L’Encyclopédie/1re édition/FLEUVE

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FLEUVE, RIVIERE, synon. Voilà deux synonymes sur la différence desquels on n’est pas encore convenu, si jamais on en peut convenir ; car si on prétendoit tirer cette différence de la quantité d’eaux qui coulent dans un même lit, on pourroit répondre qu’il y a d’assez petites rivieres auxquelles on a conservé dans les ouvrages en prose, le nom de fleuve que les poëtes leur ont donné. Si l’on dit que le mot fleuve appartient seulement aux rivieres qui coulent depuis leur source jusqu’à la mer sans changer de nom, le titre de fleuve ne conviendra pas au Rhin, qui n’arrive pas avec son nom jusqu’à l’Océan. Si l’on veut que le mot fleuve soit propre aux rivieres qui se mêlent sans perdre leur nom, au lieu que les autres perdent le leur, on repliquera que dans l’usage ordinaire personne ne s’avise de dire le fleuve de la Seine, le fleuve de la Loire, le fleuve de la Meuse, quoiqu’elles ayent cette condition.

M. Sanson va plus loin : il accorde le nom de fleuve aux rivieres qui portent de grands bateaux, & que leurs cours rendent considérables, quoiqu’elles ne portent pas leurs eaux immédiatement à la mer, comme la Save & à la Drave, qui se perdent dans le Danube ; le Mein & la Moselle, dans le Rhin, &c. Enfin M. Corneille veut que l’on donne seulement le nom de fleuve aux anciennes rivieres, telles que l’Araxe, l’Ister, &c. Mais y a-t-il de nouvelles rivieres, & ne sont-elles pas toutes également anciennes ? Il n’est donc pas possible de fixer la distinction de ces deux mots, fleuve & riviere. Tout ce qu’on peut dire d’après l’usage, c’est, 1°. que fleuve ne s’employe que pour les grandes rivieres ; 2°. que le mot riviere n’est pas noble en poésie ; 3°. que quand on parle d’une riviere de l’antiquité, on se sert du mot fleuve, de sorte qu’on dit le fleuve Araxe, le fleuve Indus, le fleuve du Gange ; 4°. que le nom de riviere se donne tant aux grandes qu’aux petites, puisqu’on dit également la riviere de Loire, & la riviere des Gobelins qui n’est qu’un ruisseau. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Fleuve, s. m. (Phys. & Geogr.) flumen, se dit d’un amas considérable d’eau qui partant de quelque source, coule dans un lit vaste & profond, pour aller ordinairement se jetter dans la mer.

Si une eau courante n’est pas assez forte pour porter de petits bateaux, on l’appelle en latin rivus, en françois ordinairement ruisseau ; si elle est assez forte pour porter bateau, on l’appelle riviere, en latin amnis ; enfin si elle peut porter de grands bateaux, on l’appelle en latin flumen, en françois fleuve. La différence de ces dénominations n’est, comme l’on voit, que du plus au moins. Quelques auteurs prétendent que l’on ne doit donner le nom de fleuves qu’aux rivieres qui se déchargent immédiatement dans la mer ; & en effet l’usage semble avoir assez généralement établi cette dénomination. D’autres, mais en plus petit nombre, prétendent qu’il n’y a de vrais fleuves que ceux qui ont le même nom depuis leur source jusqu’à leur embouchure. Voy. l’article précéd.

Nous traiterons dans cet article, de l’origine des fleuves, de leur direction, de leurs variations, de leur débordement, de leur cours, &c.

Origine des fleuves. Les ruisseaux ou petites rivieres viennent quelquefois d’une grande quantité de pluies ou de neiges fondues, principalement dans les lieux remplis de montagnes, comme on en voit dans l’Afrique, les Indes, l’île de Sumatra, &c. mais en général les fleuves & les rivieres viennent de sources. Voyez Source. L’origine des sources elles-mêmes vient aussi, soit des vapeurs qui retombent sur le sommet des montagnes, soit des eaux de pluie ou de neige fondue, qui se filtrent à-travers les entrailles de la terre, jusqu’à ce qu’elles trouvent une espece de bassin où elles s’amassent.

M. Halley a fait voir, n. 192. des Transact. philosophiq. que les vapeurs élevées de la surface de la mer, & transportées par le vent sur la terre, sont plus que suffisantes pour former toutes les rivieres. & entretenir les eaux qui sont à la surface de la terre. On sait en effet par différentes expériences (voyez Musschenbr. ess. de Phys. §. 1495.) qu’il s’évapore par an environ 29 pouces d’eau ; or cette évaporation est plus que suffisante pour produire la quantité d’eau que les fleuves portent à la mer. M. de Buffon, dans le premier volume de son histoire naturelle, p. 356. trouve par un calcul assez plausible, d’après Jean Keill, que dans l’espace de 812 ans toutes les rivieres ensemble rempliroient l’Océan : d’où il conclut que la quantité d’eau qui s’évapore de la mer, & que les vents transportent sur la terre pour produire les ruisseaux & les fleuves, est d’environ les deux tiers d’une ligne par jour, ou 21 pouces par an ; ce qui est encore au-dessous des 29 pouces dont on vient de parler, & confirme ce que nous avançons ici, que les vapeurs de la mer sont plus que suffisantes pour produire les fleuves. Voyez aux art. Pluie & Fontaine, un plus grand détail sur ce sujet.

Les fleuves sont formés par la réunion de plusieurs rivieres, ou viennent de lacs. Parmi tous les grands fleuves connus, comme le Rhin, l’Elbe, &c. il n’y en a pas un qui vienne d’une seule & unique source. Le Volga, par exemple, est formé de 200 rivieres, dont 32 à 33 considérables, qui s’y jettent avant qu’il aille se jetter lui-même dans la mer Caspienne : le Danube en reçoit à-peu-près aussi 200, dont 30 considérables, en ne comptant que ces dernieres. Le Don en reçoit cinq ou six, le Nieper 19 ou 20, la Duine 11 ou 12 : & de même en Asie, le Hoanho reçoit 34 ou 35 rivieres ; le Jenisca en reçoit plus de 60, l’Oby autant ; le fleuve Amour environ 40 ; le Kian, ou le fleuve de Nanquin, en reçoit environ 30, le Gange plus de 20, l’Euphrate 10 ou 11, &c. En Afrique, le Sénégal reçoit plus de 10 rivieres. Le Nil ne reçoit aucune riviere qu’à plus de 500 lieues de son embouchure ; la derniere qui y tombe est le Moraba, & de cet endroit jusqu’à sa source il reçoit environ 12 ou 13 rivieres. En Amérique, le fleuve des Amazones en reçoit plus de 60, & toutes fort considérables ; le fleuve S. Laurent environ 40, en comptant celles qui tombent dans les lacs ; le fleuve Mississipi plus de 40, le fleuve de la Plata plus de 50, &c.

