L’Encyclopédie/1re édition/STATUE

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STATUE, s. f. (Sculpt. & Archit. Décorat.) figure de plein relief taillée ou fondue, qui imite dans la représentation tous les êtres de la nature. Mais ordinairement une statue représente un dieu, un homme, une femme ; & l’on a coutume d’embellir de statues les palais ou les places publiques. On distingue différentes especes de statues, dont nous ne donnerons ici que de courtes définitions, renvoyant les détails au mot Statues des Grecs & des Romains.

Statue allégorique. Statue qui représente quelque symbole, comme les parties de la terre, les saisons, les ages, les élémens, les tempéramens, les heures du jour. Telles sont les statues modernes de marbre du parc de Versailles.

Statue colossale. Statue qui excede le double ou le triple du naturel, ou statue d’une hauteur démesurée.

Statue curule. On appelle ainsi les statues qui sont dans des chariots de course tirés par deux, quatre ou six chevaux, comme il y en avoit aux cirques, hyppodromes, &c. ou dans les chars, comme on en voit à des arcs de triomphe sur quelques médailles antiques.

Statue équestre. Statue qui représente un homme à cheval, comme celle de Marc-Aurele à Rome, d’Henri IV. de Louis XIII. de Louis XIV. à Paris, &c.

Statue de fonte. Statue de plusieurs morceaux séparés & remontés sur une armature de fer, ou statue formée de grands morceaux fondus d’un jet. Telle est la statue équestre érigée dans la place de Vendôme, & qu’on peut regarder comme un chef-d’œuvre de fonderie. Voy. les détails de cet art au mot Bronze.

Statue grecque. C’est une statue nue & antique. Les Grecs se servoient de ces statues pour représenter leurs divinités, les athletes des jeux olympiques & les héros ; celles-ci étoient appellées statues d’Achille, parce qu’il y en avoit quantité qui représentoient Achille dans la plûpart des villes de Grece.

Statue hydraulique. C’est toute figure qui sert d’ornement à quelque fontaine & grotte, ou qui fait l’office de jeu ou de robinet par quelqu’une de ses parties, ou par un attribut qu’elle tient. C’est aussi tout animal qui sert au même usage, comme les grouppes des deux bassins quarrés du haut parterre de Versailles.

Statue iconique, est toute statue qui a la taille & la ressemblance de la personne qu’elle représente.

Statue pedestre. Statue qui est en pié ou debout. Il y a à Paris deux statues de cette espece qui ont été élevées à la gloire de Louis XIV. l’une dans la place des Victoires, faite par Desjardins, l’autre dans l’hôtel-de-ville par Coisevox.

Statue persique. Figure d’homme en pierre ou en terme, qui fait l’office de colonnes dans les bâtimens. On appelle statue caryatide celle d’une femme qui sert au même usage.

Statue romaine, est une statue couverte de quelque habillement.

Statue sacrée. On appelle ainsi une figure qui représente Jesus-Christ, la Vierge, ou quelque saint, dont on décore les autels, l’extérieur ou l’intérieur des églises. (D. J.)

Statues des Grecs & des Romains, (Antiq. greq. & rom.) quoique les Grecs & les Romains ayent eu des termes differens pour présenter à l’esprit l’idée que nous mettons au mot de statues, ils n’en ont affecté spécialement aucun pour distinguer les statues des dieux & des demi-dieux, & celles des hommes, des animaux & des choses inanimées. Les Grecs ont employé en général les termes εἰκόνες, ἀνδριάντες, ἀγάλματα, ἐπιστήματα, βρέτεα, ξόανα, comme les Romains ceux de statuæ, imagines, simulachra, sculptilia.

Comme l’explication de ces divers synonymes seroit fort ennuyeuse, il vaut mieux remarquer que tous les peuples du monde ont consacré de bonne heure les statues à la religion. Les Egyptiens montrerent l’exemple : ces peuples, dit Diodore de Sicile, liv. I. frappés d’admiration en observant le mouvement régulier du soleil & de la lune, les regarderent comme les premieres divinités auxquelles ils se croyoient redevables de toute la douceur de leur vie. Ils bâtirent des temples à leur honneur, poserent à l’entrée de ces édifices sacrés des figures de sphinx, & dans l’intérieur des statues de lions, à cause de l’entrée du soleil dans le signe du lion, au tems des débordemens du Nil, principe de la fertilité de leurs terres dans toute l’étendue de son inondation. Osiris leur avoit enseigné l’agriculture ; ils l’honorerent, après sa mort, sous la figure d’une genisse.

La promptitude des Israélites à élever le serpent d’airain, montre que cette nation avoit appris en Egypte l’art de la statuaire. Cet art passa promptement chez les Grecs & chez les Romains, qui chargerent leurs temples de superbes statues, depuis celle de Cybelle jusqu’à celle d’Isis, après qu’ils eurent adopté le polythéïsme.

Il seroit peut-être à souhaiter que les payens n’eussent jamais songé à faire entrer les statues & les images dans leur culte religieux, du-moins le Christianisme épuré pouvoit s’en passer. Le peuple n’est pas capable de s’élever au-dessus des sens ; mettant toujours l’accessoire à la place du principal, il cherche à s’acquitter aisément ici la superstition le subjugue, & là la dépravation l’entraîne dans des excès criminels.

Elien, Hist. var. liv. IX. c. xxxjx. rapporte qu’un jeune athénien devint amoureux de la statue de la Bonne Fortune qui étoit dans le Prytanée. Les vœux fréquens qu’il lui présentoit l’échaufferent à un tel point, qu’après avoir trouvé des raisons pour excuser dans son esprit la folie de sa passion, il vint à l’assemblée des prytanes, & leur offrit une grosse somme pour l’acquisition de la statue : on le refusa ; il orna la statue avec toute la magnificence qui pouvoit être permise à un particulier, lui fit un sacrifice, & se donna la mort Pline, l. XXXVI. c. jv. Valere-Maxime, VIII. xj. Athenée, l. VIII. Plutarque, in Gryllo ; Clément d’Alexandrie, admonit. ad Gentiles ; Arnobe, lib. adversus Gentiles, sont remplis d’exemples de ces foiblesses humaines pour les statues de Vénus qu’on voyoit à Gnide & dans l’île de Chypre.

Quoi qu’il en soit, après les dieux, l’honneur des statues fut communiqué aux demi-dieux & aux héros que leur valeur élevoit au-dessus des autres, & qui par des services éclatans s’étoient rendus vénérables à leur siecle.

Quelques-uns ont reçu ces honneurs pendant leur vie, & d’autres les ayant refusés, les ont mérités après leur mort par un motif de reconnoissance encore moins équivoque. Tel fut Scipion, à qui Rome ne rendit cet éclatant témoignage de son estime que quand il ne fut plus en état de s’y opposer lui-même. Etant censeur, il avoit fait abattre toutes les statues que les particuliers s’étoient érigées dans la place publique, à-moins qu’ils n’eussent été autorisés à le faire par un decret du sénat ; & Caton aima mieux que l’on demandât pourquoi on ne lui en avoit point élevé, que si on pouvoit demander à quel titre on lui avoit fait cet honneur-là.

