Histoire du Canada et des Canadiens français/Partie 1/Chapitre 8

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CHAPITRE VIII


De l’arrivée de Montcalm à la perte du Canada
(1756-1763)


Les opérations de guerre que nous venons de raconter duraient déjà depuis près de deux ans, sans que la guerre fût encore officiellement déclarée entre les deux couronnes de France et d’Angleterre. La monarchie française répugnait évidemment à cette guerre d’Amérique où elle sentait, à cause de l’infériorité de sa marine, que l’Angleterre avait de grands avantages sur elle. La rupture décisive vint donc de la Grande-Bretagne qui lui signifia, le 18 mai 1756, une déclaration solennelle de guerre. Si du moins, comme le conseillait le ministre Machault, on s’en était tenu à cette guerre maritime et si la France avait mis tous ses soins et toutes ses forces à soutenir ses colonies ! Mais l’esprit de vertige et d’erreur,

De la chute des rois funeste avant-coureur,

avait dès lors saisi la cour de France. Au lieu d’attaquer sérieusement l’Angleterre chez elle, comme on en fit la feinte un moment, ou d’envoyer de fortes armées en Amérique, la France perdit son temps et ses forces à envahir l’électorat de Hanovre, patrimoine personnel du roi d’Angleterre, Georges II, et pendant que nos forces allaient se dépenser dans cette guerre où nous allions bientôt nous heurter à l’épée de Frédéric II, les Anglais, beaucoup moins soucieux du Hanovre que de leurs colonies, allaient avoir libre carrière pour attaquer les nôtres et fortifier leur domination maritime. L’imbécillité de Louis XV, excitée par la vanité de la Pompadour, allait jeter la France dans la néfaste guerre de Sept-Ans, et consumer, sans profit et sans gloire, le plus clair de ses forces dans ces interminables guerres d’Allemagne où il s’agissait de défaire maintenant au profit de l’Autriche ce que nous avions fait de nos propres mains, dans la campagne précédente, quand nous aidions la Prusse à conquérir cette Silésie que nous voulions maintenant lui reprendre.

Mais ne fallait-il pas venger les injures de la fille de Poisson, que Frédéric II appelait impertinemment « Cotillon », et reconnaître les aimables procédés de Marie-Thérèse qui écrivait à la maîtresse du roi : « Ma cousine » ? Le pimpant cardinal de Bernis, l’abbé dameret et bel-esprit que l’infante de Parme honorait de ses faveurs, tandis que Frédéric II se moquait justement de ses vers insipides, n’avait-il pas aussi des motifs personnels de nous jeter dans une guerre contre le roi de Prusse ? Qu’étaient, à côté des graves intérêts de ces réputations susceptibles, les menaces suspendues sur l’Inde, sur le Canada, sur le Sénégal, sur les Antilles françaises ?… Ah ! pauvre France de Jeanne d’Arc, de Coligny, de Henri IV et de Sully, en quelles mains étais-tu tombée !…

On ne pouvait pourtant pas laisser le Canada absolument sans secours. Le gouverneur, M. de Vaudreuil, demandait à cor et à cri des renforts, et M. Doreil, le commissaire des guerres, revenu de son optimisme depuis la défaite de Dieskau, écrivait, que la colonie « couroit les plus grands risques », et que sa situation exigeait « de prompts et puissants secours. »

En réponse à ces pressants appels, le roi se contenta d’envoyer deux bataillons des régiments de la Sarre et de Royal-Roussillon, soit ensemble un millier d’hommes, ce qui porta à un peu moins de 4,000 hommes le chiffre de notre armée régulière eu Canada. Le marquis de Montcalm fut envoyé prendre le commandement général de ces troupes en remplacement de M. de Dieskau et, quoiqu’il n’eût que le titre de maréchal de camp, on lui donna les fonctions et l’autorité de lieutenant général des armées du roi.

M. de Montcalm était né en 1712, au château de Candiac, près de Nîmes, et appartenait à une des grandes familles du Rouergue. Il était entré au service dès l’âge de 13 ans, et comptait donc à ce moment 35 années de services. Il s’était battu avec une rare bravoure en Allemagne, en Bohême et en Italie, avait reçu trois blessures à la bataille de Plaisance (1746) et deux autres à l’affaire du col de l’Assiette. Il était bien le général qu’il fallait pour conduire une guerre comme celle qu’il allait faire, guerre de surprises et de manœuvres rapides, demandant surtout de l’action et de l’audace ; s’il y fit des fautes, ce ne fut que par excès de vaillantise et d’intrépidité personnelle. « Aucun homme ne sut mieux que lui, écrit un biographe[1], unir les qualités qui pouvaient attacher et charmer les soldats qu’il avait amenés d’Europe, les colons canadiens qu’il engageait à quitter leur charrue pour le suivre, et les Indiens qui s’associaient à ses expéditions et qui, marchant de nuit, inaperçus, à travers les bois, tombaient sur les habitations écartées des Anglais et les détruisaient avant qu’on soupçonnât leur approche. »

Le général-marquis débarqua à Québec en mai 1756 ; il amenait, comme compagnons d’armes, le chevalier de Lévis, qui fut plus tard duc de Lévis et maréchal de France ; le colonel de Bourlamaque, dont les talents supérieurs allaient trouver un beau champ d’action dans cette guerre d’Amérique, enfin M. de Bougainville, alors capitaine de dragons et qui se fera plus tard un nom célèbre dans nos annales maritimes.

M. de Montcalm trouva l’administration de la colonie dans un fort déplorable état et s’en expliqua bientôt dans ses lettres au gouvernement. Faiblesse du gouverneur ; improbité de la plupart des fonctionnaires et prévarications de l’intendant Bigot et de ses complices ; rivalités des officiers de l’armée de terre contre ceux de l’infanterie de marine et ceux de la milice ; formation de deux partis dans la colonie ; difficulté de faire la guerre dans un pays immense, sans routes et sans autres moyens de communications que des rivières coupées de sauts (cataractes) et de rapides ou des lacs que la violence des vagues rend souvent impraticables aux bateaux ; tels sont les thèmes ordinaires et trop justifiés des doléances de M. de Montcalm et de ses aides de camp.

Malgré les tristesses de cette situation, malgré la faiblesse et le dénuement de son armée, malgré la rigueur du climat à laquelle une partie de ses troupes n’était pas habituée, Montcalm eut tout l’avantage des combats pendant la première année de la guerre (1756).

Son principal objectif dans cette campagne, fut le fort Chouegen ou Oswego, sur le lac Ontario, que les Anglais occupaient avec 1,800 hommes. C’était la position la plus avancée des Anglais au-delà de la chaîne des Alléghanys, et celle qui portait le plus d’ombrage à notre prétention de posséder tout le terrain au-delà de cette chaîne. M. de Montcalm, par une diversion habile, feignit de vouloir presser les Anglais sur le lac Champlain, et il put amener 3,000 hommes contre Chouegen sans que l’ennemi eût eu vent de ses mouvements. Les forts, brusquement et rudement assaillis, se rendirent après quelques heures seulement de résistance et lorsqu’ils n’avaient encore perdu que 150 hommes. Cette prompte capitulation étonna Montcalm : « Je ne reconnais plus les Anglais, dit-il ; il faut croire qu’une fois transplantés, ils ne sont plus les mêmes qu’en Europe. » Plus de seize cents prisonniers, cinq drapeaux, cent treize bouches à feu, cinq bâtiments de guerre, outre une quantité de petites barques, d’immenses approvisionnements d’armes, de munitions et de vivres dont notre armée profita, tombèrent au pouvoir des Français. On estime à 15 millions la perte matérielle de l’Angleterre en cette journée.

