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Jean Chrysostome/Homélies sur la Genèse XXXIV à LXVIII

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Homélies sur la Genèse XXIV à LXVIII
Œuvres complètes de Saint Jean Chrysostome (éd. M. Jeannin, 1865)

TRENTE-QUATRIÈME HOMÉLIE.

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« Le Seigneur dit à Abram après qu’il se fut séparé de Loth : Lève les yeux à partir de la place où tu es maintenant, au nord et au midi, à l’orient et vers la mer, car toute cette terre que tu vois, je te la donnerai. » (Gen. 13,14-15).

ANALYSE.

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  • 1. Eloge de la douceur. – 2. Explication du passage de l’Écriture qu’on vient de lire. Dieu est si satisfait de la conduite qu’Abram a tenue à l’égard de Loth, qu’à peine Loth s’est-il éloigné que Dieu vient donner à Abram sa récompense. – 3. Imitons Abraham ; voici un pauvre, ne perdons pas une si belle occasion, donnons-lui l’aumône et Dieu nous rendra un « royaume dans le ciel. Dieu diffère l’accomplissement de sa promesse pour exercer la vertu du juste ; avant de donner un enfant à Sara ; il attend qu’elle ait humainement perdu l’espoir d’en avoir, pour mieux faire éclater sa puissance. – 4. Grandeur de la promesse que Dieu vient de faire à Abram. Abram va planter sa tente au pied du chêne de Membré. – 5-6. Exhortation à la constance dans la foi.


1. Vous avez appris hier, mes bien-aimés, combien le patriarche avait d’humilité et de douceur. En effet, il était extraordinaire de voir ce vieillard, auquel Loth devait tant de bienfaits, si favorisé du Maître de l’univers, traiter d’égal à égal avec un jeune homme, avec son neveu, au point de lui céder l’avantage, de prendre ce qu’il laissait, afin de tout faire pour éviter la guerre et supprimer toute cause de dispute. Cherchons tous à l’imiter, ne publions jamais nos louanges, ne tombons jamais dans l’orgueil. Ne nous distinguons que par notre modestie, efforçons-nous de passer pour inférieurs aux autres, en œuvres et en paroles, ne combattons jamais ceux qui nous ont fait tort quand même nous les aurions comblés de nos bienfaits (c’est là le comble de la sagesse) : ne nous fâchons d’aucune injure, même si elle vient de la part des inférieurs, mais apaisons toute colère par notre calme et notre douceur. Il n’y a rien qui montre plus de puissance et de force. C’est ainsi que notre âme parvient à être parfaitement tranquille, c’est là ce qui la maintient au port, pour ainsi dire, et facilite notre bonheur et notre repos. Voilà pourquoi le Christ nous donne ce divin précepte : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez du repos pour vos âmes. (Mt. 2,29) Car rien ne rend mieux à l’âme le repos et la tranquillité que la douceur et la modestie. Un diadème honore moins celui qui le porte ; l’illustration et la gloire n’ont rien qui vaille autant. Est-il, en effet, un plus grand avantage que d’être délivré d’une guerre civile ? L’extérieur a beau être en paix avec nous, ou même nous être soumis, si le trouble dé nos pensées cause à l’intérieur des tumultes et des séditions, à quoi nous servira la paix extérieure ? de même, que peut-il arriver de plus déplorable pour une ville, malgré tous ses murs et ses retranchements, que d’avoir des traîtres dans son sein ? Je vous conjure donc, de songer avant tout à calmer le trouble de votre âme, à la mettre en repos et à la délivrer de tous ses dégoûts, afin que vous-mêmes puissiez être tranquilles et doux pour ceux qui vous approchent. En effet, on reconnaît surtout un homme raisonnable à ce qu’il est calme, facile à vivre, doux, modeste et tranquille ; s’il ne se laisse pas entraîner comme un esclave par la colère ou par d’autres passions ; si la raison tempère son impétuosité naturelle, et l’empêche de tomber au rang des bêtes privées de sens. Et pour vous faire comprendre quelle est la force de la tranquillité et de la douceur, vertu qui peut à elle seule, si elle est pratiquée convenablement, mériter des louanges infinies, considérez que c’est elle qui est le plus célébrée chez le bienheureux Moïse et qui lui tresse la plus belle couronne. Moïse était le plus doux des hommes de la terre. (Nb. 12,3) Vous voyez qu’un si grand éloge ne laisse aucun homme au-dessus de lui et même le met au-dessus des autres hommes. L’Écriture dit encore de David : Souvenez-vous, Seigneur, de David et de toute sa douceur. (Ps. 131,1) C’est par là que notre patriarche a encore obtenu plus de bienveillance d’en haut, et qu’en cédant ce qu’il possédait, il en a été récompensé et au-delà, par la bonté de Dieu. Vous le saurez bientôt, quand vous aurez entendu la suite de l’instruction d’hier, et que nous aurons exposé à votre charité l’explication de la lecture qui vous a été faite. En effet, le patriarche, ayant eu l’extrême condescendance de laisser Loth choisir la meilleure part, se contente de la moins bonne afin d’éviter toute discussion ; voyez maintenant quelle récompense Dieu lui donne, et comment il l’indemnise des richesses qu’il avait méprisées en lui rendant bien plus encore. Car tel est pour nous le Seigneur. Si nous lui sacrifions la moindre chose, il nous la rendra avec usure, et sera si libéral que tout ce que nous avons fait ne sera rien en comparaison de ses bienfaits.
2. Voilà ce que chacun peut observer à l’occasion de tout acte de vertu qu’il accomplit. Est-il, dites-moi, rien de moins précieux que deux oboles ? Cependant pour avoir mis deux oboles dans le tronc des aumônes, cette veuve est restée célèbre depuis cet instant jusqu’à présent. (Lc. 21,3) Mais pourquoi parler de deux oboles ? Celui qui offre un verre d’eau froide en sera grandement récompensé, car Dieu couronne toujours l’intention de la vertu. Cela se voit encore à propos de l’assiduité dans les prières. S’il voit quelqu’un qui l’approche avec ferveur, il lui dit aussitôt : Je viens à toi tandis que tu parais encore. (Is. 65,24) Si cette assiduité ne se ralentit pas, si les prières sont faites avec un saint désir et une véritable ferveur, il les exauce et les couronne avant qu’elles soient formulées ; c’est ce que le Seigneur a fait à l’égard de la Chananéenne. Quand il vit son énergie et sa persévérance infatigable, il l’exalta et la couronna, pour ainsi dire, par ses éloges, au point de la rendre illustre aux yeux de toute la terre, et dépassa encore ses prières par sa générosité. Car après avoir dit O femme, ta foi est grande ! il ajouta : Qu’il soit fait comme tu le désires. (Mt. 15,28). Et si nous voulions prendre tous les exemples que nous offrent les saintes Écritures, nous y trouverions partout les preuves de la bonté du Seigneur. Aussi le patriarche, sachant bien que celui qui cède quelque chose obtient davantage, ainsi que vous l’avez vu hier, accorda tout à Loth et prit le pays le moins avantageux pour supprimer toutes les occasions de dispute, et faire renaître, par la force de sa vertu, le calme dans la maison. Mais voyons, par ce que l’on vient de lire, quelles récompenses il a reçues de Dieu pour tant de douceur.
Dieu dit à Abram, après qu’il se fut séparé de Lot : Lève les yeux à partir de la place où tu es maintenant, au nord, au midi, à l’orient et vers la mer : car toute cette terre que tu vois, je te la donnerai, ainsi qu’à ta race, jusqu’à la fin des siècles. Voyez avec quelle promptitude Dieu protège et récompense le juste. Voulant nous montrer combien la bonté de Dieu appréciait l’humilité du patriarche, l’Écriture sainte, après avoir dit que Loth s’était séparé de lui, pour aller dans le pays qu’il avait choisi comme plus avantageux, ajoute immédiatement : Le Seigneur dit à Abram. Ensuite, pour nous bien faire comprendre qu’il est récompensé de sa conduite avec Loth, elle dit encore : Dieu dit à Abram, après qu’il se fut séparé de Loth ; comme s’il lui eût parlé ainsi : Tu as eu assez de condescendance pour laisser à ton neveu la terre la plus avantageuse tu as montré une grande humilité, et tu as assez tenu à la paix pour tout faire dans le but d’éviter les disputes ; reçois donc les preuves de ma munificence : Lève tes yeux à partir de l’endroit où tu es maintenant, du côté de l’aquilon et du midi, de l’orient et de la mer toute cette terre que tu vois, je te la donnerai, ainsi qu’à ta race, jusqu’à la fin des siècles. Voyez-vous combien cette – récompense est encore supérieure aux actions qui l’ont méritée ? Le Dieu de bonté répète les mêmes paroles qu’avait employées le patriarche en cédant ses droits. Car celui-ci avait dit : Ne vois-tu pas toute la terre devant toi ? Sépare-toi de moi ; si tu vas à droite, j’irai à gauche, et si tu vas à gauche ; j’irai à droite. De même le Seigneur dit : Lève tes, yeux à partir de l’endroit où tu es maintenant ; toute cette terre que tu vois, le te la donnerai à toi ainsi qu’à ta race, jusqu’à la fin des siècles.
Voyez, je vous prie, quel excès de bienfaisance ! Tu lui as, dit le Seigneur, laissé le choix, tu lui as laissé prendre la terre qu’il a voulue, et tu t’es 'contenté de ce qu’il abandonnait. Mais moi, je serai si bienfaisant avec toi, que toute cette terre qui est là-devant tes yeux, de tous les côtés, du nord au midi et de l’orient au couchant, toute cette terre que tu vois t’appartiendra ; et non seulement à toi, mais à ta race jusqu’à la fin des siècles. Voyez-vous quelle munificence digne de la bonté divine ? Voyez-vous ce qu’il avait cédé et ce qu’il reçoit maintenant ? Apprenons par là à faire de larges aumônes afin de mériter une plus grande récompense au moyen d’une offrande qui sera toujours petite. En effet, cela peut-il se comparer ? Donner un peu d’argent et obtenir la rémission de ses péchés ? Nourrir un homme qui a faim, et être justifié dans ce jour terrible et entendre ces paroles préférables à un empire : J’avais faim, et vous m’avez donné à manger. (Mt. 25,35) Celui qui vous a procuré tant d’abondance n’aurait-il pas pu soulager la misère de cet indigent ? Mais il a permis que cet homme fût pauvre pour qu’il pût être généreusement récompensé de sa patience, et que vous-mêmes fussiez justifiés par l’aumône.
3. Admirez la bonté du Seigneur ! n’a-t-il pas tout disposé pour notre salut ? Aussi quand vous songez que c’est pour vous, dans votre intérêt que ce malheureux lutte avec la faim et la misère, ne passez point sans pitié, mais soyez un intendant fidèle des biens que le Seigneur vous a confiés, afin qu’en soulageant cet infortuné vous attiriez sur vous toutes les grâces d’en haut. Glorifiez alors le Seigneur de ce qu’il a permis la pauvreté de cet homme pour vous donner l’occasion de laver vos péchés, et qu’après avoir bien administré ce que le Seigneur vous avait prêté, vous méritiez son approbation qui est au-dessus de tout langage et de toute pensée. Il vous dira : Courage ; serviteur bon et fidèle ; tu as été fidèle à propos de petites choses ; je t’en donnerai de plus importantes ; entre dans la joie de ton Dieu. (Mat, 25,23) Si nous faisons ces réflexions, nous regarderons les pauvres comme des bienfaiteurs qui peuvent nous donner les occasions de faire notre salut ; il faut donc les secourir abondamment et de bon cœur, ne jamais les refuser, mais leur parler avec beaucoup de bienveillance et de douceur. Prêtez l’oreille au pauvre et répondez-lui avec douceur et bonté (Eccl. 4,8) ; alors, même avant d’avoir fait l’aumône, vous aurez relevé par votre bienveillance l’âme abattue du pauvre. La parole vaut encore mieux que le bienfait. (Eccl. 18,16) Tant il est vrai que l’âme est fortifiée et consolée par de bonnes paroles !
Aussi quand nous faisons l’aumône, ne considérons pas seulement celui qui la reçoit, mais songeons à celui qui recueille ce que l’on donne au pauvre, et qui promet de nous le rendre ; songeons à lui sans cesse, pour exciter notre zèle charitable, et semons avec abondance, tandis qu’il en est encore temps, afin d’avoir plus tard une riche moisson. Celui qui sème peu, récoltera peu. (2Cor. 9,6) Répandons avec profusion ces semences, pour avoir une moisson opulente quand le jour sera venu. Maintenant c’est le jour des semailles, ne l’oublions pas, je vous en conjure-; quand viendra celui de la rétribution, nous recueillerons les fruits de ce que nous aurons semé, et nous obtiendrons la miséricorde du Seigneur. En effet, il n’est aucune de nos bonnes actions, aucune aussi capable d’éteindre l’incendie de nos péchés que l’abondance des aumônes ; c’est elle qui efface nos fautes, qui nous justifie devant Dieu, et qui nous prépare pour récompense des biens ineffables. Mais je vous en ai dit assez pour vous y exhorter et pour vous montrer que les moindres dons sont magnifiquement récompensés par le Seigneur. En effet, nous sommes arrivés à recommander l’aumône en disant que le patriarche, pour avoir laissé à Loth la meilleure terre et gardé la moins bonne, s’était rendu Dieu si favorable, qu’il en avait obtenu une promesse au-dessus de tout ce que la pensée pouvait concevoir. Lève tes yeux à partir de l’endroit où tu es maintenant, du côté de l’aquilon et du midi ; toute cette terre que tu vois, je te la donnerai à toi et à ta race, jusqu’à la fin des siècles. Tu as cédé une portion de terre à ton neveu ; moi je te promets toute la terre, et non seulement à toi, mais à ta race jusqu’à la fin des siècles, c’est-à-dire à perpétuité ! Voyez-vous quelle lutte de bienfaits ? Dieu sachant que le patriarche ne désirait rien davantage, et que rien ne pouvait mieux corroborer sa constance, lui dit : Je multiplierai ta race comme le sable de la terre. Si quelqu’un peut compter le sable de la terre, il comptera aussi ta race. En vérité, une pareille promesse dépassait la nature humaine ; non seulement il lui donne l’assurance de le rendre père, malgré tout ce qui semblait s’y opposer, mais aussi de multiplier ses enfants comme le sable de la terre, voulant, par cette hyperbole, indiquer qu’ils seraient innombrables.
Voyez comment la bonté du Seigneur exerce peu à peu la vertu du juste ! Il lui a dit tout à l’heure : Je donnerai cette terre à ta race ; maintenant il dit encore : Je la donnerai à ta race jusqu’à la fin des siècles et je multiplierai ta race comme le sable de la terre. Voilà de belles promesses, mais ce ne sont encore que des paroles ! Il se passe beaucoup de temps entre la promesse et son accomplissement, afin de nous montrer la piété du patriarche et l’infinie puissance de Dieu. Il en diffère et en recule la réalisation, afin que ceux qui en avaient reçu l’assurance, étant parvenus à l’extrême vieillesse, et ayant perdu toute espérance humaine, puissent éprouver la faiblesse de leur nature et la puissance incomparable de Dieu.
4. A ce sujet, réfléchissez, je vous prie, à la fermeté d’esprit du patriarche, pendant un si long espace de temps ; tout était perdu au point de vue humain, mais songeant à la puissance de Celui qui lui avait fait cette promesse, il n’avait ni trouble, ni crainte. Vous savez que d’ordinaire nous finissons par ne plus croire aux promesses souvent répétées, quand elles tardent à s’accomplir : nous pouvons avoir raison, s’il s’agit d’un homme. Mais quand il s’agit de Dieu, qui dirige notre existence avec sa prudence parfaite, s’il a une fois promis quelque chose, nous devons nous y fier, malgré des obstacles innombrables, nous devons ne songer qu’à sa puissance absolue, raffermir notre raison et savoir que toutes ses paroles s’accompliront n’importe comment. Rien ne peut retarder l’effet de ses promesses, puisque c’est Dieu à qui tout est possible ; mais il les recule quand il veut : s’il n’y a pas de chemins, il sait en trouver et nous rendre l’espérance au milieu de notre désespoir, afin de faire briller encore mieux à nos regards sa puissance et sa sagesse.
Il dit : Lève-toi et promène-toi en long et est large sur la terre que je te donnerai. Voyez comme il s’empresse toujours de maintenir le juste en sécurité ! Il dit : lève-toi, promène-toi, mesure la longueur et la largeur, pour que tu apprécies la terre dont tu jouiras et qu’avant même d’en jouir, tu te repaisses d’espérance pour premier bonheur. Car je te donnerai toutes les terres à l’entour pour te montrer que tu n’as pas abandonné autant que tu dois recevoir. Ne crois pas maintenant avoir eu la plus mauvaise part, quand ton neveu est allé occuper ce qu’il avait préféré. Les événements te prouveront bientôt que cet avantage ne lui a servi à rien ; et lui-même apprendra quel inconvénient on trouve à rechercher la meilleure part. En attendant, recueille la récompense de la modération et de la condescendance que tu as eues pour ton neveu, reçois ma promesse, visite cette terre dont tu es le maître, et que tu posséderas bientôt, ainsi que ta race, jusqu’à perpétuité : Je la donnerai à ta race jusqu’à la fin des siècles. Quelle révélation de Dieu, quelle générosité du souverain Maître, quelle immense récompense accordée, par sa bienveillance et sa miséricorde, à ce juste et à toute la race qui devait sortir de lui !
En l’entendant, le patriarche, frappé de l’ineffable bonté de Dieu, leva sa tente et habita auprès du chêne de Membré, qui est au pays de Chèbron. Ainsi, après avoir reçu cette promesse et s’être séparé de Loth, il transporta sa tente au chêne de Membré. Voyez quelle résignation et quelle élévation dans l’esprit ! comme il se transporte facilement et n’é-, prouve aucune difficulté à passer d’un lieu à un autre. Jamais vous ne le trouverez retenu ni embarrassé par aucune habitude, ce qui arrive souvent à bien des gens qui se prétendent parvenus au faîte de la sagesse et supérieurs aux misères du monde. Si pourtant ils sont appelés par quelque circonstance à changer de place, souvent même, pour une affaire spirituelle, ils deviennent chagrins, tristes et supportent avec peine ce déplacement, parce qu’ils sont prévenus par l’habitude. Il n’en était pas ainsi de ce juste, qui avait déjà toutes les qualités de la sagesse chrétienne : comme un voyageur ou un étranger, il se transportait tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, et s’empressait partout de déployer sa piété par ses actions. Car après avoir placé sa tente près du chêne de Membré, il y construisit un autel au Seigneur. Voyez quelle reconnaissance ! Aussitôt qu’il a placé sa tente, il s’empresse d’offrir au Seigneur des actions de grâces pour sa promesse. Et dans tous les endroits où il place sa tente, vous trouvez qu’il songe avant tout à dresser un autel pour y offrir ses prières et accomplir le précepte de l’Apôtre qui nous ordonne de prier partout, et d’élever au ciel des mains pures. (1Tim. 2,8) Voyez les ailes que l’amour prête à son âme pour voler à Dieu, et le remercier de toutes choses ! Il n’attendit pas que les promesses fussent accomplies ; il le remercia de sa promesse, et il fit tout pour engager, par ses actions de grâce anticipées, le Seigneur à en précipiter l’accomplissement.
5. Imitons-le donc et ayons confiance dans les promesses divines. Que notre ardeur ne se ralentisse pas avec le temps, que les obstacles répandus sur notre route n’affaiblissent pas notre courage ; mais, toujours confiants dans la puissance de Dieu, comme si nous pouvions déjà voir ses promesses se réaliser, montrons toujours une foi sincère. Car Dieu nous a fait des promesses considérables, immenses même, et qui confondent notre raison, puisqu’elles consistent à nous faire entrer dans son royaume et participer avec les anges à des biens ineffables, en nous délivrant de l’enfer. Gardons-nous de douter, sous prétexte qu’il nous est impossible de voir avec les yeux du corps, mais songeons que Celui qui a fait ces promesses ne peut mentir ; songeons à l’étendue de sa puissance, regardons tous ces biens avec les yeux de la foi, et d’après ce qu’il nous a déjà accordé, ayons bonne espérance pour l’avenir. En effet, c’est pour cela que nous avons déjà reçu mille bienfaits qui doivent nous conduire vers ces biens et nous en donner l’espoir ; car Celui qui nous a donné son Fils par amour pour nous, comment ne nous donnerait-il pas tout le reste ? Aussi, Paul dit-il : Celui qui n’a pas épargné son propre Fils, et qui l’a livré pour nous tous, comment ne nous donnerait-il pas tout en même temps ? (Rom. 8,32) S’il a livré son Fils pour nous autres pécheurs, s’il nous a accordé la grâce du baptême, s’il nous adonné la rémission des péchés qui l’ont précédé, s’il nous a ouvert la route de la pénitence, et s’il a encore travaillé pour notre salut de bien d’autres manières, il est clair qu’il nous réserve un avenir bienheureux. Car lui, dont la bonté nous a préparé tous ces trésors avant que nous fussions au monde, comment ne nous permettrait-il pas d’en jouir ? Pour voir qu’il les avait préparés d’avance, écoutez ce qu’il dit à ceux qu’il met à sa droite : Venez, les bien-aimés de mon Père, recevez pour héritage le royaume qui vous a été préparé avant la création du monde. (Mt. 25,34)
Voyez l’excès de bonté, la bienveillance qu’il a eue pour notre race, puisqu’il nous préparait la jouissance de ce royaume même avant la : création du monde ! Ne soyons donc pas ingrats, je vous en conjure, ne nous rendons pas indignes de pareils bienfaits, mais chérissons, comme nous le devons tous, notre Maître et ne faisons rien qui puisse diminuer sa bienveillance pour nous. Est-ce nous qui avons fait les premiers pas ? C’est lui, qui de lui-même nous a ouvert le trésor inépuisable de sa charité. Combien 'ne serait-il pas insensé de ne point aimer de toutes nos forces celui qui nous aime ainsi ! Son amour pour nous lui a fait tout supporter avec plaisir ; il a voulu prendre, en quittant le sein de son Père, pour ainsi dire, la forme d’un-esclave, subir toutes les misères de l’humanité, supporter les injures et les opprobres des Juifs, et enfin le supplice de la croix, la mort la plus ignominieuse, afin que nous, qui nous traînions à terre, écrasés du poids de mille péchés, la foi pût en lui nous en affranchir. Aussi en y réfléchissant, saint Paul, dont l’amour pour le Christ était si ardent, qui parcourait l’univers comme avec des ailes, et qui, malgré son corps, agissait presque comme un être incorporel, s’écriait-il : La charité du Christ nous possède. (2Cor. 5,14) Voyez quelle reconnaissance, quel excès de vertu, quelle ferveur de zèle ! La charité du Christ nous possède, c’est-à-dire nous presse, nous pousse, nous excite.
Ensuite, voulant expliquer ce qu’il vient de dire, il ajoute : Nous jugeons que si un seul est mort pour tous, c’est que tous étaient morts. Et il est mort pour tous, afin que les vivants ne vécussent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui était mort et ressuscité pour eux. Vous voyez dans quel sens il a dit : T a charité du Christ nous possède. S’il est mort pour nous tous, il est donc mort afin que nous ne vivions plus pour nous, mais pour lui qui est mort et ressuscité pour nous. Mais, dira-t-on ; comment pourrons-nous ne plus vivre pour nous-mêmes ? Écoutez encore les paroles de l’Apôtre : Je ne suis plus vivant, c’est le Christ qui vit en moi. (Gal. 2,20) Vous voyez que, tout en restant sur terre et dans les liens de la chair, il vivait cependant comme un habitant du ciel et assimilé aux puissances immatérielles. Il dit encore ailleurs : Ceux qui sont au Christ ont crucifié leur chair ove ; ses passions et ses désirs. (Gal. 5,24) C’est là ne plus vivre pour soi-même, mais pour Celui qui est mort et ressuscité pour nous, afin d’être comme mort à cette vie présente et de ne plus être sensible à rien de visible. Car Notre-Seigneur a été crucifié pour que nous échangions la vie actuelle pour la vie future ; ou plutôt pour que l’une nous fasse acquérir l’autre. La vie actuelle, si nous voulons être attentifs et vigilants, nous conduit au bonheur de la vie éternelle ; pour peu que nous ayons de soin, et que nous cherchions à ouvrir l’œil de l’esprit, nous saurons, ici-bas, nourrir sans cesse la pensée de ce bonheur, négliger et dédaigner le présent, pour ne songer qu’à l’avenir éternel, et suivre les leçons de ce saint qui nous dit : Maintenant je vis dans la chair, mais je vis dans la foi du Fils de Dieu qui m’a aimé, et qui s’est livré pour moi. (Gal. 2,20)
6. Vous voyez quelle âme de feu, à quelle hauteur plane cet esprit, quel amour pour Dieu dans ce cœur enflammé ! Je vis maintenant, mais je vis dans la foi. Ne croyez pas, dit-il, que je fasse rien pour ce qui regarde la vie présente. Quoique je sois enveloppé de chair et soumis aux nécessités de cette nature, cependant je vis dans la foi, dans celle du Christ, c’est à lui que je songe sans cesse, l’espoir que j’ai en lui me fait devancer l’avenir et mépriser le présent. Enfin, pour vous montrer toute la perfection de son amour, il dit : Je vis dans la foi du Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi. Quelle preuve d’extrême reconnaissance ! Que dis-tu, ô saint Paul ? Tu disais un peu avant : Dieu n’a pas épargné son propre Fils, et l’a livré pour nous tous (Rom. 8,32) ; et maintenant tu dis : il m’a aimé, et tu sembles considérer comme particulier à toi un bienfait général. Oui, dit-il, car bien que ce sacrifice ait été offert pour tout le genre humain, cependant mon amour me le fait considérer comme s’il m’était particulier. C’est l’usage des prophètes de dire, ô Dieu, mon Dieu (Ps. 21, 117 et 141), quoique ce soit le Dieu de tout l’univers ; mais l’amour a cela de particulier qu’il particularise ce qui est général. La foi du Fils de Dieu qui m’a aimé. Que dis-tu ? Es-tu le seul qu’il ait aimé ? Il a aimé toute la nature humaine, mais je lui rends grâces comme s’il m’avait aimé seul. Et qui s’est livré pour moi. Quoi donc ? est-ce pour toi seul qu’il a été crucifié ? Ne dit-il pas : Quand je serai élevé, j’attirerai tout à moi ? (Jn. 12,32) N’as-tu pas dit toi-même : Il s’est livré pour nous tous ? Oui, j’en conviens, mais je cherche à nourrir mon amour. – Voyez ce qu’il nous apprend encore sur ces paroles. Après avoir plus haut dit du Père Il l’a livré pour nous tous, il dit ici : Il s’est livré lui-même. C’est pour montrer l’accord et l’égalité entre le Père et le Fils et pour faire allusion au mystère de la croix ; aussi dit-il ailleurs : il a été obéissant jusqu’à la mort (Phil. 2,8), prouvant partout sa foi pour cette union. Ici il a dit : Il s’est livré lui-même, pour montrer qu’il a supporté la passion volontairement, non par force et par violence, mais qu’il avait désiré et voulu souffrir sur la croix pour le salut de tout le genre humain.
Comment notre amour pourra-t-il jamais être digne d’une si abondante charité ? Quand même nous sacrifierions notre existence pour obéir à ses lois et pour maintenir les préceptes qu’il nous a donnés, nous ne serions pas encore à la hauteur de cette charité qu’il a déployée pour notre nature. C’est Dieu qui a souffert pour les hommes, le Maître pour les esclaves ; et non seulement pour des esclaves, mais pour des ingrats qui lui montrent une haine implacable. C’est lui qui a offert de lui-même ses généreux bienfaits à des hommes indignes et tombés mille fois ; tous nos efforts ne pourront jamais récompenser dignement une pareille bienfaisance. Tout ce qui vient de nous est une obligation, un tribut ; de lui viennent des largesses immenses et gratuites. Méditons sur ces vérités, aimons le Christ comme Paul l’a aimé, sans nous inquiéter des choses présentes, et conservant son amour constant et inébranlable dans notre âme. C’est ainsi que nous prendrons en pitié la vie actuelle et que nous habiterons la terre comme si nous étions déjà au ciel, sans ralentir notre zèle dans la prospérité, sans nous abattre dans l’adversité. Oublions tout pour courir vers notre Maître adorable, ne nous affligeons point pendant l’attente, mais disons comme notre saint : Maintenant nous vivons dans la chair, mais nous vivons dans la foi du Fils de Dieu, qui nous a aimés et s’est livré pour nous. Ainsi nous passerons sans affliction notre vie actuelle, et nous mériterons les biens à venir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit soient gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

TRENTE-CINQUIÈME HOMÉLIE.

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« Il arriva pendant le règne d’Amarphath, roi de Senaar, qu’Arioch, roi ; d’Elasar et Chodolgomor roi d’Elam, et Tarthac, roi des Nations, firent la guerre contre le roi de Sodome. » (Gen. 14,1-2)

ANALYSE.

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  • 1-2. Exhortation à l’étude des saintes Écritures ; exemple de l’eunuque éthiopien. – 3. Défaite des cinq rois, captivité de Loth qui se trouve ainsi puni de s’être séparé de son oncle. – 4. Victoire d’Abraham dans laquelle parait avec éclat la protection dont le couvre le Tout-Puissant. – 5. Melchisédech, figure de Jésus-Christ. – 6. Abraham confesse le Dieu, créateur du ciel et de la terre, en présence du roi de Sodome et donne une nouvelle preuve de son désintéressement. – 7-8. Exhortation à l’aumône.


1. C’est une excellente chose, mes bien-aimés, que la lecture des saintes Écritures. Elle donne à notre âme la véritable philosophie, elle élève notre esprit au ciel, elle rend l’homme reconnaissant ; elle nous empêche de rien admirer des choses présentes et en détourne sans cesse notre pensée, afin que la vue des récompenses promises par le Seigneur nous engage à tout faire pour les mériter et à mettre tous nos efforts et tout notre zèle à la poursuite de la vertu. Elle nous fait connaître la providence d’un Dieu promptement secourable, le courage des justes, la bonté du Seigneur et la grandeur de ses récompenses. Elle excite notre zèle à imiter la sagesse de ces hommes généreux, pour que nous ne faiblissions point dans les efforts qu’exige la vertu, mais pour que nous prenions confiance aux promesses divines, même avant qu’elles soient réalisées. Aussi, je vous en conjure, livrons-nous avec ardeur à la lecture des saintes Écritures, dont l’étude assidue nous donnera la science céleste. En effet, celui qui s’y applique avec zèle et ferveur ne peut jamais être négligé d’en haut ; quand même l’instruction humaine nous manquerait, Dieu, descendant dans nos cœurs, illumine notre esprit, éclaire notre raison, nous dévoile ce qui était caché et nous enseigne ce que nous ignorions ; il suffit que nous fassions tout ce qui dépend de nous. Ne donnez à personne sur terre le nom de Maître. (Mt. 23,8) Quand nous ouvrons ce livre spirituel, préparons notre pensée, recueillons notre esprit, chassons toutes les idées du monde et livrons-nous à cette lecture avec une attention et une piété profondes, afin d’être conduits par le Saint-Esprit à l’intelligence des Écritures et d’en recevoir les fruits précieux. Ce barbare, cet eunuque de la reine d’Éthiopie, qui voyageait en grande pompe et sur son char (Act. 8), ne négligeait pas cette lecture, même en voyage. Il avait dans ses mains le livre d’un prophète et s’appliquait tout entier à cette lecture sans avoir cependant l’intelligence de ce qu’il lisait ; mais comme il apportait tout ce qui dépendait de lui, le zèle, l’ardeur et l’attention, il rencontra un guide spirituel. Songez en effet, je vous prie, combien il était difficile de s’occuper à lire en voyage et surtout assis sur un char. Je recommande cet exemple à ceux qui ne peuvent s’y décider, même chez eux, qui croient ne pas en avoir le temps, parce qu’ils vivent avec une femme, qu’ils sont au service militaire, qu’ils sont embarrassés d’enfants et de domestiques, et s’imaginent que leur état les dispense de lire les saintes Écritures. Cependant voici un eunuque, un barbare que ces mêmes motifs auraient pu rendre négligent, sans compter sa puissance et ses richesses ; ajoutez à cela qu’il était en voyage et sur un char, position peu commode et même très-gênante pour la lecture ; cependant son ardeur et son zèle le faisaient passer par-dessus tous ces obstacles ; il s’absorbait dans sa lecture et ne disait pas comme tant d’autres : Je ne comprends pas ce qui est écrit, je ne puis pénétrer la profondeur des Écritures ; pourquoi me livrer à un travail stérile et inutile, puisque je n’ai personne pour me l’expliquer ? Il ne pensait rien de semblable, car s’il était barbare de nation, il était sage d’esprit ; il s’appliquait donc à cette lecture en pensant qu’il ne méritait pas le mépris, mais la grâce d’en haut, s’il faisait tout ce qui dépendait de lui. Aussi le Seigneur bienveillant, voyant son désir, ne le méprisa point, ne l’abandonna pas et lui envoya aussitôt un guide spirituel. Réfléchissez, je vous prie, à la sagesse de Dieu qui attendit que l’eunuque eût fait tous ses efforts et qui alors lui envoya un aide. Quand celui-ci eut accompli et terminé ce qui était en son pouvoir, un ange du Seigneur apparut à Philippe lui disant : Lève-toi et va sur la route qui descend de Jérusalem à Gaza, qui est déserte. Et voici qu’un Éthiopien, un eunuque, ministre de la reine d’Éthiopie Candace, était venu pour adorer à Jérusalem, il s’en retournait assis sur son char et lisait le prophète Isaïe. (Act. 8,26-28) Voyez avec quel soin le lecteur est décrit : c’est un Éthiopien, ce qui nous fait voir qu’il est barbare ; c’est un ministre, ce qui indique beaucoup d’honneur et de puissance. Il était venu pour adorer à Jérusalem. Vous voyez que la cause même de son déplacement prouvait sa piété ; car voyez combien de chemin il avait fait pour adorer le Seigneur. On croyait encore alors que le culte divin était renfermé dans un seul endroit et l’on faisait un long voyage pour y apporter ses prières. Il était donc venu là où était le temple et le culte des Juifs pour adresser son adoration au Seigneur. Et après avoir accompli son désir, il s’en retournait assis sur son char et lisait.
2. Ensuite, Philippe s’approche et lui dit : Crois-tu comprendre ce que tu lis ? Voyez combien son âme était avide de savoir, puis qu’il s’attachait à cette lecture qu’il ne comprenait pas, tout en désirant de trouver un maître qui la lui expliquât. En effet, la question de l’Apôtre éveille aussitôt son désir, et sa réponse même fait voir qu’il était digne de rencontrer ce maître capable d’expliquer ce qu’il lisait. L’Apôtre, en lui disant : Crois-tu comprendre ? s’était approché de lui, couvert de pauvres habits ; cependant l’eunuque n’en fut point choqué ni irrité, il ne se crut point injurié, comme cela arrive à ceux qui ont la sottise de vouloir rester dans leur ignorance parce qu’ils rougissent de l’avouer et d’apprendre de ceux qui savent. Il n’eut aucune idée semblable ; il répond avec douceur et piété, sans cacher l’état de son âme : Comment pourrai-je comprendre si quelqu’un ne me guide ! Et de plus, après avoir répondu avec cette politesse, il ne continua pas son chemin, mais il donna encore une grande preuve de vertu : ce ministre ; ce barbare, monté sur ce char brillant, appela cet homme si mal vêtu, qui semblait si peu de chose, et le fit monter avec lui ! Voyez quelle âme fervente, quelle extrême dévotion ! Voyez comme la piété de ce barbare lui fait accomplir les paroles du Sage : Si vous trouvez un homme sage, que vos pas usent les marches de sa porte. (Eccl. 6,36) Voyez combien il était juste de ne pas le mépriser, voyez comme il méritait la protection divine ! Après avoir ainsi trouvé ce guide spirituel, il apprit toute la puissance de ces écrits, et son intelligence s’éclaira.
Vous avez vu quel avantage il y a à lire les saintes Écritures avec zèle et attention. C’est pour cela que je vous ai rapporté l’histoire de ce barbare, afin qu’on ne rougisse point d’imiter cet Éthiopien, cet eunuque qui ne négligeait pas, même en voyage, de lire les Écritures. Ce barbare peut être notre maître à tous, hommes privés ou militaires, même aux plus haut placés, à tous les hommes enfin, et aussi aux femmes qui vivent sans cesse à la maison. Il peut encore être un enseignement pour ceux qui ont choisi la vie monastique, afin de leur montrer qu’aucune circonstance ne peut les détourner de cette lecture. Elle est toujours possible, non seulement chez soi, mais en promenade, en voyage, dans le monde, au milieu des affaires ; en un mot, faisons tout ce qui dépend de nous, dans l’espérance de trouver bientôt un guide spirituel ; car le Seigneur, voyant nos désirs à ce sujet, ne nous abandonnera pas ; il nous accordera son assistance céleste et éclairera notre esprit. Ne négligeons donc pas cette lecture, je vous en supplie ; que nous en sentions ou non toute la force, il faut nous en abreuver sans cesse. Une méditation continuelle grave en nous l’Écriture d’une manière ineffaçable : souvent, ce que nous n’avons pu saisir aujourd’hui, nous le comprenons demain quand nous y songeons de nouveau ; c’est que Dieu a bien voulu, à notre insu, pour ainsi dire, éclairer notre âme. Nous faisons cette observation à propos de la lecture fréquente des saintes Écritures ; mais il vous sera facile de voir que c’est aussi l’usage du Seigneur, même dans toute autre circonstance, de nous accorder des secours abondants, sitôt que nous avons fait ce qui dépendait de nous. A propos des Écritures, vous avez vu avec quelle promptitude Dieu avait envoyé à ce barbare un guide spirituel ; si vous voulez un exemple de ce qu’il fait en faveur de ceux qui veulent pratiquer la vertu, rappelez-vous le passage que l’on vient de lire. Pour parler plus clairement, nous continuerons ce qui se rapporte à notre patriarche, et nous allons poursuivre ce que nous avions commencé hier. Vous avez vu, d’après ce qui précède, que la condescendance qu’il montra à l’égard de Loth, en lui accordant le choix de la meilleure part, reçut comme récompense d’en haut la promesse de biens infiniment supérieurs à ceux qu’il abandonnait. La lecture d’aujourd’hui va nous faire encore reconnaître la vertu du juste, ainsi que l’ineffable protection de Dieu sur lui. Commençant à nous instruire par la sagesse du patriarche, il lui donne différentes occasions de manifester sa piété, puis il l’en récompense, afin que nous cherchions d’abord, en imitant le patriarche, à supporter les épreuves de la vertu, et ensuite à en attendre la récompense.
3. Mais il est temps que je vous parle de la lecture d’aujourd’hui ; à peine a-t-elle besoin d’explication, car elle suffit pour montrer l’excellence de la vertu du juste : Il arriva, pendant le règne d’Amarphath, roi de Sennaar, que Arioch, roi d’Elasar, et Chodologomor, roi d’Elam, et Thartac, roi des Nations, firent la guerre à Balac, roi de Sodome, à Barsac, roi de Gomorrhe, à Sennaar, roi d’Adama, à Simobor, roi de Seboïn, et au roi de Balac, ou Ségor. Tous se réunirent dans la vallée Salée, où est la mer de sel. Voyez la précision de l’Écriture, comme elle rapporte tous ces noms de rois et de peuples ! ce n’est pas sans raison, c’est pour montrer, par ces noms mêmes, tout ce qu’ils avaient de barbare. Tous ceux-là, dit-elle, firent la guerre au roi de Sodome et à d’autres encore. Ensuite elle nous apprend la cause et l’origine de cette guerre : Ils avaient été asservis douze ans à Chodologomor, roi dElam, et la treizième année ils s’étaient révoltés. Dans la quatorzième année, Chodologomor vint avec les rois qui l’accompagnaient, et ils tuèrent les géants à Astaroth et Carnaïm, et des nations puissantes avec eux, les Omméens dans la ville de Save, et les Chorréens qui étaient dans les montagnes de Séir, jusqu’au pin de Pharan, qui est dans le désert. Et en revenant, ils arrivèrent à la fontaine du Jugement, oie est Cadès, et ils tuèrent tous les princes dAmalec, les Amorrhéens et les habitants d’Asasonthamar. Ne passons point légèrement sur ces paroles, mes bien-aimés, et ne pensons pas que cette narration soit inutile. L’Écriture sainte a jugé utile de tout raconter avec exactitude pour nous faire connaître la force et le courage de ces barbares, et leur fureur belliqueuse, puisqu’ils avaient vaincu des géants, c’est-à-dire des hommes d’une grande force de corps, et qu’ils avaient mis en fuite toutes les peuplades du pays : Comme un torrent impétueux, qui emporte et détruit tout, ces barbares avaient tout envahi, tout massacré, par exemple les chefs des Amalécites, et dispersé tous les autres. Mais, l’on dira peut-être : Que me sert de connaître la puissance de ces barbares ? Ce n’est pas au hasard, ni sans raison, que l’Écriture mêle cette narration à l’histoire, et ce n’est pas en vain que nous vous avons rappelé leur courage ; c’est pour vous donner lieu de comprendre par la suite toute la puissance de Dieu et la vertu du patriarche.
Pour combattre ces hommes si terribles, qui avaient battu tant de nations, s’avancèrent les rois de Sodome et de Gomorrhe, ceux d Adama, de Séboïm et de Balac, qui est Ségor, et ils disposèrent leur armée dans la vallée Salée contre Chodologomor, Thartac, Amarphath et Arioch, quatre rois contre cinq ; dans la vallée Salée ; il y avait des puits de bitume. Nous voyons combien ils furent frappés de la force et de la puissance de leurs ennemis, car ils furent mis en fuite. Les rois de Sodome et de Gomorrhe s’enfuirent et tombèrent dans ces puits ; les autres se sauvèrent sur les montagnes. Vous voyez quelle était la valeur guerrière des barbares, comme ils terrifiaient leurs ennemis par leur seul aspect et comment ils les mettaient en fuite. Voyez ensuite comme ils revinrent après avoir tout pillé chez les fugitifs. Ils pénétrèrent dans les montagnes, prirent tous les chevaux des gens de Sodome et de Gomorrhe et tous leurs vivres, et s’en allèrent. Ils enlevèrent aussi Loth, neveu dAbram, et tous ses bagages, et s’en allèrent. Il habitait au pays de Sodome. Vous voyez arriver ce que je vous disais hier : il ne servit de rien à Loth d’avoir choisi ce qu’il y avait de mieux ; l’événement lui enseigne à ne pas désirer de choisir. Car, non seulement il n’en retire aucun profit, mais il est emmené captif et, il apprend par le fait même qu’il aurait mieux valu continuer à vivre avec lé juste que dose séparer et d’acheter son indépendance par tant de calamités. En quittant le patriarche il croyait être plus libre, avoir la meilleure part et devenir riche ; au contraire, le voilà prisonnier, sans demeure, sans fortune et sans foyer. Cela nous, apprend tous les inconvénients des discussions et tous les avantages de la concorde ; c’est aussi une leçon pour ne pas chercher toujours le plus profitable, mais se contenter de ce qui le paraît le moins. Ils enlevèrent Loth et son bagage. Combien il aurait mieux valu vivre avec le patriarche et tout supporter pour ne pas rompre l’union, que de choisir un pays pour y vivre séparément, et de tomber tout à, coup dans de pareils dangers, sous la puissance des barbares ! Un de ceux qui s’étaient sauvés vint raconter tout cela à Abram, l’étranger, qui habitait près du chêne de Mambré, au pays d’Omori, frère d’Eschol et frère d Aunan qui avaient fait alliance avec Abram. Comment le patriarche avait-il pu ignorer qu’une guerre si terrible s’était élevée ? Peut-être à cause de la distance. On vint raconter tout cela à Abram, l’étranger. Ce, mot nous rappelle que celui qui reçoit cette nouvelle était venu de Chaldée ; comme il avait habité au delà de l’Euphrate, on l’appelait étranger. Dès, l’origine ses parents lui avaient donné ce nom, ce qui prédisait qu’il devait voyager. On l’appela Abram parce qu’il devait quitter l’autre côté de l’Euphrate, et venir en Palestine.
4. Ainsi, quoique ses parents fussent infidèles, la sagesse de Dieu les avait dirigés dans le choix du nom de leur fils, comme Lamech pour Noé. C’est, en effet, un exemple de la bonté divine de prédire l’avenir éloigné, même au moyen des infidèles. Le voyageur apprit ainsi tout ce qui s’était passé, la captivité de son neveu, la puissance de ces rois, la dévastation de Sodome et la fuite honteuse de ses habitants. Il habitait près du chêne de Mambré, au pays d’Omori, frère d’Eschol, frère d’Aunan, qui avaient fait alliance avec Abram. Ici l’on pourra demander : pourquoi, parmi les habitants de Sodome, Loth qui était un juste, fut-il seul emmené en captivité ? Ce n’est pas sans raison et inutilement ; c’était pour faire connaître à Loth toute la vertu du patriarche et en même temps pour sauver les autres habitants ; mais c’était aussi pour lui apprendre à ne plus chercher la première place, mais à céder, à ceux qui valaient mieux que lui. Écoutons maintenant ce qui va suivre pour apprécier la vertu du juste et l’incomparable assistance de Dieu. Mais prêtez une oreille attentive et recueillez vos esprits. Nous pourrons en retirer un grand profit et conclure de ce qui est arrivé à Loth qu’il ne faut jamais s’offenser de voir les justes souffrir des épreuves auxquelles échappent les méchants, qu’il ne faut jamais chercher les premières places, ni préférer quoi que ce soit à la fréquentation des gens vertueux, enfin que l’indépendance ne vaut pas la soumission à un homme de bien. Apprécions aussi la clémence du juste ; son extrême affection pour Loth, son mépris des richesses, et la force inouïe que lui donna le secours de Dieu. Quand Abram apprit que son neveu Loth était prisonnier, il réunit : trois cent dix-huit serviteurs nés à sa maison, et suivit la trace des ravisseurs jusqu’à Dan ; il tomba sur eux avec ses serviteurs pendant la nuit et les chassa jusqu’à Chobal, qui est à la gauche de Damas. Et il ramena tous les chevaux des Sodomites ; et il ramena Loth et tout ce qui lui appartenait, les hommes et les femmes qui dépendaient de lui. Songez ici, rues bien-aimés, au courage et à la grandeur d’âme du juste, confiant dans la puissance de Dieu, il ne s’étonna point de la force des ennemis en apprenant toutes leurs victoires, quand ils s’étaient jetés sur tant de nations, qu’ils avaient défait les Amalécites et tous les autres peuples, qu’enfin ils avaient attaqué les Sodomites, les avaient mis en fuite et avaient pillé tout ce qui leur appartenait. Voilà pourquoi l’Écriture nous a raconté tout cela plus haut en signalant leur courage pour nous apprendre que le patriarche ne le savait pas vaincus parla force corporelle, mais par sa confiance en Dieu, dont le secours céleste avait tout fait. Il n’eut pas besoin d’armes, de flèches, de lances, d’arcs, de boucliers, il ne lui fallut que ses domestiques.
Mais, dira-t-on, pourquoi prendre trois cent dix-huit domestiques ? Pour montrer qu’il n’emmenait pas tous ses serviteurs indistinctement, mais ceux qui étaient nés dans la maison, avaient été nourris avec Loth, afin qu’ils fussent plus portés à le venger, tout en combattant pour leur maître. Voyez, je vous prie, comme l’infinie puissance de Dieu leur donne une victoire rapide. Il tomba sur eux, la nuit, avec ses domestiques, il les battit et les chassa. La main d’en haut agissait et combattait avec eux. Aussi n’eut-il pas besoin d’armes ni de machines : à peine se fut-il montré avec ses gens qu’il battit les uns, chassa les autres, sans crainte et sans obstacle, ramenant les chevaux du roi de Sodome, et son neveu Loth avec tout ce qui lui appartenait et les femmes qui dépendaient de lui. Vous voyez pourquoi Dieu a permis que Loth fût seul fait prisonnier tandis que les autres s’étaient enfuis. C’était pour faire éclater la vertu du patriarche et aussi pour sauver, par lui, bien des personnes. Il revint, remportant un trophée glorieux, ramenant Loth, les chevaux, les femmes, toutes les richesses, disant à haute voix et de manière à se faire mieux entendre qu’une trompette que ce n’était point une puissance humaine ni une force corporelle qui avait défait les ennemis et lui avait donné la victoire, mais que le bras d’en haut avait tout fait. Vous voyez que tous les événements servent à l’illustration du juste, et que toutes les circonstances montrent la Providence dont il est honoré. Voyez encore comme sa piété sert de leçon aux habitants de Sodome. Le roi de Sodome arriva à sa rencontre quand il revenait de battre Chodologomor et les rois qui l’accompagnaient. Voyez quelle importance lui donnent la vertu et l’aide de Dieu ! Le roi vient au-devant de ce vieillard, de cet étranger, et lui rend toute espèce d’honneurs. En effet, il avait déjà appris que le trône ne servait à rien sans le secours céleste, et que rien ne résiste à celui qui est soutenu par Dieu. Et Melchisédech, roi de Salem, lui apporta le pain et le vin : c’était un prêtre du Dieu Très-Haut.
5. Que veut dire cette union de mots : Le roi de Salem et prêtre du Dieu Très-Haut ? C’était le roi de Salem. Saint Paul en parle dans sa lettre aux Hébreux convertis ; en étudiant son nom et celui de sa ville, il les explique au moyen d’une étymologie, en disant : Melchisédech, roi de justice. (Héb. 7,2) Car en hébreu, Melchi veut dire royaume, et Sédec justice. A propos du nom de la ville, il dit : Roi de paix ; car Salem signifie paix. Quant à son sacerdoce, il s’était sans doute consacré lui-même, comme faisaient alors les prêtres. Cet honneur avait pu lui être accordé à cause de son âge, ou bien lui-même avait songé à remplir ces fonctions ; ainsi Abel, Noé et Abraham avaient offert des sacrifices ; Du reste, il devait être la figure du Christ, c’est ainsi que Paul le considère quand il dit : Melchisédech… sans père, sans mère, sans généalogie, n’ayant ni commencement de ses jours, ni fin de sa vie, est ainsi l’image du Fils de Dieu, et demeure prêtre pour toujours. (Héb. 7,3) Et comment, direz-vous, un homme peut-il être sans père ni mère, et n’avoir ni commencement de ses jours, ni fin de sa vie ? Vous avez vu que cet homme était une figure : ne vous étonnez donc pas, et n’exigez pas que tout soit dans la figure, car ce ne serait plus une figure, si elle possédait en effet tout ce qu’elle représente. Quel est donc le sens de ces paroles ? De même que Melchisédech est dit sans père, sans mère, sans généalogie, parce que l’Écriture ne mentionne ni son père, ni sa mère, ni sa généalogie ; ainsi, comme le Christ n’a pas de mère dans le ciel, ni de père sur la terre, on dit qu’il n’a pas de généalogie, et c’est la vérité. Voyez comme les honneurs rendus au patriarche nous préparent à un mystère. Melchisédech lui présente le pain et le vin. En voyant le symbole, songez à la réalité, et admirez comment l’Écriture sainte nous fait prévoir l’avenir dès l’origine. Il bénit Abram et lui dit : Qu’Abram soit béni par le Dieu Très-Haut qui a créé le ciel et la terre. Et le Très-Haut soit béni parce qu’il a livré tes ennemis dans tes mains. non seulement il le bénit mais il glorifie Dieu ; car en disant : Abram est béni du Très-Haut qui a créé le ciel et la terre, il montre la puissance de Dieu par celle de ses créatures. Puisque c’est ce Dieu qui a créé le, ciel et la terre, ceux qu’adorent les autres hommes ne sont pas des dieux. Ces dieux qui n’ont point fait le ciel et la terre, qu’ils soient détruits. (Jer. 10,11) Béni soit Dieu ! dit Melchisédech, qui a livré tes ennemis entre tes mains. Observez comment non seulement il célèbre le juste, mais reconnaît et confesse le secours de Dieu. Sans un pareil secours, il n’aurait jamais pu triompher de puissances si terribles. Il t’a livré tes ennemis ; c’est lui qui a tout fait, c’est lui qui a rendu les forts impuissants, c’est lui qui a vaincu les hommes armés par des bras sans armes, c’est son appui qui a fait toute ta force. Il a livré tes ennemis entre tes mains. Comme ce mot prouve l’affection qui l’unissait à Loth, comme il montre que le patriarche regardait les ennemis de Loth comme ses propres ennemis ! Il lui donna la dîme de tout. Paul dit à ce sujet : Voyez quelle était l’importance de Melchisédech, puisque le patriarche Abraham lui donna la dîme des prémices. C’est-à-dire qu’avec toutes les dépouilles qu’il avait rapportées, il rémunéra Melchisédech et lui donna la dîme de tout ce qu’il avait gagné : montrant ainsi à tout le monde qu’il convient de témoigner sa reconnaissance à Dieu en lui offrant les prémices des biens qu’il accorde. Ensuite étonné de la grandeur d’âme du patriarche, le roi de Sodome lui dit : Rends-moi les hommes, mais prends les chevaux pour toi. C’est une grande reconnaissance de la part du roi ; mais voyez la modération du juste : J’étends la, main vers le Très-Haut qui a fait le ciel et la terre, et j’atteste que je ne prendrai rien de ce qui est à toi, depuis un fil jusqu’à un sphérotère de chaussure, pour que tu ne puisses pas dire J’ai enrichi Abram. Quel mépris des richesses chez le patriarche ! Mais pourquoi dit-il avec serment : J’étends la main vers le Très-Haut qui a créé le ciel et la terre ?
6. Il veut faire savoir deux choses au roi de Sodome : d’un côté, qu’il est au-dessus de tous les biens qu’on peut lui offrir ; de l’autre, par sa grande modération, il cherche à lui enseigner la piété, comme s’il lui disait : Celui que je prends à témoin pour ne rien accepter de ce qui est à toi, c’est le Créateur de toutes choses, afin que tu connaisses le Dieu de l’univers, et que tu ne croies plus à ces dieux fabriqués par la main des hommes. C’est le Créateur du ciel et de la terre, c’est lui qui nous a donné dans cette guerre la victoire et le triomphe. Ne t’attends donc pas à ce que j’accepte aucun de tes dons. Ce n’est point pour le profit que j’ai fait cette entreprise, c’est d’abord à cause de l’affection paternelle que je porte à mon neveu ; ensuite, c’est pour l’amour même de la justice, afin de retirer des mains des barbares ceux qu’ils avaient enlevés injustement. Je ne prendrai rien de ce qui est à toi, depuis un fil, jusqu’à un sphérotère de chaussure, c’est-à-dire, je n’accepterai pas même le moindre objet, sans aucune valeur. Car on appelle sphérotère, un bout de chaussure terminé en pointe comme en portent les Barbares. Comme raison qui lui défend d’accepter, il dit : Pour que tu ne dises pas : j’ai enrichi Abram. J’ai un Dieu qui me comble de biens infinis, je m’appuie sur sa force céleste, je n’ai pas besoin de tes richesses, je ne réclame point l’abondance qui vient des hommes, je me contente de la protection divine, je sais que ses dons sont inépuisables. J’ai cédé à Loth à propos d’intérêts petits et méprisables et j’ai reçu des promesses immenses et inexprimables.: maintenant je me ménage encore une plus grande richesse, et je me concilie une nouvelle bienveillance en refusant tes présents. Voilà pourquoi, je pense, il a proféré ce serment, en disant : J’étends la main vers le Très-Haut, afin que le roi ne pût pas prendre cela pour une feinte, comme cela pouvait être, mais pour qu’il sût que le patriarche était bien décidé à ne rien prendre pour lui-même. Ainsi il accomplissait d’avance l’ordre donné par le Christ à ses disciples : Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. (Mt. 10,8) Ai-je contribué au succès de la guerre, disait-il, autrement que par mon zèle et ma bonne volonté ? Quant à la victoire et aux trophées, c’est Dieu qui a procuré tout cela par sa force invisible. Ensuite, pour que le roi ne pût pas croire qu’il refusait ses offres par orgueil ou mépris, il montre après sa douceur et sa sagesse. Je ne recevrai rien, excepté ce que mes jeunes gens ont mangé, et la part des hommes qui sont venus avec moi : Eschol, Aunan et Mambré ; ceux-là prendront leur part. Je les laisserai, dit-il, prendre leur part, parce qu’ils m’ont donné une grande preuve d’amitié. Ceux-là étaient associés avec Abram, c’est-à-dire liés d’amitié, car on voit par là qu’ils avaient partagé les dangers de cette guerre. Aussi, voulant les récompenser, il leur fait réserver une part, accomplissant ainsi la loi apostolique : L’ouvrier mérite sa nourriture. (Mt. 10,10 ; Lc. 10,7) Du reste, il ne laisse prendre que ce qu’il faut : Excepté ce que mes jeunes gens ont mangé, et la part de ceux qui sont venus avec moi, Eschol, Aunan et Mambré ; ils recevront leur part. Voyez toute la probité et la délicatesse du juste, comment il prouve sa sagesse par son mépris des richesses et sa modération, et comme il fait tout pour qu’on ne puisse attribuer sa conduite à l’arrogante ou au mépris, ni à l’orgueil de la victoire.
7. Nous aussi imitons un pareil homme, je vous en conjuré, cherchons à rester irrépréhensibles, à ne point nous enorgueillir sous prétexte de notre vertu, et à ne point négliger la vertu sous prétexte de modestie ; conservons en tout la juste mesure, et prenons l’humilité pour base et pour fondement de toutes nos bonnes œuvres, afin d’y asseoir solidement l’édifice de notre vertu ; car la vertu n’est véritable que si elle est jointe à l’humilité. Avec une base pareille, on pourra élever le monument aussi haut que l’on voudra. C’est la puissante fortification, le mur inébranlable, la tour inexpugnable qui soutient tout l’édifice et l’empêche d’être renversé parla force des vents, l’impétuosité des tempêtes et la violence des ouragans : elle le rend inaccessible et invincible à toutes les attaques, comme s’il était bâti en diamant, et nous fait obtenir pour récompense les grands bienfaits de la largesse de Dieu. C’est par elle que le patriarche reçoit l’immense honneur de tant de promesses divines. Vous saurez, avec la permission de Dieu, d’après ce qui va suivre, comment, en méprisant actuellement les présents du roi de Sodome, il a obtenu de Dieu de grands et d’ineffables bienfaits. C’est ainsi que, non seulement lui, mais tous les justes ont mérité leur gloire : tous ceux d’entre vous qui lisent assidûment les saintes Écritures, en trouveront partout la preuve. Dieu, dans sa bonté, lorsqu’il nous voit mépriser les biens de la terre, nous prodigue ces mêmes biens et nous prépare en même temps les biens du ciel. Vous pouvez le reconnaître dans les richesses du patriarche, dans la gloire de sa vie, et dans toute son existence terrestre. Méprisons donc les richesses présentes, afin d’être capables d’obtenir les richesses véritables ; dédaignons cette vaine gloire pour acquérir celle qui est vraie et solide ; prenons en pitié la prospérité actuelle, afin d’atteindre ces biens inexprimables ; ne comptons le présent pour rien et ne désirons que les biens de l’avenir. Il n’est pas possible qu’un homme attaché uniquement aux choses de la terre conçoive le désir de ces biens ineffables. De même qu’une taie voile les yeux du corps, de même le désir des choses présentes obscurcit le jugement des hommes et les empêche de voir ce qu’il leur faudrait. Mais il est pareillement impossible que celui qui chérit ces biens solides et immuables s’abaisse jamais à désirer les biens périssables qui disparaissent ou se flétrissent sitôt qu’on y touche. Celui qui est frappé des traits de l’amour divin et qui aspire au bonheur éternel, voit la terre avec d’autres yeux ; il sait que la vie présente n’est qu’une figure et une illusion, et qu’elle ne diffère point des songes. Aussi, comme le dit saint Paul : Ce monde est une image qui passe. (1Cor. 7,31) Faisant voir ainsi que les choses humaines ne sont que des apparences fugitives, comme une ombre ou comme un songe, et n’ayant rien de vrai et de solide. Ne serait-il pas puéril de poursuivre une ombre, de s’enorgueillir d’un songe et de s’attacher à des objets fugitifs ? Ce monde est une image qui passe. Puisque vous savez qu’il passe, pourquoi le chercher encore ? puisque vous savez que la vie humaine n’est qu’un fantôme sans réalité, pourquoi vous tromper volontairement ? puisque vous savez combien les choses d’ici-bas sont changeantes et périssables, pourquoi ne pas les laisser, et ne pas mettre tous vos désirs dans les choses éternelles, inébranlables, impérissables et immuables ?
8. Pour connaître la sagesse de ce docteur du monde, voyez comment, pour prouver le néant de toutes les splendeurs de cette vie, il dit dans un autre endroit : Les choses visibles ne durent qu’un temps. (2Cor. 4,18) La richesse, la gloire, la renommée, les dignités, là puissance, l’empire même, avec le diadème et le trône au-dessus de tous les autres, tout cela ne dure qu’un temps, tout cela subsiste un instant, et cesse bientôt de paraître à nos yeux. Que devons-nous donc chercher, si tout ce qui est visible ne dure qu’un temps ? Nous devons chercher, dit l’Apôtre, non plus ce qui est visible, mais ce qui est invisible, ce qui échappe aux yeux du corps. Mais, lui direz-vous, d’où vient ce conseil de négliger ce que l’on peut apercevoir, pour rechercher ce que l’on n’aperçoit pas ? De la nature même de ces objets, ceux que nous apercevons nous échappent rapidement ; quant à ceux que nous ne pouvons apercevoir maintenant, ils subsistent perpétuellement, durent dans l’éternité, n’ont point de limites, ne finissent et ne changent jamais, et demeurent immuables et inébranlables. Peut-être vous paraîtrai-je fatigant en vous donnant inutilement chaque jour les mêmes conseils ; mais qu’y faire ? La perversité est bien odieuse, les richesses sont bien tyranniques, la vertu est bien rare. Aussi, je veux multiplier mes exhortations pour guérir vos maladies, et rendre à la santé tous ceux qui se réunissent ici. C’est pour cela que nous mettons tant de zèle à vous expliquer les Écritures et à vous exposer les vertus des justes ; peu nous importe de répéter souvent les mêmes choses, pourvu que ces vertus excitent votre émulation.
Commençons donc, quoiqu’il soit bien tard, à nous occuper de notre salut, faisons un bon usage du délai qui nous est accordé jusqu’à l’échéance de notre vie, et, pendant qu’il en est encore temps, empressons-nous de faire pénitence et de corriger nos défauts, employons le superflu de nos biens pour le salut de nos âmes, c’est-à-dire, dépensons ce superflu pour les indigents. Pourquoi donc, dites-moi, laisser rouiller votre or et votre argent ? ne vaudrait-il pas mieux le verser dans l’estomac du pauvre, comme dans la caisse la plus sûre, et surtout au moment où vous pouvez en retirer tant de consolation, tant de secours ; ceux que vous aurez nourris vous ouvriront, dans le grand jour, les portes du salut, et vous recevront dans leurs tentes éternelles. Ne laissons point nos habits se manger aux vers, ou se pourrir dans nos armoires, quand il y a tant de gens qui en manquent, et vont presque nus. Plutôt que de nourrir les vers, couvrons la nudité du Christ, et vêtissons celui qui est resté nu, pour nous offrir l’occasion de notre salut, afin que dans ce grand jour, une voix nous dise : J’étais nu, et vous m’avez couvert. (Mt. 25,36) Ces préceptes sont-ils pénibles, sont-ils au-dessus de nos forces ? ces vêtements usés, rongés aux vers, qui se perdent pour rien, hâtez-vous de les employer utilement, afin d’éviter votre châtiment, et d’en retirer un profit immense. Il y a excès d’inhumanité chez les riches à renfermer leur superflu dans des armoires et des murailles, au lieu de soulager les besoins de leurs semblables, et de mieux aimer s’exposer aux peines les plus terribles, en abandonnant leurs biens à la rouille, aux vers et aux voleurs, que d’en faire l’usage qu’il faut, pour en être récompensé. Je vous en supplie, ne négligeons pas à ce point le salut de nos âmes, donnons notre superflu à ceux qui manquent de tout, et nous y gagnerons nous-mêmes l’assurance de mériter les biens ineffables, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, soient gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduction de M. HOUSEL.

TRENTE-SIXIÈME HOMÉLIE.

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Après ces paroles, la voix du Seigneur fut adressée à Abram pendant une vision dans la nuit, disant : « Ne crains rien, Abram, je te protège, ta récompense sera grande. » (Gen. 15,1)

ANALYSE.

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  • 1. Cette homélie parlera encore d’Abraham, tant la vie de l’admirable patriarche est une source intarissable de beaux exemptes. Il obéit sans murmure à Dieu qui, par deux fois, lui ordonne de quitter son pays et sa famille. – 2. Abraham en Égypte ; la protection de Dieu ne lui manque jamais dans les circonstances critiques. – 3. Abraham refuse les présents du roi de Sodome et accepte ceux du prêtre Melchisédech. – 4-5. Nouvelle promesse de Dieu à Abraham. La foi du patriarche, lui est imputée à justice. – 6. Exhortation à la foi, à la charité, à la paix.


1. La vertu des justes ressemble à un trésor qui renferme une richesse immense. Celui qui peut s’emparer même d’une faible portion du trésor en retire une suffisante opulence ; il en est de même pour, celui qui peut acquérir quelque chose de la vertu du patriarche. Presque chaque jour, depuis quelque temps, notre instruction roule sur son histoire, et, malgré l’abondance avec laquelle nous vous offrons ce festin spirituel, nous n’avons pu vous raconter qu’une faible partie de ses belles actions, tant est grande l’abondance de ses vertus. Lorsqu’une fontaine s’épanche en larges ruisseaux, tout le monde s’y abreuve sans pouvoir tarir ses ondes, si bien que, plus on y puise, plus s’augmente l’abondance des eaux ; c’est aussi ce que nous observons pour notre admirable patriarche. Depuis son époque jusqu’à la nôtre, combien se sont abreuvés à cette source de belles actions, et non seulement ils ne l’ont pas tarie, mais ils en ont fait jaillir les actions saintes à flots plus abondants. Nous trouvons son histoire développée comme une chaîne d’or dans l’Écriture sainte ; dans chaque occasion, nous le voyons montrer toute sa sagesse, aussitôt suivie des récompenses de Dieu. Polir que vous en soyez convaincus, il faut résumer ce que nous avons déjà dit, vous rappeler la foi profonde du juste dans les promesses du Ciel et tous les bienfaits que Dieu lui prodigue en échange. Ce juste, à lui seul, suffit pour nous apprendre à tous à ne pas redouter les efforts que nous coûte la vertu, à nous confier dans les récompenses d’en haut, afin que, connaissant toute la bonté du Seigneur à notre égard, nous supportions sans peine tout ce qui nous paraît affligeant dans cette vie, en aspirant à la rémunération céleste. Remarquez, je vous prie, que dès sa jeunesse il fit tin bon usage de ses facultés et de ses notions naturelles ; car, personne ne l’avait instruit, et il avait été élevé par des parents infidèles ; mais sa foi le fit honorer d’une apparition divine. Comme dans son jeune âge il ne suivit point l’erreur de son père, mais qu’il montra sa piété envers la divinité, il eut une vision céleste étant encore en Chaldée ; ce que saint Étienne nous explique clairement en disant : Le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham, comme il était encore en Mésopotamie, avant qu’il habitât Charran. (Act. 7,2) Vous savez que cette vision lui ordonna de voyager. Il faut croire que la piété envers Dieu se joignait en lui au respect pour ses parents et qu’il s’était tellement concilié l’affection de son père, que celui-ci consentit, par amour pour son fils, à quitter son pays pour habiter une terre étrangère. Remarquez, je vous prie, comment cette visite que Dieu lui accorda à cause de sa vertu, fit encore briller davantage celle-ci. Il était résolu à laisser le pays de ses pères, et à en habiter un autre, afin d’obéir à Dieu ; il était même résigné à voyager sans parents, à ce qu’il semblait ; mais, comme je l’ai dit, sa vertu et son amour pour ses parents furent cause que son père l’accompagna.
Arrivés à Charran, ils y dressèrent leur tente ; après la mort de Tharra (c’était le nom de son père), Dieu lui ordonna encore de voyager. Quitte, lui dit-il, ta terre et ta famille, et viens dans la terre que je te montrerai. (Gen. 12,1) Comme ils avaient émigré à Charran avec toute leur famille et leur maison, Dieu ajoute, dans ce nouvel ordre : Quitte ta terre et ta famille, voulant ainsi qu’il voyageât seul sans emmener son frère Nachor, ni personne autre. Il dit ta terre parce que sa famille l’habitait déjà depuis quelque temps et que ce domicile était pour elle comme une patrie. Malgré la perte récente de ses parents, malgré toutes les difficultés du voyage, il obéit de tout son cœur à l’ordre du Seigneur, et cela, sans savoir où devaient s’arrêter ses courses. Va, disait Dieu, non pas dans tel ou tel pays, mais dans la terre que je te montrerai. Cependant, malgré le vague d’un pareil ordre, il entreprit sans hésitation de l’exécuter ; il emmena son neveu, montrant encore en cela sa vertu. Il avait peu à peu captivé ce jeune homme qui cherchait à imiter ses vertus, et qui, pour ne pas le quitter, voulut être son compagnon de voyage. Si mon père, disait-il, tout infidèle qu’il était, a consenti, pour l’amour de moi et pour m’accompagner, à quitter la maison paternelle où nous sommes nés et où nous avons grandi, puis à mourir sur la terre étrangère, à plus forte raison je ne laisserai pas ici le fils de mon frère, dont la jeunesse annonce tant de progrès dans la vertu.
2. En toute occasion il faisait preuve de piété ; ainsi quand il fit ce voyage qui le conduisit eu Palestine et aux frontières des Chananéens, Dieu lui apparut pour fortifier son zèle et lui tendre la main, et lui dit : Je donnerai cette terre à ta race. (Gen. 12,7) Ce qu’il souhaitait et désirait surtout, c’est-à-dire des fils pour lui succéder, cette récompense de tant de travaux lui est permise aussitôt. La nature ne lui avait pas donné d’enfant et son âge ne lui en laissait plus espérer, mais la promesse de Dieu relève le courage de l’athlète, le rajeunit et le prépare aux luttes à venir. Voyez après cette promesse quel combat le juste eut à soutenir. Menacé par la famine et la disette qui régnait au pays de Chanaan, il se rend en Égypte, et pour fuir la famine il s’expose aux plus grands dangers. Près des frontières de l’Égypte, et sur le point d’y entrer, il dit à sa femme : Je sais que tu es belle (Gen. 12,11), je connais l’éclat de ta beauté et je crains le libertinage des Égyptiens. S’ils te voient, et s’ils savent que c’est ma femme que je mène avec moi, ils te laisseront la vie pour assouvir leur fureur impudique, mais ils me tueront afin de se livrer sans obstacle au crime, afin qu’il ne reste personne pour les accuser d’adultère. Par conséquent, dis que je suis ton frère. Voyez quelle âme, mieux trempée que l’acier, aussi dure que le diamant ! Le malheur qu’il attendait n’a pu le troubler ; il ne faisait pas en lui-même ces réflexions : N’ai-je montré tant d’obéissance en quittant mon pays pour une autre terre, qu’afin de tomber dans un pareil malheur ? N’ai-je pas reçu cette, promesse : je donnerai cette terre à ta race? et maintenant je suis tourmenté par la crainte de l’adultère et par celle de la mort. Il ne donnait accès dans son cœur à aucune de ces pensées, il ne songeait qu’à jouer cette douloureuse comédie, afin d’échapper du moins à l’un des dangers qui le menaçaient.
Quand il eut fait tout ce qui dépendait de lui par son courage et sa sagesse, sa femme aussi coopéra à ses projets par affection et par obéissance, et aida à ce qu’ils avaient décidé. Puis quand ils eurent fait tout ce qui dépendait d’eux, que tout fut désespéré humaine ment, et que l’œuvre d’iniquité était presque consommée, alors Dieu déploya sur Abraham sa providence. non seulement il sauva la femme de l’outrage par la colère qu’il fit éclater sur le roi et toute sa maison, mais il fit retourner le patriarche d’Égypte en Palestine, avec de grands honneurs. Voyez comment, au milieu de toutes ces épreuves, le Seigneur, dans sa bienveillance, le soutient de sa force, et prépare son athlète à toutes les luttes à venir ; jamais il ne le prive de son assistance, mais-il dispose tout si bien, que la moindre coopération apportée par le patriarche à l’œuvre de Dieu est récompensée par des bienfaits qui dépassent la nature humaine.
Vous connaissez la résignation du juste. Voyez maintenant, après son retour, jusqu’où vont son humilité et sa douceur ! En revenant d’Égypte, il avait une grande richesse que partageait son neveu qui vivait avec lui. Mais le pays ne pouvait pas les contenir à cause de leurs grandes richesses (Gen. 13,6) ; aussi une rixe s’éleva entre les bergers de Loth et ceux d’Abram. Alors le juste montrant la douceur de son âme et l’excès de sa sagesse, appela Loth et lui dit : Qu’il n’y ait pas de dispute entre toi et moi, ni entre tes bergers et les miens, car nous sommes frères, c’est-à-dire, rien de meilleur que la paix, rien de pire que les disputes. Pour supprimer toute cause de contestation, choisis le pays que tu voudras et laisse-moi l’autre, afin d’écarter de nous toute querelle, toute contention. Voyez quelle vertu ! Il laisse le choix au plus jeune et se contente du rebut. Mais, après cela, voyez quelle récompense il reçoit. Aussitôt après, Dieu lui dit, quand il s’est séparé de Loth : Lève les yeux et considère cette terre de côté et d’autre ; toute cette terre que tu vois, je te la donnerai à toi et à ta race pour toujours. Voyez quelles largesses lui sont prodiguées pour le désintéressement qu’il a montré envers son neveu ; ce qu’il a abandonné était peu de choix, ce qu’il obtient est bien plus considérable.
Au contraire, celui qui avait choisi à son gré, se trouva bientôt en danger : non seulement son choix ne lui profita pas, mais il se vit tout à coup captif sans feu ni lieu ; tout cela lui apprit à apprécier la vertu du juste, et à ne plus se conduire de même qu’auparavant. En effet, après qu’il eut commencé à habiter Sodome, il s’éleva une guerre terrible ; les rois des nations voisines se levèrent avec de grandes forces, dévastèrent tout le pays, massacrèrent les géants, expulsèrent les Amalécites, mirent en fuite le roi de Sodome et celui de Gomorrhe, envahirent toutes les montagnes, enlevèrent la cavalerie du roi de Sodome, et s’en allèrent en emmenant Loth captif, avec les femmes et tout le butin.
3. Mais admirez encore ici toute la providence de Dieu. Voulant délivrer Loth et illustrer le patriarche, il excite celui-ci à secourir son neveu. Sachant ce qui se passait, le juste, avec ses domestiques, fond sur les rois, les défait sans peine et ramène Loth et les femmes, ainsi que la cavalerie du roi. Des trophées si brillants montraient à tous que Dieu le protégeait, car il n’avait pu remporter une pareille victoire avec ses propres forces, mais appuyé sur le secours d’en haut. Du reste, le patriarche cherchait encore à faire connaître la vraie religion aux gens de Sodome, comme on le voit par les paroles qu’il dit à leur roi. Le roi vient au-devant de lui pour lui rendre grâce et lui offrir les chevaux en se contentant des hommes : voyez avec quelle grandeur d’âme le juste lui prouve sa sagesse, lui montre qu’il est au-dessus de tous ces présents et lui fait connaître la vraie religion. Il ne lui dit pas simplement : je ne consens à rien recevoir de toi ; je n’ai pas besoin d’un pareil paiement ; mais il dit : J’étends ma main, vers le Très-Haut, ce qui revient à dire : ce ne sont pas des dieux que tu adores, mais des pierres et du bois : il n’est qu’un Dieu, maître de l’univers. Il a créé le ciel et la terre : je le prends à témoin que je ne prendrai rien de toi depuis un cordon jusqu’à une courroie de chaussure, afin que tu ne puisses croire due c’est pour cela que j’ai tiré cette vengeance, ni dire que tu m’as enrichi. Car celui qui m’a donné la victoire et a triomphé avec moi, c’est lui qui me procure d’abondantes richesses.
Vous voyez que, si le roi avait voulu, il aurait profité des paroles du patriarche. Il avait appris à ne plus se fier à sa force, mais à connaître l’Auteur de toutes choses, à rire des dieux faits par la main des hommes et à n’adorer que le Dieu de l’univers, le Créateur de toutes choses, la source de tout bien. L’exemple du patriarche lui dévoilait toutes les vertus. Celui-ci, pour ne pas laisser croire qu’il refusât toutes ces offres par orgueil et arrogance, disait au roi : Je ne prendrai rien, car je n’ai besoin de rien ; je ne tiens pas à ce que d’autres augmentent ma richesse je laisserai seulement ceux qui ont partagé mes dangers prendre leur part, afin qu’ils aient quelque récompense de leurs peines. Voilà ce que le juste répondit au roi de Sodome.
Lorsque Melchisédech, roi de Salem, lui offrit le pain et le vin, ( c’était, dit l’Écriture, un prêtre du Très-Haut) le patriarche accepta cette offre, ci, en reconnaissance de sa bénédiction, lui donna la dîme du butin ; en effet, Melchisédech lui avait dit : Abram est béni par le Très-Haut qui a livré tes ennemis dans tes mains. Voyez comme le juste montre partout sa piété, du roi de Sodome il ne voulait rien recevoir, depuis un cordon jusqu’à une courroie ; mais il accepte l’offrande de Melchisédech, et lui donne en échange ce dont il peut disposer, ce qui nous montre qu’il faut avoir du discernement et ne pas recevoir de toutes mains. Les dons du roi prouvaient sa reconnaissance, mais du reste, c’était un infidèle qui avait besoin qu’on lui enseignât la vertu ; aussi le juste refusa-t-il ses présents, mais par son refus et par ses discours, il chercha à lui inspirer la piété. Il accepte avec raison l’offrande de Melchisédech, dont l’Écriture sainte nous fait connaître la vertu en disant : C’était un prêtre du Très-Haut. Du reste, c’était là une figure du Christ et ces offrandes présageaient le mystère : aussi le patriarche, loin de les refuser, les accueillit et y répondit à son tour d’une manière qui prouvait toute sa vertu : il lui donna la, dîme, ce qui faisait bien voir ses pieuses intentions. Je m’étends peut-être là-dessus, mais ce n’est pas sans raison. Nous avons résumé rapidement ce qui avait été dit depuis le commencement de ces instructions jusqu’à celle d’aujourd’hui sur le courage du juste, sa magnanimité, sa foi parfaite, la sagesse de ses pensées, l’excès de son humilité et de son mépris pour les richesses, enfin la bienveillance et la providence constante de Dieu à son égard ; vous avez vu comment, dans chaque occasion, cette divine assistance le rendit plus célèbre et plus illustre. Maintenant, si vous y consentez et si vous n’êtes pas fatigués, arrivons à la lecture que l’on vient de vous faire : nous allons vous en développer quelque chose pour terminer ce discours, et vous verrez comment il est récompensé d’avoir refusé les dons du roi de Sodome. Que dit l’Écriture ? Après ces paroles, la voix du Seigneur fut adressée à Abram. Pourquoi commencer ainsi ? après ces paroles. De quelles paroles s’agit-il, dites-moi ? n’est-il pas clair qu’il est question de celles qu’il a dites au roi de Sodome ? Après son mépris des richesses, après qu’il eut refusé ses offres, après cet enseignement qu’il joignit à son refus pour amener le roi à reconnaître et à adorer le Créateur de toutes choses, après ces paroles, après qu’il eut offert la dîme à Melchisédech, enfin, quand il eut fait tout ce qui dépendait de lui, alors après ces paroles, la voix du Seigneur fut adressée à Abram pendant une vision dans la nuit, disant : Ne crains pas, Abram, je te protège ; ta récompense sera très-grande.
4. Voyez la bonté du Seigneur ; comme la couronne suit de près l’athlète pour le récompenser et le préparer à affronter d’autres luttes avec une nouvelle vigueur. La voix du Seigneur fut adressée pendant une vision dans la nuit. Pourquoi dans la nuit ? Pour qu’elle fût plus distincte au milieu du silence et du repos. Elle dit : Ne crains pas, Abram. Voyez jusqu’où Dieu porte l’attention. Comme le patriarche avait repoussé tant de richesses et dédaigné les présents d’un roi, cela signifie : ne crains pas qu’après avoir refusé tout cela, tu sois réduit à voir diminuer ta fortune, ne crains pas. Ensuite, pour réveiller encore mieux ; son esprit, la voix ajoute encore son nom, et dit : Ne crains pas, Abram. En effet, le meilleur moyen d’éveiller quelqu’un, c’est de l’appeler par son nom. Puis elle ajoute : Je te protégerai. Voilà un mot qui signifie beaucoup. Moi qui t’ai fait venir de Chaldée, moi qui t’ai amené ici, moi qui t’ai délivré des dangers de l’Égypte et qui t’ai promis plus d’une fois de donner cette terre à ta race, moi je te protège ! Moi qui, de jour en jour, le fais briller davantage aux yeux de tous, je te protège : c’est-à-dire, je suis ton bouclier, je lutte et combats avec toi, je veille sur toi, je rends facile pour toi tout ce qui est difficile, je te protège. Ta récompense sera très-grande. Tu n’as pas voulu recevoir de rétribution pour lés fatigues que tu avais subies, pour les dangers où tu t’étais exposé, tu as dédaigné ce roi et ces présents. Je te donnerai ta récompense, non seulement telle que tu l’aurais reçue, mais grande et très-grande. Ta récompense sera très-grande. Admirez la libéralité du Seigneur, et concevez l’importance de ses Paroles : voyez comme elles soutiennent la piété de l’athlète, et comme elles fortifient son âme. Lui qui connaît les secrets des cœurs savait que le juste avait besoin d’une pareille consolation, car voici ce qu’il répond après avoir été encouragé par ces paroles. Abram dit : Seigneur, que me donnerez-vous ? Je vais partir de cette vie sans enfants. Après avoir reçu cette promesse d’une grande récompense ; il montre toute la tristesse de son âme et le regret qu’il éprouve depuis longtemps en se voyant sans enfants et il dit : Seigneur, accomplirez-vous, ce désir ? Me voici au terme de la vieillesse et je vais partir de cette vie sans enfants.
Voyez quelle philosophie le juste montrait dans ces temps reculés, puisqu’il appelait la mort un départ. Ceux qui ont mené une vie honnête et vertueuse, quand ils quittent ce monde sont affranchis de leurs luttes et délivrés de leurs liens : la mort n’est pour ceux qui ont bien vécu qu’un passage à un état meilleur, de la vie périssable à une existence éternelle et immortelle. Le juste dit : Je vais partir de cette vie sans enfants. Et pour toucher encore le cœur de Dieu, il ne s’arrête pas là ; mais que dit-il ? Le fils de Masec, ma servante, sera mon héritier puisque tu ne m’as pas donné de progéniture. Ces paroles montrent toute la douleur de son âme ; c’est comme s’il disait à Dieu : Je n’ai pas été aussi heureux que mon esclave, je mourrai sans enfant et sans postérité ; un esclave héritera des biens que tu m’as donnés, et cela après que tu m’as renouvelé cette promesse : Je donnerai cette terre à ta race. Remarquez ici, je vous prie, la vertu du juste qui, malgré ces pensées dont son âme était remplie ; ne s’impatiente pas et ne dit aucune parole offensante. Maintenant, excité par ce que le Seigneur lui a dit, il lui parle avec franchise, lui montre le trouble de ses pensées et lui dévoile la plaie de son âme ; aussi en reçoit-il promptement le remède. Aussitôt la voix de Dieu lui fut adressée. Voyez comme l’Écriture explique tout exactement ! aussitôt, dit-elle. Dieu ne laisse pas le juste un seul instant dans la peine, il se hâte de le consoler, et calme son chagrin parles paroles suivantes  : Aussitôt la voix de Dieu lui fut adressée, disant : Ce n’est pas celui-là qui sera ton héritier, mais celui qui sortira de toi, celui-là sera ton héritier. Voilà, dit-il ; ce que tu as craint ? voilà ce qui trouble ton esprit, et ce qui te décourage ? apprends donc que ce ne sera point là ton héritier, mais celui qui sortira de toi, celui-là sera ton héritier. Ne songe point aux difficultés de la nature humaine, ni à ta vieillesse, ne t’inquiète pas de la stérilité de Sara, mais aie confiance en la puissance de Celui qui te fait ces promesses, cesse d’être abattu et reprends tout ton courage, enfin, sois persuadé que ton héritier sera celui qui naîtra de toi.
Comme une pareille prédiction dépassait la nature et la raison humaine (en effet, il songeait avec effroi aux obstacles de la nature, à sa vieillesse, à la stérilité de Sara, dont les entrailles étaient mortes pour la maternité), Dieu développe encore cette prédiction afin que le juste prenne confiance dans la libéralité de celui qui peut prédire ainsi. Il l’emmena dehors et lui dit : Regarde le ciel et compte les astres, si tu peux les compter. Et il dit : Telle sera ta postérité. Et Abram crut au Seigneur, et sa foi lui fut imputée à justice. Pourquoi faire observer qu’il l’emmène dehors ? parce qu’il a été dit plus haut que Dieu se montra pendant la nuit dans une vision, et parla au patriarche ; maintenant il veut lui montrer combien les étoiles sont innombrables ; il l’emmena dehors et lui dit : Lève les yeux au ciel et compte les astres, si tu peux les compter. Et il dit : Telle sera ta postérité. Quelle admirable prédiction ! quelle grande promesse ! mais si nous songeons à la puissance de Celui qui parle, rien ne nous paraîtra grand. Celui qui a fait un corps avec de la terre, Celui qui a tiré l’être du néant, et qui a créé tout ce que nous voyons, Celui-là peut bien accorder des grâces surnaturelles.
5. Vous voyez la libéralité du Seigneur. Le patriarche lui dit : Je vais partir de cette vie sans enfants, comme s’il était aux portes du tombeau, et s’il ne pouvait plus avoir d’enfant ; aussi ajoute-t-il : Le fils de Masec, ma servante, sera mon héritier. Aussi Dieu voulant relever son esprit et fortifier son âme, le délivre de la crainte qui le possédait, raffermit sa pensée par la grandeur de sa promesse, et en lui montrant la multitude des astres, enfin en lui annonçant une nombreuse postérité, il lui rend l’espérance. En voyant la prédiction du Seigneur, le sage ne s’arrête plus aux considérations humaines, il ne songe plus à son impuissance ni à celle de Sara, et ne s’inquiète pas des obstacles naturels ; sachant que Dieu peut accorder des dons surnaturels, il a foi dans ses paroles, il n’admet plus aucun doute et croit fermement que tout s’accomplira. Voilà la véritable foi, celle qui se fie dans la puissance de l’auteur des promesses, même quand ces promesses sont extraordinaires et ne peuvent s’accomplir que d’une manière surhumaine. La foi, comme dit saint Paul, est le fondement des choses qu’on espère, et la preuve des choses invisibles (Héb. 11,1) ; et il dit aussi  : Quand une fois on a vu que reste-t-il à espérer ? (Rom. 4,3) Ainsi nous avons la véritable foi quand nous croyons à ce que nous ne voyons pas, en considérant l’autorité de celui qui nous fait la promesse. C’est ce qu’a fait notre juste, qui montra une foi sincère et parfaite à ce qui lui était annoncé ; aussi l’Écriture sainte fait-elle son éloge en ajoutant aussitôt : Abram crut au Seigneur, et sa foi lui fut imputée à justice. Vous voyez comment, même avant l’accomplissement des promesses, il fut récompensé de sa croyance. Car sa foi dans les prédictions de Dieu lui fut imputée à justice, parce qu’il ne s’était pas arrêté aux raisonnements humains à propos des paroles divines.
Apprenons donc, nous aussi, je vous en conjure, d’après l’exemple du patriarche, à croire aux paroles de Dieu, à ajouter foi à ses promesses, à ne pas écouter uniquement la raison humaine, et à montrer une grande droiture d’esprit. C’est là ce qui nous mettra au nombre des justes et hâtera l’accomplissement des promesses divines. Dieu annonça à Abraham que sa race serait innombrable, et cette prédiction dépassait la nature humaine, aussi sa foi lui fut-elle imputée à justice. Les promesses qu’il nous a faites, si nous y réfléchissons, sont encore bien plus grandes et dépassent encore davantage la nature humaine ; croyons seulement à la puissance qui nous fait ces promesses, afin d’être justifiés par notre foi, et de jouir des biens qui nous sont annoncés. En effet, tout ce qui nous est prédit est supérieur à la raison humaine et dépasse notre pensée, tant ces promesses sont immenses : elles ne s’étendent pas seulement au présent, à la vie d’ici-bas et à la jouissance des choses visibles ; mais quand nous aurons quitté la terre après la corruption de nos corps, quand nos corps auront été réduits en cendres et en poussière, il nous a prédit que nous ressusciterions dans une gloire nouvelle. Il faut donc, dit saint Paul, que ce qu’il y a de corruptible en nous revête l’incorruptibilité, que ce qu’il y a de mortel revête l’immortalité. (1Cor. 15,53) Dieu nous a promis qu’après la résurrection de nos corps, il nous donnerait son royaume pour récompense, avec la société des saints, un repos éternel et des biens ineffables que l’œil n’a pas vus, que l’oreille n’a pas entendus, et qui n’ont jamais pénétré dans le cœur humain. (Id. 11,9) Voyez quelles promesses immenses, quels dons infinis !
6. Méditons à ce sujet, et sachant que Celui qui annonce tout cela ne peut mentir, supportons avec plaisir toutes les luttes de la vertu, afin de jouir des biens qui nous sont annoncés ; ne préférons pas des avantages passagers à notre salut et à un pareil bonheur, et songeons aux récompenses de la vertu plutôt qu’aux efforts qu’elle coûte : ne regrettons pas nos richesses quand il faut en faire part aux pauvres, mais songeons au profit que cet abandon nous procure. Aussi l’Écriture sainte compare l’aumône à une semence pour montrer que nous devons la répandre de bon cœur et avec joie. En effet, ceux qui confient la semence à la terre, l’enfouissent avec joie et sont pleins d’espérance, croyant déjà voir les gerbes remplir leur grenier : à plus forte raison, ceux qui peuvent répandre cette semence spirituelle doivent se réjouir et tressaillir d’aise, puisqu’ils moissonnent dans le ciel après avoir semé sur la terre. En dépensant un peu d’argent, ils obtiendront la rémission de leurs péchés et un motif de confiance devant Dieu ; car grâce à ceux qui reçoivent leurs dons, ils jouiront d’un repos éternel et de la société des saints. Si nous choisissons la continence, n’examinons pas les efforts que coûte la vertu et, ne nous disons pas que la virginité exige bien des luttes, songeons seulement à quelle fin nous sommes destinés ; et grâce à cette pensée constante, nous mettrons un frein à la rage des mauvais désirs, nous résisterons aux révoltes de la chair, et l’espoir de la récompense adoucira nos peines. En effet l’espoir du bien suffit pour nous faire affronter les dangers ; ne doit-il pas, à plus forte raison, nous faire supporter les fatigues qu’entraîne la vertu ? Si vous réfléchissez que vos combats dureront peu de temps, si vous conservez dans tout son éclat la lampe de votre virginité, vous obtiendrez le bonheur éternel et vous entrerez avec l’époux. Il suffit de garder sa lampe allumée et d’avoir une suffisante provision d’huile, je veux dire de bonnes œuvres : comment alors ne franchirez-vous pas facilement tous les obstacles, en songeant à ces paroles de saint Paul : Vivez en paix avec tout le monde, et recherchez la sanctification, sans laquelle personne ne verra le Seigneur. (Héb. 12,14) Observez-vous qu’il joint la paix à la sanctification ? C’est parce que Dieu ne demande pas seulement la pureté du corps, mais aussi la paix. L’Apôtre nous le rappelle avec raison et nous avertit sur ces deux points, nous recommandant le repos de la pensée, afin d’éviter le trouble et le tumulte de nos âmes, afin que notre vie soit calme et tranquille, que nous vivions en paix avec tout le monde, enfin, que nous soyons pleins de douceur, de mansuétude et de modération : alors on verra fleurir sur notre visage toutes les couleurs de la vertu. Nous pourrons dès lors mépriser la gloire de la vie présente en travaillant pour la véritable gloire, ne songez qu’à vous affermir dans l’humilité en dédaignant le bonheur d’ici-bas, afin de jouir du bonheur véritable et solide, et pour que la vue du Christ soit notre récompense. Bienheureux ceux qui sont purs de cœur, car ils verront Dieu ! (Mt. 5,8) Purifions donc notre conscience, réglons notre existence avec soin, afin qu’après avoir marché pendant cette vie dans le sentier de toutes les vertus, nous méritions de recueillir la récompense de nos efforts actuels dans l’éternité future, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

TRENTE-SEPTIÈME HOMÉLIE.

Dieu dit à Abram : « Je suis le Dieu qui t’ai tiré du pays des Chaldéens, pour te donner cette terre, afin que tu la possèdes. – Et il répondit : « Seigneur, mon Maître, à quoi reconnaîtrai-je que je dois la posséder ? » (Gen. 15,7)

ANALYSE.

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  • 1. Différence entre la Bible et les livres profanes : la Bible renferme beaucoup de pensées en Peu de mots, c’est le contraire pour les livres profanes. – 2. Gage que Dieu donne à Abraham de l’accomplissement de ses promesses. – 3. Dieu prédit à Abraham la captivité de ses descendants dans la terre d’Égypte. – 4. Confirmation de l’alliance. Dieu indique à Abraham les limites qu’atteindra l’empire qui sera un jour fondé par sa postérité. – Exhortation. Il faut plutôt s’occuper d’orner l’âme que le corps.


1. La puissance de l’Écriture sainte est immense et ses paroles renferment un trésor de pensées. Il faut donc nous appliquer à l’étudier avec soin pour en retirer des avantages étendus. Aussi le Christ nous a donné ce précepte : Sondez les Écritures (Jn. 5,39) ; c’est-à-dire, ne nous bornons pas à une simple lecture, mais scrutons profondément les Écritures pour en saisir le vrai sens. Tel est l’usage de l’Écriture ; elle présente beaucoup d’idées dans peu de mots. Ce sont des instructions divines et non humaines, aussi diffèrent-elles complètement de la sagesse humaine, et je vais vous dire comment. D’un côté, c’est-à-dire dans la sagesse humaine, on ne songe, qu’à l’arrangement des mots ; de l’autre côté, c’est tout le contraire. L’Écriture ne tient aucun compte de la beauté des expressions ni de leur disposition : toutes ses paroles tirent leur beauté de l’épanouissement de la grâce divine. D’un côté, au milieu d’un immense bavardage, on rencontre à peine quelques idées ; de l’autre, comme vous le savez, une phrase très-courte est souvent un texte suffisant pour tout un sermon. Aussi hier, après avoir lu notre texte et en avoir commencé l’explication, nous avons trouvé une telle richesse de pensées que nous n’avons pas pu aller plus loin pour ne pas surcharger votre mémoire et de peur que la fin du sermon ne vous en fit oublier le commencement. Aussi je vais revenir sur ce sujet et rattacher le discours d’hier à celui d’aujourd’hui, afin que vous ne sortiez pas d’ici sans avoir entendu développer toute la lecture. Mais, je vous en prie, accordez-nous toute votre attention : car si la peine est pour nous, le profit est pour vous ; ou plutôt, il nous est commun à tous. Mais que parlé, je de notre peine ? Non certes ! il n’y a ici qu’un don de là grâce divine. Recueillez donc avec soin ce que Dieu vous donne, afin que vous ne partiez d’ici qu’après en avoir fait votre profit pour le salut de votre âme. Si nous vous offrons chaque jour ce festin spirituel, c’est pour que nos fréquentes exhortations et la méditation des saintes Écritures vous préservent des pièges du malin esprit. Car s’il voit en nous un grand zèle pour les occupations spirituelles, non seulement il ne nous attaquera point, mais il n’osera même nous regarder, sachant que ses manœuvres seront inutiles, et que les coups qu’il osera frapper retomberont sur sa tête.
Reprenons donc le sujet que nous traitions hier, et achevons de le développer. Hier de quoi avons-nous parlé ? De la promesse que Dieu fit à Abram en lui disant de lever les yeux au ciel et de regarder la multitude des étoiles. Compte, lui dit-il, les étoiles si tu peux les compter. Et il lui dit : Ta race sera aussi nombreuse. Ensuite l’Écriture sainte nous montrant la piété du patriarche, et sa foi aux promesses de Dieu dont il considérait le souverain pouvoir, dit : Abram crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice. C’est là que nous en sommes restés hier et il nous a été impossible d’aller plus loin : maintenant il faut continuer. Que dit l’Écriture ? Le Seigneur dit à Abram : Je suis le Dieu qui t’ai retiré du pays des Chaldéens, pour te donner cette terre, afin que tu la possèdes. Voyez comme Dieu se prête à la faiblesse humaine, comme il veut fortifier la foi et persuader de l’effet de ses promesses, comme s’il disait : Souviens-toi que c’est moi qui t’ai fait sortir de ton pays ! Ces paroles de Dieu s’accordent avec celles de saint Étienne qui dit que le Seigneur ordonna à Abraham de quitter la Chaldée et sa maison. (Act. 7) Le père d’Abraham, comme nous l’avons dit, partagea son destin, quoiqu’il fût lui-même infidèle ; entraîné par son amour pour son fils, il fut son compagnon de voyage. Aussi Dieu rappelle ici à Abraham la protection dont il l’a toujours entouré, lui disant que s’il l’a fait ainsi voyager, c’était pour son avantage et pour accomplir ses promesses envers lui. Je suis le Dieu qui t’ai retiré du pays des Chaldéens, pour te donner cette terre, afin que tu la possèdes. Est-ce sans raison que je t’en ai appelé ? est-ce en vain que je t’en ai retiré ? Je t’ai fait venir en Palestine, je t’ai fait quitter la maison de ton père et t’établir clans cette terre, afin que tu la possèdes. Songe combien je t’ai protégé depuis ton départ de Chaldée jusqu’à présent ; songe que de jour en jour tu es devenu plus illustre par mon appui, par mes soins, et fie-toi à mes paroles. Voyez quel excès de bonté ! voyez comme Dieu s’abaisse jusqu’à l’homme, comme il fortifie son âme et affermit sa foi, pour qu’il ne songe, plus aux obstacles de la nature, mais qu’il se confie à Celui qui fait ces promesses, comme si elles étaient déjà accomplies.
2. Voyez aussi comme le patriarche, enhardi par ces paroles, demande une assurance plus parfaite. Il dit : Seigneur, mon ? Maître, à quoi reconnaîtrai-je que je posséderai cette terre ? L’Écriture sainte a commencé par lui rendre ce témoignage qu’il crut aux paroles de Dieu et que cela lui fut imputé à justice ; cependant, après avoir entendu ces mots : Je t’ai retiré du pays des Chaldéens, pour te donner cette terre, afin que tu la possèdes, il répond il m’est impossible de ne pas croire à ta parole ; cependant je voudrais apprendre de quelle manière je deviendrai possesseur de cette terre. Je me vois parvenu à l’extrême vieillesse ; jusqu’à présent j’ai erré comme un vagabond, et la raison humaine ne peut me faire concevoir comment tout s’accomplira, quoique j’aie ajouté foi sans hésiter à tes paroles, toi qui peux tirer l’être du néant, tout créer et tout transformer. Si je t’interroge, ce n’est donc point par incrédulité : mais puisque tu me promets de nouveau la possession de cette terre, je voudrais un signe plus matériel et plus évident pour soutenir la faiblesse de mon intelligence. Que fait alors ce Maître si bon ? Plein de condescendance pour son serviteur, il veut fortifier son âme quand il le voit avouer sa faiblesse, et malgré sa foi dans les promesses divines, en réclamer une confirmation ; il lui dit : Prends une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans et un bélier, et une tourterelle et une colombe. Vous voyez que Dieu fait un traité avec un homme à la manière humaine. Quand nous promettons quelque chose à quelqu’un et que nous cherchons à lui donner confiance en nos promesses, afin qu’il ne doute point de notre bonne volonté, nous lui laissons une preuve et une marque dont la seule vue lui donne la certitude que nous ferons tout pour dégager notre parole. Ainsi, à cette question : Comment le reconnaîtrai-je ? ce bon Maître répond : en voici le moyen. Prends une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, et un bélier, et une tourterelle et une colombe.
Remarquez, je vous prie, à quelle condescendance matérielle arrive ce doux Maître pour rassurer le patriarche. Comme c’était l’usage des hommes de faire et de confirmer ainsi leurs traités, Dieu même agit comme eux. Il prit ces animaux, dit l’Écriture, et les partagea par la moitié. Ce n’est pas sans raison que leur âge est indiqué : il fallait les prendre à trois ans, c’est-à-dire adultes et à leur taille. Il les partagea par la moitié et mit les deux parties en face l’une de l’autre ; mais il ne partagea point les oiseaux. Il s’assit et veilla pour que les oiseaux qui volaient autour de ces animaux partagés ne pussent y toucher, et il resta ainsi tout le jour. Les oiseaux descendirent auprès de ces animaux ainsi partagés près desquels s’était assis Abram. Vers la chute du jour, Abram tomba en extase, et il fut saisi d’un grand effroi et enveloppé de ténèbres. Pourquoi vers le coucher du soleil, quand vient le soir ? C’est que Dieu veut rendre le patriarche plus attentif : cette extase et cet effroi ténébreux l’envahissent pour que tout lui fasse comprendre la présence de Dieu. Du reste c’est ce que le Seigneur fait toujours. Plus tard quand il donna à Moïse, sur le mont Sinaï, la loi et les préceptes, l’obscurité et les ténèbres régnaient et la montagne était couverte de fumée. (Ex. 19,18) Aussi l’Écriture dit : Il touche les montagnes et elles fument. (Ps. 103,32) Comme les yeux charnels ne peuvent voir le Dieu immatériel, c’est ainsi qu’il se manifeste à nous. Aussi après avoir frappé l’esprit du juste et l’avoir rempli de crainte par cette extase, il lui dit : Tu m’as demandé une confirmation de mes paroles, tu as voulu avoir une preuve que tu dois posséder cette terre. Je te la donne, car il te faut beaucoup de foi pour comprendre que je puis faire réussir ce qui semble désespéré. Et il dit à Abram : Sache certainement que la race habitera dans une terre étrangère, qu’elle sera soumise aux gens du pays qui la maltraiteront et l’humilieront pendant quatre cents ans. Ce peuple auquel elle sera asservie, je le jugerai, et elle sortira de ce pays avec un grand appareil. Voilà des paroles bien graves ; elles réclament un esprit énergique, capable de s’élever au-dessus de toutes les considérations humaines. Car si l’âme dû patriarche n’avait pas été forte, courageuse et bien trempée, il y avait de quoi la troubler. Sache certainement que ta race habitera dans une terre étrangère, qu’elle sera soumise aux gens du pays qui la maltraiteront et l’humilieront pendant quatre cents ans. Ce peuple auquel elle sera asservie, je le jugerai, et elle sortira de ce pays avec un grand appareil.
3. Ne t’étonne point, dit le Seigneur, de ta vieillesse, de la stérilité de Sara, de ses entrailles desséchées, et ne regarde point comme extraordinaire ce que je t’ai dit : Je donnerai cette terre à ta race. non seulement je te le prédis, mais j’ajoute qu’avant cela ta race ira dans une terre étrangère. Il ne lui dit pas que c’était l’Égypte et ne nomme point le pays ;, mais il dit : Dans une terre étrangère ; elle subira la servitude et l’humiliation, et ses souffrances ne seront point courtes et bornées à peu d’années, mais dureront quatre cents ans. Sans doute j’en tirerai vengeance, je jugerai ce peuple oppresseur et je ferai revenir ici ta race et j’environnerai son retour de beaucoup d’éclat. Ainsi l’exactitude de cette prédiction sur la servitude des Juifs dévoile leur descente en Égypte, la haine des Égyptiens contre eux et leur glorieux retour. Elle montre au patriarche que ce n’est pas seulement à lui que doivent arriver des choses surnaturelles, c’est-à-dire l’accomplissement des promesses de Dieu malgré tant d’obstacles, mais que toute sa race sera également favorisée. Je te l’ai déjà dit, ajoute-t-il, afin que tu puisses, avant la fin de ta vie, connaître le sort de ta postérité. Tu iras rejoindre tes pères, après avoir prospéré dans une heureuse vieillesse. Il ne dit pas : tu mourras, mais, tu iras, comme on dit à un voyageur qui va quitter son pays pour une autre patrie : Tu iras rejoindre tes pères : il ne parle point des pères selon la chair. Comment serait-ce possible ? puisque son père était infidèle et que le patriarche fidèle ne pouvait habiter le même séjour. Il y a, dit l’Écriture, un grand abîme entre vous et nous. (Lc. 16,26) De qui donc est-il dit rejoindre tes pères ? Il s’agit des justes, tels qu’Abel, Noé et Enoch. Prospérant dans une heureuse vieillesse. Mais, dira-t-on, comment cette vieillesse peut-elle être heureuse après toute une existence de tribulations ? Ne les considérez point ; songez seulement à la gloire qui l’a suivi en toute occasion, pensez à l’éclat dont a toujours brillé ce voyageur sans feu ni lieu et à la protection que Dieu lui a constamment accordée.
Il ne faut point juger d’après l’opinion actuelle, et dire qu’une belle vieillesse est celle qui se passe dans le luxe et la débauche an milieu d’immenses richesses, d’une foule de courtisans et d’un troupeau d’esclaves. Ce n’est pas là une belle vieillesse ; au contraire, tout cela sert à condamner l’homme qui n’est pas continent, même dans sa vieillesse, qui, même à son dernier soupir, ne songe pas à ses vrais besoins, qui sacrifie tout à son ventre et passe sa vie dans les festins et dans l’ivresse au moment où il va rendre compte de ses actions. Celui qui a marché dans le sentier de la vertu, celui-là seul termine sa vie par une belle vieillesse et reçoit plus haut la récompense de ses travaux d’ici-bas. Aussi Dieu dit au patriarche : Voilà ce qui arrivera à tes descendants, mais tu quitteras la terre après avoir joui d’une heureuse vieillesse. Ici remarquez encore que si le juste n’avait pas eu un grand courage et une extrême sagesse, ces prédictions auraient pu troubler son esprit. A sa place, le premier venu aurait dit : Pourquoi me promettre une postérité si nombreuse puisque mes descendants supporteront tant de souffrances et tant d’années de captivité ? quel avantage poissé-je y trouver ? Le juste n’eut point cette pensée ; il accepta en fidèle serviteur tout ce qui venait de Dieu, dont il préféra la volonté à la sienne. Du reste le Seigneur lui indique l’époque à laquelle ils reviendront de leur captivité : Ils reviendront ici à la quatrième génération.
Là-dessus on pourra demander pourquoi quatre cents ans de captivité sont prédits aux Hébreux, tandis qu’ils n’en ont point passé la moitié en Égypte. Aussi Dieu ne dit pas qu’ils doivent passer quatre cents ans en Égypte, mais dans une terre étrangère, si bien que l’on peut joindre aux années passées en Égypte, le temps même de la vie du patriarche, à partir du moment où il reçut l’ordre de quitter Charran. L’Écriture nous montre évidemment qu’elle compte les années depuis cette époque, lorsqu’elle dit qu’il avait soixante-quinze ans quand il partit de Charran. (Gen. 12,4) Depuis cet instant jusqu’au retour d’Égypte, si l’on fait le calcul, on trouve le nombre juste. D’un autre côté, l’on peut dire que le Seigneur plein de bienveillance, et qui proportionne toujours nos épreuves à notre faiblesse, voyant les Hébreux accablés de peines et cruellement traités par les Égyptiens, les vengea et les délivra avant l’époque qu’il avait fixée. En effet, c’est l’usage de Dieu qui cherche toujours no tre salut ; s’il menace de ses punitions, nous pouvons, en faisant preuve de conversion, le faire revenir sur ses arrêts ; en revanche, s’il nous promet quelque avantage et que nous ne fassions point-ce, qui dépend de nous, il n’accomplit point ce qu’il avait annoncé, de peur de nous rendre pires que nous n’étions. Ceux qui étudient attentivement les saintes Écritures pourront aisément s’en convaincre. Ils reviendront ici à la quatrième génération ; car les iniquités des Amorrhéens ne sont pas encore au comble. Alors, en effet, il sera temps que les uns reviennent en liberté et que les autres, en punition de leurs nombreux péchés, soient chassés de cette terre. Tout arrivera en temps convenable, l’établissement des uns et l’expulsion des autres, Leurs iniquités ne sont pas encore au comble, c’est-à-dire ils n’ont pas encore assez péché pour mériter une pareille punition. En effet, Dieu dans sa bonté ne punit jamais plus, mais toujours moins qu’on ne mérite. Aussi montre-t-il une grande patience à l’égard des Amorrhéens, pour ne leur laisser aucune excuse, puisqu’ils seront eux-mêmes les auteurs de leur châtiment.
4. Voyez comme le patriarche est exactement renseigné, comme sa foi doit se fortifier et quelle confiance les prédictions qui le regardent doivent lui inspirer pour celles qui sont relatives à sa postérité ; l’accomplissement des unes lui montrera la certitude des autres. Ensuite, quand la prédiction fut terminée, il vit un signe analogue à ceux qu’il avait déjà aperçus. Quand le soleil se coucha, il parut une flamme, une fournaise fumante et des lampes de feu qui passèrent à travers les animaux coupés en deux. La flamme, la fournaise et les lampes paraissaient pour faire connaître au juste l’indissolubilité de l’alliance, et la présence de l’énergie divine. Ensuite, quand tout fut terminé et accompli, quand le feu eut dévoré toute l’offrande, le Seigneur fit en ce jour une alliance avec Abram, en disant : Je donnerai à ta race cette terre depuis le fleuve d’Égypte jusqu’au grand fleuve de l’Euphrate, les Cinéens, les Cenézéens et les Cedmoniens ; les Chettéens, les Phérézéens, ceux de Raphaïm et les Amorrhéens, les Chananéens, les Eviens, les Gergésiens et les Jébuséens. Voyez comme il confirme encore ce qu’il avait annoncé. Il fit une alliance, disant : Je donnerai à ta race celle terre.
Ensuite pour faire comprendre toute l’étendue des limites du pays donné à cette race, il ajoute : Du fleuve d’Égypte au fleuve Euphrate, là s’étendra ta race. Voyez comme il veut ainsi en indiquer la multitude innombrable. Il a déjà dit qu’on ne pourrait pas plus la compter que les étoiles ; maintenant il indique les limites de son territoire pour faire voir jusqu’où doit s’étendre cette multitude. De plus, il donne la liste des peuples sur lesquels s’étendra la domination de cette race, afin que le juste soit bien informé de tout. Après tant de promesses Sara restait toujours stérile, la vieillesse s’étendait sur eux, afin qu’en donnant de leur foi la plus grande preuve possible, ils reconnussent la faiblesse de la nature humaine et l’immensité de la puissance divine.
Pour ne pas trop prolonger cette instruction, nous allons terminer en vous suppliant d’imiter le patriarche. Songez, mes bien-aimés, à ce qu’il disait au roi de Sodome, et, en général, à toutes ces autres vertus qu’il a montrées pendant toute sa vie, aux récompenses dont il a été honoré et à la condescendance de Dieu pour lui : Songez que le Seigneur nous a ainsi montré à tous, par ses bienfaits envers le patriarche, combien sa libéralité était immense. Pour peu que nous lui fassions offrande de quelques bonnes œuvres, il enchérit au-delà de toute expression et nous prodigue des récompenses infinies, pourvu que nous lui fassions voir, comme le juste, une foi sincère, et que loin de chanceler dans notre esprit, nous conservions une fermeté inébranlable. C’est ainsi que le patriarche a mérité tant d’éloges ; écoutez saint Paul célébrant la foi qu’il a montrée dès l’origine : Abraham appelé à la foi, obéit et s’en alla dans un pays qu’il devait posséder, et partit sans savoir où il allait. (Héb. 2,8) Il fait allusion à ces paroles de Dieu : Sors de ton pays et va dans la terre que je te montrerai. (Gen. 12,1) Voyez quelle fermeté dans la foi, quelle sincérité dans l’esprit ! Imitons ces vertus, quittons par nos pensées et nos désirs les affaires de la vie présente et faisons route vers le ciel. Nous pouvons, si nous le voulons, nous y acheminer même ici-bas, si nos actions le méritent, si nous dédaignons les choses du monde, et si nous négligeons la vaine gloire pour élever nos regards vers la gloire véritable et éternelle ; si nous mettons de côté le luxe des habits et l’ornement du corps, si nous laissons toute cette parure extérieure pour embellir notre âme dont la vertu doit être le vêtement ; si nous méprisons la mollesse, si nous fuyons la gourmandise et si, loin de rechercher les festins et les banquets nous gardons la frugalité, d’après le précepte de l’Apôtre : Contentons-nous d’avoir la nourriture et le vêtement. (1Tim. 6,8) Quel besoin, dites-moi, a-t-on de ces superfluités ? pourquoi se gonfler l’estomac d’un excès de nourriture et perdre la raison dans l’ivresse ? n’en résulte-t-il pas une foule de maux pour le corps et l’âme ? D’où viennent tant de maladies, tant de lésions dans nos organes ? n’est-ce pas de ce que l’estomac est plus chargé qu’il ne faudrait ? D’où viennent l’adultère, le libertinage, le vol, l’avarice, le meurtre, le brigandage et toutes les corruptions de l’âme ? n’est-ce pas d’une convoitise exagérée ? Aussi Paul a dit que l’avidité était la racine de tous les maux. (1Tim. 6, 10) De même l’on peut dire avec raison que cette absence de modération, ce désir de dépasser la limite du besoin est la source de tous nos maux. Si nous voulions, en fait de nourriture, d’habits, de logement et de tout ce qui regarde le corps, n’aller jamais trop loin et nous contenter du nécessaire, l’espèce humaine serait délivrée de bien des maux.
5. Mais je ne sais comment il se fait que chacun de nous est avide à sa manière et franchit toujours les bornes du besoin, malgré le précepte de l’Apôtre : Contentons-nous d’avoir la nourriture et le vêtement : nous faisons tout le contraire, sans songer que nous aurons à rendre compte d’avoir dépassé le nécessaire et abusé des biens du Seigneur. Car ces biens ne nous sont pas accordés seulement pour notre avantage, mais pour le soulagement de nos semblables. Quel pardon peuvent donc mériter ceux qui se parent des vêtements d’une noblesse extrême, qui recherchent les étoffes filées, par des vers et qui, ce qu’il y a de plus déplorable, s’en glorifient, tandis qu’ils devraient se cacher, craindre et trembler, puisqu’ils ne les portent point par nécessité, mais par mollesse et fausse gloire, afin de se faire admirer du monde. Cependant leur semblable passe à moitié nu, sans avoir même un vêtement grossier : et eux, qui sont de la même nature, n’éprouvent aucune pitié, la conscience ne les porte point à secourir leur semblable ; la pensée du jour terrible, la crainte de l’enfer, la grandeur des promesses, l’idée que le Seigneur commun de tous considérera comme fait à lui-même tout ce qu’ils auront fait pour leurs semblables, tout cela ne peut rien. Comme si leur cœur était de pierre et qu’ils fussent étrangers à notre nature, ils se regardent, à cause du luxe de leurs habits, comme supérieurs aux autres hommes, sans songer à toutes les peines qu’ils encourent en faisant un mauvais usage des biens que le Seigneur leur a confiés et qu’ils ne songent pas à partager avec leurs frères : ils aiment voir les vers ronger ce qu’ils possèdent et allumer pour eux-mêmes le feu de l’enfer. Si les riches distribuaient aux indigents tout ce qu’ils tiennent inutilement renfermé, cela ne suffirait pas encore pour leur faire éviter les peines qu’ils méritent pour le luxe de leur table et de leurs habits. Quelle punition méritent donc ceux qui mettent tous leurs soins à se montrer en public avec des vêtements de soie brodés d’or ou de diverses couleurs, et qui méprisent la nudité et l’indigence du Christ privé même du nécessaire ? C’est surtout aux femmes que je m’adresse. C’est surtout chez elles que se trouve le désir et l’excès de la parure ; l’or brille sur leurs habits, leur tête, leur cou et tout leur corps ; et elles en tirent vanité ! Combien d’affamés pouvaient être rassasiés, combien de nudités pouvaient être couvertes, rien qu’avec le prix de leurs pendants d’oreilles qui ne servent à rien qu’à perdre leur âme ! Aussi le docteur de la terre, après avoir dit Contentons-nous de la nourriture et du vêtement, s’adresse-t-il encore aux femmes : Qu’elles n’aient point de coiffures recherchées, d’or, de perles, ni d’habits somptueux. (1Tim. 2, 9) Vous voyez qu’il leur interdit ces ornements d’or, les perles et les habits somptueux : il veut qu’elles ne considèrent comme véritable parure que celle de l’âme ; c’est aux bonnes œuvres qu’il commande de l’emprunter. Il sait bien que celle qui a en tête ces vanités ne peut avoir qu’une âme souillée, flétrie, déguenillée, affamée, transie de froid ! Car cette ardeur pour parer le corps montre la laideur de l’âme, cette avidité sensuelle prouve qu’elle est affamée, et ce luxe de vêtements laisse voir sa nudité. Si l’on veille sur son âme et si l’on en cultive la beauté, on rie peut désirer cette parure extérieure ; de même, si l’on s’occupe de sa toilette, de ses brillants habits et de ses ornements dorés, il est complètement impossible de veiller sur son âme. Comment pourrait-on avoir une bonne pensée et s’occuper des choses spirituelles, si l’on s’est une fois livré aux choses d’ici-bas, si l’on ne fait que ramper à terre, pour ainsi dire, sans jamais relever la tête et accumulant toujours le fardeau de ses péchés ? Il serait trop long maintenant de dire tous les maux qui en résultent : il me suffit de rappeler à tontes les personnes qui se sont livrées à ces goûts tous les désagréments qu’elles en éprouvent chaque jour. Il est tombé quelque chose d’une parure en or : aussitôt tempête et tumulte dans la maison : un domestique a dérobé un objet, tous sont fouettés, battus, emprisonnés : des larrons ont tout pillé en un clin d’œil : chagrin immense et insupportable. Un revers survient qui réduit à une misère extrême, et alors la vie est plus pénible que la mort : qui pourrait dire tous les accidents auxquels on est exposé ? En résumé une âme de cette nature ne sera jamais en repos ; de même que les vagues de la mer sont incessantes et innombrables, de même les agitations de cette âme ne peuvent se compter. Aussi, je vous en conjure, fuyons en toute chose l’avidité et l’abus. La véritable richesse, le trésor inépuisable, consistent à ne désirer que le nécessaire et à faire un bon usage du superflu. Celui qui agit ainsi ne peut craindre la pauvreté, n’éprouve ni accident ni trouble : il est au-dessus de la calomnie et des pièges ; en un mot, il est toujours tranquille et vit dans le calme et le repos. Enfin, ce qui est le grand le souverain bien, il est protégé de Dieu, et soutenu de la grâce d’en haut, comme un intendant fidèle des richesses du Seigneur. Heureux le serviteur que son maître trouvera agissant ainsi quand il le visitera ! (Lc. 18,43) C’est-à-dire qu’il distribue ce qu’il faut à ses frères, au lieu de le renfermer dans des armoires et derrière les portes pour le laisser ronger aux vers : il soulage la misère des indigents et se montre bon et fidèle dispensateur des biens que le Seigneur lui a confiés, afin que, par cette largesse il reçoive une grande et juste récompense, et mérite les biens qui lui ont été promis, par la, grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

TRENTE-HUITIÈME HOMÉLIE.

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Sara, la femme d’Abram ne lui donnait pas d’enfant, mais elle avait une servante égyptienne, nommée Agar. (Gen. 16,1)

ANALYSE.

