autre l’espace de sept jours, durant lesquels ils n’avaient fait que combattre et prier Dieu ; car dès que l’ennemi faisait trêve, ils étaient à genoux, et sitôt qu’il faisait mine d’attaquer, ils étaient debout, les armes à la main.

Après les sept jours de siège, on vit paraître les canots des Agnieronnons et des Onneioutronnons, qui étant devant le petit fort de nos Français, firent une huée étrange, accompagnée d’une décharge de cinq cents coups de fusils, auxquels les deux cents Onnontageronnons répondirent avec des cris de joie et avec toute leur décharge, ce qui fit un tel bruit que le ciel, la terre et les eaux en résonnèrent fort longtemps. Ce fut alors que le capitaine Annotacha dit : Nous sommes perdus, mes camarades. Et le moyen de résister à sept cents hommes frais avec le peu de monde que nous sommes, fatigués et abattus ! Je ne regrette pas ma vie, car je ne saurais la perdre dans une meilleure occasion que pour la conservation du pays ; mais j’ai compassion de tant de jeunes enfants qui m’ont suivi. Dans l’extrémité où nous sommes je voudrais tenter un expédient qui me vient en l’esprit pour leur faire donner la vie. Nous avons ici un Oneiouteronnon, je serais d’avis de l’envoyer à ses parents avec de beaux présents, afin de les adoucir, et d’obtenir d’eux quelque bonne composition. Son sentiment fut suivi, et deux Hurons des plus considérables s’offrirent à la ramener. On les charge de beaux présents, et après les avoir instruits de ce qu’ils avaient à dire, on les aide à monter sur la palissade pour se laisser glisser ensuite le long des pieux. Cela fait, on se met en prières pour recommander à Dieu l’issue de cette ambassade. Un capitaine huron, nommé Eustache Thaouonhohoui, commença au nom de tous à apostropher tous les saints et les bienheureux du paradis d’un ton de prédicateur, à ce qu’ils leur fussent propices dans un danger de mort si évident. Vous savez, dit-il, ô bienheureux habitants du ciel, ce qui nous a conduits ici ; vous savez que c’est le désir de réprimer la fureur de l’Iroquois, afin de l’empêcher d’enlever le reste de nos femmes et de nos enfants, de crainte qu’en les enlevant ils ne leur fassent perdre la Foi, et ensuite le Paradis, les emmenant captifs en leur pays. Vous pouvez obtenir notre délivrance du grand maître de nos vies, si vous l’en priez tout de bon. Faites maintenant ce que vous jugerez le plus convenable ; car pour nous, nous n’avons point d’esprit pour savoir ce qui nous est le plus expédient. Que si nous sommes au bout de notre vie, présentez à notre grand maître que nous allons souffrir en satisfaction des péchés que nous avons commis contre sa loi, et impétrez à nos pauvres femmes et à nos enfants la grâce de mourir bons chrétiens, afin qu’ils nous viennent trouver dans le ciel.

