Leçons sur l’intégration et la recherche des fonctions primitives (seconde édition)/Chapitre VIII

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CHAPITRE VIII.

L’INTÉGRALE INDÉFINIE DES FONCTIONS SOMMABLES.



I. — Les trois intégrales indéfinies. Les fonctions additives d’ensemble.

Nous appellerons intégrale indéfinie de l’une quelconque des fonctions

,

étant une constante ; l’intégrale définie de dans est l’accroissement de l’intégrale indéfinie dans l’intervalle .

Les intégrales indéfinies sont des fonctions continues. Si est une fonction bornée, cela est évident en vertu du théorème des accroissements finis. Supposons ensuite sommable mais non bornée, alors on peut trouver assez grand pour que les intégrales de dans les deux ensembles , soient toutes deux inférieures en module à . Posons , étant nulle pour les deux ensembles , et étant nulle pour . Alors l’intégrale indéfinie de est une fonction continue ; l’intégrale de dans tout intervalle étant , au plus, autour d’un point quelconque , on peut donc trouver un intervalle dans lequel l’accroissement de soit au plus , ce qui prouve que est continue.

Si est sommable, l’est aussi et, dans tout intervalle, l’intégrale indéfinie de subit un accroissement en module au plus égal à celui de l’intégrale indéfinie de  ; puisque cette dernière intégrale existe et est croissante, donc à variation bornée, l’intégrale indéfinie de est à variation bornée et sa variation totale dans est au plus .

Les propositions trouvées au Chapitre V (p. 73) relativement à la limitation des nombres dérivés de à l’aide des maxima et des minima de sont encore exactes ; elles se démontrent de même[1]. Ceci conduit tout naturellement à étudier la dérivation des intégrales indéfinies et la recherche des fonctions primitives ; mais, tout d’abord, nous allons donner aux mots intégrale indéfinie une signification nouvelle.

D’où vient la dénomination intégrale indéfinie ? Il est clair que dans les expressions intégrale définie et intégrale indéfinie, indéfinie n’a pas le sens de infinie mais de non définie, que définie a le sens de déterminée. Ces deux expressions devraient donc s’appliquer à la même quantité  ; cette intégrale serait dite définie lorsque l’intervalle d’intégration serait lui-même défini, c’est-à-dire déterminé, donné et elle serait dite indéfinie lorsque serait indéfini, c’est-à-dire non défini, non déterminé, inconnu, variable. En revenant à ce sens primitif des dénominations, nous dirons donc que l’intégrale indéfinie de est la fonction

 ;

ce sera une fonction de deux variables ou mieux une fonction de l’intervalle d’intégration  ; le mot fonction signifiant ici correspondance, comme à la page 17. Mais il s’agit maintenant de faire correspondre à tout intervalle un nombre ; est la variable ou argument de notre fonction, le nombre est la valeur de la fonction. L’intégrale indéfinie est une fonction d’intervalle : toute valeur prise par cette fonction est une intégrale définie.

La relation qui lie à permet de traduire toute propriété de en propriété de et inversement, et c’est pourquoi on se borne ordinairement à la considération de , que nous appellerons, lorsqu’un doute sera possible, l’intégrale indéfinie fonction d’une seule variable. En somme ce sont des propriétés de qu’on étudie ordinairement par l’intermédiaire de  ; notre nouveau langage sera plus directement adapté à notre but. Seulement, comme nous avons considéré aussi l’intégrale de étendue à un ensemble mesurable , nous devons considérer l’intégrale indéfinie de comme la fonction d’ensemble

 ;

il est sous-entendu que l’argument de cette fonction doit être mesurable et formé à l’aide de points de l’intervalle ou ensemble pour les points duquel est connue. Pour fixer les idées, nous supposerons toujours, sauf avis contraire, que est définie dans un intervalle que nous appellerons  ; ce qui n’entraîne en réalité aucune restriction (p. 127).

Nous considérerons donc finalement : a. l’intégrale indéfinie fonction d’ensemble,  ; b. l’intégrale indéfinie fonction d’intervalle, , désignant l’intervalle  ; c. l’intégrale indéfinie fonction d’une variable, . Dans ce Chapitre nous allons examiner si la connaissance de l’une de ces fonctions entraîne la connaissance des deux autres et comment les propriétés de ces fonctions se correspondent.

Nous nous attacherons à deux propriétés de  : l’additivité complète et l’absolue continuité ; nous verrons par la suite que ces propriétés caractérisent les fonctions d’ensemble qui sont des intégrales indéfinies et par suite résument et entraînent toutes les autres propriétés.

Une fonction d’ensemble mesurable est dite additive, si , , … étant des ensembles sans point commun deux à deux, on a

.

On peut distinguer, avec M. de la Vallée Poussin[2], le cas de l’additivité restreinte, dans lequel l’égalité précédente n’est assurée que si les sont en nombre fini, et le cas de l’additivité complète, où l’égalité a lieu même s’il y a une infinité dénombrable de . L’additivité complète sera seule importante pour nous[3]. Une intégrale indéfinie est complètement additive ; c’est la propriété 2o  de la page 130.

L’additivité complète entraîne, à elle seule, bien des propriétés. Remarquons d’abord qu’une fonction additive d’ensemble qui est non bornée a des points en lesquels elle n’est pas bornée ; il faut entendre par là qu’il existe un point tel que, si petit que soit un intervalle contenant à son intérieur et si grand que soit un nombre , il est possible de trouver un ensemble formé de points de et pour lequel la fonction considérée surpasse en valeur absolue.

Si, en effet, à tout point de on pouvait attacher un intervalle et un nombre pour lequel cela soit impossible, on pourrait couvrir à l’aide d’un nombre fini de ces intervalles et les nombres correspondants auraient une borne supérieure . étant un ensemble de points de nous pourrions le considérer comme la somme d’ensembles , , …, situés dans les intervalles considérés et l’on aurait

serait donc finie.

Soit un point en lequel est non bornée et considérons les deux intervalles ,  ; il est clair que est non bornée dans l’un des deux. Ceci étant, pour démontrer que toute fonction finie complètement additive est bornée, il nous suffira donc de considérer le cas où l’extrémité de l’intervalle considéré [4] est un point où une fonction est non bornée et de montrer que ne peut être à la fois finie et complètement additive. Soient , , , … une suite de valeurs croissantes tendant vers . Désignons par , , , … les ensembles de points définis respectivement par

,,,….

