L’Encyclopédie/1re édition/MOINE

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MOINE, voyez Ange.

Moine, s. m. (Hist. eccles.) nom qui signifie proprement solitaire, & qui dans un sens étroit s’entend de ceux, qui selon leur premiere institution, doivent vivre éloignés des villes & de tout commerce du monde.

Parmi les Catholiques, on le donne communément à tous ceux qui se sont engagés par vœu à vivre suivant une certaine regle, & à pratiquer la perfection de l’évangile.

Il y a toujours eu des Chrétiens, qui à l’imitation de S. Jean-Baptiste, des prophetes & des réchabites, se sont mis en solitude pour vaquer uniquement à l’oraison, aux jeûnes & aux autres exercices de vertu. On les appella ascetes, c’est-à-dire, exercitans ; ou moines, c’est-à-dire solitaires, du grec μονος, seul. Voyez Ascetes.

Il y en avoit dès les premiers tems dans le voisinage d’Alexandrie qui vivoient ainsi renfermés dans des maisons particulieres, méditant l’Ecriture-sainte, & travaillant de leurs mains. D’autres se retiroient sur des montagnes ou dans des déserts inaccessibles, ce qui arrivoit principalement pendant les persécutions. Ainsi S. Paul, que quelques-uns regardent comme le premier des solitaires Chrétiens, s’étant retiré fort jeune dans les déserts de la Thébaïde, pour fuir la persécution de Dece, l’an 250. de J. C. y demeura constamment jusqu’à l’âge de cent treize ans.

Le P. Pagi, Luc Holstenius, le P. Papebrok, Bingham dans ses antiquités ecclésiastiques, liv. VII. c. j. § 4. reconnoissent que l’origine de la vie monastique ne remonte pas plus haut que le milieu du troisieme siecle. S. Antoine, Egyptien comme S. Paul, fut, selon M. l’abbé Fleury, le premier qui assembla dans le désert un grand nombre de moines. Cependant Bingham, remarque d’après S. Jerôme, que S. Antoine lui-même assuroit que S. Pacome avoit le premier rassemblé des moines en commun, & leur avoit donné une regle uniforme, ce qu’il n’exécuta que dans le quatrieme siecle. Mais il est facile de concilier ces contrariétés, en observant que S. Antoine fut le premier qui rassembla plusieurs solitaires en commun, qui habitoient dans le même désert, quoique dans des cellules séparées & dans des habitations éloignées les unes des autres ; & qui se soumirent à la conduite de S. Antoine, au lieu que S. Pacome fonda dans le même pays les fameux monasteres de Tabenne.

Ses disciples qu’on nomma cénobites, parce qu’ils étoient réunis en communautés, vivoient trente ou quarante ensemble en chaque maison, & trente ou quarante de ces maisons composoient un monastere, dont chacun par conséquent comprenoit depuis 1200 moines jusqu’à 1600. Ils s’assembloient tous les Dimanches dans l’oratoire commun de tout le monastere. Chaque monastere avoit un abbé pour le gouverner, chaque maison un supérieur, un prevôt, prœpositum, chaque dixaine de moines un doyen decennarium, & même des religieux préposés pour veiller sur la conduite de cent autres moines, centenarios. Tous les monasteres reconnoissoient un seul chef & s’assembloient avec lui pour célébrer la Pâque, quelquefois jusqu’au nombre de cinquante mille cénobites, & cela des seuls monasteres de Tabenne, outre lesquels il y en avoit encore en d’autres parties de l’Egypte, ceux de Secté, d’Oxyrinque, de Nitrie, de Mareote. Ces moines Egyptiens ont été regardés comme les plus parfaits & les originaux de tous les autres.