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  • 1-2. Après un court exorde, l’orateur entame l’explication du texte ci-dessus. Il nous fait admirer la conduite de Dieu sur Abram et Sara ; ainsi que la sagesse, la résignation, la docilité aux ordres de Dieu, de ces deux époux. – 3. Dieu différa d’accomplir les promesses qu’il avait faites à Abraham, pour donner occasion à sa foi et à sa vertu de briller davantage. Il a tenu la même conduite avec la Chananéenne. – 4. Sara dit à Abraham : je reçois une injure de toi ; j’ai mis ma servante dans tes bras, et maintenant qu’elle se voit grosse, elle me méprise en face. Sage réponse que fait Abraham à ce reproche. – 5. Devoirs des époux. – 6. Utilité des épreuves. – 7. Exhortation à la patience, à la mansuétude, à la concorde. Comment la femme est l’aide de son mari.


1. La lecture d’aujourd’hui nous engage encore à vous parler du patriarche : ne soyez pas surpris que depuis tant de jours consacrés à son histoire, nous n’ayons pu l’achever hier. L’abondance de ses vertus est immense, et l’étendue de ses bonnes œuvres est au-dessus de toute langue humaine. Quel homme pourra louer dignement celui que Dieu couronnait du haut du ciel et qu’il couvrait de gloire ? Cependant, malgré notre insuffisance, nous vous exposons suivant nos forces ce qui a été écrit sur lui, afin de vous inspirer l’émulation et l’imitation de ses vertus, car la sagesse d’un pareil homme suffit pour instruire toute l’espèce humaine et pour engager dans la voie de la vertu ceux qui l’écoutent avec soin. Du resté, je vous prie de faire attention aux enseignements qui peuvent résulter de la dernière lecture sur le patriarche. Les hommes et les femmes peuvent y apprendre à vivre dans l’union et à respecter le nœud indissoluble du mariage. Le mari ne doit pas être inflexible envers sa femme, mais montrer de la condescendance pour sa faiblesse ; la femme ne doit pas résister à son mari ni disputer contre lui, mais tous deux doivent s’aider mutuellement à porter le fardeau et préférer la paix domestique à tous les biens. Mais il faut entendre les paroles elles-mêmes, afin que l’instruction soit plus claire. Sara, la femme d’Abram, ne lui donnait pas d’enfants, mais elle avait une servante égyptienne, nommée Agar.
Observez ici, mes bien-aimés, l’extrême patience de Dieu et l’excès de la foi et de la reconnaissance du juste pour les prédictions qui lui avaient été faites. Dieu lui avait promis bien des fois qu’il donnerait la terre à sa race et que le nombre de ses descendants égalerait la multitude des étoiles ; cependant, voyant que rien ne se réalisait de ce qui était annoncé et que toutes les promesses s’arrêtaient à des paroles, sa raison, n’était pas troublée, son esprit n’était pas agité, il resta inébranlable dans sa foi et confiant dans la puissance de Celui qui lui avait parlé. C’est ce que l’Écriture sainte rappelle ici, en disant : Sara, la femme d’Abram, ne lui donnait pas d’enfants ; ce qui nous donne à entendre qu’après des alliances si souvent répétées, après cette promesse d’une multitude innombrable qui devait sortir de lui, il ne s’affligeait point et ne doutait point en voyant que ces paroles ne s’accomplissaient pas, et qu’au contraire tout semblait les démentir. Aussi est-il dit : Sara, sa femme, ne lui donnait pas d’enfants. Pour nous apprendre que tant de promesses n’avaient abouti à rien, tandis que la stérilité de Sara et son sein desséché par l’âge pouvaient décourager le patriarche. Mais celui-ci, loin de s’arrêter aux obstacles de la nature, savait que rien n’est impossible au Seigneur, qui est le Créateur de cette nature et rend possible ce qui était impossible ; en fidèle serviteur, il ne s’informait pas comment les choses devaient arriver, mais il s’abandonnait à l’incompréhensible providence du Seigneur et croyait à sa parole.
Ainsi, après tant de promesses, Sara ne lui donnait pas d’enfants, mais elle avait une servante égyptienne nommée Agar. Ce n’est pas sans raison que l’Écriture sainte fait ainsi mention de cette servante, c’est pour que l’on sache comment Sara l’avait chez elle. Il est dit qu’elle était égyptienne, ce qui nous rappelle un fait précédent : elle faisait partie des présents offerts par Pharaon quand il eut été sévèrement puni parle Tout-Puissant ;, alors elle suivit Sara, et c’est pour cela que l’Écriture nous fait connaître son nom et son pays. Mais voyer maintenant la sagesse de Sara et l’excès de sa continence ; voyez aussi la complaisance et la condescendance du juste. Sara dit à Abram, dans la terre de Chanaan : Dieu a fermé mes entrailles pour que je n’enfante pas, mais viens vers ma servante afin que tu en aies des enfants. Elle ne dit point, comme plus tard Rachel à Jacob : Donne-moi des enfants, ou je meurs. (Gen. 30,1) Mais que dit-elle ? Dieu a fermé mes entrailles pour que je n’enfante pas. Puisque le Créateur m’a rendue stérile et me prive d’avoir des enfants, pour que ma stérilité ne te prive point de voir tes fils dans ton extrême vieillesse, viens vers ma servante, afin que tu en aies des enfants. Quelle femme aurait le courage d’agir ainsi, de donner ce conseil à son mari et de céder le lit conjugal à une servante ?
2. Considérez combien ils étaient dégagés de toute passion : leur seul but était de ne pas mourir sans enfants ; mais ils songeaient à y parvenir sans trouble et en conservant le lien conjugal. Observez aussi la continence du patriarche et son extrême douceur. Il n’en voulut point à sa femme de ne pas avoir d’enfants, comme font quelques insensés ; son amour pour elle n’en fut pas affaibli. Vous savez, en effet, vous savez que la plupart des hommes en prennent occasion de mépriser les femmes, de même qu’ils les apprécient par la raison contraire : il y a beaucoup de légèreté et d’irréflexion à mettre sur le, compte des femmes la stérilité ou la fécondité ; ils ne savent donc pas que tout dépend du Créateur, et que l’union des sexes, jointe à toutes les ressources imaginables, ne peut donner des enfants si la main d’en haut n’excite la nature à les faire naître. Le juste le savait bien ; aussi, n’imputait-il point à sa femme sa stérilité et l’honora-t-il toujours également. Celle-ci, par compensation et pour montrer combien elle chérissait son mari, s’oublia elle-même, et, cherchant à le consoler de cette stérilité, prit, pour ainsi dire, sa servante égyptienne par la main et la conduisit dans son propre lit. Du reste, elle fit bien voir dans quelle intention elle agissait ainsi, en disant : Le Seigneur a fermé mes entrailles pour que je n’enfante pas. Voyez quelle résignation ! Elle ne dit rien d’amer, elle ne déplore point sa stérilité ; elle déclare seulement que, le Créateur l’ayant voulu ainsi, elle le supporte avec douceur et courage, préférant la volonté de Dieu à ses désirs, et qu’elle cherche seulement à consoler son mari, puisque, dit-elle, le Seigneur a fermé mes entrailles pour que je n’enfante pas. Voyez le sens de ces paroles ; comme elles montrent la providence et la puissance infinies de Dieu ! Nous fermons et nous ouvrons notre maison : Dieu en fait autant avec la nature ; son ordre ferme quand il veut et rouvre lorsqu’il lui plaît ; la nature obéit toujours à ses commandements. Puisque le Seigneur a fermé mes entrailles pour que je n’enfante pas, viens vers ma servante, afin que tu en aies des enfants. C’est à cause de moi que tu n’en as pas ; je ne veux point te priver de cette consolation. Peut-être Sara soupçonnait-elle que sa stérilité ne provenait pas d’elle seule, mais aussi du patriarche ; aussi, voulant s’en convaincre par des faits, elle cède la place à sa servante et la conduit dans son lit, afin que l’événement lui montre si la stérilité dépendait d’elle seule.
Abram fit ce que voulait Sara. Remarquez la sagesse du juste. Je répète ce que j’ai déjà dit : ce n’est pas lui qui a eu le premier cette idée, quoiqu’il fût déjà bien vieux ; mais quand Sara lui fait cette offre, il l’accepte, montrant que, s’il y consent, ce n’est point par désir et libertinage, mais pour laisser de la postérité. Sara, femme d’Abram, prit Agar, sa servante égyptienne, après, dix ans d’habitation avec Abram, son mari, dans le pays de Chanaan, et la donna pour femme à Abram, son mari. Voyez combien l’Écriture est précise ! elle veut nous apprendre que le juste ne s’est pas empressé aussitôt que Sara lui eut parlé, et elle dit : Sara, femme d’Abram, prit Agar, sa servante égyptienne. L’Écriture sainte nous fait ainsi comprendre que le juste ne fait rien que par complaisance pour sa femme et par condescendance à sa volonté. Pour bien nous apprendre la continence du juste et son extrême modération, il est écrit Après dix ans d’habitation avec Abram, son mari, dans le pays de Chanaan. Si cet intervalle de temps est précisé, ce n’est pas sans raison ; c’est pour que nous sachions pendant combien d’années le juste a supporté sans murmure cette stérilité, et a fait voir une continence supérieure à toutes les passions ; c’est encore pour nous apprendre autre chose. Quand l’Écriture ajoute : Après dix ans d’habitation avec Abram, son mari, dans le pays de Chanaan, ce n’est pas là tout le temps de leur cohabitation, mais seulement celui qu’ils ont passé dans la terre de Chanaan. Pourquoi cela ? Parce que, dès leur arrivée au pays de Chanaan, Dieu dit dans sa bonté : Je donnerai cette terre à ta race. Ensuite il renouvelle plus d’une fois ces promesses, pour nous faire comprendre, mes bien-aimés, que, malgré l’intervalle que Dieu a mis avant de remplir ces promesses, l’esprit du patriarche ne s’est point troublé et n’a point mis les raisonnements humains au-dessus des paroles divines. Aussi l’Écriture dit : Après qu’ils eurent habité ensemble pendant dix ans dans le pays de Chanaan. Voyez quel courage, quelle sagesse ! voyez aussi comme le Seigneur temporise et retarde pour le rendre plus illustre ! Car s’il a des serviteurs qu’il chérisse particulièrement, il ne se contente pas de leur être favorable, mais il les couvre de gloire pour faire éclater leur foi à tous les yeux. Après avoir dit qu’il donnerait cette terre à sa race, s’il avait aussitôt ouvert les entrailles de Sara `et s’il avait procuré des enfants au patriarche, le miracle n’aurait pas été si grand et la vertu du juste n’aurait pas été si brillante aux yeux de tous. Sans doute, la puissance de Dieu se serait manifestée dès cet instant, car il aurait fertilisé par son ordre le laboratoire de la nature, de venu incapable de reproduction ; mais la couronne de gloire n’aurait pas été complète sur la tête du patriarche, comme à cette époque plus tardive où sa vertu fut éprouvée de nouveau et devint chaque jour plus éclatante.
3. Pour vous faire voir que Dieu ne se contente pas de prodiguer ses bienfaits, mais qu’il cherche d’ordinaire à illustrer ceux qui les reçoivent, voyez sa conduite à l’égard de la Chananéenne, comme il diffère et temporise ; cependant, il finit non seulement par accueillir sa prière, mais par rendre cette femme elle-même célèbre dans le monde entier. Quand elle le suppliait en disant : Seigneur, ayez pitié de moi ! ma fille est tourmentée, par le démon (Mt. 15,22) ; ce Dieu de clémence et de bonté ne daigne cependant pas lui répondre, quoique toujours il prévienne nos demandes. Ses disciples, ignorant ce qui devait arriver, qu’il s’intéressait à cette femme, et que, s’il ne répondait pas, c’était pour lui donner occasion de découvrir le trésor de sa foi, ses disciples, comme par pitié, s’approchaient de lui et le suppliaient en disant : Renvoyez-la, parce qu’elle crie après nous, laissant voir ainsi qu’ils ne pouvaient plus supporter son importunité. Renvoyez-la satisfaite, disaient-ils, non parce qu’elle est malheureuse, non parce que ses prières sont raisonnables, mais parce qu’elle crie après nous. Que fait alors le Seigneur ? Voulant dévoiler peu à peu le trésor de la foi que possédait cette femme, et montrer à ses disciples combien ils étaient loin de sa bonté, il répond enfin de manière à troubler le jugement de la suppliante, si elle avait eu moins de fermeté dans l’esprit ou moins d’ardeur dans le zèle, et de façon à empêcher les apôtres de prier pour elle : Je ne suis envoyé, lui dit-il, que vers les brebis égarées de la maison d’Israël. En effet, ces mots suffisent pour empêcher les disciples d’intercéder en faveur de cette femme ; mais elle-même ne cessa point ses prières et les redoubla avec plus d’instance. C’est le propre d’une âme souffrante et possédée d’une vive affection : elle ne s’inquiète pas de ce qu’on lui dit et songe seulement au but de ses désirs. C’est ce que fit cette femme. Après avoir entendu ces paroles, elle se prosterna en disant Seigneur, ayez pitié de moi ! Elle connaissait la bonté du Seigneur, et aussi sa persévérance est infatigable. Mais voyez quelle prudence et quelle sagesse il montre lui-même ! Il n’accorde rien, et même il répond d’une manière encore plus sévère et plus rude. Il connaissait le courage de cette femme et ne voulait pas que son bienfait restât caché, pour que ses disciples, ainsi que les autres hommes, apprissent la raison qui l’avait porté à différer : le pouvoir de la persévérance et de l’assiduité, et la vertu de cette femme. Il dit, en effet : Il n’est pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens.
Ici, je vous prie, remarquez l’énergie de cette femme, l’ardeur du désir qui l’embrase et la puissance de sa foi en Dieu, comme ses entrailles étaient déchirées, pour ainsi dire, de compassion pour les souffrances de sa fille ; elle ne riposte point à l’injure, elle accepte le nom de chien et consent à être mise au rang des chiens, pourvu qu’elle – obtienne d’être délivrée de son irrationabilité pour monter au rang des enfants de Dieu. Écoutez enfin la réponse de cette femme, c’est le fruit du retard que le Seigneur avait apporté à l’exaucer non seulement la sévérité du Seigneur n’a pas rebuté la femme, mais elle a surexcité son zèle, puisqu’elle dit : Oui, Seigneur ; car les chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres.
Voyez-vous pourquoi il a été si longtemps à l’exaucer ? C’était pour nous apprendre jusqu’où allait la foi de cette femme. Voyez comme aussitôt le Seigneur la vante et la récompense, en disant : O femme, ta foi est grande ! Il renvoie avec éloges et admiration celle à qui d’abord il n’accordait point de réponse. Ta foi est grande. Elle était grande, en effet, puisque cette femme, après avoir vu ses prières repoussées une première et une seconde fois, ne s’est point découragée ni retirée, et que, par l’énergie de sa persévérance, elle a engagé Dieu à l’exaucer. Qu’il soit fait, dit-il, comme tu le désires! Vous voyez qu’il comble de ses bienfaits celle que d’abord il n’honorait pas d’une réponse. non seulement il l’exauce, mais il la glorifie et la couronne. Ces mots : ô femme, montrent combien il est frappé de sa foi ; ceux-ci : ta foi est grande, dévoilent toute l’étendue de ce trésor, et enfin cette parole : Qu’il soit fait comme tu le désires, signifie.: tout ce que tu peux vouloir ou désirer, je te l’accorde ; une pareille persévérance t’a fait mériter ce que tu souhaitais.
Vous avez vu la constance de cette femme ; vous avez vu que, si Dieu avait tardé à l’exaucer, c’était pour la rendre plus digne d’admiration. Revenons maintenant, s’il vous plait, à notre récit, et apprenons que si Dieu a différé pendant tant d’années à accomplir les promesses qu’il avait faites au patriarche, c’était pour le rendre plus illustre et faire mieux éclater sa foi. Aussi l’Écriture dit : après qu’ils eurent habite ensemble dix ans dans la terre de Chanaan, afin de montrer le temps qui s’était écoulé depuis la prédiction. Sitôt que le juste arriva dans ce pays, Dieu lui dit : Je donnerai cette terre à ta race. Cependant i1 restait depuis lors sans enfants ; la stérilité de Sara augmentait, et elle donna Agar pour femme à son mari Abram.
4. Voyez quelle était la sagesse des anciens, Les hommes étaient tempérants, très-attachés à la continence, et les femmes n’étaient pas jalouses. En effet, l’Écriture montre un exemple souvent utile, quand elle dit : Sara prit Agar sa servante et la donna pour femme a Abram ; cela nous montre quel était en pareille occasion le sang-froid des femmes et la réserve des hommes. Et il vint vers Agar et elle conçut. Comme vous le voyez, Sara apprend alors que ce n’était pas la faute du juste s’il n’avait pas d’enfants, mais que sa propre stérilité en était la seule cause ; car l’union du patriarche avec la servante avait été aussitôt féconde. Eh bien ! observez maintenant l’ingratitude de cette servante et la faiblesse de la nature féminine, afin d’apprendre encore ici l’admirable douceur du patriarche. Elle vit qu’elle était grosse et méprisa sa maîtresse en face. Voilà l’habitude des domestiques : au moindre avantage qu’ils ont, ils ne se tiennent plus à leur place, ils oublient leur position et deviennent ingrats : c’est l’histoire de cette servante. Quand elle se vit enceinte, elle ne songea pas à l’admirable résignation de sa maîtresse ni à l’infériorité de sa position, mais, dans l’ivresse de sou orgueil, elle dédaigne sa maîtresse, qui lui avait montré assez de bienveillance pour la conduire dans le lit de son mari. Que fait alors Sara ? Elle dit à Abram : Je reçois une injure de toi : j’ai mis ma servante dans tes bras ; maintenant qu’elle est grosse, elle me méprise en face. Que Dieu juge entre toi et moi !
Ici, considérez l’extrême patience du juste et le respect qu’il montre à Sara en l’excusant d’une accusation si peu méritée. Elle, qui lui avait mis sa servante dans les bras, en disant : Viens vers ma servante, elle, qui l’avait entraîné à cette liaison, change tout à coup pour dire  : Elle m’insulte à cause de toi. O femme ! est-ce lui qui a couru après ta servante ? ses désirs l’ont-ils entraîné à cette union ? C’est pour suivre tes avis et tés conseils qu’il a tout fait. Quelle injure t’a donc fait ton mari ? J’ai mis, dis-tu, ma servante dans tes bras. Si tu avoues que tu la lui as donnée et qu’il ne l’a pas prise de lui-même, que parles-tu d’injure ? Oui, disait-elle, je té l’ai donnée, mais en voyant son orgueil tu devais réprimer son insolence. Voyant qu’elle était grosse, elle m’a méprisée en face ; que Dieu juge entre toi et moi ! Ce sont là des paroles de femme et qui tiennent à la faiblesse de sa nature ; c’est comme si elle lui disait : j’ai voulu te consoler de ne pas avoir d’enfants, je suis allée jusqu’à mettre ma servante dans tes bras pour qu’elle me remplaçât. Maintenant, voyant qu’elle est fière de sa grossesse et qu’elle s’en enorgueillit outre mesure, tu aurais dû réprimer et punir ses insolences à mon égard, et tu ne l’as pas fait. Tu sembles oublier toute notre vie passée, et me mépriser toi-même, moi qui ai vécu tant d’années avec toi et qui ai ramené d’Égypte cette servante qui est à moi et qui me dédaigne. Que Dieu juge entre toi et moi ! Songe, dit-elle, à tout ce que j’ai fait pour te consoler ; afin de te rendre père dans ta vieillesse, j’ai élevé ma servante jusqu’à moi : et toi, voyant son ingratitude, tu ne m’as pas vengée, tu n’as rien fait pour me récompenser de ma bonne volonté à ton égard. Que Dieu juge entre toi et moi! Lui qui connaît les secrets des cœurs sera notre juge, j’ai mis ta satisfaction au-dessus de tous mes désirs, j’ai conduit ma servante dans ton lit : et toi, tu n’en as conçu aucune reconnaissance, tu permets à cette servante de se révolter contre ma bonté, et tu ne réprimes pas son audace, et tu ne punis point son ingratitude !
Que fit alors cet homme inébranlable, cet invincible athlète de Dieu, qui trouvait partout l’occasion de mériter de nouvelles couronnes ? Il montre encore ici sa vertu et dit à Sara : Voici ta servante dans tes mains : fais-en ce que tu voudras. Le juste montre ici beaucoup de sagesse et une extrême patience. non seulement il ne se fâche point des paroles de Sara, mais il lui répond avec douceur et lui dit : Tu me crois la cause de l’injure que tu as reçue et tu penses que je suis d’accord avec ta servante, parce qu’elle a une fois partagé mon lit : apprends d’abord que je n’aurais jamais consenti à l’y recevoir, si ce n’avait été par complaisance pour toi : afin que tu en sois convaincue, je la remets dans tes mains ; fais-en ce que tu voudras. Ta puissance est-elle diminuée ? as-tu perdu ton autorité sur cette femme ? Malgré les rapports que j’ai eus avec elle, tu en es toujours maîtresse, la voilà entre tes mains, tu peux la punir, la châtier, la gourmander : fais-en ce que tu voudras et ce qu’il te plaira. Seulement ne t’irrite pas et une m’attribue point ses insolences. Comme ce n’est point la passion qui m’a porté vers elle, je n’y prends pas assez d’intérêt pour la défendre quand elle a tort. Je sais le respect qui t’est dû, je n’ignore pas l’ingratitude des domestiques. Cela ne m’inquiète ni ne me regarde, je n’ai qu’un désir, celui de te voir heureuse, tranquille, comblée d’honneur et délivrée de tout chagrin.
5. Voilà une véritable union, un mari prudent qui né discute pas trop rigoureusement les paroles de sa femme, mais condescend à la faiblesse de son sexe, songeant seulement à lui épargner des chagrins et à vivre avec elle en paix et en bonne intelligence. Que les maris y fassent attention pour imiter la douceur du juste, pour qu’ils aient envers leurs femmes autant de considération et de respect et qu’ils soient pleins d’indulgence pour ces êtres faibles, afin de resserrer les liens de la concorde. La véritable richesse, l’opulence inestimable consistent à ce que le mari et la femme soient d’accord et unis comme s’ils n’étaient qu’un seul corps. Ils seront deux dans une même chair. (Gen. 2,24) De pareils époux, même dans la pauvreté, même dans la position la plus humble, sont les plus heureux de tous, ils goûtent le vrai plaisir et vivent dans une tranquillité constante. Ceux, au contraire, qui n’ont pas le même bonheur, mais souffrent de la jalousie et perdent les avantages de la paix, ceux-là, malgré d’immenses richesses, une table somptueuse, la noblesse et l’illustration, sont les plus malheureux des hommes ; tous les jours s’élèvent entre eux des orages et des tempêtes, ils se suspectent mutuellement et ne goûtent aucun plaisir : une guerre intérieure trouble tout chez eux et les remplit d’amertume. Ici, rien de pareil ; le patriarche calma par sa douceur la colère de la maîtresse et, en lui remettant sa servante, ramena la paix à la maison. Sara la maltraita et elle s’enfuit de devant elle. Quand la maîtresse eut, châtié son insolence, la servante s’enfuit. C’est l’habitude des domestiques : quand ils ne peuvent faire ce qu’ils veulent, quand on s’oppose à leurs prétentions, ils rompent leur chaîne et prennent la fuite. Du reste, observez que la protection du ciel s’étend sur la servante, par égard pour le juste. Comme elle portait la race du juste, elle fut honorée de l’apparition d’un ange. L’ange du Seigneur la trouva près d’une fontaine dans le désert, sur la route de Sur.
Voyez la bonté du Seigneur qui ne dédaigne personne, même l’esclave ou la servante, et les couvre de sa providence sans regarder à la différence des rangs, mais à la disposition de l’âme. Ici, du reste, ce n’est point pour le mérite de la servante que l’ange se présente, c’est par considération pour le juste. Car, comme je l’ai déjà dit, elle était digne d’être protégée, parce qu’elle avait été digne de porter la race du juste. Quand l’ange l’eut trouvée, il lui dit : Agar, servante de Sara, d’où viens-tu et où vas-tu? Voyez comme les paroles de l’ange lui rappellent sa condition. Pour la rendre attentive, il commence par prononcer son nom, et dit : Agar. En effet, nous avons coutume de prêter l’oreille à l’appel de notre nom. Ensuite il dit : servante de Sara, pour la faire souvenir de sa maîtresse et lui faire savoir que, bien qu’elle ait partagé la couche de son maître, elle a toujours Sara pour maîtresse. Voyez maintenant comment l’ange l’interroge pour la forcer à répondre. D’où es-tu venue, dit-il, dans ce désert et où vas-tu ? L’ange apparaît dans ce désert afin qu’elle ne croie pas que celui qui l’interroge est un voyageur ordinaire c’était un désert, et personne que lui ne paraissait en ce lieu. Voilà donc pourquoi il se montra dans cette solitude, lui faisant comprendre ainsi que son interlocuteur n’était pas le premier venu, et il la questionna. Et elle dit : Je fuis ma maîtresse Sara. Vous voyez qu’elle avoue sa sujétion et qu’elle convient de tout. Celui qui m’interroge, pense-t-elle ; n’est pas tan homme que je puisse tromper. Il m’a d’abord dit mon nom et celui de ma maîtresse ; je dois donc lui répondre la vérité. Je fuis ma maîtresse Sara. Voyez comme elle parle de sa maîtresse sans colère. Elle ne dit point : elle m’a fait souffrir, elle m’a maltraitée, je ne puis supporter sa persécution et je me suis enfuie ; elle ne dit rien d’amer et s’accuse elle-même comme fugitive : voyez quelle franchise ! Remarquez aussi ce que l’ange lui dit encore : L’ange du Seigneur lui dit : Retourne vers ta maîtresse et humilie-toi sous sa main. À ces paroles : Je fuis ma maîtresse, il répond : Retourne, et ne sois pas ingrate envers une maîtresse qui a tout fait pour toi. Ensuite, comme elle avait irrité sa maîtresse par son insolence et son orgueil, il dit : Humilie-toi sous sa main, sois-lui soumise, c’est ton avantage. Reconnais ta servitude, ne méconnais pas son autorité, n’aie pas de trop hautes pensées et ne t’estime pas plus que tu ne vaux Humilie-toi sous sa main, obéis-lui toujours. Ainsi, les paroles de l’ange suffirent pour adoucir son âme, abaisser son orgueil, apaiser sa colère et calmer son esprit.
6. Ensuite, pour qu’elle ne croie pas que la Providence s’exerçait sur elle au hasard et sans une raison déterminée, afin qu’elle sache qu’une pareille bienveillance s’attachait à la race du juste, voyez de quelle nature sont les consolations que l’ange lui donne pour relever son esprit et de quelle manière il y parvient. L’ange du Seigneur lui dit : Je multiplierai ta race, qui sera un peuple innombrable. Ainsi, je te prédis que ta race ne pourra se compter. Ne succombes donc pas au découragement, que ton esprit ne se trouble pas, mais reste dans l’obéissance. Tu es grosse, et tu enfanteras un fils, et tu l’appelleras Ismaël. Ainsi, je t’annonce d’avance ton enfantement, et je donne dès à présent un nom à ton fils encore à naître, afin qu’après cette assurance, tu reviennes et tu te corriges de tes fautes, parce que le Seigneur t’a écoutée dans ton abaissement.
Apprenons par là tout l’avantage des afflictions, toute l’utilité des malheurs. Après une si grande prospérité, après s’être vue sur le même rang que sa maîtresse, elle s’était enfuie, accablée de douleur, entourée d’afflictions, au milieu de la solitude, du désert et des souffrances. Aussi le secours ne s’est pas fait attendre. Voici, dit l’ange, ce que je te promets : tu enfanteras un fils, et ta postérité sera innombrable, parce que le Seigneur t’a écoutée dans ton abaissement.
Ainsi ne nous chagrinons point si les circonstances nous abaissent. Rien ne convient mieux à notre nature que la soumission et l’abaissement de notre esprit, ainsi que l’humiliation de notre orgueil. Jamais le Seigneur ne nous écoute mieux que si nous l’invoquons l’âme, affligée et le cœur contrit, en renouvelant nos prières avec plus d’assiduité. Le Seigneur t’a écoutée dans ton abaissement, dit l’ange. Ensuite il montre l’intérêt attaché à l’enfant qui doit naître. Ce sera un homme sauvage : sa main sera contre tous, et la main de tous contre lui : il habitera en face de tous ses frères. Cela fait prévoir qu’il sera courageux, belliqueux, et s’occupera à cultiver la terre. Voyez, d’après ce qui arrive à cette servante, quelle considération s’attachait au patriarche ! Tout ce qui est fait pour elle, montre la bienveillance du Seigneur pour le juste. Après avoir adressé à Agar ces conseils et ces prédictions, l’ange disparut. Mais voyez encore la franchise de la servante. Elle invoqua le nom du Seigneur qui lui parlait. Tu es le Dieu qui m’a vue, car elle dit : J’ai vu en face celui qui m’est apparu. Aussi elle appela ce puits, le puits où j’ai vu en face. Il est entre Cadès et Barach. Voyez comme elle veut laisser de cet endroit un éternel souvenir, en lui imposant un nom ; en effet, elle l’appela le puits où j’ai vu en face. Ainsi les afflictions de cette servante l’ont amenée peu à peu à se corriger, à montrer sa reconnaissance pour sa bienfaitrice, et à remercier la puissance qui l’avait tellement protégée. Et Agar enfanta un fils à Abraham, qui donna au fils d’Agar le nom d’Ismaël.
7. Apprenons par là quel est l’avantage de la douceur, et quel profit l’on peut tirer même des afflictions. La douceur que montra le patriarche à Sara en apaisant sa colère et en lui donnant tout pouvoir sur sa servante, ramena la paix dans la maison ; et de son côté, cette servante nous montre l’utilité des afflictions. Pleine de chagrin, elle avait fui sa maîtresse et était restée bien malheureuse ; mais, dans la douleur de son âme, elle appela le Seigneur et elle fut aussitôt honorée de la présence d’un envoyé céleste. Pour lui montrer que son humiliation et son affliction l’avaient rendue digne d’une pareille assistance, l’ange lui dit : Tu es grosse, tu enfanteras un fils, et tu l’appelleras Ismaël, parce que le Seigneur t’a écoutée dans ton abaissement. Comprenons donc, mes bien-aimés, que si nous veillons sur nous-mêmes, nos afflictions nous rapprocheront du Seigneur, et que nous obtiendrons surtout son appui quand nous nous présenterons devant lui l’âme souffrante et pleurant des larmes amères ne nous chagrinons donc pas, dans nos tribulations, mais pensons que ces tribulations mêmes peuvent nous tourner à bien, si nous les supportons avec douceur. Apprenons à être humains et indulgents envers tout le monde, surtout envers nos femmes. Ayons surtout bien soin, quand elles nous accusent, soit à tort, soit à raison, de ne pas tout juger avec rigueur, et songeons seulement à écarter de nous toute cause de contrariété et de rendre inébranlable la paix domestique. La femme alors aura toujours recours à son mari, et le mari viendra près de sa femme comme dans un port tranquille, chercher un refuge dans toutes les affaires et les agitations extérieures, sûr d’y trouver une consolation à toutes ses peines. En effet, la femme a été donnée au mari comme un secours qui lui permette de résister à tous les coups du sort. Si elle est bonne et douce, non seulement elle procurera à son mari les consolations de la vie à deux, mais elle lui sera encore utile de mille manières, elle rendra pour lui toute chose facile et légère, et l’empêchera de souffrir des difficultés qui naissent chaque jour dans l’intérieur de la maison ou à l’extérieur. Semblable à un bon pilote, elle changera par sa sagesse toute tempête de l’âme en calme, et sa prudence saura tout adoucir. Ceux qui seront bien unis ne trouveront, même dans la vie présente, rien qui trouble leur bonheur. Quand la concorde, la paix et le lien de l’affection existent entre le mari et la femme, tous les biens leur surviennent, rien ne peut leur nuire, un mur inexpugnable les entouré, je veux dire l’union en Dieu. Ce rempart les rendra plus invincibles que le diamant, plus solides que le fer, ils seront comblés de richesses et d’opulence ; enfin, ils jouiront de la gloire céleste, et obtiendront de Dieu les bénédictions les plus abondantes. Aussi, je vous en conjure, ne préférons rien à ce trésor, mais employons toutes nos actions et tous nos efforts à obtenir ce calme et ce repos de l’intérieur. Alors les enfants imiteront les vertus de leurs parents, les serviteurs en feront autant, et la vertu sera la règle de la maison, qui se verra comblée de prospérité ! Si nous préférons ce qui vient de Dieu, tout le reste s’en suivra, nous n’éprouverons aucune peine, et la bonté divine nous fournira tout en abondance. Ainsi, pour passer sans tristesse la vie d’ici-bas et obtenir de plus en plus la bienveillance du Seigneur, pratiquons la vertu, cherchons à faire régner chez nous la concorde et la paix, soignons l’éducation des enfants et les mœurs des serviteurs ; alors, par notre reconnaissance pour tant de largesses, nous mériterons les biens qui nous ont été annoncés, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

TRENTE-NEUVIÈME HOMÉLIE.

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Quand Abraham eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparut (Gen. 17,1)

ANALYSE.

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1. Quand Dieu parle et promet, l’homme doit lui accorder tonte confiance. Nous ne devons point mesurer ses œuvres à notre faiblesse. – 2. Pourquoi Dieu, en temporisant, a-t-il éprouvé Abraham ? Comment doit s’entendre ce mot : apparut ? – 3. Étymologie des noms d’Abraham et de Noé. Les infidèles prophétisent. – 4. Raison de la circoncision. Que la circoncision ne confère aucun bien spirituel. – 5. Exhortation.

1. Vous avez vu, mes bien-aimés, qu’il n’y a rien d’inutile dans l’Écriture sainte, et que nous avons tiré hier un grand profit de l’histoire d’Agar fugitive. Nous, avons connu la grande douceur du patriarche, l’excès de sa continence, le respect qu’il montra à Sara, et l’estime qu’il faisait de la concorde au-dessus de tous les autres biens. Nous avons vu la bonté infinie de Dieu qui, par égard pour le patriarche, non seulement ramène Agar errant dans le désert où elle s’était enfuie par crainte de sa maîtresse, mais la rend mère d’Ismaël, afin de consoler le juste et de le récompenser de sa patience. Quand Ismaël fut venu au monde, l’Écriture sainte, voulant nous donner l’âge du Patriarche, et nous indiquer le nombre de ses années, nous dit : Quand Ismaël vint au monde, Abram avait quatre-vingt-six ans. (Gen. 16) Voyons ici, comme nous le vérifierons par la suite, l’admirable patience du juste, et la bonté inouïe et infinie du Seigneur. Nous en serons convaincus, si nous pouvons calculer l’âge du juste ; nous reconnaîtrons que la bonté de Dieu dispose tout en sa faveur et le met à l’épreuve en toute occasion pour mieux faire éclater sa piété. Il prévoyait la reconnaissance de son serviteur, appréciait toute la beauté de son âme et la pureté de cette perle si précieuse, mais il voulait la faire briller maintenant même, devant nos yeux, pour que la vertu du juste laissât à la postérité un modèle à imiter pour notre émulation. Aussi nous dévoile-t-il peu à peu le trésor de vertu de ce juste, pour que nous apprenions nous-mêmes à ne jamais manquer de confiance dans les prédictions divines, à ne pas nous décourager dans l’attente, mais à mettre moins d’espoir dans les choses que l’on voit et que l’on touche, que dans les choses invisibles, dès que c’est Dieu qui les a promises. Nous comprenons ainsi que les prédictions divines ne peuvent jamais manquer de s’accomplir ; si pendant longtemps elles ne se réalisent pas, nous ne devons point nous en embarrasser l’esprit, mais penser à la puissance irrésistible et invincible de celui qui les a faites, et nous dire que tout ce qu’il voudra se fera, puisque tout lui cède et lui obéit. En effet, puisqu’il est le Maître et le Créateur de la nature, il peut aussi nous accorder des choses surnaturelles.
N’allons point mesurer les œuvres de Dieu à notre faiblesse et nous, tourmenter des lois de la nature ; mais, en fidèles serviteurs, reconnaissons le pouvoir immense de Notre-Seigneur, croyons à ses promesses et mettonsn-ous au-dessus de notre faiblesse naturelle pour jouir des faveurs qui nous sont annoncées, mériter sa bienveillance et l’honorer de toutes nos forces. Car le plus grand honneur que nous puissions lui rendre, c’est de nous confier à sa puissance, quand même les yeux de notre chair nous feraient voir le contraire. Et comment s’étonner que le plus grand hommage rendu à Dieu soit de rejeter le doute ? Avec nos semblables, lorsqu’ils nous font des promesses sujettes au changement des choses périssables, si nous n’en doutons point, si nous y avons confiance, cette absence de doute, cette confiance sont regardées comme le plus grand honneur que nous puissions leur faire. S’il en est ainsi à l’égard des hommes si changeants et si impuissants, ne devons-nous pas croire bien mieux encore à ce qui nous est annoncé par Dieu, même quand ses promesses ne doivent se réaliser qu’après un long intervalle de temps ? Ce n’est pas sans raison que je vous parle ainsi, c’est afin de vous mettre à même, lorsque nous aborderons la lecture d’aujourd’hui, de comprendre comment le bon Dieu, voulant illustrer le patriarche, – exerce sa patience pendant tant d’années durant lesquelles celui-ci ne s’abandonnait point au chagrin, à l’indifférence, au désespoir, mais nourrissait toujours sa piété par son espérance. Or, pour apprécier toute la vertu du patriarche, il est bon de savoir combien il a vécu. C’est ce que nous dit clairement le bienheureux Moïse, inspiré du Saint-Esprit. Que dit-il donc ? Quand le juste eut obéi aux ordres de Dieu et quitté Charran pour aller dans la terre de Chanaan, il avait soixante-dix ans. Aussitôt qu’il fut venu dans cette terre, Dieu lui promit qu’il la donnerait tout entière à sa race, laquelle se multiplierait 'au point d’être innombrable comme le sable et les étoiles. Après cette promesse, il arriva au juste bien des aventures, sa descente en Égypte à cause de la famine, l’enlèvement de Sara, suivi aussitôt d’un effet de la divine providence, son retour d’Égypte, la nouvelle insulte que reçoit Sara du roi des Gérariens et le secours que Dieu leur donne encore. Eh bien ! le juste voyant que tant d’événements contraires succédaient à cette promesse, n’avait aucune inquiétude et ne se demandait point pourquoi toutes ces assurances ne le préservaient pas de mille contrariétés, et pourquoi il restait si longtemps sans enfants. Rempli de piété, il ne voulait pas soumettre les actions de Dieu à la raison humaine, mais il s’y résignait et acceptait avec plaisir tout ce qui plaisait à Dieu.
2. Dix ans après il regarda Ismaël comme l’enfant pour lequel la prédiction devait s’accomplir. Car le patriarche, à la naissance d’Ismaël, avait quatre-vingt-six ans. Mais le bon Dieu exerce encore sa patience pendant treize ans, jusqu’à l’accomplissement de sa promesse. Il savait, en effet, que, l’or se purifiant avec le temps dans la fournaise, la vertu du juste prenait aussi plus de gloire et d’éclat. Quand Abram eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparut de nouveau. Et pourquoi cette longue attente ? Pour nous faire connaître, non seulement la vertu du juste et sa patience, mais aussi la grandeur de la puissance divine. Mais il faut entendre les paroles mêmes de Dieu. Quand il eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparut et lui dit : Par ces mots lui apparut, n’entendez rien de matériel, et ne croyez pas que les yeux de la chair puissent voir la puissance divine et immuable, mais considérez tout religieusement. Dieu lui apparut, c’est-à-dire, daigna communiquer avec lui, et le jugea digne de sa providence, en s’abaissant jusqu’à lui parler : Je suis ton Dieu, cherche à me plaire et à être irréprochable ; je mettrai mon alliance entre toi et moi, et je te multiplierai abondamment. Et Abram tomba sur sa face. Quelle reconnaissance de la part du juste, quelle bonté de la part de Dieu ! Je suis ton Dieu. C’est comme s’il disait : c’est moi qui ai veillé sur toi jusqu’à présent ; c’est moi qui t’ai amené de ton pays jusqu’ici, qui t’ai soutenu dans tous les temps, et qui t’ai rendu vainqueur de tes ennemis : c’est moi qui ai fait cela ! Il ne dit pas je suis Dieu, mais je suis ton Dieu. Voyez quelle immense bonté ! comme par l’addition de ce mot, il exprime son amour pour le juste ! C’est le Dieu de toute la terre, l’ouvrier dont la main a tout fait, le Créateur du ciel et de la terre, c’est lui-même qui dit Je suis ton Dieu ! quel honneur pour le juste ! c’est ainsi qu’il parle aux prophètes. Sans douté, alors et maintenant, il est le Seigneur de tous, et néanmoins il daigne se désigner par le nom d’un serviteur, et nous l’entendrons dire encore : Je suis le Dieu d' Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. (Ex. 3,6) Aussi les prophètes disent d’ordinaire : Dieu, mon Dieu, non pour restreindre dans les limites de leur propre personne, la domination de Dieu, mais pour montrer jusqu’où allait leur amour. Cela ne doit pas nous étonner de la part des hommes, mais de la part de Dieu lui-même cela peut nous paraître étrange et extraordinaire. N’en soyons pas surpris, mes bien-aimés, mais écoutons les paroles du Prophète : Mieux vaut, un seul homme qui observe la volonté du Seigneur, que mille qui la transgressent (Sir. 16,3) ; écoutons, aussi les paroles de saint Paul : Ils portaient des peaux de brebis, de chèvres, ils étaient indigents, tourmentés, affligés, et le monde n’était pas digne de les posséder. (Héb. 11,37-38)
Ainsi le Prophète dit qu’un seul homme faisant la volonté de Dieu vaut mieux que mille qui s’en écartent, et saint Paul, le docteur de la terre, rappelant tous les hommes de bien dont il connaît les souffrances, dit encore : Le monde n’était pas digne de les posséder. D’un côté il met le monde entier, de l’autre ceux qui souffrent pour nous apprendre toute la puissance de la vertu. Aussi le Créateur dit au patriarche : Je suis ton Dieu ; cherche â me plaire et à être irréprochable. Je te tiendrai compte des efforts de ta vertu ; je ferai une alliance entre toi et moi, et je te multiplierai abondamment, non seulement je te multiplierai, mais, abondamment, ce qui indique une grande postérité : ce qu’il avait exprimé antérieurement par la comparaison du sable et des astres, il l’exprime maintenant par ce mot abondamment. Ce serviteur pieux et reconnaissant, voyant que Dieu s’abaissait jusqu’à prendre un soin pareil, fut ému en songeant à la faiblesse de sa nature, à la bonté de Dieu, et à sa puissance infinie. Il tomba sur sa face ; ce qui montrait bien toute sa reconnaissance. Une pareille faveur ne lui inspira pas d’arrogante ni d’orgueil, mais une nouvelle humilité Il tomba sur sa face. Telle est la véritable reconnaissance qui honore Dieu d’autant plus qu’elle en est plus favorisée. Il tomba sur sa face. Le juste n’osait plus jeter les yeux sur lui-même et sur la faiblesse de sa nature ; il n’osait se relever, mais son abaissement montrait son respect : voyez maintenant combien Dieu l’appréciait. Dieu lui parla, disant : J’ai fait une alliance avec toi et tu seras le père d’une multitude de nations : tu ne t’appelleras plus Abram, mais Abraham, parce que je t’ai établi pour être le père de plusieurs peuples, et je te ferai croître : je ferai sortir de toi des nations et même des rois.
3. Considérez, mes bien-aimés, la clarté de ces prédictions faites au juste ; voyez que pour les confirmer, il ajoute une lettre à son nom, et dit : Tu seras le père d’une multitude de nations : tu ne t’appelleras plus Abram, mais Abraham, parce que je t’ai établi pour être le père de plusieurs peuples. En effet, son premier nom indique ses voyages (car Abram signifie voyageur, comme le savent ceux qui connaissent l’hébreu) ; ses parents l’avaient appelé ainsi quand il partit pour la terre de Chanaan. On dira peut-être : ses parents étant infidèles, d’où leur venait cette prescience d’indiquer l’avenir parle nom qu’ils donnaient ? C’est là une ressource de la sagesse de Dieu, qui agit souvent par l’entremise des infidèles et nous en trouvons bien d’autres exemples. Le premier qui nous vient à l’esprit est le nom de Noé. Ce n’est pas sans raison, ni au hasard que ses parents lui avaient donné ce nom ; ils présageaient que, dans cinq cents ans, devait venir le déluge. Ce n’est pas que son père fût lui-même un juste parce qu’il a donné ce nom à son fils, car l’Écriture sainte nous apprend que dans cette génération, Noé seul fut un juste accompli. (Gen. 6,9) Si son père Lamech lui avait offert le modèle des vertus, l’Écriture ne l’aurait point passé sous silence, et n’aurait pas dit : Noé seul était juste. Voulant donner un nom à son fils, il dit : Il s’appellera Noé ; il nous donnera le repos après nos travaux et la fatigue de nos mains, sur cette terre que le Seigneur Dieu a maudite. (Gen. 5,29) D’où venait, dites-moi, cette prescience d’un avenir si éloigné ? Il s’appellera Noé ; il nous donnera le repos, Noé, en hébreu, signifie, repos. C’était lui, lorsque la terre serait envahie par le déluge, qui devait seul se sauver et renouveler la race humaine aussi est-il dit : il nous donnera le repos ; ce mot de repos signifiant ici le déluge. En effet, la terre était comme fatiguée par la perversité de ses habitants qu’elle supportait avec peine, lorsque le déluge, par la terrible invasion des eaux, mit fin à cette perversité, délivra la terre de la souillure de ses habitants et les punit en lui donnant le repos : Car la mort est le repos pour l’homme. (Job. 3,23) Vous voyez donc que Dieu fait souvent prédire même par les infidèles. Quant au nom que les parents du patriarche lui avaient donné, on en sait la cause dès l’origine, lorsqu’il passa le fleuve pour aller dans une terre étrangère.
Maintenant Dieu lui dit : tes parents t’ont donné ce nom pour présager que tu devais venir ici : j’y ajoute une lettre pour t’apprendre que tu seras père d’une multitude de nations. Voyez quelle précision dans ces paroles. Il ne dit pas de toutes les nations, mais : d’une multitude de nations. Comme d’autres peuples devaient être mis à l’écart, pour que la race du juste eût seule part à son héritage, Dieu dit : Je t’ai établi pour être père dune multitude de nations ; connaissant toute ta vertu je me servirai de toi pour instruire le monde : je te multiplierai de plus en plus et je ferai sortir de toi des peuples et même des rois. Arrêtons-nous sur ces paroles, mes bien-aimés. En songeant à l’âge du juste et à son extrême vieillesse, nous admirerons sa foi et la puissance de Dieu d’un homme déjà mort, pour ainsi dire, et impuissant en apparence, qui devait avoir toujours la mort devant les yeux, Dieu prédit qu’il sortira une race innombrable et plusieurs nations, même jusqu’à des rois.
Voyez l’étendue de ces promesses : Je te multiplierai de plus en plus. Ce mot est répété pour indiquer l’immense multitude qui doit naître du juste. Ainsi l’addition d’une lettre est comme une colonne où Dieu inscrit sa promesse, et il dit de nouveau : Je ferai une alliance entre toi et moi, et avec ta postérité après toi dans toutes les générations ; comme une alliance éternelle, pour que je sois ton Dieu. non seulement je t’accorderai ma protection, mais aussi à ta race et après ta mort. Voyez comme il relève d’esprit du juste en lui promettant qu’il soutiendra toujours ses descendants. Et pourquoi cette alliance ? Pour que je sois ton Dieu, et celui de ta race après toi. Ce sera pour toi et ta race le comble de l’honneur. Je te donnerai à toi et à ta race la terre que tu habites, toute la terre de Chanaan, en possession perpétuelle, et je serai leur Dieu. Grâce à ta vertu, tes descendants jouiront de ma providence et je leur donnerai en possession perpétuelle cette terre de Chanaan, et je serai leur Dieu. Que veut dire, je serai leur Dieu ? Cela signifie : J’étendrai sur eux mes soins et ma protection et je combattrai toujours avec eux. Seulement tu garderas mon alliance, toi et ta postérité après toi dans toutes les générations. Je ne vous demande rien que l’obéissance et la reconnaissance, et j’accomplirai toutes mes promesses.
4. Voulant se faire un peuple à lui des fils du patriarche et les empêcher de se mêler, après qu’ils se seraient multipliés, aux nations dont ils devaient recueillir l’héritage ; voulant aussi éviter ce mélange en Égypte, où, d’après sa prédiction, ils devaient être asservis, il ordonne au juste la circoncision, comme signe de reconnaissance, et lui dit : Voici mon alliance que tu garderas entre moi et toi, ainsi que ta race pendant toutes les générations. Que chaque mâle soit circoncis. Vous circoncirez la chair de votre prépuce. Ensuite pour leur enseigner, ainsi qu’à nous tous, la raison de cet ordre, qui n’avait d’autre cause que de se faire un peuple réservé et mis à part, il dit : Ce sera la marque de l’alliance entre moi et vous. Après cela, il indique le temps où cela doit se faire : Circoncisez le garçon de huit jours, le serviteur né dans la maison, ou l’esclave acheté ; en un mot, tous ceux qui sont avec vous recevront cette marque. Celui qui n’aura pas été circoncis dans le temps prescrit périra, parce qu’il aura violé mon alliance.
Voyez la sagesse du Seigneur ! comme il connaissait l’imperfection des hommes à venir, il leur impose comme un frein cette marque de la circoncision, pour dompter leurs mauvais penchants et les empêcher de se mêler aux autres nations. Il connaissait leur penchant au mal, et savait que, malgré une foule d’avertissements, leurs mauvaises passions ne seraient point enchaînées. Aussi, comme souvenir impérissable, il leur imposa ce signe de la circoncision, comme un lien qui les soumît à des lois infranchissables, pour rester fidèles à leur nation et ne jamais se mêler aux autres peuples, afin que la race du patriarche restât pure et reçût l’accomplissement des promesses divines. De même qu’un homme doux et sage qui a une servante portée à désobéir, lui donne l’ordre précis de ne point quitter la maison, et que quelquefois même il l’enchaîne pour contenir son instinct vagabond ; de même Dieu, dans sa bonté, leur imposa le signe de la circoncision comme une entrave, afin que cette marque particulière les empêchât d’aller rien chercher chez les autres.
Mais les Juifs ingrats et insensés veulent garder encore la circoncision dont il n’est plus besoin, et montrent ainsi leur puérilité. En effet, pour quelle raison, dites-moi, veulent-ils maintenant être circoncis ? Alors ils avaient reçu ce précepte pour ne pas se mêler aux nations impies, mais maintenant que la grâce de Dieu les a toutes amenées à la lumière de la vérité, à quoi sert la circoncision ? Cet enlèvement d’un morceau de chair peut-il servir à délivrer notre âme ? N’ont-ils donc pas compris que si Dieu leur disait : ce sera le signe de l’alliance, il voulait dire que leur faiblesse réclamait une marque particulière ? C’est ce qui arrive d’ordinaire dans les choses humaines. Quand nous doutons de quelqu’un, nous réclamons une preuve qui nous assure de sa bonne foi. De même le Tout-Puissant, connaissant l’inconstance de leur esprit, exigea d’eux ce signe, non pour le conserver toujours, mais pour qu’il disparût quand la loi antique aurait pris fin et que ce signe serait devenu inutile. Ceux qui ont réclamé une preuve de bonne foi la laissent de côté quand l’affaire est terminée ; de même ici, cette marque avait été introduite parmi vous pour distinguer la postérité du patriarche ; mais après que ces nations dont vous étiez ainsi séparées ont été, les unes détruites, les autres appelées au grand jour de la vérité, cessez de porter la preuve de votre faiblesse et revenez à votre nature primitive. Songez en effet que cet homme admirable, c’est-à-dire le patriarche, avant d’avoir reçu l’ordre de la circoncision (il était alors âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans), avait été agréable à Dieu et avait été mille fois loué par le Seigneur. Maintenant que les promesses allaient s’accomplir, qu’Isaac allait venir au monde, que la race allait s’accroître et que le patriarche approchait de sa fin, il reçoit le précepte de, la circoncision, et lui-même s’y soumet à son âge, afin que son exemple devienne une règle pour ses descendants.
5. Les faits eux-mêmes vous montreront, mes bien-aimés, que cet usage ne sert en rien à l’âme. Que dit Dieu ? Le garçon de huit jours sera circoncis. Je crois qu’il a eu deux raisons de prescrire ce terme ; l’une parce que, dans un âge si tendre, l’opération est moins douloureuse ; l’autre, pour indiquer que ce n’est qu’une marque, sans utilité pour l’âme. L’enfant nouveau-né, qui ne connaît et ne comprend rien, quel avantage peut-il en recevoir ? Ce qui peut être bon pour l’âme lui arrive par son propre choix. Ce qui est bon pour l’âme, c’est de préférer la vertu au vice, c’est de ne désirer que le nécessaire, et de distribuer le superflu aux indigents ; ce qui est bon pour l’âme, c’est de ne pas s’attacher au présent et même de le mépriser, en pensant toujours à l’avenir. Quel bien peut-il y avoir dans un signe charnel ? Mais les Juifs ingrats et insensés, quand la vérité a passé, restent encore dans l’ombre ; tandis que le Soleil de la justice s’est levé et a répandu partout ses rayons, ils ne s’éclairent qu’à la lueur de leur lampe ; lorsqu’il est temps de goûter des aliments solides, ils se nourrissent encore de lait et ne veulent pas entendre la voix de saint Paul, qui leur dit d’une manière si puissante, au sujet de leur patriarche : Il reçut la marque de la circoncision comme le signe de la justice qu’il avait eue par la foi. (Rom. 4,11)
Voyez comme l’Apôtre nous montre que ce n’était qu’un signe, et que cette circoncision montrait que sa foi l’avait justifié. Qu’un juif n’ose pas nous dire : n’est-ce point la circoncision qui l’a justifié ? le même saint, élevé par Gamaliel (Act. 22,3) et, connaissant si profondément la loi, lui dira : Ne croyez pas, juifs impudents, que la circoncision fasse quelque chose pour justifier, car, avant ce temps, Abraham crut à Dieu et sa foi lui fut réputée à justice. (Rom. 4,3) C’est donc après avoir été justifié par sa foi qu’il reçut la circoncision. Dieu commence par ajouter une lettre à son nom, puis lui ordonne de se circoncire, ce qui montre que le Seigneur l’a adopté pour sa vertu, ainsi que sa postérité. De même que celui qui a acheté un esclave, change souvent son nom et son costume, pour constater qu’il en est le maître et qu’il peut lui commander ; de même le Seigneur de toutes choses, voulant distinguer le patriarche des autres hommes, ajoute une lettre à son nom pour faire voir qu’il sera père d’une multitude infinie, puis il le fait circoncire pour le séparer, ainsi que son peuple, des autres nations. Ceux dont l’aveuglement veut encore la conserver, n’écoutent pas ces autres paroles de saint Paul : Si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien. (Gal. 5, 2) En effet, le Seigneur est venu pour supprimer cette pratique, et la loi étant accomplie, l’observation de la loi doit finir ; aussi saint Paul dit-il : Si vous vous justifiez par la loi, vous perdez la grâce. (Gal. 5,4) Obéissons donc à ce saint, et ne pratiquons plus la circoncision, car il a dit : Vous avez été circoncis, non point dans la chair, mais par le retranchement des péchés de la chair ; c’est la circoncision du Christ. (Col. 2, 11)

Ce signe de la circoncision séparait les Juifs des autres nations, et montrait que Dieu les avait choisis en particulier ; de même notre circoncision parle baptême montre mieux la séparation des fidèles et des infidèles. Nous ne sommes point circoncis dans la chair, mais par le retranchement des péchés de la chair. Car ce que faisait la circoncision de la chair, le baptême le fait en supprimant nos péchés. Une fois que nous nous en sommes dépouillés et que nous avons revêtu la robe de pureté, persévérons, mes bien-aimés, dans cette pureté, et restons supérieurs aux affections de la chair, en embrassant la vertu. Et nous, qui sommes sous la grâce, prenons pour modèle celui qui a vécu sous la loi et même avant la loi. En dirigeant notre vie d’après la sienne, nous mériterons de nous retrouver dans son sein et de jouir des biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

QUARANTIÈME HOMÉLIE.

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Et Dieu dit à Abraham : « Sara ta femme ne s’appellera plus Sara, mais Sarra sera son nom. » (Gen. 17,15)

ANALYSE.

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  • 1. Résumé de l’homélie précédente. Bénédiction de Dieu sur Sara qui se nommera désormais Sarra. – 2. La fidélité d’Abraham amplement récompensée. Naissance miraculeuse d’Isaac nettement prédite. – 3 et 4. Exhortation morale.

1. Nous allons vous présenter les restes de la table d’hier, et terminer aujourd’hui ce que nous avions à dire sur la bénédiction et la promesse dont le Tout-Puissant honora le patriarche. Mais dans ces restes de table ne comprenez point des restes matériels : ceux-ci ne ressemblent en rien à ceux d’un festin spirituel. Les uns, quand ils sont refroidis, n’ont plus la même saveur pour les convives, et si on les garde un jour ou deux, ils ne peuvent plus servir. Les autres, lorsqu’on les garde un jour ou deux, et tant qu’on veut, servent toujours aussi bien et donnent autant de plaisir. C’est qu’ils sont divins et spirituels, qu’ils ne souffrent rien du temps, qu’ils deviennent de jour en jour plus agréables et causent plus de joie à ceux qui veulent en profiter. Puisque ces restes ont tant d’efficacité, préparez-vous à les recevoir de tout votre cœur, et nous-mêmes, confiants dans leur puissance, offrons-les à votre recueillement.

Mais pour que cette instruction vous paraisse plus claire, il faut vous rappeler celle d’hier pour exposer avec ordre ce que nous devons développer. Nous avons parlé hier du précepte de la circoncision, et ces paroles que Dieu adresse au patriarche : Tout mâle sera circoncis chez vous, et ce sera le signe de l’alliance entre moi et vous. Le garçon de huit jours sera circoncis. Et si quelqu’un n’est pas circoncis, son âme périra, parce qu’il aura violé mon alliance. Nous avons terminé là ce que nous avons dit de la circoncision ; et, afin de ne pas vous fatiguer l’esprit par trop de paroles, nous ne sommes pas allé plus loin. En effet, notre seule intention n’est pas de parler beaucoup et puis de partir ; nous voulons mesurer à vos forces l’instruction contenue dans nos discours, afin que vous rapportiez chez vous quelque fruit de nos paroles. Voici donc les restes de ce discours ; nous allons voir, après le précepte de la circoncision, ce que le Dieu de bonté dit au patriarche. Et Dieu dit à Abraham : Sara ta femme ne s’appellera plus Sara, mais Sarra sera son nom. De même qu’en ajoutant une lettre à ton nom, j’ai montré que tu serais père de beaucoup de nations, de même j’ajoute une lettre à celui de Sara, afin de faire voir que le temps approche où les promesses que je t’ai faites autrefois seraient accomplies. Sarra sera son nom. Je la bénirai et je te donnerai un fils d’elle, et je le bénirai, et il sera le chef d’une nation, et les rois des nations sortiront de lui. J’ai ajouté une lettre pour t’apprendre que toutes mes paroles vont se réaliser. Ne te décourage pas en songeant à la faiblesse de la nature, mais considère plutôt jusqu’où va ma puissance et prends confiance à ce que j’ai dit : Je la bénirai et je te donnerai un fils d’elle, et je le bénirai, et il gouvernera les nations, et les rois des nations sortiront de lui.

Une pareille prédiction dépassait la nature humaine ; c’était comme si l’on avait promis de faire des hommes avec des pierres. Car ils ne différaient en rien des pierres au point de vue de la génération. La vieillesse du patriarche le rendait presque impuissant et incapable d’avoir des enfants ; quant à Sara, outre sa stérilité, elle était beaucoup trop avancée en âge. Mais le juste, lorsqu’il entendit ces paroles, était persuadé que Dieu avait déjà réalisé sa promesse à propos d’Ismaël. En effet, dans ces paroles : Je donnerai cette terre à toi et à ta race, Dieu n’indiquait pas d’une manière précise le fils que Sara devait avoir, Abraham croyait donc que la promesse était déjà accomplie. Maintenant, quand le Seigneur lui dit : Je bénirai Sarra et je te donnerai un fils d’elle, et je le bénirai, et il gouvernera les nations ; puis, de plus : les rois des nations sortiront de lui ; ne sachant que dire (car un homme aussi pieux ne pouvait douter des paroles de Dieu), songeant à sa vieillesse et à la stérilité persistante de Sara, anéanti et stupéfait par la promesse de Dieu, il tomba sur sa face et se mit à rire.

2. Devant cette promesse inouïe, devant la puissance de celui qui la faisait, il tomba sur sa face et se mit à rire, c’est-à-dire qu’il fut rempli de joie. Il cherchait dans ses réflexions comment il pouvait s’accorder avec l’ordre des choses humaines qu’un centenaire eût un fils et qu’une femme stérile, et nonagénaire devînt tout à coup féconde. Telles étaient ses pensées, mais sa langue n’osait les énoncer ; seulement il montra sa reconnaissance en priant pour Ismaël, comme s’il disait : Seigneur, vous m’avez assez consolé et vous avez changé en joie par la naissance d’Ismaël la douleur que j’avais d’être sans postérité. Après sa naissance je n’ai jamais cru ni même imaginé que j’aurais un fils de Sara ; elle-même ne s’y attendait pas et en avait abandonné toute espérance, puisqu’elle m’avait donné Agar. Nous avons eu tous deux une grande consolation par la naissance d’Ismaël. Que ce fils, qui m’a été donné par vous, vive devant votre face, et nous aurons assez de bonheur ; et sa présence consolera notre vieillesse. Que répond à cela ce Seigneur si bon ? Comme il avait éprouvé depuis longtemps la piété du juste et la foi de Sara, comme il voyait qu’ils n’attendaient rien d’eux-mêmes, l’un à cause de sa vieillesse, l’autre à cause de son âge et de sa stérilité, il dit, cela vous paraît complètement impossible : c’est pour cela que j’ai attendu si longtemps ; vous saurez ainsi que les faveurs dont je dispose sont bien au-dessus de la nature humaine ; tout le monde saura comme vous par ces prodiges que je suis le Maître de la nature, qu’elle obéit à toutes mes volontés et cède à tous mes ordres. Moi qui ai tiré l’être du néant, je puis, à bien plus forte raison, corriger la nature quand elle est imparfaite. Pour te donner confiance, écoute et rassure-toi, reçois un gage certain de ma parole. Voici ta femme Sara, que tu crois incapable d’enfanter à cause de sa stérilité et de sa vieillesse : elle te donnera un fils, et pour que tu n’en doutes pas, je te dirai même son nom d’avance. Ton fils encore à naître s’appellera Isaac. Je ferai alliance avec lui pour toujours et avec sa race après lui. C’est lui que je t’ai promis d’abord et dès le commencement, et c’est en lui que mes promesses seront accomplies. Je te préviens de tout cela, non seulement parce qu’il doit naître, mais pour que tu saches comment tu l’appelleras et que j’ai fait alliance, non seulement avec lui, mais avec sa race après lui. Ensuite ce Dieu dont les bienfaits dépassent toujours nos prières, ayant ainsi fortifié l’esprit du juste et l’ayant presque rajeuni par ses promesses, puisqu’il l’avait pour ainsi dire ramené, par ses paroles, de la mort à la vie et même à la fécondité, lui dit pour comble de libéralité : J’accomplirai toutes ces promesses et je t’accorderai en outre ce que tu m’as demandé pour Ismaël, car j’ai entendu ta prière. Je le bénirai ; je l’accroîtrai et le multiplierai de plus en plus. Il engendrera douze nations et je l’établirai sur un grand peuple. Puisqu’il est ta race, je l’accroîtrai et je le multiplierai abondamment, au point de faire sortir de lui douze nations. Mais je ferai mon alliance avec Isaac, que Sara t’enfantera à cette même époque, dans un an.

Ici, je vous prie, voyez, mes bien-aimés, comment le juste reçut en un instant la récompense de toute sa vie, et comment fut accompli en lui ce que le Christ disait à ses disciples : Celui qui laissera père, mère, famille et frères en mon nom, recevra le centuple et gagnera la vie éternelle. (Mt. 19,29) Songez, je vous prie, à notre juste qui obéit sans retard à l’ordre du Seigneur et préféra une autre terre à sa patrie, voyez comme sa résignation continuelle l’éleva peu à peu au comble de la vertu, comme il devint illustre et célèbre et comment le nombre de ses descendants put être comparé à celui des étoiles. Si l’on pouvait calculer à la rigueur, on trouverait que le juste n’a pas été récompensé cent fois, mais dix mille fois. S’il a été honoré jusqu’à présent de tant de bienfaits, quelle voix pourra jamais raconter ceux qui vont suivre ? Le mieux est de le dire ; autant que possible, d’un seul mot. Si l’on vous dit que tous les justes, depuis cette époque jusqu’à la nôtre et jusqu’à la consommation des temps, n’ont eu et n’auront d’autre désir que de reposer dans le sein du patriarche, que peut-on dire de plus glorieux pour lui ? Vous avez apprécié sa résignation, sa vertu, sa piété et toute sa reconnaissance pour les bienfaits du Seigneur. Quand il le fallait, il fit tout ce qui dépendait de lui, il accepta tout de bonne grâce, le plaisir et le déplaisir ; aussi le Dieu de bonté lui accorda enfin le premier de tous les biens, celui qu’il désirait par-dessus tout. Remarquez, en effet, qu’il a éprouvé pendant vingt-quatre ans la vertu du juste ! Car lorsqu’il sortit de Charran pour obéir au Seigneur, il avait soixante-quinze ans, et maintenant, quand Dieu lui parla encore, il ne lui fallait qu’un an pour être centenaire.

3. Que cette histoire, mes bien-aimés, nous apprenne à être toujours résignés, et à ne jamais nous laisser abattre ni décourager par les épreuves de la vertu ; comprenons par là toute la bonté et la générosité du Seigneur qui, pour une petite offrande, nous accorde une grande récompense, non seulement par les biens immortels de l’avenir, mais en nous comblant de ses faveurs pour soulager notre faiblesse dans ce monde. Ainsi notre patriarche, pendant cet espace de temps, eut sans doute à supporter de rudes épreuves, mais ses adversités étaient toujours entremêlées de moments heureux. Car le Tout-Puissant, indulgent pour notre faiblesse, ne nous abandonne pas au milieu des adversités qu’il nous serait impossible de supporter ; il se hâte de venir à notre secours, il ranime notre courage et rappelle notre raison ; de même il ne nous laisse pas trop longtemps dans la prospérité qui nous rendrait négligents et favoriserait nos mauvaises inclinations. En effet, la nature humaine, au milieu de la prospérité, s’oublie quelquefois, et sort des bornes qui lui conviennent ; aussi notre Père qui nous aime, tantôt nous favorise et tantôt nous éprouve, afin de veiller, de toute manière à notre salut. De même qu’un médecin, lorsqu’il soigne un malade, ne le soumet pas toujours à la diète et ne lui laisse pas toujours satisfaire sa faim, de peur que son avidité n’augmente sa fièvre ou que la privation ne l’affaiblisse ; il ménage les forces du malade, et il emploie tout son art à lui être utile. C’est ainsi que le bon Dieu, sachant ce qui convient à chacun de nous, tantôt nous fait jouir de la prospérité, tantôt nous soumet à des épreuves pour nous exercer à la vertu. Ceux dont le mérite est déjà digne d’éloges brillent d’un nouvel éclat au milieu des épreuves et reçoivent une nouvelle grâce d’en haut ; en même temps les pécheurs qui acceptent de bon cœur ces épreuves, sont délivrés du fardeau de leurs péchés, et obtiennent leur pardon. Aussi je vous en supplie, connaissant l’intelligence et la sagesse du médecin de nos âmes, ne discutons jamais les soins qu’il nous donne. Si notre esprit ne peut les comprendre, c’est une raison de plus pour admirer les desseins de Dieu et de glorifier le Seigneur, dont notre raison et la pensée humaine ne peut apprécier la sagesse. Nous ne savons pas aussi bien que lui ce qui nous convient ; nous ne veillons pas à notre salut comme il y veille lui-même, car il fait tous ses efforts pour nous attirer à la vertu et nous sauver des mains du démon. S’il voit que la prospérité ne nous est pas avantageuse, il fait comme un bon médecin qui nous soigne dans l’obésité produite par notre gourmandise et qui nous guérit par la sobriété. De même cet admirable médecin de nos âmes permet que nous soyons un peu éprouvés pour nous faire comprendre les dangers de la prospérité, mais quand il voit que nous sommes revenus à la santé, il nous délivre de nos épreuves et nous accorde ses faveurs avec abondance. Si donc des personnes vertueuses sont soumises à quelques épreuves, qu’elles ne s’en troublent pas, mais qu’elles en conçoivent une meilleure espérance, et qu’elles les regardent comme l’origine de couronnes et de récompenses nouvelles. Si des pécheurs tombent dans l’adversité qu’ils ne se révoltent point, sachant que les péchés sont purifiés par le malheur, pourvu qu’on accepte tout de bonne grâce. En effet, un serviteur reconnaissant doit remercier son maître, non seulement quand il en reçoit tout à souhait, mais aussi dans les privations. C’est ainsi que le patriarche devint illustre et fut honoré de la faveur de Dieu qui lui prodigua des bienfaits au-dessus de la nature humaine.
4. Il faut maintenant reprendre la suite de notre discours et remarquer l’obéissance du juste qui exécuta l’ordre de Dieu sans en rechercher la raison et sans en demander la cause, comme font tant d’insensés qui discutent les œuvres de Dieu, et disent pourquoi ceci ? pourquoi cela ? à quoi sert ceci, à quoi sert cela ? Tel n’était pas le juste ; comme un serviteur dévoué, il accomplit l’ordre sans chercher au-delà, vous allez encore le voir par ce qui suit. Après que le Seigneur lui eut fait la promesse et eut achevé de lui parler, le juste fit aussitôt ce qui lui était commandé, et cette marque exigée par Dieu, c’est-à-dire la circoncision, il la fit aussitôt subir à Ismaël et à tous les serviteurs nés à la maison ou achetés à l’étranger. Lui-même fut circoncis. Il avait quatre-vingt-dix-neuf ans, quand il coupa la chair de son prépuce. Ismaël avait alors treize ans. Ce n’est pas sans raison que l’Écriture rapporte ici le nombre de ses années ; c’est pour montrer la grande obéissance du juste qui était alors dans l’extrême vieillesse et qui supporta volontiers la douleur pour accomplir l’ordre de Dieu ; aussi on compte non seulement lui, mais Ismaël et tous ses serviteurs ; l’opération dut être pénible. Ce n’est pas la même chose, mes bien-aimés, de couper une chair saine et une chair malade ; quand les médecins coupent un membre malade la douleur n’est pas si grande, car ce membre, déjà mort pour ainsi dire, n’a plus qu’un reste de sensibilité au moment de l’amputation. Or, ce vieillard si avancé en âge, car il touchait à ses cent ans, supporta volontiers cette douleur, afin d’obéir à Dieu ; en même temps il disposa son fils et ses serviteurs à montrer sans hésitation la même obéissance. Voyez, quelle vertu chez cet homme, et comme il engage toute sa maison à suivre ses traces. Ce que je disais hier, je le répète aujourd’hui ; à partir de ce moment Dieu voulut que cette opération fût pratiquée sur les enfants en bas-âge, afin qu’elle fût moins douloureuse.
Considérez, mes bien-aimés, la bonté de Dieu et son ineffable bienfaisance à notre égard. Cette circoncision entraînait de la douleur et de la gêne ; du reste elle n’avait d’autre avantage que de faire reconnaître ceux qui l’avaient reçue et de les séparer des autres nations. Notre circoncision, je veux dire la grâce du baptême, nous guérit sans douleur et nous procure des biens innombrables ; elle nous remplit de la grâce du Saint-Esprit et peut se faire à toutes les époques. On peut pratiquer dans l’enfance, dans l’âge mûr et dans la vieillesse cette circoncision immatérielle et inoffensive qui nous délivre de nos péchés et nous fait obtenir la rémission de ceux de toute notre vie. Le bon Dieu, voyant l’excès de notre faiblesse, et reconnaissant que nos maux incurables réclamaient un remède héroïque, ainsi qu’une suprême indulgence, prit soin de notre salut et nous accorda de laver ainsi nos péchés et de régénérer notre âme ; par là, nous dépouillons le vieil homme, c’est-à-dire les œuvres du mal, et nous revêtons l’homme nouveau, en marchant dans la route de la vertu. Mais, je vous en conjure, ne restons pas inférieurs aux Juifs, ingrats et insensés. Ceux-ci, ayant reçu la marque de la circoncision, avaient grand soin de ne pas ressembler aux autres nations ; du moins de ne pas avoir de relations avec elles ; car, quant à l’impiété, ils les dépassaient quelquefois. Pour nous, quand nous avons reçu le baptême, au lieu de circoncision, veillons avec soin sur notre conduite. Sans doute nous pouvons nous mêler aux infidèles, mais en restant fidèles à nos vertus, et nous ne devons communiquer avec eux que pour les attirer à la piété et afin que l’exemple de nos bonnes œuvres soit un enseignement pour eux. Aussi le Tout-Puissant a permis ce mélange des bons et des méchants, des hommes pieux et des impies, afin que les méchants profitent avec les bons et que les impies soient amenés à la piété ; car Dieu n’a rien tant à cœur que le salut de notre âme. Aussi, je vous en conjure, ne négligeons pas notre salut, ni celui du prochain ; faisons tout ce qui dépend de nous pour que notre conduite plaise à Dieu ; quant au prochain, faisons tellement éclater notre vertu que, même en gardant le silence, notre exemple soit une leçon pour tous ceux qui peuvent nous voir. Si nous sommes vertueux, nous en retirerons un grand avantage, et en même temps nous serons utiles aux infidèles ; de même, si nous négligeons notre conduite, nous en serons sévèrement punis, et nous deviendrons pour les autres une occasion de scandale. Ainsi, lorsque nous pratiquons la vertu, nous en sommes deux fois récompensés par Dieu, d’abord pour notre compte et ensuite à cause de ceux que nous engageons à la pratiquer aussi ; de même, si nous faisons le mal, nous serons punis, non seulement pour nos propres péchés, mais pour ceux où nous entraînons les autres. À Dieu ne plaise qu’aucune des personnes présentes se trouve dans cette situation ; mais réglons notre conduite de manière à édifier ceux qui nous voient, afin de pouvoir nous présenter avec confiance devant le tribunal du Christ et mériter ses biens infinis ; puisse-t-il en être ainsi pour nous tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

QUARANTE-UNIÈME HOMÉLIE.

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« Dieu apparut à Abraham, près du chêne de Mambré, lorsqu’il était assis à la porte de sa tente à midi. » (Gen. 18,1).

ANALYSE.

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  • 1-2. Saint Chrysostome se plaint amèrement à ses auditeurs de ce qu’ils fréquentent les théâtres et l’hippodrome. S’il en était de la culture des âmes comme de celle des terres, il devrait cesser de cultiver un fonds qui reste stérile malgré ses efforts. Mais la récompense ne manque jamais à celui qui sème dans les âmes, soit que la semence donne des fruits, soit qu’elle n’en donne pas. C’est la raison qui le détermine à continuer ses instructions. Si le docteur qui néglige d’annoncer la parole mérite une punition, l’auditeur qui néglige d’en profiter en mérite une également. – 3-6. Hospitalité exemplaire d’Abraham. Le patriarche exerce l’hospitalité avec empressement, il l’exerce par lui-même, il l’exerce pour plaire à Dieu. – 7. Exhortation morale.


4. C’est avec l’hésitation et le découragement dans l’âme, que je me présente aujourd’hui pour faire l’instruction. Quand je songe que, malgré nos discours et nos exhortations quotidiennes, malgré ce festin spirituel que nous vous présentons, beaucoup des personnes qui assistent à ces instructions et qui s’approchent de la table mystérieuse et terrible, perdent leurs journées à l’hippodrome, sans s’inquiéter de nos conseils ; mais comme s’ils obéissaient à une habitude invincible, au premier signe du démon, ils courent d’eux-mêmes à ce spectacle impie et se laissent prendre volontairement dans les filets du malin esprit ; ils ne songent plus à nos avertissements, au danger qu’ils courent et à l’inutilité de l’instruction qu’ils viennent recevoir ici ; quand je songe à cela, puis-je, de bon cœur, continuer d’offrir l’aliment de la doctrine à ceux qui n’en veulent pas profiter ? Ne vous étonnez pas de mon découragement. Un laboureur dont le champ reste stérile, malgré toutes ses peines et tous ses soins, n’ose plus l’ensemencer et répugne à le cultiver. Lorsqu’un malade, rebelle aux ordonnances, semble vouloir chaque jour aggraver sa maladie, son médecin l’abandonne quelquefois à ses souffrances pour que l’expérience lui serve de leçon. De même les précepteurs, voyant les enfants négliger leurs premières études et oublier ce qu’ils ont appris, ne trouvent pas de meilleur moyen pour corriger leur paresse et les ramener au travail que de les abandonner quelque temps.
Du reste, le laboureur a souvent raison de se décourager quand il voit ses pertes s’accroître avec ses fatigues et sa dépense, quand il travaille beaucoup et qu’il ne récolte rien, Le médecin a souvent raison d’abandonner son malade : car c’est le corps qu’il soigne, et il peut espérer qu’en le laissant à lui-même le sentiment de la douleur lui fera comprendre sa maladie et l’empêchera de repousser la médecine. Le précepteur rencontre trop souvent, dans les défauts du jeune âge, une juste occasion de châtier les enfants. Aujourd’hui nous chercherons à – les surpasser tous en montrant une affection paternelle à ceux qui sont en faute et en leur prouvant que s’ils y restaient, ce serait pour eux un nouveau sujet de condamnation. En effet, ce qui détourne le laboureur d’ensemencer, c’est qu’il craint que ses frais ne soient encore inutiles : mais nous n’avons pas la même inquiétude. Après avoir jeté cette semence spirituelle, si votre négligence nous empêche de rien recueillir, nous n’en perdrons rien, car nous ne dépensons que l’argent qui nous est confié ; et nous agis sons au nom du Seigneur. C’est aux auditeurs à rendre leurs comptes à celui qui leur redemandera ce dépôt avec usure. Mais nous ne songeons pas seulement à éviter tout reproche en faisant ce qui dépend de nous ; notre désir est aussi de vous voir profiter de ce dépôt pour vous éviter la punition du serviteur qui avait caché son talent, et qui, loin de multiplier l’argent de son maître, l’avait enfoui en terre. Tels sont ceux qui écoutent ces instructions (car c’est1à ce que signifie le talent d’argent), et qui ne songent pas à le faire fructifier et multiplier. On me dira peut-être que cette parabole des talents regarde les prédicateurs : j’en conviens. Mais si nous l’examinons avec attention, nous observerons que les prédicateurs sont seulement responsables du paiement ; quant aux auditeurs, ils doivent non seulement conserver l’argent, mais le faire valoir. Pour vous en convaincre, il faut vous rappeler cette parabole : Le maître de maison, en partant, appela ses serviteurs et leur donna à l’un cinq talents, à l’autre deux, à un troisième un seul. Longtemps après, il revint, et ses serviteurs parurent devant lui : celui qui avait reçu cinq talents, s’approcha en disant Seigneur, tu m’avais confié cinq talents ; en voici cinq autres que j’ai gagnés. (Mt. 25,14-15, 19-20) Voilà un serviteur honnête ; aussi le Seigneur le récompense-t-il abondamment. Que dit-il ? Allons, bon et loyal serviteur : comme tu as été fidèle pour une petite somme, je t’en confierai de plus grandes entre dans la joie de ton maître. (Mt. 25,21) Puisque tu as montré ta probité à propos d’un premier dépôt, tu mérites qu’on t’en remette un plus considérable. Celui qui avait reçu deux talents s’approcha aussi, disant : ne m’as-tu pas confié deux talents ? En voici deux autres que je t’ai gagnés ! (Id. 22) Celui-ci avait aussi bien administré l’argent de son maître, car il reçoit la même récompense que le premier. Et pourquoi celui qui rapporte deux talents a-t-il le même mérite que celui qui en a fait gagner cinq ? C’est avec justice ; car si l’un donne plus et l’autre moins, cela ne tient pas à l’inégalité du zèle déployé de part et d’autre, mais à la différence des sommes confiées. Quant au soin, tous deux ont été égaux ; aussi reçoivent-ils la même récompense.
2. Le troisième avait agi tout indifféremment. Qu’avait-il fait ? Il s’approcha en disant : Je sais que tu es un homme dur, moissonnant où tu n’as pas semé et recueillant où tu n’as rien mis : aussi, comme je te craignais, je suis allé cacher ton argent dans la terre. Voilà ce qui est à toi. (Id. 5,24, 25) O méchant serviteur ! ô comble d’ingratitude ! au lieu d’avoir fait fructifier le talent, il n’apporte qu’une accusation. C’est l’effet de la perversité : elle obscurcit le jugement et entraîne dans le précipice celui qui s’est une fois écarté de la bonne route. Tout cela regarde les prédicateurs qui ne doivent pas enfouir leur dépôt, ruais au contraire mettre tout leur zèle à l’offrir à leurs auditeurs : ruais la suite va vous apprendre, mes bien-aimés, que les auditeurs aussi ont, des comptes à rendre et qu’on leur demande non seulement le capital, ruais encore les intérêts ; c’est ce que fait voir l’indignation même du maître contre le serviteur. Que lui dit-il ? Méchant serviteur ! (Id. 5,26) Voilà une colère terrible et des menaces bien capables d’épouvanter. Tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé, et que je recueille où je n’ai rien mis : tu devais donc placer raton argent entre les mains des banquiers, et, en venant, je l’aurais retrouvé avec usure. Cet argent signifie les discours édifiants, et les banquiers représentent les auditeurs qui les écoutent. Tu n’avais, dit le maître au serviteur, qu’à leur remettre l’argent ; ensuite, c’était à moi à leur redemander, non seulement cet argent remis, mais aussi l’intérêt qu’il aurait rapporté. Voyez, mes bien-aimés, combien ces paroles sont terribles. Que pourront dire ceux qui auront perdu le capital, lorsqu’on leur redemandera même des intérêts ?
Voyez la bonté du Seigneur. Dans les affaires matérielles il a défendu que l’argent rapportât de l’intérêt. Pourquoi, par quelle raison ? Parce que c’est une convention fâcheuse aux deux parties. Le débiteur est ruiné, et le gain du créancier ne fait qu’accroître le fardeau de ses péchés. Voilà pourquoi, dès l’origine, Dieu a donné aux Juifs grossiers ce précepte : Tu ne prendras pas d’intérêt à ton père et à ton frère. (Deut. 23,19). Quelle excuse peuvent donc avoir ceux qui sont plus inhumains que les Juifs, et qui, après avoir reçu du Seigneur tant de grâces et de bienfaits, ne s’élèvent pas si haut que ceux qui vivaient sous l’ancienne loi, ou, pour mieux dire, descendent plus bas ? Mais pour les choses spirituelles Dieu autorise l’usure. Pourquoi cela ? Parce que les biens spirituels diffèrent complètement des biens temporels. Les uns, quand on les réclame avec rigueur, réduisent à une misère complète celui qui en est privé ; les autres, quand le débiteur les paye de bon cœur, attirent d’autant mieux sur lui la récompense céleste, que l’usure est plus considérable. Aussi, mes bien-aimés, quand nous vous offrons ce qui nous a été confié, vous contractez l’obligation d’une double peine à prendre, d’une double vigilance à déployer : d’abord il faut garder vous-mêmes ce dépôt et le conserver fidèlement ; ensuite il faut vous empresser de le communiquer aux autres pour en amener le plus possible dans la route de la vertu ; ainsi, votre profit sera double par votre propre salut et par l’avantage d’autrui.
En faisant cela, vous nous rendrez bienheureux, car bienheureux est celui qui touche les oreilles de ses auditeurs (Sir. 25,9), et vous ferez régner plus, d’abondance sur cette table spirituelle. Ainsi, ne négligez point vos frères et ne vous inquiétez pas seulement de ce qui vous regarde. Que chacun s’occupe d’arracher son prochain au gouffre de l’enfer, le détourne de ces spectacles impies et le ramène à l’Église, en lui montrant avec beaucoup de douceur et de bonté l’excès du mal qu’entraînent les uns, et tout le bien qu’on retire de l’autre ; ne faites pas cela seulement une fois ou deux, mais toujours. Car s’il ne vous écoute pas aujourd’hui, il peut le faire plus tard ; s’il n’écoute pas votre second avertissement, du moins, en voyant que vous le pressez de nouveau, peut-être rougira-t-il, et, redoutant votre zèle, s’abstiendra-t-il enfin de cette habitude pernicieuse. Ne vous dites pas : je l’ai averti une, deux, trois, plusieurs fois, et je n’ai rien obtenu. Ne cessez pas de l’avertir ; plus vous montrerez de persévérance, plus vous aurez de mérite. Ne voyez-vous pas avec quelle patience Dieu nous supporte, quoique tous les jours nous négligions ses préceptes, et qu’il ne cesse pas de veiller sur nous, puisqu’il nous comble des biens de la nature, qu’il fait lever le soleil, tomber la pluie, et mille autres bienfaits ? De même montrons à nos frères toute notre bonne volonté, et luttons contre le malin esprit pour déjouer ses artifices. Si chacune des personnes présentes pouvait obtenir seulement une conversion, songez combien notre Église aurait de joie à montrer le nombre de ses enfants, et quelle honte aurait le démon en voyant qu’il a tendu ses pièges en vain. Si vous y parvenez, Dieu vous dira aussi dans ce grand jour : Courage, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle pour une petite chose ; je t’en donnerai de plus grandes.
3. Du reste, vous le ferez, j’en suis bien persuadé. Je lis sur vos visages, je crois que vous avez reçu avec plaisir mon exhortation, et j’espère que vous ferez tout ce qui dépendra de vous. Aussi nous terminerons ici cet avertissement et nous vous offrirons un festin simple et frugal, afin que vous retourniez chez vous après avoir reçu l’instruction ordinaire. Il faut vous parler aujourd’hui du patriarche Abraham, et vous apprendre comment Dieu le récompensa de son hospitalité. Dieu lui apparut près du chêne de Mambré, comme il était assis à la porte de sa tente, à midi. Examinons avec soin chaque parole, et après avoir ouvert le trésor, étudions les richesses qu’il renferme. Pourquoi ce commencement ? Dieu lui apparut. Admirez la bonté de Dieu, et considérez la reconnaissance de son serviteur. Quand Dieu lui était déjà apparu et lui avait, entre autres choses, donné le précepte de la circoncision, cet homme admirable s’était toujours empressé d’accomplir les ordres de Dieu. Sans mettre aucun retard, il exécuta le commandement en pratiquant la circoncision sur lui-même, sur Ismaël et tous ses serviteurs ; quand il eut ainsi montré sa profonde obéissance, Dieu lui apparut encore. Le bienheureux Moïse commence ainsi : Dieu lui apparut auprès du chêne de Mambré, pendant qu’il était assis devant sa tente à midi. Observez ici la vertu du juste. Il était assis devant sa tente. Il pratiquait tellement l’hospitalité qu’il ne laissait à aucun de ses inférieurs le soin de recevoir les étrangers. Ce vieillard qui avait trois cent dix-huit domestiques, qui était accablé par l’âge, puisqu’il était parvenu à cent ans, était assis devant sa porte pour attendre des hôtes. Il y mettait toute son attention, sans trouver d’obstacle dans sa vieillesse ni dans le soin de son repos ; il ne se tenait point couché à l’intérieur, mais assis à la porte. Bien d’autres, loin d’avoir un pareil soin, cherchent au contraire à fuir la vue et l’approche des étrangers, de peur d’être forcés de les recevoir malgré eux. Tel n’était pas le juste qui restait assis à sa porte à midi. Car son hospitalité et sa vertu sont d’autant plus admirables qu’il se tenait ainsi à midi. C’était avec raison ; il savait, en effet, que ceux qui sont forcés de voyager ont, surtout à cette heure, besoin de secours ; aussi, choisissait-il cet instant de la journée et guettait-il les passants, mettant son repos à soulager la fatigue des voyageurs. Il cherchait à abriter sous sa tente ceux que brûlait la chaleur, sans examiner les passants et sans leur demander s’ils étaient connus ou inconnus. Car l’hospitalité n’admet point une pareille perquisition, elle exige avec tous une libéralité bienveillante, et, comme il avait déployé le filet de l’hospitalité, il mérita de recevoir le Tout-Puissant avec ses anges. Aussi saint Paul disait : Ne négligeons point l’hospitalité ; c’est en la pratiquant que quelques-uns ont reçu pour hôtes des anges, sans le savoir (Héb. 13,2) ; il est clair que c’est une allusion au patriarche. Aussi le Christ disait : Celui qui recevra un des plus petits en mon nom, me reçoit moi-même. (Mt. 18,5)
Méditons cela, mes bien-aimés, et quand il s’agit de recevoir un hôte, ne demandons jamais qui il est et d’où il vient. Si le patriarche avait fait ces questions, peut-être aurait-il eu tort. Mais, direz-vous, il savait quels étaient ces visiteurs. Où voyez-vous cela ? En quoi son action aurait-elle été admirable ? Son hospitalité aurait été bien moins méritoire, si elle avait commencé par des questions ; maintenant, ignorant ceux qui viennent, il leur montre autant de zèle et de respect qu’un serviteur à son maître ; il les enchaîne, pour ainsi dire, à force de prières, en les suppliant de ne pas refuser et de ne pas lui causer une pareille affliction. Il savait ce que vaut l’hospitalité, de là son empressement à en recueillir les fruits abondants. Mais écoutons les paroles de l’Écriture elle-même et remarquons, dans un âge si avancé, l’ardeur renaissante de ce vieillard rajeuni, qui semblait trouver un trésor dans l’arrivée de ces hôtes. Levant les yeux, il regarda, et voici : trois hommes se tenaient devant lui ; en les voyant, il se leva de la porte de sa tente, pour courir à leur rencontre. Ce vieillard court et vole ; il a trouvé sa proie, il ne songe plus à sa faiblesse et court à la chasse sans appeler ses serviteurs, sans donner d’ordres à son fils, il court lui-même sans retard, comme s’il disait : voilà un grand trésor, une grande affaire, je veux m’en charger par moi-même, pour n’en pas perdre le mérite. Voilà ce que faisait le juste, croyant recevoir des hommes et des voyageurs inconnus.
4. Méditons à ce sujet, et imitons les vertus du juste ; c’est le moyen de parvenir nous-mêmes à faire une aussi bonne chasse, car on peut toujours ce que l’on veut. Voilà pourquoi le Seigneur bienveillant, pour nous encourager à faire bon accueil aux étrangers et à ne pas les examiner de trop près, nous dit : Celui qui recevra un des plus petits en mon nom me reçoit moi-même. (Mt. 18,5) Ne considérez pas le peu d’importance réelle ou apparente de celui qui passe, mais songez qu’en l’accueillant vous accueillez votre Seigneur. Car si vous le secourez en son nom, vous serez récompensé comme si vous l’aviez reçu lui-même. Si cet homme ne mérite point votre bienveillance et néglige d’en profiter, ne vous en inquiétez point ; vous serez pleinement récompensé si vous agissez pour la gloire du Seigneur, et si vous imitez les vertus de notre patriarche. En les voyant, il se leva de la porte de sa tente et courut à leur rencontre. Ce mot courut, montre bien qu’ils passaient comme des inconnus et qu’ils ne sont pas entrés d’eux-mêmes dans la tente.
Aussi, pour ne pas perdre ce bénéfice spirituel, ce vieillard aux cheveux blancs, ce centenaire accourt, et par son empressement fait preuve de son zèle. Et les ayant vus, il se prosterna contre terre, et dit : Mon seigneur, si j’ai trouvé grâce devant toi, ne passe pas devant ton serviteur. Qu’on prenne de l’eau et qu’on lave vos pieds, et rafraîchissez-vous sous cet arbre : j’apporterai du pain et vous mangerez, et après cela vous continuerez le chemin qui vous a fait passer devant votre serviteur. Les paroles du juste sont bien frappantes. Ce qui doit étonner, ce n’est pas qu’il ait désiré recevoir ces hôtes, mais c’est qu’il l’ait fait avec tant de zèle et qu’il n’ait pas tenu compte de leur âge ni du sien, car ils lui semblaient peut-être jeunes ; c’est qu’il n’ait pas cru pouvoir se borner à leur parler. Il se prosterna contre terre, presque en suppliant, et les exhorta de toutes ses forces pour que sa demande n’eut pas l’air d’une simple politesse. Aussi l’Écriture sainte, voulant nous montrer toute l’étendue de la vertu du juste, dit : Il se prosterna contre terre, et par ses gestes, ainsi que par la chaleur de ses paroles, il montrait beaucoup d’humilité, son zèle hospitalier et son extrême sollicitude. S’étant prosterné contre terre, il dit : Seigneur, si j’ai trouvé grâce devant toi, ne passe point devant ton serviteur. Comment pourrait-on louer dignement ce juste ? et comment des milliers de bouches suffiraient-elles pour faire son éloge ? Le mot de Seigneur n’a rien d’extraordinaire ; mais dire : Si j’ai trouvé grâce devant toi, voilà qui est étrange. Il leur dit : C’est moi qui suis l’obligé et non le bienfaiteur. Telle est la véritable hospitalité : elle a tant d’ardeur, qu’elle croit recevoir plutôt que donner. Que personne ne songe à diminuer la vertu du juste, et ne suppose qu’en parlant ainsi il savait qui étaient ces voyageurs : en effet, s’il l’avait su, ces paroles, comme on l’a dit souvent, n’auraient eu rien d’extraordinaire ; mais, ce qui les rend extraordinaires et admirables, c’est qu’il croyait les adresser à des hommes.
Ne vous étonnez pas qu’en voyant trois voyageurs, le juste parle comme à un seul et dise : Seigneur. C’est sans doute que l’un d’eux paraissait supérieur aux autres, et c’est à lui qu’il s’adresse. Ensuite il continue en parlant d’une manière plus générale, et dit : Qu’on prenne de l’eau et qu’on lave vos pieds ; et aussi : Rafraîchissez-vous sous cet arbre, vous mangerez du pain et vous continuerez le chemin qui vous a fait passer devant votre serviteur. Vous voyez que sans savoir qui ils sont, il leur parle comme à des voyageurs ordinaires, les engage tous ensemble et s’appelle deux fois leur serviteur. Voyez aussi comme il les prévient de la simplicité de sa table, ou plutôt de son abondance. Qu’on prenne de l’eau et qu’on lave vos pieds, et rafraîchissez-vous sous cet arbre. Comme vous êtes fatigués et que vous avez supporté une grande chaleur, daignez entrer chez votre serviteur. Voilà ce que je puis faire pour vous. Je peux seulement vous procurer de l’eau pour laver vos pieds pendant que vous vous reposerez sous cet arbre. Ensuite il leur donne une idée de sa table. Ne croyez pas, dit-il, qu’elle soit splendide, qu’il y ait une foule de mets et d’assaisonnements : vous mangerez du pain, et vous continuerez le chemin qui vous a fait passer devant votre serviteur.
5. Voyez de combien de manières il cherche à retenir ces voyageurs par ses actions, ses paroles, et tous ses efforts. D’abord il se prosterne devant eux, ensuite il les appelle seigneurs et lui-même serviteur : puis il leur dit ce qu’il va faire pour eux, mais sans se vanter et en montrant que c’est peu de chose. J’ai, dit-il, de l’eau pour laver vos pieds, du pain et un abri sous cet arbre. Ne dédaignez pas ma tente, ne méprisez pas ma vieillesse, ne repoussez pas ma demande. Je sais quelle fatigue vous avez subie, je devine quelle chaleur vous avez éprouvée ; aussi je veux vous soulager un peu. Le père le plus tendre montre-t-il à son fils autant de bonté que le patriarche en montrait à : des étrangers inconnus et qu’il n’avait jamais vus. Comme il fit preuve de beaucoup de zèle et d’activité, il réussit dans sa poursuite et parvint à prendre sa proie dans ses filets. Et ils dirent : Nous ferons comme tu as dit. Le vieillard se trouva rajeuni. J’ai, dit-il, un trésor sous la main ; j’ai gagné une fortune, je ne songe plus à ma vieillesse. Voyez comme il se réjouit d’une pareille circonstance ; il saute presque de joie et il est aussi heureux que s’il tenait dans ses mains toutes les richesses du monde. Abraham s’en alla en hâte dans la tente. Quand il allait les guetter, l’Écriture sainte nous montre sa joie et son empressement, en nous disant : Il courut à leur rencontre. Maintenant qu’il a vu ces voyageurs et' qu’il a obtenu ce qu’il désirait, son ardeur ne s’affaiblit pas ; elle devient, au contraire, plus ardente quand il est certain d’avoir réussi. Il nous arrive souvent d’être tout de feu en commençant ; mais, quand l’affaire est en train, nous nous relâchons. Tel n’était pas le juste. Que fait-il ? Il se hâte et s’empresse de nouveau ; tout vieux qu’il est, il court dans la tente chercher Sarra, et lui dit : Dépêche-toi et prends trois mesures de fleur de farine. Voyez comment il prend Sarra pour complice de sa chasse, et comment il lui apprend à imiter sa vertu. Il l’excite à faire promptement son devoir, et lui dit : Dépêche-toi. Une heureuse aventure nous est survenue ; ne perdons pas cette bonne occasion : Dépêche-toi et prends trois mesures de fleur de farine. Comme il savait l’importance d’une œuvre de cette nature, il voulait faire partager la récompense à la compagne de sa vie. Pourquoi, dites-moi, ne donna-t-il cet ordre à aucune de ses servantes ; mais à sa femme, si avancée en âge, car elle avait quatre-vingt-dix ans ? Du reste, Sarra ne résiste pas à cet ordre et montr6la même joie. Maris et femmes, retenez bien cela. Que les maris habituent leurs femmes, s’il se présente quelque gain spirituel, à ne pas agir par leurs domestiques, mais à tout faire par elles-mêmes ; que les femmes s’empressent à aider leurs maris dans leurs bonnes œuvres, et ne rougissent pas d’exercer l’hospitalité et d’en accomplir tous les devoirs ; qu’elles imitent la vieillesse de Sarra, qui se chargeait, à son âge, d’un pareil travail avec plaisir et remplissait l’office des servantes.
Mais je sais que presque personne ne m’écoutera. Maintenant, tout le monde fait le contraire, la mollesse des femmes est extrême et elles mettent tous leurs soins dans les beaux habits, dans les parures d’or, les colliers, le luxe extérieur, sans songer le moins du monde à leur âme. Elles n’entendent pas la voix de saint Paul qui leur crie : Qu’elles n’aient point de cheveux frisés, d’or, de perles, ni d’habits somptueux. (1Tim. 2,9) Vous voyez que cette âme, qui touchait le ciel, n’a pas dédaigné de vous parler de frisure : il avait raison, car il s’inquiétait de tout ce qui pouvait servir à l’âme. Il savait que la parure est ce qui nuit le plus à l’âme ; aussi ne craint-il pas de donner les meilleurs conseils aux personnes qui ont cette faiblesse ; il leur dit : si vous voulez vous parer, prenez la véritable parure, celle qui convient aux femmes pieuses, celle des bonnes œuvres. C’est elle qui fait l’ornement de l’âme, qu’aucune ordonnance ne peut réprimer, qu’aucun voleur ne peut ravir et qui reste toujours inaltérable. La parure extérieure engendre mille maux : je ne parle pas seulement de ceux de l’âme, l’arrogance qui en résulte, le mépris du prochain, l’orgueil de l’esprit, la corruption du cœur, une foule de plaisirs défendus ; mais ces toilettes splendides peuvent être dérobées par les domestiques ou pillées par les voleurs ; elles vous exposent à des accusations calomnieuses, enfin on n’y trouve que des peines infinies et des amertumes perpétuelles. Telle n’était pas Sarra qui possédait la véritable parure-; aussi fut-elle digne du patriarche : il s’empressa et courut dans la tente ; elle s’empressa d’accomplir son ordre et prit trois mesures de fleur de farine. Comme il y avait trois hôtes, le juste avait dit de prendre trois mesures pour faire promptement les pains. Après cet ordre, il courut aussitôt vers les bœufs. Quelle jeunesse dans cette vieillesse ! quelle énergie dans cette âme ! Il court aux bœufs et n’y laisse aller aucun de ses serviteurs : dans sa conduite tout fait voir à ses hôtes de quel plaisir il était pénétré, combien il appréciait leur présence et quel trésor c’était pour lui qu’un tel honneur. Il prit un veau tendre et délicat. Ainsi, il fait son choix lui-même, il confie l’animal à un serviteur qu’il engage à se presser, pour servir le plus tôt possible.
6. Voyez avec quelle rapidité, quel zèle ardent, quelle joie, quel bonheur, quel plaisir il fait tout cela. Le vieillard ne se repose pas et fait de nouveau l’office de serviteur. Il prit du beurre, du lait et le veau qu’il avait tué et leur servit tout cela. Ainsi il fait tout et sert tout lui-même. Et il ne s’est pas trouvé digne de s’asseoir avec eux, mais pendant que ceux-ci mangeaient il restait debout près de l’arbre. O culte de l’hospitalité ! ô excès d’humilité ! ô piété parfaite ! ce centenaire restait debout pendant leur repas. Il me semble que son ardeur et son zèle ont suppléé à sa faiblesse et 1ui ont donné de la force. Souvent, en effet, l’excitation d’une âme énergique triomphe de la faiblesse du corps. Ainsi le patriarche restait debout comme un serviteur, regardant comme un grand honneur de servir ses hôtes et de soulager les fatigues de leur voyage. Voyez jusqu’où allait l’hospitalité du juste ! Ne vous dites pas seulement qu’il leur avait offert des pains et un veau ; remarquez encore avec quelle humilité et quel respect il pratique l’hospitalité. Il ne faisait pas comme ceux qui, s’ils accueillent des hôtes, en tirent vanité et méprisent même ceux qu’ils ont reçus, parce qu’ils ont pourvu à leurs besoins. Cela ressemble à ce que ferait un homme qui recueillerait et amasserait des richesses, et qui, tout à coup, jetterait à pleines mains tout ce qu’il aurait gagné. Celui qui rend un service avec orgueil et qui croit donner plus qu’il ne reçoit, celui-là ne sait ce qu’il fait : il perd tout ce qu’il en pouvait attendre. Mais le juste sachant ce qu’il faisait montrait en tout sa bonne volonté.
Après avoir répandu avec joie et abondance cette semence d’hospitalité, il en recueillit aussitôt une copieuse moisson. Quand il eut fait tout ce qui dépendait de lui, sans manquer à rien et qu’il eut accompli tous les devoirs de l’hospitalité, et montré jusqu’où allait sa vertu ; alors, pour que le juste connût ceux qu’il avait reçus et tous les avantages qu’entraîne l’hospitalité, son visiteur se dévoile et lui montre peu à peu toute l’étendue de sa puissance. Car le voyant debout près du chêne, en signe d’honneur et de respect pour ses hôtes, il lui dit : Où est Sarra ton épouse ? Cette question montre aussitôt que ce n’est pas le premier venu, puisqu’il sait le nom de cette femme. Abraham répond : la voici dans la tente. Comme l’hôte va lui promettre, étant Dieu lui-même, des événements surnaturels, cette promesse, jointe à la connaissance qu’il avait du nom de Sarra fut une preuve que cet hôte reçu sous la tente était supérieur à l’humanité. Je reviendrai ici dans un an à la même époque, et Sarra ta femme aura un fils. Voyez les fruits de l’hospitalité, la récompense de la bonne volonté, la compensation des peines de Sarra. Celle-ci écoutait près de la porte de la tente derrière laquelle elle se tenait. Et ayant entendu cela, elle rit en elle-même, disant : cela ne m’est pas arrivé jusqu’à présent et mon seigneur est vieux. Pour excuser Sarra, l’Écriture sainte nous a d’abord avertis que Abraham et Sarra étaient avancés dans leurs jours ; et de plus elle ajoute : Sarra n’avait plus ce qu’ont les femmes. La fontaine était desséchée, l’œil avait perdu la lumière, l’organe était désormais impuissant. Sarra considérant tout cela, songeait à son âge et à la vieillesse du patriarche. Mais pendant qu’elle réfléchissait ainsi dans la tente, Celui qui connaît les secrets du cœur, voulant montrer toute sa puissance et faire voir qu’il n’y avait rien de caché pour lui, dit à Abraham : Pourquoi Sarra a-t-elle ri en elle-même, disant est-il vrai que j’enfanterai, moi qui suis si vieille ? En effet, voilà ce qu’elle pensait Est-il rien, dit-il, d’impossible à Dieu ? Ici le visiteur se dévoile ouvertement. Vous ne savez pas, dit-il, que je suis le Maître tout-puissant de la nature, que je puis, si je le veux, ranimer des entrailles desséchées et les rendre fécondes. Rien n’est impossible à Dieu. N’est-ce pas moi qui fais et transforme tout ? ne puis-je pas donner la vie et la mort ? Est-il rien d’impossible à Dieu ? ne l’ai-je pas déjà promis ? mes paroles manquent-elles jamais de s’accomplir ? Écoute maintenant : dans un an je reviendrai à pareille époque et Sarra aura un fils. Lorsque je reviendrai à pareille époque, Sarra aura appris par l’événement même que sa vieillesse et sa stérilité n’étaient pas des obstacles : ma parole ne pouvait être vaine, et cette naissance lui prouvera mon pouvoir. Du reste, quand elle vit que ses pensées même ne pouvaient rester cachées, elle nia, en disant : je n’ai pas ri ; car la frayeur lui avait troublé l’esprit. Aussi l’Écriture attribue tout à s faiblesse, et dit : elle fut effrayée. Mais 1e patriarche lui répond : non, mais tu as ri. Ne crois pas, lui dit-il, quoique tout se soit passé dans ton esprit, et que tu n’aies ri qu’en toi-même, ne crois pas échapper au pouvoir de notre hôte. Aussi ne va pas nier ce que tu as fait, n’aggrave pas ta faute. L’hospitalité que nous avons exercée aujourd’hui nous sera bien avantageuse.
7. Imitons-le tous, et mettons un grand zèle à pratiquer l’hospitalité, non pas dans le seul but d’en recevoir une rémunération passagère et corruptible, mais pour être récompensés par des biens éternels. Si nous le faisons, nous recevrons ici-bas le Christ, et lui-même nous recevra dans les demeures qu’il a préparées à ses élus, où il nous dira : Venez, vous qui êtes bénis par mon Père, et recevez le royaume que je vous ai préparé depuis l’origine du monde. (Mt. 25,34-36) Pourquoi et par quelle raison ? J’avais faim et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger et vous m’avez recueilli ; j’étais prisonnier et vous m’avez visité. Quelle difficulté y a-t-il à tout cela ? Nous a-t-il dit de faire des enquêtes et de rechercher ceux que nous devions soulager ? Fais ce qui dépend de toi ; dit-il, si vil et si abject que te paraisse l’indigent ; je prends pour moi ce qui est fait pour eux. Aussi a-t-il ajouté : Ce que vous avez fait pour le moindre de vos frères, vous l’avez fait pour moi. (Id. 5,40)
Puisque l’hospitalité offre de tels avantages, ne la dédaignons pas, mais cherchons à en trouver chaque jour l’heureuse occasion ; sachant que Notre-Seigneur considère la bonne volonté plutôt que la quantité des mets ; le bon accueil, plutôt que la magnificence de la table ; un mot de charité d’un cœur sincère, plutôt que des protestations verbeuses. Voilà pourquoi le Sage dit : la parole vaut mieux que le présent. (Eccl. 18,16) Souvent un mot de bonté touche plus l’indigent que le bienfait lui-même. Puisque nous le savons, ne soyons pas désagréables à ceux qui : nous approchent ; si nous pouvons adoucir leur misère, faisons-le de bonne grâce et de, bon cœur pour qu’ils reçoivent encore plus que nous ne donnons : si cela nous est impossible, ne les affligeons pas ; soulageons-les, du moins en paroles, et rée pondons-leur doucement. Pourquoi repousser le pauvre avec rudesse ? Est-ce qu’il use de contrainte et de violence ? Il prie, il implore, il conjuré ; avec tout cela, on ne mérite pas d’outrages. Que dis-je, il prie ? il implore et demande mille faveurs pour nous, et tout cela pour une obole due nous ne lui donnons même pas. Quel pardon méritons-nous ? Quelle excuse donnerons-nous ? Chaque jour nous sommes à une table abondante où souvent nous dépassons le besoin, et nous ne voulons pas leur en abandonner la moindre chose quand nous obtiendrions ainsi des biens immenses. O déplorable négligence ! quelle perte nous faisons ainsi, quels gains nous laissons échapper ! Nous voyons fuir l’occasion que Dieu nous présentait pour notre salut, et nous n’y songeons pas ! Nous ne réfléchissons point au peu qu’il faudrait donner et à l’immensité des récompenses. Nous aimons à renfermer l’or dans des armoires pour que la rouille le consume ou que des voleurs le dérobent ; nous aimons mieux laisser nos habits de toutes couleurs se manger aux vers, et nous ne voulons même pas faire un bon usage de ceux qui ne peuvent plus nous servir en les donnant à ceux qui les garderaient pour nous, afin de nous mériter des biens ineffables. Puissions-nous les obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

QUARANTE-DEUXIÈME HOMÉLIE.

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Ces hommes s’étant donc levés de ce lieu, tournèrent les yeux vers Sodome et Gomorrhe. (Gen. 18,18)

ANALYSE.

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  • 1. La vertu dépend de la volonté. Le secours de Dieu ne fait pas défaut à celui qui fait tout ce qui dépend de lui. – 2. On remédie plus facilement aux maux de l’âme qu’à ceux du corps. Dieu admet Abraham dans la confidence de ses desseins, tant il honore le juste. – 3-4. Le bruit des impuretés de Sodome est monté jusqu’à Dieu, qui vient les voir d’abord, pour les punir ensuite. Ne condamner personne sans l’entendre ; épargner la réputation du prochain. – 5. Les pécheurs qui n’auront subi aucune punition ici-bas, seront plus sévèrement punis dans l’autre monde. Dieu supporte les méchants à cause des justes. – 6-7. Exhortation morale.