Soient , , … les bornes supérieures de respectivement pour les ensembles formés de points de , , …

Si est un ensemble formé de points de et si est la partie commune à et à on a, étant supposée complètement additive,

 ;

puisque n’est pas bornée au point , la série du dernier membre est divergente quel que soit . Elle peut d’ailleurs contenir des termes infinis.

Soit enfin un ensemble formé de points de et pour lequel surpasse le plus petit des deux nombres et  ; la série est divergente. Si l’on partage les en ceux qui donnent à des valeurs positives ou nulles, et ceux pour lesquels a des valeurs négatives, si et désignent respectivement les indices des premiers et des seconds, l’une au moins des séries , est divergente. Supposons que la première soit divergente. Alors on a

,

la fonction ne peut donc être finie et complètement additive. Comme nous ne parlons que de fonctions finies d’ensemble, sauf avis exprès du contraire, nous pouvons dire simplement : toute fonction complètement additive est bornée.

Une fonction complètement additive[5] est à variation bornée ; on entend par là qu’elle est la différence de deux fonctions complètement additives et ne prenant que des valeurs positives ou nulles. Pour le démontrer quelques définitions sont nécessaires.

Considérons les valeurs prises par une fonction complètement additive pour les ensembles formés avec les points d’un ensemble , ces valeurs sont comprises entre et , étant la borne supérieure de dans tout . Soit le plus petit intervalle contenant ces valeurs de et zéro. Ces deux fonctions et sont complètement additives ; vérifions-le pour . Soient , , … sans points communs deux à deux, soient , , … formés respectivement de points de , , …, on a

,

d’où

 ;

mais on peut choisir de façon que surpasse si est supérieure à 0 [si , on laisse de côté cette valeur de ], et alors on a

,

ou

.

L’additivité complète de résulte de la comparaison de ces deux inégalités.

La fonction est dite la variation totale positive de dans , est sa variation totale négative,

est sa variation totale. Cette variation totale est aussi une fonction complètement additive, car il clair que la somme ou la différence de deux fonctions complètement additives est complètement additive. est la borne supérieure de pour les divisions de en ensembles partiels .

Nous prouverons que est à variation bornée en montrant que l’on a

.

Avec des points de on peut former un ensemble pour lequel surpasse . Avec des points de on peut former un ensemble pour lequel soit au plus égal à . On a

,.

Avec des points de formons un ensemble pour lequel soit au plus égal à , on a

,.

En continuant ainsi, on arrive à un ensemble , ou , pour lequel on a

,,.

Avec des points de on peut de même former un ensemble tel que

,,
.

Puis, avec des points de , on formera , tel que

,,
,

et ainsi de suite.

Il est clair que, pour , on a

,
.

donc

et, puisque

on a

 ;

de plus

.

D’une façon analogue, on formera tel que l’on ait

, ;.

Soit l’ensemble des points communs à et à , des deux relations

,,

il résulte que les deux nombres non négatifs et sont nuls ; a fortiori est nulle. Si donc on retranche de on ne modifie ni , ni , ni .

Nous pouvons donc supposer que les deux ensembles et sont sans point commun. De même on verrait que , , et sont nulles pour l’ensemble des points de n’appartenant ni à ni à , de sorte que cet ensemble peut être ajouté à ou à sans que nos relations soient changées. Finalement on voit que l’on peut supposer divisé en deux ensembles et sans point commun et tels que l’on ait

Mais

,

donc on a

.

Il est prouvé que est à variation bornée.

Si à et on ajoute une même fonction complètement additive et non négative on obtient

, ;
.

On peut donc mettre une fonction à variation bornée sous la forme d’une différence de deux fonctions non négatives d’une infinité de manières ; le procédé que nous venons d’indiquer est d’ailleurs le plus général, c’est-à-dire que si l’on a

,

et étant deux fonctions complètement additives et non négatives, on a

,

étant complètement additive et non négative. En effet, soit la fonction définie par cette double égalité ; elle est absolument continue, montrons qu’elle est non négative. Soit l’ensemble que nous avons attaché à  ; on a, puisque est contenu dans ,

,,

Mais, puisque est nul et que ne doit pas être négatif,  ; d’où

.

Donc

n’est pas négatif.

En d’autres termes, les variations et de sont, parmi toutes les fonctions complètement additives et qui ne sont pas négatives et vérifient l’identité

,

celles qui sont les plus petites. Cette propriété correspond exactement à celle de la page 52 pour les fonctions à variation bornée d’une variable ; mais, de plus, nous avons vu incidemment que et sont les deux limites, supérieure et inférieure, de pour variant dans et que ces limites sont effectivement atteintes respectivement pour et pour , propriétés qui n’ont pas leurs analogues pour les fonctions d’une variable[6]. Pour que la propriété précédente soit entièrement prouvée, il faut toutefois montrer que a nécessairement la valeur zéro dans certains ensembles, car si, par exemple, était constamment positive, serait constamment nulle et ne serait pas la limite inférieure de , n’existerait pas. Or ceci est impossible[7], car les ensembles réduits à un point qui donnent à une valeur non nulle forment au plus une infinité dénombrable.

En effet, il ne saurait y avoir une infinité de points constituant chacun un ensemble en lequel surpasse le nombre positif  ; car pour l’ensemble formé par une infinité dénombrable de ces points serait infinie. En faisant ensuite parcourir à une suite de nombres positifs tendant vers zéro on voit que les points pour lesquels a une valeur positive forment, un ensemble dénombrable. La même conclusion s’applique aux points pour lesquels est négative.

Chaque point constituant à lui seul un ensemble en lequel n’est pas nulle est dit un point de discontinuité de . Formons la fonction égale à la somme des valeurs prises par en ceux de ses points de discontinuité qui appartiennent à . Il est clair que est complètement additive, qu’elle a pour variations positive et négative les fonctions , formées de façon analogue avec et et qu’elle a pour variation totale la somme qui est la fonction qui se déduirait de la même manière de . est dite la fonction des sauts de .

La fonction n’a plus de points de discontinuité, non plus que , , . Montrons que, pour de telles fonctions, tout point est point de continuité, c’est-à-dire peut être enfermé dans un intervalle tel que les fonctions soient inférieures en module à pour tout ensemble formé de points de [8]. Il suffit de raisonner sur la plus grande, en module, des fonctions considérées, c’est-à-dire sur

.

