Le Dialogue (Hurtaud)/108

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 393-396).


CHAPITRE XI

(108)

Comment cette âme s’humilie en rendant grâces à Dieu. Elle prie ensuite pour le monde entier, et spécialement pour le corps mystique de la sainte Église, pour ses fils spirituels et pour les deux pères de son âme. Enfin elle demande à connaître les fautes des ministres de la sainte Église.

Alors cette âme, dans une véritable ivresse, paraissait hors d’elle-même. L’action de ses sens était suspendue en son corps, par l’union d’amour qu’elle avait faite avec son Créateur pendant que son esprit était ravi dans la contemplation de la Vérité éternelle, qui absorbait le regard de son intelligence. Cette vue de la Vérité l’avait faite tout amour pour la Vérité ! Et elle disait

O souveraine et éternelle Bonté de Dieu ! Eh ! que suis-je donc, moi misérable, pour que vous, Père éternel et souverain, vous m’ayez manifesté votre Vérité, pour que vous m’ayez découvert les ruses secrètes du démon et les illusions du sens propre, auxquelles je suis exposée, moi et les autres, pendant le pèlerinage de cette vie, afin que je ne sois trompée ni par le démon ni par moi-même ? Qui donc vous inspire ? L’amour ! Car vous m’avez aimée sans être aimée de moi.


O foyer d’amour ! Grâces, grâces, soient à vous, Père éternel ! A moi imparfaite et remplie de ténèbres, vous le Parfait, vous la Lumière, vous avez montré la perfection et la voie lumineuse de la doctrine de votre Fils unique. J’étais morte, vous m’avez rendu la vie ! J’étais malade, vous m’avez servi le remède ! Et non seulement le remède du Sang, que vous avez appliqué par votre Fils à ce malade qu’est le genre humain ; mais encore vous m’avez donné contre une infirmité secrète un remède que je ne connaissais pas ; vous m’avez enseigné cette doctrine que je ne puis d’aucune manière juger la créature raisonnable et spécialement vos serviteurs i Aveugle et infirme que j’étais ! Que de fois ne les ai-je pas jugés, sous couleur de votre honneur et du salut des âmes ! Je vous remercie donc, ô Bonté souveraine et éternelle, de ce qu’en me découvrant votre Vérité, et les tromperies du démon, et les illusions du sens propre, vous m’avez fait connaître mon infirmité ! Je vous en supplie par votre grâce et par votre miséricorde, qu’aujourd’hui soit le terme et la fin de mes égarements ! Que je ne m’écarte plus désormais de la doctrine que votre Bonté m’a donnée, à moi et à quiconque la voudra suivre. Sans vous, rien ne se peut faire ! J’ai donc recours à vous, vous êtes mon refuge, Père éternel, et ce n’est pas pour moi seule que je vous implore, mais encore pour le monde entier, et particulièrement pour le corps mystique de la sainte Église.

Qu’elle brille dans vos ministres, cette Vérité, cette doctrine que vous m’avez enseignée, à moi misérable, vous la Vérité éternelle ! Je vous le demande aussi et Spécialement pour tous ceux que vous m’avez donnés, que j’aime d’un amour de prédilection, et que vous avez fait une même chose avec moi. Ils seront ma joie, pour la gloire et l’honneur de votre nom, si je les vois

courir dans cette douce et droite voie, purs, morts à leur volonté et à leur sens propre, sans un jugement, sans un scandale, sans un murmure contre leur prochain ! Je vous en prie, ô mon très doux Amour, qu’aucun d’entre eux ne me soit ravi, par les mains du démon infernal, mais qu’au dernier jour, tous, ô Père éternel, parviennent à Vous, qui êtes leur fin. Je vous adresse encore une autre prière, pour les deux soutiens que vous m’avez donnés sur la terre, pour les deux pères que vous avez préposés à ma garde et à mon enseignement à moi, pauvre misérable, depuis le commencement de ma conversion jusqu’à cette heure. Unissez-les : de leurs deux corps ne faites qu’une âme, et qu’ils n’aient de pensée que pour réaliser en eux, et dans les mystères que vous avez confiés à leurs mains, et dans le salut des âmes, la gloire et l’honneur de votre nom. Et moi qui ne suis pas votre fille, mais une esclave indigne et misérable, que toujours je sois vraiment ainsi vis-à-vis d’eux, en tout respect, avec une sainte crainte, pour l’amour de Vous ! Que je sois votre honneur, leur joie, leur consolation, et l’édification du prochain.


Je suis assurée, ô Vérité éternelle, que vous ne mépriserez pas mon désir, dans les prières que je vous adresse ! Car je sais, pour l’avoir vu, selon que vous avez daigné me le manifester, et beaucoup plus encore, pour l’avoir expérimenté, que vous exaucez les saints désirs. Moi, votre indigne servante, je ferai tout ce qui est en moi, suivant que vous m’en ferez la grâce, pour observer votre commandement et votre doctrine.

Maintenant, ô Père éternel, je me souviens d’une promesse que vous m’avez faite, quand vous m’avez parlé des ministres de la sainte Église. Vous m’avez dit que vous m’entretiendriez plus en détail, en un autre endroit, des fautes qu’ils commettent de nos jours. S’il vous plaît de m’en révéler quelque chose, je vous écouterai, pour avoir un sujet d’augmenter en moi la douleur, et la compassion, et l’angoisse de mon désir pour leur salut. Car je n’ai pas oublié ce que vous m’avez enseigné, que c’est par la souffrance, et les larmes, et les douleurs, et les sueurs, et les prières de vos serviteurs, que vous enverriez la consolation, en réformant la sainte Église en lui donnant de bons et saints Pasteurs. C’est pour accroître en moi ce désir, que je vous adresse cette demande.