Le Dialogue (Hurtaud)/106

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 386-390).


CHAPITRE IX

(106)

Des signes auxquels on connaît que les visites et les visions spirituelles sont de Dieu ou du démon.

Je vais t’exposer, à présent, comme tu l’as demandé, le signe que je donne à l’âme, pour qu’elle puisse discerner les visites qu’elle reçoit par mode de visions ou autres consolations spirituelles, dont elle se croit favorisée et reconnaître Si elles sont de moi ou non. Le signe de ma présence, ai-je dit, c’est l’allégresse que je laisse dans l’âme après ma visite, et le désir de la vertu, spécialement de la vertu de véritable humilité, jointe à l’ardeur de la divine charité.

Tu m’as demandé si, dans cette allégresse, ne se pouvait pas glisser quelque illusion ; et, s’il en était ainsi, tu voudrais suivre le parti le plus sûr et t’en tenir au signe de la Vertu, qui ne peut être trompeur. Je te dirai donc l’erreur qui s’y peut mêler et à quoi tu pourras reconnaître que cette joie spirituelle est vraie ou fausse.

Voici comment l’erreur peut t’égarer.

Je veux que tu saches, que la créature raisonnable qui aime ou désire un bien, ressent une joie dés qu’elle le possède. Et plus elle aime ce bien


qu’elle possède, moins elle le voit, moins elle s’applique à l’examiner avec prudence. Elle est toute à la jouissance qu’elle éprouve de cette consolation :

la joie de posséder enfin ce qu’elle aime ne lui permet pas de le juger : son moindre souci est de se rendre compte de ce qu’il vaut.

Il en va de même de ceux qui aiment et désirent vivement les consolations spirituelles, qui recherchent les visions et s’attachent plus aux douceurs des consolations, qu’à moi-même, comme je te l’ai dit de ceux qui étaient encore dans l’état imparfait et qui regardaient davantage à la faveur des consolations, qu’ils recevaient de Moi, le donateur, qu’à l’amour de ma Charité, avec lequel je les leur donne. Ceux-là peuvent être trompés dans leur allégresse, sans compter d’autres dangers, dont je t’entretiendrai à part, dans un autre endroit.

Comment sont-ils abusés ? — Ecoute.

Lorsqu’ils ont conçu un grand amour de la consolation, comme il a été dit, et que la consolation leur arrive, ou quelque vision, quel qu’en soit la provenance, ils ressentent de la joie d’avoir enfin ce qu’ils aiment et désiraient d’avoir. Aussi, souvent, ces consolations pourraient venir du démon, qu’ils en éprouveraient encore de la joie. Ne t’ai-je pas dit, en effet, que lorsque le démon visite l’âme, sa présence se fait sentir, tout d’abord, par l’allégresse ; mais qu’elle laissait ensuite l’âme dans la tristesse, avec un remords dans la conscience, et sans aucun désir de la vertu ! J’ajouterai que cette allégresse peut se prolonger, et que l’âme peut la ressentir parfois pendant toute la durée de son oraison. Mais si cette allégresse n’est pas accompagnée d’un ardent désir de la vertu, parfumée d’humilité, embrasée du feu de ma divine charité, cette vision, cette consolation, cette visite reçue, vient du démon, elle n’est pas de Moi. L’âme a bien possédé le signe de l’allégresse ; mais comme cette allégresse n’est pas unie à l’amour de la vertu, elle peut juger avec évidence que cette allégresse procède uniquement du désir qu’elle avait des consolations personnelles intérieures. Elle se réjouit maintenant, elle est dans la joie, parce qu’elle croit avoir ce qu’elle souhaitait, et que c’est le propre de l’amour, quel qu’il soit, d’être dans la joie, dès qu’il possède ce qu’il aime.

Tu ne pourrais donc te fier à la seule allégresse éprouvée, alors même que cette allégresse durerait tout le temps de la consolation, et plus encore. L’amour, aveuglé par cette allégresse, ne découvrira par cette tromperie du démon, s’il ne fait pas appel à d’autres signes que la prudence lui fournit ; mais s’il procède avec prudence, il verra si, oui ou non, cette allégresse est accompagnée de l’amour de la vertu. Il discernera ainsi, si cette visite spirituelle est de Moi ou du démon.

Tel est le signe de discernement que je t’avais donné quand je t’avais dit que la joie que tu en éprouverais serait pour toi un signe de ma visite, pourvu que cette joie fût accompagnée de la vertu. Telle est bien la vérité. C’est là un signe certain qui te démontrera s’il y a ou non tromperie, si la joie que tu éprouves est bien provoquée par ma présence, ou si elle procède de l’amour-propre spirituel et du désir des consolations personnelles. Ma visite apporte la joie avec l’amour de la vertu, celle du démon ne cause que la joie. Quand l’âme en vient à constater qu’elle n’est pas plus avancée dans la vertu qu’auparavant, il en faut conclure que cette allégresse procède de l’amour-propre des consolations spirituelles.

Tous, sache-le bien, ne sont pas trompés par cette joie, il n’y a que les imparfaits, ceux qui recherchent la consolation et regardent plus au don qu’au donateur, Mais ceux qui purement, sans aucun intérêt personnel, par la seule ardeur de l’amour qu’ils ont pour Moi, regardent au donateur et non au don et n’attachent de prix au don qu’à cause de Moi qui donne, nullement à cause de la consolation qu’ils en retirent, ceux-là ne peuvent jamais être abusés par cette allégresse. Ils ont un signe certain qui leur permet de discerner promptement quand le démon parfois essaye de les tromper en se transformant en ange de lumière, et de visiter leur esprit en y répandant soudain une grande allégresse. N’étant point passionnés par le désir de la consolation spirituelle, ils ont tôt fait, par leur prudence, d’éventer le piège, dès qu’ils constatent que l’allégresse une fois dissipée, ils demeurent dans les ténèbres. Ils s’en humilient alors dans la vraie connaissance qu’ils ont d’eux-mêmes, ils renoncent à ton Le consolation, et s’attachent avec passion à la doctrine de ma Vérité. Le démon, tout confus, ne se présentera plus jamais ou rarement sous cette forme.

Ceux, au contraire, qui sont avides de consolations personnelles, recevront souvent sa visite. S’ils sont trompés ils reconnaîtront leur erreur, par le moyen que je t’ai indiqué, en constatant que l’allégresse n’était pas accompagnée de la vertu, et qu’ils ne sont point sortis de cette visite, avec l’humilité, avec une vraie charité, avec un grand désir de mon honneur à moi, le Dieu éternel, et du salut des âmes. C’est ma Bonté qui a ainsi pourvu à la préservation de tous, parfaits et imparfaits, dans quelque état que vous soyez. Vous pourrez déjouer toutes les ruses, si vous voulez conserver la lumière de l’intelligence que je vous ai donnée avec la pupille de la très sainte Foi. Ne la laissez donc point obscurcir par le démon, ou éteindre pas votre amour-propre car, si vous ne la voulez perdre, il n’est au pouvoir de personne de vous l’enlever.