S. Hilarion, disciple de S. Antoine, établit en Palestine des monasteres à peu-près semblables, & cet institut se répandit dans toute la Syrie. Eustathe évêque de Sébaste, en établit dans l’Arménie & la Paphlagonie, & S. Basile qui s’étoit instruit en Egypte en fonda sur la fin du quatrieme siecle dans le Pont & dans la Cappadoce, & leur donna une regle qui contient tous les principes de la morale chrétienne. Dès-lors la vie monastique s’étendit dans toutes les parties de l’Orient, en Ethiopie, en Perse, & jusques dans les Indes. Elle étoit déja passée en occident dès l’an 340, que S. Athanase étant venu à Rome & y ayant apporté la vie de S. Antoine qu’il avoit composée, porta les fideles d’Italie à imiter le même genre de vie, il se forma des monasteres, des moines & des vierges sous la conduite des évêques. S. Ambroise & S. Eusebe de Verceil avoient fait bâtir des monasteres près de leurs villes épiscopales. Il y en eut un fameux dans l’île de Lérins en Provence, & les petites îles des côtes d’Italie & de Dalmatie, furent bien-tôt peuplées de saints solitaires. On regarde S. Martin, comme le premier instituteur de la vie monastique dans les Gaules, elle passa un peu plus tard dans les îles Britanniques. Mais dans tout l’occident la discipline n’étoit pas si exacte qu’en orient ; on y travailloit moins, & le jeûne y étoit moins rigoureux.

Il y avoit des hermites ou anachoretes, c’est-à-dire des moines plus parfaits, qui après avoir vécu long-tems en communauté pour dompter leurs passions & s’exercer à toutes sortes de vertus, se retiroient plus avant dans les solitudes, pour vivre en des cellules séparées plus détachés des hommes & plus unis à Dieu. C’étoit ainsi que s’achevoient pour l’ordinaire les plus illustres solitaires, voyez Anachoretes ; mais l’abbé conservoit son autorité sur eux.

Les moines étoient pour la plûpart laïques, & même leur profession les éloignoit des fonctions ecclésiastiques. Il ne falloit d’autre disposition pour le devenir que la bonne volonté, un desir sincere de faire pénitence & d’avancer dans la perfection. Il ne faut pourtant pas s’imaginer qu’on les y admît sans épreuve : Pallade dans son histoire de Lamiaque, ch. xxxviij. dit expressément, que celui qui entre dans le monastere & qui ne peut pas en soutenir les exercices pendant trois ans, ne doit point être admis. Mais que si durant ce terme, il s’acquite des œuvres les plus difficiles, on doit lui ouvrir la carriere : in stadium prodeat. Voilà l’origine bien marquée du noviciat usité aujourd’hui, mais restraint à un tems plus court. Voyez Noviciat.

Au reste, on y recevoit des gens de condition & de tout âge, même de jeunes enfans que leurs parens offroient pour les faire élever dans la piété. Le onzieme concile de Toléde avoit ordonné, qu’on ne leur fît point faire profession avant l’âge de dix-huit ans & sans leur consentement, dont l’évêque devoit s’assurer. Le quatrieme concile de la même ville par une disposition contraire, attacha perpétuellement aux monasteres ceux que leurs parens y avoient offert dès l’enfance ; mais cette décision particuliere n’a jamais été autorisée par l’Eglise. Les esclaves étoient aussi reçus dans les monasteres comme les libres, pourvû que leurs maîtres y consentissent. Les gens mariés n’y pouvoient entrer sans le consentement de leurs femmes, ni les femmes sans celui de leurs maris, ni les gens attachés à la cour par quelqu’emploi, que sous le bon plaisir du prince.

Tout l’emploi des moines consistoit dans la priere & dans le travail des mains. Les évêques néanmoins tiroient quelquefois les moines de leur solitude pour les mettre dans le clergé ; mais ils cessoient alors d’être moines, & ils étoient mis au nombre des clercs. S. Jerome distingue toujours ces deux genres de vie : alia monachorum est causa, dit-il dans son épître à Héliodore, alia clericorum, clerici pascunt oves ; & ailleurs, monachus non docentis habet officium, sed plangentis, epist. 55. ad Bipar. Quand on leur eut permis de s’approcher des villes, ou même d’y habiter pour être utiles au peuple ; la plûpart d’entr’eux s’appliquerent aux lettres, aspirerent à la cléricature, & se firent promouvoir aux ordres, sans toutefois renoncer à leur premier état. Ils se rendirent alors utiles aux évêques en Orient, & acquirent de la réputation sur-tout dans l’affaire de Nestorius ; mais parce que quelques-uns abuserent de l’autorité qu’on leur avoit donnée ; le concile de Chalcédoine statua, que les moines seroient soumis entierement aux évêques, sans la permission desquels ils ne pourroient bâtir aucun monastere, & qu’ils seroient éloignés des emplois ecclésiastiques, à-moins qu’ils n’y fussent appellés par leurs évêques. Ils n’avoient alors d’autre temporel, que ce qu’ils gagnoient par le travail de leurs mains, mais ils avoient part aux aumônes que l’évêque leur faisoit distribuer, & le peuple leur faisoit aussi des charités. Il y en avoit néanmoins qui gardoient quelque chose de leur patrimoine, ce que S. Jerome n’approuvoit pas. Pour ce qui est du spirituel, ils se trouvoient à l’église épiscopale ou à la paroisse avec le peuple, ou bien on leur accordoit de faire venir chez eux un prêtre pour leur administrer les Sacremens. Enfin, ils obtinrent d’avoir un prêtre qui fût de leur corps, puis d’en avoir plusieurs, ce qui leur donna occasion de bâtir des églises joignant leurs monasteres, & de former un corps régulier composé de clercs & de laiques.

