Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 1/03

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E. Arrault et cie (1p. 97-172).


CHAPITRE III

INSTRUCTION DU CORRECTEUR
RECRUTEMENT ET APPRENTISSAGE



§ 1. — INSTRUCTION


I. — Considérations générales.


Spencer affirme que « le bouquin se prise par la forme, que le fonds n’y fait rien ».

Sans doute, il n’entrait point dans la pensée du philosophe anglais d’affirmer ainsi qu’il se souciait peu de la valeur des œuvres littéraires de ses contemporains. Tout au plus prétendait-il, par cette boutade ironiste, souligner la tendance regrettable de certains amateurs de livres, ou critiquer finement l’importance un peu exagérée, trop souvent hors de proportions avec le sujet, donnée par maints éditeurs à la forme de nombre d’ouvrages. Pour nous, Spencer était certes de ceux qui estiment que « la forme doit répondre à la grandeur du sujet et se confondre avec elle dans une magnifique unité ».

Il importe en effet d’affirmer que la perfection réclamée dans l’impression d’un livre ne doit pas être celle dont on se contente trop communément, perfection qui ne va pas au delà tantôt de la beauté d’un spécimen de caractères, tantôt du haut prix d’achat d’un luxueux papier, ou encore des ors brillants frappés dans les cuirs fauves, et aussi des chromos plutôt moins artistiques qui cachent aux yeux hypnotisés du lecteur la médiocrité du contenu.

Pour être réellement parfait, un livre doit réunir, aussi bien dans le fonds que dans la forme, les qualités qui résultent de toutes les difficultés surmontées, au cours de sa confection, dans la composition, dans la correction, dans l’impression, dans le choix du papier, dans la reliure, etc.

Les qualités littéraires d’un ouvrage sont au-dessus des considérations exposées ici : elles se déduisent d’autres lois ; elles sont du ressort propre de l’écrivain, en dehors du domaine de l’imprimeur. Toutefois, à ces qualités qui parmi beaucoup d’autres doivent tenir la première place, l’imprimeur est tenu d’apporter un appoint ; le soin qu’il prend de parfaire ce dernier, dans les limites qui lui sont imparties, est le vernis superficiel qui donne au travail toute sa valeur et en fait, au point de vue du texte, une œuvre irréprochable.

La correction — cet appoint qui donne au texte le « vernis superficiel » — est ainsi l’une des qualités techniques les plus importantes à exiger d’un livre.

Tel était autrefois le sentiment de nos illustres prédécesseurs dans la typographie, sentiment que Crapelet résumait si heureusement dans une phrase célèbre : « La correction, la plus belle parure des livres. »

Telle était aussi l’opinion de M. Bernier, président de la Société des Correcteurs parisiens, lorsqu’il écrivait, en juillet-août 1867, dans le journal l’Imprimerie : « Quand le véritable amateur, quand le bibliophile consciencieux, quand cette partie même du public qu’on est convenu d’appeler le public éclairé, achète un livre, quelle est sa plus grande, son unique préoccupation, devrais-je dire ? Le savant et le lettré s’occupent-ils donc tant de la teinte plus ou moins foncée de l’encre, de l’uniformité plus ou moins réelle du tirage ? Tiennent-ils donc si grand compte de la couleur, de l’épaisseur, de la fermeté du papier ? Non : ce qu’ils veulent, ce qu’ils recherchent, ce qu’ils trouvent, hélas ! trop rarement, par ce temps de marasme de la correction, c’est un livre bien fait, composé avec goût et méthode, selon les règles de l’art, et surtout exempt de ces fautes de toute nature qui pullulent même — qui pullulent surtout — dans les livres sortis de nos imprimeries les plus importantes ; en un mot, un livre comme on n’en voit plus… guère. »

En août 1879, ce même journal l’Imprimerie disait encore sous la signature de Ch. Verneuil : « Une bonne correction ajoute au mérite d’un livre, et la valeur que celui-ci tire de la pureté de son texte ne saurait lui être contestée », rappelant presque mot pour mot cette phrase de Fournier : « La correction constitue au plus haut point, et dans le sens le plus sérieux, le mérite d’un livre. Ses autres qualités peuvent être soumises à la diversité des goûts et des appréciations, mais la valeur qu’il tire de la pureté de son texte ne saurait lui être contestée, puisqu’elle repose sur des principes universellement admis. »


II. — Instruction du correcteur aux temps passés.


Le rôle du correcteur est donc, et a toujours été, dans l’imprimerie d’une importance capitale. Aussi, pour remplir ce rôle, durant plusieurs siècles on exigea du correcteur le fonds d’instruction d’un véritable savant et la connaissance au moins théorique, sinon pratique, de la typographie. « Cette assertion dont personne ne peut contester la véracité est justifiée par les exemples du passé. À l’origine de l’imprimerie tous ceux qui se livraient au travail de la correction étaient des savants de premier ordre : les labeurs se bornant presque exclusivement à la reproduction des prosateurs, des poètes et des historiens grecs et latins, des écrivains religieux et des livres saints surtout, les correcteurs, les compositeurs eux-mêmes étaient pour la plupart des gradués de l’Université, des maîtres ès arts ; il en était ainsi, bien entendu, du maître imprimeur qui cherchait, lui aussi, dans l’exercice de sa profession, bien plus l’occasion incessante de satisfaire son goût pour les chefs-d’œuvre de l’antiquité et sa curiosité littéraire que le moyen d’édifier une grande fortune[1]. »

Un siècle après la découverte de l’imprimerie, la situation typographique au point de vue de la correction n’a pas varié, tout au contraire ; et elle ne se modifiera guère au cours des âges suivants. Nous ne saurions donner de preuves plus évidentes de ce fait que celles dont la vie de Théodore Zwinger et de Nicolas Edoard nous offre l’exemple :

« Riche de science, d’idées et d’espoirs, mais fort pauvre d’argent, Zwinger quittait Bâle en 1548 et venait à Lyon, alors un centre remarquable de productions typographiques, offrir ses services à Godefroy Beringen[2]. »

Nicolas Edoard, un Champenois, qui fut auteur et surtout prélecteur d’imprimerie chez Thibaud Payen, devint imprimeur et aussi libraire à Lyon dès 1554 ; il était fort instruit et aimait à faire parade de son érudition en émaillant de citations grecques ou latines les épîtres et poésies qu’il adressait aux auteurs dont il imprimait ou revisait les œuvres. En 1551, il corrigeait pour les héritiers de Jacques Junte le Rationale divinorum officiorum de Guillaume Durand et le faisait précéder d’une longue épître latine adressée à son frère Nicolas Edoard, curé de Marcilly-sur-Seine. De cette curieuse épître, qui se retrouve dans les éditions du Rationale de 1559 et de 1565, faites pour les mêmes libraires, nous détachons le passage suivant : Nicolas Edoard, auquel le malheur des temps n’a pas permis de continuer ses études, n’a trouvé « aucune occasion meilleure de satisfaire son goût pour les chefs-d’œuvre de l’antiquité et sa curiosité littéraire » que d’entrer dans la typographie : Itaque, dilectissime frater, cum post sex plus minus annos, funesta temporum injuria, Campania bello flagrante, e medio studiorum meorum cursu revocatus, Lugdunum divertissem, pene hospes, mearum partium esse putavi, de ingenii mei cultu vehementius laborare, ne ejus acies torpore et situ obducta, langueret vel extingueretur. Ad quod meum institutum non tam quæsita, quam nata visa est mihi occasio in Typographica militia : cujus saxum gravissimum volvere (ut Sisyphus ille apud Inferos) et laboris est multi et diligentiæ industriæ que non vulgaris. Quod quidem munus cum post tot annos sedulo pro ingenii mei facultate obiissem, judicavi non alienum esse a mea in te observantia, ut aliquid stylo, licet rudi et ineleganti, exigerem, quod tibi fore gratissimum meritoque devovendum videretur : cum, ut me ab illa gravissima inscitiæ vel ignaviæ injuria vindicarem : tum vero, ut immortalem tuæ virtutis, et multorum atque adeo summorum in me tuorum officiorum memoriam posteritati relinquerem[3].

Les connaissances du correcteur, son désir de s’instruire encore et toujours plus n’étaient pas un vain mot, une formule platonique : le travail journalier lui en faisait un devoir ; les règlements, une obligation : si fréquemment le Pouvoir crut devoir fermer les yeux sur ces nombreuses infractions auxquelles le cours des événements obligea parfois, il sut cependant, lorsque le mal lui sembla dépasser les limites, rappeler sévèrement les intéressés au respect de prescriptions qui constituaient la sauvegarde de la réputation de la corporation.

Songeant au public, à l’acheteur de livres, l’Université avait, on s’en souvient, réglementé, dès la fin du xiie siècle, le commerce des livres ; ces règles fort sévères furent reproduites par le règlement du 8 décembre 1275. Les copistes et les libraires — suppôts, c’est-à-dire subordonnés de l’Université — devaient se conformer rigoureusement à ces prescriptions sous peine de « perdre le droit d’exercer librement la profession à laquelle ils avaient été admis dans l’intérêt des études, en sorte qu’aucun maître ou écolier n’ait plus le moindre commerce avec de tels libraires ».

Dès l’apparition de l’imprimerie, l’autorité — c’est-à-dire le Pouvoir royal — par des édits, par des ordonnances, par des lettres patentes, ou par des arrêts fit sienne cette réglementation[4] et la renforça plus ou moins heureusement ; plus tard, reprenant à l’égard de l’imprimerie le procédé qu’elle avait déjà employé pour d’autres corporations, elle prescrivit une série de règles qui devaient contribuer à ne mettre au jour que des produits sinon irréprochables, du moins aussi parfaits que possible[5].

Ainsi furent, tout d’abord, confirmées, même au temps où l’imprimerie est encore reconnue « libre », les règles édictées à l’époque des manuscrits pour la correction des ouvrages. Sous sa responsabilité l’imprimeur est tenu de ne livrer à la vente que des livres corrects ; s’il se reconnaît incapable de satisfaire à cette obligation, il doit s’entourer d’individus plus savants et plus compétents que lui, ainsi que François Ier l’ordonne par l’article 16 de l’édit du 31 août 1539 : « Se les maistres imprimeurs des livres en latin ne sont savans ne suffisans pour corriger les livres qu’ils imprimeront, seront tenuz avoir correcteurs suffisans, sur peine d’amende arbitraire[6]… » Cette prescription fut souvent rappelée aux intéressés : par la déclaration du 27 juin 1551, par les articles 12 et 23 de l’édit de 1571, par la déclaration de 1572, puis aussi par l’article 12 du règlement du 20 novembre 1610, par l’article 36 du règlement de 1649 et par un arrêt du Conseil en date du 27 février 1665 ; enfin, l’article 56 du règlement de 1723 décidait encore : « Les imprimeurs qui ne pourront eux-mêmes vacquer à la correction de leurs ouvrages se serviront de correcteurs capables… »

« Correcteurs suffisants », dit l’édit de 1539 ; « correcteurs capables », ordonne le règlement de 1723 : quelles connaissances techniques, littéraires et scientifiques le correcteur devait-il posséder pour être jugé « suffisant » ; quel critérium un maître imprimeur avait-il pour reconnaître et apprécier les « capacités » de son correcteur ? Les textes sont muets à cet égard ; mais il est aisé, à l’aide de faits certains — degré d’instruction exigé de l’apprenti typographe, conditions auxquelles le compagnon doit satisfaire pour accéder à la maîtrise — d’obtenir sur ce sujet une approximation aussi précise qu’on peut le désirer.


A. — Instruction exigée de l’apprenti typographe aux temps anciens


Rappelons, tout d’abord, que l’exercice de la profession d’imprimeur fut, pendant un siècle, de 1470 à 1571, entièrement libre[7] ; les formalités, obligatoires dans les autres corporations, de l’apprentissage, du compagnonnage, du chef-d’œuvre n’étaient pas encore réglementées dans la typographie : « s’établissait maître qui voulait ». L’apprenti n’avait dès lors, au moment de son entrée chez le patron, à satisfaire à aucune prescription légale particulière. Il est évident, toutefois, que, pour s’assimiler, pour acquérir suffisamment une technique d’essence aussi particulière que l’est celle de notre métier, chaque débutant devait se soumettre pendant quelque temps à une éducation préparatoire à l’exercice de la typographie. Mais le stage n’avait d’obligation que cette nécessité même et la volonté du candidat ; l’accord réciproque du maître et du futur apprenti en déterminait seul la durée, sans doute proportionnée à l’instruction littéraire que l’élève possédait et à l’intelligence dont il était doué et dont il faisait preuve. Aux premiers temps, cet accord était peut-être verbal ; un quart de siècle après l’apparition de l’imprimerie à Paris, il était devenu notarié[8], suivant l’usage adopté par tous les autres corps de métiers.

Ainsi en cette matière, comme en beaucoup d’autres dans l’imprimerie, l’initiative privée devança la réglementation royale : l’apprentissage était, en fait, devenu obligatoire depuis longtemps lorsque François Ier, par sa déclaration du 21 décembre 1541, en imposa la nécessité, affirmée à nouveau par l’édit de Gaillon du 9 mai 1571. Toutefois, le roi n’exige encore du futur apprenti aucune condition spéciale, au point de vue de l’âge, non plus que des connaissances nécessaires[9]. Ce ne fut guère que sous la pression des événements et pour donner satisfaction à des « remontrances » fort vives et justifiées de la part des compagnons que, le 10 septembre 1572, Charles IX, dans sa déclaration, ordonna : « Et quant au dix-neuvième article, nul apprenti compositeur ne sera reçu à son apprentissage qu’il ne sache lire et écrire… »

On conviendra aisément que l’obligation imposée à un apprenti compositeur de « savoir lire et écrire » était en quelque sorte une prescription dont, employant une expression moderne, M. de la Palisse n’eût point renié la paternité. Mais, précisément en raison de sa nécessité évidente — peut-être aussi pour des motifs impérieux que nous ne pouvons aujourd’hui connaître, mais qui ne permettaient pas alors au Pouvoir royal d’exiger plus — cette obligation est confirmée par Louis XIII, dans l’article 10 du règlement du 20 novembre 1610 et dans les articles 2 et 3 des lettres patentes du 1er juin 1618.

Grâce aux réclamations pressantes des compagnons, ces connaissances furent cependant enfin jugées insuffisantes. L’article 5 du règlement de 1649 ordonna : « Enjoignons, à l’avenir, aux imprimeurs et libraires de prendre seulement un apprenti de bonnes vie et mœurs, catholique, originaire Français, capable de servir le public, congru en la langue latine et qui sache lire le grec, dont il aura certificat du recteur de l’Université, à peine de 300 livres et de nullité du brevet. » L’arrêt du Parlement du 12 juillet 1659, l’édit d’août 1686 dans son article 21 rappellent la même prescription que l’article 20 du règlement du 28 février 1723 répète ainsi : « Aucun ne pourra être admis à faire apprentissage pour parvenir à la maîtrise de librairie et d’imprimerie, s’il n’est congru en langue latine et s’il ne sait lire le grec dont il sera tenu de rapporter le certificat du recteur de l’Université… » L’article 3 de l’arrêt du Conseil du 10 décembre 1725, l’article 21 du règlement de 1744 maintinrent ces conditions qui restèrent en vigueur jusqu’à la Révolution.

L’apprenti compositeur obligé à une instruction certes fort étendue ne pouvait, semble-t-il, commencer l’étude du métier avant dix-huit ans. En fait, l’âge moyen d’entrée dans la typographie relevé d’après les contrats d’apprentissage qui nous ont été conservés est compris entre dix-huit et vingt-cinq ans. Quelques-uns de ces contrats donnent, toutefois, un âge inférieur ; sur nombre d’autres, par contre, l’âge est bien plus élevé ; mais ces cas paraissent exceptionnels, et on peut en attribuer la raison aux fonctions ou à la situation des apprentis, parmi lesquels se trouvent des conseillers d’État, des prieurs, des greffiers, des notaires garde-notes, des chanoines, des bourgeois de Paris : la typographie avait depuis longtemps le mérite d’attirer sous ses lois l’élite intellectuelle de la nation. Dans un Mémoire de Remontrances adressé au roi le 17 juin 1572, les compagnons citaient ce fait comme une preuve incontestable de la haute réputation dans laquelle notre art fut tenu dès son apparition en France : « … Jadis il n’y avait presque sinon que gens doctes ès langues et ès sciences, et entre iceux on y remarquoit plusieurs gentilzhommes qui s’appliquoient à cest estat… »

Lorsque le temps fixé pour la durée de l’apprentissage était écoulé — cette durée fut assez variable : de trois à cinq, six et sept ans — « le maître mentionnait sur le contrat, en présence de témoins, que le titulaire avait fini son engagement », et l’apprenti devenait compagnon sans autre formalité[10].


B. — Conditions imposées pour l’accession à la maîtrise aux temps anciens


Les obligations imparties à l’apprenti entré dans la profession avec le dessein de devenir maître différaient de celles imposées à l’apprenti qui devait rester compagnon.

Nous avons déjà dit que de 1470, date de l’introduction de l’imprimerie à Paris, à 1571, l’exercice de l’imprimerie fut entièrement libre : « s’établissait maître qui voulait et qui en avait les… moyens ». François Ier le déclarait très nettement le 19 novembre 1542 : « Ce n’est point métier que l’imprimerie, et n’y fait-on point chef-d’œuvre, mais est maître qui veut. » Mais, en 1571, le « Père des lettres » n’est plus de ce monde, et ses idées ne lui ont point survécu. Dans l’édit de Gaillon, Charles IX apporte une première restriction au principe de liberté qui jusque-là avait, à l’encontre des autres métiers, constitué la charte de l’imprimerie : « Aulcun ne pourra dresser imprimerie nouvelle, ne faire estat de maistre imprimeur sinon qu’il ait faict apprentissage en la forme dessus dicte[11], ou qu’il ne soit certifié capable de bien faire ledict estat, et ce par la certification de deux libraires jurez et de deux maistres imprimeurs, tous chefs de maison et de bonne réputation : qui se fera sans exaction d’aulcun salaire ou loyer[12]. »

Cette disposition était le premier acte d’une série de mesures plus importantes qui devaient aboutir à la constitution définitive en 1618 de la Communauté des Maîtres du Livre ; elle ne comportait qu’une formalité dont ne pouvait s’émouvoir nul candidat. Les compagnons imprimeurs protestèrent contre cette prescription qu’ils trouvaient trop libérale ; mais la déclaration de 1572 maintint les termes de l’article 20 de l’édit de Gaillon. Des abus nombreux ne tardèrent pas à se produire : compagnons tenant atelier sans autorisation, certificats accordés par complaisance, etc. On vit même, affirment MM. Radiguer et Mellottée, s’établir imprimeurs des libraires « ne sachant ni lire ni écrire ». Sous le coup des plaintes qui s’élèvent alors, le Parlement intervient, et, le 27 mai 1577, rend un arrêt défendant de « tenir boutique » à tous ceux n’ayant pas fait régulièrement un apprentissage.

Au cours des années suivantes, on ne rencontre dans la législation en vigueur que des modifications de détail : alors que l’édit de Gaillon exige que l’aspirant à la maîtrise soit déclaré « capable… par la certification de deux libraires jurez et de deux maistres imprimeurs », une sentence du 12 octobre 1586, les lettres patentes du 15 juillet 1609 ne parlent plus que de la « certification d’un maître » ; un arrêt du Parlement de mai 1615 exige l’attestation de deux libraires, deux imprimeurs, deux relieurs.

En 1618, le roi érige en communauté de métier la Corporation des libraires, imprimeurs et relieurs ; l’accession à la maîtrise est l’objet d’une réglementation nouvelle. L’article 2 du règlement s’exprime ainsi : « Sera défendu à tous libraires, imprimeurs et relieurs de livres de tenir imprimerie, boutique de librairie et reliure de livres en notre ville de Paris, qu’ils n’aient fait apprentissage[13] en icelle, à savoir pour les imprimeurs par le temps et espace de quatre années et pour le regard desdits libraires et relieurs par le temps et espace de cinq années entières et consécutives, s’ils ne sont enfants ou veuves de libraires, imprimeurs ou relieurs, ainsi qu’il sera dict cy-après. »

La Communauté ne devait admettre, chaque année, à la maîtrise qu’un seul aspirant par catégorie : un imprimeur, un libraire, un relieur, « lesquels seront tenus eux présenter un an auparavant leur réception, afin d’être immatriculés sur le registre de ladite Communauté » (art. 16).

L’article 40 du règlement de 1686, rappelant un arrêt du Parlement de 1609, prescrivait : « Aucun ne pourra à l’avenir tenir imprimerie ou boutique de libraire à Paris, en conséquence d’aucunes lettres de maîtrise ou d’aucun privilège tel qu’il puisse être, ni être reçu maître, qu’il n’ait fait apprentissage pendant le temps et espace de quatre années entières et consécutives et servi les maîtres en qualité de compagnon au moins durant trois années après le temps de son apprentissage achevé ; qu’il n’ait au moins vingt ans accomplis, qu’il ne soit congru en langue latine et sache lire le grec dont il sera tenu de rapporter certificat du recteur de l’Université avant de se présenter pour être admis à la maîtrise de laquelle tous étrangers seront exclus, si pour des causes et raisons importantes il n’en est par nous autrement ordonné.

« Les compagnons qui se trouveront avoir les conditions requises seront reçus par les syndic et adjoints de la Communauté après qu’il leur sera apparu de leurs bonnes vie et mœurs, profession de la religion catholique, et après qu’ils auront été certifiés capables d’exercer la profession de maître imprimeur ou libraire par deux autres maîtres de ladite Communauté, après quoi lesdits nouveaux maîtres ainsi admis seront tenus de prêter serment par-devant le lieutenant général de police, ce qui sera fait sans aucuns frais à condition néanmoins par l’aspirant à la maîtrise de mettre ès mains du syndic la somme de 300 livres pour être employée entièrement aux affaires de ladite Communauté et dont le syndic sera tenu de se charger dans son compte.