Il y a sur la surface de la terre des contrées élevées, qui paroissent être des points de partages marqués par la nature pour la distribution des eaux. Les environs du mont Saint-Gothard sont un de ces points en Europe. Un autre point est le pays entre les provinces de Belozera & de Vologda en Moscovie, d’où descendent des fleuves dont les uns vont à la mer Blanche, d’autres à la mer Noire, & d’autres à la mer Caspienne ; en Asie, le pays des Tartares-Mogols, d’où il coule des fleuves dont les uns vont se rendre dans la mer Tranquille, ou mer de la nouvelle Zemble ; d’autres au golfe Linchidolin, d’autres à la mer de Corée, d’autres à celle de la Chine ; & de même le petit Thibet, dont les eaux coulent vers la mer de la Chine, vers le golfe de Bengale, vers le golfe de Cambaye, & vers le lac Aral ; en Amérique, la province de Quito, qui fournit des eaux à la mer du Sud, à la mer du Nord, & au golfe du Mexique. Hist. nat. de M. de Buffon, tom. I. & Varen. Géogr.

Direction des fleuves. On a remarqué que généralement parlant, les plus grandes montagnes occupent le milieu des continens ; & que dans l’ancien continent, les plus grandes chaînes de montagnes sont dirigées d’occident en orient. On verra de même que les plus grands fleuves sont dirigés comme les plus grandes montagnes. On trouvera qu’à commencer par l’Espagne, le Vigo, le Douro, le Tage & la Guadiana, vont d’orient en occident, & l’Ebre d’occident en orient ; & qu’il n’y a pas une riviere remarquable qui aille du sud au nord, ou du nord au sud.

On verra aussi, en jettant les yeux sur la carte de la France, qu’il n’y a que le Rhône qui soit dirigé du nord au midi ; & encore dans près de la moitié de son cours, depuis les montagnes jusqu’à Lyon, est-il dirigé de l’orient vers l’occident : mais qu’au contraire tous les autres grands fleuves, comme la Loire, la Charente, la Garonne, & même la Seine, ont leur direction d’orient en occident.

On verra de même qu’en Allemagne il n’y a que le Rhin qui, comme le Rhône, a la plus grande partie de son cours du midi au nord ; mais que les autres grands fleuves, comme le Danube, la Drave, & toutes les grandes rivieres qui tombent dans ces fleuves, vont d’occident en orient se rendre dans la mer Noire.

On trouvera aussi que l’Euphrate est dirigé d’occident en orient, & que presque tous les fleuves de la Chine vont de même d’occident en orient. Il en est ainsi de tous les fleuves de l’intérieur de l’Afrique au-delà de la Barbarie ; ils coulent tous d’orient en occident ou d’occident en orient : il n’y a que les rivieres de Barbarie & le Nil qui coulent du midi au nord. A la vérité il y a de grands fleuves en Asie qui coulent en partie du nord au midi, comme le Don, le Volga, &c. mais en prenant la longueur entiere de leur cours, on verra qu’ils ne se tournent du côté du midi, que pour se rendre dans la mer Noire & dans la mer Caspienne, qui sont des lacs dans l’intérieur des terres.

Dans l’Amérique, les principaux fleuves coulent de même d’orient en occident, ou d’occident en orient : les montagnes sont au contraire dirigées nord & sud dans ce continent long & étroit ; mais, selon M. de Buffon, c’est proprement une suite de montagnes paralleles, disposées d’orient en occident. Hist. nat. génér. & partic. t. l. p. 334. & suiv.

Phénomenes & variations des fleuves. Les fleuves sont sujets à de grands changemens dans une même année, suivant les différentes saisons, & quelquefois dans un même jour. Ces changemens sont occasionnés pour l’ordinaire par les pluies & les neiges fondues. Par exemple, dans le Pérou & le Chili il y a des fleuves qui ne sont presque rien pendant la nuit, & qui ne coulent que de jour, parce qu’ils sont alors augmentés par la fonte des neiges qui couvrent les montagnes. De même le Volga grossit considérablement pendant les mois de Mai & de Juin, de sorte qu’il couvre alors entierement des sables qui sont à sec tout le reste de l’année. Le Nil, le Gange, l’Inde, &c. grossissent souvent jusqu’à déborder ; & cela arrive tantôt dans l’hyver, à cause des pluies ; tantôt en été, par la fonte des neiges.

Il y a des fleuves qui s’enfoncent brusquement sous terre au milieu de leur cours, & qui reparoissent ensuite dans d’autres lieux, comme si c’étoit de nouveaux fleuves : ainsi quelques auteurs prétendent que le Niger vient du Nil par-dessous terre, parce que ce fleuve grossit en même tems que le Nil, sans qu’on puisse trouver d’autre raison que la communication mutuelle de ces fleuves, pour expliquer pourquoi us grossissent en même tems. On remarque encore que le Niger, quand il vient au pié des montagnes de Nubie, s’enfonce & se cache sous ces montagnes, pour reparoître de l’autre côté vers l’occident. Le Tigre se perd de même sous le mont Taurus.

Aristote & les Poëtes anciens font mention de différens fleuves, à qui la même chose arrive. Parmi ces fleuves, le fleuve Alphée est principalement célebre. Les auteurs grecs prétendent que ce fleuve, après s’être enfoncé en terre & avoir disparu, continuoit à couler sous la terre & la mer, pour aller jusqu’en Sicile ; que là il reparoissoit auprès de Syracuse, pour former la fontaine d’Aréthuse. La raison de cette opinion des anciens étoit que tous les cinq ans pendant l’été la fontaine d’Aréthuse étoit couverte de fumier, dans le tems même qu’on célébroit en Grece les jeux olympiques, & qu’on jettoit dans l’Alphée le fumier des victimes.

Le Guadalquivir en Espagne, la riviere de Gottemburg en Suede, & le Rhin même, se perdent dans la terre. On assûre que dans la partie occidentale de l’île de Saint-Domingue il y a une montagne d’une hauteur considérable, au pié de laquelle sont plusieurs cavernes où les rivieres & les ruisseaux se précipitent avec tant de bruit, qu’on les entend de sept ou huit lieues. Voyez Varenii geograph. gener. pag. 43.

Au reste, le nombre de ces fleuves qui se perdent dans le sein de la terre est fort petit, & il n’y a pas d’apparence que ces eaux descendent bien bas dans l’intérieur du globe ; il est plus vraissemblable qu’elles se perdent, comme celles du Rhin, en se divisant dans les sables, ce qui est fort ordinaire aux petites rivieres qui arrosent les terreins secs & sablonneux : on en a plusieurs exemples en Afrique, en Perse, en Arabie, &c. Hist. nat. ibid.