L’effet moral en fut très grand aussi, au moins en Amérique. Les Anglais renoncèrent aux attaques qu’ils avaient projetées sur nos propres forts et se contentèrent de se protéger du mieux qu’ils purent contre les incursions des bandes canadiennes et les cruelles attaques de nos sauvages alliés. Sous la terreur de ces agressions, les colons de la Virginie et de la Pensylvanie reculèrent les bornes de leurs habitations à plus de quarante lieues en deçà des Alléghanys ; encore ne furent-ils pas tout-à-fait à l’abri des attaques des nôtres. Le chevalier de Villiers, avec un détachement qui ne comptait que cinquante-cinq hommes, alla prendre le fort Grenville, à vingt lieues de Philadelphie ; « tout y fut brûlé, tué ou fait prisonnier ».

Ces succès que M. de Lévis attribuait à la chance autant qu’au « bien joué », ne faisaient que farder la triste situation où se débattait, au dedans, la colonie. La disette s’y faisait déjà sentir, la récolte ayant presque totalement manqué dans le gouvernement de Québec et les bras ne suffisant pas d’ailleurs à l’agriculture, depuis que la presque totalité des habitants était appelée à servir dans les rangs de la milice. Un certain nombre de familles acadiennes ramenées cette année-là de Miramichy à Québec, eurent à souffrir de grandes privations, et beaucoup moururent de faim ou de dénuement.

Les voleries de l’intendant Bigot et de ses complices, les Péan, les Bréard, les Varin et les Cadet, — protégées par l’insigne faiblesse du gouverneur de Vaudreuil, — ajoutaient une particulière acuité à la détresse générale. M. Dussieux a reconstitué, d’après les pièces du procès qu’on fit plus tard à ces gredins, la physionomie de leurs honteuses spéculations. Les affidés et les prête-noms de la société Bigot achetaient les marchandises de l’État à bon marché et les lui revendaient ensuite à des prix excessifs. Ils enflaient les mémoires et faisaient de doubles emplois d’états de rations qui, bien que faux, étaient payés comme fidèles. À l’aide de leurs gains prodigieux (12 millions sur une fourniture montant à 11 millions seulement de prix d’achat), ils séduisaient les officiers commandant les forts pour gagner leurs suffrages et les commis et gardes-magasins pour acheter leur silence, etc. On peut voir là, dans tout ce qu’ils ont de plus détestable, les fruits d’un gouvernement absolu et ce que produit le manque de contrôle et de liberté, surtout quand les sphères supérieures du pouvoir donnent l’exemple de la plus complète immoralité, comme c’était alors le cas de Louis XV et de sa cour[2].

Sans connaître sans doute toute l’étendue du mal, Montcalm en soupçonnait la plus grande partie et confiait ses défiances et ses inquiétudes au ministre : « Je n’ai aucune confiance, écrivait-il un peu plus tard (1759), ni en M. de Vaudreuil, ni en M. Bigot. M. de Vaudreuil n’est pas en état de faire un projet de guerre ; il n’a aucune activité ; il donne sa confiance à des empiriques. M. Bigot ne parait occupé que de faire une grande fortune pour lui et ses adhérents ou complaisants… L’avidité a gagné les officiers, gardes-magasins, commis, qui sont vers l’Ohio ou auprès des sauvages dans les pays d’en-haut ; ils font des fortunes étonnantes ; ce n’est que certificats faux admis également… Quels surveillants mettre dans un pays dont le moindre cadet, un sergent, un canonnier, reviennent avec 20, 30,000 livres en certificats pour marchandises livrées par les sauvages ?… L’envie de s’enrichir influe sur la guerre sans que M. de Vaudreuil s’en doute. Tous se hâtent de faire leur fortune avant la perte de la colonie, que plusieurs peut-être désirent comme un voile impénétrable pour leur conduite. »

Ces odieux désordres n’eussent pas été possibles si l’attention de la France eût été un peu plus portée du côté du Canada. Mais la belle victoire navale du marquis de la Galissonnière devant Minorque, l’escalade et la prise de Mac-Mahon par les troupes du maréchal de Richelieu, étaient des faits d’armes qui rejetaient dans l’ombre les combats lointains du Canada. Le grand intérêt était surtout aux faits et gestes de ce Frédéric II avec qui, bien que notre ennemi, sympathisaient plus d’un « philosophe » et plus d’un courtisan. « Tous les chasseurs, écrivait Voltaire de son ton léger et dégagé, s’assemblent pour faire une Saint-Hubert à ses dépens. Français, Suédois, Russes, se mêlent aux Autrichiens ; quand on a tant d’ennemis, et tant d’efforts à soutenir, on ne peut succomber qu’avec gloire. C’est une nouveauté dans l’histoire que les plus grandes puissances de l’Europe aient été obligées de se liguer contre un marquis de Brandebourg[3]. »

L’intérêt, à la cour, comme à la ville, était donc aux péripéties de cette « chasse » ; on se passionnait pour cela. Et quant au Canada, valait-il la peine qu’on s’en occupât ? Voltaire proposait, sans tant d’affaires, de le « vendre aux Anglais » qui l’auraient acheté volontiers, il le tenait lui-même de la bouche de M. Pitt. Pour le surplus, il formulait ainsi sa philosophie… patriotique : « On plaint ce pauvre genre humain qui s’égorge dans notre continent à propos de quelques arpents de glace au Canada[4]. »

Le ministère n’était guère éloigné de partager cette indifférence coupable. Lorsque M. de Vaudreuil, en vue de la campagne de 1757, demanda des soldats et des vivres au cabinet de Versailles, il le trouva effrayé des dépenses que l’on faisait pour cette colonie, tout occupé de ses armées d’Allemagne et peu disposé à envoyer les secours nécessaires en Amérique. Le transport des troupes à quinze cents lieues était, disait-on, très onéreux ; il fallait de nombreux bâtiments ; on était obligé de disputer le passage aux Anglais ; il fallait une guerre maritime pour conserver la Nouvelle-France et le gouvernement s’était prononcé pour la guerre continentale[5]. Bref, tout ce que M. de Vaudreuil put obtenir fut un secours de 1,500 hommes.

La guerre d’Amérique, au contraire, était populaire en Angleterre ; on y devinait les résultats qu’elle devait produire et qui sont si évidents aujourd’hui. Pitt, devenu ministre, et résolu à ne pas laisser échapper une occasion si avantageuse pour les intérêts britanniques, fit d’immenses préparatifs ; de formidables escadres couvrirent les mers, transportèrent 10,000 soldats en Amérique et se préparèrent à couper toute communication entre la France et le Canada. Nos soldats allaient avoir bientôt à combattre un contre quinze et sans espoir de recevoir de secours de la mère-patrie !

Comme premier acte des opérations projetées sur mer et sur terre, une flotte anglaise de plus de vingt vaisseaux, avec une nombreuse armée de débarquement, se dirigea contre Louisbourg que le traité d’Aix-la-Chapelle avait, l’on s’en souvient, rendu à la France. Mais arrivé à Halifax, l’amiral anglais apprit que trois escadres françaises avaient gagné Louisbourg avant lui et que leur réunion donnait à M. Dubois de la Mothe des forces égales à celles qu’il commandait. Il renonça en conséquence à son projet d’assiéger Louisbourg, mais quelque temps après, ayant reçu de nouveaux renforts, il chercha à provoquer l’amiral français au combat. M. Dubois de la Mothe, enfermé dans le port de Louisbourg, ne répondit pas à cet appel, parce qu’en ce moment une cruelle épidémie décimait ses équipages. La tempête, cette fois encore, nous secourut. Dans la nuit du 24 au 25 septembre (1757) un terrible coup de vent dispersa l’escadre anglaise, jeta à la côte et brisa un vaisseau, en démâta douze autres et obligea les Anglais à jeter la plus grande partie de leur artillerie à la mer. Si le vent n’avait changé, toute la flotte anglaise se fût brisée contre les rochers de l’île Royale.

