Le Dialogue (Hurtaud)/111

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 9-12).


CHAPITRE II

(111)

Comme toutes les impressions des sens corporels sont trompées dans ce Sacrement, mais non les sens de l’âme. C’est avec ces sens intérieures, qu’il faut voir, goûter et toucher. D’une belle vision qu’eut cette âme, à ce sujet.

O ma fille très chère, ouvre bien l’œil de l’intelligence pour contempler l’abîme de ma Charité. Il n’est pas une créature raisonnable dont le cœur ne dût se briser sous la pression de l’amour, en considérant après tous les biens dont je vous ai comblés, le bienfait que vous recevez dans ce Sacrement. C’est avec cet œil de l’esprit, très chère fille, que toi et les autres, devez regarder ce mystère et le toucher, et non seulement avec la vue et le toucher corporels, qui sont ici impuissants.

L’œil ne voit rien d’autre que la blancheur du pain, la main ne touche rien d’autre que la surface du pain, le goût ne savoure rien d’autre que la saveur du pain. Tous les sens grossiers du corps sont ici abusés ; mais le sens de l’âme ne peut être trompé, si elle le veut, c’est-à-dire si elle ne consent pas à se priver, par l’infidélité, de la lumière de la très sainte Foi.

Qui goûte et voit et touche ce sacrement ? Les sens de l’âme. Avec quel œil le voit-elle ? Avec l’œil de l’intelligence, si cet œil est muni de la pupille de la très sainte Foi. Cet œil voit sous cette blancheur Dieu tout entier, l’homme tout entier, la nature divine unie à la nature humaine, le corps, l’âme, le sang du Christ, l’âme unie au corps, le corps et l’âme unis à ma nature divine, sans qu’elle soit séparée de Moi.

N’est-ce pas, s’il t’en souvient, ce que je t’ai fait voir, presque dès le commencement de ta vie, et non seulement du regard de l’intelligence, mais aussi des yeux du corps. Les yeux du corps, il est vrai, ne tardèrent pas à être aveuglés par l’éclat même de la lumière, et il ne demeura que la vision par l’œil de l’intelligence. C’est à ta demande, que je t’avais favorisée de cette manifestation, pour répondre aux attaques auxquelles tu étais en butte de la part du démon, au sujet de ce sacrement.

Tu sais, qu’allant un matin à l’église, dès l’aurore, pour entendre la messe, après avoir été tourmentée auparavant par le démon, tu allas te placer droit à l’autel du Crucifix. Le prêtre était venu à l’autel de Marie. Toi, tu examinais ton indignité : tu craignais de m’avoir offensé par la tentation que le démon t’avait fait subir, et tu considérais l’amour de ma Charité, qui avait daigné te faire entendre la messe, alors que tu te jugeais indigne d’entrer seulement dans mon saint temple. Lorsque le prêtre allait consacrer, au moment même de la consécration, tu levas les yeux sur lui, et comme il prononçait les paroles consécratoires, je me manifestai à toi. Tu vis sortir de mon sein une lumière, semblable au rayon de soleil qui jaillit du disque solaire, sans cependant se séparer de lui. Dans cette lumière, unie avec elle, il y avait une colombe qui venait frapper sur l’hostie par la vertu des paroles de la consécration que le ministre prononçait. Les yeux du corps ne purent supporter plus longtemps cette lumière : la vision se continua par le seul regard de l’intelligence. Tu vis alors et tu goûtas l’abîme de la Trinité, et le Dieu-Homme tout entier, caché et voilé sous cette blancheur. Tu vis que ni la splendeur, ni la présence du Verbe, que ton intelligence contemplait en cette blancheur, ne détruisait en rien la blancheur du pain. L’une n’empêchait pas l’autre. En faisant le Dieu-Homme présent en ce pain, je ne supprimais pas le pain, je veux dire sa blancheur, sa dimension, sa saveur.

Voilà ce que te manifesta ma Bonté. A qui fut continuée cette vision ? A l’œil de l’intelligence éclairée par la pupille de la très sainte Foi. A lui doit revenir la vision principale, parce qu’il ne peut être trompé. C’est donc de ce regard, que vous devez contempler ce Sacrement.

Et qui le touche ? La main de l’amour. Oui, c’est avec cette main ; que l’âme touche ce que l’œil de l’esprit a vu et connu dans le Sacrement par la foi ; et elle touche avec cette main de l’amour, pour s’assurer de ce que l’intelligence a vu et connu par la Foi.

Qui le goûte ? Le goût du saint désir. Le goût corporel goûte la saveur du pain, et le goût de l’âme qui est le saint désir goûte le Dieu-homme. Tu vois donc que les sens du corps sont ici déçus, mais non le sens de l’âme, à cause de la lumière et de la certitude qu’elle possède en elle-même. Car l’œil de l’intelligence a perçu par la pupille de la très sainte Foi ; ayant vu, il connaît, puis il touche avec foi, par la main de l’amour, ce qu’il a connu par la foi. Enfin par ce goût qui est en elle, par l’ardent désir, l’âme goûte ce qu’elle a vu et touché, l’amour ineffable de mon ardente Charité.

C’est cet Amour qui a daigné l’inviter à recevoir un si grand mystère, avec la grâce qu’il produit, dans ce Sacrement.

Ce n’est donc pas seulement par les opérations des sens corporels, tu le vois, que vous devez considérer et recevoir ce sacrement, mais par les actes spirituels en disposant les puissances de l’âme par affection d’amour, à contempler, à recevoir, à goûter ce mystère.