Tous les vrais moines étoient cénobites ou anachoretes ; mais il y eut bientôt deux especes de faux moines. Les uns demeuroient fixes, à la vérité, mais seuls, ou seulement deux ou trois ensemble, indépendans & sans conduite ; prenant pour regle leur volonté particuliere, sous prétexte d’une plus grande perfection : on les nommoit sarabaïtes, voyez Sarabaïtes. Les autres que l’on nommoit gyrosaques, ou moines errans, & qui étoient les pires de tous, couroient continuellement de pays en pays, passant par les monasteres sans s’arrêter en aucun, comme s’ils n’eussent trouvé nulle part une vie assez parfaite. Ils abusoient de l’hospitalité des vrais moines, pour se faire bien traiter : ils entroient en tous lieux, se mêloient avec toutes sortes de personnes, sous prétexte de les convertir, & menoient une vie deréglée à l’abri de l’habit monastique qu’ils deshonoroient.

Bingham observe que les premiers moines qui parurent en Angleterre & en Irlande, furent nommés apostoliques, & cela du tems des Pictes & des Saxons, avant que saint Augustin y eût été envoyé par le pape saint Grégoire ; mais il ne dit rien de positif sur l’origine de ce nom. Il parle aussi, après Bede, des deux monasteres de Banchor ou de Bangor, situés l’un en Angleterre, & l’autre en Irlande, dans lesquels on comptoit plusieurs milliers de moines. Il parle aussi de différens autres noms donnés, mais moins communément aux anciens moines, comme ceux d’aumetes, de studites, de stilytes, de silentiaires, de βοσκοι, c’est-à-dire paissans, donné aux moines de Syrie & de Mésopotamie, parce qu’ils ne vivoient que d’herbes qu’ils fauchoient dans les champs & sur les montagnes : on les appelloit encore, selon le même auteur, hesychartes ou quiétistes, à cause de la vie tranquille & retirée qu’ils menoient ; continans & renonçans, parce qu’ils renonçoient au monde & au mariage ; quelquefois philosophes & philothées, c’est-à-dire amateurs de la sagesse ou de Dieu ; cellulani & insulani, parce qu’ils habitoient dans des cellules, ou se retiroient dans des îles. Bingham. origi. Eccles. tom. III. lib. vij. c. ij. p. 35. & suiv.

Il y avoit près de deux siecles que la vie monastique étoit en vigueur quand saint Benoît, après avoir long-tems vécu en solitude, & long-tems gouverné des moines, écrivit sa regle pour le monastere qu’il avoit fondé au mont Cassin, entre Rome & Naples. Il la fit plus douce que celle des Orientaux, permettant un peu de vin & deux sortes de mets, outre le pain ; mais il conserva le travail des mains, le silence exact & la solitude : cette regle fut trouvée si sage, qu’elle fut volontairement embrassée par la plûpart des moines d’occident, & elle fut bientôt apportée en France. Le moine saint Augustin l’introduisit en Angleterre sur la fin du vj. siecle.