1. La lecture d’hier nous a appris, mes bien-aimés, l’admirable manière dont ce juste exerçait l’hospitalité. Voyons aujourd’hui la suite des événements ; apprenons ce qu’il y avait dans ce patriarche, de bonté et d’affection compatissante ; car ce juste a possédé en perfection toutes les vertus. Il n’avait pas seulement pour lui la bonté, le respect des devoirs de l’hospitalité, l’affection qui compatit aux douleurs, mais de plus, il a montré toutes les autres vertus. S’il fallait prouver sa patience, vous verriez qu’il s’est élevé sur la plus haute cime du courage ; s’il fallait prouver son humilité, vous verriez encore que pour l’humilité il ne le cède à personne, qu’il surpasse tous les hommes ; s’il fallait prouver sa foi, c’est par là surtout, qu’il mérite plus que tous les hommes, un nom glorieux. Son âme est comme une image vivante où brille la diversité des couleurs de la vertu. Quand nous voyons un seul homme les réunir toutes en lui, quelle pourra être notre excuse à nous, qui en sommes si dépourvus que nous n’en pratiquons pas une seule ? ce n’est pas faute de pouvoir, mais faute de vouloir, que nous sommes ainsi dépourvus de tous les biens de l’âme ; et ce qui le démontre d’une manière manifeste, c’est qu’on trouve un grand nombre d’hommes de la même nature que nous, brillants de l’éclat de la vertu. Considérez ceci encore, que ce patriarche a vécu avant la grâce, avant la loi ; c’est de lui-même, par les seules ressources de sa propre nature, par la science qui était en lui, qu’il est parvenu à ce faîte de la vertu ; et c’est là ce qui nous enlève toute excuse. Mais, peut-être, dira-t-on, il a joui auprès de Dieu des plus grandes faveurs ; Dieu a pris de ce patriarche, de toutes ses affaires un soin tout particulier. Vérité que je reconnais ; mais, s’il n’avait pas été le premier à faire ce qui dépendait de lui, il n’aurait pas obtenu du Seigneur de si grands dons. C’est pourquoi ne remarquez pas seulement les dons qu’il a reçus, mais remarquez, observez bien chaque instant de sa vie, et vous verrez qu’il a été le premier à prouver sa vertu, et que c’est par là qu’il a mérité le secours divin. Nous avons souvent mis cette vérité sous vos yeux ; quand ce patriarche sortait de son pays, il n’avait pas reçu comme un héritage de ses ancêtres, la semence de la foi ; c’est de lui-même qu’il montra une âme remplie de l’amour de Dieu. Cet homme qui vient d’être transporté hors de la Chaldée, et qui reçoit tout à coup l’ordre de se diriger dans un autre pays, de préférer à sa patrie, une contrée étrangère, il n’hésite pas, il ne diffère pas ; aussitôt que l’ordre est donné, il l’accomplit, et cela sans savoir où s’arrêtera sa course errante ; et il fait diligence ; et il se presse, et il regarde des choses qui sont tout à fait incertaines comme certaines, parce que l’ordre de Dieu lui paraît toujours ce qui mérite avant tout d’être respecté.
Voyez-vous comme dès le commencement, dès les premiers préludes de sa vie, il contribue de ce qu’il a en lui, et mérite parce qu’il met du sien, d’obtenir chaque jour l’abondance des fruits du Seigneur. Faisons de même nous aussi, mes bien-aimés, si nous voulons jouir de la grâce d’en haut ; imitons le patriarche, n’hésitons pas à marcher où se montre la vertu ; pratiquons-la toujours, de manière à charmer cet œil qui ne connaît pas le sommeil, et à nous concilier la bienveillance qui décerne les larges salaires. Celui qui connaît nos secrètes pensées, en voyant que nous avons l’âme saine, que nous nous dépouillons avec ardeur pour les luttes de là vertu, nous fournit aussitôt la force qui vient de lui, qui rend nos fatigues légères, qui soutient notre infirmité, la réconforte et nous assure les glorieuses couronnes. Dans les joutes que l’on va voir à Olympie, certes on ne rencontre rien de pareil : le gymnasiarque est là, simple spectateur de ceux qui luttent, sans pouvoir les aider d’aucune manière ; il ne fait qu’attendre que la victoire se déclare. Notre-Seigneur, au contraire, n’agit pas de même ; il partage avec nous la lutte ; il nous tend la main à côté de nous, il combat aussi, et on dirait qu’il s’efforce par tous les moyens, de nous livrer notre adversaire ; qu’il fait tout pour nous assurer la supériorité dans le combat, la victoire, qui mettra sur notre tête la couronne qui ne se flétrit, pas. En effet, dit le texte : Tu mettras sur ta tête une couronne de grâces. Voyez encore : dans ces combats à Olympie, qu’est-ce que la couronne après la victoire ? quelques feuilles de laurier, quelques applaudissements, quelques cris du vulgaire, toutes choses qui, le soir, venant, se flétrissent et meurent. Mais la couronne ; comme récompense de la vertu et des sueurs généreuses, n’a rien de commun avec les choses des sens, avec les choses du siècle ; elle ne connaît pas la destruction comme nos corps ; couronne impérissable, immortelle, dont la durée s’étend à travers les siècles des siècles. Fatigue d’un instant bien court, récompense infinie, sur laquelle le temps ne peut rien, et qui ne se flétrit jamais. Et ce qui le prouve, voyez que d’années se sont passées, que de générations depuis qu’on a vu ce patriarche parmi les vivants ; et on croirait qu’il vivait hier, qu’il vit encore. Tel est l’éclat des couronnes que sa vertu lui a méritées ; et jusqu’à la consommation des temps, il est, pour tous les sages, le sujet d’un éternel enseignement.
2. Eh bien donc ! puisque telle est la vertu de cet homme, imitons-le, réveillons-nous ; il est bien tard, mais enfin reconnaissons la noblesse que nous portons en nous ; imitons le patriarche, pensons à notre salut ; appliquons tous nos soins, non seulement à la santé de notre corps, mais à guérir les diverses maladies de notre âme. Si nous voulons pratiquer la sagesse, si nous voulons nous réveiller, il nous sera plus facile de guérir les maladies de notre âme que celles de notre corps. Toutes les fois qu’une affection nous trouble, représentons-nous dans un saint recueillement, le jour du jugement redoutable ; ne nous contentons pas de regarder la volupté présente ; considérons les tortures dont elle sera suivie ; et aussitôt notre âme chassera, expulsera la volupté. Donc, plus de négligence ; comprenons bien que la vie est une lutte, un combat ; qu’il faut, comme dans une mêlée, que nous affrontions l’ennemi ; faisons-nous chaque jour une âme nouvelle ; rendons à notre âme sa jeunesse, retrempons sa vigueur ; méritons le secours d’en haut, qui nous donnera la force de briser aussitôt la tête du monstre, je veux dire de l’ennemi de notre salut. C’est le Seigneur lui-même qui nous a fait cette promesse : Vous voyez que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les scorpions, et toute la puissance de l’ennemi. (Lc. 10,19) Soyons donc vigilants, je vous en conjure, suivons les traces de ce patriarche qui nous mène à la vertu, afin de mériter les mêmes couronnes, de nous réunir dans son sein, de fuir la gêne éternelle, d’obtenir les biens ineffables. Mais maintenant, pour rendre votre émulation plus active, pour vous provoquer davantage à imiter ce juste, voyons, mes bien-aimés, nous allons vous entretenir encore de son histoire ; attaquons la suite des événements. Donc, après cette large et généreuse hospitalité qu’il pratiqua, non pas en servant à ses hôtes des mets somptueux se succédant sans relâche, mais en leur montrant le généreux empressement de son cœur, il reçut aussitôt le salaire de l’hospitalité ; il apprit quel était ce personnage qu’il voyait en sa présence, et combien grand était son pouvoir. Les hôtes se retirent, se préparant à renverser Sodome ; le patriarche les suit, les accompagne pour leur faire honneur, dit le texte ; voyez la clémence du Seigneur, combien est grande son indulgence et sa bonté. Il honore le juste, et en même temps, il met à découvert la vertu cachée de son âme. Ces hommes s’étant donc levés, dit le texte, de ce lieu, ils tournèrent les yeux vers Sodome et Gomorrhe.
C’est des anges qu’il est question. Dans le lieu dont il s’agit, dans la tente d’Abraham, parurent, en même temps, et des anges et leur Seigneur, Dieu. Ensuite, ces anges furent envoyés comme des ministres pour renverser ces villes ; mais le Seigneur demeura, et, comme un ami qui converse avec un ami, il confia à Abraham ce qu’il était sur le point de faire. De là vient qu’après le départ des anges Alors, dit le texte, le Seigneur dit : Je ne cacherai pas à Abraham, mon serviteur, ce que je vais faire. (Id. 17) Grande condescendance de la part de Dieu ; honneur pour le juste, honneur insigne au-dessus de tout discours. Voyez en effet, comme il lui adresse la parole. On dirait un homme parlant à un homme. Dieu nous montre par là de quel honneur il juge digne les hommes vertueux ; et ne croyez pas que cet honneur insigne, accordé à l’homme juste, ne soit qu’un effet de la Divine Bonté ; remarquez : la sainte Écriture nous enseigne que le juste lui-même est la première cause de l’honneur qui lui est fait, parce qu’il a accompli, avec un grand zèle, les commandements divins. En effet, une fois que Dieu a dit : Je ne cacherai pas à Abraham, mon serviteur, ce que je ferai, il ne dit pas tout de suite ce qui arrivera. Or, il était conséquent de ménager une transition pour ne pas dire brusquement qu’il allait incendier Sodome. Attention ! ne passons pas ici légèrement, il n’y a pas une syllabe, pas une lettre dans la divine Écriture qu’il faille passer légèrement. Quel honneur, dites-moi, pour Abraham, dans ces paroles que Dieu prononce : Abraham, mon serviteur ! Quelle affection, quelle tendresse ! Voilà ce qui rehausse le plus l’honneur fait au juste, ce qui donne le plus de prix à cet honneur. Ensuite, comme je viens de le dire, après que le Seigneur a dit : Je ne cacherai pas, il ne dit pas tout de suite ce qui allait arriver, mais que dit-il ? Pour nous apprendre que ce n’est pas sans raison, à la légère, qu’il lui montre tant d’affection, Dieu dit : Abraham doit être le chef d’un peuple très-grand et très-nombreux, et toutes les nations de la terre seront bénies en lui. Car je sais qu’il ordonnera à ses enfants, et à toute sa maison, après lui, de garder les voies du Seigneur et d’agir selon l’équité et la justice, afin que le Seigneur accomplisse en faveur d’Abraham tout ce qu’il lui a promis. (Id. 18, 19) Ah ! quelle grandeur de la bonté du Seigneur ! comme il était sur le point de détruire Sodome, il commence par rassurer le patriarche ; il lui inspire la confiance, il lui promet une très-grande bénédiction ; il lui annonce que lui-même sera le père d’un grand peuple ; il lui apprend que ce sera là la récompense de sa piété. Considérez, en effet, combien est grande la vertu du patriarche, puisque Dieu dit de lui : Je sais qu’il ordonnera à ses enfants de garder les voies du Seigneur. C’est là un grand accroissement ajouté à la vertu. En effet, il n’est pas récompensé seulement pour la vertu qu’il a pratiquée lui-même ; mais, comme il l’a recommandée à ses enfants, il est récompensé encore à ce titre, et largement, et c’est avec raison, puisqu’il est devenu, pour tous les descendants, le maître, le docteur de la vertu. En effet, celui qui donne les commencements, qui fournit les prémices, est aussi la cause de ce qui se produit plus tard.
3. Et voyez la bonté du Seigneur : il ne le récompense pas seulement pour sa vertu passée, mais encore pour sa vertu à venir. Car je sais, dit le texte, qu’il ordonnera à ses fils. Je connais par avance, dit-il, l’âme de cet homme juste ; voilà pourquoi je le récompense aussi par avance. Dieu connaît, en effet, les secrètes pensées de nos cœurs ; et quand il voit que nous n’avons que des pensées sages, que notre âme est saine, il nous tend la main ; avant le travail, il nous récompense, afin de nous encourager. Vous verrez que c’est la conduite qu’il tient à l’égard de tous les justes. Il connaît la faiblesse de la nature humaine ; il ne veut pas que l’homme se décourage dans les difficultés, et, au milieu des fatigues, il lui apporte son secours, et il lui donne les récompenses qu’il lui réserve, afin de soulager sa fatigue, et de raviver son zèle. Car je sais, dit le texte, qu’il ordonnera à ses fils, et ils garderont les voies du Seigneur. Il ne prédit pas seulement la vertu du père, il ordonnera, mais aussi la vertu des enfants, et ils garderont les voies du Seigneur ; montrant, par là, Isaac et Jacob ; les voies du Seigneur, c’est-à-dire les préceptes et les commandements. De telle sorte qu’ils vivront selon l’équité et la justice  : préférant la justice à tout, s’abstenant de toute injustice. La justice, en effet, c’est la plus grande de toutes les vertus ; voilà pourquoi se réaliseront toutes les choses prédites par le Seigneur.
Ce n’est pas tout, je crois que le texte veut insinuer encore une autre pensée, quand il dit : Abraham doit être le chef d’un peuple très-grand et très-nombreux. C’est comme s’il disait : Toi, qui embrasses la vertu, qui te soumets à mes ordres, qui montres ton obéissance, tu seras le chef d’un peuple très-grand et très nombreux ; mais ces impies qui habitent le pays de Sodome, périront tous. Car, de même que la vertu opère le salut de ceux qui la pratiquent ; de même la malignité leur attire la mort. Maintenant, après ces bénédictions, après ces éloges pour inspirer de la confiance à l’homme juste, il commence ce qu’il voulait dire, et il dit : Le cri de Sodome et de Gomorrhe s’augmente de plus en plus, et leur péché est monté jusqu’à son comble. Je descendrai et je verrai si leurs œuvres répondent à ce cri qui est venu jusqu’à moi, pour savoir si cela est ainsi, ou si cela n’est pas. (Id. 20, 21) Paroles terribles : Le cri, dit-il, de Sodome et de Gomorrhe. D’autres villes aussi ont péri en même temps, mais c’étaient là les plus célèbres ; pour cette raison il les nomme seules. S’augmente de plus en plus, et leur péché est monté jusqu’à son comble. Voyez que de maux amoncelés. Il ne s’agit pas ici seulement de beaucoup de clameurs et de cris, mais de l’excès de l’iniquité ; car ces paroles : Le cri de Sodome et de Gomorrhe s’augmente de plus en plus, signifient, je crois que les habitants, outre cette perversité inexprimable, impossible à excuser qui a flétri leur nom, commettaient encore mille autres actions coupables ; que les plus forts s’entendaient pour écraser les plus faibles ; les riches pour écraser les pauvres. Ce n’était pas seulement un grand cri de douleur, mais leurs péchés n’étaient pas des péchés ordinaires, ils étaient grands, ils étaient énormes ; car ces hommes avaient imaginé une étrange manière de transgresser toutes les lois, des nouveautés incroyables dans des commerces criminels. Et tel était l’entraînement de la corruption, que tous étaient remplis de toute espèce de vices, qu’il n’y avait plus d’espoir de les corriger ; il ne restait plus qu’à les faire disparaître, qu’à les supprimer. Leur maladie était incurable ; les médecins n’y pouvaient rien. Le Seigneur ensuite veut montrer aux hommes, que, si grands, si manifestes que soient les péchés, la sentence toute fois ne doit pas être prononcée avant que la preuve ait été faite en toute évidence. De là ces paroles : Je descendrai donc, et je verrai si leurs œuvres répondent à ce cri, qui est venu jusqu’à moi ; je descendrai pour voir si cela est ainsi, ou si cela n’est pas.
Que signifient ces paroles ? Pourquoi cette réserve : Je descendrai, dit-il, et je verrai ? Le Dieu de l’univers se transporte-t-il donc d’un lieu dans un autre ? Loin de nous cette pensée ! Ce n’est pas là ce qu’il veut faire entendre ; mais, comme je l’ai dit, il veut, dans un langage approprié à la grossièreté de notre esprit, nous apprendre qu’il faut beaucoup de soin en ces sortes de choses ; que les pécheurs ne doivent pas être condamnés seulement par ouï dire ; que la sentence ne doit être portée qu’après que la preuve a été faite. Écoutons cette leçon, tous tant que nous sommes. Elle ne regarde pas seulement les juges qui siègent sur leur tribunal ; ils ne sont pas seuls soumis à cette loi, mais personne parmi nous, ne doit, sur une accusation sans preuve, condamner le prochain. Voilà pourquoi le bienheureux Moïse, inspiré de l’Esprit-Saint, nous donne cet avertissement : Vous ne recevrez point une parole vaine. (Ex. 23,1) Et le bienheureux Paul écrivait : Pourquoi juges-tu ton frère ? (Rom. 14, 10) ; et le Christ, en donnant ses préceptes à ses disciples, et faisant la leçon à la multitude des Juifs, à leurs scribes et à leurs pharisiens Ne jugez point, leur disait-il, afin que vous ne soyez point jugés. (Mt. 7, 1) Pourquoi donc, dit-il, avant le temps, te saisis-tu de la prérogative du juge ? Pourquoi fais-tu venir d’avance le jour de la suprême épouvante ? Tu veux exercer les fonctions de juge ? Sois donc ton juge à toi-même, le juge de tes fautes. Personne ne t’en empêche ; par là tu corrigeras tes péchés, et il n’y aura pour toi aucun inconvénient. Que si, négligeant tes propres affaires, tu trônes et juges les autres, c’est que tu ne sens pas que tu rends plus lourd, pour toi, le fardeau de tes péchés. C’est pourquoi, je vous en prie, rejetons bien loin de nous l’habitude de condamner les autres. Sans doute vous n’êtes pas officiellement un juge ; mais vous vous êtes fait juge par la pensée ; et vous êtes tombé sous le coup du péché, lorsque, sans aucune preuve, et souvent sur un simple soupçon et sur une accusation sans valeur, vous portez une condamnation. Aussi, le bienheureux David s’écriait : Je persécutais celui qui médisait en secret de son prochain. (Ps. 100,5)
4. Voyez-vous la perfection de la vertu ? non seulement il n’accueillait pas les paroles, mais il chassait loin de lui celui qui voulait médire de son frère. Eh bien ! donc, nous aussi, si nous voulons diminuer le nombre de nos péchés, observons ; avant toutes choses, cette règle ; ne condamnons pas nos frères, n’accueillons pas leurs détracteurs, ou plutôt, imitant le Prophète, chassons-les, montrons-leur toute notre aversion. C’est là, je crois, ce qu’insinuait le prophète Moïse, en disant : Vous ne recevrez point une parole vaine. Voilà aussi pourquoi le Seigneur, en cette occasion, a employé un langage approprié à la grossièreté de notre esprit, et cela pour le plus grand profit de nos âmes. Il dit en effet : Je descendrai et je verrai. Pourquoi donc ? il avait besoin de connaître ? Il ne savait pas la grandeur des péchés ? ii ignorait que la corruption était impossible à corriger ? Loin de nous cette pensée. Mais, c’est comme une justification qu’il apporte à ceux qui auraient plus tard l’audace de l’accuser. II montre l’obstination dans le vice, le manque absolu de vertu, la grandeur de sa patience. Peut-être y a-t-il encore un autre dessein : il veut fournir, au juste, l’occasion de faire paraître sa miséricorde, sa bonté, son affection pour les autres hommes. Les anges en effet, je vous l’ai dit, étaient partis pour Sodome ; le patriarche était resté en la présence du Seigneur : Et s’approchant, dit le texte, Abraham lui dit : Perdrez-vous le juste avec l’impie ? (Id. 23) O confiance de l’homme juste ! Disons mieux, ô grandeur de sa miséricorde ! c’est comme un homme que le vin de la miséricorde enivre, et qui ne sait ce qu’il dit. Et la divine Écriture, nous montrant l’excès de sa crainte, le tremblement avec lequel il verse ses prières, dit : Et s’approchant, Abraham lui dit : Perdrez-vous le juste avec l’impie ? Que faites-vous, ô bienheureux patriarche ? est-ce que le Seigneur a besoin d’être prié par vous, pour ne pas commettre une injustice ? En vérité, gardons-nous de telles pensées. Quant à lui, il ne parle pas comme si le Seigneur était capable d’une telle action, mais c’est qu’il n’osait pas plaider ouvertement pour le fils de son frère. Il fait donc entendre, dans l’intérêt de tous, une prière commune, parce qu’il veut sauver celui-ci, avec les autres ; avec celui-ci, sauver aussi les autres ; et il commence son plaidoyer, et il dit : S’il y a cinquante justes dans cette ville, est-ce que vous les perdrez ? Ne pardonnerez-vous pas à la ville entière, à cause de cinquante justes, si on les y trouve ? Non, sans doute, vous êtes bien éloigné d’agir de la sorte ; de perdre le juste avec l’impie ; de confondre les bons et les méchants. Non, sans doute : vous, qui jugez toute la terre, vous ne feriez pas un jugement ? (Gen. 18,24-25) Voyez comme cette prière révèle la piété, l’amour de Dieu ; il reconnaît celui qui est le juge de la terre entière, et il le prie, pour que le juste ne périsse pas avec l’injuste. Alors le Seigneur, plein de douceur et de bonté, accepte sa demande et lui dit : Je fais ce que tu as dit, et je consens à ta demande : Si je trouve cinquante justes dans la ville, je pardonnerai, à cause d’eux, à toute la contrée ; j’accorderai cette grâce, dit-il, à cinquante justes, si on les trouve ; j’accorderai, aux autres, leur grâce ; j’accomplirai ce que tu demandes.
Mais voyons cet homme juste il s’enhardit, et, reconnaissant la clémence de Dieu, lui présente, de nouveau, une autre prière en ces mots : Maintenant que j’ai commencé à parler à mon Seigneur, moi, qui ne suis que terre et que cendre. (Id. 27) Ne croyez 'pas, dit-il, Seigneur, que j’ignore qui je suis ; que je veuille dépasser la mesure ; abuser d’une si grande confiance ; je sais bien que je suis terre et cendre ; mais, de même que je sais cela, je sais, ce qui est pour moi manifeste aussi, je n’ignore pas l’abondance, la grandeur de votre clémence, la richesse de votre bonté ; je sais que vous voulez que tous les hommes soient sauvés. Car, après les avoir tirés du néant, après les avoir faits, comment voudriez-vous les perdre, n’était le grand nombre de leurs péchés ? C’est pourquoi je vous prie, et vous supplie encore : S’ils ne se trouvaient pas ait nombre de cinquante, s’ils n’étaient que quarante-cinq justes dans la ville ; est-ce que vous ne sauveriez pas la ville ? Et le Seigneur dit : Si on en trouve quarante-cinq, je ne la perdrai pas. Qui saurait dignement louer le Seigneur, le Maître de l’univers ; célébrer, comme il convient, tant de patience, tant d’indulgence ? Qui pourrait louer dignement ce bienheureux juste, qu’une telle confiance anime ? Et, dit le texte, Abraham lui dit encore  : Si on y trouve quarante justes ? Et Dieu dit : Je ne perdrai point la ville si j’y trouve quarante justes. (Id. 28, 29) Ensuite Abrabam ayant peur, pour ainsi dire, de lasser l’ineffable patience de Dieu, et craignant aussi, peut-être, que sa prière ne parût par hasard dépasser les justes bornes : Oserai-je, dit-il, Seigneur, parler encore ? Si on y trouve trente justes ? Il voit Dieu disposé à la miséricorde ; il cesse alors de diminuer graduellement ; il ne se contente pas de retirer cinq justes, il en supprime dix, et il continue ainsi son plaidoyer : Si on en trouve trente ? et le Seigneur dit : Je ne perdrai point la ville, si j’y trouve trente justes. Remarquez la constance d’Abraham ; on croirait qu’il est lui-même sous le coup de la sentence, à voir avec quelle chaleur il cherche à soustraire au châtiment le peuple de Sodome ; et il dit : Puisqu’il m’est permis de parler à mon Seigneur, si on y trouve vingt justes ?et Dieu dit : Je ne perdrai pas la ville, si j’y trouve vingt justes. (Id. 30, 31) Au-dessus de tout discours, au-dessus de toute pensée, est la bonté du Seigneur. Qui de nous, au milieu des vices sans nombre qui le travaillent, voudrait, quand il condamne le prochain, qui lui ressemble, user d’une telle indulgence, d’une si affectueuse douceur ?
5. Cependant ce juste, qui voit que le Seigneur est riche en bonté, ne s’arrête pas là ; il recommence à parler : Seigneur, si je vous parlais encore une fois ? (Id. 32) C’est qu’il voyait une patience ineffable, et il avait peur de provoquer contre lui l’indignation de Celui qu’il implorait ; donc il dit : Seigneur, si je… je suis téméraire ? Je montre, peut-être, trop peu de respect ? Je mérite, peut-être, une condamnation si je parle encore une fois ? Vous qui m’avez montré tant de bonté, encore une seule prière ; accueillez-la : Si, dans cette ville, on en trouve dix ? – et Dieu dit : je ne perdrai pas la ville si j’en trouve dix. Et, comme il avait commencé par dire : Si je vous parlais encore une fois : Le Seigneur, dit le texte, s’en alla après avoir cessé de parler à Abraham, et Abraham retourna, chez lui. (Id. 33) Voyez-vous la complaisance du Seigneur, à s’abaisser à notre infirmité ? Voyez-vous la charité de l’homme juste ? Comprenez-vous la force de ceux qui marchent dans la voie de la vertu ? Si on trouve, dit-il, dix justes, par égard pour eux j’accorde, à tous, la rémission de leurs péchés. Avais-je tort de vous dire que tout cela se faisait, pour enlever à l’impudence des contradicteurs tout prétexte dans l’avenir ? Il ne manque pas en effet d’insensés, à la langue sans frein, pour critiquer le Seigneur, et qui osent dire : Pourquoi cet incendie de Sodome ? Si on les avait attendus, peut-être se seraient-ils convertis. Voilà pourquoi l’Écriture nous montre le débordement de la corruption, et, dans une si grande multitude, une, telle pénurie de vertu qu’il fallait un autre déluge, aussi énergique que le premier qui avait saisi la terre. Mais la promesse de Dieu est formelle ; un supplice de ce genre ne sera plus infligé. Voilà pourquoi Dieu invente un autre mode de châtiment, qui lui sert, à la fois, de punition pour ces infâmes, et d’éternel enseignement pour tous les âges à venir. Comme ils avaient bouleversé les lois de la nature, inventé des commerces étranges, contraires à toute loi, Dieu leur inflige un supplice, étrange comme leur iniquité ; il frappe de stérilité les entrailles de leur terre ; il laisse aux générations à venir un monument éternel, qui leur crie de ne pas recommencer les mêmes attentats, pour ne pas encourir la même expiation. Permis à qui voudra, d’aller voir ces lieux sinistres, d’entendre, pour ainsi dire, la terre même jetant un grand cri, de la voir, après tant d’années, montrant les traces de son supplice, qui, semble d’hier ou d’aujourd’hui, tant se manifeste encore aux yeux l’indignation du Seigneur. Aussi, je vous en conjure, que le supplice d’autrui nous serve à nous rendre la sagesse et la vertu.
Mais peut-être dira-t-on, eh bien ! pourquoi ont-ils été punis ? N’y a-t-il pas, de nos jours encore, un grand nombre de pareils criminels que l’on ne punit pas ? Oui, mais, l’antique supplice aggravera le châtiment de ceux qui renouvellent ces infamies. Si le sort des pécheurs d’autrefois ne parle pas assez haut pour nous corriger, si nous ne mettons pas à profit la patience de Dieu, considérez quelle rigueur nous ajoutons, pour nous-mêmes, à la flamme inextinguible ; quel ver cruellement rongeur nous nous apprêtons. Cependant, comme la grâce de Dieu permet qu’il y ait de nos jours encore un grand nombre d’hommes vertueux pour apaiser le Seigneur, ainsi que l’a fait alors ce patriarche ;. quelle que soit, quand nous nous replions sur nous-mêmes, quand nous voyons notre engourdissement, l’idée que nous concevons de l’étrange rareté de la vertu, il n’en est pas moins vrai que c’est ït la vertu de ces hommes que nous devons la patience manifestée par Dieu envers les autres. Vous faut-il une preuve, que nous devons à la faveur dont ces hommes jouissent auprès de Dieu, la patience qui nous supporte ? écoutez, dans notre histoire d’aujourd’hui, les paroles que le Seigneur adresse au patriarche : Si je trouve dix justes, je ne perdrai pas la ville. Et que parlé-je de dix justes ? On ne trouva pas, dans ce lieu, un seul homme, pur de la corruption, excepté Loth, le seul juste, et ses deux filles. Pour sa femme, par égard pour lui, peut-être, elle échappa au châtiment de la ville, mais ce fut pour subir bientôt la juste punition de son indolence. Il n’en est pas de même de nos jours, grâce à la miséricorde de Dieu ; aujourd’hui que la piété a grandi, un nombre considérable de personnes, même au milieu des villes, de personnes qu’on ignore, peuvent apaiser le Seigneur. Il en est d’autres, sur les montagnes, et dans les cavernes, et ces vertus de quelques saints peuvent couvrir la malignité des peuples. La bonté du Seigneur est grande, et souvent il accorde, même en faveur d’un petit nombre, le salut à des multitudes. Et que dis-je, à cause d’un petit nombre de justes ? Souvent, lorsqu’il ne se trouve pas dans la vie présente un juste, il regarde la vertu des morts, et il s’émeut pour les vivants, et sa voix leur crie : Je protégerai cette ville, à cause de moi, et de David, mon serviteur. (R. 19,34) Paroles qui reviennent à dire : quoiqu’ils soient indignes du salut, qu’ils n’aient aucun droit d’y prétendre, toutefois parce que j’aime la miséricorde, parce que je suis prompt à la piété, prompt à écarter le malheur, à cause de moi-même, et à cause de David mon serviteur, je les protégerai ; et celui qui est mort depuis tant d’années, est, pour eux, l’auteur du salut qu’ils avaient perdu par leur propre mollesse. Comprenez-vous la clémence du Seigneur ; l’estime qu’il fait des hommes vertueux ? il les honore, il les distingue, un seul à ses yeux, balance toute une multitude. Voilà pourquoi Paul, à son tour, disait : Ils étaient vagabonds, couverts de peaux de brebis, et de peaux de chèvres, abandonnés, affligés, persécutés, eux dont le monde n’était pas digne. (Héb. 11,37-38) Le monde entier, dit-il, l’univers entier, ne mérite pas d’être comparé à ces vagabonds, qui vont de côté et d’autre, en proie aux afflictions, aux persécutions, montrant leur nudité, vivant dans des cavernes, tout cela pour Dieu.
6. Donc, mon bien-aimé, quand vous voyez un homme, des haillons sur le corps, mais dont l’âme s’est fait de la vertu, un manteau, ne méprisez pas ce qui se montre aux yeux ; reconnaissez le luxe de l’âme, la gloire du dedans ; attachez vos regards à la vertu resplendissante en lui. Tel était le bienheureux Élie, qui n’avait pour vêtement qu’une peau de mouton ; et la pourpre d’Achab avait besoin de cette peau de mouton. Voyez l’indigence d’Achab, et la richesse d’Élie ? Voyez, entre leur pouvoir, la différence. Cette peau de mouton a fermé le ciel, a défendu à la pluie de descendre ; la langue du prophète a été pour le ciel un frein ; et, pendant trois ans et six mois, il n’y a pas eu de pluie. Ce roi, au contraire, avec son manteau de pourpre, le diadème au front, allait partout, cherchant le prophète, et à ce roi son royal pouvoir ne servait Ae rien. Et maintenant, considérez la bonté du Seigneur. Comme il vit le zèle ardent de son prophète, et le rigoureux châtiment qui frappait toute la terre, pour le soustraire à ces douleurs, pour qu’il ne partageât pas la punition due à la malignité, il lui dit : Allez à Sarepta, chez les Sidoniens, là je commanderai à une femme veuve de vous nourrir. Élie aussitôt s’en alla à Sarepta. (1R. 17,9-10) Voyez, mon bien-aimé, la grâce de l’Esprit : hier, tout notre entretien a été consacré à l’hospitalité ; aujourd’hui cette veuve hospitalière sera le complément de notre discours. Et il alla, dit le texte, auprès de cette veuve, et il l’aperçut ramassant du bois, et il dit : donnez-moi un peu d’eau et je boirai ; cette femme obéit. Et il lui dit encore : Faites-moi des pains sous la cendre, et je mangerai. (Id. 11) Cette femme lui découvre son extrême indigence, disons mieux, son ineffable opulence. Car la grandeur de sa pauvreté révèle la grandeur de ses richesses. Et elle lui dit : Votre servante n’a plus qu’une poignée de farine et un peu d’huile, dans un vase ; et nous mangerons, mes enfants et moi ; et nous mourrons. (Id. 12) Paroles d’une tristesse touchante, qui attendriraient une pierre. Nous n’avons plus, dit-elle, aucun espoir de salut ; à nos portes, la mort ; nous n’avons plus, pour nous soutenir, que ce qui suffira, à peine, à mes enfants et à moi ; j’ai fait ce que je pouvais ; je vous ai donné de l’eau. Mais maintenant, voulez-vous comprendre tout ce qu’il y a, dans cette femme, de vertu hospitalière, et tout ce qu’il y a de sainte confiance, dans l’homme juste, voyez ce qui arrive. Quand le prophète eut bien tout reconnu (or rien ne se faisait, qu’afin de nous révéler la vertu de cette femme, car Dieu qui avait dit : Je commanderai à une femme de vous nourrir, c’était lui, qui, en ce moment opérait par l’entremise de son prophète), l’homme de Dieu dit : Faites pour moi d’abord, et je mangerai ; et ensuite, pour vos fils.
Écoutez toutes, ô femmes, vous chez qui les richesses abondent, et qui dépensez votre opulence à tant de choses inutiles, et qui, après avoir bien joui de vos frivolités, ne pouvez pas vous décider à donner deux oboles à l’indigent, ou à l’homme vertueux et pauvre, qui sous implore au nom de Dieu. Cette veuve ne possède rien de votre luxe ; elle n’a qu’une poignée de farine, et déjà elle croit assister à la mort de ses enfants. À ces mots du prophète : Faites pour moi d’abord, et ensuite pour vous et pour vos enfants, elle ne s’indigne pas, elle n’hésite pas, elle fait ce qui lui est commandé ; elle nous montre à tous, que nous devons préférer, à notre bien-être, le soin des serviteurs de Dieu ; que nous devons nous appliquer à mériter le salaire considérable dont nous serons récompensés quand nous aurons accompli ce devoir. Contemplez cette veuve ; pour une poignée de farine, pour un peu d’huile, quel grenier inépuisable elle s’est construit ! (1R. 17,14) Après qu’elle eut nourri le prophète, elle vit que rien ne manquait, ni à sa poignée de farine, ni à l’huile qu’elle avait dans son vase ; et cependant la famine dévorait toute la terre. Or, voilà qui est un sujet d’admiration, d’étonnement, c’est que, dès cet instant elle n’avait plus que faire de se fatiguer ; elle trouvait toujours sous sa main, et la farine et l’huile ; elle n’avait pas besoin de cultiver les champs, d’associer les bœufs à ses travaux : pas besoin d’aucun autre labeur ; il lui était donné de jouir de cette merveilleuse abondance qui démentait la nature. Et il y avait un roi, couronne en tête, qui s’inquiétait, qui soutirait de la faim, tandis que cette veuve, privée de toutes ressources, mérita, pour avoir accueilli le prophète, et obtint un inépuisable trésor. Voilà pourquoi le Christ disait : Celui qui reçoit un prophète en qualité de prophète, recevra la récompense du prophète. (Mt. 10,41) Vous avez vu hier ce qu’a valu au patriarche l’hospitalité généreusement pratiquée par lui, et l’empressement et l’ardeur de son zèle ; voyez maintenant cette femme de Sidon, possédant tout à coup de grandes richesses ; c’est que la langue du prophète, qui commandait au ciel, fit en sorte que cette poignée de farine et ce vase d’huile devinssent des sources d’une intarissable richesse.
7. Hommes et femmes, imitons donc cette veuve ; je voudrais, oui, je voudrais vous conduire, vous élever jusqu’à ce prophète, vous enflammer de son zèle, vous inspirer le désir d’égaler sa vertu. Mais cette vertu vous paraît lourde à portes ; ce n’était pourtant qu’un homme, revêtu de chair comme nous, de la même nature que nous ; mais il contribua largement des ressources de son âme ; il sut ce que c’est que d’embrasser la vertu ; par là il obtint la grâce d’en haut. Tournons ailleurs nos regards en attendant ; imitons si vous voulez, cette femme, et par ce moyen, peu à peu nous parviendrons jusqu’à l’imitation du prophète. Imitons donc son hospitalité généreuse ; à l’avenir plus de prétextes tirés de notre indigence. Si indigent 'qu’on soit, on ne le sera jamais plus que cette femme, qui n’avait d’aliments que pour un jour, et qui, même dans cette extrémité, accorda au prophète, sans hésiter, ce qu’il lui demandait, s’empressa d’obéir, et tout de suite, reçut sa récompense. Car voilà la conduite de Dieu ; il donne beaucoup, après avoir peu reçu. Car enfin, parlez, je vous en prie, a-t-elle donné autant qu’elle a reçu ? Mais Notre-Seigneur ne regarde pas à – la quantité dans le don ; il ne voit que la munificence de la volonté. Voilà ce qui fait que de petites choses deviennent de grandes choses ; que souvent aussi, de grandes choses perdent tout leur prix, lorsque la vive ardeur de l’âme ne répond pas à la conduite. Voilà pourquoi cette veuve de l’Évangile, au milieu de tant de gens qui faisaient des offrandes, qui en apportaient tant dans le trésor, avec ses deux petites pièces de monnaie, a vaincu tous les riches. (Lc. 21,3, 4) Elle ne donna pas plus que les autres, mais elle montra plus que les autres la libéralité de la volonté ; les autres, en effet, dit le Seigneur, faisaient l’aumône de leur superflu, cette veuve apporta tout ce qu’elle possédait, toute sa subsistance ; tout ce qui la faisait vivre, dit le texte, elle le jeta dans le trésor.
Eh bien ! sommes-nous vraiment des hommes ? imitons au moins ces femmes ; qu’il ne soit pas dit que nous ne les valons pas ; ne réduisons pas notre empressement à dépenser, pour nos jouissances particulières, tous ce que nous possédons ; sachons aussi montrer que nous prenons grand soin des indigents ; soignons-les avec ardeur, avec le zèle joyeux d’une affection sincère. Quand l’agriculteur jette les semences sur la terre, il ne le fait pas avec tristesse, mais gaiement et joyeusement, comme s’il voyait déjà les gerbes qu’il se promet, et il prend plaisir à jeter la semence dans le sein de la terre. Faites de même, mes bien-aimés, ne considérez pas seulement, ni le pauvre qui reçoit, ni la dépense que vous faites ; pensez donc que celui qui reçoit de vos mains, est un être visible, mais qu’il y en a un autre, qui regarde comme fait à lui-même ce que l’on fait au premier. Et cet autre n’est pas un personnage vulgaire, c’est le Maître du monde entier, le Seigneur de toutes les créatures, Celui qui a fait et le ciel et la terre. Et cette dépense produit de gros intérêts ; et, non seulement elle ne diminue pas votre avoir, mais elle l’augmente si vous avez la foi et l’allégresse de la charité ; je veux dire, ce qui est de tous les biens le principal ; ajoutez à ces revenus, à ces bénéfices que vous vaut votre dépense, ajoutez-y encore, que vos péchés vous sont pardonnés. Quel bien pourrait égaler celui-là ? Donc, si nous voulons devenir vraiment riches, ajouter à nos richesses la rémission de nos péchés, versons, dans les mains des indigents, tous nos trésors ; envoyons-les avant nous dans le ciel, où il n’y a ni voleur, ni larron, ni bandit perçant les murailles, ni serviteur infidèle, ni quoi que ce puisse être qui nous enlève notre richesse. Car de cet heureux séjour, n’approche aucun de tous ces dangers ; il suffit pour nous, de ne pas poursuivre la vaine gloire, mais de marcher, en suivant les lois du Christ, non pas pour obtenir les louanges des hommes, mais pour être loués par le commun Seigneur de tous les êtres ; pour qu’il ne soit pas dit que nous ne faisons que des dépenses sans aucun profit. Voulons-nous mettre nos richesses à l’abri de toutes les convoitises ? transportons-les au ciel, par les mains des pauvres. Ce n’est qu’un frivole désir de gloire qui les consume ; et comme la teigne et les vers rongent les tissus, ainsi fait la vaine gloire des richesses ; les richesses s’acquièrent par la miséricorde. C’est pourquoi, je vous en conjure, ne nous bornons pas à faire des aumônes, mais sachons prendre toutes nos précautions, pour nous assurer de grands biens, en échange de peu de chose, à la place du fragile, l’incorruptible, en retour de ce qui est temporaire, l’éternel ; et de plus, avec tous ces biens, la rémission de nos péchés, et le bonheur qu’aucune expression ne peut rendre ; et puisse-t-il devenir pour nous tous, notre partage, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père et à l’Esprit saint et vivifiant, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

QUARANTE-TROISIÈME HOMÉLIE.

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Les deux anges vinrent à Sodome, le soir. (Gen. 19,1)

ANALYSE.

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  • 1. Loth, au milieu de Sodome, pratiquait l’hospitalité, comme Abraham au sein de la solitude. On peut être vertueux parlât, Ici-bas l’intercession des justes peut être utile aux autres hommes. – 2. Mais il n’en est pas de même dans le siècle futur. – 3-6. Arrivée des anges chez Loth. Exécrable infamie des habitants de Sodome, et leur punition. – 7. Exhortation morale.


1. Une riante prairie nous montre une variété de fleurs de toute espèce ; ainsi la divine Écriture nous montre les vertus des justes, non pas afin de nous faire jouir, pendant quelques instants bien courts, du parfum de ces fleurs, mais afin que nous en retirions une utilité durable. Les fleurs que notre main cueille dans les champs, se flétrissent bien vite, et perdent leur éclat ; il n’en est pas de même des fleurs de l’Écriture. Quand nous avons appris les vertus des justes, quand nous les avons mises en réserve, au sein de notre âme, nous pouvons toujours savourer ce parfum ; il suffit de vouloir. Eh bien ! donc, puisque telle est, dans la divine Écriture, la bonne odeur des saints, recherchons aujourd’hui le parfum de Loth ; comprenons bien que ce qui a conduit ce juste sur la cîme d’une vertu si haute, c’est son commerce avec le patriarche, dont il suivit les traces, auquel il a dû particulièrement les vertus qu’il montra dans l’exercice de l’hospitalité. Pour donner plus de clarté à notre entretien, il est bon d’entendre les paroles de l’Écriture : Les deux anges vinrent à Sodome, le soir. Pourquoi le texte commence-t-il ainsi ? Pourquoi dit-il : Les deux anges vinrent à Sodome, le soir ? C’est parce qu’après être restés sous la tente du patriarche, ils se levèrent et sortirent ; mais le Dieu de bonté, se manifestant, par sollicitude pour nous, sous une forme humaine, demeura auprès du patriarche, et lui parla comme vous l’avez entendu hier. Dieu voulait nous apprendre à tous, et la grandeur de sa patience, et la charité du patriarche. Quant aux anges, ils se dirigèrent alors du côté de Sodome. L’Écriture, suivant l’ordre des faits, nous dit maintenant : Les deux anges vinrent à Sodome, le soir, pour faire ce qui était commandé. Voyez l’exactitude ; le soin de la divine Écriture. Elle nous montre le temps de leur arrivée. En effet, elle nous dit : Le soir. Pourquoi a-t-elle marqué le temps ? Pourquoi les anges sont-ils arrivés le soir ? L’Écriture veut nous montrer la généreuse hospitalité de Loth ; de même que le patriarche, assis devant sa tente, au milieu du jour, observait les voyageurs qui pouvaient passer, les épiait, s’appliquant avec ardeur à cette chasse généreuse, et s’élançait sur eux, et que c’était une fête pour lui que de recevoir les étrangers ; de même ce juste, qui connaissait la perversité des habitants de Sodome, ne sortait pas de chez lui, le soir, mais il demeurait assis de, vaut sa maison, afin de ne pas perdre un trésor qui aurait pu lui échapper, afin de s’assurer le fruit de l’hospitalité. Il est vraiment permis d’admirer la vertu de ce juste qui au milieu d’hommes si impies, non seulement ne s’est pas relâché, mais n’en a montré que plus de vertu. Et lorsque tous, pour ainsi dire, se ruaient dans le précipice, lui seul, dans une si grande multitude, suivit le droit chemin.
Où sont-ils maintenant ceux qui prétendent qu’on ne peut pas, au milieu d’une ville, conserver la vertu ? qu’il est besoin de retraite, de séjour sur les montagnes ? qu’on ne peut pas, quand on a une maison à conduire, quand on a une femme, des enfants à soigner, et des domestiques, et des serviteurs, pratiquer la vertu ? Qu’ils voient donc cet homme juste, ayant à ses côtés femme, enfants et serviteurs, vivant au sein d’une ville, et pareil, au milieu de tous ces méchants, de tous ces impies, à une étincelle qui brille au milieu de la mer, qu’ils le voient donc persister, non seulement sans s’éteindre, mais répandre une lumière chaque jour plus éclatante. Et ce que je dis, ce n’est pas pour empêcher qu’on ne cherche-la retraite hors des villes ; ce n’est pas pour interdire le séjour des montagnes ou des solitudes ; mais je montre que celui qui veut vivre dans la tempérance, pratiquer exactement, activement la vertu, ne trouve, hors de lui, rien qui l’en puisse empêcher. De même que l’indolent, que celui qu’un rien abat, ne retire aucun profit de la solitude ; (en effet, ce n’est pas du lieu où l’on est que la vertu dépend, c’est le fruit de notre sagesse et de nos mœurs ;) de même, l’homme sage et vigilant, n’a pas à souffrir du séjour des villes. Aussi je voudrais voir, comme ce bienheureux, les hommes vertueux vivre au sein des cités, où ils seraient comme un ferment qui attirerait les autres, qui les porterait à suivre leur exemple. Toutefois, comme la vie dans ces conditions semble difficile, nous permettons qu’on essaye l’autre genre de vie. En effet, la figure de ce monde passe. (1Cor. 7,31) La vie présente est courte ; et, si nous ne profitons pas du moment que nous sommes encore dans le stade, pour entreprendre les travaux de la vertu, pour fuir les filets de la malignité, c’est en vain, plus tard, que nous prétendrons nous corriger, quand le repentir ne servira de rien. Tant que nous demeurons dans la vie présente, le repentir peut avoir son utilité ; on y gagne l’expiation des premières fautes, on acquiert ainsi la miséricorde du Seigneur. Si nous laissons échapper le temps présent, si tout à coup nous sommes emportés, nous pourrons nous repentir, mais nous n’en retirerons aucune utilité. En voulez-vous l’assurance ? écoutez ce que dit le Prophète : Qui est celui qui vous louera dans l’enfer ? (Ps. 6,5) Et ailleurs : Le frère ne rachète point son frère, l’étranger le rachètera-t-il ? (Ps. 48,8) Il n’y aura là, dit le Psalmiste, personne, plus tard, pour délivrer celui qu’aura trahi sa négligence ; il n’y aura là ni frère, ni père, ni mère ; et que dis-je, ni frère, ni père, ni mère ? les justes même, qui jouissent de l’intimité de Dieu, ne pourront alors nous être d’aucun secours, si, dans la vie présente, nous cédons à l’engourdissement. En effet, dit le Prophète, que Noé, Job et Daniel s’y trouvent en même temps, ils ne délivreront ni leurs fils, ni leurs filles. (Ez. 14,20) Voyez quelle terrible menace ; quels justes l’Écriture a nommés ! En effet, ces sages, quand ils vivaient, ont procure ; même le salut des autres ; Noé, quand l’épouvantable déluge saisit la terre, sauva son épouse et ses fils ; Job. de même, fut, pour les autres, une cause de salut, Daniel aussi arracha un grand nombre d’hommes à la mort, quand ce barbare demandait des choses impossibles à la nature humaine, et voulait exterminer Chaldéens, Mages, et Gazaréniens.
2. Ne pensons pas qu’il en soit de même dans le siècle à venir, et que ceux qui ont passé leur vie dans la vertu, qui sont en faveur auprès de Dieu, puissent affranchir du supplice leurs amis, leurs parents, qui auront vécu ici-bas dans une molle négligence. Voilà pourquoi le texte nous a parlé de ces hommes justes ; c’est pour nous inspirer la terreur, c’est pour nous montrer que chacun de nous doit fonder sur ses propres œuvres, en même temps que sur la grâce divine, l’espérance de son salut ; qu’il ne faut ni se glorifier des vertus de ses ancêtres, ni de quoi que ce soit hors de nous, ni bâtir sur ce fondement sa confiance, si nous persévérons dans le péché ; mais qu’il faut se soucier uniquement, si nos pères ont brillé parla vertu, d’imiter leur vertu ; et, s’il leur est arrivé le contraire, si nous sommes nés de parents pervertis, nous ne devons pas croire qu’il y ait là rien qui nous soit nuisible, pour peu que nous nous exercions aux fatigues de la vertu. En effet, nous ne retirerons, de ce qui ne nous est pas personnel, aucun dommage ; chacun n’est couronné ou condamné que pour ses propres œuvres, comme dit le bienheureux Paul : Afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu’il aura faites, pendant qu’il était revêtu de son corps. (2Cor. 5,10) Et ailleurs, en parlant de Dieu : Il rendra à chacun selon ses œuvres. (Rom. 2,6) Parfaitement instruits de ees vérités, secouons toute négligence ; attachons-nous, de toutes nos forces, à la vertu : profitons de ce que nous sommes encore dans le stade, de ce que c’est le temps de la lutte, et, avant que les spectateurs se séparent, inquiétons-nous de notre salut, afin qu’après avoir, dans la vie si courte qui nous est donnée, pratiqué la vertu, nous en recevions la récompense, dans la vie qui n’aura pas de fin. Semblables à ce juste qui, au milieu de tant de méchants, et ne trouvant personne pour imiter sa vertu, et ne voyant autour de lui que les moqueries de la perversité railleuse, non seulement ne s’est pas arrêté, n’est pas devenu moins actif, mais a brillé d’un tel éclat de vertu, qu’il a mérité de recevoir, chez lui, les anges du Seigneur. Et, quand ces anges faisaient périr tous les habitants, lui seul, avec ses filles, a évité le châtiment qui leur était infligé, Revenons d’ailleurs à la suite de notre entretien : Les deux anges vinrent â Sodome le soir. Le moment de la journée montre surtout la parfaite vertu de ce juste, puisque, le soir arrivant, il resta devant sa maison et ne rentra pas. Car, comme il connaissait le profit de l’hospitalité, jaloux d’acquérir les richesses qu’elle donne, il y mettait beaucoup de soin ; et le jour terminé, il continuait encore. Voilà la marque d’une âme où règne la ferveur d’un zèle actif ; aucun obstacle ne l’empêche de manifester sa vertu ; bien plus ; les plus grands obstacles ne font que l’exciter davantage, et l’embraser d’un plus vif désir.
Quand Loth, dit le texte, les aperçut, il se leva pour aller au-devant d’eux. Écoutez ces paroles, vous qui, à l’aspect des étrangers, qui vous prient et vous supplient, et vont jusqu’à s’abaisser devant vous, leur montrez durement votre aversion et les repoussez. Voyez comment ce juste n’attend pas qu’ils viennent jusqu’à lui ; il fait comme le patriarche : ignorant quels étaient ces hôtes, les prenant pour de simples voyageurs, il semblait sauter de joie, parce qu’il avait obtenu la proie qu’il cherchait, et son désir ne le trompait pas. Loth les ayant vus, se leva, alla au-devant d’eux, et s’abaissa jusqu’en terre. (Gen. 19,1) Il rendit grâces à Dieu, qui l’avait jugé digne de recevoir ces voyageurs. Remarquez la vertu de ce juste ; il regardait comme un grand bienfait de Dieu, d’avoir rencontré ces hommes, afin de satisfaire, en les recevant, son désir d’exercer l’hospitalité. Ne vous hâtez pas de dire, que c’étaient des anges ; considérez plutôt que ce juste l’ignorait encore ; il les reçoit comme des inconnus, comme de simples voyageurs ; son âme était ainsi faite. Puis il leur dit : Venez, seigneurs, je vous prie, dans la maison de votre serviteur, et demeurez-y, et lavez vos pieds, et demain vous continuerez votre route. Ces paroles suffisent pour révéler la vertu cachée dans l’âme de ce juste. Comment s’étonner qu’on admire cette humilité parfaite, le zèle brûlant qu’il montre en exerçant l’hospitalité ? Venez, dit-il, seigneurs, dans la maison de votre serviteur, et il les appelle seigneurs, et il s’appelle lui-même leur serviteur. Écoutons avec attention ces paroles, mes bien-aimés, et nous aussi, apprenons à faire comme lui. Un homme qui avait le droit d’être fier, un homme d’un grand nom, si riche, le père d’une si belle famille, aperçoit des voyageurs, des étrangers, des inconnus, en apparence assez misérables ; ils passent, ils ne lui sont rien, il les appelle seigneurs, et il dit : Venez dans la maison de votre serviteur et reposez-vous. C’est le soir, dit-il, accordez-moi cette grâce, reposez-vous de la fatigue du jour en venant dans la maison de votre serviteur. Est-ce que je vous fais une magnifique promesse ? Vous laverez vos pieds, fatigués d’une longue marche, et demain vous continuerez votre route. Accordez-moi cette grâce, et ne refusez pas ma prière. Et ils lui répondirent, dit le texte, nous n’irons point chez vous, mais nous demeurerons sur la place. Même après leur refus, en réponse à une exhortation si pressante, il ne s’engourdit pas ; il ne renonce pas à son dessein ; il ne, fait pas ce que nous faisons quelquefois, quand il nous arrive d’adresser une exhortation à quelqu’un, si nous le voyons résister, si peu que ce soit, refuser, aussitôt nous nous arrêtons, ce qui provient de ce que nous n’avons ni affection, ni vrai zèle, et surtout, de ce que nous regardons comme une excuse suffisante, de pouvoir dire, j’ai fait ce que j’avais à faire.
3. Que dis-tu, que tu as fait ce que tu avais à faire ? Tu chasses, et tu laisses la proie s’échapper. Tu t’en vas loin du trésor, et tu as fait ce que tu avais à faire ? Tu aurais fait ton devoir, si tu n’avais pas jeté le trésor que tu avais dans les mains ; si, en chassant, tu n’avais pas laissé échapper la proie ; si tu n’avais pas, uniquement pour l’acquit de ta conscience, et seulement en paroles, montré les vertus de l’hospitalité. Ce juste, au contraire, n’agit pas de même : mais que fait-il ? Il les voit, qui résistent à ses prières et qui veulent demeurer sur la place. Or, ce que les anges voulaient, c’était faire éclater la vertu de l’homme juste, et nous montrer, à tous, combien était grande en lui l’affection de l’hospitalité. Aussi bientôt ne se borne-t-il plus à des paroles, mais il leur fait violence. Le Christ aussi disait : Ce sont les violents qui emportent le royaume des cieux. (Mt. 11,12) En effet, où brille un gain spirituel, la violence est à propos, et la contrainte est louable. Et il les pressait, dit le texte, avec grande instance. Il me semble, à moi, qu’il les attirait malgré eux : bientôt, quand ils virent tout le zèle de l’homme juste, quand ils se virent contraints d’accéder à son désir. Ils consentirent, dit le texte, à ce qu’il voulait, et ils entrèrent dans sa maison, et il leur fit un festin, et il fit cuire des pains sans levain, et ils mangèrent avant d’aller se coucher. Voyez-vous, ici encore, que ce n’est pas dans la somptuosité de la table que l’hospitalité réside, que c’est la générosité de l’âme qui la constitue ? Aussitôt qu’il a pu les introduire dans sa maison, vite il s’empresse de remplir tous les devoirs envers les hôtes, et lui-même s’apprête à les servir. Il apporte ce qu’il faut pour le repas, il leur rend toute sorte d’honneurs, il entoure de soins ces hommes qu’il prend pour de simples voyageurs. Mais les habitants de Sodome entourèrent la maison, depuis les enfants jusqu’aux vieillards, tout le peuple s’y trouva, et ils appelèrent Loth et lui dirent : Où sont ces hommes qui sont entrés, ce soir, chez vous ? faites-les sortir, afin que nous les connaissions. (Gen. 19,5) Gardons-nous, mes bien-aimés, de passer légèrement sur ces paroles ; ne nous bornons pas à voir l’abominable délire de ces hommes ; réfléchissons, méditons sur la vertu de ce juste, qui, au milieu de ces bêtes sauvages, a montré l’excellence de la vertu ; qui a supporté leur iniquité, qui ne s’est pas sauvé de leur ville ; qui a soutenu leur entretien. Voici ce que je dis : Le Maître de toutes les créatures, prévoyant l’épouvantable corruption de ces hommes, a voulu que ce juste résidât parmi eux, pour être comme un excellent médecin qui guérirait leur maladie. Quand il vit que les soins ne servaient à rien, que leur mal était incurable, il n’a pas pour cela renoncé à la cure ; c’est ce que font d’ordinaire les médecins. Ils ont beau voir que les maladies sont plus fortes que la médecine, ce n’est pas pour eux une raison de négliger leur devoir, parce que, s’il peut se faire, même au bout d’un long temps, que le malade se rétablisse, la guérison prouvera l’excellence de leur art ; si, au contraire, leurs soins sont inutiles, on pourra d’autant moins leur adresser de reproches, qu’ils auront fait tout ce qui dépendait d’eux.
C’est, assurément, ce qui arriva ici. Ce juste au milieu de ces hommes, même dans ces circonstances, conserva la justice et montra l’étendue de sa sagesse. Quant aux habitants de Sodome, voilà précisément ce qui leur ôte toute excuse ; non seulement ils ne se sont pas corrigés de leur malignité, mais elle ne fit que s’accroître. Voyez en effet : Ils entourèrent la maison ; depuis les enfants jusqu’aux vieillards, tout le peuple s’y trouva. Abominable conspiration de la corruption, violent désir du mal, inexprimable grandeur de la dépravation, criminelles tentatives que rien ne saurait excuser ! depuis les enfants, dit le texte, jusqu’aux vieillards. non seulement, dit le texte, l’enfance recherchait cette violation sacrilège, mais on voyait là des hommes sur le déclin de l’âge, et tout le peuple s’y trouva. Et ils ne rougissaient pas d’une chose si infâme, d’une infamie si éhontée ; et ils ne pensaient pas à l’œil qui ne dort jamais ; et ils ne respectaient pas l’homme juste, ni ceux qu’ils prenaient pour des voyageurs dans la maison du juste, pour y recevoir l’hospitalité ; ils n’avaient pour eux aucun égard ; sans pudeur, et, comme dit le proverbe, sans masque, proférant les paroles de leur impudicité, ils approchèrent, ils appelèrent le juste, et lui dirent : Où sont ces hommes qui sont entrés chez vous ? Faites-les sortir, afin que nous les connaissions. C’est, je pense, parce que le juste prévoyait cette criminelle tentative, cette perversité sacrilège, qu’il était resté assis devant sa porte jusqu’au soir, ne voulant pas que les voyageurs fussent surpris dans les filets de ces hommes. Et ce juste, avec la perfection de l’hospitalité, et, de plus, un grand sentiment de pudeur, a pris soin d’accueillir tous les voyageurs, de n’en laisser échapper aucun, quoiqu’il ignorât que ceux-ci fussent des anges, et qu’il les prit simplement pour des hommes. Quant à ces impies, outre qu’ils ne faisaient rien qui ressemblât à la conduite de ce juste, ils n’avaient qu’un désir passionné, c’était de commettre une abomination surpassant, d’une manière incroyable, tout ce qui se peut concevoir d’infamie. Les anges voulaient donc demeurer sur la place, pour ménager au juste l’occasion de manifester son hospitalité, et pour montrer aussi, par la réalité même des choses, la justice des châtiments qui allaient frapper les pervers, se ruant dans de si effroyables désordres.
4. Mais voyons, dans ce qui suit, la grande vertu de l’homme juste. Loth sortit de sa maison, et, ayant fermé la porte derrière lui, il leur dit. (Id. 6) Voyez la crainte du juste ; il tremble pour ses hôtes, et il ne ferme pas seulement la porte derrière lui ; mais, connaissant la fureur et l’audace des habitants, soupçonnant leur violence, il leur dit : Ne songez point, mes frères. O patience de l’homme juste ! O grandeur de l’humilité ! Voilà la vraie vertu ; adresser des paroles si douces à de tels hommes ! On ne doit pas, en effet, quand on veut guérir un malade, quand on se propose la correction d’un insensé, employer la colère et la rudesse du langage. Et, voyez : ceux qui voulaient accomplir des actions inouïes, il les appelle ses frères, afin de toucher leur conscience, de les détourner de leur infamie sacrilège. Ne songez point, dit-il, mes frères, ne songez point à commettre un si grand mal. N’ayez point une pareille pensée, ne recevez point dans votre esprit l’idée d’un crime si affreux ; ne trahissez pas la nature même ; n’inventez pas de commerces illicites. Mais, si vous voulez assouvir la passion furieuse dont l’aiguillon vous donne le vertige, je vous procurerai, moi, ce qui rendra moins lourd le poids de votre crime : J’ai deux filles encore vierges, c’est-à-dire, qui, jusqu’à ce jour, dit-il, n’ont pas connu le mariage, intactes, jeunes, encore dans la fleur de l’âge ; je vous les livre à tous ; servez-vous-en comme il vous plaît, prenez-les, dit-il, satisfaites sur elles votre passion, assouvissez votre concupiscence, pourvu que vous ne commettiez point sur ces hommes une action coupable, parce qu’ils sont entrés dans ma maison. (Id. 8) Puisque, dit-il, je les ai forcés d’entrer sous mon toit, pour qu’on ne m’impute pas l’iniquité commise contre eux, pour qu’il ne soit pas dit que je suis l’auteur de l’outrage qui leur est fait, pour cette raison, je vous livre mes deux filles, afin de soustraire ces hommes à vos mains. Quelle grande vertu de l’homme juste ! Il a dépassé les plus hautes cimes de la vertu d’hospitalité ; quelles louanges pourraient égaler la sagesse de ce juste, qui n’a pas voulu même épargner ses filles, pour faire honneur à ses hôtes, pour les délivrer de la perversité des Sodomites. Et cet homme a prostitué ses filles, pour délivrer des hôtes, des voyageurs, je veux le redire encore, qui lui étaient absolument inconnus ; pour les soustraire à des affronts sacrilèges. Et nous, que de fois, voyant nos frères tombés dans l’abîme même de l’impiété, je dirai presque, voyant nos frères dans la gueule du démon, nous ne daignons pas leur parler, nous inquiéter pour eux, leur adresser des avertissements, les arracher à la malignité, les ramener à la vertu ! Quelle pourra être notre excuse, lorsque ce juste n’épargne pas même ses filles, afin de rendre à ses hôtes les soins qui leur sont dus ? Nous, au contraire, nous sommes sans pitié pour nos frères, et, souvent, nous faisons entendre ces paroles, dépourvues de sentiment, et toutes remplies d’extravagance absurde : Qu’ai-je de commun avec un tel ? Je ne prends de lui aucun souci ; je n’ai avec lui aucune affaire. O homme, ô homme, que dis-tu ? Tu n’as rien de commun avec lui ? C’est ton frère, de la même nature que toi ; vous êtes soumis au même Seigneur, vous participez souvent à la même table, à la table spirituelle, entendez-vous bien, à cette table terrible, et tu dis : je n’ai rien de commun avec lui, et tu passes, sans pitié dans le cœur, ton chemin, et tu ne tends pas la main à celui que tu vois gisant !
Les Juifs avaient une loi qui leur prescrivait de prendre soin des bêtes de somme qu’ils voyaient tomber et qui appartenaient à leurs ennemis. (Ex. 23,5) Et vous qui, souvent, voyez votre frère blessé par le démon, étendu, je ne dis pas sur la terre, mais au bord du gouffre du péché, vous ne l’en retirez pas, par vos exhortations ; vous ne l’avertissez pas ; vous n’appelez pas les autres au secours pour retirer, s’il est possible, de la gueule du monstre, celui qui est un de vos membres, pour le faire remonter à son rang, afin que vous-mêmes, s’il vous arrive de tomber, loin de vous ce malheur, dans les filets de ce démon maudit, vous trouviez, à votre tour, des frères secourables, qui s’empressent de vous délivrer ? Dans cette pensée, Paul, voulant exciter les Galates, les porter à prévoir le sort de ceux qui sont leurs membres, leur écrivait : Faisant réflexion sur vous-mêmes, craignant d’être tentés, vous aussi (Gal. 6,1), comme s’il leur disait : Si vous passez votre chemin, sans pitié, sans humanité pour votre frère tombé, peut-être arrivera-t-il qu’auprès de vous, si vous venez à tomber, un autre, comme vous, passera son chemin ; donc, si vous voulez qu’on fasse attention à vous, qu’on vous relève, s’il vous arrive de tomber, ne négligez pas les autres ; montrez la bonté parfaite, regardez, comme le plus riche trésor, de pouvoir sauver votre frère. Si vous considérez seulement que cet homme, que vous ne regardez pas, près duquel vous continuez votre chemin, sans vous arrêter ; est tellement en honneur auprès de Dieu, que le Seigneur, n’a pas refusé de répandre, pour lui, jusqu’à son propre sang, comme le dit le bienheureux Paul : Et ainsi par votre science, vous perdrez votre frère, pour qui Jésus-Christ est mort (1Cor. 8,11), comment ne rougirez-vous pas de votre indifférence au point de rentrer sous terre ? Si le Christ, pour cet homme, a répandu son sang, qu’y aura-t-il de merveilleux à ce que vous montriez au même homme votre affection par des paroles qui l’exhortent, qui le relèvent quand il sera tombé ; qui ramènent cet homme plongé, englouti peut-être au fond de l’abîme de la malignité ; qui le rendent à la lumière de la vertu, et ne lui permettent pas de se replonger dans les ténèbres de la corruption ?
5. Imitons donc, je vous en conjure, cet homme juste, et s’il faut même nous exposer au péril, pour sauver le prochain, ne reculons pas. Le péril ainsi affronté nous vaudra notre salut, l’intimité dans le sein du Seigneur. Considérez, en effet, je vous en conjure, comment cet homme juste a tenu tête à tout un peuple, à cette conspiration de ces êtres dépravés. Quelle douceur ! quel inexprimable courage il a témoigné, quoiqu’il n’ait pu, même par cette conduite, corriger ; dompter ce furieux délire. En effet, après qu’il eut prononcé ces paroles, qu’il eut montré une douceur si rare, quand il eut, par ses paroles, livré ses filles, comme de ses propres mains, que lui disent-ils ? Retirez-vous. (Id. 9) O profondeur de l’ivresse ! ô excès du délire ! Voilà comme se comporte cette brute effrénée, cette détestable concupiscence. Quand elle a vaincu la raison, elle ne supporte plus l’aspect de la vertu et de l’honnêteté. Il lui faut les ténèbres, la nuit, pour livrer ses combats. Retirez-vous, disent-ils, vous êtes venu ici comme un étranger parmi nous ; est-ce afin d’être notre juge ? Eh bien ! nous vous traiterons vous-même, encore plus mal qu’eux. Voyez avec quelle douceur l’homme juste leur parle ; avec quelle brutalité farouche ils lui répondent. C’est que – le démon leur à versé son ivresse ; c’est le démon qui marché à leur tête, et, sous sa conduite, ils attaquent l’homme juste, et ils lui disent : Vous êtes venu ici comme un étranger parmi nous ; est-ce afin d’être notre juge ? Nous vous avons reçu, disent-ils, comme un étranger ; êtes-vous donc devenu notre juge ? O excès de la perversité ! Il fallait rougir, il fallait recevoir avec respect le conseil de l’homme juste ; mais, semblables aux malades furieux qui veulent se jeter, même sur leur médecin, les voilà, eux aussi, qui lui disent : Eh bien ! nous vous traiterons plus mal qu’eux. Si tu ne veux pas, lui disent-ils, te taire, demeurer en repos, tu vas apprendre que ta protection n’aboutira qu’à les soustraire au danger, pour t’y faire tomber toi-même. Et ils se jetèrent sur Loth avec une grande violence. Voyez le courage de l’homme juste, qui tâche de résister à une si grande multitude. Lorsqu’ils étaient déjà prés de rompre les portes. Vous savez qu’en sortant, prévoyant la rage insensée de ce peuple, il avait fermé sa porte derrière lui, et ces impies, ces scélérats, ne supportant pas les avertissements de l’homme juste, le pressaient avec violence, et se préparaient à briser la porte. Mais l’expérience avait assez montré, d’une part la vertu de l’homme juste, son désir d’exercer l’hospitalité envers ceux qu’il regardait comme de simples voyageurs ; d’autre part, ce qu’il fallait attendre de tout ce peuple, ne conspirant que pour une infamie.
Les voyageurs à leur tour se révèlent, se manifestent. Ils ont vu que l’homme juste a rempli tout son devoir, ils font éclater leur puissance, et secourent ce juste qui subissait les violences d’une rage insensée. C’est pourquoi, dit le texte, ils prirent Loth par la main, et l’ayant fait rentrer dans la maison, ils en fermèrent la porte. Pour les hommes qui étaient dehors, ils les frappèrent de cécité, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, de sorte qu’ils ne purent plus trouver la porte. (Id. 10, 11) Voyez-vous comme le juste reçoit tout de suite la récompense de son hospitalité ; comme ces impies sont frappés de la peine qu’ils méritent ? En effet, dit le texte, ils prirent Loth et l’ayant fait rentrer dans la maison, ils en fermèrent la porte. Quant aux autres, ils les frappèrent de cécité, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, de sorte qu’ils ne purent plus trouver la porte. Comme leur esprit était aveuglé, leurs yeux furent aveuglés aussi. C’est pour nous apprendre que les yeux du corps sont inutiles, quand les yeux de l’esprit sont frappés de cécité. Et, parce qu’ils avaient conspiré tous dans cette dépravation, parce que tous, vieillards et jeunes gens, avaient pris leur part de cette tentative criminelle, tous furent frappés de cécité ; et non seulement de cécité, mais ils perdirent les forces de leur corps ; car puisqu’ils étaient affaiblis quant à l’âme, qui est la meilleure partie de l’homme, ils furent aussi affaiblis, quant au corps. Et ceux qui d’abord s’efforçaient de briser la porte et menaçaient l’homme juste, s’arrêtèrent tout à coup, sans pouvoir se servir de leurs membres ; et la porte était devant leurs yeux, et ils ne la voyaient pas. Dès ce moment, le juste respira, voyant quels étaient ses hôtes, et la grandeur de leur puissance. En effet, Ils dirent ensuite à Loth : avez-vous ici un gendre, ou des fils, ou des filles, ou quelqu’autre de vos proches dans cette ville ? (Id. 12) Voyez comme ils récompensent l’hospitalité de l’homme juste, comme ils veulent lui faire un magnifique présent, du salut de tous ses parents. Si vous avez, lui diton, dans cette ville, quelqu’un que vous voulez voir sauvé, si vous connaissez quelqu’un qui ne partage pas leurs crimes, Faites-le sortir de cette ville, et de la contrée ; faites sortir tous ceux qui vous appartiennent, car nous allons détruire ce lieu. (Id. 13) Ils donnent ensuite la raison de cette extermination. Ils apprennent tout au juste, avec grand soin parce que le cri des abominations de ces peuples s’est élevé devant le Seigneur, et le Seigneur nous a envoyés pour les perdre. C’était ce qui avait été dit au patriarche Abraham : Le cri de Sodome et de Gomorrhe s’augmente de plus en plus, et leur péché est monté jusqu’à son comble ; leur cri, dit le texte, s’est élevé jusque devant le Seigneur. (Gen. 18,20)
6. La grandeur de leur perversité est inouïe, et, comme le mal est incurable, comme la plaie est impossible à guérir, Dieu nous a envoyés pour les perdre. C’est ce que disait David : Celui qui fait de ses anges des vents, et de ses ministres, des flammes ardentes. (Ps. 103,4) Comme nous sommes venus, disent les voyageurs, pour détruire ce pays tout entier (en effet la terre même sera châtiée pour la malignité de ceux qui l’habitent), sortez d’ici. Aussitôt que l’homme juste eut entendu ces paroles et appris ce que venaient faire ceux qui semblaient des hommes, et qui étaient en réalité des anges, des ministres du Dieu de toutes les créatures : Loth étant sorti, parla à ses gendres, qui avaient reçu ses filles (Id. 14) Auparavant, il disait à ces impies : J’ai deux filles qui sont encore vierges. Comment donc, le texte peut-il dire ici : À ses gendres qui avaient reçu ses filles ? Ne croyez pas qu’il y ait ici une contradiction, avec ce quia été dit plus haut. C’était l’habitude chez les anciens, de faire longtemps d’avance, les fiançailles. Les fiancés habitaient chez les parents de la jeune fille ; coutume qui subsiste de nos jours encore dans beaucoup d’endroits. Les fiançailles ayant été déjà faites, le texte nomme les gendres de Loth et dit : Qui avaient reçu ses filles, ce qui veut dire qu’il y avait mariages projetés d’un consentement mutuel. Et il dit : Sortez de ce lieu, parce que le Seigneur détruit cette ville. Mais ils s’imaginèrent qu’il délirait. Voyez le mauvais ferment qui travaillait aussi ces gendres de Loth. C’est pourquoi Dieu, voulant affranchir promptement le juste de toute alliance avec eux, ne leur permit pas de partager le sort de ses filles ; il les perdit, eux aussi, avec les impies, afin que le juste, étant sorti avec ses filles, échappât à leur parenté. Donc, entendant les terribles menaces énoncées par l’homme juste, ils se moquaient, ils pensaient que ses paroles provenaient du délire. Cependant le juste insistait ; comme il leur avait promis ses filles, il voulait les arracher au supplice. Mais eux ne voulurent pas ; ils s’obstinèrent à lui résister, l’expérience leur fit comprendre que c’était à leur grand détriment qu’ils avaient rejeté le conseil du juste. A la pointe du jour, dit le texte, les anges pressaient vivement Loth de sortir, en lui disant : Levez-vous et emmenez votre femme et vos deux filles, de peur que vous ne périssiez aussi vous-mêmes dans la ruine de cette ville. Et ils jurent troublés. (Id. 15, 16) Ne différez pas, disaient-ils, déjà la destruction s’apprête ; sauvezvous, et votre femme avec vous, et sauvez vos filles ; car ceux qui n’ont pas voulu obéir à vos avertissements, vont être bientôt frappés par la destruction commune. Ne différez donc pas, pour n’être pas atteints vous-mêmes par l’extermination de ces impies. Et ils furent troublés : c’est-à-dire Loth, et sa femme, et ses filles, en entendant ces mots. Ils furent troublés, dit le texte, c’est-à-dire étonnés, épouvantés, remplis d’angoisse, à cette menace. Aussi, les anges prenant soin de l’homme juste le saisirent, dit le texte, par la main.
Dès ce moment, la divine Écriture n’en parle plus comme si c’étaient des hommes ; mais, parce qu’ils allaient faire tomber le coup terrible, elle les nomme des anges, et elle dit : Ils le prirent par la main, et sa femme, et ses filles, car le Seigneur voulait le sauver. C’était pour leur donner de la confiance, que les anges leur prenaient la main, et ils leur fortifièrent ainsi le cœur, pour que le saisissement de l’épouvante n’engourdît pas leurs membres. Voilà pourquoi le texte ajoute : Car le Seigneur voulait le sauver. Attendu que le Seigneur avait jugé qu’il méritait d’être sauvé, les anges, voulant les fortifier tous, les saisissent par la main. Et les ayant ainsi fait sortir de la maison, ils dirent : Sauvez votre vie, ne regardez point derrière vous, et ne vous arrêtez point dans tout le pays d’alentour ; mais sauvez-vous sur la montagne, pour n’être pas enveloppés avec les autres. (Id. 17) Comme nous vous délivrons de ces impies, disent-ils, ne regardez pas davantage derrière vous ; ne cherchez pas à voir ce qui va leur arriver ; mais hâtez-vous ; allez, au loin, devant vous, afin d’échapper au châtiment qui va leur être infligé. Ensuite le juste, craignant de ne pouvoir par hasard atteindre le lieu qu’ils lui désignent, et parvenir sur la montagne : Je vous prie, Seigneur, puisque votre serviteur a trouvé grâce devant vous, et que vous avez signalé envers lui votre grande miséricorde, en me sauvant la vie, je vous prie de considérer que je ne puis me sauver sur la montagne, étant en danger que le malheur ne me surprenne auparavant, et que je ne meure. Mais voilà ici près une ville où je puis fuir, elle est petite, je puis m’y sauver et je vivrai à cause de vous. (Id. 18, 19-20) Puisque, dit-il, vous avez décidé de me sauver, mais qu’il est au-dessus de mes forces d’atteindre au sommet de la montagne, accordez-moi une plus grande grâce, dans votre miséricorde ; rendez ma fatigue plus légère, de peur que je ne sois saisi par la flamme qui tombe sur eux, que je ne meure avec eux ; voici une ville qui est tout près, qui est petite, préservez-la, afin qu’elle soit mon séjour ; elle a beau être misérable et petite, je puis m’y sauver, y vivre, n’ayant plus rien à craindre. L’ange lui répondit : J’accorde cette grâce, à la prière, que vous me faites, de ne pas détruire la ville, de laquelle vous me parlez. (Id. 21) J’accueille vos prières, dit-il, je ferai ce que vous voulez ; je vous accorde ce que vous me demandez, et, par égard pour vous, j’épargnerai même la ville. Hâtez-vous donc de vous sauver en ce lieu. (Id. 22) Car je ne ferai rien jusqu’à ce que vous y soyez arrivés : Car je ne pourrai pas, dit le texte, faire l’œuvre avant que vous ne soyez entrés: votre salut m’intéresse, j’attendrai jusqu’à ce que vous arriviez là, et c’est alors que j’infligerai aux autres leur châtiment. Le soleil se levait sur la terre, au même temps que Loth entrait dans Ségor. (Id. 23) C’est au lever du soleil, dit le texte, qu’il arriva dans la ville ; et aussitôt qu’il fut dans la ville, les autres reçurent leur châtiment. Alors le Seigneur, dit le texte, fit descendre une pluie de soufre et de feu lancée du haut du ciel, par le Seigneur sur Sodome et sur Gomorrhe, et il perdit ces villes, et tout le pays d’alentour, et tous ceux qui habitaient dans les villes, et dans le pays, et tout ce qui s’élevait de la terre. (Id. 24, 25) Ne vous étonnez pas de ce langage, mon bien-aimé, c’est le propre de l’Écriture de répéter ainsi souvent les mêmes mots indifféremment. Vous en voyez, ici, un exemple : Le Seigneur, dit le texte, fit descendre une pluie de soufre et de feu, lancée par le Seigneur du haut du ciel. C’est pour dire que c’est le Seigneur qui a opéré la punition, et non seulement il a bouleversé les villes, et tout le pays d’alentour, et tous les habitants, mais encore il a détruit ce qui s’élevait de la terre. Attendu que les hommes qui l’habitaient avaient produit de nombreux fruits d’impiété, pour cette raison, dit Dieu, je supprime les fruits de la terre ; je veux, par cette destruction, laisser un monument éternel aux générations à venir ; la seule stérilité de la terre leur apprendra combien fut grande la malice de ceux qui l’habitaient.
Voyez-vous combien la vertu est puissante, combien la malice est funeste, comment le juste fut sauvé, comment les autres ont reçu la punition que méritait leur malignité. Et ; de même que ce juste, par sa vertu, a sauvé ses filles avec lui, et empêché la destruction de cette petite ville ; de même les autres, par la grandeur de leur malignité, non seulement ont péri eux-mêmes, et ont été détruits, mais, ils ont rendu, pour l’avenir, leur terre stérile. La femme de Loth, dit le texte, regarda derrière elle, et elle fut changée en une statue de sel. (Id. 26) Elle avait entendu les anges recommandant au juste que personne ne se retournât, que tout le monde se retirât, en toute hâte ; elle méprisa ces paroles, ne tint aucun compte de l’ordre et elle porta la peine de sa négligence.
7. Et nous maintenant, instruits par cette leçon, appliquons-nous à notre salut, avec un zèle plus diligent ; gardons-nous d’imiter de pareils vices ; imitons ce juste, ses vertus hospitalières, ses autres vertus encore, afin d’écarter loin de nous la colère d’en haut. Non, il n’est pas possible, il n’est pas possible que celui qui pratique cette vertu, avec l’ardeur d’un vrai zèle, n’y gagne pas un grand trésor. C’est par là, en effet, que ces anciens justes ont obtenu la grâce d’en haut ; et le patriarche, et Loth, et tous ceux qui, croyant recevoir des hommes, ont mérité de recevoir des anges, et le Seigneur des anges. Nous aussi, de nos jours encore, nous n’avons qu’à le vouloir, nous pouvons le recevoir chez nous, car c’est lui-même qui a dit : Celui qui vous reçoit me reçoit.(Mt. 10,40) Dans cette pensée, recevons donc les, hôtes, et ne nous arrêtons pas à ce que l’apparence a de misérable. En vérité si nous exerçons, nous aussi, avec la même sagesse, l’hospitalité, nous mériterons ; nous aussi, de recevoir de tels hôtes, qui paraissent des hommes, qui opèrent les œuvre des anges. Mais pas de vaine curiosité, de recherches, d’enquêtes qui nous feraient perdre notre trésor. Sachez-le bien, Paul nous révèle les noms de ces justes et nous apprend comment ils recevaient de tels hôtes : Ne négligez pas, dit-il, d’exercer l’hospitalité ; car c’est en la pratiquant que quelques-uns, sans le savoir, ont reçu, pour hôtes, des anges (Héb. 13,1) ; car c’est là ce qui les a surtout rendus dignes d’admiration ; c’est qu’ils ont déployé l’hospitalité la plus affectueuse envers ceux qu’ils ne connaissaient pas. Eh bien donc ! nous aussi, mettons-nous à cette œuvre, avec une foi, avec une piété entière, afin de pouvoir obtenir le trésor. Puissions-nous tous, le recevoir en partage, par la grâce, et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père et au Saint-Esprit, l’honneur, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

QUARANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE.

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Or, Abraham s’étant donc levé le matin vint au lieu où il avait été auparavant avec le Seigneur. (Gen. 19,27-38)

ANALYSE.

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  • 1-3. De l’invocation et de l’intercession des saints. – 4. Les prières que d’autres font pour nous sont moins efficaces que celles que nous faisons nous-mêmes. – 5. Loth ni ses filles ne sont point à condamner. – 6. Exhortation morale. Comparaison de l’épreuve de Joseph tenté par l’Égyptienne avec la fournaise de Babylone.


1. Hier, l’histoire de la Samaritaine nous a fait voir assez l’ineffable patience du Seigneur, l’excès de sa sollicitude pour elle, la reconnaissance de cette femme ; vous l’avez vue, elle venait puiser l’eau qui tombe sous nos sens, et c’est à la source spirituelle, c’est à la divine fontaine qu’elle a puisée, et elle s’en est retournée chez elle, accomplissant la parole du Seigneur : L’eau que je lui donnerai, deviendra en son âme une fontaine d’eau qui rejaillira jusque dans la vie éternelle. (Jn. 4,14) Elle s’est remplie de cette eau divine et spirituelle. Elle n’a pu en retenir les courants, qui ont débordé, pour ainsi dire, sur la ville, et elle a inondé les habitants de la grâce qui lui était accordée ; elle est devenue tout à coup le héraut du Seigneur, cette samaritaine, cette étrangère. Quel trésor, voyez-vous, que la reconnaissance ! Vous voyez comment la bonté de Dieu ne dédaigne personne ; comment, au contraire, si, même dans une femme, même dans un être absolument pauvre, en qui que, ce soit, si le Seigneur trouve la vigilance et la ferveur, aussitôt il communique les largesses de sa grâce. Imitons donc, je vous en conjure, imitons, nous aussi, cette femme, 'et recevons avec une grande attention les enseignements de l’Esprit ; car les paroles que nous prononçons ne sont pas nos paroles. Ce n’est pas, à vrai dire, notre langue qui parle quand nous parlons ; mais, conduits par la bonté du Seigneur, nous vous disons ce, qu’il nous inspire, pour notre salut et l’édification de l’Église de Dieu. Ne fixez donc pas les yeux sur moi, mes bien-aimés ; ne considérez pas mon infirmité ; mais, parce que je vous apporte ce que le Seigneur me donne, tenez vos pensées fixées sur celui qui m’envoie. Soyez attentifs ; soyez vigilants ; écoutez. Voyez ce qui se passe sur la terre ; lorsque celui dont le front est ceint du diadème, l’empereur envoie un message, celui qui l’apporte n’a par lui-même aucune valeur ; c’est un homme du commun, qui souvent ne pourrait dire quelle est sa famille ; un homme obscur et de parents obscurs ; mais ceux à qui est destiné l’écrit impérial, ne s’arrêtent pas à considérer ce qu’est cet homme ; attendu qu’il apporte un écrit de l’empereur, on lui fait un grand honneur, à lui aussi, et, quant au message, on l’écoute avec un respect plein de crainte ; on l’écoute en silence. Eh bien ! si cet homme qui n’apporte que l’écrit d’un autre homme, qui n’apporte qu’un papier, est reçu avec honneur par tous, à plus forte raison devez-vous accueillir, avec l’extrême attention que le respect commande, ce que l’Esprit vous envoie, par notre entremise, afin que vous recueilliez une grande récompense de votre sagesse. Car, si le Seigneur de toutes les créatures voit une généreuse, ardeur échauffer vos âmes, il nous fera à nousmême, pour votre édification, de plus riches présents, et il accroîtra en vous l’intelligence, pour comprendre la parole ; car la grâce de l’Esprit est magnifique ; elle se répand sur tous ; elle ne décroît pas en se partageant ; au contraire, en même temps qu’elle se distribue, elle grandit, et plus est considérable le nombre de ceux qui y participent, d’autant plus considérable est le bienfait communiqué à tous. Eh bien ! donc, si vous voulez, reprenons la suite de nos entretiens ; voyons où nous nous sommes arrêtés, où il convient de recommencer aujourd’hui. Où avons-nous hier amarré notre barque ? Où avons-nous arrêté le cours de l’instruction ? Nous vous parlions de Loth, de l’incendie de Gomorrhe, et nous avons terminé notre discours au moment où le juste fut sauvé dans Ségor. Le soleil se levait sur la terre au même temps que Loth entra dans Ségor. Et alors la colère envoyée de Dieu saisit les habitants de Sodome, opéra la destruction de cette terre, et nous avons vu que la femme de l’homme juste, oubliant les paroles que les anges avaient dites, regarda derrière elle, et – fut changée en statue de sel, laissant aux générations à venir un monument éternel de sa coupable négligence. Il faut aujourd’hui, reprenant la suite de ces événements, vous montrer, en peu de mots, mes bien-aimés, vous montrer encore la charité, la compassion qui animait le patriarche, et la bienveillance de Dieu pour lui. En effet, au lever du soleil, le juste Loth fut sauvé dans Ségor ; ceux de Sodome, au contraire, subirent l’expiation. En même temps le patriarche était saisi de pitié, à la pensée de cette destruction que leur péché leur avait attirée, et il était troublé d’inquiétude pour le sort de l’homme juste ; et le matin, il vint et il regardait ce qui était arrivé. Or, Abraham s’étant levé le matin, vint au lieu où il avait été auparavant avec le Seigneur, et regardant Sodome et Gomorrhe, et tout le pays d’alentour, il vit des cendres enflammées, qui s’élevaient de la terre comme la fumée d’une fournaise. (Id. 27-28) Le texte marque le lieu où il s’était entretenu avec le Seigneur, où il l’avait imploré pour ceux de Sodome ; c’était là qu’il voyait les traces de cet épouvantable châtiment. Et il voulait savoir des nouvelles de l’homme juste. C’est là le caractère des saints ; ils éprouvent vivement l’affection, ils savent compatir. L’Écriture, pour nous apprendre que la grâce de l’Esprit fit aussitôt connaître au patriarche ce qu’il tenait tant à savoir, et le délivra de l’inquiétude que Loth lui causait : Lorsque Dieu, dit le texte, détruisait les villes de ce pays-là, il se souvint d’Abraham, et sauva Loua du milieu de cette destruction. (Id. 29) Que signifient ces mots : Dieu se souvint d’Abraham ? c’est-à-dire, de la prière qu’Abraham lui avait faite, en lui disant : Perdrez-vous le juste avec l’impie? (Gen. 18,22) Mais pourquoi donc, objectera-t-on, le juste a-t-il été sauvé à cause de la prière du patriarche, et non à cause de sa justice ? Assurément il a été sauvé pour sa justice ; et, de plus, pour la prière du patriarche. En effet, quand nous apportons ce qui dépend de nous, l’intercession des saints, s’ajoutant à nos œuvres, est encore pour nous la source des plus grands biens. Si nous nous négligeons nous-mêmes, si nous mettons en eux seuls toutes nos espérances de salut, nous n’en retirons aucune utilité. Ce n’est pas que les justes soient sans puissance, mais c’est que, par notre propre négligence, nous nous trahissons nous-mêmes.
2. Et voulez-vous avoir la preuve que, quand nous nous négligeons nous-mêmes, c’est en vain que les justes, si justes qu’ils soient, c’est en vain que les prophètes, si inspirés qu’ils soient, prient pour nous, qu’il n’en résulte pour nous aucune utilité ? (Ils montrent leur vertu par leurs prières, la vertu qui est en eux ; mais cette vertu ne nous est d’aucun profit, à cause des mœurs que nous faisons paraître) Écoutez les paroles que le Dieu de toutes les créatures adresse à son prophète, sanctifié dès le ventre de sa mère, à Jérémie : Ne prie pas pour ce peuple, parce que je ne t’exaucerai point. (Jer. 16,7) Voyez la bonté du Seigneur ; il avertit son prophète, parce qu’il ne veut pas, la prière ne devant pas être exaucée, que le saint attribue la rigueur de Dieu à ses propres fautes. Voilà pourquoi il lui dénonce, par avance, la corruption du peuple, et lui défend de prier. Il veut leur faire savoir, à tous en même temps, à lui, combien est grande la perversité des Juifs ; à eux, que les prières du prophète ne leur servent de rien, s’ils ne sont pas les premiers à faire tout ce qui dépend d’eux.
C’est dans de telles pensées, mes bien-aimés, que nous devons recourir aux prières des saints, pour leur demander d’intercéder pour nous. Gardons-nous de mettre toute notre confiance dans leurs prières, faisons, de notre côté, les œuvres qui dépendent de nous ; faisons-les comme il convient ; efforçons-nous toujours de prendre la voie la meilleure, afin d’autoriser la prière qui s’épanche pour nous. C’est ce que dit, à un autre prophète, le Seigneur de toutes les créatures : Ne voyez-vous pas ce qu’ils font ? ils font brûler la graisse, pour faire des gâteaux d une armée du ciel. (Jer. 7,17-18) Ce qui revient à dire : Vous me priez pour ceux qui ne renoncent pas à leurs péchés, qui ne sentent pas le mal dont ils sont travaillés, qui n’ont plus de sentiment. Ne voyez-vous pas leur parfait dédain ? Ne voyez-vous pas l’excès de leur délire ? Comme, insatiables d’impiété, ils ressemblent à la truie dans la fange, se vautrant dans leurs iniquités. S’ils voulaient se convertir, n’écouteraient-ils pas les exhortations ? N’est-ce pas moi, par la voix des prophètes, qui leur crie : Et après qu’elle a fait tous ses crimes, je lui ai dit : après tous vos crimes revenez à moi, et elle n’est point revenue? (Jer. 3,7) Leur demandai-je autre chose que de s’arrêter, de ne plus pécher, de ne pas pousser plus loin leurs crimes ? leur demanderais-je compte du passé, si je les voyais seulement manifester l’intention de se corriger ? Ne leur criai-je pas chaque jour : Est-ce que je veux la mort du pécheur, comme je veux qu’il se convertisse et qu’il vive ? (Ez. 18,23) Est-ce que je ne fais pas toutes choses, pour les arracher à la mort, quand je les vois égarés ? Quand je les vois convertis, est-ce que je me fais attendre ? Ne suis-je pas celui qui dit : Tu parles encore, me voici ? (Isa. 58,9) Tiennent-ils à leur propre salut, autant que j’ai le désir de voir tous les hommes sauvés, de les voir arrivés tous à la connaissance de la vérité ? (1Tim. 2,4) Vous ai-je tirés du néant pour vous perdre ? Vous ai-je, sans aucun but, préparé le royaume à venir, et des biens innombrables ? Si j’ai menacé de la gêne, n’est-ce pas parce que cette crainte me sert pour introduire les hommes dans le royaume des cieux ? Garde-toi donc, ô bienheureux prophète, de les abandonner pour m’apporter ta prière ; ne prends plus qu’un seul souci, celui de les guérir, de leur faire sentir leur infirmité, de les ramener à la santé, et tous mes biens viendront d’eux-mêmes. Et je ne me fais pas attendre et je ne suis jamais en retard, quand je vois une âme bien disposée ; je ne leur demande qu’une chose : la confession des péchés, et, c’en est fait, je ne punis pas les péchés. Est-ce donc bien lourd à porter, bien embarrassant, ce que je propose ? Si je ne savais pas qu’ils deviennent plus mauvais, quand ils ne confessent pas leurs premières fautes, je ne leur demanderais pas même cette confession ; mais, parce que je sais que l’homme s’enfonce de plus en plus dans le péché, voilà pourquoi je veux qu’ils confessent leurs premières fautes, afin que cette confession les empêche d’y retomber.
3. Donc, dans ces pensées, mes bien-aimés, réfléchissant sur la bonté du Seigneur, secouons notre engourdissement ; soyons bien attentifs à nous-mêmes ; lavons les taches de nos péchés, et hâtons-nous, ensuite, de demander l’intercession des saints. Si nous voulons être sages et vigilants, nous pourrons même par la seule vertu de nos propres prières, nous servir nous-mêmes, de la manière la plus efficace ; car notre Dieu, qui, est un Dieu de clémence, accorde moins aux autres, le priant pour nous, qu’il ne nous accorde à nous-mêmes, quand c’est nous qui le prions. Voyez l’excès de bonté ; pour peu qu’il s’aperçoive que nous, qui l’avons offensé, qui nous sommes rendus méprisables, qui n’avons plus aucun droit d’espérer en lui, nous nous réveillons un peu, nous avons, en nous, la pensée de recourir à son inépuisable clémence ; aussitôt il agrée nos prières, il nous tend la main. Nous étions étendus et gisants, il nous relève, il nous crie : Est-ce que celui qui est tombé, ne se relèvera pas ? (Jer. 8,4) Mais la réalité même des choses vous montre quel grand nombre d’hommes, priant eux-mêmes pour eux-mêmes, ont mieux obtenu ce qu’ils désiraient, que par les prières des autres. Ceci vaut la peine que nous vous montrions les personnes qui ont eu ce bonheur, afin que nous les imitions, afin que nous nous animions d’un beau zèle. Apprenons donc comment cette Chananéenne, à l’âme si cruellement tourmentée, comment cette femme, cette étrangère, à la vue du médecin des âmes, du soleil de justice, levé pour ceux qui demeurent dans les ténèbres, s’approcha de lui, pleine de ferveur, animée d’un généreux zèle ; et ce zèle ne se ralentit pas, quoique ce ne fût qu’une femme ; quoique ce fût une étrangère. Repoussant tous les obstacles, elle s’approcha, et dit : Seigneur, ayez pitié de moi ! ma fille est misérablement tourmentée par le démon. (Mt. 15,22) Celui qui connaît les secrets des cœurs, garde le silence, ne lui répond pas, ne daigne pas s’entretenir avec elle, il n’a pas de pitié pour cette femme, qu’il voit si misérable, dont il entend les cris de douleur. Il diffère, parce qu’il veut rendre manifeste, aux yeux de tous, le trésor caché dans cette femme. Il savait bien qu’il y avait là une perle qu’on ne voyait pas, qu’il voulait montrer à nos regards. Voilà pourquoi il différait, ne daignant pas lui répondre ; c’était pour que le zèle de cette femme fût, pour toutes les générations à venir, un grand enseignement. Et voyez l’ineffable bonté de Dieu ; lui-même, dit le texte, ne lui répondait pas ; quant aux disciples, pleins de compassion et de bonté, ils n’osent pas dire hier ! haut donnez-lui ce qu’elle demande, ayez pitié d’elle, soyez clément pour elle ; mais que disent-ils ? Accordez-lui ce qu’elle demande parce qu’elle crie derrière nous (Id. 23) Comme s’ils disaient : délivrez-nous de cette importune ; délivrez-nous de ses cris. Que fait donc le Seigneur ? Pensez-vous, leur dit-il, que ce soit sans raison que j’ai gardé le silence, que je n’ai pas daigné lui adresser une réponse ? Écoutez : Je n’ai été envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui se sont perdues (Id. 24) Ignorez-vous, leur dit-il, que c’est une femme étrangère ? Ignorez-vous, que je vous ai interdit tout commerce avec les étrangers ? Pourquoi donc, sans examen, montrer votre compassion pour elle ? Considérez l’industrieuse sagesse de Dieu ; voyez comme en paraissant répondre à cette femme, il l’accablait plus que par son silence ; comme il la frappait, pour ainsi dire, d’un coup mortel, voulant ensuite la ranimer peu à peu, afin que les disciples, qui ne se doutaient de rien, comprissent la grandeur de la foi qu’elle recelait dans son âme. Eh bien ! elle ne se ralentit pas, elle ne se découragea pas, en voyant que les disciples n’avançaient à rien ; elle ne se dit pas à elle-même : s’ils n’ont pu fléchir le Seigneur, en le priant pour moi, pourquoi continuerai-je une tentative inutile, pourquoi insister ? Au contraire, embrasée du feu qui brûle, qui dévore ses entrailles, elle s’approche, elle adore, elle dit : Seigneur, assistez-moi ! (Id. 25) Mais lui refuse encore son secours à cette femme, il fait entendre une réponse plus sévère que l’autre : Il n’est pas juste, dit-il, de prendre le pain des enfants, et de le donner aux chiens. Considérez, mes bien-aimés, admirez ici la vivacité du désir dans cette femme et la rare distinction de sa foi. Quand elle entendit ce nom de chiens, elle ne s’indigna pas, elle ne se retira pas, mais, avec une affection pieuse et profonde, elle dit : Il est vrai. Seigneur, mais les petits chiens mangent au moins des miettes qui tombent de la table de leur maître (Mt. 15,27) Eh bien dît-elle, j’avoue que je mérite d’être traitée, comme on traite les chiens ; accordez-moi donc comme aux chiens des miettes de votre table. Comprenez-vous la foi, la vertu de cette femme ? Elle a supporté la parole, et aussitôt elle a obtenu ce qu’elle demandait avec instance, et elle l’a obtenu, en s’attirant de plus, un éloge insigne. En effet, que lui dit le Christ ? O femme, votre foi est grande, qu’il vous soit fait comme vous voulez ! (Id. 28) O femme ! c’est un cri d’admiration et d’éloge. Vous avez montré, dit le Seigneur, une grande foi ; aussi, vous obtiendrez tout ce que vous voulez. Voyez jusqu’où s’étend la générosité ; admirez la sagesse du Seigneur. Ne pensions-nous pas d’abord, quand il la repoussait ainsi, qu’il était sans pitié ? D’abord il ne daignait pas lui répondre. Ensuite, il lui fit une première, une seconde réponse, comme pour la chasser loin de lui ; il repoussait cette femme, qui était venue auprès de lui, avec un désir si vif et si brûlant. Mais, que la fin vous montre la bonté de Dieu. C’était parce qu’il voulait rendre plus éclatante la vertu de cette femme, qu’il se fit tant prier pour lui accorder sa demande. En effet, s’il la lui eût accordée aussitôt, nous n’aurions pas connu ce qu’il y avait dans cette femme de constance et de foi ; mais, grâce à ce, petit retard, nous avons pu reconnaître l’ineffable bonté que le Seigneur a pour nous, et la foi si rare, qui distingue cette femme au plus haut degré.
4. Toute cette histoire que nous nous sommes efforcé de vous exposer, c’est pour apprendre à tous que les prières des autres pour nous, sont moins efficaces que ne le sont nos propres prières, si nous prions avec ardeur, avec un esprit bien éveillé. Vous le voyez : cette femme avait les disciples qui priaient pour elle ; elle n’y gagna rien ; c’est elle, par ses propres efforts, par sa persévérance, qui se concilia la clémence du Seigneur. Et c’est encore ce qu’indique cette parabole de l’ami qui vient au moment où on ne l’attend pas, pendant la nuit, et demande trois pains : Si néanmoins l’autre persévérait à frapper, je vous assure que, quand il ne se lèverait pas pour lui en donner, parce qu’il est son ami, il se lèverait, du moins, à cause de son importunité, et il lui en donnerait. (Lc. 11,8) Eh bien ! puisque nous voyons l’ineffable clémence de Notre-Seigneur, allons à lui, déclarons-lui, mettons-lui, pour ainsi dire, sous les yeux, un à un séparément tous nos péchés ; demandons-lui le pardon de nos fautes passées, afin de vivre dorénavant avec plus d’exactitude, et d’obtenir de lui une plus grande bienveillance. Mais revenons, s’il, vous plaît, à la suite de notre lecture. Loth, dit le texte, étant dans Ségor, monta et se retira sur la montagne, ainsi que ses deux filles avec lui, parce qu’ils avaient peur d’habiter dans Ségor, et Loth habita dans une caverne, et ses deux filles avec lui. (Gen. 19,30) Le juste, sous le coup de la crainte que lui avait inspirée le désastre de Sodome, s’en va, et, dit le texte, il habitait sur une montagne avec ses filles. II vécut dans la solitude, dans un lieu tout à fait dévasté, avec ses filles, séjournant sur la montagne. Alors, suivant le texte, l’aînée dit à la cadette : Notre père est vieux, et il n’est personne sur la terre qui viendra vers nous, selon la coutume de tous les pays. Viens, donnons du vin à notre père et dormons avec lui, afin que nous puissions conserver de la race de notre père. (Id. 31, 32) C’est avec un religieux respect, mêlé de tremblement et de crainte, mes bien-aimés, que nous devons écouter ces paroles de la divine Écriture. Rien n’a été consigné à la légère et sans dessein dans nos saints Livres ; tout ce qu’ils contiennent y a été mis pour notre utilité, et dans notre intérêt, même les choses que nous ne comprenons pas. En effet, nous ne pouvons pas savoir tout absolument, avec une parfaite exactitude ; mais si nous essayons d’expliquer, selon la portée de notre esprit, les endroits difficiles, c’est qu’ils contiennent, même ainsi, un trésor caché, profondément caché, et difficile à découvrir. Considérez donc comme l’Écriture, raconte tout, d’une manière parfaitement claire, et nous – montre le but que se proposent les filles de l’homme juste, d’une manière suffisante pour empêcher que qui que ce soit, considérant te fait, ne condamne, soit le juste, soit les filles du juste, comme si ce commerce était l’effet de l’incontinence. Comment donc l’Écriture excuse-t-elle les filles glu juste ? L’aînée, selon le texte, dit à la cadette : Notre père est vieux et il n’est personne sur la terre qui viendra vers nous selon la coutume de tous les pays. Considérez attentivement le but, et vous verrez qu’elles sont au-dessus de toute accusation. En effet, elles pensèrent qu’elles avaient assisté à une destruction générale du monde entier ; qu’il n’y avait pas un seul survivant ; elles virent ensuite la vieillesse de leur père. Donc, dit l’aînée, pour que notre race subsiste, pour que notre nom ne meure pas (c’était là en effet le plus grand souci des anciens hommes, d’étendre leur race par la succession de leurs enfants) ; donc, dit-elle, pour que notre race ne soit pas tout entière détruite, et cela surtout quand notre père est déjà accablé de vieillesse, quand il n’y a pas un homme qui puisse s’unir à nous, de telle sorte qu’il nous soit possible d’étendre et de laisser, après nous, notre race : Viens, dit-elle, pour prévenir ce malheur, donnons du vin à notre père. C’est comme si elle disait : notre père ne supporterait pas nos paroles, trompons-le avec du vin. Elles donnèrent donc cette nuit-là du vin à leur père, et l’aînée dormit avec lui sans qu’il sentît, ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. (Id. 33) Voyez-vous comment la divine Écriture excuse le juste, non pas une fois seulement, mais deux fois. D’abord, en montrant que ses filles l’ont trompé par le vin, elle a déclaré qu’elles n’avaient pas d’autres moyens de décider leur père ; et maintenant, je crois que c’est une disposition d’en haut qui a permis qu’il fût assez appesanti par le vin pour ignorer absolument tout, de manière à demeurer innocent. En effet, les péchés qui nous condamnent, ce sont ceux que nous faisons sciemment et volontairement. Voyez le soin que prend l’Écriture de rendre en faveur du juste le témoignage que lui, personnellement, ignora tout ce qui s’était passé. Mais ici une autre question s’élève, au sujet de l’ivresse. Il convient, en effet, de tout examiner, afin de ne laisser à la perversité impudente aucun prétexte de calomnie. Que dirons-nous donc de cette ivresse ? elle ne résulta pas pour lui autant de l’intempérance, que de la tristesse et de l’abattement.
5. Que personne donc ne se permette de condamner, soit l’homme juste, soit les filles de l’homme juste. Quelle ne serait pas notre démence, notre délire, quand nous voyons la divine Écriture les absoudre pleinement, bien plus, les justifier avec un soin si jaloux, d’aller les condamner, nous qui sommes chargés de péchés sans nombre ? Écoutons la voix de Paul : C’est Dieu qui justifie, qui osera condamner ? (Rom. 8,33-34) Et ce qui prouve que cette action ne fut pas l’effet irréfléchi d’une passion ordinaire ; que l’excès de la tristesse et le vin ne lui laissèrent aucun sentiment, écoutez l’Écriture : Le jour suivant, l’aînée dit à la cadette : Vous savez que je dormis hier avec mon père ; donnons-lui encore du vin à boire, cette nuit, et vous dormirez aussi avec lui, afin que nous conservions de la race de notre père. Voyez en quelle sûreté de conscience elle faisait cette action. Puisque j’ai pu, dit l’aînée, accomplir ce que je voulais, il est nécessaire que vous aussi vous fassiez la même chose ; peut-être obtiendrons-nous ce que nous désirons, et notre race ne périra pas éternellement. Elles donnèrent donc encore, cette nuit-là, du vin à leur père, et sa seconde fille dormit avec lui, sans qu’il sentît non plus, ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. Considérez, mes bien-aimés, que tout ce qui s’est passé là, est l’œuvre d’une disposition divine, comme il est arrivé pour le premier homme. Il dormait, on lui prit une côte, et il ne sentit rien ; celui qui avait fait cette côte, en tira l’épouse d’Adam. Le fait d’aujourd’hui est de même nature. Si la côte fut enlevée dans un moment où la pensée, par l’ordre de Dieu, ne s’en aperçut pas, en l’absence de tout sentiment pour l’homme, à bien plus forte raison en fut-il de même, pour le fait qui nous occupe. La divine Écriture dit : Le Seigneur Dieu envoya à Adam un profond sommeil, et il dormit. (Gen. 2,21) Elle exprime un fait du même genre par ces paroles : Sans qu’il sentît, ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. Ainsi, dit le texte, elles conçurent de leur père ; l’aînée enfanta un fils, et elle le nomma Moab, c’est-à-dire de mon père ; c’est le père des Moabites ; la seconde enfanta aussi un fils, et elle l’appela Ammon, c’est-à-dire le fils de ma race ; c’est le père des Ammonites. (Gen. 19,36-38) Vous voyez qu’il n’y a pas là une œuvre de l’incontinence, puisque, tout de suite, elles donnent à leurs fils des noms qui expriment le fait ; elles inscrivent dans les noms de leurs fils, comme sur des colonnes, le fait qu’elles ont accompli ; elles marquent d’avance les nations qui doivent sortir de leurs enfants ; elles indiquent la propagation de leur race qui formera des peuples. L’un, en effet, sera le père des Moabites, l’autre celui des Ammonites.
6. Considérons maintenant qu’à cette époque, dans ces premiers temps, où commençaient les choses, on voulait conserver sa mémoire par la succession de sa race ; de là la préoccupation si forte des filles de l’homme juste. Aujourd’hui, au contraire, par la grâce de Dieu, la religion a grandi, et, comme dit le bienheureux Paul : La figure de ce monde passe. (1Cor. 7,31) C’est par nos bonnes œuvres que nous devons assurer notre mé moire, afin qu’après notre départ d’ici-bas, l’examen attentif et minutieux de notre vie, soit un exemple, un enseignement, pour tous ceux qui tourneront sur nous leurs regards. C’est qu’en effet les hommes vertueux, les hommes chastes et purs, peuvent être utiles non seulement dans cette vie, mais après leur départ de cette vie, à ceux qui les contemplent, Voyez-en la preuve, je vous en conjure, dans le grand nombre d’années qui se sont écoulées depuis Joseph jusqu’à nos jours ; dans ce qui arrive toutes les fois que nous voulons porter les hommes à la continence. C’est Joseph que nous proposons, ce beau et gracieux jeune homme, qui, dans, la fleur de l’âge, montre une sagesse si virile, tant de chasteté, tant de pudeur. Voilà par quels moyens nous nous appliquons à provoquer, dans ceux qui nous écoutent, l’imitation des vertus que ce juste a montrées en lui. Qui n’admirerait pas en effet ce bienheureux ? il est esclave ; il est dans la fleur de la jeunesse ; à l’âge où la concupiscence est une fournaise plus que jamais brillante ; il voit la femme de son maître, qui se lance sur lui dans le délire de la passion, et il montre un courage héroïque, et il s’est si bien exercé aux combats de la tempérance, qu’il s’échappe hors des étreintes de cette femme aux désirs effrénés. Il s’élance loin d’elle, dépouillé de ses vêtements, mais revêtu de sa chasteté qu’il conserve. Et, à cette heure, on pouvait voir, étrange, incroyable prodige, l’agneau au pouvoir du loup, disons mieux, sous l’ongle de la lionne, et cependant l’agneau fut sauvé. Et, comme la colombe évite la serre de, l’aigle, ainsi ce juste échappe aux mains de cette femme. Non, je n’admire pas autant la victoire des trois jeunes hommes, triomphant de la flamme au milieu de la fournaise de Babylone ; je n’admire pas leur chair restée intacte, autant que j’admire, que je suis frappé d’étonnement et de stupeur, en voyant ce juste dans cette fournaise, bien plus redoutable que la fournaise de Babylone, exposé à l’incontinence, je dis l’incontinence d’une Égyptienne, et demeurant intact jusqu’au bout, et conservant sans atteinte son manteau de chasteté. Mais ne soyez pas trop étonnés, mes bien-aimés ; c’est parce qu’il contribua des ressources qui étaient en lui, qu’il obtint comme auxiliaire la grâce d’en haut, pour éteindre cet incendie, pour faire pleuvoir au milieu de la fournaise la rosée de l’Esprit-Saint. Avez-vous bien compris comment les hommes doués de vertu sont pour nous, et pendant tout le temps qu’ils restent sur la terre au milieu de nous, et après leur départ de cette vie de la plus grande utilité ? Et voilà pourquoi nous avons fait paraître ce juste au milieu de vous ; c’est afin que nous suivions tous son exemple. Donc, imitons-le tous, et triomphons de notre concupiscence, instruits par ces paroles : Nous avons à combattre non contre la chair et le sang, mais contre les principautés, et les puissances, contre les princes du monde de ce siècle ténébreux (Eph. 6,12) ; et, dans la pensée que nous, revêtus de notre corps, nous sommes forcés de lutter contre des puissances incorporelles, fortifions-nous des armes de l’Esprit. Voilà pourquoi le Seigneur, parce qu’il est plein de bonté pour l’homme, et parce que nous sommes revêtus de chair, et parce qu’il nous faut soutenir un combat contre des puissances invisibles, nous a préparé à nous aussi des armes invisibles. Il veut que, par ce secours, nous triomphions de tous nos ennemis. Eh bien donc ! assurés de la vertu de nos armes, contribuons des ressources qui sont en nous, et il nous sera donné, grâce à ces armes spirituelles, de frapper le démon au visage, car il ne pourra pas supporter l’éclat de notre armure ; quelques efforts qu’il fasse pour nous tenir tête, il sera bien vite aveuglé. Où se montre la continence, l’honnêteté, le concours de toutes les autres vertus, là se montre promptement aussi la grâce magnifique de l’Esprit-Saint. De là, ce que disait le bienheureux Paul : Tâchez d’avoir la paix avec tout le monde, et la sainteté. (Héb. 12,14) Purifions donc, je vous en conjure, notre conscience ; rendons à notre âme sa pureté, de telle sorte qu’affranchis de toute souillure, nous forcions l’Esprit à nous communiquer ses dons précieux, afin de triompher des perfidies du démon, et de mériter la jouissance des biens ineffables, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père et au Saint-Esprit, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

QUARANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE.

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« Abraham étant parti de là pour aller du côté du midi, habita Cadés et Sur, et il alla à Gérara, pour y demeurer quelque temps. » (Gen. 20,1)

ANALYSE.

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  • 1. La bienveillance des auditeurs est nécessaire à l’orateur. Genre de vie simple et modeste du patriarche Abraham. – 2. La mort n’est rien autre chose qu’un sommeil. – 3. Que la concorde entre époux est un grand bien. – 4-5. Honorer les serviteurs de Dieu, c’est honorer Dieu. Tout est possible à Dieu. – 6. Exhortation.


1. Je me réjouis quand je vous vois accourir, pour entendre la parole et recevoir avec plaisir l’enseignement que nous vous donnons.. Et voilà pourquoi, avec une ardeur qui redouble chaque jour, je vous sers mon pauvre et chétif repas. L’excès de votre faim vous empêche d’apercevoir combien le service est maigre, et ce qui est peu de chose, vous semble considérable. C’est ce qui arrive pour les repas du corps. Un homme reçoit des convives qui n’ont pas d’appétit ; c’est en vain que le service est magnifique et somptueux ; les convives dégoûtés n’apprécient pas la richesse du banquet, souvent des mets recherchés leur paraissent méprisables ; c’est que les convives n’ont pas d’appétit. Au contraire, supposez des pauvres, des affamés, invités à une table, si mince qu’elle soit, elle leur paraît splendide, parce qu’ils mangent avec plaisir, avec avidité. Nous aussi, comme nous sommes assurés de votre, appétit spirituel, nous ne craignons pas, mes frères, de vous servir chaque jour ce maigre repas dont les mets ont peu de valeur. Ce qui faisait dire à un sage : Il vaut mieux être invité avec affection à manger des herbes, qu’à manger le veau gras, lorsqu’on est haï (Prov. 15,17) ; paroles qui nous enseignent que les yeux de la charité transforment les mets qu’on lui sert, qu’elle trouve vil ce qui est somptueux, et petit, ce qui semble grand.
Quelle félicité plus douce pourrions-nous souhaiter, nous qui, devant de tels flots d’auditeurs, prononçons des paroles accueillies avec tant de zèle et d’affection ! Rien n’est si nécessaire à celui qui parle, que la bienveillance de celui qui écoute. A l’aspect d’un auditoire passionné, avide d’entendre, l’orateur prend courage, il se sent pour ainsi dire pénétré d’une force nouvelle, parce qu’il sait que plus sa table est riche des dons de l’Esprit, plus ses ressources propres s’accroîtront. Il n’en est pas des festins du monde comme des banquets spirituels. Chez les hommes ; la magnificence de la table entraîne les dépenses ; le festin diminue la fortune de celui qui le donne. Ici, au contraire, il en est tout différemment ; plus il y a de convives, plus notre richesse s’accroît ; et, en effet, nous ne vous disons pas ce qui vient de nous, mais ce que nous inspirent pour votre utilité la grâce et la bonté de Dieu. Eh bien ! donc, puisque vous venez avec tant d’empressement et de joie pour entendre la parole, examinons attentivement les passages qui viennent d’être lus et recueillons le fruit qu’ils contiennent. Car, selon cette grande exhortation que le Christ nous adresse, lisez avec soin les Écritures (Jn. 5,39) un grand trésor est caché dans les Écritures ; il y est dans les profondeurs ; aussi, est-il convenable de l’y chercher avec beaucoup de soin si nous voulons, après avoir reconnu la vertu que recelaient les profondeurs de l’Écriture, en recueillir une grande utilité. Les vertus de tous les hommes justes ont été consignées par la grâce et par la disposition de l’Esprit-Saint dans les Écritures, pour nous servir de continuel enseignement, pour exciter notre émulation, pour nous porter à conformer notre vie à la vie de ces justes. Écoutons donc la divine Écriture. Que nous raconte-t-elle aujourd’hui de notre patriarche ? Abraham, dit le texte, étant parti de la pour aller du côté du midi, habita entre Cadès et Sur, et il alla à Gérara, pour y demeurer quelque temps. Abraham, dit le texte, étant parti de là. D’où donc ? de l’endroit où il avait fixé sa tente, où il lui fut donné de recevoir le Créateur de tous les êtres, et de recevoir les anges. Étant parti de là, dit le texte : Il alla à Gérara pour y demeurer.
Voyez la manière de vivre de ces justes. Leur mobilier était peu de chose, ils n’admettaient pas le, superflu. Voyez la facilité des transports ; c’étaient des voyageurs,- des pèlerins qui dressaient leurs tentes un jour ici, l’autre jour là, comme on fait en pays étranger. Ils ne nous ressemblaient pas, à nous qui habitons une terre étrangère comme si c’était notre patrie, qui élevons des demeures splendides, et des portiques, et des lieux de promenade, et qui possédons des domaines, bâtissons des bains et mille autres constructions de tout genre. Voyez comment ce juste, dont toute la fortune consistait en esclaves et en troupeaux ; qui ne s’arrêtait jamais dans le même lieu ; qui plantait un jour sa tente à Béthel, un autre jour auprès du chêne de Mambré ; qui un autre jour descendait en Égypte, pose maintenant sa tente dans le pays de Gérara. Et il accepte tout, et dans tout ce qu’il fait se manifeste sa reconnaissance envers le Seigneur. Après tant de promesses que Dieu lui avait faites, il se voit au milieu de si grandes difficultés ; il lui arrive des épreuves variées et diverses ; comme un diamant que rien n’altère, il reste ferme, i1 montre toujours un zèle pieux qu’aucun obstacle ne ralentit. Voyez, en effet, maintenant, mon bien-aimé, quelle épreuve il subit dans le pays de Gérara, et admirez le courage et la vertu du juste. Voyez comme ce qui paraît insupportable à tous, ce que l’oreille même ne voudrait pas entendre, il l’a supporté sans se plaindre, sans demander aû Seigneur compte de ce qui arrivait ; ce que font la plupart des hommes. Et ces hommes sont courbés sous le poids de péchés sans nombre ; pour quelques difficultés qu’ils rencontrent, tout de suite ils murmurent, et leur curiosité inquiète demande pourquoi telle chose ou telle chose est-elle arrivée?-pourquoi telle chose a-t-elle été permise ? Mais ce juste ne tient pas cette conduite ; ce qui lui a valu une plus grande abondance des secours d’en haut. En effet, c’est là le propre d’un bon serviteur de ne pas examiner curieusement ce que fait son maître ; il se` tait, il reçoit tout en le bénissant.
2. Remarquez bien comment les épreuves mêmes qui suivent font éclater plus encore la vertu de l’homme juste, Dieu le glorifiant par tous les moyens. De même que, lorsqu’il descendit en Égypte, il était d’abord inconnu, voyageur, sans que personne sût qui il était, et bientôt, voilà que tout à coup il quitte l’Égypte, et il est comblé d’honneurs ; ainsi maintenant encore, le voilà voyageur dans le pays de Gérara ; il commença d’abord par faire tout ce qui dépendait de lui, et bientôt il reçut de Dieu des secours qui le rendirent si puissant, que le roi du pays et tous les habitants de la contrée rivalisaient d’ardeur pour servir l’homme juste. Or, dit le texte, Abraham dit, parlant de Sara sa femme, qu’elle était sa sœur. Il eut peur en effet de dire que c’était sa femme, de peur que les gens de la ville ne le tuassent à cause d’elle. (Id. 2) Voyez la violence des sentiments qui attaquent l’âme de cet homme juste, la frayeur qu’il éprouve. Et quoique la première appréhension, celle de perdre sa femme, soit une émotion très-forte, cependant la crainte de la mort chasse cette première crainte. Car, pour se soustraire à l’horreur de la mort, il a supporté de voir, de ses propres yeux, la compagne de sa vie tomber dans les mains du roi. Combien cette situation est difficile à supporter, c’est ce que savent ceux qui ont des femmes. D’où vient qu’un sage disait : La jalousie et la fureur du mari ne pardonneront point au jour de la vengeance ; pour aucun prix il ne renoncera à sa haine. (Prou. 6,34, 35) Eh bien ! cette douleur, insupportable pour tous les hommes, voyez comme ce juste l’a supportée, parce qu’il avait horreur de la mort. C’est évidemment ce qui arrive dans les indispositions du corps ; quand deux maladies l’attaquent à la fois, les progrès de l’une font disparaître l’autre ; la plus forte s’empare de tout notre être, à tel point que, distraits par la plus grave, souvent nous ne sentons pas celle qui est moins dangereuse. De même, ce juste aussi, à l’aspect de la mort qui l’assiégeait, a trouvé tout le reste supportable.
Mais maintenant, gardez-vous, mes bien-aimés, en entendant ces paroles, d’accuser l’homme juste de pusillanimité, parce qu’il a craint la mort. Admirez plutôt la bonté du Créateur de tous les êtres envers nous. Cet objet si terrible pour ces hommes justes et pour ces saints, le Christ l’a rendu si misérable, que cette mort tant redoutée des anciens hommes, de ces hommes illustres par leurs vertus, pleins de confiance en Dieu, cette mort fait rire aujourd’hui de jeunes gens et de tendres vierges. La mort, en effet, n’est qu’un sommeil, qu’un voyage, qu’un passage, de la corruption à ce qui vaut bien mieux. La mort du Seigneur nous a apporté en présent l’immortalité ; en descendant aux enfers, il l’a énervée, il a réduit cette force à néant, et ce qui était autrefois terrible, épouvantable, il l’a rendu méprisable à ce point qu’on voit des personnes tressaillir de joie, s’empresser de courir pour hâter ce voyage. Voilà pourquoi le bienheureux Paul nous crie : Être dégagé de ces liens, être avec Jésus-Christ, c’est de beaucoup le meilleur. (Phil. 1,23) Mais ces opinions sur la mort ont suivi l’avènement du Christ ; il a fallu que les portes infernales, que les portes d’airain fussent brisées, que le soleil de justice brillât partout sur la terre. Dans ces anciens temps, la face de la mort était terrible ; elle remplissait d’effroi l’âme des justes. Voilà pourquoi ils se résignaient à tous les autres maux, même à ceux qui paraissaient insupportables. De là vient que ce juste, redoutant les habitants de Gérara, et séjournant parmi eux, fit passer sa femme pour sa sueur. Et de même que, lorsque Dieu lui permit de descendre en Égypte, il employa ce moyen, pour faire connaître à ces hommes pervers et endurcis la vertu du juste ; de même encore, ici, le Seigneur montre sa propre longanimité, pour que la patience de l’homme juste éclate en toutes choses, et que la bienveillance de Dieu pour lui se manifeste à tous. Abimélech, roi de Gérara, envoya donc des hommes pour enlever Sara. Réfléchissez ici, je vous en prie, sur l’orage de pensées qu’essuya l’homme juste, en voyant qu’on emmenait son épouse et qu’il ne pouvait rien pour la défendre. Il supportait tout en silence, parce qu’il savait bien que Dieu, loin de l’oublier, se bâterait de le secourir. Admirons aussi l’amour de Sara, qui voulut arracher l’homme juste à la mort ; elle pouvait elle-même, en découvrant tout, échapper à un outrage certain. Mais elle supporta tout avec courage, afin de sauver son mari. Et alors fut accomplie cette parole : Ils seront deux dans une seule chair (Gen. 2,24), c’est-à-dire qu’on eût pu croire qu’ils n’étaient qu’une seule chair, tant ils avaient un mutuel souci l’un de l’autre. Leur concorde était si grande qu’on eût pu croire qu’ils n’étaient qu’un corps et qu’une âme. Écoutez, ô hommes, écoutez, 8 femmes ; celles-ci pour montrer à leurs maris un pareil amour, pour ne rien préférer à leur salut ; ceux-là, pour témoigner à leurs épouses la même affection ; pour tout faire comme s’ils n’étaient qu’une âme et qu’un corps.
3. Voilà en effet ce qui constitue la sincérité de l’union conjugale, la perfection de la concorde, la perfection de la charité qui les enchaîne l’un à l’autre. De même que le corps ne se tourne pas contre lui-même, ni l’âme contre elle-même ; ainsi l’époux et l’épouse ne doivent pas se tourner l’un contre l’autre ; il faut qu’ils soient unis. C’est alors seulement que l’abondance de tous les biens peut affluer sur eux. Où règne la concorde, là se rencontrent tous les biens : la paix, l’amour, la joie spirituelle ; ni guerre, ni combat, ni haine, ni querelle ; tous ces fléaux sont écartés ; cette racine de tous les biens, j’appelle ainsi la concorde, a tout fait disparaître. Abimélech, roi de Gérara, envoya donc des hommes qui enlevèrent Sara ; mais Dieu, pendant la nuit, apparut en songe à Abimélech, et lui dit : Vous serez puni de mort, à cause de la femme que vous avez enlevée, parce qu’elle a un mari. (Id. 2,3) Voyez la clémence de Dieu, comme il vit que le juste, par crainte de la mort, supportait courageusement que Sara fût enlevée, et que le roi la regardait comme la sœur de l’homme juste, il déclara enfin sa providence, glorifia le juste, préserva Sara d’un outrage, et le roi d’un péché. Et Dieu, dit le texte, pendant la nuit, apparut en songe à Abimélech. C’est justement, dit le texte, pendant le sommeil, que Dieu voulant le soustraire à l’iniquité, éclaira sa conscience, lui révéla ce qui était secret et provoqua sa crainte, en le menaçant de la mort. En effet, dit le texte : Vous serez puni de mort, à cause de la femme que vous avez enlevée, parce qu’elle a un mari. Or, Abimélech ne l’avait point touchée. (Id. 4) Toutes ces choses arrivèrent afin que la promesse de Dieu au patriarche eût son accomplissement. En effet, peu de temps auparavant, il lui avait promis qu’Isaac viendrait au monde, et le temps était proche. Pour que rien ne gênât l’accomplissement de la divine promesse, il frappa Abimélech d’une si grande terreur, que ce roi n’osa point toucher Sara. Voilà pourquoi la divine Écriture a ajouté  : Abimélech ne l’avait point touchée. Lui-même s’en défend et dit : Seigneur, punirez-vous de mort l’ignorance d’un peuple innocent ? Savais-je, dit-il, que c’était son épouse ? Ai-je voulu outrager un étranger ? Quand j’ai enlevé cette femme, ai-je cru lui enlever son épouse ? J’ai pensé la recevoir comme sa sueur, j’ai cru leur faire honneur, à elle et à lui. Punirez-vous donc de mort l’ignorance d’un peuple innocent ? J’ai fait l’action d’un homme juste ; me punirez-vous de mort ? Il explique ensuite sa pensée plus clairement : Ne m’a-t-il pas dit lui-même qu’elle était sa sœur, et elle-même aussi, ne m’a-t-elle pas dit qu’il était son frère ? Voyez, dans la conduite des époux, le consentement parfait : Quelle parfaite concorde ! Lui-même, dit-il, me l’a dit ; elle-même a confirmé ses paroles J’ai fait cela dans la simplicité de mon tueur et sans souiller la pureté de mes mains (Id. 5), dit-il. Je n’ai pas cru faire une mauvaise action, mais une action légitime, permise, irrépréhensible. Que répond à cela le Dieu de bonté ? Dieu lui dit, pendant son sommeil. (Id. 6) Voyez la condescendance du Dieu de toutes les créatures ; voyez comme tout révèle sa bonté : Je sais que vous l’avez fait avec un cœur simple. Je sais, dit-il, qu’eux-mêmes vous ont inventé, pour vous, une histoire, et vous ont trompé par leurs paroles. Je n’ai pas voulu que cette tromperie vous induisît à pécher, c’est pour cela que je vous ai préservé, afin que vous ne, péchiez point contre moi. Quel ménagement dans ces paroles ! Quelle clémence dans le Seigneur ! Le péché, dit-il, aurait rejailli contre moi.
S’il arrive parmi les hommes qu’on fasse injure à un serviteur en grande estime auprès de son maître, le maître prend l’injure pour lui, et dit : C’est moi que vous avez outragé en outrageant mon serviteur. Le traitement qu’on lui fait, on me le fait à moi. La bonté de Dieu tient ici le même langage : Je vous ai préservé, dit-il, afin que vous ne péchiez point contre moi. Ce sont mes serviteurs, dit-il, et si recommandables à mes yeux, que ce qu’on leur fait, on me le fait à moi-même, soit en bien, soit en mal. Voilà pourquoi je ne vous ai pas permis de la toucher. Je m’intéresse à eux tout à fait, et, comme je savais que c’était par ignorance que vous alliez leur faire un outrage, je vous ai préservé afin que vous ne péchiez pas contre moi. Ne regardez pas simplement cet homme comme un homme vulgaire ; apprenez qu’il est de ceux à qui je porte le plus grand intérêt, et qui me sont particulièrement chers. Rendez donc présentement cette femme à son mari, parce que c’est un prophète, et il priera pour vous et vous vivrez. (Id. 6) Voyez comme il proclame la vertu de l’homme juste ; il l’appelle prophète, il fait presque en sorte que le roi se montre son suppliant. En effet, il priera pour vous et vous vivrez. En effet, dit-il, ayant peur d’être tué par vous, il a bâti cette comédie ; il a pour ainsi dire, coopéré à l’outrage préparé à Sara ; mais sachez bien que ses prières vous procureront la vie. Ensuite, de peur qu’Abimélech, embrasé par la concupiscence, vaincu par la beauté de Sara, ne méprise ses commandements, il lui envoie la terreur, il le menace d’un grand châtiment. Si vous ne voulez point la rendre, dit-il, sachez que vous serez frappé de mort, vous et tout ce qui est à vous. Ce n’est pas vous seulement qui expierez votre désobéissance ; mais la mort, à cause de vous, perdra tout ce qui est à vous. Si Dieu choisit le temps de la nuit pour lui adresser toutes ces paroles, c’est afin que l’avertissement reçu pendant l’heure du repos, soit plus efficace ; c’est pour que la crainte le décide à, obéir au commandement. Et en effet, dit le texte, Abimélech se leva aussitôt, appela tous ses serviteurs, et leur dit tout ce qu’il avait entendu.
4. Voyez comme le roi devient le héraut de la vertu de l’homme juste, et le fait connaître à tous. En effet, dit le texte, ayant appelé tous ses serviteurs, il leur raconta tout ce que Dieu lui avait révélé, afin d’apprendre à tous, et la bienveillance de Dieu envers l’homme juste, et tout l’intérêt que Dieu lui portait à cause de ses mœurs et de sa vertu. Or ils furent tous saisis d’une grande crainte. Comprenez-vous maintenant que ce n’était pas sans raison, sans un dessein de Dieu, que ce juste passait tant de fois d’un lieu dans un autre ? S’il était resté sous sa première tente, comment tous les habitants de Gérara auraient-ils pu connaître l’insigne crédit dont jouissait le juste auprès de Dieu ? Or ils furent tous saisis d’une grande crainte. Ils étaient pénétrés d’une frayeur qui les rendait fort inquiets de l’événement. Le texte continue : Abimélech manda Abraham. (Id. 9) Considérez la gloire dont le juste jouit ensuite auprès du roi, lui qui, peu d’instants auparavant, était méprisé de tous comme un vagabond, un étranger. Donc, tout le monde est rassemblé, et aussitôt on mande le patriarche, qui ne savait rien et qui apprend ensuite, du roi lui-même, ce que Dieu avait fait pour lui. En effet, Le roi lui dit : Pourquoi nous avez-vous traités de la sorte ? quel mal vous avions-nous fait, pour avoir voulu nous engager, moi et mon royaume, dans un si grand péché ? Vous avez fait faire à notre égard ce que vous n’auriez point dû ; que vouliez-vous en agissant ainsi? (Id. 10) Pourquoi, dit-il, avez-vous voulu me faire tomber dans un si grand péché ? dans quelle pensée avez-vous fait, cela ? voyez comme ces paroles indiquent les menaces que Dieu lui a faites. Car Dieu lui avait dit : Si vous ne voulez point la rendre, sachez que vous serez frappé de mort, vous et tout ce qui est à vous. Ce sont ces paroles mêmes qu’Abimélech interprète en disant Quel mal vous avions-nous fait, pour avoir voulu nous engager, moi et mon royaume, dans un si grand péché ? Est-ce que j’aurais été le seul puni ? tout mon royaume aurait été perdu avec moi, par suite de la tromperie que vous avez faite. Que vouliez-vous en agissant ainsi ? Considérez ici, mes bien-aimés, la prudente de l’homme juste ; comment l’excuse qu’il présente, lui sert à les amener à la connaissance de Dieu. C’est que j’ai dit en moi-même, dit-il, il n’y a peut-être point de crainte de Dieu en ce pays-ci, et ils me tueront pour avoir ma femme. (Id. 11) Comme s’il disait : J’ai été fort inquiet ; j’ai craint que, toujours possédé par l’erreur, vous n’eussiez aucun souci de la justice. Voilà pourquoi j’ai imaginé cette feinte ; c’était pour vous épargner un crime ; de peur que, si vous compreniez qu’elle était mon épouse, saisi d’amour pour elle, vous ne cherchiez à me tuer. Voyez comme ce peu de paroles lui sert à les reprendre, et en même temps, à leur enseigner que celui qui a la pensée de Dieu ne doit commettre aucune injustice, mais redouter l’œil qui ne dort pas, éviter les châtiments dont Dieu menace quiconque ne prend pas le plus grand souci de lâ justice. Le patriarche voulant ensuite se défendre : Ne pensez pas, dit-il, que même en parlant ainsi j’aie menti : En effet, c’est ma sœur du même père que moi, mais non de la même mère ; et elle m’a été donnée pour épouse. (Id. 12) Comme elle a, dit-il, le même père que moi, je l’ai appelée ma sœur ; donc ne me condamnez pas. Sans doute, c’est la crainte de la mort qui m’a réduit à dire ce que j’ai dit ; j’ai eu peur que vous ne me fissiez mourir, à cause d’elle, et que vous ne fassiez d’elle votre possession ; toutefois je n’ai pas menti, même en ce que je vous ai dit. – Voyez quel soin prend le juste pour se disculper ici du mensonge. Et tenez, dit-il, je veux tout vous dire, écoutez le dessein que nous avons concerté entre nous Depuis que Dieu m’a fait sortir de la maison de mon père. (Id. 13) Considérez, je vous en conjure, ici, l’industrieuse sagesse de l’homme juste ; en suivant le fil de son discours, il leur apprend qu’il est, depuis le commencement, particulièrement attaché à Dieu ; que c’est Dieu qui l’a appelé hors de sa patrie, qui l’a amené dans ce lieu ; il veut que le roi sache qu’Abraham est du nombre de ceux qui ont en Dieu la plus grande confiance. Depuis que Dieu, dit-il, m’a fait sortir dé la maison de mon père, je lui ai dit : Vous me ferez cette grâce, dans tous les pays où nous irons, de dire que je suis votre frère. En effet, comme sil avait dit plus haut : J’ai dit en moi-même, il n’y a peut-être point de crainte de Dieu en ce pays, on aurait pu croire qu’il les réprimandait trop sévèrement ; il veut donc adoucir cette parole, et alors il dit : Ne croyez pas que je ne me sois ainsi conduit qu’avec vous. En effet, il s’empresse d’ajouter : Depuis que Dieu m’a fait sortir de la maison de mon père, je lui ai dit : Vous me ferez cette grâce dans tous les pays où nous irons ; dans tous les pays, dit-il, de la terre, pour tous les peuples qui l’habitent, je lui ai fait cette recommandation. Et, en même temps il leur apprend que, dans cette feinte même, il n’y a pas de mensonge ; c’est la crainte de la mort qui nous y a portés. Le juste, par ces paroles, apaisa leur colère, révéla sa vertu, et leur donna une connaissance suffisante de la vraie religion. Donc le roi, respectant la grande douceur de l’homme juste, fait de magnifiques présents au patriarche. En effet, dit le texte, il reçut d’Abimélech mille pièces d’argent, et des brebis, et des veaux, et des serviteurs et des servantes, et il lui rendit Sara son épouse. (Id. 14) Avez-vous bien compris, mes bien-aimés, la toute-puissance et la variété de l’industrie de Dieu ? l’homme qui était en danger de mort, et qui faisait tout pour échapper à la mort, non seulement y a échappé, mais il s’est trouvé en grande faveur, et, tout à coup a été glorifié.
5. Telle est la conduite de Dieu : non seulement il sauve de tous les malheurs ceux qui résistent avec courage dans les moments d’épreuve, mais il sait tirer de l’adversité une félicité si grande, que l’on oublie tout dans l’abondance des biens dont on est comblé. Voyez encore les égards que le roi a pour cet homme juste. non seulement il l’honore en lui faisant de si magnifiques présents ; mais, de plus, il lui accorde le pouvoir de fixer son séjour dans la contrée. Vous voyez devant vous toute cette terre, dit-il, demeurez où il vous plaira. (Id. 15) En effet, comme il sait que ses vertus, que ses prières lui donnent la vie à lui-même, il ne le traite plus comme un voyageur, comme un vagabond, comme un homme que personne ne tonnait ; il lui rend ses devoirs, comme à un bienfaiteur, comme à un protecteur. Il dit ensuite à Sara : J’ai donné mille pièces d’argent à votre frère. (Id. 16) Voyez comme les paroles du juste ont profité, comme il ajoute foi à ce que le juste lui a enseigné ; voici que lui-même appelle Abraham le frère de Sara. Ces pièces d’argent que j’ai données, dit-il, à votre frère, seront pour l’honneur de votre visage, et dites partout la vérité. Qu’est-ce que cela veut dire : pour l’honneur de voire visage, et dites partout la vérité ? En considération de ce que j’ai entrepris par ignorance, en vous faisant venir dans ma maison, vous qui êtes l’épouse d’un juste, parce que je.vous ai fait outrage, uniquement en considération de cet outrage, j’ai donné mille pièces d’argent ; afin de réparer ce que j’ai fait contre vous. Mais dites partout la vérité. Que signifie : dites partout la vérité ? Que tous, dit-il, apprennent de votre bouche que je n’ai pas fait une action injuste ; que vous êtes sortie chaste de ma maison. Faites savoir, dit-il, à votre mari, que je suis pur du péché ; qu’il apprenne de votre bouche que je ne vous ai rien fait. Pourquoi ces paroles ? C’est afin que le ajuste, renseigné par Sara et parfaitement convaincu, offre pour lui ses prières au Seigneur. En effet, après ces paroles : Dites partout la vérité, c’est-à-dire faites savoir à votre mari ce qui a été fait, l’Écriture ajoute aussitôt : Abraham pria Dieu ensuite, et Dieu guérit Abimélech, sa femme et ses servantes, et elles enfantèrent. Car Dieu avait frappé de stérilité toute la maison d’Abimélech, à cause de Sara, femme d’Abraham. Voyez comment le Seigneur, voulant, par tous les moyens, glorifier le juste, accorde au patriarche le salut du roi et de toutes les personnes qui étaient dans sa maison. (Id. 17, 18) Abraham, dit le texte, pria Dieu ensuite, et Dieu guérit Abimélech, sa femme et ses servantes, et elles enfantèrent ; car Dieu avait frappé de stérilité toute la maison d’Abimélech, à cause de Sara, femme d’Abraham. Le roi était pur de tout péché ; mais Dieu l’avait frappé afin d’accorder sa guérison aux prières du juste, et d’ajouter ainsi à sa gloire. Car le Seigneur ordonne toujours et dispose les choses de manière, que ceux qui le servent soient comme des flambeaux resplendissants, et que leurs vertus soient partout célébrées. Et voyez, je vous en conjure, mon bien-aimé, après que Dieu a délivré le juste de tous ces ennuis, comme il le comble encore une fois de tous les biens, comme il accomplit sa promesse. Voici maintenant l’accomplissement de ce que Dieu lui avait autrefois annoncé. Or, le Seigneur, dit le texte, visita Sara, ainsi qu’il l’avait promis, et fit à Sara selon qu’il avait dit ; et elle conçut, et dans sa vieillesse enfanta un fils à Abraham, dans le temps que Dieu lui avait prédit. (Gen. 21,1-2) Que signifie : lui avait prédit et, ainsi qu’il l’avait promis ? Cela veut dire, conformément à la promesse faite, quand il reçut l’hospitalité, avec les anges, auprès du chêne de Mambré. L’ancienne parole : En ce temps-là je reviendrai, et Sara aura un fils (Gen. 18,14), se trouve accomplie maintenant. Ces bienheureux voyaient le démenti donné à la nature ; et ce n’était pas le moyen ordinaire, mais la grâce divine qui opérait. Abraham donna le nom d’Isaac à son fils, qui lui était né de Sara. (Gen. 21,3) Ce n’est pas sans raison que le texte ajoute : qui lui était né de Sara. Le texte ne se borne pas à dire Abraham donna le nom à son fils ; mais il ajoute qui lui était né de Sara, de cette femme stérile et avancée en âge Et il le circoncit, dit le texte, le huitième jour, selon le commandement du Seigneur. En effet, Dieu avait donné le commandement de circoncire, au bout de huit jours, ceux qui naîtraient dans la suite.
Avançons ; exerçons-nous à comprendre la puissance ineffable de Dieu. L’impossible pour les hommes est possible pour lui. Voilà pourquoi la divine Écriture nous apprend ici encore le temps. Après qu’elle nous a fait connaître l’enfantement, elle ajoute, pour notre instruction, ces paroles : Abraham avait cent ans quand lui naquit son fils Isaac, et Sara dit alors : Le Seigneur m’a donné un ris ; quiconque l’apprendra se réjouira avec moi. Que signifie cette expression : Le Seigneur m’a donné un ris ? Cet enfantement est pour moi un sujet de joie. Et qu’y a-t-il d’étonnant que je me réjouisse ? Tous ceux qui l’apprendront viendront me féliciter, non pas de ce que j’ai enfanté, mais de ce que j’ai enfanté ainsi. Un enfantement si admirable, si rare, transportera tous les hommes d’admiration et redoublera leur joie, quand on saura que moi, qui n’étais qu’un cadavre quant à la génération, je suis tout à coup devenue mère, que les flancs desséchés ont produit un enfant, que la femme avancée en âge peut l’allaiter ; que je verrai jaillir de mon sein des fontaines de lait, moi qui n’avais plus l’espoir d’enfanter. Et elle dit : Qui annoncera à Abraham que Sara nourrit de son lait un enfant ? C’est que les sources de lait ont été accordées pour faire qu’on ajoute foi à l’enfantement, pour écarter l’idée d’un enfant supposé. Ces sources de lait disaient à tous que l’événement, qui dépassait l’attente des hommes, s’était accompli : Qui annoncera que Sara nourrit de son lait un enfant ; que j’ai enfanté un fils dans ma vieillesse ? Que moi, vieille, j’aie pu enfanter ; que je puisse, à l’âge où je suis, nourrir un fils ? Cependant, dit le texte, l’enfant grandit, et on le sevra, et Abraham fil un grand festin au jour qu’il fut sevré. (Id. 7, 8)
6. Avez-vous bien compris l’ineffable industrie de Dieu ; le complet témoignage qu’il donne de la patience du juste, lorsque, au moment même où et ce juste et tous ceux qui le voyaient, ne considérant que les forces de la nature humaine, n’osaient rien espérer, la pro messe reçoit son parfait accomplissement ? Eh bien donc ! nous aussi, mes bien-aimés, montrons la même patience que cet homme juste ; pas de relâchement ; animons-nous d’une bonne espérance, par la pensée que ni la difficulté des choses, ni quelque obstacle humain que ce soit, ne peut nous priver des biens que la grâce du Seigneur daigne nous départir dans sa munificence. Chaque jour il exerce sa libéralité ; tout lui cède, tout lui obéit : le difficile devient facile, l’impossible possible, pour peu que nous conservions la foi robuste en lui, Si nous ne considérons que la grandeur de son pouvoir, nous serons supérieurs à tout pouvoir humain. Celui qui a promis les biens à venir, les biens ineffables à ceux qui vivent dans la vertu, à combien plus forte raison nous accordera-t-il ce qu’il nous faut ici-bas, surtout si, n’ayant de désir que pour les biens invisibles, nous dédaignons les biens présents ? Voulons-nous en jouir en abondance, sachons les mépriser. Donc, puisque nous sommes instruits de ces choses, désirons les biens durables, les biens qui ne changent pas, qui ne connaissent pas de fin, de telle sorte que nous traversions sans tristesse la vie présente, et que nous puissions conquérir le bonheur à venir et jouir de tous les biens qui nous sont promis, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

QUARANTE-SIXIÈME HOMÉLIE.

