Le Dialogue (Hurtaud)/27

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 91-94).


CHAPITRE XI

(27)

Comment ce pont est construit en pierres, qui signifient les vertus : sur le pont se trouve une hôtellerie, où l’on donne la nourriture aux voyageurs. Qui passe sur le pont va à la vie, qui s’engage dessous va à la perdition et à la mort.

Ce pont est construit en pierres, afin que la pluie, qui peut survenir, n’arrête point les passagers. Sais-tu quelles sont ces pierres ? Ce sont les pierres des vraies et solides vertus. Ces pierres n’étaient pas entrées en construction avant la passion de mon Fils : aussi, nul ne pouvait-il parvenir à sa fin, quelque fidélité qu’il mît par ailleurs à suivre la voie de la vertu, parce que le ciel n’avait pas été ouvert avec la clef du sang.

La pluie de la justice interceptait le passage.

Mais après que les pierres furent taillées et posées sur le corps du Verbe, mon doux Fils, qui, comme je t’ai dit, est le pont, pour les lier entre elles, il détrempa la chaux avec son sang. Oui, le sang est mélangé avec la chaux de la Divinité, avec la force et le feu de la charité. Par ma puissance, ces pierres des vertus entrèrent dans une construction qui repose sur lui-même ; car il n’est aucune vertu qui n’ait son fondement en lui ; toutes sont éprouvées en lui, et toutes ont vie par lui. Aussi bien, nul ne peut avoir de vertu ne communiquant la vie de la grâce, sinon par lui, en suivant ses traces et sa doctrine. C’est lui qui a édifié les vertus, qui les a posées comme des pierres vivantes et cimentées par son sang, afin que tout fidèle pût passer à l’aise, sans aucune crainte servile d’être arrêté par la pluie de la justice divine, couvert qu’il est par la miséricorde, cette miséricorde descendue du ciel, par l’Incarnation de mon Fils. Et comment ouvre-t-on le ciel ? Avec la clef de son sang.

Ainsi, tu vois comment le pont est construit, et abrité par la miséricorde. Sur ce pont, se trouve l’hôtellerie, dans le jardin de la sainte Église, qui possède et distribue le Pain de vie et donne à boire le Sang, afin que les passagers qui sont mes créatures, ne tombent pas de fatigue au cours de leur voyage. C’est dans cette pensée que ma charité a ordonné que l’on vous distribuât le sang et le corps de mon Fils unique, vrai Dieu et vrai homme.

Le pont traversé l’on arrive à la Porte qui le termine et fais corps avec lui, et c’est par cette porte que tous doivent entrer. N’a-t-il pas dit : "Je suis la Voie, la Vérité et la Vie ; qui passe par moi ne chemine pas dans les ténèbres mais à la lumière"(Jn 14, 6.8, 12). Et dans un autre endroit, ma Vérité dit encore que nul ne peut venir à Moi sinon par Lui. Et il en est vraiment ainsi. S’il t’en souvient bien, c’est cela même que je t’ai dit et exposé quand j’ai voulu t’indiquer la voie. Donc s’il dit qu’il est la Voie, c’est la vérité même, et je t’ai déjà montré que cette voie est en forme de pont. Il a dit aussi qu’il est la Vérité : quoi de plus réel, puisqu’il ne fait qu’un avec Moi qui suis la Vérité ? Qui le suit, marche donc dans le chemin de la vérité et de la vie. Qui suit cette Vérité reçoit la vie de la grâce et ne peut périr de faim : car la Vérité de- vient sa nourriture. Il ne peut non plus tomber dans les ténèbres, parce qu’il est la lumière, pure de tout mensonge. Bien plus, c’est lui qui par la vérité a confondu et détruit le mensonge par lequel le démon séduisit Eve. C’est par ce mensonge que la voie du ciel avait été coupée ; mais cette voie, la Vérité l’a rétablie et cimentée par le Sang. Ceux qui marchent en cette voie, sont donc les fils de la Vérité, car ils suivent la Vérité, ils passent par la porte de la Vérité, et ils se trouvent enfin unis en moi avec celui qui est la voie et qui est la porte, mon Fils, Vérité éternelle, Océan de Paix ?

Celui qui s’écarte de cette voie prend en dessous, par le fleuve. Cette route n’est pas faite avec des pierres, mais avec de l’eau, et comme l’eau n’a pas de consistance, personne ne peut s’y engager sans se noyer. Cette eau qui se dérobe, ce sont les plaisirs et les honneurs du monde. Ceux qui n’ont pas fondé leur amour sur la pierre, mais l’ont placé dans les choses créées, par une attache désordonnée, les aimant et les possédant en dehors de moi, les créatures sont, pour eux, l’eau qui s’écoule continuellement.


Et l’homme aussi s’écoule comme le fleuve. Il lui semble que ce soit les choses qu’il aime qui fuient, et cependant c’est lui encore qui incessamment est emporté vers le terme de la mort. Il voudrait bien s’arrêter, fixer sa vie et les choses qu’il aime pour les empêcher de couler ! Vains efforts ! Ou la mort arrive qui l’enlève à ce qu’il aime, ou ma Providence intervient qui le dépouille, avant le terme, des choses créées. Ceux qui en agissent ainsi suivent le mensonge, ils marchent dans la voie du mensonge, ils sont les fils du démon qui est le père du mensonge, et parce qu’ils passent par la porte du mensonge ils reçoivent l’éternelle damnation.

Tu vois donc que je t’ai montré la vérité et le mensonge, je veux dire, ma voie qui est vérité, et celle du démon qui est mensonge.