La Prison du Mid-Lothian/Chapitre 20

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La Prison du Mid-Lothian ou La jeune caméronienne
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 26p. 228-237).


CHAPITRE XX.

ENTREVUE DES DEUX SŒURS.


… Chère sœur, laissez-moi vivre ! Le péché que vous pouvez commettre pour sauver les jours d’un frère, est tellement excusable aux yeux de la nature, qu’il devient même une vertu.
Shakspeare. Mesure pour mesure.


Jeanie Deans fut admise dans la prison par Ratcliffe. Cet homme, aussi dépourvu de honte que de probité, tout en lui ouvrant la porte à triple serrure, lui demanda, avec un sourire qui la fit frissonner, si elle le reconnaissait.

Un non, prononcé d’une voix timide et mal assurée, fut toute sa réponse.

« Quoi ! vous ne vous souvenez pas du clair de lune et de la butte de Muschat, et de Robertson, et de Ratcliffe ? Votre mémoire a besoin d’être rafraîchie, ma chère amie. »

Si quelque chose eût pu augmenter le chagrin de Jeanie, c’eût été de voir sa sœur confiée à la garde d’un homme aussi corrompu. Ratcliffe possédait sans doute quelques qualités propres à balancer tout ce qu’il y avait de criminel dans sa conduite et ses habitudes : au milieu de tous ses brigandages, il n’avait jamais été ni sanguinaire ni cruel, et dans ses fonctions actuelles il s’était déjà montré accessible à l’humanité ; mais le bon côté de son caractère était inconnu à Jeanie, qui, se rappelant la scène de la butte de Muschat, eut à peine la force de lui expliquer qu’elle avait un ordre du bailli Middleburg qui lui permettait de voir sa sœur.

« Je sais cela, ma belle, et à telles enseignes que je ne dois point m’éloigner pendant tout le temps que vous serez ensemble. — Faut-il absolument que cela soit ainsi ? » dit Jeanie d’une voix suppliante.

« Eh bien donc, ma chère, reprit le porte-clefs, quel mal cela vous fera-t-il, à vous et à votre sœur, que James Ratcliffe, entende ce que vous avez à vous dire ? Du diable si vous dites un mot qui m’en apprenne plus que je n’en sais sur votre fripon de sexe ; et d’ailleurs je vous déclare que, pourvu que vous ne formiez pas le complot d’enfoncer les portes de la prison, vous pouvez dire tout ce que vous voudrez ; ne craignez pas que j’en répète un mot, soit en bien, soit en mal. »

En parlant ainsi, Ratcliffe la conduisit dans la petite chambre où Effie était renfermée.

La honte, la crainte et la douleur avaient agité tour à tour le cœur de la pauvre captive, qui depuis le matin ne s’était occupée d’autre chose que de cette entrevue ; mais quand la porte s’ouvrit, toutes ces sensations se confondirent, et ce fut avec une émotion indéfinissable et mêlée d’un mouvement de joie qu’elle se jeta au cou de sa sœur en s’écriant : « Ma chère Jeanie ! ma chère Jeanie ! qu’il y a long-temps que je ne vous ai vue ! » Jeanie lui rendit cet embrassement avec une vivacité qui allait presque jusqu’au transport ; mais ce fut une sensation passagère, semblable au rayon de soleil qui vient percer une nuée d’orage, et qui disparaît aussitôt qu’il s’est montré. Les deux sœurs s’approchèrent ensemble du lit d’Effie, s’y assirent, et, se tenant la main, se regardaient mutuellement sans se parler. Pendant qu’elles se contemplaient ainsi, le rayon de joie qui avait animé leurs traits s’en effaça graduellement, et fit place d’abord à l’expression d’une profonde mélancolie, puis à celle du désespoir. Alors elles se jetèrent de nouveau dans les bras l’une de l’autre et pleurèrent amèrement.