« Art. 41. — Les fils de maîtres qui auront les qualités requises seront reçus à leur première requête, en mettant ès mains du syndic la somme de 100 livres seulement pour les frais de la Communauté. »

Le règlement du 28 février 1723 aggrava ces prescriptions, en donnant une sanction à l’apprentissage et aux années de compagnonnage. « Comme il est important, dit l’article 44, que ceux qui exercent lesdites professions d’imprimeurs et de libraires soient pourvus d’une capacité et d’une expérience suffisante, veut Sa Majesté que les fils et gendres de maîtres ainsi que les apprentis… soient tenus de subir, savoir : ceux qui aspireront à être reçus libraires, un examen sur le fait de la librairie, et ceux qui aspireront à être reçus imprimeurs après ledit examen sur le fait de la librairie, une épreuve de leur capacité au fait de l’imprimerie et choses en dépendantes ; ce qu’ils seront tenus de faire par-devant les syndic et adjoints en charge accompagnés de quatre anciens officiers de leur Communauté… et quatre autres libraires qui n’auront pas passé les charges, mais qui auront au moins dix ans de réception… »

L’arrêt du Conseil du 30 août 1777 — le dernier acte qui devait, sous l’ancien régime, « régler les formalités à observer pour la réception des libraires et imprimeurs » — ne fit que confirmer les prescriptions du règlement de 1723. — L’aspirant tirait au sort les noms des huit examinateurs (art. 2), qui devaient « procéder tous ensemble auxdits examens », lesquels devaient durer « chacun au moins deux heures » ; le candidat n’était déclaré reçu que s’il avait obtenu « les deux tiers des voix en sa faveur » (art. 4) ; l’examen roulait « sur la manutention générale de l’imprimerie » ; et il n’y avait « point d’articles communiqués » (art. 7), à la différence de ce qui se passait pour « l’examen sur le fait de la librairie » en vue duquel « les articles, préalablement choisis par les syndic et adjoints, après avoir été communiqués au récipiendaire, étaient fermés dans une boîte jusqu’au jour de l’examen » (art. 5) ; les libraires étaient tenus d’un seul examen ; les imprimeurs, d’un examen sur le fait de la librairie et d’un examen sur le fait de l’imprimerie (art. 2).

D’après un procès-verbal en date du 10 décembre 1659, rapporté par M. Morin[14], M. Mellottée[15] donne une courte explication de ce que pouvait être l’examen d’imprimerie : « Il consistait généralement en une interrogation sur les ouvrages spéciaux à la typographie, l’indication des divers outils et du matériel qu’on y emploie avec la façon de s’en servir, les différents formats de papier, etc. : c’était la partie théorique. Pour justifier de la science pratique, l’épreuve comportait la composition, la correction et la distribution d’une page, en présence des syndic, adjoints et suppôts, différentes impositions et autres opérations du métier. » — L’aspirant avait à se pourvoir directement auprès du recteur de l’Université du certificat qui constatait ses connaissances littéraires en latin et en grec.


C. — Conclusion


Apprentis et compagnons typographes avaient, au cours du xve et du xvie siècle, joui d’une liberté d’abord absolue, puis relative, au point de vue de l’instruction qu’ils devaient posséder lors de leur entrée dans la corporation ; au xviie et particulièrement au xviiie siècle, ils furent astreints sous ce rapport à une réglementation assez rigoureuse. — À cette dernière époque, soumis à un examen dont nous avons analysé sommairement les conditions, les maîtres durent faire la preuve des capacités techniques qu’ils avaient acquises pendant l’apprentissage et fortifiées durant le stage de compagnonnage auquel ils étaient obligés. Il y eut de nombreux privilégiés, le fait est certain, qui surent se soustraire, soit par des faveurs particulières, soit de toute autre manière, aux prescriptions du Pouvoir[16] ; pouvait-il en être autrement sous le régime du « bon plaisir », alors qu’en notre siècle d’égalité et de fraternité le favoritisme, grâce aux excès de maintes libertés, sévit avec peut-être non moins d’intensité ? Toutefois, à la lumière des faits que nous venons d’exposer on reconnaîtra volontiers, pensons-nous, que maîtres et compagnons possédaient à un haut degré les qualités précieuses de l’érudit et du typographe.

Pas n’est besoin dès lors d’une plus longue dissertation pour fournir la preuve incontestable que le correcteur devait être et était, lui aussi, aux temps dont nous avons parlé, érudit et typographe.

Érudit, le correcteur l’était avec ce « Nicolas Dixmont, maître correcteur d’imprimerie qui, le 4 novembre 1585, assiste et signe, nous dit M. Renouard[17], au contrat de mariage de Raoullin Thierry, maître imprimeur rue Saint-Jacques, au Soleil d’Or » ; il l’était aussi avec ce « Jacques David, prêtre, correcteur d’imprimerie, qui, le 20 juin 1564, dicte un testament dont son frère, maître imprimeur, est l’un des exécuteurs testamentaires » ; il l’était encore avec ce Me Mamer Patisson, « correcteur d’imprimerie, dont le contrat de mariage avec Denyse Barbé, veuve de Robert II Estienne, est passé le 20 janvier 1574 » ; il l’était avec toute cette lignée de correcteurs parisiens, lyonnais, champenois ou autres, dont nous avons donné ou dont nous donnerons ultérieurement une courte biographie ; il l’était enfin avec « ces conseillers d’État, ces prieurs, ces greffiers, ces chanoines, ces notaires garde-notes » dont les archives de l’ancienne Communauté des Maîtres du Livre nous ont transmis et les noms et les contrats d’apprentissage, ainsi qu’avec ces gentilshommes dont parlent les compagnons dans leur Mémoire de Remontrances de 1572 ; il devait l’être, puisque le maître, érudit lui aussi, était tenu d’avoir, pour le suppléer aux soins de la correction, « correcteur suffisant ».

Typographe, le correcteur le devenait au cours d’un apprentissage, que nous voulons croire effectif, de trois à quatre années, peut-être moins, et surtout par un stage de compagnonnage de quelque durée. Ils étaient bien typographes ces correcteurs que l’histoire nous dit être devenus — tels Josse Bade — maîtres imprimeurs soit à Paris, soit à Lyon ; il était bien typographe, ce Kiliaan[18], qui fut un moment prote chez Plantin à Anvers ; il était typographe ce clerc nommé André Saulnier qui, le 8 juin 1548, s’affermait « au faict et art de la composition et correction de l’imprimerie[19] » chez Macé Bonhomme, imprimeur à Lyon de 1535 à 1540 et (après un séjour à Vienne, en 1541-1542) de 1542 à 1569.

Est-il nécessaire d’illustrer d’un exemple nouveau cette longue dissertation ? La démonstration sera plus complète : « Arias Montanus dirigea, à l’imprimerie Plantin d’Anvers, tout le travail de la Bible polyglotte. Il nous renseigne dans la préface de cet ouvrage et dans sa correspondance sur les collaborateurs qui l’assistèrent dans sa lourde tâche et sur la part que chacun prit à l’œuvre commune : « Nous avons encore cinq correcteurs qui m’aident, écrit-il le 6 avril 1569 ; deux d’entre eux connaissent toutes les langues, trois entendent le grec et le latin ; il y a, en outre, moi-même et mon aide avec lequel je revois les textes dans toutes les langues. » Par son aide principal il faut entendre François de Raphelengien[20], le gendre de Plantin ; par les deux savants qui connaissent toutes les langues, les frères Guy et Nicolas Le Fevre de La Boderie ; et par les trois autres, les correcteurs ordinaires de l’imprimerie qui étaient en ce moment Corneille Kiel[21], Théodore Kemp et Antoine Spitaels[22]. »

Sans dire qu’il « connaissait toutes les langues », on peut affirmer qu’il « entendait au moins, lui aussi, le grec et le latin », ce « Guillaume Guéroult[23], natif de Rouan en Normandie, poëte françois », qualifié de traducteur : alors qu’il était « prélecteur d’imprimerie » en la bonne ville de Lyon, il épousa Jaquette Barbou, fille de Jean Barbou[24] et sœur de Hugues Barbou[25], l’auteur de la dynastie typographique dont s’illustra longtemps l’antique cité capitale du Limousin[26].

Au surplus, au pays de Kiliaan, de Raphelengien et de Juste Lipse, l’accès aux fonctions de correcteur n’était point exempt de quelque formalité : « Aux Pays-Bas, les commissaires députés à l’inspection des imprimeries étaient tenus de s’assurer de la capacité des correcteurs, d’inscrire leurs noms, le lieu et la date de leur naissance, le nom de leurs parents et leur manière de vivre. Ils examinaient les récipiendaires sur les langues dans lesquelles ceux-ci voulaient corriger[27]. »

Nous n’avons vu nulle part qu’en France les « officiers » de la Communauté des Libraires et Imprimeurs aient été chargés de s’assurer, au cours des visites qu’ils devaient effectuer dans les imprimeries, des capacités techniques ou littéraires des correcteurs qui y étaient employés. Mais nous croyons pouvoir affirmer que les compagnons typographes dont le tempérament frondeur était redouté, et dont l’indiscipline donna maintes fois sujet d’inquiétude au Pouvoir royal, n’auraient point supporté la présence à leurs côtés d’un correcteur insuffisant ou même médiocre ; dans les circonstances où la besogne de la correction incombait au prote, ces mêmes compagnons n’auraient pas accepté les ordres d’un confrère de connaissances inférieures aux leurs, eux qui se rebellaient si volontiers contre l’autorité des maîtres, lorsque cette autorité leur semblait outrepasser les usages anciens ou empiéter sur leurs prérogatives.

Brullé, ce prote de l’imprimerie Le Breton qui fut le collaborateur de l’Encyclopédie, jugeait certes également qu’aucun correcteur ne saurait être inférieur à ses compagnons de travail, lorsqu’il écrivait : « Pour ce qui regarde la composition, le prote[28] doit savoir sa langue et être instruit dans les langues latine et grecque ; posséder à fond l’orthographe et la ponctuation ; connaître et savoir exécuter la partie du compositeur pour lui indiquer en quoi il a manqué et le moyen le plus convenable pour réparer ses fautes… Pour la lecture des épreuves, comme c’est sur lui que tombe le reproche des fautes qui peuvent se glisser dans une édition, il faudrait qu’il connût autant qu’il est possible les termes usités et savoir à quelle science, à quel art, et à quelle matière ils appartiennent. Il y a de l’injustice à lui imputer les irrégularités, quelquefois même certaines fautes d’orthographe ; chaque auteur s’en faisant une à son goût, il est obligé d’exécuter ce qui lui est prescrit à cet égard. En un mot, on exige d’un prote qu’il joigne les connaissances d’un grammairien à l’intelligence nécessaire pour toutes les parties du manuel de son talent. »

Moins explicite peut-être, mais non moins affirmatif, Momoro estimait, lui aussi, que le correcteur doit être érudit et typographe : « Un correcteur ne doit s’occuper que de la lecture des épreuves, et si son temps le lui permet, il peut s’occuper dans l’imprimerie, s’il le veut, à composer, corriger, aider la conscience ; mais s’il le fait, il en est le maître, on ne peut l’y forcer, parce que le talent qu’il a de lire les épreuves est un talent si rare parmi les imprimeurs, qu’il mérite beaucoup d’égards, et qu’un correcteur n’est pas censé un ouvrier ; car on peut être bon correcteur, sans être seulement imprimeur, puisqu’il ne faut que posséder parfaitement sa langue latine et sa langue françoise, et avoir une notion suffisante de l’imprimerie pour pouvoir être correcteur. »

À la même époque, M. François-Ambroise Didot dit l’Aîné (1730-1804) donnait du « véritable imprimeur » — nous pourrions écrire du « véritable correcteur », tant la similitude d’idées est complète avec les lignes écrites par Brullé — la définition suivante : « Un bon imprimeur doit faire la nuance entre l’homme de lettres et l’artisan. Il n’est pas nécessaire qu’il soit homme de lettres, il s’occuperait trop exclusivement de quelques parties qui auraient plus d’attraits pour lui ou qu’il aurait plus étudiées : mais il faut qu’il ait sur presque toutes les sciences des notions générales, afin que les diverses matières contenues dans les ouvrages dont on lui confie l’exécution ne lui soient pas tout à fait étrangères. Il lui importe surtout d’être bon grammairien, et il serait à désirer qu’à la connaissance de la langue latine exigée par les règlements, il joignît celle du grec et de deux ou trois langues vivantes les plus répandues… Enfin il doit être exercé dans les fonctions manuelles des ouvriers afin de les diriger dans leurs travaux et de leur indiquer les méthodes les plus promptes et les plus sûres. »

François-Ambroise Didot parlant du maître imprimeur, Momoro analysant la tâche du correcteur, Brullé indiquant les connaissances exigées du prote, tracent à leurs modèles un programme analogue, les astreignent aux mêmes obligations. Ainsi, avant la Révolution, l’instruction technique et littéraire exigée du patron par les règlements était indispensable au correcteur. Cette instruction était fort étendue, on le voit ; mais ni Didot, ni Brullé, ni Momoro, encore moins sans doute Dominique Fertel que nous avons eu le regret de ne pouvoir consulter, ne songent à s’étonner de l’étendue aussi considérable fixée au savoir de ces travailleurs : préparés par les siècles précédents aux exigences de la profession, ils justifient la nécessité de cette instruction, et parfois même ils en étendent les limites.


III. — Instruction exigée du correcteur
à l’époque actuelle
.recteur


De nos jours, édits du roi, ordonnances, arrêts rendus en Conseil d’État, règlements de l’Université ou du Conseil des Censeurs sont lettre morte. L’imprimerie et la librairie sont libres, et libre aussi pour l’ignare comme pour le savant l’accès à ces professions ; des clés nouvelles donnent entrée à une carrière où les maîtres d’autrefois cherchaient surtout honneur et profit pour les lettres. D’ailleurs, l’imprimerie a pris une telle extension « que l’on s’est vu dans la nécessité de recruter, pour le travail de la correction, soit des typographes, soit des lettrés de plus ou moins grande envergure[29] ».

Cependant l’empreinte des âges précédents est restée si vive, la marque du passé est encore si persistante et, il faut l’avouer, les nécessités de la profession si pressantes, que la tradition s’est conservée presque entière. À l’exemple de François-Ambroise Didot, de Momoro et de Brullé, tous les bons esprits, tous les auteurs techniques exigent du correcteur la double qualité d’érudit et de typographe.

Donnons quelques exemples.

Dans son Manuel typographique[30], Frey disait : « Un correcteur doté des qualités rares et précieuses qui constituent son aptitude typographique est déjà par cela seul un homme distingué[31]. »

De cette phrase qu’il rapporte dans le Guide pratique du Compositeur et de l’Imprimeur typographe[32], Théotiste Lefevre donne le commentaire suivant : « Le prote doit mettre tous ses soins à se procurer des correcteurs qui joignent à l’érudition convenable les connaissances au moins théoriques des règles de la typographie… » « La personne qui est chargée de la lecture des épreuves et que nous supposerons connaître au moins théoriquement la composition dans tous ses détails… »

H. Fournier, un des élèves de l’illustre Firmin-Didot, écrivait de son côté, peut-être dès la première édition de son Traité de la Typographie : « Le correcteur doit posséder la connaissance imperturbable des principes de sa langue, celle de la langue latine et au moins quelques éléments de la langue grecque. Ce fonds d’instruction lui est rigoureusement nécessaire, et la plus longue expérience ne pourrait y suppléer que très imparfaitement. S’il sait, en outre, quelques idiomes étrangers, s’il s’est livré à l’étude de quelque science d’un usage habituel, telle que celle du droit ou des mathématiques, il en recueillera le fruit… Parmi les personnes chargées de l’emploi de correcteur, il en est qui sont dépourvues des notions élémentaires de la typographie… Quelque riche que soit, d’ailleurs, la culture de leur esprit, quelque habitude qu’elles acquièrent du travail de la correction, ces qualités remplaceront difficilement en elles la science pratique qui leur aura manqué d’abord. Si le correcteur ne s’est exercé préalablement à la composition, une foule d’arrangements vicieux et de dispositions contraires au goût échapperont à son inexpérience ; si, au contraire, il s’est familiarisé avec ce travail, il saura faire disparaître toutes les taches qui défigureraient une édition. »

Daupeley-Gouverneur[33] n’est pas moins explicite ni moins catégorique : « … Si l’on n’est plus en droit de réclamer du correcteur le fonds d’instruction d’un véritable savant, il n’en doit pas moins, pour mériter son titre, connaître parfaitement la langue française et posséder des notions au moins élémentaires de latin et de grec, et même des langues vivantes les plus usuelles, telles que l’anglais, l’allemand, l’italien et l’espagnol. Il doit, en outre, être initié suffisamment aux travaux de l’imprimerie, non seulement par l’étude théorique des traités, mais encore par une bonne expérience pratique. S’il ne remplit cette dernière condition, il ne sera jamais un correcteur complet. »

En 1868, dans une lettre à M. A. Firmin-Didot, M. A. Bernard écrivait : « Mais il faut encore s’entendre sur la valeur de ce mot [correcteur]. Le véritable correcteur doit être à la fois érudit et typographe. Si ce n’est qu’un érudit, un déclassé qui fait ce métier parce qu’il n’en trouve pas de meilleur, il ne remplira que la moitié de sa tâche.

« C’est malheureusement ce qui arriva au Dictionnaire de l’Académie de 1835 : non seulement il n’y avait pas de typographe dans la commission académique, ce qui était déjà très fâcheux, mais encore les deux correcteurs chargés de lire ce livre n’étaient pas non plus typographes. L’un, M. Audiguier, était un Méridional plein de finesse, mais sans aucune notion d’imprimerie et se souciant peu d’en acquérir ; de plus, il était d’un amour-propre extraordinaire, et, plutôt que de reconnaître qu’il avait laissé passer une faute, il aurait volontiers inventé un système pour la justifier, et, par suite, l’aurait répétée au lieu de la rectifier. Je l’ai retrouvé plus tard à l’Imprimerie Royale, avec les mêmes défauts, aggravés encore par les exigences d’une position exceptionnelle.

« L’autre correcteur s’appelait, je crois, Bonhours. C’était un érudit de premier mérite, mais aussi étranger à l’imprimerie que le précédent. Il ne se doutait même pas de la manière dont le compositeur assemblait les caractères. Une coquille l’interloquait ; une lettre retournée le mettait en fureur, car il supposait que l’ouvrier, pour lui faire une niche, avait pris la peine de retourner le papier pour y appliquer la lettre à rebours. Il voulut un jour en avoir le cœur net et vint étudier la composition pendant quelque temps. Alors il comprit que rien n’était si peu extraordinaire que de mettre un r pour un a, etc. ; mais cela ne lui donna pas la logique du correcteur typographe. »

M. Desormes[34] envisage, il est vrai, dans la correction surtout le côté technique : « Pour bien lire une épreuve en premières, il est indispensable d’être typographe, car la correction n’a pas seulement pour objet la recherche des coquilles et autres accidents, tels que bourdons, doublons, lettres retournées, etc., mais elle consiste aussi dans le redressement des infractions commises aux règles typographiques… Or, l’on ne connaît bien ces règles, et l’on n’en peut faire une sage application que si l’on a été, comme ouvrier, aux prises avec les difficultés que leur mise en pratique occasionne dans un très grand nombre de cas. » Mais Desormes ne peut dans une courte phrase se retenir de faire une allusion discrète à l’érudition nécessaire au correcteur : « … Quand il revient de chez l’auteur, le bon à tirer est relu en entier par un correcteur en secondes, homme d’une capacité solide, d’expérience et d’observation. »

Presque aussi bref dans ses considérations — qualité rare, estimeront quelques-uns ! — mais plus explicite, cet autre auteur : « À une érudition convenable un correcteur doit joindre la connaissance au moins théorique des règles typographiques, afin de pouvoir non seulement signaler les défauts qui peuvent, sous ce rapport, se produire dans la composition, mais encore le moyen d’y remédier à coup sûr. Pour le véritable correcteur typographe, il ne suffit pas en effet que le livre dont la lecture lui est confiée soit irréprochable quant au fonds, il faut encore que la forme en soit convenable. »

En un long article, peut-être dû à la plume érudite de Bernier, le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle de Pierre Larousse résume ainsi la question : « Une connaissance approfondie de la langue française, au point de vue théorique, aussi bien qu’au point de vue pratique, est indispensable au correcteur. Il doit également connaître les divers systèmes d’orthographe pour être en mesure de prémunir les auteurs contre les méthodes fantaisistes ou arbitraires qu’ils seraient tentés d’adopter et les rallier à l’orthographe de l’Académie qui est la meilleure… Il doit savoir le grec et le latin de façon à pouvoir traduire au moins Démosthène et Cicéron ; enfin, la connaissance d’une langue moderne, l’anglais, l’allemand, l’italien, etc., devient de jour en jour plus nécessaire pour lui. Mais ces connaissances ne sont pas les seules que doive posséder le correcteur : il doit avoir étudié avec fruit l’histoire universelle, la géographie, la botanique, la zoologie, la paléontologie, assez de médecine pour posséder la langue médicale, et de jurisprudence pour comprendre la langue du droit.

« Dans les imprimeries où se font un grand nombre d’ouvrages spéciaux, comme les livres de littérature étrangère, les traités scientifiques, mathématiques, etc., il est indispensable, pour leur bonne exécution, de s’attacher des correcteurs possédant des connaissances et des aptitudes spéciales ou ayant étudié sérieusement ces matières. La composition des livres traitant de sciences exactes, surtout de l’algèbre, de l’analyse mathématique, de la chimie, de la physique, etc., offre des difficultés si nombreuses et est soumise à une multiplicité de règles telle que le correcteur auquel ces lectures sont confiées doit être rompu à ce genre de travaux, et avoir fait des études, élémentaires au moins, dans cette direction, s’il tient à remplir dignement sa mission. »

De ces longues considérations on peut conclure, avec Daupeley-Gouverneur : « Il ressort de ce qui précède que le premier pédagogue venu peut, avec l’aide d’une scrupuleuse attention, corriger une épreuve en la châtiant au double point de vue de la syntaxe et de l’orthographe, mais que, seul, l’homme de l’art, connaissant parfaitement et sa langue et l’imprimerie, est capable d’amener un ouvrage à ce degré de perfection tangible qui doit être l’objet de notre préoccupation la plus ardente. »


quelques critiques de la situation


Combien malheureusement la réalité est loin parfois de ce qui devrait être une règle immuable[35] !

On consacre correcteur un typographe quelconque, parce que l’on a remarqué qu’il composait proprement ; on ne s’inquiète aucunement de son bagage littéraire, scientifique et même grammatical ; ce bagage serait-il nul, cela paraît de peu d’importance.

Ou bien, on s’adresse à une personne qui inspire confiance par son savoir, mais qui ne connaît rien de l’imprimerie. Sans explication aucune, on lui confie un emploi pour lequel elle n’a pas été préparée, des fonctions qui ne manquent pas d’être compliquées et pleines de graves responsabilités.