Pendant ce temps, M. de Montcalm conduisait une armée de 7,600 hommes, dont 3,000 réguliers, à l’attaque du fort William-Henry, situé à l’extrémité méridionale du lac Georges (ou lac du Saint-Sacrement) qui n’est lui-même qu’une sorte de prolongement du lac Champlain. Le colonel Munro, gouverneur de ce fort (Cooper en a fait le héros d’un de ses romans[6]), quoiqu’il n’eût que des forces intérieures, se défendit avec vigueur et prolongea tant qu’il put la défense pour donner au général Webb le temps de le secourir. Mais Webb ayant fait réponse qu’il ne pouvait lui fournir ce secours, les Anglais se décidèrent à capituler… Cette capitulation mettait entre nos mains 2,296 prisonniers, 43 bouches à feu, de la poudre, des projectiles et des vivres en quantité. L’impossibilité de nourrir tous ces prisonniers décida M. de Montcalm à les renvoyer, sous promesse de ne pas servir contre la France pendant dix-huit mois. Malheureusement la retraite de ces troupes fut marquée par une tentative de massacre du fait de nos sauvages, à qui les Anglais avaient commis l’imprudence de distribuer de « l’eau de feu ». Fenimore Cooper a fait, dans son Dernier des Mohicans, une peinture horrible de ce qu’il appelle « le massacre de William-Henry. » Il parle de 1,500 Anglais massacrés. La vérité est qu’il y eut une vingtaine d’hommes tués, dont un au moins du côté de nos Français qui s’interposèrent, à l’exemple de M. de Montcalm, pour arracher les Anglais à la fureur des sauvages[7].

Il est certain que nous avions, en la personne de ces sauvages, de compromettants alliés, dont l’indiscipline fit, plus d’une fois, avorter les plans de nos généraux. Dans cette occasion même, si leurs bandes ne s’étaient pas dispersées après la victoire et si Montcalm eût pu les garder dans le rang, c’en eût été fait sans doute de la Nouvelle-York qu’il eût pu, poursuivant sa course, conquérir avant la fin de la saison. Mais, outre les sauvages, il fallut encore renvoyer chez eux les miliciens pour faire la moisson et sauver ce qui restait de la récolte que des pluies continuelles avaient en grande partie détruite.

L’hiver de 1757 à 1758 fut extrêmement rigoureux et ajouta encore aux souffrances de la colonie. Par l’effet de la mauvaise récolte de l’année, la disette était devenue famine. M. de Montcalm écrivait le 18 septembre (1757) : « Manque de vivres, le peuple est réduit à un quarteron de pain. Peu de poudre ; point de souliers… » ; Le 26 février suivant, M. Doreil écrivait à son tour : « Le peuple périt de misère. Les Acadiens réfugiés ne mangent, depuis quatre mois, que du cheval ou de la merluche (morue sèche) sans pain ; il en est déjà mort plus de trois cents… Le peuple canadien a un quart de livre de pain par jour ; le soldat une demi-livre. » Après le 1er avril, la famine augmentant, on ne donna plus au peuple que deux onces de pain. En mai il n’y avait presque plus de pain ni de viande ; la livre de bœuf se vendait 25 sous ; autant la livre de farine ; « et cependant, dit M. Doreil, ils prennent leur mal en patience. »

Pendant ce temps, au rapport du même Doreil, on passait joyeusement le carnaval chez l’intendant Bigot. « On y jouait un jeu à faire trembler les plus déterminés joueurs, au quinze, au passe-dix, au trente-et-quarante. Heureusement, pour ceux de nos officiers qui ont joué, que M. Bigot, qui est en état de perdre, a bien fait les honneurs de cette partie : il lui en coûte environ deux cent mille livres. »

Que dire de ce contraste entre la licence si effrénée d’indignes administrateurs et le courage, la patience dont témoignaient, au milieu de ces cruelles épreuves, les braves habitants du Canada ? Ils ne s’indignaient même pas des exactions dont ils étaient les victimes : « Le roi peut prendre tout ce que nous avons, répondaient-ils, pourvu que le Canada soit sauvé[8]. »

Voilà les sentiments que ces humbles et vaillants fils de la France nourrissaient sur ces « quelques arpents de glace » dont Voltaire voulait traiter le marché avec Pitt ! Arpents de glace !… La plume tombe des mains.


L’armée du Canada se composait au mois de mai 1758, à l’ouverture de la campagne, de 5,780 soldats. Pour écraser cette poignée d’hommes, Pitt donna au général Abercromby, qu’il envoyait en Amérique, 22,000 soldats et 28,000 miliciens, et fit organiser un corps de réserve de 30,000 miliciens[9]. Des troupes aussi nombreuses semblaient assurer la victoire à l’Angleterre ; aussi lord Chesterfield écrivait-il à son fils, le 8 février : « Il est très certain que nous sommes assez forts en Amérique pour manger les Français tout vifs au Canada, à Québec et à Louisbourg. »

De son côté, M. de Montcalm, sans se faire d’illusion sur l’issue de la lutte, l’envisageait avec une énergie farouche : « Nous combattrons, écrivait-il ; nous nous ensevelirons, s’il le faut, sous les ruines de la colonie. »

Les généraux anglais préparèrent simultanément trois expéditions : la première contre Louisbourg ; la seconde contre Carillon ; la troisième contre le fort Duquesne.

L’amiral Boscawen conduisit la première. Parti d’Halifax avec une flotte de 20 vaisseaux de ligne et de 18 frégates, qui portait une armée de 15,000 hommes, il arriva, le 2 juin, devant Louisbourg.

La garnison de cette place, sous les ordres de M. de Drucour, comptait 2,900 soldats, (sur lesquels 2,040 seulement étaient en état de combattre), 2,500 miliciens du Canada ou de l’île Royale et 1,200 sauvages. Il n’y avait dans le port que 5 vaisseaux, hors d’état de lutter contre la flotte de Boscawen. De plus, les fortifications de la place étaient en mauvais état et inachevées.

Dans ces conditions, l’issue de la lutte n’était que trop facile à prévoir. Tout ce que put faire M. de Drucour, — secondé par sa femme qui se conduisit comme une nouvelle Jeanne Hachette, conduisant elle-même les soldats au rempart et allumant la mèche des canons, — fut de retarder de deux mois la capitulation fatale. La place se rendit le 26 juillet. M. de Drucour et la garnison furent faits prisonniers de guerre, et les habitants transportés en France.

La prise de Louisbourg et de l’île du Cap-Breton acheva de donner aux Anglais, déjà maîtres de l’Acadie et de Terre-Neuve, les clefs du Canada et la libre disposition de l’embouchure du Saint-Laurent. Aucun secours de France ne pouvait plus arriver au Canada sans avoir à passer sous le canon de leurs forts ou sous le feu de leurs escadres.

Cette conquête causa une joie bruyante en Angleterre où, depuis quelques années, les généraux n’avaient pas accoutumé Georges II aux triomphes. Les réjouissances ne furent pas moins grandes dans la Nouvelle-Angleterre. Cependant la nouvelle, qui arriva vers le même temps, de la bataille de Carillon et de la défaite complète du général Abercromby par notre Montcalm, vint mettre une sourdine à ces fanfares de triomphe.

Cette journée de Carillon est certainement une des plus belles de nos fastes militaires. Les Anglais qui marchaient sous Abercromby à l’attaque de cette bicoque, (sise à l’emplacement de la ville actuelle de Ticondéroga), ne comptaient pas moins de 16, 000 hommes, dont 7, 000 de troupes de ligne. Montcalm, Lévis et Bourlamaque n’avaient sous la main, pour la défendre, qu’un peu plus de 4, 000 hommes. Quelques retranchements faits de troncs d’arbres couchés les uns sur les autres avaient été établis à la hâte par les Français sur la colline en avant du fort. C’eût été là un faible rempart contre l’artillerie que l’armée anglaise traînait à sa suite ; mais Abercromby, informé que le général français attendait un renfort de 3,000 hommes, avait brusqué l’attaque et laissé son artillerie en arrière : il comptait bien vaincre sans elle, étant donnée la supériorité écrasante du nombre de ses hommes.

