Histoire de la littérature grecque (Croiset)/Tome 5/Période de l’Empire/Chapitre 3

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CHAPITRE III
DÉBUTS DE LA RENAISSANCE HELLÉNIQUE AU SECOND SIÈCLE

bibliographie

I. Épictète. — Manuscrits. Sur les mss. des Entretiens, voir l’édition de Schenkl, Préface, p. xxiv et suiv. Tous nos mss. dérivent du ms. d’Oxford no 251, Bodleyanus ou S (Saibantinus, autrefois à Rome dans la bibliothèque des Saibanti) ; ce ms. semble dater du commencement du XIIe siècle ; il renferme des scolies, qui ont été publiées à plusieurs reprises, en dernier lieu par Schenkl, dans son édition des Entretiens. Pour le Manuel, le classement des mss. reste encore à faire. Voir Schenkl, ouv. cité, p. 424. À défaut de scolies proprement dites, nous possédons un Commentaire continu de cet ouvrage, dû au philosophe platonicien Simplicius, qui vivait au ve siècle. Voir, ci-après, l’indication des éditions. — La paraphrase attribuée à S. Nil, dont il sera question dans ce chapitre, se trouve dans S. Nili opera, édit. Suarez, Rome, 1673 et dans l’édition de Schweighaeuser, t. V, qui contient aussi l’autre paraphrase anonyme.

Éditions. Pour les éditions anciennes, voir Schenkl, ouv. cité, p. lxii. Les plus connues sont celles de Trincavelli, Venise, 1535 ; de Jérôme Wolf, Bâle, 1560, avec traduction latine ; de J. Upton, Londres, 1741, accompagnée d’importants commentaires ; de J. Schweighaeuser, Epicteteæ philosophiæ monumenta, en 5 vol., Leipzig, 1799-1800, qui a marqué un progrès décisif ; de Dübner, dans la Bibl. Didot, Paris, 1848, avec les Caractères de Théophraste et les Pensées de Marc-Aurèle. — Le commentaire de Simplicius se trouve dans plusieurs de ces éditions, notamment dans celles de Schweighaeuser (t. IV, V) et de Dübner.

La meilleure édition aujourd’hui est celle que Schenkl a donnée dans la Bibliotheca Teubneriana. Leipzig, 1894. Elle contient, outre une importante préface, les scolies Bodleyennes, les Entretiens, les Fragments très complets, et le Manuel, mais sans le commentaire de Simplicius.

II. Dion Chrysostome. — Manuscrits. Les mss. des discours de Dion ont été étudiés et classés par Hans von Arnim dans les Prolégomènes de son édition. Selon ses conclusions, qui semblent définitives, tous nos manuscrits dérivent d’un archétype perdu, qu’on peut rapporter approximativement au vie siècle. Réunis assez tard, les écrits de Dion y étaient déjà dans un grand désordre. Nos mss. actuels se divisent en deux classes. L’une, qui a pour représentants principaux, le Palatinus 117 (P), du xve s., et le Vaticanus 91 (H), du xiiie s., ne nous a conservé que 31 discours sur 80. L’autre, qui sert à compléter aujourd’hui la première, semble malheureusement avoir été interpolée par Aréthas ; elle est surtout représentée par le Parisinus 2958 (B), du xve s., l’Urbinas 124 (U), du xie s., et le Meermannianus, du xvie s., qui seul comprend tous les écrits conservés. Ces manuscrits sont loin d’offrir, pour l’établissement du texte d’un grand nombre de discours, une tradition certaine, d’autant plus que beaucoup de conférences de Dion, improvisées et recueillies par la sténographie, paraissent avoir été publiées dès l’origine assez inexactement.

Éditions. L’édition princeps est celle de Venise, 1551. Les Plus connues ensuite sont : celle de Frédéric Morel, avec traduction latine, Paris, 1604 ; celle de Reiske, publiée après sa mort par sa veuve. Leipzig, 1784 ; celle d’Emperius, Brunswick, 1854, travail critique important, dont l’auteur avait mis en œuvre avec soin les ressources dont on dis posait alors ; celle de Dindorf, dans la bibl. Teubner, Leipzig, 1857, reproduction de la précédente, mais accompagnée d’une étude, sous forme de préface critique, sur la langue de Dion. Toutes ces éditions sont aujourd’hui annulées par la grande édition critique de Hans von Arnim, Dionis Prusæensis quæ exstant omnia, en deux vol. in-8o, Berlin, 1893-96, avec un appareil critique complet. Les Lettres de Dion en ont été exclues comme non authentiques ; ces lettres, au nombre de cinq seulement, figurent dans l’édition d’Emperius et dans les Epistolographi græci de la Bibl. Didot, p. 259 ; elles sont insignifiantes ; la correspondance de Dion, vantée par Philostrate (même vol., p. 14, l. 41), est perdue.

II. Plutarque. — Manuscrits. La tradition manuscrite des œuvres de Plutarque est différente pour les Écrits de morale et pour les Vies parallèles. — a. Écrits de morale. Voir Treu, zur Geschichte der Uberlieferung von Plutarchi Moralia, Breslau, 1876 et 1884 ; la Préface de l’édition de Bernardakis, et celle des Pythici dialogi tres de Paton. Les principaux mss. paraissent être les Parisini 1674 et 1672 (xiiie s.), 1956 (xie ou xiie s.), 1675 (xve s.), les Vaticani 139 (du xiiie s.), 80 (xve s.), 1013 (xve s.), le Marcianus 250 (xie s.), un des meilleurs. Ces divers mss. contiennent, en totalité ou en partie, la collection de traités formée par Planude. — b. Vies parallèles. Sur les manuscrits des Vies, à défaut d’étude d’ensemble, on peut lire diverses dissertations de Sintenis (Jahrb. für class. Philol., 1835 ; Rhein. Mus., 1842 ; Philol. 1846, 1851, 1853). Les principaux sont le Sangermanensis 319 (A), du xe s., le Palatinus 283, du xie s., divers Parisini, et un ms. de Madrid, le no 55, du xive s. Voir Graux, De Plutarchi codice Matritensi, Paris, 1881.

Éditions. L’édition princeps, pour les œuvres morales est celle des Aldes, Venise, 1509 ; pour les vies, celle des Juntes, Florence, 1517. Les éditions complètes les plus connues sont les suivantes : Reiske, 42 vol. in-8o. Lipsiæ, 1774-82, avec traduction latine ; Doehner et Duebner, dans la Biblioth. Didot, avec traduction latine, Paris, 1848-1855 (Vitæ, par Doehner, t. iet ii ; Ἠθικά, avec les fragments, par Duebner, t. iii, iv et v) ; Sintenis et Bernardakis, dans la Bibl. Teubner (Vitæ parallelæ, par Sintenis, 5 vol. Leipzig, 1852-53 ; réimprimées en 1873-75 ; Moralia, par Bernardakis, 6 vol. et un épilogue. Leipzig, édition critique achevée en 1895, la meilleure aujourd’hui). — Parmi les éditions partielles, la plupart vieillies aujourd’hui, il faut citer, pour les Moralia, celle de Wyttenbach, avec la traduction latine de Xylander, des remarques et un index formant Lexicum Plutarcheum, 15 vol. in-8o, Oxford, 1795-1830 ; pour les Vies, celles de Bryan, 5 vol. in-4o. Londres, 1729 ; de Coraï, 6 vol. in-8o, Paris, 1809-15 ; de Schæfer, 9 vol. in-8o. Leipzig, 1820 ; la première édition donnée par Sintenis, 4 vol. in-8o. Leipzig, 1839-46, avec une dissertation sur l’hiatus dans les Vies parallèles, importante pour les questions d’authenticité. — Pour les traités isolés, les plus intéressantes éditions à noter sont : le traité Περὶ Μουσικῆς par Volkmann, Lipsiæ, 1856, et le même par Westphal, Breslau, 1865 ; Plutarchi Pythioi dialogi tres rec. G. R. Paton, Berlin, 1893 (bonne édition critique contenant de E apud Delphos, de Pythiæ oraculis, De defectu oraculorum). — Pour les Vies, citons la Vie de Démosthène et la Vie de Cicéron, par Ch. Graux, Paris 1881 et 1882 ; la Vie de Périclès, par Alf. Jacob, Paris, 1893.

Traductions françaises. Après celle d’Amyot, qui appartient à l’histoire de notre littérature, il suffit de mentionner celles des Vies par Ricard, Paris, 1738, et par Pierron, Paris, 1843 ; celles des Œuvres morales par Ricard, Paris, 1783-1795, Pierron, Paris, 1847, et Bétolaud, Paris, 1870.



Sommaire.

I. Renaissance de l’hellénisme à la fin du ier siècle. — II. Épanouissement de la philosophie morale après Domitien. Épictète ; sa vie et son enseignement. Les Entretiens et le Manuel. Son originalité morale et littéraire. — III. Dion Chrysostome. Sa vie. Ses écrits perdus. Recueil de ses Discours ; classement. Sa prédication morale. Son talent. — IV. Plutarque. Sa vie et son rôle. — V. Ses écrits. Leur nombre et leur groupement. Leurs diverses formes et leurs qualités communes. — VI. Fond de la philosophie de Plutarque. Son Platonisme. Autres influences qu’il a subies. — VII. Plutarque théologien et apologiste. Sa philosophie religieuse. — VIII. Le moraliste. Théorie du bien. Les maladies de l’âme et leurs remèdes. Préceptes sur la famille, l’amitié, la vie publique. — IX. Plutarque historien. Les Vies parallèles. — X. Autres philosophes. Favorinus.

I

La période que nous venons de parcourir nous a offert le spectacle de beaucoup de tentatives littéraires médiocrement heureuses, sans unité de vues, sans directions dominantes, sans résultats marquants. Pourtant, sous cette agitation mal réglée et peu féconde, nous avons senti la foi survivante de l’hellénisme en lui-même, son désir de se produire de nouveau au dehors dans des œuvres dignes de lui. Ses efforts devaient aboutir à une sorte de renaissance, un peu artificielle sans doute, mais non dénuée d’un certain éclat. Elle se manifeste en effet, à partir de la fin du premier siècle, déjà sous les Flaviens, et surtout après l’avénement de Nerva.

La Grèce s’est habituée alors à sa nouvelle condition. Dans l’unité de l’empire, qui absorbe le monde entier, elle ne se sent plus humiliée de sa sujétion. Elle goûte le plaisir d’être admirée de ses maîtres, elle se complaît dans ses fonctions d’enseignement, elle joue avec satisfaction son rôle propre, qui est de représenter les traditions de l’art, de la science, de la pensée. Les grandes ambitions ne sont plus de saison, il est vrai, ni par conséquent les fortes créations littéraires. Mais, au milieu d’une société paisible, sous un gouvernement équitable et modéré, celui des Trajan, des Adrien, des Antonin, des Marc-Aurèle, on va se remettre à vivre d’une vie tranquille, élégante, heureuse en somme ; les relations sociales seront agréables et variées, le bien-être suffisant ; point de préoccupations vives, point de terreur accablante ; rien de ce qui déprime ou de ce qui étouffe. Les occupations de l’esprit vont pouvoir s’épanouir librement. Qui veut écrire ou parler à des lecteurs et des auditeurs assurés. Écoles, salles de conférences, cercles d’amis, lieux de réunion, partout des échos pour la parole grecque, qui de nouveau ne demande qu’à être entendue. On va et vient à travers ce grand empire paisible. Les voyages y sont faciles, les grandes villes ont repris leur beauté, des monuments nouveaux s’élèvent pour les parer plus richement, les idées et les hommes circulent, le mouvement est partout. Mouvement qui ne mène à rien d’important, puisqu’on n’a plus rien à entreprendre, puisqu’on est gouverné, pacifié, défendu et contrôlé ; mais mouvement qui fait du moins illusion, qui amuse et occupe les yeux et les esprits, et qui se propage naturellement de la société à la littérature. Il s’y manifeste presque en même temps, dès la fin de ce premier siècle, dans la philosophie et la rhétorique. Commençons par la philosophie, puisque c’est elle qui a produit d’abord les œuvres les plus remarquables.

II

Durant les règnes des premiers Césars, la philosophie, appliquée à la conduite de la vie, était devenue de plus en plus l’objet préféré vers lequel se tournaient les âmes éprises d’idéal. Il était naturel qu’après la chute de Domitien, ce fût elle qui profitât d’abord des temps meilleurs. Sous les premiers empereurs, depuis Tibère jusqu’à Néron, et plus tard encore, sous Vespasien et sous Domitien, elle avait été presque toujours surveillée et suspecte, quelquefois persécutée. Dans cette période militante, elle s’était durement essayée, et elle avait pris conscience de sa valeur. Les dénonciations, l’exil, les supplices l’avaient aguerrie et exaltée. Les hommes supérieurs s’étaient fait dans ces épreuves une personnalité forte, qui ne demandait qu’une occasion favorable pour se révéler dans des œuvres remarquables. Dès que le silence ne fut plus imposé, ces œuvres se produisirent.

Celui qu’il faut mettre ici en première ligne, comme le représentant le plus original de cette vertu endurcie au feu, c’est un homme qui n’a rien écrit, Épictète. Car sa parole a été si forte, si sincère, si spontanée, qu’elle est restée vivante dans les simples notes d’un disciple. Et, dans ces notes, elle révèle, avec un éclat un peu crû, une des formes les plus étonnantes qu’ait jamais prises l’énergie humaine. De toutes les productions littéraires de ce temps, c’est peut-être celle qui s’éloigne le plus de la pure tradition grecque. Et pourtant, elle plonge au plus profond de l’hellénisme par ses racines ; mais elle en a infusé la sève dans une sorte de dogmatisme dur, qui n’a presque plus rien de national.

Né au plus tard vers l’an 50 après J.-C. à Hiérapolis en Phrygie, Épictète, nous ne savons trop comment, fut amené à Rome comme esclave et y vécut en cette qualité pendant toute sa jeunesse, sous le règne de Néron[1]. Il y eut pour maître un certain Épaphrodite, qui fut peut-être, sans qu’on puisse l’affirmer, le même que le célèbre affranchi de Néron, mis à mort par Domitien. Nous ignorons s’il eut particulièrement à se plaindre de sa dureté : il n’est aucunement prouvé qu’il ait été estropié par lui, comme le rapporte une anecdote célèbre[2]. Selon Suidas, il devint boiteux dès sa jeunesse par l’effet d’un rhumatisme, ce qui est à coup sûr plus simple et plus vraisemblable[3]. Épaphrodite, d’après ce qu’en dit Épictète lui-même, semble avoir été un médiocre personnage, plutôt qu’un homme cruel[4]. En tout cas, il fit instruire son esclave, ou lui permit de s’instruire. Car ce fut sous le règne de Néron, que le jeune Épictète, encore esclave, put suivre les leçons du noble stoïcien Musonius Rufus, dont nous avons parlé précédemment. Musonius, avec sa manière originale, mélangée de rudesse et d’affection, prit un ascendant prompt et décisif sur cette nature ardente. Le stoïcisme devint pour Épictète la formule même de la vie. Nous ne pouvons dire quand il fut affranchi ni à quel moment il commence lui-même à enseigner. Il est probable toutefois qu’il vécut à Rome sous Vespasien et Titus, et au début du règne de Domitien[5]. Quand celui-ci fit rendre un sénatus-consulte qui expulsait les philosophes de Rome et de l’Italie (94 ap. J.-C.), Épictète se retira en Épire à Nicopolis[6]. C’est là qu’il semble avoir vécu désormais, sous Domitien, Nerva, Trajan et dans les premières années du règne d’Adrien, jusque vers 125 environ[7]. Bien qu’il y menât l’existence d’un pauvre et qu’il n’eût point de famille, il fut loin d’y demeurer ignoré. De nombreux disciples l’entouraient, des visiteurs s’arrêtaient pour le voir ; sa réputation s’étendait au loin, et son mérite frappait tous ceux qui l’approchaient. Parmi ces disciples, se trouva, dans les dernières années du règne de Trajan probablement, le jeune Bithynien Arrien, de Nicomédie, à qui nous devons les Entretiens et le Manuel, où revit la physionomie d’Épictète ; celui-ci, quand Arrien le connut, était vieux, mais il restait singulièrement jeune par la vivacité de l’esprit et l’énergie de la volonté.

L’enseignement d’Épictète était purement oral : aux leçons proprement dites, où il exposait sans doute les doctrines traditionnelles de l’école, s’ajoutaient des entretiens familiers, dans lesquels le maître, répondant aux questions variées qu’on lui posait, touchait à une foule de points de morale pratique. Ce sont des entretiens de ce genre qui furent recueillis par Arrien. Il les avait notés, au jour le jour, et, quand Épictète fut mort, ne se sentant pas le droit d’en refuser à d’autres le profit, il en laissa prendre copie à quelques personnes. Ils se répandirent ainsi dans le public. Alors seulement, Arrien se décida à les publier[8].

Pressé par le temps, et sentant bien d’ailleurs, comme il le dit dans sa préface, que de tels enseignements n’avaient pas besoin d’être ornés, il donna au public ses notes telles qu’elles étaient. Voilà pourquoi le livre doit être considéré comme l’œuvre d’Épictète lui-même, et non comme celle d’Arrien. Partout, nous y entendons l’accent du maître, nous y trouvons ses formes de langage brusques, ses comparaisons vives ; c’est la parole vivante, surprise et notée dans sa négligence, mais aussi dans son originalité première. Ce qui nous reste de ces Entretiens forme quatre livres. L’ouvrage entier en comprenait probablement huit ou douze, selon la manière de le diviser[9].

Un peu plus tard, Arrien, voyant combien ces leçons d’Épictète étaient goûtées et admirées, voulut les condenser en un tout petit volume, qui en contiendrait toute la substance en quelques pages. Il composa le Manuel (Ἐγχειρίδιον (Encheiridion)), livre pratique par excellence, où chacun devait pouvoir trouver immédiatement le secours nécessaire dans le besoin, la réflexion salutaire et décisive dans le doute ou dans la tentation[10]. Et, cette fois encore, se mettant au-dessus de toute vanité d’auteur, il voulut laisser entendre la parole même du maître, sincère et vivante. Grâce à cette simplicité intelligente du disciple, on peut dire qu’Épictète a sa place, non seulement dans l’histoire de la philosophie, mais aussi dans celle de la littérature, puisqu’il a mis, autant que personne, son empreinte originale sur un certain nombre d’idées qui intéressent toute l’humanité.

Si nous nous demandons quelles sont ces idées, une remarque préliminaire s’impose. Épictète n’invente rien : il ne modifie pas la doctrine stoïcienne en son fond, il se contente d’en faire, à sa manière, l’application incessante aux choses de la vie quotidienne. Mais c’est justement cette manière personnelle qui vaut la peine d’être définie[11].

Tout d’abord, quoiqu’il accepte sans réserve la vieille formule de l’idéal stoïcien, on sent bien vite qu’en fait il met cet idéal en rapport constant avec son propre caractère. D’autres ont demandé surtout au stoïcisme l’apaisement de l’âme, la sérénité bienfaisante, ou encore la joie intime de se sentir en accord avec les grandes lois du monde ; Épictète, qui s’est formé dans l’esclavage et en réaction quotidienne contre une autorité du dehors, lui demande avant tout l’affranchissement. Et sans doute, à pousser les idées jusqu’au bout, c’est toujours la même chose, sous un autre nom. Car cette liberté supérieure et absolue, le sage la trouve dans la conformité de sa volonté avec l’ordre divin, et cette conformité elle-même, il ne l’obtient que par l’abdication des désirs, qui aboutit à l’apaisement total. Mais de ce que ces idées se confondent, lorsqu’on les analyse, il ne s’ensuit pas qu’elles aient absolument la même valeur dramatique. Ce qui semble à Épictète le prix suprême de l’effort, c’est de se sentir indépendant, malgré les circonstances, malgré les hommes, malgré la force des choses extérieures, qui le froisse avec violence ou qui l’écrase. Esprit tenace et simple, toujours poussé dans une même direction par une énergie morale incomparable, il est l’homme d’une seule idée, que rien n’entame ni ne fait fléchir. Cette idée, c’est qu’il dépend de nous d’être libres, entièrement et souverainement libres, libres comme Dieu lui-même, et de devenir par là ses égaux en un certain sens, et qu’il suffit pour cela de juger sainement et de vouloir. Beaucoup d’autres, dans l’école stoïcienne, avaient dit cela avant lui ; mais nul encore ne s’était donné tout entier a cette simple affirmation, avec une passion aussi exclusive, aussi constante, et un parti-pris aussi inflexible.

Qu’elle ait besoin elle-même d’être prouvée, c’est ce qu’Épictète ne semble pas même soupçonner, tant sa foi en sa doctrine est absolue. À vrai dire, tout ce qui est doute, objection, conception divergente des choses et de la nature humaine, ne l’effleure même pas. Nul peut-être n’a eu moins que lui la faculté d’entrer dans les sentiments des autres. Il est radicalement étranger à ce jeu des idées ou s’était complu si souvent l’esprit grec, et qui donnait tant de grâce et de liberté aux discussions d’un Socrate ou d’un Platon.

C’est là sa force : car la foi est communicative. Quand il affirme que le bonheur est dans la liberté, et que la liberté s’acquiert en rompant tous les attachements humains, il est sûr de son fait. Il en est sûr, parce qu’il l’a éprouvé lui-même. Et, comme il en est sûr, il le dit si souvent, sous tant de formes, et avec tant d’autorité, que ceux même qui ont une autre idée de l’homme se sentent émus et ébranlés. D’ailleurs, ne doutant pas de ses principes, il ne les met jamais en discussion : ce serait perdre son temps. Sa tâche est tout autre. La grande affaire de la philosophie à ses yeux, c’est de rendre ces principes présents à tous nos actes, à tous nos sentiments, à tous les menus événements de chaque jour. Il s’agit d’en faire l’application à chaque circonstance, surtout aux circonstances imprévues, et de la faire assez prompte pour résister même aux impressions brusques, aux désirs soudains, aux craintes instinctives, en un mot à tous ces mouvements rapides qui emportent l’âme, avant qu’elle ait pu se mettre en garde.