Les Lombards en Italie, & les Sarrasins en Espagne, désolerent les monasteres ; les guerres civiles qui affligerent la France sur la fin de la premiere race, causerent aussi un grand relâchement : on commença à piller les monasteres qui étoient devenus riches par les donations que la vertu des moines attiroit, & que leur travail augmentoit. L’état étant rétabli sous Charlemagne, la discipline se rétablit aussi sous sa protection, par les soins de saint Benoît d’Aniane, à qui Louis le Débonnaire donna ensuite autorité sur tous les monasteres. Cet abbé donna les instructions sur lesquelles fut dressé, en 817, le grand réglement d’Aix-la-Chapelle ; mais il resta beaucoup de relâchement : le travail des mains fut méprisé, sous prétexte d’étude & d’oraison : les abbés devinrent des seigneurs ayant des vassaux, & étant admis aux parlemens avec les évêques, avec qui ils commençoient à faire comparaison : ils prenoient parti dans les guerres civiles, comme les autres seigneurs : ils armoient leurs vassaux & leurs serfs ; & souvent ils n’avoient pas d’autre moyen de se garantir du pillage : d’ailleurs il y avoit des seigneurs laïcs qui, sous prétexte de protection, se mettoient en possession des abbayes, ou par concession des rois, ou de leur propre autorité, & prenoient même le titre d’abbés. Les Normands qui couroient la France en même tems, acheverent de tout ruiner. Les moines qui pouvoient échapper à leurs ravages, quittoient l’habit & revenoient chez leurs parens, prenoient les armes, ou faisoient quelque trafic pour vivre. Les monasteres qui restoient sur pié, étoient occupés par des moines ignorans, souvent jusqu’à ne savoir pas lire leur regle, & gouvernés par des supérieurs étrangers ou intrus. Fleuri, Instit. au droit ecclés. tom. I. part. I. c. xxj.

Au milieu de ces miseres, ajoute le même auteur, saint Odon commença à relever la discipline monastique dans la maison de Cluny, fondée par les soins de l’abbé Bernon, en 910, voyez Cluny. Elle reprit encore un nouveau lustre dans celle de Citeaux, fondée par saint Robert, abbé de Molesme, en 1098, voyez Citeaux. Dans l’onzieme siecle on travailla à la réformation du clergé séculier, & c’est ce qui produisit les diverses congrégations de chanoines réguliers, auxquels on confia le gouvernement de plusieurs paroisses, & dont on forma même des chapitres dans quelques églises cathédrales, sans parler du grand nombre de maisons qu’ils fonderent par toute l’Europe. Les croisades produisirent aussi un nouveau genre de religion ; ce furent les ordres militaires & hospitaliers, voyez Chanoines reguliers, Ordres & Hospitaliers. A ceux-ci succéderent les ordres mendians : saint Dominique & S. François d’Assise en furent les premiers instituteurs, & à leur exemple, on en forma plusieurs autres, dont les religieux faisoient profession de ne point posséder de biens, même en commun, & de ne subsister que des aumônes journalieres des fideles. Ils étoient clercs la plûpart, s’appliquant à l’étude, à la prédication, & à l’administration de la pénitence, pour la conversion des hérétiques & des pécheurs. Ces fonctions vinrent principalement des Dominicains ; le grand zele de pauvreté vint principalement des Franciscains : mais en peu de tems tous les mendians furent uniformes, & on auroit peine à croire combien ces ordres s’étendirent promptement. Ils prétendoient rassembler toute la perfection de la vie monastique & de la vie cléricale ; l’austérité dans le vivre & le vêtement, la priere, l’étude & le service du prochain. Mais les fonctions cléricales leur ont ôté le travail des mains ; la solitude & le silence des anciens moines. & l’obéissance à leurs supérieurs particuliers, qui les transférerent souvent d’une maison, ou d’une province à l’autre, leur a ôté la stabilité des anciens clercs, qui demeuroient toûjours attachés à la même église, avec une dépendance entiere de leur évêque, voyez Mendians.

Les anciens moines, comme nous l’avons dit, étoient soumis à la jurisdiction des ordinaires ; les nouveaux ordres ont tenté de s’y soustraire, par des privileges & des exemptions qu’ils ont de tems en tems obtenues des papes. Mais le concile de Trente a ou restreint ou révoqué ces privileges, & rappellé les choses au droit commun ; en sorte que les réguliers ne peuvent s’immiscer dans le ministere ecclésiastique, sans l’approbation des évêques.

Depuis le commencement du xvj. siecle, il s’est élevé plusieurs congrégations de clercs réguliers, tels que les Théatins, les Jésuites, les Barnabites, &c. dont nous avons parlé en détail sous leurs titres particuliers. Voyez Théatins, Jésuites, &c.

Ainsi tous les ordres religieux, depuis leur établissement jusqu’à présent, peuvent être rapportés à cinq genres : moines, chanoines, chevaliers, religieux mandians, clercs réguliers.