Le porte-clefs lui-même, tout endurci qu’il était après une vie faite pour étouffer toute sensibilité et toute conscience, ne put être témoin de cette scène sans un mouvement d’attendrissement. Il le prouva par une action qui n’est rien en elle-même, mais qui montre plus de délicatesse qu’on n’en aurait supposé au caractère de Ratcliffe et au poste qu’il remplissait. La croisée de cette misérable chambre était ouverte, et les rayons d’un soleil brillant tombaient à-plomb sur le lit où les deux infortunées étaient assises : Ratcliffe, avec une précaution qui tenait presque du respect, poussa doucement le volet, et sembla jeter ainsi un voile sur cette scène de douleur.

« Vous êtes malade, Effie, bien malade ? » Tels furent les premiers mots que Jeanie put prononcer.

« Oh ! que ne donnerais-je pas pour l’être dix fois plus ! répondit sa sœur ; que ne donnerais-je pas pour être morte et froide avant que la cloche de demain sonne dix heures ! Et notre père !… Mais je ne suis plus son enfant, maintenant !… Oh ! non, je n’ai plus un ami au monde ! Oh ! que ne suis-je couchée à côté de ma mère, dans le cimetière de Newbattle ! — Allons, jeune fille, » dit Ratcliffe, désirant exprimer l’intérêt qu’il éprouvait réellement, « ne vous laissez pas abattre de cette manière : on ne tue pas tous les animaux qu’on chasse. L’avocat Langlate a tiré d’affaire des gens plus à plaindre que vous, et jamais avocat plus habile que Nicol Novit n’a plaidé une cause. D’ailleurs, pendu ou non pendu, c’est une consolation d’être entre si bonnes mains ; on est sûr que rien n’a été oublié : et puis vous êtes une jolie fille, si vous ne vous négligiez pas ainsi, et une jolie fille est toujours sûre de trouver grâce devant le jury et devant les juges, tandis qu’ils feront donner les étrivières à un vieux barbon comme moi pour avoir volé la quinzième partie de la peau d’une puce. »

Les sœurs affligées ne firent pas de réponse à ces consolations un peu grossières ; elles étaient tellement absorbées par le chagrin, qu’elles avaient oublié jusqu’à la présence de Ratcliffe. « Oh, Effie ! dit la sœur aînée, comment avez-vous pu me cacher votre situation ! Ma sœur, avais je mérité ce silence de votre part ! Si vous eussiez dit un mot seulement, nous aurions pu éprouver de la honte et un vif chagrin ; mais jamais nous n’eussions passé par cette terrible épreuve. — Et quel bien cela aurait-il fait ? répondit la prisonnière. Non, non, Jeanie, tout fut fini le jour que j’oubliai les promesses que j’avais faites en pliant les pages de ma bible. Voyez, » dit-elle en lui montrant un volume des saintes Écritures, « voyez, le livre s’ouvre de lui-même en cet endroit ! Oh ! Jeanie, quelles paroles redoutables ! »

Jeanie prit la bible de sa sœur, et trouva que la marque fatale était faite à ce passage du livre de Job : Il m’a dépouillé de ma gloire ; il m’a enlevé la couronne qui ceignait ma tête ; il m’a détruit de tous côtés, et je suis perdu ; il m’a arraché mon espoir comme l’arbre qu’on déracine.

« Ne sont-ce pas là des paroles trop vraies ? dit la prisonnière : ma gloire, ma couronne ne me sont-elles pas enlevées ? et ne suis-je pas un pauvre arbre flétri et abâtardi, arraché par les racines et jeté sur la voie publique pour être foulé aux pieds par les hommes et les animaux ? Je pense à cette aubépine toute couverte de fleurs que mon père a arrachée dans notre cour au mois de mai dernier, et qui y est restée jusqu’à ce que les vaches l’aient mise en pièces avec leurs pieds : hélas ! je ne me doutais guère, quand j’avais pitié du pauvre arbrisseau et de ses fleurs, qu’un jour j’aurais moi-même le même sort. — Oh ! si vous aviez dit un mot ! répéta Jeanie en sanglotant ; si j’avais la liberté de jurer que vous m’avez dit un mot de votre état, aujourd’hui on ne pourrait toucher à votre vie. — Vraiment ? » dit Effie chez qui ces paroles semblèrent exciter un mouvement d’intérêt, car la vie est chère à ceux même à qui elle pèse souvent comme un fardeau ; « qui vous a dit cela, Jeanie ? — C’est quelqu’un qui savait bien ce qu’il disait, » répondit Jeanie qui éprouvait une répugnance naturelle à prononcer le nom du séducteur de sa sœur.

