Le Dialogue (Hurtaud)/26

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 87-90).


CHAPITRE X

(26)

Comment ce pont béni a trois degrés qui représentent les trois états de l’âme. Comment ce pont, tout en s’élevant en haut, n’est pas séparé de la terre. Comment doit s’entendre cette parole du Christ : Quand j’aurai été élevé en haut, j’attirerai tout à moi.

Pour enflammer et vivifier davantage l’amour de cette âme pour le salut des hommes, le Dieu éternel lui répondit alors et lui dit : "Avant de te faire ce que tu me demandes et que je désire te montrer, je veux t’expliquer comment est construit ce pont.

Je t’ai déjà dit, ma fille, que du ciel il rejoint la terre, par l’union que j’ai faite avec l’homme que je tirai du limon de la terre. Sache que ce pont, qui est mon Fils unique a trois degrés : deux furent faits sur le bois de la très sainte Croix, et le troisième, quand il éprouva la grande amertume, alors qu’on lui donna à boire du fiel et du vinaigre. Ces trois degrés te feront connaître trois états de l’âme, comme je te l’exposerai.

Le premier degré ce sont ses pieds, qui signifient l’affection : car, comme les pieds portent le corps, l’affection porte l’âme.

Les pieds constituent un gradin pour pouvoir arriver jusqu’au côté où t’est manifesté le secret du cœur. Ainsi en s’élevant sur les pieds de l’affection, l’âme commence à goûter l’amour du cœur, en fixant le regard de l’intelligence sur le cœur ouvert de mon Fils, où l’on trouve le parfait et ineffable amour. Je dis parfait, parce que ce n’est pas l’intérêt propre qui l’inspire. Quelle utilité personnelle peut-il retirer de vous, lui qui est une même chose avec moi ? Ainsi l’âme se remplit-elle d’amour en se voyant tant aimée.

Le deuxième degré franchi, elle s’élève au troisième, c’est-à-dire à la bouche, où elle trouve la paix après la grande guerre qu’avait déchaînée ses fautes.

Dans le premier degré, en dégageant ses pieds des attaches terrestres, elle se dépouille du vice ; dans le second, elle s’emplit d’amour et de vertu ; dans le troisième elle goûte la paix.

Ainsi le pont a trois gradins, et il faut passer par les deux premiers pour arriver au dernier. Il est dressé en hauteur de sorte que le courant du fleuve ne l’atteint pas, parce que le poison du péché ne l’infecta jamais.

Ce Pont dressé en hauteur ne laisse pas pourtant de toucher à la terre. Sais-tu quand il a été ainsi élevé ? Quand on le dressa sur le bois de la très sainte Croix, sans que la Divinité fût séparée de votre humanité, qui est comme la vallée terrestre. Voilà pourquoi je t’ai dit qu’en s’élevant en hauteur, il n’était cependant pas séparé de la terre, parce que les deux natures demeurent unies et liées l’une à l’autre. Personne ne pouvait passer sur ce pont avant qu’il ne fût dressé en haut. C’est pour cela qu’il a dit : "C’est quand j’aurai été élevé de terre que je tirerai tout à moi."

Ma Bonté voyant donc que vous ne pouviez être attiré d’une autre manière, je l’envoyai pour qu’il fût élevé sur le bois de la Croix. J’en ai fait une enclume sur laquelle l’on forgerait le fils de la race humaine, pour le délivrer de la mort et restaurer en lui la vie de la grâce. Voilà comment il a tiré tout à lui, en démontrant l’amour ineffable que j’ai pour vous ; car le cœur de l’homme est toujours attiré par l’amour. Pouvait-il vous donner une plus grande preuve d’amour que de donner sa vie pour vous ? L’homme ne peut donc faire autrement que de se laisser attirer par l’amour, s’il n’est pas assez aveugle pour résister à cet attrait. Voilà pourquoi mon Fils a dit que, lorsqu’il serait élevé en haut, il attirerait tout à lui.

Or telle est bien la vérité.

Il y a deux manières de comprendre cet attrait. La première est que le cœur de l’homme, emporté par un sentiment d’amour, se rend à lui avec toutes les puissances de l’âme, mémoire, intelligence et volonté. Une fois ces trois puissances accordées et comme assemblées en mon nom, toutes les autres opérations que l’homme produit, extérieures ou intérieures, sont attirées sympathiquement vers moi, et sont unies en moi par le sentiment de l’amour, et l’homme monte ainsi vers les hauteurs, en suivant l’amour crucifié. Ma Vérité a donc dit vrai quand elle a dit : Quand je serai élevé en haut, j’attirerai tout à moi ; car, après avoir pris le cœur et les puissances de l’âme, il tire à soi par là même toutes ses opérations.

L’autre façon de l’entendre est que, toute chose ayant été créée pour l’usage de l’homme, tout par conséquent a été fait pour servir et subvenir aux besoins des créatures raisonnables. La créature douée de raison, elle, n’a pas été créée pour ces choses, mais pour Moi, pour me servir avec tout son cœur et toute son affection. Tu vois bien que si l’homme est attiré vers mon Fils, tout est par là même attiré vers Lui, puisque tout le reste a été fait pour l’homme.

Il fallait donc que le pont fût élevé en haut et qu’il eût des degrés, pour qu’on y pût monter avec plus de facilité.