L’Encyclopédie/1re édition/BROCARD

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 425-428).
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BROCARD, s. m. (Morale.) espece de raillerie grossiere, maligne & insultante. Le brocard est, à proprement parler, une injure plutôt qu’une raillerie. La raillerie, tant qu’elle ne sort point des bornes que lui prescrit la politesse, est l’effet de la gaieté & de la légereté de l’esprit. Elle épargne l’honnête homme, & le ridicule qu’elle attaque est souvent si leger, qu’elle n’a pas même le droit d’offenser. Mais le brocard annonce un fond de malignité ; il offense & ulcere le cœur. La raillerie exige beaucoup d’esprit dans ceux qui la manient, sans quoi elle dégénere en brocard, pour lequel tout homme a toûjours assez d’esprit. Voyez Raillerie. (X)

* Brocard, (Manufacture en or, argent, & soie.) terme générique, sous lequel on comprend communément

toutes les étoffes riches ou fonds d’or. Les 

ouvriers & fabriquans se servent préférablement des termes fond or, fond argent, &c. tissu, lustrine, &c. & ils entendent par brocards, fonds or, argent, &c. une étoffe d’or, d’argent, & de soie, relevée de fleurs, de feuillages, ou d’autres ornemens, suivant le goût du marchand & des ouvriers. Ils ne mettent d’autre différence entre les brocards & les fonds or & argent, qu’en ce que les brocards supposent plus de richesse, & que tout ce qui s’en présente à l’endroit est or ou argent, à l’exception de quelques légeres découpures ; au lieu que dans les fonds or & argent, on y voit des parties exécutées en soie.

Les brocards ou fonds or & argent, n’exigent pas un autre métier que celui dont on se sert communément. Nous parlerons à l’article Velours à jardin, des variétés qui surviennent dans les parties, la disposition & le montage du métier, selon les différens ouvrages qu’on se propose d’exécuter. Nous renvoyons à cet article plûtôt qu’à un autre, parce que l’ouvrage que nous y expliquerons, demande un métier très-composé, & qu’il ne s’agit presque que d’en anéantir certaines parties, & d’y en substituer quelques autres pour le transformer dans un métier propre à quelqu’ouvrage que ce soit.

Il y a des brocards ou fonds d’or de différentes sortes. Nous allons indiquer ces différences, exhortant ceux qui ne sont pas versés dans cette matiere, de parcourir auparavant les différens articles de notre Dictionnaire qui y ont rapport, ne fut-ce que pour se familiariser avec les termes. Qu’ils voyent les articles Armure, Liage, Poil, Accompagnage, Lisse, & sur-tout l’article Velours, où ils trouveront au long & clairement ce qui concerne le métier, ses parties, le montage, la lecture du dessein, la tire, le travail, &c.

Il y a des brocards ou fonds or à huit lisses de satin & quatre de poil ; à cinq lisses de fond, & cinq lisses de poil ; à cinq lisses de satin & quatre de poil, &c. Il y a des brocards dont la dorure est relevée, sans liage, ou liée par la corde ; & d’autres dont la dorure est relevée, & tous les lacs liés, excepté celui de la dorure relevée qui ne l’est jamais.

Des fonds or à huit lisses de satin & quatre de poil. Ces fonds or sont composés de quatre-vingts-dix portées de chaînes & de quinze de poil : l’armure en est la même que celle de la lustrine à poil, en supprimant les quatre marches de rebordures & les quatre lisses de rabat, & formant après cette suppression, l’armure du fond or dont il s’agit, comme nous allons dire. Dans l’armure de lustrine à poil, la marche de rebordure se trouve toûjours entre une marche de lustrine & une marche d’accompagnage. Supposez la marche de rebordure jettée sur la marche de lustrine, & celle-ci chargée non-seulement de ce qu’elle portoit, mais encore de ce que la marche de rebordure lui aura donné de plus qu’elle n’avoit, & vous aurez la premiere marche de fond de l’armure que vous cherchez. Supposez la même marche de rebordure jettée sur la marche d’accompagnage, & celle-ci chargée non-seulement de ce qu’elle portoit, mais encore de ce que lui aura donné de plus qu’elle n’avoit, la marche de rebordure : & vous aurez la premiere marche d’accompagnage de l’armure cherchée. Passez à la seconde marche de rebordure de l’armure de la lustrine ; jettez-la sur les marches de lustrine & d’accompagnage, entre lesquelles elle est placée, & vous aurez la seconde marche de fond & la seconde marche d’accompagnage de l’armure cherchée, & ainsi du reste ; d’où il s’ensuit, qu’au lieu de seize marches qui sont à la lustrine, l’étoffe dont

il s’agit n’en a que douze.
Démonstration de l’armure d’une lustrine à poil.
Démonstration de l’armure d’un fond or à huit lisses de satin & quatre lisses de poil.


Si vous jettez la premiere marche a de rebordure de l’armure de la lustrine sur la premiere marche b de lustrine, vous aurez ☓ ○ ○ ○ de poil & ○ 1 de fond, c’est-à-dire la premiere marche de fond r de l’armure que vous cherchez.