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Sara dit : « Qui annoncera à Abraham que Sara nourrit, un enfant de son lait ; que j’ai enfanté un fils dans ma vieillesse ? » (Gen. 21,7)

ANALYSE.

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  • 1. Sara demande à Abraham de renvoyer Agar et son fils. – 2. Agar est renvoyée. Obéissance d’Abraham. Providence de Dieu. – 3. Rien ne peut vaincre celui qui est muni du secours de Dieu. – 4. Portrait de l’envie. Exhortation à éviter ce défaut.


1. Eh bien ! aujourd’hui encore, mes bien-aimés, reprenons la suite de l’entretien d’hier. Nous voulons vous servir ce banquet spirituel, pour mieux comprendre, aujourd’hui encore, comme hier, l’ineffable bonté de Dieu, l’intérêt qu’il nous porte, la condescendance qu’il a pour nous, et la parfaite obéissance et la sagesse du patriarche. Avez-vous vu comme la naissance d’Isaac a réjoui Sara ? Elle dit, en effet, selon le texte : Dieu m’a donné un ris, quiconque l’apprendra s’en réjouira avec moi. Tous ceux qui l’apprendront, dit-elle, partageront ma joie ; car c’est un grand don qui m’a été accordé par Dieu, et qui surpasse l’infirmité humaine. Car, dit-elle, qui ne sera pas frappé d’étonnement, à voir que moi je nourris de mon lait un enfant, dans mon extrême vieillesse, moi qui jusqu’à ce jour n’ai pas eu d’enfant ? Et, dans l’admiration, dans l’étonnement dont elle est saisie, elle ajoute : Qui annoncera à Abraham que Sara nourrit un enfant de son lait ; que j’ai enfanté un fils dans ma vieillesse ? C’est parce que le fait est surnaturel qu’elle ajoute : Qui annoncera, comme si elle disait, Qui croira cela ? qui se mettra cela dans l’esprit ? quelle pensée pourra comprendre ? quel raisonnement expliquera ce fait ? Le rocher du désert, duquel jaillissent des fontaines sous la verge de Moïse (Ex. 17), est moins admirable que ces flancs desséchés, d’où naît un enfant ; que ces fontaines de lait qui jaillissent. Car, ce qui rend l’enfantement manifeste, ce qui commande la foi, non seulement de tous les spectateurs qui ont vu Sara, mais de tous ceux qui, depuis, ont entendu parler du miracle, c’est qu’elle-même nourrit son enfant ; c’est qu’elle veut le nourrir de son lait, et elle dit : Qui annoncera à Abraham que Sara nourrit un enfant de son lait ? Ce fait étrange, admirable, ce présent, dit-elle, à moi accordé, en dehors de toute attente, que j’ai enfanté un tels dans ma vieillesse. Qu’est-ce à dire, Que j’ai enfanté un fils dans ma vieillesse ? C’est qu’indépendamment de la stérilité, il suffisait de la vieillesse pour écarter tout espoir d’enfantement. Eh bien ! tous ces obstacles, le Seigneur les a fait disparaître, et il m’a accordé un enfant que j’ai enfanté, et des fontaines de lait. Mais voyons la suite : Sara, dit le texte, vit le fils d’Agar, l’Égyptienne, qui était né d’Abraham, jouant avec Isaac son fils, et elle dit à Abraham : Chassez cette servante, avec son fils, car le fils de cette servante ne sera point héritier avec mon fils Isaac. Ce discours parut dur à Abraham, à cause de son fils. (Id. 9,10, 11) Voyez ici, je vous en conjure, mon bien-aimé, Sara, une seconde fois, ne supportant pas la familiarité d’Ismaël, ne pouvant pas se faire à ce que le fils de sa servante vive dans la compagnie d’Isaac. De même qu’une première fois, jalouse d’humilier l’orgueil d’Agar, emportée parla colère, elle l’a forcée à prendre la fuite ; de même, ici encore, elle réprime tout de suite la familiarité d’Ismaël, elle ne supporte pas que le fils dont Dieu lui a fait un présent, vive en compagnie du fils de la servante égyptienne ; elle dit à Abraham : Chassez cette servante avec son fils, car le fils de cette servante ne sera point héritier avec mon fils. C’est qu’elle se voyait elle-même tout à fait dans le déclin de l’âge. Le patriarche était arrivé à l’extrême vieillesse (tous les deux, dit le texte, étaient pleins de jours) ; craignant que, s’il venait à mourir tout à coup, Ismaël, né aussi du patriarche, ne voulût s’introduire dans l’héritage, le partager également avec Isaac, elle dit : Chassez cette servante avec son fils. Qu’elle apprenne, dit-elle, dès ce moment, que le fils de la servante n’aura rien de commun avec mon fils Isaac. Il n’est pas juste que le fils de la servante vive avec mon fils, le fils de la maîtresse. Sara, d’ailleurs, n’a pas agi sans motif ; c’est avec raison, et à bon droit, qu’elle a tenu cette conduite, qu’elle a parlé ainsi, et c’est avec tant de raison que Dieu approuva ses paroles. Quant au patriarche, plein de tendresse et d’affection pour Ismaël, il entendait avec chagrin les paroles de Sara. En effet, dit le texte : Ce discours parut dur à Abraham à cause de son fils. Il s’inquiétait peu d’Agar, mais il aimait son fils qui d’ailleurs était déjà grand. Mais considérez, je vous conjure ici, l’admirable clémence de Dieu. Comme il vit que ce qu’éprouvait Sara était conforme à la nature humaine, qu’elle ne pouvait souffrir l’égalité d’honneur entre les fils d’Abraham, et qu’en cela elle avait raison ; qu’Abraham, de son côté, se résignait, avec peine au renvoi d’Ismaël et de la servante (quoiqu’il ne luttât pas contre Sara, parce qu’il avait une grande douceur de caractère, cependant ce renvoi lui paraissait dur, c’est-à-dire pénible ; c’était pour lui le sujet d’une douleur difficile à supporter) ; Dieu enfin, n’écoutant que sa clémence ordinaire, et resserrant, entre les époux, les liens de la concorde, dit à Abraham : Que ce que Sara vous a dit touchant votre fils et votre servante ne vous paraisse point trop rude ; faites tout ce qu’elle vous dira. (Id. 12) C’est-à-dire ne vous affligez pas de ce qu’elle vous a dit, mais faites tout ce qu’elle vous dira.
2. Toutes les paroles, dit Dieu, que Sara vous fait entendre maintenant, au sujet d’Ismaël et d’Agar, acceptez-les et faites ce qu’elle vous dira. N’attristez pas, dit Dieu, celle qui, pendant si longtemps, vous a témoigné tant d’amour ; celle qui, non seulement une fois, mais deux fois, pour vous arracher à la mort, s’est exposée elle-même, et a été la, cause de cette gloire que vous possédez ; c’est à elle que vous devez d’abord tant de trésors que vous avez rapportés à votre retour d’Égypte ; c’est encore à elle que vous devez d’avoir été traité avec tant d’honneur par Abimélech. Donc, ne songez pas à résister à ses paroles, car ce qu’elle veut s’accomplira. Isaac son fils, sera appelé votre sang, et il sera votre héritier. Je ne laisserai pas néanmoins de rendre le fils de votre servante chef d’un grand peuple, parce qu’il est sorti de vous. (Id. 13) Faites donc ce que vous dit Sara ; conformez-vous à ses paroles. Réfléchissez ici, je vous en conjure, quelle concorde, quelle paix bienheureuse s’établit aussitôt sous leur tente, la bonté divine resserrant ainsi le lien qui les unissait. Abraham se leva donc, dit le texte, dès le point du jour, prit des pains et un vase plein d’eau, le mit sur l’épaule d’Agar, lui donna son fils, et la renvoya. (Id. 14) Voyez, ici encore, la rare vertu de l’homme juste, et comme il montre, en toutes choses, la piété de son âme, car ces paroles de Sara : Chassez cette servante et son fils, lui paraissaient dures, parce qu’il avait de la tendresse pour Ismaël ; mais, aussitôt que le Seigneur lui eut donné le commandement, il fit ce qui lui était commandé, oubliant même un amour naturel. On croit l’entendre dire : Dès que le Seigneur commande, que toutes les affections se taisent, parce que c’est le maître de la nature qui commande. Donc quand la servante, dit le texte, eut reçu les pains et le vase d’eau, elle sortit avec son enfant. Remarquez attentivement, je vous en prie, voyez encore comment la bienveillance que Dieu avait pour l’homme juste, s’étend sur cette femme ; jugée digne, elle aussi, de la sollicitude d’en haut. Donc quand elle fut partie, elle errait à travers la solitude, et son eau étant épuisée, ne trouvant aucune consolation : Elle laissa son fils couché sous un arbre. (Id. 15) Ses entrailles étaient déchirées, elle souffrait dans l’excès de son amour pour son enfant. Elle s’assit, dit le texte, à distance de lui, de la portée d’un arc, en disant : Je ne verrai point mourir mon enfant, et elle était assise vis-à-vis de l’enfant ; et l’enfant se mit à pleurer. (Id. 16) Mais maintenant le Dieu de miséricorde et de bonté, plus tendre pour nous qu’un père, qu’une mère : Entendit la voix de l’enfant, du lieu où il était. (Id. 17) Il eut pitié de l’enfant, il eut compassion du malheur d’Agar, il lui permit de faire seulement l’épreuve de la solitude, et aussitôt il lui accorda son secours. Et un ange de Dieu, du haut du ciel, appela Agar et lui dit : Que faites-vous, Agar ? Ne craignez point, car Dieu a entendu la voix de l’enfant du lieu où il est. Levez-vous, prenez l’enfant, et tenez l’enfant, parce que je le rendrai chef d’un grand peuple. (Id. 17, 18) O miséricorde du Seigneur ! Quoiqu’elle ne fût qu’une servante, il ne l’a pas méprisée ; mais, parce qu’il avait fait une promesse au patriarche, et parce qu’Ismaël était sorti de lui, il a montré, à cette mère aussi, sa grande sollicitude. Il lui dit Agar, que faites-vous-là ? Ne craignez point, car Dieu a entendu la voix de l’enfant. Levez-vous, prenez l’enfant, et tenez-le par la main, parce que je le rendrai chef d’un grand peuple. Cessez de vous affliger, dit-il, de ce qu’on vous â chassée ; l’intérêt que je porte à l’enfant est si grand, qu’il sera, lui aussi, le chef d’un grand peuple. Et, en même temps, dit le texte : Dieu lui ouvrit les yeux. (Id. 19) Ce n’est pas qu’elle fût aveugle auparavant, mais c’est qu’il ne lui servait de rien d’ouvrir, les yeux, avant la visitation d’en haut. Voilà pourquoi, voulant manifester la providence du Seigneur, le texte dit : Dieu lui ouvrit les yeux, c’est-à-dire, éclaira son ignorance, réveilla sa pensée, lui montra là direction à prendre, lui fit voir un lieu où se trouvaient des sources d’eau vive. Et, dit le texte, ayant aperçu un puits plein d’eau vive, elle y alla, y remplit son vase, et en donna à boire à l’enfant. Dans les endroits sans chemin frayé, il lui montra le chemin ; à cette âme inquiète, qui n’avait plus d’espoir de salut, Dieu montra sa généreuse clémence : il la consolait, et il prenait soin de l’enfant. Ainsi, toutes les fois que c’est la volonté de Dieu, fussions-nous dans la solitude, réduits aux plus cruelles afflictions, sans aucune espérance de salut, nous n’avons pas besoin d’autre aide ; le divin secours nous fournit tout. Si nous avons conquis l’affection du Seigneur, rien ne prévaudra contre nous ; nous serons supérieurs à tout. Et Dieu était avec l’enfant, dit le texte, et l’enfant grandit, et demeura dans la solitude. (Id. 20) Ainsi, quand nous avons pour nous la bienveillance du Seigneur, fussions-nous dans un désert, nous vivons dans une sécurité bien plus grande que les habitants des cités ; c’est que la plus grande des sûretés, le mur inexpugnable ; c’est le secours de Dieu. Et voulez-vous la preuve, que l’habitant des solitudes est plus en sûreté, est plus puissant que ceux qui vivent au milieu des cités, forts de l’appui qu’ils attendent d’un grand nombre d’hommes ? Voyons, d’une part, David, passant d’un lieu dans un autre, errant, vagabond, mais fort parce qu’il s’appuie sur le bras d’en haut ; Saül, au contraire, au milieu des cités, à la tête d’une armée si nombreuse, avec tant ale satellites et de gardes autour de lui, tremblait, redoutait chaque jour les pièges de ses ennemis. (1Sa. 17) Et celui qui était seul, sans personne à ses côtés, n’avait pas besoin de l’appui que prêtent les hommes ; et cet autre, avec son diadème, avec sa pourpre, avait besoin du secours du vagabond ; il fallait, au roi, le bras du berger ; au front portant diadème, l’aide de l’homme obscur.
3. Mais, si vous voulez, reprenons d’un peu plus haut la suite de cette histoire. Voyons-la tout entière, afin d’apprendre qu’il n’y a rien de plus fort que l’homme qui s’est fait un rempart de la grâce d’en haut ; rien de plus faible que celui qui en est privé, fût-il entouré d’armées sans nombre. Eh bien ! donc, ce David encore tout jeune, que son âge retenait dans la maison de son père, le moment étant arrivé de révéler son courage,- fut envoyé par son père auprès de ses frères ; il obéit, et alla les trouver. Arrivé auprès d’eux pour les visiter, il vit la guerre qui se faisait contre l’étranger Goliath ; tout le peuple frappé de terreur avec Saül, le roi lui-même dans le plus grand danger. Il voulut alors, comme simple spectateur, voir, et il s’en alla voir, étrange et incroyable spectacle, un seul homme tenant tête à tant de milliers d’hommes. Pour ses frères, ils ne supportèrent pas les élans de son courage, ils conçurent de l’envie : N’es-tu pas venu pour un autre motif que pour voir la guerre ? (1Sa. 17,28) Il paraît que tu n’es pas venu pour nous voir ? Attention, ici, remarquez sa sagesse et sa douceur. Aucune parole irréfléchie, nulle amertume dans la réponse qu’il leur fait ; pour apaiser leur colère et calmer leur envie, il leur dit : Est-ce qu’il n’est pas permis de parler? (Id. 29) M’avez-vous vu, leur dit-il, prendre les armes ? Est-ce que vous m’avez vu me mettre dans les rangs avec les autres ? J’ai seulement voulu voir, m’informer d’où vient à cet homme son audace excessive. Quel est donc cet étranger, qui insulte l’armée du Dieu vivant ? (Id. 26). Bientôt, quand il entend ses blasphèmes, quand il voit son arrogance, l’effroi de ceux qui étaient avec Saül, il dit : Que donnera-t-on à l’homme qui lui aura coupé la tête ? Ces paroles montraient une grande force d’âme et remplissaient tout le monde d’admiration. Quand Saül les eut entendues, il fit mander le jeune homme, qui ne savait rien, que garder ses troupeaux ; en voyant sa jeunesse, il en fit peu de cas. Mais ensuite il apprit de lui comment il s’y prenait avec les ours qui s’élançaient sur ses troupeaux. En effet, ce berger admirable avait été contraint de faire ce récit, non pas pour s’attirer une vaine gloire ; il y était forcé pour relever le courage du roi, pour que le roi ne s’arrêtât pas à l’extérieur méprisable de celui qu’il voyait, mais prît en considération la foi vivant dans le secret du cœur, et le secours d’en haut qui avait rendu ce jeune homme sans armes, ce berger, plus fort que des hommes armés, que des soldats. Donc, le roi, voyant sa confiance, voulut le revêtir de ses armes ; mais le jeune homme, couvert de ces, armes, n’avait pas la force de les porter. Ceci se passait pour montrer à tous que c’était la vertu de Dieu, qui opérait par ses mains, et qu’on ne devait pas attribuer aux armes ce qui allait arriver. En effet, comme le jeune homme était alourdi par ces armes qui gênaient la liberté de ses mouvements, il les déposa, prit sa besace de berger, des pierres, et marcha contre cette masse de chair qui ressemblait à une tour. Mais maintenant, voyez encore l’étranger qui ne regarde que sa jeunesse et qui la dédaigne, voyez-le mépriser ce juste, et pour ainsi dire se décider à ne combattre cet enfant chétif qu’avec des paroles. Quand il vit que son adversaire n’avait qu’une besace de berger, pour l’attaquer, lui, qu’il n’apportait que des pierres, il lui adressa à peu près ces paroles : Te crois-tu donc encore auprès de tes moutons, à la poursuite de quelques chiens ? tu viens contre moi comme si tu faisais la chasse à un chien. Est – ce là ton équipement pour commencer le combat contre moi ? L’expérience ne sera pas longue, qui t’apprendra que tu ne fais pas la guerre au premier venu. En faisant entendre ce grand fracas de paroles, il s’agitait, se donnait du mouvement, manœuvrait toute sa panoplie et dirigeait ses armes en-avant. C’était, pour celui-ci, la confiance dans ses armes, qui l’animait au combat ; David avait la foi en Dieu, et sa force était dans le secours d’en haut. Et d’abord, rabattant l’orgueil de l’étranger, il lui dit : tu viens à moi couvert de toutes pièces, la lance à la main, et tu penses me vaincre, par la force qui est en toi. Je viens, moi, au nom du Seigneur Dieu. A ces mots, il prend dans sa besace de berger, une pierre seulement ; à vrai dire, comme s’il s’agissait de chasser un chien tombant sur le troupeau. Avec sa fronde, il la lance, frappe à l’instant au front l’étranger, le jette par terre, et vite tirant son glaive, lui coupe la tête, la porte au roi, et la guerre est finie. Et grâce à ce berger, le roi fut sauf, et toute l’armée du roi respira. Et vous auriez vu alors une merveille incroyable. L’homme couvert de ses armes, renversé par celui qui est sans armes ; le guerrier expérimenté, jeté par terre, par celui qui ne sait rien que garder ses moutons. D’on vient ce prodige et pourquoi ? C’est que l’un marchait au combat ayant Dieu pour auxiliaire ; l’autre était dépourvu de ce secours, c’est pourquoi il est tombé sous les coups de son ennemi. Mais, voyez ici combien l’envie est insensée ! quand le roi vit ce juste, escorté de tant de gloire, quand il vit qu’on trépignait d’allégresse, quand il entendit ces cris : Saül en a vaincu mille, David en a vaincu dix mille (I R. 18,7), il ne put supporter ces paroles (bien que à faire un juste calcul elles fussent plus à son avantage qu’à l’avantage de David) ; vaincu par l’envie, il récompense par un crime celui qui est son bienfaiteur. Celui qu’il devait regarder comme son bienfaiteur, son sauveur, il cherchait à le tuer. O folie ! ô délire ! ô étrange engourdissement d’esprit ! Celui qui lui avait sauvé la vie, qui avait affranchi toute son armée de la fureur de l’étranger, de Goliath, il le regardait comme un ennemi, il oubliait le bienfait, il était vaincu par l’envie qui plongeait sa pensée dans les ténèbres, qui l’enivrait pour ainsi dire à ce point qu’il regardait son bienfaiteur comme on regarde un ennemi.
4. Voilà ce que cette passion a de funeste, elle perd d’abord celui qui l’engendre en soi. Comme le ver que produit le bois, et qui d’abord s’attaque au bois lui-même, ainsi l’envie ronge d’abord l’âme où elle prend naissance. Quant à celui qui l’inspire, elle lui fait tout le contraire du mal qu’elle veut lui causer. Ne considérez donc pas ce que sont d’abord les personnes à qui l’on porte envie, mais voyez comme elles finissent, et remarquez que la malice des envieux est un sujet de gloire pour ceux que poursuit leur jalouse colère. Ceux qu’attaque l’envie ont Dieu pour auxiliaire, ils jouissent de sa grâce ; l’envieux, dépouillé de la grâce, est toujours facilement vaincu ; ravagé par ses propres passions, avant de l’être par les ennemis du dehors, il se consume ; de secrètes morsures le dévorent ; il se plonge dans la malignité où, pour ainsi dire, il s’engloutit. Instruits de ces vérités, je vous en conjure, fuyons cette maladie funeste, et, de toutes nos forces, chassons-la de notre âme ; car, de toutes les passions, c’est la plus destructrice, c’est la perte de notre salut. L’envie, c’est l’invention propre du démon. Voilà pourquoi un sage disait : C’est l’envie du démon qui a fait entrer la mort dans le monde. (Sag. 2,24) Qu’est-ce à dire : C’est l’envie du démon qui a fait entrer la mort dans le monde ? Ce monstre vit d’abord l’homme immortel ; par sa malice il le porta à la désobéissance, et cette désobéissance a été, pour le démon, un moyen d’assujettir l’homme à la mort. L’envie a donc opéré la déception ; la déception la désobéissance, la désobéissance la mort ; de là ces paroles L’envie du démon a fait entrer la mort dans le monde. Voyez-vous tout ce que cette passion a de funeste ? L’être immortel, elle l’a rangé sous le joug de la mort. Toutefois, si l’ennemi de notre salut, n’écoutant que l’envie qui le tourmente, a fait, du premier homme, de l’être immortel, un condamné à mort, la miséricorde du Seigneur, le soin que le Seigneur prend de nous, l’a porté à mourir lui-même, pour nous faire une seconde fois le magnifique présent de l’immortalité. D’où il suit qu’après avoir tant perdu, nous avons retrouvé plus encore ; le diable nous a chassés du paradis, Dieu nous a conduits au ciel ; le diable nous a fait condamner à mort, Dieu nous a gratifiés de l’immortalité ; le diable nous a privés des délices du paradis, Dieu nous a ménagé le royaume du ciel. Comprenez-vous l’industrie du Seigneur ? Comprenez-vous ce qu’il a fait de cet artifice de l’envie du démon, conspirant contre notre salut ? Dieu l’a retourné contre la : tête du démon. non seulement il nous accorde des biens plus précieux, mais il le renverse lui-même sous nos pieds. Vous voyez que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les scorpions. (Lc. 10,19) Donc, méditons désormais toutes ces pensées, chassons l’envie de nos âmes, appliquons-nous à, conquérir l’affection de Dieu. Voilà nos armes, armes solides, armes invincibles, notre vraie richesse, notre force, notre incomparable puissance. C’est par là qu’Ismaël, que cet enfant, que cet abandonné, dans la solitude, privé de tout, manquant de tout, soudain a grandi et est devenu chef d’un grand peuple. C’est que, dit l’Écriture : Dieu était avec l’enfant (Gen. 21,20) ; pensée qui nous a inspiré tout ce discours. Méprisons donc, je vous en prie ; les choses présentes ; ne désirons que les biens à venir ; préférons à toutes choses la grâce de Dieu, et, par une vie excellente, préparons-nous, réservons-nous la pleine confiance, de manière à passer sans tristesse importune la vie présente, de manière à conquérir les biens de la vie future, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans tes siècles des siècles. Ainsi soit-il.

QUARANTE-SEPTIÈME HOMÉLIE.

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« Après cela Dieu tenta Abraham. » (Gen. 22,1)

ANALYSE.

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  • 1-4. Courage d’Abraham et obéissance d’Isaac. Le sacrifice d’Abraham figure du sacrifice de la croix. Exhortation.


1. Un gain considérable se montre pour nous dans la lecture d’aujourd’hui, trésor ineffable, caché dans ces paroles si courtes. Tel est le caractère des oracles divins : de grandes richesses s’y découvrent, non dans la multitude des paroles, mais dans la brièveté même des expressions. Eh bien donc, étudions le texte d’aujourd’hui, appliquons toute notre attention à la lecture de ce jour. C’est ainsi que nous comprendrons, de mieux en mieux, et la parfaite vertu du patriarche, et ce qu’il y a d’excellent dans la clémence de Dieu. Après cela Dieu tenta Abraham. Que signifient ces paroles : Après cela, Dieu tenta Abraham? Remarquez, je vous en prie, comme dès maintenant, la divine Écriture se propose de nous découvrir la vertu du juste ; elle va nous raconter comment Abraham fut tenté par Dieu. Mais d’abord, elle veut que nous sachions à quel moment le patriarche reçut cet ordre qui lui commandait de sacrifier Isaac ; elle veut que vous compreniez la parfaite obéissance du patriarche, en quelle circonstance de temps ce patriarche montra que rien n’est préférable aux ordres de Dieu. Que signifient donc ces paroles : Après cela ? C’est que, après la naissance d’Isaac, Sara voyant Ismaël avec Isaac, comme nous vous l’avons dit hier, ne put supporter ce spectacle, et elle disait à Abraham : Chassez cette servante avec son fils, car le fils de cette servante ne sera point héritier avec mon fils. (Gen. 21,10) Et comme cette parole paraissait dure au patriarche, Dieu voulant le consoler, lui dit : Écoutez Sara, votre femme, et faites ce qu’elle vous a dit. Vous ne devez pas trouver dur ce qui vous a été dit touchant votre fils et votre servante : C’est d’Isaac que sortira la race qui doit porter votre nom. (Id. 12) de le ferai le chef d’un grand peuple, parce qu’il est votre race. Et toutes les promesses, à lui faites par Dieu, se réduisaient à la prédiction que les enfants d’Isaac se multiplieraient de manière à former un grand peuple. Le juste vivait donc dans cette heureuse espérance ; après tant d’épreuves si pénibles, après tant de douleurs, ayant reçu sa récompense, jouissant enfin d’une sécurité parfaite, voyant l’héritier qui devait lui succéder, il vivait tranquille, heureux, consolé. Mais celui qui connaît les secrets des cœurs, voulut nous découvrir la vertu de ce juste, la perfection de son amour pour Dieu. Et voilà pourquoi, après tant de promesses, après la dernière promesse, toute récente, dont le souvenir était si présent à l’esprit d’Abraham ; au moment où Isaac était déjà grand, à la fleur de l’âge ; au moment où croissait l’amour que lui portait son père ; après cette promesse, après avoir dit  : C’est d’Isaac que sortira la race qui doit porter votre nom, et il sera votre successeur : Après cela, Dieu tenta Abraham, Qu’est-ce à dire, tenta ? Ce n’est pas parce que Dieu ne connaissait pas Abraham, qu’il le tenta ; il ne voulut pas l’éprouver ; mais Dieu voulait, et que les hommes du temps d’Abraham, et que tous ceux qui se succéderaient, depuis ce temps jusqu’à nos jours, apprissent, par l’exemple du patriarche, à montrer le même amour, la même obéissance aux préceptes du Seigneur. Et, dit le texte, il lui dit : Abraham, Abraham, Abraham lui répondit : Me voici. Que veulent dire ces deux, Abraham, Abraham ? Grande preuve de la bienveillance du Seigneur pour le patriarche. Il lui montrait d’ailleurs, par la manière de l’appeler, qu’il avait à lui communiquer un ordre important. Donc, pour le rendre plus attentif, il l’appelle deux fois, et il lui dit : Abraham, Abraham. Et Abraham lui dit : Me voici. Et Dieu lui dit : Prenez Isaac votre fils chéri, que vous chérissez, Isaac, et allez sur la hauteur et offrez-le en holocauste sur une des montagnes que je vous montrerai. (Id. 2) Il était lourd à porter le poids d’un tel ordre ; voilà qui surpasse la force humaine : Prenez votre fils chéri, que vous chérissez, Isaac. Voyez comme ces paroles allument, activent le feu du bûcher, la fournaise de l’amour, que le juste éprouvait pour son Isaac : Prenez votre fils chéri, que vous chérissez, Isaac. Chacun de ces mots, tout seul, suffisait pour déchirer l’âme du juste. Dieu ne dit pas simplement, Isaac, mais il ajoute votre fils ; que, contre toute attente, vous avez engendré ; que vous avez pu avoir dans votre vieillesse ; chéri : votre enfant aimé, que vous chérissez si tendrement, Isaac que vous attendez, comme votre héritier ; dont je vous ai promis que sortirait votre race, qui se multiplierait tant, qu’elle égalerait en nombre la multitude des étoiles, et les grains de sable, le long du rivage de la mer. Eh bien, c’est lui-même : Prenez-le, et allez sur la hauteur, et offrez-le en holocauste sur une des montagnes que je vous montrerai. On s’étonne comment le juste a pu supporter d’entendre ces paroles : Eh bien, c’est lui-même, dit Dieu, votre fils tant désiré ; offrez-le en sacrifice sur une des montagnes. Que fait alors le juste ?Son esprit n’est pas troublé ; sa pensée n’est pas confondue ; il n’hésite pas un seul instant devant un commandement qui devait le frapper de stupeur ; il ne fait pas de réflexion, de raisonnement : Qu’est-ce que cela veut dire ? Celui qui, contre toute attente, m’accorde généreusement une postérité ; qui, n’écoutant que sa propre bonté, a vivifié ce qui était mort, la stérilité de Sara ; maintenant que l’enfant a été nourri de son lait, a grandi, est dans la fleur de l’âge, voilà qu’il me commande de le tuer, de l’offrir en sacrifice lorsqu’il y a peu de moments encore, il me disait : C’est de lui que sortira la race qui doit porter votre nom ; il me donne maintenant des ordres contraires. Et comment s’accompliront ces promesses ? Comment se peut-il qu’en coupant la – racine, on voie se propager les rameaux ; qu’en abattant l’arbre, on en tire des fruits ; qu’en desséchant la source, on fasse jaillir des fleuves ? Selon la raison humaine, de telles choses sont impossibles ; mais tout est possible à la volonté de Dieu.
2. L’homme juste d’ailleurs ne fit aucune de ces réflexions. Comme un sage serviteur, supprimant tout raisonnement humain, il ne prit soin que d’une chose, d’accomplir, de réaliser le commandement. Et comme devenu étranger à la nature humaine, persuadé que les préceptes divins doivent prévaloir sur toute affection, sur tout amour, il se hâtait d’accomplir les ordres de Dieu. Abraham, dit le texte, se leva donc avant le jour, prépara son ânesse, prit avec lui deux jeunes serviteurs, et Isaac son fils, et ayant coupé le bois qui devait servir à l’holocauste, il s’en alla vers l’endroit où Dieu lui avait dit de se rendre. Il y fut le troisième jour. (Id. 3) Voyez la clémence du Seigneur ; comme ce long espace à franchir, lui sert à éprouver la vertu de l’homme juste. Méditez, considérez, dans cette longue durée de trois jours, ce que dut supporter l’homme juste, pensant en lui-même, qu’il lui était ordonné de tuer, de ses propres mains, ce fils tant aimé ; de ne révéler cet ordre à personne ; et soyez stupéfiés d’admiration devant tant de piété et de sagesse. Comme il connaissait toute l’étendue de ce commandement, il ne le communiqua à personne, ni aux serviteurs, ni à Isaac lui-même ; il était seul, soutenant en lui-même ce combat, solide comme le diamant, et il demeurait invincible, inébranlable dans ses pensées, sans succomber aux prétextes sans nombre, plein d’amour, plein de zèle, pour obéir au seul signe de Dieu. Quand il fut arrivé à l’endroit : Levant les yeux, dit le texte, Abraham vit le lieu de loin, et il dit à ses serviteurs : attendez ici avec l’ânesse. (Id. 4, 5) voyez encore ici la parfaite sagesse de l’homme juste ; il veut se cacher, même devant ses serviteurs, montrant toujours que c’est avec ardeur, avec empressement, avec un zèle jaloux, qu’il veut accomplir ce qui est agréable à Dieu. Il savait bien ce qu’avait d’étrange, d’inouï, l’action qu’il devait accomplir lui-même ; que jamais personne avant lui n’avait rien fait de pareil. Il cache l’action à ses serviteurs : Il les laisse donc avec l’ânesse : Attendez ici, nous ne ferons qu’aller jusque-là, mon fils et moi, et après avoir adoré, nous reviendrons vers vous. (Id. 5) Il parlait ainsi, dans l’ignorance de ce qui allait arriver, mais il est certain qu’il fit une prophétie, sans le savoir peut-être. Il parlait à ses esclaves, peut-être pour les tromper, pour les faire rester là ; mais plus tard, le patriarche se retrouva là avec l’enfant. Or, Abraham prit le bois de l’holocauste et le mit sur Isaac, son fils ; il prit en ses mains le feu et le couteau, et ils marchèrent eux deux ensemble. (Id. 6) O force d’âme ! ô solidité d’esprit ! Et il mit, dit le texte, sur Isaac le bois du sacrifice ; et lui, il prit le glaive et le feu, et ils allèrent eux deux ensemble. De quels yeux regardait-il l’enfant portant le bois sur lequel il allait tout à l’heure l’immoler ? Comment sa main a-t-elle pu porter le feu et le glaive ? Sa main portait le feu visible, mais le feu intérieur embrasait son âme, dévorait son cœur, lui persuadait que son amour pour Dieu triompherait, et lui inspirait cette pensée, que celui qui déjà, d’une manière supérieure à la nature humaine, l’avait fait père, pourrait encore opérer présentement des choses qui surpassent la raison humaine. Considérez donc désormais, je vous en conjure, plus que ce feu sensible, l’incendie intérieur qui peu à peu devenait de plus en plus ardent, et enflammait l’âme du juste. Or, Isaac dit à Abraham son père : Mon père. (Id. 7) Ce mot seul, c’était assez pour déchirer les entrailles de l’homme juste. Abraham lui répondit : Que voulez-vous, mon fils ? Tu appelles père celui qui tout à l’heure n’aura pas de fils ; et moi j’appelle mon fils, celui qui tout à l’heure va être mis sur l’autel, que je vais égorger de mes propres mains. Ensuite l’enfant dit : Voici que vous portez le feu et moi le bois, où est la victime à immoler ? Où est la brebis pour l’holocauste? Considérez ici, je vous en prie, la torture de l’homme juste ; comment a-t-il supporté d’entendre ces paroles ? Comment a-t-il eu la force de répondre à son enfant ? Comment n’a-t-il pas été confondu ? Comment a-t-il pu cacher, ne pas révéler tout de suite, à son enfant, ce qui allait arriver ? Au contraire, avec une pensée forte, une âme virile : Le Seigneur fournira la victime pour l’holocauste, mon fils. (Id. 8) Voyez-le, ici encore, à son insu, prophétiser ce qui doit arriver. Sa réponse semblait faite pour tromper Isaac. C’était toutefois présentement, ce qu’il fallait pour le satisfaire ; mais quelle vive et poignante douleur ne souffrit-il pas, ce père qui cherchait les paroles dans sa pensée, qui considérait la beauté de son enfant, la beauté extérieure, la grâce intérieure aussi, la beauté de son âme, son obéissance, digne objet d’amour, tout cela dans cette fleur de jeunesse ! Et ils vinrent tous les deux ensemble à l’endroit dont Dieu lui avait parlé. (Id. 9) Ils vinrent, dit le texte, au haut de la montagne que le Seigneur lui avait indiquée. Et là, Abraham dressa un autel. Me voilà encore frappé d’une admiration qui me stupéfie, à voir le courage du juste ; comment il a eu la force de construire l’autel, comment il a eu assez d’énergie, comment il n’a pas défailli dans ce terrible combat. Au contraire, il a construit l’autel, et sur l’autel, il a mis le bois. Il lia ensuite Isaac, son fils, le mit sur l’autel, et Abraham étendit la main, et prit le couteau pour immoler son fils. (Id. 10)
Ne passons point ici à la légère, mes bien aimés, attention à la parole. Considérons, méditons ; comment son âme ne s’est-elle pas envolée de son corps ; comment, de ses propres mains a-t-il pu lier et sur le bois placer son enfant chéri, si digne d’amour, son fils unique ? Et Abraham, dit le texte, étendit la main, et prit le couteau pour immoler son fils. O piété ! ô courage ! ô persistance de l’amour ! ô raison victorieuse de la nature humaine ! Il prit, dit le texte, le couteau, pour immoler son fils. Qui doit le plus ici exciter notre admiration, nous frapper de stupeur ? Le courage du patriarche, ou l’obéissance de l’enfant ? Il ne lutte pas pour échapper, il ne se plaint pas, il se laisse faire, il obéit à son père, c’est un agneau paisible qu’on met sur l’autel, et l’enfant attend, doucement résigné, la main de son père. Mais une fois que cette âme, tout entière à Dieu, a montré sans aucune défaillance la consommation de toutes les vertus, la bonté du Seigneur se révèle et prouve qu’il n’a pas voulu la mort de l’enfant ; qu’il a voulu bien plutôt manifester la vertu de l’homme juste. Au juste la couronne, pour le zèle de sa volonté ; le sacrifice est consommé dans là pensée du patriarche. Dieu l’agrée, et lui déclare maintenant son affection toute particulière. Et l’ange du Seigneur, dit le texte, lui cria du haut du ciel : Abraham, Abraham ! (Id. 11) Gomme il voyait le juste tout prêt, sur le point d’achever le sacrifice, décidé à accomplir l’ordre du Seigneur, du haut du ciel, il lui crie Abraham, Abraham, et il fait bien de l’appeler deux fois, pour prévenir la rapidité de l’homme juste. Et la voix qui se fait entendre, retient la main du juste qui déjà égorge l’enfant. Et Abraham répondit : Me voici. Et l’ange dit : Ne mettez point la main sur l’enfant, et ne lui faites rien. Je connais maintenant que vous craignez Dieu, puisque pour m’obéir, vous n’avez point épargné votre fils unique. (Id. 12) Ne mettez point la main, dit le texte, sur l’enfant. Je n’ai pas donné le commandement pour que l’ordre s’accomplisse ; je ne veux pas que ton fils soit tué de tes mains, mais je veux rendre ton, obéissance manifeste devant tous les hommes ; donc ne lui fais rien. Il me suffit de ta volonté, et, pour cette bonne volonté, je te couronne, et je proclame ta gloire. Car, maintenant, je sais bien que tu crains le Seigneur. Voyez, ici, comme le discours s’accommode à notre infirmité. Quoi donc ! est-il vrai de dire que Dieu, jusqu’à ce moment, ignorait la vertu de l’homme juste, que ce n’est qu’à partir de ce moment qu’il commence à la connaître, lui, le Seigneur de toutes les créatures ? Non ; le texte ne veut pas dire que ce soit dès cet instant seulement que Dieu connaît la vertu d’Abraham ; mais que veut dire le texte ? C’est maintenant, dit-il, que tu as manifesté à tous, que tu crains Dieu, sincèrement, du fond du cœur. Je n’avais pas besoin, moi, de mieux connaître mon serviteur ; mais l’action que tu viens de faire, sera, et pour les hommes d’aujourd’hui, et pour les générations à venir, un enseignement. Car, dès ce moment, tu as fait connaître à tous, que tu crains le Seigneur, et que tu te hâtes d’accomplir ses commandements. Puisque tu n’as pas épargné ton fils chéri ; à cause de moi, ce fils qui t’est si cher, que tu aimes d’un amour si ardent, tu ne l’as pas épargné ; à cause de moi, à cause de mon, commandement ; tu as préféré mon ordre à ton fils. Eh bien, maintenant je te rends ton fils, car c’est pour te récompenser, que je t’ai promis que ta race s’étendrait à travers les siècles. Reçois donc la couronne de ton obéissance, et va-t’en, car c’est à la volonté que j’accorde la couronne ; c’est à l’âme que je décerne les riches récompenses. Il faut réaliser ce que tu as dit ; et à tes serviteurs et à Isaac ; tu leur as fait cette promesse : Après avoir adoré, nous reviendrons. Voici que tu vas l’accomplir ; lorsque, l’enfant t’a demandé : Où est la brebis pour l’holocauste ? Le Seigneur fournira la victime pour l’holocauste, as-tu répondu. Eh bien ! tourne, dit-il, tes regards derrière toi, vois la victime que tu as prédite, que tu sacrifieras à la place de l’enfant. Abraham levant les yeux, aperçut derrière lui un bélier qui s’était embarrassé avec ses cornes dans un buisson, et l’ayant pris, il l’offrit en sacrifice, au lieu d’Isaac, son fils. (Id. 13) J’ai vu ta piété, dit-il, eh bien ! ce que tu as dit à l’enfant, je te l’ai ménagé. Et l’ayant pris, dit le texte, il l’offrit en sacrifice au lieu d’Isaac, son fils. Avez-vous compris la clémence de Dieu ? Le sacrifice a été consommé, le patriarche a manifesté sa piété ; il a rapporté la couronne conquise par sa bonne volonté ; en ramenant Isaac, il est revenu mille fois couronné.
Maintenant, toute cette histoire était la figure de la croix. Voilà pourquoi le Christ disait aux Juifs : Abraham, votre père, a désiré avec ardeur de voir mon jour, il l’a vu et a été rempli de joie. (Jn. 8,56) Comment l’a-t-il vu, lui qui vivait tant d’années auparavant ? Il en a vu la figure, il en a, vu l’ombre ; car, de même qu’ici le bélier a été offert à la place d’Isaac, de même l’Agneau spirituel a été offert à la place du monde. Il fallait, en effet, une figure pour dépeindre par avance la vérité. Voyez, en effet, je vous en conjure, mes bien-aimés, comment toute l’histoire du Christ est ici figurée par avance. Fils unique d’un côté, fils unique de l’autre ; fils chéri, d’un côté, propre fils ; fils chéri, de l’autre côté, propre fils également ; car celui-ci est mon Fils bien-aimé, dans lequel j’ai mis toute mon affection. (Mt. 3,17) L’un a été offert par son père en sacrifice ; et l’autre, son père l’a livré ; c’est ce que nous crie la voix de Paul : Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais qui l’a livré à la mort pour nous tous, ne nous donnera-t-il point aussi toutes choses avec lui ? (Rom. 8,32) Jusqu’ici, nous n’avons qu’une figure ; mais ensuite, c’est la vérité, laquelle se montre bien supérieure à la figure ; car l’Agneau spirituel a été offert pour le monde entier ; il a purifié la terre entière ; il a délivré les hommes de l’erreur, et les a ramenés à la vérité ; il a changé la terre, pour en faire le ciel. Ce n’est pas qu’il ait changé la nature des éléments, mais c’est qu’if a apporté les vertus célestes aux hommes qui vivent sur la terre. Par cet, agneau, le culte des démons a été anéanti ; par cet agneau, il est arrivé que les hommes n’adorent plus des pierres et des morceaux de bois ; que les êtres doués de raison ne s’inclinent plus devant des objets insensibles ; que toute erreur a été bannie, que la lumière de la vérité a éclairé le monde.
4. Comprenez-vous l’excellence de la vérité ? Comprenez-vous ce qui est l’ombre d’une part, d’autre part, la vérité ? Et Abraham, dit le texte, appelait ce lieu d’un nom qui signifie le Seigneur voit. C’est pourquoi on dit encore aujourd’hui : Le Seigneur a été vu sur la montagne. (Id. 14) Voyez la piété de l’homme juste ; comme toujours il donne aux lieux des noms pris des événements gui s’y sont accomplis. Il veut rappeler la visite que Dieu lui a faite, la graver, pour ainsi dire, sur une colonne d’airain ; dans le nom qu’il donne au lieu. De là, il appela ce lieu d’un nom qui signifie le Seigneur voit. Sans doute, c’était pour le juste une assez belle récompense, que de ramener Isaac vivant, que d’avoir mérité la gloire insigne de s’entendre dire : Je connais maintenant que vous craignez Dieu. Mais celui qui est jaloux de nous surpasser par ses dons, qui triomphe toujours par ses bienfaits, comble le riche de la variété de ses récompenses, et il lui dit encore : L’ange du Seigneur appela Abraham pour la seconde fois, du haut du ciel, et lui dit : Je jure par moi-même, dit le Seigneur, que puisque nous avez fait cette action, et que, pour m’obéir, vous n’avez point, épargné votre fils unique, je vous bénirai, vous bénissant moi-même ; je, multiplierai, la multipliant moi-même, votre race, comme les étoiles du ciel et comme le sable qui est sur le rivage de la, mer : Votre postérité possédera les villes de ses ennemis, et toutes les nations de la terre seront bénies dans Celui qui sortira de vous, parce que vous avez obéi à ma voix. (Id. 15-18) Attendu, dit-il, que vous avez accompli mon commandement, que vous m’avez, par tous les moyens, manifesté votre obéissance, écoutez : Je jure, par moi-même, dit le Seigneur. Voyez la condescendance que Dieu nous montre dans son langage : Je jure, dit-il, par moi-même, afin de vous donner une parfaite confiance, que mes paroles seront réalisées. Les hommes, quand ils ajoutent des serments aux promesses, rendent la promesse plus digne de foi, pour ceux à qui elle s’adresse. Voilà pourquoi le Seigneur prononce ces paroles, en se conformant aux habitudes humaines : Je jure par moi-même que, puisque vous avez fait cette action, et que, pour m’obéir, vous n’avez point épargné votre fils chéri. Considérez, je vous en conjure, la clémence du Seigneur. Vous n’avez point épargné, pour m’obéir, votre fils chéri. Et cependant il le ramène vivant. Ne considérez pas le fait, mon bien-aimé, mais la volonté, mais l’intention qui faisait accomplir sans raisonner, sans hésiter l’ordre reçu. En ce qui concerne la volonté, le patriarche avait ensanglanté sa main ; il avait enfoncé le glaive dans la gorge de l’enfant ; il avait offert ; consommé le sacrifice. Le Seigneur regarde le sacrifice comme consommé, et il loue le juste ; et il dit : Pour m’obéir, vous n’avez point épargné votre fils chéri. Vous, de votre côté, vous ne l’avez pas épargné, par obéissance ; mais moi, de mon côté, je l’épargne, à cause de votre obéissance. Et, pour vous récompenser de cette obéissance : Je vous bénirai, et, multipliant moi-même, je vous multiplierai. Voyez : la bénédiction est à son comble ; c’est-à-dire je multiplierai votre race. Celui que votre volonté a tué, propagera votre race, qui se multipliera, au point d’égaler les étoiles du ciel et le sable : Et toutes les nations de la terre seront bénies dans votre race, parce que vous avez obéi à ma voix. Tous ces dons, dit le Seigneur, seront la récompense de votre obéissance parfaite.
Ainsi, voilà qui nous attire des biens sans nombre ; l’obéissance à Dieu, la docilité à ses ordres, la simplicité qui s’abstient, comme ce patriarche, d’examen curieux ; qui ne se demande pas pourquoi tel ordre a été donné. Il faut donc, pour mériter ces biens, obéir comme font les serviteurs sages, sans demander de comptes au Seigneur. Fortifiés par ces enseignements, nous pourrons, nous aussi, montrer l’obéissance de ce juste et obtenir les mêmes couronnes. L’obéissance, comment ? en accomplissant, par nos actions, les ordres de Dieu. Car, ce ne sont point, dit l’Apôtre, ceux qui écoutent la loi, qui seront justifiés, mais ceux qui la pratiquent. (Rom. 2,13) En effet, quelle utilité d’entendre chaque jour la loi, et d’en négliger les œuvres ? C’est pourquoi, je vous en prie, hâtons-nous de pratiquer les bonnes œuvres ; impossible autrement d’obtenir le salut ; pratiquons-les, afin d’expier nos péchés, afin de mériter la clémence du Seigneur, parla grâce, parla miséricorde, par les mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, et à l’Esprit saint et vivifiant, la gloire, maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

QUARANTE-HUITIÈME HOMÉLIE.

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Les fils de Chet répondirent à Abraham, et lui dirent « Vous êtes parmi nous un roi qui nous vient de Dieu ; enterrez dans nos plus beaux sépulcres, la personne qui vous est morte. » (Gen. 23,5-6)

ANALYSE.

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  • 1-5. Les richesses ne doivent pas servir à se procurer des superfluités. – 6. Histoire de Rébecca poursuivie jusqu’à la fin. Exhortation à imiter Isaac et Rébecca, et à éviter, dans la célébration des mariages, les usages païens qui duraient encore en ce temps-là.


1. Vous avez vu hier, mes bien-aimés, le courage du patriarche ; vous avez vu cette âme plus solide que le diamant ; vous avez vu comment il n’a rien refusé de ce qui dépendait de lui, comment il s’est fait, par son ardent amour pour Dieu, le sacrificateur de son fils ; d’intention il a ensanglanté sa main, et il a offert le sacrifice ; mais, par l’ineffable miséricorde de Dieu, il a ramené son fils sain et sauf et plein de vie ; il a mérité, par l’excellence de sa volonté, d’être un sujet de louanges ; il a ceint son front d’une couronne éclatante ; dans tout ce qu’il a fait, il a manifesté la piété de son âme. Voyons, aujourd’hui, toute l’affection de ce juste pour son enfant. Après ce sacrifice étrange, incroyable, le patriarche eut à subir la douleur de perdre Sara ; il demanda aux fils de Chet la concession d’une sépulture ; il acheta le terrain, y déposa le corps, et ce fut là, pour le patriarche, sa première possession dans le pays. Il la dut à la perte de Sara. La divine Écriture, voulant nous montrer la vertu de l’homme juste, tenant à nous faire savoir qu’il a toujours été un voyageur, un étranger, a voulu aussi nous faire savoir que cet homme qui jouissait, d’une manière si glorieuse, du secours d’en haut, dont le nom est si fameux, qui est devenu le père d’un si grand peuple, ne possédait pas un terrain en propre ; et ce n’est pas ce que nous font voir aujourd’hui tant de riches, qui achètent des champs, des domaines ; qui sont avides de posséder, de posséder encore et toujours à l’infini. Comme il avait 'en suffisance les richesses de l’âme il ne désirait nullement les autres. Écoutez tous, vous qui emportez tout d’un coup, en un instant, tout ce que les autres possèdent, qui vous drapez dans les dépouilles d’autrui, qui étendez partout, pour ainsi dire, la concupiscence de votre avarice. Imitez ce patriarche, qui n’avait pas même un terrain pour y déposer les restes de Sara ; mais qui alors, poussé par la nécessité, acheta un champ, une caverne, aux fils de Chet. Vous faut-il la preuve qu’il était considéré des Chananéens, écoutez ce que lui disent les fils de Chet : Vous êtes parmi nous un roi qui nous vient de Dieu ; enterrez dans nos plus beaux sépulcres la personne qui vous est morte. Nul d’entre nous ne pourra vous empêcher de mettre dans son tombeau la personne qui vous est morte. Voyez d’ailleurs la conduite même du juste, qui est pour ces peuples l’enseignement de la véritable sagesse. Il n’accepte pas le monument sans en compter le juste prix : Permis à vous, leur dit-il, de me témoigner ainsi votre bienveillance ; mais moi je ne l’accepterai pas, sans commencer par vous payer le prix qui vous est dû. (Id. 13) C’est à ces conditions que je reçois la sépulture ; il compta ensuite l’argent, dit le texte, et prit possession du monument. Abraham enterra donc sa femme Sara, dans la caverne double du champ qui regarde Mambré. (Id. 19) Et cet homme illustre, honoré de tous, qui jouissait auprès de Dieu d’une si grande faveur, qui était auprès des habitants de cette contrée, en si grand honneur que les fils de Chet le nommaient un roi, ne possédait pas même ce qu’il fallait de terre pour y poser son pied. Voilà pourquoi le bienheureux Paul, célébrant les vertus de ce juste, écrivait : C’est par la foi qu’Abraham demeura dans la terre qui lui avait été promise, comme dans une terre étrangère, habitant sous des tentes, avec Isaac et qui devaient être héritiers avec lui de celle promesse. (Héb. 11,9) Ensuite, pour nous apprendre comment c’est par la foi qu’il demeura étranger, Paul ajoute : Car il attendait cette cité, bâtie sur un ferme fondement, de laquelle Dieu même est le fondateur et l’architecte. (Id. 10) C’est, dit-il, par l’espérance des biens à venir, qu’il méprisait les choses présentes ; dans (attente de biens plus, considérables, il dédaignait ceux de la vie présente ; et cela, avant la loi, avant la grâce. Quelle sera donc notre excuse, répondez-moi, je vous en prie, nous qui, après tant de promesses pour nous garantir, pour nous assurer des biens ineffables, demeurons ébahis, n’admirant que le présent, et qui achetons des domaines, et qui voulons, avant tout et partout, briller, et qui amassons par avarice et à force de rapines ? Et c’est là ce qui inspirait, au bienheureux prophète, ce cri lamentable : Malheur à vous, qui joignez maison à maison, et qui ajoutez terre à terre, pour dépouiller le prochain ! (Is. 5,8) N’est-ce pas là ce que nos œuvres accomplissent ? Ne voyons-nous pas chaque jour, que l’on pille les veuves, que l’on dépouille les orphelins ; que les plus faibles sont foulés sous les pieds des plus forts ? Mais ce juste n’agissait pas ainsi ; voulant acheter une sépulture, et voyant le bon vouloir de ceux à qui il la demandait, il ne l’accepta pas avant d’avoir payé le juste prix. C’est pourquoi, mes bien-aimés, gardant ces pensées dans nos esprits, nous qui vivons sous la grâce, imitons celui qui vivait avant la loi ; n’allons pas, embrasés du désir de posséder, attiser une flamme bien plus dévorante encore, la flamme inextinguible, la flamme qu’on ne peut supporter ; car nous nous entendrons dire, si nous persistons dans cette rapine, dans cette avarice, les paroles qui furent dites à l’ancien riche : Insensé, cette nuit même, on va te redemander, ton âme ; ce que tu as amassé, pour qui sera-ce ? (Lc. 12,20) Pourquoi, réponds-moi, t’inondes-tu de sueur ? afin d’amasser ce que bientôt, quand on t’arrachera d’ici, tu y laisseras ; ce qui, non seulement t’est parfaitement inutile, mais ne fait qu’aggraver ; le poids des péchés qui chargent tes épaules, et que n’allégera pas un repentir inutile ? Les trésors rassemblés par ton avariée, tu les verras souvent tomber en des mains ennemies, et cependant il te faudra rendre compte pour ces trésors et subir ton châtiment. Quel est donc ce délire de travailler pour les autres et de ne préparer pour toi que le supplice ?
2. Quoi qu’il en soit, c’est bien, nous avons été jusqu’ici victimes de notre négligence ; mais dès ce jour au moins, délibérons, voyons ce que nous devons faire, n’ayons pas pour uni que souci de nous enrichir à l’extérieur ; attachons-nous à la justice ; notre vie ne se borne pas aux limites du temps présent, nous ne serons pas toujours dans une terre étrangère, mais, bientôt, nous retournerons dans notre vraie patrie. Faisons donc tout de manière à ne pas nous trouver, là-bas, dans l’indigence, Quel profit de laisser dans la terre étrangère de grandes richesses, et ; dans son propre pays, dans sa vraie patrie de manquer du nécessaire ? C’est pourquoi, je vous en prie, il en est temps encore ; transportons dans cet autre séjour ; même ce que nous possédons ici, dans un séjour étranger. Et en vérité, quelque grande que soit la distance, le transport est facile. Car ceux qui transporteront, sont tout prêts, et le transport présente toute garantie ; et les richesses sont mises en réserve dans un trésor que nul ne peut piller ; quelle que soit la fortune que nous enverrons devant nous, par les mains de ceux à qui nous nous serons confiés, je dis les mains des pauvres ; ce sont eux qui reçoivent nos dons pour les mettre dans les réserves du ciel. Eh bien donc ! puisqu’il y a à la fois facilité si grande et sécurité complète, que tardons-nous ? Pourquoi ne pas nous appliquer, de toutes nos forces, à mettre notre fortune en réserve où elle nous sera le plus nécessaire ? Voilà pourquoi ce patriarche habite la terre de Chanaan, comme un pays qui lui est étranger : Il attendait cette cité bâtie sur un ferme fondement : de laquelle Dieu même est le fondateur et l’architecte. Si nous voulons imiter ce juste, nous aussi, nous la verrons cette cité, et nous irons dans le sein du patriarche ; car la communion dans les œuvres, procure aussi la communion dans la jouissance. Mais reprenons, s’il vous est agréable, la suite de notre discours, et voyons, après la mort de Sara, quel soin vigilant le juste prit de son fils, je parle d’Isaac. Voici ce que nous dit la divine Écriture : Abraham était vieux et fort avancé en âge, et le Seigneur l’avait béni en toutes choses. (Gen. 24,1) Pourquoi ce que nous dit la divine Écriture ? C’est que le patriarche était fort préoccupé de faire venir, pour Isaac, une épouse. En effet, dit le texte Quand Abraham fut parvenu au terme de la vieillesse, voulant détourner Isaac d’une alliance avec les Chananéens, l’empêcher de prendre une épouse parmi eux, il appela, dit le texte, un de ses serviteurs ; le plus doué de sagesse, et lui confia cette affaire, en disant : Mettez votre main sous ma cuisse. (Id. 2) Le texte grec porte sous ma cuisse ; le texte hébreu sous mes reins ; et pourquoi ? c’était l’habitude des anciens, parce que Isaac avait pris de là son origine. Et pour vous apprendre que c’était alors un usage, remarquez qu’il lui commande de mettre la main en cet endroit, et qu’aussitôt il ajoute : Afin, dit le texte, que je vous fasse jurer par le Seigneur, le Dieu du ciel et de la terre. Voyez comme il apprend à son serviteur à reconnaître le créateur de tous les êtres. En effet, celui qui dit : le Dieu du ciel et de la terre, comprend toutes les créatures. Or, quel était ce serment ? Que vous ne prendrez aucune des filles des Chananéens, parmi lesquels j’habite, pour la faire épouser à mon fils ; mais que vous irez dans mon, pays, où sont mes parents, afin d’y prendre une femme pour mon fils Isaac. (Id. 3, 4) Avez-vous compris ce – que recommande le patriarche à son serviteur ? Mais, ne vous contentez pas d’entendre la Parole pour l’acquit de votre conscience ; méditez sur la pensée de l’homme juste, sur ce qu’il se propose ; remarquez que les anciens ne recherchaient pas une grande fortune, ni les richesses ; ni les esclaves, ni tant et tant d’arpents de terre, ni la beauté extérieure, mais la beauté de l’âme et la noblesse des mœurs. Comme il voyait la malignité de ceux qui habitaient dans la terre de Chanaan ; comme il connaissait l’importance, pour l’époux, de trouver une femme douée des mêmes mœurs que lui, le patriarche prescrit à son serviteur, et il y ajoute le serment, d’amener, pour épouse à Isaac, une femme du pays de ses parents. Et ni la distance des lieux, ni les autres difficultés ne ralentissent ses soins ; il sait combien la chose est nécessaire, et il y applique tout son zèle, et il envoie son serviteur. Il n’est pas étonnant, d’ailleurs, que le patriarche, ne cherchant que la vertu de l’âme, ayant horreur de la malignité de ses voisins, tienne cette conduite. Mais, aujourd’hui, on n’y penserait même pas ; quels que soient les vices qui pullulent autour de vous, on ne se soucie que de l’abondance de l’argent ; tout le reste vient après, et l’on ne sait pas que la perversité de l’âme, quand même les richesses vous inondent à flots, produit bientôt la dernière indigence, et que l’opulence ne sert de rien, sans la sagesse qui en fait un bon usage.
3. Mais notre patriarche prit soin de donner à son serviteur ses instructions, et il exigea de lui le serment. Voyons maintenant la sagesse du serviteur, comment il rivalisa de piété avec son maître. Quand il vit que l’homme juste lui donnait cette commission, sur laquelle il insistait si fortement, il lui dit : Si la fille ne veut pas venir en ce pays-ci avec moi, voulez-vous que je ramène votre fils au lieu d’où vous êtes sorti ? (Id. 5) Voulez-vous, dit-il, si quelque difficulté se, présente ; que je ne sois pas exposé à enfreindre vos ordres ? Je vous demande ce qu’il faudra que je fasse. Vous plaît-il qu’Isaac s’en aille au lieu où je dis, et revienne, après y avoir trouvé une épouse, si l’épouse que vous m’envoyez chercher ne veut pas venir avec émoi ? Eh bien ! que dit le juste ? Il refuse, et prononce ces paroles : Gardez-vous bien de ramener jamais mon fils en ce pays-là. (Id. 6) Vous n’aurez pas besoin d’y penser ; car Celui qui m’a fait tant de promesses, qui m’a dit que ma race se multiplierait, Celui-là prendra soin aussi de faire réussir cette affaire. Ne conduisez donc pas mon fils dans ce pays-là. Le Seigneur Dieu du ciel, qui est aussi le Dieu de la terre… (Id. 7) Voyez comme, en liant son serviteur par le serment, il l’instruit, il lui fait connaître le Créateur de tous les êtres, et comme en ce moment, sur le point de renouveler ses prières, il se sert des mêmes paroles. Toutes ses expressions ont pour but de faire que son serviteur se mette en voyage plein de confiance en Dieu, assuré que tout réussira. En effet, il lui apprend quelle grande bienveillance Dieu lui a témoignée dès le commencement ; Dieu qui l’a fait venir de sa patrie, qui l’a gouverné jusqu’à ce jour, qui, dans une vieillesse si avancée, lui a donné Isaac, fera réussir encore les événements qui ne sont pas accomplis. Le Seigneur, dit-il, le Dieu du ciel et de la terre, qui m’a tiré de la maison de mon père et du pays où je suis né, Celui qui m’a parlé en me disant : Je donnerai ce pays à vous et à votre race ; Celui qui m’a montré tant de, bienveillance et d’intérêt enverra lui-même son ange devant vous, afin que vous preniez une femme de ce pays-là pour mon fils. Partez donc, lui dit-il, avec confiance, car j’ai la certitude que Celui qui, jusqu’à ce jour, m’a comblé de tant de bienfaits, ajoutera encore, à tant de preuves de sa bonté passée, une autre preuve, et enverra son ange devant vous. C’est lui-même, dit-il, qui vous préparera la voie en toutes choses, qui vous fera connaître l’épouse, de telle sorte que vous reveniez ici avec elle. Que s’il arrive, loin de moi cette pensée, que l’épouse refuse devenir ici, vous serez dégagé de votre serment. Seulement, ne ramenez jamais mon fils en ce pays-là. (Id. 8) Je ne fais aucun doute que Dieu ne vous accorde que tout réussisse. Il montre toute sa confiance en la puissance du Seigneur, en défendant à son serviteur de conduire son fils dans l’autre pays. Ensuite, après avoir donné ses ordres avec tout ce soin et prévenu les inquiétudes de son serviteur, car celui-ci avait peur qu’en ne remplissant pas sa commission, il ne devînt parjure : Ce serviteur, dit le texte, mit donc sa main sous la cuisse d’Abraham, son maître, et s’engagea par serment à faire ce qu’il lui avait ordonné (Id. 9), c’est-à-dire à ne pas conduire Isaac dans cet autre pays. Avez-vous bien, vu comment, tout d’abord, ce serviteur a montré son affection envers son maître ? Voyez maintenant comment, instruit par le patriarche, il a grandi clans la vertu et a imité la piété du juste et son culte pour Dieu. En même temps, dit le texte, il prit dix chameaux du troupeau de son maître ; il porta avec lui de tous ses biens, et, s’étant mis en chemin, il alla droit en Mésopotamie, en la ville de Nachor. Etant arrivé, sur le soir, près d’un puits hors de la ville, au temps où les filles avaient accoutumé de sortir pour puiser de l’eau, et, ayant fait reposer ses chameaux, il dit : Seigneur, Dieu d’Abraham, mon maître… (Id. 10-12) Voyez la vertu de l’esclave ; il nomme le Seigneur de l’univers en disant le nom du patriarche. En effet, il dit : Seigneur, Dieu d’Abraham, mon maître, vous qui l’avez comblé de tant de bienfaits… Et qu’y a-t-il d’étonnant que le serviteur l’appelle ainsi : le Dieu d’Abraham ? Ce Dieu de toutes les créatures, montrant lui-même combien il estime la vertu des justes, dit : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. (Ex. 3,6) Et il dit : Seigneur, Dieu d’Abraham, mon seigneur, assistez-moi aujourd’hui ; et faites miséricorde à Abraham, mon seigneur ; comme s’il disait : Faites que ses désirs s’accomplissent, faites que tout succède au gré de ses vœux, faites miséricorde à Abraham, mon maître. Qu’est-ce à dire Faites miséricorde ? Que ses vœux soient accomplis. Ensuite il dit : Me voici près de cette fontaine ; et les filles des habitants de cette ville vont sortir pour puiser de l’eau. Faites que la fille à qui je dirai : Baissez votre vase afin que je boive, et qui me répondra : Buvez, et je donnerai aussi à boire à vos chameaux, soit celle que vous avez destinée à Isaac, votre serviteur. Et je connaîtrai par là que vous aurez fait miséricorde à mon seigneur Abraham. (Gen. 13, 14) Voyez la sagesse du serviteur : il connaissait l’hospitalité du patriarche ; il était juste que la nouvelle épouse fût douée des mêmes vertus que lui. Pour la reconnaître, il ne veut aucun autre caractère que celui de l’hospitalité, et il dit : Si, quand je lui demanderai de l’eau, elle baisse son vase et non seulement m’accorde ce que je demande, mais encore me montre la générosité de son âme ; si elle me dit : Je donnerai aussi à boire à vos chameaux, elle me montrera suffisamment, en leur donnant cette eau, la bonté de ses mœurs.
4. Remarquez, je vous en prie, mon bien-aimé, l’importance de cette action : Une jeune fille, partie pour aller à la fontaine, non seulement lui accorde sa demande, abaisse le vase qu’elle portait sur l’épaule, donne à boire à satiété à celui qui le lui demande, et cet homme est un étranger, absolument inconnu ; non seulement elle lui donné à boire à lui-même, mais elle désaltère tous ses chameaux ; elle lui montre, par des faits réels, par sa conduite, ce qu’elle a de générosité dans l’âme. Ignorez-vous qu’un grand nombre de personnes répondent souvent par des refus à de pareilles demandes ? Et à quoi bon parler ici de l’eau qui se donne ? Parfois des personnes tiennent des flambeaux ; on s’approche d’elles ; on leur demande d’attendre un instant ; de permettre qu’on allume son flambeau à leur lumière ; et elles refusent, quoiqu’il n’y ait là aucune diminution de flamme, quand vous multiplieriez à l’infini le nombre de ceux qui veulent allumer leur flambeau. Maintenant, au contraire, nous voyons une femme, une jeune fille, son vase sur l’épaule, qui, non seulement ne s’indigne pas de ce qu’on lui demande, mais accorde plus qu’on ne lui avait demandé. Elle donne à boire selon la demande qui lui est faite, et, en outre, d’elle-même, elle se hâte d’abreuver les chameaux. C’est que le Dieu plein de bonté avait entendu les prières du patriarche, et il avait envoyé son ange, et tout disposé selon la prière du serviteur. Ensuite, quand ce serviteur eut vu, par la réalité des faits, l’efficacité des prières du patriarche, eut rencontré la jeune fille qu’il désirait, reconnu la distinction de son zèle à l’égard des étrangers, voyez ce qui arrive. En effet, l’Écriture dit : Aussitôt, ayant versé dans les canaux Peau de son vase, elle courut au puits pour en tirer d’autre, qu’elle donna ensuite à tous les chameaux. (Id. 20) Voyez l’excès d’empressement. En effet, ces paroles : Aussitôt, ayant versé l’eau de son vase, elle courut au puits, marquent le zèle ardent de la jeune fille ; elle ne prend pas la fuite comme une étrangère ; elle ne se fait pas, de la modestie, un prétexte pour refuser, mais elle lui répond avec une grande douceur : Buvez, mon seigneur. (Id. 18) Réfléchissez, je vous en prie, sur le soin qu’on apportait, dans ces temps antiques, à pratiquer la modestie, jusqu’où allait l’humilité, la grande place que l’hospitalité tenait dans les mœurs d’alors. Dites-moi, quelle fortune n’est pas au-dessous de telles mœurs ? Quels sont les trésors que de telles mœurs ne surpassent pas ? Voilà la dot par excellence ; voilà les richesses infinies ; voilà le trésor inépuisable ! Donc, le sage serviteur reconnaissant la providence divine, manifeste ici : l’étudiait, dit le texte, sans rien dire, pour savoir si le Seigneur avait rendu son voyage heureux ou non. (Id. 21) Qu’est-ce à dire, l’étudiait ? Il considérait avec soin le langage même de la jeune fille, son aspect, sa démarche et tout le reste, et il attendait, pour savoir si le Seigneur avait rendu son voyage heureux ou non. Tout jusque-là, voilà ce que le texte veut dire, montrait la parfaite vertu de la jeune fille. Aussi, pour répondre à sa complaisance, au service qu’elle lui avait rendu en lui donnant de l’eau, il lui met, dit le texte : Des pendants d’oreilles et deux bracelets. (Id. 22) Et il s’informait avec soin de ce qui la concernait, et il lui demandait : De qui êtes-vous fille ? Et, Y a-t-il dans la maison de votre père un lieu pour me loger ? (Id. 23) Considérez, encore ici, la réponse de la jeune fille : Quand il lui demanda de l’eau, non seulement elle lui en donna, mais elle abreuva aussi ses chameaux ; de même ici, quand le serviteur lui demande s’il y a un lieu pour le loger, et de qui elle est fille, elle dit : Je suis fille de Bathuel ; fils de Melcha et de Nachor. (Id. 24:) Elle lui dit et le nom de son père, et le nom de son grand-père, afin que ces renseignements lui donnent plus de confiance. Voyez la candeur de la jeune fille : on lui demande le nom de son père, et elle ne se contente pas de le dire, mais elle fait connaître aussi le père de son père. – Et le serviteur lui demandait seulement s’il y avait un endroit pour le loger, elle dit, non seulement qu’il y a un endroit, mais, de plus, beaucoup de paille et de foin se trouve chez nous. (Id. 25) A ces paroles, le serviteur admira la générosité de l’accueil fait par la jeune fille aux étrangers. Et, quand il apprit qu’il ne s’était pas adressé à des inconnus, mais qu’il venait dans la maison de Nachor frère du patriarche : Le serviteur satisfait, dit le texte, s’inclina profondément et adora le Seigneur. (ibid. 26) C’est parce qu’il était content des renseignements qu’il venait d’entendre, des paroles que lui avait dites la jeune fille, qu’il adora le Seigneur, lui rendant grâces de ce qu’il avait si bien montré sa providence à l’égard du patriarche ; de ce qu’il lui avait rendu tout aisé et facile. Et il dit : Béni soit le Seigneur, le Dieu de mon seigneur Abraham, qui, n’a pas manqué de lui faire miséricorde, selon la vérité de ses promesses. (Id. 27) Après avoir vu les bonnes dispositions de la jeune fille, et avoir tout appris d’elle, de manière à ne plus avoir d’incertitude, il se fait connaître à son tour, et, tout en rendant à Dieu ses actions de grâces, il montre qu’il ne vient pas d’une maison étrangère, que c’est le frère de Nachor qui l’a envoyé dans ce pays. A ces paroles, la jeune fille, pénétrée d’une grande joie, courut, dit le texte. Voyez comme chaque mot de l’Écriture nous montre l’empressement de l’hospitalité : la course de la jeune fille, ses, paroles, sa douceur. En effet, dit le texte : Elle courut à la maison de sa mère, et alla dire à ses parents, tout ce qu’elle avait entendu de la bouche du serviteur. (Id. 28) Et Laban, dit le texte, courut, pour aller trouver l’homme près de la fontaine. (Id. 29) Voyez comment, ici encore, la course de Laban montre son empressement. Et, quand il vit l’homme qui se tenait auprès de la fontaine, avec ses chameaux, il lui dit : Entrez, béni soit le Seigneur ! pourquoi êtes-vous resté dehors ? j’ai préparé la maison, et un lieu pour vos chameaux. (Id. 30, 31) Voyez, ici encore, cet homme qui bénit, Dieu à l’arrivée d’un voyageur. Voyez comme, avant d’accomplir Pieuvre de l’hospitalité, il se sert de paroles pressantes : Venez, dit-il, entrez, déjà, en effet, j’ai préparé la maison et un lieu pour vos chameaux. Et ensuite, quand il est entré, le texte dit : Il déchargea ses chameaux, leur donna de la paille et du foin, et fit laver les pieds de cet homme. (Id. 32)
5. Voyez comme ces peuples, encore en proie à l’erreur, pratiquaient avec soin l’hospitalité. Et il fit laver les pieds de cet homme, et les pieds des hommes qui étaient venus avec lui ; et il leur servit des pains pour manger. (Id. 33) Mais, attention ici, je vous en prie ; considérez la grande sagesse du serviteur. En effet, que dit-il ? Je ne mangerai point jusqu’à ce que je vous aie proposé ce que j’ai à vous dire. Vous, dit-il, vous avez rempli vos devoirs ; mais moi, je ne veux pas penser à prendre du repos avant de vous avoir appris pourquoi j’ai fait un si grand voyage ; pourquoi je suis venu du pays des Chananéens ici ; comment j’ai été con duit dans votre maison ; et, quand vous saurez tout, vous pourrez alors montrer tout votre bon, vouloir envers mon seigneur, et il commence son récit : Je suis serviteur d’Abraham ; le Seigneur a comblé mon seigneur de ses bénédictions, et il lui a donné des brebis, des veaux, de l’or et de l’argent, des serviteurs et des servantes, et des chameaux, et des ânes. Et Sara, l’épouse de mon seigneur ; a donné un fils à mon seigneur dans sa vieillesse ; et il lui a donné tout ce qu’il avait. (Id. 34, 33, 36) Voyez l’exactitude avec laquelle il dit tout. Je suis, dit-il, serviteur, de cet Abraham que vous connaissez. Apprenez donc toutes les bénédictions dont l’a comblé le Seigneur de toutes les créatures, qui l’a rendu puissamment riche. Ensuite, il lui montre en quoi consiste celte opulence, et il dit : Des brebis, des veaux, de l’argent et de l’or, des serviteurs et des servantes, des chameaux et des ânes.
Écoutez, riches, qui achetez tant, et oui achetez, chaque jour, tant de domaines, et qui construisez des bains, des promenades et de splendides demeures. Voyez-vous en quoi consistaient les richesses de l’homme juste ? De champ, nulle part ; de maison, nulle part ; point de vaine somptuosité : Des brebis, des veaux, des chameaux et des ânes, des serviteurs et des servantes. Et, pour que vous sachiez bien d’où lui venait cette multitude de serviteurs, l’Écriture dit, dans un autre endroit, qu’ils étaient nés à la maison, tous. (Gen. 17,23) Eh bien donc, mon seigneur, le maître de tant de richesses, et qui jouit à un si haut degré de la grâce divine, étant devenu vieux, a eu de Sara un fils ; et ce fils unique ; il le fait héritier, dès ce moment, de tous ses biens, et il lui a donné tout ce qu’il avait. Ensuite, après avoir raconté la gloire de son seigneur, et la naissance d’Isaac, il fait connaître, en outre, la commission qu’il a reçue pour aller à Charran : Et il m’a fait jurer, dit-il, en me disant ; vous ne prendrez, pour mon fils Isaac, aucune des filles des Chananéens dans le pays desquels j’habite ; mais vous irez dans la maison de mon père, et vous prendrez, parmi ceux de ma parenté, une épouse pour mon fils. (Id. 37, 38) Voilà les ordres qu’il m’a donnés ; quant à moi, prévoyant quelque difficulté dans l’affaire, je demandais à mon Seigneur : mais si la femme ne voulait pas venir avec moi ? Et il m’a dit : Le Seigneur Dieu, devant lequel je marche, enverra son ange avec vous, et vous conduira dans votre chemin, afin que vous preniez, pour épouse de mon fils, une femme de ma parenté, et de la maison de mon père. (Id. 39, 40) Que si la femme ne consent pas à partir avec vous, Alors vous ne serez plus obligé à votre serment. (Id. 41) Donc, voilà les ordres que m’a donnés mon seigneur ; voilà la provision de prières qu’il m’a donnée, pour mon, voyage. Et moi, fort de ses prières, quand je suis arrivé auprès de la fontaine, j’ai prononcé ces paroles, et j’ai dit : Seigneur, Dieu d’Abraham, mon seigneur, si c’est vous qui m’avez conduit dans le chemin où j’ai marché jusqu’à présent, me voici près de cette fontaine. Que la fille donc qui sera sortie pour puiser de l’eau, à qui je dirai : donnez-moi un peu de l’eau que vous portez dans votre vase, et qui répondra buvez et je vais en puiser aussi pour vos chameaux, soit celle que vous avez préparée pour votre serviteur Isaac. Et en cela je connaîtrai que vous avez fait miséricorde â mon seigneur Abraham. (Id. 42, 43, 44) Voilà donc la prière, dit-il, qu’en moi-même j’ai adressée à Dieu, et je ne l’avais pas encore achevée, que déjà mes paroles étaient devenues la réalité. Car, avant que f eusse fui de parler, voici que Rébecca est sortie, son vase d’eau sur l’épaule, et ; je lui ai dit : donnez-moi à boire, et elle s’est empressée d’abaisser son vase, et elle m’a dit : buvez et j’abreuverai vos chameaux. (Id. 45) Et quand je voyais se manifester, avec évidence, l’œuvre de Dieu, je lui demandai de qui elle était fille ; ses paroles m’ayant appris que je n’étais pas venu vers des étrangers, mais auprès de Nachor, frère de mon seigneur, j’ai eu confiance : Je lui ai mis ces pendants d’oreilles et ces bracelets ; et, satisfait de ce que, je voyais, j’ai adoré et béni le Seigneur, le Dieu de mon seigneur Abraham, qui m’a conduit heureusement, de manière à prendre la fille du frère de mon seigneur. (Id. 47, 48) Il est manifeste que, ces choses ont été disposées par Dieu ; les prières de mon maître sont arrivées jusqu’à lui : Pour vous, maintenant, si vous faites ce qui dépend de vous, faites miséricorde et justice à mon seigneur ; sinon, dites-le-moi. (Id. 49) C’est-à-dire, dites-moi, dit-il, oui, clairement, afin que je sache ce que j’ai à faire ; si c’est non, dites-le-moi, afin que je me dirige ailleurs, et que Je me tourne soit à droite soit à gauche. Alors, comme c’était Dieu qui favorisait toute cette affaire, à cause des prières du patriarche, le père et le frère de la jeune fille lui disent : C’est Dieu qui parle en cette rencontre, nous ne pouvons vous contredire, soit en mal, soit en bien. (Id. 50) Votre récit nous fait assez comprendre que tout cela est l’œuvre de la divine sagesse. Donc, ne croyez pas que nous veuillons nous opposer à ce que Dieu approuve. Car, nous ne pouvons pas faire cela : Voici que nous mettons la jeune fille entre vos mains ; prenez-la et partez. Elle sera l’épouse du fils de votre seigneur, comme a dit le Seigneur.

6. Avez-vous bien vu comment on s’attachait autrefois à choisir des épouses pour ses fils ; comment, au lieu de la fortune, on recherchait la noblesse de l’âme. Nulle trace de contrat, nulle trace de conventions écrites, et de toutes ces choses ridicules qui se font chez nous, aujourd’hui, et de ces conditions qui s’enregistrent sur les parchemins. Si, dit l’un, elle meurt sans enfants ; si ceci, si cela arrive ? Allons donc ! autrefois, rien de tel. Leur magnifique contrat, leur sûreté infaillible, c’était la vertu de la jeune fille ; et, nulle part, de cymbales et de chœurs de danse. Pour que vous le sachiez bien, vous allez voir comment la jeune fille est menée à son fiancé. Le serviteur d’Abraham, dit le texte, ayant entendu ces paroles du père et du frère, adora Dieu en s’inclinant jusque sur la terre. (Id. 52) Voyez, à chaque, instant, à chaque chose qui arrive, des actions de grâces au Seigneur de toutes les créatures. C’était lui, en effet, qui selon la parole du patriarche, envoyait son ange devant le serviteur, qui disposait tout pour la réussite. Enfin n’ayons plus à douter du complet succès de sa mission : Il tira, dit le texte, des vases d’or et d’argent, et un vêtement qu’il donna à Rébecca. (Id. 53) Dès ce moment il la traite avec des égards pleins de confiance ; elle est déjà, en paroles, fiancée à Isaac. Il offre des présents à son frère et à sa mère ; et, quand il voit que l’affaire est terminée, qu’il a rempli la mission reçue de son maître, c’est alors seulement, enfin, qu’il consent à se reposer. Ils firent ensuite le festin, dit le texte, et ils burent ensemble, lui et les hommes qui étaient avec lui, et ils dormirent ; et le lendemain, s’étant levé de bon matin, il dit : congédiez-moi pour que j’aille retrouver mon seigneur. Puisque tout m’a réussi, dit-il, et que je n’ai plus rien à faire, et que la chose se passe selon votre gré, congédiez-moi afin que j’aille retrouver mon seigneur. (Id. 54) Les frères, dit le texte, et la mère lui dirent : Que notre fille demeure avec nous, environ dix jours, et, après cela ; vous partirez. Mais lui, leur dit Ne me retenez pas, puisque le Seigneur m’a conduit dans tout mon chemin ; congédiez-moi afin que j’aille retrouver mon seigneur. (Id. 66) Pourquoi, leur dit-il, différer, ajourner, puisque Dieu m’a rendu tout si facile ? ne me retenez pas, afin que j’aille retrouver mon seigneur. Ils lui dirent : Appelons la jeune fille, et interrogeons-la ; et ils l’appelèrent, et ils lui dirent : Vous en irez-vous avec l’homme ? Elle répondit : Je m’en irai. Et ils laissèrent partir Rébecca, leur sœur, avec ce qui lui appartenait, en compagnie du serviteur d’Abraham, et de ceux qui étaient avec lui, et ils bénirent Rébecca, et ils lui dirent : Vous êtes notre sœur. Croissez en mille et mille générations, et que votre race se mette en possession des villes de ses ennemis. (Id. 60) Voyez comment, dans leur ignorance, ils prédisent l’avenir à la jeune fille, parce que Dieu dirige leur pensée. En effet, ils lui prédisent deux choses : d’une part, qu’elle croîtra en mille et mille générations ; d’autre part, que sa race possédera en héritage les villes des ennemis. Voyez-vous comme ici se manifeste, de tout côté, la divine providence ? comme le Seigneur a soin de faire prédire l’avenir par des infidèles. Rébecca et ses servantes montèrent donc sur des chameaux. (Id. 61) Avez-vous bien compris quelle est l’épouse que prend le patriarche ? Une femme qui va à la fontaine, qui porte un vase d’eau sur l’épaule, et la voici maintenant montant sur un chameau. Nulle part, de mule aux harnais resplendissant d’argent, ni de troupeaux de serviteurs, ni le luxe, et toutes les délicatesses qu’il déploie de nos jours ; telle était la force virile des femmes antiques, qu’on les voyait monter d’elles-mêmes sur des chameaux, et c’est ainsi qu’elles voyageaient. Et elles partirent, dit le texte, avec l’homme. En ce même temps, Isaac se promenait dans son champ, le jour étant sur son déclin ; il leva les yeux et vit venir les chameaux. (Id. 63) C’est pendant qu’il était dans son champ, dit le texte, qu’Isaac vit les chameaux. Rébecca, ayant aussi aperçu Isaac, descendit de dessus son chameau, et dit au serviteur : Quel est cet homme qui vient le long du champ, au-devant de nous? (Id. 65) Voyez la belle âme de la jeune fille ; elle voit Isaac et demande qui il est. Et aussitôt qu’elle a appris que c’est, son époux, elle s’enveloppe de son voile. Le serviteur annonce à Isaac tout ce qui s’est passé. (Id. 66) Considérez ici, je vous en prie, l’absence parfaite de tout ce qui est inutile et superflu. Ici, aucune de ces pompes inventées par les démons ; ni cymbales, ni flûtes ; ni chœurs de danse ; ni banquets sataniques, ni plaisanteries obscènes, tout est pureté, tout est sagesse, tout est modestie. Alors Isaac la fit entrer dans la tente de Sara, sa mère, et prit Rébecca, et elle fut sa femme, et il la chérit, et Isaac se consola de la perte de Sara sa mère. (Id. 67) Imitez-la, ô femmes, imitez-le, ô hommes. Voilà comme il convient de recevoir les épouses ; car enfin, répondez-moi, pourquoi, sans plus attendre, dès la première heure, souffrez-vous qu’on remplisse l’oreille virginale de chansons obscènes ? pourquoi cette pompe honteuse et intempestive ? Ignorez-vous donc que la jeunesse d’elle-même court trop vite à sa perte ? Pourquoi cette honteuse révélation des augustes mystères du mariage, quand il faudrait repousser loin de vous toutes ces profanations ? Commencez par enseigner la pudeur à la jeune femme ; appelez les prêtres, et cimentez par leurs prières, par leurs bénédictions, la concorde du mariage, pour augmenter l’amour de l’époux ; pour contenir, pour accroître la chasteté ; pour que tout conspire à faire entrer, dans la nouvelle demeure, la vertu et ses œuvres ; pour exterminer le démon, ruiner tous ses efforts, et assurer aux époux l’union, fruit du divin secours, et qui produit la vie bienheureuse. Puissions-nous tous en jouir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

QUARANTE-NEUVIÈME HOMÉLIE.

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« Voici qu’elle fut la postérité d’Isaac, fils d’Abraham. » (Gen. 25,19)

ANALYSE.

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  • 1. L’exemple d’Isaac prouve qu’il faut prier avec persévérance, et ne pas scruter trop curieusement les desseins de Dieu. – 2. Pour des causes mystérieuses, Dieu refuse quelquefois la fécondité aux femmes justes ; la fécondité miraculeuse des femmes naturellement stériles aide les esprits à croire à l’enfantement d’une vierge. – 3. La prière d’Isaac dure vingt ans.


1. Je veux encore vous conduire à la table que vous connaissez, et vous servir le festin que nous présentent les paroles de Moïse, disons mieux, les paroles de l’Esprit-Saint. Car ; ce n’est pas de lui-même que Moïse nous a parlé, mais parce que l’Esprit-Saint l’inspirait. Voyons donc ce qu’il veut encore nous apprendre aujourd’hui. Ce n’est pas sans motif, sans un but déterminé, qu’il nous propose les vies des hommes justes ; il veut que nous imitions leurs – vertus, que nous reproduisions leurs bonnes œuvres. Après nous avoir raconté, avec tant d’exactitude, ce qui concerne le patriarche Abraham ; après nous avoir fait connaître le dernier combat qu’il soutint pour immoler son fils, son fils unique ; après nous avoir fait comprendre comment ce sacrifice à Dieu, s’il ne fut pas accompli d’une manière réelle, s’est pourtant achevé dans la volonté, il met un terme à ces récits ; et nous expose maintenant ce qui concerne Isaac, immolé sans être immolé. En effet, ce qui s’est passé ressemble à une énigme ; écoutez ce que dit Paul : C’est par la foi qu’Abraham offrit Isaac, lorsque Dieu voulut le tenter, car c’était son fils unique qu’il offrait, lui qui avait reçu les promesses. (Héb. 11,17) Et ensuite, pour nous apprendre qu’Abraham accomplissait tout cela par la foi ; que des ordres qui paraissaient en contradiction avec la promesse, ne troublaient pas pourtant sa raison, il ajoute : Ainsi il le recouvra comme d’entre les morts. (Id. 19) Que signifie cette parole, et il le recouvra comme d’entre les morts ? c’est qu’après l’avoir offert en sacrifice, après avoir manifesté la perfection de sa sagesse, il reçut la couronne, il revint avec l’enfant ; le sacrifice s’acheva en réalité, en immolant une brebis, et le Créateur de tous les êtres montra, en toutes ces choses, l’excellence de sa bonté. Il fit voir que, par cet ordre, il avait voulu, non faire périr Isaac, mais mettre à l’épreuve l’obéissance de l’homme juste. Autre récit maintenant. Nous avons vu le patriarche faire briller en toutes choses sa vertu, eh bien ! exposons aujourd’hui les paroles qui se rapportent à Isaac. Voyons comment, lui aussi, a montré en toutes choses, la piété de son âme ; il est bon d’écouter les paroles mêmes de l’Écriture. Voici, dit le texte, quelle fut la postérité d’Isaac, fils d’Abraham. Abraham engendra Isaac, lequel ayant quarante ans épousa Rébecca, fille de Bathuel, syrien de Mésopotamie, et saur du syrien Laban. (Id. 20) Considérez, je vous en prie, mon bien-aimé, l’exactitude de la divine Écriture, qui n’emploie aucune parole superflue. En effet, pourquoi nous montre-t-elle l’âge d’Isaac ? pourquoi ces paroles, lequel ayant quarante ans, épousa Rébecca ? Ce n’est pas sans dessein, ce n’est pas au hasard ; mais, comme elle veut ensuite nous raconter la stérilité de Rébecca, nous faire savoir qu’elle dut sa fécondité aux prières du juste, elle tient à nous apprendre la grandeur de la patience d’Isaac, à nous montrer clairement tout le temps qu’il passa sans q voir d’enfant. Et c’est afin que nous, de notre côté, rivalisant avec ce juste, nous soyons assidus à prier le Seigneur, si nous avons quelque demande à lui adresser. En effet, s’il est vrai que ce juste, doué d’une vertu si grande, jouissant auprès de Dieu de tant de faveur, ait montré tant de constance et tant de zèle, priant Dieu sans cesse de mettre un terme à la stérilité de Rébecca, que pourrons-nous dire, nous qui, accablés du fardeau si lourd de tant de péchés, n’ayant pas à montrer la moindre des vertus de ce juste, après quelques moments de zèle et d’application à la prière, retombons bien vite dans notre engourdissement, dans notre torpeur, si nous ne sommes pas tout de suite exaucés ? c’est pourquoi, je vous en prie, instruits par ce qui est arrivé à ce juste, prions Dieu sans relâche de nous pardonner nos péchés ; montrons-lui un zèle qui nous – brûle, qui nous dévore ; ne nous indignons pas, ne nous décourageons pas, si nous ne sommes pas tout de suite exaucés. Car peut-être, oui peut-être, le Seigneur, dans sa sagesse, ne nous force de montrer l’activité de notre zèle ; ne nous exerce, ne nous fait attendre, que parce qu’il nous ménage le salaire de notre patience, et parce qu’il sait l’époque où il nous est utile d’obtenir ce que nous souhaitons avec tant d’ardeur. En effet, nous ne connaissons pas nos intérêts, aussi bien que lui-même, qui sait jusqu’aux secrètes pensées de chacun. Donc, il convient de ne pas rechercher avec trop de curiosité, de ne pas discuter sans fin les choses que Dieu opère, mais il faut montrer notre sagesse et admirer les vertus des justes. Après que la divine Écriture nous a dit l’âge d’Isaac, elle nous apprend de Rébecca, sa femme, qu’elle était stérile. Considérez, je vous en prie, la piété de l’homme juste ; quand il reconnut l’infirmité de la nature, il se réfugia auprès de l’Ouvrier qui l’a faite, et il s’empressa de délier par la prière les liens qui tenaient la nature enchaînée. En effet, dit le texte, Isaac pria le Seigneur pour sa femme Rébecca, parce qu’elle était stérile. (Id. 21) Avant tout, ce qui mérite d’être recherché, c’est pourquoi, lorsque cette femme avait une conduite admirable, lorsque son mari lui ressemblait, lorsqu’ils étaient tous deux si fortement attachés à la vertu, elle était stérile. Nous ne pouvons pas critiquer leur vie et dire que la stérilité était ici une punition des péchés. Et apprenez une chose étonnante, non seulement cette épouse du patriarche était stérile, mais la mère de cet homme juste, Sara l’était aussi ; et non seulement sa mère, mais sa belle-fille, la femme de je parle de Rachel. Que signifie donc cette compagnie de femmes stériles ? Tous ces personnages sont des justes ; tous, doués de vertu ; tous approuvés de Dieu ; car c’est d’eux qu’il disait : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. (Ex. 3,6) Et le bienheureux Paul dit : Dieu ne rougit point d’être appelé leur Dieu. (Héb. 11,16) Leur éloge se rencontre souvent dans le Nouveau Testament, souvent dans l’Ancien ; ils étaient à tous égards, fameux, illustres, et tous eurent des femmes stériles, et pendant longtemps ils n’ont pas eu d’enfant.
2. Donc, lorsque vous voyez un homme, une femme, deux êtres vivant dans la vertu, et à qui des enfants sont refusés ; quand vous voyez des personnes pieuses, attachées à la religion et n’ayant pas d’enfant, gardez-vous de croire que ce soit l’effet du péché. C’est qu’il y a, dans le gouvernement de Dieu, bien des raisons qui nous échappent, et, quoi qu’il arrive, il faut le bénir. Et nous ne devons considérer comme malheureux, que ceux qui vivent dans la corruption et non pas ceux qui n’ont point d’enfant. Bien souvent Dieu dispose les événements dans notre intérêt ; mais nous ne saisissons pas ces causes cachées. Voilà pourquoi nous devons toujours admirer sa sagesse, glorifier son ineffable bonté. Nous vous adressons ces paroles pour que vous en fassiez votre profit, pour que vous développiez en vous la sagesse, pour que vous n’alliez pas scruter curieusement les desseins de Dieu. Cependant, il faut vous dire pourquoi ces femmes étaient stériles. Quelle en est donc la cause ? Il fallait qu’en voyant une vierge enfanter notre commun Seigneur, vous ne fussiez pas incrédules. Exercez, semble dire la sainte Écriture, la subtilité de votre esprit, faites vos réflexions sur la stérilité, afin que, quand vous aurez appris que la nature retenue par des liens, que des flancs qui étaient morts, se sont prêtés par la grâce de Dieu, à l’enfantement de la vie édifiés par des preuves sans nombre, vous ne vous étonniez pas qu’une vierge ait enfanté. Je me trompe, étonnez-vous : Soyez frappés d’admiration, mais ne refusez pas votre croyance au miracle. Donc, si un juif vous dit : Comment a-t-elle pu enfanter, celle qui était vierge ? répondez-lui : Comment a-t-elle pu enfanter, celle qui était stérile et avancée en âge ? Il y avait deux empêchements alors, et l’âge qui ne s’y prêtait pas, et le défaut de la nature. La vierge au contraire ne nous montre qu’un empêchement, à savoir qu’elle ne connaissait pas l’œuvre du mariage. Donc, la femme stérile prépare la voie à la vierge. Et ce qui vous prouve que l’antique stérilité avait pour but d’assurer la foi à l’enfantement virginal, écoutez les paroles de Gabriel à la Vierge. En effet, il se présente et lui dit : Vous concevrez dans votre sein et vous enfanterez un fils à qui vous donnerez le nom de Jésus. (Lc. 1,31) Elle s’étonne, elle admire, elle lui répond : Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point d’homme? (Id. 34) Que lui dit l’ange alors ? Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. (Id. 35) Ne vous préoccupez pas, lui dit-il, des règles ordinaires de la nature, puisque ce qui arrive est supérieur à la nature. Ne pensez pas aux enfantements ordinaires, puisque la naissance qui s’apprête est supérieure à la génération par la voie du mariage. Et comment cela se fera-t-il, dit-elle, car je ne connais point d’homme? Cela se fera précisément parce que vous ne connaissez point d’homme ; car, si vous connaissiez un homme, vous n’auriez pas été jugée digne de servir à ce ministère. C’est pourquoi la raison qui vous fait douter, est précisément la raison de croire. Ce n’est pas que le mariage soit un mal, mais c’est que la virginité vaut mieux. Notre-Seigneur devait choisir, pour son avènement dans le monde, une entrée plus auguste que la nôtre ; il y fait une royale entrée. Il fallait que sa naissance ressemblât à la nôtre, et différât de la nôtre ; et ce double caractère s’est rencontré. Comment cela ? écoutez. Sortir des flancs maternels, voilà en quoi sa naissance ressemble à la nôtre ; et maintenant, naître sans que la naissance soit un effet du mariage, voilà ce qui est supérieur à la naissance humaine. La grossesse, voilà un fait naturel ; la grossesse sans l’œuvre du mariage, voilà ce qui est supérieur à la nature humaine. Et ces deux circonstances ont pour but de vous apprendre, et ce que cette naissance présente de distinction sublime, et ce qu’elle nous montre qui ressemble à notre nature. Et maintenant, considérez encore toute la sagesse qui a opéré ces merveilles ; ni l’excellence n’a empêché la ressemblance, la parenté avec nous ; ni cette parenté avec nous, cette ressemblance, n’a contrarié en rien l’excellence et l’infinie supériorité. Les œuvres qui se sont accomplies, ont réuni ces deux caractères : d’une part, ressemblance parfaite avec nous ; d’autre part, complète différence. Mais maintenant, que disais-je ? S’il y a eu des femmes stériles, c’était pour assurer la foi à l’enfantement virginal ; c’était pour que la vierge elle-même fût amenée à croire à la promesse. Écoutez, en effet, ce que lui dit l’ange de Dieu : Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. Voilà comment, dit-il, vous pourrez enfanter. Tout s’accomplira par le Saint-Esprit. Ne tenez donc pas vos regards abaissés sur la terre ; c’est du ciel que vient la vertu qui opère ; c’est la grâce de l’Esprit qui produit ce qui arrive. Ne vous préoccupez donc pas de la nature ordinaire ; ne considérez plus les simples lois du mariage. Mais, comme ces paroles dépassent sa portée, il y ajoute encore une autre démonstration.
3. Quant à vous maintenant, mon bien-aimé, voyez comment la femme stérile conduit, pour ainsi dire, comme parla main, la Vierge à la foi en son enfantement. Comme la première démonstration était trop forte pour l’esprit de la Vierge, voyez l’ange accommodant son discours à la portée de son intelligence, la conduisant, comme par la main, à l’aide de choses sensibles. Et sachez, dit-il, qu’Élisabeth, votre cousine, a conçu aussi, elle-même, un fils dans sa vieillesse, et que c’est maintenant le sixième mois, pour celle qui est appelée stérile. (Lc. 1,36) Voyez-vous qu’il n’est ici question de la femme stérile qu’à cause de la Vierge ? Car autrement, pourquoi lui aurait-il parlé de l’enfantement de sa cousine ? Pourquoi, de même, lui aurait-il dit ces mots, qui est appelée stérile? Il est évident que toutes ces paroles avaient pour but de l’amener à croire à l’annonciation. Voilà pourquoi il lui dit le temps qu’a déjà duré la grossesse, pourquoi il lui parle de la stérilité ; pourquoi il a attendu jusqu’à ce moment pour lui annoncer la conception. Car, il ne la lui a pas révélée tout de suite, dès le principe ; il a attendu six mois, afin que le gonflement du ventre montrât la conception. Et, voyez foule l’adresse de Gabriel. En effet) il ne lui rappelle ni Sara, ni Rébecca, ni Rachel. Par quelle raison et dans quelle intention ? Ces femmes aussi furent stériles jusque dans leur vieillesse, et un grand miracle s’est accompli en elles. Mais tous ces récits étaient de vieilles histoires, et L’ange lui parle d’un événement récent, pour mieux assurer sa foi.
Mais il nous faut revenir au sujet de notre discours, et montrer la vertu de l’homme juste, et vous apprendre comment ses prières ont fait cesser la stérilité de Rébecca, ont brisé les liens de la nature. Isaac, dit le texte, pria le Seigneur pour sa femme Rébecca, parce qu’elle était stérile, et le Seigneur l’exauça. N’allez pas croire, parce que le texte met tout de suite, l’effet après la cause, qu’il ait tout de suite obtenu ce qu’il désirait, avec tarit d’ardeur. Vingt ans de prière persévérante, vingt ans, et ce ne fut qu’alors qu’il obtint ce qu’il demandait. Et comment le savons-nous ? Qui nous le prouvera ? Le soin que nous prendrons de parcourir la suite de la divine Écriture. En effet, le temps ne nous a pas été caché ; l’Écriture nous l’a indiqué, à mois couverts sans doute, mais de manière pourtant à provoquer notre désir, à nous pousser, à nous exciter à faire cette recherche, comme il convient. Car, de même qu’elle nous a appris l’âge d’Isaac, quand il épousa Rébecca, de même, aussi, nous montre-t-elle ce que nous voulons savoir. Isaac avait quarante ans, quand il épousa Rébecca, fille de Bathuel le syrien. Vous savez exactement le temps. Ensuite l’Écriture dit : Isaac pria le Seigneur pour sa femme, parce qu’elle était stérile. Et, après ces mots, pour nous faire savoir le nombre des années que nous cherchons, elle nous marque l’âge d’Isaac, quand Rébecca lui donna ses fils. En effet, dit le texte : Isaac avait soixante ans, lorsque Rébecca le mit au monde. (Id. 26) Si donc, il avait quarante ans, quand il l’épousa, et soixante, quand elle lui donna ses enfants, il est manifeste qu’il persévéra pendant vingt ans à prier Dieu et qu’il rendit ainsi propre à l’enfantement celle qui était frappée de stérilité. Avez-vous bien compris la force de la prière ; comme elle triomphe de la nature ? Imitons-le tous ; et nous aussi, soyons assidus dans nos prières. Soyons sages, et soyons humbles. Écoutons l’avertissement de Paul, qui nous dit : Levons des mains pures, sans colère et sans contention. (1Tim. 2,8) Appliquons-nous toujours à nous affranchir des passions qui nous troublent, afin que notre âme soit dans la tranquillité, surtout pendant le temps de la prière, lorsque nous avons tant besoin de la bonté de Dieu. Car, s’il nous voit prier conformément aux lois qu’il nous impose, il se hâtera de nous accorder toutes les largesses de ses dons. Puissions-nous les obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’honneur, l’empire, maintenant et toujours ; et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTIÈME HOMÉLIE.

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« Rébecca conçut et les deux enfants s’entrechoquaient dans son sein. » (Gen 25,21-22)

ANALYSE.

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  • 1. Commentaires des versets 21-33 du chap. XXV. – 2. Da mépris des richesses.