Choisissons dans l’intervalle des valeurs croissantes vers et des valeurs décroissantes vers  ; soient et les ensembles définis respectivement par

,

On a

,

les ensembles du second membre étant sans point commun deux à deux, et étant nul, on a

.

Les sommes du second membre étant convergentes, si l’on prend assez grand on aura, pour ,

 ;

sera alors l’intervalle que nous cherchons.

Ainsi une fonction complètement additive, définie dans un intervalle , y est continue en tout point si, et seulement si, elle prend une valeur nulle pour tout ensemble formé d’un seul point[9]. Une intégrale indéfinie est donc continue.

Examinons maintenant quelles sont les propriétés de et qui correspondent à celles de que nous venons d’envisager.

Une fonction étant donnée, une fonction d’intervalle est par cela même donnée  ; cette fonction est définie pour tout intervalle positif ou nul, c’est-à-dire réduit à un point. Elle n’a pas en général la même valeur pour un intervalle ouvert

,

et pour l’intervalle fermé correspondant

 ;

ni pour les intervalles à demi fermés

,.

Il n’y a pourtant pas à faire cette distinction si est continue en tout point, auquel cas est nulle pour tout intervalle nul.

À toute propriété d’additivité de correspond une additivité de qui s’énonce : si un intervalle est la somme des intervalles , , …, sans point commun deux à deux, on a

.

Si a l’additivité restreinte, a l’additivité restreinte, c’est-à-dire que les doivent être en nombre fini. Les peuvent être en infinité dénombrable si a l’additivité complète, est dite alors complètement additive.

Quant à la phrase sans point commun deux à deux, elle doit être prise au sens strict si a des points de discontinuité ; les intervalles constituants peuvent être seulement sans point intérieur commun si est continue ; pour le cas d’une intégrale indéfinie, par exemple.

étant supposée complètement additive est à variation bornée ; est alors à variation bornée, c’est-à-dire que pour des intervalles , , … sans point commun deux à deux (même remarque que plus haut), la somme reste bornée ; sa borne supérieure si les sont pris dans est, en effet, au plus la valeur que prend la fonction pour . se présente comme la différence des deux fonctions non négatives d’intervalle et , déduites de et .

Les points de discontinuité et de continuité se définissent comme précédemment ; bref, les définitions antérieures s’appliquent. Seulement on ne considère plus que des ensembles réduits à un intervalle fermé ou ouvert, positif ou nul, et, par suite, une propriété qui fait appel à des ensembles qu’on ne saurait réduire à des intervalles n’a pas de transformée ; celle-ci par exemple : toute fonctions à variation bornée atteint sa limite supérieure.

Passons maintenant d’une fonction d’intervalle complètement additive à une fonction de . Nous désignerons par et par des notations analogues les valeurs que prend la fonction pour les intervalles définis par les inégalités écrites entre crochets. On peut passer de à par l’une ou l’autre des formules

dans lesquelles désigne une constante. Ces deux formules sont équivalentes pour tous les points qui sont points de continuité pour  ; pour les points de discontinuité elles donnent des valeurs différentes pour . La définition de comporte donc un certain arbitraire. Nous allons adopter la première formule ; le second choix donnerait des résultats qui se déduiraient de suite de ceux que nous obtiendrons.

On a

,

étant supposé inférieur à .

Si donc on prend arbitrairement , , … tels que

,

on aura

.

Et comme le second membre est au plus égal à , la fonction est à variation bornée.

Dans la formule de définition de , faisons tendre vers en décroissant, c’est-à-dire donnons à une suite de valeurs , , … décroissant vers  ; on a

et ainsi de suite, d’où

 :

la fonction est donc continue à droite.

Faisant de même tendre en croissant, on a

la fonction est discontinue à gauche aux points où est discontinue et en ces points seulement.

Nous retrouvons ainsi, en particulier, ce résultat : une intégrale indéfinie est une fonction continue à variation bornée.

Des égalités

,
,

qui résultent de ce qui précéde, il découle que la fonction n’est définie par la fonction que pour les intervalles, nuls ou non nuls, n’ayant pas pour origine lorsque n’est connue que dans . Pour que puisse définir dans tout , convenons que la formule

ne sera utilisée que pour et que l’on posera .

Alors pourra être discontinue à droite en et l’on aura des formules différentes pour relier à suivant qu’il s’agira ou non des intervalles d’origine .

Nous arrivons ainsi à associer à la fonction d’intervalle une fonction bien déterminée de points dont la connaissance entraînerait celle de .

Mais il est bien évident qu’un autre choix parmi les conventions possibles nous aurait conduit à une fonction continue à gauche, sauf peut-être en , et avec laquelle on aurait eu

,
,

sauf pour , auquel cas les formules seraient différentes.

Ce n’est donc que très artificiellement que nous avons attaché à une fonction déterminée ; si l’on remarque qu’avec les deux conventions précédentes on a

,
,

en posant , , on sera conduit à considérer qu’à est attachée n’importe laquelle des fonctions à variation bornée vérifiant les relations précédentes. Deux fonctions satisfaisant à ces conditions ne différeront, à une constante additive près, qu’en certains de leurs points de discontinuité ; inversement, si répond à la question, toute fonction à variation bornée, égale à en tous les points où elles sont toutes deux continues à la fois, y répond aussi. Nous retrouverons souvent cette indétermination de à laquelle il faut tout de suite penser dès qu’on arrive à des conclusions qui semblent contradictoires.

Examinons le passage inverse d’une fonction à variation bornée à une fonction d’intervalles définie par les formules

,
,

et celles qui en résultent pour les ensembles ouverts ou à demi ouverts quand on veut que soit additive. Nous voulons prouver que la fonction ainsi obtenue est complètement additive.

Considérons un intervalle et divisons-le par un ensemble réductible de points en la famille des intervalles ouverts

contigus à et les points de , parmi lesquelles se trouvent et , , , …. On aura ainsi la division la plus générale d’un intervalle en parties sans points communs, à ceci près qu’on pourrait réunir et une ou deux de ses extrémités pour constituer un intervalle demi-fermé ou fermé. La formule à démontrer est donc

,

c’est-à-dire

Or cette formule résulte (p. 62) de ce que est à variation bornée.