Le général Montcalm avait donné l’ordre de laisser avancer les ennemis jusqu’à vingt pas des retranchements. Cet ordre fut ponctuellement exécuté. Lorsque les Anglais, divisés en quatre grosses colonnes, dont les intervalles étaient encore garnis de troupes légères, furent à la distance indiquée, la mousqueterie accueillit ces masses avec un feu aussi juste que bien nourri, qui jeta tout d’abord la perturbation dans les premiers rangs des assaillants. Forcés de reculer un instant, les Anglais revinrent à la charge, mais après avoir échangé une vive fusillade, ils furent encore forcés de redescendre la colline. Deux fois, trois fois, six fois, les Anglais s’opiniâtrèrent dans cette attaque, tantôt faisant front à la ligne des Français, tantôt essayant de les tourner ou concentrant toutes leurs forces contre une des ailes de notre petite armée ; toujours ils échouèrent, et furent repoussés avec de grandes pertes. Les fragiles retranchements des Français prirent feu à diverses reprises dans le cours de l’action. Le général Montcalm était partout à la fois, s’exposant comme le dernier des soldats et soutenant tout le monde de sa présence et de ses ordres toujours donnés avec une vue claire et prompte des dangers présents et des nécessités de la situation. Ses lieutenants ne s’épargnaient pas plus que lui ; M. de Bourlamaque fut dangereusement blessé à l’épaule ; M. de Bougainville fut blessé aussi, et le chevalier de Lévis reçut plusieurs balles dans ses habits. Les soldats, enthousiasmés par le courage de leurs chefs, se battaient comme des lions, aux cris de : « Vivent le roi et notre général ! » À la tombée de la nuit, Abercromby se décida à cesser un combat qui lui avait coûté déjà autant ou plus d’hommes que les Français n’en avaient dans leurs rangs (5, 000 hommes, disent les relations françaises ; les Anglais avouent la moitié ; de notre côté, notre perte n’avait été que de 377 hommes tués ou blessés, dont 37 officiers). Les Anglais battirent donc en retraite pendant la nuit, abandonnant dans leur fuite une partie de leurs bagages et un grand nombre de leurs blessés. S’il avait eu plus de monde ou si ses troupes avaient été moins fatiguées, Montcalm aurait pu changer cette retraite en désastre ; mais il dut se contenter d’avoir arrêté l’invasion et protégé glorieusement sa première ligne de défense. Le soir même de la victoire, il écrivait, du champ de bataille, à son ami M. Doreil : « L’armée, et trop petite armée, du roi, vient de battre ses ennemis. Quelle journée pour la France ! Si j’avois eu deux cents sauvages pour servir de tête à un détachement de mille hommes d’élite dont j’aurois confié le commandement au chevalier de Lévis, il n’en seroit pas échappé beaucoup dans leur fuite. Ah ! quelles troupes, mon cher Doreil, que les nôtres ! Je n’en ai jamais vu de pareilles[10]. »

Quelque joie que la victoire de Carillon eût provoquée dans tout le Canada, et quelque gloire qu’elle fît rejaillir sur le front de Montcalm, celui-ci ne se faisait pas illusion sur l’avenir de cette guerre, et il ne pouvait cacher le découragement qui l’envahissait entre une administration coloniale scandaleusement faible ou concussionnaire et le gouvernement de la métropole qui lui refusait tout secours. Il demanda comme une grâce son rappel en France, mais ne put l’obtenir ; il ne restait plus qu’à se préparer, comme il l’avait écrit, à s’ensevelir sous les ruines de la colonie.

Tout faisait présager, en effet, l’issue funeste de cette lutte si disproportionnée. 3,000 hommes, sous le colonel Bradsteet, vinrent attaquer le fort Frontenac où on n’avait pu mettre qu’une garnison de 70 hommes : celle-ci pouvait-elle faire autrement que de se rendre après deux jours de résistance (27 août) ? De même, quand 6,000 Anglais, tant soldats que miliciens (ces derniers commandés par Washington) s’avancèrent contre le fort Duquesne, M. de Lignery qui le commandait, après avoir fait subir un échec assez rude à l’avant-garde de cette armée, — qui perdit en cette occasion 150 hommes, — devait-il, après cette victoire, et quand il ne pouvait plus disposer que de 300 hommes, entreprendre de résister à toute une armée ? Il fit tout ce qui était indiqué en cette occurrence, il évacua le fort, le réduisit en cendres, envoya son artillerie par la Belle-Rivière, au fort des Illinois, et se retira lui-même, avec sa garnison, au fort Machault. Le général Forbes donna le nom du ministre Pitt (Pittsburg) aux ruines qu’il occupa après notre départ[11].

Les sauvages, voyant notre domination chanceler, commencèrent à quitter notre alliance et à passer aux Anglais. Doreil, en rendant compte au ministre de la prise du fort Frontenac, lui disait : « Les sauvages ont frappé sur nous ; ils se sont emparés sur le lac Ontario de trois canots qui descendaient chargés de pelleteries et en ont égorgé les équipages, triste avant-coureur de ce que nous avons à craindre de leur part ! La paix, la paix, Monseigneur : pardonnez-moi, je ne puis trop me répéter à cet égard. »

Mais la France ne pouvait, à ce moment, — au lendemain de Rosbach, — pas plus dicter la paix que soutenir la guerre. « Elle semblait alors, dit Voltaire[12], plus épuisée d’hommes et d’argent dans son union avec l’Autriche qu’elle n’avait paru l’être dans deux cents ans de guerre contre elle. » Aux pressantes requêtes de secours que lui adressait Montcalm, le maréchal de Belle-Isle répondait qu’il ne devait compter sur aucun renfort de troupes : « Outre qu’elles augmenteroienl la disette de vivres que vous n’avez que trop éprouvée jusqu’à présent, il seroit fort à craindre qu’elles ne fussent interceptées par les Anglois dans le passage ; et comme le Roi ne pourroit jamais vous envoyer des secours proportionnés aux forces que les Anglais sont en état de vous opposer, les efforts que l’on feroit ici pour vous en procurer n’auroient d’autre effet que d’exciter le ministère de Londres à en faire de plus considérables pour conserver la supériorité qu’il s’est acquise dans cette partie du continent. » Il insistait cependant pour que le général fît l’impossible afin de conserver « un pied, quelque médiocre qu’en fût l’espace, dans l’Amérique septentrionale, car si nous l’avions une fois perdue en entier, il seroit comme impossible de la ravoir. » Montcalm répondit simplement : « J’ose vous répondre d’un entier dévouement à sauver cette malheureuse colonie, ou périr. »


Au printemps de 1759, tout était prêt, du côté des Anglais, pour conduire une campagne décisive contre le Canada. Le cabinet de Londres, résolu à tout tenter pour se rendre maître de l’immense vallée du Saint-Laurent, avait combiné, dans la campagne précédente, trois attaques à la fois : l’une sur Québec, par une flotte puissante qui devait remonter le golfe et le fleuve ; l’autre, contre les forts Carillon et Saint-Frédéric ; la troisième, contre les forts français établis entre les lacs Érié et Ontario, notamment contre le fort de Niagara, situé près des fameuses chutes de ce nom. Cette triple attaque, soutenue par des forces partout supérieures, et de beaucoup, à celles que nous pouvions leur opposer, devait presque fatalement réussir, et tout ce qu’on pouvait faire était d’en retarder le succès.