Suétone dit qu’Auguste déclara par un édit que les statues qu’il avoit fait élever en l’honneur des grands hommes de toutes les nations, ne l’avoient été que pour leur servir d’exemple, de même qu’aux princes ses successeurs, & afin que les citoyens en désirassent de semblables. Mais on sait assez que la plûpart de ses successeurs en furent plus redevables à la crainte de leurs sujets qu’à leur propre mérite ; aussi sentant bien qu’ils n’avoient rien de semblable à espérer après leur mort, ils se hâtoient de se faire rendre par force ou par complaisance un hommage qui n’étoit dû qu’à la vertu.

Les statues, comme les temples, faisoient une partie considérable des apothéoses dont il est si souvent parlé dans les auteurs de l’histoire d’Auguste ; on y trouve un grand détail des cérémonies essentielles qui se pratiquoient en ces occasions, & de tout ce que la flatterie y ajouta pour plaire davantage aux vivans dans des honneurs si légerement décernés aux défunts. Les Romains étoient si scrupuleux dans ces dédicaces de temples ou de statues, qu’ils les auroient recommencées s’ils s’étoient apperçus qu’un seul mot ou même une seule syllabe y eût été obmise ; & Pline observe que le pontife Métellus, qui étoit begue, se prépara pendant six mois à prononcer le nom de la déesse Ops-opifera, à laquelle on devoit dédier une statue.

Les législateurs ont été honorés de statues dans presque tous les états ; quelques hommes illustres ont partagé avec eux cet honneur ; mais d’autres se défiant de la reconnoissance & de l’estime publique, n’attendirent pas qu’on le leur accordât, ils éleverent à eux-mêmes des statues à leurs frais ; & c’est peut-être à cette liberté que l’on doit les réglemens qui défendirent d’en ériger sans l’aveu des censeurs. Mais ces ordonnances ne s’étendoient pas sur les statues que les personnes de quelque consideration faisoient poser pour l’ornement de leurs maisons de campagne, où quelquefois à côté des leurs, ils en élevoient pour des esclaves dont les services leur avoient été agréables, ce qui n’étoit pas permis à la ville, du-moins pour les esclaves.

Valere-Maxime dit qu’une statue de Sémiramis la représentoit au même état où elle se trouvoit lorsqu’on vint dire que les habitans de Babylone s’étoient révoltés ; elle étoit à sa toilette, n’ayant qu’un côté de ses cheveux relevés ; & s’étant présentée en cet état à son peuple, il rentra aussi-tôt dans le devoir.

Cornélius Népos, dans la vie de Chabrias, rapporte que les Athéniens qui honoroient d’une statue les athletes victorieux à quelque jeu que ce fût de la Grece, le firent représenter appuyé sur un genou, couvert de son bouclier, la lance en arrêt, parce que Chabrias avoit ordonné à ses soldats de se mettre dans cette attitude pour recevoir l’attaque des soldats d’Agésilaüs, qui furent défaits. Ces mêmes Athéniens éleverent à Bérose, qui a vécu du tems d’Alexandre, & non au tems de Moïse, ainsi que l’établit Eusebe, une statue dont la langue étoit dorée, & qui fut posée dans le lieu des exercices publics par estime pour ses écrits, & pour ses observations astronomiques.

Pline dit que Lucius Minucius Augurinus, qui s’opposa aux desseins ambitieux de Mélius, & qui de l’état de sénateur où il étoit né, passa à celui de plebéien pour pouvoir être tribun du peuple, ayant rétabli l’abondance à Rome, fut honoré d’une statue à la porte Trégemina ; & Patin cite la médaille qui le représente comme il l’étoit dans cette statue, tenant en sa main deux épis, symbole de l’abondance.

Les femmes même qui avoient rendu quelque service à la république, furent associées à la prérogative d’avoir des statues. On ordonna une statue équestre à Clélia, échappée des mains de Porsenna qui la gardoit en ôtage. La vestale Suffétia eut par un decret du sénat, la permission de choisir le lieu qui lui plairoit pour poser la statue qui lui fut décernée en reconnoissance de quelques terres dont elle fit présent à la ville de Rome ; & Denys d’Halicarnasse en allegue quelques autres exemples.

Quand le sénat ordonnoit une statue, il chargeoit les entrepreneurs des ouvrages publics de prendre au trésor de l’état de quoi fournir à la depense qui convenoit. Il y avoit un terme fixé pour l’exécution de cet ordre, & des officiers préposés pour y tenir la main.

En accordant la permission ou le droit d’élever des statues, le sénat en déterminoit le lieu, avec un terrein de cinq piés d’étendue autour de la base, afin que la famille de ceux à qui il avoit fait cette faveur eût plus de commodité pour assister aux spectacles qui se donnoient dans les places publiques, avant qu’on eût bâti les amphithéâtres & les cirques. La concession du lieu étoit proportionnée à la dignité de celui que l’on vouloit honorer, & à l’action qui lui procuroit l’avantage d’avoir une statue par autorité publique.

Quelques-unes étoient placées dans les temples ou dans les cirques, où le sénat s’assembloit, d’autres dans la place de la tribune aux harangues, dans les lieux les plus éminens de la ville, dans les carrefours, dans les bains publics, sous les portiques destinés à la promenade, à l’entrée des aqueducs, sur les ponts ; & avec le tems il s’en trouva un si grand nombre, que c’étoit un peuple de pierres ou de marbre : partout, dit Cicéron, on les honoroit en brûlant de l’encens devant ces représentations ; on y portoit des offrandes, on y allumoit des cierges ; & comme on en posoit selon les occurrences, à l’occasion de quelque action singuliere, dans des lieux moins fréquentés, il y avoit des officiers chargés du foin de les faire garder ; ces officiers sont appellés dans le droit romain, comites, curatores statuarum, & tutelarii.

Les lieux destinés à la représentation des comédies & des tragédies, étoient accordés pour élever des statues à ces fameux acteurs qui faisoient les délices du peuple ; les auteurs des belles pieces de théâtre n’y avoient pas moins de droit, mais le plus souvent on les plaçoit dans les bibliotheques, sur-tout depuis que Pollion en eût ouvert de publiques.

On ordonnoit quelquefois des statues pour faire passer à la postérité la punition de quelque trahison ou de quelque crime contre l’état ; on les posoit couchées par-terre & sans base, pour les tenir à la portée des insultes dont parle Juvénal.

Solin remarque, que Dédale fut le premier qui imagina de donner aux statues l’attitude naturelle d’une personne qui marche ; avant lui elles avoient les piés joints, & on les appelloit chez les Romains compernes.

Les statues assises étoient communément employées pour représenter les dieux & les déesses, comme un symbole du repos dont ils jouissoient. On représentoit de même les premiers magistrats pour exprimer la situation tranquille de leur ame, dans l’examen & la discussion des affaires.