Si vous jettez la premiere marche de rebordure a de l’armure de lustrine sur la premiere marche d’accompagnage c de lustrine, vous aurez ☓ ☓ ○ ○ de poil & ○ 4 de fond, c’est-à-dire la premiere marche s d’accompagnage de l’armure que vous cherchez.

Si vous jettez la seconde marche d de rebordure de l’armure de la lustrine sur la seconde marche e de lustrine, vous aurez ○ ☓ ○ ○ de poil & ○ 7 de fond, c’est-à-dire la seconde marche t de fond de l’armure cherchée, & ainsi du reste.

Les lignes verticales marquent les marches. Les lignes horisontales marquent les lisses. La marque ○ signifie qu’une lisse leve ; la marque ☓ signifie qu’elle baisse, excepté aux lisses de rabat où ○ marque baisser, la fonction de ces lisses n’étant jamais de lever.

Du fond or à cinq lisses de satin & à cinq lisses de poil. Cette étoffe étoit d’usage quand les fonds or avoient beaucoup de glacé, parce qu’il grippe moins avec un poil de vingt-deux portées & demie, comme il le faut à cette étoffe, qu’avec des poils de quinze ou dix-huit portées, comme dans les autres fonds d’or. On arme le satin, qui est de quatre-vingts-dix portées de chaîne, comme le damas. On passe la rebordure sur le coup de fond, parce qu’il y en a peu dans ces sortes d’étoffes, & l’accompagnage sur le poil seulement, qui est armé en ras de saint-maur ; observant que comme il y a cinq lisses de poil, il en faut toûjours faire lever trois & baisser deux. On peut se servir pour cette étoffe d’un peigne de 15 ou d’un de 18, l’un & l’autre pouvant s’accorder avec le poil.

Il est bon de savoir que dans les lustrines à fond or, le fil de poil ne doit jamais se trouver à la rive de la dent, c’est-à-dire au commencement ou à la fin ; parce que pour lors il rayeroit & se montreroit dans le fond, ce qu’il faut éviter soigneusement. C’est pour cela que les peignes doivent toûjours être d’accord avec le poil : par exemple, avec un poil de quinze portées & quatre-vingts-dix portées de chaîne, il se rencontre tous les six fils de chaîne un fil de poil ; mais mettez un 15 de peigne qui contienne chaque dent douze fils de chaîne, & il arrivera que le fil de poil se trouvera à la fin des douze fils de chaîne, ou au commencement des douze autres qui suivent la dent, ce qui fera rayer. Pour éviter cet inconvénient, on corrompt la premiere dent, c’est le terme de l’art : on n’y met que neuf fils ; mais on continue par douze dans les autres dents. Pour lors, le fil de poil se trouve clos par trois fils de chaîne ; & ainsi des autres,

comme les 18.
Démonstration de l’armure d’un fond or à cinq lisses de fond & cinq lisses de poil.

Fond or à cinq lisses de satin & quatre de poil : les fonds or de cette espece sont les plus beaux, & ne peuvent se faire qu’en travaillant des deux piés : le satin est armé comme celui du damas, & les cinq marches de ce satin ne font mouvoir aucune lisse de poil. La chaîne est de quatre-vingts-dix portées à l’ordinaire, & le poil de quinze ; avec un peigne de quinze, il faut douze marches pour le poil, y compris les quatre marches de liage qui sont placées du côté gauche, & cinq pour le fond qui sont ordinairement du côté droit. Toutes ces étoffes pourroient cependant être faites du seul pié droit, en lardant les marches de liage, c’est-à-dire en plaçant par ordre chaque marche de cette espece, après celles qui sont destinées pour les coups de navette : mais dans cette étoffe, la chose est impossible, excepté qu’on ne voulût mettre trente-deux marches, parce qu’il faut vingt coups pour que le course des marches de poil se rencontre avec celui du fond. L’accompagnage est à l’ordinaire en ras de saint Maur, & le coup de fond à trois lisses de poil levées, la quatrieme en l’air, comme à la lustrine, s’il n’y a point de rebordure ; & s’il y en a une, on la fait baisser.

Démonstration d’un fond d’or à cinq lisses de satin & cinq lisses de poil.

Selon la disposition du métier & de l’armure, il faut marcher des deux piés chaque coup de fond ; les autres coups du pié gauche seulement. Le course ne peut se rencontrer fini de chaque côté que tous les vingt coups ; d’où il s’ensuit qu’il faut quatre courses du satin, & cinq du poil, ou des marches de l’un & de l’autre.