Quelques fleuves se déchargent dans la mer par une seule embouchure, quelques autres par plusieurs à-la-fois. Le Danube se jette dans la mer Noire par sept embouchures ; le Nil s’y jettoit autrefois par sept, dont il n’y en a plus aujourd’hui que deux qui soient navigables ; & le Volga par 70 au moins. La cause de cette quantité d’embouchures vient, selon Varenius, des bancs de sable qui sont en ces endroits ; & qui s’augmentant peu à-peu, forment des îles qui divisent le fleuve en différens bras. Les anciens nous assurent que le Nil n’avoit d’abord qu’une seule embouchure naturelle par laquelle il se déchargeoit dans la mer, & que ses six autres embouchures étoient artificielles.

Il y a dans l’ancien continent environ 430 fleuves qui tombent immédiatement dans l’Océan, ou dans la Méditerranée & la mer Noire ; & dans le nouveau continent on ne connoît guere que 180 fleuves qui tombent immédiatement dans la mer. Au reste on n’a compris dans ce nombre que des rivieres grandes au moins comme l’est la Somme en Picardie.

Les fleuves sont plus larges à leur embouchure, comme tout le monde sait ; mais ce qui est singulier, c’est que les sinuosités de leur cours augmentent à mesure qu’ils s’approchent de la mer. On prétend qu’en Amérique les Sauvages jugent par ce moyen à quelle distance ils sont de la mer.

Sur le remous des fleuves, voyez Remous ; sur leurs cataractes, voyez Cataracte.

Varénius prétend & tâche de prouver que tous les lits des fleuves, si on en excepte ceux qui ont existé dès la création, sont artificiels, & creusés par les hommes. La raison qu’il en donne, est que quand une nouvelle source sort de terre, l’eau qui en coule ne se fait point un lit, mais inonde les terres adjacentes ; de sorte que les hommes, pour conserver leurs terres, ont vraissemblablement été obligés de creuser un lit aux fleuves. Cet auteur ajoûte qu’il y a d’ailleurs un grand nombre de fleuves dont les lits ont été certainement creusés par les hommes, comme l’histoire ne permet pas d’en douter. A l’égard de la question, si les rivieres qui se jettent dans d’autres y ont été portées par leur cours & leur mouvement naturel, ou ont été forcées de s’y jetter étant détournées dans des canaux creusés pour cela, Varénius croit ce dernier sentiment plus probable ; il pense aussi la même chose des différens bras des fleuves & des contours par lesquels le Tanaïs, le Volga, &c. forment des îles.

Il examine ensuite pourquoi il n’y a point de fleuves dont l’eau soit salée, tandis qu’il y a tant de sources qui le sont. Cela vient, selon lui, de ce que les hommes n’ont point creusé de lit pour les eaux des sources salées, pouvant se procurer le sel à moins de frais & avec moins de peine. Voyez Sel.

Plusieurs fleuves ont leurs eaux impregnées de particules métalliques, minérales, de corps gras & huileux, &c. Il y en a qui roulent du sable mêlé avec des grains d’or : de ce nombre sont 1°. un fleuve du Japon : 2°. un autre fleuve dans l’île Lequeo, proche le Japon : 3°. une riviere d’Afrique appellée Arræ, qui sort du pié des montagnes de la Lune où il y a des mines d’or : 4°. un fleuve de Guinée, dont les Negres séparent le sable d’avec l’or qu’il renferme, & le vendent ensuite aux Européens qui vont en Guinée pour faire ce trafic : 5°. quelques rivieres proche la ville de Mexique, dans lesquelles on trouve des grains d’or, principalement après la pluie ; ce qui est général pour tous les autres fleuves qui roulent de l’or, car on n’y en trouve une quantité un peu considérable que dans les saisons pluvieuses : 6°. plusieurs rivieres du Pérou, de Sumatra, de Cuba, de la Nouvelle-Espagne, & de Guiana. Enfin dans les pays voisins des Alpes, principalement dans le Tirol, il y a quelques rivieres des eaux desquelles on tire de l’or, quoique les grains d’or qu’elles roulent ne paroissent point aux yeux. Le Rhin, dans quelques endroits, porte, dit-on, un limon chargé d’or. Voy. Or. En France nous avons quelques rivieres, comme l’Arriege, qui roulent des pailletes d’or. M. de Reaumur a donné à l’académie des Sciences un mémoire sur ce sujet en 1721.

A l’égard des fleuves qui roulent des grains d’argent, de fer, de cuivre, de plomb, il y en a sans doute aussi un grand nombre de cette espece, & les vertus medicinales des eaux minérales viennent pour la plûpart des parties métalliques que ces eaux renferment. Nous ne devons pas oublier de parler d’un fleuve d’Allemagne qu’on prétend avoir la propriété de changer le fer en cuivre. La vérité est pourtant que le fer n’est point réellement converti en un autre métal par les eaux de ce fleuve, mais que les particules de cuivre & de vitriol qu’elles contiennent, rongent le fer, en désunissent les parties au moyen du mouvement des eaux, & reparoissent à la place des parties du fer qu’elles ont divisées.

Le mélange des différentes matieres que contiennent les eaux des fleuves, est ce qui constitue leurs différentes qualités, leurs différentes pesanteurs spécifiques, leurs différentes couleurs. Voyez Eau.

Débordement périodique de certains fleuves. Il y a des fleuves qui grossissent tellement dans certaines saisons de l’année, qu’ils débordent & inondent les terres adjacentes. Parmi tous ces fleuves, le plus célebre est le Nil, qui s’enfle si considérablement qu’il inonde toute l’Egypte, excepté les montagnes. L’inondation commence vers le 17 Juin, & augmente pendant environ 40 jours, puis diminue pendant 40 autres ; durant ce tems les villes d’Egypte qui sont bâties sur des montagnes, paroissent comme autant d’îles.

C’est à ces inondations que l’Egypte doit sa fertilité ; car il ne pleut point dans ce pays, ou au moins il n’y pleut que fort peu. Ainsi chaque année est fertile ou stérile en Egypte, selon que l’inondation est plus grande ou moindre. La cause du débordement du Nil vient des pluies qui tombent en Ethiopie ; elles commencent au mois d’Avril, & ne finissent qu’en Septembre ; durant les trois premiers mois le ciel est serein pendant le jour, mais il pleut toute la nuit. Les pluies de l’Abyssinie contribuent aussi à ce débordement ; mais le vent du nord en est la cause principale : 1°. parce qu’il chasse les nuages qui portent cette pluie du côté de l’Abyssinie : 2°. parce qu’il fait refouler les eaux du Nil à leur embouchure. Aussi dès que ce vent tourne au sud, le Nil perd en un jour ce qu’il avoit acquis dans quatre.