Quant à la matiere dont elles étoient composées, il y a apparence que l’argille comme la plus maniable, & la plus susceptible de formes arbitraires, y fut d’abord employée. Après lui avoir donné la figure qui convenoit au dessein, l’ouvrier la laissoit durcir au soleil, ou la faisoit sécher au feu, pour la mettre en état de résister plus long-tems aux injures de l’air ; peut-être même que l’incrustation de quelque matiere plus dure pour la préserver d’altération, conduisit ceux qui inventerent l’art de fondre les métaux, à se servir de l’argille pour la composition des moules.

Le bois fut ensuite mis en œuvre comme plus traitable que la pierre ou les métaux ; les Romains n’eurent pendant long-tems dans leurs temples que des dieux de bois grossiérement taillés, même après que les Sculpteurs eurent assujetti la pierre & le marbre. Les statues des dieux se faisoient souvent par préférence d’un certain bois, plutôt que d’un autre. Priape fut d’abord de bois de figuier pour le jardinier qui imploroit son assistance, contre ceux qui voloient ses fruits ; le vigneron voulut que son Bacchus fût de bois de vigne ; & l’on employoit celui d’olivier pour les statues de Minerve : Mercure, en sa qualité de dieu des Sciences, ne se tailloit pas tout de bois, surtout pour être joint à Minerve par les hermathènes, & à Hercule par les hermeracles.

Hérodote rapporte que les Epidauriens réduits à la derniere misere par la stérilité de leurs terres, envoyerent consulter l’oracle de Delphes, qui leur répondit, que le remede à leurs maux étoit attaché à l’érection de deux statues à l’honneur des déesses Damia & Auxesia, en les faisant tailler d’olivier franc. Comme le seul territoire d’Athenes nourrissoit de ces sortes d’arbres, ils envoyerent en demander ; on leur en promit, sous la condition que tous les ans à certains jours les Epidauriens députeroient quelques-uns de leurs citoyens, pour faire à Athènes des sacrifices à Minerve & à Erechthée. Après quelques années, cette servitude déplut aux Epidauriens, qui voulurent s’en affranchir, & on leur déclara la guerre. Il paroît en examinant le nom de ces deux divinités peu connues, que ce n’étoit qu’un avertissement de l’oracle, pour engager les Epidauriens à donner plus de soin qu’ils n’en donnoient à la culture de leurs terres.

Pausanias fait mention de quelques statues de bois qui avoient le visage, les mains & les piés de marbre ; d’autres de bois doré & peint, avec le visage, les piés & les mains incrustés d’ivoire. Le même historien dit que Théodore de Samos fut le premier qui découvrit l’art de fondre le fer, & que Tisagoras fut le premier qui en fit usage pour fondre plusieurs statues ; mais ce métal est trop poreux, & par-là trop susceptible de la rouille pour avoir été longtems mis en œuvre, sur-tout pour être exposé en plein air ou dans des lieux humides. Le cuivre qui devint bronze par son alliage avec l’étain ou le plomb de douze jusqu’à vingt-cinq livres par cent, a une consistance bien plus fusible, & se trouve moins sujet à l’altération.

L’or & l’argent ont encore été employés pour les statues, il ne faut qu’ouvrir Pausanias pour en trouver de fréquens exemples : mais Valere-Maxime observe que ni à Rome, ni en aucun endroit de l’Italie, on n’avoit vû de statues d’or, avant que Glabrion en exposât une équestre pour Marcus-Acilius Glabrion son pere, dans le temple de la piété, après la défaite d’Antiochus le grand aux Thermopyles. Les magistrats d’Athènes, lors de leur installation, faisoient serment qu’ils seroient exacts observateurs des lois, & qu’ils ne recevroient aucuns présens pour l’administration de la justice, sous peine de faire élever à leurs dépens une statue d’or d’un certain poids ; l’ivoire entroit encore dans la fabrique des statues.

J’ignore s’il y avoit des statues magiques faites avec de la cire pour être plus susceptibles des maléfices, mais il est certain que le bois de buis comme le plus compact, étoit employé dans les secrets de la magie. Photius, dans l’extrait des XXII. livres des histoires d’Olympiodore, fait mention d’une statue élevée à Reggio, qui avoit la vertu d’arrêter les feux du mont Etna, & qui empêchoit les Barbares de venir désoler les côtes.

Pline & beaucoup d’historiens ont parlé de la statue artificielle de Memnon, qui retentissoit tous les matins au lever du soleil, & dont les débris, à ce que disent quelques auteurs, rendoient au lever du soleil un son semblable à celui des cordes d’un instrument lorsqu’elles viennent à se casser.

Néalcés de Cyzique rapporte, qu’après la mort de Méton, les habitans d’Acragas s’étant révoltés, Empédocle appaisa la sédition, conseilla à ses citoyens de prendre le gouvernement républicain, & qu’ayant fait de grandes libéralités au peuple, & doté les filles, qui faute de bien ne trouvoient pas à se marier, il avoit couvert de pourpre la statue qu’on avoit fait dresser à son honneur, & y avoit fait rapporter une cuirasse dorée & d’autres ornemens, qui furent pillés par les Romains.

Voilà la premiere statue grecque qui irrita leur cupidité, mais dès qu’ils furent vainqueurs & maîtres de la terre, ils embellirent leur ville des plus fameuses statues répandues dans le monde. Métrodore de Scepsis dit que les Volociniens furent attaqués par les Romains, sans autre motif que celui de s’emparer de deux mille statues qui servoient à l’ornement de leur ville. Mummius en enleva un grand nombre de l’Achaïe, Lucullus du Pont, Antoine d’Ephèse ; Néron fit enlever toutes celles qui étoient à Olympie ; le seul Caton se contenta de transporter de Cypre à Rome la statue de Zénon par considération pour le mérite de ce philosophe.

Il étoit ordinaire à Rome de mettre des statues jusques sur les tombeaux. Festus Pompeius raconte qu’on trouvoit près de la porte romaine un lieu appellé Statuæ Cinciæ, à cause du grand nombre de statues qui y étoient sur les sépultures de la famille Cincia ; mais les lois Athéniennes défendoient même de poser des statues de Mercure au-dessus des colonnes sépulchrales ; & Démétrius de Phalere à qui l’on avoit élevé plus de trois cens statues, réduisit la hauteur des colonnes ou des pyramides sépuchrales à trois coudées.

Lucien dans le dialogue intitulé Philopseudes, ou le Crédule, fait mention d’une statue qui avoit la vertu de guérir la fievre, & dont les genoux étoient chargés des marques de la reconnoissance de ceux qui en avoient obtenu quelque soulagement ; & il rapporte tout de suite la punition d’un malheureux qui avoit volé le petit trésor de cette statue. Mais le même auteur se moque des statues qu’on prétendoit qui suoient, qui se remuoient, & qui rendoient des oracles. Cependant les Romains portoient un tel respect, une telle vénération aux statues de leurs princes, que la loi défendoit à un maître de maltraiter son esclave qui s’étoit réfugié auprès de la statue d’un empereur ; & du tems de Tibere, c’étoit une espece de crime, que d’avoir seulement changé de robe devant une statue. L’empereur Claude fit ôter celle d’Auguste de la place publique, où l’on exécutoit les coupables condamnés, pour ne la point profaner par un pareil spectacle.