Pendant que les assiégés priaient Dieu, les députés entrèrent dans le camp de l’ennemi. Ils y furent reçus avec une grande huée, et au même temps un grand nombre de Hurons qui étaient mêlés parmi les Iroquois, vinrent à la palissade solliciter leurs anciens compatriotes de faire de même que leurs députés, savoir de venir se rendre avec eux, n’y ayant plus, disaient-ils, d’autre moyen de conserver leur vie que celui-là. Ah ! que l’amour de la vie et de la liberté est puissant ! À ces trompeuses sollicitations, on vit envoler vingt-quatre de ces timides poules de leur cage, y laissant seulement quatorze Hurons, quatre Algonquins et nos dix-sept Français. Cela fit redoubler les cris de joie dans le camp de l’ennemi, qui pensait déjà que le reste allait faire de même. C’est pourquoi ils ne se mirent plus en peine d’écouter, mais ils s’approchèrent du fort à dessein de se saisir de ceux qui voudraient prendre la fuite. Mais nos Français, bien loin de se rendre, commencèrent à faire feu de tous côtés, et tuèrent un bon nombre de ceux qui étaient plus avancés. Alors Annotacha crie aux Français : Ah ! camarades, vous avez tout gâté, encore deviez-vous attendre le résultat du conseil de nos ennemis. Que savons-nous s’il ne demanderont point à composer, et s’ils ne vous accorderont point de nous séparer les uns des autres sans acte d’hostilité, connue il est souvent arrivé en de semblables rencontres ? Mais à présent que vous les avez aigris, ils vont se ruer sur nous d’une telle rage que sans doute nous sommes perdus. Ce capitaine ne raisonna pas mal car les Iroquois voyant leurs gens tués lorsqu’ils s’y attendaient le moins, furent transportés d’un si grand désir de se venger, que sans se soucier des coups de fusils qu’on tirait incessamment, se jetèrent à corps perdu à la palissade, et s’y attachèrent au-dessous des canonnières où on ne leur pouvait plus nuire, parce qu’il n’y avait point d’avance d’où l’on pût les battre. Par ce moyen nos Français ne pouvaient plus empêcher ceux qui coupaient les pieux. Ils démontent deux canons de pistolets qu’ils remplissent jusqu’au goulet, et les jettent sur ces mineurs après y avoir mis le feu. Mais le fracas ne les ayant point fait écarter, ils s’avisèrent de jeter sur eux un baril de poudre avec une mèche allumé. Mais malheur le baril n’ayant pas été poussé assez rudement, par-dessus la palissade au lieu de tomber du côté des ennemis tomba dans le fort où prenant feu, il brûla aux uns le visage, aux autres les mains, et à tous il ôta la vue un assez long temps, et les mit hors d’état de combattre. Les Iroquois qui étaient à la sape s’aperçurent de l’avantage que cet accident leur donnait. Ils s’en prévalurent et se saisirent de toutes les meurtrières que ces pauvres aveugles venaient de quitter. On vit bientôt tomber de côté et d’autre, tantôt un Huron, tantôt un Algonquin, tantôt un Français, en sorte qu’en peu de temps une partie des assiégés se trouvèrent morts et le reste blessés. Un Français, craignant que ceux qui étaient blessés à mort n’eussent encore assez de vie pour expérimenter la cruauté du feu des Iroquois, acheva d’en tuer la plus grande partie à coups de hache par un zèle de charité qu’il estimait bien réglé. Mais enfin les Iroquois, grimpant de tous côtés, entrèrent dans la palissade et prirent huit prisonniers qui étaient restés en vie, de trente qui étaient demeurés dans le fort, savoir, quatre Français et quatre Hurons. Ils en trouvèrent deux parmi les morts, qui n’avaient pas encore expiré ; ils les firent brûler inhumainement.

Ayant fait le pillage, ils dressèrent un grand échafaud sur lequel ils firent monter les prisonniers, et pour marque de leur perfidie, ils y joignirent ceux qui s’étaient rendus volontairement. Ils tourmentèrent cruellement les uns et les autres. Aux uns ils faisaient manger du feu ; ils coupaient les doigts aux autres, ils en brûlaient quelques-uns ; ils coupaient à d’autres les bras et les jambes. Dans cet horrible carnage, un Oneiouteronnon tenant un gros bâton s’écrie à haute voix : Qui est le Français assez courageux pour porter ceci ? À ce cri, un de nos compatriotes, qu’on estime être René[41], quitte généreusement ses habits pour recevoir à nu les coups que l’autre voudrait lui donner. Mais un Huron, nommé Annieouton, prenant la parole, dit à l’Iroquois : Pourquoi veux-tu maltraiter ce Français qui n’a jamais eu que de la bonté pour toi ? — Il m’a mis les fers aux pieds, dit le barbare. — C’est pour l’amour de moi, réplique Annieouton, qu’il te les a mis, ainsi décharge sur moi ta colère et non sur lui. Cette charité adoucit le barbare, qui jeta son bâton sans frapper ni l’un ni l’autre.