Les autres fleuves qui ont des débordemens considérables dans certains tems marqués sont, 1°. le Niger qui déborde dans le même tems que le Nil. Léon l’afriquain dit que ce débordement commence vers le 15 Juin, qu’il augmente durant 40 jours, & qu’il diminue ensuite pendant 40 autres. 2°. Le Zaire, fleuve du royaume de Congo, qui vient du même lac que le Nil, & qui par conséquent doit être sujet aux mêmes inondations. 3°. Le Rio de la Plata dans le Bresil, qui, selon la remarque de Maffée, déborde dans le même tems que le Nil. 4°. Le Gange, l’Indus ; le dernier de ces fleuves déborde en Juin, Juillet, Août ; & les habitans du pays recueillent alors une grande quantité de ses eaux dans des étangs, pour s’en servir le reste de l’année. 5°. Différens fleuves qui sortent du lac de Chiamay dans la baie de Bengale, & qui débordent en Septembre, Octobre, & Novembre. Les inondations de tous ces fleuves fertilisent les terres qui en sont voisines. 6°. Le fleuve Macoa en Camboya, le fleuve Parana ou Paranaguasa, que quelques-uns prétendent être le même que le fleuve d’Argent : différens fleuves sur la côte de Coromandel dans l’Inde, qui débordent dans les mois pluvieux de l’année, parce qu’ils sont alors grossis par les eaux qui coulent du mont Gatis : l’Euphrate qui inonde la Mésopotamie certains jours de l’année : enfin le fleuve de Sus en Numidie.

« Les plus grands fleuves de l’Europe sont le Volga, qui a environ 650 lieues de cours depuis Reschow jusqu’à Astracan sur la mer Caspienne ; le Danube dont le cours est d’environ 450 lieues depuis les montagnes de Suisse jusqu’à la mer Noire ; le Don, qui a 400 lieues de cours depuis la source du Sosna qu’il reçoit jusqu’à son embouchure dans la mer Noire ; le Nieper, dont le cours est d’environ 350 lieues, qui se jette aussi dans la mer Noire ; la Duine, qui a environ 300 lieues de cours, & qui va se jetter dans la mer Blanche, &c.

» Les plus grands fleuves de l’Asie sont le Hoanho de la Chine, qui a 850 lieues de cours en prenant sa source à Raja-Ribron, & qui tombe dans la mer de la Chine au midi du golfe de Changi ; le Jenisca de la Tartarie, qui a 800 lieues environ d’étendue depuis le lac Selinga jusqu’à la mer septentrionale de la Tartarie ; le fleuve Oby, qui a environ 600 lieues depuis le lac Kila jusque dans la mer du nord, au-delà du détroit de Waigats ; le fleuve Amour de la Tartarie orientale, qui a environ 575 lieues de cours, en comptant depuis la source du fleuve Kerlon qui s’y jette, jusqu’à la mer de Kamtschatka où il a son embouchure ; le fleuve Menamcon, qui a son embouchure à Poulo-Condor, & qu’on peut mesurer depuis la source du Longmu qui s’y jette ; le fleuve Kian, dont le cours est environ de 550 lieues en le mesurant depuis la source de la riviere Kinva qui le reçoit, jusqu’à son embouchure dans la mer de la Chine ; le Gange, qui a aussi environ 550 lieues de cours ; l’Euphrate qui en a 500 en le prenant depuis la source de la riviere Irma qu’il reçoit ; l’Indus, qui a environ 400 lieues de cours, & qui tombe dans la mer d’Arabie à la partie occidentale de Guzarat ; le fleuve Sirderoias, qui a une étendue de 400 lieues environ, & qui se jette dans le lac Aral.

» Les plus grands fleuves de l’Afrique sont le Sénégal, qui a 1125 lieues environ de cours en y comprenant le Niger, qui n’en est en effet qu’une continuation, & en remontant le Niger jusqu’à la source du Gombarou qui se jette dans le Niger ; le Nil, dont la longueur est de 970 lieues, & qui prend sa source dans la haute Ethiopie, où il fait plusieurs contours : il y a aussi le Zaire & le Coanza, desquels on connoît environ 400 lieues, mais qui s’étendent bien plus loin dans les terres du Monoemugi ; le Couama, dont on ne connoît aussi qu’environ 400 lieues, & qui vient de plus loin, des terres de la Cafrerie ; le Quilmanci, dont le cours entier est de 400 lieues, & qui prend sa source dans le royaume de Gingiro.

» Enfin les plus grands fleuves de l’Amérique, qui sont aussi les plus larges fleuves du monde, sont la riviere des Amazones, dont le cours est de plus de 1200 lieues si l’on remonte jusqu’au lac qui est près de Guanuco, à 30 lieues de Lima, où le Maragnon prend sa source ; & si l’on remonte jusqu’à la source de la riviere Napo, à quelque distance de Quito, le cours de la riviere des Amazones est de plus de mille lieues. Voyez le voyage de M. de la Condamine, pag. 15. & 16.

» On pourroit dire que le cours du fleuve S. Laurent en Canada est de plus de 900 lieues depuis son embouchure en remontant le lac Ontario & le lac Erié, de-là au lac Huron, ensuite au lac Supérieur, de-là au lac Alemipigo, au lac Cristinaux, & enfin au lac des Assiniboils : les eaux de tous ces lacs tombent les unes dans les autres, & enfin dans le fleuve S. Laurent.

» Le fleuve Mississipi a plus de 700 lieues d’étendue depuis son embouchure jusqu’à quelques-unes de ses sources, qui ne sont pas éloignées du lac des Assiniboils, dont nous venons de parler.

» Le fleuve de la Plata a plus de 800 lieues depuis son embouchure jusqu’à la source de la riviere Parna qu’il reçoit.

» Le fleuve Oronoque a plus de 575 lieues de cours, en comptant depuis la source de la riviere Caketa près de Pasto, qui se jette en partie dans l’Oronoque, & coule aussi en partie vers la riviere des Amazones. Voyez la carte de M. de la Condamine.

» La riviere Madera qui se jette dans celle des Amazones, a plus de 660 ou 670 lieues. Hist. natur. tome l. page 352 & suiv. »

Les fleuves les plus rapides de tous, sont le Tigre, l’Indus, le Danube, l’Yrtis en Sibérie, le Malmistra en Cilicie, &c. Voyez Varenii géograph. page 178. Mais, comme nous le dirons plus bas, la mesure de la vîtesse des eaux d’un fleuve dépend de deux causes ; la premiere est la pente, & la seconde le poids & la quantité d’eau : en examinant sur le globe quels sont les fleuves qui ont le plus de pente, on trouvera que le Danube en a beaucoup moins que le Pô, le Rhin & le Rhône, puisque tirant quelques-unes de ses sources des mêmes montagnes, le Danube a un cours beaucoup plus long qu’aucun de ces trois autres fleuves, & qu’il tombe dans la mer Noire, qui est plus élevée que la Méditeranée, & peut-être plus que l’Océan. Ibid.