Si l’on prend convenablement l’ensemble , la somme

donnera une valeur aussi approchée que l’on veut de la variation totale de dans . Or cette somme s’écrit

,

quantité qui s’approche autant qu’on le veut de la variation totale de la fonction , étant la fonction déduite de en modifiant celle-ci en ses points de discontinuité, sauf et si ceux-ci sont des points de discontinuité, de façon à obtenir une fonction continue à droite, sauf peut-être en .

Donc on a, entre la variation totale de et la variation totale de , dans ,

.

Entre les variations totales positive et négative de , soient et , et les variations totales positive et négative de , soient et , on a

d’où

,,

relations qui achèvent de fixer les relations entre et .

On verrait facilement que les fonctions des sauts de , , , , fonctions qui se définissent comme celles de , , , , sont les fonctions d’intervalles qui se déduisent des fonctions des sauts de ou , de , de , de .


II. — Les fonctions absolument continues.

Ayant ainsi étudié le passage de à une fonction d’intervalle , demandons-nous si nous pouvons déduire de , complètement additive, une fonction d’ensemble complètement additive.

Il est clair que est définie pour tous les intervalles fermés ou ouverts ; de l’additivité absolue on déduit la valeur de pour tous les ensembles mesurables B, puisque ces ensembles peuvent être obtenus par des sommes ou des différences à partir des intervalles[10]. Mais pour atteindre tous les ensembles mesurables, il nous faudra nous appuyer sur la seconde propriété de l’intégrale indéfinie que nous avons nommée l’absolue continuité.

Une fonction est dite absolument continue si, à tout positif, on peut faire correspondre un nombre , tel que la condition

entraîne.

En réalité cette propriété n’a été utilisée que pour des fonctions additives et c’est seulement pour de telles fonctions qu’elle mérite d’être considérée comme définissant un mode de continuité. Soient, en effet, une fonction additive et et deux ensembles. Posons

,,

étant la partie commune à et  ; et d’une part, et d’autre part étant sans point commun.

Convenons de dire que les deux ensembles et sont distants de [11] si l’on a

,.

On a

ainsi, à deux ensembles et , peu distants, correspondent des valeurs de la fonction peu différentes ; il s’agit bien d’une sorte de continuité, et même d’une continuité uniforme[12].

Ce mode de continuité a tout d’abord été remarqué pour les intégrales indéfinies ; on a, en effet, la proposition que voici : L’intégrale d’une fonction sommable , étendue à un ensemble variable , tend vers zéro avec la mesure de . En effet, nous savons qu’on peut choisir de façon que les intégrales , diffèrent de moins de , étant valeur absolue de et étant la fonction qui se déduit de comme il a été indiqué (p. 126). Soit alors un ensemble de mesure au plus égale à  ; divisons en l’ensemble de ceux de ses points où est nul et l’ensemble de ceux de ses points où est positif.

On a

Une intégrale indéfinie est donc une fonction absolument continue.

D’une fonction complètement additive et absolument continue nous déduirons une fonction d’intervalle complètement additive et absolument continue ; cette dernière dénomination exprimant que, quels que soient les intervalles, , , …, sans point commun deux à deux, la somme tend vers zéro avec . On pourrait dire aussi que la somme tend vers zéro, car dans nous pourrions ne conserver que les termes positifs, fournissant , ou que les termes négatifs, fournissant , et comme et doivent tendre vers zéro, doit aussi tendre vers zéro. Par intervalles, sans point commun, on peut maintenant entendre intervalles sans point intérieur commun, car l’absolue continuité de ou de entraîne évidemment que ces fonctions soient nulles pour tout intervalle réduit à un seul point, c’est-à-dire soient continues en tout point.

Si l’on passe ensuite d’une fonction ayant les deux propriétés considérées à une fonction , est à variation bornée et absolument continue, c’est-à-dire que, pour tout système d’intervalles , sans point intérieur commun deux à deux, la somme tend vers zéro avec la somme des mesures des . Ici encore, on peut à volonté mettre ou non un signe sous le signe  ; remarquons aussi que l’absolue continuité de entraîne pour la continuité au sens ordinaire et que soit à variation bornée.

Si, réciproquement, on part d’une fonction à variation bornée et absolument continue, on en déduira une fonction ayant les deux propriétés indiquées. Cherchons maintenant une fonction d’ensemble ayant aussi ces deux propriétés et se réduisant à sur les intervalles. Il est clair que s’il s’agit de calculer pour un ensemble nous pourrions procéder ainsi : on détermine un ensemble d’intervalles distant de de moins d’un nombre positif  ; ce qui est facile, par exemple, en enfermant dans des intervalles. Pour on connaît comme égale à la somme des valeurs de pour les divers intervalles constituant . Puis on fait tendre vers zéro et tend vers la valeur cherchée .

Cette valeur existera donc si, quand on remplace par un autre ensemble d’intervalles, , distant aussi de de moins de , tend vers zéro avec . Or, il en est bien ainsi, puisque et sont évidemment distants de au plus[13]. Finalement se calcule à l’aide de sommes d’accroissements , pour cette raison nous dirons aussi que est l’accroissement de dans l’ensemble .

Ainsi les trois familles de fonctions : fonction d’ensemble absolument continue et complètement additive, fonction d’intervalles ayant les deux mêmes propriétés, fonction d’une variable absolument continue et à variation bornée, se correspondent entièrement.

En particulier, nous voyons que l’intégrale indéfinie, fonction d’une variable, d’une fonction détermine entièrement l’intégrale indéfinie, fonction d’ensemble de . Et nous avons appris à calculer , à partir des intégrales de dans les divers intervalles, par un procédé analogue à celui qui permet de calculer à partir de la mesure des intervalles.

La propriété précédente entraîne cette conséquence très importante : deux fonctions et , qui ont même intégrale dans tout intervalle, sont égales, sauf tout au plus aux points d’un ensemble de mesure nulle. En effet, deux telles fonctions ont, par hypothèse, même intégrale indéfinie , donc même intégrale indéfinie  ; or, comme est la limite, pour et tendant vers zéro, de , pour assez petit l’un des deux ensembles qui viennent d’être nommés serait de mesure non nulle si et différaient en un ensemble de points de mesure positive[14]. Et il est clair que, dans cet ensemble de mesure non nulle, l’intégrale de la fonction , constamment supérieure à , ou constamment inférieure à , ne serait pas nulle. En d’autres termes, et différeraient, ce qui est contraire à l’hypothèse.