Au centre, notre principale défense contre le général Amherst qui s’avançait à la tête de 12,000 hommes, dont 5,700 réguliers, était moins dans les troupes de Bourlamaque (qui disposait en tout de 2,300 hommes) que dans le souvenir des défaites précédentes des Anglais et, en particulier, dans le souvenir tout cuisant encore de l’affaire de Carillon. Aussi le général anglais ne s’avançait-il qu’avec les plus extrêmes précautions, et en prenant soin, à chaque pas qu’il faisait, d’assurer sa marche contre les surprises des Français, par de nouveaux forts ou par des blockhaus. Quand il fut enfin (le 7 juillet) devant Carillon, les Français, réduits par leur petit nombre à concentrer leurs forces, se replièrent en bon ordre sur le fort Frédéric (depuis Crownpoint). Au milieu d’août, ils durent évacuer encore cette position. Toutefois, M. de Bourlamaque réussit, en se fortifiant à l’Île-aux-Noix, (à la pointe nord du lac Champlain), à fermer le chemin de Québec au général Amherst, et à l’empêcher de seconder l’attaque dirigée par mer contre cette ville.

Le fort de Niagara, très important par sa situation qui commandait la navigation des lacs et aussi par les travaux de retranchement qui y avaient été exécutés, soutint aussi, pendant plusieurs jours (du 7 au 25 juillet) tout l’effort d’une importante armée et l’eût soutenu plus longtemps encore (quoiqu’on en fût arrivé à faire, dans les bastions ruinés, des embrasures avec des paquets de pelleteries et à bourrer les canons avec des chemises et des couvertures) si la petite armée de secours qu’on lui envoyait de Détroit, n’avait été, par la trahison de nos Indiens, entraînée dans une embuscade et écrasée par l’ennemi.

Mais l’attaque la plus redoutable, — et c’est pour celle-là que s’était réservé Montcalm, — était l’attaque par eau. En février 1759, une flotte, qui comptait plus de trois cents voiles, partait d’Angleterre sous les ordres des amiraux Saunders et Holmes, prenait à son bord, à Louisbourg (fin d’avril), le général Wolfe avec 8,000 soldats des meilleures troupes anglaises et les débarquait, le 20 juin, à l’île d’Orléans, en vue de Québec.

Montcalm, en réunissant ce qui lui restait de troupes de lignes, les milices canadiennes et les Indiens dévoués, avait un peu plus de 10,000 hommes sous ses ordres. Québec, dont les fortifications étaient inachevées et dont on avait fermé les parties ouvertes par de simples palissades[13], ayant été regardé comme peu susceptible de défense, Montcalm s’établit dans une sorte de long camp retranché sur le bord du Saint-Laurent, dont Québec formait la droite et dont la rivière de Montmorency protégeait la gauche. Ce camp s’appela « le camp de Beauport », du nom du village qui en occupait à peu près le centre. On l’avait flanqué, de distance en distance, de redoutes garnies de canons, pour protéger les endroits où les Anglais auraient pu opérer leur descente.



Après avoir adressé aux défenseurs de Québec une sommation de se rendre aussi plate qu’impertinente, Wolfe, en ayant reçu la réponse qu’il pouvait attendre, essaya d’abord, par diverses manœuvres, de faire sortir Montcalm de ses retranchements. Quand il vit qu’il n’y parvenait pas, il débarqua une partie de ses troupes sur la pointe Lévis, en face de Québec, de l’autre côté du Saint-Laurent. Les puissantes batteries qu’il établit à cet endroit bombardèrent la ville et brûlèrent 1,400 maisons ; la basse ville fut presque complètement détruite par l’effet de cette canonnade. Montcalm cependant restait immobile dans ses positions. Voyant qu’il le fallait enfin attaquer de front, Wolfe, après avoir établi son camp au village de l’Ange-Gardien, à gauche de la rivière de Montmorency, se hasarda enfin à franchir le ravin profond où cette rivière est encaissée. Le 31 Juillet, il lança ses troupes, soutenues par 50 grosses pièces d’artillerie et par les feux de trois vaisseaux (dont un de 74 canons), à l’assaut de nos positions sur la gauche, tandis que le corps campé à la pointe Lévis passait dans des chaloupes pour les attaquer de front. Malgré le feu supérieur de l’artillerie anglaise, car nous n’avions que dix canons à opposer à leurs cent dix-huit pièces, les Français repoussèrent sur tous les points l’attaque de leurs adversaires. Une seule décharge de notre mousqueterie leur coûta, paraît-il, 600 hommes. Le soir, les Anglais renoncèrent à leur tentative, et, en se retirant, mirent le feu aux deux frégates qu’ils avaient embossées près de la côte et qui se trouvaient échouées.

La victoire de Montmorency fut un moment saluée par les nôtres comme devant marquer la fin de la campagne. Tout le mois d’août et le commencement de septembre se passèrent, en effet, de la part des Anglais en vaines démonstrations où tout se bornait à quelques bâtiments incendiés et à quelques hommes surpris et tués tant du côté ennemi que du nôtre. L’hiver approchait qui allait obliger les vaisseaux anglais à la retraite. « Le 12 septembre, dit M. Bernier, chacun regardait la campagne comme finie avec gloire pour nous. » Cependant Wolfe était résolu, avant d’abandonner la partie, à tenter un dernier effort pour prendre la ville à revers. Grâce à sa flotte puissante, il restait le maître de la navigation du Saint-Laurent et pouvait débarquer ses troupes, à son gré, sur un point ou sur un autre.

M. de Montcalm avait détaché M. de Bougainville, avec une colonne de 3,000 hommes, pour observer les mouvements des Anglais. Pour lui donner le change sur son vrai projet, qui était de débarquer à l’anse du Foulon, à un quart de lieue en amont de Québec, Wolfe remonta le Saint-Laurent jusqu’au cap Rouge, à trois lieues plus loin ; et, dans la nuit du 12 septembre, après avoir fatigué et dérouté les Français par de continuelles alertes, il redescendit le fleuve et débarqua ses troupes à l’improviste au pied des hauteurs d’Abraham qui touchent aux murs de Québec, et que leur escarpement même semblait protéger suffisamment contre toute attaque. En s’aidant des buissons et des ronces, les Anglais gagnèrent le sommet de la « plate-forme », y surprirent une sentinelle qui n’eut que le temps de lâcher son coup de fusil ; et, le lendemain, au matin, Montcalm apprenait avec douleur que 5,000 Anglais se trouvaient au niveau de la haute ville de Québec, prêts à l’attaque des fortifications, qui n’avaient, dès lors, plus rien de redoutable, tandis que leur flotte, toujours à l’ancre dans le Saint-Laurent, tirait ses bordées d’artillerie sur la ville.

La bataille rangée qu’il avait jusqu’alors évitée de propos délibéré, devenait pour Montcalm le seul moyen de sauver la ville. Son armée était alors fort réduite, une partie des Canadiens étant retournés aux champs, après la victoire de Montmorency, pour faire la moisson, et les 3,000 hommes de M. de Bougainville n’ayant pas encore rejoint le camp de Beauport. N’importe, et sans attendre (peut-être emporté par une ardeur hâtive) le retour de ces troupes, M. de Montcalm lança sans tarder les 4,500 hommes qu’il avait sous la main contre l’armée anglaise qui s’était déjà formée en bataille avec du canon. « Les troupes s’ébranlèrent avec beaucoup de légèreté, suivies des Canadiens ; mais, après s’être approchés à portée de pistolet et avoir fait et essuyé trois ou quatre décharges, la droite plia et entraîna le reste de la ligne[14] ». M. de Montcalm, qui était à cheval, courut pour arrêter et rallier ses troupes. « En avant ! cria le héros, et gardons le champ de bataille ! » C’est à ce moment qu’il tomba mortellement blessé d’une balle dans les reins. Il expira le lendemain. « Au moins, je ne verrai pas, disait-il, les Anglais dans Québec. » De son côté, le général Wolfe fut atteint d’un double coup de feu dont l’un lui fracassa le poignet, et l’autre lui transperça la poitrine. Mais il eut le plaisir d’apprendre, avant de mourir, que la victoire restait à ses troupes[15].

