Jérôme de Stridon/Commentaires sur le prophète Abdias

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Jérôme Œuvres complètes, trad. Bareille, tome 8, 1879
Traduction par Bareille.
Louis Vivès (p. 487-508).

COMMENTAIRES SUR LE PROPHÈTE ABDIE[modifier]

UN LIVRE.[modifier]

PROLOGUE.[modifier]

« Quand j’étais enfant, je parlais comme un enfant, j’avais les sentiments et les pensées d’un enfant : dès que je suis devenu homme, j’ai dépouillé ce qui tient à l’enfance. » 1Co. 13, 11. Si l’Apôtre a pu progresser, s’il oubliait chaque jour les choses laissées en arrière, pour s’étendre vers celles qu’il avait devant lui ; si, fidèle au précepte du Sauveur, dès qu’il a mis la main à la charrue, il ne retourne plus la tête ; Phi. 3, 1 seqq. Luc. 9 ; à combien plus forte raison, moi qui n’ai pas encore atteint l’âge de l’homme parfait et la mesure du Christ, Eph. 4, 1 seqq. ne dois-je pas me faire pardonner d’avoir, dans mon adolescence, poussé par l’amour et le goût des saintes Écritures, allégoriquement interprété le prophète Abdias, alors que j’en ignorais le sens historique. Mon esprit était enflammé pour la science des mystères ; ayant lu que tout est possible à celui qui croit, je ne savais pas qu’il y a des grâces diverses ; possédant la faible instruction du siècle, je me persuadais que je pouvais lire le livre scellé. Insensé que j’étais ! Les vingt-quatre vieillards qui tiennent dans leurs mains les urnes et les cithares, ainsi que les quatre animaux pleins d’yeux, se lèvent de leur trône, confessant leur impuissance, quand ils chantent la gloire de l’Agneau, le rejeton de la racine de Jessé ; Apo. 5, 1 ss ; et je comptais pouvoir ce que je croyais, moi qui n’avais pas en mon pouvoir la parole de Dieu, ni le droit de dire : « Par vos commandements j’ai compris ; » Psa. 118, 104 ; moi qui ne me souvenais pas de cette béatitude évangélique : « Heureux ceux dont le cœur est pur, parce qu’ils verront Dieu. » ! Mat. 5, 8. Le charbon retiré de l’autel n’avait pas encore purifié IDes lèvres. Isa. 6, 1 seqq. L’erreur provenant de l’ancienne ignorance n’était pas encore dissipée par le feu de l’Esprit saint, et je disais hardiment au Seigneur : « Me voici, envoyez-moi. »

J’espérais que mon écrit restait caché dans mes tablettes, j’avais même voué aux flammes ce téméraire essai d’un esprit novice, quand tout-à-coup un eXèmplaire me fut apporté d’Italie par un jeune homme pas plus âgé que je ne l’étais moi-même lors de cette composition, et louant fort mon opuscule. Il n’est donc auteur de si mauvais écrit, me disais-je avec surprise, qui ne trouve un admirateur digne de lui. Il se répandait en éloges, j’étais dans la confusion ; il portait au ciel ma pénétration mystique, et moi, baissant la tête, j’étais dans l’impossibilité de confesser ma honte. Est-ce à dire pour cela que nous condamnons les premiers jeux de notre enfance ? Nullement ; nous savons que dans le divin tabernacle étaient offerts l’or et le poil des chèvres. Nous avons lu dans l’Évangile, Mrc. 12, 1 seqq. que les deux deniers de la pauvre veuve furent mieux agréé que les présents des riches. Nous avons alors donné ce que nous avions ; maintenant, si même nous avons fait quelques progrès, nous rapportons à Dieu ses propres dons. « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis. » 1Co. 15, 10. Pendant ces trente années, je n’en disconviens pas, aucune fatigue, aucune difficulté ne m’a détourné de son œuvre. Il est un père clément ; il se hâte d’accueillir le fils qui revient à lui ; il n’attend pas qu’une autre main ouvre la porte. Poussé par la jalousie, le frère aîné a beau traiter le second d’impudique et d’étranger, la symphonie des chœurs célestes et l’accord de toutes les vertus célèbrent le retour du prodigue. Luc. 15, 1 ss.

C’était le temps, cher Pammachius, ce temps plus doux que la lumière, où, sortant de l’école des rhéteurs, nous entrions dans des voies diverses, quand le bien-aimé Héliodore et moi avions résolu d’habiter ensemble le désert de la Syrie chalcidique. Ce que je croyais caché fut lancé dans le public. Je repasserai donc par une route déjà parcourue, redressant, si c’est possible, les linéaments irréguliers. Enfant, je ne savais pas écrire ; mes doigts tremblaient, ma main était incertaine. Aujourd’hui, si je n’ai pas appris autre chose, du moins ai-je gravée dans l’esprit cette sentence de Socrate : « Je sais que je ne sais rien. » Cicéron, ton auteur préféré, disait de même que des essais incomplets lui avait échappé dans son adolescence. S’il a pu parler ainsi de ses livres à Hérennius et de ses traités de rhétorique, que j’estime si parfaits, quand il les comparait aux fruits mûrs de sa vieillesse, combien plus suis-je en, droit de distinguer entre les préludes de l’enfance et les travaux d’un âge avancé ? Dans ses livres contre Marcion, Tertullien exprime le même sentiment, comme Origène dans son explication du Cantique des cantiques, et Quintilien dans son traité de l’institution oratoire. Il résulte clairement de là que chaque âge a sa perfection relative et que, dans son jugement, il faut tenir compte du nombre des années. Mais il est temps d’aborder l’exode d’Abdias et de passer, avec le secours de vos prières, puisque ce volume vous est dédié, la mer furieuse et les tourbillons impétueux du siècle.

COMMENCEMENT DU LIVRE.[modifier]

« Vision d’Abdias. » Les Hébreux prétendent que ce Prophète est celui qui, sous Achas, roi de Samarie et la sacrilège Jésabel, nourrit cent autres Prophètes réfugiés dans les grottes et qui n’avaient pas ployé le genou devant l’idole de Baal, au nombre de ces sept milles fidèles qu’Élie aurait méconnus, toujours selon l’opinion des Hébreux. Le tombeau d’Abdias est encore honoré dans notre époque, avec le mausolée du prophète Élisée et celui de Jean-Baptiste, dans la ville de Sébaste, l’ancienne Samarie. Hérode, roi de Judée et fils d’Antipater, lui donna ce nom en l’honneur de César-Auguste, traduisant en grec ce dernier mot. C’est parce qu’il avait nourri cent Prophètes qu’il reçut le don de prophétie ; de chef d’armée, il devint chef d’Église. Il avait d’abord alimenté un petit troupeau dans la Samarie : maintenant, il alimente les églises du Christ dans l’univers entier ; et, de même que, dans les Actes des Apôtres, le nom d’Étienne le couronne de son propre martyre, de même son nom nous manifeste en lui le serviteur de Dieu. Ce qu’il voit, concernant l’Idumée, n’est plus un fardeau, un poids accablant, conforme à ce que nous avons établi par rapport au prophète Nahum ; et voici pour quelle raison : Edom ou Esaü n’est pas rangé parmi les nations étrangères, Esaü étant fils d’Isaac et frère de Jacob. Aussi sa terre n’est-elle pas livrée au pouvoir d’Israël, et celui-ci n’a-t-il pas le droit de l’attaquer ; il lui est défendu de s’armer contre son frère. On pourrait dire encore que cette vision ne regarde pas l’Idumée, ce qui serait l’objet d’une question, si c’était écrit ; c’est la vision d’Abdias, c’est-à-dire « du serviteur de Dieu ; » elle regarde les nations auxquelles le Seigneur envoie son ministre. Il leur dit : « Levez-vous et marchons au combat contre elle. » La description de l’Idumée est l’objet de la vision de Nahum. On nous demandera peut-être pourquoi, ce titre étant posé, « Vision d’Abdias », il n’est rien dit ensuite de ce que le Prophète a vu, tandis que nous lisons dans Isaïe : « J’ai vu le Seigneur Sabahot assis sur un trône élevé et sublime ;» Isa. 6, 1 ; et dans Ézéchiel : « Les cieux se sont ouverts, et j’ai vu les visions de Dieu ; » puis aussitôt : « J’ai vu, et le souffle de la tempête venait de l’Aquilon avec un grand nuage, et la splendeur enveloppait ce nuage », Eze. 50, 1 et seqq. Dans la vision d’Abdias, on lit immédiatement : « Voici ce que le Seigneur dit à Edom ; » et encore : « Je t’ai placé comme un petit enfant au milieu des nations. » Il prend exemple du Deutéronome, où se voient plutôt les paroles que les faits. « Veille sur toi et garde courageusement ton âme, de peur que tu n’oublies les discours que tes yeux ont vus. » Deu. 4, 9. Jean dit aussi : « Ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons perçu, ce que nos mains ont palpé concernant le Verbe de vie. » 1Jn. 1, 1. Moïse avait de même dit qu’il voyait la voix du Seigneur, quand elle lui parlait. Exo. 20.

