Le Dialogue (Hurtaud)/71

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 241-243).


CHAPITRE XLI

(71)

Comment ceux qui s’attachent aux consolations et visions spirituelles, peuvent être trompées par le démon transformé en ange de lumière. Des signes auxquels on reconnaît qu’une vision est de Dieu ou du démon.

Cet amour-propre spirituel expose aussi l’âme à un autre piège du démon, qui se transforme en ange de lumière.

Le démon épie, en effet, les dispositions de l’âme, et règle son offre sur ses attraits. La voit-il toute possédée de ce désir des consolations et des visions spirituelles, — auxquelles, pourtant elle ne devrait pas s’attacher, mais seulement à la vertu, s’estimant, en toute humilité, indigne de ces faveurs divines et ne considérant en elles, que mon amour qui les lui donne — le démon alors prend forme de lumière en cette âme. Tantôt il revêt l’apparence d’un ange, et il essaye de prendre cette âme à l’amorce de ce plaisir spirituel, qu’elle cherche dans les visions et les délectations de l’esprit.

Si l’âme ne retrouve pas alors une véritable humilité, pour repousser avec dédain toute les joies qui lui sont offertes, elle demeure prise à cet hameçon et tombe aux mains du démon.

Si, au contraire, elle repousse avec humilité cette jouissance, si elle s’applique avec amour à ne vouloir que Moi seul, qui suis le Donateur, au lieu de s’attacher au don, dès lors le démon est vaincu ; car son orgueil ne peut tenir devant un esprit qui est humble.

Tu me demanderas à quel signe reconnaître que cette consolation vient du démon et non de moi ! — Je te réponds : Le signe qu’elle vient du démon, qui se présente à l’âme sous forme de lumière, c’est que l’âme reçoit soudain de sa visite une vive allégresse ; mais, cette allégresse va diminuant toujours, à proportion qu’elle dure davantage, et laisse après elle l’ennui, les ténèbres, l’obscurité dans l’esprit, qui en éprouve comme un remords.

Si c’est Moi, la Vérité éternelle, qui ai visité cette âme, elle en ressent, au premier moment, une sainte crainte ; mais à cette crainte suit l’allégresse, la sécurité, une douce prudence, qui fait qu’en doutant elle ne doute pas. Dans la connaissance qu’elle a d’elle-même, elle s’estimera indigne de cette faveur. Elle dira : Je ne suis pas digne de recevoir votre visite, ô mon Dieu, et puisque j’en suis indigne, comment cela peut-il être ? Mais elle se réfugiera alors dans l’abîme de ma Charité ; elle connaîtra, elle verra qu’à Moi il est possible de donner ; elle ne regardera plus à son indignité, mais à ma dignité qui la rend digne de me recevoir par la grâce et de me sentir présent en elle-même, parce que je ne méprise pas le désir par lequel elle m’appelle et qui la dispose à me recevoir. Elle dira alors humblement : Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre volonté.

Dès lors, quand elle sort de l’oraison, ma visite terminée, elle en conserve de la joie et une grande douceur dans l’esprit. son humilité lui fait comprendre son indignité, lui fait reconnaître que c’est à ma Charité qu’elle doit tout ce qu’elle a reçu.

C’est à ce signe que l’on peut juger si l’âme a reçu ma visite ou celle du démon. Est-elle de moi ? L’âme éprouve au commencement la crainte, au milieu et à la fin la joie, avec le désir de la vertu. Est-elle du démon ? Elle débute par la joie et se termine dans le trouble et les ténèbres spirituelles.

J’ai pourvu à vous en donner le signalement. Désormais l’âme qui veut marcher avec humilité et prudence ne peut être trompée. Mais elle n’évitera pas ce piège, si elle se veut gouverner par l’amour imparfait des consolations personnelles, plus que par l’amour de Moi-même, ainsi que je t’ai dit.