Cependant, les autres étaient sur l’échafaud où ils repaissaient les yeux et la rage de leurs ennemis, qui leur faisaient souffrir mille cruautés accompagnées de brocards. Aucun ne perdit la mémoire des bonnes instructions que le père qui les avait gouvernés leur avait données. Ignace Thaouenhohoui commença à haranguer tout haut ces captifs. « Mes neveux et mes amis, dit-il, nous voilà tantôt arrivés au terme que la foi nous fait espérer. Nous voilà presque rendus à la porte du paradis. Que chacun de nous prenne garde de faire naufrage au port. Ah ! mes chers captifs, que les tourments nous arrachent plutôt l’âme du corps que la prière de la bouche, et Jésus du cœur ! Souvenons-nous que nos douleurs finiront bientôt, et que la récompense sera éternelle. C’est pour défendre la foi de nos femmes et de nos enfants contre nos ennemis, que nous nous sommes exposés aux maux que nous souffrons, à l’exemple de Jésus, qui s’offrit à la mort pour délivrer les hommes de la puissance de Satan, leur ennemi ; ayons confiance en lui ; ne cessons point de l’invoquer ; il nous donnera sans doute du courage pour supporter nos peines. Nous abandonnerait-il au temps où il voit que nous lui sommes devenus plus semblables, lui qui ne refuse jamais son assistance aux plus contraires à sa doctrine, quand ils ont recours à lui avec confiance ? » Cette courte exhortation eut un tel pouvoir sur l’esprit de ces pauvres patients qu’ils promirent tous de prier jusqu’au dernier soupir. Et, de fait, le Huron échappé huit jours après des mains des Iroquois, a assuré que jusqu’à ce temps-là, ils ont prié Dieu tous les jours, et qu’ils s’exhortaient l’un l’autre à le faire toutes les fois qu’ils se rencontraient.

Jusqu’ici est la déposition du Huron qui s’est sauvé, sans quoi l’on ne saurait rien de cette sanglante tragédie. Il y a sujet d’espérer qu’il s’en sauvera encore quelque autre qui nous dira le reste. Ce Huron qui se nomme Louis, et qui est un excellent chrétien, était réservé pour être brûlé dans le pays ennemi, et pour cela il était gardé si exactement qu’il était lié à un Iroquois, tant on avait peur de le perdre, aussi bien qu’un autre Huron qui courait le même sort. Ils ont invoqué Dieu et la sainte Vierge avec tant de ferveur et de confiance qu’ils se sont échappés comme miraculeusement, vivant en chemin de limon et d’herbe, et courant sans respirer jusqu’à Montréal. Louis m’a raconté à notre parloir sa grande confiance à la sainte Vierge, et que comme il était lié à l’Iroquois endormi, un de ses liens se rompit de lui-même, et qu’étant ainsi demi-libre, il rompit doucement les autres et se mit entièrement en liberté. Il traversa toute l’armée, quoique l’on y fît le guet, sans aucune mauvaise rencontre, et se sauva de la sorte. Ils ont rapporté qu’un Iroquois ayant rencontré un Français, lui dit : Je t’arrête ; et que le Français, qu’on dit être celui qui par commisération acheva de tuer les moribonds, et qui avait un pistolet en son sein, dont les ennemis ne s’étaient pas aperçus, le tira, en disant du même ton : Et moi, je te tue, et le tua en effet.

Sans les connaissances que ces Hurons fugitifs nous ont données, on ne saurait point ce que nos Français et nos sauvages seraient devenus, ni où aurait été l’armée des ennemis, qui après la défaite dont je viens de parler, s’en sont retournés en leurs pays, enflés de leur victoire, quoiqu’elle ne soit pas grande en elle-même. Car sept cents hommes ont-ils sujets de s’enorgueillir pour avoir surmonté une si petite troupe de gens ? Mais c’est le génie des sauvages quand ils n’auraient pris ou tué que vingt hommes, de s’en retourner sur leurs pas pour en faire montre en leurs pays. L’on avait conjecturé ici que l’issue de cette affaire serait telle qu’elle est arrivée, savoir que nos dix-sept Français et nos bons sauvages seraient les victimes qui sauveraient tout le pays ; car il est certain que sans cette rencontre, nous étions perdus sans ressources parce que personne n’était sur ses gardes, ni même en soupçon que les ennemis dussent venir. Ils devaient néanmoins être ici à la Pentecôte, auquel temps les hommes étant à la campagne, ils nous eussent trouvés sans force et sans défense ; ils eussent tué, pillé et enlevé hommes, femmes, enfants ; et quoiqu’ils n’eussent pu rien faire à nos maisons de pierre, venant fondre néanmoins avec impétuosité, ils eussent jeté la crainte et la frayeur partout. On tient pour certain qu’ils reviendront à l’automne ou au printemps de l’année prochaine ; c’est pourquoi on se fortifie dans Québec. Et pour le dehors, M. le Gouverneur a puissamment travaillé à faire des réduits ou villages fermés, où il oblige chacun de bâtir une maison pour sa famille, et contribuer à faire des granges communes pour assurer les moissons, faute de quoi il fera mettre le feu dans les maisons de ceux qui ne voudront pas obéir. C’est une sage police, et nécessaire pour le temps, autrement les particuliers se mettent en danger de périr avec leurs familles. De la sorte, il se trouvera neuf ou dix réduits bien peuplés, et capable de se défendre. Ce qui est à craindre, c’est la famine, car si l’ennemi vient à l’automne, il ravagera les moissons ; s’il vient au printemps, il empêchera les semences.”