Pour regrettables que soient ces faits, c’est ainsi, reconnaissons-le loyalement, que les choses se passent, et cela depuis longtemps. Malgré l’affirmation maintes fois répétée que l’imprimeur qui n’accorde pas à la correction l’importance, l’attention qu’elle mérite, méconnaît l’une des conditions essentielles de la bonne exécution de ses travaux et paraît dès lors fort peu se soucier du bon renom typographique de sa Maison, toute tentative de remédier à cette situation a jusqu’ici échoué.

Aussi ne faut-il point s’étonner de voir dans notre corporation toute cette catégorie de travailleurs intellectuels que forment les correcteurs particulièrement mal rétribuée et privée d’une considération à laquelle elle aurait légitimement droit.

Bien qu’un typographe ait réussi, après plusieurs années de pratique et un labeur constant, à acquérir les connaissances littéraires suffisantes pour mériter le titre de correcteur, pour s’imposer à tous ceux qui, dès ses débuts, le traitaient avec une vague condescendance d’égalité, ou se croyaient supérieurs à lui, son sort risque beaucoup de ne pas s’améliorer. — Bien qu’un érudit, après de longs efforts, après des mois d’application, d’observation et d’étude des manuels, soit enfin parvenu à une connaissance sérieuse des règles typographiques, connaissance qui le fait, au point de vue technique, l’égal de ses devanciers, cependant la valeur qu’on lui concède est toujours inférieure à celle de ses collègues. — Si ces deux correcteurs, le typographe et l’érudit, se remarquent dans l’imprimerie, s’ils se signalent à l’attention du personnel, ce ne sera certes jamais par… le montant de leurs appointements.

Mauvais débuts : telle est la principale raison de l’insuccès de la majorité des correcteurs qui se plaignent de leur situation. La cause en est dans le fait que le maître imprimeur — et son subordonné direct surtout — commence par négliger la formation, ou littéraire ou technique, de ces collaborateurs et finit par oublier d’apprécier et, dès lors, de récompenser comme ils le méritent et leurs connaissances et leurs services.

On s’étonnera peut-être de nous voir dire ici ; le prote ne doit point négliger « la formation littéraire » de ces collaborateurs [les typographes promus correcteurs]. Le fait n’a pourtant rien qui puisse surprendre… Nous sommes de ceux qui pensent et qui affirment que « le prote ne saurait avoir des connaissances trop étendues dans les lettres, les sciences et les arts, car il est souvent consulté par les auteurs et devient même leur arbitre[36] ». Bien que ces lignes aient été écrites il y a près d’un siècle et demi, elles n’ont rien perdu de leur actualité et de leur nécessité : le prote doit posséder pour lui-même, ou « il a trois instructions [personnelles] à acquérir en même temps : l’instruction technique, l’instruction grammaticale et l’instruction commerciale[37] ». Ayant une « instruction grammaticale », le prote doit s’assurer que le typographe devenu correcteur possède cette même instruction ; ou, au cas contraire, l’obliger ou lui donner les moyens de l’acquérir.

Si sur ce point quelques protes — dont le nombre sera fort rare heureusement — estiment n’être point d’accord avec nos sentiments, il en est un autre sur lequel ils se sépareront encore de nous ; nous nous élevons avec force contre ceux qui malhonnêtement prétendent considérer le correcteur érudit comme un arriviste adversaire du prote. « Plus l’instruction du prote sera faible, moins l’Imprimerie reviendra aux imprimeurs… L’instruction négligée du prote crée des proteries à deux tronçons. Le plus souvent un étudiant en mal de bachot, absolument indifférent à l’imprimerie, mais surtout arriviste, se greffe sur l’emploi comme le gui sur le chêne. Alors on paye le prote selon sa stricte valeur[38] ; alors, nos imprimeries s’emplissent petit à petit d’hérétiques à la profession — instruits, personne ne le conteste — qui bientôt jouiront d’une situation prépondérante là où le prote n’a su que garder le collier. À qui la faute ? Comme nous serions forts[39] si l’imprimerie pouvait assurer ses services par des sujets capables extraits de son sein ! Le soleil luit pour tout le monde, dit-on. Eh oui ! Mais, par certains côtés, il cesse de luire pour beaucoup de nous. Est-ce en mêlant les professions[40], les croisant, les abâtardissant qu’on arrivera à un résultat pratique ? On prépare l’anarchie, pas autre chose[41]. »

Depuis que l’imprimerie est « au monde », le chiffre est innombrable de ces « étudiants en mal de bachot qui se sont greffés sur elle comme le gui sur le chêne », et certes on doit reconnaître — nous en avons donné suffisamment d’exemples — que quelques-uns firent plus qu’honorable figure dans leur nouvelle situation. Mais de combien de ces « hérétiques » les historiens peuvent-ils dire qu’ils ont joui « d’une situation prépondérante là où le prote n’a su que garder le collier » ? Pour combien de protes « le soleil a-t-il cessé de luire » au profit de ces métis, de ces bâtards instruits qui aux plis de leur manteau ont apporté l’anarchie dans la profession ?

Du prote qui éprouve des sentiments semblables on ne peut dire qu’il est « le premier des ouvriers » et qu’il possède l’étoffe d’un chef ; loin qu’il soit le maître de sa « monture », à tout instant ses subordonnés sont capables « de le désarçonner[42] ». Il est à craindre que, si le recrutement du personnel lui est confié, ce trembleur qui prétend étouffer sa faiblesse sous la force de son habileté, loin de mettre the right man in the right place, ne donne la préférence à l’ignorant, à l’incapable, pour sauvegarder une situation qu’il croira toujours menacée. Cet homme ne sera jamais l’aller ego du patron : incapable de tenir en un juste équilibre le plateau ouvrier de la balance industrielle qui lui est confiée, il ne méritera en aucun temps la confiance du maître imprimeur, encore moins celle des « compagnons » ; loin d’être un guide, un entraîneur éclairé, il entravera sans cesse, tel un pesant fardeau, la marche de l’établissement. S’étant « abâtardi » lui-même, ce prote ne saurait « séjourner ».



§ 2. — RECRUTEMENT


I. — Généralités.


« Le correcteur a des origines diverses ; mais on peut affirmer, sans crainte d’être démenti, qu’il n’y a peut-être pas un seul correcteur dans les cent imprimeries de Paris qui ait fait de cet emploi le but prémédité de ses études ou de ses travaux antérieurs. C’est par accident qu’il devient correcteur.

« Souvent c’est un compositeur intelligent qu’une cause quelconque éloigne de sa casse et qui se consacre à la lecture des épreuves. Ce correcteur est d’ordinaire plus typographe que lettré : les études indispensables lui font défaut ; il n’a pas fait ses humanités, comme disaient nos pères. C’est à la correction des premières et à la revision des tierces qu’il excelle…

« Ou bien c’est un jeune homme sans fortune, élevé au collège ou au séminaire. Ses études achevées, il s’est trouvé en présence d’un problème terrible : vivre. Il a été d’abord maître d’étude ou régent dans un collège de l’Université ; quelquefois, s’il sort du séminaire, il s’est engagé imprudemment dans les ordres et a plus tard quitté la soutane. Ces deux déclassés se sont longtemps débattus avant de trouver un asile. La typographie leur a ouvert ses bras accueillants. Ils s’y sont jetés, et, pour la plupart, ils y restent, s’efforçant d’acquérir ce qui leur manque au point de vue du métier et apportant l’appoint de leurs études antérieures à leurs connaissances qui s’accroissent chaque jour.

« Il y a encore le correcteur que l’on peut appeler amateur. C’est un étudiant peu fortuné, un homme de lettres sans éditeur qui cherche passagèrement quelques ressources dans la lecture des épreuves. Il serait étonnant qu’il fût habile.

« Le correcteur femme existe aussi ; mais cette espèce, du reste très rare, n’apparaît jamais dans l’atelier typographique ; on ne l’entrevoit qu’au bureau du patron ou du prote. Nous n’en parlerons pas… par galanterie[43]. »

Boutmy dont le livre fut écrit, croyons-nous, vers l’année 1883, assista aux derniers moments d’une époque qui ne devait pas tarder à disparaître. Il connut le typographe « compagnon du tour de France », qui chaque semestre, aux moments de calance, quittait Paris pour le Nord, le Midi ou le Centre ; il vécut côte à côte avec cette bohème littéraire, administrative et judiciaire, dont les révolutions successives de 1848, 1852 et 1870 emplirent les bureaux de correction des imprimeries parisiennes ; il assista aux premières tentatives de groupement de la classe typographique ouvrière. À ce titre les renseignements qu’il a parcimonieusement mesurés ont une importance toute particulière.

Mais non moins savoureux, pensons-nous, seront jugés par le lecteur ces curieux souvenirs qu’une bonne fortune inespérée nous a permis d’obtenir de l’un de ces « demi-vieux » qui, quelques années après la publication du livre de Boutmy, fut correcteur en l’une des typographies les plus importantes de la Capitale[44] :

« Il y a quelque trente-cinq années, dans plusieurs grandes Maisons de Paris, travaillaient des virgulards surgis des quatre coins de l’horizon et dont, pour quelques-uns, le passé n’était point vulgaire.

« À la suite de quelles circonstances étaient-ils venus échouer dans ce refuge des espérances irréalisées qu’était alors pour un grand nombre la correction ?

« Dans l’un des plus confortables palaces correctionnels qui existaient à cette époque on pouvait voir, assemblés côte à côte, en deux rangées de pupitres scolaires, des évadés de la Médecine, de la Magistrature, de l’Administration (avec un A), des Chemins de Fer, de la Politique et de l’Église. Une vraie réunion d’intellectuels, pétillants d’esprit et de malice, à l’occasion ; et cette occasion, fort reposante, on la faisait naître toutes les fois qu’on le pouvait.

« L’Église était représentée par un ex-séminariste auquel la perspective du célibat avait dû paraître trop sévère. Comme beaucoup de ses confrères avaient fait avant lui, ainsi que nombre d’autres ont agi depuis, il avait obliqué vers la correction. On l’avait surnommé Le Bœuf, si grande, si persévérante était son ardeur au travail ; les dix heures de la journée étaient par lui consciencieusement remplies ; … inconsciemment il faisait du taylorisme. Aussi, les plus dures besognes, celles qui avaient rebuté plusieurs de ses devanciers, lui étaient réservées. Entre autres labeurs ingrats, on lui avait confié la correction d’une revue hebdomadaire, grave, austère, dont pour un rien le rédacteur en chef, homme considérable, cassait aux gages le meilleur des collaborateurs : la moindre peccadille était jugée cas pendable par cet omnipotent, qui imposait le remplacement du correcteur fautif.

« Le dauphin, Le Bœuf veux-je dire, accepta l’épreuve avec respect et s’en acquitta avec une scrupuleuse minutie. Chaque semaine, il « montait en loge » ; alors le monde extérieur cessait d’exister pour lui : il perdait une partie du boire et du manger, il ne songeait plus au sommeil, et pendant trois jours on le désignait du nom de la revue que si bien il accommodait : ainsi avait-il l’illusion de participer à la renommée de son maître sévère. — Impassible sous les lazzi, dédaigneux des moqueries, patiemment, persévéramment, comme ceux de son pays montagneux, Le Bœuf poursuivait son dur labour. Durant plusieurs mois il tint ferme ; ce fut un record et il acquit… une sérieuse considération. Mais à ce métier l’infortuné abîma sa vue et contracta des céphalalgies « quasi-permanentes », disait-il. De loin en loin, pour reprendre haleine, il lui arrivait de s’arrêter après la lecture de quelques pages plus ardues que les autres ; il soupirait alors en une plainte douloureuse : « Ma tête, ma pauvre tête ! »

« À cet appel de détresse, le représentant de la Médecine, le confrère Lerio, ex-major de la Marine, levait sa hure hirsute et commençait un cours de quelques minutes sur les maladies mentales consécutives aux céphalalgies trop fréquentes ; une consultation amicale terminait le discours.

« Durant cette conversation, les plumes s’arrêtaient, les yeux se reposaient, les cerveaux se calmaient : premiers résultats tangibles de l’intervention de la Faculté. — Malencontreusement dans l’air flottait la terrible allusion aux maladies mentales : pour faire diversion, le Beauceron Lemut, rompant son mutisme habituel, évoquait quelque souvenir classique, ou, si l’occasion était propice, fredonnait un joyeux refrain.

« Le Lévrier se plaignait-il de battements de cœur provoqués par l’empressement avec lequel il se hâtait vers le bureau — parce que, depuis toujours, il partait tardivement de son lointain domicile, — l’obligeant ex-médecin de la Marine, dont fort exercée était l’oreille et grande la bonté, intervenait aussitôt : chose plaisante, si ce dernier ne créait pas les maladies, tout au moins suscitait-il les malades ; d’ailleurs, ces consultations avaient l’avantage de récréer les plumitifs, « en les instruisant quelquefois », ajoutait un loustic.

« Un jour, un confrère qui dans le voisinage de la Maison avait « planté un beau drapeau » eut des ennuis… Les réclamations se faisaient pressantes ; la foudre menaçait ; il conta ses malheurs d’une façon lamentable. Et l’on vit ce spectacle étrange : représentant… la Justice, Water, un Belge, ex-procureur du Roi, se leva : passé de l’autre côté de la barricade, « pour une fois, savez-vous », ce magistrat ne sut prononcer un réquisitoire : il… conseilla le débiteur !

« De loin en loin, quand une opportune absence de l’Argus, chef aux yeux pénétrants et surtout à l’oreille fine, le permettait, se produisaient des scènes de haut comique. On relançait un ex-fonctionnaire Administratif, irréductible adversaire de tout ministère, quel qu’il fût, et on l’amenait à raconter pour la xme fois quelques-unes des croustillantes anecdotes de sa vie d’étudiant en droit, « en cette vieille ville du Midi, renommée pour la beauté de son ciel, le charme de sa vie agréable et douce, non moins que pour ses distractions mondaines ».

« Comme tout comique qui se respecte, le collègue faisait d’abord la sourde oreille, puis soudain se ravisait, ajustant sur son abondante chevelure blanche un béret de couleur rouge flamboyant. À la façon dont le geste avait été exécuté, les spectateurs savaient s’il y avait chance ou non de décider le récalcitrant à égrener ses souvenirs de jeunesse tumultueuse, et dans l’affirmative, surtout lorsqu’il s’agissait de lui faire jouer le grand jeu, ils se mettaient à plusieurs pour le travailler. Alors l’interpellé renouvelait le récit d’une des expéditions faites, en fin d’un bon repas, à l’office du restaurant où il prenait pension ; ses expressions avaient le sel rabelaisien de circonstance, mais sa mimique, cependant assez expressive, paraissait toujours insuffisante à quelques-uns qui affectaient obstinément de ne point comprendre ; excité, notre Méridional, dont la jeune vieillesse semblait défier les années, précisait et, dans l’ardeur de sa démonstration imitative, maintes fois il faisait avec fracas basculer son pupitre. C’était la fin attendue ; toujours elle provoquait un fou rire général, cependant que l’intéressé vaguement déconcerté ajoutait avant de rétablir l’équilibre de son pupitre : « Qu’auriez-vous dit si vous aviez entendu le retentissant tumulte d’une table chargée de vaisselle trop hâtivement basculée et qui brusquement vous laissait en détresse, faisant accourir le patron… quand ce n’était pas la patronne ! »

« À la suite d’un faux aiguillage, Lesiffleur, un chef de gare, s’était réfugié en ce bureau de correction. Taillé en Hercule, d’humeur paisible, la figure enluminée d’un rouge brique, cet homme parlait peu, travaillait ferme et parfois, quand la nuit avait été pénible, sommeillait doucement. Il avait fait la campagne de 1870 en qualité de carabinier : si de cette terrible aventure il avait conservé quelques souvenirs, nul ne le savait, car on ne parvenait point à les lui… extirper. Du Nord il était, froid, peu communicatif. Le pernod, qu’il appréciait à un haut degré, n’arrivait point à l’émouvoir ; mainte bonne langue affirmait que, pour regagner son domicile, le soir, quelques mominettes espacées chez plusieurs « troquets » attitrés lui servaient de guides et remplaçaient toute « toquante » : habitude d’autan, il ne ratait jamais le train… Par quelle suite de circonstances fut-il, au matin d’une glaciale nuit d’hiver, trouvé privé de sentiment près d’un pont, loin du chemin de fer dont chaque jour il utilisait la voie pour venir au bureau ? On ne le sut jamais, mais la rumeur — vox Populi, vox Veritatis — en rendit le malfaisant pernod responsable !

« Homme à tous égards respectable, aux idées et aux mœurs d’un autre siècle, Mathusalem, l’Ancêtre, était un exemple vivant de scrupuleuse conscience et de volonté peu commune. Tant qu’il lui fut possible de se rendre au travail, il refusa obstinément de se faire hospitaliser : « il eût pris, disait-il, la place de plus malheureux que lui ». Épris des théories de Fourier, d’Auguste Comte, quelque peu Saint-Simonien, il vivait d’une étrange vie intérieure : ses idées l’aidaient à supporter sa pénible et laborieuse vieillesse avec une douce résignation, sans souci de ses intérêts matériels : il avait employé à former une bibliothèque nombreuse et bien choisie le peu économisé en sa longue existence. Quand ses jambes refusèrent définitivement de le porter, il accepta de se laisser hospitaliser : ayant donné tout son effort, il ne refusa plus le repos ! »

« En combien d’autres Maisons ne trouvait-on pas de même des types peu ordinaires ?… Je me souviens de ce demi-normalien, licencié ès lettres, admissible à l’École Normale supérieure, qui longtemps fut précepteur réputé. Quand il avait toute sa tête, quel brigand de fin lettré, quel fureteur qui, pour s’entretenir intellectuellement, ne cessait de travailler ! Mais, hélas ! quel dévoyé au repentir intermittent : mécontent parfois de lui-même, il se réfugiait chez les Trappistes pour s’y refaire une… conscience. Échoué pour quelques semaines en une École typographique aux environs d’Auteuil, il disparut certain jour : un modeste héritage lui était inopinément tombé du ciel ; cet accident fut ce qui pouvait lui survenir de plus regrettable : il consomma sa ruine.

« Mon normalien n’appartenait point à l’Académie de la rue Saint-Jacques près la rue Soufflot, au quartier Latin, mais il était digne de figurer parmi cette élite extraordinaire, de déclassés, d’étudiants de la trentième année, qui s’y réunissaient assidûment. Là seulement, affirmaient les intéressés, on dégustait la meilleure absinthe de Paris. C’était merveille d’entendre les reparties, d’écouter les fines satires du fait divers quotidien, d’assister aux assauts d’esprit, de surprendre l’érudition des membres de cet étrange cercle littéraire. J’ai ouï dire que l’un des non moins remarquables et non moins assidus de ce cénacle était Lerio, l’ex-médecin de la Marine, ce « correcteur en l’imprimerie » qui fut mon collègue. »

Souvenirs d’antan, vous nous remémorez une époque plus lointaine : médecins, officiers, fonctionnaires plus ou moins titrés, ecclésiastiques, magistrats, vous nous faites revivre les temps héroïques du xvie siècle ; des gentilshommes, des notaires garde-notes, des chanoines, des greffiers vous fûtes les continuateurs littéraires ; des compagnons typographes frondeurs et bohèmes, mais intraitables sur l’honneur, vous avez été les dignes successeurs techniques.


II. — Les divers types de correcteur.


I. Le correcteur amateur ne saurait qu’au titre de simple mémoire figurer dans cette étude : quels que soient les motifs plus ou moins légitimes, les raisons plus ou moins louables qui, quelques années durant, maintiennent ce « stagiaire » en marge de la corporation, trop souvent il n’éprouve que dédain pour des collègues « commissionnés » non moins instruits. La fréquentation, certain jour, certaines heures, d’un monde tout différent fait parfois oublier à cet intellectuel besogneux que ses voisins, eux aussi, passèrent de longs moments sur les bancs de l’école ou du collège. D’avoir choisi un « métier », d’avoir abandonné la carrière libérale à laquelle leurs études les destinaient, l’amateur n’a point cependant le droit de leur tenir rigueur ou de faire montre d’une supériorité factice. Dans la correction, la valeur d’un homme ne se prouve point en paroles, en gestes plus ou moins civils : elle se déduit de ses actes. Trop souvent, ce maçon amateur mis au pied du mur est inférieur à sa tâche.

Passons.

II. « Le correcteur femme existe aussi. » « Cette espèce », peut-être très rare à l’époque de Boutmy, a, depuis, fait quelques progrès. Dire que ce type « n’apparaît jamais dans l’atelier typographique » serait maintenant fort osé. Il est, d’ailleurs, des correcteurs hommes qui possèdent les qualités et les… défauts de leurs collègues femmes ; et, n’en déplaise à Boutmy, il est de fort, de très honnêtes correctrices, comme il en est de bonnes, comme il en est d’excellentes au point de vue professionnel.

Il ne faut pas croire en effet que les hommes seuls se sont distingués dans l’imprimerie. « Charlotte Guillard s’est signalée par un nombre considérable d’éditions estimées et recherchées des amateurs. Instruite par Berthold Rembolt[45], son premier mari, elle épousa en secondes noces, au cours de l’année 1520, Chevalon<refClaude Chevalon reprit la direction de l’imprimerie de Rembolt.></ref>, qui la laissa veuve en 1542. Pendant plus de cinquante ans, elle a soutenu les fatigues et la dépense de l’imprimerie ; mais ses plus beaux ouvrages sont ceux qu’elle fit pendant sa seconde viduité. On a d’elle une Bible latine, avec les notes de Jean Bénédicti, et un Grégoire en deux volumes, si corrects que l’errata n’est que de trois fautes[46]. » — D’après H. Martin[47], « le premier ouvrier — le prote-correcteur, faut-il croire — de cette imprimerie, qui avait conservé l’enseigne Au Soleil d’Or[48], fut la sœur de la veuve Rembolt, Michelle Guillard, qui épousa Guillaume du Bois. »

Ces exemples ne sont pas isolés, comme on serait tenté de le croire ; on nous permettra de rapporter ici d’autres faits non moins probants :

On sait ce que fut Plantin[49] : homme d’une haute culture intellectuelle, imprimeur dont le renom s’étendit bien au delà des frontières de sa petite patrie d’adoption, caractère droit alliant à une force morale qui lui permit de supporter mainte catastrophe une honnêteté à laquelle tous ses contemporains rendirent hommage.

