Imitations de Plotin (S. Basile)/De l’Esprit-Saint

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Les Ennéades de Plotin,
Traduction de M. N. Bouillet
Imitations de Plotin par S. Basile : Traité De l’Esprit-Saint (extraits)


SAINT BASILE.
TRAITÉ DE L’ESPRIT SAINT[1].

… Il est impossible que celui qui écoute l’Esprit-Saint se représente une essence circonscrite dans un lieu (1), sujette à des altérations et à des changements, ou semblable en quoi que ce soit à la créature (2), mais il doit, s’élevant par la pensée à ce qu’il y a de plus

grand (1), concevoir nécessairement une essence intellectuelle, infinie par sa puissance, illimitée par sa grandeur, qui ne peut être mesurée par le temps ni par les siècles (2), et qui fait part libéralement des biens qu’elle possède (3). C’est vers cette essence que se tournent tous les êtres qui ont besoin d’être sanctifiés ; c’est à elle qu’aspirent tous ceux qui vivent conformément à la vertu (4) ; c’est elle qui répand sur eux son souffle comme une rosée (5), et les aide à atteindre le but de leur nature. Elle donne aux autres êtres la perfection, et elle ne manque elle-même de rien (6) ; bien loin de vivre d’une

vie empruntée, elle communiqué elle-même la vie (1) ; au lieu de s’augmenter par des accroissements successifs, elle possède de tout temps la plénitude, étant édifiée sur elle-même et présente partout (2). Elle est le principe de la sanctification, la lumière intelligible qui répand sa clarté sur tous les êtres raisonnables pour les aider à découvrir la vérité (3). Elle est inaccessible par sa nature, mais participable par sa bonté : elle remplit tout de sa puissance, mais elle ne se communique qu’à ceux qui en sont dignes ; elle ne se communique pas à tous dans la même mesure, mais elle proportionne son action à la foi (4). Étant simple par elle-même, cette essence est variée par ses puissances (5). Elle est présente

tout entière à chacun, elle est partout présente tout entière (1). Elle se divise en demeurant impassible, et elle se communique en restant entière (2), semblable à la lumière du soleil, laquelle est présente à celui qui en jouit comme s’il était seul, et cependant éclaire la terre et la mer et pénètre l’air (3). De même l’Esprit-Saint est présent à chacun de ceux qui le reçoivent comme s’il était seul, et cependant il verse sur tous une grâce suffisante qui ne se fractionne pas. Ceux qui participent à l’Esprit-Saint ne reçoivent pas de lui tout ce qu’il peut donner, mais seulement ce que comporte leur propre nature (4).

Si l’Âme entre en commerce avec l’Esprit-Saint, ce n’est pas en s’approchant de lui d’une manière locale : comment en effet pourrait-elle s’approcher corporellement de ce qui est incorporel (1) ? c’est en se séparant des passions qui sont nées en elle par suite de son inclination pour la chair et qui lai ont fait perdre l’intimité de Dieu (2). Se purifier de la turpitude des souillures que le vice lui a imprimées, recouvrer sa beauté naturelle, et rendre sa forme première à une royale image en lui rendant sa pureté (3), c’est la seule voie ouverte à l’âme pour s’approcher du Paraclet (4). Celui-ci, comme le soleil, si ton œil est purifié (5), te fera voir en lui l’image de

elles goûtent une joie qui n’a pas de fin, elles demeurent en Dieu (1), elles lui deviennent semblables (2), et, ce qui comble leurs désirs, elles deviennent Dieu même (3).

Telles sont les idées que nous avons sur l’Esprit-Saint, et que, par ses propres entretiens, il nous a fait concevoir (pour nous borner ici à quelques points) sur sa grandeur, sa puissance et ses opérations. (Saint Basile, Traité de l’Esprit-Saint, ch. IX ; t. III, p. 19-20, éd. Garnier.)

PLOTIN.
RAPPROCHEMENTS.