Pausanias observe aussi que les Grecs regardoient comme une affaire capitale de voler une statue, ou de l’ôter de sa place. Il nous a conservé là-dessus l’histoire de Théagene, fils de Thémosthène, prêtre d’Hercule à Thasos. Dans son enfance il étoit d’une si grande force, qu’à l’âge de neuf ans, revenant du lieu où il alloit faire ses exercices, il enleva, dit-on, une statue d’airain ; il fut arrêté, & on ne fit grace à son âge, qu’à condition qu’il la replaceroit ; ce qu’il exécuta dans le moment. Il remporta jusqu’à 1400 prix en différens jeux de la Grece, si nous en croyons le texte grec du même Pausanias ; car le traducteur qui les a réduits à 400, ne s’y est déterminé que par le motif d’une plus grande vraissemblance. Un de ses concurrens qui l’avoit trop souvent rencontré dans son chemin pendant qu’il vivoit, avoit passé de la jalousie à une haine si forte contre lui, qu’il alloit toutes les nuits charger de coups de fouet la statue de ce vainqueur ; & cette statue étant tombée sur celui qui la traitoit si indignement, l’écrasa. Ses enfans demanderent en justice vengeance de la mort de leur pere, fondés sur la loi de Dracon qui condamnoit à l’exil, les choses même inanimées, qui avoient occasionné la mort d’un homme ; les Thasiens ordonnerent que la statue seroit précipitée dans la mer ; mais ils en furent punis par la stérilité de leurs terres. Ils envoyerent à Delphes ; l’oracle leur conseilla de rappeller les exilés ; on oublia la statue de Théagene, & la stérilité continua : nouvelle députation ; l’oracle rappella le souvenir de l’injure faite à Théagene : des plongeurs tirerent la statue de la mer ; on la rétablit avec honneur. Elle fut depuis en très-grande vénération ; & on imploroit son secours en différentes maladies.

On profanoit les statues en les renversant par terre, en les couvrant de boue, en arrachant ou biffant les inscriptions, comme Pline le fait connoître dans le panégyrique de Trajan ; Suétone exprime avec bien de la force ce sentiment du sénat lui-même à la mort de Domitien ; voici ses termes : Contrà senatus adeò lætatus est, ut repleta certatim curia non temperaret, quin mortuum contumeliosissimo atque acerbissimo acclamationum genere laceraret, scalas etiam afferri, clypeosque, & imagines ejus coram detrahi, & ibidem solo affigi juberet, novissimè eradendos ubique titulos, & abolendam omnem memoriam decerneret.

Ces observations générales sur les statues, suffiront à la plûpart des lecteurs ; mais les curieux desireront encore des détails particuliers qui leur facilitent l’intelligence de Pline, de Pausanias, & des autres écrivains de la Grece & de Rome : tâchons de les servir en quelque chose.

La liberté de faire des statues, multiplia les temples & les divinités : nous ne connoissons les dieux par le visage, dit Cicéron, que parce qu’il a plu aux Peintres & aux Sculpteurs de nous les représenter ainsi : deos eâ facie novimus quâ Pictores & Sculptores voluerunt. Aussi Aristophane appelle les Sculpteurs θεοποιοὺς, faiseurs de dieux, & Julius Pollux, la statuaire, θεοποιητικὴ, la fabrication des dieux.

La matiere de cet art statuaire, artis statuariæ, comme Pline l’appelle, fut le métal de toutes especes ; car quoique le cuivre & le bronze en fussent la matiere la plus commune, cependant, les Egyptiens, & d’autres peuples, y employerent le fer, l’or, & l’argent. La premiere statue de bronse qu’on vit à Rome, fut celle de la déesse Cérès ; on la fit des deniers provenans de la vente des meubles de Cassius, qui fut tué par son propre pere, parce qu’il aspiroit à la royauté. Il est vrai que la statue d’Hercule dédiée par Evandre, & celle de Janus consacrée par Numa, étoient plus anciennes & de même métal ; mais la fonte en venoit de dehors, nec dubium in Hetruriâ factitatas, dit Pline, l. XXXIV. c. vij.

Les premieres statues d’argent qu’on vit à Rome étoient d’Asie ; je parle de celles de Pharnace & de Mithridate, rois de Pont, que Pompée fit porter dans son triomphe ; il est vrai que bientôt après on commença d’en fondre à Rome, & dans les provinces de l’empire. Les premieres furent à l’honneur d’Auguste, & on en fit un grand nombre. Dans la suite, on fondit deux statues d’argent en l’honneur de Commode, dont l’une pesoit quinze cens livres, & dont l’autre étoit accompagnée d’un taureau & d’une vache d’or, à cause que ce prince affectoit le titre de fondateur de Rome, & qu’il s’avisa d’appeller cette ville coloniam commodianam. Domitien, au rapport de Suétone, ordonna qu’on ne fit aucune statue à sa ressemblance pour mettre au capitole, si elle n’étoit d’or ou d’argent, & d’un certain poids, par lui désigné : statuas sibi in capitolio non nisi aureas & argenteas poni permisit, ac ponderis certi. Il me semble par les vers suivans de Stace, que le poids des statues d’or fixé par Domitien, étoit de cent livres.

Da capitolinis æternum sedibus annum,
Quo niteant sacri centeno pondere vultus
Cæsaris.

Toutefois les empereurs romains ne furent pas les premiers du monde qui eurent des statues d’or à leurs images ; car Georgias Léontin, qui vivoit longtems avant eux, & qui n’étoit qu’un simple particulier, se fit représenter en une statue solide de pur or, qu’il dédia au temple d’Apollon à Delphes, vers la 70e olympiade : tant étoient grandes les richesses que procuroit alors le talent de la parole. C’est Pline, l. XXXIII. c. iv. qui nous apprend cette particularité : hominum primus & auream statuam & solidam Georgias Leontinus Delphis in templo sibi posuit, lxx. circiter olympiadæ, tantus erat docendæ artis oratoriæ quæstus.

Les statues ne différoient pas seulement par la matiere ; elles différoient encore par la forme & par la grandeur. Pour ce qui regarde la forme, il faut d’abord observer que les unes étoient nues, & les autres vétues ; chez les Grecs, toutes les statues étoient nues, à l’exception de celles de Lucine qu’on couvroit jusqu’aux piés ; chez les Romains, elles étoient couvertes d’un habit conforme au rang, & au sexe. Pline le dit en ces termes : Græca res est nihil velare, at contra romana & militaria, thoracas addere.