C’est à cela qu’il emploie toutes ses ressources d’esprit, qui sont grandes : sa dialectique vive et pressante, sa clairvoyance, sa malice aiguisée, son ironie hardie et familière, son imagination enfin, qui lui suggère des rapprochements décisifs. Il y a du Socrate en lui, aussi bien dans le ton, dans la manière d’instruire, que dans la disposition profonde de l’âme. Mais c’est un Socrate sans atticisme, sans arrière-pensée, sans bonne humeur souriante, qui ne s’amuse pas aux incidents de la discussion, pressé qu’il est d’aboutir ; et surtout, un Socrate tranchant et dogmatique, c’est-à-dire, en fin de compte, un tout autre homme que le vrai Socrate. Moins aimable assurément, d’un esprit bien moins large et moins fécond, mais peut-être plus puissant en un certain sens sur ses auditeurs : car si l’autre mettait surtout en eux des germes de pensée, celui-ci y faisait naître des résolutions définitives. « Ceux qui liront ces propos d’Épictète, écrit Arrien, doivent savoir qu’en les entendant de sa bouche, il était impossible de ne pas prendre les sentiments qu’il voulait qu’on prît[12]. »

Cette force, comme nous venons de le dire, ne va pas sans une certaine raideur de conception. L’idée qu’Épictète se fait de l’homme n’est pas assez souple ni assez variée, elle ne tient pas assez de compte de la nature : ce qui est un défaut en littérature comme en morale. On pourrait ajouter que sa philosophie serait plus belle, si elle était plus tendre. Ni le sentiment religieux, ni le sentiment humain n’y ont assez d’effusion. Pour lui, l’homme est le fils de Dieu, et il doit à son père ce qui fait sa noblesse, c’est-à-dire la raison et la liberté ; mais, une fois doué de ces privilèges, il devient indépendant de celui qui les lui a donnés : c’est en lui-même qu’il trouve sa force et c’est de lui-même qu’il attend sa récompense[13]. Il en résulte qu’il n’y a pas entre eux d’union intime. Sans doute, l’homme se propose de se rendre semblable à Dieu ; mais cet idéal divin, il le trouve en lui-même ; ce n’est en somme que sa raison ou sa conscience. Une telle religion, à coup sûr, est haute et fière ; elle ne saurait avoir beaucoup d’élan ni parler bien vivement au cœur. Que faudrait-il, pour y mêler cet élément d’amour ? Une chose essentielle, à savoir qu’une plus large notion de l’humanité s’y fît sentir. Or, si le stoïcisme professe la fraternité, s’il invite l’homme à aimer l’homme, c’est en lui présentant cet objet d’affection trop en dehors des conditions vraies de la vie. L’homme qu’il donne à aimer, c’est le sage, c’est un être idéal, c’est en définitive la raison impersonnelle, ce n’est pas l’homme réel, avec ses faiblesses, ses passions bonnes et mauvaises. Celui-là, il le traite de fou et il le malmène, sous prétexte de le guérir. Épictète, à cet égard, est un vrai stoïcien, un ascète intransigeant, qui comprend à peine, ou ne comprend pas, les affections de famille, le charme de l’amitié, le plaisir de l’étude, le rayonnement de la beauté, tout ce qui fait le prix de la vie pour l’immense majorité des hommes. Il n’est pas possible qu’une philosophie, si résolument ennemie des sentiments les plus naturels, ne laisse pas une impression de sécheresse dans toutes les âmes libres et vraiment humaines.

Voilà sans doute pourquoi le Manuel, où elle est si fortement condensée, n’a qu’une beauté partielle et incomplète. Tel qu’il est, pourtant, on ne peut nier que ce ne soit un des rares livres qui sont de tous les temps et de tous les pays. Même en y faisant très grande la part de l’exagération et de l’esprit de système, il demeure encore, comme il a toujours été, une source de force morale et de haute inspiration, par la part de vérité qu’il contient dans ses formules brèves et dans ses images saisissantes.

Les ouvrages d’Épictète ont été beaucoup lus au second et au troisième siècle[14]. Au quatrième, les païens les opposaient volontiers aux docteurs chrétiens, qui furent ainsi amenés à les déprécier. Vers ce temps, les Entretiens perdirent peu à peu de leur popularité ; mais le Manuel garda la sienne. Il fut commenté au cinquième siècle par le philosophe Simplicius, dont l’œuvre est venue jusqu’à nous, et il était fort en honneur encore, au sixième, parmi les derniers néoplatoniciens d’Alexandrie[15]. De son côté, le christianisme, dès qu’il ne fut plus contesté, le reprit à son compte. Nous possédons deux Paraphrases du Manuel, l’une accommodée à l’usage des moines, qui est attribuée à S. Nil, et une autre, anonyme, également chrétienne, à peu près du même temps.

III

Cette sagesse, sèche et nue, tranchait singulièrement avec le goût qui régnait alors dans le monde hellénique. Nous verrons plus loin que c’était le temps où grandissait dans la Grèce d’Asie la nouvelle sophistique, c’est-à-dire la forme d’éloquence la plus éprise de succès, la plus soucieuse de plaire, qui se soit jamais produite. Si un Épictète, par sa valeur individuelle, avait assez de force pour réagir contre cet engouement du jour, pour s’attacher à la vérité seule, et pour la faire aimer dans toute sa rudesse par ceux qui l’approchaient, c’était là une exception. En général, la philosophie morale devait tendre à se manifester sous des dehors plus aimables, plus élégants, à se parer même des ornements à la mode ; et c’est en effet ce qui eut lieu. Tandis qu’Épictète l’enseignait sous sa forme la plus austère dans son cloître de Nicopolis, un rhéteur devenu philosophe, Dion Chrysostome, la promenait de ville en ville devant des auditoires nombreux, dont il enlevait les applaudissements[16].

Né vers l’an 40 après J.-C. à Pruse en Bithynie, Dion appartenait à une des premières familles de sa ville natale. Depuis plusieurs générations, cette famille avait compté des orateurs et des hommes d’affaires, qui avaient été en crédit à Rome auprès des empereurs[17]. Elle avait acquis ainsi une fortune considérable, représentée par des domaines en Bithynie ; mais, à plusieurs reprises, elle l’avait diminuée ou compromise par des largesses excessives[18]. Le père de Dion, Pasicratès, était un des citoyens marquants de Pruse, revêtu des plus hautes charges de la cité et comblé d’honneurs[19]. Dans ce milieu, le jeune Dion dut grandir avec la pensée de jouer un rôle dans le monde par la parole, et il n’est pas douteux qu’il s’y prépara de son mieux. Doué d’une éloquence naturelle, que l’éducation eut bientôt développée, il obtint de grands succès oratoires dans toute la première partie de sa vie, qui nous est à peine connue, c’est-à-dire sous les règnes de Vespasien, de Titus, et pendant les premières années de Domitien. Sans doute, sa réputation avait dû se faire d’abord en Bithynie, dès la fin du règne de Néron ; mais, comme tous les maîtres d’éloquence du temps, lorsqu’il se sentit sûr de lui, il alla chercher la renommée de ville en ville. Nous le voyons à Rhodes[20], à Ilium novum[21] ; lui-même atteste qu’il est allé en Égypte[22]. Nous pouvons donc être sûrs qu’il voyagea beaucoup en ce temps, et il est certain qu’il fit alors un assez long séjour à Rome. Dans l’intervalle de ses voyages, il revenait dans sa ville natale et y apportait l’éclat grandissant de sa renommée[23]. Il eut alors des disciples, parmi lesquels le plus illustre fut le gaulois Favorinus, dont nous parlerons plus loin.

C’est vers ce temps, probablement sous Vespasien ou Titus, qu’il se maria et perdit son père. Le soin de ses affaires à régler et ses nouvelles affections de famille durent alors le retenir plus régulièrement à Pruse ; là même, il eut à user de tout son talent pour désarmer certaines jalousies et lutter, une fois au moins, contre un mouvement populaire[24]. Mais un bien autre danger le menaçait. Il avait lié amitié à Rome avec plusieurs grands personnages, et notamment avec un des parents de Domitien, qui semble avoir été Flavius Sabinus[25]. Celui-ci fut mis à mort en 82 par le nouvel empereur, qui crut voir en lui un prétendant possible à l’empire[26]. Les relations que Dion avait eues avec Sabinus, et peut-être des paroles trop libres, le rendaient suspect[27]. Il fut éloigné par mesure administrative, avec interdiction de se montrer ni en Italie ni en Bithynie[28].

Cet exil dura quatorze ans[29]. Dion dut abandonner Pruse, ou il laissait sa femme avec son jeune fils[30], et des intérêts gravement compromis par son absence. Pour être oublié, il se fit pauvre et vagabond[31]. Il erra par la Grèce, vivant avec les gens du peuple et relisant pour se consoler, les deux seuls livres qu’il eut emportés avec lui, selon Philostrate, le Phédon de Platon et le discours de Démosthène Sur l’Ambassade[32]. Malgré sa faible santé[33], son courage, bien loin de faiblir dans cette dure épreuve, s’y fortifia au contraire merveilleusement. La misère et le danger lui révélèrent à lui-même œ qu’il y avait au fond de son âme de philosophie latente. Contraint de renoncer à tout ce qu’il avait recherché jusque là, il sentit que rien de tout cela n’était indispensable à un homme de cœur, et sa conception de la vie en fut totalement changée. De rhéteur, il devint philosophe[34]. Pour donner un objet à l’activité de son intelligence, il entreprit d’écrire un livre sur les Gèles, qui inquiétaient alors la frontière romaine du Danube ; et, voulant s’informer d’eux, il se rendit dans les pays avoisinants, en particulier chez les Grecs à demi barbares de Borysthénis[35]. Il semble qu’à certains moments, le ressentiment de Domitien se soit, sinon apaisé, du moins assoupi. Car certaines villes grecques ne craignirent pas d’inviter l’illustre proscrit à venir chez elles[36] ; offres qu’il déclina d’ailleurs. Quoi qu’il en soit, Dion, non seulement ne fit rien pour fléchir son ennemi, mais il déclare même qu’il écrivit alors contre lui[37].

Cette période de misère prit fin en 96, par la mort de Domitien. Le nouvel empereur, Nerva, connaissait Dion et l’aimait depuis longtemps[38]. Peut-être celui-ci venait-il de contribuer à le faire reconnaître par les légions du Danube[39]. En tout cas, l’exilé rentra triomphalement dans sa patrie, et peu après se rendit à Rome, pour y saluer son tout-puissant ami. Il y tomba gravement malade, et Nerva mourut, sans que Dion eût pu mettre à profit sa bienveillance[40].

Alors commença, dans la vie de Dion, une dernière période, qui semble avoir duré à peu près autant que le règne de Trajan, et qui fut la plus active et la plus brillante. Revenu à Pruse, il y avait rétabli ses affaires[41], et s’il eut plus d’une fois des ennuis avec ses concitoyens, à propos de constructions dont il s’était chargé, ce ne furent en somme que de légers tracas sans conséquences graves[42]. En changeant de fortune, il ne changea pas de caractère ; il était devenu philosophe dans l’affliction, il resta philosophe dans la prospérité. Mais, après l’avoir été pour lui-même, il le fut pour les autres. Ses dernières années furent consacrées à des voyages qu’on serait tenté d’appeler des missions[43]. Ce fut alors qu’il prononça les plus beaux discours que nous ayons de lui. Il allait de ville en ville, à la façon des sophistes, précédé par une immense réputation, qu’il devait à la fois à son éloquence et à ses malheurs. Il paraissait devant de nombreux auditoires, tantôt dans un théâtre, tantôt dans le lieu des assemblées populaires, vêtu en philosophe ; et là, profitant hardiment de l’autorité que lui assuraient son âge, sa profession, son talent et la faveur impériale, il faisait la critique de ceux qui l’écoutaient. Son succès semble avoir été éclatant[44].

Il parla ainsi à Apamée, à Tarse, à Alexandrie, et certainement en beaucoup d’autres lieux. Appelé à Rome par Trajan, qui avait pour lui une haute estime[45], il prononça devant l’empereur deux discours au moins Sur les devoirs du prince (Περὶ τῆς βασιλείας I et III). Il dut mourir vers la fin du règne de Trajan, après avoir perdu sa femme et son fils[46].

Dion avait beaucoup écrit. Un grand nombre de ses ouvrages sont perdus, notamment ses lettres[47] et son Histoire des Gètes (τὰ Γιτικά)[48]. Suidas lui en attribue plusieurs autres, dont nous ne savons rien[49]. Stobée cite sous son nom trois passages extraits d’un recueil de Chries, et six fragments d’un Économique[50]. En tout cas, sa réputation était attachée à ses discours, dont une partie considérable est venue jusqu’à nous.

Les discours que Dion avait publiés, et ceux qui lui ont été attribués après sa mort, furent beaucoup lus dans les siècles suivants. Au temps de Synesios, c’est-à-dire au commencement du ve siècle, ils formaient une ample collection, bien plus complète que la nôtre, mais déjà très confuse, sans ordre chronologique assuré[51]. Plus tard, entre le ve et le ixe siècle, on tira de là un recueil abrégé, contenant, sous quatre-vingts numéros, un bon nombre de discours entiers, d’autres incomplets, et en outre certains morceaux plus courts, choisis çà et là. C’est le recueil que Photius a eu entre les mains, celui qu’on lisait à Byzance et que nous possédons encore[52]. Une telle collection, dépourvue de chronologie, se prête mal à un classement satisfaisant et vraiment instructif. Toutefois on peut y distinguer trois groupes assez caractérisés : les discours sophistiques, les discours politiques et les discours moraux.

Le premier groupe appartient manifestement dans son ensemble à la première période de la vie de Dion, antérieure à son exil[53]. Il n’est représenté dans notre recueil que par un assez petit nombre de morceaux[54], auxquels on peut joindre l’analyse que Synesios nous a laissée d’un Éloge de la Chevelure[55]. Nous savons que Dion avait composé bon nombre d’ouvrages de ce genre. On citait une Description de Tempé, un Memnon, un Éloge du Moucheron, un Éloge du Perroquet[56], où il semble que Dion eût déployé toute l’habileté, passablement puérile, des sophistes à la mode. Ce qu’il valait dans ces exercices, nous pouvons encore en juger par son Discours aux Troyens (Τρωικός, or. II) où il démontre qu’Ilion n’a jamais été pris par les Achéens. Les ressources de son argumentation, dans ce jeu de dialectique paradoxale, sont étonnantes ; mais on demeure confondu qu’un homme de valeur ait jamais pu employer son esprit à de pareilles choses. Son œuvre la plus célèbre en ce genre était un discours Contre les philosophes ; il y démontrait avec vigueur que le bon sens valait mieux pour vivre que la philosophie ; et il avait complété cette démonstration par un Discours à Musonius, conçu dans le même esprit[57]. Ce qui faisait la force de cette attaque, selon Synesios, c’était, chose curieuse, la sincérité de l’auteur. Dion avait donc été un incrédule de bonne foi, en matière de philosophie, avant de devenir un croyant passionné. — Au même groupe, on peut rattacher quelques morceaux où Dion, sans aucune préoccupation d’enseignement moral, traite de matières littéraires. Tel le numéro 18 (Περὶ λόγου ἀσκήσεως), où il donne à un jeune homme destiné à la vie publique des conseils sur la manière de se former à l’éloquence, et lui recommande en particulier l’étude de Xénophon ; tel encore le numéro 52 (Περὶ Αἰσχύλου καὶ Σοφοκλέους καὶ Εὐριπίδου), où il compare la façon dont les trois grands poètes tragiques avaient traité le même sujet, à savoir l’ambassade des Grecs à Philoctète[58] ; tel enfin le numéro 55 (Περὶ Ὁμήρου καὶ Σωκράτους), où il essaye d’indiquer ce que Socrate a dû à Homère. Tous ces morceaux témoignent d’un goût juste et délicat, d’une critique réfléchie, curieuse et sincère[59]. — Le Discours aux Rhodiens (Ῥοδιακός, or. 31), qui semble bien appartenir aussi à cette période de la vie de Dion, marque la transition à une seconde manière. L’orateur blâme devant l’assemblée du peuple, à Rhodes, la coutume de désaffecter les statues par des changements de noms. Visiblement, il se souvient du Discours contre Leptine. Mais tout en faisant la part grande au sophiste qui imite, on ne peut nier qu’il n’y eût déjà en lui, dès ce temps, un philosophe, capable d’élever un médiocre sujet par des pensées hautes et sérieuses.

Les discours politiques appartiennent presque tous à la seconde partie de la vie de Dion. L’orateur n’y paraît pas tant en philosophe qu’en homme d’État, ou plutôt en bon citoyen, préoccupé des intérêts de son pays. Ces discours se rapportent généralement aux affaires de la Bithynie ; par suite, ils nous initient, de la manière la plus intéressante, à la vie intérieure des villes grecques d’Asie en ce temps[60]. Nous y voyons Dion usant de son autorité morale pour apaiser les conflits d’amour-propre entre Nicomédie et Nicée, entre Pruse et Apamée ; nous le voyons calmer la turbulence de ses concitoyens, les remercier des honneurs qu’ils lui ont conférés, ou décliner ceux qu’ils veulent lui offrir, quelquefois leur tracer la conduite à tenir à l’égard de l’autorité impériale, enfin se justifier d’accusations portées contre lui. Ces discours, moins connus que les discours moraux, lui font pourtant le plus grand honneur. Il s’y montre à la fois honnête homme et habile homme : il y fait preuve de franchise, de sens pratique, de dignité, de patriotisme sans emphase et sans imprudence. Comme Plutarque, il sent et il dit très sagement que le meilleur moyen, pour les Grecs de ce temps, d’alléger le poids de l’autorité romaine, c’est de ne pas lui fournir, par des agitations vaines, l’occasion d’intervenir durement. En même temps, il nous intéresse, en nous parlant de lui-même, de sa famille, de ses intérêts domestiques, avec une simplicité de bon goût. Il est chez lui, et il s’adresse à un auditoire familier. Cela donne à sa parole une grâce plus naïve, qui plaît et qui attache.

Mais ce qui a fait la renommée de Dion, ce sont incontestablement les discours ou écrits de prédication morale, qui forment le troisième groupe[61]. Tous appartiennent à la dernière partie de sa vie, c’est-à-dire au règne de Trajan ; et ils relèvent tous d’une même pensée, celle d’une sorte de mission, pour l’accomplissement de laquelle Dion a voulu mettre les ressources et les habitudes de la sophistique contemporaine au service de la philosophie pratique[62].

Ce qu’il prêche n’a rien en soi d’original. Il emprunte ses idées au syncrétisme philosophique du temps. Sa morale est principalement stoïcienne[63], mais non exclusivement ; elle a subi l’influence manifeste de l’Académie, du Lycée, et des Pythagoriciens. Sa théologie est plutôt platonicienne, mais elle l’est sans parti pris ; elle fait aussi des emprunts aux doctrines pythagoriciennes et à la mythologie populaire. C’est qu’au fond, Dion n’est pas un philosophe à proprement parler, c’est-à-dire un homme qui se soucie de se former un ensemble d’idées liées sur les vérités essentielles[64]. C’est tout simplement une âme généreuse, très éprise de belle morale et de belle religion. Il lui semble grand et bon de dégager ses contemporains de l’égoïsme, de la frivolité, des passions sensuelles, et de les élever : vers un idéal de dignité ; il aime à leur montrer les illusions qui les rapetissent et qui les troublent, à leur faire voir combien la vie serait meilleure, si elle était plus simple, occupée des choses qui ont vraiment du prix, éclairée par la réflexion, apaisée par l’humanité, embellie par l’idée de Dieu. Voilà dans quel esprit il reproche aux Alexandrins leur passion effrénée pour les jeux et leur turbulence parfois cruelle[65] ; aux gens de Tarse, le laisser-aller de leurs mœurs, leur mauvaise tenue, leurs chansons licencieuses[66] ; aux habitants de Célènes, leur vanité et le prix qu’ils attachent à la richesse[67] ; aux Ciliciens, leur aveuglement, qui les empêche de voir que l’homme a en lui-même le moyen de se rendre libre, en réprimant ses désirs[68]. Sa pensée est encore la même, lorsqu’il retrace, dans son Euboïque[69], le tableau de la vie simple et naïve de deux pauvres chasseurs, isolés dans les montagnes de l’Eubée et vivant là, ignorés et contents de peu, sans besoins et sans convoitises. Dans l’Olympique[70], c’est de religion qu’il traite, car il fait exposer par Phidias lui-même, dans une apologie fictive, sa conception de Dieu ; mais cette religion est pleine de morale, puisqu’il découvre et montre dans ce Zeus idéal les plus nobles vertus de l’humanité. Le Borysthénitique lui-même[71], malgré la fantaisie très libre du mythe cosmologique que Dion prétend avoir raconté à ses naïfs auditeurs de Borysthénis, révèle une tendance analogue ; toute cette cosmologie aboutit à montrer comment c’est la raison (τὸ φρονοῦν, τὸ ἡφούμενον), qui mène le monde. Enfin nulle part cette aspiration au bien, un peu vague, mais noble, humaine et généreuse, ne se montre mieux que dans les discours à Trajan sur la royauté[72], où Dion représente le monarque idéal tel qu’il le conçoit, pieux, juste, dévoué à ses sujets, maître de lui-même, honnête dans sa vie privée, simple dans sa vie publique : en tout, l’opposé du tyran, qui est un homme asservi à ses mauvaises passions.

Un grand mérite de ces discours, c’est qu’ils sont ou qu’ils veulent être appropriés à un auditoire déterminé. Rien peut-être ne distingue plus nettement la prédication morale de Dion de celle des philosophes contemporains. Ceux-ci, dans leurs διαλέκεις, traitaient devant un public quelconque des sujets de morale sans application particulière, très souvent de simples lieux communs de philosophie pratique, l’amitié, l’exil, etc. Dion a voulu faire autre chose. Ce qui lui paraît utile, c’est de signaler à ses auditeurs, non les défauts de l’homme en général, mais les leurs, de les entretenir de leurs besoins présents, de les avertir des dangers qu’ils courent et de leur montrer les moyens pratiques d’y parer. Voilà une entreprise qui à coup sûr n’était pas banale. Elle supposait, de la part de celui qui s’y vouait, bien de l’adresse et du courage. Or Dion semble l’avoir poursuivie pendant une vingtaine d’années, avec une persistance méritoire et avec un véritable succès. On est profondément injuste pour lui, lorsqu’on le confond purement et simplement avec les philosophes beaux parleurs qui pullulaient alors.

Grâce à cette franchise, préoccupée de précision, ses discours nous intéressent d’abord en ce qu’ils nous donnent une image assez vive de la société contemporaine[73] ; mais ils nous intéressent aussi, et plus encore, par la personnalité de l’auteur qui s’y laisse voir partout.

Cette personnalité est en partie artificielle, en partie naïve. Devenu philosophe, Dion s’est évidemment proposé pour modèle Socrate, qu’il connaissait bien par Xénophon et par Platon ; mais s’il a songé à l’imiter, c’est qu’il lui ressemblait déjà naturellement. Il y a, certes, une part d’affectation, gracieuse d’ailleurs, dans sa manière de se donner pour un ignorant, pour un homme sans art et sans talent, bon toutefois à stimuler les autres, à les faire réfléchir[74]. Dion est un charmant orateur, et il ne le sait jamais mieux que quand il fait semblant de l’ignorer. Mais tandis que ses contemporains, les Polémon et les Scopélien, étalaient leur contentement d’eux-mêmes, il dissimule, lui, le sentiment qu’il a de son talent, parce qu’au fond, sans peut-être dédaigner ce talent autant qu’il le dit, il en fait pourtant moins de cas que des vérités morales qu’il veut exprimer. D’ailleurs, il y avait certainement en lui une bonhomie innée et une douceur légèrement moqueuse, qui s’accommodaient au mieux de cette sorte d’ironie socratique ; s’il s’y trouvait ainsi à l’aise, c’est que sa nature même l’y portait.

Avec l’ironie, il a pris aussi à Socrate le franc-parler, et pour la même raison. La sincérité lui était naturelle, et elle était nécessaire à sa mission ; mais il en avait fait aussi un élément du rôle qu’il se plaisait à jouer, un des traits de la physionomie qu’il s’était donnée et qui le rendait populaire. Souvent, il la faisait accepter par un curieux mélange de brusquerie et d’enjouement, de rudesse et de malice, comme au début de son discours aux Alexandrins :

Vous plairaît-il, Alexandrins, d’être quelques instants sérieux et attentifs, puisque aussi bien vous passez votre temps à vous amuser et que jamais vous ne faites attention à rien ? Oui, amusements, joie, rire, tout cela abonde chez vous ; vous êtes vous-mêmes les hommes du rire et de la joie, et vous avez à votre service une foule de gens qui vous procurent encore de l’un et de l’autre ; mais le sérieux, voilà, je le vois bien, ce qui manque sur votre place. Pourtant, il y a des orateurs qui s’extasient sur votre sagesse et votre habileté ; innombrables comme vous l’êtes, disent-ils, vous avez tous à la fois l’idée qu’il faut, et vous dites sur-le-champ ce qui vous vient à l’esprit. Moi, je vous louerais plutôt, si vous parliez lentement, si vous saviez prendre sur vous de vous taire, et surtout si vous pensiez juste[75].