(Mémoires de la Société royale du Canada, IIe série, tome VI, Suite, pp. 163-168).



Défaite des Hurons et François

Le 8. sur la minuit vint la nouvelle de la deffaite des 40. Hurons qui restoient, et estoient allés en guerre avec 17. françois, et 4. Algonquains, ce par une armée de 700. yroquois préparée pour venir à Quebek, et divertie pour ce coup par ce rencontre.

(Journal des Jésuites, édition J. M. Valois, 1893. — page 284, juin 1660.)




Monument du Long-Sault.


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⚜ ⚜ ⚜

TABLES DES MATIÈRES



Notes et documents :



APPENDICE



ILLUSTRATIONS



⚜ ⚜ ⚜

  1. Quant au document du 5 septembre 1658, cité par l’abbé Faillon, il contient trois actes : un du 5 septembre, un du 10 septembre 1658, puis un autre du 4 octobre 1661. C’est dans celui du 10 septembre que Dollard figure.
    Lorsqu’on songe que l’abbé Faillon travaillait avec cinq ou six secrétaires ; qu’il lui était matériellement impossible de réviser l’immense quantité de notes qu’ils accumulaient et que l’habitude est de prendre comme date d’un document celle qui apparaît en premier lieu sur l’intitulé, on comprendra comment des erreurs de ce genre ont pu se commettre, sans qu’elles puissent jeter aucun discrédit sur cet éminent historien.
  2. L’abbé Faillon ne mentionne que onze pièces dans lesquelles la présence de Dollard est constatée. À l’époque où il travailla dans les voûtes du Palais de justice, plusieurs actes de Basset paraissaient égarées.
  3. Faillon, Histoire de la Colonie, II, 398.
  4. Nous reproduisons cette pièce plus loin.
  5. Avec les billets seuls, le passif du défunt s’élevait à 99 livres. Par ailleurs, le prix des travaux qu’il a fait exécuter sur sa concession ne figure pas ici.
  6. Pages d’histoires, 273 et seq.
  7. Sauf dans l’acte du 18 mars 1659 où il écrit des Ormeaux Dollard, et dans l’acte du 15 novembre 1659 où on lit Dellard parce qu’ayant commencé à écrire Deso il surcharge so de ll sans s’occuper de l’e précédent.
  8. Ainsi que l’auteur des Relations des Jésuites de 1660, imprimées en 1661.
  9. Mgr Tanguay en fournit un autre cas. Dans son dictionnaire, vol. III, p. 411, il mentionne J.-Bte. N. Deverac parce qu’il n’a lu son nom que dans les registres, quoique cet individu signe bien lisiblement Deverat. Maximilien Bibaud est tombé de Charybde en Scylla. Dans la première édition de son Panthéon, on lit Adam Dollard, sieur Descormiers ! Il est possible, toutefois, que ce soit une faute typographique.
  10. Autre exemple d’un t final pris pour un c ; de plus le copiste a dû se méprendre sur la 2e et la 6e lettres de ce nom.
  11. La distraction du copiste est ici bien patente.
  12. L’abbé Dollier de Casson n’était pas un déchiffreur d’écriture, si l’on en juge par un passage de l’article de M. O.-H. Lapalice, archiviste de la fabrique de Notre-Dame de Montréal, paru dans le Canadian Antiquarian de 1911, p. 184.
  13. Il convient d’ajouter que dans la 4e édition, M. Sulte, au mot Daulac de la table analytique renvoyait le lecteur à Dollard des Ormeaux. Dans la 5e édition de cette histoire parue en France, par les soins de M. Hector Garneau, petit-fils de l’auteur, Daulac disparaît enfin.
  14. Les actes publics connus aujourd’hui, et nous croyons qu’il y en a plus qu’on n’en connaissait en 1860, contiennent tous Dollard ou Dolard, à l’exception de l’acte de décès. D’ailleurs, l’abbé Laverdière, contemporain de l’abbé Ferland, continuateur de son œuvre et historien tout aussi consciencieux et érudit, n’a pas répété cette déformation ; il écrit Dollard.