Lois du mouvement des fleuves & rivieres en général. Les philosophes modernes ont tâché de déterminer par des lois précises le mouvement & le cours des fleuves ; pour cela ils ont appliqué la Géométrie & la méchanique à cette recherche ; de sorte que la théorie du mouvement des fleuves est une des branches de la physique moderne.

Les auteurs italiens se sont distingués dans cette partie, & c’est principalement à eux qu’on doit les progrès qu’on y a faits ; entr’autres à Guglielmini, qui dans son traité della natura de’ fiumi, a donné sur cette matiere un grand nombre de recherches & d’observations.

Les eaux des fleuves, selon la remarque de cet auteur, ont ordinairement leurs sources dans des montagnes ou endroits élevés ; en descendant de-là elles acquierent une vîtesse ou accélération qui sert à entretenir leur courant : à mesure qu’elles font plus de chemin, leur vitesse diminue, tant à cause du frotement continuel de l’eau contre le fond & les côtés du lit où elles coulent, que par rapport aux autres obstacles qu’elles rencontrent, & enfin parce qu’elles arrivent après un certain tems dans les plaines, où elles coulent avec moins de pente, & presque horisontalement. Ainsi le Reno, fleuve d’Italie, qui a été un de ceux que Guglielmini a le plus observé, n’a vers son embouchure qu’une pente très petite.

Si la vîtesse que l’eau a acquise est entierement détruite par les différens obstacles, ensorte que son cours devienne horisontal, il n’y aura plus rien qui puisse produire la continuation de son mouvement, que la hauteur de l’eau ou la pression perpendiculaire qui lui est toûjours proportionnelle. Heureusement cette derniere cause devient plus forte à mesure que la vîtesse se ralentit par les obstacles ; car plus l’eau perd de la vîtesse qu’elle a acquise, plus elle s’éleve & se hausse à-proportion.

L’eau qui est à la surface d’une riviere, & qui est éloignée des bords, peut toûjours couler par la seule & unique cause de sa déclivité, quelque petite qu’elle soit : car n’étant arrêtée par aucun obstacle, la plus petite différence dans le niveau suffit pour la faire mouvoir. Mais l’eau du fond qui rencontre des obstacles continuels, ne doit recevoir presque aucun mouvement d’une pente insensible, & ne pourra être mûe qu’en vertu de la pression de l’eau qui est au-dessus.

La viscosité & la cohésion naturelle des parties de l’eau, & l’union qu’elles ont les unes avec les autres, fait que les parties inférieures, mûes par la pression des supérieures, entraînent à leur tour celles-ci, qui autrement dans un lit horisontal n’auroient aucun mouvement, ou n’auroient qu’un mouvement presque nul, si le canal n’avoit que très-peu de pente. Ainsi les parties inférieures, en ce cas, rendent aux supérieures une partie du mouvement qu’elles en reçoivent par la pression : de-là il arrive souvent que la plus grande vîtesse des eaux d’une riviere est au milieu de la profondeur de son lit, parce que les parties qui y sont, ont l’avantage d’être accelérées par la pression de la moitié de la hauteur, sans être retardées par le fond.

Pour savoir si l’eau d’une riviere qui n’a presque point de pente, coule par le moyen de la vîtesse qu’elle a acquise dans sa descente ou par la pression perpendiculaire de ses parties, il faut opposer au courant un obstacle qui lui soit perpendiculaire : si l’eau s’éleve & s’enfle au-dessus de l’obstacle, sa vîtesse vient de sa chûte ; si elle ne fait que s’arrêter, sa vîtesse vient de la pression de ses parties.

Les fleuves, selon Guglielmini, se creusent presque tous seuls leur lit. Si le fond a originairement beaucoup de pente, l’eau acquiert en conséquence une grande vîtesse ; elle doit par conséquent détruire les parties du fond les plus élevées, & les porter dans les endroits plus bas, & applanir ainsi peu-à-peu le fond en le rendant plus horisontal. Plus l’eau aura de vîtesse, plus elle creusera son fond, & plus elle se fera par conséquent un lit profond.

Quand l’eau du fleuve a rendu son lit plus horisontal, elle commence alors à couler elle-même horisontalement, & par conséquent agit sur le fond de son lit avec moins de force, jusqu’à ce qu’à la fin sa force devienne égale à la résistance du fond. Alors le fond demeure dans un état permanent, au moins pendant un tems considérable, & ce tems est plus ou moins long selon la qualité du sol ; car l’argille & la craie, par exemple, résistent plus long-tems que le sable & le limon.

D’un autre côté, l’eau ronge continuellement les bords de son lit, & cela avec plus ou moins de force selon qu’elle les frappe plus perpendiculairement. Par cet effort continuel, elle tend à rendre les bords de son lit paralleles au courant ; & quand elle a produit cet effet autant qu’il est possible, elle cesse alors de changer la figure de ses bords. En même tems que son courant devient moins tortueux, son lit s’élargit, c’est-à-dire que le fleuve perd de sa profondeur, & par conséquent de la force de sa pression : ce qui continue jusqu’à ce qu’il y ait équilibre entre la force de l’eau & la résistance des bords ; pour lors le fleuve ni les bords ne changent plus. Il est évident par l’expérience, qu’il y a réellement un tel équilibre, puisque l’on trouve que la profondeur & la largeur des rivieres ne passe point certaines bornes.

Le contraire de tout ce qu’on vient de dire peut aussi quelquefois arriver. Les fleuves dont les eaux sont épaisses & limoneuses, doivent déposer au fond de leur lit une partie des matieres hétérogenes que ces eaux contiennent, & rendre par-là leur lit moins profond. Leurs bords peuvent aussi se rapprocher par la déposition continuelle de ces mêmes matieres. Il peut même arriver que ces matieres étant jettées loin du fil de l’eau, entre les bords & le courant, & n’ayant presque point de mouvement, forment peu-à-peu un nouveau rivage.

Or, ces effets contraires & opposés semblent presque toûjours concourir, & se combiner différemment ensemble, selon les circonstances ; aussi est-il fort difficile de juger de ce qui en doit résulter. Il est cependant nécessaire de connoître fort exactement de quelle maniere ces effets se combinent, avant de faire aucun travail qui tende à produire quelque changement dans une riviere, sur-tout lorsqu’il s’agit d’en détourner le cours. Le Lamone qui se jette dans le Pô, ayant été détourné de son cours pour le faire décharger dans la mer Adriatique, a été si fort dérangé par ce changement, & sa force si diminuée, que ses eaux abandonnées à elles-mêmes, ont prodigieusement élevé leur lit par la déposition continuelle de leur limon ; de maniere que cette riviere est devenue beaucoup plus haute que n’est le Pô dans le tems de sa plus grande hauteur, & qu’il a fallu opposer au Lamone, des levées & des digues très-hautes pour en empêcher le débordement. Voyez Digue, Levée.