C’était en amusant ainsi son public qu’il lui faisait entendre des vérités. Mais c’était aussi, il faut le dire à son honneur, par son courage. Ce courage, qui lui faisait affronter les huées toujours possibles d’un public capricieux, il le puisait dans le sentiment du bien qu’il pouvait faire et de la mission divine qu’il s’attribuait. Socrate, dans l’Apologie que Platon lui avait prêtée, disait aux Athéniens qu’ils devaient à une faveur des dieux d’avoir possédé dans leur ville un homme disposé à s’oublier lui-même pour s’occuper uniquement d’eux[76]. Cette parole, qui l’avait frappé, Dion la répétait à peu près aux Alexandrins, en se l’appliquant à lui-même[77], et nous avons tout lieu de croire qu’elle traduisait bien sa pensée. Non qu’il eût constamment présente à l’esprit cette idée d’une mission, a proprement parler, et qu’il en fît tous les jours la raison déterminante de sa conduite ; mais, quand il réfléchissait, quand il descendait en lui-même, c’était par elle qu’il se raffermissait. Épictète, dans un entretien que rapporte Arrien, avait bien défini le cynique idéal comme une sorte d’envoyé de Dieu[78]. Cette conception était dans la philosophie du temps : nul n’a dû se la rendre plus familière que Dion, parce que nul alors n’a plus fait pour la réaliser.

Il serait trop long de pousser ici en détail cette analyse, de montrer ce qu’il y avait d’ailleurs d’incomplet dans le rêve moral de Dion et ce qui s’y mêlait parfois de chimère. Quelques mots sur son style suffiront à compléter l’étude sommaire que nous voulons faire de lui.

Le style de Dion a charmé ses contemporains et il n’a cessé d’être admiré tant qu’il y a eu une sophistique[79]. Si cet engouement nous paraît aujourd’hui excessif, ce n’est pas une raison pour méconnaître des mérites très réels. Sans doute[80], il y a, dans ce style, de la manière ; c’est celui d’un homme qui s’est étudié une partie de sa vie à faire valoir des choses insignifiantes, et qui, transformé en philosophe, continue à abuser de son esprit, par habitude. Ses comparaisons notamment, dont Philostrate s’émerveille[81], et qui sont en effet presque toujours fines et amusantes, non seulement deviennent monotones par leur abondance, mais trahissent leur origine sophistique soit par leur ingéniosité excessive, soit par la complaisance avec laquelle l’orateur les développe. Il en est de même des exemples, en récits ou en fables, qu’il mêle sans cesse au tissu de ses développements moraux. Malgré ces défauts, Dion a un don de séduction, que nous sentons encore aujourd’hui. Son langage, d’une allure un peu lente, plaît par sa douceur et par l’absence complète d’emphase. Une phrase quelquefois traînante, mais souple et comme caressante, qui enlace l’auditeur et qui l’amuse par ses détours ; une remarquable abondance d’idées secondaires, comme il convient à la causerie ; une imagination spirituelle ; une grâce naïve de conteur. De même que tous ses contemporains, il imite, soit à dessein, soit même sans le vouloir, par un simple effet de réminiscence. On retrouve chez lui des tours, des expressions, qui rappellent Démosthène ou Platon. Mais tout cela, en somme, est heureusement fondu dans une couleur générale qui lui est propre[82]. Ce qui en fait surtout la qualité, c’est ce qu’elle laisse pour ainsi dire transparaître de l’homme lui-même. Dion est un atticiste tempéré, qui a gardé quelque chose d’asiatique ; il l’est sans effort et avec sincérité : il parle une langue qui, à coup sûr, n’était pas celle qu’on parlait couramment autour de lui, une langue plus pure, plus choisie, classique, et par conséquent légèrement archaïque, mais une langue qu’il a faite sienne, et il la parle avec une aisance charmante. Entre les écrivains de ce temps, c’est à coup sûr un des plus aimables[83].

Ainsi, tandis qu’Épictète nous éloignait de la pure tradition hellénique, Dion nous y ramène. Nous allons la ressaisir plus pleinement encore chez Plutarque, qui est, en ce siècle à demi romain, le Grec par excellence.

IV

Immédiatement au dessous des hommes de génie, Plutarque, presque aussi populaire que les plus célèbres d’entre eux, est supérieur aux simples écrivains de talent par quelque chose qui vient de l’âme. Grâce à un ensemble de qualités que nous devons essayer d’analyser, il a, pour ainsi dire, résumé dans son œuvre l’image complète de l’antiquité hellénique, au moment où celle-ci touchait à sa fin : et il lui a prêté une forme simple, attrayante, éminemment propre à la faire connaitre et aimer. Il est donc, pour la postérité, un des représentants accrédités de l’hellénisme, d’un hellénisme un peu dilué peut-être, mais élargi, vraiment universel et humain ; et voilà pourquoi il convient de le mettre ici au centre de ce chapitre, où nous étudions justement cet épanouissement final des vieilles traditions grecques dans la grande lumière de l’empire romain.

Né au cœur de la Grèce propre[84], à Chéronée en Béotie, entre les années 45 et 50 de notre ère, Plutarque grandit au milieu des souvenirs nationaux, près de Delphes, près des champs de bataille les plus célèbres dans les annales de son pays (Platées, Chéronée, Haliarte, Coronée, les Thermopyles, etc.) ; près de Thèbes, alors ruinée, mais qui lui rappelait toujours Pindare et Épaminondas ; non loin de Thespies, où l’on adorait Éros, d’Orchomène où avaient régné les Charites, et d’Ascra où avait chanté Hésiode. Il appartenait à une ancienne famille de pure race hellénique, qui semble avoir été établie sur ce sol béotien de temps immémorial. Vieille famille et vieux domaine, foyer tout entouré de traditions, maison de forte et intelligente bourgeoisie, de mœurs simples et antiques, pleine de religion et de patriotisme, et, malgré cela, nullement fermée aux idées du jour. Les vieillards y étaient réfléchis et conteurs, à la vieille manière grecque. Plutarque entendit longtemps les récits de son grand-père Lamprias, qui vécut assez pour voir ses petits-fils déjà parvenus à l’âge d’homme ; et il recueillit de sa bouche des anecdotes historiques qui remontaient à un arrière-grand-père, Nicarque, contemporain du triumvir Antoine, de l’égyptienne Cléopâtre et du vainqueur d’Actium. Le temps de son enfance fut celui où la Grèce se relevait lentement de ses misères. Cette aimable demeure de Chéronée, au milieu de ses prairies et de ses vergers, retrouvait alors sa large aisance, moitié urbaine, moitié rustique, et sa bonne humeur traditionnelle. Le grand-père animait les réunions de sa gaieté malicieuse et de ses récits. Le père, homme droit et sensé, y parlait affaires, culture, élevage, intérêts domestiques, sans dédaigner de prêter l’oreille aux discussions philosophiques de ses hôtes : car il était hospitalier, en Hellène de bonne race, toujours prêt à écouter et à s’ouvrir aux choses du dehors. Sous ces influences réunies, et tout simplement en se laissant vivre, Plutarque et ses frères, Lamprias et Timon, s’imprégnaient de tout ce que la Grèce, en sa longue tradition, avait amassé peu à peu de plus excellent.

Quand il approcha de sa vingtième année, déjà tout nourri des poètes nationaux, dont les vers devaient habiter son âme jusqu’au dernier jour, il vint passer plusieurs années à Athènes, au milieu de ces maîtres et de ces étudiants qui y formaient comme une sorte d’université, active et bruyante, au milieu aussi des monuments qui rappelaient tant de grandeurs, au milieu des hôtes de tous pays, Grecs d’Europe et Grecs d’Asie, patriciens romains, sophistes voyageurs, qui s’y pressaient incessamment. Curieux de tout, il y toucha à toutes les sciences : à la rhétorique, qui n’eut que peu de prise sur lui, aux mathématiques, qui le passionnèrent un instant, aux sciences naturelles, à la médecine ; mais il ne se donna qu’à la philosophie. Ce fut elle qui le prit tout entier, autant du moins que sa libre nature, avide de savoir, pouvait être prise tout entière. Sous la direction du platonicien Ammonios, qu’il a mis en scène plusieurs fois dans ses dialogues, il étudia à fond la doctrine de Platon jusqu’en ses parties les plus abstraites, sans négliger d’ailleurs de s’initier aux enseignements des autres sectes.

En dehors des études proprement dites, ces années d’Athènes furent pour lui des années charmantes et fécondes par tout ce qu’elles lui firent voir et entendre. Revivant en imagination dans l’ancienne cité de Périclès, ce fut alors qu’il eut la vision directe et vivante de ces scènes de l’histoire nationale, qu’il devait retracer, bien plus tard, dans quelques-unes de ses Vies. En même temps, par les conversations quotidiennes dont il a gardé le souvenir dans ses Propos de table, il recevait l’impression de mille idées passagères, et son esprit s’habituait à ce genre de causerie, à la fois amusante et érudite, qui était alors à la mode. Ajoutons que tout cela ne fermait pas son attention aux événements contemporains. Il dut entendre parler plus d’une fois de ces nobles exilés que la tyrannie de Néron reléguait dans les îles grecques ; et il était justement à Athènes, en 66, quand le maître du monde vint se faire couronner aux jeux pythiques, comme chanteur et comme tragédien. Chose curieuse : malgré le mépris secret que le jeune philosophe ressentit pour cet empereur cruel et à demi fou, il lui garda toujours, involontairement, une certaine indulgence, qu’excusait la naïveté de son patriotisme, parce qu’il avait honoré la Grèce et qu’il avait fait semblant de lui rendre la liberté[85].

Les années qui suivirent sont celles de la vie de Plutarque qui nous sont le moins connues. Il voyagea, quelquefois pour affaires, quelquefois pour le simple plaisir de voir le monde. Nous savons par son témoignage qu’il se rendit en Égypte, du vivant de son grand-père. Il nous apprend aussi qu’il fut député, jeune encore, par ses concitoyens de Chéronée, auprès du proconsul d’Achaïe, à Corinthe, pour y traiter de leurs intérêts. Enfin, il alla à plusieurs reprises à Rome, et y fit même, une fois au moins, sous Vespasien, un séjour qui semble avoir eu quelque durée. Il y était en philosophe, donnant des conférences en grec, que d’illustres personnages, notamment Arulenus Rusticus, ne dédaignaient pas de venir entendre. Mais Rome ne le retenait pas si étroitement qu’il ne trouvât le temps d’explorer certaines parties au moins de l’Italie. Lui-même nous raconte qu’il alla visiter, en compagnie de Mestrius Florus, le champ de bataille de Bédriac, dans la région du Pô. Ses séjours en Italie furent ainsi pour lui autant d’occasions de s’instruire, de compléter ses notes en vue de ses travaux futurs d’historien, et en même temps de nouer des relations avec quelques Romains de grandes familles.

Quel qu’ait pu être le nombre de ces allées et venues, Plutarque semble être rentré d’assez bonne heure à Chéronée et y avoir passé toute la fin de sa vie, qui fut longue. Il aimait son pays et sa maison ; d’ailleurs, comme il l’a dit, non sans grâce, quand il eut acquis quelque gloire, il lui parut qu’étant né dans une petite ville, il la rendrait plus petite encore, s’il la quittait[86]. Il vécut donc là, paisiblement, au milieu de sa famille, au milieu des amis qui venaient le voir, au milieu de ses livres. Ses absences étaient assez fréquentes, mais courtes. Il se rendait quelquefois à Athènes ; souvent à Delphes, où l’appelaient ses fonctions sacerdotales : de temps en temps aussi, en été, aux eaux chaudes des Thermopyles ou d’Ædepsos en Eubée, fréquentées par une société brillante. Ainsi, sa vie, toute retirée qu’elle fut, n’était nullement celle d’un homme qui fuit le monde. Personne au contraire n’aimait plus que lui la société ; et, tout le temps qu’il ne passait pas à lire ou à écrire, il le donnait, autant que possible, à la conversation, comme l’avaient fait autrefois Socrate et Platon. Ses Propos de table sont des notes de causeries quotidiennes, qu’il a prises toute sa vie. L’échange des idées et des impressions a été un des besoins les plus vifs et les plus constants de sa nature. Il semble même qu’il eût communiqué ce goût aux siens, comme il l’avait reçu lui-même de ses prédécesseurs dans la vie. Sa femme, Timoxéna, n’était pas étrangère à la philosophie, et ses fils, tels qu’il nous les a montrés dans les œuvres de sa vieillesse, ressemblaient en cela à leur père.

Grâce à cette sagesse aimable, sa vie, malgré les épreuves qui l’affligèrent, demeura sereine jusqu’à la fin. Il perdit plusieurs enfants, dont une fille tendrement aimée. Il en souffrit, sans se laisser abattre. Volontairement étranger à la vie publique, il n’accepta de l’estime de ses concitoyens que les modestes fonctions d’agoranome et d’archonte éponyme de Chéronée. En revanche, il fit partie, pendant de longues années, du collège sacerdotal de Delphes ; heureux évidemment de se rattacher ainsi, d’une manière étroite, à un culte qui rappelait toute l’histoire de la Grèce. Ses rapports avec les empereurs restent enveloppés de quelque obscurité. Il est possible que Trajan lui ait conféré, à titre honorifique, la dignité consulaire ; et il est possible aussi que le même empereur et son successeur, Adrien, aient recommandé aux gouverneurs d’Achaïe de prendre ses conseils, quand ils en auraient l’occasion ; mais les témoignages sur ces deux points n’ont rien de certain[87]. Ce qui n’est pas douteux, c’est que la vieillesse de Plutarque fut entourée d’une grande et légitime considération. Lorsqu’il mourut, probablement sous le règne d’Adrien, vers l’an 125, il aurait pu se rendre à lui-même ce témoignage, qu’il avait grandement honoré la Grèce par sa vie et par ses écrits, et cela, parce qu’il avait été naturellement fidèle à l’idéal national, fait de mesure, de beauté et d’harmonie.

Son rôle, comme écrivain, ne peut être bien apprécié qu’à la condition de se le représenter au milieu de tous ceux qu’il a connus, et dont il a été l’ami, le conseiller, ou le maître. Si on relevait tous les noms qui figurent dans ses écrits, cette liste, bien qu’incomplète, puisque nous ne possédons pas toutes ses œuvres, donnerait à elle seule une idée nette de l’influence qu’il a exercée. Dans cette société, mélangée et dispersée, qui n’avait plus de centre intellectuel et moral, un homme tel que lui rendait un service constant à l’humanité intelligente, par sa seule présence. Il était pour un grand nombre de ses contemporains, grecs ou romains hellénisants, l’interprète autorisé du passé hellénique, de son histoire, de sa religion, de sa morale, de sa science. Et ce passé, il ne l’interprétait pas comme une chose morte. Son rôle, fondé sur une conviction profonde, était au contraire d’en faire sentir la permanence, en l’adaptant au présent. Il en dégageait un idéal, qui était le meilleur qu’il y eut alors dans le monde, à en juger par les preuves qu’il avait données de son excellence.

V

Dans ces conditions, il était naturel que Plutarque écrivît beaucoup, et qu’il ne composât jamais un grand ouvrage. La collection de ses écrits, touchant à la morale, aux sciences, à la philosophie, à la littérature, à l’histoire, était si ample et si variée, qu’elle fut particulièrement exposée à tous les risques d’altération. Nous ne pouvons que très imparfaitement en suivre l’histoire, faute de témoignages précis[88]. Beaucoup de ces écrits ont été perdus, d’autres ont été mutilés ou abrégés, ou ne nous sont parvenus que sous forme d’extraits ; enfin, des ouvrages étrangers y ont été mêlés. La collection que nous possédons semble avoir été constituée au xe siècle, lorsque déjà l’œuvre de Plutarque avait beaucoup souffert ; elle a été établie d’après des manuscrits très défectueux, où se trouvait plus d’une lacune ; et celui qui l’a formée y a reçu sans critique un grand nombre d’écrits de diverses provenances[89]. Un peu auparavant, un autre savant byzantin avait composé, sous le nom d’un prétendu Lampriss, fils de Plutarque[90], un catalogue, dont nous possédons encore la plus grande partie (210 numéros) : les œuvres alors attribuées au philosophe y sont énumérées, et nous y voyons figurer, à côté de celles que nous possédons, une foule d’écrits qui ont disparu.

Ceux qui subsistent sont ordinairement divisés en deux groupes : les Vies d’une part, et de l’autre ce qu’on appelle d’un nom collectif fort impropre, les Œuvres morales Ἠθικά, Moralia) ; en réalité, ce second groupe comprend des œuvres de toute sorte, dont un grand nombre n’ont aucun rapport avec la morale. Ni dans l’un ni dans l’autre de ces groupes, les écrits ne sont classés suivant l’ordre chronologique de leur composition, ni même suivant un ordre quelconque, vraiment méthodique. De là toute une série de questions critiques, dont beaucoup sont loin d’être encore résolues[91]. Bien loin de pouvoir ici les aborder, nous ne devons pas même songer à étudier de près tous ceux des écrits de Plutarque qui semblent authentiques. Ce que nous avons à nous proposer, c’est seulement de faire voir, d’après quelques-uns des principaux, les deux ou trois grands aspects de son activité littéraire.

Une remarque générale doit être faite tout d’abord. Le nombre même de ces productions montre assez que leur auteur n’a jamais eu grand souci d’en mûrir aucune. Évidemment, il écrivait vite, et le soin de la composition le préoccupait médiocrement. Seulement, ces défauts étaient compensés chez lui, autant qu’ils peuvent l’être, de plusieurs façons. D’abord, il prenait des notes sur tout, lisait et réfléchissait constamment ; de telle sorte qu’arrivé à un certain âge, il avait sur chaque sujet une provision toute prête de faits et d’idées. Ensuite, grâce aux qualités de son esprit, grâce aussi à une éducation très soignée, il lui était plus facile qu’à personne de classer rapidement ses pensées et de les exprimer sous une forme correcte, souvent même personnelle. Sans être un grand écrivain, il avait le goût de bien dire ; et, s’il dédaignait la rhétorique à la mode, s’il était étranger aux scrupules des atticistes contemporains[92], il s’en fallait pourtant de beaucoup qu’il fût négligé de parti pris[93]. C’est pourquoi, sous le bénéfice de l’observation générale qui vient d’être faite, nous devons chercher à reconnaître et à définir, en chaque genre, son originalité littéraire, qui est incontestable.

Un petit nombre de ses écrits sont de simples recueils ; quelques-uns sont des conférences littéraires ou philosophiques ; d’autres, des dissertations ou des traités ; d’autres encore, des consultations épistolaires qui ressemblent fort à des dissertations ; beaucoup sont des dialogues ; enfin, il faut mettre à part les Vies, qui constituent un genre tout à fait distinct.

À la catégorie des recueils appartiennent des ouvrages tels que les Questions romaines, les Questions grecques, les Questions platoniciennes, les Vertus romaines. Simples collections de brèves dissertations ou de petits récits, juxtaposés et à peine unis entre eux soit par la relation très générale qu’indique le titre, soit par quelques réflexions énoncées en forme de préface. L’absence de composition en est justifiée dans une certaine mesure par la nature des sujets ; et toute une littérature de ce genre existait en Grèce depuis bien longtemps. Toutefois, quand on les rapproche des autres ouvrages de Plutarque, on ne peut nier qu’ils ne soient un indice instructif du procédé naturel de son esprit. Nous le surprenons là en train de collectionner et de juxtaposer, et nous allons voir que, pour composer, il a presque toujours collectionné et juxtaposé.

C’est là, en effet, le caractère frappant de toutes ses conférences ou dissertations et de tous ses traités. Jamais, la disposition des parties ne résulte chez lui du développement organique d’une idée. Non pas qu’il aille au hasard en dissertant. Il semble qu’en général le sujet à traiter devait lui apparaître d’abord sous la forme d’une provision d’anecdotes, de traits historiques, d’apophtegmes, d’où se dégageaient immédiatement un certain nombre de réflexions. Le travail de composition consistait à répartir rapidement ces éléments dramatiques sous un certain nombre de chefs, qu’il rangeait ensuite eux-mêmes suivant un plan propre à les faire valoir. Ordonnance le plus souvent superficielle, mais agréable et claire. Ainsi disposées, les idées sans doute ne nous mènent pas, par une progression constante, à une connaissance de plus en plus profonde de la vérité ; mais elles s’éclairent peu à peu, et elles se lient avec souplesse, avec aisance, sans confusion et sans effort. On se promène, pour ainsi dire, à travers le champ à explorer ; à chaque pas, on y découvre quelque aspect intéressant. Ce qui charme le lecteur qui n’est pas un philosophe de profession, c’est la variété, la quantité de choses concrètes qui s’offrent à lui. Non seulement l’auteur, avant d’écrire, a dû avoir en vue certains traits narratifs, mais en outre, à mesure qu’il écrit, son imagination lui fournit, chemin faisant, d’ingénieuses comparaisons ; sa mémoire lui rappelle des mots célèbres, des passages d’auteurs, des vers surtout, — car il en sait par cœur plus que personne ; — son esprit lui suggère de piquantes réflexions. Tout cela forme un tissu brillant, aux couleurs mélangées, qui amuse les yeux. Examinez l’assemblage de près ; l’art se réduit à peu de chose, la pensée directrice est faible et peu personnelle. Ce maître de philosophie est surtout un causeur et un conteur. Seulement, il n’est pas de ceux qui causent à l’aventure, ni qui racontent tout ce qui leur passe par la tête.

Il a du sens, de la tenue, une certaine méthode même, qui suffit à la plupart des lecteurs ; et, ainsi, sa causerie est vraiment une dissertation, qui se propose d’instruire, et qui instruit en effet.

Beaucoup de ses écrits sont en forme de dialogues[94]. Cette forme, la philosophie l’avait créée à son usage au ive siècle avant notre ère, et on sait ce qu’en avaient fait Platon, Eschine, Aristote, et beaucoup d’autres. Depuis, elle l’avait, semble-t-il, à peu près abandonnée ; sans doute parce que le dialogue exige un art très délicat, et que ni les Stoïciens ni les Épicuriens ne se souciaient d’art littéraire.

Plutarque la reprit, certainement sous l’influence de Platon, et parce que le sens de l’art se ravivait alors dans le monde hellénique. En le faisant, il se proposa d’abord de plaire à ses lecteurs : il lui sembla, non sans raison, que cette forme rendrait plus intéressants les sujets qui s’y prêtaient, qu’elle donnerait à la philosophie quelque chose de vivant et de dramatique, qu’elle aiderait par conséquent à faire valoir certains exposés d’idées par l’agrément extérieur. Et peut-être obéit-il aussi à une autre raison. Aimant, comme nous l’avons vu, la société et les entretiens, ce fut un plaisir pour lui que de chercher à en reproduire l’image. Puis, en s’attachant à cette imitation de la réalité, il s’aperçut vite, s’il ne l’avait pas deviné tout d’abord, qu’elle pouvait avoir une valeur philosophique. Elle se prêtait mieux à mettre en relief les rapports des idées avec les hommes, à faire comprendre et à étudier les sentiments qu’elles excitent ; il y avait profit pour un lecteur intelligent à voir en action comment elles s’appellent les unes les autres, par quelles rencontres elles naissent ou se développent, quels scrupules elles suscitent parfois, comment et pourquoi certains esprits, ou plutôt certaines âmes, hésitent devant les exigences de la logique, et enfin comment l’homme, être complexe, se comporte dans la recherche de la vérité. Ce spectacle, si instructif et si suggestif, c’était celui que Plutarque préférait dans la vie quotidienne : il eut plaisir à le transporter dans la fiction.