  15. Nous analysons dans la seconde partie, ce qu’ont dit du testament de ces braves, les historiens de Casson, Faillon, Tanguay, Rousseau et autres.
  16. Quelques-uns prétendent que Dollard était d’origine irlandaise parce que son nom a été porté par le premier évêque de Saint-Jean, N.-B., lequel naquit en Irlande, en 1789. Il reste à savoir si cet évêque ne descendait pas d’une famille française émigrée en Irlande ; le cas ne serait pas unique. Quoi qu’il en soit, le nom existe en France sous diverses formes, entre autres, celle-ci : Daulhard.
  17. Les deux tt remplacent les deux ll barrées qui dans le texte sont mises pour le mot livres.
  18. Ou Rhingrave : culotte large.
  19. Dans l’inventaire de Jeanne Mance, on voit “drap de sceau” et “du ceaux”. Le terme exact est drap du sceau de Rouen, ainsi appelé à “cause de la marque de fabrique indiquant le pays d’origine.”
  20. Claude de Brigeat, grenadier, secrétaire de M. de Maisonneuve. Il fut pris et brûlé par les Iroquois en 1661. Certains historiens le nomment Brigeard, Brigard, Brisac ou Brigeac.
  21. C’est sans doute le nom du sieur de Belestre que le tabellion a écrit de cette manière. Basset avait la manie d’abréger quantité de mots, souvent même pour n’omettre qu’une lettre.
  22. Dollier de Casson — Histoire du Montréal, 1868, p. 140. Sans faire de rapprochement, on peut noter que deux ans auparavant, Chouart et Radisson passaient à Montréal, en route pour les grands lacs. Cette expédition se fit tuer 13 hommes et plusieurs de ceux qui la composaient rebroussèrent chemin. Voir Dionne. Chouart & Radisson, p. 49.
  23. Voir page 25.
  24. Histoire du Montréal, p. 143.
  25. Histoire de la Colonie française, II, 397.
  26. Histoire du Montréal. Note de M. Jacques Viger, p. 144.
  27. Comment expliquer que l’abbé Souart a pu écrire, le 3 juin, que le combat avait eu lieu 8 jours auparavant, alors que rien de ce qui se passait dans Montréal, qui n’était qu’un hameau, ne pouvait lui échapper ? Les mots « 8 jours » ne seraient-ils pas mis ici pour une période de temps indéterminée ?
  28. Si l’on scrute les contrats d’engagements de 1653, on apercevra que six d’entre eux n’ont pas signé à ces contrats.
  29. Archives du Séminaire, 7 mars 1674.
  30. En effet, Basset semble avoir inscrit dans le registre du tabellionnage, presque tous les actes qu’il a fait de 1657 à 1663, comme notaire, greffier, arpenteur, etc. Après cette date, il cesse peu à peu d’y insérer ses actes notariés.
  31. Il ne cite pas celui de Tavernier, mais la manière dont il parle de ses sentiments religieux (voir plus loin, les notes concernant Tavernier) indique bien qu’il avait lu ses dernières dispositions.
  32. Quoique bizarre, cette dernière expression se rencontre dans d’autres pièces.
  33. Simple coquille.
  34. Basset écrit toujours Ducharne, jamais Ducharme.
  35. Dans le texte, une erreur typographique fait dire, à l’auteur, 1663.
  36. Ceci se produit assez souvent sous M. de Maisonneuve.
  37. Greffe de Lambert Closse. L’abbé Paillon, ib., 198, a attribué, par erreur, cet écrit à M. de Saint-Père qui pourtant n’y figure en aucune manière.
  38. C’est ainsi qu’il signe toujours.
  39. Cette réflexion est évidemment inspirée par la lecture du testament de Tavernier.
  40. GVI ou MVI, signifient mil six cent.
  41. René Doussin