Un petit fleuve peut entrer dans un grand, sans en augmenter la largeur ni la profondeur. La raison de ce paradoxe est, que l’addition des eaux du petit fleuve peut ne produire d’autre effet, que de mettre en mouvement les parties qui étoient auparavant en repos proche des bords du grand, & rendre ainsi la vîtesse du courant plus grande, en même proportion que la quantité d’eau qui y passe. Ainsi le bras du Pô qui passe à Venise, quoiqu’augmenté du bras de Ferrare & de celui du Panaro, ne reçoit point d’accroissement sensible dans aucune de ses dimensions. La même chose peut se conclure, proportion gardée, de toutes les augmentations que l’eau d’un fleuve peut recevoir, soit par l’eau d’une riviere qui s’y jette, soit de quelqu’autre maniere.

Un fleuve qui se présente pour entrer dans un autre, soit perpendiculairement, soit même dans une direction opposée au courant de celui où il entre, est détourné peu-à-peu & par degrés de cette direction, & forcé de couler dans un lit nouveau & plus favorable pour l’union des deux rivieres.

L’union de deux rivieres en une doit les faire couler plus vîte, par la raison, qu’au lieu du frotement de quatre rivages, il n’y a plus que le frotement de deux à surmonter, & que le courant étant plus éloigné des bords coule avec plus de facilité ; outre que la quantité d’eau étant plus grande & coulant avec plus de vîtesse, doit creuser davantage le lit, & même le rendre si profond que les bords se rapprochent. De-là il arrive souvent que deux rivieres étant unies, occupent moins d’espace sur la surface de la terre, & produisent par-là un avantage dans les terreins bas, par la déposition continuelle que ces terreins y font des parties bourbeuses & superflues qu’ils renferment ; ils forment par ce moyen une espece de digue à ces rivieres, qui empêche les inondations. Sur quoi voyez l’article Confluent, où l’on fait voir que le physique dérange ici beaucoup le géométrique.

Ces avantages sont si considérables, que Guglielmini croit que la nature les a eus en vûe, en rendant la jonction & l’union des rivieres si fréquente.

Tel est l’abregé de la doctrine de Guglielmini, sur le mouvement des fleuves, dont M. de Fontenelle a fait l’extrait dans les mém. de l’acad. 1710.

Pour déterminer d’une maniere plus précise les lois générales du mouvement des fleuves, nous observerons d’abord qu’un fleuve est dit demeurer dans le même état, ou dans un état permanent, quand il coule uniformément, de maniere qu’il est toûjours à la même hauteur dans le même endroit. Imaginons ensuite un plan qui coupe le fleuve perpendiculairement à son fond, & que nous appellerons section du fleuve. Voyez Planche hydrostatiq. fig. 34.

Cela posé, quand un fleuve est terminé par des bords unis, paralleles l’un à l’autre & perpendiculaires à l’horison, & que le fond est au si une surface plane, horisontale ou inclinée, la section fera des angles droits avec ces trois plans, & sera un parallelogramme.

Or, lorsqu’un fleuve est dans un état permanent, la même quantité d’eau coule en même tems dans chaque section. Car l’état du courant ne seroit pas permanent, s’il ne repassoit pas toûjours à chaque endroit autant d’eau qu’il vient de s’en écouler. Ce qui doit avoir lieu, quelle que soit l’irrégularité du lit, qui peut produire dans le mouvement du fleuve différens changemens à d’autres égards, par exemple, un plus grand frotement, à proportion de l’inégalité du lit.

Les irrégularités qui se rencontrent dans le mouvement d’une riviere, peuvent varier à l’infini ; & il n’est pas possible de donner là-dessus des regles. Pour pouvoir déterminer la vîtesse générale d’un fleuve, il faut mettre à part toutes les irrégularités, & n’avoir égard qu’au mouvement général du courant.

Supposons donc que l’eau coule dans un lit régulier, sans aucun frotement sensible, & que le lit soit terminé par des côtés plans, paralleles l’un à l’autre, & verticaux ; enfin que le fond soit aussi une surface plane & inclinée à l’horison. Soit AE le lit, dans lequel l’eau coule, venant d’un réservoir plus grand, & supposons que l’eau du réservoir soit toûjours à la même hauteur, ensorte que le courant de la riviere soit dans un état permanent ; l’eau descend de son lit comme sur un plan incliné, & s’y accélere continuellement ; & comme la quantité d’eau qui passe par chaque section dans le même tems, doit être la même par-tout, il s’ensuit que la hauteur de l’eau doit diminuer à mesure qu’elle s’éloigne du réservoir, & que sa surface doit prendre la figure iqs, terminée par une ligne courbe iqs, qui s’approche toujours de plus en plus de CE.

Pour déterminer la vîtesse de l’eau dans les différens endroits de son lit, supposons que l’origine du lit ABCD soit fermée par un plan : si on fait un trou dans ce plan, l’eau jaillira plus ou moins loin du trou, selon que le trou sera plus ou moins distant de la surface de l’eau du réservoir hi ; & la vîtesse avec laquelle l’eau jaillira, sera égale à celle qu’acquerroit un corps pesant en tombant de la surface de l’eau jusqu’au trou ; ce qui vient de la pression de l’eau qui est au-dessus du trou : la même pression, & par conséquent la même force motrice subsiste quand l’obstacle AC est ôté, & chaque particule de l’eau coule dans le lit avec une vîtesse égale à celle qu’elle auroit acquise en tombant de la surface de l’eau jusqu’à la profondeur où est cette particule. Chaque particule se meut donc comme sur un plan incliné, avec un mouvement accéleré, & de la même maniere que si, tombant verticalement, elle avoit continué son mouvement à la même profondeur au-dessous de la surface de l’eau, à compter du réservoir de la riviere.

Donc si on tire la ligne horisontale it, les particules de l’eau auront en r la même vîtesse qu’acquerroit un corps, qui tombant de la hauteur IC, parcourroit la ligne Cr ; vîtesse qui est égale à celle qu’acquerroit un corps en tombant le long de tr. Par conséquent on peut déterminer en quelqu’endroit que ce soit la vîtesse du courant, en tirant de cet endroit une perpendiculaire au plan horisontal, que l’on conçoit passer par la surface de l’eau du réservoir de la riviere ; la vîtesse qu’un corps acquerroit en tombant de la longueur de cette perpendiculaire, est égale à la vîtesse de l’eau qu’on cherche, & cette vîtesse est par conséquent d’autant plus grande, que la perpendiculaire est plus grande. D’un point quelconque, comme r, tirez rs perpendiculaire au fond du lit, cette ligne mesurera la hauteur ou la profondeur de la riviere. Puisque rs est inclinée à l’horison, si des différens points de cette ligne on tire des perpendiculaires à it, elles seront d’autant plus courtes qu’elles seront plus distantes de r, & la plus courte de toutes sera su ; par conséquent les vîtesses des parties de l’eau dans la ligne rs, sont d’autant moindres qu’elles sont plus proches de la surface de la riviere, & d’autant plus grandes qu’elles en sont plus éloignées.