« Qui est-ce ? Je vous en conjure, dites-le-moi, reprit Effie en se relevant ; qui a pu s’intéresser au sort d’une pauvre malheureuse comme moi ? est-ce… est-ce lui ? — Eh bien donc ! dit Ratcliffe, pourquoi tenir cette pauvre fille en suspens ? Je gagerais, moi, que c’est Robertson qui vous a appris cela quand vous l’avez rencontré à la butte de Muschat. — Est-ce lui ? » dit Effie saisissant avidement ces paroles ; « est il bien vrai que ce soit lui, Jeanie ? Oh ! oui, c’est lui, je le vois. Pauvre garçon ! et moi qui l’accusais d’avoir un cœur de pierre, tandis qu’il s’exposait pour moi à un tel danger. Pauvre George ! »

Un peu indignée de cette expression de tendresse pour l’auteur de sa ruine, Jeanie ne put s’empêcher de s’écrier : « Oh ! Effie ! comment pouvez-vous parler ainsi d’un tel homme ? — Vous savez que nous devons pardonner à nos ennemis, » dit la pauvre Effie avec un regard timide et une voix mal assurée ; car sa conscience lui disait combien le sentiment que lui inspirait encore son séducteur ressemblait peu à la charité chrétienne sous laquelle elle cherchait à le cacher.

« Quoi ! après avoir tant souffert pour lui, vous pouvez l’aimer encore ; » dit sa sœur avec l’accent du blâme et de la pitié.

« L’aimer, dit Effie ; si je ne l’avais pas aimé comme il est rare qu’une femme aime, je ne serais pas aujourd’hui dans ces murs ; et croyez-vous qu’un amour semblable au mien s’efface légèrement ? Non, non ; il est plus facile d’abattre un arbre que de le redresser. Et vous, Jeanie, si vous voulez me faire du bien en ce moment, c’est de me répéter toutes les paroles qu’il vous a dites : que je sache au moins s’il est affligé du sort de la pauvre Effie. — Quel besoin ai-je de vous parler de cela ? dit Jeanie ; vous devez savoir qu’il avait assez affaire de penser à sa propre sûreté pour pouvoir s’occuper long-temps de quelqu’un. — Ce ne peut être vrai, Jeanie ; quand ce serait un saint qui viendrait me le dire, je ne le croirais pas, » s’écria Effie par un retour involontaire de l’ancienne vivacité de son caractère. « Mais vous ne savez pas comme moi jusqu’à quel point il a hasardé sa vie pour sauver la mienne. » Puis regardant Ratcliffe, elle s’arrêta et se tut.

« Je vois, » dit Ratcliffe avec un de ses ricanements ordinaires, « que la jeune fille s’imagine qu’elle seule a des yeux. N’ai-je pas bien vu que le gentil Geordie n’était pas venu dans la prison pour en faire sortir John Porteous tout seul ? Mais vous êtes de mon avis, mon cœur, il vaut mieux rester dedans, attendre son sort, que de s’exposer à aller courir après quelque chose de pire. Quand vous me regarderez avec cet air surpris, je sais encore bien autre chose, peut-être. — Oh, mon Dieu, mon Dieu ! » dit Effie en tombant à genoux devant lui, « sauriez-vous ce qu’on a fait de mon enfant ? mon enfant ! mon pauvre enfant ! ce pauvre petit innocent qui venait de naître, mon tendre enfant, les os de mes os, la chair de ma chair ! Ô homme ! si vous voulez jamais gagner une place dans le ciel ou mériter sur la terre la bénédiction d’une pauvre infortunée, dites-moi ce qu’est devenu mon enfant, le signe de ma honte, le compagnon de mes souffrances ! dites-moi qui me l’a enlevé, et ce qu’on en a fait ! — Allons donc, » dit le porte-clefs en essayant de se dégager de ses mains, dont elle le tenait fortement serré ; « c’est me prendre au mot, et devant un témoin, encore. Votre enfant, dites-vous ? et comment diable saurais-je quelque chose de votre enfant, ma chère ? Il faut en demander des nouvelles à la vieille Meg Murdockson, s’il est vrai que vous n’en sachiez rien vous-même. »