Si donc après l’annonce de la vision viennent de simples paroles, si les yeux de l’âme voient ce que les oreilles du corps ont coutume d’entendre, c’est à bon droit que le voyant adopte ce titre de vision ; car les Prophètes étaient jadis appelés voyants. « Voici que le Seigneur dit à Edom. » C’est ici un petit prophète par le nombre de versets, mais non par la grandeur des pensées. Ainsi, dans les trois volumes de Salomon, le Cantique des cantiques est d’autant plus difficile qu’il est plus bref. Nous avons exprimé déjà combien renferme de sens l’épître à Philémon. Le texte évangélique n’est lui-même que le discours abrégé, quand on le compare au vaste développement de la loi. De même ici le Prophète, serviteur de Dieu dans l’ordre d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de Moïse, de la parole même du Christ, entend et voit des choses dignes de sa fonction prophétique. Beaucoup, se rapportant à l’étymologie de son nom, pensent que celui-là est le serviteur de Dieu à qui Dieu lui-même dit dans Isaïe : « C’est une grande chose pour toi d’être appelé mon serviteur ; » Isa. 44, 6, d’après les Septante ; lui qui s’est anéanti jusqu’à prendre la forme d’un serviteur. Phi. 2, 1 seqq. Mais, si nous l’entendons de cette manière, il nous faudra chercher un autre envoyé qui se rende auprès des nations. En nous attachant à la signification tropologique, nous perdons la plus manifeste des prophéties. Nous avons donc à trouver quel est cet Edom, quelle est cette Idumée, à qui le Seigneur parle maintenant par Abdias. Nous voyons clairement dans la Genèse qu’Esaü, fils d’Isaac, reçut le nom d’Edom, parce qu’il vendit son droit d’aînesse pour un plat de rousses lentilles ; Gen. 25, 1 ss ; Edom signifie roux ou couleur de feu. Dans le même livre, il est écrit qu’il fut encore appelé Séir, ce qui veut dire velu ; car il était couvert de poil et n’avait pas la peau douce de Jacob. Il est donc désigné par trois différents noms, Esaü, Edom, Séir ; il posséda cette région qu’on appelle aujourd’hui terre de Gébal, sur les confins de la cité libre, primitivement habitée par les Horréens, ou hommes libres, d’après la signification de leur nom, qui resta dans la suite à cette même cité. Edom, comme les Hébreux l’appellent, ou l’Idumée, selon l’expression des Grecs, est aujourd’hui un petit bourg de la Palestine qui garde le nom de son fondateur, et l’histoire latine en fait mention, aussi bien que l’histoire grecque. C’est à lui que Dieu parle ainsi par Amos : « À cause des trois crimes d’Edom, et même à cause de quatre, je ne le convertirai pas ; il a frappé son frère avec le glaive, abusé de sa douceur, dépassé les bornes de la colère et gardé son ressentiment jusqu’à la fin. » Amo. 1, 11 et seqq. Nous lisons également dans Isaïe, selon le texte hébreu : « Le fardeau de Duma crie vers moi de Séir : Sentinelle, que se passe-t-il dans la nuit ; sentinelle, que se passe-t-il dans la nuit ? » Isa. 21, 11. Jérémie, à son tour, concorde avec cette prophétie : « N’existe-t-il plus de sagesse dans Théman ? » Jer. 49, 7 ; et la suite jusqu’au dernier verset, où il est dit : « Et le cœur des forts de l’Idumée sera dans ce jour comme le cœur d’une femme dans le travail de l’enfantement. » À part l’ordre, qui se trouve changé, et d’autres différences apparentes, la majeure partie d’Abdias est contenue dans le volume de Jérémie. Voilà les montagnes de Séir contre lesquelles se corroborait la face d’Ézéchiel et dont il est dit : « Je rendrai la montagne de Séir déserte et désolée ; » et un peu plus loin : « Tu seras dispersée, montagne de Séir, et l’Idumée tout entière. »

Il serait trop long de remuer toutes les Écritures et de citer les passages qui se rapportent aux montagnes de Séir. Malachie surtout y revient incessamment, et déjà dès le début : « Esaü n’était-il pas le frère de Jacob ? dit le Seigneur ; j’ai aimé Jacob, j’ai pris en aversion Esaü ; j’ai livré ses montagnes à la solitude et son héritage aux dragons du désert. Si l’Idumée dit : Nous avons subi la destruction, mais nous reviendrons et nous relèverons nos ruines, voici ce que répond le Seigneur des armées : Eux, édifieront, et moi je détruirai ; on les appellera les frontières de l’impiété, un peuple contre lequelle Seigneur est à jamais irrité. » Mal. 1, 2 et seqq. Ayant donc appris que l’Idumée est en opposition à la terre promise, et ayant lu qu’Esaü est ennemi de Jacob et qu’il y a un peuple contre lequel le Seigneur est irrité à jamais, nous devons savoir, selon les lois de la tropologie, que cette parole a été prononcée ou contre les Juifs, adversaires des chrétiens et persécuteurs de leur frère Jacob, ce peuple supplantateur qui leur a ravi leur droit d’aînesse, ou bien contre les hérésies et les dogmes contraires à la vérité, qui tout en paraissant n’être pas éloignés de nous, sont d’autant plus nos ennemis, et s’efforcent de chasser de la maison paternelle l’homme simple et qui habite la maison de Jacob. Or, comme Idumée est aussi interprétée terrestre, et qu’à cause de sa couleur rouge elle peut être dite ensanglantée, c’est pour cela que le Sauveur présentant à son Père la victoire qu’il a remportée sur le monde, pendant que les Anges criaient de concert : « Ouvrez vos portes, ô princes, et le roi de gloire entrera ; » Psa. 23, 7 ; et que dans Isaïe ils interrogent avec étonnement : « Qui est celui-ci qui vient d’Edom et de Bosor, vêtu d’une robe roussâtre, qui éclate dans la beauté de ses vêtements ? Isa. 63, 1. Et ils lui disaient aussitôt : « Pourquoi votre robe est-elle rouge, et vos vêtements sont-ils comme les habits de ceux qui foulent la vendange dans le pressoir ? » Ibid. 2. Le Sauveur répond triomphalement, en exposant le trophée de sa croix : « J’ai été seul à fouler le pressoir, sans qu’aucun homme d’entre les nations fût avec moi. » Ibid. 3. Il en est qui rapportent l’Idumée à la chair, et qui pensent que l’âme est provoquée à la combattre, en sorte que, mortifiant sur la terre nos membres, la fornication, l’impureté, toutes les passions, nous remportions dans le Christ une victoire éternelle. C’est en vain que les Juifs rêvent que cette prophétié regarde Rome et l’empire romain ; et que dans ce passage d’Isaïe « Fardeau de Duma », on peut, avec une légère modification dans la forme de la lettre, au lieu de Daleth, lire Res ; ces paroles alors se rapportent à Rome, attendu que la lettre vau se prend en leur langue pour u et pour o.