Malgré leur victoire, les Anglais n’avaient pas forcé les murs de Québec, et la ville eût pu tenir longtemps encore contre leurs efforts, si la résolution des chefs et des habitants avait été à la hauteur de celle du général qu’ils venaient de perdre. Mais le chevalier de Lévis, à qui revenait la succession de Montcalm, était malheureusement absent à ce moment, ayant été détaché précédemment avec 800 hommes sur le lac Champlain. En apprenant la défaite et la mort de M. de Montcalm, il fit diligence pour revenir à Québec. Mais, avant son arrivée, l’armée et le gouverneur, M. de Vaudreuil, avaient décidé d’évacuer Québec pour se retirer à Jaques-Cartier, et le commandant, M. de Ramesay, qu’on avait laissé dans la ville, avec dix-sept cents miliciens démoralisés, avait jugé à propos de capituler sans même attendre une attaque en règle[16]. Il fut stipulé que la garnison serait embarquée pour la France, que les habitants conserveraient leurs biens, leur religion, et ne seraient point « transmigrés » comme les Acadiens. (18 septembre 1759.)

Si quelque chose peut excuser le parti que le découragement et la peur conseillèrent alors aux habitants de Québec et qui entraînèrent M. de Ramesav, c’est bien le tableau suivant, que trace M. Dussieux, de la détresse et de l’infortune où nos malheureux colons étaient alors parvenus : « Québec et ses environs étaient particulièrement en proie à la misère, à la famine, à toutes les calamités ; une partie de la ville bombardée et brûlée ; toutes les habitations de la campagne brûlées, pillées ; plus de pain, plus de bestiaux ; rien à manger ; plus d’abris ; les familles décimées par la guerre et par les maladies ; partout des femmes et des enfants implorant la charité publique. L’évêque de Québec lui-même adressa, le 9 novembre, une lettre touchante au ministre de la marine, pour lui demander « que l’on fît quelque charité aux pauvres Canadiens sans abris et sans ressources[17]. » Cette lettre n’eut d’ailleurs aucun effet.


On crut d’abord, en Europe, que la prise de Québec allait terminer la guerre d’Amérique. « Personne n’imaginait, dit Raynal, qu’une poignée de Français qui manquaient de tout, à qui la fortune même semblait interdire jusqu’à l’espérance, osassent songer à retarder une destinée inévitable. » Toute communication avec la France étant interrompue, tout espoir de secours était en même temps fermé. Toutefois, ces braves Canadiens, aussi Français de cœur que s’ils eussent toujours vécu sur le sol de la vieille France, — peut-être plus, car l’éloignement développe d’ordinaire l’amour de la patrie, — ne s’abandonnèrent point encore. Le chevalier de Lévis, rassemblant les débris de notre armée aux milices canadiennes qui partout et spontanément se levèrent en masse, décida de tenir la campagne jusqu’au printemps suivant, espérant qu’à cette époque la France lui enverrait les moyens de reconquérir le terrain perdu. M de Vaudreuil se fortifia à Jacques-Cartier. Les autres régiments de troupes coloniales furent distribués dans les villages et à Montréal, où M. de Lévis établit son quartier-général. C’est là que se rendirent les troupes qui avaient honorablement capitulé au fort de Niagara. Après la prise de Québec, la flotte anglaise s’était retirée, pour y passer l’hiver, à Louisbourg, laissant, dans la capitale du Canada une garnison de 7 à 8,000 hommes sous le général Murray. L’hiver de 1759 à 1760 vit une multitude de petits combats. Québec, qu’on se proposait d’attaquer au printemps suivant, fut harcelé, et la garnison anglaise se vit diminuée de plus de 1,500 hommes.

Cependant, M. de Lévis avait sous la main, à Montréal, environ 3,000 soldats et autant peut-être de Canadiens et de sauvages. Le 20 avril 1760, avant même que la débâcle des glaces fût achevée, cette armée patriote « composée de soldats et de citoyens qui ne faisaient qu’un corps et qui n’avaient qu’une âme[18] », s’embarqua dans le Saint-Laurent en face de Montréal, après avoir fait glisser les bateaux à force de bras pour les mettre à l’eau. « L’armée se précipita dans le courant avec une ardeur inconcevable. Les Anglais la croyaient encore paisible dans ses quartiers d’hiver ; et déjà, toute débarquée, elle touchait à une garde avancée de 1,500 hommes qu’ils avaient placée à trois lieues de Québec[19]. » Un incident fortuit sauva ce détachement d’une surprise et d’une attaque où il eût été infailliblement taillé en pièces. Prévenu à temps, le général Murray sortit de Québec avec 4,000 hommes pour protéger la retraite de ce détachement et arrêter la marche des français. Pour être sûr de ses derrières, le général anglais avait au préalable chassé toute la population de la ville, dans la crainte qu’elle ne se soulevât contre lui pendant qu’il serait aux prises avec nos troupes.

La bataille s’engagea, près de Sainte-Foy, sur ce même plateau d’Abraham où Wolfe et Montcalm s’étaient rencontrés l’année précédente. L’affaire fut chaude et glorieuse pour les Français. À un moment, les troupes de notre aile gauche, obligées de se former en bataille sous le feu meurtrier de l’artillerie anglaise, semblaient hésiter, quand M. de Bourlamaque les rallia et les mena sans tirer sur l’ennemi qu’elles culbutèrent à coups de baïonnette ; alors M. de Lévis donna à la droite l’ordre d’attaquer. Les Anglais ne purent insister ; ils furent enfoncés, obligés de se retirer dans Québec, et perdirent toute leur artillerie (20 canons, 2 obusiers) et environ 800 hommes, tués ou blessés, presque tous à coups de baïonnette. La victoire nous avait coûté 700 hommes ; tous nos grenadiers avaient été tués par la mitraille des Anglais et avaient payé de leur sang le dernier triomphe du drapeau français au Canada.

Aussitôt M. de Lévis assiégea Québec. Il avait pris aux Anglais, dans la bataille du 28, une grande quantité d’outils avec lesquels on fit les tranchées ; et, le 11 mai, les Français ouvrirent le feu contre la ville avec quelques mauvaises pièces de fer. Comme la poudre était rare, nos artilleurs eurent ordre de ne tirer que vingt coups par pièce, par vingt-quatre heures, et, tout en canonnant la place, on attendit les secours qu’on espérait voir venir de France. « Une seule frégate arrivée avant la flotte anglaise eût décidé la reddition de Québec et assuré la Nouvelle-France pour cette année[20]. »

Le 15 mai, vers le soir, assiégeants et assiégés aperçurent quelques vaisseaux à l’horizon. Si c’était une flotte française, Québec revenait à la France ; sinon, M. de Lévis était obligé de lever le siège. Aussi tout le monde, dit l’historien anglais Knox, tournait-il avec la plus grande anxiété les yeux vers le bas du fleuve, d’où chacun espérait voir venir son salut. C’était l’avant-garde de la flotte anglaise. « Nous restâmes quelque temps en suspens, n’ayant pas assez d’yeux pour la regarder, dit Knox, et l’on ne peut exprimer l’allégresse de la garnison, quand nous fûmes bien convaincus que c’étaient des frégates anglaises. Officiers et soldats montèrent sur les remparts faisant face aux Français, et poussèrent pendant plus d’une heure des hourras continuels en élevant leurs chapeaux en l’air. La ville, le camp ennemi, le port et les campagnes voisines retentirent de nos cris et du roulement de nos canons. Enfin, il est impossible de se faire une idée de cette joie, si l’on n’a pas souffert les extrémités d’un siège et si l’on ne s’est pas vu avec de braves amis et de braves compatriotes voué à une mort certaine. »

On imagine aisément que l’arrivée de la flotte anglaise fut accueillie, de notre côté, avec des sentiments bien différents. M. de Lévis, la douleur au cœur, leva le siège de Québec, le 16 mai, et il se replia de poste en poste sur Montréal avec 3, 600 hommes. Le faible secours (6 bâtiments avec quelques troupes et des munitions) que notre ministre de la marine s’était décidé à envoyer au Canada, partit beaucoup trop tard de Bordeaux (12 avril) ; nos marins ne purent forcer la croisière que les Anglais avaient déjà établie à l’entrée du Saint-Laurent, et tout ce que purent faire ceux de ces bâtiments qui ne furent pas pris, fut de débarquer leurs troupes dans la baie des Chaleurs, à 300 lieues de Québec, où ils furent absolument inutiles[21].