Les Grecs faisoient leurs statues toutes nues, afin de mieux représenter la nature, & de mettre dans leurs ouvrages la respiration & la vie. Aussi faut-il convenir qu’on apperçoit dans les statues grecques une légereté & une finesse dans les draperies, à-travers desquelles le nud se découvre, une élégance, une délicatesse dans les contours, une correction de dessein, une majesté dans les attitudes ; qualités auxquelles les sculpteurs romains ne purent jamais atteindre. Virgile le savoit bien, quand il attribue la science de bien gouverner à sa nation, & qu’il ne peut refuser aux Grecs l’excellence de la fonte & de la sculpture : c’est d’eux qu’il dit, Enéid. liv. VI. v. 848.

Excudent alii spirantia molliùs æra
Credo equidem, vivos ducent de marmore vultus,
Orabunt causas meliùs, cœlique meatus
Describent radio, & surgentia sidera dicent.
Tu regere imperio populos, Romane, memento,
Parcere subjectis, & debellare superbos.

« D’autres peuples plus industrieux feront respirer l’airain, & sauront animer le marbre ; ils auront des orateurs plus éloquens, & des astronomes plus habiles, qui liront dans les cieux, & mesureront le cours des étoiles. Pour toi, romain, songe à subjuguer & à régir les nations ; c’est à toi de faire la guerre & la paix, de pardonner aux peuples soumis, & de dompter ceux qui te résistent : tels sont les arts qui te sont réservés ».

Les Romains distinguoient leurs statues par les habillemens. Ils appelloient statuæ paludatæ celles des empereurs qui étoient revêtus du paludamentum, long manteau de guerre : telles étoient les statues de Jules-César placées au capitole, & gravées en taille-douce dans le recueil des statues, publié à Rome en 1584 par Laurentius Vaccarius. Les statues thorocatæ, étoient celles des capitaines & des chevaliers avec leur cotte-d’armes. Loricatæ, étoient celles des soldats avec leur cuirasse. Mais, dit Pline, Cæsar quidem dictator loricatam sibi dicari in foro suo passus est. Les trabiées, trabeatæ, étoient celles des sénateurs & des augures. Togatæ, celles des magistrats en robes longues ; tunicatæ, celles du peuple avec une simple tunique ; enfin, stolatæ statuæ, étoient celles des femmes habillées de leurs stoles ou longues robes.

Mais on peut diviser commodément les statues antiques en pédestres, équestres, & curules, c’est-à-dire, à pié, à cheval, & en char. Entrons dans quelques détails sur cette division, parce qu’elle fournit quantité de faits curieux.

Les statues équestres sont de l’invention des Grecs qui les appelloient celetas, du mot κέλης, cheval de monture ; & c’est par de telles statues qu’on representoit en marbre ou en bronze les vainqueurs aux quatre grands jeux de la Grece ; ensuite on les figura sur des chars tirés à deux, à quatre, ou à six chevaux de front, qu’on appelloit bigæ, quadrigæ, & sejuges ; c’est ainsi qu’en parle Pline, l. XXXIV. c. v. Equestres utiquè statuæ romanam celebrationem habent, orto sine dubio à Græcis exemplo, sed illi celetas tantum dicabant in sacris victores ; posteà verò & qui bigis & quadrigis vicissent, undè & nostris currus in his, qui triumphabant verùm hoc & in his, non nisi à divo Augusto sejuges.

Les statues pédestres occupoient trois endroits remarquables à Rome. 1°. On les mettoit dans des niches pratiquées dans les entre-colomnes des bâtimens, ou bien sur les chapiteaux desdites colonnes. C’est ainsi que M. Scaurus étala publiquement trois mille statues de bronze dans son théâtre ; & c’est ainsi qu’Auguste décora deux galeries de son forum. Dans l’une, il plaça tous les rois latins, depuis Enée portant son pere sur ses épaules, jusqu’à Amulius ; dans l’autre étoient les rois de Rome, depuis Romulus jusqu’à Tarquin-le-superbe, conjointement avec les généraux qui avoient reculé les frontieres de l’empire, tous revêtus de leurs habits triomphaux ; ce sont à ces deux rangs de statues qu’Ovide sait allusion, quand il dit, tract. lib. V.

Hinc videt Æneam oneratum pondere charo,
Et tot Juleæ nobilitatis avos :
Hinc videt illiadem humero ducis arma ferentem ;
Claraque dispositis acta subesse viris.

Par ce dernier vers, Ovide nous fait entendre qu’il y avoit sous chaque statue une inscription en l’honneur de celui qu’elle représentoit. Auguste qui se trouvoit du nombre, avoit la sienne qui nommoit toutes les provinces qu’il avoit réunies à l’empire, comme Velleius Paterculus le rapporte, l. XI. c. xxxix. Quarum provincia um titulis forum ejus prænitet ; ce sont ces inscriptions que les Historiens appelloient acta, tituli, indices. Il y en avoit de semblables toutes dorées dans le forum de Trajan & l’empereur Antonin en augmenta le nombre qu’il plaça dans le forum ulpien : Quibus nobilibus viris, bello germanico defunctis statuas in foro ulpio collocavit, dit Aulu-Gelle, l. XIII. c. xxiij.

2°. On posoit aussi les statues pédestres sur des pilastres, que l’on élevoit au milieu & aux deux côtés des frontispices d’une pleine architecture. Ces endroits étoient par leur élévation, les vraies places d’honneur des statues pédestres. C’étoit aussi en pareils lieux que se trouvoit dans le forum d’Auguste la belle statue de Minerve, toute d’ivoire. Pausanias ajoute, qu’à l’exemple d’Auguste, ses successeurs rechercherent dans tous les coins du monde les plus belles statues pédestres, pour en orner leurs ouvrages publics & embellir la ville de Rome : Et ipsum, & reliquos principes, pleraque ornamentorum talia undique avexisse, & ad opera sua ornanda traduxisse.

Le troisieme lieu destiné à porter les statues pédestres, étoit les colonnes solitaires, c’est-à dire, non appliquées au bâtiment. Ces statues sur colonnes se dressoient pour l’ordinaire à l’honneur de ceux qui avoient rendu des services signalés à la république, par leurs exploits, leur savoir, ou leurs vertus. Caïus Mævius fut le premier que le sénat honora de ce genre de récompense, après sa victoire contre les Latins, & celle qu’il gagna sur mer contre les Antiates. On mit de-même la statue de Trajan sur la colonne de cet empereur plantée au milieu du forum magnifique dont il embellit Rome. On plaça de-même la statue d’Antonin-le-débonnaire sur sa colonne plantée au champ de Mars, haute de 161 piés, & percée d’un bout à l’autre d’un escalier de 207 marches qui tiroient le jour de cinquante petites ouvertures.

On voyoit, tant à Rome que dans les campagnes, plusieurs autres statues pédestres de particuliers, placées sur des colonnes solitaires. C’est assez de citer ici celle de Caïus Duellius qui vainquit sur mer les Carthaginois ; & celle que le sénat & le peuple romain décernerent à P. Minutius au-delà de la porte dite Trejemina. Voyez les Ornamenti di fabriche antichi è moderni di Romà, de Bartolomaeo Rossi fiorentino.