On ne peut ainsi s’étonner que « Plantin[50] ait, dès leur prime jeunesse, initié ses enfants, et aussi ses petits-enfants, à craindre, à honorer et à aimer Dieu, le Roi, les magistrats et les autorités et à aider leur mère dans les besognes journalières[51]. Mais ce qui nous frappe et nous semble étrange, c’est d’apprendre que ses fillettes devaient corriger des épreuves en toutes langues, parce qu’à cet âge elles étaient trop faibles pour accomplir plus lourde besogne. Quoique probablement cette lecture d’épreuves n’ait comporté qu’une comparaison attentive entre la composition typographique et la copie manuscrite, toujours est-il qu’elle constitue un exercice auquel nous ne songerions jamais à soumettre aujourd’hui nos enfants.

« Les filles de Plantin ont toutes fait ce travail dans la mesure de leurs moyens. Madeleine, la quatrième, était la plus habile : elle lisait les textes hébreux, syriaques et grecs, qu’elle devait porter, lorsqu’elle n’avait que treize ans, à Arias Montanus, résidant alors dans la maison de Jean van Straelen, où il surveillait la composition de la fameuse Biblia Regia[52]… Marguerite, l’aînée, se distingua dès sa jeunesse par une grande vivacité d’esprit. Plantin l’appelle « une des meilleures plumes de tous les païs de par deçà pour son sexe[53] »… Henriette, la cadette, était la moins douée. Lorsqu’elle avait huit ans, dit son père, elle ne faisait d’autre besogne qu’aider sa mère dans le ménage. Elle ne corrigeait pas encore d’épreuves « pour la tardivité de son esprit lent ». Les jeunes filles travaillaient dans la chambre des correcteurs… La lecture des épreuves était également un des petits moyens dont Plantin avait composé son « art d’être grand-père »…

Ce n’est donc point de nos jours seulement que « les fonctions de correcteur furent remplies par des dames » ; ce fut bien avant l’époque de Boutmy, on le voit, qu’elles assumèrent avec la charge de fonctions techniques la responsabilité littéraire d’un atelier, et certaine au moins se montra à la hauteur de sa tâche.

Ne peut-on ainsi estimer par trop vif et trop radical l’arrêt rendu par Boutmy contre le « correcteur femme », et injustifiée la critique qui semble le clouer au pilori de l’opinion ? Une brebis galeuse prouve-t-elle que tout le troupeau est contaminé ; un correcteur inférieur à sa tâche, homme ou femme, est-il le signe indéniable que la corporation n’a plus rien qui vaille ? Pour dix femmes entrevues au bureau du patron ou du prote, il en est un cent dont la pudeur s’effaroucherait terriblement du soupçon que dans l’esprit de plusieurs cette présence paraît comporter. Et avec ça, Boutmy, que certains correcteurs hommes ne sont jamais entrevus au bureau du patron ou du prote, pour des motifs sur lesquels il est préférable de garder le silence ?

Doit-on conclure de ces lignes que nous sommes partisan du « correcteur femme » ? Nullement, et ce serait nous supposer tout gratuitement des sentiments qui ne sont pas et n’ont jamais été les nôtres. La place de la femme est au foyer ; elle doit consacrer tous ses soins à l’embellissement du logis, à l’éducation des enfants, à l’au-dedans. La présence de la femme à l’usine, à l’atelier, se concilie mal avec sa fonction sociale. Mais le respect est dû à l’épouse que des circonstances exceptionnelles éloignent de la maison, le respect est dû à la mère qui peine durement pour nourrir sa nichée, le respect est dû à la jeune fille qui vient en aide aux siens…, non sans risques pour elles-mêmes : car est-il bien sûr que le « correcteur femme » entrevu au bureau du patron ou du prote soit le seul coupable ? Qui se chargera de répondre ?

Il faut éviter le « correcteur femme », la chose est entendue ; mais, quand le mal existe, il n’est pas nécessaire de l’exaspérer par la lutte ouverte ou par le mépris déclaré ; ce n’est point le parti le meilleur, on l’a vu, dans notre corporation, en des circonstances presque analogues, avec la femme compositrice.

III. Les discussions nées de l’origine et du mode de recrutement des correcteurs n’ont rien qui s’embarrasse des questions ou des considérations un peu oiseuses que nous venons de passer rapidement en revue. Le sujet est tout autre, et la controverse bien plus intéressante : le correcteur « est souvent un compositeur intelligent qui se consacre à la lecture des épreuves » ; « ou bien c’est un déclassé, élevé au séminaire ou au collège, auquel la typographie a ouvert ses bras accueillants ».

Cette différence d’origine a donné naissance à deux thèses irréductibles auxquelles ni de côté ni d’autre on ne semble vouloir apporter de tempérament : partisans du correcteur exclusivement typographe, défenseurs de l’homme instruit ont tour à tour — parfois aussi à tort et à travers — vanté les avantages d’un système, exagéré les inconvénients de l’autre.

1° « Les correcteurs pris en dehors de la typographie sont trop souvent — disent les uns — des déclassés, prétentieux mécontents, croyant tout connaître et n’ayant aucune notion pratique de la composition. Ils négligent les corrections techniques, les coquilles, etc. ; par contre, ils veulent corriger les auteurs dans leur style, voire même dans leur doctrine. »

Puis, défendant avec énergie la thèse contraire, ces mêmes critiques, en un tableau des plus flatteurs exposent les mérites du typographe devenu correcteur. Ils vantent sa modestie, son dévouement, le soin méticuleux qu’il apporte dans l’exécution de son travail, qualités inestimables qui suppléent sans peine au défaut de connaissances littéraires, scientifiques ou linguistiques.

2° À leur tour, les « intellectuels », non sans aigreur, ripostent avec une certaine vraisemblance : « Pour avoir, un jour de pléthore de lecture, marqué un deleatur, indiqué la suppression d’un doublon, signalé une coquille ou un bourdon, quelques compositeurs se consacrent d’emblée correcteurs.

« Parce que durant de longues années ils ont coté et paraphé maints feuillets de copie, manié réglettes, garnitures et biseaux, ils s’imaginent avoir tous droits à cette fonction de correcteur dans laquelle ils ne voient que la petite place enviée, sorte de maréchalat typographique. Ils estiment pouvoir s’imposer au choix du patron à meilleur titre — et surtout à meilleur compte — que le déclassé dont, sans le connaître même, ils dénigrent les connaissances au profit des leurs.

« Sans doute, grâce à leur travail et à leur persévérance, nombre de compositeurs sont parvenus à développer d’une manière remarquable ce que leur ont enseigné leurs maîtres de l’école primaire ou de l’école supérieure. En littérature française et dans quelques autres branches ils ont acquis des connaissances étendues ; mais combien se sont initiés aux langues vivantes et surtout aux langues mortes ? Le jour où, remplissant les fonctions de correcteur isolé, ils se trouveront en présence de manuscrits mal écrits et bourrés de citations latines ou autres, leur seule ressource sera de laisser en blanc ce que ni eux ni le typographe n’auront pu déchiffrer ; car, dans ces circonstances, le dictionnaire n’est d’aucun secours. »

L’anecdote suivante, extraite de la Circulaire des Protes[54], est une caractéristique fidèle de la situation qui vient d’être exposée : « Dans une grande Maison du Nord-Ouest, on décida un jour de n’employer comme correcteur que des personnes du pays, de préférence des typos, en recourant même, si besoin était, à des éléments étrangers à l’imprimerie. On ne devait pas se montrer très rigoureux, semble-t-il, sur le chapitre des connaissances. Un des nouveaux promus se trouva certaine fois devoir lire une copie dans laquelle était intercalé un court passage de Tite-Live. Un correcteur, qui appartenait au personnel de la Maison bien avant la mise en vigueur de la décision rapportée plus haut, conseilla à son collègue de faire mettre ce passage en italiques. « Je n’y avais pas songé, répondit ce dernier ; je ne savais pas d’ailleurs si c’était du latin ou de l’anglais. » — Tite-Live écrivant en anglais, la supposition est déjà plutôt anormale ; mais d’une phrase latine ne pouvoir distinguer un texte anglais est, pensons-nous, au-dessous des facultés d’un titulaire du certificat d’études primaires.

Ce fait divers est, à lui seul, une preuve évidente de l’erreur fâcheuse commise même par des Maisons réputées sérieuses, lorsqu’elles n’exigent pas pour le recrutement de leur personnel des garanties suffisantes au point de vue littéraire et technique.

Quelle appréciation un auteur méticuleux peut-il, dans ces conditions, porter sur la Maison à laquelle il a confié en partie le succès de son œuvre et la réputation de son nom ? Quelles craintes éprouvera-t-il de la possibilité pour cette Maison de mener à bonne fin le travail qu’il lui a remis ? Et comment se retiendra-t-il de manifester son inquiétude par des plaintes maintes fois trop justifiées ?

Quelle recommandation, alors, auprès d’un patron, et comment ne pas estimer qu’un tel correcteur, qualifié peut-être pour corriger des travaux administratifs et à peine pour être reviseur, ne saurait être à sa place dans une Maison de labeurs !

3° À cette situation dont ils ne peuvent nier les inconvénients, les partisans des correcteurs recrutés exclusivement dans l’imprimerie ont tenté d’apporter un remède : « On peut recommander au client de bien écrire les langues étrangères, lui dire que la Maison ne prend aucune responsabilité à cet égard… On peut encore recourir à une personne de la localité connaissant la langue… »

À moins d’avoir un faible pour la calligraphie, ou d’appartenir à une administration qui leur donne les loisirs d’envoyer des copies irréprochables, les auteurs écrivent plutôt avec nervosité. Une écriture hâtive, des mots inachevés, des lettres informes rendent leurs manuscrits illisibles… souvent pour eux-mêmes. C’est un mal dont ils ne guériront jamais, et auquel une Maison aurait peut-être, pour ses intérêts et sa réputation, regret d’avoir conseillé de porter remède.

D’autre part, combien d’imprimeurs sont dans l’impossibilité matérielle de recourir aux bons soins de personnes étrangères, de mettre en pratique une façon de procéder qui compliquerait singulièrement le travail et ne donnerait guère de notoriété à la Maison ?

Comment, d’ailleurs, concilier une telle contradiction : on refuse à un maître imprimeur le droit d’engager définitivement à son service un érudit auquel il lui sera loisible d’imposer l’obligation de devenir typographe, mais on lui reconnaît la faculté de faire appel temporairement à un linguiste auquel il ne pourra même pas songer à donner le conseil de s’initier aux notions élémentaires de typographie, à un humaniste qui ignorera jusqu’à la forme des signes de correction.

Ainsi, au milieu des discussions, des arguties, à chacun le parti pris fait à l’envi embrouiller la question : sous prétexte de « sauvegarder les intérêts de la corporation », nullement menacés au reste, on « regarde au dehors », et l’on cherche à éloigner de la profession « ces recrues que l’on voit accourir de tous les points de l’horizon social : officiers retraités propres à tout, puisqu’ayant commandé, clercs de tous ordres et de tous poils, instituteurs et fonctionnaires même, trop peu payés[55] » ; — et l’on dit bien haut, si l’on objecte dans ces conditions un léger favoritisme dont profiteront typographes et linotypistes, « qu’il serait étrange qu’il en fût autrement », « l’instruction et la culture générale des typos et des linos étant au-dessus de celles visées[56] »…

Chaque parti reste ainsi sur ses positions, au détriment des intérêts généraux et pour le plus grand dommage des exigences et des besoins particuliers.

Depuis ces dernières années l’imprimerie subit, du fait de l’introduction de la machine à composer, des transformations importantes, qui exigent plus qu’au temps passé de tous les collaborateurs d’un établissement célérité et capacité. Quelques précisions sur le mode de recrutement des correcteurs dans certains établissements ou dans maintes sociétés ne sauraient dès lors paraître dépourvues d’intérêt. Si le maître imprimeur ne peut tenir compte de toutes les discussions soulevées du fait de l’origine des correcteurs, à maints égards il lui importe cependant beaucoup de compter parmi son personnel un correcteur bachelier, un déclassé, de plus, ou un typographe correcteur, un parvenu, de moins.

Examinons certains faits.


III. — Recrutement des lecteurs d’épreuves
et des correcteurs de l’Imprimerie Nationale
.


Bien qu’il ne soit pas nécessaire de conseiller aux maîtres imprimeurs de suivre les errements de l’Imprimerie Nationale pour le recrutement de leurs correcteurs, il est bon cependant de savoir quelles règles l’Administration paraît s’imposer pour le choix de ces collaborateurs.

Dans cet établissement — qui certes n’est pas un modèle sous tous les rapports — le Service de la Correction comprend deux catégories d’agents qui « diffèrent essentiellement par le titre, le traitement et, dans une très faible mesure, par les fonctions : les correcteurs, dont le nombre est strictement limité, ne lisent que des bons à tirer ; les lecteurs d’épreuves, dont l’effectif est plus important, mais variable, assurent la correction en premières, les revisions et une grosse partie des bons à tirer[57]. Les correcteurs seuls sont commissionnés. »

Nous donnerons ici, d’après le plus récent arrêté[58] (22 mars 1920) que nous connaissions[59], quelques extraits des conditions de recrutement et d’admission à l’Imprimerie Nationale des lecteurs d’épreuves.


A. — Lecteurs d’épreuves et viseurs de tierces[60]


Article premier. — Les lecteurs d’épreuves sont affectés, selon les besoins du service et suivant leurs aptitudes, aussi bien à la correction des travaux administratifs qu’à celle des labeurs courants.

Art. 2. — Ils sont placés sous les ordres du prote de la composition ; toutefois, dans l’exercice de cette partie de ses attributions, tant au point de vue de l’exécution du travail qu’à celui de la discipline, le prote est assisté d’un lecteur principal.

Le lecteur principal répartit, entre les lecteurs, l’ouvrage qui lui est remis par le prote ; il en dirige et surveille l’exécution. Il propose au prote les mesures de toute nature qui lui paraissent propres à assurer, dans les meilleures conditions, la marche du service. Il participe à l’exécution des travaux de correction…

Art. 3. — Le lecteur principal, choisi parmi les lecteurs d’épreuves, est nommé par le Directeur, sous réserve de l’approbation ministérielle.

Effectif

Art. 4. — L’effectif total des lecteurs d’épreuves, titulaires ou stagiaires, y compris le lecteur principal, est fixé à 1/11 de l’effectif des compositeurs aux pièces ; si le nombre de ces compositeurs excède un multiple de 11 de plus de 5 unités, cet excédent est compté pour onze.

Les compositeurs affectés à l’atelier de distribution sont comptés parmi les compositeurs aux pièces.

Viseurs de tierces

Art. 5. — Les viseurs de tierces sont assimilés aux lecteurs d’épreuves. Ces postes sont attribués aux lecteurs recrutés parmi les ouvriers typographes de l’Établissement. Lorsqu’une vacance se produit, le poste est donné au plus ancien des lecteurs de cette catégorie qui en font la demande ; à défaut de candidature, le Directeur y affecte d’office, pour une période minimum de deux ans, le moins ancien.

Si les nécessités du service l’exigent et à défaut de lecteurs recrutés parmi les ouvriers typographes, le Directeur désigne, pour remplir les fonctions de viseur de tierces, des lecteurs recrutés à la suite du concours public.

Art. 6. — L’effectif des viseurs de tierces est fixé à quatre.

Recrutement

Art. 7. — Le recrutement des lecteurs d’épreuves a lieu, pour les deux tiers des places, par voie de concours public, et, pour les autres, par voie de concours restreint entre les ouvriers typographes de l’Établissement.

À titre exceptionnel, seront dispensés de ce dernier concours les compositeurs mutilés de guerre, incapables de reprendre leurs anciens postes et qui, après avoir accompli à titre de lecteurs provisoires un stage minimum de six mois, seront reconnus posséder les aptitudes suffisantes. Les emplois vacants leur seront attribués de préférence. Il ne sera institué de concours soit public, soit restreint entre les ouvriers typographes de l’Établissement qu’après nomination de ces mutilés.

Art. 8. — Concours public. — Tout Français de bonnes vie et mœurs ayant satisfait aux prescriptions de la loi militaire, n’ayant subi aucune condamnation, âgé de vingt et un ans au moins et de trente-cinq ans au plus, et reconnu apte par le médecin de l’Établissement à remplir l’emploi, peut prendre part au concours public.

Le concours public comprend les épreuves suivantes :
xxxx1° Correction d’un texte français (au moins une page de texte et une page de tableau) ;
xxxx2° Au choix du candidat :
xxxxCorrection d’un texte latin (au moins une page de texte) ;
xxxxOu correction d’un texte scientifique (au moins une page de texte).

Chacune de ces épreuves est cotée de 0 à 20. Une note Inférieure à 8 est éliminatoire.

En outre, une cote spéciale, également de 0 à 20, est réservée à l’application judicieuse, claire et précise des signes de correction typographique, ainsi qu’aux preuves fournies par le candidat de son goût esthétique dans une note sur la disposition typographique des textes donnés à corriger. Cette cote spéciale est éliminatoire si elle est inférieure à 10.

Sont seuls admissibles les candidats dont la moyenne des notes n’est pas inférieure à 12.

La correction d’un texte grec et celle d’un texte en une ou plusieurs langues étrangères modernes ou anciennes autres que le latin et le grec (au moins une page de texte) sont facultatives. Elles donnent lieu chacune à une cote de 0 à 10. Cette cote ne compte dans le total des points que si elle est au moins égale à 5.

Sur leur demande les candidats sont autorisés à subir les deux épreuves indiquées au paragraphe 2 ci-dessus (correction d’un texte latin et correction d’un texte scientifique). Ils font connaître celle qui doit être considérée comme facultative. Pour cette dernière il leur est attribué une cote supplémentaire, comme il est dit ci-dessus pour la correction d’un texte grec ou d’un texte en langues étrangères.

Les candidats pourvus d’un diplôme de bachelier reçoivent un avantage de 5 points, et les candidats pourvus d’un diplôme de licencié, un avantage de 10 points.

Le jury comprend : le chef de l’Exploitation, un prote principal, un prote et deux correcteurs désignés chaque fois par le Directeur. En cas de nécessité, le Directeur peut aussi adjoindre au jury des examinateurs n’appartenant pas au personnel de l’Imprimerie Nationale.

Les candidats reconnus admissibles sont admis dans l’ordre de la liste de concours, au fur et à mesure des vacances. Tout candidat admis l’est à titre de lecteur d’épreuves stagiaire. Il est chargé de la lecture en première de travaux de difficulté progressive.

Le stage dure dix mois, pendant lesquels les stagiaires complètent leur instruction professionnelle par l’étude du règlement de composition typographique et de correction en vigueur dans l’Établissement ; ils doivent le posséder complètement à l’expiration de leur stage.

Pendant ces dix mois, à la fin du cinquième mois et avant la fin du dixième mois, chacun des stagiaires est l’objet d’un rapport spécial sur ses capacités, ses connaissances scientifiques, ses aptitudes et son application. Il est congédié, par arrêté du Directeur, s’il ne donne pas satisfaction…

Après les dix mois de stage, les lecteurs d’épreuves sont maintenus dans leurs fonctions si le dernier rapport dont ils ont été l’objet conclut à ce maintien.

Ils sont titularisés dans cet emploi après l’accomplissement d’une année de service.

Art. 9. — Concours entre les ouvriers typographes de l’Établissement. — Seront admis à ce concours :
xxxx1° Les ouvriers compositeurs titulaires âgés de moins de cinquante ans au 1er janvier de l’année du concours ;
xxxx2° Les ouvriers compositeurs temporaires comptant au moins six mois de services et exerçant leur emploi au moment où sera publié l’avis du concours.

Ce concours comprend :
xxxx1° Une dictée de difficulté moyenne (au moins une page) ;
xxxx2° Une imposition ou la vérification d’une imposition difficile ;
xxxx3° La correction d’une composition difficile formée de textes et de tableaux.

Chacune de ces épreuves est cotée de 0 à 20. Une note inférieure à 8 est éliminatoire.

En outre, une cote spéciale, également de 0 à 20, est réservée à l’application judicieuse, claire et précise des signes de correction typographique, ainsi qu’aux preuves fournies par le candidat de son goût esthétique. Cette cote spéciale est éliminatoire si elle est inférieure à 10.

Sont seuls admissibles les candidats dont la moyenne des notes n’est pas inférieure à 12.

La correction d’un texte grec et celle d’un texte en une ou plusieurs langues modernes (au moins une page de texte) sont facultatives. Elles donnent lieu chacune à une cote de 0 à 10. Cette cote ne compte dans le total des points que si elle est au moins égale à 5. Le jury du concours restreint sera le même que celui du concours public.

Les candidats déclarés admissibles sont admis dans l’ordre de la liste du concours, au fur et à mesure des vacances.

Les ouvriers compositeurs titulaires admis sont nommés directement à la dernière classe de lecteurs d’épreuves titulaires. Les ouvriers compositeurs temporaires admis restent lecteurs d’épreuves temporaires pendant une période égale à la différence entre le temps de service qu’ils ont accompli depuis leur dernier embauchage et une année. Avant l’expiration de ce délai, chacun d’eux fait l’objet d’un rapport analogue à celui prévu par l’article 8 pour les stagiaires provenant du concours public. Ils ne sont maintenus dans leurs fonctions que si ce rapport est favorable.

Si aucun candidat ne se présente au concours restreint ou si aucun des candidats ayant concouru n’est déclaré admissible, le tour de recrutement parmi les ouvriers compositeurs sera sauté.


B. — Correcteurs


Les services de la correction de l’Imprimerie Nationale ont été réorganisés par un décret du Président de la République en date du 6 mars 1912 :

Article premier. — Les cadres de la correction de l’Imprimerie Nationale comprennent des correcteurs et des correcteurs principaux…

Art. 5. — Un arrêté du Ministre des Finances déterminera les conditions de recrutement des correcteurs et des correcteurs principaux.

En conformité de cet article 5 le Ministre des Finances rendait, le 8 mars 1912, un arrêté dont nous extrayons les points suivants :

Article premier. — Les correcteurs sont utilisés en principe à la lecture en bon à tirer et particulièrement à celle des labeurs scientifiques et savants ; mais, si les besoins du service l’exigent, ils peuvent aussi être employés à la lecture ou à la correction de tout travail administratif ou de labeur.