(1) Il existe un Être véritablement universel ; le monde que nous voyons n’en est que l’image… Ce qui est postérieur à cet Être universel doit, pour exister, être en lui, puisqu’il dépend de lui, que sans lui il ne saurait ni subsister ni se mouvoir… Mais l’Être universel n’a pas besoin d’être dans un lieu ni dans quoi que ce soit. (Enn. VI, liv. IV, § 2 ; t. III, p. 306.)

(2) L’Être est éternel, immuable, incapable de rien recevoir, de rien s’adjoindre, etc. (Enn. III, liv. VI, § 6 ; t. II, p. 139.)

(1) Concevez que le fondement sur lequel repose notre monde est dans l’Être qui existe partout et qui le contient. Représentez-vous leur rapport uniquement par l’esprit, en écartant toute dénomination de lieu. (Enn. VI, liv. IV, § 2 ; t. III, p. 307.)

(2) Si nous reconnaissons une pareille nature pour infinie, puisqu’elle n’a pas de bornes, n’avouerons-nous pas que rien ne lui manque ?... L’Être intelligible, étant la nature première, n’a pas d’étendue mesurée ni limitée, parce qu’il est la puissance universelle, sans nulle grandeur déterminée. Il n’est pas non plus dans le temps, parce que le temps se divise continuellement en intervalles, tandis que l’éternité demeure dans son identité, domine et surpasse le temps par sa puissance perpétuelle, quoique celui-ci paraisse avoir un cours illimité. (Enn. VI, liv. V, § 4 et 11 ; t. III, p. 346 et 359.)

(3) C’est le caractère d’une puissance inépuisable de communiquer ses dons à toutes choses, de ne pas souffrir qu’aucune d’elles en soit déshéritée, puisqu’il n’y a rien qui empêche chacune d’elles de participer du Bien dans la mesure où elle en est capable. (Enn. IV, liv. VIII, § 6 ; t. II, p. 490.)

(4) Le Bien que tu atteins n’est pas différent de celui que j’atteins moi-même ; il est le même… Étant tous contenus dans un seul et même principe, nous voyons le Bien et nous le touchons tous ensemble par la partie intelligible de notre être. (Enn. VI, liv. V, § 10 ; t. III, p. 357-358.)

(5) Ainsi l’Âme, étant toujours illuminée, illumine à son tour les choses inférieures, qui subsistent par elle, comme les plantes se nourrissent de la rosée, et qui participent à la vie, chacune selon sa capacité. (Enn. II, liv. IX, § 3 ; t. I, p. 263.)

(6) Le Bien est le principe dont tout dépend, auquel tout aspire, d’où tout sort et dont tout a besoin. Quant à lui, il est complet il se suffit à lui-même, etc. (Enn. I, liv. VIII, § 2 ; t. I, p. 118.)

(1) L’Âme universelle communique la vie à chacun ; elle contient toutes les âmes et toutes les intelligences. (Enn. VI, liv. IV, § 14 ; t. III, p. 332.)

(2) L’Être éternel n’est pas divisé. Il subsiste toujours de la même manière et dans le même état, ne naît ni ne périt, n’occupe ni place ni espace, ne réside pas en un lieu déterminé, n’entre ni ne sort, mais demeure en lui-même… Quand les autres choses sont édifiées sur lui, il ne cesse pas pour cela d’avoir son fondement en lui-même. Si ce fondement venait à être ébranlé, aussitôt toutes les autres choses périraient, puisqu’elles auraient perdu la base sur laquelle elles reposaient. (Enn. VI, liv. V, § 2 et 9 ; t. III, p. 343 et 354.)

(3) La Raison est aussi tout entière pour tous ; elle est commune pour tous, parce qu’elle n’est pas différente en différents lieux, etc. (Enn. VI, liv. V, § 10 ; t. III, p. 355.)

(4) La nature inférieure participe à l’Intelligible parce que l’intelligible est présent partout, quoique, par suite de l’impuissance des choses qui le reçoivent, il ne soit pas aperçu tout entier dans chacune d’elles. (Enn. VI, liv. V, § 11 ; t. III, p. 360.)