Les statues pédestres furent connues dans Rome avant les équestres. Cependant les deux premieres équestres qu’on y vit, étoient assez anciennes ; puisque l’une fut élevée en l’honneur de Clélie qui s’échappa des mains de Porsenna, & passa le Tibre à la nage sur un bon cheval ; & l’autre étoit à la gloire d’Horatius surnommé le borgne : c’est Pline qui nous l’apprend. Pedestres, dit-il, sine dubio Romæ fuêre in autoritate longo tempore. Equestrium tamen origo per quam vetus est, cum fæminis etiam honore communicato ; Cleliæ enim statua est equestris. Hanc primam & Horatii coclitis publicè dicatam crediderim.

Les marchés de Rome & les places publiques étoient décorées des plus belles statues équestres. Jules César ordonna de mettre celle qui le représentoit dans le forum de son nom. Le cheval & la statue avoient été taillés par Lysippe pour Alexandre-le-grand. César fit ôter la tête d’Alexandre de dessus la statue, & y substitua la sienne. Stace, l. I. Syll. nous apprend cet échange :

Cædat equus, Latiæ qui contrà templa Diones
Cæsarei stat sede fori, quem tradere es ausus
Pellæo, Lysippe duci : mox Cæsaris ora
Auratâ cervice tulit.

C’est ici le moment de remarquer que les anciens faisoient souvent des statues, dont la tête se détachoit du reste du corps, quoique l’une & l’autre fussent d’une même matiere ; & pour faire promptement une nouvelle statue, ils se contentoient d’en changer la tête. Ainsi nous lisons dans Suétone, qu’au-lieu de briser les statues des empereurs, dont la mémoire étoit odieuse, on en ôtoit les têtes, à la place desquelles l’on mettoit celles des empereurs chéris ou considérés. De-là vient sans doute en partie qu’on a trouvé dans la suite des tems, quantité de têtes antiques sans corps.

Les statues équestres de Pollux, de Domitien, de Trajan, de Marc-Aurele, d’Antonin-le-pieux revêtu d’un long manteau qui lui pend de l’épaule gauche sur la croupe du cheval, ont une grande célébrité dans l’histoire. Elle vante aussi celles qu’Alexandre Severe fit mettre dans le forum transitorium de Nerva. Lampride en parle en ces termes : Statuas colossos, vel pedestres nudas, vel equestres, divis imperatoribus dicatas, in foro divi Nervæ quod transitorium dicitur, locavit, omnibus cum titulis & columnis æreis quæ gestorum ordinem continerent.

Les statues curules, soit de marbre ou de bronze, avoient pour lieu propre de leur emplacement, les arcs de triomphe. Comme on élevoit de tels arcs en l’honneur de ceux à qui le triomphe étoit décerné après leurs victoires, & que les triomphateurs, en entrant dans Rome, passoient par-dessous ces arcs sur des chars attelés de plusieurs chevaux de front, l’on mettoit leurs statues curules au-dessus desdits arcs pour en conserver la mémoire. Ainsi l’arc de triomphe érigé en l’honneur d’Auguste sur le pont du Tibre, étoit orné de sa statue de bronze portée sur un char attelé de quatre chevaux. Ce même empereur ayant fait élever un arc de triomphe à son pere Octave, l’enrichit d’un quadrige, sur lequel étoient les représentations d’Apollon & de Diane. Le tout, char, chevaux, figures, étoit d’une seule piece de marbre, ouvrage de Lysias dont Pline, l. XXXVI. c. v. vante extrémement l’excellence. Enfin, l’on estimoit beaucoup l’arc de triomphe que le sénat & le peuple romain firent ériger en l’honneur de Trajan, dans la ville d’Ancône, & qui étoit orné de la statue de ce prince posée sur un char tiré par quatre chevaux. Eicherrius dans ses délices d’Italie, l. II. en parle en ces termes : In ejus medio noscitur arcus ille sublimis, quadrigis & trophæis in fastigio onustus A. S. P. Q. R. in ejus beneficii memoriam, Trajano ibidem erectus, & adhuc temporis extans.

C’est encore une belle chose à considérer que la différence de grandeur des statues, car quelle qu’en fût la matiere, de métal, de marbre ou d’ivoire, il y en avoit en tout genre, de grandes, de moyennes & de petites. On appella grandes statues celles qui surpassoient la grandeur naturelle des personnes pour lesquelles elles étoient faites ; on nomma moyennes ou athlétiques celles qui étoient conformes à leur grandeur, & petites celles qui étoient au-dessous. Ce n’est pas tout, les grandes se divisoient en trois ordres ; quand elles n’excédoient la hauteur naturelle que d’une moitié, on les nommoit augustes, & elles servoient à représenter les empereurs, les rois & les grands capitaines de Rome. Celles qui avoient deux fois leur grandeur s’appelloient héroïques, & on les consacroit aux demi-dieux & aux héros. Enfin lorsqu’elles s’étendoient jusqu’à trois hauteurs ou plus, elles prenoient le nom de colossales, & étoient destinées pour les dieux.

Quoique les premieres sortes de statues, c’est-à-dire les augustes & les héroïques, servissent communément à représenter en marbre ou en fonte les empereurs, les rois & les généraux romains, cependant on en étendit l’usage à quelques gens de lettres. L. Actius, célebre entre les poëtes de son tems, montra l’exemple en se faisant faire une statue de bronze beaucoup plus grande que sa taille, & qu’il mit dans le temple des muses hors la porte Capene. Notatum ab auctoribus, dit Pline, L. Actium poetam in camœnarum æde, maximâ formâ statuam sibi posuisse, quùm brevis admodum fuisset. Mais il est étonnant que les hommes ayent osé se faire ériger des statues semblables à celles que la religion avoit spécialement consacrées pour les dieux, je veux dire des statues colossales ; cependant on vit des rois & des empereurs, Sésostris, Attila, Eumenes, Néron, Domitien, Commode, &c. qui s’attribuerent tous le même honneur.

Tous les historiens, & Pline en particulier, se sont fort étendus sur la description des statues colossales de marbre ou de bronze, qui faisoient l’admiration publique. Audaciæ, moles statuarum excogitatas, quas colossos vocant, vidimus turribus pares, dit l’historien naturaliste de Rome. Telle étoit la statue de Jupiter olympien, chef-d’œuvre de Phidias ; sa hauteur étoit si prodigieuse, ajoute Pausanias, que ce dieu qui étoit assis, n’auroit pû se lever sans percer la voûte du temple. Telle étoit la Minerve d’Athènes haute de 36 coudées, & tel le Jupiter du capitole que Sp. Carvilius fit élever de la fonte des dépouilles des Samnites. Tel étoit encore un autre Jupiter au champ de Mars que l’empereur Claude y fit poser. Tel un Hercule, que Fabius Verrucanus tira de Tarente ; telle est enfin la statue colossale d’Apollon par Lysippe, dont la hauteur étoit de 40 coudées. Je passe sous silence le colosse de Rhodes dédié au soleil.