Les correcteurs principaux sont chargés de la lecture en bon à tirer des travaux savants d’un caractère plus particulièrement délicat, tels que labeurs en langues étrangères et orientales, travaux de mathématiques, etc.

Le recrutement des correcteurs aura lieu au choix parmi les lecteurs d’épreuves des huit premières classes, nommés lecteurs à la suite d’un concours public.

Dans le cas où l’Administration ne croirait pas devoir exercer son choix, les emplois de correcteurs seront mis au concours public ; le programme et les conditions de ce concours seront les mêmes que ceux arrêtés pour le concours public à l’emploi de lecteur.

À titre transitoire, les lecteurs d’épreuves actuellement en fonctions seront assimilés, pour le recrutement des correcteurs, aux lecteurs nommés à la suite d’un concours public.

Art. 4. — Les correcteurs principaux peuvent être pris au choix sur une liste de candidatures comprenant :
xxxx1° Les correcteurs de l’Établissement pourvus au moins du diplôme de licencié ès lettres ou de licencié ès sciences ;
xxxx2° Tous les autres candidats appartenant à l’Imprimerie Nationale et pourvus d’un diplôme de docteur.
xxxxTous ces candidats devront d’ailleurs posséder des connaissances très étendues de linguistique générale et avoir fait des études spéciales des langues orientales.
xxxxDans le cas où l’Administration ne croirait pas devoir exercer son choix, les emplois de correcteurs principaux seront mis au concours entre tous les candidats provenant de l’intérieur ou de l’extérieur.
xxxxLa limite d’âge pour la présentation à ce concours est fixée à trente-cinq ans. Les candidats déjà compris dans le personnel sont affranchis de cette condition.

Art. 5. — La date du concours est rendue publique un mois au moins à l’avance, par l’insertion au Journal officiel d’un avis qui est également porté à la connaissance des bureaux et des ateliers de l’Imprimerie Nationale et à celle des candidats déjà inscrits.

Art. 6. — Les demandes d’inscription doivent être remises à la Direction de l’Imprimerie Nationale huit jours au moins avant la date du concours. Elles doivent être établies sur papier timbré et se trouver accompagnées :
xxxx1° De l’acte de naissance du postulant ;
xxxx2° Des titres universitaires requis que les postulants pourraient posséder ou de pièces en tenant lieu ;
xxxx3° Des certificats des services antérieurs que les postulants pourraient compter comme correcteurs dans les imprimeries du commerce ;
xxxx4° De l’indication, qui peut être suffisamment donnée au corps de la demande, des langues orientales ou étrangères dont le candidat aurait fait une étude spéciale.

Art. 7. — Le concours pour l’admission à l’emploi de correcteur principal consiste en la correction de textes fautifs, remis par le Directeur au président du jury à l’ouverture de la séance. Ces textes comprennent :
xxxxÉpreuve obligatoire. — Une page en chacune des langues française, latine et grecque, et une page en chacune des quatre divisions scientifiques : mathématiques, physique, chimie, histoire naturelle.
xxxxÉpreuve facultative. — Une demi-page en chacune des langues orientales ou étrangères que les candidats auraient, au moment de l’inscription, déclaré connaître. Les textes en langues mortes et en langues étrangères vivantes, corrigés par les concurrents, doivent être, par eux, traduits en français. Le jury pourra aussi exiger des concurrents, s’il le juge utile, une dissertation française de quatre pages au moins.

Art. 8. — Il est accordé six heures aux concurrents pour la remise des épreuves placées entre leurs mains. Toute communication entre eux et l’extérieur est interdite pendant la durée entière du concours. Les lexiques grecs et latins seront les seuls livres laissés à leur disposition.
xxxxLes opérations du concours sont constamment surveillées par l’un des membres du jury, lesquels peuvent se relever à cet effet.

Art. 9. — Chaque concurrent, après avoir terminé son travail, signe les épreuves qui lui ont été confiées et les remet au membre du jury chargé de la surveillance du concours, lequel les paraphe et les réunit sous une chemise portant le nom du candidat. À la fin de la séance, toutes les pièces ainsi classées sont placées dans une enveloppe cachetée, laquelle est remise au Directeur de l’Imprimerie Nationale pour être conservée jusqu’au jour fixé par le jury pour les examiner.

Art. 10. — Dans cette séance, le jury examine le travail des concurrents et, après une première élimination pour insuffisance générale, s’il y a lieu, il classe les concurrents maintenus selon l’ordre de mérite résultant de ses appréciations.

Art. 11. — À mérite égal, il est tenu compte aux concurrents, pour ce classement, des titres universitaires qui attesteraient leurs études littéraires et scientifiques, et, s’ils proviennent des cadres de l’Établissement, de la nature de leurs services antérieurs et des connaissances dont ils auraient fait preuve pendant la durée de ces services.
xxxxL’état de classement des concurrents est suivi d’une liste d’admissibilité, par ordre de mérite, qui peut comprendre plusieurs noms en vue des besoins éventuels de l’Imprimerie Nationale.

Art. 12. — Le procès-verbal relatant les opérations du concours est signé par tous les membres du jury et remis par le président au Directeur de l’Imprimerie Nationale, après la clôture de la séance.

Art. 13. — Le jury d’examen aux fonctions de correcteur principal est ainsi composé :
xxxxUn membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ou de l’Académie des Sciences, président ;
xxxxDeux professeurs agrégés de l’Université, section de grammaire ou des sciences ;
xxxxL’inspecteur de la typographie orientale à l’Imprimerie Nationale ;
xxxxLe chef du service de l’exploitation de l’Imprimerie Nationale ;
xxxxUn correcteur principal ;
xxxxCes deux derniers avec voix consultative seulement.
xxxxDes décisions spéciales peuvent adjoindre au jury, sur sa demande, des membres supplémentaires pour l’examen des connaissances des candidats sur les langues orientales ou étrangères.

Pour le recrutement de ses lecteurs et de ses correcteurs l’Imprimerie Nationale semble chercher, on le voit, à s’entourer de garanties qu’elle voudrait aussi complètes que possible.

Notons, toutefois, un certain nombre d’anomalies dont l’explication nous paraît assez difficile :

Il est regrettable, tout d’abord, que, parmi les épreuves auxquelles sont soumis les candidats étrangers à l’Établissement ne figure point une « épreuve de connaissances typographiques ». À notre avis, on ne saurait donner ce nom à la « correction d’un texte français (au moins une page de texte et une page de tableau) », « à l’application judicieuse, claire et précise des signes de correction typographique », non plus qu’à la « note sur la disposition typographique des textes donnés à corriger » : le goût esthétique dont un candidat sait éventuellement faire preuve peut être en contradiction formelle avec toutes les règles typographiques, surtout avec celles de l’Imprimerie Nationale qui sont un peu spéciales. Nous comprenons fort bien que les « corrections », dont le futur lecteur d’épreuves ou correcteur, grâce à son jugement et à ses connaissances, se tirera habilement, comportent en elles-mêmes l’application de maintes règles typographiques ; à ce point de vue le jury d’examen peut se former une première opinion, mais nous pensons que cette opinion sera toujours superficielle ; il en aurait été certes tout autrement avec la « correction d’une composition difficile formée de texte et de tableaux », analogue à celle à laquelle doivent satisfaire les ouvriers typographes de l’Imprimerie Nationale qui se présentent au concours de lecteurs.

Remarquons, d’autre part, que, si le programme fixé aux candidats extérieurs est avant tout — particulièrement pour le recrutement des correcteurs — un programme d’examen de connaissances littéraires, par contre celui auquel les « ouvriers typographes de l’Établissement » sont astreints est surtout un programme typographique. Cette dualité d’attitude est bien faite pour surprendre, puisque les uns et les autres ont dans le labeur journalier à satisfaire, semble-t-il, aux mêmes obligations. Il est plus étonnant, encore, de remarquer que, si dans le concours entre les ouvriers typographes « la correction d’un texte grec et celle d’un texte en une ou plusieurs langues modernes », facultatives, donnent lieu à une cote spéciale, le latin est complètement oublié. La raison de cette omission n’apparaît nullement et ne saurait se justifier : à l’Imprimerie Nationale la connaissance du latin nous semble aussi indispensable que dans les imprimeries particulières, les auteurs faisant, même dans les ouvrages courants, un usage fréquent de cette langue en des expressions nombreuses.

Observons enfin que si, d’après les prescriptions de l’arrêté du 7 mars 1912, qui n’ont pas été abrogées, le candidat aux fonctions de lecteur d’épreuves doit exécuter ses corrections « sans la copie et sans le secours d’aucun livre », le candidat au poste de correcteur a la faculté d’utiliser au cours de son examen les lexiques grecs et latins laissés à sa disposition. Sans doute, ce dernier doit, en sus de la correction, effectuer la traduction des textes qui lui sont remis, et cette nécessité peut, à la rigueur, aux yeux de certains justifier une attitude différente ; mais il est aisé de répondre que, pour bien corriger un texte latin ou un texte grec, il est indispensable de pouvoir en connaître par la traduction la signification exacte ; dans une certaine mesure le candidat correcteur se trouve donc avantagé à ce point de vue sur le candidat lecteur.

Il apparaît ainsi que les examens prescrits pour le recrutement des lecteurs d’épreuves et des correcteurs de l’Imprimerie Nationale ne sont point, en théorie, exempts de quelques critiques. Mais que valent, en pratique, ces examens ? Quelle valeur professionnelle accorder aux candidats qui satisfont à leurs prescriptions ? Disons-le de suite, l’Imprimerie Nationale elle-même ne paraît pas se fier entièrement en la garantie que devraient cependant comporter ces épreuves : estimant en effet que le candidat peut parfois, grâce à une chance particulière, sortir de l’examen à son avantage, elle se réserve, pendant un stage de dix mois, le droit de surveiller les capacités techniques et littéraires de l’admissible, ses connaissances scientifiques, ses aptitudes et son application.

Le principe est excellent ; il semble, dès lors, qu’il devrait donner les résultats les meilleurs au point de vue matériel et moral. Le fait serait, d’ailleurs, parfois exact, si nous en croyons, d’après le Journal officiel, M. Louis Marin, député de Meurthe-et-Moselle :

Le 24 novembre 1910, le Parlement discutait le budget de l’Imprimerie Nationale. M. Louis Marin intervint dans la discussion, pour parler assez longuement de l’organisation des ateliers de typographie orientale de cet Établissement. Après avoir fait ressortir l’obligation d’accorder un traitement spécial aux ouvriers et employés chargés d’assurer et de surveiller l’exécution des travaux en langue orientale, qui exigent des connaissances typographiques et linguistiques très sérieuses, il ajoutait : « … Parmi ces travailleurs modestes qui ont une compétence admirable et qui représentent la direction linguistique de l’atelier, voici, par exemple, un homme dont il faut faire applaudir le nom par les vrais travailleurs, M. Guérinot, qui a le titre de lecteur de l’Imprimerie Nationale. Il est docteur ès lettres, licencié ès sciences, docteur en médecine, spécialiste de l’indianisme, pouvant être chargé depuis longtemps dans un de nos grands établissements d’une chaire de sanscrit[61]. »

M. Louis Marin, on le voit, ne ménageait point les louanges : c’est un acte dont il y a lieu de se réjouir ; il ne craignit pas non plus, ce même jour — et il faut l’en féliciter — de faire entendre maintes critiques qui auront leur place dans une autre partie de cette étude[62].

Mais il aurait pu aussi rappeler utilement certain fait dont la Presse fit grand bruit un mois environ plus tôt. Le 8 octobre 1910, le journal le Gaulois publiait les lignes suivantes[63] :

L’Imprimerie Nationale va être, comme on le sait, prochainement rattachée au Ministère des Finances, où l’on suppose qu’un contrôle efficace viendra à bout des abus de toute nature qui se sont implantés dans la gestion de l’Établissement.

Certains faits sont invraisemblables de cocasserie.

Ainsi le Règlement exige que, chaque année, ait lieu un concours pour le recrutement des correcteurs. Or, depuis six ans le concours se borne à une convocation adressée à tel particulier déterminé, auquel on fait subir à huis clos un semblant d’examen pour justifier l’admission. C’est de cette façon que l’Imprimerie Nationale a augmenté son personnel d’un ouvrier chapelier, nommé correcteur « au concours ».

Au service des brevets du Conservatoire des Arts et Métiers sont détachés trois employés de l’Imprimerie Nationale. Voici en quels termes l’un d’eux tout récemment était présenté par un fonctionnaire de la maison à un personnage en visite : « J’ai l’honneur de vous présenter M. Z… entré ici pour faire son droit. »

Deux jours plus tard, Paris-Journal répondait par cet article :

À L’IMPRIMERIE NATIONALE
Lecteurs et Correcteurs

Il est admis que tout va de mal en pis dans les établissements de l’État. Aucun n’échappe à la critique, l’Imprimerie Nationale moins que tout autre.

Parmi les dires que l’on colporte sur, cette institution, il en est un qui ne manquait pas de piquant : on prétendait que le Règlement pour le recrutement des correcteurs avait été éludé et que l’on avait remplacé le concours exigé par un semblant d’examen, grâce auquel un ouvrier chapelier venait de se voir désigné pour ce poste de correcteur auquel il n’était nullement préparé.

Nous avons demandé à M. Dupré, directeur de l’Imprimerie Nationale, ce qu’il fallait croire de cette histoire.

« Rien, nous a-t-il répondu.

« D’abord, aucun texte de notre Règlement ne dit que les correcteurs seront recrutés par voie de concours public.

« Pourtant nos correcteurs sont très soigneusement recrutés, et l’on ne prend pas, comme on semble l’insinuer, les plus chaudement recommandés. Ils sont choisis parmi nos lecteurs d’épreuves, un tour à l’ancienneté et un tour au concours entre eux. Aucun abus ne peut se produire, grâce aux précautions que nous prenons.

« Quant à nos lecteurs d’épreuves, ils doivent passer un sérieux examen d’admission. Plusieurs sont munis de diplômes universitaires, et le dernier entré est licencié ès lettres.

« De là à l’ouvrier chapelier dont on parle il y a loin.

« On nous a reproché également d’avoir, parmi nos employés détachés au service des brevets du Conservatoire des Arts et Métiers, un jeune homme qui poursuit ses études de droit. Mais en quoi cela peut-il nous gêner qu’un employé fasse son droit, si notre service ne souffre pas de ses études ? Nous ne pouvons, au contraire, que le féliciter. »

Et, après ces déclarations, nous ne pouvons manquer d’être convaincu que tout se passe correctement chez les correcteurs.

Les cocasseries signalées par le Gaulois ne manquaient pas de sel. Nous nous étions demandé s’il n’y avait pas lieu de les considérer comme une boutade de postulant fatigué d’attendre. Le Ruy-Blas en date du 22 octobre dissipa notre perplexité en publiant, sous le titre Népotisme, un article dont nous reproduisons l’alinéa suivant :

M. le Directeur feint de s’indigner, notamment, qu’on ait osé prétendre qu’un ex-ouvrier chapelier occupait, à l’Imprimerie, un emploi de correcteur. Il a presque raison, M. le Directeur. Car nous avons découvert, à la suite d’une courte enquête, que le correcteur visé n’est pas un ancien chapelier, en effet, mais un ancien tailleur de Villeneuve-d’Agen, patrie de M. Chaumié déjà nommé. Ce chevalier de l’aiguille a d’ailleurs dans l’Établissement un frère, pourvu d’un emploi supérieur. Tous les deux ont pénétré là par faveur, c’est-à-dire sans titre ni droit — ni passé professionnel, — en faisant la nique au concours…

Étrange administration, en vérité ! Mentalité plus étrange encore, celle d’un Honorable dont le favoritisme aboutit à ce résultat ; « avoir en même temps comme lecteur d’épreuves et comme correcteur un docteur ès lettres et un ancien tailleur d’habits ».

Ne peut-on penser, malgré les éloges adressés du haut de la tribune parlementaire à l’un des meilleurs et plus instruits correcteurs, que l’Imprimerie Nationale se soucie fort peu de la dignité, de la science, des mérites de ses plus dévoués serviteurs,… et encore moins des règlements que lui imposent ses grands-maîtres.

Le temps est lointain certes où le Pouvoir exigeait de l’imprimeur — et de son subordonné le correcteur — « qu’il soit congru en langue latine et qu’il sache lire le grec, dont il sera tenu de rapporter le certificat du recteur de l’Université ».

Pour compléter ces lignes, nous croyons pouvoir donner maintenant quelques extraits des conditions d’admission auxquelles doivent satisfaire les candidats désireux de faire partie des différentes sociétés de correcteurs qui existent à l’heure actuelle.


IV. — Syndicat des Correcteurs de Paris.


conditions d’admission


En France, une seule société existe qui soit composée exclusivement de correcteurs, le Syndicat des Correcteurs de Paris et de la Région parisienne[64] ; bien que jouissant, en fait, d’une certaine autonomie, avec ses statuts particuliers et sa cotisation personnelle, elle est adhérente à la 21e section de la Fédération française des Travailleurs du Livre dont elle dépend en réalité.

Les conditions d’admission[65] au Syndicat sont les suivantes d’après les statuts adoptés en assemblée générale le 30 mars 1919 :

Conditions d’admission et de réadmission. — Art. 2. — Tout correcteur désirant faire partie du Syndicat ne doit appartenir à aucune organisation similaire poursuivant le même but ni à aucun syndicat patronal, soit comme adhérent, soit comme fonctionnaire.

Art. 3. — Toute demande d’admission ou de réadmission doit être libellée sur une formule délivrée au siège social, puis adressée directement au secrétaire général. Elle doit indiquer : les nom et prénoms, le lieu et la date de la naissance du postulant, l’endroit et les conditions de son travail, le temps depuis lequel il exerce la profession.

Art. 4. — Tout correcteur, aussitôt sa demande parvenue au siège social, est admis, après enquête et avis favorable du Comité, à passer un examen technique, afin que toutes garanties de ses capacités professionnelles puissent être données aux maîtres imprimeurs ou aux directeurs de journaux s’adressant au Syndicat.
xxxxSeuls les correcteurs ayant appartenu au Syndicat et ne figurant plus sur ses contrôles, par suite de démission ou de radiation, ne sont pas soumis à la formalité de l’examen. Néanmoins, le Comité peut toujours se prononcer sur leur cas et ne pas retenir leur demande, s’il le juge à propos. Au cas où la décision du Comité serait considérée par le postulant comme injuste ou arbitraire, il peut en appeler à la plus prochaine assemblée générale.

Art. 5. — Une commission composée de cinq membres titulaires et de deux membres suppléants, renouvelables tous les ans, est chargée de constater les connaissances techniques des candidats admis par le Comité à passer l’examen. Ce dernier la désigne et doit la choisir en dehors de ses membres. Un règlement intérieur détermine les conditions de l’examen technique.

Le « Règlement intérieur relatif à l’examen » dont parle l’article 5 des Statuts est ainsi rédigé :

Article premier. — L’examen technique se compose :
xxxx1° D’une épreuve typographique contenant des erreurs d’orthographe et de syntaxe ;
xxxx2° D’une épreuve typographique de connaissances générales ;
xxxx3° D’une épreuve de connaissances typographiques ;
xxxx4° D’une épreuve de vitesse et de connaissances des choses de l’actualité ;
xxxx5° D’une épreuve de tierce.

Art. 2. — Trois jeux différents d’épreuves de chaque matière sont déposés au siège social.

Art. 3. — Le jour et l’heure de l’examen sont fixés par le Comité syndical, qui désigne, en même temps, deux de ses membres pour assister le Secrétaire général. Celui-ci doit aviser les postulants du jour et de l’heure choisis par le Comité.

Art. 4. — Les membres du Comité désignés doivent se réunir une demi-heure avant l’heure fixée aux postulants pour procéder au tirage au sort du jeu d’épreuves qui leur sera fourni. Chaque jeu sera simplement numéroté.

Art. 5. — L’examen passé, un dossier des épreuves de chaque candidat est constitué et remis immédiatement entre les mains de la Commission constituée convoquée à cet effet. Les noms des postulants ne doivent pas figurer sur les épreuves, mais simplement leur numéro d’ordre.

Art. 6. — La Commission doit se réunir le jour de l’examen. Elle donne son avis en mettant au bas de chaque épreuve : admis ou refusé. Elle remet ensuite chaque dossier entre les mains du Secrétaire général qui donne connaissance des décisions prises par elle à la plus prochaine séance du Comité. Celui-ci statue définitivement[66] en tenant compte des observations de la Commission.

Art. 7. — Les postulants peuvent se servir d’un dictionnaire mis à leur disposition par le Syndicat[67].

Art. 8. — Les trois premières épreuves seules sont éliminatoires. Quant aux deux autres, elles servent d’indication pour le placement.

Il convient, tout d’abord, de féliciter vivement le Syndicat des Correcteurs de Paris et de la Région parisienne d’avoir compris la nécessité de faire subir un examen de capacité à tous les candidats qui sollicitent leur inscription sur ses registres. Si les textes des épreuves sont convenablement choisis, si leurs difficultés techniques et littéraires ne sont pas un vain mot, si l’examen a lieu dans des conditions normales, en dehors de tout esprit de parti ou de favoritisme, cette formalité est, pensons-nous, le moyen le plus sûr de se rendre compte des capacités des futurs syndiqués.

Par de nombreux points l’examen imposé par le Syndicat se rapproche du programme tracé par l’Imprimerie Nationale pour le recrutement de ses lecteurs d’épreuves[68]. Sur un point il lui est peut-être préférable : il comporte en effet une « épreuve de connaissances typographiques », celle-ci, nous l’avons dit antérieurement[69], ne pouvant, si elle est bien comprise, laisser aucun doute dans l’esprit des membres de la Commission d’examen sur le plus ou moins de valeur typographique des candidats.

Il est regrettable, toutefois, que l’examen comporte seulement « une épreuve typographique de connaissances générales ». D’abord, l’expression « connaissances générales » est plutôt vague. L’histoire, la géographie, l’arithmétique, l’algèbre, la chimie, la physique, la médecine, la cosmographie, comportent des connaissances générales au même titre que le droit, la mécanique, l’histoire naturelle, même la religion, etc., dont tous les correcteurs doivent posséder des notions suffisantes. C’est, il semble, beaucoup pour une épreuve si celle-ci embrasse toutes ces connaissances ; ce n’est pas assez, au contraire, si elle n’aborde qu’un ou deux de ces sujets.