Ainsi une fonction est déterminée, sauf aux points d’un ensemble de mesure nulle, par la connaissance de l’une quelconque de ses intégrales indéfinies.

L’indétermination qu’on rencontre dans cet énoncé est bien effective ; car, si l’on modifie arbitrairement aux points d’un ensemble de mesure nulle arbitrairement choisi, on ne modifie pas ses intégrales indéfinies. Nous aurons plus loin à rechercher comment on peut calculer quand on en connaît une intégrale indéfinie ; mais pour donner aux résultats qu’on obtiendra toute la portée possible, il sera commode de poursuivre quelque peu l’étude des fonctions d’ensemble.


III. — Les singularités des fonctions non absolument continues.

Des deux propriétés indiquées pour l’intégrale indéfinie fonction d’une variable : être à variation bornée et être absolument continue, la première est contenue dans la seconde ; en effet, pour une fonction à variation non bornée, il est possible de choisir (p. 57) un système dénombrable d’intervalles non empiétants et tels que la série correspondante soit divergente ; or une telle série, d’après la définition même de l’absolue continuité (p. 158), est toujours convergente pour une fonction absolument continue.

Au contraire, il existe des fonctions continues et à variation bornée qui ne sont pas absolument continues ; la fonction de la page 56 en est un exemple. En effet, a une variation totale égale à 1 dans tout système d’intervalles enfermant et cela bien que soit de mesure nulle.

Lorsque l’on considère une fonction à variation bornée, pour estimer dans quelle mesure elle s’écarte de l’absolue continuité, il suffit de prendre des ensembles d’intervalles de mesures au plus égales à et de former pour eux les sommes et des différences positives et des différences négatives. En choisissant les de toutes les manières, et ont deux limites supérieures , qui, quand on fait tendre vers zéro en décroissant, tendent en décroissant vers deux limites et . Il est clair qu’on peut dire que s’écarte de l’absolue continuité : dans le sens des variations positives de , dans le sens des variations négatives de , au point de vue de la variation totale de .

Ces nombres et auraient pu être définis en appliquant le procédé précédent non plus à mais respectivement à sa variation positive et à sa variation négative  ; c’est-à-dire qu’on aurait remplacé , par exemple, par la somme des variations positives de dans tous les intervalles . En effet, en opérant ainsi nous avons  ; mais, dans , on peut trouver des intervalles non empiétants tels que toutes les différences soient positives et que leur somme, pour seul variable, diffère aussi peu que l’on veut de  ; on a donc, en choisissant bien les ,

et, comme la mesure de l’ensemble des est au plus celle des , les deux procédés de définition de sont bien équivalents. Ajoutons qu’on peut évidemment exiger que chaque système d’intervalles employé n’en contienne qu’un nombre fini. À chaque mode de définition de , de , donc de , correspond évidemment une formulation différente de la condition d’absolue continuité.

Désignons par , , les nombres , , relatifs à l’intervalle , il est évident que dans l’intervalle positif les nombres , , sont , ,  ; il est clair aussi que ces trois nombres sont positifs ou nuls et au plus égaux, respectivement à , , . En d’autres termes, les six fonctions , ,  ; , , sont non négatives et non décroissantes. Ces fonctions ne sont actuellement définies que dans  ; nous les prendrons égales à zéro au point et nous poserons

.

Les fonctions , , , sont dites les fonctions des singularités de , , ,  ; voici leur propriété caractéristique : si est la fonction des singularités d’une fonction à variation bornée , la différence est absolument continue et est, de toutes les fonctions telles que la différence soit absolument continue, celle qui a la plus petite variation totale, et qui s’annule pour .

Il est évident, d’après la définition même de et de qu’il ne saurait y avoir une fonction corrective ayant des variations dans inférieures à , , et que la seule fonction pour laquelle ces valeurs minima soient atteintes est

Mais il reste à prouver que est une fonction corrective. Or on a

 ;

comme les deux crochets du second membre sont positifs ou nuls, il faut donc prouver que le nombre relatif au premier crochet et le nombre relatif au second sont nuls.

Si le nombre relatif à était égal à , c’est qu’on pourrait trouver dans des points en nombre fini,

,

tels que la mesure de l’ensemble des intervalles de rang pair soit inférieure à et tels cependant que la somme

surpasse . Ce qui s’écrit encore

.

D’autre part, on peut trouver dans chaque intervalle de rang impair des intervalles dont la mesure totale soit aussi faible qu’on le veut et qui fournissent une somme

au moins égale à , d’après la définition même de . De sorte que l’on peut supposer que l’ensemble des relatifs à toutes les valeurs de ait une mesure inférieure à et que cependant on ait

.

D’où, par addition,

et ceci est impossible, d’après la définition de , puisque l’ensemble des et des est de mesure aussi petite que l’on veut.

La proposition est donc démontrée.

Posons , représente donc une fonction absolument continue : le noyau de . Les fonctions et ont les mêmes sauts en tout point, donc la même fonction des sauts (fonction de la page 60). Si l’on pose

,

est la partie continue de (fonction de la page 61) et est à la fois la partie continue de et la fonction des singularités de la partie continue de [15].

Considérons une suite , , … d’ensembles d’intervalles dont les mesures tendent vers zéro et fournissant des sommes , , … tendant vers la plus grande limite possible . Les sommes analogues relatives à tendent vers zéro, à cause de l’absolue continuité de , donc les sommes , , … tendent aussi vers .

En supprimant au besoin certains des primitifs nous pouvons supposer que la série des mesures des est convergente ; alors si nous désignons par l’ensemble d’intervalles , les forment une suite possédant toutes les propriétés signalées de la suite des et, de plus, contient . Soit l’ensemble des points communs à tous les  ; il est de mesure nulle et pour tout système d’intervalles ouverts[16] enfermant la somme .

En effet, soit un tel système d’intervalles, pour assez grand est contenu dans sans quoi, comme l’ensemble obtenu en retirant de les parties contenues dans contient , il existerait des points communs à tous les , donc à tous les , et ne faisant pas partie de , ce qui est impossible. Donc il fournit une somme au moins égale à celle que fournit pour très grand, donc au moins égale à , donc exactement égale à puisque aucune somme , ne saurait surpasser .

