Le Dialogue (Hurtaud)/25

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 85-86).


CHAPITRE IX

(25)

Comment l’âme prie Dieu de lui montrer ceux qui passent sur le pont, et ceux qui n’y passent pas.

Dans une angoisse d’amour, l’âme disait alors : O très douce et ineffable charité, qui ne s’enflammerait à tant d’amour ? Quel cœur se pourrait défendre de se consumer pour vous ? O abîme de charité ! Vous êtes donc si éperdûment attaché à vos créatures qu’il semble que vous ne puissiez vivre sans elles ! Et pourtant vous êtes notre Dieu ! Vous n’avez nul besoin de nous, notre bien n’ajoute rien à votre grandeur, puisque vous êtes immuable ! Notre mal ne saurait vous causer aucun dommage, à vous qui êtes la souveraine et éternelle Bonté !

Qui vous entraîne donc à tant de miséricorde ? L’amour ! non l’obligation que vous avez envers nous, non le besoin que vous avez de nous ! C’est nous qui sommes vos obligés et vos débiteurs, et de mauvais débiteurs. Oui, si je comprends bien, souveraine et éternelle Vérité c’est moi, le coupable, et c’est vous qui êtes châtié pour moi. Je vois le Verbe, votre Fils, attaché et cloué à la croix ; et de cette croix, vous avez fait un pont, ainsi que vous me l’avez manifesté à moi, votre misérable servante ! C’est ce qui brise mon cœur, qui cependant ne se peut briser par la faim et le désir qu’il a de vous. Souvenez-vous, mon Seigneur, que vous vouliez me montrer quels sont ceux qui passent par ce pont et quels sont ceux qui s’en écartent ! S’il plaît à votre Bonté de me le découvrir, heureuse serai-je de le voir et de l’entendre de vous.