« Nous avons entendu la parole du Seigneur, et il a envoyé un ambassadeur aux nations : Levez-vous et marchons ensemble contre Edom pour le combattre. » Abd. 1, 1. Les Septante portent : « J’ai entendu la parole du Seigneur, il a mis une défense dans les nations : Levez-vous, et marchons ensemble contre Edom pour le combattre. » Il constate dès lors, comme nous l’avons dit plus haut, qu’Edom n’est autre que l’Idumée, puisque dans l’hébreu est nommé celui-là même qui l’a fondée, et dans le grec, la ville qui a été bâtie par lui. Donc, Abdias et tous les Prophètes pareillement (car ils écrivent tous contre Edom), ont appris qu’avait été envoyé aux nations un ambassadeur, Jésus-Christ homme, médiateur de Dieu et des hommes, dont le Père céleste dit aussi par Aggée : « J’ébranlerai tous les peuples, et le désiré de toutes les nations viendra. » Agg. 2, 8. Cet ambassadeur est appelé dans Isaïe : Ange du grand conseil et père du siècle futur. Isa. 9, 1 seqq. Les Septante ayant interprété ambassadeur par : défense, nous pouvons dire que Jésus-Christ est lui-même notre envoyé et notre défense, nous fondant sur le contexte des prophéties qui disent : « Levez-vous, et marchons ensemble contre lui ou contre elle, pour le ou la combattre. » L’ambassadeur qui a été envoyé aux nations fait entendre ces paroles : « Levez-vous, vous qui dormez, levez-vous d’entre les morts, et le Christ vous éclairera ; » Eph. 5, 14 ; et, de peur que le combat ne nous paraisse trop incommode et insolite, vous me trouverez, dit-il, le premier dans la mêlée. Je serai général en chef dans les combats, moi qui apparus, un glaive à la main, à Jesu, fils de Nave, et qui, avec le concours de Moïse, vainquis Amalec par l’étendard de ma croix. Exo. 17, 1 seqq. Jérémie, dans sa vision contre l’Idumée, n’en diffère pas de beaucoup : « J’ai entendu, dit-il ; une voix qui venait du Seigneur, et un ambassadeur a été envoyé aux nations : Assemblez-vous, venez contre elles et marchons tous ensemble pour les combattre. » Jer. 49, 14.

Il poursuit : « Je vous ai fait l’un des moindres peuples, et vous n’êtes digne que de mépris. Mais l’orgueil de votre cœur vous a élevé, parce que vous habitez dans les fentes des rochers, et qu’ayant mis votre trône dans les lieux les plus hauts, vous dites dans votre cœur : Qui m’en tirera, et me fera tomber à tere ? Quand vous vous élèveriez aussi haut-que l’aigle, et que vous mettriez votre nid parmi les astres, je vous arracherai de là, dit le Seigneur. » Abdi. 2 et seqq. Les Septante : « Voilà que je vous ai rendu le plus petit des peuples ; vous êtes bien méprisé. L’orgueil de votre cœur vous a élevé, vous qui habitez dans les crevasses des pierres, qui avez placé sur des hauts lieux votre habitation, et qui dites dans votre cœur : Qui me fera tomber par terre ? Quand vous vous élèveriez aussi haut que l’aigle, et que vous placeriez votre nid parmi les astres, je vous arracherai de là, dit le Seigneur. » Jérémie, dont nous avons fait mention plus haut, se sert presque des mêmes termes, lorsqu’il dit : « Voilà que je vous ai rendu petit entre les nations et méprisable entre les hommes ; votre insolence et l’orgueil de votre cœur vous a séduit, vous qui habitez dans les creux des rochers, et qui vous vous efforcez de monter jusqu’au sommet des collines. Quand vous auriez élevé votre nid aussi haut que l’aigle, je vous arracherais néanmoins de là, dit le Seigneur. Dans l’interprétation des Prophètes nous devons, suivant notre habitude, jeter d’abord les fondements de l’histoire, et ensuite, si nous le pouvons élever les tours et les combles des toits. Ô Edom, dit-il, quoique vous soyez la plus petite des nations qui vous environnent, et qu’en comparaison des autres nations le nombre de vos habitants soit petit, l’orgueil qui vous élève vous fait exagérer vos forces, et, quoique vous habitiez dans les cavernes et les creux des rochers, étant humble et bien pauvre, et n’ayant pas en votre possession d’édifice aux toits élevés, vous montez néanmoins, comme l’aigle, au plus haut des airs, et vous vous enflez tellement dans vos pensées, qu’il vous semble avoir votre habitation parmi les astres ; et, lors même que votre nature vous permettrait de vous élever dans les hauteurs des cieux, je vous en arracherais et je vous ferais tomber par terre, dit le Seigneur Dieu. Dans ce qui est ajouté dans Jérémie : « et vous vous efforcez de monter jusqu’au sommet de la colline », il a mis à découvert une énigme, signifiant par colline la montagne de Sion, et voulant qu’on entende par là, ou la ville même de Jérusalem, ou le temple qui a été bâti dans cette cité : Ceux qui traitent de la nature des oiseaux nous ont appris que l’aigle vole plus haut que tous les autres : on dit que telle est la vivacité de son regard, que, lorsqu’il plane au-dessus des mers, les ailes étendues et immobiles, à une hauteur si grande que les hommes le perdent de vue, il ne laisse pas de voir, d’une telle élévation, nager les petits poissons, et, lorsqu’ils sont près du rivage, il fond sur eux comme une machine de guerre, et, de ses ailes, il traîne sur les bords de la mer le butin qu’il a fait. Voilà ce que nous apprend l’histoire ; suivons en l’intelligence spirituelle. Quoiqu’il te semble, ô hérétique, que tu es grand, et que tu méprises l’Église, en considérant le petit nombre de ses membres, tu es néanmoins peu de chose (ou petit), dans les nations, tu es méprisable et bien méprisable. « Mais l’orgueil de ton cœur t’a élevé. Car quel est l’hérétique qui ne s’élève pas dans son orgueil, faisant peu de cas de la simplicité de l’Église, et regardant la foi comme une ineptie. « Vous qui habitez dans les fentes des rochers, et qui placez votre trône sur des lieux élevés. »

Quoique la pierre soit fréquemment employée pour exprimer la personne du Seigneur ou la fermeté, d’où il est dit par le Prophète : « Il a établi mes pieds sur la pierre ; » Psa. 39, 3 ; et il est dit à Pierre : Vous êtes Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; Mat. 16, 18 ; néanmoins, le mot pierre est pris fréquemment dans un sens opposé : « Je vous ôterai, dit-il, ce cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair ; » Eze. 36, 26 ; et : « Dieu est assez puissant pour susciter de ces pierres des enfants à Abraham. » Mat. 3, 9. Surtout ici où il ne dit pas : qu’il habite sur la pierre sur laquelle un architecte prudent bâtit sa maison ; mais dans les fentes de la pierre, pour signifier les scissions qui séparent les hérésies du Christ pierre et de son Église. Par les paroles qui suivent : « Ayant mis votre trône sur un lieu élevé », et il dit dans son cœur : « Qui me fera tomber à terre ? » il montre l’enflure de l’esprit hérétique, de ces hommes qui ont confiance dans leurs mystères et dans leurs secrets, et qui, autant qu’il est en eux (passez-moi cette hyperbole), se promettent le royaume des cieux. C’est à de tels hommes que s’adresse l’Apôtre, lorsqu’il écrit : « Vous régnez déjà sans nous, et plaise à Dieu que vous régniez, en sorte que nous aussi, nous régnions avec vous ! » 1Co. 4, 8. David parle à peu près dans le même sens : « Ils ont levé leur bouche vers le ciel, et leur langue a passé sur la terre. » Psa. 72, 9. S’ils montent aussi haut que l’aigle, – eux-mêmes s’arrogent le droit de se comparer aux aigles, qui se rassemblent sur le corps du Seigneur – s’ils bâtissent leur nid au milieu des astres, je les repousserai de là, dit le Seigneur. Mat. 13, 1 seqq. De même que, pendant le sommeil du père de famille, l’homme ennemi vient semer l’ivraie parmi le bon grain, de même ce grand aigle, Eze. 18, 1 seqq. aux larges ailes, aux membres développés, aux plumes abondantes et diverses, ayant un accès libre au Liban, enlève de la cime des cèdres, et plante sur les grandes eaux, dans la pensée que les plants deviendront ceux de la vigne, et brilleront plus tard parmi les astres de l’Église, dont il est dit : « Les justes étincelleront comme les étoiles. » Mat. 16, 43. J’ai dit plus haut que cela pouvait s’entendre aussi contre la domination de la chair ; car ses forces sont amoindries par l’avènement du Christ ; elle est désormais méprisable et soumise à l’empire de l’âme. C’est vainement qu’elle tache de s’élever, étant reléguée dans les cavernes de la pierre, des sens ou des pensées ; c’est vainement qu’elle veut subjuguer l’âme, exalter son pouvoir, se persuader que ses œuvres ne peuvent être dépassées. Il lui est signifié que ses efforts sont inutiles, qu’elle a beau se redresser, imiter le vol sublime de l’aigle, séduire même beaucoup de saints, le Seigneur l’a soumise et terrassée. Ce que nous disons des hérétiques et de la chair, on pourrait également l’entendre des Juifs.