Lorsqu’un ensemble est de mesure nulle et que tout système d’intervalles ouverts l’enfermant donne une somme , égale à , c’est-à-dire donne une somme au moins égale à , cet ensemble est dit l’ensemble des singularités de parce que, en un certain sens, toute la variation de est concentrée aux points de cet ensemble.

L’ensemble que nous venons de construire est donc l’ensemble des singularités de , ou si l’on veut un ensemble des singularités car il est clair que l’ensemble des singularités est très indéterminé. Par exemple, en ajoutant à un ensemble quelconque de mesure nulle on a encore un ensemble des singularités.

Tout ensemble des singularités contient nécessairement les points de discontinuité de  ; mais ce sont les seuls points qu’il contient nécessairement. Soit, en effet, un point de continuité de et supposons qu’il appartienne à  ; considérons un ensemble d’intervalles ouverts enfermant . Cet ensemble enferme les parties et de situées dans et , qui sont évidemment les ensembles des singularités de dans ces intervalles. fournit donc une somme au moins égale à . Or, par hypothèse, tend vers zéro avec , donc fournit une somme égale à .

De même, de l’ensemble des singularités on peut retrancher une infinité dénombrable arbitraire de points de continuité de , sans que l’ensemble cesse d’être ensemble des singularités.

Considérons la fonction

,

étant la fonction de la page 56 mais supposée prolongée en dehors de (0, 1) de façon qu’elle ait la période 2 et qu’elle soit paire. est continue et à variation bornée dans tout intervalle, elle n’est absolument continue dans aucun intervalle, de sorte que l’ensemble des singularités de est partout dense et que pourtant il ne contient obligatoirement aucun point particulier ; tout point est qualifié au même titre pour entrer dans cet ensemble de mesure nulle[17].

Soit l’ensemble des singularités de  ; alors pour toute suite d’ensembles d’intervalles ouverts enfermant et de mesures tendant vers zéro, on a

 ;

or et ne peuvent surpasser respectivement

,,

donc on a exactement

, ;

est aussi l’ensemble des singularités de et de .

Inversement, de quelque manière qu’on ait déterminé les ensembles des singularités de et de , leur réunion donne l’ensemble des singularités de  ; car il est évident que la somme des ensembles des singularités des termes d’une somme est l’ensemble des singularités de la somme. étant l’ensemble des singularités de , pour toute suite d’intervalles ouverts enfermant et de mesure tendant vers zéro, la somme

tend vers

.

En d’autres termes, le procédé qui a permis d’attacher à chaque ensemble mesurable un accroissement lorsque était absolument continue — procédé consistant à enfermer dans une suite d’ensemble d’intervalles ouverts[18] dont les mesures tendent vers celles de et à prendre la limite des sommes fournies par cette suite d’ensembles d’intervalles — s’applique à une fonction à variation bornée quelconque lorsque l’on prend pour son ensemble des singularités. Mais l’ensemble des singularités est le seul ensemble pour lequel ce procédé s’applique encore, du moins s’il s’agit d’une fonction continue.

D’une façon plus précise, on pourra démontrer que si l’on appelle une fonction égale à , sauf aux points où l’on a

pour lesquels

,

— c’est-à-dire si l’on appelle la fonction qui fournit la même fonction d’intervalle que , mais qui est débarrassée des singularités inutiles de — le procédé de définition précédemment utilisé pour l’accroissement dans un ensemble d’une fonction absolument continue peut encore être employé pour mais seulement pour les ensembles qui sont ensembles de singularités pour .

Par un procédé tout différent nous allons définir l’accroissement de dans une classe étendue d’ensembles. Pour cela, décomposons en . À la fonction des sauts nous attachons dans un accroissement égal à

.

la sommation étant étendue à ceux des points de discontinuité de qui appartiennent à .

Soit la variation totale de de à , le changement de variable

transforme en une fonction de , soit [19]. ayant dans tout intervalle une variation totale , inférieure à , a, par rapport à , des nombres dérivés inférieurs en valeur absolue à 1. , étant absolument continue, a un accroissement déterminé dans chaque ensemble mesurable  ; mais à correspond un ensemble . Nous convenons de poser pour définition de l’accroissement dans

.

Les ensembles que nous atteignons ainsi sont tous mesurables ; car si l’on enferme et son complémentaire dans deux familles d’intervalles ayant des parties communes de mesure totale , par le changement de variable de à on en déduit deux familles d’intervalles enfermant et son complémentaire et dont les parties communes ont au plus pour mesure ; à un intervalle correspond, en effet, un intervalle de longueur égale ou supérieure.

Mais on ne peut pas affirmer que l’accroissement soit défini pour tous les ensembles mesurables. En tout cas il est défini pour tous les réduits à un intervalle ou à un point car pour eux les sont des intervalles ou des points ; le changement de variable transformant les additions et les soustractions d’ensembles en additions et soustractions ; il s’ensuit qu’aux ensembles mesurables B correspondent des mesurables B et par suite l’accroissement de est défini en particulier dans tout ensemble mesurable B.

Pour énoncer le résultat, remarquons que désignant toujours la variation totale de de à , nous aurions pu raisonner directement sur en posant

,

quand est point de continuité de , et, quand est point de discontinuité, en lui faisant comprendre toutes les valeurs de depuis

jusqu’à.

La fonction sera telle que

si est point de continuité et, si est point de discontinuité on aura

étant linéaire entre et .

Alors il suffira de poser

pour définir l’accroissement de par un procédé analogue au précédent et fournissant le même résultat, comme on le constatera de suite. Donc : on peut attacher à chaque fonction à variation bornée une fonction complètement additive d’ensemble que l’on appelle l’accroissement de et qui est définie dans une famille d’ensembles mesurables, variable avec , mais qui comprend toujours tous les ensembles mesurables B ; c’est la famille des ensembles qui, par le changement de variable convenablement interprété, fournit des ensembles mesurables en .

On a vu, par le procédé même qui nous a permis de construire , que l’on pouvait toujours faire en sorte que l’ensemble des singularités de soit mesurable B. Alors, pour cet ensemble, on a deux définitions différentes de l’accroissement de , il faut vérifier qu’elles sont en accord.