(5) Toutes les choses qui peuvent participer à l’Âme y participent en effet, mais chacune reçoit d’un seul et même principe une puissance différente… Quoique l’Âme universelle soit présente tout entière au corps de l’homme, elle ne lui devient pas propre tout entière : c’est ainsi que les plantes et les animaux autres que l’homme n’ont également de l’Âme universelle que ce qu’ils sont capables de recevoir d’elle. De même, lorsqu’une voix se fait entendre, tel ne perçoit que le son, tel autre perçoit aussi le sens. (Enn. VI, liv. IV, § 12 et 15 ; t. III, p. 328 et 334.)

(1) Il y a ainsi une foule d’êtres qui aiment une seule et même chose, qui l’aiment tout entière, et qui, lorsqu’ils la possèdent, la possèdent tout entière dans la mesure où ils en sont capables : car c’est tout entière qu’ils souhaitent la posséder. Pourquoi donc cet Être ne suffirait-il pas seul à tous en demeurant en soi ? Il suffit précisément en demeurant en soi : il est beau, parce qu’il est tout entier présent à tous (Enn. VI, liv.  V, § 10 ; t. III, p. 355.)

(2) L’Âme est à la fois divisée et indivise ; ou plutôt, elle n’est jamais divisée réellement, elle ne se divise jamais : car elle demeure tout entière en elle-même. Si elle semble se diviser, ce n’est que par rapport aux corps, qui, en vertu de leur propre divisibilité, ne peuvent la recevoir d’une manière indivisible. (Enn. IV, liv.  II, § 1 ; t. II, p. 257.)

(3) On regarde comme présents à l’Être intelligible les êtres qui sont capables de le recevoir. L’Être existe partout dans ce qui est être, ne se manquant ainsi nulle part à lui-même. Tout ce qui peut lui être présent lui est présent dans la réalité, lui est présent, dis-je, dans la mesure où il le peut, non d’une manière locale, mais comme le diaphane est présent à la lumière. (Enn. VI, liv.  IV, § 11 ; t. III, p. 326.)

(4) Puisque l’Être intelligible ne s’éloigne pas de lui-même, qu’il n’est pas divisé, qu’il existe dans plusieurs choses à la fois sans en éprouver aucun changement, qu’il existe en lui-même un et tout entier à la fois, il doit, tout en existant dans plusieurs choses, rester partout identique, c’est-à-dire être tout à la fois en lui-même et hors de lui-même. Il en résulte qu’il n’est en nulle chose déterminée, mais que les autres choses participent de lui, en tant qu’elles

sont capables de s’approcher de lui et qu’elles s’approchent de lui dans la mesure où elles en sont capables. (Enn. VI, liv.  V, § 3 ; t. III, p. 344.)

(1) Comme l’Être universel n’est ni voisin d’un lieu, ni éloigné d’un autre, il est nécessairement présent tout entier dès qu’il est présent ; par suite, il est présent tout entier à chacune de ces choses dont il n’est ni voisin ni éloigné ; il est présent aux choses qui peuvent le recevoir. (Enn. VI, liv.  V, § 2 ; t. III, p. 310.)

(2) Platon recommande de séparer l’âme du corps ; il ne parle pas d’une séparation locale, que la nature seule établit ; il veut que l’âme n’incline pas vers le corps, ne s’abandonne pas aux fantômes de l’imagination et ne devienne pas ainsi étrangère à la raison. (Enn. V, liv.  I, § 10 ; t. III, p. 23.)

(3) L’âme, affranchie des passions qu’engendre son commerce avec le corps quand elle se livre trop à lui, délivrée des impressions extérieures, purifiée des souillures qu’elle contracte par son alliance avec le corps, enfin réduite à elle-même, dépose cette laideur qui ne lui vient que d’une nature étrangère à la sienne. (Enn. I, liv.  VI, § 5 ; t. I, p. 107.)