Il est enfin une épreuve dont il faut vivement regretter l’omission dans l’examen d’admission au Syndicat des Correcteurs : « la correction d’un texte latin, la correction d’un texte grec et celle d’un texte en une ou plusieurs langues modernes ».

Alors que l’Imprimerie Nationale, par les conditions d’examen imposées, semble accorder une préférence à l’érudit sur le typographe, le Syndicat des Correcteurs a volontairement composé un programme qui, au point de vue de l’admission, met sur le même rang, au détriment de leurs capacités littéraires, le correcteur typographe et le typographe qui aspire à devenir correcteur[70].

Sans vouloir insister, il est permis de dire que le grec, le latin et une ou plusieurs langues modernes (à la demande du candidat) auraient pu figurer dans le programme comme épreuves facultatives. À l’instar de « l’épreuve de vitesse et de connaissances des choses de l’actualité » et de « l’épreuve de tierce », elles auraient servi « d’indication pour le placement ».

Cette manière d’agir aurait assurément contribué grandement à rehausser, s’il est possible, le prestige matériel du Syndicat des Correcteurs ; elle aurait été aussi une tentative intéressante — la première, sans doute, qui aurait été réalisée à notre époque — dans la voie du relèvement de la situation du correcteur. Il n’est pas douteux en effet que nombre de correcteurs dont l’entrée et le maintien dans la profession donnent lieu à maintes critiques auraient été amenés à élever le niveau de leurs connaissances techniques et littéraires si, ces épreuves existant, ils avaient eu le désir d’adhérer au Syndicat des Correcteurs.


V. — Société amicale des Protes et Correcteurs d’imprimerie de France.


conditions d’admission


Une société s’est formée en 1897, sous le nom de Société amicale des Protes et Correcteurs d’Imprimerie de France, que ses adhérents appellent par abréviation l’Amicale[71], désignation que nous utiliserons exclusivement pour alléger notre rédaction.

D’abord réservée aux directeurs et aux protes, puis aux correcteurs, cette Société a ultérieurement agrandi sa sphère d’influence.

Aux termes de l’article 4 de ses Statuts, ses « membres participants se recrutent parmi les typographes qui dirigent effectivement une imprimerie, un atelier de composition ou de machines »… L’article 15 du Règlement intérieur précise ce qu’il faut entendre par les mots « dirigent effectivement » : « Pour faire partie de l’Amicale, un prote ou chef de service devra avoir au moins cinq ouvriers ou ouvrières adultes sous ses ordres. » Ainsi, aux protes et aux correcteurs sont venus s’ajouter les metteurs en pages chefs d’équipe, les chefs de matériel, les chefs conducteurs et, sous le nom de chefs de service, certains sous-ordres de direction qui de la typographie ne connaissent rien… ou presque rien.

Mais cette question est ici d’importance secondaire et hors de notre sujet.

D’après l’article 4 déjà cité, les membres participants de la Société, de l’Amicale, suivant l’expression consacrée, « se recrutent parmi les correcteurs en titre ». — Les rédacteurs de cet article n’ont point, et sans doute il faut le regretter, pris soin de définir exactement ce qu’il faut entendre par « correcteur en titre ». Seul, l’article 7 apporte un vague éclaircissement à ce sujet : « Pour qu’une demande d’admission soit prise en considération, il faut que le candidat justifie avoir rempli, pendant deux ans au minimum — dont une année au moins dans la même Maison — les fonctions qui lui donnent le droit d’entrée dans la Société. »

Ainsi, les deux premières années d’exercice de sa profession révolues, un correcteur a le droit de demander son affiliation à l’Amicale. Mais ce correcteur peut-il se considérer comme étant un « correcteur en titre », suivant l’expression de l’article 4 ? Toute la question est là pour nous.

Très franchement, très catégoriquement, une réponse négative s’impose. À moins de posséder des capacités exceptionnelles et des qualités remarquables, un apprenti correcteur, après deux années d’exercice de la profession, ne saurait — si nous en jugeons d’après notre expérience personnelle — se dire « correcteur en titre ».

Aussi bien peut-être les auteurs des Statuts ont-ils compris combien précaires étaient, au point de vue d’un bon recrutement, les garanties de ces prescriptions ; et dans le but sans doute de parer à une erreur toujours possible et de ne permettre l’accès dans la Société qu’aux seuls sujets vraiment dignes d’y être admis, ont-ils songé à adjoindre à la condition principale quelques formalités supplémentaires, que prévoit l’article 7 : « Les demandes d’admission sont adressées au Président de la Société, sur une feuille spéciale que le candidat doit remplir entièrement et très lisiblement. »

Outre les renseignements d’état civil, toujours indispensables, cette feuille mentionne : la date d’entrée dans la profession ; la Maison dans laquelle le candidat est employé ; le genre de travaux dans lesquels l’imprimerie — et, dès lors, le correcteur — s’est, le cas échéant, spécialisée : travaux de ville, labeurs scientifiques ou littéraires, revues, journaux, etc. ; le travail confié au postulant : correction en premières, correction en secondes, revisions, tierces, correction d’un journal, etc. ; les différentes situations occupées antérieurement par le futur sociétaire ; les connaissances spéciales dont celui-ci peut se prévaloir : latin, grec, langues orientales, anglais, allemand, italien, espagnol, etc.

Reconnaissons-le, lorsque tous ces renseignements font, de la part du postulant, l’objet de déclarations sincères, aucune hésitation ne peut s’élever sur le droit de celui-ci à être admis dans la Société. Malheureusement, les réponses à un questionnaire — toujours jugé indiscret ou gênant — sont parfois ou incomplètes ou rédigées de manière ambiguë[72]. Le Conseil d’administration doit alors au milieu des arguties démêler la vérité :

Les renseignements fournis sont contrôlés par le Conseil d’Admi- nistration, qui statuera sur l’admission après un préavis obligatoire du Bureau de la région à laquelle appartient le candidat.

Art. 8. — Entre la publication, dans la Circulaire, de la demande d’adhésion et l’admission définitive, devra s’écouler un délai d’au moins deux mois, pour permettre aux membres de la Société connaissant le candidat de faire parvenir au Conseil d’Administration de l’Amicale les renseignements qu’ils jugeraient susceptibles de l’intéresser à propos de l’adhésion.

Il serait certes intéressant, arrivé à ce point de notre étude, de rechercher impartialement quel rôle l’Amicale tient, non point seulement dans le recrutement — nous voulons dire dans l’accès à la profession — des correcteurs, mais encore dans leur instruction technique et dans leur formation pratique. De quelle influence jouit la Société sous ce rapport auprès des maîtres imprimeurs ; quelle autorité possède-t-elle dans le monde typographique ; quels efforts a-t-elle, soutenue par l’aide précieuse et déjà imposante de ses sept cents membres, faits dans ce sens ? Plus simplement même, aux termes de ses Statuts, l’Amicale peut-elle et doit-elle se préoccuper de ces questions si importantes pour l’avenir de notre corporation ?

Sans outrepasser les limites fixées à une critique impartiale, nous pouvons estimer que sur le premier point — recrutement — l’Amicale a tenu jusqu’ici un rôle par trop effacé, et que certains inconvénients en sont résultés pour la sauvegarde des intérêts dont elle a assumé la charge.

Nous verrons, dans une autre partie de cette étude, quels efforts l’Amicale a tentés « pour le relèvement du prestige professionnel et l’amélioration de la situation de ses membres[73] » ; mais dès maintenant il semble nécessaire de dire que ces efforts ont été insuffisants, parce que trop intermittents.

Enfin, pour répondre à une autre de nos questions, nous dirons que l’Amicale non seulement peut, mais qu’elle doit se préoccuper de l’instruction littéraire et de la formation technique du correcteur. Pour obtenir « un relèvement du prestige professionnel », pour « améliorer la situation de ses membres[74] », il est indispensable d’abord de « relever » le niveau de leurs connaissances typographiques et de s’assurer de la réalité de leurs capacités littéraires ; ces premiers points acquis, il est non moins indispensable pour l’Amicale de guider ses adhérents dans l’exercice de leur profession, de dissiper leurs incertitudes, de les éclairer de conseils judicieux, enfin d’écarter de leur route ces causes d’accidents dont les conséquences sont maintes fois si pénibles.

Sans doute, pour satisfaire à ces desiderata, l’Amicale a créé un organe, la Circulaire des Protes, qu’elle aurait voulu être un technique de tout premier ordre. Mais il faut avouer que jusqu’ici cette tentative n’a pas atteint pleinement le but cherché : les dissertations, les développements, les rapports sur la vie sociale de l’Amicale que l’on y rencontre ont parfois mis ce périodique en état d’infériorité manifeste sur nombre de journaux professionnels. D’autre part, alors que l’on aurait pu espérer, en raison même de la nature de la Société, recruter un nombre fort élevé de collaborateurs émérites, trop souvent on retrouve dans les colonnes les mêmes noms de rédacteurs. De ce fait, les sujets et les idées manquent de cette diversité, de cette variété qui fait le principal intérêt de tout périodique. Sur ce point, la Société a incontestablement un long effort à accomplir avant de s’estimer avoir donné satisfaction à son programme. Enfin, la Circulaire des Protes, en quelque sorte réservée aux membres de l’Amicale, est peu connue en dehors de sa sphère d’action ; elle n’a ainsi aucune influence sur les « typographes », — et, conséquemment, sur les correcteurs — non adhérents à la Société, et c’est là au point de vue du recrutement de l’Amicale, comme au point de vue de la formation professionnelle du correcteur, une lacune regrettable.

Et, dès lors que la « formation professionnelle du correcteur » a lieu en dehors et indépendamment de l’Amicale, dès lors que cette dernière accepte celui-ci sur la foi de renseignements parfois sujets à caution, dès lors qu’elle ne peut affirmer qu’il est réellement typographe et érudit, comment les efforts tentés jusqu’ici par elle pour le relèvement du prestige professionnel et l’amélioration de la situation matérielle de cet adhérent ne se heurteraient-ils pas à des obstacles redoutables ? Pour consolider, pour fortifier un mur qui menace ruine, un architecte ne commence point son travail vers le milieu de la construction. Il s’assure d’abord que la base est solide, résistante, à l’abri de toute épreuve ; s’il en est autrement, le maçon répare, reconstruit au besoin, et sur de nouvelles fondations élève un monument durable. L’Amicale n’aurait-elle pas commis cette erreur de tenter une rénovation sur une base dont les assises n’offrent qu’une sécurité relative ?

Cette anomalie paraît, d’ailleurs, avoir frappé nombre d’esprits, et maintes idées se sont fait jour qui prétendent porter remède à une situation jugée pour le moins paradoxale.

Il y a quelques années, un projet fut élaboré qui classait les protes — et également les correcteurs — en catégories distinctes, suivant leur situation, leurs fonctions et aussi — disons-le bien vite — suivant… l’importance de leurs versements à la Caisse de l’Amicale[75]. Ce projet n’eut point les honneurs d’une discussion en Assemblée générale ; de telles critiques avaient en effet accueilli sa publication que l’auteur crut devoir le retirer.

Il semble pourtant que, sur un point particulier, son auteur M. Leconte ait fait preuve du louable désir de relever le niveau professionnel des correcteurs membres de l’Amicale, ou, plus simplement, de s’assurer si leurs capacités techniques leur donnaient le droit de prendre rang dans la Société. S’il n’est pas besoin assurément de classer les correcteurs en catégories ou en première, deuxième et troisième série, on peut estimer toutefois — M. Dumont et d’autres encore pensent tout au moins, croyons-nous, de cette façon[76] — qu’il serait convenable, avant leur admission dans la Société, de leur faire subir un examen de capacité. Les dires d’un candidat sont trop souvent intéressés, les affirmations d’un collègue sont non moins fréquemment dénuées de cette sincérité obligatoire dans maintes circonstances pour le bon renom de tous. L’examen, un examen sérieux, des connaissances techniques et littéraires du postulant serait préférable à toutes les affirmations, à toutes les enquêtes.

De l’avis de ses partisans, cet examen — dont le programme pourrait combiner convenablement le concours littéraire de l’Imprimerie Nationale avec l’examen technique du Syndicat des Correcteurs[77] — n’aurait rien qui puisse effrayer les correcteurs ayant le désir ou comprenant la nécessité d’adhérer à l’Amicale[78]. Ceux-là sauraient en effet que d’avoir subi convenablement les épreuves imposées peut leur donner le droit de se dire vraiment correcteurs et typographes et de prétendre à une situation plus avantageuse.

Le recrutement de l’Amicale parmi la corporation des correcteurs se trouverait, du fait de l’examen, singulièrement ralenti ; nombre de ceux-ci insuffisamment préparés ou ne remplissant pas les conditions exigées se trouveraient éliminés avant même d’avoir posé leur candidature. Mais il n’y aurait là rien qui doive inquiéter ; la situation serait analogue à celle signalée, un jour, à l’Assemblée générale du Syndicat des Correcteurs de Paris : dans cette organisation, de 1914 à mars 1919, « soixante demandes d’admission ont été formulées, trente-six candidatures seulement ont été agréées ». D’ailleurs, l’Amicale n’a pas à s’inquiéter « du souci de ne pas encombrer inutilement la corporation[79] », les candidats qui lui viennent appartenant déjà à la profession ; ce qui seul lui importe, c’est, après un contrôle sérieux, après des renseignements pris sur chaque candidature, de déclarer que les correcteurs qu’elle compte parmi ses membres sont qualifiés pour exercer leur profession.

À l’encontre des considérations qui viennent d’être impartialement résumées, il en est, même parmi les non-intéressés, qui s’effraient de ce qu’ils estiment « une innovation… regrettable ». Ceux-là vont répétant sans cesse, à tout propos et à tout venant : « N’oublions pas que nous sommes une Amicale, et que chez nous tout doit être traité entre amis, entre camarades. » Et, chose surprenante, ces mêmes amis, ces mêmes camarades, tout les premiers, dans les réunions, dans les congrès, se lamentent des résultats d’un mode de recrutement dont ils sont les plus fermes défenseurs. Aucun d’eux ne consentira jamais à modifier, en un sens ou dans l’autre, des « errements » dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils sont, eux aussi,… regrettables. Avec une pudibonderie qui pourrait paraître risible, ils s’effraient : « Un examen pour les correcteurs candidats à l’Amicale ! » Un peu plus ils se voileraient la face !

Cependant, si « le mot examen est gros, la chose l’est infiniment moins et n’a de quoi effrayer personne[80] » … Sans doute, on peut estimer qu’il est « peu élégant d’interroger de futurs confrères, de leur décerner un brevet de capacité. Mais disons, d’abord, qu’il y a la manière ; que des gens qui ont eu ce scrupule n’auront jamais l’allure de mauvais pions ; que l’examen sera un examen écrit, sans embûches, loyal, impartial ; qu’enfin, nous ne demanderons, en somme, aux candidats que ce que nous savons nous-mêmes.

« Nous avons le droit de prétendre que tous ceux qui entrent dans notre profession doivent savoir l’exercer. De cette façon nous ferons peut-être entrer dans la tête de bien des gens qu’on ne s’improvise pas correcteurs et que la correction est un métier. Enfin, nous offrirons aux patrons des garanties[81] » sérieuses en faveur des candidats aux emplois vacants, en même temps que nous sauvegarderons les intérêts de notre corporation.

Quelle impossibilité morale et matérielle y aurait-il, d’ailleurs, à instituer l’examen au nombre des conditions auxquelles un candidat devrait satisfaire avant son admission à la Société ?

Le Syndicat des Correcteurs de la région parisienne n’en fait-il pas la condition essentielle à laquelle doivent se soumettre les postulants qui réclament leur inscription sur ses registres ? L’Imprimerie Nationale n’impose-t-elle pas un examen à ses lecteurs d’épreuves et à ses correcteurs ? Dans maintes imprimeries, dans nombre d’industries, dans certaines professions, dans les ateliers des grandes Compagnies, avant d’être admis, les « solliciteurs » ne sont-ils pas astreints à un stage plus ou moins prolongé — sorte d’examen — au terme duquel seulement, s’ils ont donné satisfaction, ils sont considérés comme appartenant définitivement au personnel ?

Un patron avisé n’oublie jamais de préciser la nature de l’emploi offert. S’il écoute les assertions des postulants, il n’est pas cependant obligé de les croire à la lettre : un employé se juge à l’œuvre… aussi bien dans l’industrie que partout ailleurs. Si le patron ne fait point, au moment de leur entrée dans sa Maison, subir un examen à ses salariés, tout au moins réserve-t-il son jugement jusqu’au jour où il pourra déclarer « qu’il les a vus au travail ». L’examen est plus long, plus complet et, partant, plus difficile.

D’après ceux qui en réclament avec énergie l’adoption, l’examen serait, pour les correcteurs, la base aux puissantes assises sur laquelle l’Amicale tenterait d’asseoir l’œuvre du relèvement moral et matériel de la corporation. Le recrutement des candidats à la profession s’en trouverait certes grandement modifié, et l’on ne verrait plus — il faut l’espérer — ces exemples déplorables de « déclassés exerçant la profession de correcteur parce qu’ils n’en trouvent pas d’autre ou pas de meilleure ».


VI. — À l’Étranger.


En Angleterre — pays où les syndicats ont une importance économique et ouvrière ainsi qu’une autorité tout autres que celles dont ces organisations jouissent en France — la situation est fort différente. L’Anglais n’estime point qu’un examen soit nécessaire au correcteur pour appartenir à une association syndicale ; toutefois, il pense, avec juste raison, croyons-nous, qu’il ne peut être donné à n’importe quel compositeur typographe d’accéder à la profession et aux fonctions de correcteur. Lors de son admission au syndicat, l’intéressé reçoit, à titre de pièce d’identité, une carte corporative. Si, dans l’exercice de ses fonctions, le correcteur syndiqué est, de la part de son patron, l’objet, le sujet plutôt, d’une plainte, le syndicat retire la carte et dès lors exclut de son sein le coupable. Ainsi le patron « juge à l’œuvre » ; l’association confirme l’arrêt, mais ne se soucie point de délivrer elle-même un brevet de capacité.



§ 3. — APPRENTISSAGE


Il serait, sans doute, malaisé d’indiquer exactement ce que pouvait être, sous l’ancien Régime, l’apprentissage d’un correcteur, et même d’affirmer de prime abord que le correcteur était tenu à un apprentissage. Ces deux points valent, dès lors, qu’on s’arrête quelques instants à leur examen, et que de leur étude on dégage une ligne de conduite utile pour l’apprentissage du correcteur à notre époque.

Il est certain que, dès les premiers temps de l’imprimerie, le correcteur « ne sortait pas du rang », suivant l’expression chère à nombre de gens qui dissertent du correcteur avec plus de bonne volonté que de capacité : La Pierre, Guillaume Fichet, Erhard, Louis de Rochechouart évêque de Saintes, Juste Lipse, Estienne le médecin, Arias Montanus, Raphelengien, Érasme, Mélanchton, Rabelais, Michel Servet et Balthazard de Thuerd étaient exclusivement des érudits lorsqu’il leur fut donné de se préoccuper de typographie. On nous concédera volontiers, pensons-nous, que certains d’entre eux durent acquérir au moins les connaissances théoriques[82] du métier : le fait est incontestable pour La Pierre et pour Erhard qui assumèrent successivement la direction littéraire de l’atelier de la Sorbonne ; pour Claude Clérard, maître ès arts, qui fut correcteur chez Pierre Le Dru, également maître ès arts et imprimeur rue Saint-Jacques près des Mathurins de 1488 à 1500 ; pour Estienne le médecin, qui un moment dirigea la Maison de son frère, avant de « tenir lui-même boutique » d’imprimerie ; pour Juste Lipse, qui honora de son amitié l’imprimeur Plantin et fut son plus illustre collaborateur ; pour Raphelengien, aux mérites duquel Plantin rendit un si légitime hommage ; pour Balthazard de Thuerd, ce prieur qui, après avoir installé au monastère d’Ainay une imprimerie, en accepta volontairement la direction. Les contemporains de ces savants ne songèrent point à leur reprocher de remplir des fonctions ingrates, au-dessous de leur condition sociale : la typographie était alors un art dont s’honoraient ceux qui le pratiquaient. Le déclassé certes existait, comme il se rencontra de tout temps, mais nul n’aurait à l’époque dont nous nous occupons pensé que l’évêque de Saintes manquait à sa dignité en revisant des épreuves typographiques, et que Josse Rade dérogeait en troquant la chaire du professeur pour la plume du correcteur. Dans leurs doléances, dans leurs remontrances les compagnons ne se plaignirent jamais de l’insuffisance technique de ces littérateurs, de ces docteurs utriusque juris qui parfois partagèrent leur vie d’atelier ; tout au contraire, ils estimaient, en 1572, que « jadis il n’y avoit presque sinon que gens doctes ès langues ès sciences, et entre iceux on y remarquoit plusieurs gcntilzhommes, qui s’appliquoyent à cest estat », d’imprimerie[83].

Mais, si pour ces premiers correcteurs, auxquels il nous serait aisé d’adjoindre une longue liste d’autres lettrés, l’étude au moins théorique de la technique typographique est vraisemblable, il en est nombre d’autres pour lesquels elle est certaine : il est évident que les conseillers d’État, les bourgeois de Paris, les notaires, les greffiers, les prieurs, les chanoines dont les contrats d’apprentissage nous ont été conservés aux Archives nationales[84], ne devaient pas — leur engagement terminé — devenir et rester simples compagnons : ils avaient en vue l’acquisition d’un brevet de maîtrise, la direction d’un atelier ou… toute autre situation : tel fut, sans doute, le cas de Guy ou Guyot Marchant, prêtre et maître ès arts, qui fut imprimeur à Paris, et dont le libraire Jean Petit fut le commanditaire, et Guy Jouveneau le correcteur[85] ; telle fut certes la pensée de ce Jacques David, prêtre, correcteur d’imprimerie, dont M. Ph. Renouard, à la date du 19-20 juin 1564, signale le testament, en l’hôtel de Vendôme, sa demeure ; tel fut le désir de Nicolas Edoard[86], un Champenois que la guerre et la misère des temps avaient obligé à interrompre ses études et à quitter la Champagne vers 1550 : il avait trouvé asile à Lyon chez Payen Thibaud, un compatriote libraire-imprimeur, dans la maison duquel il fit son apprentissage d’imprimeur et où il fut ensuite pendant quelque temps, ainsi que Charles Fontaine, « prélecteur d’imprimerie » ; tel fut encore le but d’André Saulnier, ce clerc qui « s’afferme, en 1548, au faict et art de la composition et correction de l’imprimerie et s’engage », envers l’imprimeur Macé Bonhomme, « à faire le mieulx qu’il pourra[87] » ; telle fut enfin la situation d’Olivier van den Eynde ou a Fine, qui, le 1er juin 1580, « s’engageait à servir d’aide aux correcteurs » de l’imprimerie plantinienne d’Anvers, et auquel Plantin permettait d’apprendre, pendant ses loisirs, à composer dans l’imprimerie[88].