Cependant la vîtesse de ces parties approche de plus en plus de l’égalité, à mesure que la riviere fait plus de chemin : car les quarrés de ces vîtesses sont comme rt à su ; or la différence de ces lignes diminue continuellement, à mesure que la riviere s’éloigne de son origine, parce que la profondeur rs diminue aussi continuellement à mesure que ces lignes augmentent. Donc puisque la différence des quarrés des vîtesses diminue continuellement, à plus forte raison la différence des vîtesses doit diminuer aussi, puisqu’un quarré est toûjours en plus grand rapport avec un quarré plus petit que les racines de ces quarrés ne le sont entr’elles.

Si l’inclinaison du fond est changée à l’origine de la riviere, que le fond, par exemple, devienne yz, & qu’une plus grande quantité d’eau coule dans le lit, le lit deviendra plus profond dans toute la longueur de la riviere, mais la vîtesse de l’eau ne changera point. Car cette vîtesse ne dépend point de la profondeur de l’eau dans la riviere, mais de la distance qu’il y a de la particule mûe, au plan horisontal, qui passant par l’origine, est continué au-dessus de cette particule ; & cette distance est mesurée par la perpendiculaire rt ou su : or ces lignes ne sont point changées par la quantité d’eau plus ou moins grande qui coule dans le lit, pourvû que l’eau demeure à la même hauteur dans le réservoir

Supposons que la partie supérieure du lit soit fermée par quelqu’obstacle comme X, qui descende un peu au-dessous de la surface de l’eau : comme l’eau n’a pas en cet endroit la liberté de couler à sa partie supérieure, elle doit s’y élever ; mais la vîtesse de l’eau au-dessous de la cataracte n’augmentera point ; & l’eau qui vient continuellement, doit s’élever toûjours de plus en plus, de maniere qu’à la fin elle débonde, ou au-dessus de l’obstacle, ou au-dessus de ses bords. Si on élevoit les bords aussi-bien que l’obstacle, l’eau s’éleveroit à une hauteur au-dessus de it ; jusqu’à ce que cela arrive, la vîtesse de l’eau ne peut augmenter : mais quand une fois l’eau se sera élevée au-dessus de it, la hauteur de l’eau dans le réservoir sera augmentée. Car comme on suppose que la riviere est dans un état permanent, il faut nécessairement qu’il entre continuellement autant de nouvelle eau dans le réservoir, qu’il s’en échappe pour couler dans le lit : si donc il coule moins d’eau dans le lit, la hauteur de l’eau doit augmenter dans le réservoir, jusqu’à ce que la vîtesse de l’eau qui coule au-dessous de l’obstacle soit tellement augmentée, qu’il coule par-dessous l’obstacle autant d’eau qu’il en couloit auparavant dans le lit, lorsqu’il étoit libre. Voyez Onde.

Voilà la théorie de Guglielmini, sur la vîtesse des rivieres, théorie purement mathématique, & que les circonstances physiques doivent altérer beaucoup. Avant que d’entrer là-dessus dans quelque détail, je remarquerai 1°. que dans mes réflexions sur la cause générale des vents, Paris 1747, j’ai démontré p. 179, qu’un fluide qui par une cause quelconque se mouvroit horisontalement & uniformément entre deux bords verticaux, ne devroit pas toûjours s’accélérer dans les endroits où son lit viendroit à se retrécir, mais que suivant le rapport de sa profondeur avec l’espace qu’il parcourroit dans une seconde, il devoit tantôt s’abaisser dans ces endroits, tantôt s’y élever ; que dans ce dernier cas, il augmenteroit plus en hauteur en s’élevant, qu’il ne perdroit en largeur, & que par conséquent au lieu d’accélerer sa vîtesse, il devroit au contraire la ralentir, puisque l’espace par lequel il devroit passer, seroit augmenté réellement au lieu d’être diminué.

Je remarquerai 2°. que dans mon essai de la résistance des fluides, Paris 1752, j’ai donné le premier une méthode générale pour déterminer mathématiquement la vîtesse d’un fleuve en un endroit quelconque ; méthode qui demande une analyse très-compliquée, quand on veut faire entrer dans le problème toutes ses circonstances, quoiqu’on fasse même abstraction du physique. Voyez l’ouvrage cité art. 156 & suiv.

Le mouvement des eaux dans le cours des fleuves, s’écarte considérablement de la théorie géométrique. 1°. Non-seulement la surface d’un fleuve n’est pas de niveau d’un bord à l’autre, mais même le milieu est souvent plus élevé que les deux bords ; ce qui vient de la différence de vîtesse entre l’eau du milieu du fleuve, & les bords. 2°. Lorsque les fleuves approchent de leur embouchure, l’eau du milieu est au contraire souvent plus basse que celle des bords, parce que l’eau des bords ayant moins de vîtesse, est plus refoulée par la marée. Voyez Flux. 3°. La vîtesse des eaux ne suit pas à-beaucoup-près la proportion de la pente ; un fleuve qui a plus de pente qu’un autre, coule plus vîte dans une plus grande raison que celle de la pente : cela vient de ce que la vîtesse d’un fleuve dépend encore plus de la quantité de l’eau & du poids des eaux supérieures, que de la pente. M. Kuhn, dans sa dissertation sur l’origine des fontaines, s’est donc trompé en jugeant de la pente des fleuves par leur vîtesse, & en croyant, par exemple sur ce principe, que la source du Danube est de deux milles d’Allemagne plus élévée que son embouchure, &c. 4°. Les ponts, les levées & les autres obstacles qu’on établit sur les rivieres, ne diminuent pas considérablement la vîtesse totale du cours de l’eau, parce que l’eau s’éleve à la rencontre de l’avant-bec d’un pont, ce qui fait qu’elle agit davantage par son poids pour augmenter la vîtesse du courant entre les piles. 5°. Le moyen le plus sûr de contenir un fleuve, est en général de retrécir son canal, parce que sa vîtesse par ce moyen est augmentée, & qu’il se creuse un lit plus profond ; par la même raison on peut diminuer ou arrêter quelquefois les inondations d’une riviere, non en y faisant des saignées, mais en y faisant entrer une autre riviere, parce que l’union des deux rivieres les fait couler l’une & l’autre plus vîte, comme on l’a dit ci-dessus. 6°. Lorsqu’une riviere grossit, la vîtesse augmente jusqu’à ce que la riviere déborde : alors la vîtesse diminue, sans doute parce que le lit est augmenté en plus grande proportion que la quantité d’eau. C’est par cette raison que l’inondation diminue proche l’embouchure, parce que c’est l’endroit où les eaux ont le plus de vîtesse.