1. Voulez-vous, encore aujourd’hui, mes bien-aimés, que nous vous servions les restes de la lecture d’hier ; car nous n’avons pas pu épuiser notre sujet. Nous vous avons montré les prières assidues d’Isaac, donnant à Rébecca la fécondité, réparant pour ainsi dire l’infirmité de la nature. Nous avons hier assez insisté sur l’enseignement qui ressort du texte ; nous vous avons montré pendant combien d’années ce bienheureux a continué de prier, de supplier le Seigneur. Nous avons fait une digression, à propos des femmes stériles, et, après vous avoir expliqué pourquoi les femmes de ces hommes justes furent frappées de stérilité, nous ne nous sommes pas engagé plus avant. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est apprendre quelle fut la piété de Rébecca, de telle sorte que nous ne fassions pas notre profit seulement de la vertu de l’homme juste, mais que l’histoire de Rébecca aussi, nous donne les moyens de provoquer un généreux zèle dans les âmes de ceux qui nous écoutent. En effet, quand le Seigneur eut exaucé la prière de l’homme juste, et quand Rébecca eût conçu, les deux enfants, dit le texte, s’entrechoquaient dans son sein, ce qui lui causait une grande douleur. En effet, selon le texte, elle dit : Si cela devait m’arriver, qu’était-il besoin que je conçusse ? Ce n’était pas un enfant seulement qui allait naître ; elle en portait deux à la fois dans son sein, et ces enfants ainsi resserrés lui causaient une grande douleur. Mais ici, considérez, je vous en prie, la piété de cette femme, elle ne fait pas comme tant de femmes dont la vie est relâchée ; elle ne cherche pas un secours auprès des hommes ; elle ne va pas interroger ceux qui font des conjectures, des raisonnements, et qui ont la prétention de juger ces choses par leurs lumières propres ; elle ne s’expose pas à être la dupe des charlatans, et de tous ceux qui osent promettre ce qui dépasse la nature humaine. Mais, Elle alla, dit le texte, consulter le Seigneur. Voyez la sagesse de cette femme. Comme elle vit que celui qui avait guéri sa stérilité, qui l’avait soudain rendue féconde, était le Maître et Seigneur de la nature ; comme elle vit que le poids qui chargeait ses entrailles, renfermait une grande et mystérieuse promesse, Elle s’en alla, dit le texte, consulter le Seigneur. Qu’est-ce à dire, Elle s’en alla consulter le Seigneur? Elle courut où est la vraie science ; elle s’empressa d’aller trouver le prêtre, ministre de Dieu ; elle était avide d’apprendre secrètement de lui la science dont elle avait besoin. Et, en lui racontant tout ce qui lui était arrivé, elle connut parfaitement tout ce qu’il lui fallait savoir ; la miséricorde de Dieu, par la bouche du prêtre, lui révéla tout, et ranima son courage. Et, pour que vous sachiez bien quelle était alors la dignité des prêtres, le texte ne dit nulle part que le prêtre lui ait répondu ; mais, après ces paroles : Elle alla consulter le Seigneur, l’Écriture ajoute : Et le Seigneur lui dit (Id. 23), évidemment par la bouche du prêtre Deux nations sont dans vos entrailles. Il faut que vous sachiez que, dans un autre passage, la divine Écriture appelle le prêtre, un ange, montrant par là que le prêtre dit ce que lui inspire la grâce de l’Esprit-Saint.
Donc le Seigneur lui dit, par la bouche du prêtre : Deux nations sont dans vos entrailles, et deux peuples, sortant de votre sein, se diviseront l’un contre l’autre ; l’un de ces peuples surmontera l’autre peuple, et l’aîné sera assujetti au plus jeune. (Id. 23) Voyez la prophétie qui lui prédit manifestement tout l’avenir. En effet, les enfants qui sautaient, qui s’agitaient dans son sein, de mouvements désordonnés, lui révélaient, dès ce moment, tout, d’une manière parfaitement claire ; et, dès ce moment, la mère apprit non seulement qu’elle mettrait au monde deux enfants, mais que de ces enfants sortiraient des peuples, que le plus jeune assujettirait l’aîné. Et lorsque ensuite vint l’enfantement, celui qui sortit le premier, dit le texte, était roux et tout velu comme une peau d’animal, et il fut nommé Esaü. Et ensuite sortit son frère, et il tenait, de sa main, le talon d’Esaü. C’est pourquoi il fut nommé Jacob. (Id. 25) Dès le commencement Dieu fait presque voir que le plus jeune, conformément à la parole, dominera l’aîné. En effet, le texte dit qu’il tenait par la main le talon d’Esaü, ce qui était la marque de la supériorité promise sur celui qui paraissait le plus fort. Et considérez comme la divine Écriture se hâte d’annoncer l’avenir, comme, dès le commencement, elle nous montre les goûts de chacun des deux frères : l’un adonné à la chasse ; l’autre, cultivant les champs, homme simple, se renfermant dans sa demeure. Aussi, Rébecca chérissait Jacob ; Isaac, de son côté, chérissait Esaü, Parce qu’il mangeait de ce qu’Esaü prenait à la chasse. (Id. 28) Voyez la distinction établie entre les enfants : la mère montrait plus d’amour pour Jacob, parce qu’elle le voyait simple, retiré à l’a maison ; le père, de son côté, chérissait Esaü, et parce que c’était le premier-né, et parce qu’il mangeait de sa chasse. Telles étaient les dispositions des parents, suivant l’impulsion de la nature. Cependant peu à peu s’accomplissait la prophétie, celle qui disait : L’aîné sera assujetti au plus jeune. Voyez en effet tout de suite. Jacob, dit le texte, ayant fait cuire de quoi manger, Esaü revint des champs bien fatigué, et il dit à Jacob : Donne-moi de ce mets roux, parce que je suis fatigué. C’est pour cette raison qu’il fut depuis nommé Edom, c’est-à-dire roux. Et Jacob lui dit : Cédez-moi votre droit d’aînesse. (Id. 29, 30, 31) Or, celui-ci répondit : Que me servira ce droit d’aînesse quand je me sens mourir, si je ne prends pas de nourriture. (Id. 32) Mais Jacob exigeait un serment pour qu’il n’y eût pas à revenir sur la cession. Et, dit le texte, Esaü lui fit le serment. (Id. 33)
2. Voici donc maintenant l’ordre naturel interverti, la dignité de l’aîné passe à celui qui l’emportait par la vertu Et, dit le texte, Esaü vendit son droit d’aînesse, c’est-à-dire que, pour de la nourriture, il vendit le privilège que la nature lui avait donné. Aussi le texte ajoute : Et Esaü se mit peu en peine de son droit d’aînesse. (Id. 34) Comme si l’Écriture disait : l’insensé ne méritait pas le rang qu’il devait à la nature. Or, tout cela n’arriva que pour montrer la démence de cet aîné des deux frères, et pour accomplir l’oracle de Dieu.
Instruits par cet exemple, sachons apprécier toujours les dons du Seigneur ; n’abandonnons pas, pour des objets sans valeur et méprisables, ce qui est grand et précieux. Pourquoi, voyons, répondez-moi, quand on nous propose le royaume du ciel et tant de biens ineffables, pourquoi ce désir insensé des richesses, pour, quoi préférer de fugitives jouissances, qui souvent ne durent pas jusqu’au soir, au bonheur durable, impérissable, éternel ? Quoi de plus détestable que ce délire, qui nous prive des biens d’en haut, à cause de notre trop d’amour pour ceux d’ici-bas, et qui ne nous laisse jamais la pure jouissance même de ces biens de la terre ? Quelle est enfin, je vous en prie, l’utilité des grandes richesses ? Ignorez-vous que l’accroissement de, la fortune n’est qu’au accroissement de soucis, d’inquiétude, qui chasse le sommeil ? Ne voyez-vous pas que ces riches sont surtout, à vrai dire, des esclaves ; d’autant plus esclaves que la fortune leur vient avec plus d’abondance ? Et, chaque jour, il leur suffit de leur ambre pour les faire trembler ; car c’est de là que naissent les trames perfides, l’envie, les haines, et tant d’autres malheurs sans nombre. Et souvent vous voyez celui qui possède dix mille talents d’or, enfouie et cachés, envier le bonheur de l’ouvrier qui doit sa nourriture au travail de ses mains. Quel est donc le plaisir, quel est donc le profit des richesses, puisque nous n’en jouissons pas, et que le désir insatiable de les posséder nous prive de biens plus précieux ? Et à quoi bon parler de biens plus précieux, s’il faut ajouter aux malheurs présents, à la perte des biens à venir, l’éternelle torture ? Et je ne parle pas encore des péchés sans nombre, que la richesse attire et rassemble, fourberies, calomnies, rapines, fraudes. Supposons un homme, affranchi de tous ces dangers, ce qui est très-rare et très-difficile au sein de l’opulence ; supposons qu’il jouisse de ses trésors, tout seul, sans rien communiquer aux indigents, le feu éternel attend ce riche, vérité que met en toute évidence la parabole de l’Évangile, plaçant les uns à droite, les autres à gauche, disant aux premiers que le royaume des cieux leur est préparé parce qu’ils ont eu soin de l’indigence. En effet, dit le texte : Venez, vous les bénis de mon Père, possédez en héritage le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde. Pourquoi ? Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger (Mt. 25,34-35) ; aux autres maintenant, c’est le feu éternel que la parole annonce : Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. (Id. 41) Lourde et terrible parole : le Seigneur, le Créateur du monde dit : J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger. (Id. 42) A ces paroles quelle âme résisterait, fut-elle de pierre ? ton Seigneur a faim, il cherche sa nourriture, et tues dans les délices ; et ce n’est pas tout ; toi, qui es dans les délices, tu le méprises, quoiqu-il ne te demande rien de précieux, rien qu’un morceau de pain, pour soulager la faim qui le tourmente. Il a froid, il marche pour se réchauffer, et toi, revêtu de tissus soyeux, tu ne le regardes même pas ; tu ne lui montres aucune compassion ; sans pitié, sans miséricorde tu poursuis ton chemin. Quelle pourrait être l’excuse de cette conduite ? Cessons donc de n’avoir que le désir unique de tout amasser, par tous les moyens ; proposons-nous plutôt de faire, de ce que nous possédons, un bon usage ; consolons l’indigence ; ne perdons pas les biens éternels, au-dessus de tout changement. Car, si le Seigneur nous a laissé ignorer notre dernier jour, c’est pour nous forcer à pratiquer sans cesse la vertu, à veiller toujours, à faire chaque jour plus d’efforts pour devenir meilleurs. En effet, dit l’Écriture : Veillez, parce que vous ne connaissez ni le jour ni l’heure. (Mt. 25,13) Or, nous faisons tout le contraire, et nous dormons d’un plus lourd sommeil que le sommeil de la nature. Car, le sommeil naturel n’opère ni bonnes ni mauvaises couvres ; mais nous dormons, nous, de l’autre sommeil ; endormis pour la vertu, éveillés pour les œuvres coupables, actifs pour le mal, paresseux pour le bien. Et nous menons cette conduite, quand nous voyons, chaque jour, un si grand nombre de vivants quitter la terre, quand nous voyons ceux qui restent exposés dans la vie présente, à tant de vicissitudes ; et cette si grande instabilité des choses humaines ne nous persuade pas la vertu, ne nous inspire pas le mépris du présent, l’amour de la vie à venir ; à ce qui n’est qu’un songe, qu’une ombre, nous ne préférons pas la vérité. En quoi les choses présentes diffèrent-elles des ombres et des songes ? Eh bien ! désormais, cessons de nous tromper nous-mêmes ; ne nous attachons plus à suivre des ombres. Il est bien tard, mais qu’importe ? appliquons-nous enfin à notre salut ; vidons nos trésors dans les mains des indigents, afin de mériter, par ce que nous aurons fait pour eux, la miséricorde du Seigneur. Puissions-nous tous en jouir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE-UNIÈME HOMÉLIE.

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« Cependant il arriva une famine en ce pays-là, comme il en était arrivé au temps d’Abraham. » (Gen. 26,1)

ANALYSE.

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  • 1. Commentaire des versets 1-3. Du 26e chapitre de l’imposition des noms propres. – 2. Commentaire des versets 4-11. Dieu, dans ses communications avec nous, a plus égard à notre infirmité qu’à sa dignité. – 3. Exhortation.


1. Nos dernières paroles serviront encore de point de départ à notre enseignement d’aujourd’hui. Mais pour que vous sachiez bien où s’est terminé notre dernier entretien, où doit commencer l’entretien de ce jour, il importe, mes bien-aimés, de vous rappeler ce qui a été dit précédemment. Peut-être avez-vous, dans le grand nombre de pensées qui viennent vous distraire, oublié ce que vous avez entendu. Mais mon devoir est de secourir votre mémoire, afin que le discours d’aujourd’hui soit plus clair pour tout le monde. Vous savez que dernièrement nous vous avons raconté la pieuse histoire de Rébecca ; de là nous sommes arrivés à Esaü et à et vous avez vu le droit d’aînesse, vendu à Jacob par Esaü, qui avait faim. A son désir de manger, il a sacrifié sa prérogative. Or, ces faits ne se sont pas accomplis au hasard, mais pour réaliser la prophétie qui disait : J’ai chéri j’ai détesté Esaü. (Malachie, 1,2, 3) Dieu à qui appartient la prescience, a prédit la vertu de l’un ; la perversité de l’autre. Mais maintenant, que signifie ce droit d’aînesse ? Le temps ne nous a pas permis dernièrement, mes bien-aimés, de tout vous dire à ce sujet, il est nécessaire de vous donner aujourd’hui une explication. Chez les anciens, c’était un très-grand honneur que le droit d’aînesse ; or, de cet honneur, voici la cause et l’origine. Quand Dieu voulut délivrer les Israélites de la domination des Égyptiens, et, selon la promesse faite au patriarche, les arracher à la tyrannie de Pharaon, le roi d’Égypte lutta contre Dieu, et voulut les retenir ; le Seigneur, après différentes plaies, infligea la dernière que vous connaissez ; il força presque les Égyptiens à chasser, de leurs propres mains, les Israélites. (Ex. XII) Il ordonna de mettre à mort, à la fois, tous les premiers-nés des Égyptiens. C’était alors, dans foules les maisons, des cris de douleur et des larmes. Et tes Égyptiens ne croyaient pas que le fléau s’arrêterait là, ils pensaient que la mort, après un tel début, continuant sa course, les frapperait tous. Or, tous les premiers-nés en Égypte ayant subi en même temps la mort, les Israélites, au contraire, par la grâce divine, étant restés sans atteinte, le Dieu de toutes les créatures voulut encore faire mieux paraître sa bienveillance envers son peuple, et il commanda que, désormais, à cause de l’extermination des premiers-nés de l’Égypte, les premiers-nés parmi les enfants du peuple juif lui fussent offerts. De là la distinction qui a destiné la tribu de Lévi au sacerdoce, et de là, l’usage d’offrir à Dieu les premiers-nés, non seulement parmi les hommes, mais encore parmi les animaux, et les prémices de toutes choses en général. Il était en outre ordonné de payer une somme d’argent, pour les hommes et pour les animaux immondes. Sans doute, cette législation, concernant les premiers-nés, est postérieure ; cependant, même dans les temps anciens, on voit un privilège attaché à ceux qui sortaient les premiers des flancs maternels. C’est donc cette prérogative naturelle qu’Esaü possédait, qu’il a, dans son intempérance, transportée à son frère. Et, tandis que l’un a perdu ce qu’il tenait de la nature, l’autre a gagné ce que la nature lui avait refusé et comme ces événements avaient été d’avance prédits par un oracle, Rébecca donna à son fils chéri le nom de ce que vous pouvez expliquer par action de supplanter. C’est ainsi qu’Esaü se lamentant, après la bénédiction soustraite à son père, disait : C’est avec raison qu’il a été appelé car voici la seconde fois qu’il m’a supplanté ; il m’a enlevé mon droit d’aînesse, et maintenant il m’enlève la bénédiction qui m’était due. (Gen. 27,36)
Voyez combien grande était la sagesse des anciens hommes, ou plutôt combien grande a été la sagesse de Dieu, qui a fait que les mères n’ont pas donné au hasard les premiers noms venus à leurs enfants, mais des noms qui prophétisaient l’avenir. Vous ne trouverez que rarement des fils portant le même nom que leur père ; peut-être n’en trouverez-vous nulle part, dans l’Écriture ; mais soit qu’une mère, soit qu’un père donnât un nom à son fils, c’était une appellation singulière, étrange qui, par avance, signifiait quelques événements à venir. C’est ainsi que Lamech appela son fils Noé, en disant : Celui-ci nous fera reposer. (Gen. 5,29) Et de même, si vous examinez les noms un à un, vous trouverez absolument dans tous un sens particulier. Ce n’est pas ce que nous voyons aujourd’hui, que les parents donnent sans réflexion, et par hasard, les noms qui se présentent. Autrefois, on se proposait d’attacher un souvenir durable aux noms de ses enfants. Mais laissons cela, et voyons maintenant, après cette mutation du droit d’aînesse, ce que le bienheureux Moïse nous raconte du père de cette famille. Nous avons déjà vu dans l’histoire du patriarche Abraham, et nous lisons de même, à propos d’Isaac, qu’une, grande famine étant survenue, il fut entouré de toute la sollicitude du Seigneur, qui le récompensait de sa propre vertu, et remplissait la promesse faite à son père. Cependant il arriva une famine en ce pays-là, comme il en était arrivé une au temps d’Abraham. C’est pour que vous ne confondiez pas la nouvelle famine avec l’ancienne, que le texte ajoute : Comme il en était arrivé une au temps d’Abraham ; manière de dire, une autre famine, semblable à l’ancienne, arriva, une seconde fois, en ce pays-là, au temps d’Isaac, comme il en était arrivé une au temps de son père. Le manque des aliments nécessaires les jetait tous dans une grande angoisse, et les forçait de quitter leur pays pour chercher à l’étranger les aliments dont ils avaient besoin. D’où il suit que, voyant cette famine, ce juste s’en alla, dit le texte, auprès d’Abimélech à Gérara ; c’était là qu’Abraham était allé, après son retour d’Égypte. Il est vraisemblable qu’Isaac s’y rendit parce qu’il voulait, de là, passer en Égypte. Et ce qui le prouve, c’est l’Écriture : Car le Seigneur lui avait apparu, dit le texte, et Dieu lui avait dit : N’allez point en Égypte. (Id. 2) Je ne veux pas, dit le texte, que vous fassiez ce long voyage ; mais je veux que vous restiez ici, je ne veux pas que vous soyez dans les angoisses, mais j’accomplirai les promesses faites, à votre père ; elles recevront en vous leur accomplissement. Les promesses qui lui ont été faites, c’est vous qui les réaliserez. Ne descendez pas en Égypte ; mais demeurez dans le pays que je vous montrerai ; passez-y quelque temps comme étranger.
2. Ensuite, de peur que le juste ne s’imagine que Dieu rie lui donne cet ordre que pour lui faire subir les angoisses de la famine et lui interdire le passage en Égypte, il lui dit : Ne soyez pas inquiet ; n’ayez aucun souci, restez où vous êtes : Car moi, je serai avec vous. Donc, puisque vous avez pour vous celui qui fournit tous les biens quelconques, n’ayez plus souci de rien ; car moi, le Seigneur de toutes les créatures, je serai avec vous. Et ce n’est pas tout, mais, Et je vous bénirai, c’est-à-dire, je vous glorifierai, je vous donnerai la bénédiction qui vient de moi. Quelle condition plus heureuse que celle de ce juste, qui reçut de Dieu une telle promesse : Je serai avec vous et je vous bénirai. Voilà qui montrera que vous êtes le plus heureux, le plus riche de tous les hommes ; voilà qui fera régner autour de vous l’abondance ; voilà pour vous la plus éclatante gloire ; voilà l’ineffable splendeur ; voilà la sécurité parfaite ; voilà le principe de tous les biens : Je suis avec vous et je vous bénis. Mais comment vous bénirai-je ? A vous et à votre race, je donnerai cette terre. On vous prend pour un étranger, pour un vagabond dans ces pays ; eh bien ! sachez qu’à vous et à votre race toute cette terre appartiendra. Et voici pour vous donner de la confiance, apprenez que : Le serment que j’ai fait à Abraham, votre père, je l’accomplirai avec vous. Voyez la condescendance de Dieu. Il ne dit pas simplement : Le pacte que j’ai fait avec votre père, ni les promesses que je lui ai faites ; mais que dit-il : Le serment que j’ai juré. J’ai confirmé ma parole, dit-il, par serment, et je suis tenu à réaliser, à accomplir le serment que j’ai fait.
Voyez la bonté de Dieu : il ne s’arrête pas, quand il nous parle, à sa propre dignité ; il accommode son langage à la faiblesse de notre nature. En effet, trop souvent les hommes se font un point de conscience de tenir non pas leurs simples promesses, mais les promesses qu’ils ont faites sous la garantie du serment. De même ici, Dieu, pour inspirer à l’homme juste une pleine confiance, lui annonce que ses paroles auront leur rigoureux accomplissement. Sachez bien, dit-il, que ce que j’ai juré se réalisera. Quoi donc, dira-t-on, Dieu a juré ! Et par qui a-t-il juré ? Vous voyez que son langage s’accommode à notre faiblesse ; ce qu’il appelle un serment, ce n’est que la confirmation de la promesse. J’accomplirai, dit-il, le serment que j’ai juré à Abraham, votre père. Il lui montre ensuite quelles ont été ces promesses, faites sous la garantie du serment : Je multiplierai vos enfants comme les étoiles du ciel. (Id. 4) C’est ce qu’il disait au patriarche dans le commencement : Vos enfants égaleront en nombre les étoiles et les grains de sable. Et je donnerai à votre postérité tous ces pays que vous voyez, et toutes les nations de la terre seront bénies dans celui qui sortira de vous. Et maintenant, voici pourquoi les promesses qui lui ont été faites se réaliseront en vous : C’est parce qu’Abraham, votre père, a entendu ma voix, qu’il a observé les commandements et les cérémonies et les lois que je lui ai donnés. (Id. 5) Voyez la sagesse de Dieu, comme il réveille la pensée du juste, anime son ardeur et le dispose à suivre l’exemple de son père, car si ce père, dit-il, parce qu’il a obéi à ma voix, a été jugé digne d’une si grande promesse ; si, en considération de sa vertu, je dois accomplir cette promesse en vous qui êtes sorti de lui, supposez qu’à votre tour, vous suiviez son exemple, que vous marchiez dans la même route que lui, considérez alors quelle sera ma bienveillance pour vous, de quels soins, de quelle sollicitude je vous entourerai. En effet, si la vertu d’autrui est une source de bonheur, l’homme personnellement vertueux est, bien plus encore l’objet de la Providence divine. Mais que signifient ces paroles, parce qu’il a obéi à ma voix et qu’il a observé mes commandements et mes cérémonies ? Je lui disais : Sortez de votre pays et de votre parenté, et venez en la terre que je vous montrerai. (Gen. 12,1) Et il a quitté ce qu’il tenait entre les mains ; et il a poursuivi ce qui était invisible, sans fluctuation d’esprit, sans hésitation ; plein d’un zèle ardent, il accomplissait mes ordres, et il obéissait à ma voix. Je lui ai, en outre, promis un don supérieur à la nature, et lorsque l’âge ne lui laissait plus d’espoir ; lorsque ni lui ni votre mère ne pouvaient plus attendre de postérité, quand ma parole lui annonça que sa race se multiplierait, au point de remplir toute la terre, il ne s’est pas troublé, il a eu foi, et sa foi lui a été imputée à justice. Par sa foi en ma puissance, par son espérance en mes promesses, il s’est montré supérieure la faiblesse humaine. Et depuis votre naissance, quand votre mère voyait avec chagrin Ismaël, le fils de la servante ; quand elle voulut le chasser avec Agar, pour qu’il n’eût rien de commun avec vous, ce patriarche, malgré sa naturelle affection, malgré l’amour paternel qu’il ressentait, n’écouta que l’ordre que je lui donnai ; de faire ce que voulait Sara ; il oublia sa tendresse naturelle ; il chassa Ismaël, avec la servante, et toujours il a obéi à ma voix, et il a gardé mes commandements. Enfin, quand je lui ai commandé de m’offrir en sacrifice cet enfant accordé à sa vieillesse, ce fils tant chéri, il n’a cherché aucun prétexte, il n’a montré aucune curiosité indiscrète ; sa pensée n’a pas été confondue ; il n’a révélé, ni à votre mère, ni à ses serviteurs, ni à vous-même l’action qu’il allait faire ; d’une âme forte, d’une volonté allègre, ardente, il s’est hâté d’accomplir mon commandement. Et moi, en conséquence, j’ai couronné sa volonté, sans permettre à l’œuvre de s’accomplir. Et voilà pourquoi, parce qu’en toutes choses il m’a montré la perfection de son obéissance, son zèle à garder mes commandements, vous qui êtes né de lui, vous êtes, je le veux, l’héritier de toutes les promesses qui lui ont été faites.
3. Imitez donc l’obéissance de ce juste ; ayez foi en mes paroles, pour mériter des récompenses beaucoup plus belles encore, qui vous seront décernées en considération de la vertu de votre père, et pour votre propre obéissance. Et ne descendez pas en Égypte, mais demeurez ici. Avez-vous bien compris la miséricorde de Dieu ; cette manière de rappeler la vertu du père, pour fortifier l’âme du fils ? Isaac demeura donc à Gérara. (Id. 6) Voyez, il lui arrive de courir à peu près les mêmes dangers que son père ; car, comme il habitait à Gérara : Les habitants de ce pays-là lui demandant qui était Rébecca son épouse, il leur répondit : C’est ma sœur (Id. 7), parce qu’il avait peur que les gens de ce pays ne le missent à mort, à cause de la beauté de son épouse. De crainte, dit le texte, que les hommes de ce pays ne le fissent mourir à cause de Rébecca, parce qu’elle était belle. Il se passa ensuite beaucoup de temps, et, comme il demeurait toujours dans le même lieu, il arriva qu’Abimélech vit Isaac qui se jouait avec Rébecca sa femme, et il l’appela et lui dit : Est-ce que c’est votre femme ? Pourquoi donc avez-vous dit que c’est votre sœur? (Id. 8, 9) Convaincu par des preuves, le juste ne dissimule plus la vérité ; il la confesse, et il explique pourquoi il l’appelait sa sœur. En effet, dit le texte, j’ai eu peur qu’on ne me fit mourir à cause d’elle. C’est la crainte de la mort qui m’a fait tenir cette conduite. Peut-être aussi avait-il appris que son père avait, pour sauver ses jours, recouru au même moyen ; et il fit ce qu’avait fait son père. Mais le roi, se souvenant encore de ce que lui avait valu, au temps du patriarche, l’enlèvement de Sara, s’amende aussitôt et lui dit : Pourquoi avez-vous fait cela ? peu s’en est fallu que quelqu’un de nous n’ait été reposer auprès de votre épouse, et vous nous auriez fait tomber dans l’ignorance. (Id. 10) Cette ruse, dit-il, nous l’avons jadis expérimentée de la part de votre père ; et aujourd’hui si nous ne nous étions arrêtés à temps, vous nous auriez fait tomber dans l’ignorance ; c’est-à-dire, autrefois nous avons été sur le point de pécher par ignorance, et aujourd’hui encore, vous avez presque été cause que nous allions commettre un péché d’ignorance. Or Abimélech fit cette défense à son peuple : Tout homme qui touchera cet homme-là, ou sa femme, sera puni de mort. (Id. 11) Voyez la providence de Dieu ; voyez le soin ineffable. Car celui qui avait dit : Ne descendez pas en Égypte, habitez dans cette terre, et je serai avec vous, c’était lui qui disposait tous ces événements ; qui assurait au juste, une si grande sécurité. Considérez, en effet, le soin que prend le roi, pour qu’il n’ait rien à craindre, pour qu’il soit affranchi de toute inquiétude. C’est de la mort qu’il menace, dit le texte, quiconque le touchera, lui ou son épouse. En effet, c’était cette crainte, la crainte de la mort, entendez bien, qui avait ébranlé son âme ; pour cette raison, le Seigneur miséricordieux l’en délivre, pour qu’il vive ensuite dans une parfaite sécurité. Et voyez quel sujet d’étonnement et d’admiration ! comment cette sagesse industrieuse tourne toutes choses à sa volonté, découvre en dehors de tout chemin frayé, la voie qui lui convient, et, dans les obstacles mêmes, dans les difficultés qui la contrarient, les circonstances de nature à procurer le salut de ses serviteurs. De là vient que ce roi montre tant d’intérêt pour l’homme juste. Il lui sert comme de héraut, devant tous ceux qui habitent le pays ; il annonce sa gloire, tous les honneurs, tout le culte dont il faut l’entourer. C’est ainsi que Nabuchodonosor, après avoir jeté les trois jeunes gens dans la fournaise, après avoir éprouvé par la réalité des faits la vertu de ses prisonniers, se met à célébrer leurs louanges, et sa langue devient partout l’instrument de leur gloire. C’est par là que se manifeste, au plus haut degré, la puissance de Dieu ; il fait que ses ennemis mêmes célèbrent ses serviteurs. Ce furieux qui avait ordonné d’embraser cette fournaise, voyant que la vertu des trois jeunes gens, grâce au secours d’en haut, triomphait des flammes, le voilà soudain converti, il crie d’une voix bruyante : Serviteurs du Dieu Très-Haut. (Daniel, 3,26) Voyez, il exalte non seulement leur élévation, mais aussi le Seigneur Dieu de l’univers : Serviteurs, dit le texte, du Dieu Très-Haut, sortez. Que s’est-il donc passé ? N’est-ce pas vous qui les avez livrés à la torture ; n’est-ce pas vous qui avez allumé cette fournaise si ardente ? Sans doute, dit-il ; mais ce que je vois maintenant est étrange, prodigieux. Voici que l’élément s’oublie ; des liens mystérieux l’enchaînent, et le feu obéissant, n’ose pas même toucher leurs cheveux. Ce qui montre qu’il y a ici quelque chose qui surpasse la nature humaine, l’œuvre ineffable d’une puissance divine qui s’intéresse au plus haut point à ces jeunes gens. Avez-vous bien compris cette miséricorde de Dieu, qui n’abandonne jamais ses serviteurs, tout en permettant qu’on les jette dans la fournaise, parce qu’elle veut ajouter à leur gloire, faire éclater sa puissance ? Et voilà pourquoi elle adoucit l’âme d’un barbare ; pourquoi elle montre tant de patience. Et en effet, où serait la merveille, si tout d’abord Dieu avait défendu qu’on les jetât dans la fournaise ? Ce qui est plus merveilleux, plus étrange, c’est qu’au sein même des flammes, ils n’ont rien souffert ; car Dieu n’a qu’à vouloir, même au milieu des périls et des tortures, il double les forces de ceux qui souffrent, et les persécutés sont plus forts que les persécuteurs. C’est ce qui est arrivé pour les apôtres. Ceux qui les tenaient en leurs mains, qui les traînaient captifs au milieu des peuples, qui grinçaient des dents, pour ainsi dire, en les menaçant, se disaient entre eux : Que ferons-nous de ces hommes ? (Act. 4,16) Ils les tenaient entre leurs mains et ils ne savaient qu’en faire. Voilà la puissance, voilà la force de la vertu, voilà la faiblesse de la malignité, la vertu souffre et triomphe ; la malignité réussit, et n’aboutit qu’à trahir sa naturelle impuissance.
Dans ces pensées, mes bien-aimés, attachons-nous à la vertu, et fuyons la perversité. C’est ainsi que nous acquerrons la grâce d’en haut, et que nous obtiendrons les biens à venir ; et puissions-nous tous les conquérir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours ; et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE-DEUXIÈME HOMÉLIE.

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« Isaac sema ensuite en ce pays-là, et il recueillit, l’année même, le centuple. » (Gen. 26,12)

ANALYSE.

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  • 1. Commentaire des versets 12-16. Jalousie des Géraréniens. – 2. Commentaire des versets 17-22. Rien n’est plus fort que l’homme que Dieu secourt. En quoi consiste la vraie mansuétude. Patience d’Isaac. – 3. Reconnaissance d’Isaac. Dis veut que nous lui rendions grâces. Explication, des versets 23-29. Pourquoi Dieu se dit le Dieu d’Abraham. – 4. Explication des versets 30-33. – 5. Exhortation morale.


1. Ce sont les restes d’hier qu’il convient de vous servir aujourd’hui, mes bien-aimés ; reprenons la suite de notre entretien, et voyons encore quelle glorieuse marque reçut le juste Isaac de la providence d’en haut. Car celui qui lui avait défendu de descendre en Égypte, en lui disant ces paroles : Demeurez dans le pays où vous êtes, et je serai avec vous, l’a rendu illustre au point d’exciter bientôt la jalousie du roi de Gérara. En effet, à voir tous les jours s’accroître ses richesses, on eut peur de ce qu’il prolongeait son séjour, et on le força à partir. Mais il convient d’en tendre les paroles mêmes de l’Écriture, afin de voir éclater en toutes choses la bienveillance de Dieu pour ses serviteurs. Isaac sema ensuite en ce pays-là, et il recueillit, l’année même, le centuple. Voyez ici, je vous en prie, la sagesse de Dieu, montrant au juste que c’est lui qui est le créateur de la nature ; que pour lui, le difficile est facile, et que celui qui, dès le commencement, parce qu’il l’a voulu, a rendu la terre fertile, est le même qui fait en ce moment que la semence produit le centuple ; il lui envoie des biens en si grande abondance, que le juste n’a besoin de rien, et en même temps il prouve aux autres par des faits sensibles, de quelle grande faveur l’homme juste est comblé par la grâce d’en haut. C’est en effet la conduite ordinaire du Tout Puissant, du Dieu plein de sagesse : les bienfaits qu’il répand sur les siens, lui servent à prouver, à ceux qui sont encore dans l’erreur, quelle est sa providence et son pouvoir. C’est ce qu’il fit plus tard, en Égypte encore : aux Égyptiens il infligeait des supplices ; pour les Israélites, il les conservait hors de toute atteinte. Ainsi l’Égypte apprenait, non seulement par l’indignation du Dieu qui la punissait, la puissance de l’artisan qui a fait toutes choses, mais aussi par la sollicitude, dont il donnait tant de marques aux Israélites. Et maintenant ceux-ci, pour apprendre combien ils étaient chers à Dieu, n’avaient pas seulement les preuves tant répétées de sa Providence, de sa sollicitude pour son peuple, mais aussi tant de fléaux qui, chaque jour, tombaient sur leurs tyrans. Et c’est ainsi que, par les mêmes moyens, Dieu révélait, et à ses serviteurs et à ses ennemis, la grandeur de sa puissance. Il n’est pas jusqu’aux éléments qui ne s’emploient pour servir ceux qui ne sont également que des serviteurs, lorsque Dieu a résolu de montrer à ces serviteurs, sa bienveillance ; et c’est ce qui arrive à ce juste. La terre montre une fécondité qu’elle n’a pas autre part ; pour obéir au Dieu de l’univers, elle de vient si fertile qu’elle fait tout à coup régner la richesse et l’abondance dans la maison d’Isaac. Et le Seigneur le bénit, dit le texte. Et l’homme s’élevait et grandissait en puissance, jusqu’à ce qu’il fût devenu tout à fait grand. (Id. 12, 13) C’est parce que la richesse des justes consistait alors dans la fertilité de la terre, dans la multitude des troupeaux, c’est pour cela que le texte dit Et le Seigneur le bénit, et l’homme s’élevait, c’est-à-dire devenait riche ; non pas d’une richesse ordinaire, mais, dit le texte, il grandissait en puissance, jusqu’à ce qu’il fut devenu tout à fait grand. Considérez, en effet, ce que c’était que de recueillir, pour ses semences, le centuple. Que si cela vous paraît étonnant, considérez ce due la clémence infinie de Dieu nous a fait voir, avec le progrès des temps. Aux hommes qui pratiquent la vertu, ce qu’il promet, depuis son avènement parmi nous, ce n’est plus le centuple seulement, c’est la vie éternelle, c’est la possession du royaume des cieux. Comprenez-vous la libéralité du Seigneur ? Comprenez-vous l’accroissement des bienfaits ? Comprenez-vous quelles largesses accompagnent l’avènement du Fils unique de Dieu, quelle ineffable révolution il a opérée ? Donc, que chacun de nous, méditant ces pensées en lui-même, et comprenant la différence entre les promesses faites aux anciens hommes avant la grâce, et celles qui nous sont faites aujourd’hui, depuis la grâce, glorifie encore à ce titre l’immensité de la miséricorde divine, et se garde bien de tout attribuer à la diversité des temps. Mais il convient de reprendre la suite de notre discours, pour voir comment les habitants de Gérara, jaloux des richesses qui abondaient chez l’homme juste, s’efforcèrent de le chasser de leur pays. En effet, dit le texte, ces richesses excitèrent l’envie des Philistins. (Id. 14) La divine Écriture, voulant ensuite montrer comment ils manifestèrent leur envie, ajoute : Tous les puits que les serviteurs d’Abraham avaient creusés de son vivant, ils les bouchèrent et les remplirent de terre. (Id. 15)
Considérez la méchanceté des gens qui habitaient ce pays ; les voilà, qui refusent de l’eau à l’homme juste ; et le roi, qui avait un si grand pouvoir, ne put pas réprimer cette jalousie, mais il dit : Retirez-vous d’avec nous, parce que vous êtes devenu beaucoup plus puissant que nous. (Id. 16) Quel délire ! Pourquoi chasses-tu le juste ? T’a-t-il fait aucun mal ? T’a-t-il fait quelque tort ? Mais voilà ce qu’est l’envie ; toujours déraisonnable. II aurait fallu, puisqu’on voyait ce juste en si grande faveur auprès du Dieu de l’univers, s’attacher de plus en plus à lui ; l’honorer, afin que par les honneurs qu’on lui aurait rendus, on s’attirât à soi-même la divine faveur. Ce roi, non seulement ne l’entend pas ainsi, mais il essaye de le chasser, et il lui dit : Retirez-vous d’avec nous, parce que vous êtes devenu beaucoup plus puissant que nous. C’est la conduite ordinaire de l’envie ; elle ne peut voir avec complaisance le bonheur des autres ; le bonheur du prochain parait à l’envieux un malheur personnel, et il se dessèche quand il voit l’abondance d’autrui : c’est ce qui arrive en cette occasion. En effet, ce roi qui commandait à out un peuple, qui avait tout sous sa main, dit à ce voyageur, à cet homme errant, qui passe d’un pays dans un autre : Retirez-vous d’avec nous, parce que vous êtes devenu beaucoup plus puissant que nous. Eh bien ! oui, il était vraiment plus puissant, parce qu’il avait, en toutes choses, pour lui, le secours d’en haut, et la droite de Dieu était son appui. Où donc envoies-tu ce juste que tu chasses ? Ignores-tu donc que partout où tu le contraindras d’aller, il sera toujours dans les domaines qui appartiennent à son Seigneur ? L’expérience ne t’a donc pas appris que c’est la main de Dieu qui glorifie ce juste, et le conserve ? Pourquoi donc, en chassant ce juste, montres-tu ton délire envers son Seigneur ? Ainsi la parfaite douceur de ce patriarche n’a pas triomphé de ta haine jalouse, et toi, vaincu par ton mal, tu veux accomplir l’œuvre de l’envie, et tu forces à une nouvelle émigration celui qui ne t’a fait nulle offense ! Ignores-tu donc qu’alors même que tu l’auras poussé dans la plus profonde des solitudes, il verra encore près de lui son Seigneur, assez habile pour le revêtir, même au sein du désert, d’une gloire plus éclatante encore ? Non, rien n’est plus solide que celui qui marche avec l’aide d’en haut ; de même que rien n’est plus infirme, que l’homme privé d’un tel secours.
2. Avez-vous bien vu, mon bien-aimé, la méchanceté du roi de Gérara et de tous les habitants de ce pays ? Voyez maintenant l’extrême douceur du juste ; il ne s’abandonne pas à l’orgueil, même quand les effets lui prouvent que Dieu l’assiste ; quoique fort du pouvoir d’un tel compagnon d’armes, il ne se révolte pas contre le roi.. Comme un homme qui n’a aucun appui, qui n’attend, de quelque part que ce soit, aucun secours, avec une parfaite douceur, sans résister, même d’un mot, il fait ce que le roi lui commande, et aussitôt il se retire de ce pays, il s’éloigne, il apaise la colère et l’envie du méchant ; en même temps qu’il montre cette rare douceur qui le distingue, il adoucit les sentiments haineux qui troublent le cœur de l’autre. Et Isaac se retira, et vint habiter près du torrent de Gérara. (Id. 17) Il fit ce que le Christ recommandait à ses disciples : Quand ils vous poursuivront, fuyez dans un autre lieu. (Mt. 10, 23) Et comme David apaisait la haine de Saül en se retirant, en se dérobant à ses yeux, et tempérait ainsi sa colère (1Sam. 19) ; de même ce juste accomplissait la parole de l’Apôtre : Laissez de l’espace à la colère. (Rom. 12, 19) Donc il quitta la ville, et s’en alla dans la vallée. Voyez d’ailleurs quelle douceur encore il montra dans ce nouveau séjour. Car ce ne fut pas là le terme de ses ennuis ; même dans cette autre résidence, comme il voulait creuser des puits, on lui suscita des querelles. En effet, dit le texte : Il fit creuser de nouveau d’autres puits que les serviteurs d’Abraham, son père, avaient creusés, et que les Philistins avaient bouchés, et il leur donna les mêmes noms que son père leur avait donnés auparavant. Ils fouillèrent aussi au fond du torrent, et ils y trouvèrent de l’eau vive, c’est-à-dire de l’eau qui coulait dessous ; mais les pasteurs de Gérara firent encore là une querelle, en disant que l’eau leur appartenait.
Ici encore, le juste ne discute pas, ne résiste pas ; il cède aux bergers ; c’est que la vraie douceur ne consiste pas à supporter les offenses des plus forts, mais à céder, même quand on est offensé par ceux qui paraissent plus faibles. Alors en effet, la modération peut être attribuée uniquement à la douceur ; autrement on pourrait traiter de douceur feinte l’impuissance où l’on se trouve de résister aux plus forts. Ce qui prouve clairement qu’Isaac, cédant au roi, n’a pas reculé devant sa puissance, mais n’a fait qu’écouter sa douceur naturelle ; c’est qu’il tient la même conduite à l’égard des bergers. Et, de même qu’il s’est retiré quand l’autre lui disait : Retirez-vous d’avec nous ; de même qu’il obéissait aussitôt comme à un ordre, de même ici, quand les bergers veulent lui faire du mal, et revendiquent, pour eux, le puits, il s’éloigne. Il fallait conserver à jamais, dans la postérité, le souvenir de cette injustice ; il donne au puits un nom pris de ce qui était arrivé. En effet, l’injustice était criante, et il appela ce puits Injustice, à cause de ce qui était arrivé. C’était comme une colonne d’airain qui devait être, pour la postérité, un monument de la douceur de l’homme juste, et de l’iniquité des autres. Le nom était composé de telle sorte que quiconque demanderait pourquoi le lieu s’appelait ainsi, apprendrait et la vertu du patriarche, et la méchanceté de ses ennemis. Remarquez, je vous en prie, comment, ici encore, les contrariétés agrandissent la vertu de l’homme juste, qui montre en toutes choses sa douceur ; et comment ces méchants, quoi qu’ils prétendent, ne s’agitent que pour faire mieux éclater la gloire de l’homme juste. Il ne leur suffit pas de ce qu’ils avaient fait ; un autre puits est creusé ; nouvelle querelle, nouvelles poursuites. Étant parti de là, dit le texte, il creusa un autre puits ; ils le querellèrent encore au sujet de cet autre puits, et il le nomma Inimitié. (Id. 21) Remarquez encore ici la prudence de l’homme juste ; ils ne supprimèrent pas tout à fait ce puits, à ce qu’il semble, mais ils suscitèrent une querelle ; l’injustice parut manifeste, et ces méchants se retirèrent. Voilà pourquoi le patriarche appela ce puits Inimitié ; c’est qu’il avait été une occasion d’inimitié. C’était d’ailleurs, presque chaque jour, les mêmes attaques de la part des habitants du pays. Le juste ne s’indigna pas, né montra aucune faiblesse. Il ne réfléchit pas en lui-même, il ne dit pas : Il ne m’est plus même donné d’avoir des puits ? Ne suis-je pas privé du secours d’en haut ? Le Seigneur ne m’a-t-il pas tout à fait oublié ? Il ne dit ni ne pensa rien de pareil, mais il souffrit tout, avec une douceur parfaite ; et, par là, il mérita d’obtenir, de Dieu, un plus puissant secours. Tous ces événements étaient pour ainsi dire un exercice destiné à fortifier la vertu de l’homme juste. En effet, dit le texte : Étant parti de là, il creusa un autre puits, pour lequel ils ne disputèrent point : c’est pourquoi il lui donna le nom de Largeur, en disant : Le Seigneur nous a mis maintenant au large, et nous a fait croître en biens sur la terre. (Id. 22)
3. Voyez la sagesse de l’homme juste ; quand on voulut détruire ces premiers puits, il souffrit sans se plaindre, sans résister ; mais les noms seuls qu’il donna aux puits, suffirent pour y attacher le souvenir ineffaçable de la méchanceté de ces gens-là. Ici, au contraire, on ne lui suscita aucun embarras ; il lui fut permis de jouir, en toute liberté, du fruit de ses fatigues ; le juste attribue tout à Dieu. En effet, dit le texte : Il lui donna le nom de Largeur ; et ensuite, pour expliquer ce nom, il dit : Voici pourquoi je l’appelle Largeur. Le Seigneur nous amis maintenant au large, et nous a fait croître en biens sur la terre. Avez-vous compris cette piété qui oublie tant de difficultés, tant d’obstacles ; qui ne se souvient que des bienfaits, afin d’en rendre grâces à Dieu, et qui dit : Le Seigneur nous a mis maintenant au large, et nous a fait croître en biens sur la terre? Rien n’est aussi agréable à Dieu que la reconnaissance, qui lui rend des actions de grâces ; il nous comble chaque jour de bienfaits sans nombre, que nous le voulions ou que nous ne le voulions pas ; soit que nous le sachions, soit à notre insu ; et cependant il n’exige de nous, pour les biens qu’il nous accorde, que des actions de grâces ; et ces actions de grâces, pour qu’il lui soit permis de grossir nos récompenses. Pénétrez-vous de cette pensée. Voyez comment la reconnaissance de ce juste lui a de nouveau mérité la visite d’en haut. Car, comme il avait montré de nobles marques de sa vertu, et auprès des habitants de Gérara, et quand le roi le chassait, et quand les bergers détruisaient ses puits, le Seigneur plein de bonté, veut fortifier encore ce vertueux zèle ; déjà il chérissait le patriarche à cause de son insigne douceur. Après qu’il fut parti de là pour se rendre au puits du Serment, le Seigneur lui ; apparut dans la nuit, et lui dit : Je suis le Dieu d’Abraham votre père, ne craignez point parce que je suis avec vous, et je vous bénirai, et je multiplierai votre race à cause d’Abraham votre père. (Id. 23, 24). Le Seigneur, dit le texte, lui apparut dans la nuit. Voyez le soin que prend Dieu de le ranimer, de raviver sa confiance. Il lui apparaît, et lui dit : Je suis le Dieu d’Abraham votre père ; j’ai glorifié votre père, et je l’ai rendu fameux ; c’était un pèlerin, un voyageur, que j’ai rendu plus illustre que tous les habitants du pays. C’est moi qui ail fait sa grandeur, et en toutes choses j’ai pris ; soin de lui ; c’est moi donc, Ne craignez point. Que signifie ce  Ne craignez point ? Ne vous étonnez pas d’avoir été chassé par Abimélech, insulté par les bergers ; votre père a enduré un grand nombre de pareilles épreuves, et sa gloire s’en est accrue ; donc que cela ne vous épouvante point, Parce que je suis avec vous. Si je permets ces choses, c’est que je veux manifester votre vertu, faire éclater en même temps leur perversité, afin de vous donner pour toutes ces raisons la couronne ; Parce que je suis avec vous. Et par conséquent vous serez invincible, plus fort que vos persécuteurs, plus puissant que ceux qui vous attaquent, et je prendrai de vous un tel soin, que vous serez pour eux un objet d’envie, Parce que je suis avec vous, et je vous bénirai, et je multiplierai votre race à cause d’Abraham votre père.
Considérez la bonté de Dieu ; il dit : Je suis le Dieu d’Abraham votre père, il montre comment il s’est attaché le patriarche, au point qu’il ne dédaigne pas de s’appeler le Dieu d’Abraham, au point que lui, le Seigneur et Créateur de l’univers, s’appelle le Dieu d’un seul homme, non qu’il veuille réduire à ce seul patriarche tout son empire, mais parce qu’il veut témoigner son affection singulière pour lui ; je me le suis attaché, dit-il, j’en ai fait ma propriété, à ce point qu’à lui seul, il semble compenser tous les autres ; par cette raison, je multiplierai votre race à cause d’Abraham votre père. Je lui dois, dit-il, de grandes récompenses pour son obéissance envers moi ; donc, à cause de lui, Je multiplierai votre race. En même temps, il remplit le juste de confiance, et, en prononçant le nom de son père, il provoque en lui le vif désir de reproduire la vertu paternelle. Or, après avoir reçu les promesses de tant de biens, il éleva un autel en ce lieu, dit le texte, et il invoqua le nom du Seigneur, et il y dressa sa tente. (Id. 25) Qu’est-ce à dire : Il éleva un autel en ce lieu-là? Il rendit, dit le texte, des actions de grâces au Seigneur qui avait montré tant de sollicitude pour lui, Et les serviteurs d’Isaac creusèrent là un puits ; le juste enfin vécut là en toute sécurité ; car Celui qui avait dit : Je suis avec vous, et je vous bénirai, et je multiplierai votre race, Celui-là même le, glorifia, et le rendit plus grand aux yeux de, tous. Eh bien ! voyez donc cet Abimélech, qui entreprit de le chasser, et qui lui dit : Retirez-vous d’avec nous ; maintenant, c’est lui qui va trouver le patriarche. En effet, dit le texte : Abimélech, et le chef du gynécée, et le général de son armée vinrent, et Isaac leur dit : Pourquoi êtes-vous venus vers moi, vous qui m’avez haï et m’avez chassé loin de vous ?  (Id. 26, 27) Voyez, je vous en prie, la douceur du juste ; à l’aspect de ceux qui l’avaient forcé à fuir, qui l’avaient poursuivi avec tant de haine, et qui viennent maintenant auprès de lui, comme des suppliants, il ne les reçoit pas avec orgueil ; la vanité n’égare pas son âme, la pensée des choses que Dieu lui a dites, ne l’enivre pas-; on ne le voit pas superbe de la force du Seigneur, s’élever contre le roi ; c’est toujours la même mansuétude, la même affabilité ; il leur dit : Pourquoi êtes-vous venus vers moi, vous qui m’avez haï, et m’avez chassé loin de vous? Pourquoi, leur dit-il, avez-vous pensé à venir me trouver, moi que vous avez chassé, moi que vous avez haï ? Ils lui répondirent : Nous avons vu que le Seigneur est avec vous et nous avons dit : faisons entre nous et vous une alliance qui sera jurée de part et d’autre, afin que vous ne nous fassiez aucun tort, comme nous n’avons rien fait pour vous offenser, et comme nous vous avons bien traité, vous ayant laissé aller en paix, comble de la bénédiction du Seigneur. (Id. 28, 29).
4. Voyez la force de la douceur, la puissance de la vertu. Ceux qui d’abord l’avaient chassé viennent maintenant trouver ce voyageur, cet homme qui n’appartient à aucune ville, ce vagabond, et non seulement ils se justifient de ce qui est arrivé, ils lui demandent de leur pardonner leurs torts, mais ils proclament la vertu de l’homme juste ils montrent la peur qu’ils éprouvent, ils avouent leur faiblesse, ils portent un témoignage de la grande puissance de l’homme juste. En effet, quoi de plus fort que celui qui a Dieu avec lui ? Nous avons vu, dit le texte, que le Seigneur est avec vous. D’où vous est venu cette science ? assurément, répondent-ils, les faits mêmes nous instruisent ; nous vous avons vu, vous, chassé plus fort que ceux qui vous chassaient ; vous, tourmenté ; supérieur à ceux qui vous tourmentaient ; et la suite des événements nous a fait comprendre que vous jouissiez du secours d’en haut. C’est l’œuvre de la divine sagesse, que leur pensée ait été frappée des mérites du juste, et qu’ils aient acquis cette connaissance. Car, puisque le Seigneur est avec vous, faisons entre nous et vous, une alliance, qui sera jurée. Voyez comme l’impulsion de la conscience les réduit vite à s’accuser eux-mêmes, sans que personne les y contraigne, ni leur reproche ce qu’ils ont fait. Car, si vous n’aviez pas commis une injustice, pourquoi demanderiez-vous au juste de faire avec vous une alliance ? Mais telle est la conduite ordinaire de l’homme injuste ; chaque jour sa conscience le ronge, et dans le silence de l’offensé, ceux qui ont commis l’injustice, croient qu’il lui est dû une réparation par le châtiment. Ce sont des angoisses de chaque jour, et les méchants semblent se condamner eux-mêmes à la punition de leurs fautes. C’est dans cette pensée qu’ils disent : Faisons, entre nous et vous, une alliance, qui sera jurée. Ils expliquent ensuite quelle sera cette alliance : Afin que vous ne nous fassiez aucun tort, comme nous n’avons rien fait pour vous offenser. Voyez la contradiction où les jette la crainte qui trouble leur esprit : Afin que vous ne nous fassiez aucun tort. D’où vous vient cette crainte, que vous inspire le juste, quand vous le voyez montrer tant de douceur envers ceux qui l’attaquaient ? C’est qu’il y a un juge incorruptible} la conscience, qui les a réveillés, lui leur a montré toute leur perversité envers l’homme juste. Voilà pourquoi ils ont peur ; et la peur ne leur laisse pas voir qu’ils se contredisent : Afin que vous ne nous fassiez aucun tort, dit le texte, comme nous n’avons rien fait pour vous offenser. Pourquoi donc m’avez-vous chassé ? mais le juste ne leur demande aucune explication, et il ne redresse aucune de leurs paroles. Et comme, dit le texte, nous vous avons bien traité, vous ayant laissé aller en paix, comblé de la bénédiction du Seigneur. Vous voyez qu’ils redoutaient la vengeance d’en haut ; ils savaient bien que, si l’homme juste, plein de douceur, ne se vengeait pas du mal qu’ils lui avaient fait, Celui qui le protégeait, d’une manière si manifeste, demanderait des comptes à ses persécuteurs. Par ces raisons, ils apaisent l’homme juste ; ils tiennent à faire un pacte avec lui, et en même temps qu’ils se justifient du passé, ils cherchent à se mettre en sûreté pour l’avenir. Isaac leur fit donc un festin, dit le texte, et ils mangèrent, et ils burent ensemble, et ils se levèrent le matin et l’alliance fut jurée départ et d’autre, et Isaac les congédia et les laissa s’en retourner. (Id. 30, 31) Voyez la bonté de l’homme juste : aucun désir de vengeance ne se montre dans ses paroles ; et, non seulement il oublie ce qu’ils lui ont fait, mais il leur offre une généreuse hospitalité. Isaac leur fit donc un festin, et ils mangèrent, et ils burent ensemble. Ce festin prouve assez qu’il oublie le mal qu’ils lui ont fait ; et Isaac les congédia, dit le texte, et les laissa s’en retourner. La divine Écriture nous montre par là, qu’ils étaient venus saisis d’une grande frayeur, remplis d’inquiétudes, et que c’était, pour ainsi dire, afin de, garantir leur propre conservation, qu’ils avaient eu hâte de venir, de s’excuser auprès de l’homme juste. Voyez-vous comme il est vrai de dire, que rien n’est plus fort que la vertu ; qu’il n’y a pas de pouvoir supérieur à celui que soutient la force d’en haut ? Ensuite le texte ajoute : Le même jour, les serviteurs d’Isaac s’en allèrent, creusèrent un puits, et dirent : Nous n’avons pas trouvé d’eau, et il appela ce puits le Serment ; et il appela l’endroit, le puits du Serment, et le nom s’est conservé jusqu’à ce jour. (Ibid, 32, 33) Vous voyez, ici encore, un lieu qui prend son nom des événements qui s’y sont passés : Comme on creusa un puits sans y trouver de l’eau, le jour que l’on 6t le serment, on appela le lieu le puits du Serment, afin de conserver le souvenir du fait qui s’y était passé. Voyez-vous comment ce juste, qui né reçut pas l’éducation de la loi, qui n’a pu se proposer pour modèle aucun homme vertueux, mais qui a suivi les traces de son père, qui n’a écouté que la conscience, ce maître naturel que nous portons en nous, a montré la perfection de la sagesse ? Toutes ces actions n’indiquaient pas seulement la douceur de cette âme juste ; il y a plus, sa conduite réalisait les préceptes du Christ. Vous savez les préceptes, les conseils que le Christ adressait à ses disciples, il leur disait de ne pas aimer seulement ceux qui les aiment, mais de prouver leur affection à leurs ennemis. (Mt. 5,44) Et c’est ce que pratiquait ce juste, un si grand nombre d’années auparavant ; et il exerçait généreusement l’hospitalité envers ses persécuteurs acharnés, et il bannissait de son âme tout désir de vengeance.
Quelle sera donc notre excuse, à nous qui, après la grâce, après tant d’enseignements, instruits par les préceptes du Sauveur, ne pouvons pas atteindre à la mesure de ce juste, et que dis-je, à sa mesure ? Nous ne pouvons même pas approcher de lui ; la malice aujourd’hui déborde partout, à tel point que c’est pour nous chose rare, même d’aimer ceux qui nous aiment. Quelle espérance de salut pouvons-nous donc avoir, si nous ne valons pas des publicains, ainsi que l’a dit le Christ : Si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous ? Les publicains ne le font-ils pas aussi? (Mt. 5,46) Le Christ veut, puisqu’il veut nous voir au faîte de la vertu, que nous soyons supérieurs aux publicains, mais nous, nous nous appliquons à rester au-dessous. Et que dis-je, au-dessous des publicains ? au-dessous des brigands et de ceux qui pillent les sépulcres ; au-dessous des meurtriers. En effet, tous ceux-là chérissent ceux dont ils sont aimés, et souvent même pour ceux qu’ils chérissent, ils bravent tous les périls. Quelle condition serait donc plus misérable que la nôtre, si après avoir, éprouvé de si grands effets de la miséricorde du Seigneur, nous étions trouvés inférieurs à ceux qui commettent des crimes sans nombre ? Donc, je vous en conjure, méditons la rigueur du supplice, le lourd fardeau de la confusion qui nous attend ailleurs. Considérons au moins, quoiqu’il soit bien tard, la noblesse de notre nature, et obéissons à la doctrine du Christ. Ne nous contentons pas d’aimer seulement avec sincérité ceux qui nous aiment ; bannissons de notre âme toute haine, toute envie ; et, s’il en est qui nous haïssent, appliquons-nous à les aimer ; impossible autrement de conquérir notre salut ; il n’y a que cette voie. Appliquons-nous à chérir, plus même que ceux qui nous chérissent ; aimons surtout ces ennemis qui sont pour nous les causes de biens sans nombre, car c’est par là que nous obtiendrons la rémission de nos péchés ; c’est par là qu’il nous sera donné de prier Dieu dans la sincérité de l’humilité et de la contrition. Car, une fois que l’âme est affranchie de toute haine, elle est tranquille, elle est robuste ; et, invoquant le Seigneur, avec une entière pureté, elle s’attire la plénitude de la grâce d’en haut. Puissions-nous tous l’obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE-TROISIÈME HOMÉLIE.

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« Or, Esaü, ayant quarante ans, épouse Judith, fille de Béel ; du pays de Chet, et Basemath, fille d’Elom, du pays d’Eva, et elles querellaient Isaac et Rébecca. » (Gen. 26,34-35)

ANALYSE.

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  • 1. Explication des versets 34 et 35 du chapitre XXVI, et des versets 1-10 du chapitre suivant. – 2. Explication des versets 11-19. En attirant sur la tête de Jacob la bénédiction d’Isaac, Rébecca obéit à l’oracle de Dieu en même temps qu’à son amour pour Jacob. Dieu veut que nous coopérions à ses œuvres. Il ne coopère point au mensonge. – 3. Explication des versets 20-30. – 4. Explication des versets 30-40. Colère d’Esaü, en apprenant que son frère a reçu la bénédiction paternelle. – 5. De la colère.


1. Eh bien, aujourd’hui encore, s’il vous est agréable, reprenons la suite de l’entretien d’hier, et, dans la mesure de nos forces, cherchons ce que renferme chacune des paroles de l’Écriture, afin d’en recueillir le fruit que nous remporterons en nous retirant. Voyons donc les premiers mots du texte : Or Esaü, ayant quarante ans, épousa Judith, fille de Béel, du pays de Chet, et Basemath, fille d’Elom, du pays d’Eva, et elles querellaient Isaac et Rébecca. Voyez tout l’enseignement que renferment ces quelques paroles : pourquoi l’Écriture nous marque-t-elle le nombre des années d’Esaü ? Ce n’est pas sans dessein ; c’est pour nous apprendre qu’Isaac était vieux, et déjà fort avancé en âge ; car, si nous nous rappelons l’âge d’Isaac, quand il épousa Rébecca, il avait alors quarante ans ; son âge, quand ses fils lui naquirent, il avait alors soixante ans ; nous en conclurons qu’il est actuellement centenaire, c’est-à-dire, dans la vieillesse la plus avancée. En effet, l’Écriture va nous dire que la vieillesse l’avait rendu aveugle. Voilà pourquoi le texte nous donne le nombre des années d’Esaü, ce qui nous permet de déterminer avec certitude l’âge d’Isaac. Voilà pourquoi le texte dit : Or, Esaü ayant quarante ans. Ensuite l’Écriture tient à nous faire connaître l’esprit inconsidéré de ce fils, prenant des épouses chez des peuples qu’il ne devait pas, fréquenter ; donc, l’une était de la race des Chettéens, et l’autre de la race des Evéens. Ce n’est pourtant pas ainsi qu’aurait dû se conduire celui qui savait quel soin le patriarche avait montré quand il prescrivait à son serviteur d’aller lui chercher une femme de sa parenté, pour être l’épouse de son fils Isaac. La mère des deux enfants d’Isaac, Rébecca était venue du pays de Charran ; Esaü n’agit pas de même, il fait voir tout de suite le dérèglement de ses mœurs ; sans consulter ses parents, il épouse ces deux femmes. Et pour nous apprendre combien leurs mœurs laissaient à désirer, l’Écriture nous dit : Et elles querellaient Isaac et Rébecca. Et qu’y a-t-il de plus détestable que cette malignité ? celles qui auraient dû montrer tant d’égards, non seulement n’en faisaient rien, mais elles étaient promptes à la dispute. Ce n’est pas sans dessein que l’Écriture nous donne tous ces détails ; comprenez bien, c’est afin que, dans la suite, quand vous verrez la préférence de Rébecca pour vous n’en soyez pas choqués. Mais n’anticipons pas, suivons l’ordre même de l’Écriture : Isaac étant devenu vieux, ses yeux s’obscurcirent de telle sorte qu’il ne pouvait plus voir. (Chap. XXVII, 1) Ses yeux, affaiblis par le grand âge, dit le texte, ne distinguaient plus les objets. Il appela donc Esaü, son fils aîné et lui dit : Mon fils, vous voyez que je suis bien vieux, et que j’ignore le jour de ma fin ; prenez donc vos armes, votre carquois et votre arc, et sortez dans la plaine, et chassez, et faites-moi de votre chasse un de ces plats que j’aime, et apportez-le-moi, afin que j’en mange, et que je vous bénisse, avant que je meure. (Id. 2, 3, 4) Ici, mon bien-aimé, je vous en conjure, remarquez l’ineffable sagesse de Dieu ; voyez comme le père ne suit que son affection naturelle en donnant cet ordre à Esaü, et comme le Tout-Puissant, le Seigneur plein de sagesse, dispose Rébecca à remplir sa prédiction, nous montrant par là ce que valent et la vertu et la douceur. Esaü avait pour lui son droit d’aînesse et l’affection de son père, et il se croyait le premier ; il a tout perdu, parce qu’il n’a pas voulu ajouter à ce qui était hors de lui, le bien qui devait venir de lui. au contraire, avec sa vertu propre, et aussi le secours de la grâce d’en haut, même malgré son père, surprend, saisit sa bénédiction. C’est qu’il n’y a rien de plus fort que l’homme soutenu par la main de Dieu, Soyez donc appliqués, attentifs ; remarquez l’excellence de cette conduite, remarquez comme celui qui s’appuie sur la divine grâce, trouve à chaque instant un grand coopérateur qui travaille dans ses intérêts, au point de lui transférer la bénédiction paternelle ; au contraire, l’autre perd tout, il se perd lui-même, parce que ses mœurs sont mauvaises. Or, dit le texte, Rébecca entendit Isaac parlant à Esaü, son fils ; et Esaü étant allé dans les champs, pour faire la chasse que son père lui avait demandée, Rébecca dit à son plus jeune fils. (Id. 6, 6) Pourquoi l’Écriture dit-elle : A son plus jeune fils? c’est parce qu’il y a plus haut : Isaac appela son fils aîné. L’Écriture veut nous faire savoir maintenant à qui s’adresse Rébecca, et le texte dit : Son plus jeune fils, c’est-à-dire Jacob. J’ai entendu, dit-elle, votre père parlant à Esaü, votre frère, et lui disant : Apportez-moi de votre chasse, et faites-m’en un plat, afin que j’en mange, et que je vous bénisse devant le Seigneur, avant de mourir. (Id. 7) Voilà ce que j’ai entendu que votre père disait à votre frère Esaü. Suivez donc maintenant, mon fils, le conseil que je vous donne ; allez-vous-en au troupeau, et apportez-moi deux chevreaux, tendres et bons, afin que je fasse à votre père, un de ces plats qu’il aime, et qu’après que vous le lui aurez présenté, et qu’il en aura mangé, votre père vous bénisse avant de mourir. (Id. 8, 9, 10)
2. Voyez le grand amour de la mère, ou plutôt la dispensation de Dieu, car c’était lui qui lui donnait ce conseil, et qui prenait soin de tout faire réussir. Avez-vous bien compris l’excellent conseil de la mère ? Voyez maintenant la circonspection de Jacob ; voyez comme sa réponse indique la douceur de ses mœurs. En effet, dit le texte : Jacob dit à sa mère : Mon frère Esaü est velu, et moi je n’ai pas de poil ; si mon père vient à me toucher, et qu’il s’en aperçoive, j’ai peur qu’il ne croie que j’ai voulu le tromper, et qu’ainsi je n’attire sur moi sa malédiction, au lieu de sa bénédiction. (Id. 11-12) Grande est l’honnêteté de l’enfant, et grand est son respect pour son père. J’ai peur, dit-il, qu’il n’arrive le contraire de ce que je désire ; que je ne paraisse vouloir contrarier mon père, et qu’au lieu de sa bénédiction, je ne m’attire sa malédiction. Que fait donc cette admirable Rébecca, pleine d’amour pour son fils ? Comme ce n’était pas seulement sa volonté qu’elle suivait ; comme elle ne servait qu’à l’accomplissement de la volonté divine, elle fait tous ses efforts pour bannir la crainte du cœur de son enfant, pour le rassurer, pour l’amener à réaliser son dessein. Et elle ne lui dit pas qu’il peut tromper son père, que son père n’y verra rien ; que lui dit-elle ? Que cette malédiction retombe sur moi, mon, fils ; obéissez seulement à ma voix, et apportez-moi ce que je vous demande. (Id. 13) S’il arrive quelque chose de ce que vous craignez, dit-elle, vous n’en souffrirez pas ; donc, soyez sans crainte, rassurez-vous : Obéissez à ma voix, et faites ce que je vous conseille. C’est bien là le propre de l’amour maternel. Pour son enfant, elle s’expose à tout. Elle dissipa ainsi la crainte de son fils. Il sortit, prit et apporta à sa mère ce qu’elle demandait, et elle fit des plats comme Isaac les aimait. Rébecca prit ensuite, dit le texte, le plus beau vêtement de son fils aîné, qu’elle gardait dans la maison, et elle en revêtit le plus jeune de ses, fils, et, avec la peau des chevreaux, elle lui couvrit les bras et les parties du cou, qui étaient nues, et elle mit les plats et les pains, qu’elle avait faits, dans les mains de son fils ; qui le porta à son père. (Id. 14-17) Voyez, je vous, en conjure, ici, le grand amour de Rébecca, et, en même temps, sa rare sagesse. Le texte a dit plus haut que l’aîné est velu et que, le plus jeune n’a pas de poil. Voilà pourquoi, dit le texte, elle le revêtit d’un habit d’Esaü, et l’entoura de peau, et, après l’avoir, de tout point, équipe de manière à tromper son père, elle lui, mit dans les mains les plats et les pains, de sorte qu’il les porta au patriarche. Considérez, encore une fois, ici, comment tout est arrivé par la grâce d’en haut. Aussitôt que nous offrons à Dieu ce qui vient de nous, nous obtenons en abondance là coopération du Seigneur. C’est afin que nous ne tombions pas dans la nonchalance et l’abattement, qu’il veut aussi que, nous fassions quelque chose, ce n’est qu’à cette condition qu’il nous communique ses dons ; il ne veut pas que le secours d’en haut opère seul toute chose, il faut que nous travaillions de notre côté. Maintenant, il n’exige, pas que nous fassions tout ; il connaît notre faiblesse ; le Seigneur dans sa bonté, se réjouit de trouver une occasion d’être généreux envers nous, et il attend que nous fassions ce qui est en notre pouvoir. Vous en avez ici la preuve ; parce due Jacob et Rébecca ont fait ce qu’ils devaient faire ; que l’enfant a obéi aux conseils de sa mère ; que la mère a fait tout ce qui dépendait d’elle, le Seigneur, plein de bonté, se met de lui-même à l’œuvre, et s’occupe de faire réussir, de rendre facile, ce qu’il y avait de plus difficile, à savoir qu’Isaac ne s’aperçût pas de la ruse. Car, lorsque l’enfant eut apporté les mets à son père, Il lui dit : Qui êtes-vous, mon fils ? Et Jacob dit à soya père : Je suis Esaü, votre fils aîné ; j’ai fait ce que vous m’avez dit ; levez-vous, mettez-vous sur votre séant, et mangez de ma chasse, afin que vous me donniez votre bénédiction. (Id. 19) Considérez ici, je vous en conjure, l’anxiété de Jacob, en prononçant ces paroles. Il avait d’abord dit à sa mère : J’ai peur d’attirer sur moi la malédiction, au lieu de la bénédiction. Quelle frayeur ne dut-il pas éprouver, quand il jouait une telle scène ? Mais, comme c’était Dieu qui travaillait avec lui, tout réussit. Eh quoi donc, dira-t-on ? Dieu a coopéré à un pareil mensonge ? Né considérez pas simplement le fait, mon bien-aimé, mais remarquez le but ; remarquez qu’il n’y avait pas ici un intérêt temporel, poursuivi par l’avarice ; c’était la bénédiction de son père, que le jeune fils voulait attirer sur lui. D’ailleurs, si vous ne voulez jamais voir que les faits, sans considérer le but, prenez garde que l’ancien patriarche ne vous paraisse le meurtrier de son fils, et Phinée un homicide. Mais Abraham ne fut pas le meurtrier de son fils ; il l’aimait autant qu’un père peut aimer ; et Phinée ne fut pas un homicide, mais un homme plein de zèle, L’un et l’autre firent ce qui était agréable à Dieu. Aussi, l’un pour avoir obéi, a mérité, du Seigneur, une grande récompense : l’autre est célébré pour son zèle. En effet, dit le psalmiste : Phinée se leva, et il apaisa. (Ps. 105,30) Donc, si un meurtre, des fils massacrés sont des faits approuvés dans leur histoire, parce qu’ils étaient conformes à la volonté de Dieu ; si nous ne nous arrêtons pas à la réalité des faits, mais au but qu’on s’était proposé, à l’intention, à bien plus forte raison, ici, celte intention est-elle, ce qui mérite d’être considéré.
3. Donc, ne vous arrêtez pas aux mensonges prononcés par Jacob ; ne voyez que la volonté de Dieu ; il voulait que la prédiction s’accomplît, et il a tout disposé dans ce but. Et ce qui vous montrera que c’est Dieu qui a rendu tout facile, même le plus difficile, l’homme juste n’a pas soupçonné la fraude ; il s’est laissé prendre aux paroles de Jacob ; il mange ses mets, et le récompense par ses bénédictions. Esaü ne revint de la chasse qu’après que tout eût été accompli. C’est pour nous montrer que la volonté de Dieu a seule tout conduit. Isaac dit encore à son fils : Mais comment avez-vous pu, mon fils, en trouver si tôt ? Il lui répondit : Parce que le Seigneur Dieu l’a livré devant moi, (Id. 20) Jacob était toujours dans les angoisses, et sa frayeur, au comble. Mais tous ces événements se sont accomplis, pour que nous sachions bien, par des faits, que le Seigneur ne se contente pas de nous montrer sa sollicitude, le soin qu’il prend de nous ; il veut encore que nous méritions ses.faveurs, par l’ardeur de notre zèle. Ne vous bâtez pas de passer en courant devant ce combat de mes bien-aimés ; considérez qu’il avait tout à perdre, qu’il était plein de terreur, tout tremblant, qu’il craignait que cette bénédiction ne l’exposât à toutes les rigueurs de la malédiction. Ensuite, dit le texte, Isaac dit : Approchez de moi, afin que je vous touche, mon fils, et que je reconnaisse si vous êtes mon fils Esaü, ou non. (Id. 21).C’est que la voix laissait un peu d’incertitude ; mais, comme il fallait que l’événement conduit par le Seigneur s’accomplît, Dieu ne permit pas d’apercevoir la ruse. Jacob s’approcha de son père, et Isaac l’ayant tâté, dit : Pour la voix, c’est la voix de mais les mains sont les mains d’Esaü et il ne le reconnut point. (Id. 22) Voyez-vous comme le texte nous montre que tout émane de la grâce de Dieu?-c’est Dieu qui faisait qu’Isaac ne s’apercevait de rien, et, que Jacob allait jouir de la bénédiction paternelle. Et il ne le reconnut point, dit le texte, parce que ses mains étaient comme les mains d’Esaü. (Id. 24) Et il lui dit : Êtes-vous mon fils. Esaü ? Voyez, encore une fois ; comme la divine Écriture nous montre que l’homme juste a des soupçons. En effet, dit le texte : Isaac dit : Êtes-vous mon fils Esaü? Détail qui a pour but aussi de nous faire savoir que le père n’écoutait gare l’affection de la nature, mais que Dieu, qui prévoit l’avenir, et qui glorifie la vertu de ses serviteurs, est celui qui a tout disposé ici. Et Jacob dit : Je le suis. En effet, après qu’Isaac a eu dit : Êtes-vous mon fils Esaü ? Je le suis, dit le texte. Apportez-moi à manger de votre chasse, mon fils, afin que je vous bénisse ; c’est à peine enfin, si Jacob commence à respirer. Et il apporta à son père les plats, et il lui apporta du vin, et Isaac but, et il lui dit : Approchez-vous de moi, mon fils, et venez me baiser ; il s’approcha donc de lui, et le baisa. Et Isaac sentit la bonne odeur qui sortait de ses habits, et lui dit, en le bénissant. (Id. 25-27) Voyez le soin de la divine Écriture ; après cette interrogation : Êtes-vous Esaü ? et cette réponse, je le suis, Isaac le touche encore, la voix lui ayant presque fait soupçonner la feinte ; et il l’interroge de nouveau : Êtes-vous mon fils Esaü ? Et Jacob dit : Je le suis ; et ensuite, il lui apporte les plats et Isaac mange. Alors, dit le texte : Il le baisa et le bénit. Et, pour qu’on ne s’imagine pas qu’il l’a béni en la personne d’Esaü, pour qu’on voie bien qu’il a béni celui qu’il a baisé, la divine Écriture nous dit : Qu’il l’a baisé ; et qu’il a béni celui qu’il a baisé. Et aussitôt qu’il eut senti la bonne odeur, qui sortait de ses habits, il lui dit en le bénissant : l’odeur qui sort de mon fils, est comme l’odeur d’un champ plein de fruits, que le Seigneur a bénis. Que Dieu vous donne de la rosée du ciel et de la graisse de la terre, et l’abondance du froment et du vin. (Id. 27-28) Que le Seigneur Dieu, dit-il, vous accorde tout cela, à vous qui m’avez apporté ces plats, qui avez reçu de moi le baiser. Que les peuples vous soient assujettis ! Voyez, il demande pour lui, par ses prières, d’abord le nécessaire ; ensuite la domination sur les peuples, et il lui prédit sa prospérité future, et l’agrandissement de ceux qui sortiront de lui. Et que les princes vous adorent ! Ces prières ne demandent pas que les peuples seulement lui soient assujettis, mais les princes eux-mêmes ; Et soyez le seigneur de votre frère. Voyez l’homme juste servant même sans le savoir, la volonté de Dieu. Tout,.en effet, était disposé de manière que le fils vertueux reçut la bénédiction que ses vertus méritaient. Que les fils de votre père vous adorent ! C’est l’habitude, de l’Écriture, de donner le nom de fils à toutes les générations. C’est comme s’il disait : ceux qui sortiront de la race d’Esaü ; car Isaac n’eut pas d’autre fils que ces deux-là. Que celui qui vous maudira, soit maudis lui-même, et que celui, qui vous bénira, soit comblé de bénédictions ! Voilà la couronne de la bénédiction ; voilà la somme de tous les biens, être béni. Avez-vous bien compris la clémence de Dieu ? Celui qui avait craint de recevoir la malédiction, au lieu de la bénédiction, non seulement emporte tout le trésor des bénédictions de son père, mais la malédiction est prononcée contre ceux qui tenteraient de le maudire. Apprenons par là, que celui qui disposé de ce qui – lui appartient, d’une manière conforme à la volonté de ; Dieu, est assuré du secours d’en haut, à tel point que sa volonté devient un fait qui se réalise. Qui n’admirerait pas l’ineffable disposition de la sagesse divine, qui ne permet pas qu’Esaü revienne de la chasse avant le dénouement de cette histoire, avant que Jacob se soit retiré, riche de toutes les bénédictions de son père ; c’est ce qu’a voulu nous montrer Moïse, en ajoutant : Et après qu’Isaac eut fini de bénir et après que Jacob fut sorti, ayant quitté Isaac son père, voici qu’Esaü, son frère, revint de la chasse. (Id. 30)
4. Voyez comme aussitôt après la sortie de l’un, l’autre arrive, et il n’y a pas là un simple hasard. La providence a voulu qu’il apportât, sans se douter de rien, sa chasse à son père, et que ce fût de son père qu’il apprît tout ce qui s’était passé. Car s’il eût rencontré son frère, peut-être qu’il l’eût tué, cédant à sa fureur ; car si, plus tard, il a pu avoir cette pensée, à bien plus forte raison, au moment même, eût-il essayé de commettre le crime. Mais il y avait là la main de Dieu, qui conserva le plus jeune des deux frères ; c’est Dieu qui le rendit digne de la bénédiction, et qui priva l’autre, et de la bénédiction et du droit d’aînesse. Esaü arriva, dit le texte, et il apprêta sa chasse, et il l’apporta à soit père, et il lui dit : Levez-vous, mon père, et mangez de la chasse de votre fils, afin que vous me donniez votre bénédiction. (Ibid, 31) Voyez le nouveau trouble qui confond, ici, l’esprit de l’homme juste ; car, en entendant ces paroles, Isaac lui dit : Qui êtes-vous ? Et il lui répondit : Je suis votre fils aîné Esaü. (Id. 32) Voyez l’orgueil qu’il montre en ce moment ; il ne lui suffit pas de dire : Je suis Esaü, mais il ajoute : Votre fils aîné. Isaac fut frappé d’un profond étonnement, et il dit : Quel est donc celui qui m’a déjà apporté ce qu’il avait pris à la chasse, et qui m’a fait manger de tout, avant que vous vinssiez, et je lui ai donné ma bénédiction, et il sera béni. (Id. 33) Voyez la perplexité dans laquelle se trouve l’homme juste. Il raconte le fait, et il ajoute, avec une rigueur qui blesse le cœur de l’autre : Et je lui ai donné ma bénédiction, et il sera béni. C’était Dieu lui-même qui faisait parler la langue de l’homme juste. Il fallait que l’autre, parfaitement renseigné sur ce qui s’était passé, fût bien persuadé qu’il ne lui servirait de rien, ni de son droit d’aînesse, ni de sa chasse. Esaü, à ces paroles de soie père, dit le texte, jeta un grand cri, plein d’amertume. (Id. 34) Qu’est-ce que cela veut dire, Un grand cri, plein d’amertume ? Il montra son indignation, la colère dont il était saisi à cette nouvelle, au-delà de toute expression. Et il lui dit : Donnez-moi aussi votre bénédiction, mon père ; Isaac lui répondit : Votre frère est venu me surprendre, et il a reçu la bénédiction qui vous était due. (Id. 35) Votre frère, dit-il, vous a devancé, et il s’est emparé de toute la bénédiction, de tous les privilèges qui l’accompagnent. Et ce qui vous prouve que la grâce d’en haut a coopéré à la ruse, qui a trompé l’homme juste, ce sont les paroles mêmes dont il se sert pour avouer le fait : Votre frère est venu me surprendre. On dirait qu’il s’excuse auprès de son fils, qu’il veut lui donner des explications ; c’est à mon insu que je lui ai départi les bénédictions ; j’étais prêt à en répandre sur vous l’abondance ; mais voilà qu’ il est venu me surprendre et il a reçu la bénédiction qui vous était due : Ce qui vous était préparé, il l’a pris ; ce n’est pas de ma faute. C’est avec raison, dit Esaü, qu’il a été appelé c’est-à-dire supplantateur, car voici la seconde fois qu’il m’a supplanté ; il m’a déjà enlevé mon droit d’aînesse, et maintenant il me dérobe la bénédiction qui m’était due. (Id. 36) Ce n’est pas à tort, dit-il, qu’il porte ce nom de qui signifie en effet supplantateur ; il a bien prouvé qu’il l’était, en me privant, et de mon droit d’aînesse et de ma bénédiction. Que dit maintenant Esau à Isaac ? Ne m’avez-vous pas réservé, à moi aussi, une bénédiction, mon père ? Isaac lui répondit : Sachez, dit-il, que j’ai versé sur lui toutes les bénédictions. Je l’ai établi votre seigneur. (Id. 37) Voyez-le lui annoncer, dès ses premières paroles, la servitude et la sujétion. Je l’ai établi votre Seigneur et j’ai assujetti à sa domination tous ses frères ; je l’ai affermi dans la possession du blé et du vin, et, après cela, que ferai-je pour vous, mon fils ? Il ne me reste plus rien, puisque que je l’ai fait votre seigneur, puisque je lui ai assujetti tous ses frères, et que mes prières ont demandé pour lui l’abondance de toutes les choses nécessaires. Que me reste-t-il encore ? Esaü lui répartit : N’avez-vous donc, mon père, qu’une seule bénédiction ? bénissez-moi, moi aussi. (Id. 38) Comme il a entendu son père qui lui disait : Je lui ai donné ma bénédiction, et il sera béni ; comme Isaac lui a révélé toutes les conséquences de la bénédiction, alors il lui dit : Bénissez-moi, moi aussi, mon père ; n’avez-vous donc qu’une seule bénédiction ? Est-ce que vous ne pouvez pas me bénir, moi aussi ? moi que vous aimez tant, moi votre premier-né, moi que vous avez envoyé à la chasse ? Ces paroles touchèrent son père. Isaac était, touché, dit le texte ; Esaü jetait de grands cris avec des sanglots. Il vit son père confondu, ne pouvant ni ne voulant révoquer ce qui avait été fait, et il cria, et il pleura, pour toucher son père de plus en plus. Isaac eut pitié de lui et lui dit : Votre bénédiction sera dans la graisse de la terre, et dans la rosée du ciel qui vient d’en haut ; vous vivrez de l’épée ; vous servirez votre frère, et le temps viendra que vous secouerez son joug, et que vous vous en délivrerez (Id. 39, 40) Puisque, dit-il, vous aussi, vous voulez ma bénédiction, apprenez qu’il n’est pas possible d’agir contre la volonté divine ; mais je demande pour vous, par mes prières, que vous jouissiez de la rosée du ciel sachez que vous vivrez dans les combats, car vous vivrez de l’épée, vous servirez votre frère.
5. Maintenant, que personne ne s’étonne à ce récit, en voyant, bientôt après, son frère qui s’en va errant, par suite de la crainte qu’il lui inspire, et se dirigeant vers une terre étrangère. Il ne faut pas conclure de ce début, que la prédiction ne s’accomplira pas. En effet, quand le Seigneur fait une promesse ; quels que soient les obstacles qui semblent d’abord en contrarier les effets, nous ne devons pas nous troubler, car il est impossible que les promesses soient vaines jusqu’à la fin. Ce qui arrive, c’est pour que les justes, glorifiés par tous les moyens, rendent plus manifeste, à tous les yeux, l’abondance de la vertu du Seigneur. Cette réflexion s’applique à chacun des hommes justes ; vous la verrez toujours confirmée, si vous lisez attentivement l’histoire de chacun d’eux. C’est ce qui est manifeste maintenant encore. Ne vous arrêtez pas à considérer que tout d’abord il prend la fuite ; mais réfléchissez sur la gloire qui viendra plus tard. Voyez au bout d’un certain temps, ce frère aîné, main tenant si terrible, lui montrer toute espèce de respect et de vénération. Considérez quel excès de gloire a été son partage, après les épreuves qu’il a subies sur une terre étrangère ; c’est à ce point que ses enfants sont devenus une multitude, qui a donné son nom, son nom glorieux à tout un peuple. Maintenant la divine Écriture, voulant nous montrer l’indignation d’un frère qui roulait des pensées homicides ; Esaü, dit le texte, haïssait Jacob à cause de cette bénédiction qu’il avait reçue de son père. Et ce qui nous montre que ce n’était pas simplement une colère soudaine, c’est l’expression de l’Écriture qui marque l’excès de la malignité : haïssait, dit le texte, c’est-à-dire persistait dans la haine, à ce point que le sentiment caché au fond de son cœur, le texte l’exprime par ces paroles : Et il disait dans son cœur : Le temps de la mort de mon père viendra, et alors je tuerai mon frère Jacob. (Id. 41) En vérité, la colère n'(st pas moins folle que le délire. Voyez comme ce démon jette ses victimes dans le délire, les prive absolument de la raison, leur persuade de faire tout le contraire de ce que leur conseillent les yeux. Ils ne voient rien ; ils ne font rien d’une manière raisonnable, on dirait qu’ils n’ont plus ni sens ni jugement. Ainsi, ceux qui sont en colère, ne reconnaissent pas les personnes présentes ; ne se souviennent ni de leurs parents, ni de leurs amis, ni de leurs connaissances, ni de ce qu’ils se doivent à eux-mêmes, ni de quoi que ce soit ; la colère les subjugue, ils tombent dans le précipice. Qu’y a-t-il de plus misérable que ces vaincus, que ces captifs de la colère, qui se hâtent de courir au meurtre ? Voilà pourquoi le bienheureux Paul, pour extirper la racine de ce mal, fait entendre ces conseils : Tout emportement, toute colère, tout cri, doit, ainsi que toute malice, être banni d’entre vous. (Eph. 4, 31) Non seulement, dit-il, je ne veux pas que vous vous échauffiez, que vous vous mettiez en colère, mais je ne veux pas que vous fassiez entendre des cris, en parlant à votre prochain ; car le cri est l’enfant de la colère. Quand ce mal s’éveille dans l’intérieur de notre être, quand le cœur se gonfle, dès ce moment la langue ne fait plus entendre de paroles paisibles ; la violence de la passion se manifeste, et l’on crie en parlant au prochain. Donc ce bienheureux Paul, voulant, par ses conseils, assurer à ceux qui l’écoutent, une tranquillité non interrompue, leur dit : Tout emportement (c’est-à-dire quelle que soit la cause qui vous émeuve) et toute colère, et toute espèce de cri doit disparaître parmi vous. Ensuite, comme il veut dessécher la racine de ce mal, en prévenir le triste fruit, il dit : ainsi que toute malice. Car celui qui ne connaît pas la colère, est toujours dans un port, à l’abri des flots de ce monde, et il ne craint ni tempête, ni naufrage ; il navigue sur une onde tranquille ; il séjourne dans un port paisible ; pour lui, la vie présente se passe loin de tout ce qui bouleverse et trouble les cœurs ; et, de plus, il s’assure, par tous les moyens, lesbiens immortels, les trésors ineffables. Puissions-nous tous les obtenir, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’honneur, l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE.

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« Rébecca appela son plus jeune fils et lui dit. » (Gen. 27,42)

ANALYSE.

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  • 1. Du secours de la grâce divine : La conscience est un maître suffisant. Les avis des Docteurs sont le complément de la lecture des saints livres. – 2. saint Chrysostome recherche l’utilité de ses auditeurs et non leurs applaudissements. L’homicide prend racine dans l’envie. Versets 42-46 du chapitre XXVIIᵉ – 3. Explications des versets 1-11 du XXVIII chapitre. Fin de Jacob en Mésopotamie. – 4. Explication des versets 12-19. Comment Dieu exerce les justes à l’obéissance. – 5. Versets 20-22. Épilogue moral.


1. Avez-vous bien compris, hier, la parfaite sagesse du publicain, et la miséricorde ineffable du Seigneur, et l’excès de la stupidité des Juifs ? Avez-vous bien compris la leçon que nous donne à tous, la prompte obéissance du bienheureux Matthieu, et sa conversion, qui en fait un homme tout nouveau, parce que c’est dans notre volonté, après l’action de la grâce d’en haut, que résident nos vertus et nos vices ; parce que l’ardeur de notre zèle peut nous élever au plus haut faîte de la vertu, et parce qu’au contraire notre engourdissement nous laisse tomber clans les précipices. En effet, ce qui nous distingue des êtres sans raison, c’est que nous avons reçu de la bonté de Dieu, la raison comme un glorieux privilège, c’est due nous possédons naturellement la connaissance du bien et du mal. Donc, que personne ne prétexte de son ignorance pour négliger la vertu ; qu’aucun de vous ne prétexte qu’il manque de guide pour lui montrer le chemin ; nous avons tous un maître qui suffit, c’est h conscience, et nul n’est privé de ce secours. En même temps que l’homme fut formé, le discernement des actions lui a été donné, afin de le mettre à même de faire voir, dans la vie présente, la sagesse qu’il porte en lui, afin que s’exerçant comme dans une palestre, aux travaux de la vertu, il puisse conquérir les récompenses que la vertu mérite ; et après quelques courtes fatigues, mériter les couronnes impérissables ; et, après avoir embrassé la vertu dans la durée qui passe, jouir des biens éternels, dans la durée infinie des siècles. Instruits de ces vérités, mes bien-aimés, ne trahissons pas notre noble nature ; prouvons notre reconnaissance à notre magnifique bienfaiteur ; ne poursuivons pas les plaisirs d’un jour, pour atteindre des douleurs qui n’auront pas de fin ; tenons sans cesse nos regards fixés sur cet œil qui ne dort jamais, qui voit dans les replis les plus cachés de nos cœurs ; réglons ainsi notre conduite ; revêtus des armes de l’esprit, montrons la sagesse qui est en nous, et conquérons le secours d’en haut, afin de triompher, grâce au divin auxiliaire, de notre ennemi de chaque jour, de notre ennemi acharné ; afin de rendre inutiles toutes ses machinations, et de nous assurer la conquête des biens que Dieu a promis à ceux qui l’aiment. Que personne donc ne considère les fatigues de la vertu ; au contraire, calculons tous les profits qui récompenseront nos efforts généreux, et apprêtons-nous avec ardeur au combat ; car s’il est vrai que, dans les affaires de la vie humaine, animé de la fureur des richesses, on soit prompt à tout tenter ; que les périls de la mer, les naufrages, les attaques des pirates, n’ébranlent pas, ne ralentissent pas les courages, qui cependant ne poursuivent qu’un profit incertain ; quelle excuse pourrons-nous alléguer, quand on nous promet pour nos luttes généreuses, des, biens immortels, si nous ne nous y préparons pas avec le zèle ardent d’un désir sincère ? Comment pouvons-nous montrer tant d’ingratitude à notre bienfaiteur ? Comment pouvons-nous oublier les présents déjà faits, les promesses reçues ? Eh quoi ! perdant toute, mémoire, nous vivons au hasard et sans but, comme des troupeaux, sans aucun souci de notre âme, nous, chargeant le ventre jusqu’à le faire éclater ; triste victime de ce ventre, notre malheureux corps souffre et nous renvoie les mille maux que nous attire notre intempérance, les douloureux embarras de notre gourmandise, et nous laissons notre âme se dessécher par la faim ? Et cela, quoique l’âme soit à un si haut degré supérieure au corps, quoique l’âme, une fois partie, il ne reste plus qu’un cadavre. Ce qu’il faudrait, ce serait donner à l’un, donner à l’autre la nourriture qui convient à chacun d’eux ; et nous les perdons chacun d’eux, parce que nous ne gardons aucune mesure, engraissant l’un plus qu’il ne faut, forçant l’autre à mourir de faim. De là les paroles menaçantes que le Dieu de l’univers adresse aux Juifs, dans la fureur de son indignation Je vous donnerai, non la famine du pain ni la soif de l’eau, mais la famine qui veut entendre la parole du Seigneur (Amo. 8,11), nous montrant par là que cette première famine produit la maigreur du corps, que l’autre au contraire s’attaque à l’âme. Eh bien ! ce que le Seigneur leur déclarait d’une voix menaçante, comme on annonce un supplice, nous sommes maintenant les premiers à l’attirer sur nous ; et cela, lorsque Dieu nous a montré qu’il prend de nous un soin si vigilant, lorsqu’il a tout prévu, lorsqu’avec la lecture de l’Écriture sainte il nous a encore donné les exhortations des docteurs.
C’est pourquoi, je vous en conjure, mes bien-aimés, secouez tout engourdissement, réveillez-vous enfin, appliquez-vous, de tout votre zèle, au salut de votre âme ; c’est par là que vous vous concilierez tout à fait la bienveillance du Seigneur. Et nous, nous nous porterons à vous instruire, avec une ardeur encore plus vive, envoyant que vous mettez nos conseils en pratique. Quand l’agriculteur voit une terre féconde et de nature à donner beaucoup de fruits, il se met avec plus d’ardeur à la cultiver ; de même, nous aussi, si nous voyons vos progrès dans les œuvres due Dieu vous demande, si nous voyons que nos paroles deviennent les règles de votre conduite, nous ferons, pour vous instruire, des efforts plus courageux encore, parce que nous verrons bien que nous ne semons pas sur la pierre, mais dans une terre grasse et profondément fertile.
2. Voilà pourquoi ; chaque jour, nous vous adressons nos paroles ; c’est pour qu’elles vous profitent, c’est pour que vous grandissiez clans la vertu, c’est pour qu’en voyant votre avancement nous tressaillions de joie. Est-ce que, par hasard, nous prétendrions vous parler pour faire étourdiment retentir un vain bruit, pour recueillir vos éloges, pour vous entendre battra des mains en vous retirant ? Non, ce n’est pas là notre désir, loin de nous une ambition pareille ; ce que nous voulons, c’est votre utilité. La plus belle gloire pour moi, le plus magnifique des applaudissements, c’est le retour d’un pécheur à la vertu, c’est l’engourdissement secoué par nos paroles changée en ferveur. Voilà, pour moi, la plus belle des consolations, la vraie gloire ; voilà, pour vous, le profit incomparable, la richesse, le spirituel trésor. Je ne prétends pas contester votre zèle et je sais bien qu’instruits par Dieu vous pouvez, vous aussi, en instruire d’autres ; dans cette pensée je termine ici mon exhortation ; je reprends l’enseignement que nous fournissent d’ordinaire les paroles du bienheureux Moïse, disons mieux de l’Esprit-Saint, s’exprimant par sa bouche. Je veux ajouter quelques mots encore et je vous servirai le festin que Moïse vous apprête aujourd’hui. Vous avez vu dernièrement qui ne fait rien que d’après le conseil de Rébecca, arracher à son père la bénédiction, larcin louable auquel Dieu coopéra lui-même et qui réussit. Mais Esaü détestait Jacob à cause de cette bénédiction et il se préparait à le faire mourir. Tel est en effet le caractère de cette passion perverse ; elle ne s’arrête pas avant d’avoir jeté dans le précipice le malheureux qu’elle possède, il faut que l’homicide coure à son crime ; la racine de l’homicide c’est l’envie, ce que fait bien voir dès les premiers jours du monde l’œuvre de Caïn contre Abel. Il n’avait aucun prétexte, ni petit ni grand, d’accusation contre son frère ; mais il vit les offrandes d’Abel agréables à Dieu, les siennes rejetées par sa faute, et aussitôt l’envie s’éveilla dans son cœur. Et cette racine du meurtre ayant pris naissance au fond de son âme, produisit bientôt le fruit funeste, et il commit l’homicide. De même aujourd’hui Esaü voit que son frère a reçu la bénédiction de son père, et la colère et l’envie le poussent à l’homicide, et il médite la mort de son frère.
Cette admirable mère, dans la crainte que lui inspire cette haine, montre encore toute son affection maternelle pour son enfant et elle lui indique le moyen de s’arracher aux mains de son frère. Elle appela, dit le texte, son plus jeune fils et lui dit : Voilà Esaü, votre frère, qui menace de vous tuer ; écoutez donc ma voix. (Id. 42, 43) L’expérience doit vous montrer, lui dit-elle, que mes conseils vous sont utiles ; déjà, pour avoir écouté ma voix, vous avez attiré sur vous les trésors de la bénédiction de votre père, faites de même maintenant, écoutez encore ma voix afin d’échapper aux mains de votre frère. Ainsi vous vous mettrez vous-même à l’abri des dangers et vous m’épargnerez une grande douleur. Car il est tout naturel de penser que, s’il osait commettre un tel attentat, il en serait puni, et il n’y aurait plus pour moi, de tous côtés, qu’une douleur sans bornes. Écoutez donc ma voix : hâtez-vous de vous retirer vers mon frère Laban, dans le pays de Charran : vous demeurerez avec lui quelques jours, jusqu’à ce que l’irritation, la colère de votre frère contre vous soit apaisée, jusqu’à ce qu’il oublie ce que vous lui avez fait ; j’enverrai ensuite pour vous faire revenir ici, pour ne pas perdre mes deux enfants en un seul jour.
Allez-vous-en, dit-elle, Vers mon frère Laban, vous demeurerez avec lui. (Id. 44, 41) En effet, il est naturel de penser que la séparation, que le temps apaisera le ressentiment, éteindra la colère, apportera l’oubli de ce qui est arrivé, de cette bénédiction surprise. Jusqu’à ce qu’il oublie, dit-elle, ce que vous lui avez fait. Il n’est pas étonnant, dit-elle, qu’il soit en colère ;.c’est pourquoi il vous convient de vous préserver de sa fureur, de laisser passer le temps qui produira l’oubli, afin que vous puissiez ensuite demeurer ici sans danger. Et, pour rendre moins pénible à son fils l’exil qu’elle est forcée de lui imposer, voyez d’abord comme elle le console : Allez auprès de Laban, mon frère ; est-ce que je vous dis d’aller trouver je ne sais quel étranger ? Mon frère : et vous demeurerez avec lui quelques jours ; un temps bien court, dit-elle, rien que quelques jours, jusqu’à ce que la colère soit passée. Maintenant sa colère est bouillante, dit-elle, et le respect d’un père ne le retiendra pas ; il est dominé par la colère ; il n’a plus dans le cœur d’amour fraternel ; il n’a plus qu’une pensée, celle d’assouvir son ressentiment. J’enverrai ensuite pour vous faire revenir promptement ici, dit-elle ; je vous ferai revenir ; allez-vous en donc avec confiance, puisque j’enverrai pour vous faire revenir ici. Car, je suis tout à fait inquiète ; j’ai peur pour mes deux enfants ; je ne veux pas être privée de mes deux enfants. Voyez la sagesse de la mère. Elle suit un mouvement naturel ; bien plus, elle aide à accomplir la prédiction de Dieu. En ce moment même, elle donne à son enfant le même conseil que le Christ à ses disciples, quand il leur conseillait de ne pas s’exposer témérairement au danger, mais de se retirer pour laisser aux fureurs insensées le temps de s’éteindre. C’est donc là le conseil qu’elle donne à son fils ; elle commence par lui inspirer de la confiance, il ne faut pas que son départ lui soit trop pénible. Et puis, elle imagine un prétexte honnête pour motiver ce départ ; il ne faut pas qu’il paraisse d’une manière trop manifeste se retirer devant la haine de son frère, il ne faut pas que le père sache la vraie cause du voyage, à savoir, la colère d’Esaü contre Jacob. Rébecca dit ensuite à Isaac : La vie m’est devenue à charge, à cause des filles de Chet qu’Esaü a épousées ; si Jacob épouse une fille de ce pays-ci, que me fait la vie ? (Id. 46)
3. Voyez comme elle trouve habilement un prétexte honnête. C’est que, quand la grâce d’en haut travaille avec nous, le difficile devient facile ; ce qui était lourd, devient léger. Rébecca avait Dieu pour elle, et c’est lui qui inspirait à cette mère tout ce qui pouvait servir à l’établissement futur, au salut de son fils. La vie, dit-elle, m’est devenue à charge à cause des filles de Chet, qu’Esaü a épousées ; si Jacob épouse une fille de ce pays-ci, que me fait la vie ? Ces paroles me semblent flétrir les mœurs des épouses d’Esaü, qui étaient pour la famille du patriarche, un grand sujet de chagrin. En effet, la divine Écriture, parlant d’Esaü, nous a dit plus haut, qu’ il avait pris des épouses parmi ceux de Chet et d’Eva ; ces femmes querellaient Isaac et Rébecca. (Gen. 26,31, 35) Elle veut donc lui rappeler ces causes d’ennui ; c’est comme si elle lui disait : Vous savez combien les épouses d’Esaü m’ont rendu la vie amère ; quelle aversion j’éprouve, à cause d’elles, pour toutes les filles du pays de Chet ; à cause d’elles, toute cette nation m’est odieuse ; donc, s’il arrive que à son tour, prenne une épouse dans cette nation, désormais que puis-je espérer ? Que me fait alors la vie ? Si, à ces épouses insupportables, Jacob vient ajouter encore une épouse, prise parmi les filles de cette nation, tout est perdu pour nous. A ces mots, le patriarche, connaissant la malignité de ces femmes : Isaac ayant donc appelé le bénit, dit le texte, et lui fit ce commandement : Ne prenez point, lui dit-il, une femme d’entre les filles de Chanaan, mais allez en Mésopotamie, dans la maison du père de votre mère, et épousez une des filles du frère de votre mère. (Gen. 28,1-2) Ces paroles ne lui suffisent pas : il veut qu’il entreprenne son voyage avec ardeur, et il verse encore sur lui ses bénédictions : Mon Dieu vous bénira, il accroîtra et multipliera votre race, et vous serez le chef de plusieurs peuples, et il vous donnera, à vous, la bénédiction d’Abraham, mon père, à vous et à votre race après vous, et il vous donnera la terre où vous demeurez comme étranger, qu’il a promise à Abraham. (Id. 3, 4) Voyez ce juste, lui prédisant tout l’avenir ; quelles bonnes provisions de voyage il lui donne, et quelles consolations ; il lui prédit son retour, la possession de la terre, qui sera son héritage ; il lui prédit que, non seulement sa race se multipliera, mais qu’il sera le chef de plusieurs peuples ; que des peuples nombreux sortiront de lui. Quand il eut entendu ces paroles, son fils accomplit ses ordres, et partit pour la Mésopotamie, se rendant chez Laban, le frère de sa mère ; et lorsque Esaü apprit, à son tour, cette seconde bénédiction donnée à Jacob par son père, et l’ordre qu’il en avait reçu de ne pas épouser une fille des Chananéens, et ce voyage en Mésopotamie, il voulut comme corriger sa faute et apaiser son père. Il alla, dit le texte , vers la maison d’Ismaël, et, outre les femmes qu’il avait déjà, il épousa une fille d’Ismaël, fils d’Abraham.
Avez-vous bien compris, mes bien-aimés, la prudence avec laquelle la plus affectueuse des mères arrache son fils Jacob au danger ; l’adresse avec laquelle elle imagine un prétexte, pour son voyage, sans révéler la méchanceté d’Esaü, sans que le père puisse en soupçonner la cause réelle ? Et, en même temps, comme elle donne à son fils un bon conseil, de telle sorte que la crainte le détermine à suivre sa pensée ; et, en même temps, le père entend alléguer un motif plausible ; il s’ensuit que le juste, déterminé par ces paroles, munit Jacob de sa bénédiction comme d’un viatique et le congédie.
Maintenant, s’il vous est agréable, et si vous n’êtes pas fatigués, voyons comment Jacob accomplit son voyage. Ne méprisons pas le fruit que nous pourrons recueillir ici de notre attention. En effet, la vie des hommes justes est tout un enseignement de sagesse. Voyez donc ce jeune homme, qui n’est pas encore sorti de la maison paternelle, qui, jusqu’à ce moment, n’a pas la moindre idée d’un voyage, ne s’est jamais trouvé en pays étranger, n’a jamais supporté d’épreuve ; voyez-le, qui se met en route, et comprenez l’excellence de sa sagesse. Jacob étant sorti du Puits du serment, s’en alla à Charran, et, étant venu en un certain lieu, comme il voulait s’y reposer, après le coucher du soleil, il prit une des pierres qui étaient là, et la mit sous sa tête, et s’endormit dans ce même lieu. (Id. 10-11).
Voyez-vous la sagesse au-dessus de toute expression ? Voyez-vous cette manière de voyager, dans les temps qui ne sont plus ? Voilà un homme qui n’est pas sorti de chez lui je veux le redire, habitué à voir autour de lui des serviteurs en foule. C’était un homme simple de mœurs, dit le texte, et retiré à la maison (Gen. 25,27) ; le voilà, au début d’un voyage, et il n’a besoin ni de bêtes de somme, ni de serviteurs, ni de bagages : c’est un apôtre qui l’ait un voyage, au coucher du soleil, il s’endort où la nuit l’a surpris. Il prit, dit le texte, une pierre et la mit sous sa tête. Voyez la robuste nature du jeune homme ; une pierre lui sert d’oreiller, et, sur la terre, il dort. Mais aussi, comme il avait une âme généreuse, un esprit viril, au-dessus de toutes les vanités du siècle, il a mérité de voir cette admirable vision C’est l’habitude de notre Dieu : quand il trouve une âme bien disposée, peu touchée des choses présentes, il se plait à lui montrer toute l’affection qu’il a pour elle.
4. Voyez donc ce juste, couché par terre, et voyant cette fameuse vision, disons mieux, jugé digne de la vision de Dieu En effet, dit le texte, il s’endormit, et voici qu’une échelle lui apparut, dont le pied était sur la terre, et le haut touchait au ciel, et les anges de Dieu montaient et descendaient le long de l’échelle ; et le Seigneur, appuyé sur l’échelle, lui disait : Je suis le Dieu d’Abraham, et le Dieu d’Isaac, toit père, sois sans crainte. (Id. 12, 13) Considérez, je vous en conjure ici, la clémence de Dieu. Il le voyait docile aux conseils de sa mère, et, parce qu’il redoutait son frère, entreprendre un long voyage ; il était pour ainsi dire errant, seul, sans compagnon, sans consolation aucune ; n’attendant rien que du secours d’en haut ; et tout de suite, et dès le commencement, jaloux de fortifier son courage, Dieu lui apparaît et lui dit : Je suis le Dieu d’Abraham, et le Dieu d’Isaac ton père ; c’est moi qui élevai le patriarche et ton père à une gloire si éclatante ; sois donc sans crainte, aie confiance en moi, j’ai rempli les promesses que je leur ai faites, et je te prouverai, à toi aussi, que ma providence veille sur toi ; sois donc sans crainte, et prends confiance ; bannis toute frayeur, ajoute foi à mes paroles. Cette terre où tu dors, je te la donnerai, à toi et à ta race, et ta race ressemblera au sable de la mer. (Id. 14) Ne t’imagine pas, dit-il, parce que tu vas maintenant sur la terre étrangère, que tu seras privé de la terre où tu es né, où tu as été élevé, où tu as grandi, car je la donnerai, cette terre, à toi, et à ta race, et je ferai que ta race s’augmente de manière à égaler le sable de la mer. Et elle se propagera du côté de la mer, du côté du midi, vers le septentrion, vers l’orient, c’est-à-dire, elle se propagera en tous les sens, et toutes les nations de la terre seront bénies en toi et en ta race.
Voyez comme Dieu lui prédit, dès ce moment, tout ce qui arrivera longtemps après ; c’est en effet l’habitude du Dieu de l’univers, de faire aux justes ; pris chacun en particulier, des promesses dont l’accomplissement ne suit pas aussitôt l exerce l’obéissance et la patience des justes, et il remplit magnifiquement, les promesses qu’il leur a annoncées : Après cette prédiction de l’avenir, Jacob avait besoin, pour le moment, d’une consolation particulière. Voyez comme la bonté du Seigneur, en lui déclarant l’avenir, ranime en même temps sa confiance ; il lui dit en effet : Ne pense pas que je me borne aux seules promesses que je te fais ; ce n’est pas tout, je suis avec toi, je te garde partout où tu vas. (15) Ne t’imagine donc pas, dit-il, que tu sois seul sur ton chemin ; tu m’auras pour compagnon de route, tu m’auras comme gardien, quelque chemin due tu fasses, te rendant tous les fardeaux légers, abaissant devant toi tous les obstacles. Il augmente ensuite la consolation ; il lui prédit son retour au milieu des siens : Je te ramènerai, lui dit-il, dans ce pays ; ne t’effraye donc point, comme si tu devais vivre dans une terre étrangère ; Je te ramènerai dans ce pays, et je ne te quitterai point que je n’aie accompli tout ce que je t’ai dit. Je ne te perdrai pas de vue, je ne te laisserai ; pas dans l’incertitude, dépourvu de ressources ; tout ce que je t’ai promis, je (accomplirai. Qui pourrait assez admirer l’ineffable bonté de Dieu, et l’excès de sa clémence ? Voyez quelle magnifique promesse il fait au juste, comme il relève son courage. Considérez aussi la reconnaissance du juste ; après tant de promesses, il supporte facilement, auprès de Laban, pendant vingt années, mille épreuves ; sans se plaindre, sans réclamer contre la longueur du temps ; il supporte tout avec un généreux courage, attendant l’accomplissement des promesses ; persuadé que la parole de Dieu a toujours son effet, surtout quand nous montrons avec ardeur les vertus qu’il exige de nous, la foi et la patience, et la confiance aux promesses du Seigneur ; confiance aussi solide, que si ses promesses étaient déjà accomplies. Voilà en effet la foi véritable ; elle ne s’arrête pas aux choses visibles, alors même que tout semble contredire les promesses, elle te fie uniquement au pouvoir de celui qui a promis. Mais, voyons maintenant la reconnaissance de ce juste. Jacob s’éveilla, dit le texte, de son sommeil, et dit : Le Seigneur est vraiment en ce lien-ci, et je ne le savais pas, et il fut saisi de frayeur, et il dit : Combien ce lieu est terrible ! c’est bien ici la maison de Dieu, et ceci est la porte du ciel. (Id. 16-17) Le juste est frappé de stupeur, dit le texte, ce qui est un effet de l’extrême miséricorde de Dieu, et il dit : C’est bien ici la maison de Dieu, et ceci est la porte du ciel. Ce lieu-ci s’appelle désormais pour moi, la maison de Dieu. Eh bien ! puisque j’ai été jugé digne d’une telle vision, : puisque j’ai vu pour ainsi dire, la porte du ciel, il est juste que j’offre au Seigneur l’action de grâces qui lui est due. Et Jacob se leva, et prit la pierre qu’il avait mise sous sa tête, et l’érigea comme un monument, et répandit de l’huile dessus, et Jacob appela ce lieu la maison de Dieu. Ce lieu avait un autre nom auparavant. (Id. 18-19) Après avoir été honoré d’une vision si magnifique, il en consacre le souvenir dans le nom donné au lieu ; il veut que la postérité regarde cet endroit comme un endroit fameux ; il y dresse une pierre, en manière de colonne ; sur la pierre il verse de l’huile (vraisemblablement c’était la seule chose que ce voyageur eût emportée avec lui), et il adresse au Dieu plein de bonté, une prière inspirée par la vraie sagesse.
5. Et si vous voulez, écoutons maintenant les paroles mêmes de cette prière : Et il fit ce vœu, dit le texte, en disant : Si le Seigneur, mon Dieu, demeure avec moi, s’il me protège dans le chemin par lequel je marche. Vous vous rappelez que Dieu avait dit : Je suis avec toi, et je te garderai dans le chemin par lequel tu marches. Voilà pourquoi Jacob à son tour dit : S’il m’arrive ce que tu m’as promis de me donner. Il ajoute maintenant sa prière en disant : Si Dieu me donne du pain pour manger, et un vêtement pour me couvrir ; il ne demande pas des richesses, l’abondance, le luxe, ruais du pain et un vêtement. Ce vêtement, pour se couvrir le corps ; ce pain, comme un aliment nécessaire. Considérez le caractère apostolique que sa prière révèle ; tel était l’amour de la sagesse qui remplissait l’âme de l’homme juste. Ce que le Christ disait : Ne possédez ni or ni argent, ni deux tuniques (Mt. 10,9), ce patriarche, sans aucun maître, de lui-même, l’avait appris, du maître que nous portons naturellement en nous ; et il demandait à Dieu du pain pour manger, et un vêtement pour se couvrir. Si j’ai cela, dit-il, sur la terre étrangère : Et si Dieu me ramène sain et sauf dans la maison de mon père, comme il me l’a promis, le Seigneur sera mon Dieu, et cette pierre que j’ai dressée comme un monument, sera pour moi la maison de Dieu, et je vous offrirai, Seigneur, la dîme de tout ce que vous m’aurez donné. (Id. 21-22) Voyez la sagesse du juste ; il demandait sans doute, mais rien de précieux, rien que du pain et un vêtement, et il promettait, au Seigneur, de lui donner de ses propres biens ; c’est qu’il n’ignorait pas que Dieu rivalise avec nous de munificence, que ses rétributions dépassent nos pensées ; et il dit : Cette colonne sera pour moi la maison de Dieu, et, de toutes les choses que vous me donnerez, Seigneur, je vous donnerai la dîme. Avez-vous bien compris cette sagesse d’une âme qui aime Dieu ? Il n’a encore rien reçu, et il promet de rendre, au Seigneur, la dîme des biens qui lui seront accordés.
Gardons-nous, mes bien-aimés, de passer outre, sang nous arrêter sur ces paroles ; rivalisons tous avec ce juste ; nous qui vivons sous la loi de grâce, imitons celui qui vécut avant la loi ; et ne demandons rien de ce qui est temporel au Seigneur. En effet, il n’attend pas de nous que nous l’avertissions ; il prévient même nos demandes, pour nous donner ce dont nous avons besoin. Il fait lever sors soleil sur les méchants et sur les bois ; il fait tomber sa pluie sur les justes et sur les injustes. (Mt. 5, 45) Et croyons en ses avertissements et ses paroles : Cherchez premièrement le royaume de Dieu, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. (Mt. 6,33) Comprenez-vous qu’il nous a préparé lui-même, en don, jusqu’à ces autres biens, qu’il nous promet de nous les donner à titre de profit, et par surcroît ? N’allez donc pas demander, à titre de nécessaire, ce que vous recevrez par surcroît ; procédons avec ordre ; cherchons ce qu’il nous a commandé de chercher, afin qu’il nous soit permis de jouir et des biens nécessaires, et des autres. Voilà pourquoi le Seigneur nous a fixé, dans la prière qu’il nous a prescrite, la mesure dans laquelle nous devons demander les biens présents. Voilà les paroles qu’il nous dit de prononcer, paroles qui renferment toute la sagesse : Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien (Mt. 6,41) ; l’aliment de la journée, dit-il, et telle est la prière de ce juste, quoiqu’il n’eût rien entendu de cet enseignement : Si le Seigneur me donne du pain pour manger, et un vêtement pour me couvrir. Ne lui demandons rien autre chose pour le présent, c’est une indignité de demander, à tant de générosité, à tant de pouvoir, des choses qui se dissipent avec la vie présente. Voilà ce que sont les choses humaines, les richesses, la puissance, la gloire qui vient de l’homme. Demandons ce qui subsiste toujours, les biens qui suffisent, les biens immuables. Instruits de la bonté de Notre-Seigneur, méprisons les choses présentes, attachons tout notre amour aux biens du ciel ; car s’il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, s’il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes, à plus forte raison aura-t-il des regards pour ceux qui s’abstiennent de la malignité, qui fuient l’injustice. Il les entourera de tous les soins de sa providence ; en toute circonstance il leur prouvera sa sollicitude. Instruits de cette vérité, mes bien-aimés, ne refusons pas notre foi aux divines promesses ; ne faisons rien de contraire à ses ordres. En vérité, à considérer notre conduite d’aujourd’hui, entre nous et les infidèles quelle différence ? Lorsque c’est Dieu lui-même qui nous garantit l’avenir, et que nous refusons de nous fier en ses paroles ; quand nous rivons nos pensées au présent, je vous le demande, quelle autre marque faut-il encore de notre incrédulité ? Les faits eux-mêmes ne parlent-ils pas assez haut ? Et quand le Christ nous invite à ne rien lui demander de ces biens fragiles, qui n’ont qu’un temps, quand il nous prescrit de lui demander les biens impérissables, nous résistons à ses conseils. Ce qu’il ne veut pas que nous recherchions est l’objet de notre recherche ; et ce qu’il nous dit de demander, c’est justement ce que nous ne demandons pas. Et en suivant cette conduite, par notre lâcheté, par notre indolence, nous irritons le Dieu de douceur et d’amour ; et, en même temps, nous oublions les fautes que nous commettons chaque jour ; et, s’il s’indigne, nous demandons pourquoi, pourquoi il nous méprise, pourquoi il nous laisse tomber en diverses tentations ; et jamais nous ne pensons à la grandeur de nos fautes ; et nous sommes les premiers à nous tromper nous-mêmes. Aussi, je vous en conjure, brisons tous ces obstacles, cessons de rien mettre au-dessus de notre salut. En effet, Que sert-il à l’homme de gagner le monde tout entier et de perdre son âme ? (Mt. 16,26) Ces richesses superflues, vidons-les dans les mains des pauvres ; montrons en toutes choses l’ardeur de notre zèle pour la sagesse ; méprisons la vaine gloire ; foulons aux pieds le faste qui séduit les hommes ; montrons, les uns envers les autres, le zèle ardent d’une charité réciproque ; rendons-nous dignes et des biens présents et des biens à venir, parla grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE.

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Et Laban dit à Jacob : « Parce que vous êtes mon frère, ce n’est pas une raison pour que vous serviez gratuitement. Dites-moi quelle rétribution vous désirez. » (Gen. 29,15)

ANALYSE.

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  • 1. Résumé de l’homélie précédente. Jacob met toute sa confiance en Dieu. Quelle était l’hospitalité des anciens. – 2 et 3. Explication des versets 15-18. L’amour de Jacob pour Rachel accuse notre indifférence pour Dieu. Comment saint Paul aimait lieu, il faut l’imiter. – 4 La longueur du temps n’est pas nécessaire pour obtenir la rémission des péchés. Puissance de l’aumône. – 5. Exhortation à la pratique de l’aumône. .