À cette réponse, qui détruisait l’espoir vague et soudain qui était venu frapper la pauvre prisonnière, elle laissa aller le pan de l’habit de Ratcliffe et tomba la face contre le pavé de la chambre, dans un violent accès de convulsions.

Jeanie joignait à son excellent jugement l’avantage d’une présence d’esprit qui ne l’abandonnait jamais, même dans les plus douloureuses circonstances. Elle ne se laissa donc pas abattre par tant de sensations amères, mais s’occupa immédiatement de secourir sa sœur en employant les premiers remèdes que le lieu pût lui offrir ; et pour rendre justice à Ratcliffe, nous dirons qu’il s’empressa de les lui procurer lui-même. Il eut même la délicatesse de se retirer dans le coin le plus éloigné de la chambre pour les gêner le moins possible par sa présence jusqu’à ce qu’Effie fût assez calme pour reprendre sa conversation avec sa sœur.

Elle recommença, d’une voix émue et suppliante, à la conjurer de lui raconter les détails de sa conférence avec Robertson ; et Jeanie sentit qu’elle n’avait pas le courage de lui refuser cette satisfaction.

« Vous rappelez-vous, dit-elle à Effie, le temps où vous aviez la fièvre avant de quitter Woodend, et combien votre mère, qui est maintenant dans un meilleur monde, me gronda de vous avoir donné à boire de l’eau et du lait, parce que vous aviez pleuré pour en avoir ? Vous n’étiez qu’un enfant alors, et maintenant que vous êtes une femme, vous devriez avoir assez de raison pour ne pas demander ce qui peut vous nuire. Mais, allons, quoi qu’il en soit, je ne puis rien vous refuser de ce que vous demandez ainsi avec larmes. »

Effie se jeta de nouveau dans ses bras, lui baisa les joues et le front en murmurant : « Oh ! si vous saviez combien il y a de temps que je n’ai entendu prononcer son nom ! si vous saviez tout le bien que cela me fait d’apprendre quelque chose de lui qui prouve sa bonté, sa tendresse pour moi ! Ah ! si vous le saviez, vous ne vous étonneriez pas de mes vives instances. »

Jeanie soupira, et commença le récit de ce qui s’était passé entre Robertson et elle, en l’abrégeant le plus qu’il lui fut possible. Effie l’écouta tremblante d’émotion et respirant à peine ; elle tenait la main de sa sœur dans les siennes, et, les yeux fixés sur son visage, elle semblait dévorer chaque parole qui sortait de sa bouche. Elle n’interrompit pas une fois sa narration ; seulement de temps en temps les exclamations de « Pauvre garçon ! pauvre garçon ! » lui échappaient d’une voix basse et entrecoupée de soupirs. Quand sa sœur eut fini, Effie resta quelques moments à réfléchir.

« Et ce fut là le conseil qu’il vous donna ? dit-elle enfin. Comme je viens de vous le dire, répondit Jeanie. — Ainsi, il voulait vous engager à dire quelque chose à ces gens-là pour sauver la vie de votre jeune sœur ? — Il voulait, reprit Jeanie, me faire commettre un parjure. — Et vous lui avez dit, reprit Effie, que vous ne vouliez pas entendre parler de vous placer entre moi et la mort qui m’attend, moi qui n’ai pas encore dix-huit ans ? — Je lui ai dit, » répondit Jeanie qui commençait à trembler de la tournure que semblaient prendre les réflexions de sa sœur, « que je ne pouvais me résoudre à jurer une fausseté. — Et qu’appelez-vous une fausseté ? dit Effie en s’abandonnant un moment à son ancienne irritabilité ; « vous êtes bien à blâmer vous-même, si vous croyez qu’une mère puisse assassiner son propre enfant. L’assassiner, j’aurais donné ma vie pour lui voir seulement ouvrir les yeux. — Je crois, dit Jeanie, que vous êtes aussi innocente d’une telle action que le nouveau-né lui-même. — Je suis charmée que vous me rendiez cette justice, » dit Effie avec une sorte de fierté ; « c’est quelquefois le tort des filles sages, comme vous, Jeanie, de croire que les autres peuvent donner dans tous les excès du mal. — Je n’ai pas mérité cela de votre part, Effie, » dit sa sœur en sanglotant, car elle souffrait tout à la fois de l’injustice de ce reproche et de la compassion que lui inspirait le désespoir qui l’avait dicté.