Les Propos de table, qui sont de simples conversations, notées au jour le jour, et transcrites en abrégé, nous montrent bien ce qu’il y a de réalité solide dans ses dialogues. Il eut rarement la mauvaise idée de vouloir s’en passer. Le dialogue Sur le démon de Socrate est le seul où il ait tenté de mettre en scène fictivement des personnages historiques et un grand événement, qui est ici la reprise de la Cadmée par Pélopidas. Cela fait une composition qui est franchement mauvaise. Plutarque n’était pas assez grand artiste pour conduire une action aussi compliquée, pour donner de la vie à de tels hommes, et pour associer une discussion théorique à un drame. Son Gryllos, où l’entretien a lieu entre Ulysse et un de ses compagnons transformés par Circé, n’est qu’une ébauche inachevée, sur laquelle il est difficile de se prononcer. Laissons de côté ces exceptions. Le vrai type du dialogue de Plutarque, c’est celui où il se met en scène lui-même, soit sous son nom, soit sous un nom fictif, avec ses frères, ses amis, avec des personnages, réels ou imaginaires, mais pris dans la société contemporaine. Il y en a six ou sept de ce genre qui comptent entre les meilleures de ses œuvres subsistantes : ce sont les seuls dont nous ayons à parler.

À coup sûr, il n’est pas permis de les comparer, même de loin, aux dialogues de Platon, ni pour l’intérêt des idées et des sentiments, ni pour la conduite de l’action, ni pour la peinture des personnages. Ce que nous venons de dire de l’ordonnance des dissertations s’applique nécessairement aussi à celle des dialogues ; l’esprit de l’auteur ne change pas avec la forme de son œuvre. Mais, d’autre part, on ne peut nier que cette forme, dans plusieurs au moins de ces entretiens, n’ajoute au mérite des idées un charme qui lui est propre. Quelques-uns sont censés être tenus à Delphes : et, bien que Plutarque ne profite pas, autant qu’il l’aurait pu, des ressources que lui offrait le décor, il y a comme une harmonie secrète entre les souvenirs du lieu et les sentiments des personnages, qui donne à ceux-ci plus de valeur. Le peinture des caractères, sans avoir beaucoup de relief, n’y est pas non plus insignifiante. La plupart des interlocuteurs étant réels, Plutarque n’a eu qu’à se souvenir pour laisser à chacun d’eux les traits essentiels de sa physionomie. Ils diffèrent agréablement par la nature des idées, par le tour d’esprit, par l’humeur, par le plus ou moins de vivacité. Lamprias, le frère de l’auteur, aime les paradoxes, il discute pour discuter, il intervient vivement, et presque toujours par saillies ; Plutarque, lui-même, est indulgent, grave avec bonne grâce, il se prête aux objections, sans oublier jamais qu’il cherche le vrai. À côté d’eux, on voit figurer des croyants inquiets, des sophistes voyageurs qui apportent des récits de pays lointains, d’honnêtes curieux dont la bonne foi se prend aux difficultés soulevées. En somme, nous avons là sous les yeux, bien mieux que dans de simples traités, le spectacle de la société contemporaine.

À côté de la dissertation et du dialogue, la troisième grande forme littéraire dont Plutarque fait usage est celle de la biographie, et il n’en est aucune qu’il se soit rendue plus personnelle. Mais le mérite littéraire des Vies tient trop étroitement à la matière même dont elles sont faites pour qu’il soit possible de l’étudier ici séparément ; nous y reviendrons un peu plus loin. Contentons-nous de dire, dès à présent, que le talent de raconter est un de ceux que Plutarque possède à un degré remarquable, et qu’il le manifeste dans tous ses écrits, quelle qu’en soit la forme. Car, dans tous, on trouve, presque à chaque page, des narrations variées, depuis la simple anecdote jusqu’au récit historique proprement dit. Il y excelle par une manière naturelle, aisée, qui devine les sentiments, qui les explique et les peint à la fois, sans affectation de vivacité ni de concision, mais sans longueur, surtout par sa sympathie pour tout ce qui est humain et par l’absence complète de rhétorique. Il décrit peu. L’extérieur des choses ou l’allure des personnages n’est pas ce qui le frappe ; son imagination est médiocre. Mais, au lieu du dehors, il voit le dedans, ce qui vaut mieux. Il est moraliste, partout et toujours, sans prétention, et peut-être sans beaucoup de profondeur, mais avec sens et finesse, avec grâce, aimablement.

Qu’il ait cherché à plaire, cela ne peut être mis en doute. Et toutefois, dans ce siècle de sophistique, il faut le louer de sa simplicité. Nul n’a été plus ingénument préoccupé de la vérité. Ce qu’il peut avoir parfois de bel esprit, de légère affectation, ne vient jamais de la recherche ; c’était le ton de la société où il vivait, il n’a pu s’en débarrasser entièrement. Au fond, il aime les idées justes pour elles-mêmes, et le bon goût est à ses yeux une des formes de l’honnêteté. Essayons de montrer tout ce qu’il y a de sincérité dans ses écrits, et combien la nature qui s’y révèle est humaine, généreuse, libérale, digne d’être aimée.

VI

Avant tout, il importe, au milieu de la variété de ses œuvres, de déterminer la direction générale et les habitudes essentielles de sa pensée.

Plutarque est un Platonicien décidé. Dès le temps de sa jeunesse, lorsqu’il étudiait à Athènes sous Ammonios, c’est à Platon qu’il s’est attaché. Et, toute sa vie, sans jamais dévier, il lui est resté profondément fidèle, non par tradition ni convenance, mais par la plus constante et la plus sincère adhésion de l’esprit et du cœur. Cet attachement est né d’une étude approfondie, que les points les plus obscurs du système platonicien n’ont pas rebutée. Nous pouvons en juger encore par le traité Sur la naissance de l’âme d’après le Timée (Περὶ τῆς ἐν Τιμαίῳ ψυχογονίας), où les questions les plus subtiles de la métaphysique de Platon sont élucidées avec une remarquable pénétration[95] ; par les Questions platoniciennes (Πλατωνικὰ ζητήματα), au nombre de dix ; enfin, par plusieurs entretiens qui figurent dans les Propos de table, et par un grand nombre de passages dispersés dans d’autres œuvres[96].

D’ailleurs, cette foi platonicienne, si éclairée, ne s’est pas enfermée en elle-même ni complue dans son assurance. Plutarque a voulu connaître à fond les autres doctrines, et il les a examinées jusque dans le détail. Cet examen a fait de lui un adversaire décidé des Stoïciens et des Épicuriens. Contre les premiers, il a composé le traité Sur les contradictions des Stoïciens (Περὶ στωικῶν ἐναντιωμάτων) et celui où il prétendait démontrer Que les paradoxes des Stoïciens dépassent ceux des poètes (Ὅτι παραδοξότερα οἱ Στωικοὶ τῶν ποιητῶν λέγουσιν)[97]. Contre les seconds, il a écrit la Réfutation de Colotès (Πρὸς Κολώτην), le dialogue intitulé Qu’il n’y a pas même de plaisir à vivre selon Épicure (Ὅτι οὐδὲ ζῆν ἔστιν ἡδέως κατ’ Ἐπίκουρον), enfin les quelques pages Contre la maxime « qu’il faut cacher sa vie » (Εἰ καλῶς εἴρηται τὸ λάθε βιώσας). Tous ces traités, quelle qu’en soit la forme et la valeur, nous le montrent très au courant de la littérature des Stoïciens et des Épicuriens. Il ne les connaît pas seulement par les réfutations de ses maîtres : il les a lus lui-même et annotés, et, s’il se sépare d’eux si résolument, c’est bien en connaissance de cause.

Ces sentiments tenaient en réalité à ce qu’il y avait de plus intime chez Plutarque. La philosophie de Platon convenait merveilleusement à la tendance religieuse, idéale et modérée de sa nature. Il ne pouvait souffrir ni le panthéisme des Stoïciens, qui confondait Dieu avec le monde, ni leur déterminisme, qui lui paraissait contredire la conscience humaine et diminuer la bonté divine, ni leur morale outrée, qui méconnaissait l’homme. Il avait en horreur le relâchement des Épicuriens, leur insouciante incrédulité, déguisée sous une vaine apparence de religion, et surtout leur prétendue sagesse pratique, dénuée de bonté et de beauté. Au contraire, Platon lui offrait une théologie à son goût, un dieu personnel et vivant, qui était le Bien, et qui avait créé le monde selon les lois mêmes de la beauté ; une cosmogonie pleine de grandeur et de poésie, propre à charmer l’imagination tout en satisfaisant la raison ; une morale large et haute, qui appelait les facultés de l’homme et ses plus nobles sentiments à s’épanouir harmonieusement dans l’individu et dans la cité. Tout cela, pour Plutarque, c’était l’hellénisme même, c’est-à-dire, sous une forme admirable, ce qu’il aimait par dessus tout dans la tradition de son pays depuis Homère, et ce qui constituait comme le fond de son âme. En outre, ces belles doctrines, qui l’enchantaient, n’étaient pas emprisonnées dans un dogmatisme étroit. Nul n’avait su autant que Platon mélanger le doute à la croyance, et réserver, jusque dans les plus beaux rêves, la part secrète des interrogations. Or cela encore était grec, et Plutarque en jouissait délicieusement. Bien qu’il remontât par sa doctrine générale au delà de l’Académie probabiliste, il n’entendait pas cependant la renier, et il inclinait à penser qu’elle n’avait pas rompu violemment l’unité de la tradition. S’il aimait à croire, c’était donc en homme d’esprit, et il ne goûtait pas les affirmations tranchantes.

Mais de ce que Plutarque n’a voulu être que Platonicien et l’a été avec tant de naturel et de sincérité, il ne s’ensuit pas qu’il n’ait subi à son insu l’influence des autres doctrines, de celles même qu’il écartait, et des idées qui peu à peu s’étaient répandues dans le monde depuis Platon.

Si c’était ici le lieu d’étudier en détail sa philosophie, il serait intéressant de montrer ce qu’il doit au néopythagorisme, soit dans certaines spéculations sur la vertu des nombres, soit dans le tour de ses préceptes moraux. Il faudrait montrer aussi comment les livres de morale pratique des Stoïciens lui ont apporté quantité d’observations, de conseils, de méthodes, dont il a fait son bien, sans parler des sentiments qu’il leur a dus. Sa religion, qui est platonicienne en son essence, nous laisserait voir, elle aussi, quantité d’éléments nouveaux, venus de tous côtés. Nous y noterions la grande importance donnée aux génies ou démons, intermédiaires entre Dieu et l’homme, la tendance à confondre les diverses croyances par un ingénieux système d’interprétation, le besoin d’expliquer l’origine du mal, etc. Sur plusieurs de ces choses nous aurons à revenir tout à l’heure. Il suffit ici d’avertir immédiatement le lecteur, pour qu’il ne se représente pas le platonisme de Plutarque comme une sorte de docilité absolue et exclusive.

Rien n’est plus instructif à cet égard que ses rapports avec l’école péripatéticienne. On a très bien établi que Plutarque, bien loin de fondre dans une doctrine unique les idées de Platon et celles d’Aristote, a toujours témoigné un goût médiocre pour ce dernier et qu’il semble même avoir peu lu ses ouvrages proprement philosophiques[98]. Mais, si cela est vrai, il l’est aussi qu’Aristote et ses disciples ont exercé la plus forte influence sur son esprit par l’exemple qu’ils ont donné de collectionner des faits à titre de documents. Il suffit de voir combien d’informations de détail Plutarque emprunte à Aristote lui-même, à Théophraste, à Straton, pour se rendre compte de ce qu’il leur a dû. Il appelle quelque part Théophraste « celui de tous les philosophes qui a le plus aimé à écouter et à se renseigner » (ἀνδρα φιλήκοον καὶ ἱστορικὸν παρ’ ὁντινοῦν τῶν φιλοσόφων)[99]. Cette qualité, dont il était ravi, il la possédait lui-même au plus haut degré, jusqu’au point où elle confine à un défaut. Elle était naturelle en lui, cela n’est pas douteux ; mais il est certain aussi qu’elle se sentit autorisée, encouragée, aidée par les illustres exemples de ces maîtres de la pensée. Or cette vive curiosité du fait particulier, du détail précis, des choses rares, manquait à peu près complètement à Platon. On ne saurait donc trop remarquer combien, à cet égard, Plutarque est peu platonicien. L’érudition curieuse, infinie, jamais lasse, le goût des problèmes, la poursuite des faits historiques ou des phénomènes naturels, et le besoin de les expliquer, voilà ce qui le fait péripatéticien, quoi qu’il en ait.

Comme on le voit, les dispositions fondamentales de Plutarque sont complexes. Pourtant elles sont liées les unes aux autres très intimement, et ferment ainsi un tout, qui se retrouve à peu près identique dans ses productions les plus variées. C’est ce que nous allons montrer en parcourant les principaux groupes de ses œuvres.

VII

« Les hommes qui voient juste, ô Cléa, prient les dieux de leur donner tout ce qui est bon ; mais c’est surtout la science des choses divines que nous cherchons à atteindre, autant que cela est possible à l’homme ; et nous leur demandons de nous l’accorder[100]. » Ces paroles expriment un des sentiments les plus profonds et les plus constants de Plutarque. Il a eu l’âme religieuse, et le souci de connaître Dieu a été capital dans sa vie.

Sa doctrine fondamentale en théologie est celle de Platon ; et si on lui eût demandé de dire ce qu’est Dieu, quelles sont ses œuvres et ses relations avec l’homme, il est certain qu’il eût renvoyé le questionneur au Timée, dont il acceptait les idées. Seulement, il ne faut pas conclure de là que sa religion, quand il l’exprime, s’offre sous le même aspect que celle de son maître. Les mêmes doctrines essentielles peuvent, en des temps différents, provoquer des façons de sentir fort différentes, et par suite inspirer diversement les écrivains qui les créent ou qui les acceptent. Ce que nous avons à rechercher ici, ce ne sont pas les formules abstraites de la religion de Plutarque, c’est bien plutôt ce qu’elle nous révèle de l’homme dans l’écrivain.

Platon, né en un temps où la vieille mythologie poétique était encore très puissante sur le peuple, où elle dominait la vie publique, devait s’efforcer de dégager l’idée de Dieu du polythéisme confus qui la compromettait aux yeux des penseurs ; et il pouvait le faire avec joie, heureux de voir apparaître peu à peu devant sa raison un ensemble d’idées qui lui semblaient à la fois pures et solides. La situation de Plutarque était tout autre. De son temps, la vieille religion hellénique avait perdu sa puissance sur un grand nombre d’esprits : elle s’était comme refroidie et désenchantée pour beaucoup de ceux même qui lui restaient fidèles. De grandes sectes philosophiques, qui faisaient profession de la respecter, la dépouillaient en réalité de tout ce qui avait fait sa force et sa beauté. Les Stoïciens, si puissants sur les meilleurs esprits, réduisaient les anciennes divinités helléniques à l’état d’allégories, et confondaient Dieu lui-même avec son œuvre. Les Épicuriens, qui attiraient la foule des esprits moyens et vite satisfaits, leur montraient des dieux lointains, ignorant l’homme, ignorés de lui, des dieux qui ne l’aimaient pas et qu’il ne pouvait aimer. D’autre part, les religions étrangères envahissaient de tout côté le domaine de la croyance grecque ; et, avec elles, s’insinuait tout un cortège de superstitions. Le polythéisme hellénique, c’est-à-dire en somme l’hellénisme lui-même, était menacé.

Comment, dans ces conditions, un croyant intelligent, fût-il d’ailleurs optimiste par nature, comme Plutarque, n’aurait-il pas ressenti quelque inquiétude ? Le temps n’était plus des belles et libres recherches, des rêves désintéressés, où l’imagination devançait la raison. Il fallait, bon gré mal gré, répondre aux objections, défendre les dogmes attaqués, au besoin les modifier ou les développer pour les accommoder aux temps nouveaux, en un mot faire œuvre d’apologiste. C’est pour cette raison que les écrits religieux de Plutarque appartiennent tous à la littérature militante, autant du moins que leur auteur, avec sa nature sage et modérée, éprise de paix et de conciliation, pouvait être militant.


Celui où il a mis le plus de passion, et probablement un des plus anciens, est le traité de la Superstition. Si l’antithèse qu’il y poursuit entre l’athéisme et la superstition, deux excès également condamnables à ses yeux, a quelque chose d’un peu artificiel, si la dialectique y fait tort parfois à l’observation, qu’on voudrait plus libre et plus complète, du moins le point de vue hellénique s’y manifeste avec éclat. L’auteur déteste le fanatisme, les pratiques violentes inspirées par la peur, sentiment qui outrage Dieu et qui dégrade l’homme, tout ce qui compromet la famille et la cité. Une allusion à la prise de Jérusalem en 70 nous laisse voir le mépris naturel de ce fils de Platon pour les sombres sectateurs de la Thora ; leur héroïsme ne l’a pas touché ; avec le Socrate du Protagoras, il ne comprend le courage que comme une des formes de la raison. La religion qu’il aime est douce et humaine ; elle ne veut pas se prêter à concevoir un Dieu jaloux, cruel, semblable à un maître inintelligent et méchant. Bien loin de comprimer l’âme, elle la dilate. En l’emplissant de piété, elle entend surtout l’emplir de joie, de confiance, de raison et de liberté.


Les trois dialogues pythiques (Sur l’E de Delphes, Sur les oracles de la Pythie, Sur la cessation des oracles), sans doute postérieurs de quelques années, nous montrent, sous une forme plus douce et plus naturelle, le développement du même état d’esprit. Ils ont en commun ce caractère très intéressant que la religion de l’auteur s’y attache au temple d’Apollon Delphien, comme à son centre naturel. Cela seul la distingue de celle de Platon, qui ne tient nulle part à la terre, aimant mieux suivre, dans l’espace céleste qu’elle imagine, la course du char de Zeus et son cortège de dieux. Plutarque n’a pas cet essor de poésie ; et, de plus, il tient à son sanctuaire, il l’aime comme l’âme de la Grèce antique, il est heureux d’en dire les mystères et d’en défendre la renommée.

Dans l’E de Delphes, il s’amuse à faire passer en revue par ses personnages les interprétations, possibles ou non, de cet E mystérieux qui figurait au dessus de la porte du temple ; son dessein est d’aboutir à une dernière explication, pleine de haute philosophie, qu’il met dans la bouche de son maître Ammonios. Cette lettre énigmatique, c`est le salut que le dieu veut se faire adresser par ses fidèles, lorsqu’ils entrent dans sa demeure : « Εἶ, tu es » ; c’est l’affirmation de la divinité, qui a en propre la plénitude de l’être, tandis que nous n’en avons, nous, en participation que des parcelles. Ainsi, tout en se jouant d’abord dans son érudition, la pensée de l’auteur monte peu à peu plus haut ; elle finit par découvrir, dans le dieu hellénique par excellence, le dieu universel en ce qu’il a de plus pur. Tout grand qu’il est par la raison qui devient son essence même, ce dieu reste ainsi bien humain et national par les traditions évoquées, par ce temple où il a mis son verbe, par cette discussion même, savante et libre en sa piété, dont il a été l’inspirateur et le sujet.

Il y a plus de curiosité inquiète, tout au moins plus de préoccupation des doutes contemporains, dans la discussion sur les Oracles de la Pythie. Pourquoi le dieu, qui parlait en vers, lorsque la Grèce était grande, parle-t-il en prose aux contemporains de l’auteur ? À cette question embarrassante et qui pourrait aller loin, les réponses sont nombreuses et variées. Tous ces Grecs de Plutarque sont ingénieux et inventifs. D’ailleurs, les solutions importent moins pour nous que le ton même du dialogue et sa direction générale. Du point qui nous semble essentiel, il n’est pas même question. Aucun des personnages ne met en doute la réalité des oracles. Que cette antique révélation divine ait pu n’être qu’une longue fourberie, ou tout au moins une illusion puérile, voilà ce qu’ils ne veulent pas même énoncer. Ces propos d’impies sont ignorés de parti pris ; nulle part, on ne les discute directement. Tout au plus, peut-on dire qu’on les prévient par les raisons qu’on imagine. Pour nous, cela donne à tout l’entretien quelque chose d’enfantin, si nous le lisons tant soit peu en philosophes. Mais peut-être n’est-ce pas le vrai moyen de le comprendre : il faut y assister en spectateurs sympathiques, en amis des vieilles choses grecques : alors, on sera charmé de voir avec combien d’esprit ces honnêtes gens s’entretenaient eux-mêmes dans des illusions aimées, qui tenaient à l’âme de la patrie.

Le dialogue Sur la cessation des oracles, auquel s’appliquent en partie les mêmes réflexions, doit son intérêt particulier au grand rôle qu’y jouent les génies ou démons. Il y a là de curieuses explications, accompagnées de récits merveilleux, sur ces êtres intermédiaires entre Dieu et l’homme, bons ou mauvais, sujets aux passions, aux maladies, à la mort, auxquels on impute tout ce qui dans les vieilles légendes (qu’on ne veut pas rejeter) est en désaccord avec l’idée de Dieu. Un grand nombre d’oracles relèvent d’eux et disparaissent avec eux. Toutefois, cette explication n’est pas complète aux yeux de l’auteur ; c’est surtout par les rapports de Dieu avec la matière qu’il cherche à se rendre compte du fait qui est le sujet du débat. Quoi qu’on pense de sa théorie, les historiettes que les personnages du dialogue se racontent les uns aux autres sur la mort de Pan, sur les génies des îles de la Bretagne, sur le vieux prophète de la mer Érythrée, sont attachantes par leur merveilleux simple et naïf ; même aujourd’hui, elles ne nous laissent pas indifférents. Non seulement elles plaisent par leur tour dramatique, par un piquant mélange de mystère et de précision, par le frisson d’inconnu dont elles sont pleines, mais de plus elles nous mettent sous les yeux bien vivement l’état d’esprit des hommes instruits de ce temps, leurs étranges crédulités, leur goût du surnaturel et leur manque total de sens critique. À cet égard, la valeur documentaire du dialogue est d’autant plus grande, qu’il nous fait entendre avec plus de vérité, grâce au talent de l’auteur, l’accent même des personnages.


À ces trois dialogues pythiques, il faut joindre l’entretien Sur les délais de la vengeance divine, qui ne se rapporte, il est vrai, ni au sanctuaire de Delphes ni à l’oracle, mais qui est censé tenu, lui aussi, à Delphes, dans le portique du temple. Plutarque y défend la doctrine de la providence, non pas contre toutes les objections des Épicuriens et des incrédules, mais contre certaines de ces objections, celles qui se rapportent à l’exercice de la justice divine. La plupart de ses arguments, il les emprunte à ses devanciers : beaucoup se trouvaient déjà dans le De Providentia de Sénèque, les deux écrivains ayant puisé aux mêmes sources. Toutefois, si le fond est ancien et commun, la dialectique de Plutarque a su se l’approprier. Ces vieux arguments sont rajeunis par l’ampleur qu’il leur donne, par la variété des réflexions accessoires, par l’abondance et la précision des exemples ; il est possible même que d’autres arguments, en petit nombre, lui appartiennent en propre. La thèse en elle-même n’en est peut-être pas très sensiblement fortifiée ; mais ce qu’on ne peut nier, c’est que Plutarque, avec sa modération, avec son optimisme, avec sa douceur insinuante, ne réussisse à en atténuer certaines conséquences paradoxales[101]. Il est humain, même quand il se trouve en opposition momentanée avec la conscience humaine. Bien loin de la froisser, il n’a rien plus à cœur que de la mettre de son côté. Dans l’injustice apparente, il trouve, avec une pénétration vive, des compensations réelles, qu’il fait valoir sans rhétorique, par un sens juste de la vérité. Il en trouve surtout dans sa croyance à une justice au delà de la mort : idée qu’il développe sous forme narrative, avec son talent ordinaire de conteur, dans le récit relatif à un certain Thespesios de Soli, qui mourut d’une chute et ressuscita trois jours après, non sans rapporter de son séjour chez les morts de notables révélations.

