Le Dialogue (Hurtaud)/124

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 66-71).


CHAPITRE XV

(124)

Comment ces ministres se rendent coupables d’un très grand péché. Et d’une belle vision qu’eut cette âme à ce sujet.

Je te fais à savoir, ma très chère fille, que j’exige de vous et de mes prêtres, dans la réception de ce Sacrement, toute la pureté dont l’homme est capable en cette vie.

Autant qu’il est en vous, vous devez donc faire tous vos efforts, pour l’acquérir sans cesse. Vous devez penser que, si la nature angélique était susceptible de devenir plus pure encore, les anges eux-mêmes devraient se purifier pour un pareil mystère. Mais, ce n’est pas possible les anges n’ont pas besoin d’être purifiés, puisque le venin du péché ne les peut atteindre. Je veux seulement par là te faire entendre, quelle pureté je réclame de vous et de mes ministres, particulièrement de mes ministres, dans ce Sacrement.

Les malheureux ! c’est tout le contraire qu’ils font ! C’est tout souillés qu’ils s’approchent de ce mystère, et, non seulement, de l’impureté à laquelle vous êtes inclinés par la pente même de votre fragile nature, — quoique la raison, quand le libre arbitre le veut, puisse réprimer cette révolte, — mais encore, loin de surmonter cet entraînement, ils font pire encore et commettent le péché maudit.

Ils sont comme des aveugles, comme des fous ! La lumière de leur intelligence s’est obscurcie, et ils ne voient plus la corruption et la misère dans laquelle ils sont plongés. Péché si horrible pourtant, et qui me déplaît tant, à Moi, la souveraine et éternelle Vérité, que, pour ce seul péché, j’ai englouti cinq villes, après sentence de ma divine justice, qui ne les pouvait plus supporter ! Voilà l’horreur et le dégoût que ce péché me cause, et non seulement à moi, mais aux démons eux-mêmes, que ces malheureux ont choisis pour maîtres.

Ce n’est pas le mal qui leur déplaît aux démons ils ne peuvent aimer aucun bien, mais leur nature, qui fut celle des anges, répugne à voir commettre cet énorme péché, extérieurement. Ils lancent bien la flèche empoisonnée de la concupiscence, mais ils ne supportent pas la vue de l’acte extérieur ils s’enfuient, pour la raison que j’ai dite.

Avant la peste, je te montrai, s’il t’en souvient, combien j’avais ce pêché en horreur, et à quel point il avait infecté le monde. T’élevant alors au-dessus de toi-même, par un saint désir et l’élan de ton esprit, je fis passer sous tes yeux, le monde entier avec toutes les nations qui le composent, et tu pus voir cet abominable péché, et les démons qui s’enfuyaient à ce spectacle, comme je te l’ai dit. Si grande fut ta douleur, tu le sais, et si insupportable l’infection que tu éprouvais dans ton. esprit, qu’il te semblait mourir, et tu ne voyais pas un seul lieu où tu pus te retirer, avec mes autres serviteurs, pour échapper à cette lèpre. Petits et grands, jeunes et vieux, religieux et clercs, prélats et sujets, maîtres et serviteurs, tous, esprit et corps, étaient souillés de cette malédiction.

C’est une vue générale de l’état du monde que je te donnais, sans mettre sous tes yeux les exceptions particulières, ceux que la contagion n’a pas touchés. Car au sein des méchants il est quelques âmes préservées qui sont miennes, dont les œuvres de justice retiennent ma justice et l’empêchent de commander aux pierres de lapider les coupables, à la terre de les engloutir, aux animaux de les dévorer, aux démons de les emporter, âme et corps.

Je trouve même le moyen de leur faire miséricorde, en les amenant à changer de vie. J’emploie mes serviteurs, ceux qui se sont gardés de la lèpre et conservés sains, à me prier pour eux. Parfois, donc, à ces préservés je découvre ces péchés abominables, pour enflammer leur zèle à désirer le salut des pécheurs, à m’invoquer avec une plus grande compassion, avec une plus vive douleur des fautes du prochain et de l’offense qui m’est faite, et à me prier pour eux.