Les Grecs ont aussi des moines qui, quoique différens entre eux, regardent tous saint Basile comme leur pere & leur fondateur, & pratiquent ses constitutions avec la derniere régularité. Ils n’ont pourtant pas tous la même discipline générale, ou façon de vivre. Les uns s’appellent κοινοϐιακοι, & les autres ιδιορυθμοι. Les premiers sont ceux qui demeurent ensemble & en commun, qui mangent dans un même réfectoire, qui n’ont rien de particulier entre eux pour l’habit, & qui ont enfin les mêmes exercices. Ils sont ainsi nommés de κοινος, commun, & de βιος, vie, c’est-à-dire religieux qui vivent en commun. Il y a néanmoins deux ordres parmi eux ; car les uns se disent être du grand & angélique habit, lesquels sont d’un rang plus élevé & plus parfait que les autres, qu’on appelle du petit habit, qui sont d’un rang inférieur, & ne menent pas une vie si parfaite que les premiers. Voyez Angelique.

Ceux qu’on nomme ιδιορυθμοι, vivent comme il leur plaît, ainsi que porte leur nom, composé du grec ιδιος, propre ou particulier, & ρυθμος, regle ou mesure. C’est pourquoi avant que de prendre l’habit, ils donnent une somme d’argent pour avoir une cellule, & quelques autres choses du monastere. Le célerier leur fournit du pain & du vin, de même qu’aux autres ; & ils pourvoient eux-mêmes au reste. Exemts de tout ce qu’il y a d’onéreux dans le monastere, ils s’appliquent à leurs affaires. Quand quelqu’un de ceux-ci est prêt à mourir, il legue, par testament, ce qu’il possede tant dedans que dehors le monastere, à celui qui l’a assisté dans ses besoins. Celui-ci augmente encore par son industrie, les biens dont il a hérité ; & laisse par testament, ce qu’il a acquis à celui qu’il a pris aussi pour compagnon. Le reste du bien qu’il possede, c’est-à-dire, ce que son maître lui avoit laissé en mourant, demeure au monastere qui le vend ensuite. Il s’en trouve néanmoins de si pauvres parmi ces derniers moines, que n’ayant pas de quoi acheter un fonds, ils sont obligés de donner tout leur travail au monastere, & de s’appliquer aux plus vils emplois : ceux-là font tout pour le profit du couvent.

Il y a un troisieme ordre de ces moines, auxquels on a donné le nom d’anachoretes : ceux-ci ne pouvant travailler ni supporter les autres charges du monastere, achetent une cellule dans un lieu retiré, avec un petit fonds dont ils puissent vivre ; & ne vont au monastere qu’aux jours de fêtes pour assister à l’office : ils retournent ensuite à leurs cellules, où ils s’occupent à leurs affaires ou à leurs prieres. Il y a quelquefois de ces anachoretes qui sortent de leur monastere avec le consentement de l’abbé, pour mener une vie plus retirée, & s’appliquer davantage à la méditation. Le monastere leur envoie une fois ou deux le mois des provisions, lorsqu’ils ne possedent ni fond ni vignes ; mais ceux qui ne veulent point dépendre de l’abbé, louent quelque vigne voisine de leur cellule, la cultivent & en mangent les fruits, ou ils vivent de figues & de quelques fruits semblables : on en voit aussi qui gagnent leur vie à écrire des livres. Les monasteres de la Grece sont ordinairement vastes, bien bâtis, avec de fort belles églises, où les moines chantent l’office jour & nuit.

Outre ces moines, il y a des moinesses qui vivent en communauté, & qui sont renfermées dans des monasteres, sous la regle de saint Basile. Elles ne sont pas moins austeres que les moines, dans tout ce qui concerne la vie monastique. Elles ont une abbesse ; mais leur monastere dépend toujours d’un abbé qui leur donne un moine des plus anciens & des plus vertueux, pour les confesser & leur administrer les autres sacremens. Il dit la messe pour elles, & regle les autres offices. Ces religieuses ont la tête rasée, & portent toutes un habit de laine noire, avec un manteau de même couleur. Elles ont les bras couverts jusqu’au bout des doigts ; chacune a sa cellule séparée, où il y a de quoi se loger tant en haut qu’en bas, & celles qui sont les plus riches, ont une servante : elles nourrissent même quelquefois, dans la maison, de jeunes filles qu’elles élevent dans la piété. Lorsqu’elles ont rempli les obligations de leur état, elles font des ouvrages à l’aiguille, & des ceintures qu’elles vendent aux laïcs & même aux Turcs, qui témoignent du respect pour ces religieuses. Leo Alaius, lib. III. de ecclés. orient.