Pline, l. XXXIV. c. vij. ajoute que la Gaule avoit dans une ville d’Auvergne une statue de Mercure qui surpassoit tout ce qu’on connoissoit de statues colossales, ayant 400 piés de hauteur. C’étoit l’ouvrage de Zénodore, qui y avoit employé dix ans de travail & des sommes immenses. Voici ses paroles : Verùm omnem amplitudinem statuarum ejus generis vicit ætate nostrâ Zenodorus Mercurio facto in civitate Gallia Avernis per annos decem, pedum cccc. immani pretio. Néron, frappé de la renommée de cette statue, attira Zénodore à Rome, & l’engagea de faire à sa ressemblance une statue colossale de 100 piés de haut, selon Pline, ou de 120, selon Suétone, cap. xxxj. vestibulum fuit in quo colossus cxx. stabat ejus effigie. Il est vrai qu’après la mort de ce prince on ôta le nom de Néron à cette statue colossale, & on la dédia au soleil, ainsi que d’autres.

Le lecteur jugera sans doute qu’il n’étoit pas possible de travailler à un seul attelier les statues colossales qu’on vient de décrire ; or l’artiste, pour pouvoir les exécuter, distribuoit la besogne à un grand nombre d’ouvriers choisis, & leur traçoit les proportions, ensorte que quand ils rendoient les parties dont ils avoient été chargés séparément, elles se rapportoient avec tant de justesse, qu’en les rejoignant elles composoient un tout parfaitement assorti, & qui sembloit être du même bloc & de la même main. Pausanias nous a donné sur ce sujet des détails de l’art de la fonte qui méritent attention. Le Jupiter de bronze, dit-il, la plus ancienne des statues de ce métal, n’étoit point l’ouvrage d’une seule & même fabrique. Il a été fait dans le même tems par parties ; ensuite les pieces ont été si bien enchâssées & si bien jointes ensemble avec des clous, qu’elles font un tout fort solide. Nous avons vu renouveller de nos jours le même procédé par un artiste médiocre, qui a exécuté de la même maniere à Dresde une statue équestre plus grande que nature.

Les Grecs mettoient sur la base de leurs statues le nom de celui qu’elles représentoient ou qui en avoit fait la dépense ; ils pouvoient effacer ce même nom & en substituer un autre, c’est ce qu’ils firent souvent par flatterie, quand ils furent soumis aux Romains ; quelquefois ils changeoient en même tems la tête, ou en retouchoient les traits. Plutarque dit qu’ils userent de ce stratageme, & mirent le nom d’Antoine aux deux statues colossales d’Attalus & d’Euménès.

Considérez en passant les progrès de l’art statuaire, depuis les premieres statues taillées pour les dieux, jusqu’à la colossale que Néron se fit faire par Zénodore. La premiere idole de la Diane d’Ephese étoit un tronc d’orme, ou, selon Pline, une souche de vigne. Pausanias parle d’un Mercure de bois grossier, qui étoit dans le temple de Minerve Poliade. Avant que Rome triomphât de l’Asie, les statues des dieux consacrées dans les bocages n’étoient que de terre cuite. Cicéron, l. I. de la divination, dit que la statue de Summanus placée sur le faîte du temple de Jupiter étoit pareillement de terre. Les Romains ne pensoient pas alors qu’ils seroient un jour tellement épris de l’amour des statues, qu’ils publieroient une loi qui condamneroit à l’amende les statuaires chargés de faire des statues, si dans leurs ouvrages ils péchoient en quelque chose contre la regle de leur art & contre l’attente de ceux qui les employeroient.

Les statues de grandeur naturelle furent nommées athletiques ou iconiques, statuæ athleticoe, statuæ iconicæ, parce qu’elles imitoient mieux que les grandes & les petites la ressemblance de ceux pour lesquels elles étoient faites.

Les peuples de la Grece, pour perpétuer le souvenir des victoires remportées par les athletes, employerent tout l’art des Sculpteurs, afin de transmettre aux siecles à venir la figure & les traits de ces mêmes hommes qu’ils regardoient avec tant d’estime & d’admiration : on leur érigeoit ces statues dans le lieu même où ils avoient été couronnés, & quelquefois dans celui de leur naissance, & c’étoit ordinairement la patrie du vainqueur qui satisfaisoit les frais de ces monumens. Les premiers athletes pour qui on décora Olympie de ces sortes de statues (ce qui arriva dans la lix. & la lxj. olympiade, selon Pausanias), furent Praxidomes vainqueur au pugilat, & Rhexibius vainqueur au pancrace. La. statue du premier étoit de bois de cyprès ; & celle du second, de bois de figuier. Le bronze dans la suite devint la matiere la plus ordinaire de ces statues.

On ne les faisoit pas néanmoins toujours de grandeur naturelle, mais on accordoit cet honneur à ceux qui avoient vaincu aux quatre grands jeux de la Grece. Ces statues chez les Romains représentoient les athletes nuds, sur-tout depuis le tems qu’ils avoient cessé de se couvrir d’une espece d’écharpe ou de ceinture ; mais comme les athletes romains ne l’avoient point quittée, ils la conservoient dans leurs statues. On élevoit de ces monumens non-seulement aux athletes, mais encore aux chevaux, à la vîtesse desquels ils étoient redevables de la couronne agonistique ; & Pausanias témoigne que cela se fit pour une cavale, entr’autres, nommée Aura, qui avoit, sans conducteur, procuré la victoire à son maître, après l’avoir jetté par terre. On peut lire dans le même auteur un dénombrement exact de toutes les statues d’athletes qui se voyoient de son tems à Olympie. Les Hellanodiques prenoient grand soin que ces statues ne fussent pas plus grandes que le naturel ; & en cas de contravention, ils faisoient renverser la statue par terre. C’étoit sans doute de crainte que le peuple, qui n’étoit que trop porté à rendre les honneurs divins aux athletes, ne s’avisât, en voyant leurs statues d’une taille plus qu’humaine, de les mettre au rang des demi-dieux.

Les statues plus petites que nature étoient soudivisées en quatre especes, auxquelles on donna des noms tirés de leur différente hauteur, celles de la grandeur de trois piés se nommoient tripedaneæ. Telles étoient les statues que le sénat & le peuple ordonnoient pour leurs ambassadeurs qui avoient péri de mort violente dans leur légation ; c’est ce que Pline, l. LIV. c. vj. nous apprend : à romano populo tribui solere injuria cæsis tripedaneas statuas in foro. On cite pour exemple la statue de Tullius Cælius, qui fut tué par les Fidénates, & celles de P. Junius & de T. Carumanus que la reine des Illyriens fit mettre à mort. Quand les statues n’étoient que de la grandeur d’une coudée, on les appelloit cubitales. Lorsqu’elles étoient hautes d’une palme, c’est-à-dire de quatre doigts, elles étoient appellées palmares. Enfin quand elles étoient encore moins hautes, on les nommoit sigilla. On faisoit quantité de ces sigilla en or, en argent, en ivoire, & on les estimoit beaucoup, soit pour leur travail, soit à cause qu’on pouvoit les transporter commodément, & même les avoir sur soi par dévotion pour les dieux, par reconnoissance pour des princes, par admiration pour de grands hommes, ou par attachement pour des amis qu’ils représentoient.