Il n’y a pas lieu d’insister ici sur l’entretien intitulé Du Démon de Socrate : œuvre médiocre, qui ne pourrait, il est vrai, être négligée dans une étude complète sur la démonologie de Plutarque, mais qui n’ajouterait rien à l’idée que nous cherchons à nous former de lui en tant qu’écrivain religieux. Nous ne ferons aussi que noter en passant le récit mythique du grammairien Sylla à la fin du dialogue Sur le visage qu’on voit dans la lune. L’imagination de l’auteur s’y déploie en une sorte de rêve mystique, sur l’existence des âmes après la mort et sur l’origine des génies, et il y mêle aux spéculations les plus aventureuses une incontestable poésie.


Le dernier des ouvrages théologiques de Plutarque dont nous ayons à parler est l’écrit Sur Isis. C’est une sorte de consultation, donnée à une Grecque instruite et pieuse, du nom de Cléa, qui était affiliée à la religion isiaque, alors si répandue dans le monde gréco-romain. Le dessein manifeste de l’auteur, c’est de dégager de cette croyance étrangère tout ce qu’elle contient de vraiment religieux, au point de vue hellénique et rationnel qui est le sien. Tâche délicate, qui révèle à la fois sa largeur d’esprit, son goût naturel pour toutes les formes sincères de religion, son immense érudition, et les ressources de son interprétation. Infiniment curieux pour l’historien et pour le philosophe par tous les renseignements qu’il contient, ce traité n’a pas pour le simple lecteur l’attrait des dialogues dont nous venons de parler ; il est trop chargé de détails, sous lesquels les idées générales ne se laissent pas toujours apercevoir assez clairement. Si, toutefois, on s’y attache malgré la première impression, il est difficile de ne pas s’intéresser à la tentative de l’auteur, en mesurant les difficultés dont il essaye de sortir. Car, d’une part, il est trop respectueux des traditions, trop porté à croire, pour nier purement et simplement le mythe d’Isis, et il lui paraît qu’il doit y avoir un fond de réalité dans des récits aussi antiques et vénérables. Historiquement, ces récits, en ce qu’ils ont de vrai, lui semblent devoir être rapportés à des démons, dont les meilleurs sont devenus des dieux. Mais, d’autre part, ces faits, en eux-mêmes, sont trop pauvres, trop incertains, pour alimenter une religion digne de ce nom ; ils ne prennent leur valeur véritable que par les interprétations qu’on en donne. Parmi ces interprétations, il faut, selon lui, rejeter celles qui, sous couleur d’expliquer les faits traditionnels, leur ôtent tout caractère divin. Au contraire, il convient d’accepter et de synthétiser toutes celles qui, derrière des récits antiques, découvrent la puissance divine en action. Ainsi le mythe, pour Plutarque, semble être à la fois réel et symbolique : réel dans une mesure vague, que nul ne peut déterminer exactement ; symbolique, suivant les forces de l’esprit qui l’interprète et qui, en s’aidant des traditions, des rites, des étymologies, et aussi de la libre spéculation, en dégage de hautes significations philosophiques. Pour sa part, il retrouve dans le mythe d’Isis la conception dualistique de Platon, où Dieu s’oppose à la matière. Méthode applicable, suivant lui, à toutes les religions : car toutes, en ce qu’elles ont de sain, ne sont que des formes locales, héréditaires, d’une même croyance universelle, des manières diverses de proclamer les mêmes vérités. Et la sagesse est pour chacun de rester fidèle aux pratiques de ses pères, en remontant par la raison jusqu’aux idées simples qu’elles impliquent et que la philosophie met en lumière[102]. Voilà comment, sans sortir de l’hellénisme, ou plutôt grâce aux ressources que l’hellénisme lui offrait, il s’élève à l’idée d’une religion universelle, qui rapprocherait tous les hommes, sans les arracher à leurs cultes particuliers.


Si nous embrassons maintenant d’un seul regard toute cette philosophie religieuse, il est difficile de nier qu’elle n’enferme bien des contradictions. Elle tend manifestement à épurer le polythéisme traditionnel, à le mettre de plus en plus d’accord avec la science et la conscience. Mais, en même temps, elle veut en conserver tout l’essentiel, la divination, la pluralité et la hiérarchie des dieux, leur intervention surnaturelle dans les choses humaines. Crédulité et rationalisme s’y mélangent donc étrangement. D’ailleurs, elle ne forme pas un système arrêté, complet, bien lié dans ses parties : c’est plutôt un assemblage d’idées réellement divergentes, qui s’unissent malgré elles dans un dessein général de progrès sage el de conciliation. Une telle doctrine dépassait évidemment la portée de la foule ; elle ne pouvait convenir ni aux ignorants, ni aux impatients ; elle était surtout trop prudente et trop réfléchie pour le nombre toujours croissant de ceux qui couraient au mysticisme. Aussi ne marque-t-elle dans le paganisme qu’une étape, avant l’avénement du néoplatonisme. Ce qu’on doit dire à sa louange, c’est qu’aux esprits modérés qui l’ont reçue et goûtée, elle a dû donner une satisfaction intime, en leur laissant croire que l’hellénisme était encore capable de s’élargir, sans se détruire lui-même, et de suffire par conséquent aux besoins de l’humanité.

On pourrait joindre à ces ouvrages de théologie un certain nombre d’écrits relatifs aux sciences naturelles[103] ; car la nature, pour Plutarque, étant l’œuvre de Dieu, est à la fois la manifestation de sa puissance et celle de sa pensée. Mais ces traités n’ont pas un rapport assez direct à l’histoire littéraire, pour qu’il soit à propos de les étudier ici. Passons donc directement aux œuvres proprement morales.

VIII

Personne n’a plus écrit que Plutarque sur des sujets de morale. Moraliste, il l’est partout et toujours, dans tous les sens du mot. Tantôt il définit le bien, tantôt il l’enseigne, tantôt il le raconte sous forme d’exemples. Nous avons un certain nombre d’écrits où il explique sa théorie de la vertu (De la vertu morale, Que la vertu peut être enseignée, De la vertu et du vice). Nous en avons d’autres, où il se montre, comme on l’a dit, « médecin de l’âme »[104], signalant les défauts, indiquant les remèdes, avertissant ceux qui ne voient pas leur mal, encourageant les faibles, consolant les malheureux et apaisant les cœurs troublés (Sur la guérison de la colère, Sur le bavardage, Sur l’indiscrétion, Sur la mauvaise honte, Sur l’envie, Sur le désir des richesses, Sur la manière de se louer soi-même sans offenser les autres, Sur les progrès dans la vertu, Sur la paix de l’âme, Sur l’exil, Consolation à sa femme)[105]. Enfin un dernier groupe nous laisse voir ses vues sur la famille et la société (Dialogue sur l’amour, Préceptes sur le mariage, Vertus des femmes, Sur l’affection des frères, Sur le grand nombre des amis, Sur le profit qu’on peut tirer de ses ennemis, Sur les moyens de distinguer le flatteur de l’ami[106] ; Si les vieillards doivent prendre part aux affaires publiques, Préceptes politiques, Que le philosophe doit s’adresser surtout à ceux qui ont le pouvoir, À un prince ignorant[107]. Si nous avions le dessein de faire connaître en détail les idées morales de Plutarque, il serait indispensable d’étudier chacun de ces écrits successivement. Mais cette étude a été fort bien faite ailleurs[108] et ne pourrait en aucun cas trouver sa place ici. Dire en quelques mots ce qu’a été Plutarque dans chacun des offices principaux du moraliste, voilà tout ce que nous devons nous proposer.

Le premier sans doute, à considérer les choses abstraitement, c’est de définir la vertu. Ce n’était pourtant pas le plus important au temps de Plutarque, et c’est celui où il se montre le moins original. Sa théorie morale est platonicienne et aristotélique. Avec Platon, il tient fermement à cette idée capitale, que le vice est ignorance, que la vertu peut et doit être enseignée : ce qui est d’ailleurs bien conforme à la tendance didactique de sa propre nature. Avec Aristote, il la fait consister en un juste milieu, obéissant encore en cela à ses instincts personnels de modération. Toutefois, cet aristotélisme est plus extérieur que profond ; il sert à établir la définition générale de la vertu, plutôt qu’il ne détermine dans le détail les conseils du moraliste. La tendance dominante de Plutarque sera d’affranchir l’esprit de la matière, de l’élever du monde sensible au monde des idées, ce qui est proprement platonicien. Quant au stoïcisme, il ne pouvait pas ne pas lui faire des emprunts de détail, puisqu’il n’y avait alors aucun point de la morale sur lequel quelqu’un des grands Stoïciens n’eût dit des choses excellentes ; mais le principe même de la secte, Plutarque le rejette formellement, toutes les fois qu’il en a l’occasion. Les Stoïciens visaient à supprimer les passions ; il déclare, lui, que cela est impossible, et que ce serait d’ailleurs un grand mal. Les passions sont des forces ; qu’elles viennent à s’éteindre, l’âme sera inerte et comme morte ; bien loin de les détruire, l’homme éclairé doit uniquement viser à les mettre au service de la raison. Dans un temps où les meilleures natures inclinaient à l’ascétisme, entre Épictète et Marc-Aurèle, on remarquera combien cette vieille morale hellénique, si résolument reprise par Plutarque, était humaine, en même temps que conforme à toute la tradition nationale.

Cette modération indulgente, nous la retrouvons chez lui dans la critique des vices et des défauts. Jamais il ne s’est attaqué à aucune des passions qu’on peut appeler viles ou furieuses, à l’amour sensuel, à l’ambition ardente, à la haine. Il est vrai qu’il n’en a guère eu l’occasion : ses écrits sont en général des consultations ; ceux qui sont en proie à de telles passions n’ont pas coutume de consulter les moralistes. C’est à des défauts moyens, à des vices ou à des passions presque honorables, qu’il a seulement affaire. Mais sous ces défauts de société, d’autres que lui n’ont pas manqué de retrouver des violences sourdes et des germes redoutables, l’éternel égoïsme, la fureur des sens, la soif de jouir, en un mot l’arrière-fond de la bestialité humaine. Il y a des moralistes qui vont à cela tout droit, parce qu’il leur semble, non sans raison peut-être, que tout vient de là. Plutarque, lui, n’a pas cette clairvoyance aiguë et impitoyable, non plus que ce besoin opiniâtre de descendre au plus bas. Ce n’est pas un scrutateur de consciences troubles. D’ordinaire, il s’en tient à ce qu’on voit, à ce qui se manifeste par la parole ou par l’action. Tout au plus pénètre-il jusqu’à ce qu’on pourrait appeler les premiers dessous de l’âme. Là est le lieu de ses observations ; il y a de l’optimisme et de la bonté dans sa critique, toute sincère qu’elle est d’ailleurs.

Dans ces limites, ses qualités d’observateur sont remarquables. Son expérience de l’homme est grande : il a vécu plus que personne dans le présent et dans le passé, dans la société de son temps et dans l’histoire ; tout ce qu’il a vu est éclairé par tout ce qu’il a lu, et réciproquement ; d’ailleurs, il ne cesse de comparer et de classer, et il retient tout. Il en résulte que chaque cas particulier entre pour lui dans une certaine catégorie déjà notée et comme illustrée ; et ce groupement spontané, immédiat, accuse les caractères communs, révèle les rapports, fait ressortir les conséquences. Ses anecdotes, ses exemples, ses citations n’ont pas seulement une valeur littéraire. Tout cela fait partie de sa méthode morale. L’observation chez lui est plutôt historique que psychologique, en ce sens qu’au lieu de rattacher le défaut étudié à ses causes intimes, et celles-ci à d’autres, il est enclin à le rapporter d’abord aux faits analogues qu’il a pu voir ou qu’il a entendu raconter, aux passages d’auteurs qui en ont traité. Ainsi sa critique ne descend pas fort avant dans les choses, mais elle les voit sous une forme très concrète, qui la préserve des subtilités.

À défaut de perspicacité supérieure, il a du moins un bon sens vif et sûr, qui ne se trompe guère et qui juge nettement. Il voit clair et il réfléchit. Ces petits vices qu’il veut corriger, bavardage, indiscrétion, fausse honte, penchant à la colère, il les connaît dans leurs habitudes, il en sait les occasions ordinaires, qu’il détaille une par une très clairement. On est mis en garde et pratiquement instruit. Point de portraits satiriques : les portraits font valoir le talent de l’auteur, mais ne corrigent guère le lecteur ; un portrait est une conception originale, une synthèse personnelle, qui ne ressemble complètement à aucun de ceux auxquels l’auteur a pu songer, et où par conséquent chacun d’eux a toujours le droit de ne pas se reconnaître. D’ailleurs Plutarque n’a pas le genre d’imagination créatrice qui est nécessaire au portrait. Il analyse et raisonne, il détache chaque trait, chaque idée, il procède didactiquement, il ne concentre pas ses effets. Sa manière est plutôt, si l’on peut ainsi parler, « indicative » que descriptive. Il note ce qu’il veut faire remarquer, mais il ne le met pas en relief. Cette notation analytique, claire, réfléchie, quelquefois fine, ne vise pas à faire penser au delà de ce qu’elle dit ; elle se contente de dire tout ce qui est utile au lecteur de bonne volonté, disposé à en faire son profit.


Au reste, décrire le mal n’est pas la chose à quoi Plutarque s’applique le plus. Comme il s’en tient à ce qui est bien visible, il a le droit en général de le supposer connu, et dès lors la description chez lui peut n’être qu’incidente et secondaire. Sa tâche propre, c’est de guérir ; et rien ne caractérise mieux en lui le moraliste, que l’art très délicat d’organiser une cure morale.

Son grand principe, c’est que les guérisons ne peuvent s’obtenir que lentement. Il n’est pas de ceux qui brusquent les choses, ni qui prétendent faire violence à la nature. Le vice est une habitude mauvaise, qui ne peut être déracinée que par une autre habitude contraire. C’est celle-ci qu’il s’agit de faire naître[109]. Il va de soi que la première de toutes les conditions est la bonne volonté du malade ; mais il faut en outre de l’adresse, de la prévoyance, tout un plan de réformes, et c’est là ce qui appartient au médecin.

Le moraliste s’applique d’abord à faire trouver à celui qu’il conseille une occasion prochaine et facile de prendre l’avantage sur le défaut qu’il veut corriger. Une bonne action est le commencement d’une bonne habitude, et rien ne donne plus de courage qu’un premier succès. Dès que cette habitude tend à naître, il faut la développer. Au bon conseiller d’inventer toute une série d’exercices moraux, variés et gradués, qui auront justement cet effet. Cette invention, Plutarque y excelle. Le bavard s’imposera d’abord, dans une réunion, de ne parler qu’après tous les autres ; surtout, il s’interdira absolument à lui-même de répondre à la place d’un autre qu’on interroge. Voilà des occasions précises, bien définies, fréquentes. Ensuite, déjà un peu plus habitué à s’observer, il devra surveiller ses réponses, ne dire que ce qu’il faut, élaguer les digressions. Il se défiera de certains sujets favoris, qui l’attirent : un bavard, ami de Plutarque, ne pouvait s’empêcher de raconter à tout propos la bataille de Leuctres, qu’il avait lue dans Éphore ; chacun a sa bataille de Leuctres, qu’il doit éviter par dessus tout. Enfin, si le bavard ne vient pas ainsi à bout de son vice, il lui reste un dernier moyen, qui est de répandre son trop-plein sur le papier : il se soulagera en écrivant, et ce sera une véritable purgation morale[110]. Comme on le voit, le traitement est méthodique et complet. Pour l’appliquer à la colère, à l’indiscrétion, à la mauvaise honte, Plutarque n’a qu’à modifier la nature des exercices ; le plan et le genre des inventions restent les mêmes. Il y a, dans une telle méthode, de l’esprit, de l’ingéniosité, du sens pratique, et aussi de la bonté, c’est-à-dire quelques-unes de ses meilleures qualités.


Une dernière partie de la tâche du moraliste, c’est de tracer les routes à suivre, c’est d’éclairer les obscurités ou les difficultés de la vie par des préceptes, des conseils, des réflexions, c’est de pourvoir les hommes d’une provision de bonnes idées, dont ils feront usage selon leurs besoins. La plus grande partie des ouvrages moraux de Plutarque n’est remplie que de cela.

Nature éminemment sociable, ce qu’il a en vue par dessus tout, qu’il le dise ou non, c’est le développement de la sociabilité. Il est bien moins tourné que les Stoïciens vers le perfectionnement de l’individu, bien moins exclusivement préoccupé de son indépendance. Les conseils qu’il donne, loin de tendre à détacher l’homme de ses affections naturelles, visent au contraire à les lui rendre plus chères, en y mettant toujours plus d’intelligence, plus de sagesse, plus d’idéal. C’est dans cet esprit qu’il disserte sur la famille, sur l’amitié, sur la vie civile et publique.

Ce que Plutarque disait et pensait de la famille, nous pouvons en juger encore par ses Préceptes sur le mariage, par son écrit Sur l’affection fraternelle, et par la plus grande partie de la Consolation à sa femme. Sans apporter à proprement parler des vues nouvelles sur des sujets si anciens, il a su rassembler dans ces écrits, avec grâce et délicatesse, toute la substance et en quelque sorte toute la fleur de la sagesse antique, en y mêlant quelque chose de bon et d’aimant qui lui est propre. Mais surtout, pénétré, comme il l’est, du sentiment que la nature humaine a besoin de se communiquer, il fait sentir excellemment, non seulement le charme des affections intimes, mais ce qu’elles peuvent avoir de bienfaisant, lorsqu’elles sont éclairées, lorsqu’elles élèvent ceux qu’elles unissent vers un idéal commun, lorsqu’elles deviennent un moyen de développer la vie morale. Nulle part peut-être on ne comprend mieux que chez lui pourquoi et comment la famille, quand elle donne à l’homme tout ce qu’elle peut donner, lui élargit le cœur et le rend vraiment apte à la société.

Son écrit principal sur l’amitié est perdu[111]. Il nous reste une courte esquisse de dissertation Sur le grand nombre des amis (Περὶ πολυφιλίας), où il montre pourquoi la nature même de l’amitié répugne à la pluralité des amis, et un traité plus développé Sur les moyens de distinguer l’ami du flatteur (Πῶς ἄν τις διακρίνειε τὸν κόλακα τοῦ φίλου). Tout en avouant qu’il y est trop ingénieux, trop occupé à combiner de petits stratagèmes pour dépister les fausses complaisances, qu’il ne voit pas les choses d’assez haut ni assez simplement, il faut reconnaitre que de ces deux ouvrages ressort une conception très pure et très noble de la valeur de l’amitié. Ce qu’on aimerait à savoir, c’est si l’auteur, à côté de l’amitié proprement dite, depuis longtemps définie, étudiée, prônée par ses prédécesseurs en philosophie, et toujours rare en somme, n’avait pas fait aussi une place dans sa morale à ces formes de camaraderie, de sociabilité, de bienveillance mondaine par lesquelles les hommes se rapprochent les uns des autres. Dans un écrit de nature différente, il a de justes et délicates paroles sur les égards qu’un collègue doit à son collègue[112], et l’on voit, par les Propos de table et par plusieurs de ses dialogues, combien il a goûté le charme et senti le profit des entretiens. Il eût été digne de lui de tirer de là une théorie, afin d’élargir la notion un peu étroite que la philosophie, trop préoccupée d’idéal, avait donnée de l’amitié. S’il ne l’a pas fait explicitement dans des pages que nous n’avons plus, on peut dire du moins qu’il y tend, d’une manière plus ou moins consciente, par l’ensemble de ses écrits.

Développant ainsi ses facultés de cœur et d’esprit dans la famille et dans la société, comment l’homme, tel que le veut Plutarque, se refuserait-il à la cité ? Sur ce point, il n’a jamais eu d’hésitation. Sans la moindre ambition personnelle et très heureux dans sa petite ville, il n’admet pas qu’on fasse de la philosophie pour soi et qu’on se désintéresse des choses publiques. Il enseigne que le philosophe doit être libéral de ses conseils et s’attacher, s’il en a l’occasion, à ceux qui ont le pouvoir[113]. Et, d’autre part, il n’hésite pas à dire aux princes et aux hommes puissants, qu’ils doivent appeler à eux les philosophes, car ils ne peuvent se passer de philosophie[114]. Lorsqu’un jeune homme qui se destine à la vie publique le consulte, il le pourvoit de bons conseils (Πολιτικὰ παραγγέλματα) ; et lorsqu’un vieillard de ses amis songe à quitter ses charges, il lui montre amicalement que l’âge n’empêche pas de rendre bien des services (Εἰ πρεσβυτέρῳ πολιτευτέον).

Dans ces ouvrages, Plutarque ne fait pas de politique théorique, et, en les écrivant, il n’a rien apporté de neuf à la science sociale. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment ce moraliste, si plein de sens, exerce, dans un ordre d’idées qui semble étranger à sa vie ordinaire, ses qualités de tact, de clairvoyance pratique, de modération active. Il a une intuition très juste des difficultés de la vie publique, à la fois de celles qui sont de tous les temps, et de celles qui étaient spéciales aux Grecs de son siècle ; ses Préceptes politiques sont pleins de prévision, d’avertissements utiles, d’expérience réfléchie, et on y sent, dans les passages qui s’y prêtent, un patriotisme quelque peu désabusé, mais profond. Dans le secret de son cœur, Plutarque aime la vie publique, ou il croit l’aimer. Il ne peut s’empêcher d’y voir un beau déploiement de facultés diverses, des services à rendre, de la renommée à gagner. Et puis, cela est conforme à la tradition grecque. Nul sujet ne lui fournit plus d’occasions d’appuyer ses conseils d’exemples et de souvenirs, nul n’évoque plus naturellement et à tout propos ce passé qu’il aime, ces hommes d’autrefois qu’il admire, toute cette vivante matière historique qu’il porte en lui-même, dans sa mémoire et dans son cœur. Et il se peut bien que, malgré son sens juste, il voie quelquefois les choses du présent à travers l’illusion de ce passé, qu’il les grossisse et les embellisse ; mais qu’importe ? le mérite de ses conseils à nos yeux n’est-il pas surtout de nous représenter un curieux état d’esprit, qui le caractérise et qui nous touche ?


On peut associer à ces traités de morale les quelques ouvrages de critique littéraire que Plutarque a composés. Car si plusieurs d’entre eux sont surtout des livres d’érudition, on ne peut méconnaître cependant que l’esthétique de Plutarque, en général, est étroitement dominée par des vues morales. Il avait commenté plusieurs poètes : Homère d’abord, dans ses Ὁμηρικαὶ μελέται, en plusieurs livres[115], dont il nous reste seulement quelques fragments ; puis les Travaux et les Jours d’Hésiode, en mêlant les notes du curieux aux observations du moraliste, comme on peut en juger par les citations qu’en font Tzetzès et Proclos. Il annota aussi, mais surtout à un point de vue scientifique, les Pronostics d’Aratos et les Thériaques de Nicandre ; quelques débris de ces commentaires sont encore mêlés aux scolies de ces deux poèmes. Mais ses principales œuvres de critique littéraire étaient la Comparaison entre Aristophane et Ménandre dont il nous reste un abrégé, l’écrit Sur la malignité d’Hérodote, que nous possédons en entier, et le traité Sur la manière de faire lire les poètes aux jeunes gens, également conservé[116].