« Si des voleurs s’étaient introduits chez toi, ou des brigands la nuit, comment te serais-tu préservé ? N’auraient-ils point pris tout ce qu’il leur eut fallu ? Si des vendangeurs étaient venus chez toi, ne t’eussent-ils pas laissé au moins un raisin ? Comment donc ont-ils scruté Esaü et fouillé toutes ses cachettes ? » Abdi. 5. Les Septante : « Si des voleurs ou des brigands étaient entrés chez toi pendant la nuit, où te serais-in conduit ? n’auraient-ils pas emporté ce qui leur eût suffi ? et si des vendangeurs étaient venus chez toi, n’eussent-ils pas laissé un raisin ? De quelle manière n’a pas été fouillé Esaü et n’a-ton pas surpris toutes ses cachettes ? » Jérémie tient le même langage, quoique dans un ordre différent : « Si des vendangeurs avaient fondu sur toi, est-ce qu’ils ne t’eussent point laissé un raisin ? Si c’eût été des voleurs de nuit, ils auraient dérobé sans doute ce qui leur aurait suffi. Mais moi, j’ai découvert Esaü, j’ai mis à découvert ce qu’il tenait caché, et impossible de le soustraire. » Jer. 49, 9-10. Voici ce qu’il dit : Si ces voleurs et ces larrons qui ont l’habitude de surprendre les habitations, la nuit, et de dérober ce qu’elles contiennent, avaient pénétré chez toi, ils auraient, à la faveur des ténèbres, fouillé tous les coins de ta maison et pris tout ce qui leur eût paru suffisant, mais ils auraient laissé quelque chose, ou par embarras ou par mégarde. Si des vendangeurs étaient venus à ta vigne, soit en ennemis pour la ravager, ou en ouvriers loués par toi dans le dessein de la vendanger, quelle qu’eût été l’attention apportée, ils auraient négligé toujours quelques grappes cachées sous la vigne ou sous les feuilles. Mais ces ennemis que le Seigneur a envoyés sur toi – il vise les Babyloniens et l’armée de Nabuchodonosor – ont fouillé tous les réduits, toutes les retraites, et les trous des cavités où tu te tenais. Et, en vérité, pour dire un mot du genre même de cette contrée, toute la partie méridionale des Iduméens, depuis Eleuthéropolis jusqu’à Petra et Aila, – c’est là qu’était Esaü – a de petits abris souterrains et des grottes profondes où l’on se retire à cause de la grande ardeur du soleil dans cette province, située au midi. « J’ai découvert Esaü », dit-il, c’est-à-dire, j’ai produit au grand jour ce qui était enfoui sous terre ; j’ai mis à découvert tout ce que tu renfermais, et tes biens que je recherche, de concert avec tes ennemis, il n’est pas de réduit qui puisse les tenir secrets. Autre sens : Ces voleurs et brigands qui s’introduisent la nuit, parce qu’ils sont les fils de la nuit et des ténèbres, me paraissent être les hérétiques, prêchant des dogmes contraires à la vérité, dérobant tout ce qu’il leur faut, et faisant diligence pour voler chaque jour le troupeau de l’Église. S’introduisant dans la vigne du Seigneur, qu’il a fait sortir de l’Égypte de ce monde, et dont il promet de boire le vin dans le royaume de son Père, Ils ne veulent que la détruire, n’y point laisser même un raisin. Mais le Seigneur fait, au contraire, que tous les secrets, tous les ténébreux mystères de cet Esaü, de ces patriarches d’erreurs, – je n’ai en vue, en effet, que les premiers inventeurs d’hérésies, – soient produits en plein jour par ses saints, les ecclésiastiques et les docteurs, et sa première victoire est de divulguer ce qu’ils tenaient caché, et de faire qu’on s’écrie avec admiration : « Voilà comment est pénétré Esaü et tous ses secrets découverts ! » Voyez comme Marcion, Valentin et tous les hérétiques, avec leurs doctrines diaboliques et leur conscience blasée, s’en font accroire, et comme s’ils les initiaient à quelque mystère divin, ils cherchent, par leur langage étudié, à tromper les âmes simples. Mais quand la parole divine aura démasqué à tous les yeux leurs Eons à trente, quarante, quatre-vingts exemplaires et par douzaines, et leur double dieu et leur monstrueux Abraxas, alors la prudence d’Esaü sera convaincue de démence et tous ses secrets manifestés.

« Tous tes alliés t’ont poursuivi jusqu’aux frontières ; ils t’ont joué et ont prévalu contre toi, tous ces hommes avec qui tu étais en paix » et qui mangeaient avec toi, ils te tendront des pièges ; il n’y a pas de prudence en lui. » Abdi. 7. Les Septante : « Ils t’ont envoyé jusqu’aux frontières ; tous les hommes de ton alliance t’ont résisté ; ils ont dressé des embûches sous tes pieds : il n’y a pas de sagesse en lui. » Il y en a qui pensent que le texte cité plus haut : « Voilà comment a été pénétré Esaü et tous ses secrets découverts », comprend les paroles : « usque ad terminos », de façon que le sens soit : tout ce que tu cachais et tous tes secrets ont été révélés jusqu’à la fin. Il nous paraît préférable qu’elles soient jointes à ce qui suit. À l’arrivée donc de Nabuchodonosor, dont Jérémie dit contre l’Idumée : « Voici qu’il montera comme un lion, des flots superbes du Jourdain, vers cette terrestre, terre forte et belle, parce que je le ferai s’élancer tout-à-coup sur elle. » Jer. 49, 49. Plus loin : « Voilà que, comme un aigle, il montera, il volera, il étendra ses ailes sur Bosra, et le courage des forts de l’Idumée sera ce jour-là comme celui d’une femme qui enfante », Ibid. 22, tous ceux qui, avant, étalent les alliés d’Edom et l’appui de sa ville superbe, l’ont abandonné, et, se joignant, aux ennemis, ils lui ont tendu des pièges : ils ont prévalu contre lui, et alors il a bien paru qu’Edom n’avait aucune sagesse, puisqu’il espérait en ceux qui se sont montrés ses ennemis. Autre sens : Lorsque les secrets d’Esaü et, pour ainsi dire, les mystères merveilleux avec lesquels il séduisait les peuples, auront été produits au grand jour, de façon que le fils de l’Église puisse dire : « Nous n’ignorons pas vos stratagèmes », Sir. 1, 6, alors on désertera les frontières d’Edom, on l’abandonnera, et, gagnant les champs de l’Église, on dévoilera ses doctrines perverses. Alors ses adeptes d’autrefois railleront leur maître, lui résisteront, disant qu’ils n’ont appris que le mensonge ; ils prévaudront contre lui, et, éclairés par la foi de l’Église, le convaincront de fausse doctrine. Ceux qui autrefois mangeaient, au sein de l’hérésie, non le pain de l’Eucharistie, mais le pain du deuil, le pain cuit sous la cendre et qu’on ne retourne point, poseront des questions sur l’Écriture, tendront des pièges à cet Iduméen maître habile dans œuvres de la chair, – nous trouvons l’hérésie rangée parmi les œuvres de la chair, Gal. 5, 1 seqq. – et alors on verra qu’il n’y a en Edom aucune sagesse.