« Il est possible que non, ma sœur ; mais vous m’en voulez d’aimer Robertson. Et comment puis-je ne pas aimer celui qui m’aime mieux que son corps et son âme tout ensemble ! N’a-t-il pas mis sa vie en péril, en enfonçant les portes de la prison pour me sauver ? et je suis sûre que s’il dépendait de lui comme de vous… » Ici elle s’arrêta et garda le silence.

« Oh ! s’il dépendait de moi de vous sauver en ne risquant que ma vie ! dit Jeanie. — Oui, oui, ma sœur, reprit Effie, cela est bientôt dit, mais cela n’est pas sitôt cru de quelqu’un qui ne veut pas dire un mot pour moi ; car si ce mot est une faute, vous aurez tout le temps de vous en repentir. — Mais ce mot est un grand péché, et un péché d’autant plus grave qu’il serait commis volontairement et avec préméditation. — C’est bon ! c’est bon ! Jeanie, j’en ai assez entendu au sujet des péchés volontaires ; ne parlons plus de cela et ménagez vos poumons pour dire vos prières : quant à moi, je ne serai bientôt plus en état d’en faire à personne. — Je dois dire, s’écria Ratcliffe, qu’il est diablement dur, quand trois mots de votre bouche mettraient la pauvre fille dans le cas d’échapper à la potence, que vous vous fassiez tant de scrupule pour un serment. Diable m’emporte ! si cela dépendait de moi, je jurerais de la vérité de toutes les fables d’Ésope pour lui sauver la vie. Parbleu ! j’ai bien souvent juré à moins. J’ai baisé plus de cinquante fois l’Évangile, en Angleterre, à propos d’un tonneau d’eau-de-vie. — N’en parlons plus, dit la prisonnière ; laissons les choses comme elles sont. Adieu ! ma sœur, ne retenez pas plus long-temps M. Ratcliffe. Vous reviendrez me voir, j’espère, avant que… » Ici elle s’arrêta et devint pâle comme la mort.

« Et est-ce ainsi que nous devons nous séparer, dit Jeanie, quand je vous laisse dans un si mortel péril ? Ô Effie ! regardez-moi, dites-moi ce que vous voulez que je fasse, et je crois que je trouverai dans mon cœur assez de force pour y consentir. — Non, Jeanie, » dit Effie avec effort, « non, je suis revenue à la raison maintenant. Même avant d’avoir failli, je n’ai jamais valu la moitié autant que vous ; et pourquoi démentiriez-vous votre caractère pour une créature qui ne mérite plus d’être sauvée ? Dieu sait que, quand j’ai la tête à moi, je ne voudrais pas qu’aucun être vivant commît une faute pour racheter ma vie. J’aurais pu fuir de cette prison, pendant cette nuit terrible où elle fut forcée, avec quelqu’un qui m’aurait servi de protecteur et d’appui dans le monde, mai j’ai répondu : « Que m’importe l’existence à présent que mon honneur est perdu ? » Cependant ce long emprisonnement a abattu mon courage, et il y a des fois où, abandonné à moi-même, j’éprouve quelque chose d’affreux : il me semble alors que je donnerais des mines d’or et de diamants, si je les avais, pour acheter la vie, seulement le souffle de la vie. Oui, Jeanie, je crois que j’ai quelquefois des accès de délire semblables à ceux que j’avais pendant ma fièvre ; seulement au lieu de voir, tout à l’entour de mon lit, des yeux menaçants, des loups furieux, et le taureau de la veuve Butler, je ne vois plus maintenant qu’un gibet tout noir et bien haut, où la pauvre Effie Deans est attachée, au milieu d’une grande quantité de visages levés vers elle, et qui se demandent si c’est bien celle-là que George Robertson appelait le Lis de Saint-Léonard ; et puis il me semble voir toutes ces figures se décomposer et me faire d’horribles grimaces, et j’en vois une parmi elles qui rit de ce rire affreux de Meg Murdockson lorsqu’elle me dit que je ne reverrais plus mon enfant. Ô mon Dieu ! mon Dieu ! Jeanie, que cette vieille femme a une figure effrayante ! » En faisant cette exclamation elle appuya ses mains sur ses yeux, comme pour se dérober à la vue de l’image hideuse qui la poursuivait.