C’est ce que je fis pour toi-même, tu le sais bien. Si tu t’en souviens, lorsque je te fis sentir un simple souffle de cette infection, tu en éprouvas un tel malaise, que tu ne le pouvais endurer davantage. "O Père éternel, me disais-tu, ayez pitié de moi et de vos créatures ! retirez mon âme de mon corps, car il me semble que je n’en puis plus. Ou bien, donnez-moi quelque consolation, montrez-moi des lieux où nous puissions, moi et vos autres serviteurs, chercher un refuge, pour n’être pas atteints par cette lèpre, et conserver la pureté de nos âmes et de nos corps ! "

J’abaissai sur toi un regard de tendresse et je te répondis : " Ma fille, votre refuge est de rendre honneur et gloire à mon nom, et de faire monter vers moi l’encens d’une continuelle prière pour ces infortunés plongés en une si grande misère qu’ils ont mérité par leurs péchés les rigueurs du jugement divin. Votre asile doit être le Christ crucifié, mon Fils unique. C’est dans la plaie de son côté que vous devez vous réfugier. Demeurez là, vous y goûterez par sentiment d’amour, en cette nature humaine, ma Nature divine. Dans ce cœur ouvert vous trouverez la charité, envers moi et envers le prochain. Car, c’est pour mon honneur à Moi, le Père éternel, et par obéissance au commandement que je lui donnai pour votre salut, qu’il courût à la mort ignominieuse de la très sainte Croix. En contemplant cet amour, en le goûtant, vous suivrez sa doctrine, vous vous nourrirez à la table de la Croix, en supportant par charité, avec une véritable patience, votre prochain, et aussi les peines, les tourments, les fatigues, de quelque côté qu’elles vous arrivent. C’est ainsi que vous acquerrez des mérites et que vous éviterez la lèpre…

Tel est le moyen que je t’indiquai, et que je te suggère encore, à toi et à mes autres serviteurs.

Cependant ton âme était toujours absorbée par le sentiment de cette infection, et le regard de ton intelligence, perdu dans ces ténèbres. C’est alors, que ma Providence vint à ton secours. Comme tu communiais au corps et au sang de mon Fils, Dieu tout entier, homme tout entier, dans le saint Sacrement de l’autel, en signe de la vérité des paroles que je t’avais dites, l’infection fut soudain dissipée par le parfum qui se fit sentir dans ce Sacrement, et les ténèbres chassées tout à coup, par la lumière qui venait de lui. Par une faveur spéciale de ma Bonté, tu conservas dans ta bouche, d’une façon sensible et corporelle, le parfum et le goût de ce Sang, plusieurs jours durant.

Tu vois donc, ma très chère fille, combien ce péché m’est odieux en toute créature. Songe combien plus il me doit déplaire, en ceux que j’ai appelés à vivre, dans l’état de continence. Parmi ces continents, il en est que j’ai retirés du monde par la vie religieuse, d’autres par leur incorporation au corps mystique de la sainte Église, et parmi ceux-ci sont mes ministres. Vous ne sauriez comprendre, à quel point ce péché me déplaît en eux. Il m’offense beaucoup plus, qu’en ceux qui vivent dans le monde, ou même qui sont, à un autre titre, voués à la continence.

C’est qu’ils sont mes ministres ! Je les avais placés comme des lampes sur le chandelier, pour me distribuer à tous, Moi le vrai Soleil, par la lumière de la vertu, par l’exemple d’une vie honnête et sainte, et c’est à travers les ténèbres, qu’ils me répandent sur les âmes. Ces ténèbres ont tellement obscurci leur intelligence, qu’ils n’entendent plus la sainte Ecriture. L’Ecriture cependant est en soi lumineuse, puisque c’est de Moi, la vraie Lumière, que l’ont reçue mes élus, par l’illumination surnaturelle de leur esprit. Mais, eux, ne l’entendent pas. Enflés d’orgueil et possédés par le démon, ils ne voient et ne comprennent que l’écorce, sans y trouver aucune saveur. Leur goût, le goût de l’âme, n’est pas sain ; il est perverti et corrompu par l’amour-propre. Leur estomac, l’intérieur de l’âme, est tout rempli de pensées d’orgueil et de désirs impurs, d’instincts de cupidité et d’avarice. Tous ces désirs demandent à se satisfaire, dans les jouissances désordonnées ; et, sans honte aucune, publiquement, ils commettent leurs péchés, ils exercent l’usure que j’ai défendue pourtant, et qui expose ceux qui s’y livrent à de si grands châtiments.