« Est-ce que dans ce jour, dit le Seigneur, je ne perdrai pas les sages de l’Idumée et la prudence qui vient de la montagne d’Esaü ? Ils seront saisis de crainte, les hommes forts, à l’aspect du midi, afin que cette montagne d’Esaü voie péril tout homme digne de ce nom. » Abdi. 8, 9. Les Septante disent : « Dans ce jour, dit le Seigneur, je perdrai les sages de l’Idumée et l’intelligence de la montagne d’Esaü ; tes défenseurs pâliront à l’aspect de Theman, afin que l’homme soit exterminé de cette montagne. » Quand l’ennemi sera maître de tes frontières, quand tous les hommes de ton alliance te tourneront en dérision, et prévaudront contre toi, alors périra la sagesse de l’Idumée, et son habileté ne paraîtra plus que démence. Le Seigneur enlèvera lui-même toute prudence de la montagne d’Esaü, c’est-à-dire des montagnes de Seïr, ou bien parce que la ville de l’Idumée est située sur la montagne, ou bien parce que toute cette région, s’étendant vers le Midi et longeant le désert, est hérissée de montagnes escarpées. De là cette parole : « Tes défenseurs pâliront à l’aspect de Theman », ce que nous entendons par le Midi. Trois noms désignent Esaü, disions-nous plus haut ; de même la contrée qu’il occupe vers le Midi porte trois noms : Darom, Theman, Nageb; et ces noms, d’après Ezéchiel, répondent à la position topographique, Auster Africain, méridional. Quand donc les hommes forts de son royaume, habitant au Midi, seront frappés de terreur, la montagne d’Esaü sera privée de celui qui défendait la cité dans les batailles ou l’éclairait dans les conseils. Autre interprétation : Lorsque ceux qu’on avait d’abord égarés seront rentrés dans le sein de l’Église, périront sous les coups mêmes du Seigneur les sages de l’Idumée, qui mettaient leur sagesse dans les objets charnels et terrestres ; alors disparaîtra de la montagne d’Esaü cette prudence qui s’élevait contre la science de Dieu ; alors aussi ceux qui combattaient auparavant pour Esaü, avec les armes de la dialectique étrangère, et qui occupaient les forteresses de Theman, dont le sens étymologique est consommation, cesseront de lutter pour leurs anciens maîtres. On peut ajouter ceci : Ceux qui, jusque-là, se promettaient la lumière de la sagesse et se croyaient en plein Midi, seront saisis de crainte, pâliront d’effroi ; le véritable ecclésiastique détruira leurs sophismes, au point qu’il ne restera plus personne qui soit en état de soutenir, par les conseils de la puissance royale ou la force des armées, l’orgueil et les aberrations des hérétiques.

« À cause de tes meurtres et de tes iniquités contre ton frère Jacob, tu seras couvert de honte et tu périras à jamais. Dans le jour où tu marchais contre lui, quand les nations étrangères s’emparaient de son armée, entraient par ses portes et jetaient au sort la ville de Jérusalem, toi-même comptais au nombre de ses ennemis. » Abdi. 10-11. Les Septante n’offrent pas dans ces versets une divergence qui mérite d’être signalée. L’homme fort périra sur la montagne d’Esaü, la sagesse disparaîtra de l’Idumée ; il n’y restera plus de prudence, parce que tu n’as pas épargné ton sang, à cause de ton injuste et perfide conduite envers ton frère Jacob : quand les babyloniens et les Chaldéens dévastaient la Judée, assiégeaient la ville, pénétraient dans ses murs, tiraient au sort le partage du butin, ils t’avaient associé, tu figurais dans les rangs des ennemis. Encore une signification : Tous les maux énumérés fondront sur toi, peuple terrestre, cruel et sanglant Edom ; par ta fausse et mortelle doctrine, vomissant le blasphème contre Dieu, tu as commis un horrible fraticide. Nous lisons dans Salomon : « Il y en a qui, tout en parlant, tuent avec le glaive ; » Pro. 25, 13 ; ailleurs : « Le venin des aspics est sous leurs lèvres ; » Psa. 139, 4 ; et enfin : « Leur langue est un glaive acéré. » Psa. 56, 5. Tu seras donc couvert de honte et tu diras : « La confusion de mon visage m’a comme enveloppé. » Psa. 68, 8. Tu périras, non pour un temps de courte durée, mais pour toujours. Autant qu’il dépendait de toi, n’as-tu pas fait une blessure éternelle à ton frère ? et, nouvelle cause de châtiment, lorsque les étrangers détruisaient l’armée de Jacob, lorsqu’ils entraient par ses portes dans Jérusalem, autrefois ville pacifique, et qu’ils tiraient au sort ses dépouilles pour les partager entre eux, tu étais de ses ennemis. Nous lisons, nous voyons, nous expérimentons chaque jour que les Juifs et les hérétiques deviennent de plus méchants persécuteurs des chrétiens que les païens eux-mêmes. Nous pouvons appeler étrangers franchissant les portes de Jérusalem λογισμοὐσ, c’est-à-dire, les pensées perverses, et portes de Jérusalem, c’est-à-dire d’une âme en paix et voyant Dieu, les sens, par où pénètrent nos ennemis et se partagent les dépouilles de Jérusalem. Si nous avons regardé une femme avec concupiscence, Mat. 5, 1 seqq. la mort est entrée par nos fenêtres ; Jer. 9, 1 ss ; si notre oreille a accueilli le mensonge et de sanguinaires projets, c’est par une autre porte qu’est entré l’ennemi. L’odorat, le goût, le toucher, excités par la douceur des parfums, la délicatesse des mets ou la sensualité des caresses, deviennent des portes par où sont entrés les ennemis et se sont partagés les dépouilles de cette malheureuse Jérusalem. À l’heure donc où la persécution et la mortelle volupté fait faillir quelqu’un dans l’Église, nous voyons les hérétiques tressaillir, le Juif se réjouir, être comme un des persécuteurs et se ranger parmi les païens.

« Et tu ne mépriseras pas ton père au jour de son affliction, au jour de son pèlerinage ; et tu ne te réjouiras point sur les enfants de Juda, au jour de leur ruine, et n’auras point d’orgueilleuses paroles au jour de son malheur. « Les Septante : « Et tu ne mépriseras point le jour de ton frère dans le jour des étrangers ; et tu ne te réjouiras pas sur les enfants de Juda au jour de leur perte, et tu ne parleras pas orgueilleusement au jour de sa détresse, ni tu ne passeras pas les portes des peuples au jour de leur affliction. » C’est le même sens que plus haut. Lorsqu’à cause du massacre et de sa dureté contre son frère Jacob, il tombera un homme de la montagne d’Esaü, et qu’il sera couvert d’une confusion éternelle, il ne fera point ce qu’il a fait antérieurement contre son parent j il ne dédaignera pas, il n’insultera pas en voyant son frère traîné en captivité et ne se réjouira pas sur les enfants de Juda. Les deux tribus, en effet, qui régnaient à Jérusalem, sont devenues captives des Chaldéens. Tu n’en tireras point vanité, et comme si tu étais un des vainqueurs, tu ne te réjouiras pas de la détresse de ton frère. Au jour de la ruine et de la désolation de mon peuple, tu n’entreras pas en insulteur dans Jérusalem. Tu ne le feras donc point, parce que de pareils revers te menacent. Encore, quand tu verras ton frère, victime de persécutions diverses, déchoir de la foi de l’Église, s’écarter de son sein pour suivre des doctrines étrangères, ne t’en réjouis pas, parce que pareille chose vous attend. Tu te réjouissais, en effet, quand Jacob était pris, du sort des fils de Juda, en qui nous pouvons voir les disciples du Christ, tu triomphais le jour de leur perte. Cela veut dire que l’âme est placée entre le vice et la vertu, et qu’à chaque instant elle peut dévier d’un côté ou de l’autre. « Tu ne seras pas orgueilleux en paroles, au jour de l’affliction. » Ce que nous pouvons entendre doublement, et de l’affliction du corps dans les persécutions et les péchés, et de la détresse spirituelle, quand l’âme, dominée par ses ennemis et les vices, aura été emmenée à Babylone. « Et tu n’entreras point par la porte de mon peuple au jour de leur ruine. » Quand le doute ou la volupté nous opprime, et que la conscience malheureuse a rabattu de sa fermeté première, alors, facilement nous inclinons vers les maximes contraires, qui flattent notre erreur sans guérir nos blessures. Un soulagement à la misère, c’est encore de pouvoir espérer.