(4) Pour s’élever à la contemplation de l’Âme universelle, l’âme doit en être digne par sa noblesse, être affranchie de l’erreur et s’être dérobée aux objets qui fascinent les regards des âmes vulgaires, etc. (Enn. V, liv.  I, § 2 ; t. III, p. 5.)

(5) Si tu essaies d’attacher sur la Beauté suprême un œil souillé par le vice, impur et dépourvu d’énergie, ne pouvant supporter l’éclat d’un objet aussi brillant, cet œil ne verra rien, quand même on lui montrerait un objet naturellement facile à contempler. Il faut

d’abord rendre l’organe de la vision semblable à l’objet qu’il doit contempler. Jamais l’œil n’eût aperçu le soleil s’il n’en avait d’abord pris la forme ; de même, l’âme ne saurait contempler la Beauté si d’abord elle ne devenait belle elle-même. (Enn. I, liv. VI, § 9 ; t. I, p. 112.)

(1) L’Intelligence est l’image de l’Un, etc. (Enn. V, liv. I, § 7 ; t. III, p. 15.)

(2) En atteignant le Bien, l’Intelligence en prend la forme (car c’est du Bien qu’elle tient sa forme), et elle devient parfaite, parce qu’elle en prend la nature. Il faut juger ce qu’est l’archétype d’après la trace qu’il laisse dans l’Intelligence, concevoir son vrai caractère d’après l’empreinte qu’il y fait. (Enn. III, liv. VIII, § 10 ; t. II, p. 235.)

(3) Ce monde divin répand la lumière sur tous d’un lieu invisible ; en s’élevant au-dessus de son horizon sublime, il projette partout ses rayons, il inonde tout de sa clarté… En l’apercevant, ceux qui peuvent le contempler attachent leurs regards sur lui et sur tout ce qu’il contient… Tout brille dans le monde intelligible, et, en couvrant de splendeur ceux qui le contemplent, les fait paraître beaux eux-mêmes, etc. (Enn. V, liv. VIII, § 10 ; t. III, p. 126.)

(4) Quand nous contemplons l’Un, nous atteignons le but de nos vœux et nous jouissons du repos ; nous ne sommes plus en désaccord et nous formons véritablement autour de lui un chœur divin, etc. (Enn. VI, liv. IX, § 10 ; t. III, p. 557.)

(1) C’est en l’Un que nous respirons, c’est en lui que nous subsistons : car il ne nous a pas donné une fois pour s’éloigner ensuite de nous ; mais il nous donne toujours, tant qu’il demeure ce qu’il est, ou plutôt tant que nous nous tournons vers lui ; c’est là que nous trouvons le bonheur ; nous éloigner de lui, c’est déchoir. C’est en lui que notre âme se repose ; c’est en s’élevant à ce lieu pur de tout mal qu’elle est délivrée de ses maux ; c’est là qu’elle pense, là qu’elle est impassible, là qu’elle vit véritablement. (Enn. VI, liv. IX, § 9 ; t. III, p. 558.)

(2) On peut, sans crainte de se tromper, affirmer que la disposition d’une âme ainsi réglée, d’une âme qui pense les choses intelligibles et qui reste impassible, est ce qui constitue la ressemblance avec Dieu. (Enn. I, liv. II, § 3 ; t. I, p. 56.)

(3) Alors, l’âme peut voir Dieu et se voir elle-même, autant que le comporte sa nature ; elle se voit brillante de clarté, remplie de la lumière intelligible, ou plutôt elle se voit comme une lumière pure, subtile, légère ; elle devient Dieu, ou plutôt elle est Dieu. (Enn. VI, liv. IX, § 9 ; t. III, p. 660.)


  1. Sur cet extrait de S. Basile, Voy. ci-dessus l’Avertissement, p. 622. On retrouve ici toute la doctrine développée dans l’Ennéade VI, livres IV et V, l’Être un et identique est partout présent tout entier.