Voilà l’histoire des statues dont le nombre étoit incroyable chez les Grecs & les Romains. Il suffit de lire Pausanias pour s’en convaincre. Sans parler de l’Attique & d’Athènes qui fourmilloient de ce genre d’ouvrages, la seule ville de Milet en Ionie en rassembla une si grande quantité, que lorsqu’Alexandre s’en rendit maître, il ne put s’empêcher de demander où étoient les bras de ces grands hommes, quand les Perses les subjuguerent. On sait que Mummius remplit Rome des statues de la seule Achaïe : devictâ Achaïa, statuis implevit urbem. Plutarque rapporte que Paul Emile employa trois jours à la pompe de son triomphe de Macédoine, & que le premier put à peine suffire à faire passer en revue les tableaux & les statues d’excessive grandeur prises sur les ennemis, & portées sur deux cens cinquante chariots.

D’un autre côté, la multitude des statues qui se faisoient perpétuellement dans Rome étoit si grande, que l’an 596 de la fondation de cette ville les censeurs P. Cornelius Scipio & M. Popilius se crurent obligés de faire ôter des marchés publics les statues de particuliers & de magistrats ordinaires, qui les remplissoient, attendu qu’il en restoit encore assez pour les embellir, en laissant seulement celles de ceux qui en avoient obtenu le privilege par des decrets du peuple & du sénat.

Entre les statues que les censeurs réformerent, je ne dois pas oublier celle de Cornélie, mere des Gracches, ni celles d’Annibal, qui prouvoient du moins la noble façon de penser des Romains. Je crois que Pline se dégrade, quand il lui échappe de dire à l’occasion de ces dernieres, & adeò diserimen omne sublatum, ut Annibalis etiam statuæ, tribus locis visebantur in urbe cujus intrà muros solus hostium emisit hastam.

Cependant la séverité des censeurs que nous venons de nommer, ne put éteindre une passion si dominante, & qui s’accrut encore sur la fin de la république, ainsi que sous le regne d’Auguste & de ses successeurs. L’empereur Claude fit des lois inutiles pour la modérer. Cassiodore qui fut consul 463 ans après la mort de ce prince, nous apprend que le nombre des statues pédestres qui se trouvoient dans Rome de son tems, égaloit à-peu-près le nombre des habitans de cette grande ville, & les figures équestres excédoient celui des chevaux. En un mot, les statues de prix étoient si nombreuses, qu’il fallut créer des officiers pour garder nuit & jour ce peuple de statues, & ces troupeaux de chevaux, si je puis parler ainsi, dispersés dans toutes les rues, palais & places publiques de la ville. Cet amas prodigieux de statues demandoit autant d’habileté pour en empêcher le pillage qu’on avoit mis d’art à les faire, & de soin à les fixer en place : nam quidem populus copiosissimus statuarum, greges etiam abundantissimi equorum, tali sunt cautela servandi, quali & curâ videntur affixi.

Mais entre tant de statues publiques de Rome, il s’en trouva une seule à la garde de laquelle on imagina de pourvoir d’une façon bien singuliere. Peut-être pensez-vous que c’étoit une statue d’or massif, qui se trouvoit posée devant la maison d’un riche affranchi, d’un traitant ou d’un munitionnaire de vivres ? Point du tout. Eh bien, la statue en bronze ou en marbre de quelque divinité tutélaire des Romains ? Non. La statue d’un demi-dieu, de l’Hercule de Tarente, de Castor, de Pollux ? Nullement. La statue de quelque héros du sang des empereurs, de Marcellus, de Germanicus ? En aucune façon. C’étoit la figure d’un chien qui se léchoit une plaie ; mais cette figure étoit si vraie, si naturelle, d’une exécution si parfaite, qu’on décida qu’elle méritoit d’être mise sous un cautionnement nouveau dans la chapelle de Minerve, au temple de Jupiter capitolin. Cependant comme on ne trouva personne assez riche pour cautionner la valeur de ce chien, les gardiens du temple furent obligés d’en répondre au péril de leur vie. Ce n’est point un fait que j’imagine ou que je brode, j’ai pour garant l’autorité & le témoignage de Pline, dont voici les propres paroles, l. XXXIV. c. vij. canis eximium miraculum, & indiscreta veri similitudo, non eò solùm intelligitur, quòd ibi dicata fuerat, verùm, & nova satisdatione, nam summa nulla par videbatur, capite tutelari cavere prætio, instituti publici fuit.

Il faut terminer ce discours qui, quoiqu’un peu long pour cet ouvrage, n’est qu’un précis fort abrégé des recueils que j’ai faits sur les statues de la Grece & de Rome. Aussi me suis-je moins proposé de tout dire que de piquer & d’étendre la curiosité. Il est bon de joindre à la lecture de Pausanias & de Pline la dissertation de Frigelius, de statuis illustrium romanorum, dont le petit livre de François Lemée n’est qu’un extrait. Le traité des statues de Calistrate, traduit par Vigenere à la fin des images des deux Philostrates, avec les notes du traducteur, est plein d’érudition ; mais les ouvrages des savans d’Italie méritent encore plus d’être étudiés.

Enfin nous n’avons ici considéré que l’historique ; l’art statuaire, qui renferme d’autres détails intéressans liés de près à cet article, a été discuté avec recherches au mot Sculpture ancienne & moderne ; & les artistes célebres ont été soigneusement dénommés avec des observations sur l’art même aux mots Sculpteurs anciens, & Sculpteurs modernes. On a même pris soin de décrire les belles statues antiques qui nous sont parvenues. Voyez Bas-Relief, Gladiateur, Hercule, Laocoon, Rotateur, Vénus de Médicis, & autres. (Le chevalier de Jaucourt.)

Statue, (Critique sacrée.) image taillée pour être adorée ; Moise les defend totalement aux Hébreux, Deuter. xvj. 22. Il est parlé dans l’Ecriture de la statue d’or que Nabuchodonosor fit dresser dans la plaine de Dura ; elle avoit soixante coudées de haut, & six de large ; il est apparent qu’il l’avoit érigée en l’honneur de Bel. Mais le changement de la femme de Loth en statue de sel, Genes xix. 26. a plus excité l’attention des commentateurs de l’Ecriture que la statue de Nabuchodonosor. Quelques critiques pensent que le corps de la femme de Loth s’étant incrusté de nitre de la mer-Morte, Moïse a pu appeller statue de sel un corps ainsi pétrifié. D’autres savans prétendent avec plus de vraissemblance, que le texte de l’Ecriture doit s’entendre figurément d’un état d’immobilité, dans lequel cette femme curieuse demeura ; & que ces mots changée en statue de sel, signifient comme en statue de sel, comparaison ordinaire à des habitans d’un pays qui abondoit en masses de sel nitreux. (D. J.)