Or soit un ensemble mesurable B, il lui correspond un ensemble  ; enfermons dans des intervalles ouverts [20] et dont on fera tendre la mesure vers celle de . Si l’on a eu soin de choisir les de façon qu’ils n’aient aucune extrémité à l’intérieur des intervalles correspondant aux points singuliers de , ce qui est possible, correspond à un ensemble d’intervalles ouverts [21] enfermant et de mesure tendant vers celle de  ; la somme tend alors vers car elle est égale à qui tend vers .

Si donc est l’ensemble des singularités de , la seule chose nouvelle qui se présente c’est que nous ne sommes plus obligés d’utiliser l’ensemble particulier déduit des pour calculer  ; on peut employer tout autre ensemble d’intervalles ouverts enfermant , et de mesure variable et tendant vers zéro.

Quand on se restreint[22] à la considération des ensembles auxquels correspondent des ensembles mesurables, on peut dire que les ensembles des singularités sont ceux pour lesquels on a à la fois

,.

Déduisons de là que si et sont pour deux ensembles des singularités, de cette catégorie, mesurables B par exemple, l’ensemble des points communs à et à est aussi ensemble des singularités de .

On a en effet

 ; ;
.

D’où

,
 ;

le théorème est démontré.

Étudions la fonction d’ensemble qui vient d’être définie ; pour cela remarquons que si, au début de cette théorie des fonctions d’ensemble, nous avons été naturellement conduits à nous occuper des fonctions définies sur tous les ensembles mesurables, cette condition n’était nullement essentielle à nos raisonnements ; les conclusions de ces raisonnements subsistent pour les fonctions d’ensembles définies seulement, ou connues seulement, pour les ensembles mesurables B. Il nous sera commode de parler des fonctions connues pour tous les ensembles mesurables B, parce que les ensembles , de la page 148, ainsi que l’ensemble de la page 164, sont mesurables B.

La fonction , ou simplement , est définie pour tous les ensembles mesurables B et complètement additive dans la famille de ces ensembles. Elle est donc à variation bornée et a des variations , , qui sont aussi complètement additives ; comment pourrait-on calculer ces fonctions connaissant  ?

On n’a pas toujours

 ;

l’exemple de partout nulle dans (0, 1) sauf pour le montre de suite. est alors identique à zéro, donc aussi et pour réduit au point , on a

.

Pour écarter de telles singularités, modifions en ses points de discontinuité intérieurs à de façon que la nouvelle fonction n’ait en aucun point deux sauts de signes contraires.

Pour fixer les idées, prenons continue à droite à l’intérieur de . Soient , , les trois variations totales de  ; on va prouver que l’on a

 ; ; ;

est la limite supérieure des valeurs de  ; mais chaque valeur de peut se calculer à l’aide d’un système d’intervalles, donc est la limite supérieure des nombres pour les systèmes d’intervalles ouverts, sauf peut-être en et . D’autre part est la limite supérieure des nombres pour les systèmes d’intervalles fermés. Comme en barrant d’un système d’intervalles tous ceux qui donnent des négatifs nous augmentons , et qu’on peut réunir deux intervalles donnant des non négatifs et ayant une extrémité commune, on peut supposer les intervalles sans extrémités communes. Soit l’un de ces intervalles, étant continue à droite, l’intervalle donne le même accroissement que et presque le même que , pour très petit.

Donc , pour formé d’intervalles fermés, diffère aussi peu que l’on veut de pour convenablement formé d’intervalles ouverts, sauf peut-être en et . Et l’on a

.

Mais on aurait eu de même

,

d’où il résulterait que, dans tout intervalle ouvert, fermé ou à demi fermé, on a

 ;

puis on déduirait l’égalité pour tous les ensembles mesurables B.

Les égalités analogues relatives à et en résultent.

Soient , , , les fonctions des singularités de , , ,  ; , , sont les trois variations de . À ces fonctions, qui sont continues à droite à l’intérieur de , correspondent des accroissements , , , liés entre eux comme , , , . Ces fonctions , , , sont dites les fonctions des singularités de , , , . Comme est la fonction de plus petite variation totale telle que soit absolument continue, la fonction des singularités d’une fonction , complètement additive d’ensembles mesurables B, est, parmi toutes les fonctions correctives rendant absolument continues, celle qui a la plus petite variation totale.

L’ensemble des singularités de , pris mesurable B, est dit l’ensemble des singularités de . Ainsi, par ensemble des singularités d’une fonction additive d’ensemble mesurable B, nous entendons tout ensemble , mesurable B, qui est de mesure nulle et pour lequel la fonction , variation totale de , atteint la plus grande des valeurs qu’elle peut atteindre sur des ensembles de mesure nulle.

L’ensemble des singularités de est par conséquent un ensemble en lequel

 ;

pour tout ensemble , n’ayant aucun point commun avec , sera par suite nul, puisque ne peut être ni négatif ni supérieur à . L’ensemble est l’ensemble en lequel , ou , atteint sa limite supérieure. L’ensemble des singularités de est celui en lequel , ou , atteint sa limite inférieure. L’ensemble est l’ensemble des singularités de .

L’ensemble des singularités d’une fonction complètement additive d’ensemble mesurable B se décompose en deux ensembles sans points communs qui sont respectivement les ensembles des singularités de la variation positive de et de sa variation négative ; nous avons vu, en effet (p. 148), que les ensembles et , en lesquels une fonction [ici ] atteint sa limite supérieure et sa limite inférieure, peuvent être pris sans points communs.

Ainsi les ensembles des singularités de et peuvent être pris sans points communs et l’on peut supposer qu’aucun point singulier de ne fait partie de ces ensembles, puisque ces points singuliers ne forment qu’un ensemble fini ou dénombrable. Mais pour avoir l’ensemble des singularités de il suffit d’ajouter à l’ensemble des singularités de les points en lesquels a au moins un saut positif. Donc les ensembles des singularités des variations positive et négative, et , d’une fonction à variation bornée, , peuvent être pris sans autres points communs que ceux en lesquels a un saut de droite et un saut de gauche différents de zéro et de signes contraires.

De toute cette analyse il faut retenir surtout qu’une fonction complètement additive d’ensemble mesurable B est absolument continue si, et seulement si, elle a une valeur nulle sur tout ensemble mesurable B de mesure nulle. La fonction est alors prolongeable à tout ensemble mesurable[23].