La Comparaison entre Aristophane et Ménandre révèle un sentiment juste des mérites de Ménandre, mais une complète inintelligence du théâtre d’Aristophane. Non seulement la moralité délicate de Plutarque est choquée de la licence grossière de l’ancienne comédie, mais en outre la critique qu’il en fait au point de vue littéraire montre que la nature propre de cette forme dramatique lui échappait entièrement. L’hellénisme de Plutarque, comme celui de ses contemporains, laissait tomber peu à peu tout ce qui dans les œuvres nationales était trop particulier, trop spécial à un lieu et à un temps, pour n’en garder que ce qui était universel et humain.

Il n’est pas fort surprenant qu’un homme d’esprit et de cœur, mais si peu capable de sortir de lui-même pour juger les choses d’autrefois, ait écrit la dissertation Sur la malignité d’Hérodote[117]. Le grand historien, très avisé et très clairvoyant, avait vu les hommes des guerres médiques tels qu’ils étaient, avec leur grandeur et leurs petitesses ; il avait noté, en narrateur sincère, bien des intrigues mesquines, bien des jalousies, bien des calculs égoïstes, et il avait par là servi admirablement la vérité. Au temps de Plutarque, ces hauts faits nationaux étaient depuis longtemps idéalisés ; toute une série d’historiens et d’orateurs y avaient travaillé pendant des siècles, et nul n’était plus attaché que notre moraliste à cette gloire de la patrie. Les doutes d’Hérodote lui ont paru injurieux, ses remarques sincères lui ont fait l’effet de calomnies. Étant ce qu’il était, il devait penser ainsi.

C’est bien le même homme que nous retrouvons dans le traité Sur la manière de faire lire les poètes aux jeunes gens. Attaché par une admiration pieuse à tous les grands poètes de la Grèce, il ne peut pourtant se dissimuler que bien des choses qu’ils ont dites sont de nature à blesser le sens moral des jeunes gens de son temps. S’il avait l’esprit historique, cette contradiction ne l’arrêterait pas un instant. Il sentirait, et il dirait tout simplement, » qu’au temps d’Homère les idées morales et religieuses étaient encore dans l’enfance, et qu’il faut par conséquent faire bien comprendre aux jeunes gens que ses peintures se rapportent à une humanité primitive, sur laquelle les hommes du temps de Trajan n’avaient plus à se régler. Mais, comme cette idée lui est entièrement étrangère, comme il persiste à vouloir chercher dans les vieux poètes des exemples de conduite et des préceptes d’une valeur absolue, il est en présence de difficultés inextricables ; et il n’en sort pas, car cela est impossible ; mais il se donne à lui-même l’illusion d’en sortir au moyen d’interprétations, de palliatifs, de faux-fuyants, qui paraissaient quelque peu puérils à un moderne.

Plutarque a donc porté dans la critique littéraire, il faut le reconnaître, des vues qui sont non seulement étrangères, mais contraires à la nature de ce genre. Sa vraie vocation était de moraliser, et nous allons voir qu’il moralise encore, même lorsqu’il écrit l’histoire.

IX

Toute l’œuvre de Plutarque, comme historien, consiste dans ses Vies parallèles, les quelques recueils de notes érudites dont nous avons parlé plus haut n’étant réellement que des matériaux, non mis en valeur. Ces biographies ont une renommée ancienne et solide. Et pourtant il ne semble point, à les examiner en critique, qu’elles s’imposent à l’admiration par des mérites tout-à-fait supérieurs. Les qualités qui en ont fait et qui en assurent le succès sont des qualités moyennes, mélangées d’ailleurs d’assez graves défauts. Mais ces qualités sont de celles qui séduisent, qui se font aimer, qui empêchent de remarquer ce qui manque. Il vaut la peine de s’y arrêter ici quelques instants.

La biographie était un genre anciennement cultivé en Grèce ; on a pu en noter plusieurs espèces au cours de cette histoire. On avait écrit des vies de poètes, d’orateurs, de musiciens, de philosophes, des vies de capitaines illustres el d’hommes d’État ; tantôt brièvement, sous forme de notices, en vue de conserver le souvenir des faits essentiels qui concernaient ces personnages ; tantôt avec plus d’ampleur et d’un ton plus oratoire, en jugeant les actions, en développant les desseins, à la manière des historiens de profession. Lorsque Plutarque entreprit d’écrire lui aussi des biographies, il ne lui vint donc pas à l’esprit qu’il eût à créer quelque chose de nouveau. L’histoire l’attirait, parce qu’il était curieux, parce qu’il se plaisait à raconter ; d’autre part, les œuvres de peu d’étendue convenaient mieux à son humeur que les longues compositions ; il choisit probablement la biographie comme la forme la plus courte de l’histoire. Mais, comme il arrive aux hommes de mérite, en s’appropriant cette forme, il la marqua de sa personnalité ; et, bientôt, il acquit le sentiment de ce qu’elle avait pris d’original entre ses mains. Ce lui fut une raison de plus de s’y attacher. Elle le charmait par elle-même, et elle lui procurait le plaisir de se sentir en quelque mesure créateur.

Nous possédons encore cinquante des biographies qu’il composa ainsi ; et nous savons qu’il en avait écrit d’autres[118]. Quarante-six sont accouplées deux à deux[119] et forment la collection des Vies parallèles ; les quatre autres, à savoir celles d’Aratos, d’Artaxercès, d’Othon et de Galba, sont isolées. D’une manière générale, les Vies parallèles, dédiées toutes à Sossius Sénécion, semblent avoir été rédigées par Plutarque sans interruption notable, dans la dernière partie de sa vie[120]. Elles appartiennent par conséquent à la même période que la plupart de ses œuvres morales, et elles dénotent en effet les mêmes préoccupations[121]. Il paraît probable à priori que les vies isolées ont dû précéder les vies accouplées : une fois que Plutarque eût établi sa méthode, il semble s’y être complu sans réserve ; on comprendrait mal pourquoi il l’aurait alors abandonnée. D’ailleurs, les vies de Galba et d’Othon, où le parallélisme n’existe pas encore, sont moins des biographies véritables que des chapitres d’histoire ; l’auteur raconte les règnes de ces empereurs plutôt que leurs vies, et une bonne partie de ce qui concerne Othon se trouve dans le récit relatif à Galba. Il y a donc lieu de croire qu’elles ont été écrites avant que Plutarque eût conçu la méthode qu’il appliqua un peu plus tard aux Vies parallèles. Celles d’Aratos et d’Artaxercès, bien qu’isolées, sont au contraire de véritables biographies, où se révèle déjà la manière définitive de l’auteur. Peut-être marquent-elles ses débuts dans le genre biographique proprement dit.

Dans quel ordre les Vies parallèles ont-elles été composées et publiées[122] ? Plutarque nous fournit lui-même quelques renseignements à ce sujet ; et ces renseignements, quoique très insuffisants, permettent d’abord d’établir que cet ordre n’est aucunement conforme à celui des manuscrits. Ils nous donnent ensuite une idée générale des sentiments qui l’ont guidé dans son entreprise. « Il m’est arrivé, dit-il, de me mettre à écrire des biographies pour complaire à d’autres ; puis je me suis at- taché à ce genre, et j’y ai pris demeure pour mon propre plaisir, l’histoire étant pour moi comme un miroir, devant lequel je m’essayais à embellir ma vie en la conformant aux grands exemples[123]. » Ainsi Plutarque, au début, n’écrit que sur les instances de ses amis, suivant une habitude qui lui était familière et qu’attestent presque toutes ses œuvres morales. Puis, il se complaît à ce qu’il fait, il sent qu’il en tire profit, et il continue alors pour sa propre satisfaction, avec une intention de moraliste, qui devient prédominante. Il travaille dans cet esprit plus ou moins longtemps, s’attachant à choisir les biographies qui offraient de grands exemples. Plus tard, il s’avise qu’on peut profiter aussi du spectacle des grandes fautes : et il se décide à écrire les vies de quelques hommes qui ont été insignes dans le mal : il commence par Démétrius Poliorcète et Antoine[124]. Enfin, quand il a épuisé tout le domaine de l’histoire proprement dite, il ne craint pas de remonter jusqu’aux temps mythologiques, et il compose quelques biographies à demi fabuleuses[125]. Voilà ce qu’il nous apprend de plus important sur l’ordre général qu’il suivit dans l’exécution de son dessein : en outre, il nous donne, çà et là, des indications de détail, d’où il résulte que toutes ses Vies parallèles furent publiées par couple, chaque couple formant un tout avec la comparaison (σύγκρισις) qui y était jointe[126]. Il nous fait même connaitre le rang de quelques-uns de ces couples dans la série[127]. C’est d’après ces indications, et en s’aidant aussi de tout ce que suggère l’étude comparative des divers récits, qu’on a pu tenter de dresser une liste des Vies parallèles selon l’ordre chronologique de leur composition. Celle qu’a proposée Michaelis mérite d’être considérée, à tout le moins, comme le point de départ nécessaire de toutes les recherches futures : la voici[128] : — Première série : 1 (manque), 2 Sertorius et Eumène, 3 Cimon et Lucullus, 4 Lysandre et Sylla, 5 Démosthène et Cicéron, 6 Agis et Cléomène, Tib. et C. Gracchus, 7 Pélopidas et Marcellus, 8 Phocion et Caton d’Utique, 9 Aristide et Caton le censeur ; — Deuxième série : 10 Périclès et Fabius Maximus, 11 Nicias et Crassus, 12 Dion et Brutus, 13 Timoléon et Paul Émile, 14 Philopoemen et Titus ; puis, sans rang certain, Thémistocle et Camille, César et Alexandre, Agésilas et Pompée, Pyrrhus et Marius, Solon et Publicola ; — Troisième série : 20 Démétrius Poliorcète et Antoine, 21 Alcibiade et Coriolan ; — Quatrième série[129] : 22 Lycurgue et Numa, 23 Thésée et Romulus.

Ces biographies, si on les rapproche les unes des autres, embrassent, comme on le voit, une bonne partie de l’histoire grecque et de l’histoire romaine. Elles complètent, sur beaucoup de points, les renseignements que nous devons aux historiens proprement dits. C’est un des plus riches répertoires de faits que nous ait légués l’antiquité : il est naturel de se demander d’abord quelle en est la valeur historique.

Ce que nous avons déjà dit de Plutarque nous dispensera d’insister ici sur l’étendue de ses lectures. Bien qu’il ne cite pas toujours ses auteurs, et qu’il soit difficile, dans un assez grand nombre de cas, de déterminer avec précision ceux qu’il suit, on ne doit pas hésiter à dire, d’une manière générale, qu’il a eu à cœur de se bien renseigner[130]. Aucune de ses biographies n’a été écrite sans qu’il eût pris la peine de relire les historiens de quelque renom qui avaient déjà parlé du même sujet. Aux données qu’il trouvait chez eux, il n’a pas manqué de joindre, toutes les fois qu’il a pu le faire, celles que lui fournissait sa science d’antiquaire, les témoignages des monuments, ceux de la tradition. Son information serait donc excellente, si elle était méthodique. Malheureusement, la vraie méthode, fondée sur une réflexion profonde, n’était aucunement le fait de cet esprit bien plus discursif que vraiment organisateur. Content de profiter des renseignements qui venaient à lui ou qu’il avait sous la main, jamais il n’a songé à ces recherches laborieuses, mais nécessaires, qui lui auraient permis d’apporter à l’histoire des faits nouveaux. Ses récits sont, pour le fond, ceux des autres, mélangés, rajeunis, remaniés, nullement renouvelés. En choisissant ses auteurs, il cherchait de très bonne foi la vérité. S’attacher à ce qui lui semblait vraisemblable, rapporter loyalement en cas de doute les traditions divergentes, rendre justice à chacun, en un mot se conduire en honnête homme, dans l’histoire comme dans la vie, lui était chose naturelle. Mais la justice, qui est difficile à réaliser partout, l’est particulièrement lorsqu’il s’agit du passé ; car elle implique alors, à un degré supérieur, clairvoyance, sagacité, largeur d’esprit, souvent même intuition pénétrante. Ces hautes et rares qualités, Plutarque ne les possédait pas autant que cela eût été désirable. Curieux des petites choses, il aimait ceux des historiens qui satisfaisaient son goût. Les commérages d’Éphore ne lui semblaient pas à dédaigner, à côté des vues politiques de Thucydide. Il ne se résignait ni à laisser tomber les médisances, ou les propos légers, ni même à les réduire à leur juste valeur. En face des témoignages divergents, son jugement, un peu candide, hésitait ; et, pour être juste, il prenait de tout côté, sans s’apercevoir que les divers morceaux qu’il assemblait ainsi ne s’ajustaient pas ensemble. De là, une certaine indécision dans l’appréciation des hommes politiques, mêlés aux luttes des partis, tels que Périclès, Démosthène, Cicéron. Son esprit n’était pas assez vigoureux pour élaguer résolument tout ce qu’une crédulité bavarde avait raconté sur eux. Ainsi, l’image totale demeurait molle et confuse dans sa conception, et elle apparaît de même dans son récit.

Ce défaut naturel de critique a été aggravé par une rapidité de composition trop visible. Après avoir lu ses auteurs, Plutarque, en face des témoignages amassés, ne prenait pas toujours le temps de bien établir la trame de son récit. Une fois engagé dans sa narration, il lui arrivait de se contredire sans même s’en apercevoir. Faute d’une révision attentive, il laissait ensuite subsister ces contradictions ; elles ne sont pas rares dans les Vies parallèles[131]. La chronologie surtout en offre de nombreux exemples. D’une manière générale d’ailleurs, elle est fort négligée par Plutarque ; souvent même, il la passe entièrement sous silence ; car il estime qu’elle n’importe guère à son dessein, qui est plus moral qu’historique.

La parallélisme, qui est le trait caractéristique de la méthode d’exposition de Plutarque, n’était pas non plus sans inconvénients au point de vue de la vérité du récit. Cette forme, plus oratoire que critique, semble remonter par ses origines à la rhétorique. Souvent employée par les orateurs, auxquels elle fournissait des antithèses fortes ou brillantes[132], elle avait passé de chez eux à l’histoire[133] et à la critique littéraire[134]. La biographie avait montré une tendance particulière à s’en servir : on la trouve comme ébauchée chez Varron, chez Cornelius Nepos[135]. Plutarque lui a donné seulement quelque chose de plus arrêté, et, surtout, il l’a popularisée, grâce au succès de son ouvrage.

Elle devait lui plaire, car elle satisfaisait en lui bien des sentiments. Il aimait profondément la Grèce et il admirait Rome. La civilisation grecque et la civilisation romaine lui apparaissaient, ainsi qu’à ses contemporains, comme les deux formes les plus hautes de la vie humaine ; et, malgré leurs différences, elles révélaient une sorte de parenté, qui autorisait et facilitait les comparaisons. Puis, dans l’état d’assujettissement auquel son pays était réduit, il était bien aise de le relever par ces glorieux rapprochements, en montrant, l’histoire en main, qu’à chacun des grands Romains la Grèce pouvait opposer un grand homme de valeur égale. On comprend donc que cette forme parallèle l’ait vivement séduit ; et il n’est pas douteux non plus qu’elle n’ait été goûtée de ses lecteurs, Romains hellénisants ou Grecs plus ou moins fascinés par la grandeur romaine. Mais, si on la considère comme une méthode d’exposition historique, on voit immédiatement combien elle offrait de dangers pour bien peu d’avantages. À supposer qu’elle eût quelque intérêt propre lorsqu’il s’agissait de personnages entre lesquels existaient vraiment des ressemblances naturelles, soit de caractère, soit de destinée, elle ne pouvait manquer de devenir tout artificielle dans la plupart des cas. Elle devait conduire le biographe à mettre ensemble des personnages qui ne se ressemblaient en rien, et cela est arrivé en effet à Plutarque bon nombre de fois. Si même ce biographe eût été un esprit plus vigoureux, habitué à suivre logiquement ses idées, la préoccupation du parallélisme n’aurait-elle pas nécessairement déformé pour lui la réalité ? En s’attachant à chercher des ressemblances, il devait forcer certains traits et, par contre, en négliger d’autres, en somme faire ses personnages autres qu’ils n’étaient. Ce qui a préservé Plutarque de cet inconvénient, c’est qu’en fait il n’a pratiqué sa méthode que superficiellement. Le parallélisme, pour lui, ne consiste guère que dans le simple fait d’accoupler deux biographies. Quelquefois, il indique, au début de la première, les raisons de cet accouplement ; raisons presque toujours vagues et de peu de valeur. Dans le cours même du récit, la méthode de rapprochement est tout à fait oubliée. Elle reparaît à la fin dans les comparaisons (συγκρίσις), qui terminaient chaque volume. C’est là évidemment qu’elle aurait pu être utile ; or l’auteur n’en tire qu’un mince profit : ses comparaisons restent à la surface des choses, elles ne dégagent presque jamais les grands traits caractéristiques des personnages mis en parallèle. De telle sorte que, si sa méthode n’a pas chez lui tous les inconvénients qu’elle aurait pu avoir, en revanche elle n’a guère d’avantages sensibles.

Au fond, le plus grave défaut de Plutarque, en tant qu’historien, c’est qu’il rapporte toujours l’histoire à la morale, et que sa morale n’est pas appropriée à l’histoire. Celle qu’il enseigne, et en laquelle il a foi, est une morale excellente de vie privée, faite pour la famille, pour les relations sociales, morale très saine, très généreuse, mais trop simple pour la vie publique. L’homme politique est sans cesse en présence d’intérêts en lutte, et parfois tous ces intérêts contraires sont respectables, tous ont des droits, tous peuvent s’autoriser de certains principes. Il faut pourtant bien qu’il agisse, c’est-à-dire qu’il sacrifie les uns aux autres, qu’il subordonne les choses secondaires au but principal qu’il a en vue. Le choix à faire est délicat, les erreurs sont faciles. Il est impossible qu’il ne se trompe pas plus d’une fois. Mais si l’histoire note ses fautes une à une, sans tenir compte des intentions générales et des circonstances, si elle lui applique une sorte de décalogue inflexible, elle se trompe plus encore. C’est ce qui arrive à Plutarque. Dans l’homme public, il cherche toujours par habitude l’homme privé. Son intelligence politique n’a pas assez de force ni de pénétration pour dégager les vues supérieures. Il en résulte que ses mesures sont souvent trop étroites pour ses personnages. En voulant être juste, il devient en réalité injuste : car sa justice ne s’adapte pas à ceux qu’elle condamne.

Donc, comme œuvre historique, les Vies parallèles sont sujettes à de sérieuses critiques. Mais, cela dit et reconnu, il n’en reste pas moins qu’elles ont charmé, et qu’elles charmeront encore, quantité de lecteurs : ce qui implique qu’elles ont en elles-mêmes une incontestable valeur, littéraire et morale.

C’est d’abord une sorte de galerie, où toute l’humanité antique se montre à nous, sous des aspects infiniment variés, dans ses représentants les plus éminents. Chez les historiens proprement dits, les hommes sont trop mêlés aux événements ; on a quelque peine à les distinguer au milieu de la confusion des choses ; l’attention, appelée sur les destinées des États et sur le conflit des grands intérêts, ne peut se donner qu’imparfaitement aux individus ; et pourtant, c’est dans les individus qu’est la partie vraiment humaine du spectacle. Chez Plutarque, on ne voit qu’eux. Ils sont là, devant nous, avec leurs qualités et leurs défauts, avec leurs affections et leurs haines, avec leurs petitesses et leurs grandeurs ; nous les regardons vivre : nous assistons à leurs actes ; nous prenons part à leurs sentiments. C’est un plaisir pour quiconque est curieux des choses humaines. L’histoire générale sert de fond à ces biographies ; elle leur donne en quelque sorte de la profondeur : car elle nous laisse entrevoir, derrière les grands hommes, des peuples qui s’agitent, des multitudes qui se passionnent, des États qui grandissent ou qui déclinent. Mais les grands hommes restent au premier plan. L’histoire se condense en eux ; elle vit en eux ; elle est la matière où s’exercent leurs forces et où se déploient leurs passions.

Et celui qui nous les présente, un par un, est un moraliste d’instinct et de profession. Il a le goût du détail caractéristique, qui découvre l’âme ; et il le recherche avec une application parfaitement consciente d’elle-même. Nul ne sait mieux que lui en quoi la biographie diffère de l’histoire. S’il raconte, après Thucydide et Philistos, les actions de Nicias, voici comment il marque la différence des méthodes[136] :

Les actions que Thucydide et Philistos ont rapportées, je ne pouvais les passer sous silence, car elles révèlent le caractère de mon personnage, ses dispositions intimes, mises au jour par de terribles souffrances. Je les ai donc indiquées rapidement, en m’en tenant aux choses essentielles, pour n’être pas accusé de manquer à ma tâche. Mais ce que je me suis surtout efforcé de réunir, ce sont les traits qu’on ignore communément, soit qu’ils aient été rapportés çà et là par d’autres historiens, soit qu’on les trouve attestés par des monuments et des décrets anciens ; dédaignant d’amasser ce qui ne dit rien, j’ai recueilli ce qui est propre à faire connaitre les mœurs et la nature de l’âme.

La méthode qu’il formule si bien dans ce passage, il l’a pratiquée constamment. Écrit-il la vie d’un homme d’État ou d’un homme de guerre, d’un Périclès ou d’un Alexandre ; c’est moins le politique ou le conquérant qui l’intéresse que l’homme lui-même ; et, par suite, dans le politique même et dans le conquérant, c’est toujours l’homme qu’il cherche. Il nous parlera sommairement de leurs grands desseins, qu’il considérera surtout comme une manifestation de leur personnalité. En revanche, il insistera sur une foule de menues choses, qui lui semblent, avec raison, expressives et révélatrices. Anecdotes, bons mots, habitudes familières, manières de vivre et de parler, tour d’esprit, humeur ordinaire, physionomie et altitude, tout cela aura sa place dans un récit qui veut ètre avant tout une description morale. Nous ne connaissons pas assez la littérature biographique de l’antiquité pour apprécier très exactement ce qu’il y avait de nouveau dans cette manière de faire. Il est probable, après tout, qu’avant Plutarque, on avait déjà composé dans cet esprit des vies isolées. Mais il est bien certain aussi qu’en appliquant cette méthode à un si grand nombre de biographies, avec tant d’aisance et de bon goût, il en a fait vraiment la forme constitutive d’un genre littéraire.