« Tu ne le mépriseras point, ni au milieu de ses maux, ni au jour de sa dévastation, et tu ne te mettras point contre son armée le jour de sa dévastation ; ni tu ne te tiendras pas aux passages pour faire péril ceux qui fuiront, et tu n’enfermeras point ceux qui resteront au jour de la tribulation. » Les Septante : « Et tu ne mépriseras point son rassemblement au jour de leur perte, ni tu ne t’élèveras contre leur force le jour de leur ruine, ni tu ne te trouveras pas dans les issues pour mettre à mort ceux d’entre eux qui se seront sauvés, et tu n’enfermeras pas leurs fuyards au jour de la tribulation. » Lorsque tu auras été pris toi-même et défait par le Babylonien impitoyable, n’ajoute pas à ce que tu as fait, en n’observant point ce qui suit : tu ne dédaigneras pas, tu ne mépriseras pas ton frère Jacob au jour de sa dévastation ; tu ne t’adjoindras pas à l’armée de Babylone ou tu ne te mettras pas contre l’armée de Juda, lorsque, vaincue par ses ennemis, elle aura tourné le dos. Dès qu’ils auront commencé de fuir par des chemins à eux connus, par les détours et les sentiers qui mènent à la solitude, tu ne te tiendras pas à la jonction des chemins, ni dans les avenues à surveiller ceux qui viennent, pour massacrer ceux qui se seront sauvés ou emprisonner les autres, et cela, ou pour en faire des captifs toi-même ou les livrer à l’ennemi. Ceci soit dit d’après l’histoire, car nous ne devons qu’effleurer ce qui est clair, pour passer aux choses obscures. Qui des hérétiques n’a point dédaigné les membres de l’Église ? qui ne se réjouit de leurs maux ? Si parfois, à cause des péchés, les peuples sont livrés à la persécution, et qu’il advienne que plusieurs, d’une foi faible ou sans profondes racines, faiblissent dans leur croyance, vous les voyez triompher, battre des mains, faire de notre ruine leur propre victoire, au point, qu’ils s’unissent aux Gentils et que la persécution devient plus cruelle par le fait des Juifs ou de ceux qui feignent d’être nos frères et s’appellent du même nom ; et lorsque quelqu’un s’échappe par la fuite ou par la pénitence, ils s’embusquent dans les issues, et, avec des sophismes et des témoignages qu’ils présentent comme étant de l’Écriture, ils offrent à ces hommes fatigués, accablés, comme des coussins cousus pour leur tête, et les placent sous leurs membres endoloris. Par là il arrive que ceux qui ont triomphé de la persécution par leur courage, ou l’ont évitée par crainte, trompés par des doctrines perverses, se retrouvent emprisonnés par l’erreur, et cette persécution est pire que celle des Gentils. Plus facilement, en effet, on échappe aux chaînes des païens qu’on ne se dégage des subtilités des hérétiques.