Jeanie Deans passa deux heures avec sa sœur, et chercha pendant ce temps à en tirer quelque chose qui pût servir à son acquittement. Mais Effie n’avait rien à ajouter à ce qu’elle avait déclaré dans son premier interrogatoire, déclaration qu’on fera connaître au lecteur en temps et lieu convenables. « Ils n’avaient pas voulu la croire, dit-elle, et elle n’avait rien à dire de plus. »

Enfin Ratcliffe, quoique avec répugnance, avertit les sœurs qu’il était temps de se séparer. « M. Novit, dit-il, allait venir voir la prisonnière, et peut-être M. Langlate aussi ; car M. Langlate aimait à voir une jolie fille, même entre les murs d’une prison. »

Ce fut à regret et après avoir versé bien des larmes, et embrassé sa sœur plus d’une fois, que Jeanie sortit de la chambre dont les lourds verrous se refermèrent aussitôt sur l’être chéri duquel elle se séparait. Elle s’était un peu accoutumée à son grossier conducteur, et lui offrit quelque argent, en le priant de faire tout ce qu’il pourrait pour que sa sœur ne manquât de rien. À sa grande surprise, Ratcliffe refusa son présent. « Je n’ai jamais été sanguinaire, dit-il, quand j’exploitais le grand chemin, et je ne veux pas être rapace maintenant que j’ai l’emploi des verrous ; c’est-à-dire que je ne recevrai que ce qui sera juste et raisonnable. Gardez donc votre argent, et, en retour de votre politesse, j’aurai pour votre sœur toutes les attentions qu’il sera en mon pouvoir de lui montrer ; mais j’espère qu’en réfléchissant vous changerez d’avis, et que vous ne craindrez pas de faire un serment pour elle. Du diable s’il y a du mal pour l’épaisseur d’un cheveu à jurer contre le ministère public. Je connais un digne ministre, le plus brave homme qu’en puisse voir, et qui, avant le fait pour lequel il a été déposé, parlait aussi bien en chaire qu’aucun de ceux que vous ayez entendu. Eh bien ! il en a fait un, lui, au sujet d’un baril de tabac, seulement pour autant qu’en pouvait tenir sa boîte. Mais il est possible que vous ne vouliez pas en parler d’avance : allons, il n’y a pas de mal à cela. Quant à votre sœur, j’aurai soin qu’elle soit proprement servie et qu’elle ait son dîner bien chaud, et je tâcherai de lui persuader de faire un somme après avoir mangé, car du diable si elle fermera l’œil de toute la nuit. J’ai de l’expérience sur ces choses-là, moi. La première nuit est toujours la pire de toutes. Je n’ai jamais entendu dire que personne ait fermé les yeux la nuit d’avant son jugement, mais j’en ai vu beaucoup dormir d’un bon somme celle d’avant leur exécution. Et cela n’est pas étonnant, on peut tout supporter, excepté l’incertitude. Il vaut mieux être débarrassé de quelque chose qui vous gêne, même quand on aurait lieu de regretter sa perte, que d’être toujours inquiété ; il vaut mieux perdre une dent que de la garder branlante. »