Déjà, plus haut, nous avons signalé le talent de conteur qui est propre à Plutarque. Ce talent vient singulièrement en aide au moraliste dans ces descriptions de mœurs et de caractères. Il lui fournit le moyen de mettre en œuvre vivement, avec à propos et sans embarras, les éléments de notation morale qui en valent la peine. Ces petites choses entrent dans son récit tout naturellement ; elles ne l’encombrent ni ne l’alourdissent jamais ; tout au contraire. Ce sont des traits rapides, qui piquent l’attention. Celle-ci en est excitée, non distraite. L’auteur sait mêler agréablement les anecdotes aux grandes scènes, insérer en passant le mot ou le détail qu’il lui convient de rappeler. Il semble, à le lire, que ce soient là des éléments nécessaires de sa composition ; tant sa main est habile à tresser ensemble ces fils de nature diverse et à en fondre les nuances dans la couleur générale du tissu. Mais qu’on y prenne garde : au milieu de ces petites choses, certains traits de grandeur morale éclatent d’autant plus qu’ils sont moins préparés. Dans un mot, dans une attitude, se révèlent tout à coup ce qu’il y a de plus noble dans la nature humaine. L’âme généreuse de Plutarque a le goût et l’instinct du sublime : elle excelle à le saisir et à le dégager. Il est certain que les Vies ont mis en lumière, ou, pour mieux dire, ont défini par des exemples, un certain genre de grandeur morale, qui, à cause d’elles, semble propre à l’antiquité. Lorsqu’on dit « un grand homme de Plutarque », on a dans l’esprit un type particulier, plus idéal peut-être que réel, mais vraiment admirable : la simplicité des mœurs, la droiture presque naïve, une certaine candeur même s’y allient aux plus hautes qualités, à l’héroïsme, à l’abnégation, au patriotisme exalté. Et si on y réfléchit, on s’aperçoit que cette notion est liée en nous au souvenir de quelques scènes très simples, de quelques traits de mœurs que Plutarque a su graver profondément dans nos mémoires. Sans nous en douter, quand nous prononcions ces mots, nous songions, en une vague réminiscence, à Aristide écrivant lui-même son nom sur le tesson du paysan athénien, à Paul Émile se consolant de la mort de ses enfants par le triomphe de sa patrie, à Philopæmen fendant le bois de sa pauvre hôtesse.

D’ailleurs, s’il est conteur excellent, il n’est pas moins narrateur au sens le plus élevé du mot. Ses grands tableaux historiques se font admirer, chaque fois qu’on les relit. Sans doute, il leur manque une certaine perfection de détail, pour être comptés au nombre des chefs-d’œuvre. La langue n’est pas assez simple, assez forte, assez étudiée ; sa composition est toujours un peu molle : il n’a ni la hardiesse, ni la sûreté de touche des grands écrivains. Mais, si l’on passe condamnation sur ces défauts, que de qualités vraiment supérieures ! Une imagination naïve, amoureuse des grands spectacles, sensible à l’éclat, à la grandeur, à la beauté, à l’effroi ; une âme facilement émue, très humaine, mobile malgré sa gravité philosophique ; un sens naturel du pathétique, qui fait de lui l’un des meilleurs interprètes des tragédies de l’histoire. Sa narration prend sans effort, dès qu’il le faut, l’allure dramatique. Elle marque les phases, prépare et suspend l’émotion, ménage les péripéties, fait éclater les coups de théâtre. Comme l’auteur vit avec ses personnages, il nous met aussi à leur place ; nous passons par leurs émotions, nous sommes, avec eux, surpris, exaltés, frappés. Qu’on relise, soit dans son Brutus, soit dans son César, le récit de la conjuration qui aboutit au meurtre du dictateur. Chaque moment essentiel en est marqué si justement qu’on est en suspens jusqu’au dénouement. Ce sont des scènes de tragédie, sinon faites, du moins indiquées, autant que le genre le comporte ; tragédie tantôt familière, tantôt terrible, et toujours singulièrement vraie. Et, dans les instants décisifs, dans les catastrophes surtout, cette vérité du récit s’empreint d’une gravité triste, d’une sorte de solennité sans emphase, qui saisit le lecteur. La mort de César, celle de Brutus, celle de Caton sont autant de tableaux qui font impression et qu’on n’oublie pes.

Toutes ces qualités ont assuré aux Vies parallèles une popularité légitime. Elles ont charmé, instruit, inspiré des esprits très divers. Les uns y ont cherché et trouvé, comme dans un immense répertoire, mille faits importants ou curieux, la plus riche matière historique. D’autres, tels que notre Montaigne, en ont goûté délicieusement les descriptions morales, les réflexions, le nombre infini des détails caractéristiques ; ils y ont recueilli à foison les éléments dispersés d’une enquête sur l’homme. D’autres enfin, tels que Shakespeare ou Corneille, y ont senti s’agiter des drames qui ne demandaient qu’à être portés sur la scène. Aucun ouvrage n’a été plus lu, plus mis à contribution que celui-là. Les peintres et les sculpteurs y ont puisé comme les poètes et les philosophes. Cet attrait universel qu’il a exercé jusqu’à nos jours, cette force suggestive dont il a fait preuve sans cesse, il les doit à un mérite éminent, dans lequel se confondent toutes ses qualités. La vie y abonde. Il n’y a pas de livre plus peuplé d’hommes. Il est naturel que l’humanité s’y soit attachée par tous ses instincts, par toutes ses curiosités, par toutes ses sympathies, puisqu’elle y trouvait la matière humaine dans son infinie variété.

X

Les grands moralistes dont nous nous sommes occupés dans ce chapitre, Épictète, Dion, Plutarque, peuvent être considérés comme les représentants éminents du mouvement qui entraînait alors les esprits. À côté d’eux, beaucoup d’autres, plus ou moins oubliés aujourd’hui, mais très connus en leur temps, contribuaient à le propager, selon la mesure de leurs forces. Nous n’avons pas à insister ici sur des noms tels que ceux du stoïcien Euphrate, des platoniciens Taurus, Nigrinus, et d’autres, qui sont pourtant cités plus ou moins fréquemment par les auteurs du temps[137] ; aucun d’eux n’a de place dans l’histoire de la littérature, soit parce que leurs œuvres sont perdues, soit parce qu’elles offrent, dans ce qui en reste, un caractère trop technique. Seul peut-être, entre ces hommes de réputation disparue, le gaulois Favorinus ne doit pas être entièrement passé ici sous silence. Moitié philosophe, moitié rhéteur, il forme transition entre les écrivains dont nous venons de parler et les sophistes dont il sera dans le prochain chapitre.

Né à Arles[138], probablement sous le règne de Vespasien, entre l’an 70 et l’an 80 de notre ère, il y reçut une éducation toute grecque, puis vint à Rome, où il résida sous Trajan, sous Adrien et sous Antonin. Voyageur comme tous les sophistes, il parcourut aussi la Grèce et l’Asie Mineure. Il entendit Dion Chrysostome, dont il se disait le disciple. Peut-être visita-t-il Épictète ; Aulu-Gelle atteste qu’il citait certains propos de lui (N. Att. xvii, 19)[139]. Il fut en relations d’amitié avec Plutarque (Propos de table, l. VII, quest. x), dont il donna le nom comme titre à un de ses écrits[140]. En revanche, il eut un différend, né probablement d’une jalousie littéraire, avec le sophiste Polémon[141]. Son séjour habituel, dans toute la fin de sa vie, fut Rome, bien qu’il ait exercé, sous Adrien, un sacerdoce dans sa patrie. À Rome, il réunissait autour de lui un cercle d’hommes distingués et de jeunes gens, qu’il charmait par la grâce de son langage, la variété de ses idées et de son érudition, son habileté à tourner tous les sujets vers l’utilité[142]. En outre, il tenait école de déclamation et de philosophie. Parmi ses disciples, le plus illustre fut Hérode Atticus, dont nous parlerons plus loin. Ses succès d’orateur furent grands, merveilleux même, s’il faut prendre à la lettre les témoignages facilement hyperboliques de Philostrate[143]. L’empereur Adrien l’eut en grande faveur, au moins pendant quelque temps[144]. Favorinus paraît être mort sous le règne d’Antonin.

Selon Suidas, il s’était piqué de composer autant d’écrits que Plutarque[145]. Ces écrits étaient relatifs à la philosophie, à l’histoire, à la philologie, à la rhétorique ; toutefois, il était en somme plus rhéteur que philosophe[146], bien que lui-même se donnât surtout pour philosophe[147]. Si l’on néglige certaines fantaisies oratoires qui le rattacheraient à la sophistique pure, Éloge de Thersite, Éloge de la fièvre quarte, Apologie des Gladiateurs, etc, ses principaux ouvrages étaient un recueil intitulé Recherches sur toute sorte de choses (Παντοδαπὴ ἱστορία), des Mémoires, (Ἀπομνημονεύματα), des Discours pyrrhoniens (Πυῤῥώνειοι λόγοι), un écrit Sur Les Perceptions adéquates (Περὶ τῆς καταληπτικῆς φαντασίας), enfin quelques dialogues philosophiques, notamment : le Plutarque (sur l’état d’esprit conforme à la vraie doctrine de l’Académie) ; — un entretien entre Épictète et Onésime, esclave de Plutarque, contre le stoïcisme, écrit que Galien réfuta plus tard ; — un Alcibiade, relatif aussi à la doctrine de l’Académie. De plus, on lui attribue avec grande vraisemblance le Discours aux Corinthiens qui figura à tort dans les œuvres de Dion Chrysostome.

Les Recherches étaient distribuées en vingt-quatre livres, notés par les lettres de l’alphabet[148]. C’était un répertoire d’érudition, dont Photius vante la commodité, et qui fut abrégé au vie siècle, selon son témoignage, par le sophiste Sopatros d’Apamée[149]. — Les Mémoires, en cinq livres au moins, ont été mis à profit par Diogène Laerce dans ses Vies des philosophes. Comme cet auteur est le seul qui les cite, on ne saurait décider s’ils se rapportaient uniquement à l’histoire de la philosophie ou s’ils embrassaient un domaine plus étendu. — Les Discours pyrrhoniens étaient distribués en dix livres, chaque livre se rapportant à l’étude d’un des dix tropes d’Ænésidème. Favorinus s’y montrait fidèle à la doctrine sceptique d’Arcésilas. Il énumérait toutes les raisons de douter que le scepticisme avait peu à peu amassées, pour conclure enfin que la vraie sagesse consistait à suspendre son jugement[150].

Si incomplète que soit notre connaissance de ce personnage curieux, elle a sa valeur pour achever l’idée que nous avons à nous faire de la société de ce temps. Nul ne laisse mieux voir que lui ce qu’il y avait au fond d’artificiel et de vain dans la renaissance de l’hellénisme que nous étudions en ce moment. La fausse science, la frivolité, l’abus des souvenirs, la virtuosité frivole y apparaissaient bien vite, derrière tout ce qui se faisait admirer. Philosophie à la surface, vanité au fond. Quelques natures d’élite, sérieusement occupées des questions morales, mais d’ailleurs dénuées de méthodes scientifiques ; et, autour d’elles, une foule sans direction d’idées, sans goût de recherches, sans volonté sérieuse, se laissant amuser, écoutant indifféremment les moralistes et les beaux parleurs, en un mot faite pour remplir les auditoires des rhéteurs à la mode. Voyons à présent comment la sophistique se développait alors sur ce terrain si bien approprié.