1. Hier les préludes du voyage de l’homme juste nous ont assez montré la grandeur de sa sagesse, qui lui a mérité d’entendre de si magnifiques promesses de la part de Dieu. Ces prières, les vœux adressés par lui au Maître de l’univers, ont été ensuite, pour nous tous, un enseignement assez éloquent, si son exemple nous excite à imiter sa vertu. C’est en effet une chose admirable que ce juste, connaissant le pouvoir de Celui qui lui faisait les promesses, que ce juste qui entendait des promesses si magnifiques, même dans ces circonstances, n’ait pas songé à rien demander de grand ni de sublime. Qu’a-t-il demandé ? ce que vous avez entendu hier ; ce qui suffisait à sa nourriture de chaque jour, un vêtement pour secourir le corps, et bien vite, il s’engage, si Dieu lui accorde, comme il lui en a fait la promesse, de retourner au milieu des siens, à donner, de son côté, au Seigneur, la dîme de tous les biens qu’il en recevra. Toutes ses paroles montrent sa confiance dans le pouvoir de Celui qui lui fait la promesse ; il nous enseigne à n’avoir de confiance qu’en lui. C’est que cet homme juste connaissait l’ineffable bonté du Seigneur ; ce qui l’en assurait, c’était le soin que Dieu avait pris de son père, et il ne doutait pas que Dieu lui accordât à lui-même l’abondance de tous lesbiens. Aussi, ne demande-t-il rien de pareil au Seigneur ; il n’y songe pas dans ses prières ; mais sa promesse de donner un jour la dîme de tout ce qu’il recevra, montre assez toute sa confiance dans le pouvoir du Dieu qui lui a tant promis. Voilà pourquoi le Seigneur lui disait : Je suis le Dieu d’Abraham et d’Isaac ton père, sois sans crainte. (Gen. 26,24) Pense, lui disait-il, qu’Abraham venu sur cette terre, comme un voyageur que nul ne connaît, s’est élevé à une gloire si éclatante que toutes les bouches célèbrent son nom ; considère, de même, que ton père est venu au jour, lorsque le vieil Abraham touchait aux dernières limites de l’âge, et que ton père a grandi de manière à exciter l’envie des habitants de la contrée. Eh bien donc ! attends, pour toi, les mêmes biens ; bannis toute crainte, toute inquiétude, et marche devant toi dans ces pensées. Le juste ne s’arrêtait pas à regarder son état présent. En effet, il ne portait absolument rien avec lui, qu’aurait-il pu emporter ? il était seul et contraint à un long voyage. Mais, dès ce moment, avec les yeux de la foi, il voyait l’abondance qui devait bientôt être son partage ; et il montrait sa reconnaissance. Avant d’avoir rien reçu, il fait un vœu, il consacre la dîme ; la promesse de Dieu lui inspire plus de confiance que la réalité même de la possession. Et en effet, nous devons moins nous fier à ce que nous tenons dans nos mains, à ce que nous voyons, qu’aux promesses de Dieu, alors même qu’elles ne s’accomplissent pas aussitôt. Donc, plein de l’assurance que lui donnent les paroles de Dieu, le juste entreprend son voyage, et comment n’aurait-il pas eu pleine assurance ? Dieu lui avait dit : Voici que je suis avec toi, ton gardien, partout où tu iras, et je multiplierai ta race, et je te ramènerai dans ce pays, et je ne te quitterai point, jusqu’à ce que j’aie accompli toutes mes promesses. (Gen. 28,15) Je veux répéter ce que j’ai dit hier ; considérez l’industrieuse sagesse de Dieu ; considérez la constance, la reconnaissance de ce juste. Il se leva, après avoir entendu ces promesses, et se dirigea vers Chanaan ; et le voilà encore voyageur, errant, mais à chaque heure éprouvant les effets de la divine grâce ; c’est le Dieu d’amour qui lui prépare, en tous lieux, le chemin, et qui accomplit sa promesse. En effet, celui qui avait dit : Je suis avec toi ; ton gardien, partout où tu iras, c’est celui-là qui conduisit le juste vers le puits où les bergers de ce pays allaient chercher l’eau. Il les interrogea, au sujet de Laban, le frère de sa mère ; il apprit d’eux tout ce qui le concernait ; il vit ensuite et la fille de Laban, et ses troupeaux : il vit les habitants du pays qui ne pouvaient pas ôter la pierre de dessus le puits afin d’abreuver leurs troupeaux ; il accourut ; et ce que ces hommes n’avaient pas la force de faire, il le fit, grâce au secours d’en haut ; il prévint les bienfaits de Laban, ôta la pierre, et abreuva les brebis, que faisait paître Rachel. Ensuite il baisa la jeune fille, lui dit qui il était, d’où il venait, et resta auprès de la fontaine. Mais, comme c’était Dieu qui disposait toutes choses en faveur de l’homme juste, Dieu excita la jeune fille à courir promptement pour porter la nouvelle à son père, qui était l’oncle du frère de sa mère ; elle lui raconta le service que le voyageur venait de rendre, et à elle-même et à son troupeau ; elle lui apprit que ce voyageur n’était, ni un étranger, ni un inconnu, mais le fils de sa sœur.
Considérez, mes bien-aimés, le soin que prend la divine Écriture de nous faire connaître tous les détails, un à un, pour nous apprendre les mœurs antiques, l’ardeur des anciens hommes à pratiquer l’hospitalité. L’Écriture veut nous montrer l’empressement de la jeune fille, et le texte ne se borne pas à dire : Elle alla porter la nouvelle de ce qui était arrivé ; mais, elle courut ; c’est-à-dire qu’elle était pénétrée d’une grande joie. (Gen. 29,12) Et ensuite, au sujet de Laban, qui était le père de la jeune fille, le texte dit, que sur ce qu’elle lui raconta, il courut, lui-même aussi, au-devant de et le baisa et l’amena dans sa maison. (Id. 13)
2. Lorsque Laban eut appris de lui tout ce qu’il voulait savoir, Laban lui dit : vous êtes de mes os et de ma chair (Id. 94) ; c’est-à-dire, puisque vous êtes le fils de ma sueur, vous êtes de notre chair, vous êtes notre frère. Et, dit le texte, il resta avec lui un mois ; le juste se trouva là, comme dans sa propre maison, au sein de l’abondance, affranchi de toute espèce de soin. Mais comme Dieu disposait, toutes choses dans l’intérêt de ce juste, et lui manifestait, en toutes choses, sa faveur et sa grâce, il excita pour lui l’affection de Laban et celui-ci, voyant l’honnêteté du juste, lui dit : Parce que vous êtes mon frère, ce n’est pas une raison pour que vous me serviez gratuitement ; Dites-moi quelle rétribution vous est due. Considérez que le juste, de lui-même, redemandait rien ; c’est Laban, qui sans aucune provocation, de son propre mouvement, fait cette proposition au juste ; et considérez encore, lorsqu’un homme s’appuie sur le bras d’en haut, comme tout afflue vers lui, ce n’est pas une raison, dit le texte, pour que vous me serviez gratuitement ; Dites-moi quelle rétribution vous est due. Cependant ce bienheureux aimait Laban, et il lui suffisait de trouver auprès de lui la nourriture de chaque jour ; et, pour ce seul avantage, il lui témoignait toute sa reconnaissance ; mais Laban, qui a vu toute son honnêteté, le prévient, en lui promettant de souscrire à la rétribution que lui-même fixera. Que fait donc le juste ? Considérez encore ici, sa parfaite sagesse, son parfait désintéressement, ion mépris de l’argent ; ce n’est pas un mercenaire qui conteste avec Laban, qui réclame quoi que ce soit ; il ne pense qu’à sa mère, qu’aux ordres qu’il a reçus de son père, et il montre l’excellence de sa sagesse ; dans sa réponse à Laban : Je vous servirai sept ans, pour Rachel, votre seconde fille. (18) C’est qu’aussitôt qu’il l’avait vue auprès du puits, il l’avait aimée ; et voyez l’intelligence de Jacob ; il fixe l’intervalle de temps ; et, parce chiffre de sept années, il montre suffisamment la sagesse qui l’inspire. Et pourquoi vous étonner, mes bien-aimés, d’entendre dire qu’il pro mit de servir sept ans pour la jeune fille qu’il aimait ? La divine Écriture a voulu nous montrer l’excès de son amour en fixant la longueur du travail et du temps qu’il propose : Jacob le servit donc sept ans, pour Rachel, et ces années lui parurent des jours en bien petit nombre, au prix de l’affection que, lui avait pour elle. (Id. 20)
Ce nombre de sept ans, dit le texte, ce n’était que comme quelques jours, à cause de sa vive affection pour la jeune fille. C’est que l’homme blessé par l’amour ne voit rien de pénible ; tous les dangers, toutes les épreuves, tout lui semble léger, parce que ses regards ne voient qu’une chose, parce qu’il n’a qu’une pensée, rassasier son amour.
Soyons attentifs, nous tous, que tient la lâcheté et l’abattement d’esprit, et qui ne montrons au Seigneur que notre ingratitude. Si ce juste, parce qu’il aimait cette jeune fille, s’est assujetti à servir pendant sept années, a supporté les fatigues des bergers et n’a ressenti ni ces fatigues, ni la longueur du temps ; si tout lui a paru léger et facile, parce qu’il avait pour soutenir son courage, l’attente de la félicité à venir ; si ce temps si long lui a paru comme un petit nombre de jours bien vite passés, quelle sera notre excuse, à nous, qui n’avons lias le même amour pour le Dieu qui nous aime, qui nous comble de bienfaits, qui nous entoure de ses soins, qui se donne tout à nous ? S’agit-il d’un de ces profits du monde ; nous voilà pleins d’ardeur, prêts à tout, acceptant les fatigues, quoique ce bien que nous poursuivons, ne soit que trop souvent un pesant fardeau, une occasion, de honte et de châtiment, dans le présent et dans l’avenir. Mais s’il s’agit de notre salut, s’il faut nous concilier la faveur d’en haut, nous sommes sans énergie, sans courage, et notre vigueur s’en va. Quelle pourra être notre excuse, que pourrons-nous dire pour justifier notre nonchalance, nous, sans cœur, qui n’avons pas pour Dieu le même amour que ce bienheureux pour cette jeune fille, et cela malgré tant de bienfaits depuis longtemps reçus, malgré tant de bienfaits, que nous recevons encore chaque jour ? Oui, nous sommes des ingrats ; le bienheureux Paul n’était pas un ingrat, lui, dont l’amour bouillant, dont la charité ardente trouvait des paroles, des cris, des accents vraiment dignes de sa grande âme : Qui nous séparera de l’amour de Jésus-Christ ? (Rom. 8,35) Voyez la chaleur de l’expression et la force qu’elle recèle, voyez la ferveur de l’amour violent, voyez la charité embrasée. Qui nous séparera, c’est-à-dire, quoi donc peut nous séparer de l’amour pour Dieu, quoi donc parmi les choses visibles, quoi donc parmi les invisibles ?
3. Ensuite, il énumère un à un tous les malheurs particuliers, pour bien montrer à tous, que rien ne peut triompher de l’amour qui le possède, de son amour pour le Seigneur ; il ajoute : La tribulation ? l’affliction ? la faim ? la persécution ? la nudité ? les périls ? le glaive ? O délirante folie, mère de la vraie sagesse ! De tout ce qui peut nous arriver, Qu’est-ce donc qui nous séparera de l’amour de Dieu ? Les tribulations de chaque jour ? non ; les afflictions ? non ; les persécutions ? non, jamais. Quoi donc alors ? la faim ? non, pas même la faim ; mais alors les périls ? et que dis-je ? la faim et la nudité, et les périls ? Ah ! le glaive ? eh bien, dit-il, la mort même, fondant sur nous, n’aura pas ce pouvoir ; impossible, absolument impossible. Nul autre, non, jamais personne n’a mérité de ressentir l’amour pour le Seigneur, autant que cette âme bienheureuse ; c’était comme un esprit affranchi du corps, séjournant dans les espaces sublimes, ne touchant plus la terre, quand il faisait entendre de telles paroles ; son amour pour Dieu, la charité qui l’embrasait, transportait sa pensée loin des choses sensibles, vers la vérité pure ; loin des choses présentes, vers les biens à venir ; loin des choses visibles, vers celles que l’œil ne voit pas. Voilà ce que fait la foi, voilà l’amour de Dieu. Et, comprenez la grandeur du sentiment qui le pénètre, voyez quel amour pour le Seigneur ; voyez quelle charité brûlante, dans la fuite, dans la persécution, dans les verges, dans les innombrables épreuves qu’il supporta, qu’il énumérait ainsi : J’ai plus souffert de travaux, plus reçu de coups : souvent, j’ai vu mille morts ; j’ai reçu des Juifs, à cinq reprises différentes, trente-neuf coups de fouet ; j’ai été battu de verges, par trois fois ; j’ai été lapidé une fois ; j’ai fait naufrage trois fois ; j’ai passé, un jour et une nuit, au fond de la mer ; j’ai été souvent dans les voyages, dans les périls sur les fleuves, dans les périls des voleurs, dans les périls de la part des faux frères, dans la peine et dans les fatigues. (2Cor. 11,23-27)
Et celui qui subissait tant d’épreuves, se réjouissait et tressaillait d’allégresse ; il savait, il avait au fond du cœur la conviction, que les fatigues présentes lui assuraient les plus glorieuses récompenses ; que ses périls lui valaient des couronnes. Si Jacob, dans son amour pour Rachel, regardait comme le court espace de quelques jours une durée de sept années, à bien plus forte raison, ce bienheureux méprisait-il toutes les choses présentes, embrasé qu’il était de son amour pour Dieu, supportant tout, pour son Christ bien-aimé. Appliquons-nous donc, nous aussi, je vous en conjure, à aimer le Christ, car, Que demande-t-il de vous, dit l’Évangéliste ? rien autre chose, que de l’aimer de tout votre cœur, et d’accomplir ses commandements. (Mc. 12,30). Il est évident que celui qui aime Dieu, comme il convient, fera tous ses efforts pour accomplir ses préceptes ; l’amour fraternel fait tout avec ardeur, pour s’attirer l’amour du bien-aimé ; et nous aussi, si notre cœur chérit sincèrement le Seigneur, nous nous empresserons d’accomplir ses commandements ; nous ne ferons rien qui puisse aigrir contre nous le bien-aimé. Voilà la royauté du ciel ; voilà, des vrais biens la vraie jouissance ; voilà ce qui renferme les biens infinis, la sincérité, la perfection de l’amour. Et notre amour pour Dieu est sincère, quand l’affection que nous lui portons, nous excite à montrer, à nos compagnons d’esclavage, la tendresse d’un ardent amour. Toute la loi des prophètes, dit l’Évangéliste, sont renfermés dans ces deux commandements (Mt. 22,40), à savoir : Que vous aimiez le Seigneur, votre Dieu, de tout votre cœur, de toute votre âme et de toutes vos forces, et votre prochain comme vous-même. (Mc. 12,30-31) Voilà la somme, voilà le fondement de toutes les vertus. En même temps que l’amour de Dieu fait son entrée dans les âmes, y entre aussi l’amour du prochain ; qui aime Dieu, ne méprise pas son frère, ne préfère pas les richesses à celui qui est un de ses membres ; au contraire, c’est l’amour, c’est la bonté qui se manifeste au souvenir de cette parole : Autant de fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi-même que vous l’avez fait. (Mt. 25,40) Cette pensée que ce que l’on fait au prochain, est fait à Dieu même, qui nous l’attribue comme un bienfait, qu’il a reçu de nous, donne au vrai fidèle l’allégresse de la charité. Dès lors, d’une main généreuse, il répand autour de lui l’aumône ; il ne s’arrête pas à l’extérieur méprisable du pauvre ; il ne considère que la grandeur de Celui qui a pro mis qu’il regarderait comme fait à lui-même tout ce qui aurait été fait aux pauvres. Gardons-nous donc de dédaigner, je vous en conjure, ce profit de nos âmes, ce remède de nos blessures, Voilà, en effet, voilà, par excellence, le remède salutaire, qui fera disparaître les ulcères de nos âmes, jusqu’aux vestiges de toutes les cicatrices ; qui produira une cure, impossible pour le corps. Vous avez beau, d’après les conseils des médecins, mettre cataplasmes sur cataplasmes ; il faut que, sur le corps, la cicatrice demeure, et cela se comprend ; c’est le corps en effet qu’il s’agit de guérir ; au contraire, quand il s’agit de guérir l’âme, la bonne volonté produit une amélioration merveilleuse ; les plaies disparaissent, comme la poussière que dissipe la violence des vents. Les Écritures sont pleines d’exemples qui le prouvent. Ainsi Paul est devenu, de persécuteur, apôtre ; et celui qui d’abord combattait l’Église, est devenu fiancé de la divine grâce.
4. Comprenez-vous le changement ? comprenez-vous la transformation ? C’est ainsi que le larron, qui avait commis tant de meurtres, a pu, pour quelques paroles que vous connaissez, en moins d’un instant, si bien laver toutes ses fautes, qu’il a entendu, de la bouche du Seigneur : Aujourd’hui, vous serez avec moi dans le paradis. (Lc. 23,43) C’est ainsi que ; le publicain, pour s’être frappé la poitrine, pour avoir confessé ses fautes, est descendu du temple plus justifié que le pharisien. (Lc. 18,13) C’est que tous ces pécheurs manifestèrent la bonne disposition de leur âme ; ils confessèrent leurs péchés, ils en obtinrent la rémission. Eh bien ! maintenant, voyons la force de ce précepte, l’abondance qui accompagne les largesses de l’aumône ; apprenons quel profit en résulte pour nous, afin de la pratiquer avec ardeur. Peut-être son pouvoir est-il si grand que, non seulement elle purifie les péchés, mais déconcerte la mort. Comment cela ? je vais le dire : Et qui donc, m’objectera-t-on, pour avoir fait l’aumône, a triomphé de la mort ? À coup sûr, on voit bien que nous sommes tous asservis à la mort. Cessez de vous troubler, mes bien-aimés ; apprenez, par la réalité môme des choses, comment l’aumône triomphe de la tyrannie de la mort. Il y avait une femme, appelée Tabitha, nom qui correspond au grec Dorcas ; chaque jour cette femme s’appliquait à amasser les richesses qui viennent de l’aumône. Elle donnait, dit le texte, des vêtements aux veuves, et leur fournissait 3 toutes les autres choses qui leur sont nécessaires. Il arriva qu’elle tomba malade, et mourut. Voyez ici, mon bien-aimé, quelle récompense ; les veuves donnèrent à cette femme bienfaisante, qui prenait soin d’elle, qui leur donnait des vêtements. Elles entourèrent l’apôtre, dit le texte, et lui montrèrent ces vêtements, et toutes les preuves de la bonté de Dorcas, et des vertus qu’elle manifestait, quand elle était encore au milieu d’elles. Ces veuves redemandaient celle qui les nourrissait, et elles versaient des larmes, et elles touchèrent vivement la compassion de l’apôtre. Que fit alors le bienheureux Pierre ? Il se mit à genoux, en prières, et, se tournant vers le corps, il dit : Tabitha, levez-vous ; elle ouvrit les yeux, vit Pierre, et se mit sur son séant. Il lui donna aussitôt la main et la leva ; et, ayant appelé les saints et les veuves, il la leur rendit vivante. (Act. 9,40-41) Voyez-vous la vertu de l’apôtre, disons mieux, la vertu du Seigneur, opérant par lui ? Voyez-vous la grandeur de la rétribution qui récompense la charité envers les veuves, la grandeur de la rémunération, même dans la vie présente ? Eh quoi ! répondez-moi, cette femme a-t-elle fait, pour les veuves, autant que les veuves ont fait pour elle ? elle leur donna des vêtements et de la nourriture, mais les veuves, en retour, l’ont rendue à la vie ; elles ont repoussé la mort loin d’elle ; disons mieux, ce ne sont pas ces veuves qui ont repoussé la mort, c’est dans sa clémence, Notre-Seigneur, jaloux de récompenser les soins de cette bienfaitrice.
Comprenez-vous la puissance de ce remède, ô mes bien-aimés ? Appliquons-le donc, tous tant que nous sommes, à nous-mêmes ; ce n’est pas un remède dispendieux ; quoiqu’il soit d’une si grande efficacité, il coûte peu, on se le procure sans frais ; car la grandeur de l’aumône ne consiste pas dans la valeur de l’argent, dans le prix des richesses, mais dans l’allégresse de la charité qui s’épanche. Voilà pourquoi celui qui donne un verre d’eau froide est agréable au Seigneur ; et, de même, la pauvre femme qui jette dans le tronc deux petites pièces de monnaie. (Mt. 10,42. – Lc. 21,2) Ces exemples nous, apprennent que c’est, en toutes choses, la pureté de l’intention que demande le Seigneur Dieu de tous les êtres. Il peut se faire que celui qui n’est pas riche, montre une grande libéralité, s’il a dans son cœur une grande charité ; il peut se faire que le riche paraisse moins généreux que le pauvre, si ce riche a une âme sordide. Versons donc, je vous en prie, ce que nous possédons, dans les mains des indigents ; faisons-le, d’une âme charitable et magnifique, avec les dons que nous tenons du Seigneur ; ce que nous avons reçu de lui, rendons-le-lui encore, afin que, de cette manière encore, ces biens redeviennent nôtres, avec plus de profit. Telle est, en effet, la générosité du Seigneur ; quoiqu’il ne reçoive que ce que lui-même nous a donné, il ne croit pas pourtant recevoir de nous ce qui lui appartient en propre ; mais, dans sa grande munificence, il nous promet de tout nous rendre, à là seule condition que nous fassions ce qui dépend de nous ; que nous sachions bien, quand nous donnons aux pauvres, que nous faisons un dépôt dans les mains du Seigneur ; que nous soyons bien assurés que, quels que soient les trésors déposés dans ses mains, non seulement il nous les rendra, mais nous les rendra avec usure, avec un très-grand profit, qui attestera la gloire de son incomparable magnificence. Et que dis-je ? que Dieu nous rendra nos dons avec profit ; non seulement la main divine rend ce qu’on lui donne, mais, à tous ces présents, elle ajoute le don du royaume des cieux, et la gloire partout proclamée, et les couronnes, et des biens qui ne se peuvent compter ; et cela, à la simple condition, pour nous, de prélever, sur tant de bienfaits reçus de Dieu, une toute petite part, que lui offre notre bonne volonté. Y a-t-il donc là une exigence lourde et importune ? De notre superflu, il veut faire, pour nous, le nécessaire ; de ces trésors que nous déposons, sans but sérieux, inutilement dans des coffres d’où ne sort aucun profit, il veut que nous fassions un bon emploi, qui lui permette de nous décerner de splendides couronnes. Car Dieu est impatient, et il nous presse, et il fait tout, et il met tout en œuvre, pourquoi ? Pour nous rendre dignes de toutes ses promesses.
5. Donc, je vous en prie, ne nous privons pas de biens si précieux ; si l’agriculteur diligent, vide ses greniers, confie les semences à la terre, dépense ce qu’il a mis longtemps à recueillir, et fait cette avance avec plaisir, dans l’espérance dé recueillir de plus grands biens, et cela, quoiqu’il n’ignore pas les intempéries des saisons, la stérilité, dont parfois la terre est frappée, un grand nombre d’autres accidents ; les sauterelles infestant les campagnes ; la nielle, tous les fléaux qui, souvent, trompent son attente ; si l’espérance qui le soutient, lui fait braver tout et confier hardiment à la terre ce qu’il a mis en réserve : à bien plus forte raison, nous, qui avons des réserves inutiles, dépensons-les utilement, pour les pauvres, pour nourrir les malheureux ; et cela, puisqu’il n’est pas à craindre que l’espérance nous trompe, ni que la terre, ici, soit stérile. Ne savez-vous pas ce que dit le texte : Il a dispersé, il a donné aux pauvres, (Ps. 111,9) Écoutez encore la suite : Sa justice demeure éternellement. O l’admirable semeur ! il a fait, en quelques instants, sa distribution, et c’est dans l’éternité des siècles que sa justice demeure. Qui a jamais vu opération plus heureuse ? Aussi, je vous en conjure, acquérons, nous aussi, la justice qui vient de l’aumône, afin que, de nous aussi, on puisse dire : ils ont dispersé, ils ont donné aux pauvres ; leur justice demeure, éternellement. Quand le texte dit : Il a dispersé, il a donné, vous pourriez croire que ce qui a été dispersé, est perdu ; voilà pourquoi le texte aussitôt ajoute, Sa justice demeure éternellement, c’est-à-dire, par suite de cette, dispersion, il faut qu’une justice demeure, dont rien ne triomphe ; une justice qui s’étende dans toute la durée des siècles, sans jamais rencontrer de fin. Et, avec l’aumône, pratiquons aussi, ardemment, les autres vertus ; réprimons les passions de la chair : bannissons de notre âme toute illégitime concupiscence, toute pensée mauvaise : la colère, la haine, l’envie ; parons, de tous.les ornements, la beauté de notre âme ; par l’éclat de cette beauté, concilions-nous ; l’amour du Dieu du ciel, et puisse-t-il habiter avec nous ! Aussitôt qu’il verra les grâces aimables de notre âme, vite il viendra vers nous ; c’est lui qui fait entendre ces paroles. Sur qui jetterai-je les yeux, sinon sur l’homme, doux et paisible, et humble, qui écouté mes paroles avec tremblement. (Is. 66,2) Voyez-vous comme le prophète nous apprend les couleurs spirituelles qui peuvent rendre éclatante la beauté de l’âme ? Sur l’homme doux, dit-il, et paisible et humble. Ensuite, il ajoute la cause qui produit cet étai : Et qui écoute mes paroles avec tremblement. Que signifie : qui écoute mes paroles avec tremblement ? C’est, l’obéissance, qui réalise dans sa conduite les commandements de Dieu, comme le dit l’Écriture, en un autre endroit : Heureux l’homme qui est toujours dans la crainte, à cause de la piété (Prov. 28,14) Nous-mêmes, quand nous voyons un serviteur accomplir nos ordres, avec un soin qu’anime la crainte de nous déplaire, un serviteur tremblant devant nous, nous lui marquons une affection, une sympathie plus grande ; c’est ce qui est bien plus vrai, de la bonté du Seigneur, à notre égard. De là, ces paroles : Je jetterai les yeux sur l’homme doux et paisible et qui écoute mes commandements avec tremblement. Tremblons donc, je vous en conjure, nous aussi ; et, pénétrés d’une grande crainte, accomplissons ses paroles ; car ses paroles ce sont les préceptes qu’il nous a transmis. Instruits de ce qui lui plaît, de ce qu’il approuve, mettons-nous à l’ouvrage, et appliquons-nous à lui être agréables ; montrons un grand amour de la paix, une grande mansuétude, une grande humilité ; accomplissons tous ses préceptes avec respect et avec crainte, afin qu’il approuve les dispositions de notre âme ; afin que, touché de notre obéissance, il daigne encore jeter les yeux sur nous. Si nous avons ce bonheur, nous jouirons de la parfaite sécurité ; car ces paroles : Je jetterai les yeux, veulent dire, j’entourerai de ma providence, je fendrai la main, je porterai secours, en toutes circonstances, j’épancherai l’abondance de ma libéralité. Pratiquons donc, en toutes choses, cette conduite, je vous en conjure, afin que le Seigneur jette les yeux sur nous ; afin que nous passions sans tristesse la vie présente, et que nous puissions posséder les biens à venir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur. Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. PORTELETTE.

CINQUANTE-SIXIÈME HOMÉLIE.

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Et Jacob dit à Laban ; « Donnez-moi ma femme, car les jours sont accomplis où je dois être admis auprès d’elle. » (Gen. 29,21)

ANALYSE.

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1et 2. Explication des versets 20, 28 du chapitre XXIX. Sortie véhémente contre les pompes sataniques en usage dans les noces. – 3. Explication des versets 29, 33. La polygamie autrefois tolérée, ne l’est plus aujourd’hui, pourquoi ? – 4. Explication de la suite du texte jusqu’au verset 13 du chapitre XXX. – 5. Explication des versets 14, 24. – 6. Exhortation. Ne pas rechercher le secours des hommes
1. Hier nous avons passé de l’amour que Jacob montra pour Rachel, à celui que Paul montra pour Jésus-Christ, et considérant l’admirable charité de l’Apôtre, nous avons été comme entraîné par un torrent impétueux, et nous n’avons pas eu la force de reprendre la suite de notre discours. Aujourd’hui donc, s’il vous plaît, reprenant notre marche, nous achèverons ce qui nous reste encore à parcourir, afin que nous puissions recueillir encore de cette homélie un suffisant avantage avant de rentrer dans nos demeures. Lorsque le nombre des sept années fut accompli, et, dit l’Écriture, ce long temps, n’était, aux yeux de que pets de jours, à cause de l’amour qu’il avait pour Rachel, il dit à Laban : Ne me retenez plus ma femme, car les jours sont accomplis où je dois être admis auprès d’elle. Et Laban rassembla tous les hommes de la contrée et célébra les noces. Et le soir étant venu, Laban prit Lia, sa fille, et l’introduisit auprès de Jacob. (Gen. 29,20-23)
Avez-vous vu avec quelle gravité l’antiquité célébrait les noces ? Écoutez, vous qui vous laissez éblouir par les pompes de Satan, et qui, par les préludes des noces, en déshonorez le caractère auguste. Y a-t-il là des flûtes, des cymbales, des danses sataniques ? Pourquoi donc, dites-moi, introduisez-vous si vite, dans votre maison, une telle peste ? Pourquoi la transporter chez vous de la scène et de l’orchestre, pour que cette prodigalité intempestive altère la réserve de la jeune fille et rende le jeune homme plus effronté ? On devrait s’estimer heureux que cet âge pût, même en l’absence de ces causes de désordre, résister à la tempête des passions ; mais lorsque tant de choses viennent par la vue et par l’ouïe rendre par l’embrasement plus intense et plus ardente la fournaise des passions, comment l’âme du jeune homme pourrait-elle échapper à sa ruine ? C’est là ce qui perd et détruit tout ; c’est parce que la modestie de ceux qui doivent s’unir est violemment déracinée dès l’origine ; et en effet souvent, dès le premier jour, ce jeune homme a reçu dans son âme un trait satanique ; atteinte par les yeux et les oreilles, la jeune fille a succombé, et à partir de ce jour, les blessures s’accroissent et causent un mal de plus en plus profond. D’abord, en effet, la concorde mutuelle est ruinée, l’amour dépérit. Car lorsque l’époux attache sa pensée à une autre, son esprit se partage, et vaincu par les stratagèmes du démon, il remplira bientôt sa maison de tristesse. Si l’épouse aussi est trouvée coupable d’une faute de même sorte, tout sera pour ainsi dire, ruiné par la base, et désormais, pleins de dissimulation l’un pour l’autre, la femme sera en butte aux soupçons de son mari, le mari aux soupçons de sa femme. Et ceux entre lesquels devait subsister indissoluble le lien de la concorde, ceux qui doivent être une seule chair ( car, dit l’Écriture, ils seront deux en une seule chair Gen. 2,2), seront divisés comme s’ils étaient séparés par le fer. Le démon, entrant chez eux, y exerce de tels ravages, que des guerres et des combats journaliers s’ensuivent, et que leurs maux ne trouvent aucune trêve. Et qui pourrait exprimer les mépris des serviteurs, le rire des voisins, les indignités qui se produisent. Comme dans la discorde des pilotes, les passagers partagent les périls, et le navire doit sombrer avec tous ceux qu’il porte, de même ici, lorsque l’époux et l’épouse sont en lutte, le reste de la maison doit partager leurs maux. Ces maux, je vous conjure donc de les prévoir, afin de ne pas vous laisser conduire par la coutume ; car je sais que beaucoup s’en font une excuse contre nous et ne peuvent supporter nos discours ; mais nous devons pourtant vous dire ce qui est salutaire, pour vous sauver des châtiments à venir. Là où l’âme éprouve un tel dommage pourquoi m’objecter la coutume ? Et moi aussi je vous objecte une coutume meilleure, celle des temps primitifs, où pourtant la vraie religion était moins répandue. Et ne croyez pas que je parle du juste Jacob ; pensez à Laban encore adonné au culte des idoles, ignorant la religion, et qui cependant montre une telle sagesse. Cette louable conduite, en effet, n’est pas celle du futur époux, mais du père qui lui donne sa fille. Aussi en abordant ce discours, ai-je voulu m’adresser moins aux époux qu’aux parents, au père de l’époux et à celui qui lui donne sa fille. N’est-il pas absurde que nous, chrétiens, objets d’une telle bonté de la part de Dieu, nous, appelés à des mystères redoutables et ineffables, nous soyons au-dessous de Laban, qui servait encore les idoles ? N’entendez-vous pas Paul nous dire que le mariage est un mystère et l’image de la charité que le Christ a témoignée à son Église ? Ne nous dégradons pas nous-mêmes et ne flétrissons pas la dignité du mariage. Si mon conseil est bon et utile, fût-il contraire à la coutume, suivez-le ; si ce que vous pratiquez est nuisible et désastreux, fût-ce la coutume, qu’il disparaisse. Si nous cédions à l’autorité de la coutume, le voleur, le plus infâme débauché, celui qui fait profession d’un vice quelconque nous alléguerait cette autorité. Mais l’on n’en tirera nul avantage et l’on n’obtiendra nulle indulgence ; on sera sévèrement repris de n’avoir pas su s’élever au-dessus d’une coutume perverse.
2. Si nous voulons veiller sur nous-mêmes et nous préoccuper grandement de notre salut, nous saurons nous tenir éloignés des mauvaises coutumes et en acquérir de bonnes. Nous léguerons ainsi à ceux qui nous suivront une grande facilité pour entrer dans la même voie, et nous-mêmes nous recevrons une récompense pour leurs bonnes actions. Car – celui qui ouvre l’entrée de la bonne voie sera la cause du bien accompli par d’autres, et il recevra double récompense pour le bien qu’il aura fait lui-même et pour avoir conduit les autres à la pratique de la vertu. Ne m’opposez pas ces froids et ridicules discours, que telle est la loi du monde et qu’il faut la suivre. Ce n’est point la ce qui fait un mariage légitime ; ce qui le fait, c’est de s’unir, conformément aux lois divines, avec modestie et dignité ; c’est de se tenir attachés 'par la concorde. Les lois humaines ne l’ignorent pas ; écoutez ceux qui sont versés dans cette science vous dire que c’est la communauté habituelle de vie qui constitue le mariage. Ne violons donc pas à la fois les lois de Dieu et celles des hommes ; ne leur préférons pas ces lois diaboliques et cette coutume funeste ; car cette loi a pour auteur celui qui se réjouit toujours de notre perte. Quoi de plus ridicule que cette coutume de soumettre le mari et sa femme aux quolibets, aux railleries sans fin de serviteurs et de misérables, sans que personne les reprenne, mais de donner pleine licence à chacun, durant la soirée des noces, de tout dire et d’accabler d’indécentes plaisanteries les nouveaux époux ? Un autre jour, si quelqu’un tentait de les injurier, il y aurait pour lui des tribunaux, des prisons, des jugements ; mais dans un moment où la pudeur, la décence, la pureté devraient surtout être respectées, c’est alors que l’impudeur règne partout ; ce, sont bien les ruses du démon qui ont produit cette coutume. Mais ne vous offensez pas, je vous en conjure. Ce n’est pas sans motif que j’ai fait cette digression, c’est par zèle pour votre salut, et pour la décence ; je veux que vous soyez les auteurs d’une heureuse révolution, les introducteurs d’une noble coutume, Que l’on donne seulement l’impulsion et que la voie soit ouverte ; peu à peu, l’un étant noblement et louablement jaloux de l’autre, vous deviendrez l’objet des éloges de chacun, et non seulement les habitants de la ville imiteront cette heureuse nouveauté, mais vous attirerez à votre suite ceux qui habitent au loin, vous leur inspirerez le zèle de vous imiter, et vous obtiendrez de Dieu de nombreuses couronnes, parce que, par la crainte et l’obéissance à ses commandements, vous aurez triomphé de cette coutume satanique. Oui, vous embrasserez avec ardeur ce conseil que je vous donne et vous le mettrez en pratique, j’en ai la ferme conviction. Quand en effet je vous vois écouter avec tant de plaisir mes paroles, je conjecture, d’après vos applaudissements et vos louanges, que vous poursuivrez une réforme effective. Je n’en dirai pas sur ce point davantage et je reprends mon sujet. Et le soir étant venu, Laban prit Lia sa fille et l’introduisit auprès de Jacob.
Ne passons pas non plus légèrement sur ces paroles ; elles nous enseignent plusieurs choses : d’abord la bonne foi de et comment, étranger à toute malice, il fut lésé par Laban ; puis, que tout se passa avec une grande décence, sans flambeaux, ni chœurs de danse, ni luxe de lumière, en sorte que la ruse de Laban put réussir. On y peut aussi reconnaître l’attachement de Laban pour Jacob ; car il machina cette ruse pour retenir ce juste plus longtemps auprès de lui. Sachant qu’il brûlait pour Rachel et que, s’il obtenait l’objet de ses vœux, il ne consentirait pas à servir ensuite pour Lia et à demeurer pour ce motif auprès de lui, Laban, qui considérait la vertu de cet homme et comprenait qu’il ne réussirait pas autrement à le dominer et à le persuader, employa la ruse et lui donna Lia, avec Zelpha pour servante. Lorsque le juste lui fit ensuite des reproches et lui demanda pourquoi il l’avait trompé ainsi, il lui donna une excuse spécieuse. Car Jacob lui ayant dit : Pourquoi m’avez-vous fait cela ? n’est-ce pas pour Rachel que je vous ai servi ? pourquoi m’avez-vous trompé? (29,25) Que lui répondit Laban ? Ce n’est pas la règle dans cette contrée de marier la cadette avant l’aînée. Accomplissez donc aussi sept années pour elle, et je vous la donnerai pour récompense des travaux que vous aurez encore accomplis pendant sept ans. (26-27) Vous le voyez, sa ruse lui réussit. Voyant l’amour de Jacob pour cette jeune fille, il lui dit : Ne pensez pas que je vous aie fait tort. C’est, dans notre pays, la coutume de marier d’abord l’aînée ; c’est pourquoi la chose s’est passée ainsi. Vous obtiendrez celle que vous souhaitez, si vous me servez pour elle le même nombre d’années. Le juste ayant entendu ce langage accepta tout de bon cœur, et, après ces sept années[1], Laban lui donna sa fille Rachel pour femme.
3. Vous voyez que, là encore, les noces s’accomplissent avec une parfaite convenance. Ne vous troublez pas si vous entendez qu’il reçut l’aînée, puis la cadette, et ne jugez pas ce qui se passait alors par ce qui a lieu aujourd’hui. Alors, en effet, à l’origine du monde, il était toléré d’avoir deux ou trois épouses et même davantage, afin de multiplier le genre humain ; mais maintenant, depuis que, par la grâce de Dieu, il s’est multiplié, la vertu aussi a reçu sa croissance. Le Christ est venu ; il a implanté la vertu parmi les hommes ; il les a faits, en quelque sorte, d’hommes devenir anges, et il a aboli cette ancienne coutume. Voyez-vous maintenant qu’il ne faut pas objecter une coutume ancienne, mais chercher en tout ce qui est salutaire ? Vous le voyez, on abolit une coutume fâcheuse : il n’est plus permis de l’objecter. Ne vous obstinez donc jamais, je vous en conjure, à suivre une coutume, mais cherchez ce qui est salutaire et ne nuit point à vos âmes ; que ce qui est honnête se pratique parmi vous, quand ce ne serait pas la coutume ; et s’il y a quelque chose de funeste, fût-ce un usage, il faut s’en détourner et le fuir.
Et il donna à Jacob Rachel avec Balla pour servante. Vous avez compris cette sublime simplicité de mœurs ? Point de troupeaux d’esclaves : point de codicilles, ni de contrats, point de ces ridicules précautions : si telle chose arrive, si telle chose se produit. Chez nous, avant même d’être unis, ceux qui ne savent pas s’ils vivront seulement jusqu’au soir, se hâtent de consigner par écrit ce qui devra se faire dans un avenir éloigné : si le conjoint meurt sans enfants, s’il meurt ayant des enfants, et autres stipulations semblables. Rien de pareil ici : le père a marié ses filles, en donnant une servante à chacune.
Or dit l’Écriture, Jacob aimait Rachel plus que Lia, et il servit Laban sept années encore. Parce que dès l’abord il l’avait aimée à cause de sa beauté et parce qu’il avait eu de la peine à obtenir l’objet de ses souhaits, il l’aima plus que Lia, car l’Écriture parle de sa beauté qui avait excité l’amour de Jacob. Considérez maintenant ici l’ineffable bonté du souverain Maître, et comment il accomplit peu à peu ce qu’il a promis. Celui qui avait dit : je serai avec toi et te garderai dans tout ton voyage (Gen. 28,15), et encore : je l’augmenterai et je te multiplierai, c’est lui qui a gouverné tout cela. Et afin de l’apprendre, écoutez la divine Écriture elle-même, qui nous ledit clairement : Le Seigneur Dieu, voyant que Jacob avait de l’aversion pour Lia, ouvrit son sein, tandis que Rachel demeurait stérile. Lia conçut, et enfanta un fils à Jacob. (31-32) Considérez la sagesse de l’action divine. Parce que l’une attirait par sa beauté l’amour de son époux et que celle qui en était privée paraissait l’objet de son aversion, Dieu rend féconde celle-ci et stérile sa sueur, gouvernant tout par sa bonté, afin que Lia eût quelque consolation, par les enfants qui naissaient d’elle, attirant ainsi l’amour de son mari, et afin que Rachel ne s’élevât pas contre sa sueur, à cause de sa beauté et de ses attraits. Dieu ouvrit son sein. Apprenez de là, mon bien-aimé, que l’Auteur de toutes choses les gouverne toutes ; qu’il donne seul la fécondité, qui ne peut se produire sans le secours d’en haut. L’Écriture dit que Dieu ouvrit son sein, afin que nous sachions que le Maître souverain voulut lui donner la fécondité pour adoucir son chagrin, car c’est lui qui forme l’enfant dans le sein de sa mère, c’est lui qui donne la vie : comme David l’exprime en disant : Vous m’avez accueilli dès le ventre de ma mère. (Ps. 138,13) Et considérez comment la divine Écriture vous montre l’Auteur de la nature produisant à la fois deux effets de sa puissance, ouvrant le sein de Lia et tenant fermé celui de Rachel. Car maître de la nature, il fait tout avec bonté.
Lia conçut et enfanta un fils à et elle l’appela Ruben, en disant : Parce que le Seigneur a regardé mon abaissement, mon mari m’aimera désormais. Considérez la reconnaissance de cette femme. Le souverain Maître, dit-elle, a regardé mon abaissement et m’a donné un fils, afin que je puisse être aimée à cause de lui. Et considérez aussi comment ce Dieu bon est jaloux de sa gloire, et comment il est libéral et magnifique, voulant à la fois accroître la race du juste et faire que Lia soit aimée de Jacob plus qu’elle ne l’était. Elle conçut de nouveau et donna un second fils à et dit : le Seigneur a entendu que je ne suis pas aimée et il m’a donné un autre fils, et elle l’appela Siméon. Examinez comment elle rend grâce à Dieu pour chacun de ses enfants et se montre reconnaissante de ses bienfaits le Seigneur, dit-elle, a entendu que je ne suis pas aimée et il m’a donné un autre fils. Et c’est pour cela qu’elle l’appela Siméon.
4. Comprenez-vous qu’elle ne donne pas des noms à ses enfants sans motif ni à l’aventure ? Elle appelle celui-ci Siméon, parce que le Seigneur l’a entendue, car ce nom signifie en hébreu : a été entendu : Elle conçut encore et enfanta un fils, et elle dit : Maintenant mon mari sera de mon côté, car je lui ai donné trois fils, et elle appela celui-ci Lévi. Elle semble vouloir dire que la naissance des deux premiers n’avait pas suffi pour attirer son mari vers elle, mais que l’inclination de celui-ci était encore pour Rachel ; c’est pourquoi elle dit Maintenant more mari sera de mon côté. Sans doute la naissance de ce troisième fils me vaudra son affection, car je lui ai enfanté trois fils. Elle conçut encore et enfanta un fils, et elle dit : Maintenant encore je glorifierai le Seigneur ; c’est pourquoi elle, lui donna le nom de Juda. (35) Que veulent dire ces mots : Je glorifierai le Seigneur ? Ils signifient ici : Je lui rendrai grâces, je publierai ses louanges, parce qu’il m’a donné un quatrième fils, et m’a accordé un si grand bienfait. La beauté qui me manquait pour gagner l’amour de mon mari, la naissance des enfants dont m’a gratifiée la bonté de Dieu y a suppléé. Il a dissipé l’excès de mon abattement, en consolant celle qui était un objet d’aversion à cause de sa laideur, et a reporté sur ma sueur l’aversion de Jacob : Ayant enfanté Juda, dit le texte, elle cessa d’enfanter. Mais Rachel voyant qu’elle-même ne donnait point d’enfant à Jacob porta envie à sa sœur et dit à Jacob ; Donne-moi des enfants, sinon je mourrai. (30, 1)
C’est bien là une demande irréfléchie et digne d’une femme, digne d’une âme que la jalousie assiège : Donne-moi des enfants. Ne sais-tu pas que ce n’est pas lui, mais le Seigneur Dieu qui en a fait naître à Lia ? Voyant qu’elle n’était point aimée, il a ouvert son sein. Pourquoi donc demander à ton mari ce qui est au-dessus des forces de la nature ? Pourquoi, oubliant le Maître de la nature, accuser ton mari qui n’y peut rien ? Donne-moi des enfants, sinon je mourrai. Mal affreux de la jalousie, qui dégénère en démence, comme il arrive à Rachel ! Voyant la troupe d’enfants qui était née de sa sueur et réfléchissant à sas solitude, elle ne supporte point cette affliction et ne peut réprimer la préoccupation qui la trouble, mais prononce ces paroles pleines de folie : Donne-moi des enfants, sinon je mourrai. Elle devait savoir l’amour de son mari pour elle, et penser que ce n’était point par sa volonté que Lia avait été si féconde et elle-même stérile, quand elle dit : Donne-moi des enfants. Puis, pour effrayer elle ajoute : Sinon je mourrai. Et que fit le pieux Jacob ? Il s’irrita de ces paroles, dit l’Écriture, et lui répondit : Suis-je donc l’égal de Dieu, qui a refusé un fruit cites entrailles ? (30, 2) Quoi, dit-il, tu oublies le Maître de la nature et tu t’en prends à moi ! C’est lui qui a refusé un fruit à tes entrailles. Pourquoi ne pas lui adresser tes demandes, à lui qui peut te rendre féconde ? Apprends-le donc c’est lui qui t’a rendue stérile et qui a donné à ta sœur cette riche fécondité. Ne me demande donc pas ce que je ne puis accomplir, et dont je rie suis point le maître. Si cela dépendait de moi, je t’aurais toujours préférée à ta sœur, puisque je te portais dès l’abord un plus grand amour. Mais puisque, quelque tendresse que j’aie pour toi, je ne puis te satisfaire, invoque celui qui est l’auteur de ta stérilité et qui peut y mettre fin.
Voyez les saines pensées de ce juste et comment, même dans la colère que lui causent les paroles de Rachel, il lui fait une réponse pleine de sagesse, l’instruisant de l’exacte vérité et lui révélant clairement la cause de sa tristesse, afin qu’elle n’oublie plus le souverain Maître pour demander à un autre ce que seul il peut donner. Apprenant donc que c’est Dieu qui lui refuse des enfants et voyant que sa sœur est fière des siens, elle se procure quelque consolation et dit à Jacob : puisque tu m’as appris que ce n’est point par ta faute que je demeure stérile, prends ma servante pour femme afin que je trouve une faible consolation en tenant pour miens les enfants que tu auras d’elle. Et elle lui donna pour femme Balla, sa servante ; Balla conçut de lui et enfanta un fils à Jacob ; et Rachel dit : Dieu a prononcé son jugement, il a entendu ma voix et m’a donné un fils. C’est pourquoi elle lui donna le nom de Dan. (Gen. 30,4-6) Elle a donc trouvé une légère consolation dans l’enfantement de sa servante : et à cause de cela elle donne ce nom à l’enfant et rend grâces au souverain Maître pour sa naissance. Balla eut encore un enfant de et Rachel dit : Dieu m’a secourue, et je suis devenue l’égale de ma sœur ; je ne suis plus abattue ; et elle appela l’enfant Nephthali. (7-8) Elle vit bien par là que Jacob n’était point l’auteur de sa stérilité. Elle élève ses enfants comme les siens et leur donne leurs noms ; son imagination lui fait trouver là une consolation bien grande. Or Lia, voyant qu’elle-même avait cessé d’enfanter, donna aussi pour femme à Jacob Zelpha, sa servante ; celle-ci conçut et enfanta un fils, et Lia dit : Oh ! bonheur (9-11), c’est-à-dire j’ai réussi dans mon dessein. Et elle l’appela Gad.(11) Elle le nomme ainsi parce qu’elle a obtenu l’objet de ses vœux. Zelpha conçut encore, et enfanta un autre fils ; et Lia dit : Je suis heureuse, parce que les femmes m’estimeront heureuse ; et elle appela l’enfant Aser. (12-13)
5. Vous venez de voir comment Lia aussi s’approprie les enfants de la servante, cominen1elle se dit heureuse et réputée heureuse à cause de leur naissance. Mais considérez maintenant la suite, afin d’apprendre comment la passion de la jalousie se reportait de l’une sur l’autre et tourmentait alternativement, tantôt Rachel, tantôt Lia : Ruben étant sorti dans la campagne, au temps de la moisson du froment, trouva des pommes de mandragores et les apporta d sa mère. Et Rachel dit à Lia, : Donne-moi des mandragores de ton fils. Lia lui répondit N’est-ce pas assez de m’avoir pris mon mari, sans avoir encore les mandragores de mon fils ? (29, 14-15) Voyez-vous comment la passion de l’âme se manifeste par les paroles : N’est-ce pas assez de m’avoir pris non mari, sans avoir encore les mandragores de mon fils ? Rachel lui dit : Ce n’est pas cela : Qu’il dorme avec toi cette nuit en échange des mandragores de ton fils. Donne-moi des mandragores et garde aujourd’hui mon mari avec toi. Voyez comment ce texte manifeste l’affection de Jacob pour Rachel. Si, après que Lia lui adonné tant d’enfants, son affection s’attachait encore à Rachel, comment, si elle n’eût pas été féconde, Lia eût-elle pu supporter de voir son mari s’attacher toujours à Rachel ? Or celle-ci ayant pleine puissance sur son mari, le laisse pour ces fruits, en disant : qu’il dorme avec toi cette nuit, en échange des mandragores. Satisfais le désir que j’ai de ces mandragores et prends mon mari. Au retour de Lia sortit à sa rencontre et lui dit : Tu viendras aujourd’hui avec moi ; j’ai acheté cet avantage au prix des mandragores de mon fils. Et il dormit cette nuit avec elle. Et Dieu exauça Lia, qui conçut et enfanta son cinquième fils. Et Lia dit Dieu m’a donné mon salaire pour avoir, donné ma servante à mon mari. Et elle appela son fils Issachar, c’est-à-dire salaire. (16-18) Dieu, dit le texte, exauça Lia, parce qu’il l’avait vue très affligée et moins considérée que sa sœur. Dieu l’exauça ; elle eut un fils et dit : j’ai obtenu mon salaire pour avoir donné ma servante à mon mari. Et elle l’appela Issachar. Et Lia conçut encore et elle enfanta un sixième fils et dit : Dieu m’a fait un présent magnifique. Maintenant je serai l’objet du choix de mon mari, car je lui ai enfanté six fils. Et elle appela celui-ci Zabulon. (19-20) Désormais, dit-elle, moi aussi je serai l’objet de l’amour de mon mari, car j’ai enfanté six fils. C’est pour cela qu’elle appela ce dernier Zabulon. Elle enfanta aussi une fille qu’elle appela Dina. Et Dieu se souvint de Rachel ; il l’exauça et ouvrit son sein. Elle conçut et enfanta un fils à Jacob. Rachel dit alors : Dieu a fait disparaître mon opprobre : et elle l’appela Joseph, en disant : Dieu me donne un autre fils. (21-24) Dieu, dit-elle, a fait disparaître mon opprobre : il a mis fin à ma stérilité, il m’a rendue féconde et m’a délivrée de la honte. Et elle l’appela Joseph en disant : Dieu me donne un autre fils. Voyez-vous comment les promesses de Dieu se sont peu à peu accomplies ? Quelle troupe d’enfants a maintenant ce juste, parla providence de Dieu envers lui ! Après qu’il a montré la grandeur de sa persévérance, en acceptant quatorze années de servitude, le Dieu de toutes choses le récompensa de sa piété, en multipliant sa fortune à tel point qu’il devint l’objet de l’envie, comme nous l’apprendrons par la suite des discours que j’ai dessein de vous adresser.
6. Mais, afin de ne pas fatiguer votre charité, en nous étendant aujourd’hui trop longuement, nous réserverons, s’il vous plaît, pour un autre discours le reste de ce récit, et nous terminerons là celui-ci, en exhortant votre charité à se souvenir de nos paroles et à imiter avec zèle la vertu des anciens ; à marier vos fils et vos filles comme eux, à appeler, comme eux, par votre propre vertu la bénédiction de Dieu sur vous. En effet, si Dieu nous chérit, quand nous serions sur une terre étrangère, quand nous serions privés de tout, quand nous ne serions connus de personne, nous atteindrons le comble de la gloire ; car rien n’est plus heureux que l’homme soutenu par la main divine. C’est favorisé par cette assistance que l’heureux Jacob est monté peu à peu jusqu’à cette élévation, qui l’a rendu un objet d’envie pour ceux qui l’avaient accueilli. Efforçons-nous d’obtenir de Dieu le même amour, afin de mériter son assistance ; n’ayons point recours aux puissances humaines, et ne poursuivons pas un tel patronage, car rien n’est moins solide, comme l’expérience de la vie suffit pour nous l’apprendre. Nous voyons, en effet, chaque jour de rapides changements : celui qui se trouvait tout à l’heure au comble de la prospérité est entraîné subitement au dernier terme de l’infortune, et se voit souvent traîné devant les juges. Quelle folie donc de poursuivre le patronage de ceux dont l’avenir est si incertain, quand nous ne pouvons rien assurer touchant notre propre sort ! Éloignons-nous donc de ces grandeurs humaines, nous souvenant de cette parole du prophète : Celui-là est maudit qui met sa confiance dans l’homme. (Jer. 17,5) Vous le voyez, il n’est pas seulement insensé, il est maudit, parce qu’il délaisse le Maître de toutes choses, et recourt à celui qui n’est qu’un serviteur comme lui et qui ne saurait se suffire à lui-même. Évitons cette malédiction, je vous en conjure, et plaçons désormais toute notre espérance en Dieu. Celle-là est solide et inébranlable ; elle n’est point sujette au changement comme celle que l’on a dans les hommes. Ou la mort, en effet, a mis fin au pouvoir du protecteur et laissé dépourvus et délaissés ceux qui recouraient à lui ; ou bien des changements accomplis avant la mort ont rendu impuissants le protecteur et le protégé. La vie est pleine de pareils exemples. Ils sont donc inexcusables ceux qui, après une telle expérience, cherchent encore à s’abriter sous une protection humaine, et souvent pour endurer mille maux de ceux même qui paraissent être leurs protecteurs. Car tel est l’excès de la méchanceté humaine, que souvent les courtisans sont payés par des outrages. Mais le Dieu de l’univers en agit tout autrement : il est notre bienfaiteur, en tout, à nous qui connaissons ses bienfaits ; il nous accorde sa protection sans égard à notre ingratitude, mais pour rester fidèle à sa propre bonté. Qu’il l’accorde à chacun de nous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient, au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE-SEPTIÈME HOMÉLIE.

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« Or, il arriva que, lorsque Auchel eut enfanté Joseph, Jacob dit à Laban : Laissez-moi aller, afin que je retourne dans mon pays et ma patrie. » (Gen. 30,25)

ANALYSE.

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  • 1. L’Écriture propose à notre imitation les exemples des saints. Rien de plus fort que la mansuétude. Explication des versets 25-33 du chapitre XXX. – 2. Explication de la suite du texte jusqu’au verset 9 du chapitre XXXI. – 3. Explication des versets 10-18. Dieu ne laisse pas sans secours ceux qui souffrent la calomnie. – 4. Explication des versets 27-35. Jacob s’enfuit de chez Laban. Soin que Dieu prend de ses serviteurs. – 5. Explication des versets 27-35. – 6. Explication des versets 36-40. L’orateur réprimande les pasteurs d’âmes négligents. – 7. Explication des versets 41-44. – 8. Explication des versets 45-54. Exhortation.


1. La suite du discours d’hier doit être mise aujourd’hui sous les yeux de votre charité, afin qu’apprenant par ces paroles, à connaître et les tendres soins que Dieu a montrés envers Jacob et l’amour de ce juste pour Dieu, nous devenions les émules de sa vertu. Ce n’est pas en effet sans motif que la grâce du Saint-Esprit a fait écrire pour nous ces histoires, c’est afin de nous exciter à imiter avec zèle ces hommes vertueux. Car, lorsque nous avons appris à connaître la patience de l’un, la prudence de l’autre, les dispositions hospitalières d’un troisième et les nombreuses vertus de chacun d’eux ; quand nous savons comment chacun s’est particulièrement illustré, nous sommes excités à avoir le même zèle : Allons donc, et, abordant aujourd’hui la suite de l’histoire de ce juste, achevons notre discours.
Or il arriva, dit l’Écriture, que, lorsque Rachel eut enfanté Joseph, Jacob dit à Laban : Laissez-moi aller afin que je m’en retourne dans mon pays et ma patrie. Remettez-moi mes femmes et mes enfants, pour lesquels je vous ai servi. (30, 25-6) Admirez la douceur et la modestie du juste ; il voit clairement la faveur dont il est l’objet de la part de Dieu, et néanmoins il ne s’enorgueillit point contré Laban, mais il lui dit avec douceur : Laissez-moi aller, afin que je m’en retourne. Vraiment, rien n’est plus fort que la douceur, rien n’est plus puissant qu’elle. Considérez en effet comment, ayant prévenu Laban par sa douceur, il en obtint une réponse bienveillante. Laban, dit l’Écriture, lui répondit : Si j’ai trouvé grâce devant vous, et je dois le penser, car Dieu m’a béni à cause de votre venue, déterminez la récompense que vous souhaitez de moi et je vous la donnerai. (30, 27-8) le n’ignore pas, disait-il, que, par suite de votre présence, j’ai joui de la faveur de Dieu. Puis donc que j’éprouve de tels bienfaits par l’effet de votre présence, faites-moi connaître la récompense que vous voudrez et je suis prêt à vous la donner. – Voyez ce que peut la douceur ! ne passons pas légèrement sur ces paroles ; observez que le juste n’a pas demandé la récompense de ses travaux, qu’il n’en a pas même fait mention, il n’a dit que ceci : Remettez-moi mes femmes, et mes enfants, pour lesquels je vous ai servi, afin que je m’en retourne, et Laban, plein de respect pour la grande douceur de ce juste, lui dit : faites-moi connaître la récompense que vous désirez de moi, et je suis tout prêt à vous l’accorder.
Ses femmes et ses enfants n’étaient-ils pas avec lui ? Pourquoi donc disait-il : Remettez-moi mes femmes et mes enfants ? C’est qu’il rendait à son beau-père l’honneur qu’il lui devait ; c’est qu’il montrait en toute chose la convenance de ses procédés, c’est qu’il voulait que cette séparation s’opérât avec la permission de Laban. Considérez donc comment, par ces paroles, Laban fut entraîné à lui promettre une récompense et à lui en remettre le choix. Et que fait ce juste ? Voyez jusqu’où il pousse la douceur et comment il évite de devenir, à cette occasion, onéreux et incommode pour Laban. Comment ? Il le prend de nouveau à témoin de sa loyauté et de l’affection qu’il lui a montrée tout le temps qu’il l’a servi. Vous savez, lui dit – il, comment je vous ai servi et ce qu’étaient vos troupeaux entre mes mains. Car je les ai trouvés peu nombreux, et ils se sont multipliés grandement, et le Seigneur vous a béni à mon arrivée ; maintenant ne me ferai-je pas aussi une maison? (30, 29-30) Je vous prends vous-même à témoin de mes travaux. Vous savez quelle affection je vous ai montrée en tout et comment, ayant reçu de faibles troupeaux, mes soins et mes veilles vous en ont fait des troupeaux nombreux. Montrant ensuite sa piété, il ajoute : Le Seigneur vous a béni à mon arrivée ; maintenant ne me ferai-je pas aussi une maison ? Vous savez vous-même que c’est depuis mon arrivée chez vous que la grâce d’en haut a donné à votre richesse ces grands accroissements. Maintenant donc, puisque je vous ai montré en tout mon entière affection, durant le temps de mon service, et que l’assistance de Dieu est manifeste ; il est juste que je me fasse une maison. Et que veut-il dire par ces mots : Se faire une maison ? Il entend : vivre désormais dans l’indépendance et la liberté, et prendre soin d’une maison qui lui appartienne. Et alors Laban lui dit : Que vous donnerai-je ? (Id. 31) Que souhaitez-vous recevoir de moi ? parlez, car je le reconnais et je ne voudrais pas le nier, tout ce que j’ai reçu de Dieu, toutes les bénédictions dont il m’a comblé, c’est à votre présence que je les dois. Jacob lui répondit : Vous ne me donnerez rien, et si vous faites ce que je vais dire, je paîtrai encore vos troupeaux. Je ne veux rien recevoir de vous à titre de salaire, mais j’accepte seulement ce que je vais dire, et je paîtrai encore vos trou peaux. Ce que je veux, le voici : Considérez le juste, parce qu’il a confiance dans la protection de Dieu, voici la proposition qu’il fait à Laban : Que vos troupeaux, dit-il, passent aujourd’hui devant vous, mettez à part toutes les brebis à toisons noirâtres, et tout ce qui est mêlé de blanc et tacheté parmi les chèvres sera ma récompense. Et ma justice se manifestera dans la suite parce que ma récompense sera facile d discerner. Tout ce qui ne sera pas tacheté et mêlé de blanc parmi les chèvres, et noirâtre parmi les agneaux, sera reconnu vous appartenir. (Id. 32, 33)
2. Remarquez la prudence du juste ; con fiant dans la protection d’en haut, il pose lui même des conditions qui, selon l’ordre de la nature, devaient rendre, sinon impossible, du moins très-difficile, sa juste rémunération ; la couleur variée se rencontre en effet très-rarement dans les agneaux qui viennent de naître, et néanmoins Jacob ne demande pour lui que ceux-là ; aussi Laban s’empresse-t-il d’acquiescer a sa demande, et il lui dit : Qu’il soit fait conformément à votre parole. Et il sépara en ce jour les boucs tachetés et mêlés de blanc, et les chèvres tachetées et mêlées de blanc, et tout ce qui était blanc parmi eux, et tout ce qui était, de toison noire, et il remit aux mains de ses fils cette part, et il mit une distance de trois jours entre ces troupeaux et ceux de Jacob. (XXX, 34-36) Il divisa, dit l’Écriture, ses troupeaux suivant la proposition de et les remit à ses fils. Et Jacob paissait les troupeaux de Laban qui restaient, c’est-à-dire ceux dont la toison n’était point de couleur mêlée. Tout cela s’est fait afin que le juste apprît par l’événement le grand soin que Dieu avait de lui, et que Laban vît de quelle assistance d’en haut jouissait Jacob. Jacob, dit le texte, prit des baguettes de styrax, d’amandier et de platane encore vertes ; il en enleva une partie de l’écorce verte, de manière que les endroits d’où l’écorce avait été enlevée parurent blancs et les autres demeurèrent verts. Ainsi ces baguettes devinrent de couleur variée. Et il plaça les baguettes ainsi écorcées, dans les canaux des abreuvoirs, afin que les brebis, quand elles iraient s’abreuver, les eussent devant les yeux en buvant, et conçussent des petits de couleur analogue. Elles conçurent effectivement ainsi, et mirent bas des petits à toison mêlée de blanc, variée et tachetée de couleur de cendre. (30, 37-39) Voilà ce que fit le juste, non de son propre mouvement, mais par la grâce d’en haut qui inspirait sa pensée. Car cela ne se faisait point selon l’ordre de la nature, mais c’était quelque chose de miraculeux et qui dépassait l’ordre naturel. Et il partagea les agneaux, et il plaça devant les brebis un bélier à toison mêlée de blanc, et tous les agneaux de couleur mélangée, et il mit à part son troupeau, et ne le mêla point avec les brebis de Laban. (30, 40) Lorsque désormais des agneaux de cette sorte naissaient, il les ajoutait à son troupeau ; il les mit à part, et il eut un troupeau séparé. Et il arriva qu’au temps où les brebis concevaient, Jacob plaça ces baguettes devant elles, pour qu’elles conçussent des petits de couleur analogue. Et quand elles mettaient bas, il ne plaçait plus les baguettes. Ce qui ne portait point de marque était à Laban, et ce qui en portait à et il s’enrichit fort grandement. (30, 41-43) Pourquoi cette expression redoublée ? pour montrer sa grande richesse, parce qu’il ne s’enrichit pas grandement, mais fort grandement. Car, dit le texte, il eut des troupeaux nombreux, et des bœufs, et des serviteurs, et des servantes.
Mais considérez encore l’envie qui naît de là contre lui. Laban entendit les discours de ses fils qui disaient : Jacob a pris toute la richesse de notre père, et c’est du bien de notre père qu’il s’est ainsi élevé. (30, 1) Voyez comment la jalousie les a conduits à l’ingratitude, et lion lias seulement eux, mais Laban lui-même. Jacob, dit l’Écriture, vit le visage de Laban, et voilà qu’il n’était point envers lui comme la veille et l’avant-veille. Les paroles de ses enfants avaient agité son âme, et lui faisaient oublier ce qu’il avait auparavant dit à Le Seigneur m’a béni à cause de votre venue. Il avait rendu grâces au souverain Maître, parce qu’il avait fait croître sa richesse à cause de la présence du juste ; et maintenant les propos doses fils ont changé son cœur ; l’envie s’est allumée en lui, et apparemment parce qu’il a vu le juste dans une grande abondance, il ne veut plusse montrer pour lui tel qu’auparavant dit l’Écriture, vit le visage de Laban, et voilà qu’il n’était point envers lui comme là veille et l’avant-veille. Voyez-vous la douceur du juste, et l’ingratitude de ses beaux-frères ? ne sachant contenir leur jalousie, ils ont troublé l’esprit de leur père. Considérez maintenant l’ineffable bonté de Dieu, et de quelle condescendance il use, quand il voit que nous faisons ce qui dépend de nous.
Voyant en effet le juste exposé à leur envie, il dit à Jacob : Retourne dans le pays de ton père, et dans ta famille, et je serai avec toi. (4) C’est assez demeurer sur la terre étrangère. Ce que je t’avais promis en te disant : Je te ramènerai dans ton pays, je vais maintenant l’accomplir. Retourne donc saris rien craindre, car je serai avec toi. Afin que le juste n’hésitât pas à faire ce voyage, mais se mît hardiment en chemin vers sa patrie, il lui dit : Je serai avec toi, moi qui jusqu’à présent ai gouverné tes affaires, qui ai fait croître ta famille, c’est moi qui, dans la suite encore serai avec toi. Le juste ayant entendu ces paroles de Dieu, ne tarda point, mais se prépara aussitôt à lui obéir. Il envoya, dit l’Écriture, Rachel et Lia dans la plaine où il faisait paître ses troupeaux[2] et leur dit. – Il veut faire connaître il à ses femmes le voyage qu’il a résolu, et leur communiquer l’ordre de Dieu, ainsi que la jalousie de leur père contre lui. – Il leur dit : Je vois que le visage de votre père n’est point envers moi comme hier et avant-hier. Mais le Dieu de mon père était avec moi. Vous savez vous-mêmes que j’ai servi votre père de tout mon pouvoir. Votre père a même usé envers moi de tromperie ; il a changé ma récompense en dix agneaux, mais Dieu ne lui a point permis de me faire du mal. Quand il nie disait : Les animaux de couleur mêlée seront votre récompense, tous ceux qui naissaient étaient variés ; et quand il me disait : les animaux blancs seront votre récompense, tous ceux que mettaient bas les brebis étaient blancs, et Dieu a enlevé le bétail de votre père et me l’a donné. (5-9)
3. Voyez comme il les instruit de l’ingratitude de leur père à son égard, et du dévouement que lui-même lui a montré tandis qu’il le servait. Vous savez, leur dit-il, que j’ai servi votre père de tout mon pouvoir. Et il leur fait bien comprendre le soin manifeste que Dieu a eu de lui, leur montrant que c’est le secours d’en haut qui a tout conduit et fait passer entre ses mains l’abondante richesse de Laban. C’est Dieu, leur dit-il, qui a enlevé le bétail de votre père et me l’a donné. Et il est arrivé qu’au temps où les brebis concevaient j’ai vu en songe des boucs et des béliers mêlés de blanc, de couleur variée et tachetés de couleurs de cendre qui couvraient les brebis et les chèvres. Et l’ange de Dieu m’a dit dans mon sommeil Jacob. Et j’ai répondu : Que me voulez-vous ? Et il m’a dit : Lève les yeux, et vois ces boîtes et ces béliers mêlés de blanc, de couleur variée et tachetés de couleur de cendre, qui couvrent les brebis et les chèvres. Car j’ai vu tout ce que Laban t’a fait. (9-12)
Vous voyez que c’était la force d’en haut qui avait tout fait et qui récompensait le juste de ses travaux. Lorsque Laban devient ingrat envers le Maître libéral récompense magnifiquement ce juste : J’ai vu, dit-il, tout ce que Laban t’a fait. Nous apprenons de là que, si nous supportons avec modération et douceur l’injustice, nous recevons d’en haut une protection plus grande et plus libérale : Ne résistons donc pas à ceux qui veulent nous nuire, mais supportons tout avec courage, sachant que le Maître de tout ne nous oubliera pas, pourvu que nous-mêmes nous montrions notre gratitude et notre bienveillance. C’est à moi qu’appartient la vengeance, et je l’accomplirai, dit le Seigneur. (Rom. 12,19, et Deut. 32,35) C’est pour cela que Jacob disait  : Dieu ne lui a point permis de me faire tort ; parce qu’il a voulu me priver de la récompense de mes travaux. Le souverain Maître a montré si largement sa bonté envers nous, qu'il a fait passer chez nous toute la richesse de Laban. Dieu a vu que j’avais accompli mon service avec dévouement et que Laban ne s’était pas conduit envers moi comme il convenait, et c’est pourquoi il a manifesté sa faveur pour moi d’une manière si éclatante. Je ne parle pas ainsi sans motif, témérairement et à l’aventure, j’ai Dieu pour témoin de ce que m’a fait votre père. Car j’ai vu, dit-il, tout ce que Laban t’a fait ; il ne t’a pas seulement privé de ta récompense, mais il change de dispositions à ton égard ; ses sentiments se sont altérés : Je suis ton Dieu, celui que tu as vu dans Béthel, où tu m’as consacré, en l’oignant d’huile une colonne. (31, 13, 16,19) Dieu veut lui rappeler la mémoire de ce qu’il lui a promis, en lui disant : Je te multiplierai ; et je te gardé pour te ramener dans ton pays. (Gen. 28,14-15) Moi donc que tu as vu et qui t’ai fait des promesses, aujourd’hui que le temps est venu, j’exécute ce que je t’ai promis et je t’ordonne de t’en retourner sans alarme. Car je serai avec toi. Je suis le Dieu que tu as vu au lieu où tu as oint la colonne, et où tu m’as fait un vœu. Il le fait souvenir de son vœu et de la promesse qu’il lui a faite. Et quel était ce vœu ? Le voici : De ce que vous me donnerez, je vous payerai la dîme. (Gen. 27,20, 22) Ce vœu que Jacob avait fait lorsqu’il voyageait en fugitif et dénué de tout, Dieu le lui rappelle et dit : Lorsque je t’ai apparu tu m’as fait un vœu en disant : De ce que vous me donnerez, je vous payerai la dîme ; par ce vœu et cette promesse, tu as confessé à l’avance mon souverain pouvoir ; tu as entrevu par les yeux de la foi ton abondance future ; maintenant donc que ce que j’ai, dit s’accomplit, le temps est venu pour toi d’accomplir aussi ton vœu. Retourne donc ; lève-toi et sors de ce pays pour revenir dans la terre de ta naissance, et je serai avec toi. Je t’accompagnerai partout, je rendrai ton voyage facile, et personne ne te nuira, parce que ma droite s’étendra partout sur toi pour te protéger, Rachel et Lia, ayant entendu ce discours, lui dirent : Avons-nous notre lot dans l’héritage et dans la maison de notre père ? n’avons-nous pas été traitées par lui comme des étrangères ? Car il nous a vendues et il a mangé notre prix. Et toute la richesse et tout l’honneur que Dieu a enlevés à notre père, il te les a donnés, Maintenant, fais tout ce que Dieu t’a dit. (Gen. 31,14, 16)
Voyez-les suivre la volonté de Dieu et produire un raisonnement sans réplique : n’est-il pas vrai que nous n’avons plus rien de commun avec notre père ? il nous a données pour toujours. Et la richesse et l’honneur que Dieu lui a enlevés et t’a donnés nous appartiendront à nous et à nos enfants. Ne tarde donc point, né diffère pas, mais accomplis ce que Dieu t’a prescrit.  Maintenant donc fais tout ce que le Seigneur t’a dit. Jacob ayant entendu ces mots, se leva, prit ses femmes et ses enfants, les fit monter sur des chameaux et emmena tout ce qui lui appartenait et l’équipage qu’il s’était procuré en Mésopotamie et tout ce qui était à lui, pour s’en retourner vers Isaac son père. (16-18)
4. Examinez la force d’âme de ce juste et comment, mettant de côté toute crainte et toute alarme, il obéit à l’ordre du souverain Maître. Car, lorsqu’il a vu que les sentiments de Laban étaient mauvais, il ne s’est plus préoccupé de l’interroger comme auparavant, mais d’accomplir l’ordre du souverain Maître, et, prenant ses femmes et ses enfants, il s’est mis en route. Laban, dit l’Écriture, était allé tondre ses brebis. Et Rachel déroba les idoles de son père. (31, 18) Ce n’est point sans raison que ces mots sont ajoutés, mais afin que nous sachions comment elles tenaient encore à la coutume de leur père, et montraient une grande vénération pour les idoles. Comprenez cette passion de Rachel qui n’enlève de chez son père rien autre chose que les idoles, et cela à l’insu de son mari, car il ne le lui eût point permis. Jacob, dit l’Écriture, se cacha de Laban le Syrien[3], et ne lui fit point connaître qu’il s’enfuyait il s’enfuit avec tout ce qu’il possédait et passa le fleuve, et se hâtait d’arriver aux monts de Galaad. (20-21) Admirez ici encore la providence de Dieu, qui jusqu’à ce que ce juste fût bien éloigné, n’a point permis que le départ de Jacob vînt à la connaissance de Laban. Trois jours s’étant passés, dit le texte, Laban en eut connaissance. Et prenant avec lui tous ses frères, il le poursuivit durant sept jours et l’atteignit dans les monts de Galaad. (22-23)
Voyez encore le soin ineffable que Dieu prend de Jacob. Il lui a dit : Retourne dans ton pays, et je serai avec toi, et maintenant il lui montre une providence spéciale. Sachant que Laban poursuit ce juste avec une grande indignation et veut faire justice de cette retraite furtive, il se manifeste à Laban, la nuit, pendant son sommeil. Dieu, dit l’Écriture, vint à Laban le Syrien, durant la nuit, et lui dit. Voyez la condescendance de Dieu, et comment, par le soin qu’il prend de ce juste, il s’adresse à Laban, afin de jeter la terreur en son âme et de le détourner de ses projets contre Jacob. Garde-toi de tenir jamais à Jacob des discours mauvais. (Id) La bonté du souverain Maître est bien grande. Comme il a vu qu’il courait au combat et voulait s’élever contre ce juste, il l’arrache en quelque sorte à sa résolution par cette parole : Garde-toi de tenir jamais à Jacob des discours mauvais. Ne tente pas, même en paroles, d’affliger mais veille sur toi, contiens ta coupable impétuosité, apaise son cœur, réprime tes sentiments de colère, et abstiens-toi de l’affliger, même en paroles. Considérez donc l’amour de Dieu pour l’homme. Il n’a point ordonné à Laban de s’en retourner chez lui ; il lui a seulement prescrit de ne rien dire à ce juste de pénible et de haineux. Pourquoi et dans quel but ? afin que ce juste apprît par les effets et les actes de quelle tendresse il était jugé digne de la part de Dieu. Si en effet Laban fût retourné, comment Jacob et ses femmes eussent-ils connu ce fait ? Laban lui permet de s’éloigner, après avoir confessé de sa propre bouche ce que Dieu lui a dit, afin que le juste ait une plus grande ardeur pour son voyage et une confiance plus ferme ; et que ses femmes, en apprenant quelle tendresse Dieu accorde en tout à soient enlevées à l’erreur de leur père, imitent avec zèle le juste, et soient suffisamment instruites de la connaissance de Dieu. Car les discours de Jacob étaient moins persuasifs pour elles que ceux de Laban, encore plongé dans les ténèbres de l’idolâtrie. En effet les témoignages des incrédules et des ennemis de la religion ont toujours bien plus de force pour en faire reconnaître la vérité. Et c’est l’œuvre de la sagesse industrieuse de Dieu, quand il fait, des ennemis de la vérité, les témoins de la vérité, et que leur propre bouche devient l’auxiliaire de notre cause.
Laban atteignit Jacob. Jacob dressa sa tente dans la montagne, et Laban plaça ses frères dans les monts de Galaad. Et Laban dit à Jacob : pourquoi avez-vous fait cela ? (31, 25-26) Considérez comme l’ordre de Dieu a calmé l’ardeur de sa colère et mis un frein à son cœur. C’est pour cela qu’il lui parle avec une grande douceur, lui faisant presque des excuses et lui témoignant une tendresse paternelle. Car, lorsque nous sommes favorisés par la Providence, non seulement nous pouvons éviter les machinations des méchants, mais les bêtes féroces elles-mêmes, si nous en rencontrons ne peuvent nous nuire. En effet le Maître de toutes choses, montrant sa puissance souveraine, transforme la nature des animaux féroces et leur donne la douceur des brebis ; non qu’il leur ôte leur humeur farouche, mais, en les laissant à leur propre nature, il les fait agir comme des brebis. Et ceci on peut le voir, non dans les bêtes féroces seulement, mais dans les éléments eux-mêmes. Lorsqu’il le veut les éléments se dépouillent de leurs propriétés et le feu n’a plus les effets du feu. On peut l’apprendre par l’histoire des trois enfants et de Daniel. Celui-ci, environné de lions, n’éprouve pas plus de mal que s’il était entouré de brebis, parce que la volonté d’en haut contient leur naturel féroce. Ces animaux demeurèrent sans témoigner leur cruauté, comme les faits le prouvèrent à ceux qui étaient plus féroces que des animaux sans raison.
5. Et cela s’est fait pour flétrir davantage ceux qui, honorés du don de la raison, ont dépassé des brutes en cruauté. Ils ont appris par l’événement que la providence du souverain Maître a fait respecter le juste par les animaux féroces, qui n’ont pas osé le toucher ; tandis qu’eux-mêmes étaient pour lui pire que ces animaux. Et ils n’ont pu penser que c’était un simple caprice, en voyant ce qui arrivait aux hommes jetés depuis dans la fosse ; ils ont vu que si, à l’égard du juste, les lions avaient imité la douceur des brebis et dissimulé leur naturel, ils montraient leur férocité envers ceux qu’on y jeta ensuite. De même, dans la fournaise ardente. Les trois Hébreux qui s’y trouvèrent au milieu du feu furent respectés par cet élément dont l’activité était suspendue et comme entravée, en sorte qu’il laissait intacts les corps de ces enfants et n’osait toucher même à leurs cheveux, comme s’il eût reçu défense de laisser voir son action naturelle ; et cependant il dévora ceux qui étaient hors de la fournaise, montrant par ces deux effets la puissance infinie de Dieu, en épargnant ceux qu’il enveloppait et atteignant les autres. Ainsi, lorsque nous sommes soutenus par la force d’en haut, non seulement nous échappons aux embûches de ceux qui nous veulent nuire, mais, quand nous tomberions entre les griffes de bêtes féroces, nous n’éprouverions point de mal. Car la main de Dieu a une force supérieure à tout ; elle nous environne d’une défense assurée et nous rend invincibles, comme il arriva à ce juste.
En effet, Laban, qui souhaitait avec tant de passion d’atteindre Jacob et de tirer vengeance du départ de cette famille, non seulement ne lui adresse pas une parole rude et haineuse, mais s’entretient avec lui comme un père avec son enfant et lui tient un discours plein de douceur, en lui disant : Pourquoi agir ainsi ? Pourquoi vous enfuir secrètement ? (31, 26-27) – Considérez quel changement, et cour ment celui qui avait la fureur d’une bête sauvage imite la douceur des brebis. – Pourquoi vous enfuir secrètement, me dépouiller, m’enlever mes filles comme des captives conquises par l’épée. Pourquoi, lui dit-il, agir ainsi ? quelle a été votre pensée ? pourquoi ce départ furtif ? Car si vous m’en aviez informé, je vous aurais escorté avec honneur et avec joie pour prendre congé de vous ; si je l’avais su, je vous aurais fait, au départ, accompagner par des musiciens avec des tambours et des cithares. Vous ne m’avez pas jugé digne d’embrasser mes filles ; vous venez d’agir sans sagesse. (27-28) Voyez comme ensuite il se condamne et avoue de sa propre bouche qu’il se préparait à faire du mal au juste, mais que la providence de Dieu a brisé sa fougue. Ma main, dit-il, est assez forte pour vous faire du mal ; mais le Dieu de votre père m’a dit hier : Garde-toi de jamais tenir à Jacob des discours mauvais. (31, 29) Comprenez bien quelle consolation ces paroles apportèrent à ce juste, et considérez comment son beau-père lui confessa ce qu’il avait médité contre lui, dans quel dessein il avait voulu l’atteindre, et comment la crainte de Dieu l’empêchait d’effectuer ses desseins hostiles. «  Le Dieu de votre père », dit-il. Voyez combien Laban lui-même tire avantage de cet événement, puisqu’il reconnaît la manifestation souveraine de la puissance de Dieu aux paroles qu’il lui a adressées. Mais, dit-il, puisque vous avez eu ce dessein et que Dieu prend de vous un tel soin. Vous voilà parti, car vous avez désiré d’un grand désir retourner dans la maison de votre père. Mais pourquoi m’avez-vous dérobé mes dieux ? (30) Soit, dit-il, vous avez jugé convenable, voue avez résolu de retourner dans la maison de votre père ; mais pourquoi me dérober mes dieux ? O comble de la démence ! tes dieux sont-ils tels qu’ils puissent être dérobés ? N’as-tu pas honte de dire : Pourquoi m’avez-vous dérobé mes dieux! Voyez quel excès d’égarement, il adore du bois et de la pierre, comme si la raison leur pouvait rendre un culte. Et tes dieux, Laban, ne pouvaient se défendre quand on les allait dérober ! Comment, en effet, l’auraient-ils pu, puisqu’ils étaient de pierre ? Mais le Dieu du juste, et sans que le juste le sût lui-même, a arrêté ta fougue. Et tu ne comprends pas la grandeur de ton égarement, mais tu accuses le juste d’un larcin. Car pourquoi eût-il été capable de dérober ce qu’il abhorrait, et surtout ce qu’il savait être des pierres insensibles ?
Jacob lui répond avec une grande douceur, et se justifie d’abord des accusations qu’il vient d’entendre ; il l’engage à chercher ses dieux. Je vous ai dit de ne point m’enlever vos filles et tout ce que je possède (31, 31) ; parce que je vous voyais mal disposé pour moi, j’ai tremblé que vous n’entreprissiez de m’enlever vos filles et ce qui m’appartient, de me priver de mon bien, comme vous l’avez déjà fait. Voilà le motif et la crainte qui m’ont conduit à exécuter secrètement ce voyage : Au reste celui que vous trouverez possesseur de vos dieux, ne vivra pas devant nos frères. (31, 32) vous le voyez, ignorait le larcin commis par Rachel, voyez, en effet, de duel rigoureux châtiment il menace celui qui sera convaincu d’avoir, commis le vol : Celui que vous trouverez possesseur de vos dieux, ne vivra pas devant nos frères. Non pas seulement parce qu’il les a dérobés, mais parce que ce fait est la preuve évidente de son propre égarement. Examinez s’il y a avec moi quelque chose qui soit à vous et reprenez-le. (Id) Cherchez, lui dit-il, si j’ai emporté quelque chose qui ne m’appartienne pas. Vous ne pouvez une reprocher autre chose que d’être parti secrètement ; et cela même je ne l’ai pas fait volontiers, mais parce que je soupçonnais une injustice et craignais que vous ne voulussiez m’enlever vos filles et toute ma richesse. Et il ne reconnut rien. Jacob ignorait que Rachel sa femme avait dérobé ses dieux. Et Laban, étant entré dans la tente de Lia, chercha sans rien trouver. Il entra aussi dans celle de Rachel. Mais Rachel prenant les idoles, les avait placées sous le harnais des chameaux, et, s’étant assise dessus, elle dit à son père : Ne vous offensez pas, mon père, je ne puis me lever devant vous : je suis femme et incommodée comme les femmes. Laban chercha dans toute sa tente et ne trouva rien. (32-35)
6. Elle fut grande la prudence par laquelle Rachel sut faire illusion à Laban. Qu’ils écoulent ceux qui se sont enracinés dans l’erreur et font tant d’estime du culte des idoles. Elle les plaça, dit le texte, sous le harnais des chameaux et s’assit dessus. Quoi de plus plaisant ? Ceux qui, honorés du don de la raison et jugés dignes d’une telle prééminence par la bonté divine, se résolvent à adorer des dieux insensibles, ne les dissimulent point et ne se préoccupent point d’une telle extravagance, mais se laissent, comme des troupeaux, conduire par leur habitude. C’est pourquoi Paul disait, dans ses épîtres : Vous savez comment, lorsque vous étiez gentils, vous vous laissiez conduire vers des idoles muettes. (1Cor. 12,2) Il a bien dit muettes. Vous qui possédez la parole, qui savez entendre et converser, vous êtes conduits comme des brutes vers des êtres insensibles. Quelle indulgence peuvent obtenir de tels hommes ! Mais voyons comment s’exprime ce juste, désormais affermi dans sa confiance par les aveux de Laban, qui d’ailleurs n’a trouvé contre lui aucun motif raisonnable de blâme
Jacob s’irrita et disputa contre Laban, il lui dit : – Voyez comment il fait voir dans ce différend la vertu de son âme  : En quoi ai-je été injuste et coupable que vous m’ayez poursuivi ? » (31, 36) Pourquoi, lui dit-il, m’avez-vous ainsi poursuivi avec ardeur ? de quelle injustice, de quelle faute pouvez-vous m’accuser ? Et non seulement cela, mais vous m’avez fait l’injure de tout scruter dans ma demeure. Qu’avez-vous trouvé que j’aie apporté de chez vous ? Exposez cela devant vos frères et mes frères et qu’ils jugent entre nous deux. (31, 37) Après toutes ces recherches avez-vous pu trouver quelque chose qui ne m’appartint pas et en quoi je vous aie fait tort ! Si vous l’avez trouvé produisez-le, afin que ceux qui m’accompagnent et ceux qui vous accompagnent décident le différend. Voyant qu’il était ; ans reproche aux yeux de tous, il parle désormais avec hardiesse, et comptant la durée de l’affection qu’il lui a toujours montrée, il lui dit Et voilà vingt ans que je suis avec vous. Après tant d’années de travail, méritais-je donc cet outrage ? « Et voilà le prix de ces vingt ans ! » Aujourd’hui je compte vingt ans de service dans votre demeure. Vos brebis et vos chèvres n’ont pas été stériles ; je n’ai point mangé vos béliers ; je n’en ai point laissé enlever par les bêtes féroces. Je vous ai dédommagé des larcins de jour et des larcins de nuit. J’endurais les ardeurs du jour et le froid glacial de la nuit, et le sommeil s’éloignait de rues yeux. (31, 38-40) Avez-vous donc oublié, lui dit-il, les travaux que j’ai endurés eu faisant paître vos brebis et vos chèvres ! Vous ne pouvez me reprocher qu’elles aient été stériles. Voyez comment il lui montre la grande bonté de Dieu, épandue sur la maison de Laban à cause de sa présence. Car c’est là ce qu’il a dit plus haut : Dieu vous a béni à ma venue. Personne ne demanderait cela d’un berger ; cela ne dépend ni de lui ni d’aucun homme. C’est pour cela qu’il le met avant tout le reste et qu’il témoigne de la divine Providence qui a pris soin de ces troupeaux. Je n’ai pas mangé vos béliers. Vous ne pouvez dire que j’en aie mangé un seul, comme le font souvent tant de bergers. Je n’en ai point laissé enlever par les bêtes féroces. Je ne les ai ni mangés, ni laissé enlever par les bêtes. – Ne voyez-vous pas chaque jour ceux qui gardent des troupeaux rapporter à leurs maîtres les restes des brebis que les bêtes féroces ont dévorées ? Mais vous ne pouvez me reprocher rien de tel ; vous ne pouvez m’alléguer que rien de tel soit arrivé en vingt ans. Que dis-je, enlevés par les bêtes féroces ? Mais, si même il y a eu des larcins, comme cela devait arriver, je ne vous en ai point donné connaissance, mais je vous en ai dédommagé, qu’ils fussent arrivés de jour ou de nuit. J’ai supporté sans cesse et courageusement les ardeurs du chaud et la rigueur du froid des nuits, pour préserver vos troupeaux de tout dommage ; enfin le sommeil même était écarté de mes yeux par tant de soucis.
Voyez-vous les veilles d’un berger ? Voyez-vous l’ardeur inquiète de son zèle ? Quelle excuse peuvent donc avoir ceux à qui sont con fiés des troupeaux doués de raison, et qui montrent tant d’insouciance ; qui chaque jour, suivant la parole du Prophète, égorgent les uns et voient les autres en proie aux bêtes féroces, ou au pillage, et qui ne veulent en prendre aucun soin ? Cependant la fatigue du pasteur est ici moindre, et sa vigilance plus facile ; car c’est l’âme qu’il faut instruire ; là-bas la fatigue était grande pour l’âme et pour le corps.
7. Or considérez ce que dit Jacob : J’endurais les ardeurs du jour et le froid glacial de la nuit, et le sommeil s’éloignait de mes yeux. Qui maintenant pourrait dire que, pour le salut de son troupeau, i1 a accepté des périls et des peines ? Nul de nos contemporains ne l’oserait prétendre. Paul seul a le droit de le dire avec confiance, et le docteur de la terre entière a seul le droit d’en dire davantage. Et où Paul, direz-vous, a-t-il enduré cela ? Écoutez-le : Qui est faible sans que je le sois avec lui ? qui est scandalisé sans que je brûle ? (1Cor. 11,29) O tendresse du pasteur ! Les chutes d’autrui, dit-il, n’ont pas lieu sans que j’en ressente le contre-coup ; les scandales d’autrui me font ressentir les douleurs d’une fournaise. Que tous ceux-là s’efforcent de lui ressembler, à qui est confié l’autorité sur des brebis raisonnables, et qu’ils ne descendent pas au-dessous de celui qui, pour garder un troupeau sans raison, s’est livré, durant tant d’années, à une telle vigilance. Là, en effet, quelque négligence n’eût point causé de mal ; ici que des brebis raisonnables, une seule se perde, ou devienne la proie des loups, la peine est grande, le dommage immense, le châtiment inexprimable. Car si notre Maître n’a pas refusé de répandre son propre sang pour elle, quel pardon méritera celui qui osera – négliger des âmes estimées si haut par le Maître, et qui n’accomplit pas tout ce qui dépend de lui pour le soin de ses brebis ?
Mais revenons à la suite du texte : Voilà vingt ans, dit durant lesquels j’ai sers dans votre maison. Je vous ai servi quatorze ans pour vos deux filles, et six ans pour des brebis et vous m’avez fraudé en me donnant dix agneaux pour salaire. Si le Dieu d’Abraham, mon père, et le Dieu d’Isaac n’eût pas été avec moi, vous me renverriez maintenant dépouillé de tout. Dieu a vu mon abaissement et mes fatigues et vous a fait hier des reproches. (XXXI, 40-42) Voyez comment les aveux de Liban ont enhardi ce juste et la franchise de ses accusations. Vous savez, dit-il, comment je vous ai servi l’espace de vingt années, quatorze pour vos filles et le reste pour des brebis ; et cependant vous avez voulu me frauder sure mon salaire ; pourtant je ne vous ai pas accusé.. Mais d’après vos propres aveux, je sais que, si le Dieu d’Abraham et d’Isaac ne m’eût assisté, vous me renverriez aujourd’hui seul et les mains vides ; vous m’auriez tout enlevé, vous auriez mis à exécution le noir projet que vous aviez formé. Mais Dieu connaît mon abaissement et mes fatigues. – Que veut-il dire par ces mots ? – Dieu savait avec quelle affection je vous ai servi et les fatigues que j’ai endurées en faisant paître vos brebis, la vigilance que j’y ai jour et nuit apportée ; c’est pour cela que ce, maître plein de bonté vous a fait hier des reproches ; c’est pour cela qu’il a réprimé votre injustice contre moi et votre fureur déraisonnable.
Jacob s’est suffisamment justifié devant Liban, et, après lui avoir reproché son injustice, il lui a fait l’énumération de ses bienfaits. Aussi Laban, pénétré de honte par ses paroles, devient timide et veut demander la paix à ce juste. Voyez l’œuvre de la protection divine. Celui qui s’était préparé à l’attaque et s’était mis avec tant d’ardeur à la poursuite de Jacob, est devenu si timide, qu’il cherche à en obtenir la paix. Laban, dit l’Écriture, ayant ouï cette réponse, dit à Jacob : Vos filles sont mes filles, vos fils sont mes fils, vos troupeaux sont mes troupeaux, et tout ce que vous voyez est à moi et à mes filles. Que ferai-je aujourd’hui pour elles et pour leurs enfants ? (31, 43) Je sais, dit-il, que ce sont mes filles, et tout ce que vous avez vous est venu de chez moi ? Que ferai-je donc aujourd’hui pour elles et pour leurs enfants ? Faisons maintenant tous deux ici la paix, et il y aura un témoignage entre vous et moi. (43, 44) Faisons la paix, et il t’aura un témoignage entre vous et moi, comme preuve et comme signe. Il lui dit : Si quelqu’un essaye de violer nos conventions : Il n’y a personne avec nous ; mais que Dieu soit témoin entre nous deux.
8. Considérez comment Laban est graduellement conduit à la connaissance de Dieu. Celui qui reprochait au juste de lui avoir dérobé ses dieux et les cherchait avec tant de soin, dit maintenant : Puisque personne ne peut, s’il arrive plus tard quelque incident, être entre nous témoin de ce que nous allons faire, que Dieu soit témoin entre vous et moi. Il est présent, il voit tout, rien ne peut lui échapper, il connaît la pensée de chacun. Et Jacob, dit le texte, ayant pris une pierre la dressa, et il fit toi amas de pierres où ils mangèrent. Ensuite Caban lui dit : Cet amas de pierres sera un témoignage entre vous et moi. (31, 45, 46, 48) Qu’est-ce donc ? c’est comme s’il eût dit : Les paroles prononcées sur cette colline, nous nous en souviendrons toujours Et il l’appela le tertre du témoignage. Que Dieu abaisse son regard entre vous et moi ! (49) Considérez que Laban invoque de nouveau la justice de Dieu. Que Dieu, dit-il, abaisse son regard entre vous et moi, parce que nous allons nous séparer l’un de l’autre ! (Id) Maintenant, dit-il, nous allons nous éloigner. Vous retournerez dans votre pays et je vais regagner ma demeure. Si vous humiliez mes filles, si vous prenez d’autres femmes qu’elles, voyez, nul regard ne s’interpose entre nous ; notre témoin, c’est Dieu. Voyez une première fois, une seconde et plus souvent encore, il invoque Dieu comme témoin. En effet, la Providence qui accompagne Jacob lui a appris quelle est la puissance du souverain Maître ; il sait maintenant qu’il ne peut échapper à un œil qui ne dort jamais. C’est pourquoi il dit : Que nous nous séparions et que nul autre ne puisse témoigner entre nous, Celui qui est présent partout sera notre témoin. Par chacune de ses paroles, il manifeste que Dieu est souverain par toute la terre.
Et Jacob lui dit : Voilà que cette pierre que j’ai dressée sera elle-même un témoignage. Liban dit encore : Pour que je ne dépasse point en allant vers vous cette colline que vous ne dépassez point en venant vers moi, avec de mauvais desseins, cet amas et cette pierre dressée, que le Dieu d’Abraham et le Dieu de Nachor soit juge entre nous deux ! (51-53) Vous le voyez : il réunit les noms du père et de l’aïeul, frère du patriarche et son aïeul à lui-même. Que le Dieu d’Abraham et le Dieu de Nachor soit juge entre nous ! Et Jacob jura par la crainte du Dieu de son père Isaac, et offrit un sacrifice sur la montagne ; et il appela ses frères ; ils mangèrent et burent, et ils dormirent sur la montagne. (53-54) Il offrit un sacrifice sur la montagne et rendit grâces à Dieu de ce qui était arrivé. Ils mangèrent et burent et ils dormirent sur la montagne. Laban s’étant levé dès le point du jour, embrassa ses enfants et ses filles et il les bénit. Et s’en retournant il arriva dans sa demeure. (54-55) Vous avez vu, mon bien-aimé, combien grande est la sagesse divine, qui s’est manifestée ici par sa providence au sujet de ce juste, en le préservant de l’injustice tentée contre lui ; vous avez vu que prescrivant à Laban de ne pas prononcer contre Jacob des paroles de menace, elle l’a, par cela même, acheminé graduellement à la connaissance de Dieu. Lui qui courait sur Jacob comme une bête féroce pour l’atteindre et le tuer, s’excuse et l’embrasse, ainsi que ses filles et leurs enfants, puis s’en retourne dans sa demeure. Nous avons peut-être étendu beaucoup ce discours ; mais le récit nous y a forcément entraîné.
Le terminant donc ici, exhortons votre charité à faire tous vos efforts pour attirer la bienveillance d’en haut. Car si nous avons Dieu propice, tout nous sera doux et facile : rien dans la vie présente ne pourra nous désoler, quelque désolant qu’il paraisse. Car telle est l’immensité de la puissance de Dieu, qu’il change, quand il le veut, les souffrances en plaisirs. Ainsi Paul, dans ses tribulations, se réjouissait et se glorifiait soulevé vers le ciel par l’attente des récompenses qui lui étaient réservées. (Rom. 5,2-3) C’est pour cela que le prophète aussi disait : Dans la tribulation, vous avez dilaté mon cœur (Ps. 4, 2) ; nous apprenant par là que, dans la tribulation même, Dieu l’a fait jouir de consolation et d’assurance. Puis donc que nous avons un tel Maître, si puissant et si habile, si sage et si bon, manifestons ses œuvres et faisons grande estime de la vertu, afin d’obtenir les biens temporels et les biens futurs, parla grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient, au Père, gloire et puissance, avec le Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE-HUITIÈME HOMÉLIE

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« Et Jacob levant les yeux, vit le camp de Dieu ; et les anges de Dieu se présentèrent à sa rencontre ; Jacob les ayant vus dit : C’est là le camp de Dieu ; et il appela cet endroit le camp. » (Gen. 32,1-2)

ANALYSE.

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  • 1. Explication des versets 1-12 du chap. XXXII. – 2. Explication des versets 13-28. Jacob prie Dieu d’accomplir ces promesses ; il lutte avec un ange : son nain est changé en celui d’Israël ; pourquoi les Anges se montrent sous une forme humaine. —3. Continuation de l’explication du texte jusqu’au verset 4 du chap. XXXIII. L’incarnation est révélée. Monuments des bienfaits de Dieu dans l’Écriture. – 4. Explication des versets 5-17. Jacob triomphe de son frère par son humilité. – C’est une grande vertu que de se concilier ses ennemis ; que la douceur a pour cela une grande efficacité.


1. Je sais que vous avez été fatigués hier parce due mon discours s’est beaucoup prolongé ; mais, ayez confiance, votre fatigue n’est pas inutile, car elle a eu lieu dans le Seigneur, près de qui la moindre peine est payée d’une grande récompense : si le corps s’est fatigué, l’âme a été fortifiée. Ainsi moi-même, voyant l’ardeur de votre zèle et votre désir d’entendre, de nouveau éveillé, je veux resserrer mon enseignement, mais non le terminer avant d’en avoir atteint le terme, sachant bien que c’est le plus sûr moyen de vous être agréable. Car l’étendue de mon enseignement a fait voir combien est avide et insatiable votre désir d’entendre la parole sainte ; d’ailleurs mon ardeur à vous instruire s’accroît aussi, lorsque je vois chaque jour s’accroître votre empressement. Revenons donc aujourd’hui reprendre, dans la mesure de nos forces, la suite du sujet traité hier ; donnons à votre charité son aliment ordinaire, et voyons comment, après le départ de Laban, Jacob continue son voyage. Car rien n’est oiseux de ce que contient la divine Écriture ; mais toutes les actions des justes recèlent une grande utilité pour nous. En effet, puisque sans cesse le Maître de l’univers était présent pour les assister, qu’il allégeait pour eux les fatigues du voyage, le simple récit de ce voyage peut nous fournir un ample profit.
Laban étant parti pour retourner dans sa demeure, Jacob poursuivit son chemin et, levant les yeux, il vit le camp de Dieu dressé ; et les anges de Dieu se présentèrent à sa rencontre. (Gen. 32,1) Lorsque la crainte que lui avait inspiré Laban se fut pleinement dissipée, la crainte d’Esaü y succéda. C’est pour cela que le bon Maître, voulant encourager ce juste et dissiper toutes ses terreurs, offrit à ses yeux le camp des anges. Les anges de Dieu se présentèrent à sa rencontre, dit l’Écriture, et Jacob dit : C’est là le camp de Dieu. Et il appela cet endroit les camps (Id. 1-2) ; en sorte que cette dénomination conservât perpétuellement la mémoire de la vision qu’il avait eue en ce lieu. Et après cette vision, il envoya devant lui, dit l’Écriture, des messagers vers sors frère Esaü, avec cette mission : Vous direz à mon seigneur Esaü. (Id. 3-4) Voyez quelle crainte, même après cette vision, domine encore ce juste. Il redoutait la violence de son frère et s’inquiétait à la pensée que le souvenir de ce qui s’était passé autrefois pouvait l’exciter à marcher contre lui. Dites à mon seigneur Esaü : Voici ce que vous dit votre serviteur Jacob. J’ai demeuré près de Laban et j’y suis resté jusqu’ici ce temps ; je suis devenu possesseur de bœufs, d’ânes, dé brebis, de serviteurs et de servantes, et j’ai envoyé vers mon serviteur, afin que votre serviteur trouvât grâce devant vous. (Id. 4-5) Considérez la crainte qu’il avait de son frère, et comment, désireux de l’adoucir, il lui envoie annoncer son retour, la richesse qu’il a acquise et le lieu où il a vécu jusque-là, afin de calmer sa colère et de pouvoir le rendre doux et facile ; ce qui arriva en effet, Dieu ayant calmé son cœur, éteint sa colère, et l’ayant adouci. Car, si Dieu avait inspiré par ses paroles tant de crainte à Laban, tandis qu’il poursuivait Jacob avec tant d’impétuosité, à bien plus forte raison, il inspira au frère du juste de la douceur envers lui.
Ces messagers revinrent en disant : Nous avons trouvé votre frère, et il vient à votre rencontre avec quatre cents hommes armés. (Id. 6) Voyez comment cette nouvelle redouble les craintes de Jacob. Il ne connaissait pas, en effet, avec certitude le dessein de son frère ; mais apprenant lé grand nombre de ceux qui étaient avec lui, il conjecturait avec effroi que, parce qu’il était préparé pour le combat, il ne venait pas à lui pour une rencontre pacifique. Jacob, dit le texte (Id. 7), fut effrayé, et il ne savait ce qu’il devait faire. La crainte troublait son esprit, il ne savait que faire, au milieu de son anxiété ; il lui semblait qu’il avait tout à redouter et que la mort était devant ses yeux. Il divisa toute sa troupe en deux camps, bar il disait : S’il marche contre un camp et le, détruit, l’autre pourra être sauvé. (Id. 7, 8) Voilà ce que lui suggéraient la crainte et l’épouvante. Se voyant comme pris dans un filet, il a recours au Maître invincible, et il réclame auprès du Dieu de l’univers l’accomplissement de ses promesses, comme s’il lui disait : Maintenant, voici le temps où, à cause de la vertu de mes pères et à cause de votre promesse, je dois obtenir votre pleine assistance, dit le texte, parla ainsi : Vous, le Dieu de mon père Abraham et de mon père Isaac, vous qui m’avez dit : Retourne dans la terre de ta naissance (Id. 9) ; c’est vous qui m’avez fait partir de la terre étrangère, et qui m’avez ordonné (le revenir vers mon père et vers la terre de ma naissance. Que je sois sauvé par la justice et la vérité dont vous avez usé envers votre serviteur. (Id. 10) Qu’elles soient mon assistance en cette conjoncture. Car vous qui, jusqu’à présent, avez pris de moi tant de soin, voit pouvez, en ce moment encore, m’arracher aux dangers qui me menacent ; car je n’ignore pas que j’ai passé ce fleuve du Jourdain, avec une simple baguette. (Id) Et maintenant, par votre providence, moi qui ne portais qu’un bâton, en partant pour la terre étrangère, je reviens avec deux camps. (Id) Vous donc, ô mon Maître, vous qui m’avez donné tant de richesses, qui m’avez fait monter à ce point, maintenant Sauvez-moi de la main d’Esaü, mon frère, parce que je crains qu’il ne me frappe, avec la mère et les enfants. Vous avez dit : Je te ferai dit bien et je multiplierai ta race comme le sable de la mer et sa multitude sera innombrable. (Id. 11,12)
2. Voyez la piété de ce juste et sa profonde reconnaissance, qui lui font tenir pour certain que le souverain Maître ne peut ne pas accomplir ses promesses. C’est après avoir montré sa gratitude pour les bienfaits antérieurs, et reconnu que Dieu l’a pris pauvre et banni pour le combler de richesses, qu’il le supplie de l’arracher au péril : Vous m’avez dit : Je multiplierai ta race comme le sable de la mer, et on ne pourra la comptera. Ayant donc adressé au souverain Maître son appel et son humble prière, il fait ce qui dépend de lui. Il prend des présents parmi ce qu’il apportait de la terre étrangère et les adresse à son frère, les divisant en plusieurs envois et recommandant de le fléchir par des paroles et de lui annoncer son approche. Dites-lui : Voilà que votre serviteur vous suit de près, en sorte qu’il puisse le fléchir avant de paraître en sa présence. Ensuite, dit le texte, je verrai son visage ; peut-être m’accueillera-t-il. Et il envoya ses présents pour être remis à son frère. (Id. 20, 21) Considérez encore ici l’ineffable bonté de Dieu, et comme elle témoigne bien de l’ordre de sa Providence. A Laban, quand Jacob ne soupçonnait pas le péril et ne savait pas qu’il allait tomber entre les mains de Laban, qui accourait pour se venger de son départ secret, Dieu se montre, réprime sa colère et lui défend d’adresser à Jacob une parole amère : N’adresse à Jacob aucune parole coupable, lui dit-il. Il régla ainsi les choses pour que le juste l’apprît par la bouche de Laban lui-même, afin que, connaissant la providence de Dieu à son égard, il fût plus rempli de confiance. Et maintenant, parce qu’Esaü s’est calmé avec le temps, et que sa colère, son ressentiment contre Jacob se sont apaisés, tandis que celui-ci est rempli d’inquiétude, et frémit de crainte au moment de rencontrer son frère, ce bon Maître ne s’adresse point à Esaü, car celui-ci n’avait nul mauvais dessein contre Jacob ; mais il relève ce juste. Après avoir fait partir les porteurs de ses présents et dormi quelque temps, il se leva cette nuit même, il fit passer le Jaboch à ses deux femmes et à ses enfants : il les prit et les fit passer au-delà du torrent. Jacob reste seul, et un homme lutte avec lui. (Id. 22, 24) O grande bonté de Dieu l Parce que Jacob allait rencontrer son, frère, et afin qu’il eût une preuve sensible qu’il n’éprouverait rien de fâcheux, il daigne lutter avec lui, sous la figure d’un homme. Ensuite, Jacob voyant qu’il avait le dessous, le saisit par la largeur de sa cuisse. (Id. 25) Dieu ne s’abaissait ainsi que pour délivrer de crainte l’âme de ce juste, et lui persuader de n’avoir aucune angoisse à la rencontre de son frère. Jacob l’ayant saisi par la largeur de sa cuisse, la largeur de la cuisse de Jacob s’engourdit en luttant avec lui. (Id) Ensuite, afin que Jacob apprît quelle était la puissance de celui qu’il croyait lutter contre lui, le mystérieux lutteur lui dit : Laisse-moi partir, car le matin se lève. (Id. 26) Ce juste donc s’apercevant quelle était la puissance de celui qui lui parlait, répondit : Je ne vous laisserai point partir que vous ne m’ayez béni. (Id) J’ai été jugé digne de grands bienfaits et au-dessus de mon mérite. Je ne vous laisserai donc point que vous ne m’ayez béni. – Quel est ton nom ? (Id. 27) Voyez encore jusqu’où Dieu s’abaisse. Ne savait-il pas, sans le demander, le nom de ce juste ? Assurément il le savait, mais il veut augmenter sa foi par cette demande et lui apprendre quel est celui qui s’entretient avec lui. Lors donc qu’il eut répondu Dieu lui dit : Tu ne t’appelleras plus mais Israël sera ton nom, parce qu’ayant été fort avec Dieu, tu seras puissant parmi les hommes. (Id. 28) Vous avez compris comment Dieu lui a révélé la cause d’une telle condescendance ; en même temps il enseigne à ce juste, par le nom qu’il lui donne, quel est Celui qu’il a vu et qui a daigné se laisser retenir par lui : Tu ne t’appelleras plus mais Israël. Or, Israël se traduit par voyant Dieu. Puis donc que Dieu a daigné se montrer à toi, autant qu’il est possible à un homme de le voir, je te donne ce surnom, afin que désormais il soit manifeste à tous de quelle vision tu as été honoré. Et il ajoute : Parce que tu as été fort avec Dieu, tu seras puissant parmi les hommes. Ne crains donc plus et n’appréhende plus de mal de la part de personne. Car celui qui a reçu une force telle qu’il puisse lutter avec Dieu, à plus forte raison l’emportera sur les hommes et sera invincible à tous.
3. Le juste à ces paroles, frappé de la grandeur de celui qui s’entretenait avec lui, reprit : Faites-moi connaître votre nom. Et il lui répondit : Pourquoi me demandes-tu mon nom ? Et il le bénit. (29) Comme s’il disait : Demeure dans les bornes qui te conviennent et ne dépasse pas ta mesure. Tu veux obtenir ma bénédiction : eh bien ! je te l’accorde. Il le bénit, dit le texte, et Jacob appela cet endroit : Apparence de Dieu. Car, dit-il, j’ai vu Dieu face à face et nia vie a été sauvée. (Id. 30) Voyez-vous quelle hardiesse lui a donnée cette vision ? Ma vie, dit-il, a été sauvée, vie que la crainte m’avait presque ravie. Puisque Dieu a daigné se manifester à moi face à face, ma vie a été sauvée. Et le soleil se levait, lorsque la vision de Dieu disparut. (Id. 31) Vous avez vu comment Dieu condescend à l’infirmité humaine pour accomplir et gouverner toute chose, et comment il manifeste sa bonté suprême ? Et ne vous déconcertez pas, mon bien-aimé, de la grandeur de cet abaissement ; mais souvenez-vous qu’au temps du patriarche Abraham, lorsqu’il était assis au pied du chêne, le Seigneur a, sous la forme d’un homme, reçu avec les anges l’hospitalité du, juste, nous annonçant ainsi de loin et dès l’origine, qu’il prendrait la forme d’un homme pour délivrer la nature humaine tout entière de la tyrannie du démon et pour la conduire au salut.

Comme ce n’était alors que le principe et le prélude de l’Incarnation, il ne se manifestait à chaque patriarche que sous une forme apparente, comme lui-même le dit parle Prophète : J’ai multiplié les visions, et des images de moi se sont produites sous la main des prophètes. (Ose. 12,10) Mais quand il a daigné prendre la forme d’un esclave et entreprendre notre régénération, ce n’est point sous une forme apparente et fantastique, c’est en réalité qu’il s’est revêtu de notre chair. Aussi, a-t-il consenti à embrasser notre condition, tout entière, à naître d’une femme, à être petit enfant, à être enveloppé de langes, à être allaité, à supporter toutes nos misères, afin de bien établir la foi en la réalité de l’Incarnation, et de fermer la bouche aux hérétiques. C’est pour cela qu’il dort sur la barque, qu’il voyage et se fatigue, qu’il supporte toutes les misères humaines, afin de pouvoir confirmer pleinement par des faits la foi de chacun. C’est pour cela qu’il comparaît au tribunal, qu’il est mis en croix, qu’il souffre une mort infamante et qu’il est mis dans le tombeau, afin que le mystère de l’Incarnation soit prouvé jusqu’à l’évidence. Car, s’il n’avait pris en réalité notre chair, il n’eût pas été crucifié, ne serait pas mort, n’eût pas été enseveli et ne serait pas ressuscité. Et, s’il ne fut pas ressuscité, toute la doctrine de l’Incarnation serait bouleversée. Voyez-vous dans quelle absurdité tombent ceux qui ne veulent pas adopter la règle suprême de l’Écriture divine, mais tout soumettre à leurs propres raisonnements ? Mais de même que la vérité est ici manifeste, de même au temps de ce juste, il n’y en avait qu’une figure qui devait confirmer sa croyance en la Providence dont il était l’heureux objet, sa croyance qu’il était invincible à quiconque voudrait lui dresser des embûches. Ensuite, afin que personne à l’avenir n’ignorât la vision qu’il avait eue, il boita de la cuisse. Et, c’est à cause de cela que, jusqu’à ce jour, les enfants d’Israël, ne mangent pas du nerf de la cuisse qui s’est engourdi, parce que Jacob a touché la largeur de la cuisse, qui s’est engourdie. (Id. 32,33) Parce que ce juste, après avoir rempli sa carrière, devait quitter la vie, il fallait que la tendresse vigilante de Dieu envers lui et cet abaissement immense fussent connus de toutes les générations ; c’est pourquoi il dit : Que les enfants d’Israël ne mangent point ce nerf de la cuisse qui s’est engourdi. Connaissant toute leur ingratitude et leur oubli des bienfaits divins, il a employé ce moyen de conserver en eux la perpétuelle mémoire de ses bienfaits ; il leur en a fait conserver des monuments dans ses observances : c’est ce que l’on trouve partout dans l’Écriture. Et telle est surtout la cause du plus grand nombre des observances : il a voulu que les générations qui se succèdent ne cessassent jamais de méditer les bienfaits divins et ne revinssent point, par l’oubli qu’ils en feraient, à l’égarement qui leur était naturel ; car telle était surtout la coutume de la race des Juifs. Ce peuple, qui montra si souvent son ingratitude pour les bienfaits, eût, bien davantage encore, éloigné de sa pensée ce que Dieu avait fait pour lui, s’il n’en eût point été ainsi. Mais, voyons la suite, voyons comment s’opéra la rencontre de Jacob avec son frère.

Ayant donc reçu un suffisant encouragement ; ainsi que l’assurance qu’il serait fort et puissant parmi les hommes : Jacob leva les yeux, dit le texte, et il vit Esaü, son frère, et quatre cents hommes avec lui. Et il partagea ses enfants entre Lia, Rachel et les deux servantes. Il mit en première ligne les deux servantes et leurs enfants, puis Lia et les siens, enfin Rachel et Joseph. Et lui-même marcha en avant et s’inclina sept fois vers la terre, jusqu’à ce qu’il se fût approché de son frère. (Gen. 33,1-3) Voyez comment, après cette division, il va le premier à la rencontre d’Esaü. Et il s’inclina sept fois vers la terre, jusqu’à ce qu’il se fût approché de son frère, entraînant Esaü par son attitude et ses profondes salutations à se montrer amical envers lui ; ce qui arriva en effet. Esaü, dit le texte, accourut, le prit dans ses bras et lui donna un baiser, et il s’inclina sur son cou, et ils pleurèrent tous deux. (Id. 4)

4. Voyez comment Dieu gouverne toutes choses : Ce que je vous disais hier, je le dis encore aujourd’hui, que, lorsque le Maître de l’univers veut nous témoigner sa tendresse vigilante, il sait rendre plus doux que des brebis ceux qui ont des sentiments hostiles à notre égard. Considérez quel changement Esaü témoigne : Il accourut à sa rencontre, le prit dans ses bras et lui donna un baiser, et ils pleurèrent tous deux. A peine le juste a-t-il pu respirer et secouer sa crainte ; à peine est-il délivré de son inquiétude et s’est-il enhardi : Esaü, dit l’Écriture, ayant levé les yeux, vit les femmes et les enfants, et dit : Sont-ils à toi ? (Id. 5) A la vue des richesses de son frère, il fut frappé d’étonnement ; aussi voulut-il l’interroger. Et que lui dit le juste ? Ce sont les enfants que la miséricorde de Dieu a donnés à ton serviteur. (Id) Voyez quelle est la force de la douceur et comment, par l’humilité de ses paroles, il contenait la colère d’Esaü : Les servantes et les enfants s’approchèrent ; Lia et Rachel s’inclinèrent, et il dit : Sont-ils tous à toi, ces camps que j’ai rencontrés ? Et Jacob répondit : c’était pour que ton serviteur trouvât grâce devant toi. (Id. 6-8)
Voyez, je vous prie, comment son extrême humilité l’a rendu maître de son frère, et comment celui qu’il pensait être rempli d’une brutale inimitié contre lui, il l’a trouvé si doux qu’il veut mettre à son service tout ce qui lui appartient. Esaü lui dit : Je suis riche, mon frère, garde ce qui t’appartient. (Id. 9) Mais Jacob ne le souffrit pas, et montrant combien il avait d’empressement à posséder ses bonnes grâces, il reprit : Si j’ai trouvé grâce devant toi, accepte des présents de mes mains, car j’ai vu ton visage, comme on verrait le visage de Dieu. (Id. 40) Accepte, lui dit-il, les présents qui te sont offerts de ma part. Car j’ai eu à voir ton visage une joie semblable à celle qu’on aurait en voyant celui de Dieu. Ces paroles, le juste les disait par déférence, pour l’adoucir et l’amener à l’amitié d’un frère. – Et tu m’aimeras, voulant dire : Tu feras à mon égard ce qu’il convient que tu fasses. Reçois donc ces bénédictions que je t’ai apportées, parce que Dieu a eu pitié de moi et que rien ne me manque. (Id. 11) Ne refuse pas de l’accepter, lui dit-il, car tout cela m’a été donné par Dieu ; c’est lui qui m’a fait obtenir tout cela. Ainsi Jacob instruisait doucement son frère des soins que la Providence divine daignait avoir de lui, et le préparait à lui témoigner un grand respect. Et il l’obligea d’accepter ses présents. (Id)
Voyez ensuite quel changement. Esaü dit : Partons et marchons devant nous. ( 12) Comme s’il eût dit : Désormais nous voyagerons ensemble. Mais Jacob lui fait une demande fondée sur un motif plausible Mon seigneur sait que les enfants sont plus délicats que nous, les brebis et les vaches mettent bas ; si donc je les presse durant un jour, ils mourront. (Id. 13) Je ne puis, dit-il, abréger mon voyage, mais je suis contraint de marcher lentement et à petites journées, à cause de mes enfants et de mes troupeaux, afin qu’ils ne succombent pas à un excès de fatigue. Marche donc toi-même, et moi, diminuant la fatigue de mes enfants et de mes bestiaux, j’irai te rejoindre à Séir. (Id. 14) Son frère alors lui dit : Si tu le veux, je vais te laisser quelques-uns de ceux qui m’accompagnent (Id. 15), lui témoignant son respect et sa com plaisance. Mais Jacob n’accepte pas même cette offre : Il me suffit, lui dit-il, d’avoir pleinement trouvé grâce devant toi. (Id) Ce que je désirais avec empressement, c’était de te trouver favorable. Puisque je l’ai obtenu, je n’ai plus besoin d’autre chose. Et Jacob partant de là, alla camper avec ses troupeaux ; et il appela ce lieu : les Tentes. (Id. 17)
5. Écoutons ces paroles, imitons le juste montrons une humilité semblable à la sienne ; et, s’il est des hommes dont les dispositions soient fâcheuses à notre égard, n’enflammons pas davantage leur colère, mais apaisons leur haine par la ; douceur et l’humilité de notre langage et de nos actions ; portons remède au mal de leur âme. Voyez la sagesse de ce juste, voyez comment la courageuse patience de son langage a si bien adouci Esaü, qu’il cherche à lui témoigner de la déférence et veut de toute façon lui faire honneur. Le fait d’une grande vertu, ce n’est pas de s’appliquer à chérir ceux qui sont envers nous ce qu’ils doivent être, mais d’attirer à nous, par notre grande indulgence, ceux qui veulent nous offenser. Rien n’est plus énergique que la douceur. Comme souvent un bûcher ardent s’éteint si l’on y jette de l’eau, de même la colère, plus enflammée qu’une fournaise, s’éteint devant un langage formulé avec douceur, et nous obtenons un double avantage, celui de témoigner de la douceur et celui de délivrer de trouble, en apaisant son irritation, la raison de notre frère. Eh ! quoi donc, dites-moi, ne blâmez-vous pas, n’accusez-vous pas votre frère de sa colère et de ses dispositions hostiles à votre égard ? Pourquoi donc ne pas vouloir vous efforcer de marcher dans une voie différente ? pourquoi vouloir vous irriter plus que lui ? On ne peut éteindre le feu avec du feu ; telle n’est pas sa nature. Une colère ne saurait éteindre une autre colère ; mais ce que l’eau est au feu, la bonté et la douceur le sont à l’emportement. C’est pour cela que le Christ disait à ses disciples : Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? (Mt. 5,46) Puis, afin de s’emparer de leur âme en les faisant rougir et de toucher ceux qui veulent négliger sa loi, il ajoute  : Les publicains n’en font-ils pas autant ? Le plus lâche ne le fait-il pas bien ; et les publicains ne s’y montrent-ils pas empressés ? Qu’y a-t-il de pis qu’un publicain ? cependant vous trouverez ce devoir pleinement rempli par eux, et il n’est pas possible de ne pas aimer aussi, quand on est aimé soi-même. Mais moi qui veux que vous soyez plus parfaits, et que vous ayez une vertu qu’ils n’ont pas, je vous avertis d’aimer même vos ennemis. C’est ce qu’a fait ce bienheureux avant la loi donnée, avant cet enseignement extérieur, mais par l’impulsion de sa conscience et de son extrême bonté ; c’est ce qui l’a fait triompher d’abord de Laban, et maintenant de son frère. Car, s’il a joui de l’assistance d’en haut, il a aussi montré les qualités de son âme. Soyons de même persuadés que, quelque multipliés que soient nos efforts, nous ne pourrons réussir sans la protection d’en haut. Et de même que, sans cette divine assistance, nous ne pourrions accomplir aucun de nos devoirs, de même, si nous n’y apportons ce qui dépend de nous, nous ne saurions obtenir cette protection. Faisons donc avec zèle ce qui dépend de nous, afin d’attirer sur nous les tendres soins de Dieu, en sorte que, par notre zèle et par la bonté divine, notre vertu se fortifie de jour en jour et que nous jouissions de l’abondance de la grâce d’en haut, que je vous souhaite à tous d’obtenir, par la grâce et l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel soient, avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, puissance, Honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE-NEUVIÈME HOMÉLIE.

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« Et Jacob vint à Salem ville des Sichimites, et il acheta de Hemor, père de Sichem, une portion de terrain, au prix de cent agneaux ; et il y dressa un autel, et il invoqua le Dieu d’Israël. » (Gen. 33,18-20)

ANALYSE.

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  • 1. Explication des versets 18-20. —2. Vanité des richesses. Explication des versets 1-12 du XXXIVe chapitre. —3. Explication des versets 13-31. Il faut marier les jeunes gens. —4. Explication des versets 1-8 du chapitre XXXV. —5. Épilogue moral touchant la correction des enfants.