« Car est proche le jour du Seigneur pour toutes les nations ; il te sera fait comme tu as fait. Il fera retomber sur ta tête ce que tu as mérité et comme tu as bu sur ma sainte montagne, les nations boiront sans interruption ; et elles boiront et jusques à la lie et elles seront comme si elles n’avaient point été. » Les Septante : « Parce que le jour du Seigneur est proche pour toutes les nations, il te sera fait comme tu as fait. Ce que tu as mérité te sera rendu sur ta tête. Parce que comme tu as bu sur ma montagne sainte, toutes les nations boiront le vin ; elles boiront jusques à la lie et elles seront comme si elles n’avaient point été. » Tout cela, ô Idumée, tu cesseras de le faire, parce que la vengeance du Seigneur va descendre sur toi ; car si, d’après Jérémie, Jer. 25, 1 seqq. ceux sur qui ne planent pas la condamnation de boire ce calice, y ont bu à longs traits, serais-tu laissé comme innocent ? tu ne seras point innocent, mais tu boiras pleinement. Quant à ce qu’il dit : « Le jour du Seigneur est proche pour toutes les nations », lisons le même Jérémie et nous verrons le calice du Seigneur présenté à toutes les nations. Aussi est-il dit : « Le calice d’or de Babylone, dans la main du Seigneur, enivre toutes les nations ; » toutes les nations, en effet, jusqu’à la Propontide, les mers Scythique, Ionienne et l’Archipel, ont été sous le sceptre de l’Assyrie et de Babylone. Lisons Hérodote et l’histoire grecque et barbare et nous verrons comment, sous ces dominateurs, s’est réalisée cette parole : « Le jour du Seigneur est proche sur toutes les nations. » Le sens de ce qui suit : « Comme tu as fait, il te sera fait, ce que tu as mérité se retrouvera sur ta tête », est celui que nous lisons dans le Psaume : « Souvenez-vous, Seigneur des enfants d’Edom, disant au jour de Jérusalem : Détruisez, détruisez jusqu’à ses fondements en elle. » Psa. 136, 7. Aussi le Prophète jette contre Babylone cette imprécation : « Malheureuse fille de Babylone, heureux qui te rendra ce que toi-même tu nous as fait ! heureux qui saisira et écrasera tes petits enfants contre la pierre ? » Ibid. 8-9. De même, ô Sion, que tu as bu sur ma montagne sainte avec les Babyloniens et tu t’es réjouie, ainsi toutes ces nations que le Babylonien avait dans sa main avec toi, se retournant contre toi, boiront et se réjouiront ; et non-seulement ils boiront, mais ils t’absorberont tellement que l’Idumée sera comme si elle n’eût point été. Les nations elles-mêmes, après t’avoir absorbée, le seront par les Mèdes, et ainsi, comme Israël fut dévoré par toi, tu le seras par Babylone, Babylone par le Mède et le Perse ; tel sera le cours de la vengeance divine. Suivons l’ordre de l’interprétation. Il est prochain, ô hérétique, le jour du Seigneur pour toutes les nations, et près de nous le jour du jugement où seront jugés tous les peuples. Ce que tu fis aux enfants de l’Église sera changé en douleur pour sa tête, et ton iniquité retombera sur ton front. De même que tu t’es réjoui de leur perte et que tu l’as célébrée par des fêtes et que sur ma sainte montagne, c’est à-dire l’Église, tu as bu, non mon calice, mais celui du diable, dont il est dit dans Habacuc : « Malheur à celui qui donne à son prochain le breuvage troublé de la dérision », Hab. 2, 15, ainsi toutes les nations ou les forces contraires préparées aux supplices ou les puissances ennemies boiront et absorberont ton sang jusqu’au jour suprême où le châtiment ayant lieu pour tous, elles-mêmes soient comme si elles n’avaient point été. Celui qui meurt à celui qui est et qui dit à Moïse : « Celui qui est m’envoie vers vous », Exo. 3, 14, selon la manière des Écritures, est dit n’être point. Aussi dans Esther lisons-nom : « Ne livrez point, Seigneur, votre royaume à ceux qui ne sont pas. » Est. 14, 11. Ce passage peut être interprété d’une autre manière : Parce que vous vous êtes réjouis de la ruine de mes serviteurs, pareille persécution viendra contre vous et vous souffrirez selon ce que vous avez fait ; et comme vous vous êtes réjouis avec les autres nations contre mon peuple, ainsi toutes les nations se réjouiront contre vous, vous dévoreront et boiront et vous perdront dans une persécution semblable. « Mais sur la montagne de Sion sera le salut et elle sera sainte et la maison de Jacob possédera son héritage ; et la maison de Jacob sera un feu, et la maison de Joseph une flamme, et la maison d’Esaü une paille sèche, et ils y mettront le feu et ils les dévoreront, et il ne restera rien de la maison d’Esaü, parce que le Seigneur a parlé. » Abdi. 17-18. Les Septante : « Sur la montagne de Sion sera le salut, et ce sera saint, et la maison de Jacob possédera son héritage ; et la maison de Jacob sera un feu, et la maison de Joseph une flamme, et ils y mettront le feu, et ils les dévoreront et il n’en restera pas un pour en porter la nouvelle, car le Seigneur a parlé. » L’Idumée détruite et dévorée par ces nations ennemies avec qui elle s’était unie auparavant contre Jacob, ce qui restera sera sur la montagne de Jacob et elle sera le salut, et elle sera sainte, ce qui signifie, ou que le Seigneur reviendra dans le temple qu’à cause des péchés il avait abandonné, ou qu’il sera absolument saint, c’est-à-dire le Saint des saints ; et la maison de Jacob possédera, sous Zorobabel et Esdras et Néhémie, ceux qui l’avaient eue en héritage ; et la maison de Jacob, c’est-à-dire Juda, sera un feu, la maison de Jacob, c’est-à-dire les dix tribus, une flamme ; de Joseph était né Ephraïm, de la tribu duquel fut le royaume de Samarie. Quant à la maison d’Esaü, c’est-à-dire des Iduméens qui s’étaient montrés si durs, si cruels contre leur frère, elle sera changée en paille desséchée ; et comme le feu et la flamme en ont vite raison, ainsi ces deux États, réunis en une seule verge, selon Ezéchiel, saccageront l’Idumée, la dévoreront et de ce peuple il n’en restera pas un pour annoncer aux nations voisines la ruine de leurs ennemis. C’est ce que les Septante ont entendu dire par le mot πυρφὀρον, que nous avons traduit par « frumentaire », selon la manière antique de s’exprimer. Les anciens appelaient frumentaires ceux que nous appelons aujourd’hui pourvoyeurs ou courriers. Mais il vaut mieux suivre l’hébreu lui-même sarid, qui signifie soit « reste », d’après Aquila, ou « fugitif », selon Symmaque, ou « survivant », d’après Théodotion et la cinquième édition. Tout cela arrivera, parce que le Seigneur a parlé, et pour lui, avoir ordonné, c’est avoir fait. Autre interprétation : Quand les œuvres de la chair auront été détruites et l’empire terrestre désolé, le salut sera dans l’Église pour ceux qui ne se seront jamais éloignés de leur mère. En elle demeurera le saint, celui dont Isaïe dit : « Saint, saint, saint le Seigneur Dieu des armées », Isa. 6, 3, parce que celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés ne sont que de Dieu seul. Et la maison de Jacob, le supplantateur, possédera ceux qui l’avaient eue en héritage, en faisant des chrétiens de ses persécuteurs et recevant dans la foi de l’Église les Iduméens eux-mêmes ; mais la maison d’Esaü sera changée en paille, et comme le chaume ne peut soutenir le voisinage du feu, ainsi la maison d’Esaü ne pourra soutenir l’argumentation de Jacob, rendue de feu par la parole divine : « Les discours du Seigneur sont éprouvés par le feu ; » Psa. 17, 3-1 ; ni la flamme de Joseph, qui signifie « accroissement », et qui, vendu par ses frères, Gen. 37, 1 seqq. nourrit le peuple en Égypte ; mais au premier abord tous leurs sophismes seront mis à néant, et ils seront dévorés pour leur salut, selon la parole d’Isaac bénissant Esaü : « Mais c’est lui que j’ai établi ton maître et à lui que j’ai soumis tes frères : tu serviras ton frère ;» Gen. 27, 37 ; et il ne restera personne de la maison d’Esaü, quand tout, dans le ciel, sur la terre et dans les enfers fléchira le genoux devant le Christ, Phi. 2, 1 seqq. et qu’à lui tout sera soumis, pour que Dieu soit tout en toutes choses. Cependant, sur le fondement du Christ, Esaü aura élevé, par sa faute, du foin, de la paille et du bois, 1Co. 3, 1 seqq. voilà pourquoi la maison de Jacob et celle de Joseph se changeront en feu et en flamme, à l’imitation du Seigneur, qui dit : « Je suis un feu qui consume », Deu. 4, 24, pour que les pailles des péchés une fois détruites, le pur froment soit enfermé dans les greniers. Tout ce que nous avons dit et que nous devons dire, les Juifs se le promettent dans l’avenir, quand ils recevront l’Antechrist, réalisant la prophétie du Sauveur : « Je suis venu au nom de mon Père et vous ne m’avez point reçu ; s’il en vient un autre en son propre nom, vous le recevrez. » Jn. 5, 45. Tout ce que nous avons exposé contre l’Idumée, ils le rèvent contre l’empire romain, tandis que nous disons ou que cela s’est déjà accompli, d’après l’histoire, sous Zorobabel, ou selon la prophétie, et au sens mystique que cela se passe tous les jours dans l’Église, et dans le royaume de l’âme, contre la chair, en chacun de nous. Au figuré, disons que tout « frumentaire » a disparu du sein de l’hérésie, où il n’y a personne qui se puisse vanter d’avoir le grain de froment qui est mort en terre, ni le pain du ciel. Quelques-uns pensent que c’est non πορόφορον, ou « pourvoyeur », mais πυρφὀρον « qui peut porter l’étincelle », qui a été traduit par les Septante. Acquiesçant donc aux diverses interprétations, nous disons au figuré, que du sein de l’hérésie disparaîtra tout pourvoyeur, mais aussi celui qui feint d’avoir la lumière du Christ. Satan lui-même se transfigure en ange de lumière. 2Co. 11, 1 seqq. « Et ceux qui sont au Midi posséderont la montagne d’Esaü, et ceux qui sont dans la plaine, le pays des Philistins et la contrée d’Ephraïm et de Samarie ; Benjamin possédera Galaad. » Abdi. 19. Les Septante : « Et ceux qui sont dans Nageb posséderont la montagne d’Esaü, et ceux qui sont à Séphéla, le pays des étrangers et la montagne d’Ephraïm et les terres de Samarie et de Benjamin et de Galaad. » De retour dans leur royaume de Juda, ceux qui occupèrent le midi de cette région que leur divisa Josué, fils de Nave, et regarde le scorpion, c’est-à-dire tout l’Acrabith, occuperont la montagne d’Esaü, et tandis qu’ils étaient resserrés dans d’étroites limites, ils auront les montagnes de Séir et le pays accidenté qu’avait possédé Edom. Ceux qui habitaient dans Séphéla, c’est-à-dire les plaines où sont Lydda et Emmaüs, Diospolis et Nicopolis, auront la terre de la Palestine, les cinq villes qu’elle comprend : Gaza, Ascalon, Azot, Accaron, Geth, toute cette plage qui, d’après les Actes des Apôtres, est appelée Saron. Quelques-uns y voient pour cette Séphéla, ou la contrée qui avoisine Eleuthéropolis, la promesse de s’étendre jusqu’à Rhinocorura et jusqu’à la mer, c’est-à-dire que, depuis la tribu de Juda, ils occuperont non-seulement Eleuthère, mais le littoral de la mer, et qu’ils soumettront les Philistins, qu’antérieurement ils n’avaient pu soumettre. Les bornes des fils de Juda se dilateront jusqu’à Ephraïm, où se trouve maintenant Néapolis, et jusqu’à la terre de Samarie, où s’est bâtie Sébaste. Benjamin, dont les limites vont de Jérusalem vers le Septentrion, possédera toute l’Arabie, appelée autrefois Galaad et qui se nomme en se nomment Gerase ou Gerare. D’après les Septante, ce sera ceux qui auront été au Midi qui occuperont et la montagne d’Ephraïm et les terres de Samarie, de Benjamin et de Galaad. En a-t-il été ainsi ? Dieu l’a vu ; cela peut s’être fait, en partie, dans les cinq cents ans qui précédèrent la venue du Sauveur ; ce que je sais avec certitude, c’est que chaque jour le voit se réaliser et s’affirmer dans le royaume de l’Église. Ceux qui habitent au Midi, c’est-à-dire dans Nageb et sont dans la vraie lumière, et ceux qui occupent les plaines et les bas-fonds, c’est-à-dire ces disciples à qui il fut dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur », Mat. 11, 29, ceux-là occuperont la montagne d’Esaü et des Philistins que nous pouvons retrouver dans la personne des païens, à cause de l’orgueil de leurs doctrines et de leur éloquence mondaine. Oui, qu’ils soient comme sur la montagne les docteurs, et qu’ils se tiennent dans les plaines des Philistins et des étrangers les disciples que conduit l’autorité des docteurs. Et ce n’est pas seulement la montagne d’Esaü et le pays des étrangers qu’ils posséderont mais aussi la contrée d’Ephraïm et de Samarie. Fréquemment, dans l’explication d’Osée, nous avons voulu voir Ephraïm et Samarie dans les hérésies qui, sous un nom chrétien, divisent l’Église. Chez elles, disent-elles, c’est l’abondance, c’est l’intégrité de la foi. Or, Benjamin « le fils de la droite » et de la vertu, où se trouve le temple de Dieu, possédera Galaad qui veut dire « déplacement du témoignage » et représente le terrestre Israël ; et d’eux à nous, en effet, est passé le témoignage du Seigneur. Selon les Septante, ce seront ceux qui étaient au Midi qui occuperont Benjamin et Galaad.