Tous les fonds d’or dont nous venons de parler, ont un fond dont la couleur est distinguée, soit cramoisi, soit ponceau, soit ratine, qui est un ponceau commun ; les Américains ne les veulent pas autrement : c’est aussi le goût de quelques pays du Nord. Mais il n’en est pas de même des brocards ; ils n’ont point de fond, ou s’ils ont quelques légeres découpures dans la dorure, elles ne paroissent pas. C’est pour cela que les fabriquans 1.o ne les font qu’en gros de Tours, pour éviter la quantité de trames, qui est moins considérable que dans les fonds satin, attendu le croisé qui se trouve à chaque coup ; 2.o mettent les chaînes de la couleur de la dorure pour éviter l’accompagnage. L’accompagnage passe sous les mêmes lacs de la dorure qui domine dans l’étoffe, & son emploi a deux objets ; l’un de cacher le fond de l’étoffe qui perceroit au-travers de la dorure, & la rendroit défectueuse, en prenant la place du fond ; l’autre de donner la liberté au fabriquant de brocher ou de passer une dorure plus fine, qui même se trouve relevée par l’accompagnage qui est dessous.

Tels sont les motifs qui ont fait inventer l’art d’accompagner la dorure, une des idées dans ce genre les plus belles & les plus heureuses. Le brocard ayant le fond de même couleur que la dorure, l’accompagnage devient inutile : il est vrai que dans les fonds or où il entre de l’argent, on ne peut pas accompagner l’un & l’autre : mais dans ce cas, comme c’est très-peu de chose que l’argent qui entre dans un fond or, & que d’ailleurs il n’est point accompagné, on a soin de brocher une dorure plus grosse, & dont la grosseur empêche le fond de percer au-travers. Voilà la méthode qu’il faut suivre pour fabriquer des fonds d’or & d’argent qui soient parfaits. Reprenons maintenant les brocards.

La chaîne des brocards est de quarante-cinq portées doubles, & quinze portées de poil sur un peigne de quinze. L’armure pour le fond est la même que celle du gros de Tours, ainsi que pour le poil. On passe le premier coup de navette en faisant lever le poil & la chaîne en taffetas ou gros de Tours ; après quoi, on broche la dorure & la soie, en faisant baisser de suite une des deux lisses de poil qui aura baissé au coup du fond, & l’on continue de la premiere à la quatrieme ; d’où il arrive que le course des marches du fond n’étant composé que de deux grandes marches, il faut le répéter pour être d’accord avec les quatre de liage.

La dorure des brocards est presque toute liée par les découpures de la corde, afin d’imiter la broderie. Je dis toute : mais il en faut excepter le frisé, le clinquant, & la cannetille qui l’est même quelquefois.

On a imaginé depuis peu la façon de relever la principale dorure en bosse, tel que l’or lisse : on passe sous le lacs tiré de la dorure qu’on veut relever, une duite de quinze à vingt brins de soie de la couleur de la dorure, en faisant baisser les quatre lisses de poil pour la tenir arrêtée ; après quoi on laisse aller la marche, & on broche la dorure sans lier ; voilà pour le premier lacs. Au second lacs, on broche de même une grosse duite qui est la suite de la premiere, & on baisse les quatre lisses de poil. Comme cette duite est une espece d’accompagnage, on fait baisser toutes les lisses de liage, afin que la soie brochée ne transpire pas au-travers de la dorure, & qu’elle puisse former un grain assez gros pour faire relever la dorure, comme si elle étoit soûtenue par une cartisanne. Lorsque tout le broché est lié par la corde ou par la découpure, il ne faut plus que quatre marches ; savoir deux pour le coup de fond, & deux pour lier la soie qui releve la dorure ; & quand il y a du broché, il faut quatre marches de liage de plus.

Démonstration de l’armure d’un brocard, dont la dorure est relevée, sans liage ou liée par la corde.

Il faut observer 1.o que l’accompagnage étant gros, il ne se passe point avec la navette comme dans les autres étoffes : mais on le broche en faisant baisser deux marches armées en taffetas, comme il est indiqué ici.

2.o Que toutes les étoffes dont la dorure est relevée, doivent être roulées sur des molletons, à mesure qu’elles viennent sur l’ensuple, afin que la dorure ne soit pas écrasée, & qu’elle fasse toûjours saillie ou relief : il faut autant de molleton que d’étoffe fabriquée.

Il se fait des brocards dont le poil est de quarante portées simples, pour l’accompagnage desquels on fait baisser tout le poil qui est de la couleur de la dorure : pour lors on peut brocher toutes sortes de couleurs pour relever ; parce que la quantité du poil baissé garnissant suffisamment, elle empêche la soie de couleur qui releve, de transpirer ou percer au-travers du poil.

Démonstration de l’armure d’un brocard, dont la dorure est relevée, & tous les lacs liés, excepté celui de la dorure relevée, qui ne l’est jamais.

Les marches d’accompagnage ne levent point de lisses, parce que l’accompagnage est broché, & non passé avec la navette, comme dans les autres étoffes où il n’a que trois ou quatre bouts très-fins, au lieu qu’ici il a dix-huit à vingt bouts de grosse soie.

On pourroit dans la derniere armure éviter les quatre marches qui font baisser tout le poil, en pressant les quatre de liage à la fois : mais l’embarras de trouver à chaque coup la marche qui doit lier à son tour, feroit commettre des fautes à l’ouvrier qui ne suivroit pas exactement son liage.