Il ne restait plus d’espoir à la défense. Trois armées considérables, achevant d’exécuter le plan combiné l’année précédente, se dirigèrent en même temps sur Montréal, resserrant leur cercle de fer autour de nos malheureuses troupes qui, peu nombreuses dès le début de la lutte, et fort diminuées par des combats fréquents, manquaient tout à la fois de munitions de guerre et de bouche. Des actes d’héroïsme marquèrent encore cette dernière phase de notre agonie. C’est ainsi que le capitaine Pouchot, enfermé dans le fort Lévis, arrêta seul, avec 200 soldats, pendant douze jours, les 12,000 Anglais du général Amherst qui l’assiégeaient, et ne se rendit qu’après que les remparts du fort eurent été détruits, toutes ses pièces mises hors de service, tous ses officiers tués ou blessés.

Quand Montréal, bloqué par cette formidable armée d’Amherst, décida de capituler, M. de Lévis, repoussant les conditions de la capitulation, et poussant l’ardeur patriotique à ses dernières limites, proposa de se renfermer dans l’île de Sainte-Hélène pour y tenir jusqu’au dernier homme ; il trouva ses soldats tout prêts à s’associer à cet holocauste volontaire de leur chef. Il fallut l’ordre formel du marquis de Vaudreuil pour lui faire poser les armes. Le 8 septembre 1760, celui-ci, qui gardait jusqu’au bout, malgré son insuffisance, le titre de gouverneur du Canada, signa à Montréal la capitulation par laquelle il livrait le Canada tout entier à l’autorité britannique. Il stipulait seulement pour ses habitants le libre exercice de leur religion, la conservation de leurs propriétés et de leurs lois.

Le gouverneur, l’intendant, les fonctionnaires de l’administration civile et militaire, M. de Lévis et 185 officiers, 2,400 soldats et artilleurs, et les habitants les plus marquants, quittèrent la colonie pour rentrer en France.

L’année d’après (décembre 1761), un arrêt du Conseil d’État décidait l’ouverture d’une instruction contre « les auteurs des monopoles, abus, vexations et prévarications qui avaient été commis en Canada. »

Ce procès dura deux ans et se termina par la condamnation de Bigot et de neuf de ses complices. Bigot, pour son compte, jeté à la Bastille, fut condamné ensuite au bannissement perpétuel du royaume, et ses biens furent confisqués.

Le gouvernement de Louis XV, qui prétendait châtier (un peu tard) les dilapidations honteuses qu’il avait laissé commettre, commettait lui-même une véritable banqueroute en refusant de payer les lettres de change tirées par les Canadiens sur le Trésor, qui leur devait plusieurs millions[22]. C’est par cette iniquité criante que ce gouvernement indigne payait le dévouement de ces braves « qui avoient tout sacrifié, disait d’eux M. de Lévis, pour la conservation du Canada. » Ce désastre, joint à tout ce que la colonie avait souffert déjà, n’était-il pas fait pour desserrer le lien qui rattachait les Canadiens à la France et pour leur faire supporter plus patiemment le nouvel ordre de choses qu’allait consacrer le traité de Paris ?

Ce traité, signé le 10 février 1763, vint mettre le sceau de la consommation aux malheurs que la guerre de Sept-Ans avait déchaînés sur la France, et particulièrement sur ses colonies. En même temps qu’elle cédait les Indes (sauf Pondichéry et quelques comptoirs) et plusieurs Antilles à l’Angleterre, elle abandonnait à la même puissance cette Nouvelle-France où, depuis plus de deux siècles, son drapeau avait été planté, où tant de vaillance, tant d’abnégation, tant de fermeté avaient été dépensés pour le maintenir et le rendre glorieux.

L’article 2 de ce néfaste traité portait ce qui suit : « Le roi de France renonce à toutes les prétentions qu’il a formées ou pu former autrefois sur la Nouvelle-Écosse ou Acadie, en toutes ses parties, et la garantit tout entière, avec toutes ses dépendances, au roi de la Grande-Bretagne. De plus S. M. très chrétienne cède et garantit à S. M. britannique, en toute propriété, le Canada avec toutes ses dépendances ainsi que l’île du Cap-Breton et toutes les autres îles dans le golfe et dans le fleuve Saint-Laurent, sans restrictions et sans qu’il soit libre de revenir, sous aucun prétexte, contre cette cession et garantie, ni de troubler la Grande-Bretagne dans les susdites possessions. »

De tout cet immense territoire qui s’étendait du banc de Terre-Neuve aux montagnes Rocheuses ou même à la Mer Vermeille comme on désignait alors l’Océan Pacifique, la France ne garda rien, que deux petites îles, voisines de Terre-Neuve, Saint-Pierre et Miquelon[23], avec un droit de pêche sur les côtes Est et Ouest de l’île de Terre-Neuve mais sans le droit de fonder sur ces côtes d’établissements fixes).

Mais ce n’est pas tout, et par le même traité, la France cédait à l’Espagne, en compensation des pertes auxquelles elle l’avait entraînée par suite du pacte de famille, outre Minorque que nous avions prise sur les Anglais, la Louisiane qui ne comptait sans doute encore que peu de colons, mais qui valait pourtant la peine d’être conservée[24]. Ainsi tout l’hémisphère américain se trouva partagé entre les Anglais et les Espagnols. Ainsi encore disparut la « Nouvelle France » d’Amérique qu’avaient voulu constituer et développer les François Ier, les Coligny, les Champlain, les Poutrincourt, les Henri IV, les Richelieu, les Colbert, tous ces génies si éminemment français. Elle succomba victime du nombre, victime surtout de l’impéritie et des folies d’un gouvernement déshonoré. Elle succomba en léguant à la vieille France, dont les événements la séparaient ainsi brutalement, le souvenir de tout un passé glorieux de découvertes, d’aventures, de batailles, de vaillantises de toute nature, qui ont ajouté de si nobles pages au livre d’or de la vieille race Gauloise. Mais retenons aussi de cette histoire cette leçon que, plus que personne peut-être, nous avons besoin de nous répéter constamment à nous-mêmes : c’est que l’esprit d’entreprise, la valeur personnelle, les qualités brillantes et chevaleresques, les dons d’un cœur généreux et bouillant ne valent pas, pour les succès définitifs, durables, les qualités plus modestes de la persévérance, de la suite dans les entreprises, de la ténacité au travail, de l’opiniâtreté dans l’effort !