1. Vous avez vu hier[4] la suprême bonté du Maître de tout l’univers, la sagesse des disciples et l’injustice des Juifs. Vous avez vu avec quelle patience il a réprimé leur audace impudente, prenant la défense de ses disciples, et montrant qu’eux-mêmes, en voulant se faire les vengeurs de la loi, en méconnaissaient l’esprit et voulaient demeurer assis dans l’ombre, quand la vérité brillait déjà. Vous avez vu comment il s’occupait à abolir, dans l’origine et le principe, les observances de la loi, enseignant que, le Soleil de justice étant levé, la lumière de la lampe ne pouvait plus être employée ; car l’éclat du soleil la rend inutile. Vous avez appris comment il est possible d’être toujours en fête et de se dégager de l’observance des temps. C’est pour cela que notre Maître est venu ; c’est pour nous délivrer des obligations temporaires et nous rendre capables de voler plus haut, d’avoir notre cité dans le ciel, d’imiter, quoique nous soyons hommes, la vie des anges et de nous rire de toutes les préoccupations humaines. Reprenons donc aujourd’hui, s’il vous plaît, la suite de notre discours d’avant-hier, et, revenant aux paroles du bienheureux Moïse, nous leur emprunterons la nourriture de vos âmes. Vous savez que Jacob ; revenu de Mésopotamie, avait eu une entrevue avec son frère, puis s’en était séparé, celui-ci étant allé habiter Séir et Jacob ayant dressé ses tentes dans un lieu qu’il nomma pour cela les Tentes : nous avons terminé là notre discours. Nous devons donc reprendre la suite pour vous donner, suivant nos forces, votre enseignement spirituel. Le juste se trouvant sans crainte et délivré maintenant de toute anxiété, alla, dit l’Écriture, dans une ville des Sichimites, et il acheta de Hémor, père de Sichem, une portion de terrain, au prix de cent agneaux ; et il y établit un autel, et il invoqua le Dieu d’Israël. Ne passons point légèrement sur ce qui est contenu dans les divines Écritures. Car si les hommes qui recueillent dans la terre des parcelles d’or, se soumettent à toutes les fatigues et supportent toute sorte d’incommodités pour arriver à séparer l’orle la terre, combien plus est-il juste que nous scrutions les oracles du Saint-Esprit et que nous en recueillions le fruit avant de nous retirer. Comprenez donc, je vous prie, la philosophie de cet homme admirable : il jouissait de la protection d’en haut ; il voyait sa richesse accrue, j’entends la quantité de son bétail il se voyait entouré d’une troupe nombreuse d’enfants, et il ne s’appliqua point à élever pour lui des constructions magnifiques, il ne s’empressa point d’acheter, des domaines et des maisons de campagne qu’il pût partager entre ses enfants. Car voilà le prétexte qu’on nous oppose aujourd’hui, et souvent celui qui n’a qu’un seul fils travaillé pour amasser un nombre infini de talents d’or, acheter des champs et élever de somptueux édifices. Et plût à Dieu que ce soit par des travaux légitimes et sans injustice qu’il ait amassé toutes ces richesses ! mais ce qui est intolérable, ce qui est surtout terrible, c’est que la rapine et la fraude fait de toutes parts passer entre ses mains la fortune d’autrui. Et si on lui demande : pourquoi donc cette fureur d’amasser ? il objecte aussitôt son fils et dit qu’il fait tout cela par amour pour lui. Mais bien qu’il se couvre de ce prétexte pour consacrer ses injustices, c’est en vain qu’il s’efforce de le faire. Et il en est qui, n’ayant pas même d’enfants, sont possédés de la fureur d’amasser et aimeraient mille fois mieux subir des maux sans remède que de donner une obole à l’un de ceux qui la leur demandent.
Ce juste n’avait point cette préoccupation, il n’y songeait pas, mais, lorsqu’il eut besoin d’acheter un modeste champ, il donna cent agneaux, et acquit ainsi de Hémor, père de Sichem, une portion de terrain. Et voyez la piété de Jacob et pour quel motif il souhaitait acquérir un champ. Et il y établit un autel, et il invoqua le Dieu d’Israël. Il n’a acheté cette portion de terrain que pour rendre ses actions de grâces au Maître de l’univers. Tous devraient se faire les émules de cet homme vivant selon la grâce avant que l’a loi fût donnée, et non se livrer ainsi à la fureur d’amasser des richesses. Car, dites-moi, pourquoi amasser sur soi des fardeaux d’épines ? et ne sentez-vous pas que vous laissez à vos enfants la matière et l’occasion du vice ? Ne savez-vous pas que vous devez veiller sur vous plus que sur votre enfant, et qu’en lui témoignant une prévoyance exagérée, vous vous attachez à lui laisser toute facilité pour perdre son âme dans l’abîme ?
Ne savez-vous pas que la jeunesse est par elle-même disposée à succomber et qu’elle incline au mal ? Lorsqu’elle se voit en possession d’abondantes richesses, la pente vers le vice est pour elle bien plus glissante. Car, de même que le feu, s’il reçoit des aliments, lance une flamme plus ardente ; de même aussi la jeunesse, recevant cette matière – inflammable des richesses, allume dans l’âme un brasier qui la consumera tout enture. Comment donc un homme ainsi tenté pourra-t-il s’adonner à la tempérance, fuir la débauche et embrasser les travaux de la vertu ou quelque couvre spirituelle ?
2. N’entendez-vous pas le Christ nous dire : Les soins de ce siècle et la séduction des richesses étouffent le jugement, et il devient stérile. (Mt. 13,22) Ces soins et ces séductions sont ce qu’il nomme les épines, quand il dit qu’une partie de la semence tomba parmi les épines ; et il interpréta ensuite à ses disciples, ce qu’étaient ces épines en leur disant : Les soins de ce siècle et la séduction des richesses étouffent le jugement et il dévient stérile. C’est une belle comparaison que celle des soins de ce siècle aux épines. De même en effet qu’elles ne permettent pas au blé de s’élever, mais étouffent en le pressant celui qu’on a semé ; de même les soins de la vie ne laissent porter aucun fruit à la semence spirituelle répandue dans l’âme ; elles la consument et l’étouffent à la façon des épines et ne laissent point pousser la semence spirituelle. La séduction des richesses. Oui, elle est bien nommée, car c’est réellement une séduction. Est-il en effet besoin de tant d’or et de richesses ? Oui, dira-t-on, la possession des biens cause une grande joie. Quelle joie ? et pourquoi l’appeler joie ? N’est-ce pas plutôt là une cause d’abattement inexcusable et de mille chagrins ? Et je ne parle pas encore du châtiment suspendu sur la tête des coupables, mais seulement des maux de la vie présente, quand je dis que les affaires ne peuvent causer de plaisir, mais plutôt des troubles et des chagrins continuels. Les vagues soulevées de la mer ne sont qu’une image imparfaite de l’âme ainsi pressée par le raisonnement et la passion, et mal disposée envers tous, étrangers et proches. Et si – quelque jour on dérobe à ces hommes quelque, portion de leur richesse (et combien ne voit-on pas d’accidents de toute sorte, de ruses pour ravir les biens, de crimes chez les serviteurs, de violences chez les puissants), alors vous les verrez persuadés que la vie leur est intolérable. Combien donc n’est-il pas lamentable le sort de ces hommes qui mettent tant d’ardeur à se nuire de toute façon et qui se plaisent à ajouter tant de maux à la perte de leur âme !
Mais laissons-les de côté, s’il vous plaît, et revenons à l’histoire de ce juste ; voyons-en la suite : Jacob éleva un autel dans cette portion de terrain, et il invoqua le Dieu d’Israël, et il résolut d’établir désormais sa résidence chez les Sichémites. Mais voyez comment là encore ce juste montra sa douceur. Dina, elle de Lia, sortit pourvoir les filles des habitants. Et Sichem le fils de Bémor, l’ayant vue, dormit avec elle ; il aima cette jeune fille et l’entretint de ce qui plaisait à son esprit. (Gen. 34,1-3) Vous avez vu comme la jeunesse est mauvaise, si elle n’a pour frein les pensées de la piété ? Il a vu cette jeune fille ; cette vue l’a rempli d’amour, et il a satisfait son désir. Et il l’entretint de ce qui plaisait à son esprit. Qu’est-ce qui plaisait à l’esprit de la jeune fille ? Parce qu’elle était jeune, il l’entretint de ce qui pouvait la séduire et l’entraîner. Et il dit à son père : donnez-moi cette jeune fille pour épouse. Jacob apprit ce qui s’était passé et il prit patience, attendant que les frères de Dina fussent de retour, car ils étaient dans leurs bergeries. Jacob se tut, dit le texte, jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés. Et quand Hémor fut venu trouver les frères de Dina parurent aussi ; et ayant appris ce qui était arrivé à leur saur, ils en furent vivement blessés. (Id. 5, 7) Blessés, oui, ils se désolèrent et ne jugèrent pas le fait tolérable, mais très-douloureux, et ils s’en affligèrent. Il leur était très-pénible, dit l’Écriture, que Sichem eut fait outrage à la famille d’Israël, en dormant, avec la fille de Jacob. (Id. 7) Voyez-vous la chasteté de ces jeunes gens ? Ils ont compris que c’était là un fort grand outrage. Vous voyez comment ce juste a formé ses enfants à la vertu, et comment le fils de Hémor, ayant cédé à son désir, a été pour son père et sa ville entière une cause de ruine. Mais d’abord écoutons ce que leur dit Hémor, et vous connaîtrez ensuite la cruelle ardeur des frères de Dina à venger le crime commis contre leur sœur. Hémor leur dit Sichem, mon fils, a choisi dans son âme votre fille. Voyez comment il annonce la calamité qui va l’envelopper. Il a choisi dans son âme ; comme s’il disait : il a donné sa vie pour votre fille. Il le disait pour faire entendre le désir que Sichem avait dé l’obtenir ; mais bientôt il apprit que ce serait la cause de sa perte et de la perte de toute la population, Puis donc, dit Hémor, qu’il brûle ainsi pour elle, donnez-la-lui pour femme et alliez-vous à notre famille. Donnez-nous vos filles et recevez nos filles pour vos fils, et demeurez parmi nous. Voilà que la terre est vaste devant vous ; habitez-la et parcourez-la, et acquérez-y des possessions. (Id. 8, 10) Voyez ce père qui, par tendresse pour son fils, se montre bienveillant pour ces étrangers et veut les gagner en leur donnant la faculté de disposer du pays. Le père parlait ainsi ; mais le fils ayant vu l’amour que lui témoignait son père et comment il était disposé, à tout faire pour réaliser les désirs de son enfant, ajoute quelque chose encore et dit à ainsi qu’aux frères de Dina : Que je trouve grâce devant vous, et nous vous donnerons tout ce que vous désignerez. Portez la dot bien haut et je payerai tout ce que vous voudrez, mais donnez-moi celle jeune fille pour femme. (Id. 11, 12) Vous avez entendu les demandes instantes que fait le père par affection pour son fils, et le fils lui-même offrant tout avec empressement pour obtenir la jeune fille.
3. C’est que cette passion désastreuse persuade à celui qu’elle possède dé tout endurer, jusqu’à ce qu’elle l’ait conduit au fond de l’enfer. Or considérez ce qui se passe. Le vieux Jacob écoute ces paroles en silence, et suivant sa douceur accoutumée, il ne prononce pas un mot, mais supporte avec patience l’outrage fait à sa fille : Mais les fils de Jacob parlèrent avec dissimulation à Sichem et ci ; Hémor son père, et ils leur dirent qu’ils avaient déshonoré leur sœur. (Id. 13) Examinez, je vous prie, comment, pour l’impudicité d’un seul, tous les habitants d’une ville partagent son malheur. Comme, quand un embrasement a lieu, ceux qui habitent auprès ont part au péril, parce que le feu ravage tout ; de même la passion effrénée de ce jeune homme a fait périr non seulement son père, mais toute la cité. Que font donc les enfants de Jacob ? ils leur répondent avec dissimulation. Il est important de les entendre, afin de se rendre compte de la douleur qu’ils ressentaient au sujet de leur sœur. Siméon et Lévi, frères de Dina et fils de Lia, répondirent : nous ne pouvons accueillir votre demande et donner notre saur à un homme qui n’est pas circoncis. Si donc vous vous faites circoncire, nous vous donnerons nos filles, et nous accepterons les vôtres et nous ne formerons plus qu’une seule race. (G. 13,16) Celle déclaration était raisonnable et logique ; mais, dit le texte, ils parlaient avec dissimulation. Si vous ne voulez pas le faire, continue le texte, nous reprendrons notre fille et nous nous retirerons. (Id. 17) Voilà ce que proposèrent Siméon et Lévi, qui méditaient le meurtre de tous les habitants. Mais Sichem et sort père, les yeux fixés sur le but qu’ils voulaient atteindre et désireux d’obtenir la jeune fille, accueillirent ces paroles et agréèrent cette proposition. Ce langage leur plut, et le jeune homme ne différa point à s’y conformer, car il était épris de la, fille de Jacob. (Id. 18-19) Il était tout entier livré à sa passion pour cette jeune fille. Et lui et son père, s’étant rendus à la porte, parlèrent à tout le peuple de la ville (Id. 20) ; et ils leur conseillèrent d’accepter la circoncision, selon la déclaration qui leur était faite, et à consentir à vivre avec la famille d’Israël. Et les habitants se conformèrent sans retard aux paroles de Hémor et de Sichem ; et tous ensemble reçurent sur leur corps le signe de la circoncision. Siméon et Lévi, l’ayant appris, se, hâtent d’exécuter le dessein qu’ils méditaient. Ayant pris chacun leur épée, ils entrèrent sans danger dans la ville. (Id. 25) Comment donc, sans danger ? ils n’étaient que deux contre un si grand nombre. Mais leur sûreté était garantie, parce que les habitants gisaient là blessés. C’est ce que nous apprend la sainte Écriture, quand elle dit : le troisième jour tandis qu’ils étaient dans la souffrance. (Id) Voilà ce qui faisait la sûreté de Siméon et de Lévi et ce qui rendait deux hommes plus forts qu’une multitude. Et ils tuèrent, dit le texte, tout ce qui était mâle. (Id), c’est-à-dire tous les hommes qui, gisaient dans les douleurs de la circoncision et qui étaient en quelque sorte préparés pour le massacre ; et, ayant tué avec les autres : le jeune homme qui avait outragé leur sœur, ils se retirèrent. Les enfants de Jacob ne se – contentèrent même pas de cette vengeance, mais le texte nous apprend qu’ils enlevèrent les brebis et tout le bétail, et se retirèrent ayant dépeuplé et détruit la ville. Vous avez vu, mon bien-aimé, quels maux a causé l’emportement d’un jeune homme ? quel désastre il a attiré sur tous les habitants de, cette ville ? A la vue de cet exemple, réprimons donc les passions de nos enfants et mettons plus d’un frein à la jeunesse, celui de la crainte et celui des conseils ; veillons sur leur chasteté, n’épargnons ni soins ni démarches pour que le jeune âge puisse échapper aux passions coupables. C’est pour cela que notre Maître commun, voyant la faiblesse de la nature humaine, a institué le mariage, pour nous détourner des relations illicites.
Ne négligeons donc point les jeunes gens, mais voyant comment brûle cette fournaise, efforçons-nous, avant qu’ils aient roulé dans l’abîme du libertinage, de les engager, conformément à, la loi de Dieu, dans les liens du mariage, afin que leur chasteté soit maintenue, et qu’ils ne soient pas atteints par le mal de l’impudicité, pourvus qu’ils seront d’un remède suffisant, pouvant réprimer les assauts de la chair et demeurer à l’abri du châtiment. Mais voyons quelle impression fit sur le vieux Jacob la conduite de ses enfants. Jacob leur dit, reprend l’Écriture (Id. 30) : Vous m’avez rendu odieux et criminel aux yeux des habitants de ce pays. Pourquoi, leur dit-il, avez-vous tiré une telle, vengeance ? Ce que', vous avez fait va m’attirer une, haine profonde de la part de tous les habitants du pays. Puis, témoignant la crainte qu’il éprouvait, il ajouta : Nous, nous sommes peu nombreux ; réunis contre nous, ils nous tailleront en pièces et nous écraseront (Id), comme s’il disait : ne savez-vous pas que, peu nombreux comme nous le sommes, nous éprouverons à notre tour ce que vous avez voulu faire à d’autres ? Et de même que Sichem a été cause de ce désastre pour son père et pour tous les habitants de sa ville, ainsi serez-vous pour moi. Car, à cause de vous, je vais être un objet de haine, et rien n’empêchera que, par suite de votre témérité, nous ne soyons écrasés. Ils lui répondirent, dit le texte : mais, outragera-t-on ainsi notre sœur ? (Id. 31) Vous le voyez : c’est un sentiment de chasteté qui a porté les enfants de Jacob à la vengeance : leur apologie envers leur père consiste à dire : ils nous ont déshonorés par l’outrage fait à notre sœur, et c’est pour cela que nous avons été contraints d’agir ainsi, afin que cette leçon prévienne à l’avenir une telle audace.
4. Mais considérez ensuite, je vous prie, l’ineffable providence de Dieu envers ce juste. Voyant qu’il craignait, à cause de ce qu’avaient fait ses fils, de demeurer dans cette contrée, Dieu lui dit, continue le texte : Lève-toi et monte à Béthel pour y habiter. (Gen. 35,1) Puisque tu crains les habitants de cette contrée, retire-toi et va habiter Béthel. Élevé là un autel au Seigneur, que tu as vu, quand tu fuyais de devant la face d’Esaü, ton frère. Et Jacob dit à sa famille et à tous ceux qui étaient avec lui : faites disparaître les dieux étrangers du milieu de vous, et purifiez-vous et changea vos vêtements ; levons-nous, montons à Béthel, élevons-y un autel au Seigneur, qui m’a écouté au jour de la tribulation ; il était avec moi et m’a sauvé dans mon voyage. (Id. 1-3) Considérez encore ici l’obéissance et la piété de ce juste. Quand il a entendu cet ordre  : monte à Béthel, élève là un autel, il appelle tous ses enfants et leur dit : faites disparaître les dieux. Quels dieux, me dira-t-on ? car on ne voit nulle part qu’il ait eu des dieux : dès les premiers jours de sa vie ce juste fut un pieux serviteur du vrai Dieu. Peut-être il entendait par ces paroles les dieux de Laban que Rachel avait dérobés ; aussi dit-il : Puisque nous allons rendre des actions de grâces au vrai Dieu, qui m’a toujours accordé sa protection, faites disparaître les idoles que vous pourriez avoir. Purifiez-vous et changez vos vêtements ; allons ainsi à cette ville et trouvons-nous-y tous ensemble, purifiés au-dehors et au dedans. Ne vous montrez pas seulement purs par l’éclat de vos vêtements, mais purifiez les pensées de votre esprit en faisant disparaître vos idoles, et montons ainsi à Béthel. Et ils donnèrent à Jacob, dit le texte, les dieux étrangers, car ce n’étaient pas leurs dieux, et les pendants d’oreilles qu’ils portaient. (Id. 4) C’étaient peut-être des symboles idolâtriques se rapportant à ces dieux ; aussi les apportent-ils à leur père avec les idoles. Et Jacob les cacha sous le térébinthe de Sichem, et il les fit disparaître jusqu’à ce jour. Il les cacha, dit le texte (Id), et il les fit disparaître, en sorte que les esclaves de l’égarement eux-mêmes fussent soustraits à cet égarement et que personne désormais n’en reçût de dommage.
Après que ce juste eût accompli tous ces soins, il partit du pays de Sichem et se mit en route pour Béthel. Mais voyez encore le soin que Dieu prend de lui, et comment l’Écriture nous en instruit clairement. Ce juste étant parti, la crainte de Dieu se répandit dans les villes d’alentour, et ils ne poursuivirent point les enfants d’Israël. (Id. 5) Vous avez vu combien est grande cette providence et combien manifeste est son secours ? La crainte saisit les habitants et ils ne les poursuivirent point. Parce que ce juste l’avait redouté et avait dit : Nous sommes en bien petit nombre et nous serons écrasés, l’Écriture nous apprend que la crainte qui saisit les habitants empêcha cette poursuite. Dieu en effet, lorsqu’il veut prêter son assistance, rend les faibles plus forts que les puissants, le petit nombre plus puissant que le grand nombre, et rien ne saurait être plus heureux que celui qui a obtenu l’assistance d’en haut.
Et Jacob, dit l’Écriture, arriva à Luzon, qui est dans la terre de Chanaan et est nommé Béthel, et toute la tribu avec lui. Il y éleva un autel et appela ce lieu Béthel, car c’est là que Dieu lui était apparu, tandis qu’il fuyait de devant la face d’Esaü, son frère. (Id. 6-7) Arrivé là, il accomplit l’ordre du Seigneur en élevant un autel, et donne à ce lieu le nom de Béthel. Déborra, nourrice de Rébecca, mourut et fut ensevelie au-dessous de Béthel, sous le chêne ; et Jacob le nomma le chêne du deuil. (Id. 8) Vous le voyez, il donnait aux lieux des noms tirés des événements afin d’en conserver la mémoire. Et comment, me direz-vous, la nourrice de Rébecca était-elle avec lui, nouvellement arrivé de Mésopotamie, et n’ayant point encore revu son père ? Il n’est pas difficile de répondre qu’elle avait voulu accompagner lorsqu’il revint de chez Laban, pour revoir Rébecca, après une si longue séparation, et qu’avant de l’avoir rencontrée elle mourut à Béthel.
5. Arrêtons-nous aussi là, s’il vous plaît ; terminons ce discours en exhortant votre charité au zèle pour la vertu et à prendre soin de la chasteté des jeunes gens. Car c’est de là, pour ainsi dire, que proviennent tous les maux. L’habitude de la dépravation, gagnant avec le temps, produit un tel ravage que nul avis ne peut désormais gagner ceux qui y sont une fois abandonnés ; ils sont conduits comme des captifs là où le veut le démon. C’est lui qui désormais est leur maître et qui leur donne ces ordres funestes que les jeunes gens exécutent avec joie, ne considérant que le plaisir du moment et ne réfléchissant pas à la douleur qui suivra. Je vous exhorte donc à tendre la main à nos jeunes gens, de peur que nous n’ayons à rendre compte de leur conduite. Ne savez-vous pas ce qui arriva au vieil Héli, qui n’avait pas convenablement redressé les défauts de ses enfants ? En effet, quand un mal a besoin qu’on emploie le fer, si un médecin veut le traiter par un liniment, il le rend bientôt incurable, parce qu’il n’y a pas appliqué le remède qui convenait ; de même ce vieillard, qui devait traiter ses enfants avec une sévérité proportionnée à leurs fautes, s’étant montré mou à leur égard, eut part à leur châtiment. Redoutez donc cet exemple, je vous en prie, vous qui avez des enfants, et veillez à leur éducation ; que chacun des gens de la maison partage sincèrement vos soins et comprenne que le gain le plus grand, c’est le service dit prochain ; en sorte que chacun, instruit à la vertu, puisse échapper à la tentation du vice, et que, choisissant la vertu, il obtienne l’assistance d’en haut. Que chacun de vous en soit favorisé, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel soient, avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant, et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit il.

SOIXANTIÈME HOMÉLIE.

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« Et il y établit un autel, et il donna à ce lieu le nom de Béthèl ; car c’est là que Dieu lui était apparu, lorsqu’il fuyait de devant son frère Esaü. » (Gen. 35,7)

ANALYSE.

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  • 1. Explication des versets 7-13 du chapitre XXXV. —2. Explication des versets 14-27. —3. Exhortation morale à la mortification de la chair, au sacrifice spirituel de soi-même ; à la vigilance et à l’examen de conscience.


1. Aujourd’hui, s’il vous plaît, nous allons reprendre la suite de notre dernier discours, et faire l’instruction en continuant d’expliquer le même texte. Car aujourd’hui encore l’histoire de Jacob peut nous enseigner combien était grande la bienveillance de Dieu envers lui, et comment il l’affermit de nouveau par ses promesses, pour le récompenser de sa vertu. L’Écriture après nous avoir raconté dans les versets précédents, comment sur l’ordre de Dieu, quitta Sécime à cause des crimes que ses fils y avaient commis et se rendit à Luzan, ajoute : Et il y bâtit un autel, et il donna à ce lieu le nom de Béthel ; car c’est là que Dieu lui était apparu, lorsqu’il fuyait de devant son frère Esaü. Après avoir donné un tel ordre à ce juste, et l’avoir délivré de la crainte, dont il avait été saisi à cause du massacre des Sécimites, Dieu, dit l’Écriture, frappa de terreur les habitants de ces villes, et les empêcha de le poursuivre. Voyez quelle est la providence de Dieu, avec quelle sollicitude il veille sur Jacob. Il remplit de terreur, dit l’Écriture, les esprits de ceux qui habitaient les villes voisines, et les empêcha de le poursuivre : car ils voulaient sans doute venger les Sécimites. Mais comme le sang avait été répandu malgré la volonté de ce juste, et que Siméon et Lévi avaient commis ce crime pour venger l’outrage fait à leur sœur, non seulement il le délivre lui et ses fils de la crainte qui les agitait, mais il arrête encore l’impétuosité des peuples voisins en semant la terreur parmi eux. Sentez-vous combien il importe de jouir de l’assistance divine ? Lorsque Dieu a de la bienveillance pour nous, il éloigne de notre âme toute affliction. Car s’il a rendu le courage à ce juste, il a glacé d’effroi ses ennemis. Comme il est le souverain Maître, il dirige les événements à son gré, et il fait éclater dans toute chose sa sagesse et sa toute-puissance. Il n’est rien de plus fort que l’homme qui a su obtenir l’aide de Dieu, comme aussi il n’est rien de plus faible que celui qui en est privé. Voyez ce juste, ses auxiliaires sont faciles à compter et très-peu nombreux, mais il est protégé par la main de Dieu, et il a repris confiance et il a échappé au complot tramé contre lui ; ceux-là au contraire, bien qu’ils se fussent réunis en foule considérable, et qu’ils eussent été, d’accord dans leur entreprise, n’ont pas même pu mettre leurs projets à exécution. Car, dit l’Écriture, Dieu frappa de terreur les villes qui étaient autour d’eux. Après que ce juste fut délivré de toute crainte et de la poursuite des habitants de ce pays, voyez combien est grande l’affection que Dieu lui témoigne de nouveau ; Dieu, dit l’Écriture, lui apparut une seconde fois à Luza. Pourquoi l’Écriture ajoute-t-elle ce mot : une seconde fois ? Ce n’est pas sans motif : c’est pour nous apprendre que Dieu lui est déjà apparu autrefois dans ce même lieu, lorsqu’il fuyait son frère et qu’il se dirigeait vers la Mésopotamie. Voici ce que veut faire entendre l’Écriture : De même qu’autrefois Dieu lui est apparu au moment de sa fuite, de même aujourd’hui il se montre à lui dans le même lieu, au moment de son retour ; il lui renouvelle les promesses qu’il lui a faites lorsqu’il s’en allait, et par là il veut que ce juste ait confiance dans sa parole, et qu’il n’en doute pas à cause du long espace de temps qui s’est écoulé dans l’intervalle. Et il le bénit, et lui dit : Tu ne t’appelleras plus Jacob : désormais ton nom sera Israël. Bien qu’il l’eût déjà appelé de ce nom, lorsque Jacob traversait Jaboch, il veut aujourd’hui mettre dans son cœur une plus grande assurance, et il lui donna la même bénédiction, et il lui dit : Ton nom sera Israël ; augmente et multiplie. Des nations et des multitudes de nations naîtront de toi, des rois même sortiront de ta race. Voyez la grandeur de cette bénédiction. Il lui prédit non seulement que sa race se multipliera, mais encore qu’elle sera illustre. Des rois naîtront de ta race ; il lui révèle ainsi dès ce jour la gloire de ses descendants. Je te donne le pays que j’ai donné à Abraham et à Isaac, et je le donnerai à ta postérité après toi.
Après que Siméon et Lévi eurent massacré les Sécimites, Jacob disait : Nous sommes en petit nombre ; ils s’assembleront donc contre moi, et ils me frapperont, et ils me détruiront, moi et ma maison ; et dans toutes ses paroles, il montrait sa pusillanimité, et la violente crainte qui le possédait : aujourd’hui donc le Seigneur plein de bienveillance pour ce juste, lui dit Puisque tu t’es écrié : nous sommes en petit nombre, apprends que ta race croîtra et se multipliera, et qu’elle sera tellement illustre, que d’elle sortiront une multitude de nations, et même des rois ; non seulement tu ne seras pas détruit, mais toi et ta race vous recevrez en héritage ce pays tout entier. Et après lui avoir fait ces promesses, Dieu, dit l’Écriture, remonta d’avec lui du lieu où il lui avait parlé. Voyez comment la sainte Écriture, dans son langage, s’abaisse au niveau de là nature humaine. Dieu, dit-elle, remonta d’avec lui : elle ne nous donne pas à entendre que Dieu puisse être limité dans l’espace, mais elle veut nous montrer l’étendue de sa bonté : car l’Esprit-Saint s’abaisse au niveau de la faiblesse humaine pour nous raconter toutes choses. Ces mots, descendre et monter, ne peuvent convenir à Dieu ; mais comme c’est là la plus grande preuve qu’il puisse nous donner de son ineffable bonté, que de se servir de pareils termes pour notre instruction, il a recours au langage humain ; aussi bien il serait impossible aux oreilles de l’homme de comprendre la sublimité de son langage, s’il était en rapport avec la dignité du Seigneur.
2. Si nous faisons cette réflexion, loin d’insister sur la bassesse des termes, nous admirerons l’ineffable bonté de Dieu qui ne dédaigne pas de s’abaisser ainsi, à cause de la faiblesse de notre nature. Mais voyez ce juste témoigner de nouveau sa reconnaissance. Jacob, dit l’Écriture, éleva une colonne de pierre dans le lieu où Dieu lui avait parlé, et il fit dessus une aspersion, et il y répandit de l’huile, et il donna le nom de Réthel au lieu où Dieu lui avait parlé. Voyez comment ce juste, parle nom qu’il donne à ce lieu, rend impérissable le souvenir de la vision dont il y fut favorisé, et en fait passer la mémoire aux générations suivantes : Et Jacob partit, et il planta sa tente au-delà de la citadelle de Gader. Ainsi, ce juste poursuit de nouveau sa route, et peu à peu se hâte d’arriver dans le lieu qu’habitait Isaac. Et l’Écriture ajoute : Lorsqu’il approcha d’Ephrath, Rachel enfanta, et elle fut dans un grand travail. Et comme elle avait beaucoup de peine à accoucher, la sage-femme lui dit : Prends courage, car tu as un fils. Ne crains point, dit-elle, car tu enfanteras un fils. Bien que tu sois déchirée de douleurs, cependant tu enfanteras un fils. Et en expirant, car elle mourait, elle l’appela fils de mes douleurs ; mais son père lui donna le nom de Benjamin. Celle-ci consacre, par le nom qu’elle donne à son fils, le mal qu’elle avait ressenti ; mais son père l’appela Benjamin. Et après qu’elle eut enfanté, elle mourut, dit l’Écriture, elle fut ensevelie au chemin d’Ephrath, qui est Bethléem. Et Jacob éleva un monument sur sa tombe. La naissance de cet enfant calma le chagrin que la mort de Rachel causait à et l’aida à supporter la perte de Rachel. C’est alors que Ruben se rendit coupable d’un grand crime : Il vint, dit l’Écriture, et dormit avec Balla, concubine de son père, et Israël en fut averti, et le crime fut prouvé en sa présence. Or, c’était là un grand crime. Aussi, dans la suite, Moïse défendit-il dans ses lois que le père et le fils eussent commerce avec la même femme. Dans la crainte qui peu à peu ce fait ne devienne une habitude, le législateur se hâte de déclarer que celui qui se rend coupable d’un pareil crime mérite un châtiment. Cependant alors vaincu par l’amour paternel, se montra indulgent pour la faute de son fils. Mais dans la suite, au moment où il allait quitter la vie, il flétrit Ruben, consigne par écrit son crime, et le maudit, afin que ce châtiment serve d’exemple à la postérité. Puis, le bienheureux Moïse fait le dénombrement des fils de Jacob, et par ses paroles, il nous apprend quelle était la vertu de ce juste. Et ne croyez pas que ce fut au hasard et sans raison qu’il eut commerce avec, Rachel, Lia et les deux servantes. L’Écriture, au contraire, nous montre que Jacob obéissait aux secrets conseils de la Providence, et qu’il vécut avec ces femmes, pour que les douze tribus sortissent de lui : Aussi l’Écriture ne dit-elle pas qu’un autre fils lui soit né, afin de tous apprendre que ce n’était pas là un fait imprévu et fortuit. Les fils de Jacob étaient au nombre de douze. Puis l’Écriture nomme séparément les enfants de Lia et de Rachel, et ceux des deux servantes, et elle ajoute : Voilà les fils qui naquirent à Jacob en Mésopotamie. Et cependant Benjamin fut mis au monde dans les environs de Bethléem. Pourquoi donc l’Écriture dit-elle : Voilà les enfants qui naquirent à Jacob en Mésopotamie? Peut-être Rachel l’avait-elle conçu avant son départ. Et Jacob vint vers Isaac, son père. Voyez ici encore, somment Dieu, dans sa bonté, voulait inspirer me pleine confiance à ces justes. La venue de Jacob vers son père, après un si grand nombre d’années, fut pour tous deux une douce consolation : pour parce qu’il revoyait on père, et pour Isaac, parce qu’il pouvait contempler la richesse de son fils, et le grand ombre d’enfants qui étaient sortis de lui. C’est alors, dit l’Écriture, que mourut Isaac, âgé et rassasié de jours. Si, en effet, au moment où Jacob surprit la bénédiction de son père, les yeux d’Isaac étaient déjà appesantis (et c’est ce qui explique qu’il ait pu être trompé), songez quelle devait être sa vieillesse, puisqu’un si grand nombre d’années s’étaient écoulées dans l’intervalle. Esaü et Jacob, dit l’Écriture, l’ensevelirent. Mais, après la mort d’Isaac : Esaü prit ses femmes, ses fils, toutes les personnes de sa maison, et tous les biens qu’il avait acquis dans la terre de Chanaan, et il partit. Car le pays qu’ils habitaient comme étrangers, ne pouvait pas les contenir, à cause de la grande quantité de leurs biens. Et il habita désormais sur la montagne de Séir. La sainte Écriture énumère ensuite les enfants qui naquirent à Esaü et les nations qui sortirent de lui, et elle ajoute : Quant à il demeura au pays où son père avait habité comme étranger, c’est-à-dire au pays de Chanaan. Vient ensuite un autre récit sur l’admirable Joseph.
3. Mais, si vous le voulez, nous terminerons ici notre discours, et nous réserverons pour une autre instruction l’histoire du fils de Jacob. Cependant voici ce que j’exigerai de votre charité, c’est que vous écoutiez mes paroles avec attention, que vous retiriez le plus grand fruit des enseignements que nous donne la sainte Écriture, et que vous ne passiez sur aucun sans réflexion. Car les paroles divines sont véritablement un trésor spirituel ; si, d’un trésor matériel, quelqu’un dérobe à son profit une seule pierre précieuse, par là souvent il peut acquérir une fortune immense ; de même les vertus des justes, si nous voulons nous y attacher, pourront nous être d’une utilité telle que nous-mêmes nous serons portés à les imiter. C’est ainsi qu’il nous sera possible à nous aussi d’obtenir la faveur divine dont ces justes ont joui. Car Dieu n’a point d’égard aux diverses conditions des personnes ; ruais en toute nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes, lui est agréable. Aussi rien ne nous empêche, si nous le voulons, de jouir autant et même plus que ces justes, de la protection divine. Car si seulement il voit que nous faisons tout ce qui dépend de nous, et que nous préférons aux plaisirs mondains la pratique de ses préceptes, il montre pour nous une si grande sollicitude qu’il nous rend invincibles en toute chose. Nous avons en effet à combattre continuellement un ennemi qui nourrit contre nous une haine implacable. Aussi avons-nous besoin d’une grande vigilance, afin de pouvoir triompher de ses artifices et mépriser ses coups. Et nous ne remporterons la victoire que si nous savons, par une conduite irréprochable, nous attirer le secours de Dieu. Or qu’est-ce qu’une conduite irréprochable ? C’est aine vie pure. C’est là la base et le fondement de la vertu : celui qui l’établit d’une façon inébranlable, surmontera facilement tous les obstacles ; un tel homme ne se laissera dompter ni par le désir des richesses, ni par l’amour de la gloire, ni par l’envie, ni par aucune autre passion. Et pourquoi ? Je vais le dire. Lorsqu’un homme a la conscience pure, et exempte de toute tache, le Maître de l’univers peut habiter dans son cœur. Car Jésus a dit : Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu ! Lorsque quelqu’un mérite que Dieu établisse sa demeure en lui, il vivra dans la suite comme s’il était simplement revêtu d’un corps et il montrera un souverain mépris pour toutes les jouissances humaines. En effet, toutes les choses terrestres, il les regardera comme une ombre, comme un rêve ; et, de même que s’il habitait dans les cieux, il ne désirera aucun des biens présents. Tel était saint Paul, l’apôtre qui a enseigné l’univers ; il s’écriait Est-ce que vous voulez éprouver la puissance de Jésus-Christ qui parle par ma bouche ? Il disait encore : Je vis, ou plutôt ce n’est plus moi qui vis, mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi. Et ensuite : Si je, vis maintenant dans ce corps mortel, j’y vis en la foi. Voyez-vous cet homme, quoique revêtu d’un corps parler comme s’il jouissait d’un repos incorporel ?
4. Imitons-le donc tous, mortifions les membres de notre corps, et rendons-les incapables de pécher ; car c’est surtout ainsi que nous pourrons offrir à Dieu un, sacrifice qui lui sera agréable. Voyez-vous combien ce sacrifice est nouveau et étonnant ? Lorsque les membres sont morts, Dieu en accueille plus favorablement le sacrifice. Pour quel motif ? Parce que c’est un sacrifice spirituel ; qui n’a rien de sensible. Car, dans un sacrifice sensible, non seulement on doit rejeter la victime qui est privée de vie, mais celle même qui est vivante, si elle a quelque tache, ne pourrait jamais être acceptée à l’autel. Et ç’a été dès le principe l’objet d’une loi, non pas sans motif, mais afin que cet examen de victimes privées de raison, nous apprît à offrir, avec non moins de circonspection, ce sacrifice spirituel et cette victime raisonnable. Dans l’ancienne loi, c’était une tache que d’avoir les oreilles ou la queue coupée ; dans la nouvelle loi, c’est une tache que d’être pervers, libertin et débauché, d’aimer les richesses et ; en un mot, de pécher, Autrefois, la victime devait être pure et exempte de toute souillure, aujourd’hui, il faut mourir au monde pour être propre au sacrifice spirituel. Ne passons pas trop légèrement sur ces considérations, mais gravons-les profondément dans notre esprit, et tâchons de ne pas paraître inférieurs aux Juifs qui, dans les ténèbres, montrent une attention si scrupuleuse. Si les Juifs, assis auprès d’une faible lumière, ont fait preuve d’une si grande vigilance, à plus forte raison, nous, qui avons été juges dignes d’être éclairés par le Soleil de justice, qui avons quitté les ténèbres et qui avons été conduits comme par la main vers la vérité, devons-nous apporter la même prudence dans ce sacrifice spirituel. Ne passons pas légèrement sur ce que nous croyons de petits péchés ; mais demandons-nous compte, chaque jour, de nos paroles et de nos regards, et punissons-nous nous-mêmes, si nous voulons éviter les châtiments d’en haut. C’est pourquoi saint Paul dit : Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés de Dieu. (1Cor. 11, 31) Car, si nous nous jugeons nous-mêmes ici-bas pour les fautes que nous commettons chaque jour, nous diminuons d’autant la sévérité du jugement de Dieu. Et, si nous sommes insouciants, lorsque nous sommes jugés de la sorte, dit l’Apôtre, c’est le Seigneur qui nous châtie. Auparavant, donc, condamnons-nous avec une grande sincérité, et descendons, à l’insu de tous, au tribunal de notre conscience ; alors examinons nos pensées, et portons une sentence juste, afin que notre esprit, frappé du péril qui nous menace, ne se laisse plus tromper, qu’il ré prime nos passions, et que, toujours vigilant, il ferme tout accès au diable. Car nous n’éprouvons d’échec, que par notre nonchalance, c’est l’expérience même qui nous l’enseigne. Si nous voulions nous réveiller un peu, nous pourrions faire tomber en poussière les embûches de notre ennemi ; et même, quand il nous fait tomber, si nous restons dans le même état, ce n’est pas à cause de sa tyrannie, mais à cause de notre peu d’énergie. Car ses victoires, il ne les doit pas à une force invincible, mais à sa ruse seule. Or, nous ne nous laisserons pas tromper, si nous voulons nous réveiller un peu et user de prudence ; c’est nous qui en sommes maîtres ; je ne veux pas dire que, seuls, nous ayons en nous-mêmes une assez grande force pour cette lutte, mais c’est que alors nous sommes favorisés dit secours d’en haut. Lorsque nous faisons ce qui dépend de nous, Dieu nous vient toujours en aide. Soyons donc prudents, je vous y exhorte ; puisque nous connaissons les ruses de notre ennemi, veillons sans relâche et demandons à Dieu de nous secourir dans ce combat. Ainsi nous deviendrons invincibles, nous éviterons les pièges que nous tendra le démon, nous jouirons de l’assistance divine, et nous obtiendrons les biens éternels ; puissions-nous tous les obtenir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; qui partage, avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, la puissance et l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

SOIXANTE-UNIÈME HOMÉLIE.

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« Voici quelle était la famille de Jacob ; Joseph étant âgé de dix-sept ans, paissait les troupeaux avec ses frères. » (Gen. 37,2)

ANALYSE.

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  • 1. Explication des versets 2-4 du chapitre XXXVII. Que l’envie est un grand mal. Caïn le premier homicide par envie. – 2. Explication des versets 5-14. – 3. Explication des versets 14-26. Joseph figure du Christ. On ne peut empêcher l’accomplissement des prédictions divines. – 4. Explication des versets 25-35. Joseph toujours sous la main de Dieu qui le garde. – Exhortation.


1. Je veux, aujourd’hui encore, vous introduire à la table accoutumée, reprendre la suite de mon discours, et vous offrir ce banquet spirituel en partant des paroles qui viennent d’être lues. Elles peuvent en effet vous apprendre à tous combien l’envie est un fléau terrible et à quel degré de violence peut monter cette passion funeste en s’attaquant même aux plus proches parents. Mais pour procéder avec ordre, il faut nous attacher d’abord aux premiers mots du verset que je vous ai lu. Voici, dit l’Écriture, quelle était la famille de Jacob. Voyez comment le saint prophète, après avoir promis de nous raconter la généalogie de revient aussitôt à l’histoire du fils de celui-ci. Il dit d’abord : Voici quelle était la famille de Jacob ; puis il néglige d’énumérer par ordre les enfants qui sont nés de lui, et les enfants de ses enfants (comme il l’avait fait pour Esaü), et il passe aussitôt à Joseph, le plus jeune, presque, des fils de et dit : Joseph, étant âgé de dix-sept ans, paissait les troupeaux avec ses frères. Pourquoi nous indique-t-il le nombre d’années ? C’est afin que vous appreniez que la jeunesse n’est pas un obstacle à la vertu ; et afin que vous connaissiez clairement quelle était l’obéissance de cet enfant envers son père, son amitié pour ses frères, et quelle fut la cruauté de ces derniers ; enfin c’est pour que vous sachiez que, malgré les sentiments dont il était animé à leur égard, malgré son âge qui aurait dû leur inspirer de la compassion, ils n’ont voulu conserver aucune amitié pour lui, et que, dès le principe, ils se sont laissé emporter par la jalousie, en voyant la tendance de cet enfant vers la vertu, et la bienveillance que leur père lui témoignait. Ils accusèrent Joseph d’une action criminelle devant Israël, leur père[5]. Voyez comme ils poussèrent la méchanceté à son comble : ils essayent de détruire l’affection, de Jacob pour son fils, et ils inventent des calomnies contre leur frère, mais ils ne réussissent qu’à rendre leur jalousie plus évidente. Et vous reconnaîtrez qu’ils n’ont recueilli d’autre fruit que de répandre la lumière sur leurs secrets desseins. Si vous considérez comme ce père s’attache plus étroitement encore à son fils, même après cette calomnie, et comment il le préfère à tous : Or Jacob, dit l’Écriture, aimait Joseph plus que tous ses autres fils, parce qu’il était l’enfant de sa vieillesse. Et il lui fit une robe de diverses couleurs. Que signifient ces paroles : Il aimait Joseph plus que tous ses autres fils, parce qu’il était l’enfant de sa vieillesse ? Comme il lui était né le dernier, à l’époque de sa vieillesse, il le chérissait plus que tous les autres. En effet les enfants que l’on engendre dans la vieillesse semblent plus dignes d’amour, et obtiennent de leur père une affection plus vive. Mais ce n’était pas là le seul motif de l’amour que Jacob lui témoignait et de la préférence qu’il avait pour lui : car la sainte Écriture nous apprend qu’un autre fils lui naquit encore après Joseph ; et si son affection avait suivi l’ordre de la nature, c’est sur ce dernier qu’il l’aurait reportée tout entière, puisqu’il était vraiment l’enfant de sa vieillesse et qu’il avait été mis au monde au moment où ce juste était déjà parvenu à un très-grand âge. Quel motif devons-nous donc ajouter ? C’est qu’une grâce presque céleste rendait cet enfant cher à son père, et le poussait à le préférer aux autres à cause de sa vertu ; et l’Écriture nous dit que Jacob le chérissait ainsi, parce qu’il était l’enfant de sa vieillesse, dans la crainte d’augmenter la jalousie de ses frères.
C’est là une terrible passion, et, lorsqu’elle s’est emparée de notre âme, elle ne la quitte pas, avant de l’avoir poussée jusqu’au dernier égarement ; elle déchire l’âme où elle a pris naissance, et produit sur le personnage, objet de notre jalousie, des effets contraires à ceux que nous attendions, en le rendant plus célèbre, plus : illustre et plus éclatant, ce, qui est pour l’envieux une nouvelle et, profonde blessure. Considérez en effet comment cet enfant, vraiment digne de notre admiration, sans connaître aucun des faits qui s’étaient passés, se conduit avec ses frères que les mêmes entrailles ont nourris ; il montre une pleine confiance en eux et il leur parle avec une entière franchise ; ceux-ci au contraire, dominés par la passion de l’envie, sont remplis de haine pour lui : Ses frères, dit l’Écriture, voyant que leur père l’aimait plus qu’eux tous, le haïssaient, et ne pouvaient lui parler sans aigreur. Voyez de quelle haine ils poursuivent cet enfant qui ne leur a fait aucun tort : Et ils ne pouvaient, dit l’Écriture, lui parler sans aigreur. Pourquoi ne pouvaient-ils lui parler sans aigreur ? C’est que cette passion s’était rendue maîtresse de leur cœur, et que la haine s’y développait chaque jour : elle les avait pour ainsi dire domptés et les tenait sous sa puissance : aussi se conduisaient-ils avec lui d’une manière hypocrite, et ne pouvaient-ils lui parler sans aigreur. L’Écriture nous indique la source de leur haine c’est la jalousie qui lui a donné naissance. Ses frères, nous dit l’Écriture, voyaient que leur père l’aimait plus qu’eux tous. L’amitié que Jacob avait pour Joseph, excita contre lui la jalousie de ses frères ; mais c’était sa vertu qui lui avait concilié la bienveillance de son père. Ainsi lorsqu’ils auraient dû chercher à égaler Joseph et à imiter sa conduite, pour obtenir de leur côté l’amitié de leur père, non seulement ils n’ont pas même eu cette pensée, mais ils ont tous témoigné leur haine à celui qui était l’objet de l’affection de Jacob. Devenus ses ennemis, ils nourrissaient dans leur cœur leur secrète passion, ne lui parlaient jamais sans aigreur, et se conduisaient avec lui d’une manière hypocrite ; cet enfant, au contraire, digne de notre admiration, avait toujours pour eux la même amitié, ne soupçonnait rien, avait en eux la confiance qu’on doit accorder à des frères, et faisait tout ce qui était en son pouvoir.
2. C’est cette passion funeste qui, dès le commencement du monde, poussa Caïn à tuer son frère. De même que ceux-ci haïssaient Joseph à cause de l’affection que leur père lui témoignait, étaient devenus ses ennemis, et chaque jour méditaient de le faire périr ; de même Caïn, voyant que les présents de son frère étaient plus agréables à Dieu, forma le projet de le tuer, et il lui dit : Allons dans les champs.
Voyez-vous combien Abel, lui aussi, est loin d’avoir aucun soupçon, quelle confiance il a en son frère, et comment il l’accompagne et se livre lui-même aux coups de sa main criminelle ? Il en est de même de Joseph : cet enfant admirable, ne connaissant pas les mauvais desseins de ses frères, leur parle comme à des frères, et leur raconte les songes par lesquels Dieu lui avait révélé sa future grandeur et en même temps l’assujettissement de ses frères Joseph ayant eu un songe, dit l’Écriture, le récita à ses frères, et leur dit : Écoutez le songe que j’ai eu. Il me semblait que nous liions des gerbes au milieu d’un champ, que ma gerbe se leva et se tint debout, et que vos gerbes l’environnèrent, et se prosternèrent devant ma gerbe. Alors ses frères lui dirent : Régnerais-tu donc sur nous, et serais-tu notre maître ? Et ils le haïrent encore plus ci cause de ses songes et de ses paroles. L’Écriture s’est hâtée de nous apprendre que leur haine contre Joseph s’était déjà manifestée auparavant, afin que nous ne croyions pas que ce songe seul ait donné naissance à leurs dispositions hostiles. Et ils le haïrent encore plus, c’est-à-dire ils nourrirent contre lui une haine et une inimitié beaucoup plus violentes. Voyez à quel degré d’aveuglement ils en sont venus ; ce sont eux-mêmes qui expliquent le songe. Ainsi on ne peut pas dire qu’ils étaient jaloux de leur frère par ignorance de l’avenir ; car quoique ce songe leur eût révélé les événements futurs, leur haine s’accrut encore. O comble de la folie ! Ainsi instruits ils auraient dû plutôt témoigner de la bienveillance envers Joseph, supprimer tout motif de haine, et bannir de leur cœur toute jalousie ; mais leur raison était obscurcie par les ténèbres, ils ne comprirent pas qu’ils agissaient contre leurs propres intérêts, et ils furent enflammés d’une haine encore plus vive. – Pourquoi, ô malheureux, ô misérables, montrez-vous une si grande jalousie, pourquoi ne songez-vous pas aux liens du sang et ne reconnaissez-vous pas que l’explication de ce songe fait éclater la bienveillance de Dieu à l’égard de Joseph ? Ne croyez pas qu’il soit possible de renverser les décrets de Dieu. Vous avez vous-mêmes interprété ce songe ; eh bien ! il s’accomplira dans peu de temps, quand même vous voudriez y apporter mille obstacles. Car le Dieu de l’univers est habile et sage ; et quand il veut prouver l’étendue de son pouvoir, il permet souvent que l’on arrête par de nombreux obstacles l’exécution de ses desseins, afin que leur accomplissement fasse éclater toute la grandeur de sa puissance. Mais tel est l’envieux : sa passion ne lui permet pas de faire aucune de ces réflexions, elle le tient, pour ainsi dire, sous le joug ; et il agit même contre son propre salut.
Ainsi le récit de ce songe augmenta leur haine ; quant à Joseph, cet enfant admirable, il eut un autre songe et le raconta en ces termes, non seulement à ses frères, mais encore à Jacob : Il me semblait que le soleil et la lune et onze étoiles se prosternaient devant moi. Son père le reprit et lui dit : Que signifie ce songe que tu as eu ? Faudra-t-il que nous venions, moi, ta mère et tes frères nous prosterner en terre devant toi ? Et ses frères eurent de l’envie contre lui, mais son père retint ses discours. Jacob reprit Joseph, parce qu’il connaissait l’envie que ses autres fils portaient à cet enfant ; puis, il expliqua lui-même le songe, et devinant que cette révélation venait de Dieu, il retint ses discours. Mais telle ne fut pas la conduite de ses fils. Qu’arriva-t-il ? Ils le haïrent encore davantage. Quelle est votre folie ? Pourquoi vous conduisez – vous comme des insensés ? Ne comprenez-vous pas que ce second songe ne lui a été envoyé, ni sans motif, ni par un effet du hasard ? C’était pour que vous appreniez que ces événements s’accompliraient entièrement, pour que vous mettiez un terme à vos projets sanguinaires, en considérant que vous tentiez l’impossible. Vous auriez donc dû songer aux liens de la nature, montrer des sentiments vraiment fraternels et regarder comme vôtre l’illustration future de votre frère. Mais puisque cette pensée ne vous est pas venue à l’esprit, il eût été naturel de considérer que la querelle n’était plus entre vous et Joseph, mais entre vous et le Maître de toutes choses, qui lui avait déjà révélé l’avenir. Mais ceux-ci, comme je me suis hâté de le dire, sans respecter les liens du sang, sans réfléchir que la protection d’en haut entourait Joseph, donnaient chaque jour de nouveaux aliments à leur haine et allumaient dans leur cœur cette flamme secrète, tandis que, ni leur père, ni leur jeune frère ne soupçonnaient rien de semblable et ne pensaient pas qu’ils se laisseraient aller à un si grand égarement. Aussi, comme ses frères étaient allés faire paître les troupeaux, Jacob dit à Joseph : Tes frères ne paissent-ils pas les troupeaux à Sichem ? Viens que je t’envoie vers eux. Et il lui répondit : Me voici. Voyez-vous quelle est l’affection de ce père pour ses fils, quelle est l’obéissance de cet enfant ? Et Israël lui dit : Va maintenant, vois si tes frères et les troupeaux se portent bien et rapporte-moi ce qui se passe.
3. Tous ces faits nous prouvent l’amour dé Joseph pour ses frères et nous montrent d’une façon évidente les projets sanguinaires de ces derniers. Ils sont aussi la figure des événements futurs et décrivent d’avance, dans une époque de ténèbres, les actes de la vérité. En effet, de même que Joseph s’en alla vers ses frères pour les visiter, et que ceux-ci, sans respecter les liens fraternels et le motif de sa présence, résolurent d’abord de le tuer, puis le vendirent à des barbares ; de même Notre-Seigneur, dans son amour pour les hommes, vint visiter le genre humain, et, après avoir revêtu un corps de la même substance que la nôtre, il daigna devenir notre frère. Et saint Paul s’écrie : Il ne s’est pas rendu le libérateur des anges, mais celui de la race d’Abraham ; c’est pourquoi il a fallu qu’il fût en tout semblable à ses frères. (Héb. 2,16) Les Juifs, pleins d’ingratitude, résolurent de mettre à mort Celui qui était le médecin du corps et de l’âme, et qui faisait chaque jour un nombre infini de miracles ; ils accomplirent leur projet homicide et crucifièrent Celui qui, pour notre salut, avait daigné prendre la forme de l’esclave. Ainsi les Juifs se sont emparés du Christ, l’ont mis en croix et l’ont fait périr ; quant aux frères de Joseph, ils avaient résolu sa mort, mais ils n’exécutèrent pas leur projet. Il fallait que la figure fût inférieure à la vérité, car autrement ces faits n’auraient pu être la figure des événements futurs. C’est pourquoi ils ont été décrits d’avance à cette époque, comme en une esquisse. Considérez, je vous prie, ce rapport étonnant. Ils ne l’ont pas tué, mais ils l’ont vendu, ils ont trempé sa tunique dans le sang d’un chevreau et ils l’ont envoyée à leur père, pour lui faire croire que son fils avait péri. Remarquez-vous que tous ces faits se sont accomplis, de façon que l’image seule de l’avenir apparaisse comme dans l’ombre, et due la vérité soit conservée. Mais reprenons la suite de notre discours. Son père l’envoya, dit l’Écriture, et il vint jusqu’à Sichem. Et un homme le trouva errant parmi les champs. Et cet homme l’interrogea et lui dit : Que cherches-tu ? Joseph répondit : Je cherche mes frères. Apprends-moi où ils font paître leurs troupeaux. Voyez avec quel zèle il va à la recherche de ses frères, quel est son empressement et quelles peines il se donne pour les trouver. Et cet homme lui répondit : J’ai entendu qu’ils disaient : Allons à Dothaim. Joseph y alla donc et les.y trouva. Ceux-ci le virent de loin avant qu’il s’approchât d’eux et ils résolurent de le mettre à mort. Considérez ici, je vous prie, la providence de Dieu ; voyez comme ils se préparent au meurtre de leur frère ; mais si Celui qui fait et défait tout à son gré, permet qu’on apporte des obstacles à ses décrets, c’est pour répandre plus d’éclat sur son athlète et amener enfin l’accomplissement, des songes. Ils le virent de loin et résolurent de le mettre à mort. Et ils se dirent l’un à l’autre : voici venir ce maître songeur. Maintenant donc, venez, tuons-le, et le jetons dans une de ces fosses, et nous dirons qu’une bête féroce l’a dévoré et nous verrons ce que deviendront ses songes.
Ainsi ils s’attendaient à l’accomplissement des songes ; et ils méditent de le tuer. Mais afin qu’ils apprennent qu’il n’est pas possible d’empêcher l’exécution des décrets de Dieu, c’est, en vain qu’ils délibèrent, qu’ils entreprennent et qu’ils montrent toute la perversité de leur cœur ; Dieu, qui est souverainement sage, les force malgré eux et malgré leurs complots à servir ses vues secrètes sur l’avenir. Car après qu’ils eurent conspiré le meurtre de leur frère, et que déjà ils avaient accompli ce crime dans leur pensée, Ruben, dit l’Écriture, les ayant entendus, le délivra de leurs mains, en disant : Ne lui ôtons point la vie ; ne répandez point le sang ; jetez-le dans cette fosse qui est au désert, et ne mettez point la main sur lui. Il voulait le délivrer de leurs mains pour le rendre à son père. Ruben n’ose pas sauver son frère ouvertement, cependant il veut réprimer leur ardeur sanguinaire et il dit : Ne répandez point le sang ; jetez-le dans cette fosse. Et la sainte Écriture, pour nous apprendre quelle était l’intention de Ruben, dit : Il agissait ainsi, afin de le délivrer de leurs mains, et de le rendre à son père. Ils délibéraient ainsi, avant que Joseph fût encore arrivé ; ils avaient déjà terminé leur entretien, lorsqu’il arriva vers ses frères. Tandis qu’ils auraient dû accourir vers leur frère, l’embrasser et lui demander quelles nouvelles il apportait de leur père, ces méchants, semblables à des bêtes féroces qui ont aperçu un agneau, s’élancèrent sur lui, le dépouillèrent de sa tunique de diverses couleurs, le saisirent et le jetèrent dans la fosse. Or la fosse était vide, et il n’y avait point d’eau. Ils suivirent le conseil de Ruben ; et après avoir jeté Joseph dans cette fosse, ils s’assirent pour manger du pain. O comble de la cruauté et de l’inhumanité ! Joseph parcourt une si longue route, et cherche ses frères avec tant de zèle, afin de les voir et de rapporter à son père ce qui se passe ; et ceux-ci, semblables à des barbares et à des sauvages, décident de le laisser mourir de faim, après que Ruben les a dissuadés de répandre le sang de leur frère. Mais Dieu, dans sa bonté, l’arracha bientôt aux mains de ses frères en délire. Car, dit l’Écriture, pendant qu’ils étaient assis et mangeaient leur pain. Ils aperçurent des Ismaélites qui passaient et se dirigeaient vers l’Égypte, Juda leur dit : De quoi nous servira-t-il de tuer notre frère et de cacher son sang ? Venez, vendons-le à ces Ismaélites, et ne mettons point notre main sur lui, car il est notre frère et notre chair.
4. Voyez comment Ruben d’abord les a empêchés de commettre un grand crime, en leur donnant un conseil moins criminel, et comment ensuite Juda leur persuade de vendre leur frère, pour le ravir à la mort. Tous ces événements se succédaient de façon que les révélations de Dieu s’accomplissent, même malgré eux, et qu’ils servissent eux-mêmes les desseins de la Providence : Ils approuvèrent, dit l’Écriture, le conseil de Juda, tirèrent Joseph de la fosse, et le vendirent aux Ismaélites vingt pièces d’or. O coupable trafic, ô gain funeste, ô vente injuste ! Lui qui est Dé des mêmes entrailles que vous, lui qui est ainsi chéri de son père, lui qui est venu pour vous visiter, lui qui ne vous a jamais fait aucun tort, ni grand, ni petit, vous osez le vendre, et cela à des barbares qui descendent en Égypte ! Quelle est cette folie ? Quelle est cette jalousie, cette envie ? Car si vous agissez ainsi parce que vous craignez ses songes et que vous êtes persuadés qu’ils s’accompliront, pourquoi tentez-vous l’impossible, pourquoi vous conduisez-vous ainsi et faites-vous la guerre contre Dieu qui a révélé ces événements à Joseph ? Mais si vous ne tenez aucun compte de ces songes, si vous les regardez comme des sottises, pourquoi commettez-vous un crime, qui attachera à votre nom une souillure éternelle, et causera à votre père un mortel chagrin ? A quel degré en est venue leur passion, que dis-je ? leur ardeur sanguinaire ! Lorsque quelqu’un se livre à un acte criminel, et qu’il est comme accablé sous le poids de ses pensées coupables, il ne songe pas à l’œil qui ne dort jamais, il ne respecte pas même la nature, et il foule aux pieds tout ce qui peut exciter sa commisération ; c’est ce que ceux-ci ont éprouvé. Ils n’ont pas réfléchi que Joseph était leur frère, qu’il était jeune et chéri de et qu’il allait parcourir un si vaste pays, pour habiter avec des barbares, lui qui n’avait jamais vécu sur la terre étrangère et qui jamais n’avait servi un maître ; ils rejetèrent loin d’eux tout sentiment sage, et ne songèrent qu’à satisfaire comme ils le croyaient leur propre jalousie. Ainsi par la pensée ils étaient déjà fratricides ; mais celui à qui ils faisaient subir de si indignes traitements, supporta tout avec courage.
Car la main de Dieu le protégeait et l’aidait à souffrir toutes ces injustices avec résignation. Si nous nous sommes conciliés la bienveillance divine, quand même nous serions au milieu des barbares et sur la terre étrangère, nous pouvons mener une vie plus heureuse que ceux qui habitent dans leur patrie et sont entourés de toutes sortes de soins ; mais aussi, quand même nous vivrions dans notre maison, quand même nous paraîtrions nager dans l’opulence, si nous sommes privés du secours d’en haut, nous sommes de beaucoup les plus misérables. Grande est la force de la vertu, grande est la faiblesse du vice ; c’est ce que prouve surtout l’histoire que nous avons entre les mains. Ici, en effet, quels sont ceux que vous jugez les plus misérables, et qui vous paraissent mériter le plus de larmes ? Dites-le-moi ; sont-ce ces méchants qui ont commis un si grand crime envers leur frère ? Ou bien est-ce Joseph qui est tombé au pouvoir des barbares ? Ce sont eux évidemment. Considérez, je vous prie, comment cet enfant admirable qui a été élevé avec tant de soin et qui a grandi continuellement entre les bras de son père, est aujourd’hui forcé tout à coup de supporter un dur esclavage, et cela chez des barbares, qui ne sont pas meilleurs que des bêtes sauvages. Mais c’était le Maître du monde qui les rendait doux envers lui, et armait Joseph d’une patience à toute épreuve. Et ses frères, après l’avoir vendu, croyaient avoir mené à bonne fin leur résolution, parce qu’ils s’étaient débarrassés de celui à qui ils portaient envie. Mais Ruben, dit l’Écriture, retourna vers la fosse, et il n’y vit plus Joseph. Alors il déchira ses vêtements, et retourna vers ses frères et dit : L’enfant ne se trouve point, et moi, moi, où irai-je désormais ? En effet, la sainte Écriture nous a appris plus haut que Ruben leur avait donné le conseil de jeter leur frère dans cette fosse, afin de l’arracher à leurs mains homicides, et de le rendre à son père ; mais maintenant, ajoute-t-elle, quand il voit que son projet a échoué, il déchire ses vêtements et dit : L’enfant ne se trouve point, et moi, moi, où irai-je désormais ? Comment, dit-il, comment pourrons-nous nous justifier, et surtout moi qui semble marcher à votre tête ? Il croyait que Joseph avait été tué. Mais après qu’ils eurent accompli le crime qu’ils méditaient, après qu’ils eurent envoyé l’objet de leur haine sur la terre étrangère et qu’ils eurent ainsi calmé leur jalousie, ils inventent une ruse pour tromper leur père et l’empêcher de découvrir leur abominable complot. Ils tuèrent, dit l’Écriture, un bouc d’entre les chèvres, trempèrent sa robe dans le sang et l’apportèrent à leur père, en lui disant : Reconnais si c’est la robe de ton fils ou non. Pourquoi vous abusez-vous vous-mêmes, ô insensés ? Quand même vous pourriez tromper votre père, vous n’échapperez pas à cet œil qui ne dort jamais, et que vous deviez craindre par-dessus tout. Mais telle est la nature humaine, ou plutôt telle est l’insouciance du plus grand nombre ; ne craignant que les hommes et ne tenant compte que de l’infamie qui peut rejaillir sur eux dans le moment présent, ils ne songent pas à ce tribunal terrible et à ces souffrances intolérables, et ils ne cherchent qu’à éviter le blâme des hommes ; c’est ainsi que les fils de Jacob se sont conduits en essayant de tromper leur père dit l’Écriture, reconnut la robe et dit : C’est la robe de mon fils, une bête féroce l’a dévoré, une bête féroce a déchiré mon fils Joseph. Et certes il avait été traité d’une façon aussi cruelle que s’il était tombé au pouvoir des bêtes féroces. Jacob déchira ses vêlements, il mit un sac sur ses reins et pleura son fils plusieurs jours. Que de larmes ils auraient méritées eux-mêmes, non seulement pour avoir vendu leur frère à des barbares, mais encore pour avoir causé un si grand deuil à leur père déjà avancé en âge. Et tous ses fils, et toutes ses, filles, dit l’Écriture, vinrent pour le consoler, mais il rejeta toute consolation et il dit : Je descendrai vers mon fils dans le sépulcre en pleurant.
5. Mais ils ressentirent encore un autre coup. Car ils voyaient leur père témoigner l’amour le plus ardent pour celui qui n’était plus, et qu’il croyait dévoré par des bêtes féroces, et ils étaient consumés par une jalousie plus violente encore. Or ces hommes qui se sont montrés si cruels envers leur frère et leur père, ne méritent aucun pardon ; les Madianites du moins servent lés vues de la Providence, et à leur tour vendent Joseph à Petephra, le chef de cuisine de Pharaon. Voyez-vous comment le jeune hébreu s’avance peu à peu, voyez-vous quelle vertu et quel courage il montre en toute circonstance, afin que, semblable à un athlète qui a vaillamment combattu, il ceigne un jour la couronne royale, et que l’accomplissement de ses songes enseigne et prouve à ceux qui font vendu, qu’une si grande perfidie leur a été inutile ? Car telle est la puissance de la vertu, qu’elle sort toujours de la lutte plus éclatante encore. Rien ne peut l’emporter sur elle, rien ne peut en triompher ; ce n’est pas qu’elle trouve cette force en elle-même, mais c’est que l’homme vertueux jouit aussi du secours d’en haut ; or celui qui jouit de la protection divine et qui mérite l’aide du Ciel, aura une force invincible, et ne se laissera dompter ni par les embûches des hommes, ni par les pièges du démon. Puisque nous sommes ainsi avertis ; u craignons pas la souffrance mais le mal ; car le mal est une véritable souffrance. Celui qui essaye de maltraiter son prochain, ne lui nuit absolument en rien ; et, quand même il lui nuirait un peu, il ne peut le faire que dans le siècle présent ; mais aussi il s’amasse pour lui-même des châtiments éternels et des souffrances intolérables, que nous ne pouvons nous-mêmes éviter que si nous nous montrons prêts à tout souffrir, et si, suivant le précepte du Seigneur nous prions pour ceux qui nous font du mal. Une telle conduite nous vaudra une magnifique récompense et nous rendra dignes du royaume des cieux ; puissions-nous tous l’obtenir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui partage, avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, la puissance et l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

SOIXANTE-DEUXIÈME HOMÉLIE.

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« Et Juda vit la fille d’un Chananéen qui s’appelait Sava ; et il la prit et vint vers elle ; et elle conçut et enfanta un fils que l’on nomma Er. » (Gen. 38,2-3)

ANALYSE.

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  • 1. histoire de Thamar.

2 Thamar justifiée. Juda s’accuse lui-même. Naissance de Pharès et de Zara : figure des destinées de l’église

  • 3. Retour à l’histoire de Joseph. Joseph chez Putiphar. Sa prospérité.
  • 4. Passion et tentative criminelle de la femme de Putiphar.
  • 5. Joseph calomnié, jeté en prison : que la grâce de Dieu ne l’abandonne pas néanmoins. Conclusion morale.


1. L’histoire de Joseph nous a montré suffisamment combien l’envie est un fléau terrible, et comment cette passion funeste ronge le cœur où elle a pris naissance. Vous avez vu comment, sous l’empire de, cette passion, les frères de Joseph ont oublié les liens du sang, quelle barbarie et quelle cruauté ils ont exercée envers celui qui ne leur avait fait aucun mal ; mais ils n’ont réussi qu’à mettre au jour leur perversité, et le dommage qu’ils ont causé à leur frère n’a pas été aussi grand que la honte dont ils se sont couverts. Car quoiqu’ils l’aient vendu ides barbares, et ceux-ci au chef des cuisiniers de Pharaon, cependant comme Joseph était favorisé en toute circonstance de la protection divine, tout lui semblait léger et facile à supporter. Je voulais m’attacher aujourd’hui encore à la même histoire, et faire sur ce sujet une instruction ; mais je rencontre sur ma route un autre récit qu’il ne serait pas juste de passer sous silence ; nous l’approfondirons, autant que possible, puis nous reprendrons nos entretiens sur Joseph. Quel est donc ce récit qui interrompt notre marche ? Il traite de Juda. Celui-ci ayant pris pour femme Sava, fille d’un chananéen, et ayant eu d’elle trois enfants, donna, dit l’Écriture, à Er, son premier-né, une femme nommée Thamar. Mais celui-ci fut méchant aux yeux de l’Éternel, et l’Éternel le fit mourir. Alors Juda engagea Onan à épouser la femme de son frère, afin de lui procurer une postérité. C’était la loi qui l’ordonnait : si quelqu’un mourait sans enfant, son frère devait épouser la veuve et lui donner une postérité. Mais Onan, lui aussi, fut méchant aux yeux de Dieu, qui le fit mourir. Juda fut frappé de terreur en voyant que ses deux fils lui avaient été enlevés si rapidement : alors, pour consoler Thamar, il lui promit de lui donner son autre fils, mais il ne tint pas sa parole, dans la crainte que ce dernier ne subît aussi le même sort que ses frères. Cependant Thamar se repaissait d’un vain espoir, et demeurait, dit l’Écriture, dans la maison de son père, attendant que son beau-père exécutât sa promesse ; quand elle vit que Juda ne voulait pas remplir ses engagements, elle n’en ressentit aucune indignation, mais elle ne supporta pas l’idée de prendre un autre époux, et elle se résigna au veuvage, attendant un moment favorable ; car elle désirait vivement avoir des enfants de son beau-père. Or, quand elle apprit que sa belle-mère était morte, et que Juda venait à Thamna, pour tondre ses brebis, elle résolut d’avoir recours à la ruse pour s’unir à son beau-père ; elle désirait avoir de lui des enfants, non par libertinage, à Dieu ne plaise, mais pour ne pas être regardée comme une femme sans nom : d’ailleurs c’était l’ordre de la Providence ; et c’est pourquoi ses desseins furent accomplis. Elle quitta ses habits de veuvage, se couvrit d’un voile, s’enveloppa et s’assit auprès des portes. Puis la sainte Écriture, comme pour la justifier, ajoute : car elle voyait que, quoique Sélom fût devenu grand, elle ne lui avait point été donnée pour femme : c’est pour ce motif qu’elle eut recours à une pareille ruse. Juda la prenant pour une prostituée (car elle s’était voilée le visage, afin de ne pas être reconnue), se détourna vers elle. Celle-ci lui dit : Que me donneras-tu ? Judas promit de lui envoyer un chevreau de son troupeau. Elle répondit : Pourvu que tu me donnes des gages, jusqu’à ce que tu me l’envoies. Et il lui donna sa bague, son collier et son bâton ; il vint vers elle, et elle conçut de lui. (Gen. 37,14-18)
Qu’aucun de ceux qui entendent ce récit, ne condamne Thamar ; car, comme je me suis hâté de le dire, elle servait les desseins de la Providence, et c’est pour ce motif qu’elle ne mérite aucun blâme et qu’aucune accusation ne doit peser sur Juda. En effet, si vous partez de là en suivant l’ordre des temps, vous trouverez que le Christ descend des enfants issus de cette union ; d’ailleurs les deux fils qui lui naquirent étaient la figure des deux peuples, et la révélation de la vie judaïque et de la vie spirituelle. Mais voyons comment Juda, quelque temps après son départ, et au moment où la vérité fut connue, comment, dis-je, il se condamne lui-même et absout Thamar de toute accusation. Lorsqu’elle eut exécuté son dessein, elle changea de nouveau de vêtements, dit l’Écriture, s’en alla et revint dans sa maison. Juda, qui n’était nullement au courant de ces faits, accomplit sa promesse et envoya le chevreau, pour reprendre les gages qu’il avait donnés : mais l’esclave ne trouva cette femme nulle part, et il revint, annonçant à Juda qu’il n’avait pu la rencontrer dans aucun endroit. A cette nouvelle, Juda s’écria : Pourvu que jamais nous ne soyons accusé d’ingratitude. C’est qu’il ne connaissait pas la vérité. Mais quand, trois mois après, la grossesse de Thamar annonça son prochain enfantement, et comme personne ne savait son union furtive avec son beau-père, on vint annoncer, dit l’Écriture, à Juda, qu’elle portait dans son sein le fruit de ses débauches. Alors il dit : conduisez-la dehors et qu’elle soit brûlée. Grande était son indignation, terrible était le châtiment, parce qu’à ses yeux la faute était de la plus haute gravité. Que fit donc Thamar ? Elle renvoya les gages qu’elle avait reçus, en disant: J’ai conçu de l’homme à qui appartiennent ces choses. (Id. 24-25).
2. Remarquez comment, tout en gardant le silence, elle produit des témoins dignes de foi, qui parleront en sa faveur, et pourront la mettre à l’abri de toute accusation. Comme elle avait besoin de trois témoins, elle qui était sous le coup d’une pareille accusation, elle envoya, comme preuve éclatante de son innocence, les trois espèces de gages qu’elle avait reçus, l’anneau, le collier et le bâton, et, quoiqu’elle fût restée à la maison, quoiqu’elle eût conservé le silence, elle remporta la victoire. Juda les reconnut et dit : elle est justifiée plutôt que moi ; c’est parce que je ne l’ai pas donnée à Sélom, mon fils. Que signifient ces paroles : Elle est justifiée plutôt que moi ? Il veut dire ; c’est elle qui est innocente, et moi, je me condamne moi-même, je me dénonce, sans que personne m’accuse ; que dis-je ? ces gages que j’ai donnés ne sont-ils pas contre moi une preuve suffisante ? Puis, pour justifier de nouveau Thamar, il dit : C’est parce que je ne l’ai pas donnée à Sélom, mon fils. S’il s’accuse ainsi, c’est sans doute pour le motif que je vais vous dire. En effet, Juda croyait que Thamar avait causé la mort à Er et à Onan, et dans cette crainte, il ne la donna pas à Sélom, quoiqu’il le lui eût promis ; par là il devait connaître qu’elle n’était pas la cause de leur mort, mais qu’ils avaient reçu le châtiment de leur perversité ( car c’est Dieu, dit l’Écriture, qui a fait périr le premier, et, en parlant du second, elle ajoute : c’est Dieu qui lui a donné la mort) ; aussi Judas s’unit-il à son insu à sa belle-fille, et, par ce fait, il apprend que ce n’est pas elle, mais leurs propres vices qui leur ont mérité ce châtiment ; alors il reconnut sa faute, déclara que Thamar était innocente, et il ne continua plus dit l’Écriture, à la connaître. Il prouvait ainsi qu’il n’aurait jamais eu commerce avec elle, s’il l’avait reconnue. Après nous avoir raconté, en détail, la ruse à laquelle Thamar eut recours, la sainte Écriture nous apprend ensuite quels sont les enfants qu’elle mit au monde. Lorsqu’elle fut sur le point d’accoucher, dit l’Écriture, il se trouva qu’elle avait deux jumeaux dans son sein. Et lorsqu’elle enfanta, l’un présenta la main ; la sage-femme la prit et y attacha un fil d’écarlate, en disant : celui-ci est sorti le premier. Remarquez ici, je vous prie, comme les événements futurs nous sont enseignés et révélés sous le voile du mystère. Car, après que la sage-femme eût attaché un fil d’écarlate à la main du premier-né, pour qu’on pût le reconnaître, alors il retira sa main, et son frère sortit. Il céda le pas à son frère, et celui qu’on regardait comme le second, naquit le premier ; le premier au contraire ne vint au monde que le dernier. Alors la sage-femme dit : Pourquoi la haie a-t-elle été séparée d cause de toi ? Et elle l’appela Pharès. Ce nom signifie séparation, et, pour ainsi dire, partage. Ensuite sortit son frère qui avait le fil d’écarlate sur la main droite, et elle l’appela Zara, ce qui signifie Orient.
Et que ces choses n’arrivèrent point par hasard, qu’elles étaient une image des événements futurs, c’est ce que prouvent les faits eux-mêmes. Ce qui se passa n’est point, en effet, dans l’ordre de la nature. Comment expliquer que, la main une fois liée avec le fil de pourpre, l’enfant se soit écarté pour livrer passage à son frère, sans l’intervention de la puissance divine, qui opéra ce miracle, et montra dans une sorte d’esquisse Zara ou l’Orient (c’est-à-dire l’Église) apparaissant d’abord, puis se retirant après s’être montré un instant, pour laisser l’observation de la Loi personnifiée en Pharès se manifester à son tour et dominer longtemps ; puis le retour de celui qui s’était écarté d’abord, je veux dire de Zara, refoulant de nouveau devant l’Église toute la constitution judaïque. Mais peut-être est-il nécessaire de revenir sur ce sujet en termes plus clairs et plus précis. – D’abord parurent, semblables à Zara avançant la main, Noé et Abraham, ou plutôt avant Noé Abel et Enoch, lesquels furent les premiers qui se préoccupèrent spécialement de plaire à Dieu. – Ensuite lorsque leur multiplication eut accumulé sur leur race de nombreux fardeaux de péchés, comme une petite consolation leur était nécessaire, la loi leur fut donnée, comme une esquisse de l’avenir ; la loi, qui sans effacer les péchés, les signalait du moins, les leur rendait manifestes, de telle sorte que, pareils aux petits enfants à la mamelle, ils pussent arriver sans encombre à la fleur dé l’âge. Ce bienfait fut perdu ; en dépit de la loi qui leur révélait l’énormité du péché, ils recommençaient à s’y plonger de nouveau ; alors le Maître commun descendit ici-bas pour octroyer aux hommes cette spirituelle et parfaite constitution, dont Zara avait été la figure. Voilà pourquoi l’Évangéliste lui-même fait mention de Thamar et de ses enfants, en disant : Et Juda eut Pharès et Zara de Thamar.
3. Gardons-nous donc de parcourir étourdiment le texte des saintes Écritures, gardons-nous d’en lire les paroles avec une attention superficielle : allons au fond, découvrons les richesses qu’elles recèlent, et nous glorifierons notre Maître, qui arrange toutes choses avec une si grande sagesse. En effet, faute de rechercher le but et le motif de chaque chose, non seulement nous accuserons Thamar, comme ayant eu commerce avec son beau-père, mais nous accuserons Abraham lui-même, comme ayant eu l’intention de tuer son fils, et Phinées comme coupable d’un double homicide. Au contraire, si nous considérons avec attention la raison de chaque fait, nous serons conduits à justifier ces personnages, et en même temps, nous retirerons de là une grande utilité. Mais quant à ce qui regarde cette histoire, nous l’avons analysée, comme il nous a été possible devant vos charités.
Maintenant, si vous n’êtes pas fatigués, et que vous y soyez disposés, nous passerons à ce qui suit, et nous reviendrons au récit qui concerne l’admirable Joseph, afin que notre entretien d’aujourd’hui contribue à vous faire comprendre tout ce qu’endura ce noble athlète à la suite des songes qui lui promettaient la royauté et la suprématie sur ses frères, et comment il subit épreuve sur épreuve, tentation sur tentation ; comment néanmoins, malgré les efforts réitérés de la tempête, le pilote ne se laissa point submerger ; comment, quand l’orage redoublait de violence, il restait au gouvernail, et continuait à diriger son navire ; mais il faut entendre le texte lui-même, afin que rien ne nous échappe : Joseph fut mené en Égypte, et le chef de la maison de Pharaon l’acheta des maires des Ismaélites. (Gen. 39,1) Ensuite, après que ses frères l’eurent vendu à des barbares, à des hommes inhumains, que ceux-ci l’eurent cédé, à leur tour, au chef de la maison de Pharaon, après qu’il eut passé ainsi par les mains de plusieurs maîtres, lui, élevé dans les bras de son père ; afin que nous ne trouvions pas étrange qu’il ait pu supporter cette dure servitude, lui, jeune, inaccoutumé à un si rude genre de vie, et nourri dans la maison d’un père qui le chérissait, l’Écriture poursuit en disant : Et le Seigneur était avec Joseph, et tout lui réussissait. Qu’est-ce à dire, le Seigneur était avec Joseph ? Cela signifie que la grâce d’en haut était avec lui et lui aplanissait toutes les difficultés. C’est elle qui présidait à tous les événements de sa vie ; elle qui lui conciliait la bienveillance de ces cruels marchands, qui les poussait à le vendre au chef de la maison royale, afin que pas à pas et par degrés, il pût, à travers toutes ces tentations, se frayer un chemin jusqu’au trône. Mais toi, mon très-cher frère, en apprenant qu’il fut l’esclave des marchands, puis l’esclave du chef de la maison royale, demande-toi comment il ne se troublait point, ne se tourmentait pas l’esprit, ne tombait point dans l’incertitude, ne disait pas : Où sont maintenant les songes qui m’abusaient en me promettant une pareille gloire ?
Après de si beaux songes, voici la servitude, une dure servitude : Je change de maître, je passe de l’un à l’autre, de celui-ci à un troisième ; il me faut vivre parmi des gens inhumains. Suis-je donc abandonné ? suis-je négligé par la grâce d’en haut ? Il ne dit, ne pensa rien ne pareil, il endura tout sans plainte et sans murmure. Car le Seigneur était avec Joseph, et tout lui réussissait. Qu’est-ce à dire : Tout lui réussissait ? Oui, la grâce d’en haut lui facilitait, lui aplanissait toutes choses, et cette grâce qui le couronnait était si manifeste que son maître lui-même, le chef de la maison s’en aperçut : Car son maître savait que le Seigneur était avec lui, et qu’il le favorisait et le bénissait dans toutes ses actions.
Et Joseph trouva grâce devant son maître qui l’établit sur toute sa maison, et remit entre ses mains tout ce qui lui appartenait. Voyez-vous ce que, c’est que d’être soutenu par le bras d’en haut ? Voilà un jeune homme, un étranger, un esclave, et son maître lui confie toute sa maison : Et il remit tout entre ses mains. Pourquoi cela ? Parce qu’indépendamment de l’assistance divine il déploya encore les qualités qui lui étaient propres. Il lui était agréable, dit le texte : cela signifie qu’il gérait tout en bon serviteur. Ensuite le bon Dieu qui voulait accroître sa sécurité ne le tire point d’esclavage, ne le met point en liberté. – En effet, c’est sa coutume, de ne pas mettre hors de danger les hommes vertueux, de ne pas les délivrer des tentations, mais de les assister dans les tentations mêmes avec tant d’efficacité, que ces tentations deviennent pour eux un sujet de triomphe. De là ce mot du bienheureux David : Dans la détresse vous m’avez mis au large. (Ps. 4,2) Vous n’avez pas chassé la détresse loin de moi, veut-il dire, vous ne m’en avez pas délivré, pour me mettre en repos, mais, chose admirable et miraculeuse, au milieu des tribulations, vous m’avez procuré la sécurité. Telle est encore ici la conduite de ce bon Maître. Il bénit la maison de l’Égyptien à cause de Joseph. Et le barbare comprit dès lors que ce serviteur était de ceux que Dieu revendique. Et il remit tout ce qui était à lui entre des mains de Joseph, et il ne savait autre chose, sinon le pain qu’il mangeait. (6) Il en fait donc pour ainsi dire le maître de toute sa maison. Et cet esclave, ce captif avait entre les mains tous les biens de son maître. Tel est l’ascendant de la vertu ; partout où elle brille, elle triomphe, et rien ne lui résiste. Comme la lumière en paraissant met en fuite les ténèbres, ainsi l’éclat de la vertu, dès qu’il vient à reluire, met tous les vices en déroute.
4. Mais le diable, cette méchante bête, en voyant la gloire du juste et l’éclat nouveau que lui valaient ses apparentes tribulations, le diable grince des dents, entre en fureur, et ne pouvant se résigner à voir ce juste grandir de jour en jour, creuse devant lui un profond abîme, un précipice où l’attendait, pensait-il, une mort affreuse ; il amasse une tempête capable de lui causer le plus épouvantable naufrage mais il se convainquit bientôt qu’il ne faisait que regimber contre l’aiguillon et travailler contre lui-même. Joseph était beau et charmant de visage. Pourquoi nous parler de cette beauté ? C’est pour nous faire comprendre que la beauté n’était pas seulement dans son âme, qu’elle était en outre répandue sur son corps. Il était jeune, dans la fleur de l’âge, beau, charmant de visage. La divine Écriture prend soin de nous en avertir à l’avance pour nous expliquer comment l’Égyptienne, éprise de la beauté de ce jeune homme, put le provoquer à un commerce illicite Et il advint après cela. Après cela c’est-à-dire, lorsque le gouvernement de la maison entière lui eut été confié, lorsque son maître l’eut jugé digne d’une fonction si honorable, que la femme de son maître jeta les yeux sur Joseph. Voyez-vous l’effronterie de cette femme dissolue ? Elle ne réfléchit point qu’elle avait rang de maîtresse, que Joseph était un serviteur : séduite par sa beauté, embrasée des flammes de Satan, elle songe dès lors à se jeter dans les bras de ce jeune homme : et nourrissant dans son esprit cette pensée perverse, elle cherche l’occasion, la solitude favorable à l’exécution de sa criminelle entreprise. Mais lui, dit l’Écriture, il ne voulait pas: il ne se laissait pas séduire, il n’agréait pas ces propositions. Car il savait que c’eût été se perdre ; et non content de songer à lui-même, il s’efforçait encore, selon ses moyens, de guérir cette femme de sa folie, de sa détestable passion. Il lui donne un conseil capable de la faire rentrer en elle-même, et revenir à de plus sages pensées. Il dit à la femme de son maître (c’est l’esclave qui conseille sa maîtresse) : Vous voyez que mon maître ci cause de moi, ne sait rien de ce qui se passe dans sa maison, et qu’il a remis entre mes mains tout ce qui est à lui. O reconnaissance ! Considérez comment il énumère les bienfaits de son maître, afin de faire sentir à cette femme combien elle est ingrate envers son époux. Vous voyez, semble-t-il dire, que moi, qui ne suis qu’un serviteur, un étranger, un captif, j’ai trouvé assez de crédit auprès de lui pour qu’il remît tout entre mes mains, pour que tout dépende de moi, excepté vous-même : tous reconnaissent en moi leur supérieur, vous seule êtes au-dessus de moi, et hors de mon pouvoir. Ensuite, afin de la frapper à l’endroit sensible, de lui remettre en mémoire la tendresse de son mari, de l’empêcher de se montrer ingrate envers son époux, il lui dit : Et voici pourquoi vous êtes hors de mon pouvoir ; C’est que vous êtes sa femme. Or, si vous êtes sa femme, comment pourrais-je commettre un si grand crime, et pécher contre Dieu ? (Id. 9) Elle cherchait la solitude, elle épiait le moment, afin d’échapper aux regards de son mari et de tous les serviteurs de la maison. Mais Joseph : Comment pourrais-je commettre un si grand crime et pécher contre Dieu ? Quelle est ta pensée ? Quand bien même nous pourrions échappera la vue de tout le monde, nous ne saurions échapper à l’œil toujours ouvert. C’est celui-là seul qu’il faut craindre et redouter, c’est devant lui qu’il faut trembler de commettre la prévarication. Et pour nous faire comprendre la haute vertu de ce juste, pour nous montrer que ce n’est pas une fois ni deux, mais souvent qu’il résista à pareil assaut, qu’il entendit ce langage sans en être ébranlé, qu’il renouvela ses conseils, l’Écriture ajoute : Et comme elle recommençait plusieurs jours de suite, et que Joseph ne lui cédait pas (Id. 10) : elle épie un moment où l’on était occupé dans la maison, se jette sur lui comme une bête féroce qui aiguise ses dents, l’attire vers elle et le retient par ses vêtements. Ne passons point légèrement là-dessus : représentons-nous l’épreuve que notre juste eut à soutenir. Il n’y a pas tant lieu de s’étonner, à mon avis, de ce qu’au milieu de la fournaise de Babylone les trois jeunes gens ne souffrirent aucun mal et restèrent insensibles au feu, qu’il est admirable et merveilleux de voir cet incomparable adolescent, quand cette femme criminelle et dissolue l’a saisi par ses vêtements, s’enfuir au lieu de lui céder, et lui laisser ses vêtements entre lés mains. Ainsi que les trois enfants triomphèrent du feu par une faveur d’en haut, récompense de leur vertu : ainsi Joseph, quand il eut fait ce qui était en lui, quand il eut déployé l’indomptable courage de sa chasteté, reçut lui-même du secours d’en haut : le bras de Dieu l’aida à triompher dans un si rude combat, à s’échapper des filets de cette impudique. Et l’on pouvait voir alors cet homme admirable, dépouillé de ses vêtements, mais couvert du manteau de la modestie, s’échapper, s’enfuir sain et sauf de cet autre bûcher, de cette autre fournaise, non seulement intact, mais encore plus riche d’honneur et de gloire.
5. Et pourtant, après une pareille victoire, un semblable exploit, voyez comment cet homme qu’il aurait fallu couronner, dont on aurait dû proclamer le nom, comment cet homme, dis-je, est de nouveau en butte à d’innombrables maux, ni plus ni moins qu’un coupable. En effet, l’Égyptienne désespérée de la honte et de l’humiliation où elle s’était plongée elle-même par sa tentative insensée, assemble d’abord les gens de la maison, et, devant eux, accuse le jeune homme, en lui imputant calomnieusement ses propres discours. – C’est chose familière au vice, que d’essayer de noircir la vertu, son éternelle rivale, en lui prêtant ses propres misères ainsi fit-elle, en accusant Joseph de libertinage, tandis qu’elle se couvrait elle-même du masque de la chasteté, expliquant de cette manière comment il avait abandonné ses vêtements, comment elle-même les avait gardés entre ses mains. Et le Dieu de bonté tolérait, endurait tout cela, voulant ne rien négliger pour assurer plus de gloire à son serviteur. En effet, son mari venu, elle répète toutes ces calomnies perfides, elle accuse Joseph en disant : Le jeune hébreu que tu as introduit chez nous, est venu vers moi, afin de m’insulter. (Id. 17) Malheureuse, misérable femme ! Ce n’est pas lui qui a introduit Joseph pour qu’il (insultât, c’est le diable qui t’a induite toi-même, non seulement à l’adultère, mais encore, autant qu’il a dépendu de toi, à l’homicide. Et là-dessus elle montrait, à l’appui de ses paroles ; les vêtements du jeune homme.
Considérez ici, je vous prie, la bonté du Maître commun de tous les hommes. Il l’avait arraché à ses frères qui voulaient le faire mourir : il avait pourvu à ce que d’abord, selon le conseil de Ruben, Joseph fût descendu dans la citerne, puis, selon le conseil de Juda, vendu aux marchands, afin que l’accomplissement des songes fît voir au juste la vérité de ce qui lui avait été annoncé : et maintenant c’est encore le bras d’en haut qui retient ce barbare, qui l’empêche de consommer le meurtre sur-le-champ. Qu’est-ce qui pouvait l’arrêter, en effet, une fois averti de la tentative d’adultère ? Mais Dieu, qui peut tout, le disposa à montrer tant de clémence, afin que, jeté en prison, et donnant là de nouvelles preuves de sa vertu, Joseph s’élevât de cette manière au premier rang du royaume. Son maître se mit en colère (Id. 19), et fit jeter Joseph dans la prison, où l’on gardait les prisonniers du roi. (Id. 20) S’il n’avait pas foi au rapport, il ne fallait pas mettre Joseph en prison : si, au contraire, il ajoutait foi aux paroles de l’Égyptienne, dans ce cas encore, Joseph ne méritait pas la prison, il méritait le dernier supplice, la décapitation. Mais, dès que le bras d’en haut manifeste sa providence, tout devient aisé et facile, et les plus farouches s’adoucissent. Or, c’est quand nous avons fait preuve nous-mêmes d’une grande vertu que la grâce d’en haut nous est surtout prodiguée. – Joseph avait lutté vaillamment : il fut magnifiquement récompensé. – Après un si noble exploit, il est conduit en prison ; il subit tout en silence. Vous n’ignorez pas que les innocents qui se voient condamner comme s’ils étaient coupables, se donnent libre carrière pour se révolter, s’insurger contre ceux qui les ont frappés d’un injuste arrêt. Rien de pareil chez Joseph : il reste muet, il endure tout sans se plaindre, il attend la grâce divine dans une résignation parfaite. Et voici qu’au fond de sa prison il reçoit de nouveau plein pouvoir de son geôlier. Faut-il s’en étonner ? Le Seigneur était avec Joseph, et répandait sur lui sa miséricorde. (Id. 21) Qu’est-ce à dire, Répandait sur lui sa miséricorde ? C’est-à-dire qu’il inclina vers la pitié l’âme du gouverneur, et le disposa à témoigner une grande bienveillance à Joseph. Il lui fit trouver grâce devant le gouverneur. En vérité, rien de plus heureux que l’homme protégé d’en haut. Le gouverneur remit la prison entre les mains de Joseph. Voyez comme ce gardien lui cède la place, lui donne un pouvoir absolu, remet en sa discrétion tous les prisonniers. Et le gouverneur ne savait rien de ce qui se passait : car tout était dans les mains de Joseph, parce que le Seigneur était avec lui et que le Seigneur bénissait tout ce qui passait par ses mains. (Id. 23) Remarquez à quel point la grâce d’en haut lui était fidèle, comment elle abondait dans toutes ses actions.
Efforçons-nous donc, nous aussi, d’avoir toujours le Seigneur avec nous, et tâchons qu’il bénisse toutes nos actions. Celui qui a été jugé digne d’une pareille assistance, jusqu’au milieu des calamités, bravera toutes les épreuves, les comptera pour rien, parce que le Maître de l’univers, le créateur, l’ordonnateur de toutes choses, lèvera devant lui tous les obstacles et lui aplanira toutes les difficultés. Mais comment faire pour avoir le Seigneur avec nous, et pour qu’il bénisse toutes nos entreprises ? Il faut être circonspects, vigilants, imiter la chasteté de ce jeune homme, ses autres vertus, la générosité de son âme, songer que c’est seulement en nous conformant exactement à ce modèle que nous échapperons à la sévérité des jugements divins, être bien convaincus que nul ne saurait échapper à l’œil toujours ouvert, et que le pécheur ne peut manquer d’être puni. Gardons-nous de craindre les hommes plus que la colère divine, et rappelonsnous sans cesse ces paroles de Joseph : Comment pourrai-je commettre un pareil crime et pécher devant Dieu ? Dès qu’une mauvaise pensée jettera le trouble dans notre âme, méditons sur ce mot, et aussitôt s’enfuira tout désir coupable. Soit que nous éprouvions un appétit sensuel, ou une convoitise d’argent, ou toute autre passion déréglée, ne manquons pas de nous représenter aussitôt que c’est Dieu qui nous juge, et que nos plus secrètes pensées ne sauraient elles-mêmes lui échapper ; par là, nous nous déroberons infailliblement aux artifices du diable, et nous trouverons là-haut un puissant secours : puisse-t-il nous être donné à tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

SOIXANTE-TROISIÈME HOMÉLIE.

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« Et le gouverneur de la prison ne savait rien de ce qui se passait, grâce à Joseph. » (Gen. 39,23)

ANALYSE.

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  • 1. Joseph encore en faveur ; sa bonté. Interprétation du grand-échanson.
  • 2. Modération de Joseph. Songe du grand panetier. Le grand-échanson oublie Joseph.
  • 3. Songe de Pharaon. Il mande Joseph : comment éclate la sagesse de celui-ci.
  • 4. Élévation de Joseph, son mérite au-dessus de son âge.
  • 5. Exhortation à la patience.


1. Nous voulons nous acquitter aujourd’hui envers votre charité de ce que nous laisse à dire notre conférence d’hier, et revenir encore sur l’histoire de Joseph. Vous savez qu’hier nous avons été arrêtés en chemin par la fatigue d’un long discours, et que nous en sommes restés au moment où le chef de la maison du roi, abusé parla calomnie de l’Égyptienne, met Joseph en prison. Il nous faut donc aujourd’hui faire connaître à votre charité ce qui arriva au juste dans sa prison. Jeté au fond d’un cachot, remis aux mains d’un geôlier, la faveur divine ne l’abandonna point dans son infortune, et alla jusqu’à persuader à ce geôlier de lui donner une autorité absolue sur la prison. Et le gouverneur de la prison ne savait rien de ce qui se passait, grâce à Joseph. Voyez-vous, comment au fort des tribulations, il ne sentait point ses peines, comment la sagesse toute-puissante de Dieu transformait tout ce qui aurait pu l’affliger. De même que la perle, plongée au fond d’un fumier, conserve toute sa beauté, de même la vertu, en quelque endroit qu’on la relègue, brille d’un éclat qui lui est propre, fût-ce dans l’esclavage, fût-ce en prison, dans les afflictions comme au sein du repos. Après que Joseph mis en prison se fut concilié la bienveillance du gouverneur, et qu’il eut reçu de lui une autorité absolue sur la prison tout entière, voyons comment il manifesta la grâce qui l’assistait. Il advint après cela. (chap. 40) Après quoi ? Après les événements qui avaient suivi la dénonciation, après la condamnation qui avait fait emprisonner Joseph ; ce n’est pas tout : après que le Seigneur eut montré qu’il était avec lui, après que le gouverneur lui eut remis entre les mains la direction suprême de la prison. Il arriva donc après cela (après qu’il eut été jeté en prison), que le grand échanson et le grand panetier, ayant commis une faute, furent condamnés par le roi à la prison : et le gouverneur de la prison les ayant reçus, les mit en rapport avec Joseph. (1-4) En effet, Joseph n’était plus pour lui un prisonnier, mais un confident, bien plus, un homme capable d’alléger les souffrances des malheureux captifs. Et Joseph les assista. Qu’est-ce à dire, les assista ? Cela veut dire qu’il les consolait, qu’il fortifiait leur âme, leur rendait le courage, ne les laissait pas se consumer dans le chagrin. Ils furent beaucoup de jours en prison, et ils eurent tous deux un songe dans la même nuit, le grand échanson comme le grand panetier. Mais cet admirable Joseph, dans sa sollicitude à les consoler, les voyant inquiets et troublés à cause des songes qui leur étaient apparus, leur dit : Pourquoi vos visages sont-ils sombres aujourd’hui ?
En effet leur physionomie trahissait leur agitation intérieure : d’où cette parole d’un sage : Quand le cœur est en joie, le visage est en fleur ; quand le cœur est en peine, le visage est sombre. (Prov. 15,13). Donc, les voyant fort tristes à la suite de ces visions, il les interrogeait, afin de savoir la cause de leur affliction. Remarquez comment, même en prison, il déployait ses vertus, et s’efforçait d’alléger les peines d’autrui. Mais eux, que répondent-ils ? Nous avons eu un songe, et nous n’avons personne pour nous l’expliquer. (Id. 8) Ils ignoraient la sagesse de celui qui leur parlait : ils le considéraient comme un homme ordinaire : voilà pourquoi, au lieu de raconter ce qu’ils ont vu, ils se bornent à dire qu’ils ont eu un songe, en ajoutant : Nous n’avons personne pour nous l’expliquer. Mais cet homme admirable leur dit : N’est-ce pas à Dieu qu’il appartient de donner l’interprétation des songes ? Racontez-moi donc ce que vous avez vu. Est-ce que j’offre de vous l’expliquer par mes propres lumières ? C’est Dieu qui est l’interprète. – Racontez-moi ce que vous avez vu. Considérez cette prudence, cette humilité profonde. Il ne dit pas : Je vais vous l’expliquer, je vais vous dire ce que ces songes vous annoncent. Il dit : Racontez-les-moi. Dieu est le seul interprète en pareille matière. Et le grand-échanson lui rapporta ce qu’il avait vu. Et Joseph lui dit : Voilà l’interprétation de ton songe. Les trois provins de la vigne marquent trois jours, après lesquels Pharaon se souviendra du service que tu lui rendais. Il te rétablira dans ta première charge, et tu lui présenteras à boire, selon que tu avais accoutumé de le faire auparavant dans le rang que tu tenais. Mais souviens-toi de moi, quand ce bonheur te sera arrivé, prends-moi en pitié, parle dé moi à Pharaon, et tire-moi de ce cachot. Parce que j’ai été enlevé par fraude du pays des Hébreux, et que je n’ai rien fait pour être précipité dans ce souterrain. (Id. 9,12-15) Après lui avoir prédit les heureux événements qui devaient lui arriver, et sa rentrée en grâce auprès du roi, il ajoute : Souviens-toi de moi, lorsque tu auras recouvré ta prospérité ; plaide la cause de celui qui t’a fait cette prédiction, et tu me prouveras ainsi ta compassion.
2. Ne va pas sur ces paroles, mon cher auditeur, accuser ce juste de pusillanimité : bien au contraire, il faut t’étonner du courage, de la résignation avec laquelle il supportait une captivité si pénible. En effet, quelque autorité que lui eût conférée le gouverneur, il ne souffrait pas moins d’être enfermé, et de vivre parmi des hommes sales et déguenillés. Cela même est une nouvelle marque de sa philosophie, qu’il ait tout enduré avec courage, ne cessant de montrer une profonde humilité. – Prends-moi en pitié, parle de moi à Pharaon, et tire-moi de ce cachot. Veuillez observer comment il ne dit pas un mot de cette abominable femme, comment il s’abstient d’accuser son maître, de dénoncer la cruauté de ses frères à son égard, il jette un voile sur tout cela et se borne à dire : Souviens-toi de moi, et fais-moi tirer de ce cachot : Parce que j’ai été enlevé par fraude du pays des Hébreux et que je n’ai rien fait pour être précipité dans ce souterrain. Gardons-nous de passer légèrement là-dessus : considérons la sagesse de cette âme ; admirons comment Joseph, trouvant une pareille occasion, et sachant que le grand-échanson, une fois revenu aux jours de sa prospérité pourrait révéler au roi toute son histoire, éviter d’accuser l’Égyptienne, je le répète, de faire intervenir dans son récit ni son maître, ni ses frères : il ne dit pas pour quel motif il a été condamné à la prison, il ne s’attache pas à montrer l’injustice qui lui a été faite : il s’applique à une seule chose, non point à faire leur procès à ces personnes, mais à plaider sa propre cause. D’abord en ce qui concerne ses frères, il emploie cette expression vague : J’ai été enlevé de la terre des Hébreux. Il ne mentionne pas davantage la conduite de l’impudique Égyptienne, non plus que l’injuste colère de son maître contre lui ; il se borne à dire : Je n’ai rien fait pour être précipité dans ce souterrain. Que cela nous apprenne, au cas où il nous arriverait d’être persécutés par de pareils scélérats, à ne pas les poursuivre de nos injures, à ne pas nous répandre contre eux en amères accusations, à nous contenter enfin d’établir doucement et tranquillement notre innocence, à l’exemple de ce grand homme, qui, même dans l’infortune, ne voulut pas divulguer dans une simple conversation l’impudicité de l’Égyptienne. Combien ne voit-on pas de gens, qui même en butte à de justes griefs, entreprennent, dans leur extrême effronterie, de prêter aux autres leurs propres méfaits ! et Joseph, qui était plus pur que la lumière du soleil, Joseph, dont toutes les accusations auraient été des vérités, Joseph, qui en dénonçant la fureur de l’impudique, n’aurait fait qu’ajouter à sa propre gloire, Joseph, sur tous ces points, garde le silence. En effet, ce n’est pas la gloire humaine qu’il recherchait : il se contentait de la faveur d’en haut : il voulait seulement que l’œil toujours ouvert ne trouvât rien de blâmable dans sa conduite. Voilà pourquoi, en dépit de son silence, de ses efforts pour tenir tout caché, le bon Dieu le couvrit d’une si grande gloire après qu’il eut vu sa vaillance dans le combat. Maintenant observons dans ce qui suivit la résignation de ce juste ; comment les retards ne purent l’aigrir ni le décourager ; comment, dans sa patience à tout supporter, il ne cessait pas de bénir le Seigneur qui permettait toutes ces choses. – Lorsque le grand panetier eut entendu l’explication donnée par Joseph, pensant que sa vision, à lui, annonçait pareillement quelque chose d’heureux, il en tait à son tour le récit. Mais Joseph, après l’avoir écouté, instruit également parla révélation d’en haut du sens de cette nouvelle vision, lui prédit la mort qui l’attend, en ces termes : Encore trois jours, et Pharaon te coupera la tête, et t’attachera à une croix ; et les oiseaux du ciel dévoreront ta chair. (23) Voilà pourquoi je vous ai prévenus tout d’abord que les prédictions ne venaient pas de moi, mais d’une révélation divine : c’était afin que vous n’eussiez pas l’idée de m’attribuer soit le bien soit le mal que pourraient annoncer vos songes. Ce n’est point ma pensée que j’exprime : je ne fais que vous manifester ce que m’a fait connaître la grâce d’en haut. Mais au jour fixé, les paroles de Joseph furent réalisées, et tous deux eurent le sort qu’il leur avait annoncé : l’un retrouva sa félicité première, l’autre fut livré au supplice. Mais le grand-échanson (celui qui avait été si bien consolé par notre juste) ne se souvint pas de Joseph, et l’oublia. (Id. 23) – Voyez ce juste rejeté, pour ainsi dire, dans l’arène ; voyez-le déployer encore son courage accoutumé, sans éprouver aucune défaillance, aucun trouble, aucune impatience. Un autre, un homme ordinaire, se serait dit sans doute : Eh quoi ! Le grand-échanson, conformément à l’interprétation que j’ai donnée de son rêve, recouvre si promptement sa félicité première, et il ne garde pas souvenir de moi, de ma prédiction ! Et tandis qu’il est délivré de tous ses maux, moi qui suis innocent, je reste enfermé ici avec des assassins, des voleurs sacrilèges, des brigands, des hommes chargés de crimes. Il ne dit, ne pensa rien de pareil : il savait que, si la carrière des épreuves s’allongeait devant lui, c’était pour que, après l’avoir fournie complètement, il ceignît son front d’une éclatante couronne.
3. Voyez en effet : après la réintégration du grand échanson deux années s’écoulent. Il fallait attendre le moment favorable, pour que la délivrance de Joseph fût glorieuse. Si le grand échanson se fût souvenu de Joseph, avant les songes de Pharaon, s’il lui avait alors procuré son assistance pour le faire sortir de prison, la vertu du captif n’aurait pas éclaté aux yeux de la multitude. Mais le Dieu sage et tout-puissant, qui sait, comme un artiste habile, combien de temps il faut laisser l’or au feu et à quel moment il convient de le retirer Dieu, dis-je, permit que le grand échanson ne recouvrât pas la mémoire avant les songes de Pharaon, en sorte que notre juste ne dut qu’à la nécessité la gloire dont il jouit bientôt dans tout le royaume d’Égypte. Après deux ans, Pharaon eut un songe. (41, 1) Le matin arriva, son âme fut troublée ; et il envoya chercher tous les interprètes, tous les savants de l’Égypte, il leur raconta le songe qu’il avait eu : mais aucun ne put le lui expliquer. Remarquez l’attentive providence de Dieu. Il permet que le roi éprouve d’abord l’habileté de tous les hommes réputés sages dans le pays, afin que, une fois leur ignorance reconnue, le captif, le prisonnier, l’esclave, l’hébreu, introduit à son tour, expliquât ce qui était un mystère pour tout le monde, et par là, rendît manifeste à tous les yeux la grâce d’en haut qui le couronnait. – Lorsque tous les savants appelés furent demeurés muets, incapables d’ouvrir la bouche, alors le grand échanson, recouvrant la mémoire, informe Pharaon de ce qui lui est arrivé à lui-même, et dit : je me souviens aujourd’hui de ma faute. Puis il raconta aussitôt, comment le grand panetier et lui-même, jetés en prison, avaient eu des songes dont Joseph leur avait donné une interprétation que l’événement confirma de tout point. Le roi, à ces mots, envoya chercher Joseph, le fit sortir de prison ; on le rasa, on lui donna une autre robe, et il fut introduit devant Pharaon. Observez quel honneur tout d’abord, dès le début. – Quand la résignation l’a parfaitement purifié, semblable à un or raffiné, il sort du cachot, il est amené en présence de Pharaon. Voyez-vous ce que c’est que d’avoir pour soi la faveur céleste ? Remarquez maintenant quelle sollicitude déployée pour que la destinée de Joseph s’accomplît. Quand il fut sorti vainqueur de sa lutte avec cette abominable Égyptienne, et qu’il se fut échappé de ses filets pour tomber au fond d’un cachot, Dieu permit que le grand échanson et le grand panetier de Pharaon fussent jetés en même temps dans la même prison, et que l’interprétation de leurs songes leur révélât la sagesse de Joseph, afin que l’un d’eux, s’en souvenant à propos, le fît amener devant le roi. Or, Pharaon dit à Joseph : J’ai eu des songes, et je ne trouve personne pour me les expliquer : mais j’ai entendu dire qu’il suffit de te raconter un songe pour que tu l’interprètes. Pharaon rougirait de dire ouvertement : Aucun des savants que j’ai auprès de moi n’a été capable d’interpréter mon songe, il dit seulement : j’ai eu des songes, et je ne trouve personne pour les expliquer : mais j’ai entendu dire qu’il suffit de te raconter un songe pour que tu l’interprètes. Considérez ici encore la prudence et la parfaite réserve qui se montrent dans la réponse de Joseph. N’allez pas croire, dit-il, que je dise rien en mon propre nom, ou que j’interprète rien par science humaine. Car, faute d’une révélation d’en haut, il n’y a pas moyen de rien comprendre à ces secrets. Sachez donc, que sans le secours de Dieu, je ne saurais vous répondre. Ce sera Dieu, dit-il, et non pas moi, qui rendra au Pharaon une réponse favorable. Par conséquent, bien persuadé que l’interprète n’est autre que le Maître de l’Univers, ne vous adressez point aux hommes en pareil cas : c’est Dieu seul qui peut vous manifester la vérité.
Observez comment, par sa réponse, il révèle au Pharaon, à la fois l’impuissance de ces docteurs et la puissance du Maître : maintenant que vous savez que ce n’est point la science humaine qui dicte nos paroles, ni ma propre, pensée qui les inspire, dites-moi les signes que Dieu vous a envoyés. Alors Pharaon raconte ses songes, le premier, puis le second, et il ajoute : J’ai consulté les interprètes, et aucun n’a pu m’éclairer. Mais quoi ! ne vous ai-je pas dit qu’il n’appartient pas à la sagesse humaine d’expliquer ces choses ? Ne vous en prenez donc point à ces hommes : comment auraient-ils pu comprendre ce qui nécessite une révélation d’en – haut ? Joseph répondit : Les deux songes du roi se réduisent à un. Pour que vous fussiez convaincu que le signe envoyé par Dieu se réalisera, il vous a été donné de voir une seconde fois la même chose : preuve que Dieu pressera l’accomplissement. (Id. 25) La répétition, veut-il dire, est une confirmation, une preuve plus forte que la chose ne saurait manquer d’arriver. Puis, après avoir expliqué ce nombre de sept bœufs et de sept épis, et avoir prédit une grande abondance suivie d’une grande disette, il ajoute un conseil excellent : Établir en Égypte un intendant des vivres, qui, en recueillant les fruits des sept années d’abondance, pourra se mettre en état d’alléger la disette des sept années suivantes, et de prévenir une famine complète. Ce conseil plut à Pharaon et à tous ses ministres. (37)Et dès lors Pharaon aida à l’accomplissement des songes qu’avait eus Joseph, à l’époque où il vivait chez son père. Ainsi : Joseph expliquait les songes de Pharaon ; et Pharaon, sans le savoir, précipitait l’accomplissement d’autres songes. Après avoir entendu Joseph, est-il écrit, Pharaon dit à ses ministres : Où pourrions-nous trouver un homme comme celui-ci, rempli de l’Esprit de Dieu ?
4. Voyez-vous comment Pharaon reconnut lui-même que l’explication provenait d’une révélation d’en haut ? Qui pourrions-nous trouver, dit-il en effet, en possession d’une telle grâce, qu’il ait en lui l’Esprit de Dieu ! Puis il dit à Joseph : Puisque Dieu t’a découvert toutes ces choses, il n’y a pas d’homme plus sage que toi. (Id. 39)
Remarquez ici comment, dès que Dieu qui peut tout vent mettre à exécution ses desseins ; rien de ce qui arrive à la traverse ne peut être un empêchement. – Voyez plutôt : Joseph est assassiné, ou peu s’en faut, par ses frères, il est vendu, en butté à une accusation qui le jette dans un péril extrême, il reste longtemps en prison : et l’issue de tout cela, c’est qu’il monte, à peu de chose près, sur le trône royal : Puisque Dieu t’a découvert toutes ces choses il n’y a pas d’homme plus sage que toi, ni plus intelligent. En conséquence, tu gouverneras ma maison, et le peuple obéira à ta parole, mon trône seul m’élevera au-dessus de toi. Ainsi, voilà qu’un prisonnier devient subitement roi de toute l’Égypte, voilà que celui qui avait été jeté en prison par le chef de la maison royale est élevé par le roi lui-même à la plus haute dignité : et celui qui avait été son maître put voir tout à coup l’homme qu’il avait jeté dans un cachot, comme séducteur de sa femme, investi du gouvernement de l’Égypte entière. Voyez-vous combien il est important de supporter les tentations avec courage. Aussi Paul disait-il : L’affliction engendre la résignation, la résignation l’épreuve, l’épreuve l’espérance, et l’espérance ne confond point. (Rom 5, 3, 5) Or Joseph avait supporté les afflictions avec patience ; la patience l’avait éprouvé ; une fois éprouvé, il avait vécu dans l’espérance : son espérance ne le confondit point. Et Pharaon lui dit : Voici que je l’établis aujourd’hui sur toute la terre d’Égypte. (Id. 41) Puis ôtant l’anneau qu’il avait à la main, il le mit à la main de Joseph, le revêtit d’une robe de lin, lui entoura le cou d’un collier d’or (Id. 42), le fit monter sur un char qui marchait de suite après le sien, et un héraut le précédait proclamant son élévation : et il l’établit sur toute l’Égypte. (Id. 43) Car Dieu qui était avec Joseph avait aplani tous les obstacles devant lui, afin de l’élever à ce degré de gloire. Et Pharaon lui dit : Que sans ta permission nul ne lève la main dans toute la terre d’Égypte. (Id. 44) Et Pharaon donna à Joseph le nom de Psomthomphanech. (Id. 45) Il voulait perpétuer par ce nom le souvenir de la sagesse qui était en Joseph. Car ce mot signifie qui connaît les choses cachées. Joseph ayant révélé ce qui était ignoré de tout le monde, Pharaon lui donna ce nom par allusion à sa perspicacité. Et enchérissant encore sur tant d’honneur, il lui donna en mariage la fille de Putiphar. Le texte ajoute prêtre d’Hiéropolis, parce que ce personnage portait le même nom que l’ancien maître de Joseph, puis pour nous faire savoir à quel âge cet homme admirable fut récompensé de la sorte, et se signala par tant d’actions célèbres, il ajoute encore : Joseph avait trente ans (Id. 46), lorsqu’il parut devant Pharaon. N’allons pais croire que ce chiffre soit mis là sans intention : il est destiné à nous faire comprendre que personne n’est excusable de négliger la vertu, et que nul n’a droit d’alléguer sa jeunesse, dès qu’il s’agit de faire le bien. Joseph, en effet, n’était pas seulement jeune, il était beau, charmant de visage : ces avantages ne sont pas nécessairement réunis. Mais Joseph était beau et charmant, outre qu’il était jeune : et c’est, pour ainsi dire, à la fleur de l’âge, qu’il tomba dans la servitude et dans la captivité. Car il est écrit qu’il avait dix-sept ans lorsqu’il fut emmené en Égypte. Il était donc dans toute la brûlante ardeur de la jeunesse, lorsqu’il fut en butte aux – attaques de cette impudique égyptienne dont il était le serviteur, et néanmoins le courage du juste y résista puis vint la captivité et les longues souffrances qui l’accompagnèrent : Joseph resta pareil au bronze : que dis-je ? loin de faiblir il se fortifia : car la grâce d’en haut soutenait son courage. Et quand il eut préalablement déployé toutes les vertus qui étaient en lui, c’est alors qu’il fut tiré de sa prison et appelé au gouvernement de l’Égypte entière.
5. Instruits par cet exemple, ne nous laissons jamais décourager dans les afflictions, ne nous abandonnons point à nos propres pensées, quand elles nous conseillent l’impatience : montrons une résignation parfaite, et nourrissons-nous d’espérance, connaissant la toute-puissance de notre Maître, et bien persuadés que s’il nous laisse éprouver par l’infortune, ce n’est point par indifférence à notre égard, mais parce qu’il veut que nous méritions par notre courage une éclatante couronne. C’est par là que tous les saints sont parvenus à la gloire. Aussi les apôtres disaient-ils : C’est par beaucoup de tribulations qu’il nous faut entrer dans le royaume de Dieu. (Act. 14,21) Et le Christ lui-même disait à ses disciples : Dans le monde, vous aurez des tribulations. (Jn. 16,33) Gardons-nous donc de nous révolter contre les tribulations, mais écoutons ce que dit Paul : Ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ souffriront persécution. (2Tim. 3, 12) Point d’étonnement, point d’amertume : supportons avec une vaillance, une résignation parfaites ce qui nous arrive : et détournons nos yeux des afflictions pour considérer l’avantage que nous en recueillons : car c’est là un négoce spirituel. Et comme ceux qui veulent amasser de l’argent, qui s’adonnent aux trafics du monde ne peuvent augmenter leur fortune qu’en bravant mille dangers sur terre et sur mer, les attaques des brigands, les courses des pirates, et néanmoins sont disposés à tout affronter avec empressement, dans l’attente du bénéfice, attente qui leur ôte tout sentiment de leurs peines : de même, nous aussi, en considérant la richesse que nous assurent les tribulations, dans ce trafic spirituel, nous devons y trouver de la joie, de l’allégresse, et au lieu de nous arrêter à ce qui frappe les yeux, diriger nos regards vers les choses invisibles, selon le conseil de Paul : Ne considérons pas les choses visibles. (2Cor. 4,18) En effet, ce qui caractérise la foi, c’est de ne pas considérer seulement les objets matériels, mais de se représenter encore par les yeux de l’esprit les choses incorporelles. Car nous devons juger ces dernières choses plus assurées que celles dont les yeux du corps nous révèlent l’existence. Ainsi fut glorifié le patriarche, parce qu’il avait cru à la promesse de Dieu, parce qu’il s’était élevé au-dessus de la nature et des pensées humaines : Aussi cela lui fut-il imputé à justice. (Rom. 4,3) Songez à cela : c’est justice que de croire aux paroles de Dieu. Quand Dieu a fait une promesse, ne demandez point aux choses de suivre le cours des événements humains : élevez-vous au-dessus de ces misérables pensées, et fiez-vous à la puissance de Celui qui vous a fait promesse. C’est par là que chacun des justes s’est signalé, par là que cet incomparable Joseph, en dépit des grands obstacles qui lui furent suscités après les songes, loin de se troubler, de se déconcerter, endura tout avec persévérance et courage, bien persuadé que les arrêts divins ne sauraient être annulés. Voilà pourquoi, après la servitude, après la prison, après cette dénonciation perfide, il fut investi du gouvernement de l’Égypte entière. En conséquence, résistons avec constance à tout accident, rendons grâce de tout ce qui nous arrive au Dieu de bonté, et comptons sur le dédommagement qu’il nous réserve. Puissions-nous tous obtenir cette récompense par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

SOIXANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE.