Bingham prétend que les anciens moines ne faisoient point de profession ni de vœux. Cependant ce qu’on lit dans saint Basile, Epist. Can. c. xix. paroît directement contraire à la premiere de ces prétentions : Virorum professiones, dit ce pere, non novinus præter quam si qui se ipsos monachorum ordini addixerint ; qui tacite videntur celibatum admittere. Sed in illis quoque illud existimo procedere oportere, ut ipsi interrogentur & evidens eorum accipiatur professio. Ce S. docteur, qui avoit tracé des regles aux moines qu’il institua, jugeoit donc que la profession tacite ne suffisoit pas ; mais qu’il en falloit une expresse, publique & solemnelle : & il y a tout lieu de croire que les moines d’Egypte, chez qui il avoit puisé ces regles les pratiquoient. Pour répondre à sa seconde objection, il est bon de distinguer les tems & les faits. S. Athanase écrivant au moine Dracone, lui dit qu’il y a eu des moines mariés, & qui ont eu des enfans, & d’autres moines qui n’ont point eu de postérité : Monachi autem reperiuntur qui filios suscepére… Monachos autem nullam posteritatem habuisse cernimus. Car outre qu’on peut très-bien entendre ce passage de moines dont les uns ont eu des enfans avant que d’entrer dans le monastere, & dont les autres n’en ont jamais eu, parce qu’ils y sont entrés si jeunes qu’ils n’ont pu se marier, ni vivre dans le siecle, ce qui n’exclut, ni dans les uns ni dans les autres, le vœu de continence : Marc-Antoine de Dominis, & Bingham lui-même, reconnoissent que ces sortes de moines qui avoient eu des enfans, étoient des moines séculiers, c’est-à-dire, des chrétiens qui n’avoient pas renoncé au monde, comme les moines disciples de saint Antoine ou de saint Pacôme : c’étoient des chrétiens fervens qui vivoient dans le siecle avec leurs femmes ; & qui pratiquoient toutefois la vie ascétique, c’est-à-dire l’exercice des vertus chrétiennes dans leur état. Or qu’est-ce que tout cela a de commun avec les moines proprement dits ? Concluroit on que ceux-ci ne renonçoient pas à leurs biens & à leurs possessions, parce que ces moines seculiers conservoient leurs biens. Il seroit donc aussi absurde de conclure de ce que ceux-ci ne renonçoient pas au mariage, que les premiers n’y renonçoient pas non plus. Mais, ajoute Bingham, les mariages contractés par les moines après leur entrée en religion, n’ont jamais été déclarés nuls & invalides par la primitive Eglise. Il n’apporte aucun sait en preuve, mais il nous fournit lui-même une réponse victorieuse : que le concile de Chalcédoine, tenu en 451, avoit statué, canon xvj. Virginem que se Domino Deo dedicavit, similiter & monachos non licere matrimonio conjungi. Il déclare donc déjà ces mariages illicites ; mais depuis l’autorité temporelle, réunie à la puissance spirituelle, les a déclarés nuls : lui en contestera t-on le droit ? Et ces mariages étoient-ils légitimes en Angleterre avant le schisme ?

Le même auteur déclame aussi fort vivement contre l’habillement des différens ordres de moines. On peut voir ce que nous avons dit sur cette matiere ; sous le mot Habits, où l’on trouvera des raisons capables de satisfaire tout esprit non prévenu.

Moine des Indes, voyez Rhinoceros.

Moines blancs, est un nom commun à plusieurs ordres religieux, & qu’on leur donne, parce qu’ils sont habilles de blanc. Tels sont les chanoines réguliers de saint Augustin, les prémontrés, les feuillans, &c.

Moines noirs, est aussi un nom commun donné à plusieurs autres ordres religieux, dont les membres portent des habits noirs, tels que les Bénédictins, &c.

Moine, terme d’Imprimerie, se dit de l’endroit d’une feuille imprimée, qui n’ayant point été touché avec la balle, par l’ouvrier de la presse, vient blanc, ou pâle, tandis que le reste de la feuille est imprimé comme il convient. Ce défaut vient, ou de la précipitation, ou de l’inattention de l’ouvrier.