De la mesure de la vîtesse des fleuves. Les Physiciens & les Géometres ont imaginé pour cela différens moyens. Guglielmini en propose un dans ses ouvrages, qui nous paroît trop composé & trop peu certain. Voyez son traité della natura de’ fiumi, & son aquarum fluentium mensura. Parmi les autres moyens, un des plus simples est celui du pendule. On plonge un pendule dans l’eau courante, & on juge de la vîtesse de l’eau par la quantité à laquelle le poids s’éleve, c’est-à-dire par l’angle que le fil fait avec la verticale. Mais cette méthode paroît meilleure pour comparer ensemble les vîtesses de deux fleuves, que pour avoir la vîtesse absolue de chacun. Les tangentes des angles sont à la vérité entr’elles, comme les quarrés des vîtesses, & cette regle est assez sûre : mais il n’est pas aussi facile de déterminer directement la vîtesse du fleuve par l’angle du fil. Voyez Résistance des Fluides & Fluide.

Un autre moyen est celui que M. Pitot a proposé dans les mémoires de l’académie de 1732. Il prend un tuyau recourbé, dont la partie supérieure est verticale, & l’inférieure horisontale. Il plonge cette derniere dans l’eau, ensorte que l’eau entre par la branche horisontale. Selon les lois de l’Hydraulique, d’eau doit s’élever dans le tuyau vertical, à une hauteur égale à celle dont un corps pesant devroit tomber, pour acquérir une vîtesse égale à celle de l’eau. Mais on sent encore que ce moyen est assez fautif : 1°. l’eau sera retardée par l’angle qui forme la partie horisontale avec la verticale : 2°. elle le sera encore le long du tuyau par le frotement, ainsi elle s’élevera moins qu’elle ne devroit suivant la théorie ; & il est très-difficile de fixer le rapport entre la hauteur à laquelle elle s’éleve, & celle à laquelle elle doit s’élever, parce que la théorie des frotemens est très-peu connue. Voyez Frotement.

Le moyen le plus simple & le plus sûr pour connoître la vîtesse de l’eau, est de prendre un corps à-peu-près aussi pesant que l’eau, comme une boule de cire, de le jetter dans l’eau, & de juger de la vîtesse de l’eau par celle de cette boule ; car la boule acquiert très-promptement & presqu’en un instant, une vîtesse à-peu-prés égale à celle de l’eau. C’est ainsi qu’après s’être épuisé en inventions sur des choses de pratique, on est forcé d’en revenir souvent à ce qui s’étoit présenté d’abord. Voyez les ouvrages de Guglielmini, celui de Varenius, & l’histoire naturelle de M. de Buffon, d’où cet article est tiré. (O)

Fleuve ou Riviere d’Orion, (Astronomie.) est le nom qu’on donne quelquefois dans l’Astronomie à une constellation, qui s’appelle aussi éridan. Voyez Eridan. (O)

Fleuve, (Myt. Icon. Litt.) Il y avoit peu de fleuves, surtout dans la Grece & dans l’Italie, auxquels on ne trouvât des statues & des autels consacrés au dieu du fleuve, où on alloit faire des libations, & quelquefois même des sacrifices. « Les Egyptiens, dit Maxime de Tyr, honorent le Nil à cause de son utilité ; les Thessaliens, le Pénée (aujourd’hui Selembria), à cause de sa beauté ; les Scythes le Danube, pour la vaste étendue de ses eaux ; les Etoliens l’Achéloüs, à cause de son combat avec Hercule ; les Lacédémoniens l’Eurotas (aujourd’hui Vasilipotamo), par une loi expresse qui le leur ordonnoit ; les Athéniens l’Ilissus, par un statut de religion ».

A ce détail, nous pouvons ajoûter le Rhin, qu’on trouve représenté dans les médailles avec ces mots, deus Rhenus ; le Tibre, qui étoit pour ainsi dire une des divinités protectrices de Rome ; le Pamise, fleuve du Péloponnese, à qui les Messéniens offroient tous les ans des sacrifices ; & enfin le Clitomne (aujourd’hui Clitonne), petite riviere d’Italie dans l’état de l’Eglise & en Ombrie, qui non-seulement passoit pour dieu, mais même rendoit des oracles. Il est vrai que c’est le seul des fleuves qui eût ce privilége ; car la Mythologie ni l’Histoire ancienne ne font mention d’aucun autre oracle de fleuve ou de riviere.

Voici comme Pline le jeune, liv. VIII. parle de ce dieu Clitomne, & c’est un trait d’histoire qui mérite d’être cité. « A la source du fleuve Clitomne est un temple ancien & fort respecté ; Clitomne est là habillé à la romaine : les sorts marquent la présence & le pouvoir de la divinité : il y a à-l’entour plusieurs petites chapelles, dont quelques-unes ont des fontaines & des sources ; car Clitomne est comme le pere de plusieurs autres petits fleuves qui viennent se joindre à lui. Il y a un pont qui fait la séparation de la partie sacrée de ses eaux avec la profane : au-dessus de ce pont, on ne peut qu’aller en bateau ; au-dessous il est permis de se baigner ».

Hésiode dit que les fleuves sont enfans de l’Océan & de Thétis, pour nous marquer qu’ils viennent de la mer comme ils y rentrent. Ils sont décrits sous la figure de vénérables vieillards, pour marquer qu’ils sont aussi anciens que le monde ; c’est pour cela que les poëtes latins les appellent du nom de pere : da nunc Tybri pater, dit Virgile. Ils ont la barbe & la chevelure longues & traînantes, parce qu’on les suppose mouillées. Ils sont couronnés de jonc, couchés à terre, appuyés sur une urne d’où sort l’eau qui forme la riviere. C’est encore de cette maniere qu’on les représente dans nos ballets où il y a des entrées de fleuves.

Les anciens ont aussi donné des cornes aux fleuves, soit parce qu’ils sont appellés les cornes de l’Océan, ou plûtôt parce que la plûpart se partagent ordinairement en plusieurs canaux avant que d’entrer dans la mer : c’est pourquoi Virgile a dit, Rhenus bicornis, parce que le Rhin n’avoit de son tems que les deux canaux qui formoient l’île des Bataves, avant que Drusus Germanicus en eût ouvert un troisieme pour joindre ses eaux avec celles de l’Issel. Mais aujourd’hui que nous ne peignons plus les fleuves avec des cornes, je ne crois pas qu’il fût permis aux poëtes modernes de parler dans leurs vers des cornes des fleuves ; parce que la Poésie ne doit étaler que des images nobles & connues : il est au contraire très permis aux Peintres & aux Graveurs, de représenter les fleuves par des figures humaines debout, ou couchées sur le gason, &c. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.