  1. Nous n’avons sur la vie et la personne d’Épictète que des témoignages épars, qui ont été réunis par Schenkl dans son édition des Epicteti dissertationes, p. XIV-XXIII. Voir, en tête du même volume, l’étude sur la vie d’Épictète. Nous nous en écartons surtout quant à la chronologie. Les principaux renseignements proviennent des Entretiens d’Arrien ; mais celui-ci ne semble pas avoir écrit une Biographie d’Épictète, comme on l’a cru longtemps, d’après une phrase mal interprétée de Simplicius, Préface du Commentaire sur le Manuel.
  2. Celse dans Origène, C. Celsum, l. III, p. 368.
  3. Cf. Simplicius, in Enchirid., chap. IX, Χωλὸς ἐκ νέας ἡλικίας.
  4. Entretiens, I, 19, 19 et 26, 11.
  5. Simplicius (Comment. sur le Manuel, ch. IX) nous parle de sa maison à Rome.
  6. A.-Gelle, XV, 11. Simplicius, ouv. cité, même chap.
  7. Schenkl le fait vivre jusque vers 140. Mais il faut alors reculer la date de sa naissance et admettre qu’il fréquenta Musonius sous Vespasien seulement ; or, bon nombre des souvenirs d’Épictète, rappelés dans les Entretiens, se rapportent manifestement au temps de Néron. D’ailleurs, la chronologie de la vie d’Arrien s’oppose également à cette hypothèse. (Voir plus loin, ch. V.)
  8. Entretiens, Lettre préliminaire.
  9. Ces Entretiens sont cités dans l’antiquité sous des noms divers, Διατριϐαί (Diatribai), dissertationes, διαλέξεις, ὁμιλἰαι, λόγοι, ὑπομνήματα, ἀπομνημονεύματα, σχολαί (dialexeis, homiliai, logoi, hupomnêmata, apomnêmoneumata, scholai), etc. Le titre dans nos mss. est Διατριϐαί (Diatribai), mais Arrien lui-même, dans sa lettre-préface à L. Gellius, les appelle λόγοι (logoi) et ὑπομνήματα (hupomnêmata). On admet généralement, et il me paraît évident que tous ces titres désignent un seul et même ouvrage : car Aulu-Gelle, témoin récent et bien informé, ne connaît manifestement qu’un seul recueil, et il en est de même de Simplicius (Préface du Commentaire sur le Manuel), qui s’est occupé très spécialement d’Épictète. Ce qui est plus décisif encore, c’est qu’Arrien lui-même, dans la lettre qui précédait le Manuel, déclarait l’extraire ἐϰ τῶν Ἐπιϰτήτου λόγων (ek tôn Epictêtou logôn) désignant ainsi l’unique recueil qu’il eût composé. La question a été embrouillée par le témoignage de Photius, Bibl., 58 ; mais il est manifeste pour moi que le passage est altéré par transposition. Je le corrigerais ainsi : Ἐργαψε δὲ ϰαὶ ἕτερα· τῶν μὲν διατριϐῶν Ἐπιϰτήτου τοῦ διδασϰάλου ὅσα ἴσμεν βιϐλία ὀϰτώ· φασὶ δὲ αὐτὸν ϰαὶ ἕτερα γρψι ἂ οὔπω εἰς ἡμετέραν ἀφίϰετο γνῶσιν [τῶν ὁμιλιῶν τοῦ αὐτοῦ Ἐπιϰτήτου βιϐλία δώδεϰα] (egrapse de kai hetera, tôn men diatribôn Epictêtou tou didaskalou hosa ismen biblia oktô ; phasi de auton kai hetera grapsai a oupô eis hêmetera aphiketo gnôsin tôn homiliôn tou autou Epictêtou biblia dôdeka)]. Photius citerait alors tout simplement une autre édition du même recueil, qui portait un titre différent et était divisée autrement, édition qu’il a prise pour un autre ouvrage. Voir, pour les diverses opinions sur cette question, Asm, Quæstiones Epicteteæ, et l’édition de Schenkl, Préface, p. XI.
  10. Τὰ ϰαιριώτατα ϰαὶ ἀναγϰαιότατα ἐν φιλοσοφία ϰαὶ ϰινητιϰώτατα τῶν ψυχῶν ἐπιλεξάμεος ἐϰ τῶν Ἐπιϰτήτου λόγων (Ta kairiôtata kai anankaiotata en philosophia kai kinêtikôtata tôn psuchôn epilexamenos ek tôn Epiktêtou logôn). Paroles d’Arrien lui-même dans sa lettre de dédicace à Massalenus (Simplicius, Préface du Commentaire).
  11. Sur Épictète moraliste, voir Martha, Les Moralistes sous l’empire romain, 5e édition, Paris, 1886, p. 155 et suiv.
  12. Entretiens, Préf., fin : Ἀλλ’ ἐϰεῖνο ἴστωσαν οἱ ἐντυγϰάνοντες ὅτι, αὐτὸς ὁποτε ἔλεγεν αὐτούς, ἀνάγϰη ἦν τοῦτο πάσχειν τὸν ἀϰροώμενον αὐτῶν ὅπερ ἐϰεῖνος αὐτὸν παθεῖν ἐϐούλετο. (All’ ekeino istôsan hoi entunchanontes hoti, autos hopote elegen autous, anangkê hên touto paschein ton akroômenon autôn hoper ekeinos auton pathein ebouleto).
  13. Entretiens, I, 6, 37 : Φέρε νῦν, ὦ Ζεῦ, ἣν θέλεις περίστασιν· ἕχω γὰρ (Phere nun, ô Zeu, hên theleis peristasin ; echô gar) παρασϰευὴν έϰ σοῦ μοι δεδουμένην ϰαὶ ἀφορμὰς πρὸς τὸ ϰοσμῆσαι διὰ τῶν ἀποϐαινόντων ἐμαυτόν (paraskeuên ek sou moi dedomênên kai aphormas pros to kosmêsai dia tôn apobanontôn emauton). Cette παρασϰευή (paraskeuê), c’est la volonté éclairée, la προαίρεσις (proairesis), qui suffit à l’homme. On sait avec quelle violence Pascal, dans son Entretien avec M. de Sacy, a reproché à Épictète son orgueil : c’est que la doctrine du stoïcisme supprime absolument la grâce, ce que Pascal ne peut lui pardonner.
  14. Sur l’histoire des ouvrages d’Épictète et leur influence dans l’antiquité, voir l’édition de Schenkl, Préf., p. XIII. Ajouter le témoignage d’Origène, C. Celse, VI, 2 : Ἔστι γοῦν ἰδεῖν… τὸν Ἐπίκτητον καὶ ὑπὸ τῶν τυχόντων καὶ ῤοπὴν πρὸς τὸ ὠφελεῖσθαι ἐχόντων θαυμαζόμενον, αἰσθομένων τῆς ἀπὸ τῶν λόγων αὐτοῦ βελτιώσεως..
  15. Photius, 242 (p. 339 Bekker) Ἔλεγε μὲν ὁ Θεοσέβιος τὰ πολλὰ ἀπὸ τῶν Ἐπικτήτου σχολῶν (extrait de la Vie d’Isidore par Damascius).
  16. Les principales sources de la biographie de Dion sont : Philostrate, V. des Soph., I, ch. vii : Synesios, Dion ; Photius, Bibl., 209 ; Suidas, Δίων ὁ Πασιϰράτους. Parmi les modernes, voir l’étude de H. de Valois, Dionis vita (ch. I du second livre des Emendationes, reproduit en tête de l’édition de Dion de L. Dindort, Biblioth.. Teubner), et Emperius, De exilio Dionis, Brunswick, 1840. Beaucoup de points en sont contestables. C’est ce qui m’oblige à m’étendre un peu sur cette biographie et à renvoyer aux témoignages mêmes de Dion, dont on n’a pas tenu compte avec assez de soin. L’œuvre à consulter aujourd’hui est le livre si consciencieux de Hans von Arnim, Leben und Werke des Dio von Prusa, Berlin, 1898.
  17. Or. 46.
  18. ibid.
  19. Or. 44 et 46.
  20. Or. 31. Ce discours est certainement antérieur à son exil. Il y est encore orateur, et non philosophe ; il ne parle ni de son âge, ni de ses épreuves ; il fait allusion au règne de Néron, comme tout récent (ἔγγιστα ἐφ' ἡμῶν) ; il ne connaît pas encore l’Égypte, car il parle de la statue de Memnon par ouï-dire.
  21. Or. 11. Discours manifestement antérieur à l’exil, mais postérieur à un voyage d’Égypte auquel il fait allusion.
  22. Or. 11. Voir la note ci-dessus.
  23. Or. 42. Cet exorde appartient aussi au temps où Dion n’est pas encore philosophe. Est-ce alors qu’il reçut le surnom de Chrysostome ? Photius, 209 : Χρυσόστομον αὐτὸν οἱ λόγοι τῇ ϰατ’ αὐτὸν γενεᾷ δεδώϰασιν ἐπονομάζειν.
  24. Or. 46. Il n’a pas encore payé certaines dettes de son père ; il est en train d’arranger ses affaires ; il n’a encore qu’un petit enfant.
  25. Emperius, De exilio Dionis, p. 5-7. H. von Arnim, ouv. cité, p. 223 et suiv., accepte entièrement et confirme les vues d’Emperius.
  26. Suet., Domit., 10.
  27. Or. 13 début : Ὅτε φεύγειν συνέβη με φιλίας ἕνεκεν λεγομένης ἀνδρὸς οὐ πονηροῦ, τῶν δὲ τότε εὐδαιμόνων τε καὶ ἀρχόντων ἑγγύτατα ὄντος, διὰ ταῦτα δὲ καὶ ἀποθανόντος δι’ ἂ πολλοῖς καὶ σχεδὸν πᾶσιν ἐδόκει μακάριος, διὰ τὴν ἐκείνων οἰκειότητα καὶ συγγένειαν. — ταύτης ἐνεχθείσης ἐπ’ ἐμὲ τῆς αἰτίας, ὡς δὴ τἀνδρὶ φίλον ὄντα καὶ σύμβουλον.
  28. H. von Arnim, p. 232.
  29. Or. 40, début : Ἐν τοσούτοις ἕτεσι φυγῆς.. Ibid. Τοσοῦντον χρόνον πλανηθείς.
  30. Ibid.
  31. Ibid. : Οὐ μόνον ἄοικος καὶ ἀνέστιος, ἀλλὰ μηδὲ ἀκόλουθον ἕνα γοῦν ἐπαγόμενος. Philostrate, pass. cité, ajoute ici des détails suspects.
  32. Philostr., pass. cité.
  33. Or. 45, début. Cf. Photius, 209 : Ἰσχνὸς δ’ ἦν καὶ οὐ μέγας τὸ σῶμα.
  34. Philostrate fait de lui un disciple d’Apollonios de Tyane (Vie d’Apoll., 5, 38) ; mais, d’après son récit, ces relations remonteraient à un temps antérieur à Vespasien, ce qui est inadmissible. Si Apollonios a eu réellement quelque influence sur Dion, ce n’a pu être que sous le règne de Vespasien ou de Titus, ou encore au temps de son exil.
  35. Or. 36 : Ἐτύγχανον μὲν ἐπιδημῶν ἐν Βορυσθένει τὸ θέρος ὁπότε εἰσέπλευσα μετὰ τὴν φυγήν, βουλόμενος ἐλθεῖν, ἐὰν δύνωμαι, διὰ Σκυθῶν εἰς Γέτας, ὅπως θεάσωμαι τάκεῖ πράγματα ὁποῖά ἐστιν.
  36. Or. 44.
  37. Or. 3 : Οὐ γὰρ ὀλίγην οὐδὲ ἐν ὀλίγῳ χρόνῳ δέδωκα βάσανον τῆς ἐλευθερίας… Ἐγὼ πρότερον μὲν, ὅτε πᾶσιν ἀναγκαῖον ἐδόκει ψεύδεσθαι διὰ φόβον, μόνος ἀληθεύειν ἐτόλμων, καὶ ταῦτα κινδυνεύων ὑπὲρ τῆς ψυχῆς. Cf. Or. 45, début : οὐ θωπεύων αὐτὸν (Domitien), οὐδὲ τὴν ἔχθραν παραιτούμενος, ἀλλ’ ἐρεθίζων ἄντικρυς καὶ τὰ προσόντα κακὰ Δι’ οὐ μέλλων νῦν ἐρεῖν ἤ γράφειν, ἀλλὰ εἰρηκὼς ἤδη καὶ γεγραφώς, καὶ τούτων πανταχῆ τῶν λόγων καὶ τῶν γραμμάτων ὄντων. L’allusion, comme on le voit, est très précise. Elle me paraît désigner, comme l’a pensé Emperius, le discours περὶ τυραννίδος, où l’auteur, sous le nom de Diogène exilé et errant, fait une vive critique de la tyrannie.
  38. Or. 45 : Αὐτοκράτορος φιλανθρώπου κἀμὲ ἀγαπῶντος καὶ πάλαι φίλου. Le surnom de Cocceianus, que Dion prit sans doute quand il devint citoyen romain, se rattache évidemment à ses relations d’amitié avec la gens Cocceia, dont Nerva faisait partie. H. v. Arnim, p. 125.
  39. Voyez le récit de Philostrate, pass. cité ; cela est manifestement arrangé, mais il peut y avoir un fond de vérité, quoique Dion lui-même n’en parle nulle part. H. v. Arnim, p. 309, le tient pour vrai.
  40. Or. 45 : Τελευτήσαντος δὲ ἐκείνου (Domitien) καὶ τῆς μεταβολῆς γενομένης, ἀνῄειν πρὸς τὸν βέλτιστον Νέρβαν· ὑπὸ δὲ νόσου χαλεπῆς κατασχεθεὶς ὅλον ἐκεῖνον ἐζημιώθην τὸν καιρὸν.
  41. Or. 44.
  42. Pline, Epist., l. X, ep. 28. Cf. Or. 41 ; et aussi Or. 45 et 50. H. v. Arnim, p. 340 et suiv., p. 513 et suiv.
  43. Dans l’intervalle de ces voyages, il revenait naturellement à Pruse, où était son domicile. Le célèbre sophiste Polémon, dans sa jeunesse, dut se rendre en Bithynie pour l’entendre (Philostr., Vie des soph., I, ch. xxv, 8).
  44. L’écho en vint jusqu’à Nicopolis. Voy. Épictète, Entretiens, III, ch. 23, 17 et 19. Plutarque fut aussi en relations avec lui et semble lui avoir dédié deux écrits perdus. Voyez Volkman, Plutarch, p. 110.
  45. Philostr., pass. cité, a encore arrangé cela en fable, à sa manière.
  46. Pline, Ep. 1. X, ep. 28.
  47. Les Lettres de Dion sont vantées par Philostrate. Les cinq qui nous restent sous son nom sont considérées comme apocryphes par H. von Arnim ; elles n’ont d’ailleurs aucun intérêt ; voir la bibliographie en tête de ce chapitre, p. 453.
  48. Philostr., Vie des Soph., I, 7. D’après ce qu’en dit Jornandès (De Orig. actibusque Gothorum, ch. iii), cet ouvrage devait avoir une tendance morale. Dion, déjà philosophe, y vantait la sagesse des Gètes (que Jornandès, d’aprés Paul Orose, assimile aux Goths). Il faisait ressortir par des anecdotes leur piété (même ouvr., ch. iv, anecdote sur le siège d’Udisitana) ; il y montrait peu de sens critique (même chap.  passage relatif à Télèphe).
  49. Un ouvrage philosophique (Εἰ φθαρτὸς ὁ κόσμος), un Éloge d’Héraclès et de Platon (?), une Apologie d’Homère contre Platon en 4 livres, un écrit (en 8 livres !) Sur les vertus d’Alexandre. Tout cela est naturellement fort suspect.
  50. Stobée, Floril., VII, 29, XIII, 24, XXXIV, 16 ; XLII, 12, LXII, 46, LXXIV, 59, 60, LXXXV, 12, 13.
  51. Synesios, Dio (p. 322 dans le Dion de la Bibl. Teubner, t. II).
  52. Photius (Bibl. 209) énumère les 80 morceaux du recueil. Même énumération dans Aréthas (Dion Teubner, t. II, p. 364). Nos mss. ne sont pas d’accord avec Photius ni entre eux pour l’ordre des numéros, mais il ne s’agit que de simples transpositions.
  53. Synesios, Dio, pass. cité.
  54. Citons particulièrement les numéros 41, 24, 26, 28 et 29, 58, 60, 64, 66, 74, 76.
  55. Synesios, Éloge de la calvitie (Dionis orationes, Teubner, t. II, p.  308).
  56. Synesios et Philostrate.
  57. Synesios, Dio, p. 321 ; Ὁ κατὰ τῶν φιλοσόφων λόγος… σφόδρα ἀπηγκωνισμένος καὶ οὐδὲν σχῆμα ὀκνήσας, καὶ ὁ πρὸς Μουσώνιον ἕτερος τοιοῦτος. Cf. p. 325 : Οὖτός τε ὁ Δίων ἤκμασε μάλιστα ἐν τῷ κατὰ τῶν φιλοσόφων. H. von Arnim (ouv. cité, p. 449 et suiv.) a cherché à blir, sans preuve décisive, que, dans cette polémique, Dion se rattachait aux vues de Vespasien et combattait l’opposition républicaine des Stoïciens.
  58. Le numéro 59 (Φιλοκτήτης) n’est qu’une paraphrase résumée du début du Philoctète d’Euripide, probablement un simple exercice de style.
  59. Ajouter le n° 19 (Περὶ τῆς αὑτοῦ φιληκοίας), relatif à une audition musicale.
  60. Les principaux de ceux que je range dans ce groupe sont les nos 38 (Πρὸς Νικομηδεῖς ὁμονοίας τῆς πρὸς Νικαεῖς), 39 (Περὶ ὁμονοίας ἐν Νικαίᾳ, 40 (Ἐν τῇ πατρίδι περὶ τῆς πρὸς Ἀπαμεῖς ὁμονοίας, 41 (Πρὸς Ἀπαμεῖς περὶ ὁμονοίας), 43 (Πολιτικὸς ἐν τῇ πατρίδι), 44 (Φιλοφρονητικὸς πρὸς τὴν πατρίδα εἰσηγουμένην αὐτῷ τιμάς), 45 (Ἀπολογισμὸς ὅπως ἔσχηκε πρὸς τὴν πατρίδα), 46 (Πρὸ τοῦ φιλοσοφεῖν ἐν τῇ πατρίδι), 47 (Δημηγορία ἐν τῇ πατρίδι), 48 (Πολιτικὸς ἐν τῇ ἐκκλησίᾳ), 49 (Παραίτησις ἀρχῆς ἐν βουλῇ), 50 (Περὶ τῶν ἔργων ἐν βουλῇ), 51 (Πρὸς Διόδωρον). On peut ajouter 34 (Ταρσικὸς δεύτερος), tout à fait analogue par le sujet aux nos 38-41. Voir H. v. Arnim, ouv. cité. ch. iv, Die bithynischen Rede.
  61. Citons les principaux. Ce sont les nos 1, 2, 3, 4 (Περὶ βασιλείας), 5 (Λιβυκὸς μῦθος), 6 (Περὶ τυραννίδος), 7 (Εὐβοϊκός), 12 (Ὀλυμπικός), 13 (Περὶ φυγῆς), 32 (Πρὸς Ἀλεξανδρεῖς), 33 (Ταρσικὸς πρῶτος), 35 (Ἐν Κελαίναις τῆς Φρυγίας), 36 (Βορυσθενιτικός), 80 (Τῶν ἐν Κιλικίᾳ περὶ ἐλευθερίας). Il faut y ajouter un certain nombre de morceaux qui figurent dans le recueil sous des titres généraux (Περὶ δουλείας, Περὶ λύπης, etc.), et qui semblent extraits de discours analogues, aujourd’hui perdus.
  62. Voir sur la prédication de Dion le chapitre de C. Martha intitulé : La prédication morale populaire, dans ses Moralistes sous l’Empire romain, ouv. cité plus haut. — Pour l’appréciation de Dion, consulter E. Weber, De Dione Chrysostomo. Leipziger Studien, X, 1887 et H. von Arnim, ouv. cité, ch. v.
  63. Synesios, Dio : Ὁ δ’ οὖν Δίων ἔοικε… ὄνασθαι τῆς στοᾶς ὅσα εἰς ἧθος τείνει.
  64. Synesios, même pass. : Ἔοικε θεωρήμασι μὲν τεχνικοῖς ἐν φιλοσοφιᾳ μὴ προσταλαιπωρῆσαι μηδὲ προσανασχεῖν φυσικοῖς δόγμασιν.
  65. Or. 32 : Πρὸς Ἀλεξανδρεῖς.
  66. Or. 33 : Ταρσικὸς πρῶτος.
  67. Or. 35 : Ἐν Κελαίναις τῆς Φρυγίας.
  68. Or. 80 : Περὶ ἐλευθερίας.
  69. Or. 7 : Εὐβοϊκός.
  70. Or. 12 : Ὀλυμπικός.
  71. Or. 36 : Βορυσθενιτικός.
  72. Or. 4 et 3, Περὶ βασιλείας.
  73. Burckhardt, Wert des Dio Chrysostomus für die Kenntniss seiner Zeit (Schweitz. Museum, IV, 97-191).
  74. Voir en particulier tout le long exorde de l’Olympique Or. 12).
  75. Or. 32 : Πρὸς Ἀλεξανδρεῖς.
  76. Platon, Apologie, ch. xviii.
  77. Or. 32 (p. 404, Teubner) Ἐγὼ μὲν γὰρ οὐκ ἀπ’ ἐμαυτοῦ μοι δοκῶ προελέσθαι τοῦτο, ἀλλ’ ὑπὸ δαιμονίου τινὸς γνώμης, etc. Cf. 407 : θεὸς δ’ ὅπερ ἔφην, θαρρῆσαί μοι παρέσχεν, et la suite.
  78. Entretiens, III, 22.
  79. Jugements de Philostrate, de Themistios, de Synesios.
  80. Voir en particulier, à ce point de vue, l’Euboïque, qui est le roman pastoral du stoïcisme dans sa première partie, et qui offre, dans la seconde, des vues de réforme sociale très peu pratiques.
  81. Phil., ouv. cité : Σοφιστικώταται δὲ τοῦ Δίωνος αἱ τῶν λόγων εἰκόνες. Cf. Photius, pass. cité : Ἀριστος δὲ τοῖς παραδείγμασι καὶ πολύς ἐστι πανταχοῦ, etc.
  82. Philostr., pass. cité : Ξυγκείμενος μὲν τῶν ἄριστα εἰρημένων τοῦ ἀρίστου, βλέπων δὲ πρὸς τὴν Δημοσθένους ἠχὼ καὶ Πλάτωνος ᾔ καθάπερ αἱ μαγάδες τοῖς ὀργάνοις προσηχεῖ ὁ Δίων τὸ ἑαυτοῦ ἴδιον ξὺν ἀφελείᾳ ἐπεσταμμένῃ.
  83. Sur la langue de Dion, voir W. Schmidt, Atticismus, t. I, p. 72-191.
  84. Sur Plutarque, notice insignifiante et inexacte de Suidas, Πλούταρχος Χαιρωνεύς. Les meilleurs renseignements nous sont fournis par Plutarque lui-même, qui a souvent parlé, dans ses divers écrits, de son pays, de sa famille, des circonstances de sa vie et de ses relations. Voir l’index du Plutarque de la Biblioth. Didot, aux mots Plutarchus, Nicarchus, Lamprias, etc. Consulter surtout R. Volkmann, Leben, Schriften und Philosophie des Plutarch von Cheronea, Berlin, 1873 et Gréard, De la morale de Plutarque, Paris, 1866.
  85. Délais de la vengeance divine, fin.
  86. Vie de Démosth., ch. ii.
  87. Suidas, Πλούταρχος.
  88. L’ouvrage capital sur ce sujet est celui de Volkmann, déjà cité. Voy. seconde partie, p. 99-289, Plutarchs Schriften.
  89. Volkmann, p. 102.
  90. Suidas, Λαμπρίας. Voyez Volkmann, p. 108.
  91. Pour le groupe des Moralia, le livre de Volkmann en a éclairci un grand nombre.
  92. De audiendo, ch. ix.
  93. Ce qui le prouve, c’est le soin qu’il a d’éviter l’hiatus. Voyez Volkmann, p. 412 et suiv., qui cite et discute le travail de Benseler sur ce sujet.
  94. Nous possédons quinze dialogues sous le nom de Plutarque mais il faut écarter le Banquet des Sept Sages, qui n’est certainement pas de lui. Restent donc quatorze dialogues authentiques, savoir : Préceptes de santé, Manière de supprimer la colère, Sur l’E de Delphes, Sur les oracles de la Pythie, Sur La cessation des oracles, Sur les délais de la vengeance divine, Sur le démon de Socrate, Propos de table, l’Érotique, Sur le visage qu’on voit dans la lune, Sur l’intelligence des animaux de terre et de mer, le Gryllos, Sur les notions communes contre les stoïciens, Qu’il n’est pas même possible de vivre agréablement selon la doctrine d’Épicure. Il faut y ajouter les dialogues perdus : Sur l’âme, S’il serait utile de connaître l’avenir, Sur la chasse, et peut-être quelques autres, dont la forme ne se laisse plus deviner dans les fragments.
  95. Ce traité, adressé par Plutarque à ses fils, nous est parvenu sous deux formes. L’un des textes nous donne l’œuvre même de Plutarque, avec quelques lacunes malheureusement. L’autre en est un abrégé.
  96. Ajoutons à cette liste plusieurs des traités perdus, notamment le grand écrit Sur l’âme, et un autre sur la Formation du monde selon Platon, qu’il cite dans la Psychogonie du Timée, ch. iv.
  97. Le second de ces écrits ne nous est parvenu que sous la forme d’un abrégé assez insignifiant. Le traité Sur les notions communes (Περὶ τῶν κοινῶν ἐννοιῶν πρὸς τοὺς Στωικούς) ne semble pas être de Plutarque. Mais celui-ci avait en outre écrit un livre perdu Contre Chrysippe (Contrad. stoïc., 10, 15).
  98. Volkmann, ouv. cité, 2e partie, p. 46-25.
  99. Vie d’Alcibiade, ch. x.
  100. Sur Isis, 1.
  101. Justement celles que Joseph de Maistre, en traitant le même sujet, rend au contraire irritantes, par exemple le cas des enfants punis pour les fautes de leurs ancêtres.
  102. Voy. surtout ch. lxvii et lxvii.
  103. Surtout le traité sur le Froid primitif, dédié à Favorinus, Sur Le visage qu’on voit dans la lune, Sur l’utilité du feu et de l’eau, etc. Les Questions naturelles sont un ouvrage sans valeur, qui ne peut être attribué à Plutarque.
  104. Ch. Lévêque, Un médecin de l’âme chez les Grecs, Revue des Deux-Mondes, 1867, p. 725, à propos du livre cité de M. Gréard.
  105. La Consolation à Apollonios ne semble pas pouvoir lui être attribuée. Ajouter les écrits perdus Sur la calomnie, Sur la tranquillité d’esprit, Contre le plaisir, Sur la colère, Contre les richesses. Les deux dissertations incomplètes que nous possédons Sur l’usage de la viande touchent aussi à la morale, la seconde surtout, puisque l’auteur s’y élève contre les traitements cruels qu’on infligeait aux animaux.
  106. Ajouter les écrits perdus Sur l’amitié (περὶ φιλίας). Sur la tendresse des parents (περὶ φιλοστοργίας et Sur la nécessité d'instruire même les femmes (Ὅτι καὶ γυναῖκα παιδευτέον).
  107. En outre, un écrit perdu dont il nous reste un fragment (Περὶ μοναρχίας καὶ δημοκρατίας καὶ ὀλιγαρχίας). Quant au Traité de l’Éducation des enfants, c’est une œuvre où l’on ne retrouve ni la manière de penser, ni le style de Plutarque, et qui, par conséquent, doit être définitivement rejetée de la collection. Voir le commentaire de Wyttenbach dans son édition.
  108. Ouvrages déjà cités de Gréard et de Volkmann.
  109. Sur le bavardage, 19 : Οὐ γὰρ ἔστιν, ὡς χαλινῶν ἐφαψαμένους, ἐπισχεῖν τὸν ἀδολέχεῖν τὸν ἀδολέσχην, ἀλλ’ ἔθει δεῖ κρατῆσαι τοῦ νοσήματος.
  110. Pour tout ce traitement, même ouvrage, ch. xix-xxiii.
  111. Le Περὶ φιλίας dont Stobée nous a conservé quelques extraits. La plupart sont rapportés, il est vrai, par lui à une Lettre sur l’amitié, qui était peut-être distincte du traité. Voir Catal. de Lamprias, no 82, Πρὸς Βιθυνὸν περὶ φιλίας.
  112. Préceptes politiques, XX.
  113. Ὅτι μάλιστα τοῖς ἡγεμόσι δεῖ τὸν φιλόσοφον διαλέγεσθαι, écrit dont nous n’avons plus qu’un abrégé formé d’extraits.
  114. Πρὸς ἡγεμόνα ἀπαίδευτον, simple fragment d’un écrit dont le vrai titre devait être : Que la philosophie est indispensable à ceux qui ont le pouvoir.
  115. Aulu-Gelle, II, 8 : … Secundo librorum quos de Homero composuit.
  116. L’écrit Sur la musique, dont une notable partie consiste en extraits d’anciens auteurs spéciaux, notamment d’Aristoxène, est considéré par plusieurs critiques, et entre autres par Westphal (dans la préface de son édition de ce traité), comme un ouvrage de la jeunesse de Plutarque. Volkmann (ouv. cité, 2e partie, p. 475) me semble avoir établi solidement qu’il n’est pas de lui.
  117. L’authenticité de cet écrit a été très sérieusement contestée. Voir surtout Baehr, dans son édition d’Hérodote, t. IV, 2e édit., p. 484, et Dochner, Quæstiones Plutarcheæ, III, p. 52. Volkmann reste dans le doute en inclinant vers la négation (ouv. cité, II, p. 341). Mais il faut avouer qu’aucune raison décisive n’a été produite. Au contraire, Holzapfel (Philol., t. XLII) a fortement motivé ses conclusions en faveur de l’authenticité ; elles ont été admises par A. Hauvette dans son Hérodote historien des guerres médiques (Paris, 1895) ; son chapitre sur la dissertation de Plutarque (l. I, ch. iv, p. 98 et suiv.) me paraît mettre parfaitement en lumière le point de vue du moraliste et ses erreurs.
  118. Biographies perdues de Léonidas, d’Épaminondas, de Métellus, des deux Scipions, d’Hercule.
  119. Sauf un groupe de quatre, comprenant les biographies d’Agis et de Cléomène, mises en parallèle avec celles de Tibérius et de Caïus Gracchus.
  120. Démosth., ch. ii. Il résulte de ce passage qu’il était âgé lorsqu’il écrivait cette biographie, qui faisait partie du 5e couple.
  121. Renvois des biographies aux Moralia : Camille, 49 ; Périclès, 6, 39 ; Dion, 2 ; Lysandre, 42 ; Sylla, 11 ; Brutus, 25 ; Romulus, 15. Tous ces renvois, sauf le dernier qui vise les Αἰτία, sont conçus en termes vagues, mais ils prouvent au moins que Plutarque ne s’ab- sorbait pas dans un seul genre, et qu’en composant ses biographies il avait en main ou en projet des écrits très différents.
  122. L’étude capitale sur cette question est l’excellente dissertation de Michaelis, De ordine vitarum parallelarum Plutarchi, Berlin, 1815. Si la discussion n’y est pas poussée à fond, les principes essentiels y ont été du moins dégagés nettement et les principaux résultats mis en lumière. L’auteur a montré qu’un certain nombre des passages par lesquels le lecteur est renvoyé d’une biographie à une autre ne sont pas de Plutarque : il a établi du même coup, et très simplement, quels sont les renvois auxquels on peut se fier. Voir aussi Muhl, Plutarchische Studien, Augsbourg, 1885, et Schenkl, Jahrb. f. d. Alt., XII, 4, 180 sqq.
  123. Timoléon, début. Cf. Périclès, ch. i et ii.
  124. Démétr., ch. i.
  125. Thésée, ch. i.
  126. Voyez la note suivante. — Ces Comparaisons tiennent en effet étroitement aux biographies qu’elles accompagnent ; elles sont le résumé et la conclusion nécessaire du parallèle conduit jusque-là sous forme de récit. Si quelques couples de vies n’ont pas de comparaison, c’est que ce morceau a été perdu.
  127. Démosth., ch. iii ; Périclès, ch. ii ; Dion, ch. ii.
  128. Nous notons d’un astérisque les couples dont le rang est attesté par Plutarque lui-même.
  129. Michaelis s’abstient de se prononcer sur l’ordre relatif de la troisième et de la quatrième série (p. 52).
  130. La question des sources de Plutarque dans chacune de ses biographies est toujours ouverte, bien qu’elle ait suscité, et suscite encore, de nombreux travaux. Il suffit de citer ici : pour les biographies grecques, M. Haug, Die Quellen Plutarchs in den Lebenbeschreibungen der Griechen, Tubingue, 1854 ; pour les biographies romaines, Peter, Die Quellen Plutarchs in den Biographien der Römer, Halle, 1865.
  131. Voir Michaelis, ouv. cité, p. 8 et 9.
  132. On sait quel usage en a fait Thucydide dans ses discours, puis Isocrate, Démosthène, etc.
  133. Polybe, comparaison de Rome et de Carthage, des diverses constitutions entre elles, au l. VI, etc.
  134. Cécilius, Parallèle de Démosthène et de Cicéron, Ps. Longin, même comparaison, etc.
  135. Varron, dans ses Imagines, avait groupé les Grecs et les Romains illustres avec une intention de comparaison. Le même dessein était plus manifeste encore dans les Viri illustres de Cornel. Nepos, voy. XXIII, 13, 4.
  136. Nicias, ch. 1. Je traduis sur le texte de Sintenis, mais je lis ἐκκαλυπτομένην au lieu de καλυπτομένην.
  137. Consulter sur ces personnages les histoires de la philosophie grecque ; d’ailleurs, là même, ils ne peuvent guère être que mentionnés.
  138. Sur la biographie de Favorinus, consulter principalement : Suidas, Φαβωρῖνος et Ἀδριανός  ; Philostr., V. des soph., I, ch. viii ; en outre, pour des allusions éparses, souvent instructives, Lucien, Aulu-Gelle, Plutarque, Galien. — Étude détaillée de J.-L. Marres, De Favorini Arelatensis vita, studiis, scriptis, Utrecht, 1853. Notice dans C. Müller, Fr. Hist. gr., III, p. 577. art.  de Fr. Nitzsche, Rhein. mus., t. XIII, p. 642 sqq.
  139. Cf. Galien, Sur la bonne doctrine, 1 ; Sur ses Livres, 2.
  140. Plutarque, de son côté, lui dédia son traité Περὶ πρώτου ψυχροῦ et lui adressa peut-être une lettre Sur l’amitié. Il le loue à plusieurs reprises. Voir notamment Questions rom., XXVIII.
  141. On peut en lire les détails, bien caractéristiques du temps, dans Philostrate, V. d. Soph., chap. cité.
  142. Aulu-Gelle, XVI, 3, 1 : Cum Favorino Romæ dies plerumque totos eramus, tenebatque animos nostros homo ille fandi dulcissimus, atque eum, quoquo iret, prosequebamur : ita sermonibus usquequaque amænissimis demulcebat. — Cf. IV, 19 : Favorinus sermones in genus communes a rebus parvis et frigidis abducebat ad ea quiæ magis utile esset audire ac discere, non allata extrinsecus, non per ostentationem, sed indidem nata acceptaque.
  143. Philostr., ouv. et chap. cités.
  144. Spartien, Vie d’Adrien, ch. xvi.
  145. Suidas, notice citée. Voyez l’énumération détaillée de ces écrits ainsi que les fragments dans Marres, ouv. cité.
  146. Ibid. : Ἀνὴρ πολυμαθὴς κατὰ πᾶσαν παιδείαν, φιλοσοφίας μεστὸς, ῥητορικῇ δὲ μᾶλλον ἐπιθέμενος.
  147. Aulu-Gelle, IV, 1, 14.
  148. Photius, cod. 161 ; texte mal compris par C. Müller, dont l’erreur a été corrigée par Marres, ouv. cité, p. 77.
  149. On a prétendu, mais à tort, que la παντοδαπὴ ἱστορία avait fourni à Athénée la substance de son Banquet des sophistes (Rudolph, Leipziger Studien, III, 109 sqq. ; Philol., Suppl. VI, 111 sqq.). Cette opinion doit être abandonnée. Voir Bapp, Leipz. St., VIII, 151.
  150. Voir, sur le scepticisme de Favorinus, Zeller (Phil. der Gr., t. V, p. 66 et suiv. (3e édition).