« Et la transmigration de l’armée des enfants d’Israël occupera les · terres des Chananéens jusqu’à Sarepta, et ceux de Jérusalem qui avaient été transportés jusqu’au Bosphore obtiendront les villes du Midi. Et il montera des sauveurs sur la montagne de Sion, pour juger Esaü et le règne demeurera au Seigneur. » Abdi. 20-21. Les Septante : « Et la transmigration des enfants d’Israël au commencement aura la terre de Chanaan jusqu’à Sarepta, et la transmigration de Jérusalem jusqu’à Ephrata possédera les villes de Nageb ; et ceux qui auront été sauvés monteront de la montagne de Sion pour punir la montagne d’Esaü et le règne sera au Seigneur. » Dans ce passage, notre traduction s’éloigne sensiblement de la Vulgate ; aussi devons-nous suivre, dans l’exposition de l’histoire, le texte hébraïque. Ceux qui seront revenus de Babylone en Judée, d’après le livre d’Esdras et de Néhémie, seront appelés la transmigration. Toute cette portion des enfants d’Israël placée au Midi, à l’Occident et au Septentrion, occupera l’Idumée, la Palestine, la montagne d’Ephraïm et la Samarie. Benjamin, qui confine à la solitude, aura spécialement Galaad. Ils commanderont du côté de l’Orient à tout ce qui se trouve dans la terre des Chananéens, jusqu’à Sarepta des Sidoniens, où Elie fut autrefois nourri par la veuve. Ceux qui, de la ville métropole de Jérusalem, ont été transportés à Sapharad, que nous traduisons par Bosphore, posséderont les villes du Midi qui sont dans la tribu de Juda, et, de retour dans leur cité, ils obtiendront tout ce qui l’avoisine. Quand cela sera arrivé, de même que le Seigneur, nous dit le livre des Juges, envoyait des sauveurs qui retiraient son peuple de la captivité, ainsi il en paraîtra, il en viendra et traiter comme sujette et esclave la montagne d’Esaü, c’est-à-dire les Iduméens, et, tous étant réduits, le règne sera au Seigneur. Où nous avons dit « Bosphore », l’hébreu porte Sapharad ; je ne sais pourquoi les Septante ont traduit « Ephrata », quand Aquila, Symmaque et Théodotion concordent avec le texte hébreu. Nous, nous avons appris de l’Hébreu qui nous a initié dans les saintes Écritures, à appeler ainsi le Bosphore et à dire comme le Juif : Voilà cette contrée où Hadrien nous traîna en captivité. Quand donc notre Christ sera venu, la Judée nous verra revenir de cette captivité lointaine. Nous pourrions voir là un lieu quelconque de l’empire du roi de Babylone, quoique cependant je pense autrement. C’est la coutume des Prophètes, quand ils parlent contre Babylone, les Ammonites, Moabites, les Philistins où d’autres nations, d’user fréquemment de termes de leur langue et de garder le langage de ces pays ; or, comme borne ou limite, qui s’appelle en hébreu gebul, se dit en assyrien sapharad, voici quel me paraît en être le sens : La transmigration de Jérusalem, qui fut portée sur tous les lieux et dans tous les pays, recevra les villes du Midi, c’est-à-dire de sa tribu. Quant à l’expression que nous avons employée, « il viendra des sauveurs », et que les Septante ont traduite par « ceux qui auraient été sauvés », le terme hébreu en est Mosim, et qui ne veut point dire être sauvés, au passif, comme l’ont rendu Aquila et les Septante, mais qui doit être pris à l’actif, « sauveurs », ainsi que l’a fait Symmaque ; car « sauvés », en grec σεσωσμένοι, se dit en hébreu pheletim. Jusqu’ici, en expliquant l’histoire, nous avons conduit comme nous l’avons pu notre nacelle au milieu des anfractuosités des rochers ; tendons les voiles de l’interprétation spirituelle, et que le souffle du Seigneur, en nous découvrant ses mystères, nous fasse arriver joyeux au port.

À l’époque où Benjamin possédera Galaad, la transmigration de l’armée des fils d’Israël, ou le commencement de la transmigration de l’Israël terrestre, sera qu’il arrivera à la terre des Chananéens et que la parole prophétique qui mourait de faim dans la Judée, la toison d’Israël se trouvant desséché, passe à la terre arrosée des Gentils. Là, elle trouve à nourrir des cœurs qui la reçoivent, et son pain elle-même. Ou Sareptha est un composé de deux mots et veut dire « détresse de pain », ou c’est un seul mot qui signifie « incendie. » Chanaan veut dire σᾴλον, c’est-à-dire « agité », ou encore « négociant » et « humble. » Quand donc quittant la lettre qui tue, la transmigration en viendra à l’esprit qui vivifie, elle renversera tout ce qui tenait à la Loi ; elle engagera toutes ses pierreries pour la seule perle précieuse, et, déposant l’orgueil judaïque, embrassera l’humilité chrétienne et s’en ira jusqu’au lieu où antérieurement sévissait la disette, et où la veuve, délaissée par son Créateur, pouvait à peine nourrir son enfant ; là, tous ses péchés et tous ses vices seront détruits par les flammes. La captivité, ou la transmigration de Jérusalem, où était autrefois la vision de paix et qui est maintenant dispersée par toute la terre, possédera les villes du Midi, c’est-à-dire les Églises de la vraie et parfaite lumière et dira avec l’épouse dans la peine : « Où gardez-vous votre troupeau, où le faites-vous reposer au milieu du jour ? » Can. 1, 6, et ramenée dans l’ancienne fraternité de Joseph, elle s’enivrera du sang du pasteur et du prince. Si, selon les Septante, nous lisons Ephratha, nul doute qu’il ne faille entendre la foi du Christ. Ephratha, en effet, veut dire καρποφορία, c’est-à-dire abondance, et s’appelle Bethléem, où a paru le pain céleste. C’est après cela que les sauveurs, ou bien ceux qui auront été sauvés des restes du peuple juif monteront sur la montagne de Sion, pour juger et châtier la montagne d’Esaü. De même que le Seigneur, la vraie lumière, appelle ses Apôtres lumière et leur dit : « Vous êtes la lumière du monde », Mat. 5, 14, qu’étant, lui, la pierre, il a gratifié Pierre de ce nom, et, bon Pasteur par excellence, il les a appelés pasteurs et a voulu que tout ce qui est dit de lui-même se dise et soit vrai de ses serviteurs, ainsi, sauveur de tous, il a voulu que ses Apôtres fussent les sauveurs du monde et que, montés sur le haut sommet de la montagne de l’Église, confondant la fierté judaïque et toutes ces hauteurs orgueilleuses qui se dressaient contre la science de Dieu, ils aient préparé le royaume au Seigneur.

C’est en suivant l’autorité des anciens et surtout l’exposé hébraïque, que j’ai dicté rapidement ces deux opuscules ; j’ai ouvert ma bouche, je ne sais si le Christ l’aura remplie : Que la sagesse du lecteur recherche plutôt l’importance du sens que la beauté du langage. Nous ne dictons pas avec l’élégance étudiée de celui qui compose. Autre chose c’est, cher Pammachius, de tourmenter son style et d’écrire ce qui paraît digne de figurer, et autre chose d’être amené, par la vergogne de n’oser se taire, à dicter à des secrétaires tout ce qui se présente à la pensée. Nous aurons porté dans ce Prophète, et la témérité du jeune homme, et la présomption du vieillard. Si quelqu’un a dit mieux et plus vrai, embrassez son sentiment.