Nul exemple certes ne pourrait être plus caractéristique de l’érudit devenu correcteur typographe que celui d’Olivier van den Eynde, non plus que des résultats auxquels peut atteindre ce lettré : revenu à Anvers après un premier stage de cinq années, van den Eynde restait chez Plantin du 12 juin 1588 au 15 mai 1590 ; il s’y créait alors une situation qui sous tous les rapports paraît égale, sinon supérieure, à celle acquise par Cornelis Kiliaan, un correcteur sorti du rang, mésestimé à son époque, mais auquel notre temps a rendu justice[89].

Les compagnons eux-mêmes nous ont dit le savoir que possédaient les premiers maîtres ou bourgeois qui œuvrèrent art d’imprimerie. Nous verrons plus tard les sanctions que le Pouvoir prit à l’égard des maîtres qui n’exigeaient point de leurs apprentis le minimum d’instruction reconnu indispensable pour entrer dans la typographie. Nous pouvons dès lors supposer, sans crainte d’erreur ni d’exagération, ce que devait être l’éducation du prote-correcteur.

Le prote, auquel incombait ordinairement, sous l’ancien Régime, la charge redoutable de la lecture des épreuves[90], était, en même temps que l’homme de confiance du patron, « le premier des ouvriers », ainsi que son nom l’indique. Ce chef « sorti du rang » était dès lors tenu de posséder une double instruction[91] : technique, car il devait connaître suffisamment « l’ensemble du métier pour être capable de guider l’ouvrage des compositeurs et des imprimeurs » ; littéraire, puisqu’il lui était indispensable pour la correction de savoir « l’orthographe, le latin, le grec, les termes scientifiques ». Il possédait l’une avant son entrée dans la profession, tout comme le déclassé de nos jours ; il avait acquis l’autre par un long apprentissage de quatre ou cinq années, apprentissage sans lequel il ne lui eût pas été possible de devenir compagnon et d’accéder à la situation qu’il occupait.

Ainsi, au temps où l’imprimerie était soumise au contrôle rigoureux de la Chambre syndicale et des maîtres jurés, le recrutement des correcteurs avait lieu dans des conditions analogues à celles que nous rencontrons aujourd’hui : l’érudit — appelé de nos jours le déclassé — acceptait parfois une fonction à laquelle ne l’avait nullement préparé une situation antérieure, fonction qu’il remplissait cependant avec une sûreté remarquable après quelque temps d’étude et d’efforts ; d’autres fois, un lettré préludait par un apprentissage de plusieurs années à l’accomplissement d’une tâche dont pour l’avenir il voulait faire son gagne-pain ; enfin, un compagnon, que ses capacités professionnelles distinguaient entre tous, assumait, en même temps que la direction technique, la maîtrise littéraire de l’atelier.

Notre époque n’a rien innové, on le voit ; et les affirmations de certains en ce qui concerne les connaissances exigées de tous les correcteurs au temps des corporations et des jurandes pourraient paraître tendancieuses. Mais il nous plaît de supposer que, dans la pensée de leurs auteurs, ces allégations furent plutôt un stimulant qui devait inciter l’intéressé à acquérir, le patron à exiger une instruction plus étendue, des capacités professionnelles plus sûres. Envisageons d’abord, en ce qui concerne ce dernier point, le but à atteindre.


I. — Nécessité de l’apprentissage technique[92].


un programme


Lorsqu’un patron engage, en la destinant au service de la correction, une personne dont le savoir lui inspire confiance, mais étrangère à l’imprimerie, son premier devoir est d’exposer à cette personne la nature des fonctions qui vont lui être confiées, de la convaincre de la nécessité de posséder les connaissances techniques nécessaires, et de l’initier au métier.

De bonnes études secondaires assidûment entretenues permettent sans doute au déclassé de rendre, au début, dans l’exercice de sa profession, quelques services ; nombre de traités typographiques excellents existent que celui-ci ne doit pas ignorer et qui peuvent alors lui faciliter sa tâche. Mais, si l’étude des traités est très utile, presque toujours elle est insuffisante ; quiconque a du goût pour la typographie doit tenir à réaliser la définition du véritable correcteur et à donner en tous points pleine et entière satisfaction : par la pratique du composteur seulement un apprenti correcteur peut espérer arriver un jour à ce résultat.

Si l’on veut que le correcteur connaisse bien les règles typographiques, si l’on veut qu’il apprécie les difficultés du métier, si l’on veut, par conséquent, qu’il fasse une correction des plus judicieuses et des plus sérieuses, il est indispensable qu’il travaille quelque temps à la casse.

L’imprimeur qui a l’intention « d’initier à la correction » un non-professionnel doit donc imposer à ce déclassé un apprentissage comme compositeur[93].

Mais que faut-il apprendre à ce correcteur apprenti ? Est-il nécessaire de lui inculquer toutes les connaissances données à l’apprenti compositeur ? — L’affirmative n’est pas douteuse ; un apprentissage au cours duquel le futur correcteur ne parcourrait point le cycle complet des opérations qui constituent l’instruction technique d’un professionnel ne serait qu’un semblant d’apprentissage.

Non point qu’il soit utile que l’apprenti correcteur, dès son entrée à l’atelier, range des interlignes, compose du pâté, prépare des porte-pages et même, par une réminiscence des anciennes obligations de l’apprenti,… « balaye l’atelier ». Ces « menus travaux », nécessaires pour la propreté et le bon ordre du matériel, ne sont pas indispensables à l’éducation professionnelle du correcteur. On peut supposer, sans crainte d’erreur, que celui-ci ne sera jamais appelé à présider au rangement du matériel de l’imprimerie. L’ordre et la méthode — qualités qui souvent sont innées, mais que l’on peut aussi acquérir, et que le correcteur doit posséder à un rare degré pour la correction de ses épreuves — ne sauraient souffrir de ce modeste manquement à des usages typographiques aujourd’hui désuets.

La casse doit être l’objet de la première étude : ses divisions rationnelles : 1° haut de casse, renfermant les capitales ou majuscules, les lettres accentuées et des signes divers ; 2° bas de casse, contenant les lettres bas de casse ou minuscules, les blancs, les signes de ponctuation, les chiffres ; — la répartition raisonnée des lettres suivant la fréquence de leur emploi ; la place qui leur est assignée ; la comparaison des cassetins d’après les sortes qu’ils doivent contenir.

Puis vient l’examen du caractère : définition de ce terme générique, ainsi que des mots sortes et lettre ; forme de la lettre : parallélipipède dont les faces s’appellent : l’œil dégagé par les plans inclinés ou talus, le pied opposé à l’œil, le dessous avec le cran, le dessus, et les deux côtés ou frotteries ; les dimensions de la lettre : la hauteur dite hauteur en papier, le corps qui est l’épaisseur entre le dessus et le dessous, l’approche qui est de chaque côté la distance entre l’œil et la frotterie ; enfin, le point qui donne son nom à la lettre, au caractère, et est fonction de l’épaisseur. — Le point étant la base de tout le système typographique, il est nécessaire de revenir à maintes reprises sur ce sujet et de s’assurer par des exemples nombreux que l’apprenti s’est parfaitement assimilé les explications données.

Sous le nom de blanc on désigne les espaces (fines, moyennes, fortes), les cadrats, les cadratins (demi-cadratins et cadratins), les interlignes, les lingots, les garnitures, en un mot toute fraction du matériel en plomb ou en toute autre matière qui, lors de l’impression, ne marque point sur le papier, parce qu’elle est plus basse que le caractère.

Ces premières notions acquises, et surtout bien comprises, l’apprenti, à l’aide d’un modèle, apprendra la casse, c’est-à-dire étudiera l’emplacement des lettres, des chiffres, des signes divers, des blancs. La méthode la plus expéditive et la meilleure pour se fixer dans la mémoire la disposition des sortes est de suivre, l’ordre alphabétique.

Le composteur, dont la description est aisée, paraît alors.

Déjà le mot copie a été expliqué, ainsi que l’expression manuscrit, dans ses différentes acceptions.

Les premières règles typographiques[94] ont suivi : renfoncement de l’alinéa, espacement régulier et division des mots, espacement de la ponctuation, interlignage, etc.

Après avoir appris la manière de justifier le composteur, de lever et de placer la lettre, l’apprenti compose le premier mot, la première ligne, la première phrase, et aussi le premier alinéa.

Au fur et à mesure que l’élève compose, les explications, toujours simples, se font plus nombreuses, mais en s’assurant qu’elles sont bien comprises, que les précédentes ne sont point oubliées, enfin qu’elles sont correctement appliquées. Même sur une copie réimpression il est toujours matière à étude et à observations nombreuses. Déjà, au reste, l’apprenti correcteur aura entre les mains, avec recommandation expresse de le lire et de le relire attentivement, le petit manuel de marche typographique spécial à la Maison ; car il est entendu que toute Maison qui se respecte doit, maintenant, au grand détriment du Code typographique, posséder son manuel « particulier ».

Sa première composition terminée, le correcteur, qui n’aura point omis de relire son travail sur le plomb au fur et à mesure de son avancement, devra — satisfaction inappréciable ! — en assumer lui-même la correction. À l’aide d’un protocole, il apprend alors la forme des signes, leur valeur, les motifs et les raisons de leur emploi, leur emplacement dans la composition et dans la marge. Dès cette première expérience que le correcteur fera de son futur métier, il importe d’insister de manière particulière sur l’ordre et la clarté qui doivent présider à toute correction ; il importe également, après quelques essais, d’obliger l’apprenti à exécuter les signes de correction de façon correcte, et de ne pas tolérer dès le début ces déformations involontaires qui, avec le temps, rendront obscurs, parfois méconnaissables, ou même incompréhensibles les signes les plus courants.

L’épreuve corrigée est soigneusement revue par un correcteur qui indique, avec explications à l’appui, les omissions, les erreurs d’application et les fautes de correction.

L’apprenti doit effectuer lui-même sur le plomb les corrections relevées ; puis, par une revision soignée, vérifiée comme la première épreuve, il s’assure qu’il a parfaitement compris la valeur et l’emploi des signes et qu’il a rectifié correctement les coquilles, les bourdons, les doublons, etc., de son premier travail.

Cet exercice sera continué autant que le jugera utile le chef — intelligent — auquel l’apprenti aura été confié : la copie manuscrite, aux difficultés progressives, remplacera bientôt la réimpression « chou pour chou » ; et le « bon », la composition quelconque. Les progrès de l’élève dépendront évidemment des conseils qui lui seront donnés et de la surveillance dont il sera l’objet. Car on ne peut supposer qu’un patron qui a décidé de consacrer à l’apprentissage de son futur correcteur un temps précieux, qu’un prote qui a assumé la charge de cet apprentissage, s’en désintéresse finalement au point d’abandonner l’élève à ses seuls, et combien pauvres ! moyens, ou de le confier à un subalterne dont le moindre souci sera de « perdre son temps » à instruire un déclassé qu’il jalouse déjà. Le fait paraîtrait invraisemblable : il en est cependant des exemples, sur lesquels une pénible expérience personnelle nous permettrait, si nous l’osions, de rapporter des détails et des faits particulièrement navrants, et dont nous avons supporté les conséquences regrettables.

Lorsqu’il saura composer correctement, lorsqu’il connaîtra les principales règles typographiques, le correcteur pourra être confié aux soins d’un chef d’équipe, d’un metteur en pages qui l’initieront à des travaux plus importants : la réception du manuscrit, le cas échéant la revision sommaire de la copie, sa distribution, la préparation des épreuves pour le correcteur, la surveillance de la correction sur le plomb, la mise en placards et les envois de premières épreuves à l’auteur. Plus tard, viendront la réception des épreuves d’auteur, leur correction, puis la mise en pages et tout le cycle d’opérations accessoires qui précèdent ou accompagnent cette importante partie de la technique typographique.

Il est bon, au reste, de ne point laisser le correcteur sous les ordres du même metteur, toute la durée de son apprentissage. Il ne faut pas l’oublier, cet apprenti d’un genre tout spécial — dont l’intelligence est particulièrement ouverte et auquel son âge et ses études antérieures permettent de s’assimiler rapidement la science nouvelle qu’il étudie — doit acquérir en un temps déterminé le plus de connaissances qu’il est possible de posséder. L’on ne saurait, dès lors, négliger de l’initier, aussi complètement que le permettent les circonstances, à la composition des tableaux et des travaux de ville, à toutes les difficultés et à tous les ennuis de la correction sur le plomb. Il n’est point déplacé d’exprimer le souhait de lui voir confier, à plusieurs reprises, si l’organisation du travail de la Maison le permet, de modestes mises en pages, sous la surveillance du chef d’équipe.

Enfin, un poste auquel il est indispensable d’affecter le correcteur, au moins pendant quelques semaines, est celui de l’imposition[95]. On peut objecter qu’un correcteur de premières ou de secondes aura rarement l’occasion d’utiliser les connaissances acquises dans ces fonctions. Sans doute ; mais il est aisé de répondre que l’avenir réserve maintes surprises aux plus avisés, et que le correcteur de premières ou de secondes sera peut-être un jour appelé, même contre son gré, au poste de tierceur. Il ne regrettera point alors un apprentissage qui sans doute fut pénible, mais dont il tire aujourd’hui quelque avantage.

Allant même plus loin, nous pensons qu’il ne serait point déplacé de voir notre apprenti corriger de temps à autre quelques tierces… sous presse. Nombre de tierceurs se rendent imparfaitement compte des ennuis, des difficultés, surtout des pertes de temps que la correction sous presse occasionne ; et « ils en prennent à leur aise » avec les tierces. Une expérience personnelle les inciterait peut-être à modérer leurs exigences, à se préoccuper un peu moins de détails oiseux et à arrêter leur attention sur des questions plus importantes[96].


II. — Durée de l’apprentissage technique.


L’apprentissage doit être — on l’a dit — aussi complet que possible dans le moindre temps. « Le moindre temps » : bornons-nous à cette expression, dans l’impossibilité où nous sommes de préciser ce dernier point ; la durée de l’apprentissage varie suivant les circonstances : intelligence du sujet, travaux plus ou moins complexes de la Maison, conventions particulières avec le patron, situation personnelle de l’apprenti, etc. Certains estiment que le stage à la casse ne doit pas être inférieur à deux années environ ; d’autres pensent que ce délai peut, suivant les capacités dont fait preuve l’apprenti, être réduit à une année, ou, au plus, à six mois ; enfin, une dernière opinion, sans doute préférable, juge qu’il vaut mieux prolonger le stage au delà de cette durée, le nouveau venu consacrant une partie de son temps à la correction, et l’autre partie à la composition pendant les moments de calme[97].

Durant cette période, l’imprimeur accorderait un salaire de circonstance qui permettrait au débutant de vivre et de travailler avec toute l’ardeur, toute l’attention désirables, en vue d’atteindre par la suite les prix rémunérateurs auxquels, en raison de ses connaissances et de son expérience, il pourrait prétendre.

Cet exemple servirait de leçon au typographe aspirant correcteur et lui donnerait une juste idée de la correction. Le fait de voir à la casse quelqu’un qui, depuis son enfance, n’a cessé de se consacrer à l’étude lui ferait comprendre sans doute l’inanité de ses prétentions s’il n’étudie pas lui-même.

Illustrons les lignes qui précèdent d’un exemple emprunté au premier siècle de l’imprimerie et rencontré dans la Bibliographie lyonnaise de M. Baudrier[98] :

« Le 8 juin 1548, André Saulnier, clerc, demeurant à Lyon, s’afferme lui et ses œuvres à honorable homme Macé Bonhomme, maître imprimeur à Lyon, au faict et art de la composition et correction de l’imprimerie et s’engage à la meilleure diligence et à faire le mieulx qu’il pourra. Bonhomme pourvoira à ses despenses de bouche comme il est de coutume et, en oultre, pour ses gaiges et sallaires lui promet bailler et payer en fin dudict an la somme de 18 livres tournois. Claude La Ville, libraire, témoin. »

Bien que rien dans les pages de M. Baudrier ne le fasse supposer, ce contrat nous paraît être un contrat d’apprentissage. Remarquons, tout d’abord, que l’intéressé André Saulnier est qualifié du nom de « clerc » ; dans un contrat de travail comme compagnon il eût été désigné du titre de « correcteur d’imprimerie, prélecteur, ou encore collationneur » ; « clerc » est ici synonyme d’étudiant, de bachelier, ou de tout autre mot indiquant que le titulaire est un lettré. Saulnier « s’afferme au faict et art de la composition et correction » : à moins d’avoir été antérieurement prote-correcteur, il n’était point d’usage qu’un érudit s’affermât « au faict et art de la composition » ; au contraire, ce fait s’explique fort bien dans le cas d’un apprentissage de correcteur, opinion que corrobore suffisamment la mention « s’engage à faire le mieulx qu’il pourra », dont on ne pourrait trouver l’explication s’il s’agissait d’un compagnon. Enfin la modicité des « gages et sallaires » annuels, qui ne s’élèvent, outre les dépenses de bouche, qu’à 18 livres tournois — somme minime si on la compare aux émoluments accordés à cette même époque à d’autres correcteurs dont nous citerons plus loin les contrats de travail[99] — complète amplement la démonstration de notre sentiment.

Les Anciens avaient de la nécessité de l’apprentissage de la composition par l’érudit futur correcteur, de sa durée, de l’indulgence que l’on doit accorder à l’apprenti et de l’obligation de rémunérer ce dernier, une conception qui n’est point pour nous déplaire. Ils faisaient certes preuve d’un réel bon sens et d’une conception exacte des besoins de leur profession en exigeant de cet employé, qui fut pour eux un collaborateur émérite, des capacités littéraires étendues et en lui fournissant les moyens d’acquérir les connaissances techniques nécessaires.

On semble trop oublier à notre époque les exemples que nous donnèrent les premiers imprimeurs et les premiers correcteurs, les La Pierre, les Fichet, les Erhard, puis les Estienne, les Kiliaan, les Fröben ; — on n’a garde de se souvenir des recommandations des Fournier, des Th. Lefevre, des Daupeley-Gouverneur, que nous avons un peu longuement rappelées et exposées dans ce chapitre ; — même on méconnaît ou on néglige les enseignements du passé et du présent ; — on ne songe point aux besoins de l’avenir.

Cependant de tout ce que nous savons une conclusion se dégage, inévitable : « Le véritable correcteur doit être à la fois érudit et typographe. » — « Bacheliers ou licenciés besogneux, dont la compétence dans les questions professionnelles est nulle », doivent, par un stage de plusieurs mois à la casse, s’assimiler pratiquement la typographie. — Typographes désireux de devenir réellement des correcteurs émérites doivent s’astreindre à l’étude du latin, du grec, de l’allemand ou de l’anglais, et ajouter à ce bagage « quelque science d’usage habituel ».

Qu’on ne vienne point soutenir que ces choses sont impossibles : déjà le xxe siècle, comme son devancier le xixe, possède nombre de typographes dont les connaissances littéraires et linguistiques ne le cèdent en rien à celles des correcteurs érudits les plus réputés.




  1. H. Fournier, Traité de la Typographie.
  2. Libris quidem mullis onustus, sed viatico pene omni destitutus… — Voir page 527.
  3. Bibliographie lyonnaise, 4e série, p. 103. — Nicolas Edoard quitta Lyon en 1561 pour aller habiter Paris via Jacobæ, ab insigne Salamandræ, où, dès 1562, il imprime un ouvrage de Taboët, cité à la fin de ses éditions lyonnaises.
  4. Le premier acte du Pouvoir royal à cet égard daterait du 13 juin 1521.
  5. L’édit de Villers-Cotterets, du 31 août 1539, contient dans son article 16 la première mesure prise à ce sujet.
  6. « Arbitraire » : expression d’usage courant dans les règlements anciens ; elle laissait au juge la faculté de fixer le taux de l’amende suivant la situation de l’accusé, la gravité de la faute, et le plus ou moins de faveur dont pouvait se prévaloir la personnalité en cause.
  7. Voir page 105 et, note 2, page 542.
  8. Le premier contrat notarié dont fassent mention les auteurs que nous avons consultés date de 1504. Il en existe, sans doute, d’autres antérieurs à cette époque ; mais il ne nous a pas été donné de les rencontrer.
  9. Ce mutisme s’explique suffisamment en raison des usages qui s’étaient établis dans la corporation et du degré d’instruction que possédaient ordinairement les compagnons, instruction indispensable pour lire et composer couramment le latin, parfois le grec, et même l’hébreu.
  10. Déclaration de François Ier du 21 décembre 1541, art. 19 : « Pour les libraires et imprimeurs de Lyon, tous apprentifs suivant l’art d’imprimerie feront leur apprentissage par temps suffisans soubz maistres imprimeurs après lequel temps prendront attestation du maistre soubz lequel ils auront faict leur apprentissage. »

    Édit de Gaillon du 9 mai 1571, art. 19 : « Tous apprentifs d’imprimerie, suivant ledict article, feront leur apprentissage par temps suffisans soubz maistres imprimeurs après lequel temps prendront attestation du maistre soubz lequel ils auront faict apprentissage et de deux aultres bourgeois chefs de famille : ladicte attestation contenant que lesdicts apprentifs ont faict leur apprentissage soubz ledict maistre et qu’ils seront suffisans pour exercer ledict estat, et moyennant ladicte attestation l’apprentif de là en avant sera receu à besongner tant ès impressions de Paris que de Lyon et par tout ailleurs, encores qu’il eust faict son apprentissage en aultre part, aux conditions que les aultres compagnons dudict estat. »

  11. Voir ci-dessus, page 105, note 1 (art. 19 de l’édit de Gaillon).
  12. Art. 20 (édit de Gaillon, 9 mai 1571).
  13. L’article 40, cité plus loin (p. 107), spécifiait les capacités exigées de l’apprenti, les conditions d’âge, la durée d’apprentissage, un stage de compagnonnage, etc.
  14. Histoire corporative des artisans du Livre à Troyes, 1900.
  15. Histoire économique de l’Imprimerie : t. I, l’Imprimerie sous l’ancien régime, p. 271.
  16. Des plaintes nombreuses s’élevèrent d’ailleurs à toutes les époques contre l’incapacité de certains maîtres, contre leur défaut d’instruction. En mai 1618, dans les Remontrances adressées au roi, les marchands libraires et imprimeurs ne craignaient pas de dénoncer eux-mêmes ces multiples abus : « Aulcuns desquels libraires et imprimeurs sont tellement ignorants qu’ils ne savent pas seulement lire, n’ayant la connaissance requise de l’impression ni de la vente. » — Il faut consulter, sur ce sujet, les ouvrages de M. Louis Radiguer et de M. Paul Mellottée pour apprécier suffisamment les doléances que cette situation suscita de tout temps.
  17. Voir, à ce sujet, Documents sur les imprimeurs, libraires, etc., de 1450 à 1600.
  18. Voir pages 84 et 502.
  19. Voir page 171.
  20. Voir pages 85 et 504.
  21. Nous l’appelons plus volontiers Kiliaan. — Voir pagus 81 et 502.
  22. Max Rooses, Christophe Plantin, imprimeur anversois.
  23. Voir encore page 458.
  24. Jean Barbou dit Normand, né vers 1489 à Saussay près Coutances, imprimeur à Lyon vers 1529, mort en 1542. — Guillaume Guéroult était, on le voit, chez un compatriote.
  25. Hugues Barbou, fils de Jean, né à Lyon le 24 janvier 1538 ; établi d’abord à Lyon où il exerça au moins jusqu’en l’année 1566, Hugues Barbou transporta ses presses à Limoges où il décéda le 30 novembre 1603.
  26. D’après Baudrier, Bibliographie lyonnaise, 5e série, p. 2 et 6.
  27. Max Rooses, Christophe Plantin, imprimeur anversois, p. 204.
  28. Il ne faut pas attribuer ici au mot prote le sens que lui donnent de nos jours nos grands ateliers modernes, dans lesquels un travail tout autre que celui de la correction sollicite l’attention et constitue la besogne normale du prote. À l’époque de Brullé la correction était encore l’une des attributions les plus absorbantes et les plus importantes du prote : c’est donc exclusivement sous cet aspect de correcteur que nous envisageons dans ces lignes celui qui se dit aujourd’hui l’alter ego du patron, et qui n’était autrefois que « le premier des ouvriers ». — Voici, d’ailleurs, les termes mêmes de Brullé : « Le prote doit lire sur la copie toutes les premières épreuves, les faire corriger par les compositeurs, et envoyer les secondes à l’auteur ou au correcteur ; ensuite il doit avoir soin de faire redemander ces secondes épreuves, les revoir, les faire corriger et en donner les formes aux imprimeurs. » (Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, au mot Prote, t. XXVII, p. 667.) — On remarquera que la lecture en secondes est réservée, d’après Brullé, à un correcteur qui ne parait pas être attaché à l’imprimerie.