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« Mais Joseph s’éloigna de la présence de Pharaon, et parcourut toute la terre d’Égypte : et la terre donna des gerbes dans les sept années de fertilité : et il recueillit autant de blé qu’il y a de sable dans la mer. »

ANALYSE.

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  • 1. Prévoyance de Joseph. Départ des fils de Jacob pour l’Égypte.
  • 2. Ils sont emprisonnés : leurs remords.
  • 3. Leurs accusations mutuelles : ils partent, laissant Siméon.
  • 4. Hésitation de Jacob à laisser partir Benjamin. Bon accueil fait par Joseph à ses frères.
  • 5. La coupe retrouvée : stupeur des frères : leur affection pour Benjamin.
  • 6. Instances de Juda : Joseph se fait reconnaître. Il envoie chercher son père.


1. Voulez-vous qu’aujourd’hui encore, nous examinions l’histoire de Joseph, et que nous voyions par duels moyens cet homme incomparable, devenu maître de l’Égypte entière, soulagea tout le monde, grâce à l’intelligence qui était en lui ? Il s’éloigna, dit l’Écriture, de la présence de Pharaon, et parcourut toute la terre d’Égypte ; et la terre donna des gerbes dans les sept années de fertilité : et il recueillit autant de blé qu’il y a de sable dans la mer. Ainsi, après avoir reçu du roi pleine autorité, il recueillit les fruits de la terre, et les mit en dépôt dans les villes, afin de soulager, à l’aide de ces ressources, la détresse future. Vous savez maintenant comment ce juste fut récompensé, même ici-bas, de sa patience, de sa résignation, de toutes ses vertus, en quittant une prison pour le palais d’un roi. (Id. 50) Or, il lui naquit deux fils avant la venue des années de disette. (Id. 51) Il donna au premier le nom de Manassé : parce que, disait-il, Dieu m’a fait oublier toutes mes peines et celles de mon père. Admirez sa piété : par le nom qu’il donna à son enfant il consacra le souvenir de tout ce qui s’était passé, afin de témoigner constamment sa reconnaissance, et afin que l’enfant qui lui était né n’eût qu’à réfléchir sur son nom, pour être instruit des tentations et de la patience qui avaient fait parvenir le juste à un pareil degré d’élévation. Parce qu’il m’a fait oublier toutes mes peines et celles de mon père. Qu’est-ce à dire, Toutes mes peines ? Il me semble qu’ici il fait allusion à sa première et à sa seconde servitude, ainsi qu’aux souffrances de sa captivité. Et toutes celles de mon père : c’est à savoir, la séparation qui l’avait arraché des bras de son père, lorsque, dans l’âge le plus tendre, cet enfant, élevé avec tant de sollicitude, fut jeté de la liberté dans l’esclavage. (Id. 52) Et il donna au second le nom d’Ephraïm, parce que, disait-il, Dieu m’a élevé dans le pays de mon abaissement. Vous le voyez : ce nouveau nom lui est encore dicté par la reconnaissance. C’est comme s’il disait : non seulement j’ai oublié mes peines, mais encore j’ai été élevé aux honneurs, dans le pays où j’avais enduré une si profonde humiliation, où j’avais été en butte aux plus extrêmes périls, et en danger de perdre la vie. Mais il faut maintenant écouter la suite. Après les sept années d’abondance, arrivèrent tout à coup les années de disette, ainsi que Joseph l’avait prédit. Car les événements ne firent que démontrer à tous la sagesse du juste, et incliner tous les fronts devant lui. Et, malgré l’extrême disette, il empêcha tout d’abord qu’aucune détresse ne se fît sentir. (Id. 54) Car il y avait du pain dans toute l’Égypte. Mais quand la gêne augmenta, le peuple fit entendre ses plaintes à Pharaon, incapable qu’il était de tenir bon plus longtemps : la faim les força de recourir au roi. Remarquez maintenant la reconnaissance de ce monarque. (Id. 55) Mais Pharaon dit aux Égyptiens Allez vers Joseph et faites ce qu’il vous dira. C’est à peu près comme s’il eût dit : Pourquoi tenir vos yeux attachés sur moi ? Ne voyez-vous pas que je ne suis roi qu’en apparence, que c’est Joseph qui vous a tous sauvés ? D’où vient donc que vous le laissez pour accourir auprès de moi ? Allez vers lui, et faites ce qu’il vous dira. (Id. 56) Joseph ouvrit les greniers et il vendait le blé aux Égyptiens. Et comme la famine faisait partout sentir ses rigueurs : Toutes les contrées, dit-il, sont venues acheter du blé en Égypte : car la faim régnait sur toute la terre. Voyez comment, peu à peu, les songes de Joseph commencent à se réaliser. Les ravages de la famine s’étaient étendus jusque sur la terre de Chanaan, où habitait Jacob père de Joseph. Jacob donc ayant appris que l’on vendait du blé en Égypte, dit à ses fils Pourquoi vous abandonner à la nonchalance ? (42, 3) Voici que j’apprends qu’il y a du blé en Égypte. Allez-y, afin de nous acheter quelques provisions qui soutiennent notre vie. (Id. 2) Pourquoi restez-vous inactifs, leur dit-il ? Allez en Égypte et rapportez-nous ce qui est nécessaire pour notre subsistance. Toutes ces choses advinrent, afin que les frères de Joseph servissent au parfait accomplissement de sa vision, afin qu’ils confirmassent par les événements l’interprétation qu’ils avaient faite du songe raconté par Joseph. Les dix frères partirent sans prendre avec eux Benjamin, le frère maternel de Joseph Car son père dit : Je crains qu’il ne lui arrive quelque malheur. Il ménageait cet enfant à cause de son jeune âge. Étant arrivé, ils se prosternèrent devant Joseph, la face contre terre, comme devant le maître de l’Égypte. (Id. 6) Ils agissaient ainsi, ne sachant rien encore. Car le long espace de temps qui s’était écoulé les empêchait de reconnaître leur frère. Il est bien naturel que, parvenu à sa maturité, il eût changé quelque peu d’aspect. Mais, si je ne me trompe, tout avait été arrangé par le Dieu de l’univers, de telle sorte qu’ils ne pussent reconnaître leur frère, ni à son langage, ni à sa figure. En effet, comment auraient-ils pu même concevoir une telle pensée ? Ils croyaient qu’il était esclave chez les Ismaélites, en butte aux souffrances de la servitude chez ce peuple barbare. Bien éloignés par eux-mêmes d’une semblable idée, ils ne reconnurent point Joseph. Mais lui, tout en les voyant, les reconnut : il dissimula pourtant et affecta de se comporter avec eux comme avec des étrangers. Il feignit d’être un étranger pour eux, et leur parla rudement ; il leur dit : D’où venez-vous ? S’il feint une complète ignorance, c’est afin d’être informé de tout avec exactitude : car il désirait avoir des nouvelles de son père et de son frère.
2. Et d’abord il s’enquiert du pays d’où ils viennent : ils répondent qu’ils viennent de Chanaan pour acheter des vivres. La détresse causée par la faim, disent-ils, nous a fait entreprendre ce voyage : et voilà pourquoi nous avons tout laissé pour venir ici : Et Joseph se ressouvint des songes qu’il avait eus.(Id. 9) Se rappelant ces songes, et les voyant se réaliser, il voulait être bien informé de tout. Voilà pourquoi il leur répond tout d’abord avec beaucoup de dureté : Vous êtes des espions, leur dit-il, et vous êtes venus pour reconnaître les passages de la contrée. Ce n’est pas dans de bonnes intentions que vous êtes venus. Vous devez avoir entrepris ce voyage dans quelque dessein perfide et criminel. – Les autres, tout effrayés, répondent : Non, Seigneur. (10) Et voici que d’eux-mêmes ils apprennent à Joseph ce qu’il voulait savoir : Tes serviteurs sont venus pour acheter des vivres. Nous sommes tous fils du même père, nous sommes pacifiques, tes serviteurs ne sont pas des espions. (Id. 11) Jusqu’ici ils se bornent à se justifier tout troublés par la crainte, ils n’ont pas encore dit ce que Joseph brûle de savoir. Aussi persiste-t-il dans son dire : Non, vous êtes venus pour reconnaître les passages de la contrée. (Id. 12) Vous avez beau me parler ainsi : je vois assez, en vous considérant, que c’est un mauvais dessein qui vous a conduits ici. Alors pressés par la nécessité, et voulant toucher son cœur, ils disent à Joseph : Tes serviteurs sont douze frères. (Id. 13) O leurre des paroles ! ils comprennent dans le nombre celui qu’ils ont vendu aux marchands : ils ne disent pas : Nous étions douze, mais : Nous sommes douze frères : Et le plus jeune est avec notre père. Et voilà justement ce qu’il voulait savoir, s’ils n’avaient pas fait subir le même sort à son frère qu’à lui-même. Le plus jeune est avec notre père : et l’autre n’est plus au monde. Ils n’indiquent point clairement la raison, ils disent simplement : Il n’est plus au monde. Alors venant à craindre qu’ils n’eussent traité Benjamin comme lui-même, il reprend : Ce que j’ai dit est la vérité, vous estes des espions. (Id. 14) Vous ne sortirez pas d’ici que votre jeune frère ne soit venu. (Id. 15) C’est lui que je veux voir : je brûle de considérer celui qui est sorti du même sein que moi : car je soupçonne, d’après votre conduite envers moi, vos sentiments fraternels. Ainsi donc, si vous le voulez : Dépêchez un d’entre vous, et amenez-le (Id. 16) ; quant à vous, restez en prison, jusqu’à son arrivée. Sa présence me fera voir la vérité de vos rapports, et vous affranchira de tout soupçon. Sinon, il sera évident que vous êtes des espions, et que tel est le motif de votre venue. A ces mots, il les fit mettre en prison. (Id. 17) – Voyez-vous comment il les éprouve, comment sa conduite envers eux témoigne de sa tendresse pour son frère ? Mais au bout de trois jours, les ayant appelés, il leur dit : Faites ce que je vais vous dire, et vous vivrez : car je crains Dieu. (Id. 18) Si vous êtes des hommes de paix, qu’un d’entre vous reste détenu dans la prison : que les autres partent, emportent le blé qu’ils auront acheté (Id. 19), et me ramènent leur jeune frère : et j’ajouterai foi à vos paroles : autrement, vous mourrez.
Considérez son intelligence ; voulant à la fois montrer son amour pour aces hommes, soulager la détresse de son père et savoir au sujet de son frère la vérité, il fait retenir un des fils de et prescrit aux autres de partir. Mais voyez agir maintenant l’incorruptible juge, la conscience des coupables qui se soulève, et les contraint, sans que personne les accuse ou les mande en justice, de devenir leurs propres accusateurs. (Id. 21) Et ils se disaient l’un à l’autre : C’est justement parce que nous avons péché contre notre père, que nous n’avons pas été émus par la douleur de son âme lorsqu’il implorait notre pitié, que nous ne l’avons pas écouté, c’est pour cela que nous sommes tombés dans celle affliction. Voilà ce que c’est que le péché ; lorsqu’il est commis, réalisé, il révèle sa propre énormité. Un homme ivre, tant qu’il boit coup sur coup, n’a aucun sentiment des maux qu’engendre l’ivresse ; c’est plus tard que l’expérience lui fait connaître la grandeur de ce fléau ; il en est ainsi du péché : tant qu’il n’est pas consommé, il aveugle l’esprit et répand d’épaisses ténèbres sur la vue intérieure ; mais ensuite la conscience se soulève comme un accusateur inexorable pour déchirer l’âme et lui dénoncer l’énormité de sa faute. Voici que les fils de Jacob reviennent à eux, et c’est au moment où le plus grand péril est suspendu sur leur tête, qu’ils font l’aveu de leur conduite, et disent : C’est justement, parce que nous avons péché, parce que noirs n’avons pas été émus de la douleur de son âme. Ce n’est pas sans motif que nous sommes ainsi traités, c’est justement, bien justement ; nous sommes punis de l’inhumanité et de la cruauté que nous avons montrées à l’égard de notre frère : Parce que nous n’avons pas été émus de la douleur de son âme, lorsqu’il implorait notre pitié, et que nous ne l’avons pas écouté. C’est parce que nous avons été sans charité, sans humanité, que nous éprouvons le même traitement à notre tour. C’est pour cela que nous sommes tombés dans celle affliction.
3. Ils se parlaient de la sorte entre eux, croyant n’être pas entendus de Joseph. En effet, comme s’il ne les eût pas connus et qu’il eût ignoré leur langue, il avait fait venir un interprète, pour leur transmettre ses paroles et lui expliquer leurs réponses. (Id. 22) Or, entendant cela, Ruben leur dit : N’est-il pas vrai que je vous ai dit : Ne faites pas de mal à cet enfant, et que vous ne m’avez pas écouté ? Et voici que Dieu nous redemande son sang. Ne vous ai-je pas conseillé, conjuré alors, de ne commettre aucune iniquité à son égard ? Aussi maintenant Dieu vous redemande son sang. Car, d’intention, vous l’avez tué ; si vous n’avez pas enfoncé le glaive dans sa gorge, vous l’avez vendu à des barbares, vous avez imaginé pour lui une servitude pire que la mort ; voilà pourquoi Dieu vous redemande son sang. Représentez-vous ce que c’est d’être accusé par sa conscience, que d’être en proie perpétuellement aux obsessions de cette voix sévère et formidable qui nous rappelle nos fautes. (Id. 23) Et Joseph entendit cela ; mais eux, ils ne s’en doutèrent point, vu qu’il se servait d’un interprète. Mais Joseph ne peut plus se contenir, la force du sang, la tendresse fraternelle le trahissent Et s’étant détourné d’eux, il pleura (Id. 24), de manière à n’être point reconnu. Il revint auprès d’eux et leur parla de nouveau. (Ibid, 25) Et ils lui livrèrent Siméon qu’il lia devant eux. Vous le voyez : il ne néglige rien pour les jeter dans l’effroi, de telle sorte que voyant Siméon attaché, ils fissent paraître s’ils étaient sensibles à l’amour fraternel. Toute sa conduite avait pour but, en effet, de les éprouver, et de reconnaître s’ils ne s’étaient pas montrés à l’égard de Benjamin tels qu’ils avaient été pour lui-même. Si donc il fait lier Siméon en leur présence, c’est pour les bien éprouver, pour observer s’ils lui témoigneront quelque affection. Car alors, par pitié pour lui, ils se hâteront d’amener Benjamin, et combleront par là les vœux de Joseph. Et il ordonna de remplir leurs sacs de blé, de remettre dans le sac de chacun son argent, et de leur donner des provisions pour la route. (Id. 26) Et après avoir chargé leurs ânes, ils partirent. Voyez quelle générosité ! il les oblige malgré eux, en leur rendant leur argent, au lieu de se borner à leur livrer du blé. (Id. 27) Or, un d’eux ayant ouvert son sac, afin de donner la nourriture aux ânes, voit l’argent, et annonce la nouvelle à ses frères. Là-dessus leur cœur s’étonna, ils furent troublés et se dirent entre eux : Qu’est-ce que Dieu nous a fait ?
Les voilà de nouveau inquiets, tremblants à l’idée d’un nouveau grief : et accusés en outre par leur conscience, ils imputaient tout à la faute commise sur la personne de Joseph. Quand ils furent revenus auprès de leur père, et qu’ils lui eurent fait un rapport exact de tout ce qui s’était passé, ils lui racontèrent quel courroux avait montré contre eux le gouverneur de l’Égypte, et comment il les avait retenus prisonniers comme espions. Nous lui avons dit que nous étions des hommes de paix, que nous étions douze frères, dont un n’est plus, et le plus jeune avec notre père. Il nous a répondu : Voici comment vous montrerez que vous êtes des hommes de paix : laissez ici un d’entre vous, amenez votre jeune frère, et je connaîtrai que vous n’êtes pas des espions. (Id. 32, 33, 34) Ce récit éveilla les douleurs du juste. Tout en faisant ce triste rapport, chacun d’eux vidait son sac : en trouvant leur argent, tous furent saisis de crainte, et leur père avec eux. Mais voyons encore ici l’affliction du vieillard, que leur dit-il ? Vous m’avez ôté mes enfants : Joseph n’est plus, Siméon n’est plus, et vous voulez m’enlever Benjamin ? Tous ces maux sont retombés sur moi. Ainsi ce n’était point assez d’avoir à pleurer Joseph, vous lui avez joint Siméon : et ce, n’est point la fin de mes maux.
Vous voulez encore me prendre Benjamin. Tous ces maux sont retombés sur moi. Ces paroles nous font bien voir l’émotion qui trouble les entrailles de ce père. Depuis longtemps il désespérait au sujet de Joseph, qu’il croyait dévoré par les bêtes féroces, il désespérait désormais de Siméon : et voici qu’il craignait pour Benjamin. Il résiste d’abord, il ne veut pas livrer son enfant. Mais Ruben, l’aîné de ses enfants, lui dit : Tuez mes deux fils, si je ne vous le ramène pas. Remettez-le entre mes mains, et je vous le ramènerai. Confiez-le-moi, je m’en charge, et je vous le rendrai.
4. Ruben parlait ainsi, songeant qu’il leur était impossible, si l’enfant ne les accompagnait pas, de retourner en Égypte, et d’y acheter ce qui était nécessaire à la subsistance de la famille. Mais le père ne veut pas céder : Non, mon fils ne partira pas avec vous. (Id) Ensuite il en donne la raison, comme s’il plaidait sa cause devant ses enfants : Son frère est mort, et lui seul me reste. Et il arrivera qu’à cause de sa jeunesse, il sera bien éprouvé en route, et vous conduirez ma vieillesse avec douleur au tombeau. Je crains pour sa jeunesse ; je redoute de finir mes jours dans la douleur, privé de cette consolation. En effet, tant qu’il reste avec moi, il me semble que j’éprouve un peu de soulagement, et sa société diminue le chagrin que j’ai au sujet de son frère. Ainsi la tendresse de Jacob pour son enfant Benjamin l’empêchait d’abord de le laisser partir : Mais la disette redoubla, et les vivres leur manquèrent. Et leur père leur dit : Retournez, et rapportez-nous quelques provisions. Mais Juda lui dit : L’homme nous a déclaré sa volonté avec serment, disant : Vous ne verrez pas mon visage, si votre jeune frère ne vous accompagne point. Si donc vous congédiez notre frère, nous partirons, et nous achèterons des vivres. Sinon, nous ne partirons pas. Car l’homme nous a dit que nous ne verrions pas son visage, si notre jeune frère n’était pas avec nous. (Gen. 43,1-5) N’allez pas croire que nous puissions retourner là-bas sans notre frère. Si vous voulez que notre voyage soit inutile, et que nous courions les plus grands dangers, alors partons. Mais sachez que le gouverneur nous a certifié avec serment que nous ne verrions pas son visage, si notre frère ne venait pas avec nous. Jacob se voyait pressé de tontes parts il se lamente, il leur dit : Pourquoi avez-vous fait mon malheur en apprenant à l’homme que vous aviez un frère ? Pourquoi avez-vous fait mon malheur ? (Id. 6) Pourquoi m’avoir causé ces maux ? Si vous n’aviez rien dit, je n’aurais pas été privé de Siméon, et l’on n’aurait point mandé celui-ci. Ils lui répondirent L’homme nous a demandé si notre père vivait, si nous avions un frère, et nous lui avons répondu. Savions-nous qu’il nous dirait : Amenez votre frère ? (Id. 7) N’allez pas croire que nous ayons déclaré de nous-mêmes au gouverneur l’état de notre famille. Comme il nous retenait en prison, voyant en nous des espions, et qu’il s’informait en détail de nos affaires, nous avons parlé ainsi afin de le renseigner surtout avec véracité. Et Juda dit encore à son père : Envoie le jeune enfant avec moi, et mus nous mettrons en route, afin d’avoir de quoi vivre. (Id. 8) Confie-le-moi, afin que nous partions sur-le-champ. Car il ne nous restera plus aucun espoir de salut si nous laissons nos provisions s’épuiser, et que nous ne cherchions pas des soulagements ailleurs. Je le reçois de tes mains ; si je ne te le remets pas, si je ne le ramène pas en ta présence, que je reste coupable envers toi le reste de mes jours. Si nous n’avions pas différé nous serions déjà revenus deux fois. (Id. 9, 10) Ton attachement à cet enfant va causer notre mort à tous. La faim nous aura bientôt fait périr, si tu ne veux pas lui permettre de nous suivre. Observez ici, mon cher auditeur, comment la détresse causée par la famine triompha de la tendresse de ce père. Voyant qu’on ne trouvait pas d’autre moyen de soulagement, et que la disette augmentait, il dit enfin : S’il en est ainsi, s’il le faut absolument, et que vous ne puissiez partir sans lui, vous devez porter en même temps des présents au gouverneur. Emportez l’argent que vous avez trouvé dans vos sacs, outre celui qui vous est nécessaire pour l’achat.
Prenez avec vous votre frère, levez-vous et partez. (Id. 13) Que mon Dieu vous fasse trouver grâce devant cet homme, et mette en liberté votre frère et Benjamin ! Pour moi, je reste sans enfant. (Id. 14) Voyez-vous comment éclate son inexprimable affection pour Joseph ? N’allez pas croire en effet qu’il songe à Benjamin ou à Siméon, lorsqu’il dit : Pour moi je reste sans enfant, car il dit plus haut : Que Dieu vous fasse trouver grâce, et mette en liberté votre frère et Benjamin ! – Il veut dire : quand bien même ces deux-là seraient sauvés, je n’en resterais pas moins sans enfant. Observez comme il est tout entier à l’amour de Joseph. Entouré d’un groupe si nombreux de fils, il se croyait pourtant sans enfants, parce qu’il était privé de Joseph. Les fils de Jacob alors ayant pris les présents, la double somme d’argent et Benjamin, partirent pour l’Égypte et parurent devant Joseph. (Id. 15) Joseph les vit ainsi que Benjamin son frère. (Id. 16) – Ses vœux sont comblés : il voit son bien-aimé, le succès a couronné ses efforts. Et il dit à l’intendant de sa maison Conduis ces hommes dans la maison et égorge des victimes : car ces hommes mangeront avec moi. Mais se voyant introduits dans la maison de Joseph, ils dirent : C’est à cause de l’argent qui est revenu dans nos sacs la première fois, que l’on nous emmène : c’est afin de nous dénoncer, de nous accuser, de nous prendre avec nos ânes, et de nous réduire en servitude. (Id. 18) Joseph prenait toutes les dispositions les plus propres à leur attester sa bienveillance : néanmoins ils sont dans les angoisses, ils redoutent d’être punis à cause de cet argent, comme s’ils étaient coupables en cela. Ils s’approchent donc de l’intendant de la maison et lui exposent la raison de leur inquiétude : ils lui racontent comment ils ont trouvé l’argent dans leurs sacs, et ils ajoutent : À cause de cela nous apportons aujourd’hui le double de l’argent, afin de payer notre dette précédente, et d’acheter des vivres. (Id. 22)
5. Remarquez à quel point l’infortune a corrigé et adouci leur caractère : L’intendant leur répondit : Ayez l’esprit en repos, ne craignez point : votre Dieu, le Dieu de votre père vous a donné des trésors dans vos sacs : quant à votre argent, il est bon, et entre mes mains. (Id. 23) Point de crainte, soyez sans inquiétude. Personne d’entre vous ne sera accusé pour ce motif : l’argent nous a été compté : croyez donc que cela vous vient de Dieu, que c’est Dieu qui a mis des trésors dans vos sacs. – Ayant dit ces mots, il fit sortir Siméon, il apporta de l’eau pour laver leurs pieds, et donna à manger à leurs ânes. (Id. 24) – Ainsi la prière de leur père les faisait réussir en toute chose tout arrivait selon la prière qu’il avait adressée au ciel en disant : Que le Dieu de mon père vous fasse trouver grâce ! même avant que Joseph fût présent, l’homme à qui était confié le soin de sa maison prodiguait aux nouveaux venus les marques de bienveillance. Ils préparèrent les présents pour Joseph. (Id. 25) Et lorsqu’il entra, ils les lui offrirent et se prosternèrent devant lui jusqu’à terre. (Id. 26) Puis il leur demanda encore une fois : Votre père, le vieillard dont vous m’avez parlé, se porte-t-il bien ? vit-il encore ? (Id. 27) Ils répondirent : Ton serviteur notre père est en bonne santé. Et il dit : Qu’il soit béni de Dieu ! Et s’inclinant ils adorèrent. (Id. 28) Mais Joseph vit soit frère, né de sa mère, et dit : voilà ce jeune frère, que vous m’avez dit que vous amèneriez ? Et il dit : Dieu te fasse miséricorde, mon enfant ! (Id. 29)
Admirez sa constance : il continue à faire l’ignorant, afin que la suite des événements lui permette de démêler quelles étaient leurs dispositions à l’égard de Benjamin. Et comme la nature même parlait trop haut, ses entrailles étaient émues, et il aurait voulu pleurer. Il entra donc dans une autre salle, et là, se mit.à pleurer. Puis s’étant lavé le visage, il sortit. Ensuite il montre sa bonté : Servez les pains (31), dit-il. On le servit à part, comme le roi, le maître de l’Égypte entière ; et ses frères à part ; et à part aussi les Égyptiens qui dînaient avec lui. Car les Égyptiens ne pouvaient pas manger avec les Hébreux ; c’est une abomination aux yeux des Égyptiens. En face de lui s’assirent le plus âgé et le plus jeune. Cela les jeta dans l’étonnement, et ils ne pouvaient deviner d’où lui venait la connaissance qu’il avait de la différence de leurs âges. Puis dans la distribution des parts, il donne à Benjamin une portion cinq fois plus grande. Ils ne comprennent pas davantage, ils croient que c’est un simple effet du hasard, à cause de la jeunesse du privilégié. Enfin, le repas terminé, Joseph appelle son intendant et lui donne ces ordres : Remplis les sacs de ces hommes d’autant de vivres qu’ils pourront en emporter, et remets de même l’argent de chacun dans son sac ; et jette cette coupe d’argent dans le sac du plus jeune. (44, 1-2) Voyez quel artifice il imagine encore pour mettre à une infaillible épreuve les sentiments de ses frères à l’égard de Benjamin. Cela fait, il les congédie. Puis, lorsqu’ils se furent mis en route, il dit à l’intendant de sa maison : Lève-toi, mets-toi à leur poursuite, et dis-leur : Pourquoi rendez-vous le mal pour le bien ? Pourquoi m’avez-vous dérobé une coupe d’argent ? N’est-ce pas celle où boit mon maître ? Il s’en sert pour deviner. C’est une détestable action que la vôtre. (Id. 4, 5) Lorsqu’il les eut trouvés, raconte l’Écriture, il leur dit : Pourquoi répondre aux bienfaits par des injustices ? Pourquoi exercer votre méchanceté jusque : sur celui qui vous a fait si bon accueil ? Comment n’avez-vous pas craint de faire du tort à un homme que vous aviez trouvé si généreux ? Que dire d’une pareille scélératesse ? Quel délire s’est emparé de vous ? Ne savez-vous pas que c’est là le vase dont mon maître se sert pour deviner ? Votre action est criminelle, votre dessein pernicieux, votre entreprise impardonnable, votre audace sans égale, votre perversité au-dessus de tout ce qu’on peut imaginer. Ils lui répondirent : Pourquoi votre maître tient-il ce langage ? Pourquoi nous reprochez-vous un crime dont nous sommes tout à fait innocents ? À Dieu ne plaise que vos serviteurs se comportent jamais comme vous dites ! A Dieu ne plaise que nous tenions jamais fane pareille conduite ! Nous qui avons apporté une double somme d’argent, comment aurions-nous pu, dérober argent ou or ? D’ailleurs, si vous le croyez, Que celui aux mains duquel on trouvera le vase que vous cherchez, que celui-là meure (9), comme auteur d’un pareil forfait : et nous, nous serons esclaves. Le calmé de leur conscience leur permettait de perler avec cette assurance. L’intendant répondit : Eh bien ! qu’il soit fait comme vous dites. Celui aux mains duquel sera trouvée la coupe, celui-là sera mon serviteur : les autres seront mis en liberté. Après cela, ils se laissent fouiller. Et il les fouillait en commençant par l’aîné, jusqu’à ce qu’il arriva à Benjamin. Et ayant ouvert le sac de celui-ci, il trouve la coupe. Cela confondit leur esprit. Ils déchirèrent leurs vêtements, ils remirent leurs sacs sur les bêtes de somme, et revinrent à la ville. Et Juda étant entré ainsi que ses frères auprès de Joseph, ils tombèrent devant lui la face contre terre. Observez combien de fois ils l’adorent. Puis Joseph leur dit : Pourquoi avez-vous fait cela ? Ne savez-vous pas que je n’en sers pour deviner ? Juda répondit : Que répliquer ? que dire à notre seigneur ? Comment nous justifier ? Dieu a trouvé l’iniquité de vos serviteurs. De nouveau le souvenir du mal qu’ils lui ont fait leur revient à l’esprit. Eh bien ! nous sommes serviteurs de notre maître, et nous, et celui aux mains de qui fut trouvée la coupe. Ils font voir alors leurs bons sentiments, et se soumettent à la servitude en même temps que leur frère. Mais Joseph répondit : À Dieu ne plaise que j’en fasse rien ! L’homme aux mains de qui a été trouvée la coupe, voilà celui qui sera mon serviteur : quant à vous, retournez sains et saufs auprès de votre père. (Id. 17)
6. Ainsi, ce qu’avait craint leur père leur arrivait : les voilà dans le trouble et les angoisses, ne sachant quel parti prendre. Mais Juda s’approcha, et dit. (Id. 18) C’est lui, en effet, qui avait reçu Benjamin des mains de son père, lui qui avait dit : Si je ne te le ramène pas, je resterai coupable devant toi tous les jours de ma vie: il s’approche, il raconte avec exactitude tout ce qui s’est passé, afin d’exciter la compassion de Joseph, et de le disposer à laisser partir l’enfant. Juda s’approcha et dit : Je vous en prie, seigneur, laissez parler votre serviteur. Observez comment il ne cesse de lui parler sur le ton d’un esclave qui s’adresse à son maître : et rappelez-vous ces songes des gerbes, qui envenimèrent leur jalousie contre lui : admirez la sagesse et la toute-puissance de Dieu, qui à travers tant d’obstacles, menait tout à réalisation. Laissez parler votre serviteur en votre présence, et ne vous irritez pas contre lui, seigneur. Vous avez interrogé vos serviteurs, disant : Avez-vous un père, un frère ? Et nous avons dit à notre seigneur Nous avons un vieux père et il a un jeune fils, enfant de sa vieillesse ; le frère de celui-ci est mort. Figurez-vous ce que devait éprouver Joseph en entendant ces paroles. Lui seul est resté à sa mère ; et son père l’a pris en grande tendresse. Pourquoi mentent-ils encore ici en disant : Le frère de celui-ci est mort ? ne l’avaient-ils pas vendu aux marchands ? Mais comme ils avaient fait croire à leur père qu’il avait péri et avait été dévoré par les bêtes féroces, comme d’ailleurs ils pensaient qu’il avait dû succomber aux maux de son esclavage chez un peuple barbare, il dit pour ces raisons  : Et le frère de celui-ci est mort. Mais, vous avez dit à vos serviteurs : Amenez-moi cet enfant, et j’en prendrai soin. Et vous avez ajouté : Si votre frère ne vient pas avec vous, vous n’aurez pas l’avantage de voir nia face. Or, il est arrivé que, revenus auprès de votre serviteur, notre père, nous lui avons rapporté les paroles de notre seigneur. Alors notre père nous a dit : Remettez-vous en route, achetez-nous quelques provisions. Mais nous lui avons répondu : Nous ne pourrons aller là-bas, si notre frère ne vient pas avec nous. Alors votre serviteur, notre père, il nous dit : Vous savez que ma femme m’a donné deux enfants, l’un s’en est allé loua (le moi, et vous m’avez dit qu’il avait été mangé par les bêtes sauvages. (27, 28) Remarquez comment l’apologie de Juda instruit exactement Joseph de ce qui s’est passé dans sa famille après qu’il a été vendu, du leurre auquel ils ont recouru pour tromper son père, du récit qu’ils lui ont fait à son sujet. Maintenant donc, si vous emmenez encore celui-ci, et qu’il lui arrive une maladie en route, vous conduirez nia vieillesse avec douleur au tombeau. Quand tel est l’attachement de notre père à l’égard de ce jeune enfant, comment pourrons-nous soutenir sa vue, si celui-ci n’est pas avec nous ? Car sa vie dépend de l’âme de celui-ci. Et vos serviteurs conduiront la vieillesse de votre serviteur, notre père, avec douleur au tombeau. En effet, votre serviteur a reçu ce jeune enfant des mains de notre père, en disant : Si je ne le ramène pas auprès de vous, je resterai coupable envers vous tous les jours de ma vie. Voilà les promesses que j’ai faites à mon père, afin de pouvoir vous amener l’enfant, obéir à vos volontés, vous montrer que nous avions parlé sincèrement et qu’il n’y avait eu nul mensonge dans nos discours. Maintenant donc je resterai, esclave pour esclave, serviteur de mon seigneur : quant au jeune enfant, qu’il parte avec nos frères. (Id. 33) En effet, comment revenir auprès de mon père, sans avoir l’enfant avec nous ? Que je ne voie pas les maux qui viendront trouver mon père. (Id. 24) Ces paroles émurent vivement Joseph, et lui parurent une marque suffisante et de respect filial et d’amour fraternel. Et il ne pouvait plus se contenir, ni supporter la présence des assistants : il fait éloigner tout le monde, et demeuré seul au milieu d’eux (45,1), il pousse un cri avec un sanglot, et se fait reconnaître à ses frères. Et cela fut connu dans tout le royaume, et jusque dans la demeure de Pharaon. (Id. 2) Et il dit à ses frères : Je suis Joseph ! Mon père vit-il encore ? (Id. 3) Je ne puis m’empêcher d’admirer ici, la persévérance de ce bienheureux, comment il put soutenir son rôle jusqu’au bout, ne pas se trahir, mais ce qui m’étonne surtout, c’est que ses frères aient eu la force de rester debout, d’ouvrir encore la bouche, que la vie ne se soit pas envolée d’eux, qu’ils n’aient pas perdu la raison, qu’ils n’aient pas disparu au fond de la terre. Ses frères ne pouvaient lui répondre : car ils étaient troubles. Rien de plus naturel en se rappelant comment ils s’étaient comportés à son égard, ce que lui-même avait été pour eux, en considérant le rang illustre où il était placé, c’est presque pour leur vie qu’ils étaient inquiets. Aussi, voulant les rassurer, il leur dit : Venez près de moi. (Id. 4) Ne reculez point : ne croyez pas que votre conduite à mon égard vienne d’un dessein conçu par vous. Ce n’est pas tant l’ouvrage de votre injustice envers moi, que de la sagesse de Dieu, de son ineffable bonté : il m’a fait venir ici, afin qu’en temps opportun je pusse fournir des vivres et à vous et à tout le pays. Et il dit : Je suis Joseph, votre frère, que vous avez vendu pour qu’il fût mené en Égypte. Maintenant donc, ne vous affligez point. (Id. 5) Il ne faut pas que cela vous trouble, que vous vous reprochiez ce qui s’est passé. La providence de Dieu a tout dirigé. Car Dieu m’a envoyé en Égypte pour votre salut. Voici la deuxième année que la famine est sur la terre, et il s’écoulera encore cinq ans durant lesquels il n’y aura ni labourage ni moisson. (Id. 6) Dieu m’a fait venir ici avant vous, afin que vous puissiez avoir des vivres pour subsister. (Id. 7) Par conséquent, ce n’est pas vous qui m’avez fait venir ici, c’est Dieu. (Id. 8)
7. Ainsi, à deux et trois reprises, il cherche à apaiser leurs remords, en leur persuadant qu’ils ne sont pour rien dans sa venue en Égypte, que c’est Dieu qui a fait cela, afin de l’élever au rang glorieux où il est maintenant. C’est Dieu qui m’a envoyé, quia fait de moi comme le père de Pharaon, le maître de toute sa maison, le gouverneur de toute l’Égypte. Voilà le pouvoir que m’a valu cet esclavage, la gloire que m’a procurée cette vente, les honneurs dont cette affliction a été pour moi le principe, l’élévation où m’a porté cette jalousie. – Ce n’est pas assez d’écouter ces paroles : il faut suivre l’exemple qu’elles nous donnent et consoler de la sorte nos persécuteurs, en leur ôtant la responsabilité de nos maux, en subissant tout avec un calme parfait, comme fit cet homme admirable. Vous voilà donc bien convaincus, dit-il, que je ne vous impute point mes infortunes, que je vous décharge de tout grief et attribue tout à Dieu, à Dieu qui a tout conduit afin de m’élever à la gloire où je suis maintenant : Hâtez-vous donc de retourner auprès de mon père et dites-lui : Voici ce que mande ton fils Joseph : Dieu m’a fait maître de toute l’Égypte. Viens auprès de moi, et ne tarde pas (Id. 9) ; et tu habiteras dans la terre de Gessen, et tu seras près de moi ainsi que tes fils, les fils de tes fils, et tes brebis, et tes bœufs et tout ce que tu possèdes (Id. 10), et je te nourrirai (car la famine durera cinq ans encore), afin que tu ne périsses point avec tes fils et tous tes biens. (Id. 11) Vos yeux voient ainsi que les yeux de mon frère Benjamin, que c’est moi qui vous parle de ma bouche. Rapportez à mon père toute la gloire dont je jouis en Égypte, et tout ce que vous avez vu, et hâtez-vous de l’amener. (12) Après avoir tenu ce langage, les avoir pleinement rassurés, instruits de ce qu’ils devaient dire à.leur père, pressés de le ramener promptement, Il se jeta au cou de Benjamin (ils étaient fils de la même mère), et se mit à pleurer, et Benjamin aussi pleura sur lui, et il embrassa tous ses frères, et pleura sur eux. (Id. 14) C’est alors, après une si longue entrevue, après ces larmes, ce conseil donné, qu’ils osent enfin, non sans peine, lui adresser la parole. Après cela ils lui parlèrent. (Id. 15) Mais le bruit de cet événement arriva dans la demeure de Pharaon : il s’en réjouit, ainsi que tous ceux de sa maison. (Id. 16) Ainsi tout le monde se réjouit de cette reconnaissance de Joseph et de ses frères. Et le roi dit à Joseph : Dis à tes frères : faites ceci : remplissez vos chariots de froment, et partez. (Id. 17) Et revenez auprès de moi avec votre père : je vous, ferai part de tous lesbiens d’Égypte. (18) Mais recommande-leur de prendre ici des chars pour leurs femmes et leurs enfants. Le roi même, vous le voyez ; est tout préoccupé du voyage de Jacob. Prenez avec vous votre père, et venez ; et ne laissez rien de ce que vous possédez. Car tous les biens de l’Égypte seront à vous. (19) Ainsi firent les fils d’Israël. Joseph leur donna des chars, selon les instructions du roi. (Id. 21) Et il donna deux robes à chacun, à Benjamin trois cents pièces d’or, et cinq robes de rechange (22) ; à son père il envoya pareillement dix ânes portant des richesses d’Égypte, et dix mules chargées de pains pour le voyage. ( 23) Et quand il eut donné toutes ces choses, il congédia ses frères, et ils se mirent en route ; et il leur dit : Ne vous querellez pas et chemin. ( 24) Remarquez cette profonde sagesse. Non content de leur accorder un absolu pardon, et d’oublier leurs fautes, il les exhorte encore à ne pas se quereller en chemin, à ne pas s’adresser de reproches mutuels touchant le passé. Rappelons-nous que naguère, en présence de Joseph, ils se disaient entre eux : C’est justement ; parce que nous avons péché contre Joseph notre frère, et que nous n’avons pas été émus de sa douleur ; et que Ruben se leva alors pour dire : N’est-il pas vrai que je vous ai dit : ne faites pas de mal ci ce jeune enfant, et que vous ne m’avez pas écouté ? à plus forte raison était-il vraisemblable qu’il allait désormais les accuser. Voilà pourquoi Joseph apaise leur cœur, et réprime leur humeur querelleuse en disant : Ne vous querellez pas en chemin : songez que je ne vous ai fait aucun reproche touchant le passé, et ainsi restez en paix les uns avec les autres.
Qui pourrait donner assez d’éloges à ce juste qui sut exécuter si amplement toutes les prescriptions de sagesse renfermées dans la nouvelle loi ; qui sut accomplir, et bien au-delà, la recommandation donnée par le Christ aux apôtres : Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent ? (Mt. 5,44) C’est peu qu’il ait montré une charité si parfaite à D’égard de ceux qui l’avaient fait mourir autant qu’il avait été en eux : il ne néglige rien pour leur prouver qu’ils n’ont pas eu de tort envers lui. O comble de sagesse ! O bonté surhumaine ! O luxe d’amour divin ! Est-ce que c’est vous, leur dit-il, qui m’avez infligé ce traitement ? C’est la sollicitude de Dieu à mon égard quia permis ces choses, afin de faire aboutir mes songes, et de vous assurer dans ma personne un puissant protecteur. Ainsi donc les tribulations, les épreuves sont un gage de l’infinie providence et sollicitude du Dieu de bonté pour nous. En conséquence, ne demandons point le repos et la sécurité à tout prix : mais soit au sein du repos, soit au milieu des épreuves, ne cessons pas d’envoyer là-haut le tribut de notre gratitude, afin que la vue de notre sagesse rende notre Maître encore plus prodigue pour nous de sa sollicitude, de laquelle puissions-nous tous être favorisés, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

SOIXANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE.

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« Et ils revinrent d’Égypte, et ils arrivèrent dans le pays de Chanaan auprès de leur père, et ils lui firent leur rapport, disant : Ton fils Joseph est en vie, et il commande à toute la terre d’Égypte. Et Jacob demeura stupéfait, car il ne les croyait pas. » (Gen. 45,25-26)

ANALYSE.

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  1. Allégresse de Jacob.
  2. Dieu l’encourage à partir. Sa joie en revoyant Joseph.
  3. Intelligence de Joseph. La famille de Jacob s’établit en Égypte.
  4. Comment il sait faire tourner au profit de son maître la détresse publique. Ses égards pour les prêtres. Exemple à suivre, surtout pour des chrétiens.
  5. Continuation du même sujet. Exhortation à compter sur la Providence.

1. Vous avez vu, par notre discours d’hier, la profonde sagesse de Joseph et l’inexprimable patience dont il fit preuve à l’égard de ses frères ; comment, non content de ne faire aucune allusion à leur conduite envers lui, il était allé, au moment où ils s’apprêtaient à retourner auprès de leur père, jusqu’à leur conseiller, les conjurer de ne pas s’accuser mutuellement au sujet du traitement qu’ils lui avaient fait subir, de bannir d’au milieu d’eux tout ressentiment et de faire leur voyage en bonne intelligence. – Il nous faut aujourd’hui reprendre la suite de cette histoire, afin de nous représenter et le retour des voyageurs auprès de leur père, et la venue de Jacob en Égypte : et comment ce vieillard rajeunit, reverdit pour ainsi dire, en apprenant ce qui concernait Joseph. Qui pourrait, en effet, représenter par des paroles, la joie qu’il ressentit alors, en recevant la nouvelle que Joseph était vivant et au comble des honneurs ? Vous n’ignorez pas, sans doute, ce que l’imprévu ajoute de charmes au bonheur. – Celui qu’il croyait dévoré par les bêtes sauvages, il y avait bien des années, voici qu’il le savait maître de l’Égypte entière ; comment l’excès de l’allégresse n’aurait-il pas jeté son âme dans la stupeur ? Car une joie trop vive a souvent les mêmes effets qu’une extrême douleur. Souvent on voit des gens verser des larmes à la suite d’une joie excessive ; d’autres rester comme frappés de la foudre en présence d’un événement inespéré, en revoyant subitement en vie ceux qu’ils croyaient morts. – Mais mes paroles deviendront plus claires quand nous aurons écouté le texte lui-même. Et ils revinrent d’Égypte, et ils arrivèrent dans le pays de Chanaan, auprès de Jacob leur père, et ils lui firent leur rapport, disant : Ton fils Joseph est en vie, et il commande à toute la terre d’Égypte. Et Jacob demeura stupéfait, car il ne les croyait pas. Voyez-vous que mes paroles se vérifient ? Ce qu’on lui rapporte touchant Joseph lui parait incroyable, au point que sa raison en est tout ébranlée, et qu’il soupçonne ses enfants d’avoir voulu le tromper. En effet, ces mêmes frères qui jadis avaient rapporté une tunique teinte du sang d’un chevreau, et l’avaient montrée à leur père afin de lui faire croire que Joseph était devenu la proie des bêtes féroces, ce sont eux qui viennent dire aujourd’hui : Joseph est en vie et il commande à toute l’Égypte. – Troublé, stupéfait, il se demandait en lui-même comment la raison pouvait admettre cela ; car, si le premier rapport avait été vrai, le second n’était pas croyable ; et si le dernier était croyable et vrai, l’autre n’avait donc été qu’un mensonge ; et ce qui le déconcertait le plus, c’était que la première nouvelle lui était venue de ses fils, et qu’il recevait de la même source une autre nouvelle toute contraire. Eux, voyant le trouble où était leur père, et voulant le convaincre pleinement de la vérité de leurs paroles, ils lui répétèrent les propos de Joseph et tout ce qu’il leur avait dit. (Id. 27) À ces paroles, ils joignirent les autres commissions dont Joseph les avait chargés, les chars et les présents qu’il envoyait à son père ; par là, ils purent enfin convaincre Jacob que leur récit n’était pas mensonger. En voyant les chars dépêchés pour l’emmener en Égypte, son feu se ralluma, dit l’Écriture. Ce vieillard caduc et décrépit, voici qu’il rajeunit dans son allégresse. Son feu se ralluma. Qu’est-ce à dire ? Comme on voit la lumière d’une lampe près de s’éteindre faute d’huile pour l’alimenter, tout à coup, pour peu qu’on y verse une goutte d’huile, renaître et briller d’un plus vif éclat, de même ce vieillard, à la veille de s’éteindre au souffle du chagrin (Il n’avait pas voulu être consolé, disant : Je descendrai avec mon deuil au tombeau. Gen. 37,35), ce vieillard donc, à la nouvelle que son fils est en vie et qu’il commande à l’Égypte, à la vue de ces voitures, sent son feu se rallumer, pour parler comme l’Écriture, retrouve sa jeunesse, éclaircit son front assombri par la tristesse, et chassant de son âme la tempête qui l’avait bouleversée, jouit dès lors d’un calme parfait, grâce à la providence de Dieu qui avait conduit toutes ces choses pour faire trouver au juste une consolation après tant d’épreuves et l’associer à la prospérité de son fils ; et d’autre part, pour amener à réalisation le songe que Jacob lui-même avait expliqué en disant : Est-ce que nous en viendrons, ta mère, tes frères et moi, à nous prosterner devant toi jusqu’à terre ? (Gen. 37, 10) – Enfin, dès qu’il en croit ses yeux et ses oreilles : Grand est mon bonheur, dit-il, si mon fils Joseph est en vie : j’irai et je le verrai avant de mourir. Grand est mon bonheur : il surpasse toute, imagination, il éclipse toute joie humaine. Si mon fils est en vie, j’irai donc et je le verrai. Hâtons-nous donc, afin qu’il me soit donné de le revoir avant de mourir. Aujourd’hui cette nouvelle a ranimé mon cœur, a chassé loin de moi les infirmités de la vieillesse, a rendu la force à mon âme. Mais s’il m’était encore donné de le voir, ma joie serait parfaite, et je pourrais alors quitter la vie. Aussitôt, sans perdre un moment, le juste se met en route, dans sa hâte, dans son empressement de revoir son bien-aimé, et de contempler celui qui était mort depuis tant d’années, que les bêtes avaient dévoré, à ce qu’il croyait, en possession du gouvernement de l’Égypte. Et s’étant rendu au Puits du serment (46, 1), après avoir adressé des actions de grâces au Seigneur, il offrit un sacrifice au Dieu de son père Isaac.

2. Apprenons par cet exemple, quelle que soit l’affaire qui nous préoccupe, une entreprise, un voyage, à offrir tout d’abord au Seigneur le sacrifice de prière, à ne pas nous mettre à l’œuvre avant d’avoir invoqué son appui, à imiter enfin la piété de ces justes. Il offrit un sacrifice au Dieu de son père Isaac : c’est pour vous faire entendre qu’il marchait sur les traces de son père, et qu’il servait Dieu à la manière d’Isaac. Et il n’eut pas plus tôt témoigné sa reconnaissance par ses actions de grâces, qu’il sentit les effets de la faveur d’en haut. Considérant la longueur du voyage et sa vieillesse, il craignait que la mort ne vînt le surprendre avant la rencontre qui devait le faire jouir de la vue de son fils. Il conjure donc le Seigneur de prolonger sa vie jusqu’à ce qu’il ait goûté ce bonheur parfait. Et voyez comment le bon Dieu exauce pleinement ce juste. Dieu dit à Israël dans une vision de nuit : Jacob ! (Id. 2) Je suis le Dieu de tes pères : Ne crains point de partir pour l’Égypte, car je t’y rendrai le chef d’un grand peuple. (Id. 3) Je partirai avec toi, et je te ramènerai, et Joseph te fermera les yeux de ses mains. (Id. 4) Voyez comment le Seigneur promet au juste ce qu’il désire, ou plutôt bien au-delà. Dans sa générosité il enchérit sur nos demandes, fidèle à son amour pour les hommes. Ne crains point de partir pour l’Égypte. Jacob était inquiet à cause de la longueur du voyage ; Dieu lui dit : Ne te laisse point arrêter par l’infirmité de la vieillesse. Je t’y rendrai le chef d’un grand peuple, et je partirai avec toi pour l’Égypte. Je t’assisterai, j’aplanirai devant toi tous les obstacles ; Remarquez l’affabilité de cette parole : Je partirai avec toi pour l’Égypte. Quel bonheur plus complet que celui d’avoir Dieu pour compagnon de voyage ? Puis la consolation dont le vieillard avait surtout besoin ; Joseph te fermera les yeux de ses mains. Ce bien-aimé, lui-même aura soin de toi, il te fermera les yeux. Sois donc en joie et sans alarmes, et mets-toi en route. Voyez maintenant avec quelle allégresse le juste accomplit ce voyage, rassuré qu’il est par la promesse divine. Jacob se leva, et ses fils avec lui. (Id. 5) Et ils prirent tous leurs biens et vinrent en Égypte. (Id. 6) Soixante-six âmes le suivirent en Égypte. (Id. 7) Et Joseph avec les fils qui lui étaient nés faisait neuf personnes ; de sorte qu’en tout, il y avait avec Joseph soixante-quinze âmes. Dans quel but la divine Écriture nous marque-t-elle ce nombre avec exactitude ? C’est pour nous faire savoir comment se réalisa la prédiction divine, ainsi conçue : Je t’y rendrai le chef d’un grand peuple. (Exo. 12,37) Car, la race d’Israël, qui avait commencé par ces soixante-quinze âmes, s’accrut jusqu’au nombre de six cent mille. Voyez-vous comment ce n’est point au hasard ni sans motif que l’auteur sacré nous fait connaître le nombre des personnes qui vinrent s’établir en Égypte ; il veut nous faire mesurer par là le développement que prit cette famille et nous enseigner à ne pas douter des promesses de Dieu. Songez seulement qu’après la mort de Jacob, le roi des Égyptiens, malgré tous ses efforts pour limiter la multiplication de cette race et en arrêter la propagation, ne put y réussir, qu’elle ne fit au contraire que croître et s’augmenter encore ; et puis, restez frappés d’admiration en face de la Providence de Dieu qui réalise infailliblement ses décrets, quelques obstacles qui s’y opposent. Mais considérons toute la suite, afin de voir comment Jacob jouit enfin de cette heureuse réunion. Quand il approcha de l’Égypte, il dépêcha Juda devant lui auprès de Joseph, afin de lui faire savoir que son père arrivait. (Id. 28) À cette nouvelle, Joseph ayant fait atteler son char, alla à la rencontre de son père, et, quand il fut en sa présence, il se jeta et son cou, et répandit des larmes abondantes. (Id. 29) Voilà ce que je disais en commençant, que l’excès de la joie arrache souvent des larmes. Il se jeta à son cou et pleura, que dis-je ? il répandit des larmes abondantes. Car aussitôt il se rappelle et ses propres infortunes, et ce que son père a souffert à cause de lui ; il songe à la longueur du temps écoulé, et comment c’est contre toute espérance qu’il revoit son père, que son père le revoit, et il verse un torrent de larmes, tout à la fois manifestant l’excès de son allégresse, et rendant grâces au Seigneur de ce qui était arrivé. Et Jacob dit d Joseph : Je puis mourir à présent ; puisque j’ai vu ton visage. Car tu vis encore. (Id. 30) J’ai obtenu ce que je désirais ; j’ai goûté un bonheur auquel je ne m’attendais plus ; ce que j’avais cessé d’espérer se réalise ; j’ai assez vécu, car j’ai vu celui que je pleurais, et il suffit à mon plein contentement de savoir que tu vis encore, toi que je croyais mort depuis longtemps et dévoré par les bêtes féroces. C’est la parole d’un père, parole pleine de tendresse, et propre à manifester le trésor d’affection qui était en réserve dans son âme. Et Joseph dit à ses frères : J’irai annoncer cette nouvelle à Pharaon, je lui dirai : Mes frères sont venus, ce sont des bergers. (Id. 31) Ce sont des éleveurs de troupeaux et ils amènent leurs bêtes et leurs bœufs. (Id. 32) Si donc Pharaon vous mande et dit : Quel est voire métier ? Répondez (Id. 33) : Nous sommes éleveurs de troupeaux. Car tout pasteur de brebis est un objet d’abomination pour les Égyptiens. (Id. 34)

3. Voyez son intelligence dans le conseil qu’il leur donne ; ce n’est point à la légère qu’il leur prescrit ainsi la conduite à suivre ; c’est tout à la fois pour leur procurer plus de sécurité, et afin qu’ils ne se confondent point avec les Égyptiens. Comme les Égyptiens abhorraient et méprisaient les hommes adonnés à la vie pastorale, en tant qu’adonnés eux-mêmes à l’étude des sciences de leur pays, Joseph conseille à ses frères de faire profession de ce métier, afin d’avoir lui-même un prétexte honnête de leur assigner en propre la plus belle portion de la contrée où ils vivraient sans être inquiétés. Et ayant pris avec lui cinq de ses frères, il les introduisit auprès de Pharaon. (47, 2) Et Pharaon leur demanda : Quel est votre métier ? Ils répondirent : Nous sommes éleveurs de troupeaux. (Id. 3) Ainsi nous habiterons maintenant dans la terre de Gésem. (Id. 4) Pharaon dit : Qu’ils y habitent. Mais si tu connais quelques-uns d’entre eux qui soient des hommes capables, établis-les intendants de mes troupeaux. (Id. 6) Ainsi les frères de Joseph ayant répondu suivant ses avis à Pharaon, obtinrent la permission d’habiter le pays de Gésem. De plus, Pharaon voulant montrer sa bienveillance pour Joseph, ajoute : Si tu connais parmi eux quelques hommes capables, établis-les intendants de mon bétail. Joseph introduisit aussi son père devant Pharaon. (Id. 7) Et Pharaon dit à Jacob : Combien d’années les jours de ta vie font-ils? (Id. 8) Voyant ce vieillard à cheveux blancs, il s’informe de son âge. Et Jacob répondit : Les jours des années de ma vie depuis que j’habite ici-bas… (Id. 9) Ainsi chacun des justes se considérait dans cette vie comme en pays étranger. David dira de même : Je suis étranger et exilé sur la terre. (Psa. 38,13) Et Jacob dit ici : Les jours des années de ma vie depuis que j’habite ici-bas. Aussi Paul disait-il de ces justes qu’ils faisaient profession d’être étrangers et exilés sur la terre. (Heb. 11,31) Les jours des années de ma vie depuis que j’habite ici-bas, font cent-trente années courtes et misérables, et ils ne sont point arrivés au nombre des jours qu’ont vécu mes pères. Les années que j’ai passées ici-bas ont été courtes et misérables ; par là, il fait allusion aux années de l’esclavage qu’il avait enduré chez Laban, par suite de l’exil auquel son frère l’avait forcé ; ensuite au long deuil que lui avait causé après son retour la mort de Joseph, et aux autres infortunes qui l’avaient assailli dans l’intervalle. En effet, quelles n’avaient pas dû être ses alarmes, quand, pour venger leur sœur, Siméon et Lévi saccagèrent la ville de Sichem, exterminèrent ses défenseurs et emmenèrent en captivité le reste des habitants. (Gen. 34,25) Il disait alors, manifestant les angoisses qui l’agitaient : « Vous m’avez rendu odieux, de sorte que je serai un méchant aux yeux des habitants de la terre ; car ma famille est peu nombreuse. Ils se réuniront contre moi pour me massacrer, et je serai exterminé avec ma maison. » (Gen. 34,30) Voilà ce qui lui fait dire : Les jours des années de ma vie ont été courts et misérables. Et Joseph installa son père et ses frères, et leur donna un domaine au pays d’Égypte, dans la terre de Ramessé, qui était la plus fertile, selon les ordres de Pharaon (Id. 11) ; et Joseph distribua du blé par tête à son père, à ses frères, et à toute la maison de soit père. (Id. 12) On se rappelle, en effet, ce qu’il avait dit à ses frères : Dieu m’a envoyé ici avant vous, afin que vous puissiez avoir des vivres pour subsister. (Gen. 45,7) et encore : Dieu m’a envoyé ici avant vous, afin que vous viviez. (Gen. 45,5) Il leur distribuait donc du blé par tête.

Qu’est-ce à dire par tête ? C’est-à-dire à chacun ce qui lui était nécessaire. Car l’Écriture désigne l’homme tout entier tantôt par son corps, tantôt par son âme. Plus haut, elle disait : Jacob vint en Égypte avec soixante-quinze âmes ; pour désigner soixante-quinze hommes ou femmes ; ici, elle dit par tête pour dire par personne. Et quand toute l’Égypte et tout Chanaan souffraient de la faim, la famille de Jacob avait du blé en quantité, comme si elle était à la source de l’abondance. Le blé manquait par toute la terre ; en effet, la disette sévit fortement. La terre d’Égypte et celle de Chanaan furent épuisées par la disette. (Id. 13)

4. Considérez l’ineffable providence de Dieu, et comment il amena le juste en Égypte, avant que la famine eût redoublé, pour qu’il n’eût aucun sentiment de la détresse qui allait affliger la terre de Chaman. Et comme tout le monde accourait en Égypte, Joseph amassa tout l’argent de ceux qui étaient en Égypte et en Chanaan, et ainsi il leur fournissait du blé. (Id. 14) Et l’argent vint ensuite à manquer, car il avait tout amassé dans le palais de Pharaon. Et tous les Égyptiens venaient dire Donne-nous du pain : pourquoi mourons-nous en ta présence ? L’argent nous fait défaut. (Id. 15) Nous n’avons plus de quoi acheter et à cause de cela nous mourons de faim. Ne nous délaisse pas tandis que la mort nous assiège : fournis-nous du pain, afin que nous demeurions en vie. Et Joseph leur dit : Amenez vos troupeaux et je vous donnerai du pain. (Id. 16) Si vous manquez d’argent, je reçois aussi le bétail. Si l’argent vous fait défaut, conduisez ici vos troupeaux, et vous aurez du pain. Ils amenèrent donc leurs troupeaux, et reçurent de Joseph du pain en échange de leurs chevaux, de leurs brebis, de leurs bœufs, de leurs ânes, et il les nourrit pour la valeur de leurs bestiaux. (Id. 17) Et ils revinrent auprès de lui la seconde année, et lui dirent : Ne nous laisse point périr, faute d’argent et de bestiaux, tout est allé à notre maître. Il ne nous reste plus rien, hormis notre personne et nos terres. (18) Ainsi donc, pour que nous ne mourions point, achète-nous avec nos terres contre du pain, et nous serons, nous et nos terres, serfs de Pharaon. Donne-nous du grain pour semer et pour vivre : ainsi nous ne mourrons point, et la terre ne sera pas dépeuplée. (Id. 19) Ils se réduisent eux-mêmes en servitude, ils vendent leurs terres, afin de pouvoir subsister : telle était la détresse causée par la famine. Et Joseph acheta les terres des Égyptiens pour Pharaon. Car ils les lui vendirent contraints par la famine. Et les terres appartinrent à Pharaon.(Id. 20) Et il s’asservit le peuple en qualité d’esclaves, depuis une extrême frontière d’Égypte, jusqu’à l’autre (Id. 21), les terres des prêtres exceptées. Car aux prêtres Pharaon donna des vivres, et ils mangeaient : aussi ils ne vendirent point leurs terres. (Id. 22) Voyez combien de sagesse et d’intelligence chez Joseph. Il ne permit pas que le peuple ressentît la faim, et en même temps il assura à Pharaon la propriété de toutes les terres avec autant de serviteurs qu’il y avait d’Égyptiens. Et veuillez remarquer la sollicitude extrême qu’il leur témoigne. Il dit aux Égyptiens : Voilà que je vous possède aujourd’hui ainsi que vos terres pour le compte de Pharaon. Prenez maintenant du grain, et ensemencez la terre ; et si elle donne des fruits, vous donnerez la cinquième partie de la récolte à Pharaon ; les quatre autres parties seront à vous pour ensemencer la terre, et pour vous nourrir ainsi que vos familles. (Id. 23, 24) Noble générosité, grande prévoyance, inexprimable sollicitude. Aussi les Égyptiens, touchés de cette bienfaisance, disent-ils : Tu nous a sauvés, nous avons trouvé grâce devant notre maître, et nous serons serviteurs de Pharaon. (Id. 25) Vous avez observé la libéralité de Joseph : il voit ces hommes épuisés de besoin, et se représentant les peines et les maux que va leur causer le labourage, il dit : Je vous fournirai le grain ; vous, donnez tous vos soins. Et s’il vient des fruits, vous en livrerez le cinquième : les quatre autres cinquièmes seront pour vous, comme le salaire (le vos fatigues, et pour fournir à vos besoins. Et tel fut l’ordre que leur donna Joseph, de réserver le cinquième à Pharaon, les terres des prêtres exceptées. (Id. 26)
Écoutez, hommes d’aujourd’hui, quels privilèges étaient accordés autrefois aux prêtres des idoles : et apprenez à conférer au moins des honneurs égaux, à ceux à qui est confié le culte du Dieu de l’univers. Si des hommes égarés, qui faisaient profession d’adorer les idoles décernaient de pareilles prérogatives à leurs ministres, parce qu’ils y voyaient le meilleur moyen d’honorer les idoles, quelle condamnation ne méritent pas ceux qui retranchent aux prêtres d’aujourd’hui une partie de leurs honneurs ? Ne savez-vous pas que ces hommages ne font due passer par leurs mains pour arriver au Maître de l’univers ? Ne considère donc point celui qui reçoit l’hommage. Ce n’est pas pour lui que vous devez remplir vos obligations : c’est pour celui dont il est prêtre, si vous voulez que celui-là même vous dédommage magnifiquement. De là ces paroles : Celui qui a fait quelque chose à un de ceux-ci, l’a fait à moi-même, et encore : Celui qui reçoit un prophète en qualité de prophète, recevra la récompense d’un prophète. (Mt. 25,40 ; 10, 41) Est-ce sur le mérite ou l’indignité de ceux que vous honorez que le Seigneur mesurera votre récompense ? C’est d’après votre zèle qu’il vous couronne ou vous condamne. Et de même que les hommages qui passent par ce canal procurent un grand crédit (en effet, Dieu prend pour lui le bien qu’on fait à ses ministres), ainsi le mépris de ces mêmes personnes sera frappé là-haut d’un rigoureux châtiment. En effet, si Dieu prend pour lui les honneurs, il prend aussi le mépris. Convaincus de cette vérité, gardons-nous de manquer à nos devoirs envers les prêtres de Dieu. Et si je parle de la sorte, ce n’est pas tant dans leur intérêt que dans celui de vos charités, et pour que vous ne négligiez aucun moyen d’augmenter votre richesse. En effet, quand égalerez-vous par vos dons ceux que vous recevez du Seigneur ? quels devoirs si grands rendez-vous ? Néanmoins, si peu de chose que ce soit, si périssables que soient vos offrandes, vous en serez rémunérés par des récompenses immortelles et par des biens ineffables.
5. En conséquence, bâtons-nous de leur prêter ce concours ; en songeant moins à la dépense qu’au profit et au revenu qu’elle nous rapporte. Voyons-nous, en effet, un homme étroitement lié avec un personnage haut placé dans le monde, nous avons hâte de lui témoigner la plus grande déférence, pensant que les hommages rendus au client seront transmis par lui à son patron, que le client, en nous signalant au patron, augmentera sa bienveillance à notre égard : à plus forte raison en sera-t-il ainsi pour ce qui regarde le maître de l’univers. A-t-on montré de la bonté et de la compassion pour le premier venu de ces mendiants dont la place publique est jonchée, le Maître prend le bienfait à son comble, et promet l’entrée du royaume des cieux à ceux qui ont fait quelque bien à ces infortunés ; Venez ici, leur dira-t-il, les bénis de mon père, parce que j’ai eu faim, et que vous m’avez donné à manger. (Mt. 25,34) Dès lors, comment celui qui aura traité honorablement ceux qui souffrent pour Dieu et qui sont décorés de la prêtrise, comment celui-là n’obtiendrait-il pas une récompense, je ne dis pas égale à ce qu’il aura fait, mais bien supérieure, car le bon Dieu est assez riche pour rester toujours au-dessus de ce que nous pouvons faire ? Ainsi donc, prenons garde de nous montrer pires que ces infidèles qui dans leur zèle pour l’erreur témoignent tant de déférence aux ministres des idoles : au contraire, que nos hommages surpassent ceux des idolâtres autant que la vérité est au-dessus de l’erreur, et les prêtres de Dieu au-dessus des prêtres des idoles, si nous voulons que le ciel nous dédommage au centuple. Je continue : Jacob s’établit en Égypte : ils prospérèrent et se multiplièrent beaucoup. C’est l’exécution de la promesse que Dieu avait faite à Jacob : Je t’y rendrai le chef d’un grand peuple. Et Jacob vécut encore dix-sept ans. Et les jours de Jacob firent un nombre de cent quarante-sept ans. (Id. 20) Si Dieu lui accorda ce surcroît considérable de jours, c’est afin que, avant de mourir, il recueillît une consolation suffisante des infortunes qu’il avait endurées durant toute son existence.
Mais, si vous le voulez, afin de ne pas encombrer votre mémoire, nous réserverons pour demain, ce qu’il nous reste à dire, et nous terminerons ici ce discours, après avoir exhorté vos charités à prêter une exacte attention à nos paroles, à en conserver un souvenir durable, à les repasser continuellement en esprit, à se représenter la patience de ces justes, leur longanimité, la foi qu’ils montraient à l’égard des promesses de Dieu, sans se laisser troubler par les accidents qui pouvaient survenir ensuite, la résignation avec laquelle, confiants dans la puissance de Celui qui leur avait donné sa parole, ils enduraient toutes les épreuves, et en sortaient à leur gloire. Par exemple, ce juste qui avait pleuré durant tant d’années la mort de Joseph, ce même juste le vit souverain maître de l’Égypte : et cet admirable Joseph, après avoir passé par la servitude, la captivité et tant d’autres infortunes, Joseph fut investi d’un pouvoir absolu sur tout le pays. Que si nous voulions passer en revue toutes les histoires qui sont racontées dans l’Écriture, nous trouverions que tous les hommes vertueux ont marché par la voie des tentations, et que c’est par là qu’ils ont pu attirer sur eux en abondance les grâces d’en haut. Par conséquent, si nous voulons, nous aussi, mériter la bienveillance divine, ne perdons point courage dans les tentations, endurons sans nous plaindre tous les accidents. Mais plutôt, soutenus par la foi, réjouissons-nous, soyons heureux, dans la persuasion que le meilleur moyen, pour nous, d’obtenir l’appui de la Providence, c’est de nous appliquer à rendre grâces de tout ce qui nous arrive. – Puissions-nous tous, après avoir passé dans la vertu ta vie présente, être admis au partage des biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

SOIXANTE-SIXIÈME HOMÉLIE.

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« Le temps de la mort d’Israël approchait, il appela son fils Joseph et lui dit ; Si j’ai trouvé grâce devant toi, place ta main sous ma cuisse, jure-moi que tu me feras une faveur et que tu me tiendras parole : ne m’enterre point dans la terre d’Égypte. Je veux reposer à côté de nos pères ; tu me transporteras hors de l’Égypte, et tu m’enseveliras dans leur tombeau. – Joseph répondit : J’accomplirai tes volontés. – Jure-le-moi, dit Israël. Et il le jura. Et Israël s’inclina profondément devant, le bâton de commandement que portait Joseph. » (Gen. 47,29-31)

ANALYSE

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  • 1. Pourquoi Jacob voulut être enseveli dans sa patrie. : Mourir sur une terre étrangère n’a rien de malheureux. Précieuse est devant le Seigneur la mort de ses saints. Saint Jean-Baptiste, décollé, saint Paul de même, saint Pierre crucifié la tête en bas. – 2. Que la vie présente est une mène. Israël s’incline devant son fils Joseph, Explication des versets 1-12 du chap. XLVIII. – 3. Verset, 13-20. Jacob voyait des yeux de l’âme. Les yeux de la foi plus pénétrants que ceux du corps. – 4. Les richesses font obstacle à la vertu.


1. Finissons aujourd’hui l’histoire de Jacob et voyons quels ordres il donne au moment où il va quitter la pie : N’allons pas, en jetant les yeux sur l’état présent des choses, exiger des justes qui vivaient alors, ce que les fidèles doivent pratiquer aujourd’hui : mais jugeons d’après les temps et les circonstances. Ce préambule se rapporte aux paroles du patriarche à son fils Joseph. Écoutons quelles sont ses dernières dispositions : Le temps de la mort d’Israël approchant, il appela son fils Joseph et lui dit : Si j’ai trouvé grâce devant toi, place ta main sous ma cuisse ; jure-moi que tu me feras une faveur et que tu me tiendras parole ; ne m’enterre point dans la terre d’Égypte. Je veux reposer à côté de mes pères ; tu me transporteras hors de l’Égypte, et tu m’enseveliras dans leur tombeau. Joseph répondit : J’accomplirai tes volontés. Jure-le-moi, dit Israël. Et il le jura. Et Israël s’inclina profondément devant le bâton de commandement que portait Joseph.
Beaucoup de gens dont les sentiments sont peu élevés, lorsque nous les exhortons à ne pas tenir grand compte du lieu de leur sépulture, et à regarder comme une affaire de peu d’importance dise les restes des morts soient ramenés d’une terre étrangère dans leur patrie, nous opposent ce récit, et nous disent que ce fut l’objet des soucis même d’un patriarche. Mais d’abord, comme je me suis hâté de le dire, il faut considérer que l’on ne doit pas exiger des patriarches qui vivaient alors au tant de sagesse que des fidèles de nos jours ; ensuite, ce n’était pas sans motif que ce juste voulait que ses ordres fussent exécutés : c’était pour entretenir dans lé cœur de ses enfants le doux espoir, qu’un jour eux aussi retourneraient dans la terre promise. Et son fils nous apprend d’une façon plus claire que c’était là son intention, lorsqu’il dit : Dieu vous visitera, et alors vous emporterez d’ici mes ossements. (Gen. 1,24) Pour comprendre qu’ils prévoyaient tous deux l’avenir par les yeux de la foi, écoutez Israël s’écrier déjà que la mort est un sommeil ; il dit en effet Je dormirai à côté de mes pères. C’est pourquoi saint Paul disait : Tous ces patriarches sont morts dans la foi, quoiqu’ils n’aient pas reçu l’effet de la promesse, mais ils l’ont vu, et l’ont salué de loin. (Héb. 11,13) Et comment ? Ils l’ont vu par les yeux de la foi. Que l’on ne regarde donc pas cette dernière volonté comme de la pusillanimité, mais que l’on considère l’époque et la prévision qu’il avait de leur prochain retour, et qu’on absolve ce juste de toute accusation. Mais maintenant que les préceptes de la sagesse se sont accrus depuis la venue du Christ, on aurait raison de blâmer celui qui ferait de semblables recommandations.
Il ne faut pas regarder comme malheureux celui qui meurt sur la terre étrangère, ni celui qui sort de cette vie dans la solitude. Non, ce n’est pas celui-là qui mérite qu’on le plaigne, c’est celui qui est mort dans le péché, quand même il aurait rendu le dernier soupir, étendu sur son lit, dans sa maison, et entouré de ses amis. Et qu’on ne vienne pas me tenir ce langage, aussi froid que ridicule et insensé Cet homme est mort plus misérablement qu’un chien, aucune de ses connaissances n’assistait à ses derniers moments, et n’a pu lui fournir une sépulture, mais c’est au moyen d’une quête à laquelle ont contribué un grand nombre de personnes qu’on a pu suffire aux frais doses funérailles, Non, ô homme, ce n’est pas là finir plus misérablement qu’un chien. Quel dommage en a-t-il ressenti ? Il n’y a qu’une mort qui soit misérable, c’est de mourir sans être couvert du manteau de la vertu. Et pour nous prouver qu’une pareille mort ne déshonore en rien l’homme vertueux, sachez que nous ignorons même où la plupart des justes, je veux parier des prophètes et des apôtres, à l’exception d’un petit nombre, ont été ensevelis. Les uns en effet ont eu la tête tranchée, les autres ont expiré sous une grêle de pierres, d’autres enfin, enflammés par leur piété, se sont livrés à mille supplices différents, et ont tous péri martyrs de leur amour pour le Christ qui oserait dire que leur mort est ignominieuse ? Écoutons plutôt ces paroles de la sainte Écriture La mort des saints est précieuse devant les yeux dit Seigneur. (Ps. 115, 15) Et si elle déclare que la mort des saints est précieuse, entendons-la maintenant, quand elle dit que la mort des pécheurs est misérable. La mort des pécheurs, dit-elle, est misérable. (Ps. 33,22) Aussi quand même un homme mourrait dans sa maison, assisté de sa femme et de ses enfants, entouré de ses amis et de ses connaissances, s’il n’est pas vertueux, sa fin sera misérable. Mais en retour celui qui meurt sur un sol étranger, dont le corps gît étendu sur les pavés ; que dis-je ? sur le sol étranger et sur les pavés ! celui-là même qui tombe entre les mains des brigands ; qui devient la proie des bêtes sauvages, s’il est doué de vertu, sa mort sera précieuse. Dites-moi, le fils de Zacharie n’a-t-il pas eu la tête tranchée ? Étienne, qui le premier a ceint la couronne du martyre, n’a-t-il pas été lapidé ? Quant à Paul et à Pierre, le premier n’a-t-il pas eu la tête tranchée ? l’autre n’a-t-il pas subi le supplice de la croix, attaché au gibet en sens contraire de son Maître ? N’est-ce, pas précisément à cause d’une telle mort que leurs louanges sont chantées et célébrées par toute la terre ?
2. Après toutes ces considérations, ne regardons pas comme malheureux ceux qui meurent sur la terre étrangère, n’estimons pas heureux ceux qui finissent leurs jours dans leur maison ; mais plutôt, suivant les paroles de la sainte Écriture, heureux ceux qui ont vécu dans la vertu et meurent dans les mêmes dispositions ; malheureux ceux qui meurent dans le péché ! Car que l’homme vertueux passe dans un monde meilleur pour y recevoir le prix de ses travaux, au contraire l’homme pervers voit commencer aussitôt son supplice, et forcé de rendre compte de ses actions, il est condamné à des souffrances intolérables.
Aussi faut-il que nous y réfléchissions, que nous cultivions la vertu, et que nous combattions dans cette vie comme dans une palestre, afin que, une fois le théâtre évacué, nous puissions attacher à notre front la couronne éclatante, et que nous ne soyons pas réduits à d’inutiles repentirs. Tant que dure la lutte, il nous est possible, si nous le voulons, de secouer notre nonchalance, et d’embrasser la vertu, afin que nous puissions obtenir les couronnes qui nous sont réservées. Mais, s’il vous plaît, reprenons la suite de notre discours. Après qu’il eut fait à son fils ces recommandations sur sa sépulture, et que Joseph lui eut répondu : J’accomplirai tes volontés ; Israël lui dit : Jure-le-moi. Et il le jura. Et Israël s’inclina profondément devant le bâton de commandement que portait Joseph. Voyez ce vieillard, ce patriarche, chargé d’années, témoigner en s’inclinant devant Joseph, toute la vénération qu’il a pour lui, et accomplir ainsi la vision. Lorsque Joseph lui eut raconté sa vision, Israël lui dit : Est-ce que ta mère et moi nous viendrons nous prosterner en terre devant toi? Mais peut-être dira-t-on : Comment ce songe s’est-il accompli, puisque sa mère était morte auparavant, et qu’elle ne s’est pas prosternée devant son fils ? La coutume de l’Écriture est toujours de prendre le plus important pour faire entendre le tout. Car l’homme est la tête de la femme : ils seront tous deux, dit l’Écriture, une même chair. (1Cor. 11,3) Lorsque la tête s’est inclinée, il est évident que le corps tout entier a suivi ce mouvement. Si le père l’a fait, à plus forte raison celle-ci l’eût-elle fait, si et le n’avait pas été ravie à cette terre. Il s’inclina profondément, dit l’Écriture, devant le bâton de commandement que portait son fils. Aussi saint Paul disait-il : C’est par la foi que Jacob mourant bénit chacun des fils de Joseph et qu’il s’inclina profondément devant le bâton de commandement que portait son fils. (Héb. 11,21) Voyez-vous qu’il y était poussé par la foi ? Il prévoyait qu’il serait de race royale celui qui devait naître de sort sang. Après qu’il eut confié ses dernières volontés à son fils, Joseph apprit bientôt que son père était malade, qu’il était déjà aux portes de la mort, que sa dernière heure approchait. Il prit alors ses deux fils, et vint vers Jacob. A cette nouvelle, Israël reprit ses forces et s’assit sur sa couche. (48, 1-2) Voyez combien l’amour paternel raffermissait ce vieillard, combien l’allégresse de son âme triomphait de là faiblesse de ses membres. Ayant appris l’arrivée de son fils, il s’assit sur sa couche. Dès qu’il le voit, il lui témoigne toute l’affection qu’il a pour lui, et comme il était sur le point de mourir, il rend le courage à ses enfants en leur donnant sa bénédiction, leur laissant ainsi la plus grande des fortunes et une richesse qui ne pourrait jamais être épuisée. Voyez quelles sont ses premières paroles. D’abord il raconte la bienveillance fille Dieu a toujours eue pour lui, puis il donne sa bénédiction à ses fils, et leur dit : Mon Dieu m’est apparu à Luza, dans la terre de Chanaan, il m’a béni et m’a dit : Je te ferai croître et multiplier, je te ferai devenir une assemblée de peuples, et je te donnerai cette terre à toi, et ensuite à ta postérité qui la possédera éternellement. (Id. 3, 4) Dieu, dit-il, m’a promis, lorsqu’il m’est apparu à Luza, que ma race se multiplierait à un tel point que des nations sortiraient d’elle ; il m’a promis de me donner celle terre à moi et à ma postérité. Maintenant ces deux fils qui te sont nés en Égypte, sont aussi les miens : Ephraïm et Manassé seront à moi, comme Ruben et Siméon. (Id. 5) Ceux, dit-il, que tu as eus avant mon arrivée, je les compte au nombre de mes enfants ; et ils recevront également ma bénédiction comme ceux qui sont nés de moi. Quant à ceux que tu engendreras dans la suite, ils seront à toi, et ils porteront le nom de leurs frères dans leur héritage. Or, sache que Rachel, ta mère, est morte lorsque j’approchais de Bethléem, et que je l’ai enterrée sur la route de l’hippodrome. En voyant les fils de Joseph, il lui dit : Qui sont ceux-ci ? Ce sont, répondit-il, les enfants que Dieu m’a donnés. Jacob lui dit : Amène-les auprès de moi, afin que je les bénisse. Il les fit approcher de son père. Et il les baisa, et les embrassa. (Id. 6-10) Voyez comme ce vieillard se hâte et s’empresse de bénir les fils de Joseph : Il les fit approcher de son père. Et il les baisa et les embrassa, et dit à Joseph : Ainsi je n’ai pas été privé de ta vue, et Dieu m’a montré aussi ta postérité. (11) Dieu, dit-il, dans sa bonté m’a accordé dé grandes faveurs, de plus grandes encore que je n’en espérais, et même que je n’en aurais jamais espéré. Car non seulement je n’ai pas été privé de ta vue, mais même j’ai pu contempler ceux qui sont nés de toi. Joseph les fit retirer d’entre les genoux de son père, et ils se prosternèrent le visage en terre. (Id. 12) Voyez comment, dès l’abord, il enseigne à ses enfants à rendre à ce vieillard les honneurs qui lui étaient dus. Ensuite Joseph les fit approcher suivant l’ordre de la naissance, Manassé le premier, puis Ephraïm.
3. Considérez ce juste qui a les yeux du corps maintenant affaiblis par l’âge ( car ses yeux étaient si appesantis à cause de sa vieillesse, qu’il ne pouvait voir), mais chez qui les yeux de l’esprit ont acquis une nouvelle force, et qui prévoit déjà l’avenir par les yeux de la foi. Car il n’observa pas l’ordre dans lequel Joseph lui avait présenté ses fils, mais il changea de mains en les bénissant, et donna la prééminence air plus jeune, en préférant Ephraim à Manassé. Puis il dit : Dieu à qui mes pères ont plu. (Id. 15) Voyez l’humilité de ce patriarche, voyez quel amour il a pour son Dieu. Il n’a pas osé dire : Dieu, à qui j’ai plu. Que dit-il ? Dieu à qui mes pères ont plu. Avez-vous compris combien son cœur est plein de reconnaissance ? Et cependant, peu d’instants auparavant, en racontant sa vision, il avait dit : Dieu m’est apparu à Luva, et il m’a promis de me donner toute cette terre à moi et à ma race, et de faire devenir ma race une assemblée de peuples. Quoiqu’il ait des preuves aussi évidentes de la bienveillance de Dieu envers lui, il conserve néanmoins un cœur humble, et dit : Dieu, devant la face duquel mes pères, Abraham et Isaac, ont trouvé grâce. Puis il reprend : Dieu gui me nourrit depuis mon enfance. Considérez ici encore la grandeur de sa reconnaissance. Il ne parle pas de son mérite personnel, mais il raconte les bienfaits qu’il a reçus de Dieu, et il dit : Dieu qui m’a nourri depuis mon enfance jusqu’à ce jour. Car c’est lui-même qui a dirigé mes affaires depuis le commencement jusqu’à l’époque présente. C’est ainsi que tout récemment encore il disait : J’ai traversé le Jourdain avec mon bâton ; et maintenant je retourne avec ces deux bandes. (Gen. 32,10) il dit encore la même chose en d’autres termes : Celui qui m’a nourri depuis mon enfance jusqu’à ce jour, l’ange qui m’a délivré de tous les maux. Ce sont les paroles d’une âme reconnaissante, d’une âme qui aime Dieu et qui conserve dans sa mémoire le souvenir des faveurs divines. Celui, dit-il, à qui mes ancêtres ont plu, celui qui m’a nourri depuis mon enfance jusqu’au moment présent, qui dès le principe m’a délivré de tous les maux, qui a montré pour moi une si grande sollicitude, Celui-là bénira ces enfants ; et ils porteront mon nom et le nom de mes pères, Abraham et Isaac, et ils se multiplieront très-abondamment sur la face de la terre. (Id. 16) Voyez-vous quelle est sa sagesse, et en même temps quelle est son humilité ? Sa sagesse, parce que prévoyant l’avenir par les yeux de la foi, il a préféré Ephraïm à Manassé ; son humilité parce qu’il n’a fait aucune mention de son mérite personnel, mais qu’il s’est appuyé sur la sainteté de ses ancêtres, et sur les bienfaits que lui-même avait reçus, pour demander et implorer la bénédiction du ciel sur ses fils. C’est ainsi que qui prévoyait les événements futurs, leur donna sa bénédiction. Mais Joseph voyant le plus jeune préféré a l’aîné, en eut du déplaisir et dit : Voici le premier-né : mets ta main droite sur sa tête. Jacob refusa et dit : Je le sais, mon fils, je le sais. Le premier-né deviendra aussi un peuple, et même il sera grand ; mais une plus grande gloire est réservée à son jeune frère, et sa postérité sera une multitude de nations. (Id. 17-19) Ne crois pas, dit-il, que j’aie agi ainsi sans motif, au hasard, ou par ignorance. Je le sais, et c’est parce que je prévois les événements futurs, que j’ai donné ma bénédiction au plus.jeune. La nature, il est vrai, a donné la prééminence à Manassé, mais son frère sera plus illustre que lui, et sa postérité sera une multitude de nations. Jacob agit ainsi parce que de lui devait naître un roi. Il prédisait déjà l’avenir, c’est pourquoi il lui donna ainsi sa bénédiction. Et il les bénit, et dit : Israël sera béni en vous, et l’on dira : Que Dieu te fasse semblable à Éphraïm et à Manassé ! Et il préféra Ephraïm à Manassé. Tous deux, dit-il, seront si illustres que tous souhaiteront d’arriver à une telle gloire ; cependant Ephraïm surpassera Manassé. Voyez-vous comment la grâce divine lui révélait d’avance l’avenir, comment, animé par un souffle prophétique, il bénit les enfants de Joseph ? Car les événements qui ne devaient s’accomplir qu’après un si long temps, il les voyait comme déjà présents et placés sous ses yeux. Tel est l’esprit prophétique.

De même que les yeux du corps ne peuvent rien apercevoir de plus que les choses visibles, de même les yeux de la foi ne regardent pas les événements visibles, mais ils se représentent ceux qui doivent s’accomplir dans la suite après plusieurs générations. Et cela, vous le verrez plus exactement par les bénédictions qu’il donne à ses propres fils. Mais pour ne pas étendre notre discours, et ne pas vous imposer une trop lourde tâche, contentons-nous de ce qui a été dit, et réservons pour le discours suivant la bénédiction qu’il donna à ses enfants. Toutefois j’invoquerai votre charité pour vous exhorter à imiter ce juste, et à laisser à vos enfants des héritages, qui ne puissent recevoir de personne aucun dommage. Car souvent les richesses ont causé la ruine de ceux qui les avaient reçues, et leur ont suscité des embûches et de nombreux périls ; mais ici il n’y a jamais rien de tel à redouter. En effet c’est un trésor qui ne peut ni s’épuiser, ni se consumer c’est un trésor qui ne peut être amoindri ni par les embûches des hommes, ni par une attaque de brigands, ni par la perfidie des serviteurs, ni par aucun moyen que ce soit ; mais il nous reste continuellement, car il est spirituel, et n’est pas exposé aux embûches des hommes. Si ceux qui l’ont reçu veulent demeurer sages, il les accompagnera dans la vie future et leur préparera d’avance des tabernacles éternels. 4. Ne travaillons donc pas à ramasser des richesses, pour les transmettre à nos enfants ; mais enseignons-leur la vertu et implorons pour eux la bénédiction du ciel. C’est là, oui, c’est là la plus grande fortune, c’est une richesse ineffable, inépuisable, et qui chaque jour augmente notre bonheur. Car rien n’égale lia vertu, rien ne l’emporte sur elle ; celui-là même qui est roi et qui porte le diadème, s’il n’est pas vertueux sera plus misérable que le pauvre couvert de haillons. En quoi le diadème ou la pourpre pourra-t-elle servir à celui qui se laisse dominer par l’inertie ? Est-ce que le Seigneur connaît la différence des dignités profanes ? Est-ce qu’il se laisse fléchir par l’éclat des personnages ? Nous ne cherchons ici qu’une seule chose, c’est que par l’effet de la vertu nous puissions trouver ouvertes les portes de la confiance en Dieu ; car celui qui n’acquiert pas dès à présent cette confiance, sera rangé parmi les hommes dégradés et qui manquent de confiance. Méditons donc tous cette pensée et enseignons à nos enfants à préférer la vertu à tous les biens et à ne tenir aucun compte de l’abondance des richesses. Car ce sont elles, oui, ce sont elles qui le plus souvent font obstacle à la vertu, quand les jeunes gens ne savent pas user des richesses comme il convient. Lorsque les petits enfants s’emparent d’un couteau ou d’une épée, le plus souvent à cause de leur inexpérience, ils courent un péril évident ; aussi leurs mères ne les laissent-elles pas toucher à ces armes impunément : il en est de même des jeunes gens ; lorsqu’ils ont reçu d’immenses richesses, ils se précipitent eux-mêmes dans un danger manifeste, parce qu’ils ne veulent pas en user comme ils doivent, et dès à présent ils chargent leur conscience de lourds péchés. De là naissent la mollesse, d’absurdes voluptés et mille autres maux : non par cela seul qu’ils possèdent ces richesses, mais parce qu’ils ne savent pas en user comme il convient. Aussi un sage disait-il : Les richesses sont bonnes à celui qui n’a point de péché. (Eccl. 13,30) Abraham en effet était riche, ainsi que Job. mais leurs richesses, loir de leur causer aucun dommage, leur ont apporté une plus grande illustration. Pourquoi ? Parce qu’ils ne s’en servaient pas seulement pour leur jouissance personnelle, mais pour le soulagement des autres, venant en aide aux besoins des pauvres et ouvrant leur maison à tout étranger. Écoutons parler l’un d’eux : Si jamais quelqu’un est sorti de ma maison les mains vides et si un malheureux qui avait besoin de secours en a jamais manqué. (Job. 31,16) Et non seulement leurs richesses manifestaient leur charité pour les pauvres ; leurs soins révélaient encore leur sage bienveillance, Je servais, dit-il, de pieds au boiteux, d’yeux à l’aveugle et j’arrachais la proie aux dents de l’homme injuste. (Job. 29,15-17) Le voyez-vous veiller sur les opprimés et remplacer pour tous les infirmes leurs membres mutilés ? Imitons-le donc tous, lui qui avant la loi, avant la grâce, a montré une pareille sagesse, et cela, sans avoir eu de maître ni d’ancêtres vertueux ; c’est par lui-même et par la droiture, de sa raison qu’il est arrivé à ces vertueuses pratiques. Car chacun de nous possède au fond de son cœur la connaissance de la vertu, et i moins qu’on ne veuille sacrifier par faiblesse la noblesse de sa naissance, on n’en sera jamais privé. Puisse chacun de nous embrasser cette vertu, la cultiver avec zèle et obtenir les biens qui sont promis à ceux qui aiment Dieu, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui partage, avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

SOIXANTE-SEPTIÈME HOMÉLIE.

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« Israël dit à Joseph : Voici que je meurs, et Dieu vous fera retourner de cette contrée au pays de vos pères. Je te donne de plus qu’à tes frères Sichem, que j’ai prise avec mon glaive et mon arc. » (Gen. 48,21-22)

ANALYSE.

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  • 1. Résumé de l’instruction précédente. Suite de la prophétie de Jacob. Les talents naturels sont inutiles où manquent les bonnes mœurs. Explication des versets 1-4 du XLIX\+sup e\+sup* chap. – 2. Explication des versets 5-11. – 3. Le mystère de l’Eucharistie préfiguré. Explication des versets 12-29. – 4. Suite de l’explication du texte jusqu’au verset 18 du #Rem Le chapitre. Pourquoi ces grandes lamentations qui accompagnent la mort, dans l’Ancien Testament. – 5. Fin de l’histoire de Joseph. Il console et comble de biens ses frères, il prédit, au moment de mourir, le retour des Juifs.


1. Je vous avais promis l’autre jour de terminer l’histoire de Jacob ; mais notre discours s’étant prolongé, il ne nous a pas été possible de réaliser cette promesse. Je veux donc, aujourd’hui, mettre sous vos yeux la partie qui n’a pas été traitée l’autre jour, afin que, cette fois du moins, si Dieu le permet, nous finissions notre tâche. Mais il faut d’abord rafraîchir la mémoire de votre charité, et vous fixer le point précis du sujet où s’est arrêtée notre instruction. Vous n’ignorez pas, vous vous rappelez que c’est au moment où le juste voulant bénir les enfants de Joseph, préfère Ephraïm à Manassé, nonobstant le mécontentement du père, auquel il dit ces paroles : Je le sais bien, mon fils ; celui-ci sera aussi chef dépeuple, et il sera exalté ; mais son frère qui est le plus jeune, sera plus grand que lui, et de sa race une foule de peuples sortiront. Et il les bénit en ce jour, disant : En vous sera béni Israël, et l’on dira : Que Dieu te fasse comme à Ephraïm et à Manassé ! et il mit Ephraïm devant Manassé. Parvenu à cet endroit, de peur d’encombrer votre mémoire, nous avons conclu l’instruction ; mais si bon vous semble, nous verrons la suite aujourd’hui. Israël dit à Joseph : Voici que je meurs, et Dieu sera avec vous, et Dieu vous fera retourner de cette contrée au pays de vos pères. Je le donne de plus qu’à tes frères Sichem, que j’ai prise avec mon glaive et mon arc. Après qu’il a béni les enfants, et que, dans sa prévoyance, il a préféré le plus jeune à l’aîné, voulant convaincre Joseph qu’il n’a point agi ainsi par caprice ni sans raison, mais en vue de l’avenir qui lui était révélé, il lui prédit à lui-même sa fin, lui annonce que sa famille quittera la terre étrangère pour revenir dans la contrée de Chanaan, pays de leurs pères, et joint à cela des paroles d’espérance, propres à les soulager dans leur attente. En effet, l’espérance allège toujours les peines d’ici-bas. Puis, montrant jusqu’au moment de la mort la tendresse qu’il avait pour Joseph, il lui dit : Je te donne de plus qu’à tes frères, Sichem ; indiquant assez clairement par là que son dire ne pouvait manquer de se réaliser, que ses enfants retourneraient au pays selon sa prédiction, et qu’ils hériteraient du pays de leurs pères ; à telles enseignes qu’il donnait à Joseph Sichem en héritage de plus qu’à ses frères, Sichem qu’il avait ravie aux mains des Amorrhéens avec son glaive et son arc. Qu’est-ce à dire ? C’est qu’il revendique l’expédition de Siméon et de Lévi contre ceux de Sichem, et de là ces mots : Que j’ai prise avec mon glaive et mon arc. Mais ici il ne serait pas hors de propos de rechercher pourquoi, s’il revendiquait cette action, et devait plus tard tester en ces termes, il prononce ailleurs contre Siméon et Lévi une accusation que l’Écriture nous a conservée ? En cet endroit le juste ne se contredit point ; il montre seulement la douceur de son caractère, et déclare que cette extermination s’est faite malgré lui ; en effet, non content de blâmer cet acte – lorsqu’il s’exécutait, il le réprouva quand il eut été commis. Maintenant voulant montrer sa tendresse pour Joseph, il lui cède Sichem qu’il a prise, ajoute-t-il, avec son glaive et son arc. L’action a été faite par eux, mais la ville m’appartient. Car si le père est le maître de ses enfants, à plus forte raison peut-il disposer de leurs biens ; et s’il peut en disposer, il peut aussi faire le partage à sa volonté. Voulant donc montrer sa bienveillance pour Joseph, il ne se borne point pour cela à bénir Ephraïm et Manassé, dans la même intention, il laisse Sichem à son fils à part du commun héritage. Jacob fit venir ses fils et leur dit : Réunissez-vous, afin que je vous annonce ce qui vous arrivera dans les derniers temps. (49, 1) Assemblez-vous, et écoutez votre père Israël. (Id. 2) Venez ici, leur dit-il, et apprenez de ma bouche non les choses du présent, ni celles qui doivent arriver sous peu, mais celles qui s’accompliront dans les derniers temps. Et ce n’est pas moi, à vrai dire, qui vous les révélerai, ce sera l’inspiration du Saint-Esprit. C’est grâce à elle que je puis, dès à présent, vous prédire ce qui aura lieu après une longue suite de générations. En effet, sur le point de finir mes jours, je veux en chacun de vous, comme sur une table d’airain, graver mon souvenir. Voyez maintenant comment ce juste, en présence de ses enfants réunis, observant l’ordre des générations postérieures, accompagne chaque nom de la bénédiction ou de la malédiction qui lui convient, et montre en cela même l’excellence de sa vertu. Il commence par le premier. Ruben, dit-il, mon premier-né, ma force et le chef de mes enfants, dur à supporter, dur et obstiné. (Id. 3) Considérez la sagesse du juste. Afin de renforcer l’accusation portée contre Ruben, il parle d’abord des prérogatives qu’il tient de la nature, de la préséance dont il a joui en tant que chef des enfants, et comme ayant le rang d’aîné ; puis il inscrit pour ainsi dire sur une table d’airain les péchés où il est tombé, volontairement, montrant par là que les avantages naturels ne servent de rien, si l’on n’y joint les bonnes œuvres et la vertu ; car c’est là ce qui procure la louange ou attire le blâme. Dur à supporter, dur et obstiné. Tu es déchu, lui dit-il, par ta témérité, du rang que t’avait donné la nature. Puis il enregistre jusqu’à l’espèce du péché, afin que les descendants trouvent une grande leçon propre à les détourner de toute action pareille dans la condamnation prononcée contre Ruben. Tu t’es révolté, comme l’eau ne déborde point. Car tu es monté sur le lit de ton père : alors tu as souillé la couche où tu es monté. (Id. 4) Il fait allusion au commerce de Ruben avec Balla.
2. Voyez-vous comment, parla vertu de l’intelligence que lui avait octroyée l’Esprit, il prend les devants sur cette loi de Moïse que le père et le fils ne doivent pas approcher de la même femme ? Le reproche qu’il adresse à son fils implique, en effet, cette interdiction : Tu as souillé la couche, en montant sur le lit de ton père tu as commis une action défendue. En conséquence, puisque de cette manière Tu t’es révolté, comme l’eau ne déborde point. Tu n’auras pas à te féliciter, veut-il dire, de cette criminelle entreprise, d’avoir osé, sans aucun égard pour ton père, déshonorer sa couche. L’Esprit-Saint a voulu que les générations sui vantes se gardassent de suivre un tel exemple ; voilà pourquoi il a pourvu à ce que cette accusation fût consignée par écrit. Par là, tout le monde peut apprendre et se convaincre qu’une préséance conférée par la nature est de nulle utilité, si les actes de la volonté y contredisent. Ensuite, lorsqu’il a suffisamment stigmatisé cette abominable action, il passe à Siméon et à Lévi. Siméon et Lévi ont consommé l’injustice de leur volonté. (Id. 5) Leur zèle à venger leur sueur les a poussés à cette injustice. Puis, montrant que c’est à son insu qu’ils ont exécuté leur dessein, il ajoute : Que mon âme ne vienne point dans leurs conseils, et que mon cœur ne s’appuie point sur leur réunion. (Id. 6) A Dieu ne plaise que j’aie été associé i leur dessein, que j’aie adhéré à leur injuste entreprise ! Parce que dans leur courroux ils ont tué des hommes. La raison n’a point dirigé leur courroux. Sichem eût-il été coupable, il ne fallait pas pour cela commettre un massacre général. Et dans leur fureur ils ont estropié le taureau. Il fait allusion ici au fils d’Hémor qu’il appelle taureau à cause de son âge, alors dans sa fleur. Puis, ayant rappelé leur conduite, il ajoute une malédiction et dit : Maudit soit leur courroux, parce qu’il est inexorable, et leur ressentiment parce qu’il a été implacable. (Id. 7) Il veut parler de la ruse qu’ils ont employée contre leurs ennemis, du stratagème dont ils se sont servis pour les attaquer.. Leur courroux, dit-il, est inexorable, impétueux, irréfléchi. Et leur ressentiment, parce qu’il a été implacable. En effet, c’est lorsque les Sichémites les croyaient le mieux disposés pour eux, que faisant éclater leur violente colère, ils ont fait de ce peuple leur proie et leur butin. Puis, quand il a fait le récit de leur péché, il prédit la vengeance qui doit les en punir. Je les diviserai en Jacob et les disperserai en Israël. Ils seront dispersés en tous lieux, veut-il dire, afin qu’il devienne clair pour tout le monde qu’ils sont ainsi punis de leur coupable entreprise. Juda, que tes frères te louent. (Id. 8) la bénédiction donnée à Juda est une bénédiction mystique qui nous révèle à l’avance tout ce qui doit être réalisé dans le Christ. Juda, que tes frères te louent ! En effet, c’est parce que le Christ devait naître de cette famille, selon les calculs de la Providence, que inspiré du Saint-Esprit, prophétise dès lors par ce qu’il dit touchant Juda, non seulement la descente du Seigneur parmi les hommes, mais encore le mystère, la croix, l’inhumation, la résurrection, enfin tout absolument. Juda, que tes frères te louent. Tes trains sont sur le dos de tes ennemis, et les fils de ton père t’adoreront. Il indique ainsi la soumission où ils sont destinés à vivre. C’est un lionceau que Judo. Tu es sorti dit germe, mon fils. (Id. 9) Il prédit sa royauté. Car c’est la coutume constante de l’Écriture que de désigner la puissance royale par la figure du lion. Retombé tu t’es endormi comme un lion. Qui le réveillera? Ici il a en vue la croix et le sépulcre. Qui le réveillera ? Nul n’oserait tirer un lion de son sommeil, de là ces, mots : Tu t’es endormi comme un lion. Qui le réveillera ? C’est lui-même, lui qui dit : J’ai le pouvoir de piller mon âme et le pouvoir de la reprendre. (Jn. 10,18) Puis il indique clairement l’époque où le Christ doit paraître suivant les rues de la Providence. Il ne manquera pas de rois issus de Juda, ni de chefs sortis de ses Panes, jusqu’à la venue de Celui à qui est réservé le dépôt. Et lui-même sera l’attente des nations.( 10) C’est-à-dire que le judaïsme et les princes des Juifs subsisteront jusqu’à sa venue. Et il dit très-bien jusqu’à la venue de Celui à qui est réservé le dépôt ; il parle de Celui à qui la royauté est préparée. Aussi est-il l’attente des rations. Voyez comment il parle déjà du salut futur des nations elles-mêmes. Lui-même sera l’attente des nations. Les nations attendent sa venue. Attachant à une vigne son poulain, et aux branches son ânon. (Id. 11) Par cet ânon, il désigne les nations qui seront converties. L’âne étant un animal immonde, il dit pour cette raison : Ces nations impures seront amenées avec la même facilité qu’un ânon qu’on attache aux branches d’une vigne ; il indique par là l’étendue de cet empiré, l’obéissance parfaite de ces nations. En effet, c’est la marque d’une grande douceur chez un âne que de se laisser attacher aux branches d’une vigne. Quant à la vigne, c’est une image à laquelle Jésus compare sa doctrine : Moi je suis la vraie vigne, dit-il, et mon Père est le vigneron. (Jn. 15,1) Les branches de la vigne représentent ce qu’il y a d’affectueux, de facile dans les articles de la législation ; il fait entrevoir par là que les nations seront plus dociles que les Juifs. Il lavera dans le vin sa robe, et dans le sang de la grappe son vêtement.
3. Voyez combien ici l’allusion au mystère est complète. Les initiés savent à quoi s’applique la parole : Il lavera sa robe dans le vin ; par ce mot, robe, il faut, si je ne me trompe, entendre le corps dont Jésus, dans son Incarnation, a daigné se revêtir. Puis, pour vous faire entendre ce que c’est qu’il appelle vin, il ajoute : et son vêtement dans le sang du raisin. Considérez comment, par ce mot sang, il nous fait songer au supplice, à la croix, et à toute la série des mystères. Ses yeux sont plus beaux que le vin, et ses dents plus blanches que le lait. Ici c’est la gloire qu’il veut représenter par cette métaphore du vin et des yeux. Et ses dents sont plus blanches que le lait ; c’est la justice et la majesté du juge. Par les dents et par le lait, il ne désigne rien autre chose que la pureté et l’éclat du jugement, qui rappellera les dents et le lait. Il ajoute : Zabulon habitera sur le rivage de la mer, et près du port des navires et il s’étendra jusqu’à Sidon. Voyez comme à celui-ci pareillement, il prédit où il aura son séjour, et qu’il dominera jusqu’à Sidon. Issachar a désiré le bien, et il se tient dans les bornes de sofa partage. Et voyant que le repos est bon, et que la terre est fertile, il a baissé l’épaule pour travailler, et il est devenu cultivateur. Il le loue d’avoir choisi l’agriculture, et préféré à tout le travail de la terre. Dan jugera son peuple, comme une seule tribu dans Israël. Et que Dan devienne comme un serpent dans le chemin, comme un céraste dans le sentier, qui mord le pied du cheval ; et le cavalier tombera à la renverse, attendant le salut du Seigneur. On ne saurait trop admirer comment ce juste, prévoyant tout avec les yeux de l’Esprit, prédisait l’avenir à ses enfants, et annonçait à chacun ce qui devait lui arriver ; il prophétise dès lors ce qui ne doit se réaliser que beaucoup plus tard. La tentation tentera Gad ; mais il tentera lui-même son ennemi de près. Le pain d’Azer sera excellent, et les rois s’en nourriront. Nephthali sera, comme un arbrisseau qui s’élève, et s’embellit en pullulant. Puis, après avoir parlé d’eux brièvement, il revient à Joseph, et dit : Mon fils Joseph a grandi, il est digne d’envie ; Joseph est mon grand fils, mon jeune fils. (22) Il veut lui dire : Tu es devenu un objet d’envie dès le commencement. On conspirait contre lui, on l’insultait ; allusion au complot de ses frères contre lui. Puis, il rappelle ce que disait plus haut l’Écriture, qu’ils avaient accusé perfidement Joseph auprès de son père : On conspirait contre lui, on l’insultait ; et ceux qui ont des flèches l’attaquaient ; c’est leur projet homicide. Et leurs arcs furent brisés avec force.
Après avoir dit leur entreprise, il en dit le résultat. Leurs arcs furent brisés ; et les nerfs de leurs bras se détendirent. Ils essayèrent de le tuer, et exécutèrent leur projet, autant qu’il était en eux. Mais leurs arcs furent brisés et leurs nerfs détendus : n’est-ce pas là, en effet, ce qu’ils durent éprouver lorsqu’ils entendirent Joseph qui leur disait : Je suis votre frère Joseph que vous avez vendu pour qu’on l’emmenât en Égypte ? C’est alors surtout, c’est alors que leurs nerfs furent détendus par le Roi de Jacob. Tu es sorti de là pour être la force d’Israël, grâce ait Dieu de ton père, et mon Dieu t’a secouru. (Id. 25) C’est le Roi qui a détendu ces nerfs, car c’est mon Dieu lui-même qui t’a secouru. – Voyez le profond amour du juste pour le Seigneur ; du Maître de l’univers il fait son Dieu, à lui, non pour limiter son empire, ni pour lui ôter son pouvoir sur le monde, mais pour manifester sa propre ferveur. Et il t’a béni du haut du ciel. Il ne s’est pas borné à te secourir, Il t’a béni de la bénédiction de la terre qui contient toutes choses, à caisse de la bénédiction des mamelles et des entrailles de la bénédiction de ton père et de ta mère. Il a surpassé les bénédictions des stables montagnes, et les désirs des collines éternelles. (Id. 26) – C’est sa gloire, son élévation, sa souveraineté sur l’Égypte qu’il a en vue dans ce passage ; s’il parle de montagnes et de collines, c’est pour caractériser sa grandeur et sa puissance et faire voir qu’il a été porté au plus haut sommet. Ces bénédictions seront sur la tête de Joseph et sur la tête des frères dont il a été le chef. Ces bénédictions seront sur ta tête. Benjamin, loup ravissant, mangera la proie le matin, et le soir il partagera la nourriture. (Id. 27) Ici encore, il prédit à Benjamin des événements prochains ; comment, pareil à un loup, il ira dévastant, tuant, exerçant mille ravages. Puis, après avoir prédit à tous ses fils les bénédictions propres à chacun, il bénit chacun d’eux, suivant la bénédiction qu’il lui avait donnée. (Id. 28) C’est comme s’il disait : Il fit à chacun la prédiction qui devait lui être faite, et prophétisa les destinées réservées à chaque tribu ; enfin, lorsqu’il eut distribué les révélations qu’il tenait de l’Esprit, il leur dit : Je rejoins mon peuple, vous m’ensevelirez avec mes pères. (Id. 29)
4. Par cette recommandation il leur procure une consolation incomparable. Car ils pensaient que le juste ne leur aurait pas prescrit ce soin, s’il n’avait été certain de leur futur retour et de la cessation de leur servitude en Égypte. Il fixe ensuite le lieu. Dans la caverne qui est dans le champ d’Ephron Héthéen. Et ayant dit ces paroles, il cessa de donner des ordres à ses fils. Et Jacob ayant levé ses pieds au-dessus du lit, mourut et se réunit à son peuple. Considérez comme la fin du juste est elle-même admirable. En effet, après avoir donné ses instructions à ses enfants, il élève ses pieds au-dessus du lit : on dirait que cela lui cause de la joie. Ainsi, après avoir fait toutes ses recommandations, il élève ses pieds, c’est-à-dire, les étend, les allonge : puis il meurt, et se réunit à son peuple. Et Joseph se jetant sur la face de son père, pleura sur lui et le baisa. Voyez-vous cette tendresse filiale ? Voyez-vous cette ardente affection ? Quand l’âme a quitté le corps, Se jetant sur la face de son père il le baisa et pleura sur lui. Après cela Joseph se hâte d’accomplir les prescriptions paternelles. Il ordonna aux embaumeurs d’embaumer son pire. (Id. 2) Et il pleura durant les quarante jours que dura l’embaumement, et l’Égypte soixante-dix jours durant. (Id. 13) Et quand toutes les cérémonies furent terminées, alors il fit connaître à Pharaon et à ses gens les volontés de son père, et dit : Mon père m’a fait jurer, disant : Le sépulcre, que je me suis creusé dans la terre de Chanaan est le lieu où tu m’enseveliras. Maintenant donc, je partirai avec mon père, je l’ensevelirai, et je reviendrai. (Id. 5) Il convient que ses ordres soient exécutés par moi. Quand j’aurai fait selon sa volonté, je reviendrai. Là-dessus Pharaon permit. Et Joseph partit pour ensevelir son père, et avec lui partirent tous les serviteurs de Pharaon. (Id. 7) Et ils quittaient leur famille, leurs bœufs et leurs brebis. (Id. 8) Et avec lui partirent des chars et des cavaliers, et ce fut une invasion très-considérable. (Id. 9) Voyez quel empressement montrent les Égyptiens, afin d’honorer Joseph : ils l’accompagnent en si, grand nombre que c’est une véritable invasion : Et parvenus à un certain endroit, ils se frappèrent longuement et violemment en signe de douleur. Et il donna à son père un deuil de sept jours. (Id. 11) Et les habitants de Chanaan virent cela et dirent : Les Égyptiens sont en grand deuil. De là le nom Deuil d’Égypte, donné à ce lieu, qui est au-delà du Jourdain.
Mais toi, mon cher auditeur, en écoutant ce récit, garde-toi de n’y accorder qu’une attention distraite : songe à l’époque où ces choses se passaient, et décharge Joseph de toute imputation. Les portes de l’enfer n’étaient pas encore brisées, les chaînes de la mort n’étaient pas déliées, la mort n’était point réputée un sommeil : voilà pourquoi, craignant la mort, on agissait de la sorte. Aujourd’hui, par la grâce de Dieu, la mort étant devenue un sommeil, le trépas un assoupissement, la résurrection une certitude, nous nous réjouissons, nous tressaillons d’allégresse comme au passage d’une vie dans une autre. Et que dis-je, d’une vie dans une autre ? D’une vie inférieure à une vie meilleure, d’une vie fugitive à une vie éternelle, d’une vie terrestre à une vie céleste. Enfin, tout étant accompli, Joseph retourna en Égypte, avec ses frères et ceux qui l’avaient accompagné. Considérez ici la pusillanimité des frères de Joseph, et la crainte qui agitait leur âme. Les frères de Joseph, voyant que leur père était mort, dirent : Puisse Joseph ne pas nous garder rancune, ne pas nous rendre ce qu’il nous doit, tous les maux que nous lui avons faits ! (Id. 15) L’effroi tourmente leur cœur : déchirés de remords, ils ne savent que faire. Voyant donc que leur père n’était plus ; et redoutant de la part de Joseph une juste vengeance, ils se présentèrent devant lui, et dirent : Ton père nous a fait jurer avant de mourir, disant : Dites et Joseph : Pardonne-leur leur injustice et leur faute. (Id. 16) Remarquez de nouveau comment ils s’accusent eux-mêmes. Observez combien est accablant le témoignage de la conscience. Vous avez beau faire : vous savez que vous avez commis l’injustice, le péché, que vous vous êtes rendus coupables de mauvaises actions. Et maintenant accueille l’iniquité des serviteurs du Dieu de ton père. Vous avez vu comment, c’est sans y être forcés qu’ils s’accusent et disent : Ton père a dit : Pardonne-leur le mal qu’ils t’ont fait, et accueille l’iniquité des serviteurs du Dieu de ton père. Mais cet homme admirable, excellent, est si éloigné de garder aucun souvenir des traitements qu’il a subis, que ces paroles l’émeuvent : Et Joseph pleura, tandis qu’ils lui parlaient. Et ils vinrent lui dire : Nous sommes tes serviteurs. (Id. 18) Voyez ce que c’est que la vertu, à quel point elle est forte et irrésistible, et quelle est la faiblesse du vice. En effet, voici que cet homme tant éprouvé est devenu souverain, et que ceux qui avaient traité leur frère de la sorte, demandent à être les serviteurs de celui qu’ils ont vendu comme esclave.
5. Mais soyez attentifs à la patience de Joseph vis-à-vis de ses frères ; voyez comment il n’omet rien pour les consoler, leur persuader qu’ils n’ont eu aucun tort envers lui. Ne craignez rien : J’appartiens à Dieu. (Id. 19) Vous avez eu de mauvais desseins contre moi, mais Dieu a changé ce mal en bien, afin de faire advenir ce qui se réalise aujourd’hui, qu’un peuple nombreux soit nourri. (Id. 20) N’ayez pas peur, sortez d’inquiétude : J’appartiens à Dieu, et j’imite mon Maître : je m’efforce d’obliger ceux qui m’ont causé des maux extrêmes : Car j’appartiens à Dieu. Puis, voulant montrer quelle bienveillance Dieu lui accorde, il ajoute : Votre conduite envers moi était dictée par de mauvais desseins, mais Dieu a changé pour moi ce mal en bien. De là ces mots de Paul : Ceux qui aiment Dieu voient tout conspirer à leur bien. (Rom. 8,28) Tout, qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire même les contrariétés, les sujets apparents d’affliction, il change tout cela en bien : c’est ce qui arriva pour cet homme incomparable. La conduite de ses frères fut le principal motif de son élévation, grâce à la puissance, à la sagesse de Dieu qui changea en prospérités toutes ses infortunes. Afin qu’un peuple nombreux soit nourri. Ce n’est pas nous seulement qu’il a eus en vue dans ce changement, c’est encore la subsistance de tout ce peuple. Et il leur dit : Ne craignez rien : je vous nourrirai, vous et vos familles. Et il les exhorta, et il parla à leur cœur. (21) Que craignez-vous désormais ? Je pourvoirai à votre subsistance et à celle de tous les vôtres. Et il les exhorta, et il parla à leur cœur. Il ne se borne pas à les exhorter, il y met tant de zèle qu’il dissipe tout leur chagrin. Et Joseph habita en Égypte, lui et ses frères, et toute la maison de son père. (Id. 22) Et Joseph villes enfants d’Ephraïm jusqu’à la troisième génération. (Id. 23) Et Joseph parla à ses frères, disant : Je meurs. Dieu vous visitera, et vous emporterez avec vous mes os hors de ce pays. (Id. 24) Ainsi, comme son père, il recommande qu’on emporte ses restes. Et voyez comment afin de les rassurer encore, de les affermir dans l’espérance du retour, après leur avoir prédit d’abord qu’ils retourneront au pays, il dit ici : Vous emporterez avec voies. En partant vous emporterez avec vous mes os.
Il n’agissait pas ainsi par caprice ni sans motif, mais pour deux raisons : d’un côté, parce qu’il craignait que les Égyptiens, gardant le souvenir de ses nombreux bienfaits, et fidèles à leur usage de diviniser des hommes, ne commissent l’impiété pour honorer le corps d’un juste ; d’autre part, afin que les siens fussent bien assurés qu’ils retourneraient de toute manière au pays. En effet, si cela n’eût été certain, il ne leur eût pas ordonné de ramener ses ossements. – Spectacle étrange et nouveau ! Celui qui nourrissait en Égypte tout Israël, c’était celui-là même qui donnait le signal du retour, qui introduisait ce peuple dans la terre promise. Et Joseph mourut âgé de cent dix ans. (Id. 25) A quoi bon nous dire son âge ? Afin de nous instruire du temps durant lequel il gouverna l’Égypte. Il était arrivé dans ce pays à l’âge de dix-sept ans ; à trente ans il parut devant Pharaon, et expliqua les songes. Durant les quatre-vingts années qui suivirent, il fut le maître absolu de l’Égypte. Vous voyez s’il fut largement dédommagé, magnifiquement récompensé de ses peines. Pendant treize années il lutta contre les tentations, esclave, calomnié, en butte aux souffrances de la captivité. Et lorsqu’il eut tout supporté avec courage et avec des actions de grâces, il fut généreusement rétribué même en ce monde. – Réfléchissez en effet qu’en échange de quelques années de servitude et de captivité, il gouverna un royaume quatre-vingts années durant. – Mais que la foi dirigeait toutes ses actions, que c’est elle encore qui lui inspira ses dernières volontés au sujet du transport de ses os, c’est Paul qui nous l’apprend, en disant ; C’est par la foi que Joseph mourant parla du départ des enfants d’Israël. (Héb. 11,22) Et il ne s’en tient pas là ; afin de nous révéler le motif pour lequel il recommande que ses os fussent transportés, il ajoute : Et qu’il fit des dispositions touchant ses os.
Peut-être ai-je parlé trop longtemps ; excusez-moi. Parvenu à la fin du livre, nous avons voulu le terminer aujourd’hui en même temps que notre discours, et ajouter à cela notre exhortation habituelle de garder souvenir de nos paroles, de chercher à imiter la vertu de ces justes, leur patience à l’égard de leurs oppresseurs, leur longanimité vis-à-vis de leurs persécuteurs, leur chasteté à toute épreuve. C’est par là, en effet, que notre juste s’est concilié toutes les faveurs d’en haut. Par conséquent, si nous voulons nous assurer le même appui, n’estimons rien tant que la vertu. De cette manière, nous nous concilierons la grâce de l’Esprit, nous passerons dans le calme la vie présente, et nous serons admis au partage du bonheur futur, auquel puissions-nous tous parvenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

  1. Il semble que l’orateur ait été trompé par sa mémoire, lorsqu’il dit que Laban ne donna Rachel à Jacob qu’après les sept autres années de service. Le texte hébreu, la Vulgate et les Septante, portent que Rachel fut donnée pour épouse à Jacob sept jours après sa sœur Lia, à la condition qu’il servirait son beau-père pendant encore sept ans.
  2. Telle est la seule traduction possible de la leçon suivie par l’auteur ; mais l’hébreu, la vulgate et les autres textes portent : Il a dix fois changé ce que je devais avoir pour récompense  ; ce qui offre un sens beaucoup plus clair et beaucoup plus satisfaisant.
  3. C’est-à-dire de Mésopotamie, la Syrie des eaux.
  4. Dans une homélie perdue.
  5. Tel est le sens que donne le texte des Septante ; dans l’Hébreu et dans les autres versions on lit au contraire que ce fut Joseph qui accusa ses frères d’une action criminelle.