Il est bien évident, pour qui relit ces annales des colonies anglaises et françaises sur le sol du Nouveau-Monde que la France, ayant mis pied sur ce continent avant l’Angleterre, à qui elle était d’ailleurs fort supérieure, il y a trois siècles, en puissance, eût pu gagner la partie dans cette bataille où se décidait probablement cette question capitale de savoir à laquelle des branches de la famille humaine appartiendra la suprématie de l’univers. Que lui eût-il fallu pour cela ? Entretenir avec soin sa marine militaire et marchande de façon à pouvoir défier sur mer toute puissance rivale ; favoriser le mouvement de colonisation qui se serait volontiers porté vers l’Amérique française, surtout pendant l’ère des persécutions religieuses ; accueillir les huguenots au lieu de les pourchasser et de les tuer ; en dernier lieu et quand il ne fut plus possible d’éviter la lutte avec les Anglais, soutenir au moins par des secours moins insuffisants les généraux qui conduisaient cette lutte, tâcher de reprendre l’avance perdue et établir à titre de colons sur les bords du Mississipi et de l’Ohio ces milliers d’hommes qu’on envoyait périr chaque année dans les guerres de Hollande ou d’Allemagne, employer là les millions engloutis dans les constructions dispendieuses de Versailles ou, plus tard, dans les orgies du Parc-aux-Cerfs.

Il est bien possible que cette Nouvelle-France ainsi fondée au delà des mers se serait un jour séparée de sa mère-patrie, comme le firent vingt ans plus tard les colonies anglaises devenues les États-Unis d’Amérique. C’est la destinée des peuples comme des individus que devenus grands, « ils quitteront leur père et leur mère ». Mais qu’importe ? C’eût été toujours la France avec sa langue, instrument si parfait, et si précis de la pensée, de la philosophie, du droit, des belles-lettres, la France avec une religion peut-être et une civilisation supérieures, la France avec son grand cœur, tutrice bienveillante et non destructrice de la race américaine, de la race rouge, la France, qui ne se fût jamais accomodée d’une législation esclavagiste, une France fille de la nôtre et qui eût probablement mieux valu que l’ancienne.

C’est là ce que ne comprit jamais Voltaire qui s’accommoda si aisément de la perte des « glaces » du Canada. C’est ce que ne comprirent ni Bernis, ni Choiseul, ni les autres ministres de cette triste cour de Louis XV. Ils se consolèrent peut-être avec la pensée « que les colonies anglaises, animées par la victoire, et n’étant plus contenues par la crainte des Français et le besoin d’un appui », se révolteraient bientôt contre leur métropole et contre les gênes qui étouffaient leur commerce et leur industrie. « Mais, remarque justement M. Laboulaye[25], si ce fut la pensée qui décida M. de Choiseul à signer l’abandon du Canada, quelle fausse et médiocre politique ! Sans doute il était bien de prévoir que les colonies, en grandissant, se détacheraient de l’Angleterre et briseraient un jour sa toute-puissance maritime ; mais ce qu’il était aisé de comprendre, c’est que dans cette immense territoire s’établirait bientôt, un empire aussi grand et aussi peuplé que l’Europe, et un empire anglais de mœurs, d’idées, de langage, de religion. Un homme d’État eût risqué la France pour sauver le Canada et conserver à la civilisation française une part du nouveau continent. Céder, c’était signer l’affaiblissement de notre race ; la part que la France a prise à la révolution d’Amérique a bien pu laver son injure, mais elle n’a pas relevé sa puissance abattue. »

  1. Biographie universelle. Art. Montcalm. Voir aussi dans le Mercure de France, de janvier 1760, une biographie de Montcalm. M. Dussieux suggère l’idée que les renseignements en ont été fournis par M. Doreil, alors commissaire des guerres au Canada et qui était très dévoué au général.
  2. Voir Dussieux : Le Canada sous la domination française, pp. 168 et suiv.
  3. Lettre à M. de Cideville.
  4. Lettre à M. de Moncrif du 27 mars 1757.
  5. Dussieux, p. 159.
  6. Le dernier des Mohicans.
  7. Malgré notre bonne-foi évidente et l’honorable conduite que le marquis de Montcalm avait tenue dans cette affaire, les Anglais, faisant sonner fort haut ce qu’ils appelaient notre infraction, refusèrent de tenir les conditions de la capitulation.
  8. Dialogues des morts, de Johnstone.
  9. Dussieux. — Ch. de Bonnechose, Montcalm et le Canada.
  10. 1 Cette lettre est reproduite tout au long dans le Mercure de France, janvier 1760, p. 211.
  11. Dussieux, p. 200.
  12. Précis du siècle de Louis XV, ch. 34.
  13. Mémoires de M. Joannès, major de Québec, sur la campagne de 1755.
  14. Relation du Major Joannès.
  15. Un monument à la mémoire des deux généraux (Wolfe et Montcalm a été élevé à Québec, en 1827. (Voir plus loin, à la description de cette ville, à l’avant-dernier chapitre). Montcalm et Wolfe, ces deux adversaires si dignes l’un de l’autre, se trouvent ainsi rapprochés dans la gloire comme ils le furent dans la mort.
  16. Les instructions de M. de Vaudreuil lui ordonnaient, il est vrai, de « ne pas attendre que l’ennemi l’emportât d’assaut », mais encore eut-il dû tenir jusque-là.
  17. Dussieux, p. 226.
  18. Traducteur anonyme du Voyage d’Isaac Weld.
  19. Ibidem.
  20. Lettre du chevalier de Lévis au ministre de la guerre, citée par M. Dussieux.
  21. Dussieux.
  22. L’argent monnayé ayant toujours été rare au Canada, on avait paré à cette pénurie par ce qu’on appelait la « monnoie de carte » ou de papier. (Sur cette monnaie de carte, voir un art. de M. Lareau dans la Revue de Montréal, année 1878). En 1717, par arrêt du conseil royal, le cours de ces billets fut réduit à la moitié de leur valeur nominale ; le gouvernement de la régence acquitta ces billets ainsi réduits en promettant de les retirer de la circulation et de les remplacer par de la monnaie d’or et d’argent. En fait, on se contenta de faire frapper, en 1821, des monnaies de cuivre à la marque : Colonies françaises, dont personne ne voulut pour les échanges, et la « monnaie de carte » revint en circulation : « L’argent de ce pays est différent de celui de France et craint extrêmement l’eau et le feu, écrivait en 1734, l’abbé J. Navières : ce sont des cartes de différentes grandeurs sur lesquelles sont les armoiries de France, les noms du gouverneur, de l’intendant et du contrôleur. Toutes les affaires se font avec cet argent de papier. » À la conquête quatre millions et demi de livres sterling étaient encore entre les mains des habitants, et c’est ce papier que le Trésor refusait alors de rembourser. À la paix pourtant, le gouvernement français consentit à payer aux Canadiens trois millions en contrats et six cent mille louis en argent. (Sulte. — Ferland.)
  23. Encore le traité stipulait-il l’interdiction pour la France de les fortifier. Mais le traité de paix conclu à Versailles en 1783, après la guerre de l’Indépendance des États-Unis, supprima cette clause restrictive, en sorte que la France recouvra la pleine propriété de ces deux îlots, avec le droit de les fortifier et d’y établir une force militaire. Telle est encore la nature du droit exercé aujourd’hui par la France sur ces deux pêcheries qui, après avoir été prises deux fois par les Anglais en 1793 et en 1803, après la paix d’Amiens, sont définitivement rentrées sous la domination de la France en vertu du traité de Paris, du 30 mai 1814. Depuis la reprise de possession qui a eu lieu seulement au commencement de 1816, les expéditions de pêche ont repris leur ancienne activité dans ces deux îles dont la population sédentaire est surtout composée d’Acadiens français, et grâce aux encouragements accordés par la métropole, ces expéditions se sont incessamment accrues.
  24. La Louisiane devait revenir à la France en 1701, pour être cédée, en 1811, aux États-Unis, contre la somme de 80 millions de francs.
  25. Article sur le 1er vol. de l’Histoire de la révolution américaine, de Bancroft, inséré dans le Journal des Débats du 28 mai 1852.