  1. Seulement on peut maintenant se servir des maxima et minima obtenus en négligeant les ensembles de mesure nulle, car si l’on modifie la valeur d’une fonction aux points d’un tel ensemble, on ne modifie pas l’intégrale de cette fonction.
  2. Sur les fonctions d’ensemble, voir le Livre de M. de la Vallée Poussin, Intégrales de Lebesgue, fonctions d’ensemble, classes de Baire.
  3. Le lecteur vérifiera facilement qu’une fonction égale à la somme des longueurs des intervalles dans lesquels le complémentaire de est partout non dense possède l’additivité restreinte mais non l’additivité complète.

    Jusqu’ici l’additivité restreinte ne s’est pas introduite en Analyse ; il y a pourtant lieu de la bien distinguer de l’additivité complète. Je m’explique sur un exemple. La condition 2 du problème de la mesure impose à la fonction l’additivité complète ; supposons au contraire que nous ayons modifié cette condition 2 de façon à n’exiger que l’additivité restreinte, la fonction n’aurait plus été définie que pour les ensembles mesurables J et cette fonction eût été l’étendue . Remarquons que la fonction ainsi obtenue possède bien l’additivité complète dans le domaine des ensembles mesurables J, puisqu’elle ne diffère pas de mais la fonction n’est pas toujours définie pour la somme , quand elle est définie pour , , ….

  4. S’il s’agissait d’une fonction définie seulement pour les ensembles mesurables formés des points d’un ensemble mesurable donné , on étendrait la définition de à tous les ensembles mesurables formés de points d’un intervalle contenant en convenant que, par définition, pour un tel ensemble dont la partie commune avec est , on a  ; et que, si n’existe pas, . On pourra donc toujours supposer qu’il s’agit d’une fonction définie pour tous les ensembles mesurables d’un intervalle .
  5. Je n’explicite plus qu’il s’agit d’une fonction prenant une valeur déterminée et finie pour chaque ensemble mesurable formé avec les points d’un intervalle ou d’un ensemble mesurable , cas que l’on ramène au précédent.
  6. Ces propriétés correspondent cependant à des propriétés de certaines fonctions d’une variable puisque, dans un moment, nous définirons par une fonction d’une variable ; mais ce sont des propriétés que l’on n’aurait guère songé à envisager si l’on n’avait pas parlé de fonction d’ensemble. C’est à cause de telles propriétés qu’il y a intérêt à considérer les fonctions d’ensemble.
  7. Exception faite du cas où l’ensemble de définition serait composé d’un nombre fini ou d’une infinité dénombrable de points.
  8. Il y a lieu à démonstration parce que nous posons deux définitions : l’une pour les points de continuité, l’autre pour les points de discontinuité.
  9. Si une telle fonction prend les valeurs et , elle prend aussi toute valeur comprise entre et .
  10. Seulement tout ensemble mesurable B peut être obtenu de plusieurs manières par des additions et des soustractions, la définition de ne serait donc complète pour les ensembles mesurables B que si nous prouvions qu’elle est exempte de contradiction et cela sans utiliser la condition d’absolue continuité qui va être introduite.
  11. M. Borel dit que et différent de deux  ; expression meilleure à certains égards.
  12. Une fonction complètement additive d’ensemble mesurable, qui est continue à la façon du texte, c’est-à-dire eu égard à notre notion de distance de deux ensembles, pour tout ensemble mesurable, est nécessairement uniformément continue ; ce mode de continuité uniforme est ce que nous appelons l’absolue continuité.
  13. Ce mode d’extension à tous les ensembles mesurables d’une fonction définie seulement dans la famille des ensembles d’intervalles est à rapprocher de la proposition que M. Baire appelle principe d’extension (voir Baire : Leçons sur les théories générales de l’Analyse), dont l’application la plus connue est la définition de l’exponentielle et qu’on peut énoncer ainsi : Si une fonction est définie pour toutes les valeurs rationnelles de et si elle est uniformément continue dans l’ensemble de ces valeurs, on peut la prolonger, et d’une seule manière, à toute valeur de de façon qu’elle reste continue.

    On pourrait réunir cette propriété et celle qui vient de nous servir dans un énoncé unique ; on imiterait pour cela les considérations développées par M. M. Fréchet dans sa Thèse (Rendiconti del Circolo Matematico di Palermo, 1906).

  14. et , étant sommables, sont mesurables, et l’ensemble des points où et diffèrent est bien mesurable.
  15. Le lecteur pourra démontrer que la fonction des sauts est, parmi toutes les fonctions correctives telles que soit continue, celle qui a la plus petite variation totale. et sont donc susceptibles de définitions analogues.

    Je laisse aussi de côté quantité de propositions à démonstrations faciles, comme celle-ci : les fonctions des singularités et des sauts d’une somme sont les sommes des fonctions des singularités et des sauts des fonctions additionnées.

  16. C’est-à-dire que les points de sont intérieurs, au sens strict, aux intervalles considérés ; pour la construction de les intervalles formant les étaient au contraire pris fermés ; c’est-à-dire que l’on considérait comme faisant partie de les extrémités des intervalles constituant .
  17. Ce fait est paradoxal ; on s’en étonnera moins en se disant que, pour calculer , il faut bien garder des points de l’intervalle ou de l’ensemble auquel est étendue l’intégrale et que, pourtant, on peut enlever de l’ensemble n’importe quel point.
  18. Lorsqu’il s’agit d’une fonction continue il importe peu que les intervalles soient ouverts ou fermés.
  19. J’avais utilisé ce fait pour l’étude de l’intégrale de Stieltjès ; c’est M. de la Vallée Poussin qui, dans sa conférence du congrès de Strasbourg, en a indiqué l’utilisation actuelle. Antérieurement, M. de la Vallée Poussin avait montré comment on pouvait obtenir la fonction d’ensemble attachée à une fonction non absolument continue grâce à un procédé qui généralise exactement celui qui nous a conduit à la mesure des ensembles. Voir son livre déjà cité et, plus loin, le Chapitre XI.
  20. Les intervalles de qui auraient une extrémité en ou en seraient cependant pris fermés.
  21. Dans il pourrait y avoir pourtant un intervalle fermé en ou en .
  22. Je ne sais pas si cette restriction est effective, c’est-à-dire s’il y a des ensembles auxquels correspondent des non mesurables.
  23. On comparera cet énoncé avec celui de la page 151.