    Momoro, sur ce dernier point, ne partage pas l’opinion de Brullé : « Le correcteur… est une personne… particulièrement chargée de corriger les épreuves en premières, quelquefois en secondes. Cette fonction regarde le prote ; mais dans les imprimeries où il y a un correcteur particulier, c’est au prote à lire les secondes épreuves. »

  29. D’après H. Fournier.
  30. Page 130.
  31. Frey avait ainsi du correcteur un sentiment analogue à celui de Momoro qui écrivait : « Le correcteur d’une imprimerie est une personne de talent particulièrement chargée de corriger les épreuves en premières, quelquefois en secondes… »
  32. Page 484.
  33. Le Compositeur et le Correcteur typographes, p. 214.
  34. Notions de Typographie, p. 260.
  35. Voir l’Imprimeur chef d’industrie et commerçant : chapitre le Correcteur.
  36. Audouin de Géronval.
  37. Ch. Ifan, le Prote, p. 22.
  38. Le cas est plutôt rare d’un patron payant ses employés au delà de leur valeur.
  39. Que signifie exactement ce mot ? À quoi fait ainsi allusion Ch. Ifan ? — Il serait curieux, et cortes inédit, de voir les protes soutenir pour leur compte personnel les théories extrémistes qu’ils blâment si vivement lorsqu’elles prennent naissance et se développent chez leurs subordonnés.
  40. Ch. Ifan nous paraît, pour faire aboutir sa thèse, vouloir ignorer systématiquement les services rendus à la typographie par les lettres et les sciences. Que serait l’imprimerie si ces fées bienfaisantes, après l’avoir nourrie et guidée dès son berceau, ne l’avaient encouragée dans sa marche parfois chancelante ? Et que seraient devenues ces fées si l’imprimerie n’avait existé ? D’elles-mêmes les professions ne se sont-elles point obligatoirement « mêlées » ?
  41. Ch. Ifan, le Prote, p. 24.
  42. D’après une comparaison de Ch. Ifan (le Prote, p. 38). — Nous conseillons à nos collègues la lecture du chapitre De la Correction (le Prote, p. 27).
  43. Boutmy, Dictionnaire de l’argot des typographes, p. 44.
  44. À ce « demi-vieux », littérateur technique en ses ultimes journées de labeur, dont l’amitié trentenaire nous fut précieuse et profitable, nous voulons adresser ici un merci sincère et un souvenir ému.
  45. Berthold Rembolt, originaire de Strasbourg, fut un moment (avant 1510) l’associé de Gering ; vers 1513, il s’était établi rue Saint-Jacques en la maison à l’enseigne le Coq et la Pie ; il mourut en 1518.
  46. Bertrand-Quinquet, Traité de l’Imprimerie, p. 12 (an VII).
  47. Paris à travers les siècles, t. I, p. 310.
  48. Nous rappelons que très fréquemment les ateliers possédaient une enseigne particulière, distincte de celle de la maison en laquelle ils étaient établis.
  49. Voir page 82.
  50. D’après M. Maurice Sabbe, conservateur du Musée Plantin-Moretus, les Grands Belges : Christophe Plantin, p. 11 et 12 ; 1920.
  51. Correspondance de Plantin, II, 172.
  52. Voir pages 83, 440 et 502.
  53. Correspondance, II, 173.
  54. Organe officiel de la Société amicale des Protes et Correcteurs d’Imprimerie de France (n° 203).
  55. D’après un Rapport présenté au Syndicat des Correcteurs de Paris (Bulletin du 30 mars 1919).
  56. Cette dernière assertion pourrait peut-être donner lieu à controverse intéressante. « Il faudrait encore voir », comme dit l’autre
  57. « Quand le prote le juge nécessaire, ils [les lecteurs d’épreuves] peuvent être chargés de la lecture de n’importe quelles épreuves », disait l’article Ier de l’arrêté du 7 mars 1912.
  58. Modifiant l’arrêté du 7 mars 1912, dont la Circulaire des Protes (n° 211, septembre 1913) avait donné le texte.
  59. Communication des services de la Direction de l’Imprimerie Nationale.
  60. À toute époque, croyons-nous, la Direction de l’Imprimerie Nationale prend note des demandes qui lui sont adressées en vue de prendre part aux concours d’admission.
  61. Journal officiel, 25 nov. 1910, p. 2941 (Circulaire des Protes, n° 179, janvier 1911).
  62. Voir page 520.
  63. Circulaire des Protes, n° 179, janvier 1911.
  64. Un Syndicat de Correcteurs existait, à Paris, dès l’année 1882 ; d’après Boutmy, il comprenait alors parmi ses adhérents la plupart des membres de la Société fraternelle des Correcteurs des Imprimeries de Paris, société de secours mutuels fondée on 1865, mais qui eut son ancêtre en 1848, si nous en croyons les statuts dont la Bibliothèque Nationale possède un exemplaire, imprimé par Lacour, à Paris (in-8°) (voir p. 448, note 3).
  65. Nous passons sous silence les droits d’affiliation qui sont fort élevés et dont le versement obligatoire constitue également une condition d’admission.
  66. Définitivement est une expression qui indique mal la situation du candidat, à ce moment : « La Commission met au bas de chaque épreuve : admis ou refusé » ; et le Comité, sur les observations du Secrétaire général, « statue définitivement ». Si l’on s’en tient rigoureusement à la lettre de cette expression, le candidat à dater de ce moment ferait définitivement partie du Syndicat. Or la situation est tout autre, ainsi que l’indique l’article 6 des Statuts : « Art. 6. — Aussitôt le candidat admis par la Commission d’examen, notification doit en être faite aux syndiqués par la voie de l’organe fédéral. — Si, quinze jours après l’insertion, aucune observation relative au postulant ne parvient au Comité syndical, l’admission devient définitive. »

    Le mot définitivement de l’article 5 du Règlement intérieur relatif à l’examen signifie simplement que les conclusions de la Commission d’examen sont définitives seulement après rapport du Secrétaire général et approbation du Comité : le refusé est alors écarté ; l’admis reste toujours un candidat dont l’admission provisoire doit être mentionnée dans l’« organe fédéral » et « notifiée aux syndiqués » qui ont le droit de présenter des observations et peut-être de s’opposer à l’admission… définitive.

  67. Il est bon de remarquer que, dans l’examen d’admission au titre de lecteur d’épreuves à l’Imprimerie Nationale, le candidat fait la correction… « sans le secours d’aucun livre ».
  68. Voir page 137.
  69. Voir page 142.
  70. L’article 11 des Statuts confirme implicitement cette manière de voir : « Art. 11. — Tout Fédéré du Livre, devenu ou voulant devenir correcteur, doit demander son transfert, après avoir réuni les conditions exigées aux articles 2 et 3 et satisfait aux dispositions de l’article 4. Il est également exonéré du droit d’affiliation. »

    Le Rapporteur de la Commission de révision des Statuts va même plus loin. Dans le Rapport présenté au nom de la Commission, à l’Assemblée générale du Syndicat, le 30 mars 1919, il dit très nettement : « Une dernière objection s’est élevée. Cet examen étant technique, les linos et les typos sont avantagés. Évidemment, et il serait étrange qu’il en fût autrement. N’oublions pas qu’ils ont le droit de transfert. Aussi bien l’examen ne sera, le plus souvent, pour eux, qu’une formalité, l’instruction et la culture générale des typos et linos étant au-dessus de celles visées par l’examen. » — Nous croyons devoir présenter ici une remarque : pour être bon correcteur, être typographe est une chose assurément indispensable ; mais il est non moins nécessaire d’être érudit et lettré : toutes les connaissances techniques imaginables ne combleront jamais les lacunes d’une instruction incomplète. Le Rapporteur paraît l’oublier, — et l’instruction dont il parle n’est point celle dont nos devanciers se faisaient une obligation.

  71. Le titre donné dès l’origine à la société était « Société amicale des Protes et Correcteurs d’Imprimerie de Province ». — La première Assemblée générale constitutive de la Société fut tenue à Lyon le 6 juin 1897 ; mais dès 1891 le programme qui servit de base aux Statuts était rédigé par J. Comet, Billaud, Misaël Lefèvre, Gustave Robert, Guyet, etc. ; la Circulaire des Protes parut, croyons-nous, en 1895 ; le premier Président de l’Amicale, fut Théotiste Lefevre qui veilla aux destinées de la Société du 6 juin 1897 au 1er août 1921 ; son successeur fut A. Gcoffrois (de Bordeaux).
  72. Si nous en croyons les observations maintes fois présentées au cours des réunions auxquelles il nous a été donné d’assister.
  73. Voir page 548.
  74. Article 2 des Statuts : But de la Société.
  75. Circulaire des Protes, novembre 1912, p. 201.
  76. Ibid., mars 1921, p. 36, et mai 1921, p. 78.
  77. Voir encore sur ce sujet : Circulaire des Protes, juillet-août 1909 (M. Dumont) et mars 1921 (L. Bothy).
  78. « Comment sera constituée la Commission chargée de présider à l’examen dont vous parlez ? » nous a-t-on demandé. — On voudra bien remarquer que nous nous bornons à développer ici « maintes idées » dont nous ne sommes point le protagoniste ; il n’est pas dans notre intention — et nous n’en avons point la possibilité, on le comprendra — de compléter les lacunes des projets d’autrui.
  79. D’après le Bulletin du Syndicat des Correcteurs et Aides-Correcteurs de Paris, numéro du 30 mars 1919.
  80. D’après le Rapport de la Commission de revision des Statuts du Syndicat des Correcteurs de Paris (Bulletin du 30 mars 1919).
  81. Ibid.
  82. D’après Théotiste Lefevre : « … Des correcteurs qui joignent à l’érudition convenable les connaissances au moins théoriques des règles de la typographie » (Guide pratique du Compositeur et de l’Imprimeur typographe, p. 484).
  83. Remontrances et Mémoires pour les Compagnons imprimeurs de Paris et de Lyon…, adressées au Roi le 17 juin 1572.
  84. Bib. Nat., ms. fr. 21839 ; Registre des Apprentis, t. III, 1759-1789.
  85. Voir page 42.
  86. D’après M. Baudrier, Bibliographie lyonnaise, 3e série, p. 206. — Voir page 100.
  87. Voir page 171.
  88. Voir page 504.
  89. Voir pages 84 et 502.
  90. « C’est ordinairement le prote d’une imprimerie qui doit lire la première épreuve, la seconde encore, si la première est trop chargée de fautes. » (Bertrand-Quinquet, Traité de l’Imprimerie, p. 110.) — Voir aussi l’article du prote Brullé dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
  91. Voir également sur ce même sujet le paragraphe Instruction (p. 97).
  92. Au cours de l’année 1921, la Circulaire des Protes a publié quelques-unes des considérations exposées ici. À l’encontre des idées générales que nous avons cherché à défendre et à faire prévaloir, parce que nous les estimons justes et convenables dans la majorité des cas, un certain nombre de critiques se sont élevées. Nous ne pouvions songer, quelque justifiées qu’elles pussent être, aux situations particulières, toujours possibles. Toutefois, désireux de laisser le lecteur juge en la matière, nous prendrons la peine de signaler hâtivement, en notes, certaines des objections qui nous ont été présentées.
  93. On nous objecte : « Un recrutement comme celui que vous envisagez aurait pour résultat d’écarter de la correction des sujets qui lui auraient peut-être fait honneur. — Les travaux de la casse, du marbre, de la mise en pages, de la correction sous presse demandent des aptitudes physiques que n’auraient pas tous les candidats. — Sans aller jusqu’à dire que la correction doive être un refuge pour tous les malingres, pour tous ceux qui sont disgraciés du côté de la santé, je pense qu’elle est le métier de choix, au point de vue physique s’entend, pour ceux que… différentes infirmités rendent impropres aux travaux de force, d’adresse ou de dextérité, surtout s’ils se prolongent… » (M. L.)

    Notre but n’est pas « d’écarter de la correction les sujets qui peuvent lui faire honneur » ; tout au contraire souhaitons-nous que tous ceux qui désirent embrasser cette profession puissent l’exercer avec profit pour l’art et pour les lettres. — Combien en est-il parmi ces malingres, ces disgraciés de la santé, dont la cause ne nous intéresse pas moins que tous autres, qui ne puissent durant plusieurs semaines « tenir un composteur », suivre les travaux d’une mise en placards ou en pages, assister et aider à quelques impositions. Oh ! nous n’exigeons pas que l’apprenti correcteur « monte » les formes sur le marbre, les « sonde » et « donne la main » pour les descendre aux presses. — D’ailleurs, nous n’avons point posé de règles précises pour la durée, journalière ou mensuelle, de l’apprentissage : celle-ci sera longue ou brève, selon les capacités et l’aptitude des sujets eux-mêmes ; ne supposons-nous pas qu’elle peut être coupée de périodes au cours desquelles le candidat, tout en prouvant ses capacités littéraires, pourra se remettre de ses fatigues physiques ?

  94. « Quant aux règles typographiques, nous dit-on, on peut les apprendre dans les manuels et, ainsi, arriver au métier avec un bagage professionnel qui se développera par la pratique. Une visite de l’atelier sous la conduite de quelqu’un qui donnera les explications utiles, l’observation de ce que font les typos, les metteurs en pages, etc., les conversations avec les uns et les autres apprendront au « bleu » bien des choses qui lui éviteront, par la suite, de dire des naïvetés ou de marquer des corrections susceptibles de faire naître des plaintes. J’allais dire aussi : des récriminations ; mais pour celles-ci j’estime qu’il n’y a qu’une seule chose à faire : envoyer promener l’adversaire. » (M. L.)

    Combien de candidats correcteurs sont « arrivés au métier avec un bagage professionnel » ? Hélas ! au cours de notre carrière déjà longue nous n’avons jamais ouï dire que semblable fait ait existé. — Nous concevons fort bien que « les règles typographiques peuvent être apprises dans les manuels » (c’est d’ailleurs ainsi que nous-même, et beaucoup d’autres également, sans doute, nous les avons apprises pour la plupart) ; mais nous affirmons qu’aucune de ces règles ne peut être étudiée avec fruit, convenablement comprise et surtout correctement appliquée, si l’on n’est d’abord entré dans l’imprimerie et si l’on n’a acquis au moins des notions sommaires de la technique manuelle. — À la visite de l’atelier, à l’observation, aux conversations nous préférons (car ils nous semblent plus profitables) le stage de l’apprentissage, le travail et l’étude technique ; plus sûrement ainsi le « bleu » « apprendra les choses qui lui éviteront du dire des naïvetés, de faire naître des plaintes » et surtout « d’envoyer promener l’adversaire » (attitude peu politique en somme) (voir p. 181).

  95. « Il est très bon de connaître les impositions, assurément, car l’on n’a pas partout l’avantage de recevoir la tierce pliée et même coupée et encartée (comme avec l’in-18), en sorte qu’il n’y a qu’à tourner les pages pour voir si elles sont dans leur ordre naturel, et, d’autre part, comme vous le dites excellemment, on peut être, malgré soi, appelé à devenir tierceur. Mais, comme il est dit dans Arnold Muller et dans Desormes, les combinaisons de l’imposition s’oublient vite si on ne les pratique pas constamment ; or les manuels sont faits pour ceux à qui la pratique manque. Il ne faut pas oublier non plus que des correcteurs très bien doués au point de vue lettres, très érudits, peuvent être inaptes aux mathématiques et aux combinaisons de l’imposition : ce serait grand dommage que, faute de pouvoir travailler au marbre, ou à la casse, ou aux machines, on les écarte de la correction. D’ailleurs, qu’est-ce qui oblige le tierceur à faire le calcul mental, à la manière des imposeurs ? Qu’est-ce qui l’empêche de plier sa tierce et de la feuilleter pour vérifier si l’imposition est juste ? » (M. L.)

    « Les combinaisons de l’imposition s’oublient vite », nous le reconnaissons ; mais est-ce une raison suffisante pour que, lors de son apprentissage, le correcteur néglige cette partie importante de la technique typographique qu’est l’imposition, et ne peut-on affirmer que, malgré les apparences, un jour venu, s’il est nécessaire, de son stage au marbre « il restera quelque chose » au tierceur ? D’ailleurs avons-nous dit que l’apprenti devait s’assimiler toutes les « combinaisons multiples » que présentent les impositions ? Ce serait certes exiger beaucoup, en quelques semaines, de l’esprit le plus averti et le plus ouvert. Ce qu’il s’agit d’inculquer à l’apprenti — et personne ne saurait se tromper sur notre intention — ce sont, avec exemples à l’appui, les notions fondamentales : les dénominations de côtés, les raisons de la disposition des pages, les désignations données aux blancs et leurs proportions respectives, les signatures, les encarts, les impositions fondamentales de l’in-4° et de l’in-8° dont toutes les autres dérivent, les motifs de leurs appellations, de même que celles de l’in-12, de l’in-16, ainsi que de l’in-18, etc. : toutes choses certes qui ne sauraient s’effacer de la mémoire d’un correcteur. — C’est, croyons-nous, faire injure à ces « correcteurs très bien doués au point de vue lettres, très érudits », dont parle notre contradicteur, que de supposer qu’ils « peuvent être inaptes aux mathématiques… de l’imposition », mathématiques tellement élémentaires que parfois dès sa première année d’apprentissage le jeune compositeur les possède suffisamment. — Pour le surplus nous prions le lecteur de se reporter au chapitre la Tierce (chap. x, p. 411).

  96. « Voici maintenant la correction sous presse. Il est certain qu’on n’en connaîtra bien les difficultés que si on les a eues devant soi, et peut-être ce travail aurait-il une influence salutaire sur certains correcteurs ; mais je vous avouerai que je ne discerne pas bien les corrections que le tierceur pourrait s’abstenir de marquer : il doit y avoir là une question d’espèce, très délicate à trancher, vu la multiplicité des cas et les circonstances, très variées aussi. Je ne me fais pas non plus une idée bien nette de ce que pourrait être la mentalité des correcteurs mentionnés plus haut. Quant aux autres qui désirent remplir de leur mieux le devoir envers le travail et le devoir envers les typos, ils trouveront en eux-mêmes la formule qui leur permettra, suivant les circonstances, d’user de fermeté pour maintenir leurs corrections ou de faire acte de justice et d’humanité en supprimant telle ou telle correction ou en la modifiant, au besoin après avoir demandé au corrigeur « comment ça l’arrangerait le mieux ». Pour avoir la mentalité qui devrait se trouver chez tout tierceur, il n’est nullement nécessaire — à mon avis, du moins — d’avoir fait une minute de correction sous presse. » (M. L.)

    Le lecteur remarquera sans peine, croyons-nous, que les prémisses de ce paragraphe (« Il est certain, etc.… ») concordent fort peu avec sa conclusion (« Pour avoir la mentalité… »). Nous pouvons faire observer, en outre, que notre contradicteur affirme « ne pas bien discerner les corrections que le tierceur pourrait s’abstenir de marquer », alors qu’il estime que certains tierceurs peuvent « faire acte de justice et d’humanité en supprimant telle ou telle correction, ou en la modifiant… ». Que le tierceur ait corrigé seulement deux tierces sous presse, et il s’abstiendra de « supprimer telle ou telle correction » (parce qu’il n’aura rien indiqué) ou de demander au corrigeur « ce qui l’arrangerait le mieux » (parce qu’il aura pu par expérience l’apprécier lui-même).

  97. Voir sur cette manière d’agir une opinion presque analogue de Momoro (p. 113 de ce volume).
  98. Baudrier, Bibliographie lyonnaise, 10e série, p. 195. — Laurent Grange, not., Reg. 1548, A. N.
  99. Voir pages 493 et suiv.